05 - Formes de Violences - Daniel Tia

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European Journal of Literary Studies

ISSN: 2601–971X
ISSN-L: 2601–971X
Available on-line at: http://www.oapub.org/lit

DOI: 10.46827/ejls.v5i1.492 Volume 5 │ Issue 1 │ 2024

FORMES DE VIOLENCES À
TRAVERS LE PRISME DE LA FICTION i

Daniel Tiaii
Département d’anglais, Études Américaines,
Université Félix Houphouët-Boigny,
Abidjan, Côte d’Ivoire
https://orcid.org/0000-0002-2928-3257

Résumé :
Un regard critique sur l’évolution de l’humanité depuis le XXème siècle jusqu’à l’époque
actuelle permet de réaliser que les hommes souffrent de diverses formes de difficultés.
Les initiatives politiques visant à les résoudre pour améliorer les relations humaines
suscitent de l’espoir, car par ces actes, le monde devient un village planétaire dans lequel
les individus acquièrent le statut de citoyens du monde. Les clivages sont rayés au profit
d’une politique de libre circulation. Mais, la prolifération des armes et autres mesures
restrictives exacerbe le climat sociopolitique. Par la littérature, les écrivains contribuent à
l’avènement de cet espace fondé sur des rapports d’interdépendance. Ainsi, les pratiques
esclavagistes sont décriées et celles prônant la concorde entre les populations sont
privilégiées. L’assistance apportée aux personnages en détresse dans les textes à l’étude
démontre que le genre romanesque y joue un rôle prépondérant. Cependant, malgré des
avancées, les tensions persistent. La haine entre les humains continue d’entraver la bonne
marche de l’humanité. Plusieurs continents sont en proie à des délits. Les personnages
noirs sont d’une part, dépossédés de leur identité ancestrale et sont marchandés comme
des biens à posséder et d’autre part, sont battus à mort aux frontières européennes
comme des ennemis. Les politiques environnementales sont également inefficaces, car les
personnages présents sur la scène narrative n’ont aucune considération pour les
ressources naturelles. Ces maux détruisent la fraternité universelle et altèrent la flore et
la faune. Dans le fond, les textes interrogés ne font pas que dépeindre les souffrances
subies par les Noirs et la nature; chacun d’eux décrie ces sévices. Une étude sur la violence
est donc une entreprise louable. Ceci décryptera la figuration de la brutalité à travers le
contexte colonial et migratoire. L’approche comparative interrogera la violence en
considérant trois axes, notamment catégories et modalités de la violence, violence et
incidences et plaidoyer pour un humanisme universel.

Keywords: pratiques esclavagistes, tensions, humanité, fraternité universelle, violence

i
FORMS OF VIOLENCE THROUGH THE LENS OF FICTION
ii
Correspondence: email [email protected]

Copyright © The Author(s). All Rights Reserved 57


Daniel Tia
FORMES DE VIOLENCES À TRAVERS LE PRISME DE LA FICTION

Abstract :
A critical look at the evolution of mankind from the 20 th century to the present day
discloses that people suffer from a variety of difficulties. Political initiatives aiming to
resolve them and improve human relations give rise to hope, because through those acts,
the world becomes a global village in which individuals acquire the status of world
citizens. Splits are erased in favor of a policy of free movement. But the proliferation of
weapons and other restrictive measures exacerbates the sociopolitical climate. Through
literature, writers contributed to the advent of this space based on relationships of
interdependence. Slavery-like practices are decried, while those promoting harmony
between populations are favored. The practice of interculturality and transculturality in
the texts under study shows that the novelistic genre plays a predominant role. However,
despite progress, tensions persist. Hatred between human beings continues to hamper
the smooth running of humanity. Various continents are plagued by crimes. On the one
hand, black characters are dispossessed of their ancestral identity and traded like goods
to be possessed; on the other, they are beaten to death on European borders.
Environmental policies are also ineffective, for the characters in the narrative have no
regard for natural resources. Those evils destroy universal brotherhood and damage flora
and fauna. In essence, the texts examined do not only depict the suffering endured by
black people; each of them decries those ill-treatments. A critical study of violence is a
praiseworthy undertaking. This will help to identify the figurative occurrences of
brutality across the colonial and migratory contexts. The comparative approach will
interrogate violence through three axes, namely categories and modalities of violence,
violence and incidences, and advocacy for a universal humanism.

Keywords: slavery-like practices, tensions, humanity, universal humanism, violence

1. Introduction

À cette première moitié du XXIème siècle, où les politiques vacillent dans la prise de
décisions idoines, où les valeurs civilisationnelles, garantes des actions humaines
semblent être bafouées et vilipendées dans la quasi-totalité des sociétés du monde au
profit des intérêts égoïstes, démesurés et non définis, mener une réflexion sur le(s)
« délit(s) », est une initiative à encenser, car comme l’indique Bernard Dugré, « l’étude des
conflits est précieuse car elle marque les étapes de transformation de la pensée et de la
compréhension du réel » (Dugré, 1998).
Des travaux existent déjà sur cette thématique, mais au fil du temps, les actes
délictueux ont atteint un point culminant, faisant craindre le déclin des valeurs humaines.
Mieux, l’étude des textes de Colson Whitehead et de Laurent Gaudé, permet d’apprécier
la violence coloniale en Amérique et celle présente aux frontières européennes
aujourd’hui. Pour en savoir davantage sur ces deux romanciers, intéressons-nous à
quelques travaux critiques effectués sur la thématique de violence. Dans un de ses essais,
Georges Sorel analyse un aspect essentiel de la violence. Selon lui, la société des hommes
comporte la bourgeoisie et le prolétariat. Son travail montre que ces deux classes sont

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diamétralement opposées et qu’elles sont en perpétuel conflit. Jean-Yves Calvez le


résume comme suit, « (…) la bourgeoisie engendre une autre classe, le prolétariat, dont
l’universalité et le caractère privilégié sont analogues aux siens, par certains côtés, mais vont
devenir plus radicaux encore à d’autres égards » (Calvez, 1956). Cette radicalité génère des
tensions qui, certes, assure l’évolution de la société, mais inaugure un climat de méfiance,
une ère de mépris, de haine et de division. Par ailleurs, en exposant les catégories de la
violence dans son livre intitulé La violence, Yves Michaud voudrait contribuer à élucider
la thématique de violence. Selon ses expressions, « ce sont le meurtre, la torture, les
agressions, les massacres, les guerres, l’oppression, la criminalité, le terrorisme, etc. » (Michaud,
1986).
Quant à Wolfgang Sofsky (1998), il expose l’ambivalence du développement
technologique. Selon son analyse, les armes ont une dimension culturelle, mais elles
restent dangereuses. À côté de ces travaux, d’autres critiques se sont intéressés à la
figuration de la violence dans le texte littéraire. Dans sa thèse de doctorat, Étïenne
Ndagijimana (2007) considère le roman comme un support servant de mémoire aux
violences perpétrées dans le passé de certains pays africains. Traitant de la fonction
représentative du roman, Catherine Pont-Humbert révèle que ce genre littéraire ne se
contente pas de thématiser la violence ; sa vocation implicite est de la décrier de sorte à
susciter une attention ou un mode de règlement (Pont-Humbert, 2013). Prenons un autre
angle ; celui qui s’oriente vers les réflexions critiques sur les textes de Gaudé et de
Whitehead. Dans une de ses études sur Gaudé, Tary D. Mole montre que la migration
clandestine est liée au « rêve de quitter un pays d’origine ou tout particulièrement [fuir les
difficultés existentielles de ladite société] » (Mole, 2019). Mieux encore, dans une étude sur
Laurent Gaudé, Dorel Obieng Nguema (2019) interroge l’écologie. Dès son exposé
introductif, il montre que la fiction de Gaudé incorpore la catastrophe naturelle qui
frappe la Louisiane (Amérique).
Par ailleurs, Vitor Essono Ella (2021) s’appuie sur l’approche thématique de Jean-
Pierre Richard et définit l’une des propriétés des personnages de Gaudé. Selon son
analyse, les personnages de ce romancier ont tendance à aller à la rencontre de l’autre
sans tenir compte des barrières. De plus, deux articles du critique Daniel Tia, parus l’un
après l’autre en 2021 fournissent un éclairci substantiel sur Eldorado. Le premier article
s’intéresse aux déchirures que les migrants subissent dans les sociétés d’accueil. Quant
au second, il établit un parallèle entre le regard porté sur l’Afrique par les migrants
africains évoluant en Europe et celui porté sur l’Afrique par les Africains-Américains.
Concernant l’écriture de Whitehead, elle a également été analysée par plusieurs critiques,
en l’occurrence, Matthew Dischinger (2017), Paula Martín Salván (2018), Tania Musmita,
Kurnia Ningsih et Fauzia Rozani Syafei (2020). Le premier critique examine la trajectoire
de Cora, un personnage féminin esclave, qui aspire à la liberté et qui tente de fuir ses
bourreaux blancs du Sud. Selon Dischinger, le roman whiteheadien revitalise les crimes de
l’époque coloniale. Quant au second article, il interroge la symbolique de « The
Underground Railroad » –un réseau clandestin, dont le rôle dans la lutte pour la liberté
des Noirs reste significatif. La troisième réflexion aborde la dimension historique et
mythique du roman whiteheadien.

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Comme il apparaît, cette revue de littérature se veut contributive ; elle fait avancer
les points de vue sur le présent champ d’étude. Mais, il faut reconnaître qu’elle est
insuffisante, car ne comportant aucune étude explicative prenant à la fois en compte le
roman de Gaudé et celui de Whitehead de sorte à dégager les convergences et
divergences liées aux occurrences textuelles de la violence. Ce manque notable, motive
la conduite de la présente réflexion. Un tel exercice ancré dans l’approche comparative
décryptera la violence chez ces deux romanciers. À cet effet, une attention sera accordée
à trois points, à savoir « catégories et modalités de la violence », « violence et incidences »
et « plaidoyer pour un humanisme universel ».

2. Catégories et modalités de la violence

Cette première section se propose d’examiner les catégories et les modalités de la


violence. Telle que décrite dans les textes de Gaudé et de Whitehead, la violence est
physique, psychologique, culturelle et environnementale.
Les espaces pris en charge par ces deux textes, sont en proie à diverses formes de
violences. Le roman gaudéen dénonce le mal qui ronge les sociétés européennes,
asiatiques et africaines. Ces lieux ont chacun connu une période sombre dans leur
histoire. Le spectre de la violence dans ces espaces entraîne un taux élevé d’inflation
économique, contraignant ainsi leurs citoyens à s’exiler. Dans Eldorado, les personnages
migrants souffrent des conflits armés et des mauvaises politiques de gouvernance. Cette
situation gravissime pousse les populations de ces sociétés à s’exiler. Mais, ces derniers
sont confrontés à d’énormes difficultés dans leurs espaces de transit et d’accueil,
« lorsqu’un des trois hommes est venu vers moi et m’a agrippé par la veste pour que je lui donne
ce que j’avais, je l’ai frappé au visage » (Gaudé, 2006).
À cette étape, la violence est physique –elle est corporelle et altère le corps des
migrants. Le narrateur-personnage relate sa mésaventure pendant son voyage pour
l’Europe. Au-delà de ce portrait qui illustre la violence, il faut noter que le texte de Gaudé
dénonce les pratiques inhumaines à l’endroit des Noirs. En réaction à ces actes hostiles et
inhospitaliers, certains migrants adoptent également des comportements violents pour
se défendre. Le passage suivant, révèle le caractère agressif du narrateur
homodiégétique, « je le frappe de toutes mes forces au visage. Je cogne avec brutalité son nez. Le
corps s’effondre. Comme un poids mort. Il saigne. Le sang se répand sur son menton, sa chemise.
Il gît à mes pieds, braguette ouverte, inerte » (Gaudé, 2006). Ces énoncés confirment le cycle
de violence qui hante aussi bien la mémoire des migrants que celle des non migrants.
Pour se frayer une échappatoire, tous deviennent parfois malhonnêtes.
En addition à ce qui précède, remarquons que la déportation des Africains vers
l’Amérique est accompagnée de violence. Dans bien des cas, ces déportés s’opposent aux
colons. Mais, ces bourreaux usent des méthodes brutales pour les contraindre à se
soumettre à leurs exigences. Il est évident, les colons n’ont aucune compassion vis-à-vis
des déportés. Ce qui urge chez eux, c’est la quête du matériel. Pour y parvenir, ils utilisent
tous les moyens. Par exemple, ils bafouent systématiquement toutes les valeurs
humaines, démontrant ainsi l’intensité de la violence, de la barbarie exercée sur les

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déportés. Les énoncés suivants dénoncent le caractère inhumain de la déportation,


« White men and brown men had used the women’s bodies violently, their babies came out stunted
and shrunken, beating had knocked the sense out of their heads, and they repeated the names of
their dead children in the darkness: Eve, Elizabeth, N’thaniel, Tom » (Whitehead, 2016). Par
ces énoncés, les crimes à l’égard des femmes africaines sont décriés.
En outre, Salvatore Piracci (gardien de côte de l’Italie), après avoir découvert que
la politique de l’Europe envers les migrants africains et asiatiques est injuste, déserte son
poste et décide de s’installer en Libye (Afrique). Il s’y aventure en dépit des situations
pénibles sur son chemin. Aux frontières européennes, les policiers espagnoles et
marocaines se montrent très violents à l’égard des migrants. Les énoncés qui suivent,
démontrent à quel point la violence est récurrente, « soudain les policiers espagnols avancent
droit sur moi. Ils sont trois. Ils ont vu le trou et veulent se poster devant pour en garder l’entrée
avec férocité. Il va falloir se battre. La matraque du premier s’abat sur mon épaule. Je sens la
douleur engourdir mon bras » (Gaudé, 2006). Les actes cruels des gardiens de côte scandent
l’écriture gaudéenne. Par exemple, les parcours des différents personnages migrants sont
parsemés d’actions violentes. Cette image donne l’impression que la thématique de
l’immigration rime avec la violence.
De même, The Underground décrie avec véhémence la haine des colons à l’endroit
des déportés africains. Dans les deux textes, le degré de violence est identique. De part et
d’autre, elle discipline les Noirs et détruit les sujets captifs, « White man trying to kill you
show every day, and sometimes trying to kill you fast » (Whitehead, 2016). Le texte de
Whitehead décrit les Noirs comme des êtres sans valeur. Quant à celui de Gaudé, il
s’intéresse aux violences liées à la crise migratoire actuelle, révélant ainsi les limites des
autorités politiques européennes, africaines et asiatiques. Eldorado et The Underground
décrivent les Noirs comme des sujets dont la liberté est hypothéquée. Au-delà de la
violence physique, ces deux textes thématisent la violence psychologique. Une autre
forme de violence qui affecte les migrants et captifs africains. Elle est interne, mais son
influence est considérable. D’une part, la séparation des captifs de leurs parents et d’autre
part, la mort des migrants sont des faits traumatisants. Cette violence interne ronge les
personnages gaudéens et whiteheadiens. Les deux extraits ci-dessous sont représentatifs de
cette douleur intérieure :

Ext. 1 :
« Cora had never been good at knowing if a body was with a child. Their bulging eyes
seemed to rebuke her stares, but what were the attentions of one girl, disturbing their rest,
compared to how the world had scourged them since the day they were brought into it. »
(Whitehead, 2016)

Ext. 2 :
« La douleur me faisait monter le cœur dans la poitrine. Je pensai qu’une minute plus tôt,
j’étais heureux et la terre me semblait déchirer les pierres de rage. Mon frère s’est remis à
parler. Doucement. Comme s’il savait que sa voix, seule, pouvait apaiser mes hoquets. »
(Gaudé, 2006)

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Dans l’extrait 1, Cora est peinée devant l’exhibition macabre des corps des captifs.
Elle est traversée par la peur. Quant à l’extrait 2, il révèle les inquiétudes d’un candidat à
l’immigration. Analysant la violence psychologique subie par les migrants, Gérard
Keubeung trace l’origine des déchirures internes chez ces derniers en ces termes, « … si
l’on émigre dans l’espoir de trouver un cadre propice à son bien-être, on va avant tout vers
l’inconnu. Ayant uniquement la vision d’un Occident paradisiaque, les jeunes trouvent parfois
plus de mal à accepter ce qui leur arrive une fois l’aventure engagée » (Keubeung, 2011). La
mauvaise conduite des passeurs et des gardiens de côte, crée un choc intérieur que les
migrants ont du mal à surmonter. Par exemple, The Underground fournit des instances
narratives à travers lesquelles ce mal pernicieux s’illustre, « the corpses hung from trees as
rotting ornaments. Some of them were naked, others partially clothed, the trousers black where
their bowels emptied when their necks snapped » (Whitehead, 2016).
En clair, les exécutions arbitraires, dont sont victimes les captifs, constituent des
actes criminels. Forcés à quitter leurs parents, ces derniers perdent tous leurs droits. Leur
réduction en marchandises suscite en eux, un mal intérieur. Les indices textuels qui
suivent, retracent dans les moindres détails les stratégies employées par les colons pour
briser davantage le cœur des captifs, « on lookers chewed fresh oysters and hot corn as the
auctioneers shouted into the air. The slaves stood naked on the platform. There was a abiding war
over a group of Ashanti studs, those Africans of renowned industry and musculature, and the
forman of a linestone quary bought a bunch of picknannies in an astounding bargain »
(Whitehead, 2016).
À l’évidence, l’humiliation des déportés africains constitue un acte violent dont les
influences néfastes transcendent la seule apparence physique. Ces violences affectent leur
intégrité psychique. La mise en récit de ces faits tragiques et historiques permet sans nul
doute de les conserver, de revivifier les expériences périlleuses des Noirs et de désigner
les véritables criminels. Si la violence est physique et psychologique, notons qu’elle est
également culturelle et environnementale. En ce qui concerne The Underground, il dépeint
des personnages captifs isolés l’un de l’autre. Les origines ancestrales sont délibérément
détruites comme le démontre l’exemple suivant : « The Captain staggered his purchases,
rather than find himself with Cargo of singular culture and disposition. Who knew what brand of
mutiny his captives might cook up if they shared a common tongue » (Whitehead, 2016).
Cette technique de tri et de catégorisation détruit la culture des captifs africains.
Pis encore, ces captifs sont vendus à plusieurs reprises à différents colons. Ce passage
d’un colon à un autre anéantit leur identité culturelle, car à chaque vente, des identités
nouvelles leur sont attribuées ; ils perdent également l’usage de leurs langues et
patronymes. Pour des besoins de communication, ils s’approprient des appellations
créées de toutes pièces par leurs bourreaux. Par exemple, dès l’entame du roman The
Underground, le narrateur exhibe le crime culturel commis par les colons, « Cora’s
grandmother was sold a few times on the trek to fort, passed between slavers for Cowrie shells and
glass beads » (Whitehead, 2016). Au-delà de la violence culturelle, gardons à l’esprit que
la violence sur la nature occupe une place essentielle dans l’écriture de ces deux
romanciers. Dans Eldorado, les policiers marocains brûlent les parcelles forestières servant
de cachette aux migrants aux frontières européennes, « J’aperçois de petites lueurs orangées

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qui scintillent dans la nuit. De plus en plus nombreuses. Ça brûle. Ils viennent de mettre le feu à
notre campement. Les flammes sont de plus en plus hautes » (Gaudé, 2006). Sur le plan
symbolique, le mot « flamme » incarne la violence, car il possède un pouvoir de
destruction redouble. Ici, les espèces végétales sont victimes de l’influence des humains.
De même, les habitants de Catane exploitent abusivement les ressources halieutiques.
Ces formes de violences constituent un danger pour l’équilibre environnemental. À
parcourir Eldorado, l’on est frappé par la cruauté des habitants de Catane. L’un des
narrateurs de Gaudé révèle, « C’était comme si les eaux avaient glissé la nuit dans les ruelles,
laissant au petit matin les poissons en offrande. Qu’avaient fait les habitants de Catane pour
mériter pareille récompense ? » (Gaudé, 2006). Dans ces énoncés, il est question d’un emploi
ironique, car l’acte posé et décrit ne mérite pas d’être récompensé. C’est bien plutôt la
pêche irrationnelle des ressources halieutiques qui est décriée. Le narrateur confirme ces
crimes en ces termes, « il serait peut-être un temps où elle refuserait d’ouvrir son ventre aux
pêcheurs. Où les poissons seraient retrouvés morts dans les filets, ou maigres, ou avariés. Le
cataclysme n’est jamais loin. L’homme a tant fauté qu’aucune punition n’est à exclure » (Gaudé,
2006). Cet extrait étale la violence qu’exercent les habitants de Catane sur la nature et sur
les ressources halieutiques. Dans The Underground, la violence s’exerce également sur les
sujets déportés, sur la flore et sur la faune. La création des champs de canne au Sud de
l’Amérique est possible grâce à la main-d’œuvre gratuite offerte par les esclaves
(déportés africains). À première vue, ce sont les esclaves que l’on peut accuser d’être à
l’origine de la déforestation. Mais, avec un peu plus d’attention, la responsabilité des
colons devient plus visible, car ce sont eux qui contraignent les esclaves à créer des
champs. En clair, les esclaves ne sont que des victimes.
Au regard de ce qui précède, la violence se manifeste respectivement sur le corps
physique, la psychologie, la culture des captifs et la nature. En ce qui concerne l’étape qui
suit, elle questionnera la violence et ses incidences.

3. Violence et incidences

Cette phase s’intéresse à la violence et aux incidences afférentes. Notons à cet effet que la
recrudescence de la violence a des incidences variées.
Sur le plan humanitaire, la violence entraîne des morts, l’exode massif, la famine,
la pauvreté, le dépeuplement et l’insécurité. Dans The Underground, les colons brutalisent
les captifs africains qu’ils transportent sur des négriers. Sur certains de ces navires la peste
noire fait rage. Au lieu de lutter contre cette pandémie, les colons brûlent dans bien des
cas des cargaisons d’Africains. Le prétexte est que celles-ci sont infectées, « chained head
to toe, head to toe, in exponential misery. Although they had tried not to get separated at the
auction in Ouidah, the rest of her family was purchased by Portuguese traders from the frigate
Vivilia, next seen four months later drifting ten miles off Bermuda. Plague had claimed all on
board. Authorities lit the ship on fire and watched her crackle and sink » (Whitehead, 2016). De
nombreux Africains sont calcinés. Cet axe cruel fait perdre au continent africain ses
braves enfants. Orpheline, l’Afrique apparaît comme un continent inconsolable. Des
familles africaines perdent ainsi leurs enfants.

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Au-delà de la destruction de la cargaison contenant plusieurs Africains, d’autres


morts surviennent sur le sol africain du fait des maltraitances qui leur sont infligées
pendant leur transport vers les côtes d’embarcation. Cette situation pénible crée d’une
part, des fissures entre l’Afrique et l’Occident et d’autre part, suscite des divisions entre
les familles africaines. La cohésion sociale entre les Africains se fragilise et s’altère. De
nombreux Africains grandissent sans bénéficier de l’amour de leurs parents biologiques.
Ces derniers sont exposés aux ravisseurs (colons) qui sont en quête d’esclaves. Les
villages africains se vident de leurs populations ; les rescapés des kidnappings se
réfugient dans des contrées pour éviter d’être repérés et arrêtés. Un climat de méfiance
s’installe entre Africains et Occidentaux, créant ainsi chez les premiers un complexe
d’infériorité et chez les seconds des sentiments de supériorité. En termes d’altérité, les
colons sont perçus comme des sujets dangereux. Des personnages comme Ajarry ne
reçoivent les informations de leurs parents que sous forme de conte, de légende ou de
propos rapportés, « the survivors from her village told her that when her father couldn’t keep
the pace of the long march, the slavers stove in his head and left his body by the trail. Her mother
had died years before » (Whitehead, 2016). Les morts et les ventes répétées des Africains
empirent leurs conditions d’existence. La violence coloniale rend invalide plusieurs
familles africaines. Elle détruit les pratiques traditionnelles. Le commerce transatlantique
dépeuple l’Afrique. Ceci met en péril la pérennité des traditions africaines. Devenus des
captifs acculturés, les captifs africains évoluent désormais au rythme des réalités
culturelles de leur espace d’accueil (Amérique).
Dans la même perspective, il faut noter que la violence en Syrie est un fait social
douloureux que le texte de Gaudé construit. Cette violence liée à la guerre a de
nombreuses conséquences. Selon le texte de Gaudé, le continent européen jour un rôle
majeur dans la crise syrienne et dans d’autres guerres en Afrique subsaharienne. Le
soutien européen constitue l’une des causes de la crise migratoire. L’exode vers l’Europe
s’apparente donc à une sorte de représailles des autorités asiatiques et africaines, « c’est
un combat politique : l’Europe hausse le ton contre la mainmise de la Syrie sur le Liban, en réponse
Damas affrète un navire de crève-la-faim qu’il lance à l’assaut de la forteresse européenne »
(Gaudé, 2006). Le flux migratoire vers l’Europe est la résultante des violences qui
prévalent dans les sociétés d’origine des migrants. Cet exode est également une arme
pour les sociétés en proie aux conflits politico-militaires. Il est la réaction punitive des
autorités asiatiques et africaines aux interférences occidentales. Cette pratique
commerciale illégale et illicite enrichit certaines autorités des différentes sociétés frappées
par cette crise, « je vous ai raconté l’embarquement. Chaque place à bord a coûté trois mille cent
dollars. Moi, j’ai dû payer quatre mille cinq cents dollars à cause de l’enfant. (…) Une opération
comme celle-ci va à l’encontre de la logique commerciale » (Gaudé, 2006).
Certes, les migrants dépeints dans Eldorado ne sont pas vendus comme ceux décrits
dans The Underground, mais la politique de déshumanisation est identique. Ici, chaque
migrant génère une certaine fortune. Ceci encourage les commanditaires à poursuivre ce
trafic. La violence exercée sur ces différents personnages influence également la mer
négativement. Pendant le commerce transatlantique, plusieurs Africains sont jetés à
l’eau. L’on peut soutenir à cet effet que l’immigration clandestine est la cause de plusieurs

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morts dans la Méditerranée. La mer est perçue dans les deux textes comme une victime
et un cimetière, car elle est polluée et incarne la mémoire des disparus. Les corps déversés
dans la mer polluent l’espace maritime, mettant ainsi en danger la vie des espèces
aquatiques. Ceci rend impossible l’activité touristique, car les cadavres de migrants
jonchent les plages européennes. À considérer les incidences de la violence suscitées, l’on
s’aperçoit que les textes interrogés décrient la barbarie orchestrée par les autorités
occidentales. Pour utiliser les termes de Myriam Bouchoucha, « la négation du corps, la
souffrance volontaire de la chair est un symptôme supplémentaire du déclin de la civilisation »
(Bouchoucha, 2018).
En clair, la violence à l’égard des migrants remet en question la grandeur de la
civilisation occidentale. Ceci discrédite les relations, les traditions entre les sociétés.
Comme le démontre l’énoncé suivant, « la barrière qui sépare Ceuta du Maroc fait six mètres
de haut » (Gaudé, 2006). Certains personnages de Gaudé découvrent que le combat mené
contre les migrants est injuste. Ils regrettent d’avoir tout donné pour leur pays et de
n’avoir rien reçu en retour ces derniers sont traversés par des sentiments d’amertume.
L’un de ces personnages es Salvatore Piracci. En effet, ce dernier se trouve dans
l’incapacité de se réconcilier avec son ex-épouse (Gaudé, 2006). Salvatore Piracci
commence à douter de sa hiérarchie et de ses autorités politiques. Les propos suivants,
confirment son désengagement. Il refuse désormais d’être coupable de cette pratique
immorale, « Lorsque je pense à ces hommes qui ont le regard fixé sur l’horizon avec impatience
et appétit, je les envie. Je me dis que je ne suis que la malchance » (Gaudé, 2006). Les violences
perpétrées sur les migrants et sur les esclaves entraînent leur radicalisation. Ces actes font
disparaître l’amour et la tolérance ; l’humanisme fait place à la vengeance.
Dans Eldorado, le personnage féminin dénommé « la femme de Vittoria » s’illustre
comme un sujet rongé par la violence intérieure. En dépit des années passées à Catane
(Italie), l’image de son fils mort et jeté à la mer pendant sa traversée de la Méditerranée,
reste vivante et gravée dans sa mémoire, « elle se souvenait encore du bruit horrible de corps
aimé, embrassé, touchant l’eau » (Gaudé, 2006). Par ailleurs, dans The Underground, la
volonté de se libérer du joug esclavagiste s’accentue chez les personnages noirs. Ces
derniers s’aventurent vers le Nord de l’Amérique. Cora est une des figures dont le
charisme est encensé ; elle s’investit dans la lutte pour la liberté des Noirs. Leur
engagement permet à plusieurs esclaves de fuir le Sud pour le Nord. À côté de cette
démarche pacifique, des stratégies violentes sont également utilisées par certains
esclaves, « Just over the border in South Carolina, the number of blacks surpassed that of whites
by more than a hundred thousand. It was not difficult to imagine the sequence when the slave cast
off his chains in pursuit of freedom –and retribution » (Whitehead, 2016). À force de violenter
les Africains, ils finissent par se rebeller contre leurs oppresseurs. Selon une des thèses
jouviennes, « le personnage, bien que donné par le texte, emprunte, (…) un certain nombre de
propriété au monde de référence du lecteur » (Jouve, 2001). Ces personnages s’approprient
également la violence pour se défendre.
En somme, l’analyse ci-dessus a montré que la violence peut occasionner la mort,
la radicalisation des personnages, la division au sein des communautés et les désastres

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écologiques. Quant à l’étape suivante, elle se propose de démonter comment les textes de
Gaudé et de Whitehead s’approprient l’humanisme universel.

4. Plaidoyer pour un humanisme universel

Dans cette section, l’objet est d’examiner la dimension humaniste des textes de Gaudé et
de Whitehead.
Loin d’être des promoteurs de la violence, ces romanciers prônent les valeurs
humaines. Certes, les époques qu’ils abordent, diffèrent l’une de l’autre, mais d’un point
de vue de l’engagement, les deux textes partagent des points communs. Tous dénoncent
les injustices sociales. Aussi jouent-ils un rôle important dans la promotion de
l’humanisme universel. Selon Jouve, « dans un roman, c’est surtout par ce qu’il fait qu’un
personnage affiche ses valeurs » (Jouve, 2001). Par l’exode les personnages migrants de
Gaudé affichent donc des valeurs. Ici, l’exode est la manifestation de l’espérance. Les
sujets qui s’exilent en Europe sont, ceux qui osent non pas pour nuire, mais pour
échapper à l’arbitraire. Les migrants qui affluent aux frontières européennes font partie
de ceux qui aspirent à la justice et à la dignité. Leur rêve le plus ardent est d’évoluer dans
un espace où le partage des ressources se fait selon le mérite.
Ce qui les motive est le désir d’accéder à des meilleures conditions sociales, « si
nous passons de l’autre côté, nous sommes sauvés. Une fois passés, nous ne pouvons plus être
renvoyés. Une fois passés, nous sommes riches. Il suffit d’un pied posé sur la terre derrière les
barbelés, un petit pied pour connaître la liberté » (Gaudé, 2006). L’objet de quête à ce niveau
est la liberté. Selon le narrateur homodiégétique, cette valeur précieuse n’existe qu’en
Europe. Les personnages migrants rejettent leurs espaces d’origine, car la justice y fait
défaut. Eldorado révèle ainsi que l’une des valeurs à laquelle les migrants aspirent est la
liberté. Le passage qui précède montre leur attachement à cette valeur rarissime. Ainsi,
l’écriture de Gaudé s’illustre comme un médium par lequel la résistance aux pratiques
injustes et inhumaines est possible.
En dépit des morts, des rapatriements et des détentions arbitraires, les migrants se
mobilisent davantage aux frontières européennes. Ce flux incessant est la preuve que la
liberté est importante. Par exemple, les missions de sauvetage menées par Salvatore
Piracci sont représentatives de la promotion des valeurs humaines. Intéressons-nous aux
propos de ce dernier, « ‘quel étrange métier nous faisons. Nous voilà à la recherche de cinq
barques dans l’immensité et pourquoi ?’ Au fond, ces histoires d’émigration et de frontières
n’étaient rien. (…) Des hommes partaient sauver d’autres hommes, par une sorte de fraternité
sourde » (Gaudé, 2006). Ces énoncés révèlent que les vies humaines s’équivalent et que
les peuples asiatiques, africains et européens sont égaux. La scène de sauvetage décrite
ici, est la manifestation de l’amour universel. Cette valeur ne se monnaie pas et brise tous
les clivages. La politique migratoire européenne a beau être exclusive, elle n’empêche pas
l’amour universel de se manifester. La frégate de Salvatore Piracci constitue l’un des
symboles par lequel le texte de Gaudé construit l’humanisme. À la lumière de l’analyse
précédente, Eldorado prône des valeurs humaines. En dépit de la violence et de la haine

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de certains des personnages de Gaudé, d’autres tentent de réinventer leur relation avec
Autrui.
De même, sur le plan social, le texte de Whitehead dénonce les crimes à l’endroit
des esclaves ; son narrateur n’hésite pas à fustiger la pratique esclavagiste, « Chattel
slavery was an affront to God, and slavers an aspect of Satan » (Whitehead, 2016). Par cette
métaphore, transparaît le caractère nuisible de l’esclavage. Les commanditaires de cette
pratique inhumaine sont assimilables à « Satan ». Cette force maléfique détourne les
sujets des bonnes conduites. Examinant la métaphore, Umberto Eco écrit, « (…) la
métaphore nous engage à voir le monde différemment, mais pour l’interpréter il faut se demander
comment et non pourquoi elle nous montre le monde de cette nouvelle manière. Indéniablement,
comprendre une métaphore c’est comprendre aussi –a posteriori –pourquoi son auteur l’a choisie »
(Eco, 1992).
The Underground présente les esclavagistes comme les seuls coupables des tueries
massives d’Africains captifs dans le Sud de l’Amérique. Or, ce sont eux qui sont nuisibles,
ils posent des actes qui nuisent aux Noirs. Dans le Sud de l’Amérique, ils règnent en
maîtres en ordonnant, soit l’exécution des esclaves, soit leur lynchage. Face à ces forces
sataniques, Donald se démarque des autres personnages en posant des actes salvateurs.
Le narrateur de Whitehead témoigne de l’altruisme de certains personnages comme suit,
« Donald had provided aid to slaves his whole life, whenever possible and with whatever means at
hand, ever since he was a small boy and misdirected some bounty men who badgered him over a
runaway » (Whitehead, 2016). En termes de compétence et de performance, Donald
dispose d’un « pouvoir-faire » et d’un « savoir-faire » qui lui permettent d’éviter les
pièges des esclavagistes. Le regard qu’il porte sur ces derniers, reste humaniste. En effet,
Donald grandit auprès de son père qui considère l’esclavage comme l’un des pires crimes
contre l’humanité, « Donald’s diary –set on a barrel on the station platform and surrounded by
colored stones in a kind of shrine –described how his father had always been disgusted by his
country’s treatment of the Ethiopian tribe » (Whitehead, 2016). En clair, Donald est un
personnage ambitieux ; son engagement sans faille dans la lutte contre l’injustice fait de
lui une figure de proue du mouvement abolitionniste. Dès son bas âge, il exprime son
amour à travers son attachement à la cause des abolitionnistes comme le confirme le
passage suivant, « his many work trips during Martin’s childhood were in fact abolitionist
missions. Midnight meetings, riverbank chicanery, intrigue at the crossroads » (Whitehead,
2016).
Dans The Underground, l’humanisme universel se lit à travers les actes posés par
les personnages abolitionnistes. Leur rôle est déterminant dans le fonctionnement du
réseau clandestin. Ces figures apparaissent comme les acteurs de la lutte émancipatrice
des Noirs en Amérique. Elles s’imposent par leur vision humaniste, « by the time a loose
shingle undid him, Donald had conveyed a dozen souls to the Free States » (Whitehead, 2016).
Le trajet menant au Nord est symbolique ; il permet aux sujets persécutés de quitter le
Sud pour le Nord. Dans The Underground, l’espace nordiste promeut l’abolition de
l’esclavage, « the treasure, of course, was the underground railroad » (Whitehead, 2016). Des
familles acceptent d’héberger temporairement les fugitifs de sorte à ce qu’ils échappent

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aux assassinats et lynchages. Ainsi, d’une famille à une autre, les esclaves se frayent un
chemin qui leur permet d’atteindre le Nord.
Les intervalles liant ces différentes familles constituent ce réseau clandestin. Ils
rendent complexe le démantèlement dudit réseau. Le service rendu par ces familles reste
une figure qui exprime de fort belle manière l’humanisme. Dans le fond, le chemin
clandestin est un symbole par lequel l’hospitalité, la fraternité et l’amour se manifestent.
Si chez Gaudé l’humanisme universel est perceptible à travers les actions de sauvetage
en mer, chez Whitehead, il transparaît par les actes posés par les abolitionnistes à l’égard
des esclaves.

5. Conclusion

Rappelons que l’objectif de la présente étude était d’examiner la violence dans les romans
de Laurent Gaudé et de Colson Whitehead.
Pour examiner les données textuelles recueillies, l’approche comparative a servi
de cadre méthodologique. Ainsi, à partir de ses propriétés opérationnelles, notamment
celles permettant d’établir les convergences et les divergences entre les données
répertoriées, trois axes ont été élucidés. Le premier point intitulé catégories et modalités
de la violence a révélé que la violence présente dans les textes étudiés est physique,
psychologique, culturelle et environnementale. Ici, la violence perpétrée à l’époque
coloniale et celle en cours aux frontières européennes du fait de l’immigration
clandestine, ont été explicitées. Le deuxième axe dénommé violence et incidences a
déterminé les conséquences liées à la violence. Cet exercice a établi que la mort, les crises
psychologiques et culturelles, l’acculturation, la dégradation environnementale, le
déséquilibre écologique, le dépeuplement et l’exode sont les incidences de la violence
dans les textes interrogés. Quant au troisième axe, il a considéré la fraternité, l’amour,
l’hospitalité, l’altruisme et l’entraide comme des valeurs qui promeuvent l’humanisme
universel chez les deux romanciers. La confrontation des données recueillies de part et
d’autre a permis d’établir que l’appropriation de ces différentes valeurs participe à la
protection des vies humaines et à l’avènement de la justice et de l’égalité.
À la lumière des détails suscités, les propriétés de l’approche comparative ont
rendu possible l’analyse de deux auteurs : l’un est en français et l’autre anglais américain.
En s’appesantissant sur la thématique de la violence, elle (démarche) a interrogé deux
différents contextes sociaux : l’époque coloniale et l’extrême contemporain. L’intérêt de
cette démarche dans cette étude a été sa capacité à montrer que la violence n’est pas
l’apanage de l’être humain et que l’exploitation abusive de la nature et des ressources
halieutiques constitue également des actes de violence. À considérer ces résultats, nous
osons croire que cette étude a élucidé les axes de réflexion définis dans l’étape
introductive. Mais, des valeurs comme l’interculturel et le transculturel sont des figures
textuelles, dont l’étude pourrait contribuer à l’explication profonde des projets littéraires
de Gaudé et de Whitehead.

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Financement
Cette recherche n’a reçu aucun financement externe.

Remerciements
Honneur aux Professeurs Jean-Marie Kouakou (Département de Lettres Modernes),
Kouadio Germain N’Guessan (Département d’Anglais), et Landry Roland Koudou
(Département de Philosophie) pour leur soutien académique inconditionnel.

Conflits d’intérêts
L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt.

À propos de l’auteur
Daniel Tia est diplômé de l’Université Félix Houphouët-Boigny en 2016 ; il a mené une
Thèse de Doctorat sur la fiction de Paule Marshall. Ses recherches actuelles portent sur la
transgression, la construction identitaire, la question du genre, l’immigration, l’espace
subjectif. Il enseigne la littérature américaine au Département d’anglais dans ladite
Institution. Il est membre du Laboratoire de Littératures et Écritures des Civilisations
(LLITEC). Il est membres des Revues suivantes : International Journal of Culture and
History, International Journal of Social Science Studies, International Journal of European
Studies, and International Society for Development and Sustainability. Il a publié plusieurs
articles, en autres : From Sin to Redemption: A Cultural Critique of Paule Marshall’s
Praisesong for the Widow (2020), Discursive Heterogeneity in The Autobiography of Miss Jane
Pittman (2021), Contrast of Visions in Paule Marshall and Laurent Gaudé’s Novels (2021),
Mobilité dans Praisesong for the Widow (2020), Geographic Space and Its Semantic
Heterogeneity: an Ecocritical Reading of To Da-Duh, in Memoriam by Paule Marshall
(2022), Female Leadership through the Prism of Hypermodernity (2022), Reading
Deuteronomic Vision in Literature (2022), Re/flux migratoire : une lecture sémiotique de
How the García Girls Lost Their Accents de Julia Alvarez (2023), and Migration, Identity and
Proleptic Dynamism (2023), Narrative Devices in Paule Marshall’s Fiction (2023),
Transgressive Forms in Gainesian Fiction (2023) et A Comparative Approach to Identities
in Toni Morrison’s and Léonora Miano’s Novels (2024).

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