TEXTE - Vénus Anadyomène - Éléments de Correction

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TEXTE 1 - “VÉNUS ANADYOMÈNE”

Vénus Anadyomène1

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête


De femme à cheveux bruns fortement pommadés2²
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits3 assez mal ravaudés4 ;

5 Puis le col5 gras et gris, les larges omoplates


Qui saillent6 ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor7 ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine8 est un peu rouge, et le tout sent un goût

10 Horrible étrangement ; on remarque surtout


Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus9 ;


– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe10
Belle hideusement d’un ulcère11 à l’anus.

Introduction

1 Anadyomène : qui sort de l’eau


2 Pommadés: enduits de pommade
3 Déficits: défauts, impacts du temps
4 Ravaudés: réparés
5 Col: cou
6 Saillent: ressortent
7 Essor: élan
8 Échine: dos en parlant d’un animal
9 Clara Venus: “Illustre Vénus” en latin
10 Croupe : terme animalier pour désigner les reins, les fesses
11 Ulcère: plaie infectée
« Vénus Anadyomène » est un sonnet figurant dans le premier cahier des Cahiers de Douai. Il a été rédigé en 1870
par le jeune Rimbaud, qui n’a pas plus de 16 ans, et qui rassemble ses premiers écrits à Douai, où il est hébergé après une
fugue grâce à son professeur Georges Izambard. Brillant élève, imprégné de la culture antique qu’on enseigne à l’école, il
évoque ici la déesse Vénus, déjà présente dans le poème « Soleil et chair ». Cependant, ce poème montre autant la culture
classique de Rimbaud et sa maîtrise de la versification que son émancipation. Si le titre, assez savant, évoque le mythe de la
naissance de Vénus ainsi que toute la tradition picturale qui suivit, on découvre en fait un contre blason qui parodie la figure
de Vénus, allant jusqu’à l’obscénité en exhibant dans les détails un corps repoussant. Rimbaud s’émancipe non seulement de
la traditionnelle glorification de la déesse mais utilise la forme du sonnet pour mieux la distordre. Les rimes du premier
quatrain sont croisées au lieu d’être embrassées et, dans la lignée de Victor Hugo qui prétend « disloquer ce grand niais
d’alexandrin », il perturbe le rythme de ce vers classique afin de susciter la surprise du lecteur.
Ainsi, nous allons nous demander
……………………………………………………………………………………………………………………………………
………….. (problématique). Pour cela, nous étudierons dans le premier
quatrain…………………………………………………………………………………………… (I), puis dans le
second……………………………………………………………………………………………………………………………
………….(II). Nous nous intéresserons ensuite, dans le premier tercet à
………………………………………………………………………………………………………….(III), avant de finir par
…………………………………………………………………………… (IV), dans le dernier tercet.

Conclusion

En somme, nous avons montré


……………………………………………………………………………………………………………………. (rappel de la
problématique), par la progression du sonnet. Tout d’abord, Rimbaud pose le contexte de sa description et esquisse le visage
d’une femme repoussante, parodie de la belle Vénus qui sort de son coquillage dans le tableau de Botticelli. La forme et le
rythme du sonnet sont au service de cette dissonance. Dans le second quatrain, la description monstrueuse se poursuit de
manière organisée par l’évocation du haut du corps, comme si on voyait la femme émerger de sa baignoire, ou se tortiller dans
l’eau. Loin de la grâce d’une Vénus, on devine un mouvement animal ou monstrueux, qui donne ici une nouvelle dimension à
la description. Dans le premier tercet, se dégage une vue d’ensemble qui ajoute à l’horreur de la description mais Rimbaud
utilise l’enjambement pour plonger davantage encore le lecteur dans cette scène de voyeurisme et pour l’inviter à scruter avec
lui les détails de ce corps hideux. Ainsi, le dernier tercet éclaire le titre du poème en mettant en lumière le tatouage de la
femme. L’inscription « Clara Venus » répond fort ironiquement à la description qui précède. Enfin, l’attention portée aux
fesses de la femme va jusqu’à l’observation de son anus blessé, évoquant la figure obscène d’une vieille prostituée. Par cette
provocation ultime, Rimbaud achève sa parodie et montre son émancipation des modèles artistiques traditionnels. Cependant,
il nous invite aussi, par la chute du sonnet, à chercher la beauté dans la laideur, à l’instar de Baudelaire qui qualifie une
charogne de « carcasse superbe », dans le poème « Une Charogne ». Il invite donc le lecteur à une réflexion esthétique, au-
delà de la provocation.

PRÉSENTATION DU TEXTE :

Contexte :
Pendant les grandes vacances de l'année 1870, le lycéen Arthur Rimbaud, qui vient de rafler les plus hautes
distinctions à la distribution des prix du "Collège Municipal" de Charleville (Ardennes), décide d'abandonner le foyer
familial. 29 août : départ pour Paris. Incarcération pour vagabondage à la prison de Mazas. 6 septembre : lettre
désespérée à son ancien professeur de rhétorique, Georges Izambard (22 ans) qui le fait libérer et l'accueille dans sa
maison familiale de Douai.
Le 26 (ou le 27) Septembre, à la veille de regagner Charleville sur les instances de "la Mother" (c'est ainsi que
le jeune homme appelle fréquemment Mme Rimbaud), Arthur se rend chez un ami de son professeur, le poète et
éditeur Paul Demeny, auteur d'un recueil de poésies intitulé Les Glaneuses (que Rimbaud n'appréciait pas beaucoup :
voir sa lettre du 25 août à Izambard ). L'auteur des Glaneuses est absent. A.R. dépose à son domicile une liasse de
feuilles de papier sur lesquelles il a soigneusement recopié divers poèmes. Pour tout commentaire, un message
hâtivement griffonné au dos de « Soleil et Chair » : "Je viens pour vous dire adieu, je ne vous trouve pas chez vous…"
Avec quelles intentions Rimbaud confie-t-il ces textes à Paul Demeny ? Le billet ne le dit pas. Sans doute dans l'espoir
d'une édition.
Ces poèmes ne furent jamais publiés (de façon générale, aucune oeuvre de Rimbaud ne trouva éditeur du
vivant de son auteur). Mais ils sont considérés aujourd'hui comme les premières manifestations d'un étincelant génie
poétique.

« Vénus anadyomène » :
« Vénus Anadyomène » est un des 22 textes du Recueil de Douai. Rimbaud utilise dans ce poème le cadre
traditionnel du "sonnet" pour se livrer à une féroce parodie d'un thème mythologique. La parodie consiste, en effet,
dans l’imitation satirique d’un texte ou d’une image, qui les détourne de leurs intentions initiales afin de produire un
effet comique. Tel est bien le principe suivi par Rimbaud dans ce poème. Comme l’indique le titre, il prend pour
thème le mythe antique de la naissance d’Aphrodite : (Vénus Anadyomène signifie « Vénus née des flots »), récit
universellement connu par ses expressions littéraires et picturales. D'après le mythe (rapporté par Hésiode), elle naît de
l'écume de la mer, fécondée par le sang d'Ouranos (le Ciel), lequel avait été préalablement émasculé par Cronos, le
dernier des Titans. Vénus donc sort du creux d'une vague et elle est portée à Cythère, puis sur les rivages de Chypre.
Vénus représente le type achevé de la beauté. Elle a intéressé à ce titre les artistes du passé. Mais, en opposition
avec ce modèle traditionnel, Rimbaud se donne pour objectif de produire une image dégradante du corps féminin. Pour
ce faire, il baptise du nom de Vénus un personnage qui ressemblerait plutôt à une prostituée.

Un poème en réaction aux parnassiens ?


Quelques mois avant d’écrire ce texte, Rimbaud s’était adonné avec « Soleil et Chair » à l’exercice contraire :
un éloge classique d’Aphrodite, très proche de l’image d’Épinal ressassée par les peintres pompiers du XIX° siècle et
par les poètes parnassiens. Théophile Gautier, dés 1835, plaçait dans la bouche du héros de son roman Mademoiselle
de Maupin une opposition entre Vénus et la Vierge, entre la nudité sans honte de la déesse antique et la pudeur,
"invention moderne, fille du mépris chrétien de la forme et de la matière". Leconte de Lisle, Théodore de Banville, de
leur côté, s'étaient fait une spécialité de la célébration de l'Éternel Féminin à travers les déesses de l'Antiquité et les
grandes héroïnes de la littérature. Rimbaud, en brillant helléniste et latiniste qu'il était, se trouvait tout à fait à son aise
dans cet exercice de style mythologique.
Mais simultanément, la lucidité et l'impertinence de ses quinze ans lui firent sans doute apercevoir ce que cette
mode de l'Antique avait d'un peu grandiloquent. Dans ce sens, « Vénus Anadyomène » peut être considéré comme un
exercice d'autodérision et d'autoparodie. Ou bien faut-il prendre ce poème davantage au sérieux, y découvrir un accès
de misogynie consécutif à quelque déboire amoureux dans le genre de celui que raconte Rimbaud dans « Les réparties
de Nina ? »
En tous cas, l’exercice est réussi, la provocation fait mouche, ce lyrisme de la laideur peut choquer – c’est son
but - mais il ne laisse pas indifférent.

Problématique : Même, s’il emprunte encore la forme traditionnelle du sonnet, Rimbaud bouleverse la donne
poétique en substituant à une conception allégorique du Beau, héritée de la Renaissance, une vision réaliste et
crue du corps, exacerbant sa description de manière à conférer au texte le caractère radical d'un geste
iconoclaste au moyen de la parodie.

I- Trois premières strophes = une seule phrase

1) Premier Quatrain (consacré à la « tête », isolée en fin de vers par un contre-rejet, qui exhibe cette tête
et la détache de son corps )
- Le titre de ce sonnet, composé du nom propre « Vénus » et de l’adjectif savant, directement issu du grec,
« anadyomène », qui signifie « qui sort de l’eau », témoigne de la culture du poète et renvoie à un personnage
éponyme (qui donne son nom au titre) bien connu du lecteur. Le titre a créé un horizon d’attente. Rimbaud
semble ici instaurer une complicité culturelle avec son lecteur et lui proposer une reprise du motif de la
naissance de Vénus, illustrée dès l’Antiquité par nombre de récits, mais aussi par le peintre Apelle, puis par
Botticelli, Alexandre Cabanel, Raphaël ou Titien.
Le nom de Vénus, déesse de l’amour, évoque immédiatement à l’esprit féminité, grâce et beauté absolue. Le lecteur
s’attend alors à un tableau poétique, un blason plus ou moins stéréotypé. Ce poème s’annonce comme la
célébration d’un éternel féminin, d’une Beauté divinisée.
On s’attend également à trouver une description puisque l’auteur reprend un motif pictural : la représentation de Vénus
(introduction de ce thème cher aux Parnassiens).

- Or ces attentes sont bousculées dès le premier vers puisque la comparaison avec le cercueil associe une certaine
morbidité à la survenue de Vénus. La conque cède la place à une « vieille baignoire » indigne de la divinité et laisse
attendre l’avènement d’une femme nettement plus humble.
Cet objet dénature le cadre de la vision et semble inscrire le tableau dans la dérision. Le tableau du poète se
présente donc d’emblée comme une parodie du motif original.
De la même façon le jeu sur les couleurs « vert en fer-blanc » dénature aussi le cadre, d’autant que le fer-blanc est
un matériau commun, de peu de prix qui colle mal avec l’idée du sublime associé à l’image de la déesse.
La femme, vieillissante, se dévoile progressivement, avec une certaine difficulté traduite par les allitérations en F/
V. La grâce semble céder la place à la lourdeur et à la maladresse. De même les « cheveux bruns » s’opposent au
blond vénitien souvent attribué à Vénus.
Le poète semble s’adonner à un blason, court poème célébrant une partie du corps féminin ou évoquant le corps
entier, en détaillant successivement ses différentes parties. Toutefois, le portrait qu’il réalise ainsi est
particulièrement dépréciatif.

Un portrait disgracieux : (contre-blason: poème en vers à rimes plates du XVIè pour faire l’éloge, la satire, la
critique de quelqu’un)
Le poète semble jouer avec les attentes du lecteur et les clichés qui accompagnent généralement la description de
vénus. La « femme » semble rappeler la déesse mais la couleur « brune » l’en éloigne. Il s’émancipe de tous les
canons de la beauté.
On constate une première inversion de la représentation mythique. Bien des aspects de la description évoquent la
vieillesse :
- «vieille baignoire » « cercueil ».
- la rencontre à la rime de « tête » et « bête » qui désacralise le personnage.
- Le verbe « émerge » ôte tout caractère exceptionnel à l’apparition de cette femme ; le geste semble banal et pénible
- Jeu sur le double sens du mot « bête » : peut désigner un geste maladroit, une femme sotte mais le terme peut
aussi conférer une dimension animale à la femme.
- le terme « déficits » : désigne des défauts, des imperfections physiques ; « ravaudés », renchéri par le groupe
adverbial « assez mal ». Ces termes ruinent toute vision élogieuse et font de cette Vénus une prostituée vieillissante et
décatie dont le maquillage ne suffit plus à gommer la laideur. Le verbe « ravauder » désigne aussi le raccommodage
des vêtements usés.
- L’expression « fortement pommadés » v 2 suggère des soins de beauté maladroits, incapables de lutter contre la
laideur due à l’âge. De plus ce terme oppose le fard et l’artifice à la beauté naturelle, attribut de la déesse.
Travaux de maquillage médiocrement réalisés (avec « ravaudés »)
- L’allitération en [S] du vers 4 cherche à traduire l’amollissement des chairs.

2) Deuxième Quatrain
- Consacré aux cou, dos, et reins.
- De nouveaux verbes de mouvement accompagnent cette progression : les omoplates « saillent » (avec rejet de la
subordonnée relative), le dos « rentre et ressort » (en se lavant, la baigneuse effectue probablement des mouvements
alternés d’extraction et d’immersion), les reins « semblent prendre leur essor ». L’anaphore de « Puis » aux vers 5 et
7 crée aussi une impression dynamique.
- Donc en suivant un regard descendant, Rimbaud se livre à un portrait cru de cette femme vue de dos. Il insiste sur
une description quasi clinique de ce corps qui ne peut que susciter la répulsion. Importance du bas corporel.
- Laideur avec « col gras et gris »: allitération en GR qui renforce l’idée de grosseur, de lourdeur // « rondeur des
reins » allitération en R produisant le même effet.
avec corps aux formes ramassées, corps trapu: répétition adjectif « large » (« larges omoplates » et « large
croupe » v13) // résonance avec adj « court » « le dos court » v6 + effet disgracieux de la cellulite évoqué avec une
précision clinique mais grâce à la métaphore (v8)
DONC à la Vénus traditionnelle qui incarne la grâce et la beauté du corps féminin, Rimbaud oppose ici le spectacle de
la laideur.

3) Premier Tercet (évoque l’échine de cette anti-Vénus)

Le premier tercet et le premier vers du second interrompent l’ascension du corps. Mais le mouvement se prolonge en
quelque sorte vers l’avant. Le lecteur est invité –par un effet de grossissement optique –à regarder « à la loupe »
certains détails curieux dont nous avons parlé et notamment cette inscription gravée sur les reins : Clara Venus (la
célèbre Vénus). Nous avons là un premier sommet du poème, au sens où le trait est inattendu et constitue en quelque
sorte une explication, une justification du titre.

Le laid domine le 1 er tercet : tous les sens y semblent convoqués pour dire la monstruosité et la répulsion : vue, goût et
odorat se conjuguent : synesthésie « tout sent un goût » (superposition de deux sens)
une nudité repoussante / dégoût ressenti par le poète: Par ce poème il cherche à dépasser la simple parodie pour
tendre vers une poésie nouvelle susceptible de traiter également de la laideur.
De ce point de vue il convient de s’intéresser à l’expression « horrible étrangement » mise en relief par la coupe à
l’hémistiche mais aussi par l’enjambement du vers 9 sur le vers 10 : le terme étrangement s’applique à l’effet de
surprise ménagé par le décalage entre le titre et le portrait, mais on peut aussi se demander s’il n’a pas pour fonction
d’inviter le lecteur à une relecture. Le « tout » peut en effet renvoyer au poème lui-même.
De la même façon, le terme « singularités » peut renvoyer aux déficits de la femme mais aussi aux étrangetés de
cette poésie, aux écarts qu’elle présente. Plus que les difformités de la Vénus, ce sont les originalités du poète qu’il
s’agit de soumettre à « la loupe » : l’injonction « il faut » invite le lecteur à scruter cette étrange poésie au delà des
apparences premières du langage, au-delà du prosaïsme. Elle l’invite à dépasser les modèles connus pour découvrir
une poésie affranchie, un lyrisme de la laideur.
La loupe permet de glisser de l’horrible à la beauté parce que l’étrangeté trouve son sens, son explication : il s’agit
de dire une hideur transcendée par le traitement poétique, par la beauté.

Les points de suspension qui clôturent cette longue phrase signifient le temps accordé au lecteur pour réfléchir à une
relecture.

II- Chute = Deuxième Tercet

Mais le mouvement ascendant reprend et laisse encore voir sous les reins la partie la plus infamante de cette anatomie.
Et il faut attendre la fin de la phrase pour découvrir un mot imprononçable, qui n’en fournit pas moins le fin mot du
poème.

Le jeu de Rimbaud devient plus complexe avec l’évocation des reins de la Vénus sur lesquels on peut lire le tatouage.
Cette partie du corps se trouve associée à un acte de lecture.
L’inscription « Clara Vénus », gravée dans la chair de la femme, justifie le titre: le terme « Clara » qui se présente
comme un prénom peut se lire comme un jeu du poète. Clara vient d’un adjectif latin signifiant « la fameuse », la
« célèbre », « la distinguée » et par extension la « singulière ». Or cette Vénus vient s’opposer à la Vénus anadyomène,
elle en constitue un reflet inversé. Le vrai sujet du poème n’est pas la vénus anadyomène, mais bien cette singulière
femme vieillissante.

Ce poème montre enfin à quel point le corps est un marqueur social. La flétrissure du corps de la femme signale sa
maladie et son indigence, liés au métier qu’elle exerçait, et qui ne lui permettait pas de s’élever en société. Le tatouage
lui-même est traditionnellement signe d’une dégradation morale de la personne (les coupables de haute trahison, les
galériens, les meurtriers étaient marqués d’un tatouage au fer rouge) : ce dernier étant visible à vie sur le peau, il
devient impossible de cacher sa condition. Le corps devient ainsi le marqueur d’une profession dégradante et empêche
à jamais l’insertion de la femme dans la société.

Dans le dernier tercet le prosaïsme cède même la place à l’obscénité. Le verbe « remue » et les termes « large
croupe » évoquent une monstrueuse danse érotique. Impudicité de cette nudité , comme si le corps exhibait son
infirmité. Le lecteur est placé dans la position du voyeru qu’un metteur en scène pervers mène à sa guise, excitant sa
curiosité et différant sans cesse le moment de le satisfaire.
Le vers 14 “belle hideusement d’un ulcère à l’anus” mérite des explications : l’oxymore “belle hideusement” illustre la
recherche d’une nouvelle parole poétique, qui cherche la beauté artistique dans des sujets traditionnellement peu prisés
(cet oxymore fait écho à l’expression « horrible étrangement » et les deux procédés mettent en évidence une
confrontation entre laideur et beauté); l’aspect très trivial de la conclusion du poème (“ulcère à l’anus”) invite à une
relecture critique des vers précédents, pour y trouver la satire parodique du poète, mais aussi pour chercher, dans ces
détails immondes, une nouvelle forme de beauté corporelle.

L’image de l’ulcère à l’anus scandalise doublement le lecteur par son caractère scatologique (et l’évocation de
certaines pratiques sexuelles qu’il suppose).
Le désir de provoquer atteint son paroxysme avec la rime « Vénus »/ « anus » qui allie le profane et le sacré, le
sublime et le bas.

Conclusion

La forme est classique, tout comme le sujet abordé, et très codifiée. Mais là où Rimbaud est extrêmement novateur,
c’est dans le fond du sujet traité, qui est en rupture totale avec les attentes traditionnelles. En effet, le poème dresse le
portrait d’une vieille prostituée repoussante ; pour cela, il explicite des détails choquants (“ulcère à l’anus” v.14) ; il
met ainsi à l’honneur la laideur triviale du corps. Toute la modernité de ce poème vient donc de la complémentarité
paradoxale d’une forme fixe et ancienne, et d’un choix novateur, celui de faire de l’abject un sujet d’art et une
nouvelle forme de beauté.

Le grossissement des traits propose un traitement parodique du topos de la naissance de Vénus, mais il semble que
le véritable enjeu du texte soit pour Rimbaud de proposer au lecteur une nouvelle voie poétique fondée sur le
dépassement des modèles esthétiques, sur la recherche d’un nouveau langage. Il s’agit d’affranchir le lecteur et de
l’initier, avec « la loupe » au déchiffrement d’une poésie « belle hideusement » et de rompre avec la « vieillerie
poétique ».

Le laid, une nouvelle forme de beauté


Mais au-delà de l’image d’une prostituée dégradée, le poème de Rimbaud est également un éclairage sur les misères
humaines. Les détails qui entourent la femme, qu’ils soient matériels (“vieille baignoire” v.3) ou physiques (dans le
manque de soins qu’elle apporte à son corps : “l’échine est un peu rouge” v.9, “ulcère à l’anus” v. 14), sont le signe
des misères humaines qui affectent les plus vulnérables de la société et font naître, sous le ton ironique, un certain
sentiment de pitié. On assiste en fait à un changement de focalisation de la part des artistes au XIXe : comme les
auteurs naturalistes (comme Zola par exemple, qui devient porte-parole de la condition ouvrière), Rimbaud n’hésite
pas à décrire le corps dans ses détails les plus repoussants, montrant ainsi que le quotidien le plus vulgaire peut devenir
un sujet d’art, et repoussant les limites traditionnelles de la pudeur et du privé.

Ce poème d’Arthur Rimbaud est un blason et une parodie : le titre, qui indique “Vénus anadyomène”, est en décalage
avec la réalité de la femme décrite, qui s’oppose point par point au corps idéal de la déesse de l’Amour.
Dans ce poème, le corps est un livre ouvert où se trouve justifiée la situation actuelle de la femme par son passé.

Prolongement : ce poème est différent de « Soleil et Chair » (page 34 du recueil) où le poète se livre à l'exercice
classique d'Aphrodite ; ce n'est donc pas une provocation misogyne mais seulement un désir de provocation !

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