Grotte Des Pigeons

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LA GROTTE DES PIGEONS

A OONSTANTINE

Historique. — En suivant la merveilleuse route


de la Corniche pour aller au Hamma, lorsqu'on arrive
vers la chute du Rhumel, si on regarde du côté
de la Casbah, par dessus l'abîme et le torrent pro-
fond, on reste comme surpris et fortement impres-
sionné par la sauvagerie du milieu, la hauteur ver-
tigineuse du rocher gigantesque, sur les bords duquel
viennent comme mourir les dernières constructions
de la ville de Constantine.
C'est à cet endroit, en effet, que le massif est le
plus élevé et, s'il faut en croire un certain point de
l'histoire du passé, bien avant la conquête, de là on
précipitait dans le gouffre les femmes reconnues
coupables d'adultère.
Un peu sur la droite et vers le sommet, une haute
et large ouverture attire les regards; c'est la Grotte
des Pigeons.
Depuis tantôt une dizaine d'années, alors que dans
toute la région il est peu de points curieux où je ne
sois allé, je m'étais toujours promis de faire une
visite à cette grotte. Mon collègue de la Société
archéologique, M. Bosco, pour lequel cette ascension
— 10 —

n'était qu'un jeu, avait à diverses reprises voulu m'y


conduire. J'avoue ne m être jamais senti le jarret
.assez sûr pour me risquer sur le seul ressaut péril-
leux y conduisant à l'époque, et il a fallu, pour m'y
décider, le percement de cette partie de la montagne
et l'ouverture du superbe boulevard, aujourd'hui
dénommé Boulevard de l'Abîme.
A cours des travaux considérables exécutés à cet
efïet, je fus un jour prévenu par les soins de mon
collègue de la Société archéologique, le distingué
Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, M. Bois-
nier, que deux vases assez énigmatiques venaient
d'être mis au jour dans une niche spacieuse et natu-
relle formée par le rocher.
Je me rendis aussitôt sur place et, de l'examen de
cette excavation, des deux vases recueillis, de la dis-
position et de la nature du sol et du sous-sol, on ne
pouvait conclure qu'à une cachette. Je n'y ai relevé,
en effet, aucun ossement humain permettant d'assi-
miler cette trouvaille à un tombeau,
M. Boisnier a bien voulu déposer au Musée les
précieux documents exhumés et notre collègue,
M. Marçais, en a donné une description heureuse
et comparative dans le Recueil de la Société1^).
Si je parle ici de cette trouvaille, c'est que j'aurai
à y revenir au cours de ce travail, lorsque j'arriverai
au mobilier archéologique et à la céramique recueillie
dans la Grotte des Pigeons; ces deux vases, en

(1) Recueil des Notices et Mémoires de la Société archéologique du


département de Constantine, page 175 à 183. Notice sur deux vases
kabyles trouvés à Constantine, G. Marçais.
effet, paraissent être de la même époque et appar-
tenir à une même industrie.
Lorsque, pour la première fois, par un moyen de
fortune, il me fut possible d'accéder à cette grotte,
j'eus aussitôt l'impression qu'elle réserverait une
surprise et que l'homme y signalerait son passage,
comme pour ainsi dire dans toutes les grottes.
Toutefois, je reconnaissais aussi que le travail à
entreprendre serait beaucoup plus important que je
ne l'avais supposé. M. Boisnier me garantissant que
lorsque le percement du boulevard de l'Abîme serait
terminé, ce travail serait simplifié en raison de l'ac-
cessibilité et de la facilité de déverser les terres
extraites immédiatement dans le ravin voisin, cela
me décidait à y pratiquer une fouille.
J'adressai donc un appel à M le Gouverneur Gé-
néral et il me fut alloué une faible somme, que je
n'eus du reste jamais l'occasion de toucher. Les
graves événements de la mobilisation étant survenus,
le mandat accordé prit un chemin si long, qu'il ne
put être retrouvé. J'en suis très heureux, car je puis
constater à présent que c'est à peine si j'aurais pu
ouvrir un chantier de fouilles avec les simples
moyens dont j'aurais disposé.
Cependant, j'avais mis mon collègue influent de la
Société archéologique et maire de la ville, M. Mori-
naud, au courant de ce qui se passait. Fort intéressé
par le projet que je lui soumettais, il profitait, peu
après, du passage à Constantine de M. le Gouver-
neur Général et, sur place, après un examen du
travail à exécuter, il obtenait les ressources néces-
saires. Au début de l'année 1916, le dégagement de
— 12 —

la Grotte des Pigeons fut commencé et continué


sans interruption.

Situation. — Aujourd hui que les travaux sont


terminés, qu'un bel escalier fait communiquer le
boulevard de l'Abîme avec la Grotte des Pigeons et
qu'une rotonde spacieuse permet de jouir d'un pano-
rama merveilleux sur toute une immense région, il
ne semble pas qu'il ait fallu plusieurs mois à une
équipe de cinq et parfois six ouvriers pour amener
les choses à leur état actuel. Et cependant, c'est
exact.
Combien de promeneurs, accoudés à la rampe
supérieure, sont venus souvent et longtemps, suivre
étonnés les travaux qui s'exécutaient.
La Grotte des Pigeons, comme beaucoup de grot-
tes, a sa légende, et elle aurait servi au culte de
Mithra. Les anciens Constantinois disent, avec certi-
tude, qu'elle est immense, que vers le fond existe
un gouffre où on entend couler l'eau; d'autres ajou-
tent que les bougies s'y éteignent et qu'il existe cer-
taines communications souterraines pouvant s'éten"
dre assez loin. Je ne suis pas à même de renseigner
sur ces diverses suppositions, car, ainsi que je vais
l'expliquer, il ne m'a pas été possible de m'éclairer
à ce sujet.
Dans l'état actuel, la Grotte des Pigeons paraît se
diviser en une principale, regardant le nord-ouest et
pouvant avoir de 10 à 12 mètres de largeur, avec
autant de hauteur, et une seconde de moindre impor-
tance, celle qui se trouve aujourd'hui dégagée et
regardant à l'ouest.
A une époque imprécisée, faute de documents,
mais vraisemblablement déjà reculée, la principale
ouverture a été murée par les soins du Service du
Génie, sans doute à la suite d'un accident purement
géologique; une faille s'est ouverte au travers de
l'épaisseur de la voûte et en raison de sa proportion,
elle menaçait les bâtiments supérieurs des casernes
de la Casbah.
On pensait, sans inconvénient aucun, pouvoir
ouvrir le mur construit, mais ses proportions étaient
telles, qu'il y avait là déjà une réelle difficulté. De
plus, le danger primitif se reproduisant, à la suite
d'un éboulement sérieux, on dût reconstruire le mur
de près de 4 mètres d'épaisseur, déjà sensiblement
entamé.
Espérons qu'après les événements actuels, il sera
trouvé un terrain d'entente, afin de pouvoir pour-
suivre les travaux interrompus et que le budget
réservé aux fouilles sur les origines de l'humanité
sera moins méconnu.
Lorsque je songe que trois mois avant la déclara-
tion de guerre, un chef de mission scientifique, alle-
mand, s'imposait ici chez nous, m'offrait une fortune
pour travailler pour leur musée de Berlin, ou lui
céder mon industrie des escargotières de Tébessa,
je reste perplexe en présence des efforts réalisés de
notre côté, voire des difficultés parfois rencontrées :
une diversion peut être faite sur cet incident porté
à la connaissance de la Société archéologique, puis-
qu'une délibération unanime a été prise contre les
agissements, dans la région, de cette soi-disant mis-
sion scientifique.
La grotte-annexe communique par le sous-sol
argileux avec la principale, ainsi que je vais l'indi-
quer.
Au dégagement, le long de la paroi gauche, en
regardant l'ouverture, sous la couche ancienne et
argileuse de remplissage, on constatait la présence
de terres noires mêlées à des coquilles d'escargots.
La chose paraissait invraisemblable, alors qu'elle est
toute naturelle et c'est une preuve évidente qu'il
n'existe qu'une seule et même grotte. La grande se
trouve beaucoup plus élevée, et longeant les parois,
les terres d'apports ont suivi naturellement jusqu'à
ce qu'elles aient rencontré une résistance, c'est-à-
dire le dépôt ancien en contre-bas.

Dégagement. — Pour les raisons que je viens


d'indiquer, la grotte principale ne pouvait être
atteinte, il fallait se rabattre sur l'annexe immédia-
tement voisine ; c'est donc sur elle seule que por-
tera le travail archéologique que je soumets
Par la faille existant dans la voûte de la grotte
supérieure, des débris variés ont glissé jusque dans
le ravin voisin, suivant le rocher surplombant le
Rhumel et formant un cône de déjections très puis-
sant qu'il a fallu enlever pour arriver à l'annexe.
Ce cône de déjections paraît avoir été en activité
à l'époque romaine, pour se poursuivre jusqu'au
moment de la fermeture, par les soins du Génie.
La couche de fond, en effet assez puissante, repose
mi-partie sur un cailloutis régulier, mi-partie sur de
l'argile grossière, mélangée de sables. Toute l'indus-
trie rencontrée appartient à l'époque romaine, tandis
qu'au fur et à mesure qu'on se rapproche de la sur-
face, le mélange avec l'actualité apparaît.
Bien que je ne sois pas dans mon élément pour
traiter l'époque romaine, j'ai toujours relaté dans
mes fouilles tout ce qui peut avoir de l'intérêt. Aussi,
j'ai pu recueillir quelques objets et faire diverses
remarques que je ne passerai pas sous silence. Les
débris de tuiles, plates, rondes, à rebords, sont
communes, de même que ceux d'assiettes, vases en
terre très fine et d'un bea-u rouge vernissé, connue
sous le nom de terre de Samos. Parfois, on y relève
quelques dessins. Si j'envisage la quantité considé-
rable des débris de la lampe si commune et si connue
de l'époque romaine, je suis tenté de partager l'opi-
nion de mon collègue de la Société archéologique,
M. Bosco, relative au culte de Mithra et à des sacri-
fices au taureau dans la grotte sacrée.
J'ai conservé deux fonds de lampes sur lesquels
on lit les noms des potiers : c closvc et c fabfvs.
La verrerie est très largement représentée et l'irisage
de tous les fragments d'objets divers est profond et
superbe. Au toucher, parfois cette patine antique se
détache en poussière fine du plus curieux effet.
Je possède un morceau de verre de 0n,G9/Om0iO
et 0m005 dans sa plus forte épaisseur, sur lequel
j'attirerai l'attention des connaisseurs, car il semble
provenir d'une glace. Le dos est plat et régulier,
tandis que la face est au contraire irrégulière et la
pâte de verre s'est étalée grossièrement, produisant
une bordure beaucoup plus épaisse.
Ce qu'il y a de plus curieux dans ce fragment de
glace, sans doute, c'est qu'on y relève un étamage
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véritable et je n'insisterai pas, ignorant absolument


ce qui a été signalé sur cette partie de l'art antique.
Il est irisé au même titre que tous les autres objets
rencontrés et a été recueilli au même niveau.
Parmi les os travaillés, je signalerai : une tête de
longue aiguille avec châs allongé ; trois cure-oreilles,
dont l'un complet. Deux sont simples et le troisième
est à dessins au tour, puis à la main et en creux.
Je terminerai cet exposé par un fort poinçon en
bronze et j'ajouterai que toutes les monnaies en ma
possession sont frustes et totalement effacées.
Toute la façade — c'est à-dire une quinzaine de
mètres environ, selon la sinuosité du découpage du
massif — constitue un vaste abri sous roche, car
partout, et parfois sur 5 à 6 mètres de profondeur, le
gigantesque rocher avance en surplombant.
Au dégagement et sous le talus qui s'est formé
sur toute la largeur, mais principalement en avant
de l'ouverture de gauche, à des profondeurs varia-
bles, il a été recueilli les restes d'une dizaine d'indi-
vidus, dont plusieurs enfants. Ils se trouvaient en-
fouis dans toute leur longueur, à même du sol, sans
aucun système de protection et nulle pièce archéolo-
gique n'a été recueillie à leur contact. La conserva-
tion de ces squelettes est parfaite et j'ai retenu quel-
ques mâchoires inférieures à titre documentaire; le
tout semble très récent. Ainsi qu'on le verra plus
loin, il n'est pas possible d'établir de contempora-
néité entre ces restes et ceux exhumés de la grotte
voisine dégagée totalement. Avec les derniers, on se
trouve en présence d'un véritable rite, comme je vais
le démontrer; aucun rapport ne peut exister entre
les deux méthodes adoptées, sinon le milieu parti-
culier, isolé et très difficile à aborder. C'est même
un problème assez complexe qui se pose, et si nul
moyen de pénétration n'existait par le haut de la
grande grotte murée par le Génie, on peut se de-
mander par quel procédé les cadavres étaient amenés
en cet endroit et à l'époque.
La petite grotte annexe, très en retrait, n'a pas été
atteinte par l'activité du cône de déjections et l'indus-
trie romaine n'y existe pas; de même que, à la base
du remblai correspondant à l'époque romaine, il
n'existe aucun indice d'une autre occupation pouvant
avoir rapport avec l'industrie que je vais présenter
et provenant de cette petite grotte.
L'eau a joué un rôle prépondérant dans la forma-
tion de la plupart des ouvertures et cavités rencon-
trées dans le crétacé et, là surtout, le phénomène
s'y suivait pour ainsi dire continuellement. La voûte
se trouve comme cristallisée; mais contrairement à
ce que souvent on a signalé, ce ne sont plus des
assemblages de stalactites, parfois en quantité innom-
brable, c'est un tablier donnant l'impression de très
fortes éponges accotées, dont les aspérités ressem-
blent à du sucre candi.
Des napoes bariolées, du plus curieux effet et de
même formation, existaient à différents niveaux ; on
en relève encore les amorces de chaque côté des pa-
rois, les travaux étant terminés. Mêlées à des apports
ferrugineux, ces nappes étaient souvent d'une exces-
sive dureté.
Aussi, dans toute la disposition de la couche ar-
chéologique intéressante, ce n'était qu'un amalgame
et un tassement regrettables pour les constatations.
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Bien que la voûte de la grotte soit sensiblement


noircie par la fumée, je n'ai relevé aux différents
niveaux aucune trace de foyer, et il y a donc lieu de
mettre ce dépôt fumifuge sur le compte de l'actua-
lité. La Grotte des Pigeons ne m'a donné aucun
indice d'habitat ; elle n'a servi que de nécropole, ce
qui m'engage à ajouter, avec une quasi certitude, que
la grande grotte voisine murée par le Génie, la grotte
des légendes, donnerait comme mobilier beaucoup
plus que son annexe.
A une profondeur variable, mais généralement
atteignant un mètre, sans ordre de régularité et dis-
séminées surtout vers la gauche en regardant le fond,
des tombes existaient. Leur présentation m'a fait
dire dans la Notice parue dans le Bulletin de la
Société archéologique de 1916, que j'avais eu l'im-
pression d'un tumulus sous grotte.
J'y trouve, en effet, une analogie frappante avec
d'autres trouvailles que j'ai eu l'occasion de signaler
et auxquelles il est facile de se reporter (*). Dans un
cailloutis protecteur, le plus souvent puissant, les
ossements humains sont rassemblés en tas, incom-
plets, sans méthode. Parfois un large vase, genre
têle, dont la description sera donnée plus loin, re-
couvre ces restes et la plupart du temps quelques
ex-voto s'y rencontrent. Quelques rares exceptions
nous ont procuré les débris de grands récipients
(1) Bougie. Compte-rendu des fouilles /ailes en i904. Tumulus du
Pic des Singes. Extrait du Recueil des Notices et Mémoires de la
Tociété archéologique de Constantine. Vol. XXXIX, année 1905.
57 pages.
Le Préhistorique dans les environs de Tébessa. Tumulus de Rsar*
Gourai, de la même Société. 1er vol. de la 5° série, année 1910.
48 pages.
— 19 -

d'une autre facture et peu différents de celui recueilli


dans un tumulus à Ksar-Gouraï M, région de Té-
bessa. Malheureusement, ainsi que je le displus haut,
en raison du tassement considérable qui s'est pro-
duit par suite des infiltrations pluviales, je n'ai pu
retenir que des fragments importants, mais ne per-
mettant aucune reconstruction.

Mobilier archéologique. — Contrairement à ce


que j'ai signalé à Bougie et à Tébessa, le tumulus
de la Grotte des Pigeons ne recèle aucune trace d'in-
cinération; mais les ossements ramassés, pêle-mêle,
sous un rempart protecteur, impliquent un déchar-
nement préalable II y aurait donc là un rite qui
touche encore franchement au néolithique, et du
reste, parmi les objets que je vais passer en revue,
recueillis sous les grands vases ou dans leur voisi-
nage immédiat, il en est qui le sont nettement.
Mais ce qu'il y a de particulièrement curieux,
c'est qu'avec cette industrie de la dernière période
néolithique, on recueille une céramique dénotant une
civilisation très avancée. Il semblerait qu'il y ait eu
fusion entre autochtones et envahisseurs.
11 est fâcheux et regrettable que tous les ossements
humains se soient si mal conservés, car j'estime que
la différence signalée sur l'industrie devait être plus
apparente encore sur les ossatures des individus.
J'ai pu cependant faire une constatation pouvant avoir
sa valeur. Il y avait des crânes de forte épaisseur,
mais à titre exceptionnel ; la généralité étant au

(1) Bougie. ('Fig. 10). Vases du tumulus de Ksar-Gouraï.


contraire d'épaisseur ordinaire et même faible. La
platycnémie sur quelques tibias a été également re-
marquée.
J'avais un jour mis à sécher un frontal que, à
grand peine, je venais d'avoir complet, la mâchoire
inférieure du même individu, un os long de jambe,
ainsi qu'un petit vase recueilli au contact, de façon
à pouvoir emporter le tout le lendemain, sans danger
de bris, mais un visiteur peu délicat a fait main-
basse sur ces objets.
Interrogé sur cette disparition, le surveillant des
travaux ne put me procurer aucune indication. La
chose est d'autant plus regrettable que j'avais déjà
pu assimiler la mâchoire inférieure à deux autres
recueillies dans mes fouilles antérieures, aux dol-
mens de Salluste (*) et du Dyrr f2). A la base des
tombes, sur toute l'étendue de la grotte et se pour-
suivant en dehors, sous le cône de déjections, exis-
tent des argiles d'une grande pureté, multicolores et
parfois bariolées. Le plus souvent, d'une belle cou-
leur jaune, terre de Sienne, rouge vif ou blanche, ces
argiles avaient une épaisseur non évaluable, se conti-
nuant encore sous l'horizontalité actuelle de la grotte.
J'ai pu faire constater leur pureté à un de mes
amis, modeleur distingué; il en a prélevé des échan-
tillons et a su exécuter directement, sans tamisage
de la pâte, un buste qui a été exposé et remarqué
dans une des vitrines des Grands Magasins du Globe.

(1) Les Dolmens de Salluste. Extrait du Bulletin de la Société


archéologique de Sousse. (l"r semestre 1909)r
(2) Les Dolmens de Salluste. Société archéologique de Gonstantine.
(Année 1910).
- 21 -

J'ai recueilli dans la ^Grotte des Pigeons, le plus


souvent en contact immédiat, ou dans la tombe pro-
prement dite, constituée par un cailloutis puissant
et les ossements en tas sous la tèle de protection,
les objets suivants : une longue et plate aiguille
cassée, côté tête avec châs; une seconde aiguille?
côté pointe soigneusement arrondie, plate et fort ré-
gulière, également cassée; une pointe faite d'une
esquille d'os et d'un travail moins soigné; une dé-
fense de sanglier perforée — perforation tronconique
— amulette que j'ai souvent eu l'occasion de ren-
contrer et de signaler à différentes époques préhis-
toriques; une valve de pectoncle perforée; un petit
polissoir en grès rouge, au grain très fin, arrondi et
fortement aplati par l'usage; un ciseau, soigneuse-
ment poli et fini, lequel me paraît être un schiste
ardoisier; une hache polie, de la forme en boudin,
en ophite; cinq silex de la décadence, mais rappe-
lant encore les belles formes et faciès antérieurs.
En raison de l'humidité signalée et du mélange
argileux, il ne fallait pas compter utiliser le tamis, à
aucun moment au cours des fouilles et malgré l'at-
tention apportée, il est possible que de faibles objets
sont passés inaperçus et se sont perdus.
Il a été recueilli à la profondeur des tombes, mais
non en contact immédiat, une massetle en fer, ori-
ginale. De forme cylindrique, elle est nettement cas-
sée à l'une de ses extrémités, la seconde régulière-
ment arrondie par l'usage. Le trou d'emmanchement
est plutôt faible; il est rectangulaire et occupe en
profondeur un peu plus de la moitié de l'épaisseur.
Malgré sa lourdeur excessive, le minerai semble
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avoir été utilisé avec des impuretés, remarquées aux


aspérités, sur toute la cassure de l'épaisseur. Cette
massette a un faciès très archaïque et peut fort bien
être contemporaine des autres objets décrits Déjà à
Bougie, au grand tumulus du Pic des Singes, j'ai
constaté la présence d'un fort tronçon de lame en
fer d'un caractère analogue. Ce métal pouvait donc
exister, mais il constituait une rareté.
L'analyse de ces deux documents pourrait être
intéressante et je les tiens à la disposition de celui
qui y verrait une étude particulière.
Bien que la Grotte des Pigeons n'ait donné aucune
trace d'habitat et qu'on ne peut invoquer la contem-
poranéité, j'ai cependant recueilli une certaine quan-
tité d'ossements d'animaux dans lesquels mon col-
lègue et ami M. Joleaud a reconnu les espèces sui-
vantes :
Un équidé voisin de l'âne ;
Le bubale ;
Une chèvre abondamment représentée ;
Un petit bœuf ;
Un singe, probablement le magot;
Le sanglier ;
Le grand bœuf.
On sait que l'existence de l'âne et de la chèvre
dans les gisements préhistoriques algériens a été
très discutée ; d'autre part, le singe est une rareté
connue seulement des Traras et du Taya, aussi
M. Joleaud complète-t-il ce travail par une savante
étude géologique et paléontologique, dont je le re-
mercie très vivement.
J'ai remis également à mon jeune ami et collègue
- 23 —

M. Solignac, un occipital humain fort curieux, qu'il


traite ci-après de façon remarquable, je tiens à le
remercier chaleureusement.
Enfin, M. Marçais, dont il a déjà été parlé au cours
de ce travail, a bien voulu se charger d'étudier et de
traiter la céramique recueillie, il le fait également
plus loin avec sa compétence habituelle. Son analyse
est complétée par quelques dessins, exécutés par sa
main de maître, je le félicite et le remercie sincère-
ment.

A. DEBRUGE.

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