Joalland 2014

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La Revue de médecine interne 35 (2014) 752–756

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www.sciencedirect.com

Communication brève

Syndrome des antiphospholides « séronégatif », syndrome


catastrophique, nouveaux anticoagulants : enseignements d’une
observation de prise en charge difficile
Seronegative antiphospholipid syndrome, catastrophic syndrome, new
anticoagulants: Learnings from a difficult case report
F. Joalland a , H. de Boysson a , L. Darnige b , A. Johnson a , C. Jeanjean a , S. Cheze c ,
A. Augustin d , C. Auzary a , L. Geffray a,∗
a
Service de médecine interne, centre hospitalier Robert-Bisson, 4, rue Roger-Aini, 14100 Lisieux, France
b
Service d’hématologie biologique, hôpital européen Georges-Pompidou, AP–HP, Paris, France
c
Service d’hématologie, CHU Côte-de-Nacre, 14000 Caen, France
d
Cabinet d’anatomopathologie Saint-Louis, 14, rue Gaston-Lavalley, 14000 Caen, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : Introduction. – Le diagnostic du syndrome des antiphospholipides (SAPL) repose sur des critères cliniques
Disponible sur Internet le 11 septembre et biologiques, comportant la présence persistante d’anticorps antiphospholipides (aPL) et la survenue
2014 d’événements thrombotiques ou de complications obstétricales. Le traitement conventionnel des throm-
boses repose sur les traitements hépariniques relayés par les antivitamines K au long cours pour la
Mots clés : prévention secondaire de la thrombose.
Syndrome des antiphospholipides Observation. – Nous rapportons l’observation d’un jeune patient de 17 ans ayant présenté un syndrome
Syndrome catastrophique des
des antiphospholipides de diagnostic difficile, car initialement séronégatif, puis avec des marqueurs
antiphospholipides
Coagulation intravasculaire disséminée
fluctuants, affirmé seulement à l’arrêt du traitement anticoagulant devant un syndrome catastrophique
Nouveaux anticoagulants oraux des antiphospholipides (CAPS) avec lésions cutanées thrombotiques et coagulation intravasculaire dis-
séminée. Pour convenances personnelles, ce patient a été initialement traité par fondaparinux puis
par un nouvel anticoagulant oral, le rivaroxaban, avant de revenir au traitement conventionnel par
antivitamines K.
Conclusion. – Le SAPL « séronégatif » est une entité en plein démembrement, témoignant de l’hétérogénéité
des cibles antigéniques des aPL. Son diagnostic est parfois complexe et nécessite une démarche rigoureuse
ainsi que la disponibilité de laboratoires spécialisés en hémostase. La tentation d’utilisation des nouveaux
anticoagulants au cours du SAPL doit être tempérée par l’absence d’études prospectives confirmant leur
efficacité et leur tolérance. Il faut garder en mémoire que la recherche d’un lupus anticoagulant est difficile
chez les patients recevant ces nouveaux anticoagulants.
© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI).

a b s t r a c t

Keywords: Introduction. – The diagnosis of the antiphospholipid syndrome (APS) is based on clinical and biological
Antiphospholipid syndrome criteria including the persistent presence of antiphospholipid antibodies and thrombotic events or pre-
Catastrophic antiphospholipid syndrome gnancy morbidity. Heparins relayed by vitamin K antagonists (VKA) are the gold standard treatment for
Disseminated intravascular coagulation thrombosis.
syndrome
Case report. – We report a 17-year-old man who presented with an initially seronegative antiphospholi-
New oral anticoagulants
pid syndrome, in whom the diagnosis was late, only obtained after anticoagulation withdrawing, when
a catastrophic antiphospholipid syndrome (CAPS) with cutaneous lesions and disseminated intravas-
cular coagulation syndrome occurred. For personal convenience, this patient was initially treated with

∗ Auteur correspondant.
Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (L. Geffray).

http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2014.04.012
0248-8663/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI).
F. Joalland et al. / La Revue de médecine interne 35 (2014) 752–756 753

fondaparinux followed by a new oral anticoagulant (rivaroxaban) before to return to the conventional
VKA treatment.
Conclusion. – The “seronegative” APS is a controversial concept reflecting the heterogeneity of antigenic
targets for aPL. This diagnosis may be considered after a rigorous work-up, with the help of haemostasis
laboratories testing new emerging aPL assays. In APS, the new anticoagulants represent an attractive
option needing nevertheless prospective studies to evaluate their safety and efficacy. Lupus anticoagulant
detection in patients treated by new oral anticoagulants is not easy by usually recommended coagulation
tests.
© 2014 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société nationale française de médecine
interne (SNFMI).

1. Introduction sportif, ne consommait ni tabac, ni alcool, ni drogue, ni médica-


ments et n’avait pas d’antécédents familiaux notables.
Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) est défini par L’histoire de la maladie avait débuté deux mois auparavant,
l’association d’événements cliniques thrombotiques ou obstétri- en septembre 2011. À cette époque, il avait présenté trois épi-
caux et la présence persistante d’anticorps antiphospholipides (sur sodes subaigus d’éruption cutanée, réalisant des placards violacés
au moins deux prélèvements espacés de plus de 12 semaines) avec d’allure ecchymotique, discrètement sensibles, siégeant au niveau
au moins un auto-anticorps parmi : anticoagulant circulant de type des cuisses ou des fesses, d’évolution spontanément régressive en
lupique ou « lupus anticoagulant » (LA), anticorps anticardiolipine 24 à 48 heures, qu’il avait photographiés (Fig. 1). Son médecin trai-
(aCL) IgG ou IgM, ou anticorps anti-␤2 glycoprotéine 1 (a␤2GP1) tant, craignant un syndrome hémorragique, avait fait réaliser un
IgG ou IgM à titres moyens ou élevés [1]. Le diagnostic du SAPL est bilan d’hémostase, montrant un hémogramme normal, un taux de
difficile quand ces critères biologiques internationaux (Tableau 1) prothrombine (TP) à 90 %, un temps de céphaline activée (TCA) à
ne sont pas présents, réalisant un SAPL « séronégatif ». Nous rappor- 34 secondes pour un témoin à 29 secondes, un fibrinogène à 2,2 g/L,
tons dans un esprit pédagogique et autocritique une observation de des facteurs VIII, IX, XI, XII, une activité cofacteur de la ristocétine,
SAPL, dont le diagnostic a été difficile en raison d’une recherche un facteur von Willebrand et une étude des fonctions plaquettaires,
d’anticorps antiphospholipides (aPL) initialement négative, puis normaux. En octobre 2011, il s’était plaint d’arthralgies d’horaire
tardivement positive de manière fluctuante ; l’usage d’un nou- inflammatoire des deux chevilles pendant quelques jours. Fin
vel anticoagulant oral (NACO) obérait la recherche d’un LA qui novembre 2011, était apparu un tableau clinique franc de phlébite
s’avéra finalement négative. Cette situation a conduit à ne poser fémoro-poplitée droite, en dehors de tout événement favorisant,
le diagnostic qu’à l’occasion d’un syndrome catastrophique des confirmée par écho-doppler, avec mise en route immédiate, par
antiphospholipides (CAPS) débutant, avec atteinte cutanée et coa- l’angiologue ayant réalisé l’examen, d’un traitement par héparine
gulation intravasculaire disséminée (CIVD), précipité par un arrêt de bas poids moléculaire (HBPM) à doses curatives (tinzaparine
du traitement anticoagulant. Cette observation est l’occasion de sodique) et contention élastique.
discuter la notion de SAPL « séronégatif » et de rappeler la démarche Le patient était alors adressé en consultation de médecine
diagnostique dans cette situation. interne. À l’interrogatoire, il n’avait pas de plaintes, hormis un
discret phénomène de Raynaud. L’examen clinique complet était
normal en dehors de la persistance d’une augmentation modé-
2. Observation rée de volume du membre inférieur droit, en rapport avec la
thrombose récente. On entreprenait la recherche d’une throm-
Un jeune homme de 17 ans, étudiant, était adressé en consul- bophilie constitutionnelle ou acquise. Les examens biologiques
tation de médecine interne en novembre 2011 pour diagnostic usuels (hémogramme, C-réactive protéine, fonction rénale, bilan
étiologique d’une phlébite fémorale spontanée. Ses antécédents se hépatique, calcémie, bilan lipidique, thyroïdien, haptoglobine,
limitaient à une méningite lymphocytaire virale en 2000. Il était protéinurie) étaient normaux. Le TP était à 90 % ; le TCA, sous
héparine de bas poids moléculaire, avait un ratio de 1,5 par

Tableau 1
Critères de classification du syndrome des antiphospholipides : critères biologiques
[1].

Au moins un des critères biologiques doit être mis en évidence


Critères biologiques
Présence d’un anticoagulant circulant (« lupus anticoagulant » [LA]), à
deux reprises au moins, à 12 semaines d’intervalle au moins, mis en
évidence en suivant les recommandations de l’International Society of
Thrombosis and Haemostasis
Anticorps anticardiolipine (aCL) d’isotype IgG ou IgM dans le sérum ou
le plasma, avec un titre moyen ou élevé (> 40 unités GPL ou MPL ou
> 99e percentile), présents à 2 reprises à 12 semaines d’intervalle au
moins, par Elisa standardisé
Anticorps anti-␤2-glycoprotéine 1 d’isotype IgG ou IgM dans le sérum
ou le plasma, avec un titre moyen ou élevé (> 99e percentile), présents à
2 reprises à 12 semaines d’intervalle au moins, par Elisa standardisé
Classification biologique
Catégorie I : plusieurs critères biologiques présents (quelle que soit la
combinaison de critères biologiques positifs)
Catégorie IIa : LA seul
Catégorie IIb : aCL seul
Fig. 1. Lésions cutanées fessières ayant précédé la phlébite (photographiées par le
Catégorie IIc : anti-␤2glycoprotéine 1 seul
patient).
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Fig. 2. Lésions cutanées de cuisse au moment du syndrome catastrophique avec Fig. 3. Biopsie cutanée : nombreuses thromboses vasculaires à contenu fibrineux et
CIVD. fibrinoleucocytaire de siège plutôt veinulaire qu’artériolaire dans le derme superfi-
ciel et profond.

rapport au témoin. L’électrophorèse des protides sériques montrait


une hypergammaglobulinémie polyclonale à 24 g/L. Les dosages vasculaires à contenu fibrineux et fibrinoleucocytaire de siège
de protéine C, protéine S, antithrombine, homocystéine, étaient plutôt veinulaire qu’artériolaire dans le derme superficiel et pro-
normaux ; la recherche des mutations du facteur II (G20210) et fond (Fig. 3) ; l’immunofluorescence ne montrait pas de dépôts
du facteur V Leiden était négative. La recherche du LA n’était d’immunoglobulines ou de complément. Les aCL étaient à nou-
pas été réalisée sous héparine de bas poids moléculaire. Les veau positifs au titre de 18 unités GPL ; la recherche d’a␤2GP1 et
recherches d’aCL, d’a␤2GP1 et d’anticorps antinucléaires (AAN) de LA était négative de même que la recherche par tech-
étaient négatives. On mettait en évidence des anticorps anti- nique Elisa (Orgentec, Allemagne, seuil 99e percentile) d’anticorps
cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) atypiques, à anti-prothrombine IgG et IgM ; on recevait un dosage positif
taux faible (40 UI/L) sans spécificité MPO ou PR3. Les recherches d’anticorps IgG anti-phosphatidyl-éthanolamine (aPE) au taux de
de cryofibrinogène et cryoglobuline étaient négatives. Les sérolo- 33,7 U PEG (normale < 18 : 99e percentile technique maison ; labo-
gies VIH, CMV, EBV, VHC, VHB, VDRL, TPHA, fièvre Q, Lyme, étaient ratoire d’immunologie, hôpital de la Conception, Marseille). On
négatives. Les dosages de LDH, ␤2-microglobuline, ␤-HCG, alpha- retenait alors le diagnostic de SAPL avec syndrome catastrophique
fœtoprotéine étaient normaux. Les anticorps anti-Saccharomyces débutant, motivant la reprise d’une anticoagulation à doses effi-
cerevisiae étaient négatifs. La cytométrie de flux CD55 CD59 était caces par enoxaparine à doses curatives. L’évolution était favorable
normale. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien ne montrait pas en 48 heures avec disparition des manifestations cliniques de
d’anomalie. La fibroscopie gastrique, la coloscopie étaient nor- thrombose cutanée et biologiques de CIVD. On complétait le bilan
males. par la réalisation d’une angio-RM cérébrale et d’une échographie
On proposait alors un relais par antivitamine K (AVK), mais cardiaque, tous deux normaux. Le patient était ensuite surveillé de
devant la réticence de ce jeune patient à se soumettre aux manière régulière et restait asymptomatique.
contraintes de la surveillance biologique de ce traitement, on choi- En septembre 2012, toujours confronté au refus des AVK chez
sissait de maintenir l’anticoagulation par fondaparinux sodique à ce jeune étudiant actif, on relayait l’héparine de bas poids molé-
dose curative. Sous ce traitement, l’évolution était favorable, avec culaire par le rivaroxaban à la posologie de 20 mg par jour, en
un suivi régulier clinique et biologique. Compte tenu du caractère incluant le patient dans un registre national de surveillance des
inexpliqué de cette phlébite, les explorations étaient poursuivies. SAPL traités par les nouveaux anticoagulants oraux (NACO). En
En mars 2012, des aCL IgG étaient mis en évidence au titre de décembre 2012, le patient restait asymptomatique avec une bonne
21 unités GPL (technique Elisa ; seuil de 10 U GPL/mL : 99e per- observance thérapeutique comme le suggéraient les modifications
centile), isolés, sans a␤2GP1 et sans anticorps antinucléaires ni classiquement induites par le rivaroxaban des tests usuels de coa-
anti-ADN. Douze semaines plus tard (juin 2012) ces aCL étaient à gulation qui montraient un TP à 67 % et un TCA ratio à 1,59 (TCA du
nouveau inférieurs à 10 unités GPL, dans le même laboratoire selon patient à 46 s et celui du témoin à 29 s) contre un TP à 90 % et un
la même technique. Le patient étant totalement asymptomatique, TCA ratio à 1,17 avant tout traitement anticoagulant. La surveillance
on décidait, après avoir vérifié par écho-doppler la reperméabilisa- immunologique montrait à nouveau la négativation des aCL alors
tion veineuse, l’arrêt du traitement anticoagulant et l’introduction qu’apparaissaient des AAN de fluorescence homogène au taux de
d’aspirine à faible dose (100 mg par jour). 640 UI/L (immunofluorescence indirecte sur cellules HEp2), ainsi
Trois jours plus tard le patient consultait en urgence devant que des anticorps anti-Sm, sans anticorps anti-ADN, sans hypocom-
la réapparition de placards violacés sur les cuisses et les plémentémie. On ajoutait au traitement de l’hydroxychloroquine à
fesses (Fig. 2). L’examen clinique restait par ailleurs normal. la posologie de 400 mg par jour.
Les examens biologiques mettaient en évidence une CIVD : TP En mars 2013, au décours d’un épisode de pharyngite d’allure
46 %, thrombopénie à 124 G/L, fibrinogène à 1,1 g/L, facteur V à virale, réapparaissaient des placards cutanés violacés au niveau des
40 %, D-dimères à 30 000 ng/mL, produits de dégradation de la cuisses, ainsi qu’une hémorragie sous-unguéale en flammèche d’un
fibrine et complexes solubles positifs. La recherche de schizo- index. La capillaroscopie était en faveur d’un mécanisme thrombo-
cytes était négative. Le myélogramme normal et la recherche tique. Les D-dimères étaient élevés à 8000 ng/mL ; il n’y avait pas
du transcrit PML-RAR␣ éliminaient une leucémie aiguë pro- de récidive de CIVD ; les aCL étaient à nouveau positifs à 13 unités
myélocytaire LAM3. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien et le GPL, sans a␤2GP1, cependant que la sérologie lupique s’était
TEP-scanner étaient normaux. La biopsie cutanée au niveau d’un négativée. De l’aspirine à dose anti-agrégante (100 mg/j) était ajou-
placard cutané mettait en évidence de nombreuses thromboses tée au traitement, mais n’empêchait pas la constitution d’autres
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placards de thrombose cutanée, confirmés par une nouvelle biop- un inhibiteur capable de neutraliser l’héparine, ce qui limite à un
sie. On imposait alors au patient le passage aux antivitamines K en seul test de dépistage dans cette situation ;
utilisant la warfarine à dose adaptée pour obtenir un INR situé entre • le taux des aPL peut être abaissé au cours d’un syndrome néphro-
2,5 et 3,5, en maintenant le traitement par hydroxychloroquine. Le tique (par fuite urinaire des IgG, diminution de synthèse ou
patient restait alors asymptomatique. En avril et en juillet 2013, augmentation de leur catabolisme) ;
l’ensemble de la biologie antiphospholipide (LA, aCL et a␤2GP1 • les aPL peuvent disparaître temporairement par consommation
[IgG, IgM et IgA], aPE) et lupique était négative. En septembre 2013, en phase thrombotique aiguë ;
une semaine après une vaccination antigrippale, survenait mal- • le taux des aPL peut être abaissé au cours d’un traitement par
gré un INR à 2,5 un nouvel épisode de thrombose cutanée avec corticoïdes ;
deux placards de sièges crural et fessier, d’évolution favorable sans • les différentes techniques Elisa souffrent d’un manque de stan-
modification du traitement. dardisation.

Tenant compte de ces notions, Cervera et al. [5] proposent la


3. Discussion démarche diagnostique suivante avant d’envisager un diagnostic
de SAPL séronégatif :
Ce patient posait le problème d’une phlébite spontanée, pré-
cédée de manifestations cutanées, à enquête étiologique initiale • rechercher des aCL d’isotype IgA ;
négative malgré une large panoplie d’examens complémentaires. • rechercher des anticorps aPE, anti-acide phosphatidique, anti-
Une thrombophilie constitutionnelle, une pathologie néoplasique, phosphatidylinositol ;
une hémopathie, une pathologie inflammatoire, une maladie intes- • rechercher des anticorps anti-prothrombine, anti-protéine C,
tinale chronique inflammatoire, un syndrome néphrotique, une anti-protéine S, anti-annexine V ;
infection, une hémoglobinurie paroxystique nocturne, une cryo- • rechercher un syndrome néphrotique ;
pathie avaient été écartés par les explorations réalisées. Le suivi • envisager l’effet « masquant » d’un traitement corticoïde ;
évolutif clinique et paraclinique permettait de mettre en évidence • répéter les recherches d’aPL à 3 et 6 mois.
un SAPL associé à une sérologie lupique, dont le diagnostic fut labo-
rieux, seulement affirmé à l’occasion d’un CAPS débutant, lui-même Chez notre patient, le SAPL a souffert d’un retard diagnostique en
précipité par l’arrêt malencontreux du traitement anticoagulant en raison de son caractère initial « séronégatif ». En effet, la recherche
l’absence de diagnostic établi. d’aCL et d’a␤2GP1 négative initialement, puis positive pour les aCL
Cette observation, en situation de « vraie vie », est instructive au 4e mois et à nouveau négative 12 semaines plus tard, ne permet-
car elle a conjugué trois écueils potentiels de la prise en charge du tait pas de retenir le diagnostic selon les critères internationaux [1].
SAPL : Son TCA initialement normal n’était pas en faveur d’un LA, même
si il est bien connu que 20 % des LA n’allongent pas le TCA, la sen-
• écueil diagnostique d’un SAPL initialement « séronégatif » ; sibilité du TCA au LA variant considérablement (entre 50 et 80 %)
• écueil évolutif avec survenue d’un CAPS ; en fonction des réactifs employés. La recherche d’un LA était dif-
• écueil thérapeutique des nouveaux anticoagulants. ficile chez ce patient traité par héparine de bas poids moléculaire
(HBPM) puis par fondaparinux pour convenances personnelles.

3.1. SAPL « séronégatif » ?


3.2. Évolution vers un CAPS

Le SAPL « séronégatif » (« SN-APS » des Anglo-Saxons) est une


Le CAPS ou syndrome d’Asherson, décrit en 1992 [9,10], est
entité qui a été suggérée par des observations de patients présen-
une entité rare concernant moins de 1 % des patients avec SAPL.
tant des manifestations cliniques de SAPL mais dont les recherches
Il est caractérisé par la survenue simultanée de thromboses mul-
répétées des critères conventionnels biologiques internationaux
tiples, typiques par leur prédominance microcirculatoire, pouvant
(aCL ou a␤2GP1 d’isotype IgG et IgM détectés par Elisa standardisé,
conduire à un tableau de défaillance multiviscérale, parfois asso-
ou LA détectés par les tests de coagulation selon les recom-
ciées à des macro-thromboses artérielles ou veineuses [10]. Dans
mandations de l’ISTH [International Society of Thrombosis and
le registre international des CAPS [11], des facteurs précipitant
Haemostasis]) restent négatives [2–4].
l’apparition du CAPS sont décrits chez 53 % des patients : infection
La réalité de ces SAPL séronégatifs est contestée [5]. En
(22 %), intervention chirurgicale (10 %), arrêt ou mauvaise équi-
effet le SAPL séronégatif est probablement un cadre d’attente,
libration du traitement anticoagulant (8 %), grossesse (7 %), prise
étant donné que la liste de nouvelles cibles antigéniques des
médicamenteuse (7 %) notamment œstro-progestatif, cancer (5 %),
aPL au cours des SAPL progresse régulièrement : à côté des
poussée lupique (3 %).
aPL « conventionnels » (aCL et a␤2GP1 d’isotype IgG et IgM, LA)
Chez notre patient, en l’absence de diagnostic de SAPL et arguant
ont été incriminés les aCL et a␤2GP1 d’isotype IgA et divers
du fait que « la décision d’une anticoagulation prolongée en pré-
aPL dirigés contre d’autres sites antigéniques non pris en
vention secondaire ne doit pas reposer sur la constatation isolée
compte dans les tests de routine de laboratoires non spécialisés :
d’anticorps anticardiolipine à titre faible » [12], avaient été déci-
les aPE, anti-phosphatidylsérine, anti-acide-phosphatidique, anti-
dés l’arrêt du traitement anticoagulant et la mise en route d’une
phosphatidylinositol, anti-prothrombine, anti-protéine C, anti-
prophylaxie secondaire par aspirine conformément aux résul-
protéine S, anti-annexine V, anti-vimentine, etc. [5,6].
tats de l’essai ASPIRE publiés à cette époque [13]. L’apparition
Par ailleurs, un certain nombre de situations peut négativer ou
trois jours plus tard de lésions cutanées, correspondant histo-
obérer la recherche des aPL [5] :
logiquement à des thromboses des petits vaisseaux, et d’une
CIVD biologique franche, associées à la réapparition d’aCL et à
• un LA ne peut pas être recherché de façon exhaustive en pré- la présence d’aPE, permettait, après avoir écarté les principaux
sence d’héparine [7], de fondaparinux ou chez les patients traités diagnostics différentiels (leucémie aiguë promyélocytaire, cancer,
par des NACO (anti-Xa [rivaroxaban, apixaban] et anti-thrombine infection) de poser le diagnostic de CAPS selon les critères interna-
[dabigatran]) avec les tests de coagulation recommandés en pra- tionaux de classification [9] No 2, 3 et 4 : développement en moins
tique usuelle [8]. En effet, seuls les réactifs de dRVVT contiennent d’une semaine (occlusion de petits vaisseaux confirmée au niveau
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anatomopathologique d’au moins un organe), présence d’aPL. La démarche pugnace rappelée dans cet article, basée sur la recherche
CIVD aiguë que présentait notre patient est décrite dans 15 % d’aPL « non conventionnels ». Le traitement classique de la throm-
des cas du registre des CAPS. L’arrêt intempestif des anticoagu- bose dans le SAPL repose sur l’héparine relayée par les AVK. Les
lants en raison de l’absence de diagnostic affirmé de SAPL était à NACO (rivaroxaban, dabigatran, apixaban et autres à venir), ten-
l’évidence le facteur précipitant. La reprise d’un traitement anticoa- tants par leur apparente maniabilité, pourraient constituer une
gulant par HBPM à doses curatives permettait la guérison rapide option thérapeutique alternative, qui nécessite d’être validée par
des symptômes cliniques et de la CIVD, avant toute défaillance des études prospectives. Le clinicien ne doit pas oublier que ces
multiviscérale, sans nécessité de recours aux autres traitements NACO, à l’instar de l’héparine et du fondaparinux, empêchent la
proposés du CAPS (corticoïdes, immunosuppresseurs, échanges recherche d’un LA avec toutes les techniques usuelles et recom-
plasmatiques) [14]. mandées, faisant prendre le risque de méconnaître le diagnostic de
SAPL dans sa catégorie IIa (où seul le LA est présent), alors que cette
3.3. SAPL et nouveaux anticoagulants oraux (NACO) recherche de LA est possible, avec toutefois une sensibilité moindre,
chez les patients sous AVK lorsque l’INR n’est pas trop élevé.
Les AVK sont le gold standard du traitement et de la préven-
tion secondaire de la thrombose chez les patients avec un SAPL Déclaration d’intérêts
[14] mais constituent un traitement contraignant, notamment en
raison des fluctuations individuelles de l’INR selon des facteurs Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-
génétiques, environnementaux (diététique, maladies associées) tion avec cet article.
et les interactions médicamenteuses, nécessitant un monitorage
régulier. La tentation d’utiliser les NACO est logique, dans un Références
espoir d’efficacité et de tolérance au moins équivalentes et de
simplification du suivi. L’étude d’une cohorte observationnelle [1] Miyakis S, Lockshin MD, Atsumi T, Branch DW, Brey RL, Cervera R, et al.
multicentrique de 18 patients atteints de SAPL traités par NACO International consensus statement on an update of the classification cri-
teria for definite antiphospholipid syndrome (APS). J Thromb Haemost
(rivaroxaban, dabigatran), initiée par le service de médecine interne 2006;4:295–306.
de la Pitié-Salpêtrière à Paris (article soumis), semble confirmer [2] Hughes GRV, Khamashta MA. Seronegative antiphospholipid syndrome. Ann
l’efficacité et la sécurité de ce traitement au cours du SAPL et appelle Rheum Dis 2003;62:1127.
[3] Alessandri C, Conti F, Conigliaro P, Mancini R, Massaro L, Valesini G. Seronega-
à réaliser des études prospectives à long terme. tive autoimmune diseases. Ann N Y Acad Sci 2009;1173:52–9.
Notre patient, qui refusait les contraintes de la surveillance [4] Duval A, Darnige L, Glowacki F, Copin MC, Martin de Lasalle E, Delaporte
biologique du traitement par AVK, a été traité par fondaparinux E, et al. Livedo, dementia, and endotheliitis without antiphospholipid anti-
bodies: seronegative antiphospholipid-like syndrome. J Am Acad Dermatol
pendant six mois dans la phase initiale de sa maladie, puis par
2009;61:1076–8.
rivaroxaban après l’épisode de CAPS, dans le cadre de la cohorte [5] Cervera R, Conti F, Doria A, Laccarino L, Valesini G. Does seronegative antiphos-
citée ci-dessus. Le fondaparinux et les nouveaux anticoagulants pholipid syndrome really exist? Autoimmun Rev 2012;11:581–4.
[6] Sanmarco M. Clinical significance of antiphosphatidylethanolamine antibodies
ont l’inconvénient d’empêcher avec les techniques usuelles la
in the so-called “seronegative antiphospholipid syndrome”. Autoimmun Rev
recherche d’un LA, dont la mise en évidence éventuelle au début 2009;9:90–2.
de la maladie aurait permis un diagnostic précoce et, en consé- [7] Miraya M, Diemert MC, Amoura Z, Musset L. Anticorps antiphospholipides en
quence, d’éviter l’arrêt intempestif des anticoagulants et l’évolution pratique. Rev Med Interne 2012;33:176–80.
[8] van Os GM, de Laat B, Kamphuisen PW, Meijers JC, de Groot PG. Detection of
vers un syndrome catastrophique, même si les recherches ulté- lupus anticoagulant in the presence of rivaroxaban using Taipan snake venom
rieures de lupus anticoagulant chez notre patient se sont avérées time. J Thromb Haemostasis 2011;9:1657–9.
négatives. Il faut remarquer enfin que chez notre patient ni le [9] Asherson RA, Cervera R, de Groot PG, Erkan D, Boffa MC, Piette JC, et al.
Catastrophic antiphospholipid syndrome: international consensus statement
rivaroxaban ni les AVK n’ont empêché la récidive de placards de on classification criteria and treatment guidelines. Lupus 2003;12:530–4.
microthrombose cutanée dans des situations de stimulation anti- [10] Costedoat-Chalumeau N, Arnaud L, Saadoun D, Chastre J, Leroux G, Cacoub P,
génique, respectivement un épisode ORL viral et la vaccination et al. Le syndrome catastrophique des antiphospholipides. Rev Med Interne
2012;33:194–9.
antigrippale. [11] Cervera R, Bucciarelli S, Plasin MA, Gomez-Puerta JA, Plaza J, Pons-Estel G,
et al. Catastrophic antiphospholipid syndrome (CAPS): descriptive analysis of a
4. Conclusion series of 280 patients from the “CAPS Registry”. J Autoimmun 2009;32:240–5.
[12] Costedoat-Chalumeau N, Saadoun D, Piette J-C. Le syndrome des antiphospho-
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Le diagnostic du SAPL repose sur les critères internationaux Rev Med Interne 2012;33:173–5.
cliniques et biologiques comportant l’exploration du « trépied bio- [13] Brighton TA, Eikelboom JW, Mann K, Mister R, Gallus A, Ockelford P, et al. Low-
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des cibles antigéniques des aPL, dont le diagnostic nécessite une des antiphospholipides. Rev Med Interne 2012;33:217–22.

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