Correction Sujet Bac Janvier2013 3
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Correction Sujet Bac Janvier2013 3
Selon vous la beauté du texte poétique est-elle liée au sujet qu’il évoque ?
.-Le sujet appelle donc un plan dialectique et impose de montrer que la poésie peut tirer
partie du thème qu’elle se choisit pour créer du beau mais que cela ne saurait suffire. Le
corpus invite également à montrer que la poésie peut a contrario s’intéresser au laid.
Le poète et critique Jean-Michel Espitallier affirme : « Si la poésie peut parler de fleurs , il lui
arrive aussi de parler de tractopelle, du journal de 20 heures ou de Shrek. Il lui arrive même
de parler de poésie. (…) Au fond le poète peut parler de tout (et de rien) mais là n’est pas
vraiment le propos. Car le sujet n’est pas le sujet. Ce qui compte c’est la façon qu’il a de
parler, de faire parler, d’en parler »
L’introduction
Proposition d’accroche : Dans L’Ecriture ou la vie, Jorge Semprun relate son internement
à Buchenwald. Il y raconte notamment l’agonie d’un de ses amis, un brillant universitaire et
c’est l’occasion d’une anecdote qui exalte les pouvoirs de la poésie : dans l’enfer du camp,
face à un mourant ravagé par la maladie, Semprun récite « L’invitation au voyage ». Le
poème de Baudelaire emmène les prisonniers hors de la réalité mais au milieu de l’horreur,
c’est aussi le surgissement de l’étincelle de la beauté qui rappelle les deux hommes à leur
humanité. Au cœur de l’innommable, le texte poétique continue donc de faire résonner une
indestructible beauté.
Problématique : Mais d’où cette impression naît-elle ? est-elle ici liée au thème évoqué par
le poète : un paysage rêvé empreint de « luxe » de « calme » et de « volupté » ou a-t-elle
d’autres sources ? S’il est vrai que certains sujets paraissent propices à l’expression poétique
et que certains constituent même le domaine privilégié de la poésie lyrique : la nature ou
l’amour pour ne citer que ceux-là, peut-on véritablement ne juger la qualité d’un poème qu’à
l’aune du thème qu’il traite : que faire alors de la figure du vampire créé par ce même
Baudelaire ou du portrait du narrateur monstrueux par lequel Lautréamont ouvre ses Chants
de Maldoror ? La question est d’autant plus complexe qu’il est difficile de définir ce que l’on
entend par la « beauté » du texte poétique : on connaît la célèbre boutade voltairienne :
« Demandez à un crapaud ce que c'est que la Beauté, (…) ! Il vous répondra que c'est sa
femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un
ventre jaune, un dos brun. ». Le « beau » apparaît donc comme une notion très subjective lié à
une époque, une culture ; et s’il s’agit de définir ce qui fait la beauté d’un texte poétique, faut-
il chercher comment il suscite une émotion esthétique ou une émotion tout court, comment il
exalte des valeurs morales, ou simplement humaines?
Plan :Le texte poétique peut sans aucun doute entrer en résonance avec la beauté du monde
qu’il lui appartient de célébrer mais ne peut limiter ainsi son champ d’investigation : tout et
jusqu’à la laideur peut être exploré par le poète. Reste que « la sorcellerie évocatoire » du
texte poétique se joue peut-être ailleurs que dans le rapport du texte à son sujet.
I-La beauté du texte poétique peut naître du sujet dont il traite : le poète entre en
résonance avec la beauté du monde, des hommes dont il se fait l’écho.
On notera que dès les origines, la poésie lyrique de l’Antiquité (Sapho, Anacréon par
exemple ; Virgile, Les Géorgiques) est une façon de célébrer l’union de l’homme et du
cosmos : elle est conçue comme une célébration de la nature, de l’amour, de la mort. Certains
sujets sont donc considérés comme a priori poétiques …
Beaucoup plus tard le poète romantique Shelley voit la poésie comme un écho à la beauté
environnante : « La poésie immortalise tout ce qu’il y a de meilleur et de plus beau dans le
monde ».
1-La poésie comme célébration du monde dont le poète se fait « l’arpenteur » : la beauté
du texte poétique est liée à la beauté de la nature dont l’auteur s’inspire
Qu’il s’agisse du monde réel : Cendrars, « Pâques à New York », Supervielle « Le matin du
monde »
Leconte de Lisle : « Le jaguar », « Le rêve du jaguar » exaltation de l’animal par des termes
choisis, des images rares. Image d’une beauté immuable, « froide » telle que la souhaitent les
membres du Parnasse.
Qu’il s’agisse d’un monde imaginaire : « L’invitation au voyage », Baudelaire
Poèmes d’amour : Desnos, Corps et bien : « J’ai tant rêvé de toi » : hommage à Yvonne
Georges : Eluard, « La courbe de tes yeux » : il y célèbre son épouse Gala
Dans « Notre vie » Eluard exprime la persistance du sentiment amoureux et le souvenir que
laisse la femme aimée par-delà la mort à travers et particulièrement celle du « masque de
neige sur la terre et sous la terre »
dans « La maison d’Hélène », René Guy Cadou peint une maison merveilleuse peuplée
d’oiseaux où « un arbre vient brouter les vitres » où la lumière disperse « son mimosa ».
L’expression du sentiment amoureux transforme l’espace qui devient merveilleux.
Exaltation de la femme rêvée « Mon rêve familier », Verlaine
Le sentiment de la beauté du texte peut naître également des valeurs qu’il exalte
C’est le cas notamment dans la poésie épique : voir « L’Expiation » d’Hugo : peinture de
l’héroïsme des hommes lors de la retraite de Russie
« Liberté » de Paul Eluard : poésie de la Résistance ; défense des valeurs dans un poème
tout entier construit sur l’anaphore
René Guy Cadou, « Les Fusillés de Chateaubriand » : hommage à l’héroïsme ordinaire des
résistants qui apparaissent « appuyés contre le ciel » et donc déjà promis à une sorte
d’apothéose
Mais le choix d’un sujet « poétique » ne suffit pas à assurer la qualité du texte poétique,
en garantir la beauté. Paradoxalement, en apparence, la beauté du texte peut naître de
la confrontation du poète avec on contraire : la laideur. Le poète apparaît donc comme
une sorte d’alchimiste capable d’opérer une transfiguration radicale.
D’une certaine façon, le poète aurait peut-être moins de mérite à se faire simplement l’écho de
la beauté du monde
Cocteau dans Le Rappel à l’ordre rappelle que la tâche du poète est d’enchanter les
éléments ordinaires du monde qui nous entoure et que « nos sens enregistraient
machinalement ». Le poète doit donc réenchanter le monde.
Rilke, Lettre à un jeune poète : « Fuyez les grands sujets pour ceux que votre quotidien
vous offre. (…) Pour le créateur, rien n’est pauvre, il n’est pas de lieux pauvres, indifférents »
Réda : « La bicyclette »
Le texte poétique ne se fige pas sur la beauté immédiate, apparente mais il est capable de
débusquer la beauté où elle se cache.
2- Le poète peut s’intéresser à la « laideur » du monde et des hommes , peut
chercher à la dénoncer ou à la réhabiliter
Chassignet « Mortel pense quel est dessous la couverture » : memento mori Baudelaire
« Une charogne » : memento mori
avec un désir de dénoncer : Agrippa d’Aubigné, les Tragiques peinture des horreurs des
guerres de religion ; Aragon Le Roman inachevé, « La mort et ce qui s’ensuivit » La mort est
évoquée aussi dans toute son horreur concrète, , détruit les corps. Aragon montre les
blessures horribles qu’il a vues en tant que médecin sur le front : « les
gangrènes », « le cœur à nu » du jeune homme, le corps « coupé par le travers en deux » du
vieux joueur, le Légionnaire « sans visage et sans yeux » ; il peint les cadavres en
décomposition ne nous est pas épargnée au vers 8 (« Au long pourrissement des entonnoirs
noyés »).
Chez Victor Hugo dans « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie», on voit que l’éloge paradoxal
prend un aspect symbolique. Les deux « mal-aimées » auxquelles le poète voue ses louanges
sont en fait l’image des « gueux », des laissés pour compte qui peuplent la société. Voir
corrigé du commentaire.
On voit bien que le texte comporte des qualités poétiques en dépit du fait qu’il se consacre à
des thèmes qui n’ont rien de convenu.
voir le corpus : le texte d’Hugo ou de Lautréamont. Voir Rimbaud : texte du corpus, « Mes
petites amoureuses ».
Le but n’est évidemment pas de provoquer d’abord une émotion esthétique chez le lecteur,
mais d’interroger les préjugés, les idées reçues.
On est loin de la conception d’une beauté classique : le poète peut débusquer la beauté là où
l’œil ordinaire ne la voit pas. Voir le « baroque » qui exalte l’imperfection : le mot
« barocco » vient d’un terme de joaillerie portugais qui désigne un défaut dans une pierre
précieuse
Tout le projet des Fleurs consiste à extraire la beauté du Mal ; la beauté de la femme dans
« Sed non satiata » n’est pas incompatible avec son appétit pour la chair, insatiable ; de même
que dans le Spleen de Paris, la peinture de « La Belle Dorothée » qui fait l’objet d’un éloge
appuyé se clôt sur une révélation surprenante qui en fait une figure de prostituée.
Ainsi l’écart apparent entre la beauté du texte poétique et le sujet conduit à s’interroger sur la
vision qu’il entretient sur le monde et les choses. Le poète invite donc ainsi à reconsidérer ses
propres perceptions, ses propres jugements. En même temps, le texte poétique fait ainsi
clairement signe ; la valeur du texte poétique ne réside pas dans le sujet qu’elle explore…
III-La beauté du texte poétique tient à bien autre chose qu’au sujet dont il traite
Pour les auteurs classiques notamment la beauté du texte poétique ne naît pas du sujet
mais du respect de codes, de règles :
-cf.les règles telles que Malherbe contribue à les fixer : alternance des rimes féminines et
masculines, hiatus proscrit, coïncidence entre le mètre et la syntaxe. ( mais là encore et la
poésie moderne montrera que la poésie peut se trouver dans le vers libre, la prose, le vers
impair et non simplement dans un alexandrin parfaitement équilibré et interrompu par une
césure impeccablement marquée »
-de la même façon, Banville au XIXème siècle édicte des principes susceptibles d’aboutir à la
création d’un beau sonnet. Ainsi il définit le schéma des rimes du sonnet régulier, impose la
structure opposant quatrains et tercets, prône l’effet de surprise que doit susciter le dernier
vers.
Elle naît aussi de la façon dont on manie le « code » : c’est la définition de la « fonction
poétique » du langage selon les linguistes ( voir Jakobson)
Tel le chant du ramier quand l’averse est prochaine – L’air se poudre de pluie, de soleil revenant –, je m’éveille
lavé, je fonds en m’élevant ; je vendange le ciel novice.
Allongé contre toi, je meus ta liberté. Je suis un bloc de terre qui réclame sa fleur.
Est-il gorge menuisée plus radieuse que la tienne ? Demander c’est mourir !
L’aile de ton soupir met un duvet aux feuilles. Le trait de mon amour ferme ton fruit, le boit.
Je suis dans la grâce de ton visage que mes ténèbres couvrent de joie.
Comme il est beau ton cri qui me donne ton silence !
In Les Matinaux, La Parole en archipel, © La Pléiade, p.372
-la musicalité : Verlaine « les sanglots longs » ; Baudelaire « ¨Parfum exotique » : jeu
d’assonances et d’allitérations dans la dernière strophe et jeu sur les synesthésies
Mallarmé, « Sonnet en yx » : rédaction du poème sur une vingtaine d’années ; travail sur
le langage avec la volonté d’écrire un poème « sur rien » : Mallarmé invente des mots, crée
des rimes rares et cherche la puissance évocatoire du langage.
Hugo « La nuit du 4 » peinture pathétique d’un enfant innocent victime du coup d’état de
Napoléon III ; le discours de la grand-mère désemparée met en valeur l’innocence de l’enfant.
La surprise créée par la poésie surréaliste. Breton « La beauté sera convulsive ou ne sera
pas ». revendication de l’effet de surprise déjà envisagé par Lautréamont dans la juxtaposition
sur « la table de dissection » su « parapluie » et de la « machine à coudre »
Dans « Union libre » évoqué en I la beauté du poème vient des images étranges,
inattendues :elle a « la langue d'ambre et de verre frottés » ou des doigts de « foin coupé »
mélangeant les sensations les plus diverses et les plus étonnantes
3-Elle naît peut-être aussi de la vérité qu’elle semble approcher, d’un autre monde vers
lequel elle ouvre
poésie originairement liée au sacré : voir Orphée reçoit sa lyre d’Apollon et son
inspiration des dieux
Jaccottet : quête simple et volonté de préserver les souvenirs, les joies, tout ce que le temps
met à mal
Conclusion :
Quoique les surréalistes aient voulu que la poésie soit faite par tous, il est incontestable que le
choix d’un sujet a priori poétique ne suffira pas à nous transformer en poète. Le poète est au
contraire celui qui est capable de faire feu de tout bois, peu importe le thème qu’il aborde. Il
se caractérise d’abord par une vision singulière et il est capable de voir la beauté dans les
choses les plus inattendues ; il est aussi capable de transformer le « laid » en « beau » ; la
poésie affirme alors son pouvoir de subversion puisqu’elle est capable de changer
radicalement notre perception du monde. C’est la perspective de Tzara lorsqu’il imagine
Dada : « ... une oeuvre d’art n’est jamais belle par décret, objectivement, pour tous. La
critique est donc inutile, elle n’existe que subjectivement pour chacun et sans le moindre
caractère de généralité [...] que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif à
accomplir. Balayer, nettoyer. »
De la même façon et dans un autre domaine artistique les peintres du début du XXème siècle
ne cesseront d’interroger sur ce qui fait une œuvre d’art, et sur ce qui en certifie la beauté :
visages cubistes de Picasso, urinoir de Duchamp.