Doassans 2017

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 7

Le Praticien en anesthésie réanimation (2017) 21, 62—68

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Stratégies de prise en charge périopératoire


chez un opéré porteur d’un rétrécissement
aortique calcifié
Management of patients with atheromatic aortic stenosis scheduled for
non-cardiac surgery
Gaspard Doassans , Alexandre Ouattara ∗
Service d’anesthésie-réanimation II, Inserm U 1034, biologie des maladies cardiovasculaires,
centre médico-chirurgical Magellan I, hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, université
Bordeaux, avenue Magellan, 33600 Pessac, France

Disponible sur Internet le 29 mars 2017

MOTS CLÉS Résumé Le rétrécissement aortique est la plus fréquente des valvulopathies de l’adulte des
Rétrécissement pays industrialisés d’Europe et d’Amérique du Nord. Elle touche principalement les personnes
aortique ; âgées. Le bilan préopératoire doit apprécier la symptomatologie fonctionnelle, la sévérité de
Échocardiographie ; la sténose et son retentissement sur le myocarde. Ce bilan permettra de décider ou non d’une
Évaluation chirurgie aortique première. La présence de symptômes conditionne le pronostic périopératoire
préopératoire de la chirurgie non-cardiaque chez ces patients. L’objectif de la prise en charge anesthésique
est de maintenir la pré-charge ventriculaire et la pression artérielle afin d’assurer une per-
fusion coronaire. La titration des agents anesthésiques et du remplissage vasculaire ainsi que
l’utilisation de néosynephrine répondent à cet impératif.
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary Sclerotic aortic stenosis has become more frequent with the growing age of the
Aortic stenosis; patients scheduled for non-cardiac surgery. Preoperative evaluation is focused on the severity of
Echocardiography; the aortic stenosis and its impact on myocardial function and coronary blood flow that determine
Preoperative the opportunity of aortic repair before non-cardiac surgery. Symptomatic patients have a higher
evaluation risk of perioperative complications. The peroperative management aims to maintain ventricular
preload and afterload and arterial blood pressure. Anaesthetic agents titration and the use of
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (A. Ouattara).

http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2017.02.005
1279-7960/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Prise en charge périopératoire pour un opéré de rétrécissement aortique calcifié 63

phenylephrine and norepinephrine aim to achieve this goal. Since postoperative mortality has
decreased, aortic stenosis is no more a contra-indication to non-cardiac surgery.
© 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction RAC ainsi qu’aux avancées anesthésiques et chirurgicales.


Les objectifs de ce manuscrit sont de rappeler les princi-
Le rétrécissement aortique calcifié (RAC) est identifié depuis pales conséquences physiopathologiques du RAC, d’en tirer
plus de 50 ans, comme un facteur de risque majeur de les conséquences sur les grands principes de prise en charge
complications et de mortalité en chirurgie non cardiaque périopératoire en prenant en compte les approches théra-
[1—5]. Dans une analyse multivariée, Rohde et al. [4] ont peutiques les plus modernes tant sur le plan anesthésique
rapporté qu’un gradient trans-aortique > 40 mmHg multi- que chirurgical.
pliait par 7 le risque de complications cardiovasculaires
périopératoires au cours d’une chirurgie majeure. De façon
quelque peu surprenante, le RAC n’a pas été identifié dans Physiopathologie du RAC
le score de Lee (score le plus utilisé de nos jours) comme un
élément de prédiction des complications cardiovasculaires La surface aortique normale d’un adulte est estimée entre
en chirurgie non cardiaque [6]. Ce paradoxe s’explique par 2,6 et 3,5 cm2 . On considère qu’une obstruction hémodyna-
le fait qu’il s’agit d’une valvulopathie sous-diagnostiquée et mique conséquente survient pour une surface de l’ordre de
donc sous-représentée dans la cohorte utilisée pour cons- 1,5 cm2 . L’obstruction de la chambre d’éjection du ventri-
truire ce score. Pour autant, l’allongement de l’espérance cule induite par le RAC est à l’origine d’une augmentation
de vie laisse supposer un recours plus fréquent à la chi- progressive de la pression intraventriculaire durant la sys-
rurgie non cardiaque et une incidence croissante de cette tole. Le ventricule gauche répond à l’augmentation de
valvulopathie dans sa forme dégénérative et calcifiante. On pression par un épaississement pariétal à l’origine d’une
estime en effet de nos jours que le RAC est la valvulopa- hypertrophie concentrique dont la finalité est de normali-
thie la plus fréquente dans la population des plus de 65 ans ser la tension pariétale par mise en jeu de la loi de Laplace
en Europe occidentale et en Amérique du Nord avec une (T = P × D/2E où T: tension pariétale; P: pression ventricu-
incidence oscillant entre 2 et 7 % [7]. Le mauvais pronostic laire; D: diamètre ventriculaire et E: épaisseur pariétale)
périopératoire de ces patients a conduit à considérer comme [13]. Cette hypertrophie permet de limiter la contrainte
inopérable tout patient porteur d’un RAC serré et ceci quel systolique, de maintenir un gradient de pression trans-
que soit le type de chirurgie. En effet, chez les patients valvulaire sans dilatation cavitaire et de maintenir ainsi
récusés au remplacement valvulaire, la mortalité périopé- un débit cardiaque [13]. Cette hypertrophie compensatrice
ratoire de la chirurgie non cardiaque oscillait dans les études n’est pas associée à une dilatation ventriculaire tant que
princeps entre 10 et 20 % [8,9]. Cette attitude a été reconsi- la fonction contractile est maintenue. La réduction de la
dérée récemment par les Sociétés savantes européennes de compliance ventriculaire liée à l’hypertrophie peut être à
cardiologie et d’anesthésie dont les experts ont considéré l’origine d’une dysfonction diastolique pouvant s’associer à
la symptomatologie fonctionnelle du patient comme essen- une dyspnée d’effort.
tielle dans la prise de décision [10]. Ainsi, chez le patient Dans ces conditions, le débit cardiaque est rendu très
asymptomatique, une chirurgie non cardiaque à risque faible dépendant du remplissage du ventricule gauche et devient
ou intermédiaire peut être réalisée sous couvert d’un moni- très sensible aux modifications de pré-charge. En raison des
torage hémodynamique et du respect de principes de prise troubles de la compliance ventriculaire, la proportion du
en charge [10]. Chez ces patients, une échocardiographie remplissage ventriculaire imputable à la systole auriculaire
de repos sera néanmoins réalisée afin de graduer la sévé- peut atteindre 40 %, au lieu de 20 % dans les conditions
rité de la sténose, le retentissement sur le myocarde ou physiologiques. Le maintien d’un rythme sinusal chez ces
encore l’existence d’une valvulopathie associée. L’absence patients est un objectif thérapeutique majeur pour mainte-
de symptômes pourra être idéalement confirmée par une nir un remplissage ventriculaire adéquat et donc un débit
épreuve d’effort. Chez le patient asymptomatique devant cardiaque. La perte du rythme sinusal a des conséquences
bénéficier d’une chirurgie non cardiaque à haut risque ou hémodynamiques importantes et peut justifier une cardio-
a fortiori chez le patient symptomatique, un remplacement version en urgence. De même, la tachycardie sinusale peut
valvulaire aortique préalable à la chirurgie non cardiaque avoir des conséquences importantes sur le débit cardiaque.
doit être envisagé [10]. Le risque cardiaque des patients En effet, en raison des troubles de la compliance ventri-
porteurs d’un RAC devant bénéficier d’une chirurgie non culaire gauche, une réduction du temps de remplissage
cardiaque a diminué durant la dernière décennie [11]. Les diastolique en cas de tachycardie limite le remplissage ven-
études les plus récentes pour tous types de RAC (sévère à triculaire gauche et donc le débit cardiaque. Les besoins
modéré, symptomatique ou non) rapportent des chiffres de du myocarde en oxygène d’un patient ayant un RAC sont
mortalité à 30 jours entre 3,8 % et 5,9 % en chirurgie pro- augmentés du fait de l’hypertrophie ventriculaire et d’une
grammée [5,11,12]. Ces résultats pourraient être attribués à augmentation de la pression ventriculaire télé-systolique.
une meilleure appréhension des effets hémodynamiques du Parallèlement, la perfusion coronaire diminue par altération
64 G. Doassans, A. Ouattara

de la « pression motrice» (diminution de la pression aor-


tique et augmentation de la pression diastolique). Enfin, on
note une réduction de la réserve coronaire. L’inadéquation
entre la consommation et les apports explique la survenue
d’angor à coronaires saine. La perfusion coronaire est sen-
sible aux modifications des conditions de charge (volémie,
arythmie) à l’origine d’une chute du débit cardiaque et donc
de la pression aortique. La prise en charge périopératoire du
patient porteur d’un RAC doit corriger les modifications de
pré-charge en maintenant une volémie normale et en évitant
l’hypotension pour limiter la baisse de perfusion coronaire
et la tachycardie.
L’histoire naturelle de la maladie se caractérise par une
longue période de latence avant la survenue de symptômes
relativement caractéristiques. Toutefois, le délai médian de
survie après l’apparition de ces symptômes est de 2 à 3 ans. Il
est réduit à moins de deux ans en cas de signe d’insuffisance
cardiaque. Enfin, rappelons qu’il n’existe aucune corréla-
Figure 1. Échocardiographie transthoracique 2D. Coupe trans-
tion entre la symptomatologie du patient et la gravité de la verse de la base et des sigmoïdes aortiques. Calcifications
sténose aortique. valvulaires aortiques avec limitation de l’ouverture systolique.

l’équation de continuité plus que par planimétrie qui s’avère


Diagnostic clinique et échographique le plus souvent une technique imprécise en raison de la
Les trois signes cardinaux du RAC sont : l’angor, la dyspnée qualité médiocre des images. Il faut savoir qu’il n’existe
et la syncope d’effort. Chez le patient âgé dont l’activité pas une parfaite concordance entre ces trois paramètres
physique est volontiers limitée, la symptomatologie est échocardiographiques. Ainsi, seuls 25 à 30 % des patients
dévaluation difficile. Dans cette population faussement ayant une surface valvulaire aortique < 1 cm2 ont égale-
asymptomatique, la valvulopathie devra être démasquée ment des paramètres Doppler compatibles avec un RAC
par une épreuve d’effort afin de ne pas méconnaître un RAC serré [16]. L’échocardiographie permet d’apprécier la fonc-
évoluant à bas bruit et pouvant justifier d’un remplacement tion systolique et diastolique ventriculaire gauche, le degré
valvulaire [14]. d’hypertrophie, l’existence d’une régurgitation aortique
L’angor, que l’on qualifiera de fonctionnel, a pour méca- ou d’une atteinte plurivalvulaire. L’échocardiographie doit
nisme une inadéquation entre les besoins augmentés en aussi évaluer le retentissement sur la fonction ventriculaire
oxygène d’un myocarde hypertrophié et la baisse des droite et les pressions pulmonaires. Une hypertension arté-
apports (cf. supra). Les deux autres symptômes que l’on rielle pulmonaire post-capillaire est fréquemment retrouvée
retrouve le plus fréquemment mais en général plus tar- et elle est associée un risque périopératoire accru. Une éva-
divement sont la dyspnée (d’effort, orthopnée, jusqu’à luation de l’aorte ascendante à la recherche de lésion de jet
l’œdème pulmonaire) et la syncope. Le signe principal est réalisée [15]. L’échocardiographie à la dobutamine a un
retrouvé à l’examen clinique est l’existence d’un souffle intérêt pour les RAC « à faible gradient et à faible frac-
systolique d’éjection, râpeux, maximal au foyer aortique tion d’éjection » pour distinguer les RAC serrés fixés où le
(partie interne du 2e espace intercostal droit), irradiant dans volume d’éjection systolique et le gradient trans-valvulaire
les carotides, avec dans les cas les plus avancés une abolition augmentent sous dobutamine et les RAC « pseudo-sévères »
du B2 signant la sévérité du RAC serré. Notons que la sympto- chez qui l’augmentation de débit cardiaque induite par la
matologie chez un patient porteur d’un RAC est importante dobutamine augmente la surface valvulaire sans augmenta-
à caractériser en préopératoire puisqu’elle conditionne le tion du gradient [14].
pronostic périopératoire de ces patients [11,12].
L’échocardiographie (ETT et/ou ETO) est l’examen de
référence pour évaluer un patient ayant une sténose Conséquences de l’anesthésie et de la
aortique [15]. Elle permet d’affirmer le diagnostic, d’en pré- chirurgie chez le patient porteur d’un RA
ciser l’étiologie par une analyse anatomique de la valve (son
épaississent, la mobilité des sigmoïdes, une possible bicus- L’obstruction de la valve aortique empêche toute adapta-
pidie, une valvulopathie dégénérative, des calcifications. . .) tion hémodynamique en réponse aux stress anesthésique et
et de quantifier le degré de sténose (Fig. 1). Le RAC est chirurgical qui sont le plus souvent à l’origine de modifi-
considéré comme serré ou sévère quand la surface valvu- cations de conditions de charge. Le principal évènement
laire est < 1 cm2 (ou < 0,6 cm2 /m2 pour une mesure indexée est l’hypotension artérielle à l’origine d’une diminution de
à la surface corporelle dont l’intérêt a été rapporté chez la pression de perfusion coronaire d’un myocarde hyper-
les patients de petit gabarit), un gradient valvulaire aor- trophié ayant des besoins accrus en oxygène et donc à
tique moyen > 40 mmHg et un pic de vélocité trans-valvulaire risque d’ischémie myocardique [17]. L’hypotension arté-
(Vmax ) aortique mesuré en Doppler continu > 4 m/s [15]. rielle est la conséquence d’une diminution de la pré-charge
Ces mesures sont réalisées idéalement selon plusieurs inci- ventriculaire qui est essentielle pour le maintien du débit
dences. La mesure de la surface se fait par le biais de cardiaque (cf. supra) et/ou d’une baisse des résistances
Prise en charge périopératoire pour un opéré de rétrécissement aortique calcifié 65

vasculaires périphériques qui n’est que très partiellement les facteurs de risque de complications périopératoires en
compensée par une augmentation du débit cardiaque en chirurgie non cardiaque sont plus incertains. Une surface
raison de l’obstruction de la valve aortique (découplage aortique < 0,8 cm2 et/ou un gradient ≥ 45—50 mmHg sont
ventriculo-artériel). La post-charge du ventricule gauche associés à un risque périopératoire augmenté. La dysfonc-
est principalement conditionnée par le gradient trans- tion ventriculaire et la régurgitation mitrale constituent des
valvulaire. La chute de la pression artérielle entraîne une facteurs aggravants [19].
réduction de la perfusion coronaire à l’origine d’une isché-
mie myocardique qui à son tour induit une réduction de la Quand évoquer le RAC et quels examens
contractilité et donc aggrave l’hypotension (cercle vicieux).
complémentaires demander lors de la
Au-delà des modifications des conditions de charge ventri-
culaire, les agents anesthésiques volatiles et intraveineux consultation pré-anesthésique?
peuvent provoquer des altérations de fonction contractile
La découverte d’un souffle systolique non connu lors de la
intrinsèque, des arythmies ou encore des tachycardie. Une
consultation d’anesthésie doit impérativement conduire à la
perte de la synchronie atrio-ventriculaire peut se voir avec
réalisation d’une échocardiographie [20]. Chez les patients
certains agents anesthésiques halogénés. L’existence d’une
porteurs d’un rétrécissement aortique connu, en moyenne,
autre valvulopathie associée à une altération de la fonction
la sténose évolue de 0,1 cm2 par an. Si aucune évalua-
ventriculaire accentue la difficulté de la prise en charge.
tion échocardiographique n’a été réalisée dans les six mois
La tachycardie induite par les stimuli nociceptifs et/ou
qui précèdent la consultation pré-anesthésique, un contrôle
l’hypovolémie peut être responsable d’un mauvais remplis-
échocardiographique est fortement indiqué.
sage ventriculaire et d’une diminution du débit cardiaque.
Un électrocardiogramme doit être demandé à la
La perte du rythme sinusal entraîne une chute importante
recherche de signes électriques d’hypertrophie ventricu-
du débit cardiaque.
laire gauche, ainsi que de troubles de conduction (bloc
L’hypotension artérielle dont l’incidence varie selon les
auriculo-ventriculaire, bloc de branche) par extension des
auteurs entre 15 à 75 % des cas [5,18,19] doit être corrigée
calcifications et de troubles du rythme comme la fibrillation
impérativement par des vasopresseurs de type phénylé-
auriculaire.
phrine ou noradrénaline. La phényléphrine augmente la
L’évaluation du risque d’ischémie myocardique peut être
pression de perfusion coronaire sans effets chronotropes
difficile. En effet, chez le patient symptomatique, l’épreuve
positifs. Elle augmente la pré-charge du ventricule gauche.
d’effort et l’échocardiographie à la dobutamine peuvent se
Les grands principes de la prise en charge périopératoire
révéler délicates. Elles peuvent se discuter chez les patients
des patients ayant un rétrécissement aortique sont condi-
asymptomatiques ou porteurs d’un RAC « à faible gradient
tionnés par les conséquences physiopathologiques et les
et à faible fraction d’éjection ». En dehors de ces cas spé-
impacts de l’anesthésie comme de la chirurgie. Les grands
cifiques, la coronarographie retrouve tout son intérêt à la
principes de prise en charge anesthésique sont d’éviter
recherche d’une coronaropathie qui pourront éventuelle-
la diminution de la pré-charge, de maintenir la volémie,
ment bénéficier d’un traitement chirurgical dans le même
de maintenir des résistances vasculaires systémiques à un
temps que la valvulopathie.
niveau élevé, d’éviter la tachycardie et de maintenir un
rythme sinusal. Ce principes sont au mieux appréhendés par
un monitorage hémodynamique basé sur la mesure invasive Existe-t-il une indication de remplacement
et continue de la pression artérielle dont l’analyse de l’onde valvulaire?
de pouls permet l’optimisation de la volémie. Un monito-
rage par échographie trans-œsophagienne est discuté par La découverte d’un rétrécissement aortique sévère au cours
certains auteurs. Une surveillance postopératoire en soins d’un bilan préopératoire d’une chirurgie non cardiaque doit
critiques durant 24 à 48 heures semble licite. donner lieu à une concertation pluridisciplinaire regroupant
un cardiologue, un chirurgien cardiaque et un anesthésiste-
réanimateur afin de discuter l’opportunité d’une chirurgie
Prise en charge périopératoire première de la valvulopathie. Cette réflexion est guidée
par la symptomatologie du patient, l’indication et le risque
de la chirurgie non cardiaque et de la chirurgie car-
diaque, le degré de sténose aortique basé sur le gradient
De nos jours, la chirurgie non cardiaque chez et/ou la surface valvulaire, l’existence d’une valvulopathie
un patient porteur d’un RAC est grevée d’une et/ou coronaropathie associées et d’une altération de la
mortalité à 30 jours de l’ordre de 2 à 6 % [5,11]. fonction ventriculaire. Si l’on se réfère aux dernières recom-
mandations [10,15], les patients symptomatiques doivent
Le risque d’infarctus du myocarde périopératoire est de bénéficier d’un remplacement valvulaire aortique en tenant
l’ordre de 1 à 3 % [5,11]. Ces résultats sont principale- compte du risque périopératoire de la chirurgie cardiaque.
ment conditionnés par le risque chirurgical, la coexistence Les patients à haut risque devraient bénéficier d’une pro-
d’une valvulopathie ou d’une coronaropathie, la fonction cédure TAVI ou d’une valvuloplastie [15]. Quelle que soit la
ventriculaire ou encore la symptomatologie fonctionnelle stratégie, il est important de rappeler que ces techniques
du RAC. En effet, des études récentes rapportent que le exposent à des risques de sténose et/ou fuite résiduelles
risque de décès est deux à trois fois supérieur chez les (essentiellement pour la valvuloplastie) et que le risque de
patients symptomatiques [5,11]. Si les critères échocar- décès n’est pas nul [21,22]. En cas d’indication à un rem-
diographiques de quantification du RAC sont assez précis, placement valvulaire, la mise en place d’une bioprothèse
66 G. Doassans, A. Ouattara

Figure 2. Arbre décisionnel pour un patient porteur d’un rétrécissement aortique calcifié et devant bénéficier d’une chirurgie non
cardiaque. Adapté selon Vahanian et al. [15]. AS: aortic stenosis; AVR: aortic valve replacement; BAV: balloon aortic valvuloplasty; TAVI:
transcatheter aortic valve implantation.

est préférée à celle d’une valve mécanique en raison de chirurgical sous couvert d’un monitorage hémodynamique
l’absence d’indication à une anticoagulation curative post- strict et en appliquant les principes de prise en charge [23].
opératoire. Chez les patients asymptomatiques, la décision
de remplacement valvulaire est principalement guidée par Optimisation préopératoire
le risque de la chirurgie non cardiaque (Fig. 2). En cas de
chirurgie non cardiaque à haut risque, l’algorithme est le Dans certaine forme modérée à sévère, l’utilisation
même que pour les patients symptomatiques. En cas de prophylactique préopératoire de bêta-bloquants, voire
chirurgie non cardiaque à risque faible ou modéré, il n’y d’amiodarone peut être envisagée pour diminuer le risque
aura pas d’indication à une chirurgie de remplacement val- d’arythmie peropératoire [24]. Une autre particularité
vulaire. En cas d’urgence, on procède à la chirurgie non observée chez le patient porteur d’un RAC est la présence de
cardiaque sous couvert d’un monitorage hémodynamique troubles de la coagulation à type de syndrome de Willebrand
décrit ci-dessus. Deux études récentes mettent en exergue acquis dont la prévalence augmenterait avec la sévérité de
le très mauvais pronostic de la chirurgie en urgence dans l’atteinte valvulaire [25].
ce contexte [11,12]. L’une d’entre elles confirmait le mau-
vais pronostic d’une RAC symptomatique [11]. Toutefois, le
risque périopératoire ne semblait pas être influencé par le
Prise en charge peropératoire
niveau de risque lié à la chirurgie. Un éditorial associé à ce
La stabilité hémodynamique est le point qui requière toute
travail proposait de simplifier les recommandations en limi-
l’attention. Le monitorage « conventionnel » est com-
tant l’arbre décisionnel à l’existence ou non de symptômes.
plété par une mesure invasive et continue de la pression
Ainsi, la chirurgie non cardiaque pourrait être maintenue
artérielle. L’utilisation d’un cathéter de Swan-Ganz est for-
chez le patient asymptomatique quel que soit le risque
tement déconseillée en raison du risque d’arythmie lors de
Prise en charge périopératoire pour un opéré de rétrécissement aortique calcifié 67

sa mise en place. Le monitorage peropératoire par échocar- profonde hypotension par diminution brutale de la
diographie trans-œsophagienne peut se révéler utile pour pré-charge ventriculaire et des résistances vasculaires sys-
apprécier les conditions de remplissage et la fonction ven- témiques. L’anesthésie péridurale pourra être envisagée de
triculaire. La mise en place d’un accès veineux central manière prudente chez ces patients avec une mise en place
est fortement recommandée pour permettre une perfusion progressive du bloc périphérique et le recours aisé à des
efficace d’agents cardio-vaso-actifs si nécessaire. Un moni- vasopresseurs pour lutter contre l’hypotension artérielle
torage de la profondeur d’anesthésie est fortement conseillé potentiellement induite. L’anesthésie tronculaire et locale
chez ces patients afin de titrer au plus juste les besoins en sont possibles et ont l’avantage de n’induire aucune pertur-
agents anesthésiques et d’éviter les effets hémodynamiques bation hémodynamique. Elles doivent être prévilégiées.
d’un surdosage. Le propofol doit être utilisé avec précau-
tion en raison de l’hypotension induite par la baisse de
pré-charge et la vasoplégie. L’anesthésie intraveineuse avec Conclusion
objectif de concentration (AIVOC) qui permet une titration
des quantités d’agent anesthésique administré en fonction Le RAC serré a été, durant de longues décennies, consi-
de la concentration souhaitée au site effet, est adaptée à déré comme une contre-indication formelle à la chirurgie
ce type de patients. L’étomidate est utilisé chez les patients non cardiaque. Sur la dernière décennie, la mortalité
les plus graves pour éviter de trop importantes chutes de périopératoire de ces patients a été substantiellement dimi-
pression artérielle à l’induction. L’entretien de l’anesthésie nuée. Les dernières recommandations confirmées par des
se fait en AIVOC ou avec des halogénés. Il n’y a pas de études récentes à large effectif soulignent l’importance
recommandation particulière concernant les morphiniques, de distinguer avant toute prise de décision les patients
cependant, une analgésie peropératoire efficace est néces- symptomatiques des asymptomatiques. Chez ces deniers,
saire. en l’absence d’une gradient > 45 mmHg et/ou d’une surface
Pour éviter la chute du débit cardiaque à l’origine d’une aortique < 0,8 cm2 , d’une dysfonction ventriculaire, d’une
hypotension artérielle profonde (cf. supra), le maintien coronaropathie et/ou une valvulopathie associée, une chi-
de la pré-charge ventriculaire est essentiel. Toutefois, le rurgie non cardiaque semble réalisable sous couvert d’un
remplissage vasculaire doit être titré car les troubles de monitorage hémodynamique [16]. Les grands principes de
compliance ventriculaire limitent la marge thérapeutique prise en charge seront la correction de l’hypotension arté-
entre l’hypovolémie et le risque d’œdème pulmonaire. Pour rielle à l’aide de remplissage vasculaire et de vasopresseurs
corriger l’hypotension artérielle, la phényléphrine est la et de la tachycardie et/ou de l’arythmie. Chez les patients
drogue de choix mais la noradrénaline peut être utlisée. symptomatiques, le recours au remplacement valvulaire
On doit éviter l’utilisation d’éphédrine en raison de son premier est la règle. Quelle que soit la stratégie choisie
action chronotrope potentiellement délétère (cf. supra). (chirurgie, voie d’abord transcutanée ou valvuloplastie au
En l’absence de cathéter veineux central, l’utilisation de ballon), la décision doit mettre en balance le risque opéra-
noradrénaline fortement diluée (10—20 ␮g/mL) est possible toire de la procédure avec celle pour laquelle une discussion
en bolus sur une voie veineuse périphérique. La perfusion multidisciplinaire doit être initiée.
continue sur voie veineuse centrale doit être privilégiée.
L’objectif est le maintien d’une pression artérielle proche
des valeurs observées avant l’induction anesthésique.
Déclaration de liens d’intérêts
Il faut s’attacher à limiter la tachycardie responsable
d’une diminution du temps de remplissage ventriculaire et Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
de perfusion coronaire. Un niveau adéquat d’analgésie et
d’anesthésie en cas de stimuli nociceptif est indispensable.
Une cardioversion électrique peut se révéler nécessaire
en cas de passage en fibrillation auriculaire mal tolérée.
Références
Une attention particulière doit être portée aux perturba-
[1] Skinner JF, Pearce ML. Surgical risk in the cardiac patient. J
tions métaboliques ayant un impact cardiovasculaire comme Chronic Dis 1964;17:57—72.
l’hypokaliémie. [2] Goldman L, Caldera DL, Nussbaum SSR, et al. Multifactorial
Chez les patients les plus graves, une surveillance post- index of cardiac risk in noncardiac surgical procedures. N Engl
opératoire en unité de soins critiques postopératoires est J Med 1977;297:845—50.
utile. Le maintien de la volémie est de nouveau l’objectif [3] Detsky AS, Abrams HB, McLaughlin JR, et al. Predicting cardiac
thérapeutique principal. En cas d’analgésie locorégionale, complications in patient undergoing noncardiac surgery. J Gen
une attention toute particulière doit être portée aux Intern Med 1986;1:211—9.
effets hémodynamiques qu’il ne faut pas hésiter à corri- [4] Rohde LE, Polanczyk CA, Goldman L, et al. Usfulness of trans-
ger par une perfusion continue de vasopresseurs justifiant thoracic echocardiogrpahy at a tool for risk stratification of
patients undergoing major noncardiac surgery. Am J Cardiol
l’hospitalisation en soins critiques.
2001;87:505—9.
[5] Agarwal S, Rajamanickam A, Bajaj NS, et al. Impact of aortic
L’anesthésie locorégionale stenosis on postoperative outcomes after noncardiac surgeries.
Circ Cardiovasc Qualt Outcomes 2013;6:193—200.
La sympatholyse induite par une rachianesthésie rend cette [6] Lee TH, Marcantonio ER, Mangione CM, et al. Derivation
technique particulièrement inadaptée chez les patients and prospective validation of a simple index for predic-
porteurs d’un RAC (sauf à être titrée grâce à un cathé- tion of cardiac risk of major noncardiac surgery. Circulation
ter intrathécal). En bolus unique, elle expose à une 1999;100:1043—9.
68 G. Doassans, A. Ouattara

[7] Nikomo VT, Gardin JM, Skelton TN, et al. Burden of European Society of Cardiology (ESC) and the European Asso-
valvular heart diseases: a population-based study. Lancet ciation for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur J Cardiothorac
2006;368:1005—11. Surg 2012;42:S1—44.
[8] Kertai MD, Bountioukos M, Boersma E, et al. Aortic stenosis: [16] Samarendra P, Mangione MP. Aortic stenosis and periope-
an underestimated risk factor for perioperative complications rative risk with non-cardiac surgery. J Am Coll Cardiol
in patients undergoing noncardiac surgery. Am J Med 2015;65:295—302.
2004;116:8—13. [17] Torsher LC, Shub C, Rettke, Brown DL. Risk of patients with
[9] Nishimura RA, Otto CM, Bonow RO, et al. 2014 AHA/ACC severe aortic stenosis undergoing non-cardiac surgery. Am J
Guideline for the management of patients with valvular Med 2004;116:8—13.
heart disease: a report of the American College of Car- [18] Calleja AM, Dommaraju S, Gaddam R, et al. Cardiac risk
diology/American Heart Association Task Force on Practice in patients aged > 75 years with asymptomatic, severe aor-
Guidelines. Circulation 2014;129:e521—643. tic stenosis undergoing non-cardiac surgery. Am J Cardiol
[10] Kristensen SD, Knuuti J, Saraste A, et al. 2014 ESC/ESA 2010;105:1159—63.
Guidelines on non-cardiac cardiac surgery: cardiovascular [19] Leibowitz D, Rivkin G, Schiffman J, et al. Effect of severe ste-
assessment and management: The Joint Task Force on non- nosis on the outcome in elderly patients undergoing repair of
cardiac surgery: cardiovascular assessment and management hip fracture. Gerontology 2009;55:303—6.
of the European Society of Cardiology (ESC) and the Euro- [20] Molliex S, Pierre S, Bléry C, et al. Routine preinterventional
pean Society of Anaesthesiology (ESA). Eur J Anaesthesiol tests. Ann Fr Anesth Reanim 2012;3:752—63.
2014;31:517—73. [21] Ben-Dor I, Pichard AD, Satler LF, et al. Complications and out-
[11] Tashiro T, Pislaru SV, Blustin JM, et al. Perioperative risk of comes of balloon aortic valvuloplasty in high risk inoperable
major non-cardiac surgery in patients with severe aortic ste- patients. J Am Col Cardiol 2010;11:1150—6.
nosis: a reappraisal in contemporary practice. Eur Heart J [22] Smith CR, Leon MB, Mack MJ, et al. Transcatheter versus sur-
2014;35:2372—81. gical aortic-valve replacement in high-risk patients. N Engl J
[12] Andersson C, Jorgensen Me, Martinsson A, et al. Noncardiac Med 2011;364:2187—98.
surgery in patients with aortic stenonsis: a contemporary study [23] Osnabrugge RL, Kappetein AP, Serruys PW. Non-cardiac in
on outcomes in a matched sample from the Danish Health Care patients with severe aortic stenosis: time to revise the gui-
System. Clin Cardiol 2014;37:680—6. delines? Eur Heart J 2014;35:2346—8.
[13] Rackley CE, Edwards JE, Karp RB, Kirklin JW. Maladie valvu- [24] Bradley D, Creswell LL, Hogue Jr CW, et al. Pharmacologic pro-
laire aortique. In: Hurst JW, editor. Le cœur, artères et veines. phylaxis: American College of Chest Physicians guidelines for
Édition Masson; 1985. p. 818—46. the prevention and management of postoperative atrial fibril-
[14] Yavagal ST, Deshpande N, Admane P. Stress echo for evaluation lation after cardiac surgery. Chest 2005;128:S39—47.
of valvular heart disease. Ind Heart J 2014;66:131—8. [25] Vincentelli A, Susen S, Le Tourneau T, et al. Acquired
[15] Vahanian A, Alfieri O, Andreotti F, et al. Guidelines on the von Willebrand syndrome in aortic stenosis. N Engl J Med
management of valvular heart disease (version 2012): the joint 2003;349:343—9.
Task Force on the management of valvular heart disease of the

Vous aimerez peut-être aussi