Le Transhumanisme

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Le transhumanisme

De Prométhée au transhumanisme, comment la technique a-t-elle


conditionné notre rapport au monde ?

Maxime Crettex Sion, le 01.10.2018


Sous la direction de Mme Papilloud PHILO/18/1/PP/04
Résumé
Et si la technique, communément définie comme le moyen de réalisation de l’idéal
cartésien de confort, s’avérait être tout à la fois un vecteur de l’histoire, une condition
de notre relation à la nature, un concept philosophique aux enjeux cruciaux,
l’expression du prométhéisme humain et une menace totalitaire ? Ce travail de
maturité portera donc sur la question de la technique, au niveau philosophique, et plus
précisément sur la manière dont celle-ci a conditionné notre rapport au monde, en
dévaluant et démystifiant celui-ci. La question de la technique et du progrès se révèle
en réalité rentrer en résonnance avec la condition humaine, sa relation à Dieu,
l’omnipotence de sa raison et l’imminence de son règne absolu sur le vivant. Ces
concepts philosophiques sont aujourd’hui sous-jacents à de nombreux débats de
sociétés, relatifs à l’éthique de la vie, du corps, de la mort et de l’environnement. En
effet, un mouvement pariant sur la perfectibilité infinie de l’homme et l’emploi des
technologies concourant à son amélioration physique, cognitive et intellectuelle gagne
toujours plus en importance. On l’appelle le transhumanisme et sa volonté est de
permettre à l’humanité de se libérer de la tyrannie de la nature, à chaque individu de
s’émanciper et de s’augmenter grâce à la technique, pour finalement aboutir à
l’émergence d’une nouvelle espèce : le posthumain. Les dernières recherches et les
investissements massifs des géants américains et chinois du numérique ont donné de
la crédibilité à ce mouvement. La technique moderne, depuis Galilée, se développe en
vue du confort matériel de l’homme mais elle pourrait prochainement se révéler
profondément dystopique. Il est donc très important d’accorder une réflexion acérée
et pointue sur ces sujets, sur la manière dont nous considérons le progrès et la
technique. Il s’agit là d’une question de civilisation, de société dont les générations
futures hériteront. Mais sommes-nous encore libres face à la technique et au progrès ?
À l’heure où l’homme semble parvenir au sommet de la tour de Babel, le Prométhée
originel est attaché par l’homme contemporain au rocher de la désillusion. Lui qui jadis
conféra l’art et la techné à l’homme, constate désarmé de quelle manière la technique
moderne, la technoscience, s’est détournée de sa vocation et a démantelé l’art
d’Athéna. C’est sur ce constat délibérément et ouvertement tragique que s’ouvre ce
travail de maturité, proposant ainsi une redéfinition de la technique moderne, de son
autarcie et de sa qualité de vecteur d’histoire.

Photo première page : Prométhée enchaîné de Nicolas Sébastien Adam


http://histart.over-blog.com/article-2nd14-art-baroque-sculpture-promethee-enchaine-42514634.html
Table des matières
1. INTRODUCTION 1

2. LES DIFFERENTS PARADIGMES DE RAPPORT AU MONDE, DE LA GRECE ANTIQUE A


L’EPOQUE MODERNE 4

2.1 Le cosmos grec 4

2.2 La théologie chrétienne – synthèse de l’aristotélisme et de la Genèse biblique 6

2.3 « Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » 7

2.4 Époque moderne : positivisme comtien, industrialisation et technocritique marxiste 10

3. COMMENT COMPRENDRE NOTRE RAPPORT CONTEMPORAIN AU MONDE ? 11

4. LE TRANSHUMANISME 13

4.1 Qu’est-ce que le transhumanisme ? 13

4.2 Origines du mouvement transhumaniste 14

4.2.1 L’épopée de Gilgamesh et le mythe de Prométhée 14


4.2.2 Autres influences 15
4.2.3 Le transhumanisme aujourd’hui 17

4.3 La philosophie du transhumanisme 18

4.3.1 Philosophie de l’esprit – dualisme ou monisme, matérialisme ou


fonctionnalisme ? 18
4.3.2 La conscience des machines 20
4.3.3 Vers une réalité simulée ? 21

5. CONCLUSION 22
1. Introduction
« La science et la technique ont
pris le pas sur la nature, sur le
pouvoir, sur la poésie, sur la
poésie et sur la religion. Voilà le
cœur de l’affaire. Elles ont
bouleversé notre vie »1

Jean d’Ormesson

Tout cela a commencé lorsque les hommes cessèrent de craindre la tombée de


la nuit, la foudre et le tonnerre, lorsqu’ils comprirent que les phénomènes solaires, tels
que les éclipses, n’étaient en rien dus à des différends divins et encore moins à
quelconque créature menaçant le soleil, duquel ils tiraient la vie2. Puis, ils analysèrent
le mouvement des étoiles et du soleil, usèrent de leur raison pour comprendre le
monde et accoucher de théories scientifiques - l’immense infini, l’inintelligible cosmos
se crispa et se resserra comme un étau autour de l’homme. Parallèlement à cela, les
progrès techniques, que nous devons à l’héritage cartésien, ont permis
indubitablement à l’homme d’accéder à un niveau de bien-être supérieur et de ne plus
subir la nature. On put dès lors produire davantage de nourriture, en ayant une
meilleure connaissance de la biologie, soigner nombreuses maladies autrefois
mortelles, se déplacer toujours plus vite, etc. Cependant, le rapport contemporain au
monde et au réel relevant d’une maîtrise et d’une compréhension toujours
grandissante, implique nécessairement ce désenchantement absolu dont nous
sommes les témoins. En effet, le développement de la technoscience a permis de
réaliser ce qui semblait autrefois impossible, qui s’opposait aux lois de la physique :
Thalès de Milet et Anaxagore, auraient-ils imaginé qu’il serait un jour possible de se
rendre sur la lune, leur objet d’étude ? Dès qu’une chose devient atteignable, altérable
et réalisable, elle perd fatalement sa valeur conférée par cette propriété
d’inaccessibilité. Ce qui paraissait, dans l’Antiquité, sacré, divin, mystérieux, enchanté,
absolu et incorruptible est devenu aujourd’hui et par le développement technique
maîtrisable, orientable, consommable et exploitable selon la volonté de l’homme. Tout
concourt au désenchantement du monde, à sa réduction à de simples propriétés
physiques : les planètes, jadis créées par le courroux des dieux, sont devenues la
simple expression de lois physiques, dont nous connaissons aujourd’hui parfaitement
les propriétés, et le nouveau domaine de conquêtes des grandes puissances

1
Ormesson, Jean D'. Un Jour Je M'en Irai Sans En Avoir Tout Dit : Roman. Paris : Ed. De
Noyelles, 2013.
2
Les populations antiques ont craint les éclipses, ils croyaient en effet que celles-ci
menaçaient de faire disparaître à jamais le soleil. Il y’a différentes interprétations autour de
ses phénomènes dans les civilisations chinoises, grecques, égyptiennes, incas, africaines et
indiennes. Leur point commun est une grande épouvante devant ces phénomènes naturels

1
militaires3; le ciel étoilé de Shéhérazade4 est devenu terne, a perdu son éclat et sa
pure lumière ; le vent d’Éole, le soleil d’Hélios, la mer de Poséidon sont dépossédés
de leur dimension mythique et sacrée ; la naissance d’un enfant n’est plus que le
résultat du mélange de deux codes génétiques et de neuf mois de gestation bientôt
externalisables, comme l’annonçait en 1931 la dystopie Le meilleur des Mondes 5;
notre corps, notre chair, notre organisme n’est rien de plus qu’un support à notre
conscience, à notre âme et à notre esprit, eux-mêmes réduits à de simple produits
d’une longue évolution naturelle et physiologique, à des phénomènes non
transcendants permis par des interactions neuronales6 ; l’essence même de notre
déterminisme génétique, l’ADN, n’est en définitive qu’une suite de composantes
numériques modifiables et interchangeables7. Cette volonté de rendre la vie artificielle
met ainsi notre appartenance au monde en péril, rompt avec une composante
essentielle de notre condition humaine, à savoir la gratuité de notre vie, en tant qu’elle
nous est donnée. Dans son ouvrage, La condition de l’homme moderne, la philosophe
Hannah Arendt se penche sur la problématique éponyme, et, à l’instar d’Aldous
Huxley, nous fait part en ces termes d’un regard précurseur sur ce à quoi pourrait
bientôt ressembler être « humain » :

« C’est le même désir d’échapper à l’emprisonnement terrestre qui se manifeste


dans les essais de création en éprouvette, dans le vœu de combiner « au
microscope le plasma germinal provenant de personnes aux qualités garanties,
afin de produire des êtres supérieurs » et « de modifier (leurs) tailles, formes et
fonctions. » (…) Cet homme futur, que les savants produiront, nous disent-ils, en
un siècle pas d’avantage, paraît en proie à la révolte contre l’existence humaine,
telle qu’elle est donnée (…) et qu’il veut échanger contre un ouvrage de ses
propres humains. (…) La seule question est de savoir si nous souhaitons
employer dans ce sens nos nouvelles connaissances scientifiques et
techniques.»8

Cette désacralisation de la nature, du vivant va donc de pair avec une dévaluation


totale et inédite de notre condition humaine. Il est donc nécessaire de repenser notre

3
À l’occasion de la création d’une 6ème branche de l’armée américaine consacrée à l’espace,
Donald Trump affirmait « L'espace est devenu un terrain de combat et la simple présence
américaine dans l’espace ne suffit pas, il faut une domination américaine dans l’espace. »
4
Voir Les Mille et Une Nuits
5
Un utérus artificiel est un dispositif d'ectogénèse qui permet une grossesse extracorporelle.
Déjà essayée sur des embryons de moutons, cette technique pourrait être expérimentée
dès 2020 sur des fœtus humains. Dans son ouvrage, Le meilleur des mondes, Aldous
Huxley annonçait déjà la fin de la reproduction sexuée et la gestation artificielle.
6
Philosophie réductionniste et fonctionnaliste, développée au point 4.3.1
7
La technique CRISPR-Cas 9 permet de modifier l’ADN de n’importe quel organisme végétal
et animal, en en supprimant une composante et en la remplaçant par une autre en vue d’un
résultat escompté
8
Arendt, H., Fradier, G., & Ricoeur, P. (2012). Condition de l'homme moderne (Agora. Paris.
1985- 24). Paris : Pocket.

2
rapport au monde, dès lors que son état actuel menace l’intégrité de notre essence.
Cette aporie, ce gouffre infini ouvert par la technique moderne, bouleversant les bases
de notre éthique, nécessite donc une étude approfondie de l’impact de la technique
sur notre rapport au monde et sur notre condition humaine, c’est-à-dire notre
appartenance au réel9. C’est sur les bases de ce constat que doit s’ouvrir cette
technologie10, afin d’échapper à cette accoutumance progressiste et afin de repenser
le rôle moteur de la technique dans l’évolution de notre rapport au monde. Toutefois,
afin de comprendre et de reconsidérer l’essence de la technique, il est d’abord
nécessaire de la définir. Le sens premier du terme « technique » provient du verbe
indo-européen teuchô, τέχνη (technè) en grec. Ce terme signifie « production » ou
« fabrication matérielle ». Dans ce sens, elle désigne tant l’artisanat, comme habilité
et art, que l’outil, étymologiquement utile pour l’homme. Depuis la révolution
philosophique cartésienne, le terme de technique désigne une tout autre chose et est
dépourvu de son sens premier. En invitant à la fusion de l’épistêmê11 avec la technè
en vue d’une nouvelle science pratique avec pour volonté la maîtrise et la possession
de la nature12, Descartes ouvre la brèche à un basculement total de la science et de
la technique, désormais liées et dépendantes l’une de l’autre dans cette nouvelle
configuration paradigmique cartésienne. Jacques Ellul, auteur de La technique ou
l'enjeu du siècle, considère et constate que, depuis les Lumières, le progrès technique
est devenu la première et principale préoccupation de l’humanité, sans que jamais ses
effets, tant sur le plan politique, moral, ontologique et anthropologique ne soient remis
en cause. De plus, la question de la technique est totalement abandonnée à la science
et n’est plus appréhendée sous un angle philosophique. Il devrait cependant en être
ainsi car cette question touche et impacte les trois domaines de réflexion de la
philosophie, c’est à dire le rapport de l’homme à Dieu, à l’autre et à lui-même. Ainsi,
afin de comprendre le rapport contemporain à la nature et à notre condition, il convient
d’étudier la manière dont le développement de la technique a coïncidé avec
l’établissement de différents paradigmes de compréhension et d’appréhension du
monde, unis et reliés par une désacralisation intarissable de la nature. À la lumière de
cette causalité historique, les aspirations, les enjeux et l’émergence du mouvement
transhumaniste seront analysés. Afin de répondre à ces questions, il faut convier les
écrits qui ont forgés le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui ainsi que le rôle
prépondérant de la technique, afin d’alimenter notre réflexion sur la situation actuelle.
Comment comprendre ce dans quoi nous évoluons, sans nous décentrer, sans tenter
de concevoir le réel à travers l’altérité philosophique et historique ?

9
C’est dans cette optique qu’Hans Jonas écrit Le principe responsabilité, une éthique pour
la civilisation technologique
10
Étude sur la technique (technè – technique ; logos – discours, étude)
11
L’épistêmê est l’ensemble des connaissances théoriques et scientifiques
12
Descartes, R. (1931). Discours de la méthode. Paris : Libr. Hachette.

3
2. Les différents paradigmes de rapport au monde, de la Grèce
Antique à l’époque moderne

2.1 Le cosmos grec

Les premières spéculations philosophiques et scientifiques modernes concernant la


nature commencèrent en Grèce, à l’aube du 7ème siècle avant J.-C.. La Grèce est alors
un immense pays florissant, dont l’hégémonie maritime s’oppose à celle de ses voisins
phéniciens. On trouvait sous son égide la péninsule du Péloponnèse, la côte ouest
turque, les îles de la mer Égée, le pourtour de la mer Noire, le sud de la péninsule
italique, appelée Grande Grèce ainsi que quelques colonies sur les côtes françaises
et espagnoles. Dans ces colonies et ces cités de la Grèce archaïque se développe
alors un rapport au monde assez particulier.
Contrairement à la vision cartésienne qui, des siècles plus tard, invitera à la suprématie
de l’homme sur la nature, les grecs considèrent la nature comme un système
harmonieux, une totalité formée par les êtres vivants. Cette nature créatrice a été
étudiée, commentée et exprimée par Aristote et avant lui par les premiers penseurs
de la philosophie occidentale, les présocratiques. Parmi ces derniers, les inoniens de
Milet et d’Éphèse (Turquie), les pythagoriciens et les éléates (Grande-Grèce) furent
les plus importants. Ces premiers philosophes, ou « physiologues » pour reprendre la
formulation aristotélicienne, se livrèrent donc à l’étude de la Phusis13, poussés par
l’étonnement suscité par les phénomènes naturels14. Jeanne Hersch, la philosophe
suisse, qualifiait les Parménide, les Héraclite et les Anaximandre ainsi « Dans ces
temps anciens, la profession de « philosophe » n’existait pas. Les philosophes étaient
en même temps des savants, des mathématiciens, des géomètres, des
astronomes. »15. Ces penseurs polyvalents, ces savants émerveillés étudièrent donc
le fonctionnement de la nature en tentant d’apporter par la raison, le logos, une
réponse à la vie, à la nature et au cosmos16. Une rupture s’installe alors, le monde
n’est plus abordé à travers des récits mythologiques imaginaires, mais par une
démarche rationnelle. Ce passage, du Muthos (le mythe) au Logos, est donc à la base
de toutes les entreprises scientifiques ultérieures, d’où découleront des visions du
monde diverses et successives ainsi que de nombreuses applications théoriques

13
Nature
14
Tricot, Jules. La Métaphysique. Nouv. éd. Entièrement Refondue, Avec Commentaire / Par
J. Tricot. ed. Bibliothèque Des Textes Philosophiques. Paris : J. Vrin, 1974..
15
Hersch, Jeanne. L'étonnement Philosophique : Une Histoire De La Philosophie. Folio.
Gallimard. Essais 216. Paris : Gallimard, 1995.
16
« L’univers considéré comme un système bien ordonné (κόσμος signifie primitivement
ordre) ; il a été appliqué à l’univers par les pythagoriciens (…) mais ce n’était pas encore
usuel en ce sens au temps de Xénophon qui le cite comme une expression technique :
« ὅπως ὁ ϰαλούμενος ὑπὀ τὦν σοφιστὦν ϰὁσμος ἔϰει » (Mémorables, I, 1.) »
Lalande, André. Vocabulaire Technique Et Critique De La Philosophie. 11e éd. ed. Grands
Dictionnaires. Presses Universitaires De France. Paris : Presses Universitaires De France,
1972.

4
menant au progrès de la technique. À l’instar de la physique aristotélicienne,
cependant ultérieure, tous admettent un arkhè, un principe métaphysique premier,
pour expliquer la formation du cosmos et la vie. De nombreuses cosmogonies17 sont
ainsi rédigées par les auteurs présocratiques. Tandis que l’école ionienne adoptera
une approche physique, l’école italique tentera d’y substituer une démarche
métaphysique. L’école ionienne, dont sont issus Thalès, Héraclite et Anaximandre, se
consacre, elle, surtout à l’étude des principes de la nature18 tandis que les Italiques, à
l’instar de Parménide, se tournaient plutôt vers la spéculation métaphysique19.
Quelques fragments nous étant parvenus, il est dès lors possible d’esquisser une
interprétation des théories présocratiques. Certains philosophes trouveront pour
principe un élément physique, tandis que d’autres expliqueront la nature à partir d’un
concept abstrait. Parmi les premiers, Thalès définit, comme cause pour la formation
du cosmos et l’existence de la vie, l’eau en affirmait ainsi : « l’eau est la cause
matérielle de toutes choses » (ἐκ τοῦ ὕδατός φησι συνεστάναι). Pour Anaximène,
ce sera l’air. Héraclite déterminera cependant un principe particulier, à mi-chemin entre
une appréhension physique et métaphysique. Cet élément, c’est le logos, à propos
duquel les interprétations divergent. Selon les uns, logos doit être compris comme le
feu originel, selon d’autres il signifie le discours et la parole, faisant ainsi écho à la
théologie chrétienne20. Selon Héraclite, l’intégralité du cosmos et de la nature est en
changement perpétuel, il affirmait ainsi au fragment 91 « On ne peut se baigner deux
fois dans le même fleuve »21. De par ce constat de mouvement permanent, Héraclite
affirmera que la réalité est engendrée par la tension des contraires22, s’unissant dans
le feu originel, le logos. Anaximandre, quant à lui, définira le réel par le concept
d’apeiron, l’élément fondamental de la matière dont l’indétermination fonctionne
comme un principe générateur et ordonnateur de la totalité des phénomènes naturels
qui composent le cosmos. Parménide, cependant admettra une permanence au-delà
des changements perçus de façon sensitive, valorisant ainsi l’unité, la transcendance
et le sacré. Les enseignements d’Anaximandre, d’Héraclite et de Parménide expriment
le désir de voir au-delà des phénomènes, relevant ainsi d’une ambition métaphysique
(μετὰ τὰ φυσικά )23.
L’écart découlant ainsi entre le monde, les phénomènes naturels et le principe qui les
régit pose un double questionnement, d’ordre religieux et politique. Le terme arkhè,
signifiant ainsi « commencement » et « commandement », se retrouve dans la racine
de monarchie, démocratie et de tous ses dérivés : ce principe comporte donc l’idée de

17
« Cosmogonie : n.f. (gr. kosmos, univers, et gonos, génération) 1. Récit mythique de la
formation de l’univers et, souvent, de l’émergence des sociétés. 2. Science de la formation
des objets célestes (planètes, étoiles, galaxies, etc.) » Dictionnaire Larousse
18
https://fr.wikipedia.org/wiki/Présocratiques
19
https://fr.wikipedia.org/wiki/Présocratiques
20
L’Évangile de Saint Jean, 1, 1-18 « Au commencement était la Parole, et la Parole était
avec Dieu, et la Parole était Dieu »
21
Weil, Simone. La Source Grecque. Collection Espoir. [Paris] : Gallimard, 1969.
22
Le matérialisme, et en autre le marxisme, reprendront ce postulat
23
μετὰ τὰ φυσικά ; méta ta phusika ; après la physique, après la nature

5
gouvernement, de pouvoir et de supériorité. La transcendance résultant de cet écart
induit donc la possibilité, en contrôlant ce premier principe, d’acquérir une totale
maîtrise de la nature, tel que ce sera le cas au 17e siècle avec René Descartes. Le
rapport grec au monde n’était certes pas un rapport de domination, mais l’élaboration
de ces principes métaphysiques fermenteront pendant plus de deux mille ans jusqu’à
l’avènement des thèses cartésiennes : le rapport au monde, tel qu’Aristote nous le
décrit dans la Physique, n’est en rien comparable à celui que nous avons aujourd’hui.
Selon la philosophie grecque, présocratique et aristotélicienne, « La Nature est
l’ensemble des choses qui existent, disposé dans un ordre, celui du cosmos et non
pas dans un chaos inorganisé »24. Ce rapport authentique avec la nature, où l’homme
est partie intégrante d’un système, garantissait ainsi une relation plus directe avec la
nature et les animaux. Les présocratiques et Aristote avaient, par leurs études et leurs
spéculations, affirmé le mouvement général du cosmos, mû respectivement par un
arkhè et un principe premier. Cette mutation s’appliquait également dans le
fonctionnement même de la nature25, cette dernière désignant aussi le principe
intrinsèque à tout être vivant, qui en le conduisant lui permet de se réaliser et de se
développer en vue d’une finalité et en raison d’une cause : c’est le paradigme du
finalisme26. En définitive « la Nature est donc un principe et une cause de mouvement
et de repos pour la chose en laquelle elle réside immédiatement » 27. Le mouvement
imprimé par la nature est compréhensible à travers le paradigme du finalisme, basé
sur ce concept de causalité.

2.2 La théologie chrétienne – synthèse de l’aristotélisme et de la Genèse


biblique

Cette vision, quasi divine de la nature se limita cependant aux cultures grecques et
antiques, nourries par une mythologie inculquant une certaine forme de panthéisme.
Le développement des religions monothéistes, et en particulier de la religion
chrétienne viendra rompre cette vision primitive de la nature, étant vue tout d’abord
comme l’endroit dans lequel les dieux évoluaient28 ou comme une totalité idéale et
harmonieuse, le cosmos, régi par des principes dont les propriétés pourraient
s’apparenter à celle d’un être divin et premier29. La théologie chrétienne envisage

24
Carfantan, Serge. Leçon 19. L’idée de Nature. Philosophie et spiritualité, 2002
25
L’ensemble des choses qui présentent un ordre, qui réalisent des types ou se produisent
suivant des lois (…) Aristote oppose en ce sens la nature (φύσις) au hasard (αὐτὁματον,
Τύχη). Le terme fusis provient du verbe fuien qui signifie fuir, d’où l’idée de mouvement
26
La théorie de la causalité, formulée par Aristote admet que chaque chose est déterminée
par 4 causes 26: la cause matérielle - la matière constituante, la cause forme – l’idée que
l’on a de la, la cause efficiente – force destructrice et génératrice, et la cause finale – la fin
et le but des choses.
27
Pellegrin, Pierre. Physique. GF Texte Intégral 887. Paris : Flammarion, 2000. (traduction
du texte original d’Aristote)
28
Mythologie grecque, babylonienne…
29
L’apeiron d’Anaximandre

6
quant à elle la nature d’une autre manière. Influencé par les traités des Pères de
l’Église, eux-mêmes influencés par philosophes grecs, notamment stoïciens et
aristotéliciens, le rapport au monde occidental se basera sur la vision chrétienne
jusqu’à l’aube de la Renaissance. Le statut et la finalité de la nature sont modifiés par
cette synthèse de la cosmologie juive, inspirée par la Genèse biblique, et de la
physique grecque aristotélicienne30. Selon la tradition chrétienne, la création est donc
le fruit de la volonté et de la toute-puissance divine, qui confère à l’homme, en tant que
créature suprême créée à l’image de Dieu, trois impératifs : dominer la terre, la cultiver
et préserver la création. Ainsi, il y’a dans la philosophie chrétienne une suprématie
ontologique de l’homme sur le vivant, qu’il est cependant invité à respecter et cultiver.
Cependant, il y’a une ambiguïté quant au statut du corps et de l’âme. Selon certains
auteurs, le corps ainsi que les affaires naturelles sont considérés comme quelque
chose de négatif. De manière générale et caricaturale, on aime opposer l’Église et la
science, la religion et le progrès, les dogmes et la recherche scientifique. Néanmoins,
il est important de rappeler que, durant l’époque médiévale, l’Église avait un rôle
prépondérant dans le développement de la science, tandis que les croyances
superstitieuses pullulaient dans le « bas peuple ». C’est en effet le pape Urbain VII,
qui, en 1624, mandata Galilée pour la rédaction d’un ouvrage neutre portant sur
l’opposition entre les défenseurs du système ptoléméen et ceux de l’héliocentrisme
copernicien, le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Le procès de Galilée
est souvent cité pour illustrer l’opposition entre la foi et la science et pour affirmer que
les autorités ecclésiastiques cherchaient à museler les avancées scientifiques. Ce
n’est que lorsqu’il décrit de façon ironique le pape comme un « aristotélicien trop
soucieux de la tradition » et qu’il déshonore son engagement d’impartialité, qu’il s’attire
les fureurs du Saint-Siège. Avant la découverte de trois nouvelles étoiles gravitant
autour de Jupiter, les thèses coperniciennes étaient vagues et la preuve du
mouvement de la Terre était uniquement constituée par le flux des océans. Cependant,
grâce à cette découverte portée par Galilée, on put ainsi découvrir que la rotation de
la lune autour de la terre ne s’opposait pas à l’héliocentrisme et affirmer ainsi que
chaque planète était le centre d’un mouvement relatif31. Les conséquences de la prise
de parti de Galilée et du non-respect de son mandat furent très importantes dans le
développement de la rupture entre la science et la foi.

2.3 « Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »

Ce divorce amorcé par la révolution copernicienne et confirmé par Galilée, tient son
origine d’une grande rupture de la vision du monde. En effet, le système chrétien,
puisant ses fondements dans la physique aristotélicienne, est à bout de souffle et
dépassé par les découvertes scientifiques et techniques venant appuyer le
géocentrisme : la Nature n’est donc plus à appréhender sous le prisme biblique, mais

30
L’apologétique chrétienne reprend l’argument du premier principe, développé par Aristote
dans La Physique
31
www.universalis.fr/encyclopedie/galilee-1564-1642/

7
à lire mathématiquement. Ce changement de paradigme est le fruit de l’évolution
historique et philosophique de la Renaissance, dans la logique de laquelle la révolution
copernicienne s’inscrit 32. Cependant, la rupture scellée par le procès de Galilée prend
source dans les écrits et les traités de Nicolas Copernic, un astronome polonais. En
tant que bon humaniste, Copernic étudie le grec, s’intéresse à l’économie et se penche
sur l’astronomie à travers notamment les écrits de l’astronome grec Aristarque de
Samos, qui défendait un système héliocentrique :

« C'est pourquoi je pris la peine de lire les livres de tous les philosophes que je
pus obtenir, pour rechercher si quelqu'un d'eux n'avait jamais pensé que les
mouvements des sphères du monde soient autres que ne l'admettent ceux qui
enseignèrent les mathématiques dans les écoles. Et je trouvai d'abord chez
Cicéron que Nicétus pensait que la Terre se mouvait. Plus tard je retrouvai aussi
chez Plutarque que quelques autres ont également eu cette opinion. » 33

Copernic, le grand savant auquel nous attribuons la révolution éponyme admettant la


rotation de la Terre autour du soleil, s’est donc servi de l’esprit de redécouverte de son
époque contemporaine pour redéfinir à jamais l’astronomie, la philosophie et la
science, définitivement séparée de la philosophie quelques années plus tard. En effet,
cent ans après la publication de De Revolutionibus Orbium Coelestium, le physicien
et mathématicien Galilée viendra confirmer les thèses coperniciennes en observant
des satellites de Jupiter avec la lunette hollandaise de Kepler. Il résoudra ainsi le
trouble et l’objection portés à l’héliocentrisme qui résidait dans le fait que la lune
tournait autour de la terre : chaque planète, chaque étoile est le centre d’un système
relatif. Toutes ces étapes, toutes ces révolutions scientifiques contribueront à la
désacralisation de la nature, au décentrement de l’homme par rapport à l’univers, pour
enfin aboutir paradoxalement à l’exploitation et la domination de la nature permise par
la mécanisation de cette dernière exprimée par la philosophie cartésienne.
Contemporain de Galilée, le mathématicien et philosophe René Descartes (1596-
1650) posera les jalons de la maîtrise de la nature en affirmant « nous les34 pourrions
employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous
rendre comme maîtres et possesseurs de la nature »35. Descartes jouera un rôle
décisif et est ainsi reconnu comme l’un des plus importants philosophes, au même titre

32
En effet, la chute de Constantinople en 1453, concordant à la fin du Moyen-Age, permit la
restauration, la réhabilitation et le regain d’intérêt pour les parchemins antiques grecs et
égyptiens ramenés de Byzance et d’Alexandrie. De nouveaux penseurs humanistes
foisonnent partout en Europe, le plus célèbre étant Érasme. Ces derniers réaffirment la
place centrale de l’homme, prônent le règne de l’esprit critique et l’essor des sciences.
Partout, on voit l’émergence de nouvelles disciplines, telles que que la médecine, la
géographie, l’astronomie etc..
33
Copernic, Nicolas . De Revolutionibus Orbium Coelestium Libri VI... Norimbergae Apud
Joh. Petreium. Anno M.D.XLIII, 1543.
34
Par « les» il sous-entend « la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des
cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent »
35
Descartes, René. Discours De La Méthode. Paris : Libr. Hachette, 1931.

8
qu’Aristote ou Platon. La philosophie cartésienne bouleversa notre rapport au monde,
à la nature et notre vision de la science et du progrès. Nourri par l’engouement
technique et scientifique contemporain supposé mener l’homme à un état de béatitude,
de confort et de bonheur, Descartes reconnaissait ainsi la nécessité de dominer la
création afin d’en extraire ce qui pourrait être bénéfique.
La nature est selon Descartes une masse inorganique, désenchantée, l’objet pensé36.
Le rapport au monde en découlant est ainsi un rapport de domination, de maîtrise et
d’hégémonie. Dans ce sens, Descartes définit le naturel comme ce qui n’a pas encore
été domestiqué par la culture et non pas comme ce qui est propre à la forme physique
du monde. Selon ce dernier, la nature est régie par une causalité mathématique et non
pas par un finalisme. C’est ainsi qu’il marque une rupture non négligeable avec
plusieurs superstitions moyenâgeuses. Le clivage avec ses prédécesseurs
scolastiques réside également dans le fait que ces derniers interprétaient les effets par
rapport à des intentions, tandis que Descartes les comprend comme produites par des
causes, généralisables en lois. La matière n’est donc plus perçue comme un principe
générateur, créateur et sacré, mais comme une masse inorganique, rompant ainsi
avec l’anthropomorphisme37. La nature étant dépossédée et annihilée, l’interprétation
mécaniste supplante la vision naturaliste qui avait jusqu’alors prévalue. Ainsi, le
paradigme qui s’en dégage est celui du mécanisme « dans lequel la causalité ne fait
que suivre l’ordre de succession temporelle »38. Cette même causalité pourrait
expliquer et illustrer les changements de paradigmes successifs et ainsi l’évolution du
rapport au monde : d’une nature créatrice à une nature créée, d’une création divine à
une masse inorganique régie par un déterminisme causal.
La distinction entre la nature et l’animalité de l’homme s’établit donc sur la philosophie
finaliste et cartésienne : en effet selon les finalistes, l’animal possède en lui un principe
vital immanent, une âme, tandis que Descartes lui soustrait cet attribut et le caractérise
de « machine complexe ». Le statut de l’homme par rapport aux autres êtres vivants
et à la nature s’en retrouve donc modifié et renforcé.39
Amorcée par la vision chrétienne, la domination de l’homme sur la nature continue
ainsi son chemin, le cours de l’histoire teinté par l’évolution scientifique et technique
accomplit assidûment la déconstruction, la désacralisation, le désenchantement de la
nature et du monde. Cependant attaché à sa foi, Descartes, tout comme Blaise Pascal,
reconnaîtra la présence d’un Dieu créateur, un « véritable maître et possesseur de la
nature », auquel nous devons le monde dans lequel nous sommes menés à évoluer.
Cette vision s’estompera par la suite, et nous en sommes aujourd’hui témoins, car le
désenchantement de la nature a aussi entraîné la rupture de l’homme avec le divin.
« Se rendre comme maitres être possesseur de la nature » signifiait ainsi une invitation

36
Descartes jette, par sa pensée de la représentation, les bases de l’idéalisme moderne en
affirmant l’opposition entre le sujet pensant (notre raison) et l’objet pensé (le monde et
la réalité extérieure). Cet écart amène donc une dévaluation de la nature.
37
Carfantan, Serge. Leçon 19. L’idée de Nature. Philosophie et spiritualité, 2002
38
Carfantan, Serge. Leçon 19. L’idée de Nature. Philosophie et spiritualité, 2002
39
Carfantan, Serge. Leçon 19. L’idée de Nature. Philosophie et spiritualité, 2002

9
à la hégémonie de l’homme sur la création, en tant que première des créatures. De
plus, Descartes invite à la fusion entre les connaissances théoriques, l’epistêmê, et la
technique, posant ainsi les jalons de la technoscience dont le développement fulgurant
changea profondément notre monde, en redessina les frontières et les repères.

2.4 Époque moderne : positivisme comtien, industrialisation et technocritique


marxiste

Avec la révolution industrielle au 18ème siècle, la question du statut de la technique et


de notre rapport au monde se pose à nouveau. En effet, la foi dans le progrès
technologique trouve terreau dans la philosophie positiviste, dont Auguste Comte, un
philosophe français du 19ème siècle, est le fondateur. S’inspirant de Descartes, du
matérialisme enchanté de Diderot, de Lagrange et de Condorcet, ce mouvement
proposa une nouvelle conception de la science. Dans son Cours de philosophie
positive, Auguste Comte affirme que le progrès de l’esprit humain amènera la science
à supplanter la croyance et la métaphysique théologique. La philosophie positive invite
donc à se questionner sur le « comment » et non sur le « pourquoi » des choses, à
l’inverse de la théologie et de la physique antique. La rupture est donc totale avec
l’héritage métaphysique aristotélicien et chrétien, dont Comte critiquera de façon
virulente la théologie. Étant opposé à cette étude, il ne condamnera cependant pas la
religion. En effet, il fondera lui-même une « Église positiviste ». Or, cette nouvelle
institution rejette toute la métaphysique aristotélicienne, car elle admettait un principe
premier et une vision géocentriste, ainsi qu’une transcendance divine. Cette « religion
de l’humanité » s’appuie sur trois valeurs fondamentales : l’altruisme, l’ordre et le
progrès. Selon Henri de Lubac, il s’agirait donc d’un « humanisme athée ». À la place
d’un dieu transcendant, le culte du Grand-être célèbre l’humanité. Ainsi, dans la vision
comtienne et dans la vision libérale qui lui était contemporaine et proche, les progrès
scientifiques et techniques sont appelés à libérer l’humanité d’un joug théologique
liberticide40.
Le premier philosophe qui condamnera les effets pervers du progrès technique
moderne sera Karl Marx (1818-1893), en soulignant l’aliénation de l’homme à la
machine, la capitalisation des outils de production, l’accroissement des inégalités
sociales et de l’exploitation en découlant. D’un autre côté et aux antipodes de ce
dernier, la furie capitaliste gagna l’Europe occidentale et les États-Unis, où tout battait
au rythme du taylorisme et du fordisme. La consommation explosa conjointement au
foisonnement de nouvelles technologies. La prépotence de l’espèce humaine sur le
monde était ainsi confirmée et à jamais assise. Parallèlement à cela, l’homme
moderne se détacha progressivement de ses attaches religieuses, s’affirmant ainsi
maître et possesseur de la nature et de l’univers. Friedrich Nietzsche, un philosophe
allemand de la deuxième moitié du 19ème siècle affirmait dans son livre Ainsi parlait
Zarathoustra la célèbre phrase “ Dieu est mort : maintenant nous voulons que le

40
www.universalis.fr/encyclopedie/auguste-comte/

10
Surhomme vive”41, tandis que Karl Marx disait encore « Religion ist Opium des
Volkes »42 - « La religion est l’opium du peuple ».

La nature ayant été complètement désacralisée, Dieu étant mort sous l’effet de
l’innovation économique et technologique, il en résulte un mouvement continuel, une
logique perceptible de dégradation du rapport de l’homme à la nature et un constat
indéniable : le monde actuel est appréhendé sous le prisme de la logique
mathématique et considéré comme une barrière à dépasser. Cette dégradation du
rapport de l’homme à la nature s’effectue en plusieurs étapes, déterminées par une
logique historique et un développement continu. Il y’a d’abord le passage du Mythos
au Logos – du mythe à la raison scientifique au moyen de laquelle on explique le réel
à travers un arkhè ou un premier principe transcendant. Plus tard, avec l’apparition du
christianisme en Occident, un nouveau rapport au monde s’installe, largement
imprégné de la Genèse, dans lequel l’homme se considère comme maître d’un monde
créé par Dieu. L’homme, en tant que créature la plus digne sur la terre, pouvait
disposer du monde tout en gardant en conscience que, celui-ci étant l’œuvre d’un
créateur, il avait le devoir moral de respecter le vivant. Or, les découvertes de la
Renaissance et son esprit scientifique contemporain vinrent réfuter les croyances, les
modèles géographiques et physiques, et contribuèrent à la rupture entre l’Église et la
science, présentés dès lors comme antagonistes. Ainsi, l’esprit scientifique connaît un
essor fulgurant qui mène aux thèses cartésiennes. En effet, à travers ce nouveau
paradigme, l’homme est invité à devenir « maître et possesseur de la nature ». Au
19ème siècle, l’industrialisation bouleverse l’ordre social et la production. L’exploitation
de la nature se retrouve donc réalisée. C’est également dans ce contexte que se
développent les théories marxistes et le positivisme comtien - l’un dénonçant, l’autre
se félicitant du progrès. Tous deux nient cependant l’existence d’un Dieu créateur et
forgent le rapport actuel que nous entretenons au monde : un homme doté de pouvoirs
illimités sur une nature vidée de son sens !

3. Comment comprendre notre rapport contemporain au monde ?

Partout en Europe et dans le monde, les tornades et les sécheresses à répétition, les
graves dérèglements climatiques imputables à l’humain, sont autant de symptômes de
la même affliction : une rupture de l’harmonie entre l’homme et la nature. Notre rapport
au monde actuel est totalement biaisé. Le développement technique exponentiel a
isolé l’homme de la nature et du réel. L’exploitation de la planète est croissante, si bien
que si la totalité des humains consommait autant que les Européens, 2,9 planètes
seraient nécessaires. Nous consommons davantage que ce que la Terre peut nous
fournir et réabsorber. Ces chiffres tout fraîchement révélés par l’ONG Global Footprint
Network témoignent de l’ampleur de la catastrophe. Comment est-ce possible de

41
Nietzsche, Friedrich. Ainsi Parlait Zarathoustra. La Zone Grise. Paris : Ed. Kimé, 2012.
42
Marx, Karl. Zur Kritik Der Hegelschen Rechtsphilosophie. Reclam-Bibliothek 1135. Leipzig:
Verlag P. Reclam Jun., 1986.

11
continuer de cette manière, comment pouvons-nous exploiter la planète d’une façon
aussi sauvage ? Serait-ce l’héritage cartésien qui nous hante, cette fameuse sentence
« se rendre comme maître et possesseur de la nature » que nous semblons avoir
accomplie aujourd’hui ?
Non, imputer à Descartes l’entière responsabilité des catastrophes et du désordre
actuels serait faux, les raisons de ce divorce entre l’homme et sa nature résultent de
la technique elle-même. L’engouement technophile propre au 19ème, au 20ème et au
21ème siècle semble montrer ses failles et ses limites. Dans nos démocraties de plus
en plus technocratiques, le mode de consommation et le respect de l’environnement
sont déplorables. La terre est bafouée, totalement exploitée comme ce ne fut jamais
le cas auparavant. Cependant, rien ne laisse présager la potentielle résurgence d’une
conception du monde au-delà du fait technique. Dans la préface de l’ouvrage de Hans
Jonas Le principe responsabilité, le philosophe Jean Greisch se fait le porte-parole de
ce dernier en affirmant :

« Que nous le voulions ou non, nous sommes les architectes de la société à


venir, car il ne nous appartient déjà plus d’enrayer le progrès technologique,
même si nous le voulions »43

Que faire, quelle marge de manœuvre pour ceux que cette perspective offusque ?
Quelle place donner à la vie, à l’existence dans un monde aussi absurde, dépourvu de
repères et d’orientation ? Toutes les balises, jadis repères, sont révolues et
dépassées : la physis désormais sacrée peut être créée par nos artefacts, les trois
limites que l’on assignait autrefois à la nature et à la raison humaine - le corps, le temps
et la transcendance des premiers principes - sont bientôt dépassées. Où le progrès
technologique nous entraînera-t-il ? Tels les matelots de Christophe Colomb,
naviguant vers un inconnu de plus en plus incertain, sur un navire gouverné par une
main irréversible, nous avançons éperdument sur la route du progrès, sur ce vaisseau
de la civilisation humaine, gouverné, dans son avancée, par une technique désormais
autonome. Tout comme les quelques mousses se révoltant futilement, essayer de
détourner le gouvernail du progrès technologique pour rebrousser chemin serait
vain44. La même Amérique nous attend au bout du voyage, et plus précisément les
laboratoires de la Silicon Valley. La promesse de ce voyage n’a cependant rien
d’alléchant et de réjouissant. Les chercheurs et les scientifiques caressent, sous
l’impulsion socio-politico-historico-économique, le rêve démiurgique, en préparant
l’élaboration d’une nouvelle espèce humaine : le posthumain !

43
Jonas, Hans, and Jean Greisch. Le Principe Responsabilité : Une éthique Pour La
Civilisation Technologique. Passages. Méridien. Paris : Les Ed. Du Cerf, 1990.
44
Lorsque Christophe Colomb quitte l’Espagne et gagne l’océan, il promet à ses hommes
richesse, bonheur et abondance. Au milieu du voyage, les matelots commencent à
désespérer devant la désillusion que leur offre cette longue traversée. Certains d’entre eux
se révoltèrent et exigèrent de rebrousser chemin, ce que Christophe Colomb refusa et il le
menaça de pendaison pour avoir remis en cause cette traversée.

12
4. Le Transhumanisme

4.1 Qu’est-ce que le transhumanisme ?

Le transhumanisme est le mouvement intellectuel et culturel qui affirme la possibilité


et le désir d’augmenter la condition humaine par la raison et la démocratisation des
technologies afin d’éliminer le vieillissement et d’améliorer les capacités intellectuelles,
physiques et psychologiques humaines45. Cette volonté de dépasser la condition
anthropologique résulte de la vision optimiste des adhérents du transhumanisme,
partageant ainsi la foi des Lumières en la perfectibilité de l’être humain. Ainsi,
l’humanité actuelle ne serait qu’une phase intermédiaire entre l’état animal et le
posthumain, et l’humain un perpétuel devenir. En effet, l’évolution a permis à l’homme
de se dépasser de façon constante et de développer des aptitudes précises.
Aujourd’hui, le développement de la technique et des technologies permet
d’appréhender l’évolution sous un autre angle, dans lequel l’homme serait le propre
artisan de son évolution. Ce ne serait donc plus la nature qui serait le moteur de cette
évolution, mais la technique elle-même conjointe à la liberté individuelle. Max More,
un des philosophes fondateurs du mouvement, apporte également cette définition à la
philosophie transhumaniste :

« Le transhumanisme est une classe de philosophies ayant pour but de nous


guider vers une condition posthumaine. Le transhumanisme partage de
nombreuses valeurs de l'humanisme parmi lesquelles un respect de la raison et
de la science, un attachement au progrès et une grande considération pour
l'existence humaine (ou transhumaine) dans cette vie. […] Le transhumanisme
diffère de l'humanisme en ce qu'il reconnaît et anticipe les changements radicaux
de la nature et des possibilités de la vie de l'homme générés par diverses
sciences et techniques […]. »46

Qu’on ne s’y trompe pas, le trans-humain désigne une étape de transition entre notre
état biologique, humain et notre état post-biologique, posthumain, dans lequel nous
aurions totalement fusionné avec des machines et abandonné notre composante
biologique47. Le transhumanisme, quant à lui, désigne ce mouvement qui connaît
aujourd’hui un succès grandissant, et cela pour diverses raisons. Tout d’abord, il
bénéficie de l’indifférence générale de la population mondiale et de sa naïveté vis-à-
vis de ses potentiels dangers ou traits dystopiques. De plus, la majorité des
gouvernements et principalement Google consacrent un large budget à la recherche
et au développement des intelligences artificielles, des nanotechnologies et d’hommes
bioniques, domaines tous nécessaires au projet transhumaniste.

45
FAQ De Humanity + www.humanityplus.org/philosophy/transhumanist-faq/
46
More, Max. Transhumanism. Towards a futurist philosophy. 1990-1996
47
Voir l’interview de Natasha Vita-More : https://laspirale.org/texte-33-natasha-vita-more-
transhuman-manifesto.html

13
L’ambition fixée par ses adhérents est sans doute de supprimer toute la dimension
biologique de notre existence, tout ce qui nous détermine et nous caractérise
physiologiquement afin que notre esprit puisse se développer selon son bon vouloir,
au détriment de ce qui est donné par la nature. Dès lors qu’une possibilité est ouverte
par la technique, comment ne pas en disposer afin d’assouvir une envie, un besoin ou
encore un sentiment ?
Selon ses défenseurs, le transhumanisme devrait rimer avec liberté et démocratie,
amener l’égalité entre les individus en proposant dépasser la loterie génétique et les
inégalités biologiques. En réalité, ne serait-ce pas l’apanage d’un ultralibéralisme
toujours plus acerbe, où même notre propre organisme devrait être capitalisé, afin que
pourvoyeur de toujours plus de capacité, il nous rende à l’avenir plus compétitif ?
Natasha Vita More, la présidente du conseil d’administration de Humanity+, se
montrait très confiante et se voulait rassurante par rapport à ces craintes : « Dans les
prochaines années, la population sera mieux informée à propos des apports des
biotechnologies et cela la rendra plus autonome pour choisir ou refuser d’en
bénéficier »48. Cependant, comment envisager que des parents refusent de doter leur
enfant de capacités cognitives et physiques supérieures, lui donnent la vie alors qu’il
est susceptible de contracter un cancer aux alentours de 40 ans selon une étude de
ses données génétiques, sans que cela ne leur soit reproché et imputé par la suite ?
Personne ne voudra endosser une telle responsabilité. Les quelques réfractaires qui
s’en abstiendraient pour des motifs éthiques et religieux ne seraient-ils pas alors
responsable du manque de compétitivité à venir de leur enfant et de sa mort précoce ?

4.2 Origines du mouvement transhumaniste

Il n’est pas étonnant d’attribuer au transhumanisme une longue tradition humaniste


ainsi que des fondements dans certains textes mythologiques. L’épopée de Gilgamesh
et le mythe de Prométhée nous font état de réflexions sur la mort et la vie, sur notre
condition humaine et sur la technique, révélant ainsi que ces aspirations
transhumanistes ne sont que le fruit d’une évolution mue par la technique en vue du
« progrès »

4.2.1 L’épopée de Gilgamesh et le mythe de Prométhée

L’épopée de Gilgamesh est un récit légendaire mésopotamien datant du 18ème ou du


17ème siècle avant J.-C.. Le thème central de cet ouvrage est la quête d’immortalité du
personnage de Gilgamesh, roi de la cité sumérienne d’Uruk, dont les exploits et les
actions nous sont relatés. À la mort de son ami Endiku, Gilgamesh prend conscience
de sa destinée et de sa condition d’homme mortel. Il entreprend ainsi une longue quête
afin de se substituer à cette fatalité. Se rendant chez Utanapishtî, un être ayant
survécu au déluge et étant devenu immortel, il tente d’apprendre les secrets de cette
jouvence éternelle. Ce dernier lui conseille donc de chercher une fleur, aux

48
Cité dans Terence, Mathieu. Le Transhumanisme Est Un Intégrisme. Paris : Cerf, 2016.

14
apparences de rose, conférant la vie à celui qui la consommerait. Ayant trouvé cette
plante, il retourne à Uruk pour expérimenter ses vertus sur un vieillard. Dans le voyage
du retour, un serpent dévore la plante dans le sommeil de Gilgamesh.
Ce récit, fondateur de civilisation, oppose donc la volonté d’immortalité, ce désir
d’asservissement, de maîtrise et de liberté à la destinée voulue par les dieux, à la
condition de l’homme. Dans ce récit, Utanapishtî définit la condition de Gilgamesh et
par ce biais la condition de tout un chacun : mourir. La mort, cette fatalité contre
laquelle rien ne peut être fait, cette issue irrémédiable qui donne du sens à la vie, qui
doit paradoxalement nous inviter à œuvrer pour le bien de l’humanité, afin de perdurer
dans la mémoire collective postérieure.
Le deuxième récit, le mythe de Prométhée, nous raconte l’histoire du personnage
éponyme, Prométhée, « celui qui pense avant », qui, après avoir constaté que son
frère Epiméthée, « celui qui pense après », n’avait doté l’humanité d’aucun don
particulier, vole le feu divin et le donne aux hommes. Les dieux ayant créé les hommes
et les animaux, ils avaient chargé Épiméthée et Prométhée, deux frères titans, de doter
ces créatures d’attributs. Épiméthée voulant s’en charger, il octroie à tous les animaux
des vertus physiques, telles que la vitesse, la force ou des armures naturelles.
Constatant la nudité de l’homme, Prométhée vole l’art d’Athéna et le feu d’Héphaïstos,
dieu de la métallurgie, nécessaire à l’artisanat et au développement technique. Ce feu
désigne l’intelligence humaine, dans sa capacité technicienne ou dans la raison
instrumentale. Ainsi, l’homme, être de première instance généraliste, s’est vu doté de
cette supériorité technique et cognitive le permettant ainsi de s’ériger « comme maître
et possesseur de la nature » et d’acquérir cette supériorité sur la nature et le vivant,
résultant d’une disposition intellectuelle.
Ces deux ouvrages révèlent donc deux revendications humaines ancestrales, à savoir
la non-acceptation de la mort et la volonté de maîtriser le vivant à travers la technique.
Le mouvement transhumaniste s’affiche donc aujourd’hui comme la synthèse de ces
deux aspirations. D’une part, il se donne pour ambition de « tuer la mort » à travers les
outils technologiques à disposition et à créer. Il se substitue ainsi aux croyances
religieuses, étant jusqu’alors les seules à proposer une vie éternelle et un salut dans
une vie après la mort. L’éternité ne serait donc plus du domaine divin et transcendant,
mais bel et bien une expérience à mener sur terre. Ainsi, le mouvement
transhumaniste symbolise l’émancipation de l’homme par rapport aux limites de sa
condition et de son corps, dans le fait qu’il l’appelle à les dépasser.

4.2.2 Autres influences

Le transhumanisme est également inspiré par d’autres penseurs, qui faisaient


également le pari de la perfectibilité et de la plasticité de l’homme, à l’instar de Pic de
la Mirandole. Celui-ci, un humaniste florentin du 15ème siècle, écrivait alors ceci dans
son ouvrage Oratio de hominis dignitate (De la dignité de l’homme) :

« Le parfait (…) prit donc l’homme, cette œuvre à l’image indistincte, et l’ayant
placé au milieu du monde, il lui parla ainsi : « je ne t’ai donné ni place déterminée,

15
ni visage propre, ni don particulier, ô Adam, afin que ta place, ton visage et tes
dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même (…) Mais toi,
que ne limite aucune borne, par ton arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé,
tu te définis toi-même. (…) Je ne t’ai fait ni céleste ni terrestre, ni mortel, ni
immortel, afin que, souverain de toi-même, tu achèves ta propre forme librement,
à la façon d’un peintre ou d’un sculpteur. Tu pourras dégénérer en formes
inférieures, comme celle des bêtes, ou, régénérer, atteindre des formes
supérieures, qui sont divines » ».49

Cet extrait, bien que datant du 15ème siècle, semble en tout point correspondre aux
aspirations transhumanistes. En effet, selon Pic de la Mirandole, le parfait artisan (Le
dieu créateur) n’aurait créé l’homme ni « céleste ni terrestre », « ni mortel ni immortel »
pour que « souverain de lui-même, il achève sa propre forme librement ». Ainsi, nous
ne serions ni destinés à vivre exclusivement sur terre, ni à mourir. Si tel est notre
volonté, à nous de « conquérir » ces possibilités…étrange proximité avec la volonté
de « tuer la mort » et de coloniser l’espace. Souvent désigné comme le père du
transhumanisme contemporain, les écrits de cet humanisme rappellent également
l’existentialisme sartrien dans lequel l’homme est appelé à réaliser sa propre création,
à user de son libre arbitre, à ne pas considérer son essence comme innée, mais
comme à acquérir. En définitive, les thèses de ces trois philosophies sont donc très
similaires, puisqu’elles invitent les hommes à dépasser leurs données naturelles en
vue d’une totale réalisation. Dans les termes aristotéliciens, l’humanité actuelle serait
donc en état de puissance et le posthumanisme en acte. Charles Darwin, le célèbre
paléontologue du 19ème siècle, rejoignait Jean Pic de la Mirandole sur ce point en
affirmant : « il devient très probable que l'humanité telle que nous la connaissons n'en
soit pas au stade final de son évolution mais plutôt à une phase de commencement»50

Sans les progrès techniques et sans la désacralisation de la nature en découlant, les


aspirations transhumanistes n’auraient lieu de revendiquer l’augmentation de
l’homme. Les progrès techniques, les changements de paradigme successifs
aboutissent dont nécessairement à cette ultime étape de domination et de négation de
la nature, dans laquelle un dualisme platonicien esprit-corps se réactualise. En effet,
l’idéal transhumaniste est celui d’un homme libéré de son corps biologique, qui ne
constitue en réalité qu’une barrière aux aspirations de l’esprit humain.

49
Pico Della Mirandola, Giovanni, and Yves Hersant. De La Dignité De L'homme (Oratio De
Hominis Dignitate). Collection Philosophie Imaginaire 20. Combas : Ed. De L'Eclat, 1993.
50
Darwin, Charles Robert, and Edmond Barbier. L'origine Des Espèces Au Moyen De La
Sélection Naturelle Ou La Lutte Pour L'existence Dans La Nature. Ed. Reprise De L'éd. De
1880 Publiée Par C. Reinwald Et Cie Et Trad. De La 6e éd. Anglaise Par Edmond Barbier].
ed. Fondations. Maspero. Paris : Ed. La Découverte, 1985.

16
4.2.3 Le transhumanisme aujourd’hui

Le terme de « transhumanisme », dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui, date


de 1957, lorsque Julian Huxley - un naturaliste et biologiste anglais, théoricien de
l’eugénisme – emploie ce terme pour la première fois dans un de ses ouvrages portant
sur un eugénisme positif : New Bottles for new Wine. C’est sur le campus de
l’université de Californie, la prestigieuse UCLA, que se constituèrent les premiers
regroupements d’adeptes de science-fiction, de futurologie et d’eugénisme positif.
Parmi ses membres, principalement des étudiants et des scientifiques, le célèbre Max
Moore, théoricien de la loi éponyme déjà citée auparavant, crée le « mouvement
extropien ». Ce dernier sera la première base de l’institutionnalisation du
transhumanisme. Le terme extropie s’oppose à l’entropie, contre laquelle ils
s’entendaient de lutter. « L’extropianisme est une forme particulière de pensée
transhumaniste qui se définit comme la philosophie de l’extropie, (l’inverse de
l’entropie, qui caractérise un état de désordre) et se fonde sur la foi en un progrès
illimité par la science et les techniques d’amélioration pour lutter en particulier contre
le vieillissement et la mort 51».
La philosophie transhumaniste est largement financée et soutenue par les géants
numériques de la Silicon, les dénommées GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon),
par les puritanistes de la droite dure américaine et par le domaine de l’armement et de
l’aéronautique. De plus, il est important de rappeler que si les armées, en particulier
américaines et chinoises, soutiennent ces recherches, c’est en vue d’une application
à des fins militaires, comme le témoigne le projet MAVEN de Google.52 En 2008,
l’Université de la singularité est fondée dans la Silicon Valley, sur le site du NASA
Research Park (parc de recherche de la NASA) abritant également le siège de Google
par 3 ingénieurs et futurologues : Ibrahim Salim, Peter H. Diamandis et Ray Kurzweil.
Celle-ci est en grande majorité financée par Google. Le terme de singularité est
emprunté au langage mathématique et physique et désigne le terme auquel
l’intelligence artificielle dépasserait l’intelligence humaine ordinaire. D’après les
estimations basées sur la Loi de Moore53, ce cap de la singularité serait franchi aux
abords de 2050, ouvrant ainsi une boîte de pandore à une soumission, partielle ou
intégrale, de l’homme à ses artéfacts. Si la thèse darwinienne se retrouvait vérifiée,
l’humanité serait donc gravement mise en danger, car il y’aurait une compétition à

51
https://fr.wikipedia.org/wiki/Extropianisme
52
« Le programme militaire MAVEN avait pour ambition d'utiliser l'intelligence artificielle
développée par Google sur une flotte de drones autonomes munis de caméras. L'objectif,
dévoilé dans des courriels confidentiels révélés par plusieurs médias américains : fournir
au Pentagone un outil de surveillance miliaire dans la veine de Google Maps, permettant
d'agrandir chaque pixel jusqu'à l'échelle d'un véhicule ou d'un individu, le tout en quasi
temps réel » Il a finalement été annulé grâce à la pression des salariés du géant
américain. https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/web/projet-maven-google-met-fin-a-
son-partenariat-avec-le-pengatone-americain_124713
53
La Loi de Moore affirme que la puissance des ordinateurs et des processeurs double de
capacité par cycle de 18 mois.

17
l’intérieur de la diversité des intelligences, conduisant nécessairement à la sélection
de l’intelligence artificielle. À l’ère du Big Data, où les géants du numérique engrangent
des données colossales sur chaque internaute avant d’en dresser un portrait
numérique, n’y aurait-il pas le spectre d’une menace totalitaire, l’incarnation du Big
Brother54 de Georges Orwell dans les serveurs et les projets de la Silicon Valley ?
Certains penseurs du transhumanisme et de la technique prônent l’acceptation de
cette fatalité et affirment donc comme nécessaire l’adoption de l’intelligence artificielle
et des nanotechnologies dans notre réseau cérébral, avant que notre conscience ne
soit transférée sur un support non biologique.
De là, une nouvelle interrogation surgit, à savoir la transcendance ou la matérialité de
la conscience, un débat entre le matérialisme et l’idéalisme. Si ce transfert de notre
conscience sur substrat mécanique fonctionnait, ne serait-ce alors pas un
bouleversement gigantesque menant alors à une dévaluation totale de notre spécificité
humaine par rapport au reste du vivant ?

4.3 La philosophie du transhumanisme

Le transhumanisme est avant tout une philosophie pratique, dans le sens qu’elle ne
cherche pas à comprendre le monde, mais à le transformer de façon concrète. Les
humains doivent se libérer de ce qui les limite, de ce qui les empêche de se réaliser.
On assiste donc à une résurgence du dualisme platonicien, dans lequel l’esprit
s’oppose au corps. Comme en témoignent les écrits transhumanistes, le corps a perdu
de sa noblesse, il est désormais considéré comme un frein, une barrière aux
aspirations de l’esprit humain, ce à quoi nous nous résumerions finalement.
Il y’a, derrière ce phénomène, la fâcheuse tendance de considérer que notre personne
ne se résumerait qu’à notre esprit, et que le corps ne servirait que de support à ce
dernier. Dans le cas échéant, pourquoi devrions-nous conserver un support souvent
défaillant, contraignant et limitant ? En effet, notre organisme est soumis à la maladie,
à la fatigue, à la vieillesse, nécessite de l’alimentation et du repos, toutes ces pertes
de rentabilité ne seraient-elles pas autant de motifs pour transférer notre conscience
sur un meilleur support, un support non biologique ?
Cette tentation peut être forte, dès lors que l’on ne se considère plus comme un animal,
comme un organisme naturel, patrie intégrale du cosmos mais qu’on se dote de
caractéristiques divines, telles que l’immortalité et l’immatérialité.

4.3.1 Philosophie de l’esprit – dualisme ou monisme, matérialisme ou


fonctionnalisme ?

Le débat et les spéculations autour de l’autonomie des intelligences artificielles, de


leur capacité à prendre conscience d’elles-mêmes et de la possibilité de transférer nos
consciences sur des supports externes non biologiques, ébranlent nos fondements
philosophiques et religieux, qui jusqu’alors avaient toujours admis le caractère

54
1984, Georges Orwell

18
transcendant de l’âme et de l’esprit. Pouvoir externaliser la conscience, c’est prouver
que cette dernière n’est qu’une capacité acquise par le cerveau dans un long
processus d’évolution naturelle. C’est aussi affirmer que le cerveau n’est qu’un
ordinateur de chair et qu’il serait ainsi dès lors préférable pour la conscience d’être
transférée à l’extérieur de l’organisme.
Afin de bien comprendre ce projet d’externalisation de la conscience, il importe de
repréciser quelques notions relatives à la philosophie matérialiste. Le terme
matérialisme doit être compris ici dans sa dimension philosophique et non pas dans le
sens qu’on lui attribue aujourd’hui, à savoir un état d’esprit caractérisé par la recherche
des jouissances et des biens matériels55. Il s’agit, dans le réseau sémantique
philosophique d’une doctrine qui professe qu’il n’est de réalité que matérielle56.
L’idéalisme postule une autre réalité ; c’est une position philosophique qui conçoit le
monde comme la représentation d’une conscience ou d’un sujet pensant57. Il y’a donc
deux pensées différentes, l’une postulant la primauté de la matière, l’autre celle de
l’esprit – respectivement le matérialisme et l’idéalisme. Le matérialisme d’inspiration
moniste stipule que tout est matière et qu’il y’a une consubstantialité entre le corps et
l’esprit, comme l’affirmait Christian Wolff58 :

« On appelle matérialistes les philosophes qui affirment qu'il n'existe que des
êtres matériels ou corps […] Le matérialisme n'admet qu'une seule sorte de
substance »59.

Il s’oppose ainsi ouvertement au dualisme, qui considère que la matière - le corps - et


l’esprit sont deux substances différentes. Le transhumanisme repose sur un système
différent : le fonctionnalisme. Selon le paradigme fonctionnaliste, l’esprit fonctionne
comme un système de calcul et de traitement d’information, comparable ainsi à un
logiciel informatique. Thomas Hobbes concevait également l’esprit de cette façon :

« Car la raison, en ce sens, n'est rien que le calcul (autrement dit l'addition et la
soustraction) des conséquences des noms généraux acceptés pour consigner et
signifier nos pensées. »60.

55
Définition du Rey-Debove, J., & Robert, P. (2013). Le Petit Robert : Dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française (Nouv. éd. [millésime 2014] du "Petit
Robert" de Paul Robert / texte remanié et amplifié sous la dir. de Josette Rey-Debove ... [et
al.]. ed.). Paris : Le Robert.
56
Définition du Grand dictionnaire de la philosophie / sous la dir. de Michel Blay. (2003).
Larousse (Paris)
57
Définition du Grand dictionnaire de la philosophie / sous la dir. de Michel Blay. (2003).
Larousse (Paris)
58
Christian Wolff (1679-1754) est un philosophe d’inspiration rationaliste
59
Wolff, C. (1740). Psychologia rationalis : Methodo scientifica pertractata ... (Ed. nova priori
emendatior. ed.). Francofurti ; Lipsiae : Officina libraria Rengeriana.
60
Hobbes, T. (1885). Leviathan or the matter, form and power of a commonwealth,
ecclesiastical and civil (Morley's Universal Library). London : G. Routledge ; New York.

19
Les états mentaux61 sont définis par leurs causes caractéristiques (« input ») et leurs
effets caractéristiques (« output ») dans une relation de causalité62. Les réactions
cérébrales physicochimiques sont donc la nature de la conscience. Ainsi, cette
philosophie repose sur une conception matérialiste dans la mesure où ces états
mentaux sont provoqués par des inputs matériels et physiques. Dans le projet
d’externalisation de la conscience proposée par les transhumanistes, ces inputs
doivent être des influx électroniques transmis par des supports de conscience
informatiques. Les cellules neuronales permettent par leurs interactions neuronales
l’émergence de l’esprit. Ainsi, si on remplace un neurone biologique par un neurone
artificiel réalisant la même fonction, on pourrait dès lors imaginer que notre conscience
ne serait pas impactée ; de même en remplaçant pièce par pièce chacune de nos
cellules neuronales. Selon le modèle réductio-fonctionnaliste, il y’a un esprit parce que
le cerveau réalise une certaine fonction dans l’organisme. Si un corps dispose d’un
organe effectuant la même fonction que le cerveau, alors il y’aurait également une
conscience. On pourrait dès lors implanter ce dernier non pas sur un organisme
biologique mais robotique. Il y’a dans cette volonté d’externalisation un enjeu crucial
relatif au statut et à la définition de la conscience.
En résumé, il est donc difficile et compliqué de classer la philosophie de l’esprit
transhumaniste selon les schémas ordinaires, car, contrairement aux matérialistes, ils
aspirent à une certaine forme de dualisme d’inspiration platonicienne, dans laquelle le
corps est un frein aux aspirations de l’esprit63. La conception du corps et de l’esprit
des transhumanistes, et donc leur rapport au réel qu’ils entretiennent, relève d’une
conception fonctionnaliste de l’esprit, dans laquelle celui-ci a une fonction
computationaliste – fonction de calcul et de traitement des données – comparable à
un ordinateur. La relation entre les deux instances est similaire à la relation entre un
logiciel et un ordinateur. L’apport platonicien réside dans la vision du corps, considéré
comme un support déficient de l’esprit, et de ce fait appelé à être remplacé par une
plateforme artificielle. Cependant, comment affirmer qu’une plaque informatique
permette à une intelligence, une conscience et un esprit de se développer ? Selon les
transhumanistes, la conscience est un phénomène et donc, se réalise
indépendamment de son support, ce qui rendrait dès lors possible une reproduction
de celle-ci sur tout autre dispositif.

4.3.2 La conscience des machines

Le principe d’indépendance du substrat, formulé par le philosophe Nick Bostrom64, est

61
Les états mentaux regroupent les émotions, les sensations, les perceptions, les
représentations imaginaires, les croyances, les désirs…
62
www.unil.ch/philo/files/live/sites/philo/files/shared/philosophie_des_sciences/enseignement/
bachelor_unil/phil_esprit/Cours-esprit6-1.pdf
63
Platon, La République, livre VII : le mythe de la caverne
64
Nick Bostrom est un philosophe suédois étudiant le transhumanisme, l’intelligence
artificielle etc..Depuis 2005, il est le directeur du nouvel institut pour le futur de l’humanité
de l’université d’Oxford.

20
censé répondre aux problèmes fondamentaux de la relation esprit-corps. Selon le
fonctionnalisme, ce n’est donc pas le cerveau en tant que matière qui crée les états
mentaux, mais bel et bien certaines de ses propriétés. Ainsi, il serait possible de
reproduire les échanges électrochimiques cérébraux sous forme d’impulsions
électroniques, de reproduire les caractéristiques cérébrales et donc d’engendrer
l’émergence d’une conscience artificielle. Selon l’association française transhumaniste
et par le biais de son porte-parole alias « Alexandre », les machines pourront avoir
une conscience, et cela est justifiable aussi bien dans un paradigme moniste que
dualiste. Dans le premier cas, il serait possible de stimuler l’activité de la conscience
à travers des neurones artificiels, comme expliqué au chapitre précédent. Dans le
second, où on affirme la disubstantialité du corps et de l’esprit, il serait possible d’en
créer une artificiellement, dans la mesure où cela est déjà possible biologiquement à
travers le développement d’un embryon :

« Ainsi, que l’on adopte un point de vue moniste ou dualiste, que la conscience
soit phénoménale ou substantielle, il ne semble pas y avoir d’obstacle de principe
à la création d’une conscience artificielle »65

Les transhumanistes se réjouissent déjà de cette libération de notre support biologique


actuel, résultant d’une longue évolution naturelle non achevée. Sur le principe de la loi
de Moore, nous pourrions donc atteindre un niveau de conscience numérique
extrêmement élevé, cette dernière n’étant limitée que par la puissance de calcul des
ordinateurs doublant chaque 18 mois.

4.3.3 Vers une réalité simulée ?

Un autre problème ressurgit donc, quant à l’application et les possibilités créées par
l’externalisation de nos consciences. En effet, celles-ci seraient toujours stimulées par
des inputs, censés, selon le modèle fonctionnaliste, faire émerger une conscience.
Ainsi, dès lors que notre esprit serait stimulé par des inputs électroniques, il serait très
facile de créer des simulations informatiques de réalité artificielles. Peut-être est-ce
déjà le cas ? Peut-être vivons-nous dans un monde totalement illusionné, peut-être
sommes-nous en réalité qu’une intelligence artificielle stimulée par des inputs
électroniques ? Selon Nick Bostrom, la probabilité selon laquelle le monde que nous
percevons ne serait qu’une illusion est de 33%66. Moins développées, les technologies
de réalité augmentée permettent également une immersion totale dans un
environnement virtuel, une fuite de la réalité et du monde. Le développement
technique permettrait ainsi qu’on se plonge, ou qu’on nous plonge, dans une
simulation de réalité, ne sachant ainsi plus distinguer le vrai du faux, le réel de

65
https://transhumanistes.com/vers-la-conscience-artificielle/
66
Nick Bostrom; Are We Living in a Computer Simulation?, The Philosophical Quarterly,
Volume 53, Issue 211, 1 April 2003, Pages 243–255

21
l’illusion…notre rapport au monde et notre conscience du réel n’a jamais été si
menacé par le développement technique !

5. Conclusion

Le rapport de l’homme à la nature s’est donc, sous l’impulsion et le mouvement du


progrès technique, désacralisé, démystifié et désenchanté. Des récits mythologiques,
puis les premiers traités de philosophie grecque, suivis de la théologie chrétienne
expliquèrent en premier lieu ce qu’était le monde et quelle était la place de l’homme
dans celui-ci. La rupture cartésienne et la redéfinition de la science vers une discipline
pratique ouvrirent le champ de la technoscience qui menace aujourd’hui de détruire
notre humanité, notre essence, notre fragilité. Le mouvement transhumaniste,
principalement développé aux États-Unis et en Chine, renouant avec le positivisme
comtien et le rationalisme des Lumières, entend amener l’humanité à une phase de
développement supérieur au moyen de la technique, dévaluant ainsi notre nature et
notre corps biologique. Comment comprendre ce mouvement, si ce n’est à travers le
prisme de l’évolution de la technique, dès lors que cette dernière a radicalement
changé nos vies ? L’attitude contemporaine dominante réside dans le fait de
considérer que la science et la technique ont pour vocation de progresser et de faire
progresser perpétuellement. Il y a dans cette affirmation une double erreur. D’une part,
le corollaire de cette thèse définirait la raison d’être de la technique uniquement et
exclusivement comme la quête constante de perfectionnement de ses facultés, ce qui
entre en opposition avec la vocation première de l’outil et de la science, à savoir d’être
utile à l’homme et de le délivrer de qui l’empêche d’être naturellement heureux. De
l’autre, cette allégation comporte un sophisme, un abus de langage, responsable de
l’application constante des progrès techniques et scientifiques, sans réflexion
préalable. Le paralogisme est le fait de considérer que tout progrès relatif, c’est-à-dire
une amélioration des capacités et des compétences dans un domaine restreint et
particulier, inclue un progrès absolu, amenant ainsi l’humanité vers un état de capacité
supérieur favorisant son bonheur. Comment, en effet, ne pas qualifier d’exploit et de
progrès la création d’un utérus artificiel, de robots aux aptitudes supérieures à l’homme
et l’élaboration de nouvelles techniques de modification du génome ? Il y a un progrès,
cela est évident et indéniable. Cependant, il faut distinguer ce progrès, à l’intérieur du
domaine scientifique, du progrès de l’éthique humaine, de la morale et du bien
commun. L’élite technophile et transhumaniste, mais, de façon plus générale, le
commun des mortels n’établira cependant aucune distinction entre le relatif et l’absolu
et se réjouira inconsciemment d’une nouvelle prouesse technique. Sous l’effet de
l’anesthésie technique en résulte ainsi l’application immédiate de chaque découverte
et de chaque nouveau progrès technologique. Afin d’illustrer ce propos, il suffit de se
replonger dans les années 40, lors de la découverte et de la première utilisation de la
bombe atomique, respectivement en 1945 par J. Robert Oppenheimer et en août 1945
sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki. L’Humanité du 8 août 1945, entre les deux
bombardements, commentait la nouvelle avec une euphorie déconcertante : « La

22
bombe atomique a son histoire depuis 1938, dans tous les pays des savants
s’employaient à cette tâche immense : libérer l’énergie nucléaire. Les travaux du
professeur Frédéric Joliot-Curie ont été un appoint énorme dans la réalisation de cette
prodigieuse conquête de la science »67. Ainsi, on pourrait reprendre l’argument autant
banal que désuet, selon lequel la technique ne serait « ni bonne ni mauvaise », et que
tout dépendrait de l’usage qu’on en ferait, mais il faut considérer qu’une concurrence
économique internationale incite les entreprises et les gouvernements à investir en
masse dans les nouvelles technologies et à les employer.
La technique, comporte en elle, certes les germes du meilleur, mais également celles
du pire et c’est la raison pour laquelle elle peut constituer un danger, notamment en
asservissant l’humanité à la nécessité de son développement continu, comme
l’affirmait le sociologue Alfred Sauvy « Despote conquérant, le progrès technique ne
souffre pas l’arrêt. Tout ralentissement équivalant à un recul, l’humanité est
condamnée au progrès à perpétuité ». Aujourd’hui, les opportunités ouvertes par les
progrès de la science et de la technique sont gigantesques et ne bénéficient que de
peu de préoccupation éthique et philosophique. Dans son encyclique Laudato Si, le
pape François, attaché à la pensée écologique de François d’Assise, insiste sur ce
point : « Du reste, quand la technique ignore les grands principes éthiques, elle finit
par considérer comme légitime n’importe quelle pratique (…) la technique séparée de
l’éthique sera difficilement capable d’autolimiter son propre pouvoir »68. Pallier à ce
problème semble très difficile, voire quasiment impossible, tant la technique est
devenue autonome et autarcique69, c’est-à-dire mue par elle-même en vue d’elle-
même.

« Prométhée, lui, est ce héros qui aima assez les hommes pour leur donner en même
temps le feu et la liberté́, les techniques et les arts. L'humanité́, aujourd'hui, n'a besoin
et ne se soucie que de techniques »70 écrivait gravement Albert Camus dans un de
ses articles. Face à la surexploitation de la technique, agissant librement et
indépendamment de notre contrôle sur le monde et l’humanité, il est urgent de se
replonger dans le Mythe de Prométhée, premier homme et père de l’humanité.
Prométhée s’est perdu dans notre époque contemporaine, en constatant de quelle
façon l’homme avait employé ses dons fondateurs. Selon Günter Anders71, la
nouveauté propre à l’époque contemporaine est cette « honte prométhéenne » qui

67
Royer G. « La bombe atomique a son histoire ». L’Humanité, Nr. 309, 08.08.1945, p.1
68
François, Pape, ; Ecclesia Catholica. Papa. Loué Sois-tu : Lettre Encyclique Laudato Si'
Sur La Sauvegarde De La Maison Commune. Paris : Ed. Emmanuel ; [s.l.] : Ed. Quasar,
2015.
69
Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les positions des transhumanistes, par définition
défenseurs du progrès technique, qui estiment nécessaire l’adaptation des humains à la
technologie.
70
Article « Prométhée aux enfers » dans Camus, A. (2009). L'été (Folio. Gallimard 4388).
[Paris] : Gallimard.
71
Günther Anders est un penseur, journaliste et essayiste autrichien, ancien élève de Husserl
et d’Heidegger et premier époux de Hannah Arendt, il est connu pour être un critique de la
technologie

23
habite l’homme, ce sentiment d’infériorité et d’impuissance face à ce qu’il a créé et ce
qu’il estime comme supérieur. « Prométhée l’a emporté (…) d’une façon si triomphale
que maintenant, confronté à ses propres œuvres, il commence à étouffer cette fierté
(…) pour la remplacer par le sentiment de sa propre infériorité »72. Le défi prométhéen
résidant dans le fait de ne devoir qu’à soi-même, y compris sa propre existence, le
créateur est appelé à devenir sa propre créature, à créer sa propre statue (Pic de la
Mirandole) et ainsi, ne serait-il pas souhaitable de s’unir à notre création, de s’hybrider
à la machine dans une expérience bionique ? La technique, après avoir altéré notre
rapport à Dieu, au cosmos et à la nature, dégrade donc l’image que l’homme a de lui-
même. Des philosophes, à l’instar de Peter Sloterdijk, appellent désormais à abolir la
distinction métaphysique entre l’homme et les choses créées, entre le créateur et la
créature. Si l’homme ne se différencie pas de sa machine, quelle distinction pourrions-
nous apporter entre dieu et les hommes ? Cette affirmation, philosophiquement et
logiquement inacceptable se fait cependant témoin de la dévaluation totale de l’être
humain, dépassé par sa création et son oeuvre, tel le savant Victor Frankenstein. Ce
dernier, dans le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne, crée de ses mains un
être vivant et intelligent à l’aspect monstrueux, qui, échappant totalement à sa maîtrise,
se vengera d’avoir été rejeté par le scientifique et la société73. Souhaitons-nous le
même destin ? La technique, que nous avons employé pour dominer et exploiter la
nature, pourrait-t-elle un jour mettre concrètement l’essence de l’humanité en danger ?

S’il y’a bien quelque chose qui est directement menacée par le progrès de la
technoscience, c’est la définition de cette essence humaine. En effet, en modifiant à
un tel point l’homme, ses propriétés différeront de son état naturel et biologique, sa
finitude sera abolie et tous les concepts relatifs à sa finitude seront révolus. Il faut donc
redéfinir ce qu’est ontologiquement l’homme ainsi que sa place dans la nature, et plus
particulièrement ce qui fait sa beauté et sa singularité. Prométhée, lui qui jadis conféra
l’art et la techné à l’homme, constate désarmé de quelle manière la technique
moderne, la technoscience, s’est détourné de sa vocation et a démantelé l’art
d’Athéna. Le mythe platonicien de Prométhéen nous l’explique en ces termes « il put
pénétrer sans être vu dans l'atelier où Héphaïstos et Athéna pratiquaient ensemble les
arts qu'ils aiment, si bien qu'ayant volé à la fois les arts du feu qui appartiennent à
Héphaïstos et les autres qui appartiennent à Athéna, il put les donner à l'homme. C'est
ainsi que l'homme se trouve avoir en sa possession toutes les ressources nécessaires
à la vie ». Dans la tradition grecque ultérieure, l’art d’Athéna et la techné d’Héphaïstos
devaient être pratiqués ensemble, car le premier nécessitait le second. Mais, l’homme
contemporain ne se soucie que de la technique et ne considère plus l’art, pourtant
supérieur. Ainsi, afin de restaurer la noblesse de la condition humaine et la beauté de
sa nature, la résurgence de l’art comme faculté et propriété de l’homme est hautement

72
Anders, Günther, and Christophe David. L'obsolescence De L'homme. Paris : Ed. De
L'Encyclopédie Des Nuisances : Ed. Ivrea ; [puis] Ed. Faro, 2002.
73
Voir Shelley, Mary Wollstonecraft Godwin, and Paul Couturiau. Frankenstein Ou Le
Prométhée Moderne. Folio. Gallimard. Plus 29. [Paris] : Gallimard, 1997.

24
nécessaire. Saisissons nos plumes, notre encre, une feuille de papier et chantons,
enchantons et créons le monde ! De la peinture, une toile, une fuite, une échappatoire.
Sauvons notre humanité, notre fragilité, notre beauté, notre finitude et notre naïveté.
Mettons tout notre espoir dans le ré-enchantement de la nature et du monde. « On
croit que c’est la technique qui nous aide mais c’est la poésie qui nous sauve » disait
le général de Charles de Gaulle. Ainsi, si la technique nous permettra
vraisemblablement d’allonger considérablement notre espérance de vie, il faut
développer notre appartenance et notre présence au monde. Selon Hannah Arendt,
cette appartenance au monde, en tant que création de l’homme, s’illustre dans la
manière qu’a l’artiste de gagner l’immoralité à travers le coup de son pinceau :

« Les œuvres d’art ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde,
qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels (…) Non seulement elles ne
sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des
objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des procès de
consommation et d’utilisation, et isolés loin de la sphère des nécessités de la vie
humaine. »74

Et si nous tentions d’être les artistes du tableau de la nature ? Et si nous peignions


le tableau du monde, une œuvre d’art destiné à survivre à la vie limitée des mortels,
délibérément écartée des nécessités de la vie ? Et si nous pouvions vivre ces
instants d’éternité un soir d’été en Provence, durant lequel les parfums du sel et de
la lavande se mêlent subtilement au chant des cigales, l’immortalité aurait un sens,
la nature serait belle et notre corps ne serait plus un mur, mais un pont que l’on
devrait nécessairement emprunter pour vivre et aimer intensément. Alors nous
pourrions aller cueillir la rose avec Ronsard, chanter la nature avec Lamartine et
Châteaubriant, exalter l’amour avec Verlaine, prendre une coupe de vin avec Hafez
et Omar Khayyâm et transmettre un monde d’harmonie entre l’homme et la nature.

74
Arendt, Hannah. La Crise De La Culture : Huit Exercices De Pensée Politique. Folio.
Gallimard. Essais 113. [Paris] : Gallimard, 1990.

25
Dans le jardin des roses, hier, l’aube pointait.
La nuit passée, dans mon ivresse, s’effaçait.
J’étais pareil au rossignol.

Des amis, un flacon de vin, du loisir, un livre, un coin parmi les fleurs…
Je n’échangerais pas cette joie pour un monde, présent ou à venir

Que m’importent les tulipes et les roses,


Puisque par la pitié du Ciel, j’ai, pour moi seul,
Tout le jardin.

Si, comme Alexandre, tu prétends à la vie éternelle,


Cherche-la sur les lèvres roses de cette ravissante beauté.
Rien n’est meilleur que le plaisir, fête au jardin, le vin, les roses

Hafez (1325-1390)
Ghazel extrait du Divan
Bibliographie

Livres
• Anders, Günther, and Christophe David. L'obsolescence De L'homme. Paris : Ed. De
L'Encyclopédie Des Nuisances : Ed. Ivrea ; [puis] Ed. Faro, 2002.
• Arendt, H., Fradier, G., & Ricoeur, P. (2012). Condition de l'homme moderne (Agora.
Paris. 1985- 24). Paris : Pocket.
• Arendt, Hannah. La Crise De La Culture : Huit Exercices De Pensée Politique. Folio.
Gallimard. Essais 113. [Paris] : Gallimard, 1990.
• Aristoteles. Physique / Aristote ; trad. présentation, notes, bibliographie et index par
Pierre Pellegrin. Traduit par Pellegrin, Pierre. Paris: Paris : Flammarion, 2000.
• Copernic, Nicolas . De Revolutionibus Orbium Coelestium Libri VI... Norimbergae Apud
Joh. Petreium. Anno M.D.XLIII, 1543.
• Darwin, Charles Robert, and Edmond Barbier. L'origine Des Espèces Au Moyen De La
Sélection Naturelle Ou La Lutte Pour L'existence Dans La Nature. Ed. Reprise De L'éd.
De 1880 Publiée Par C. Reinwald Et Cie Et Trad. De La 6e éd. Anglaise Par Edmond
Barbier]. ed. Fondations. Maspero. Paris : Ed. La Découverte, 1985
• Descartes, R. (1931). Discours de la méthode. Paris : Libr. Hachette.
• Heidegger, Martin. Essais et conférence. TEL, s. d.
• Hersch, Jeanne. L'étonnement Philosophique : Une Histoire De La Philosophie. Folio.
• Hobbes, T. (1885). Leviathan or the matter, form and power of a commonwealth,
ecclesiastical and civil (Morley's Universal Library). London : G. Routledge ; New York
• Gallimard. Essais 216. Paris : Gallimard, 1995.
• Jim Al-Khalili. Ce que la science sait du monde de demain : [intelligence artificielle,
transhumanisme, menace climatique, surpopulation : notre vie en 2050]. Lausanne:
Presses polytechniques et universitaires romandes, 2018.
• Jonas, Hans, and Jean Greisch. Le Principe Responsabilité : Une éthique Pour La
Civilisation Technologique. Passages. Méridien. Paris : Les Ed. Du Cerf, 1990.
• Jousset-Couturier, Béatrice. Le Transhumanisme. Paris : Eyrolles, 2016.
• Lalande, André, et Société française de philosophie. Vocabulaire technique et critique
de la philosophie / par André Lalande ; revu par MM. les membres et correspondants
de la Société française de philosophie et publié avec leurs corrections et observations ;
avant-propos de René Poirier. 10e éd. revue et augm. 108, Boulevard Saint-Germain,
Paris: Paris : Presses universitaires de France, 1968.
• Magnin, Thierry. Penser l’humain: au temps de l’homme augmenté: [face aux défis du
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• Marx, Karl. Zur Kritik Der Hegelschen Rechtsphilosophie. Reclam-Bibliothek 1135.
Leipzig : Verlag P. Reclam Jun., 1986.
• More, Max. Transhumanism. Towards a futurist philosophy. 1990-1996
• Nietzsche, Friedrich. Ainsi Parlait Zarathoustra. La Zone Grise. Paris : Ed. Kimé, 2012.
• Ormesson, Jean D'. Un Jour Je M'en Irai Sans En Avoir Tout Dit : Roman. Paris : Ed.
De Noyelles, 2013.
• Pellegrin, Pierre. Physique. GF Texte Intégral 887. Paris : Flammarion, 2000.
(traduction du texte original d’Aristote)
• Pico Della Mirandola, Giovanni, and Yves Hersant. De La Dignité De L'homme =
(Oratio De Hominis Dignitate). Collection Philosophie Imaginaire 20. Combas : Ed. De
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• Platon, La République, livre VII : le mythe de la caverne
• Rey-Debove, J., & Robert, P. (2013). Le Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et
analogique de la langue française (Nouv. éd. [millésime 2014] du "Petit Robert" de Paul
Robert / texte remanié et amplifié sous la dir. de Josette Rey-Debove ... [et al.]. ed.).
Paris : Le Robert.
• Terence, Mathieu. Le Transhumanisme Est Un Intégrisme. Paris : Cerf, 2016.
• Tricot, Jules. La Métaphysique. Nouv. éd. Entièrement Refondue, Avec Commentaire
/ Par J. Tricot. ed. Bibliothèque Des Textes Philosophiques. Paris : J. Vrin, 1974..
• Weil, Simone. La Source Grecque. Collection Espoir. [Paris] : Gallimard, 1969.
• Wolff, C. (1740). Psychologia rationalis : Methodo scientifica pertractata ... (Ed. nova
priori emendatior. ed.). Francofurti ; Lipsiae : Officina libraria Rengeriana.
• François, Pape, ; Ecclesia Catholica. Papa. Loué Sois-tu : Lettre Encyclique Laudato Si'
Sur La Sauvegarde De La Maison Commune. Paris : Ed. Emmanuel ; [s.l.] : Ed. Quasar,
2015.

Pages web

• www.universalis.fr/encyclopedie/galilee-1564-1642/
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Magazines - revues

• Nick Bostrom; Are We Living in a Computer Simulation?, The Philosophical Quarterly,


Volume 53, Issue 211, 1 April 2003, Pages 243–255

Documents PDF
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• Chloé Monge-Cadet. « Dossier sur le transhumanisme ». 13:37:11 UTC.
https://fr.slideshare.net/ChloMongeCadet/dossier-sur-le-transhumanisme.
• Esfeld, Michael. « La philosophie de l’esprit Le paradigme fonctionnaliste (ch. 6) »,
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Vidéos
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Consulté le 23 juin 2018. https://www.youtube.com/watch?v=WGQiJYcrWY4.
• ENL France. Le transhumanisme : conférence d’Hervé Juvin. Consulté le 2 juillet 2018.
https://www.youtube.com/watch?v=Rf3clg82a_Q.
• Le Monde. Serons-nous un jour remplacés par des intelligences artificielles ? Consulté
le 5 février 2018. https://www.youtube.com/watch?v=06XDN5WMjnM.
• Léo Léoo. Un monde sans humains. Consulté le 5 février 2018.
https://www.youtube.com/watch?v=KeqF4M8LWE4.
• « L’intelligence artificielle va t-elle euthanasier l’économie européenne ? - YouTube ».
Consulté le 23 juin 2018. https://www.youtube.com/watch?v=3EXrSQ1KubY.
• « Luc Ferry : “Le transhumanisme parie sur le fait que l’homme est perfectible” ».
Consulté le 5 juillet 2018. http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/luc-ferry-le-
transhumanisme-parie-sur-le-fait-que-l-homme-est-perfectible-17-06-2016-
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• « L’Université de la Singularité - Vidéo ». Consulté le 11 juillet 2018.
https://www.rts.ch/play/tv/lactu-en-video/video/luniversite-de-la-
singularite?id=9042262.
• TV5MONDE. Transhumanisme: l’apparition du surhomme. Consulté le 23 juin 2018.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=6&v=1m2nXdYnGWE.
• Science, Technology & the Future. Max More - Transhumanism and the Singularity.
Consulté le 16 mai 2018. https://www.youtube.com/watch?v=1xIQgBXw9-o.

Articles – autre
• Article « Prométhée aux enfers » dans Camus, A. (2009). L'été (Folio. Gallimard 4388).
[Paris] : Gallimard.
• Delassus, Eric. « La technique. Notre rapport au monde peut-il n’être que technique? »,
s. d., 10.
• Royer G. « La bombe atomique a son histoire ». L’Humanité, Nr. 309, 08.08.1945, p.1

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