B Bonnefoy Vie Po C

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BACCALAURÉAT GÉNÉRAL

SESSION 2022

FRANÇAIS

ÉPREUVE ANTICIPÉE

CORRIGÉ

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Éléments de réponse

Commentaire

PRÉAMBULE

Ce document présente une lecture littéraire du texte proposé.

Son objectif est d’accompagner la réflexion des professeurs.

Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait produire.

A sa manière et à son niveau, un candidat de 1ère abordera sans doute et développera quelques-
uns de ces éléments. S’il proposait d’autres pistes d’interprétation, s’il adoptait un angle de lecture
que ce document ne présente pas, il conviendrait bien entendu de les examiner dans un esprit
d’ouverture et en toute bienveillance.

La commission d’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant :


- d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (un devoir organisé autour d’un projet
de lecture cohérent, rédigé dans une langue correcte ; une démarche interprétative étayée par des
analyses précises)
- d’autre part, tous les éléments qui pourraient valoriser, jusqu’à l’excellence, le travail du
candidat (la finesse et la pertinence des analyses et des interprétations ; un devoir qui mènerait
progressivement à une démonstration aboutie ; la mobilisation de connaissances personnelles au
service d’une lecture sensible du texte.)
*****
Le poème « Impressions, soleil couchant » s’inscrit par son titre et par la vision qu’il décrit dans une
lignée de créateurs qui ont cherché à traduire des impressions face à la puissance de la nature et
des paysages. On pense d’abord au tableau de Claude Monet Impressions, soleil levant mais le
titre du poème rappelle aussi les poèmes de Verlaine et peut-être plus encore de Victor Hugo
intitulés « Soleils couchants ». On valorisera les copies capables de mettre au jour les liens avec
cet héritage culturel. Les candidats sont invités à montrer dans leur devoir que la poésie de
Bonnefoy dans ce poème parvient à faire de son sujet, un ciel après l’orage, une véritable œuvre
d’art, lumineuse, musicale et mouvante.

 Le poème décrit un tableau apparu dans un ciel après un orage, à la tombée de la nuit.

 On pourra étudier la métaphore picturale qui se développe en particulier dans la première


strophe, celle de l’orage-peintre, décrit comme un artisan au travail (lexique de la composition :
« a bien travaillé », « Des figures […] sont assemblées »), ayant terminé son œuvre d’art (une
copie pourra étudier par exemple la valeur révolue du passé composé dans « l’orage a bien
travaillé »).
 La dimension très visuelle de cette première strophe qui décrit un ciel-tableau représentant
des figures dans une architecture (« un porche », « des marches »), qui se caractérise
également par une luminosité particulière qui tient du clair-obscur (les marches sont
« phosphorescentes », c’est-à-dire visibles dans la nuit, un « visage d’or » surgit parmi
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« d’autres sombres »), convoque chez le lecteur un imaginaire pictural, qui peut aller des
tableaux de la Renaissance italienne (de Piero della Francesca à Raphaël ou Michel-Ange) à
des œuvres plus contemporaines comme celles de Turner ou d’Alechinsky. L’image de « la
résurrection des morts » dans la deuxième strophe continue de faire appel à une iconographie
traditionnelle de l’histoire de l’art.
 Le poète apparaît comme l’observateur de ce tableau, ce dont témoigne l’utilisation des
présentatifs « Il y a » et « C’est ». Le lecteur peut d’ailleurs suivre la direction du regard du poète
grâce aux indications de lieu : ce sont d’abord les « figures de grande beauté assemblées /
Sous un proche à gauche du ciel » qui sont décrites ; après avoir observé le ciel, dans un
mouvement descendant, le regard poétique semble ensuite se porter vers la mer (« la crête des
vagues ») ; le mouvement se termine au sol par l’évocation d’une « flaque » dans la troisième
et dernière strophe. En outre, le poète semble charmé par l’œuvre ainsi créée (voir les
modalisateurs appréciatifs – l’adverbe « bien », l’expansion adjectivale du nom dans le
syntagme « de grande beauté » dans la première strophe).
 Une copie pourra également montrer que le tableau évolue au cours du poème, de la
figuration vers davantage d’abstraction. On pourra alors mettre en évidence le mouvement
progressif qui va des « figures » représentées, assemblées dans une architecture, vers un
tableau plus abstrait, la couleur devenant « autre couleur / Et autre chose que la couleur », et
puis « Rien qu’une masse rouge » au vers 19. La description est en définitive celle d’un paysage
réel : l’adverbe de temps « maintenant » et l’utilisation du présent d’énonciation au vers 18
marquent ce retour à la réalité, celle d’une disparition (« le ciel est presque vide »). Le
vocabulaire employé est concret, loin de la métaphore et de l’abstraction (« la nuée » est
devenue « le ciel » qui lui-même est devenu « une masse rouge qui se déplace » ; la symphonie
des orgues devient quant à elle un « drap d’oiseaux noirs, au nord, piaillant, la nuit »).

 Le tableau décrit s’anime et devient un spectacle à la fois visuel et sonore.

 On pourra décrire le caractère mouvant et vivant de ce ciel-tableau peuplé de figures


mobiles en étudiant en particulier le vers 5 : « Et il y a de l’agitation dans cette foule » et qui fait
alors figure de spectacle plus encore que de peinture.
 La représentation visuelle devient en effet sonore et musicale.
Dans une synesthésie surprenante, le tableau d’abord visuel produit des sons.
- Une copie pourra par exemple étudier le lexique sonore qui unit harmonieusement les
simples bruits et la musique (« Mais ces cris de surprise, presque ces chants, / Ces
musiques de fifres et ces rires »).
- Mais également le paradoxe synesthésique : les sons ne proviennent pas des figures mais
de leur forme (voir en particulier les deux conjonctions de coordination adversatives
« mais » et l’utilisation de la négation des vers 8 à 10).
Le texte d’Yves Bonnefoy semble reproduire par harmonie imitative les sons produits dans
la scène.
- On pourra ainsi mettre en évidence le travail poétique sur les sonorités (déjà annoncé au
vers 7 avec l’assonance « nombre » / « sombres »), en particulier dans les vers 8 et 9 avec
l’assonance en [i] qui imite le son aigu produit par les cris, les rires et les musiques de fifres.
- Il pourra également commenter le rythme musical des vers de Bonnefoy, en étudiant en
particulier celui des vers 11 et 12 produit par l’utilisation de cinq verbes pronominaux dont
la construction crée des jeux d’échos et de répétitions. De la même manière, on pourra
commenter la répétition de certains mots aux vers 13 et 14 (« couleur » X3 et « autre » X2).

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 Finalement, le spectateur de la scène semble se trouver devant un spectacle « sons et
lumières » à l’atmosphère étrange. Les formes sont mouvantes et se métamorphosent
progressivement pour disparaître dans un son. On pourra alors montrer la progression dans la
série de verbes pronominaux (d’un sens concret vers davantage d’abstraction), pour enfin
montrer la métamorphose étrange et mystérieuse d’une forme en son au vers 15 : la couleur
devient « autre chose que la couleur […] Des bribes de grandes orgues dans la nuée ».

 Le poème traduit en fait la puissance créatrice de la poésie, capable de produire un monde


et de le faire disparaître en quelques vers.

 Une copie pourra étudier la capacité du poète démiurge à créer un monde à la fois
mystérieux et inquiétant dans lequel les figures représentées, grâce aux images et aux
synesthésies, s’animent et se métamorphosent en musique et en sons, avant de finalement
disparaître. Une copie pourra notamment être sensible à l’aspect inquiétant de la fin de la
deuxième strophe : le « drap d’oiseaux noirs, piaillant, la nuit » installe une atmosphère sombre
et inquiétante, voire macabre si l’on voit dans la métaphore du drap l’image d’un linceul noir qui
se déploierait sur le monde avec l’arrivée de la nuit.
 La forme courte du poème traduit finalement la fugacité des « impressions » esthétiques
dont le poète fait part, spectacle qu’on imagine rapide mais dont la puissance est décuplée
par l’écriture poétique. Ainsi, la deuxième phrase de la deuxième strophe marque la disparition
progressive du spectacle avec l’arrivée de la nuit. L’apparition a disparu, mais il demeure
quelques restes de sa beauté dans des derniers feux avant l’oubli. Le caractère sporadique de
ces restes est d’ailleurs rendu sensible par l’utilisation d’un vers très court (« Ici ou là ») et par
la construction averbale de la phrase composant la dernière strophe. La métaphore est quant à
elle réduite à sa plus simple expression dans ces trois vers, elle est presque implicite et requiert
un travail de recomposition pour comprendre que se reflètent dans quelques flaques éparses
les derniers feux du spectacle apparu et sitôt envolé par la tombée de la nuit.
 Le lexique employé est celui de la destruction comme en témoignent les expansions nominales
« trouée » et « en cendres », mais les derniers restes font fusionner les contraires, le feu
semblant survivre à l’élément aqueux des flaques, rendant toute sa magie à la beauté du
spectacle et traduisant ainsi la puissance créatrice de la poésie.

On valorisera :
- Une copie capable de développer des références explicites à des œuvres picturales ou
poétiques dont le poème de Bonnefoy est héritier.
- Une copie capable de mettre avec pertinence les analyses poétiques au service de
l’interprétation du texte.
Et plus généralement :

 les plans qui proposent une complexification progressive dans les niveaux de lecture ;
 la finesse des analyses et la pertinence des interprétations ;
 une langue fine et sensible à la dimension littéraire de l’exercice.

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On pénalisera :

 les contresens manifestes ;


 la juxtaposition de remarques ;
 la simple paraphrase et l'absence d'analyses littéraires et stylistiques, ou la simple
compilation de remarques stylistiques ne construisant aucune interprétation ;
 une langue mal maîtrisée.

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Éléments de réponse

Dissertation

PRÉAMBULE

En réponse au sujet proposé, ce document présente un ensemble d’éléments et d’analyses,


dans un développement organisé.

Son objectif est d’accompagner la réflexion des professeurs, qui auront pu choisir d’étudier
avec leurs élèves une autre œuvre du programme.

Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait produire.

A sa manière et à son niveau, un candidat de 1ère abordera sans doute et développera quelques-
uns de ces éléments.
La commission d’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant :
- d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (une réflexion organisée et rédigée
dans une langue correcte, en réponse à la question posée, fondée sur la connaissance de l’œuvre
éclairée par le parcours associé).
- d’autre part, tous les éléments qui pourraient valoriser, jusqu’à l’excellence, le travail du
candidat (une finesse d’analyse ; une réflexion particulièrement nuancée ; la mobilisation pertinente
d’une culture littéraire solide).

[Entre crochets figurent quelques références et analyses témoignant d’un travail qui aurait
pu être conduit en classe dans le cadre du parcours associé. Par définition, ces exemples
précis ne peuvent évidemment être considérés comme attendus ; ils cherchent seulement à
illustrer l’un des ressorts de l’exercice : la réponse au sujet de dissertation s’enrichit bien du
travail connexe qui aura été mené autour de l’œuvre inscrite au programme, notamment dans
le cadre du parcours associé.]

Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle


Sujet A
Œuvre : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves
Parcours : individu, morale et société.

D’après votre lecture de La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette cherche-t-elle à nous


délivrer de l’aveuglement des passions ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur La
Princesse de Clèves, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé,
et sur votre culture personnelle.

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Le sujet met en question l’intention de l’auteur. Mme de La Fayette, attachée aux idéaux
classiques et proche des jansénistes, avait à l’évidence le projet d’écrire un ouvrage d’édification
morale. Mais il nous appartient de nous demander s’il consiste à « délivrer de l’aveuglement des
passions ». Cet objectif ambitieux semble en effet insurmontable.
Dans La Princesse de Clèves, les passions sont blâmées, le lecteur y découvre comme elles
obscurcissent le jugement au point de condamner ceux qui en sont victimes ; le personnage
principal lutte et ne parvient à atténuer ses sentiments que par un isolement absolu. Nous pourrions
ainsi nous demander si le lecteur peut égaler, voire dépasser le modèle des « exemples de vertu
inimitables » laissées par la vie de la princesse de Clèves, et si l’auteur nous donne la clé de ce qui
permettrait la victoire de la morale contre les passions.

 Le roman, inscrit dans les idéaux du Grand Siècle, a bien entendu un but d’édification
morale.
 La Princesse de Clèves met en avant les dangers des intrigues et l’aveuglement
des passions.
L’intrigue principale en elle-même montre l’exemple de la force de destruction de la passion,
non seulement celle de la princesse de Clèves pour le duc de Nemours, qui la condamne à se retirer
de la cour, mais aussi celle de M. de Clèves pour sa femme, qui entraîne sa propre mort. Les récits
enchâssés offrent bien d’autres exemples, d’un pouvoir de conviction supérieur, parce ce qu’ils sont
historiques. Ainsi, le lecteur ne manque pas d’être scandalisé par la trahison de la duchesse
d’Etampes qui, envieuse, s’associe à Charles Quint pour s’assurer un avenir à la mort de
François Ier. De même l’histoire de l’Angleterre et des épouses successives d’Henri VIII s’apparente
à un conte horrifiant : « le roi en fut frappé d’une telle jalousie, qu’il quitta brusquement le spectacle,
s’en vint à Londres, et laissa ordre d’arrêter la reine, le vicomte de Rochefort et plusieurs autres […]
En moins de trois semaines, il fit faire le procès à cette reine et à son frère, leur fit couper la tête, et
épousa Jeanne Seimer. Il eut ensuite plusieurs femmes, qu’il répudia, ou qu’il fit mourir ». Ces
exemples des vices les plus sérieux font comprendre au lecteur comment la passion peut guider les
hommes et les mener à l’avilissement.
[On pourra par exemple faire référence à d’autres œuvres qui peignent les dangers de la passion
comme La Princesse de Montpensier, de madame de La Fayette].

 Mlle de Chartres : fragilité de la vertu, même lorsqu’elle est exemplaire.


Au début du roman, Mme de La Fayette nous propose un parangon de vertu, Mlle de
Chartres. Lors de son introduction dans le monde, tous les membres de la cour sont frappés par sa
conduite et l’admirent pour son extraordinaire modestie. L’auteur nous permet de saisir l’éclat de la
vertu inviolée ; la vie du jeune personnage, exempte de toute passion, provoque des louanges
unanimes. En effet, avant sa rencontre avec le duc de Nemours, Mlle de Chartres connaît une
tranquillité parfaite, et ce, même après son mariage, puisqu’elle n’aime pas le prince de Clèves. Le
mariage n’a donc aucun pouvoir sur la passion. Il ne garantit pas que l’amour naisse puisque « M.de
Clèves ne trouva pas que mademoiselle de Chartres eût changé de sentiment en changeant de
nom. ». Il ne garantit pas non plus de protection contre l’inconstance, comme on peut le lire dans la
dernière partie lorsque la princesse envisage une union avec le duc : « La fin de l’amour de ce
prince, et les maux de la jalousie, qu’elle croyait infaillibles dans un mariage, lui montraient un
malheur certain où elle s’allait jeter ». L’auteur semble ici confirmer ce que la carte de Tendre nous
peint : que l’inclination soit naturelle, qu’elle repose sur l’estime ou la reconnaissance, elle mène
irrémédiablement dans une mer dangereuse. Le mariage n’apporte aucune protection.

 Le roman souligne les difficultés d’une lutte contre les passions.


 L’œuvre de Mme de La Fayette est un roman d’analyse qui offre le spectacle
d’une lutte de la passion et de la raison.

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Le personnage principal est dans une lutte perpétuelle depuis que son regard a croisé celui
du duc de Nemours lors du bal. Nombreuses sont les épreuves de Mme de Clèves qui cherche non
seulement à se délivrer de ses sentiments, mais aussi, à défaut d’y parvenir, à les dissimuler. Lors
de l’épisode du portrait, elle fait face à un dilemme qui la ronge et ne réussit à décider s’il est
préférable d’accuser publiquement le duc de Nemours de vol ou s’il convient mieux de faire
semblant de n’avoir rien vu ; dans le premier cas elle dévoile qu’il l’aime, dans le second elle se
rend complice du séducteur. De même, lorsqu’il chute de cheval, elle cherche désespérément à
cacher son trouble. Mais, chaque fois, le duc la démasque ; tel un personnage de tragédie, elle ne
peut échapper à la fureur de la passion, et souffre de ne pouvoir se maîtriser. Il nous semble ainsi
que la vertu est impuissante et qu’il est impossible de l’emporter contre la passion.
[On pourra par exemple faire référence à des dilemmes de tragédie classique : Bérénice de Racine
par exemple]

 Se délivrer de la passion ne semble possible que dans une vie retirée et austère,
à l’abri du regard.
Dans le roman, la véritable passion s’achève toujours dans le malheur ou dans la mort. Et la
vertu ne délivre pas de ce dénouement inéluctable. L’exemple du chevalier de Guise, dont le
comportement est exemplaire, nous le montre. Alors qu’il avait accepté que la princesse ne
l’aimerait jamais car il la croyait incapable de toute passion, il ne supporte pas qu’elle puisse
éprouver des sentiments pour le duc et décide alors de partir : « La mort, ou du moins un
éloignement éternel, m’ôteront d’un lieu où je ne puis plus vivre, puisque je viens de perdre la triste
consolation de croire que tous ceux qui osent vous regarder sont aussi malheureux que moi. ». Le
verbe « regarder » est ici essentiel : la passion communique par le regard, c’est ainsi qu’elle
aveugle. Nous pourrions aussi développer l’exemple de la jalousie mortelle du prince provoquée
par le récit de ce qu’un espion a vu, ou plutôt de ce que le prince croit qu’il a vu. Le roman nous
peint donc ici la faillite de la raison, trompée par les sens. Le seul moyen de trouver le repos serait
donc l’isolement, ce que confirme l’excipit. Puisque la passion pousse la princesse dans une
situation tragique, il ne lui reste plus qu’à renoncer au duc et au monde : « Ayant trouvé que son
devoir et son repos s’opposaient au penchant qu’elle avait d’être à lui, les autres choses du monde
lui avaient paru si indifférentes qu’elle y avait renoncé pour jamais ; qu’elle ne pensait plus qu’à
celles de l’autre vie ». L’auteur semble soutenir l’idée que le refuge de la princesse, un des «
couvents les plus austères », la protège. Cette retraite comparable à celle de Port-Royal est-elle la
seule solution proposée au lecteur ?

 Les difficultés racontées dans le roman sont une véritable expérience pour le lecteur.
 Le roman propose une mise en abyme : les récits malheureux encouragent une
conduite vertueuse.
Le roman laisse l’espoir qu’une bonne éducation protège des pires dangers. En effet, on ne
peut manquer de comparer le projet de Mme de La Fayette à celui de Mme de Chartres ; elle raconte
à sa fille ce que l’amour a d’agréable et ce qu’il a d’horrible, lui montre ce qu’est la vertu et la lui
rend agréable, « mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que
par une extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire
le bonheur d’une femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée. ». La Princesse de Clèves
nous impose un constat similaire. Les récits maternels ne protègent pas le personnage de sa
passion malheureuse mais ils la mettent en garde et lui permettent de conserver sa vertu jusqu’à la
fin.

 L’effet cathartique : le lecteur partage le malheur et les souffrances de la


princesse.
L’auteur semble penser que l’expérience de la lecture peut avoir un effet cathartique.
L’illusion romanesque nous permet d’éprouver des sentiments avec plus de clarté que dans nos
propres vies comme le disait Proust dans Du Côté de chez Swann : « une fois que le romancier

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nous a mis dans cet état, où comme dans tous les états purement intérieurs toute émotion est
décuplée, où son livre va nous troubler à la façon d’un rêve […] alors, voici qu’il déchaîne en nous
pendant une heure tous les bonheurs et tous les malheurs possibles dont nous mettrions dans la
vie des années à connaître quelques-uns, et dont les plus intenses ne nous seraient jamais
révélés ». Madame de La Fayette semble croire, de même, que l’illusion met en garde mieux que
la vie, comme le révèle l’épisode de la lettre. Alors que la princesse sait que le duc de Nemours
n’est pas le véritable destinataire du courrier trouvé, la lettre a tout de même fait son effet et ne
cesse de « lui donner des impressions de défiance et de jalousie qu’elle n’avait jamais eues ». La
lecture pourrait ainsi armer le lecteur contre les dangers vécus par le personnage.

 Le roman nous met en garde mais propose-t-il une solution applicable ?


 Le lecteur aura conscience de l’aveuglement inexorable des passions, il lui
appartient de ne pas commettre les erreurs commises dans le roman.
Le roman nous apprend que les passions aveuglent et que la raison ne peut pas nous en
délivrer. En effet les introspections de la princesse sont faussées par sa passion, comme le souligne
parfois le narrateur : « il lui semblait que ce qui faisait l’aigreur de cette affliction était ce qui s’était
passé dans cette journée, […] mais elle se trompait elle-même ». Le personnage va jusqu’à admirer
le comportement de Mme de Martigues qui se venge de manière sadique ; elle lit dans sa lettre une
maîtrise de la passion sans comprendre que c’est sa passion qui la pousse à agir d’une manière
aussi déterminée et immorale. Le lecteur comprend donc que l’on ne peut se reposer sur soi-même
et sur sa raison pour se délivrer de la passion. D’autres moralistes, comme La Bruyère, soutiennent
la même idée : « Vouloir oublier quelqu’un, c’est y penser. L’amour a cela de commun avec les
scrupules, qu’il s’aigrit par les réflexions et les retours que l’on fait pour s’en délivrer. Il faut, s’il se
peut, ne point songer sa passion pour l’affaiblir. » (Les Caractères, IV, 38). La raison n’est donc pas
la solution contre la passion.
[On pourra par exemple faire référence à d’autres moralistes.]

 Mme de La Fayette nous permet de comprendre le rôle essentiel d’un confident


vertueux.
La seule solution semble alors de pouvoir compter sur un confident qui puisse nous soutenir
dans notre lutte. L’erreur de la princesse a été de choisir son mari pour confident, alors qu’il est lui-
même passionné et ne peut que souffrir de l’aveu qu’elle lui fait. On voit que le rôle qu’il a joué
auprès de Sancerre était plus heureux puisqu’il lui dit « de presser la conclusion de son mariage, et
qu’il n’y avait rien qu’il ne dût craindre d’une femme qui avait l’artifice de soutenir, aux yeux du
public, un personnage si éloigné de la vérité. ». Ainsi, un confident qui n’est pas impliqué
émotionnellement peut nous aider, si on l’écoute. Le rôle de la mère semble être ici essentiel en ce
qu’il apaise la princesse : « Elle se trouva plus tranquille sur M. de Nemours qu’elle n’avait été : tout
ce que lui avait dit madame de Chartres en mourant, et la douleur de sa mort, avaient fait une
suspension à ses sentiments, qui lui faisait croire qu’ils étaient entièrement effacés. ». On comprend
alors, grâce au roman, qu’un confesseur impartial est le seul qui puisse nous délivrer de
l’aveuglement des passions, à défaut de nous délivrer des passions elles-mêmes.

On valorisera :

 Les copies qui mobiliseront la notion de catharsis.


 Les copies qui auront perçu la mise en abyme ou auront fait un rapprochement entre le rôle
de Mme de Chartres et celui de Mme de La Fayette.

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Et plus généralement :
 toute copie manifestant une finesse d’analyse, une réflexion particulièrement nuancée, la
mobilisation pertinente d’une culture littéraire solide.

On pénalisera :
 Toute copie qui témoignerait d’une connaissance fragile et superficielle de l’œuvre.
 Toute copie qui se limiterait au résumé ou à la narration.
 Une langue mal maîtrisée.

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Éléments de réponse

Dissertation

PRÉAMBULE

En réponse au sujet proposé, ce document présente un ensemble d’éléments et d’analyses,


dans un développement organisé.

Son objectif est d’accompagner la réflexion des professeurs, qui auront pu choisir d’étudier
avec leurs élèves une autre œuvre du programme.

Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait produire.

A sa manière et à son niveau, un candidat de 1 ère abordera sans doute et développera quelques-
uns de ces éléments.
La commission d’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant :
- d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (une réflexion organisée et rédigée
dans une langue correcte, en réponse à la question posée, fondée sur la connaissance de l’œuvre
éclairée par le parcours associé).
- d’autre part, tous les éléments qui pourraient valoriser, jusqu’à l’excellence, le travail du
candidat (une finesse d’analyse ; une réflexion particulièrement nuancée ; la mobilisation pertinente
d’une culture littéraire solide).

[Entre crochets figurent quelques références et analyses témoignant d’un travail qui aurait
pu être conduit en classe dans le cadre du parcours associé. Par définition, ces exemples
précis ne peuvent évidemment être considérés comme attendus ; ils cherchent seulement à
illustrer l’un des ressorts de l’exercice : la réponse au sujet de dissertation s’enrichit bien du
travail connexe qui aura été mené autour de l’œuvre inscrite au programme, notamment dans
le cadre du parcours associé.]

Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Sujet B

Œuvre : Stendhal, Le Rouge et le noir


Parcours : le personnage de roman, esthétiques et valeurs.

Diriez-vous de Julien Sorel qu’il est un personnage exemplaire ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur Le
Rouge et le noir, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et
sur votre culture personnelle.

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Selon le Trésor de la langue française, est « exemplaire » celui ou celle « qui peut être cité
en exemple, en modèle à imiter ». Cet adjectif convient-il pour qualifier Julien Sorel ? Ce « petit
jeune homme de dix-neuf ans », fils d’un bûcheron, mû par un fort désir de revanche sociale, est le
personnage du Rouge et le Noir qui suscite le plus de réactions diverses, de jugements contrastés,
de la part d’un très grand nombre de personnages du roman – mais aussi de la part des lecteurs.
Tantôt qualifié de « profondément égoïste », de « méchant »1, tantôt jugé « lucide et courageux »2,
Julien Sorel ne suscite jamais l’indifférence.
Plusieurs démarches sont envisageables pour traiter le sujet : l’élève peut s’intéresser aux
aspects qui font de Julien Sorel un personnage peu recommandable, de peu de valeurs, nullement
« exemplaire » : son ambition sans vergogne, son hypocrisie. Il peut également mettre en avant la
complexité du héros stendhalien et interroger son exemplarité.

 Julien Sorel est loin d’être exemplaire : il figure d’abord comme un « jeune ambitieux », sans
valeurs ni morale.
 Julien, un conquérant orgueilleux. Avec Julien Sorel, Stendhal choisit un héros dont les valeurs
sont contestables et qui est finalement fort peu sympathique. Enfant battu, humilié et offensé,
façonné par un milieu extrêmement hostile, « le fils du charpentier » désire prendre sa revanche sur
la société et devient pour cela un ambitieux qui ruse, calcule ses investissements affectifs et
intellectuels. Faute de batailles glorieuses et d’habit rouge napoléonien, il endosse l’habit noir du
séminariste, sans en avoir la vocation, loin s’en faut. Pour lui, la vie est un combat de chaque
instant : tout est quête, et conquête. Il entreprend de séduire Mme de Rênal par orgueil, par désir
de revanche sociale ; même s’il finit par l’aimer vraiment, l’amour pour lui reste une passion
secondaire, et c’est avec enthousiasme qu’il saisit l’opportunité de monter à Paris.
 Julien, un « Tartuffe ». Pour réussir à s’élever dans la société, Julien endosse un rôle : celui de
l’hypocrite. Tout au long du roman, il va parfaire ce rôle. Le narrateur exhibe à plusieurs reprises
cette hypocrisie du personnage, qui sans cesse travaille son corps et son esprit et s’évertue à jouer
son rôle de jeune prêtre dévot. On pourra prendre pour exemple les nombreuses scènes où Julien
épate son public en récitant par cœur des pages de la Bible, en latin. À plusieurs reprises Julien
ment (par exemple lorsqu’il calomnie Élisa pour sauver sa réputation). Devenu secrétaire du
marquis de La Mole, il se laisse acheter par des « cadeaux », et va jusqu’à trahir sa classe d’origine
quand il accepte de présenter au marquis le nouveau baron de Valenod. Son histoire d’amour avec
Mathilde trouve parfaitement sa place dans le tableau de chasse de l’ambitieux. À travers Julien,
c’est l’odieuse vérité de l’ambition que Stendhal donne à voir.
[On pourra, par exemple, faire référence à d’autres figures de « jeunes ambitieux » de la
littérature réaliste et naturaliste du XIXe siècle : Rastignac chez Balzac, le Bel - Ami de
Maupassant.]

 Mais Julien Sorel est un personnage plus complexe qu’il n’y paraît et accède finalement à
une forme d’exemplarité.
 Un jeune homme énergique et lucide. Si Julien endosse le rôle de l’hypocrite, c’est que la société
dans laquelle il vit ne lui en laisse pas le choix. Il n’a qu’une solution pour cheminer dans le monde :
faire preuve d’audace et d’héroïsme. Julien est avant tout un homme d’action, qui se montre capable

1 Termes employés par Jules Janin, dans un article du Journal des Débats paru en décembre 1830.
2 Grahame C. Jones, L’ironie dans les romans de Stendhal, Lausanne, éditions du Grand chêne, 1966.
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de saisir les occasions qui se présentent à lui. Il se distingue par son intelligence et par le regard
lucide qu’il porte sur la société, par ses talents d’observateur. Ainsi, Julien comprend très vite les
avantages qu’il peut tirer de la rivalité entre M. de Rênal et Valenod : se jouant de la philautie du
maire de Verrière, il parvient à obtenir « cinquante francs d’appointement par mois ». Conscient du
rôle qu’il joue dans la comédie sociale, il ressent toutefois une indignation sincère face aux
bassesses et aux injustices dont il est le témoin. Il doit se réfréner pour ne pas montrer son dégoût
lors du dîner chez Valenod (1ère partie, chapitre 22), durant lequel on empêche les pauvres de
chanter afin de laisser les bourgeois manger en paix. Ce n’est que lorsqu’il se trouve hors du monde
que Julien peut être véritablement lui-même, comme lors du voyage qui le conduit chez son ami
Fouqué (1ère partie, chapitres 11 et 12) ; à l’abri des regards, il connaît dans une « petite grotte »
« au sommet de la grande montagne » un rare moment d’authentique bonheur.
[On pourra, par exemple, faire référence à Octave Mouret, le héros du Bonheur des Dames
de Zola : son intelligence vive et pratique lui ouvre le chemin de la fortune.]
 Un héros sublime ? Cerner la trajectoire de Julien, qui se révèle un héros plus amoureux
qu’ambitieux, plus maladroit que calculateur, n’est pas chose simple, et lire Le Rouge et le Noir,
c’est aussi faire l’expérience de l’opacité du héros. S’il gravit peu à peu les échelles de la société et
se montre un hypocrite de plus en plus accompli, Julien conserve toutefois une vraie noblesse de
cœur, qui reprendra le dessus à la fin du roman. Ainsi, son ascension finit par se réaliser de manière
extrêmement paradoxale : c’est en tirant sur Mme de Rênal que Julien choisit la verticalité plutôt
que la simple ambition. À partir de là, on pourrait dire que son destin « bascule ». Le Julien qui tire
sur Mme de Rênal est un homme qui met d’autres valeurs (une certaine morale, les rêves, le devoir,
l’honneur, le bonheur, la liberté, la vérité) au-dessus de la réussite et de la reconnaissance sociales.
La prison est pour lui le lieu d’une purification. Son procès constitue une étape décisive dans la
reconquête de soi qu’il entreprend à la fin du roman. Julien prend la parole et improvise un discours
d’une grande sincérité, à travers lequel il ne cherche pas à excuser son « crime », mais à dénoncer
une société fondée sur l’injustice de classes. Le propos de Julien apparaît ainsi comme un plaidoyer
en faveur des jeunes gens défavorisés par leur naissance, dont il se présente comme un
« exemple » ; sa portée politique est manifeste. Julien accède ici à une forme de sublime, devenant
un modèle pour sa génération et celles à venir.
[On pourra, par exemple, faire référence à d’autres récits qui développent cette fatalité de
l’ambition, comme Z. Marcas de Balzac.]

On valorisera :
 Toute copie sensible à l’exemplarité littéraire du personnage de Julien Sorel.
Stendhal invente un personnage romanesque d’un nouveau genre, tiré directement de la société
telle qu’elle était lors de la Restauration. Il s’est probablement inspiré des affaires Berthet et
Lafargue pour créer Julien, en proie comme les deux criminels à la frustration sociale et au désir de
revanche. Le Rouge et le Noir figure comme le premier roman « réaliste », avant même la naissance
officielle de ce courant en 1850.
Stendhal révolutionne également la conception que l’on se faisait jusque-là du « héros »
romanesque. Grâce à Julien Sorel, Le Rouge et le Noir nous amène à nous interroger sur l’énigme
du moi qui se construit au fil des pages. C’est cette complexité qui fait tout l’intérêt du personnage
de Julien et qui lui confère, d’un point de vue esthétique cette fois-ci, une dimension exemplaire : il
peut figurer comme le premier anti-héros.

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 Tout approfondissement de la réflexion sur le rapport qu’entretient Julien avec la légende
napoléonienne. Le jeune homme représente une génération en proie au « mal du siècle », déçue
par la Restauration.

Et plus généralement :
 Toute copie manifestant une finesse d’analyse, une réflexion particulièrement nuancée, la
mobilisation pertinente d’une culture littéraire solide.

On pénalisera :
 Toute copie qui témoignerait d’une connaissance fragile et superficielle de l’œuvre.
 Toute copie qui se limiterait au résumé ou à la narration.
 Une langue mal maîtrisée.

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Éléments de réponse

Dissertation

PRÉAMBULE

En réponse au sujet proposé, ce document présente un ensemble d’éléments et d’analyses,


dans un développement organisé.

Son objectif est d’accompagner la réflexion des professeurs, qui auront pu choisir d’étudier
avec leurs élèves une autre œuvre du programme.

Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait produire.

A sa manière et à son niveau, un candidat de 1 ère abordera sans doute et développera quelques-
uns de ces éléments.
La commission d’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant :
- d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (une réflexion organisée et rédigée
dans une langue correcte, en réponse à la question posée, fondée sur la connaissance de l’œuvre
éclairée par le parcours associé).
- d’autre part, tous les éléments qui pourraient valoriser, jusqu’à l’excellence, le travail du
candidat (une finesse d’analyse ; une réflexion particulièrement nuancée ; la mobilisation pertinente
d’une culture littéraire solide).

[Entre crochets figurent quelques références et analyses témoignant d’un travail qui aurait
pu être conduit en classe dans le cadre du parcours associé. Par définition, ces exemples
précis ne peuvent évidemment être considérés comme attendus ; ils cherchent seulement à
illustrer l’un des ressorts de l’exercice : la réponse au sujet de dissertation s’enrichit bien du
travail connexe qui aura été mené autour de l’œuvre inscrite au programme, notamment dans
le cadre du parcours associé.]

Objet d'étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Sujet C
Œuvre : Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien
Parcours : soi-même comme un autre.

Commentant l’œuvre de Marguerite Yourcenar, un critique a écrit : « Hadrien ne se contente


pas de raconter sa vie ; il veut la penser ».
Qu’en pensez-vous ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur
Mémoires d’Hadrien, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé,
et sur votre culture personnelle.
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La citation est empruntée à un article de Stéphane Chaudier : « Yourcenar, une poétique de
l’intellectualité ». L’intitulé du sujet invite à s’interroger sur la finalité du projet que mènent le
personnage d’Hadrien écrivant ses mémoires, et Marguerite Yourcenar écrivant un roman sous
forme de mémoires. Stéphane Chaudier considère que ses mémoires constituent pour Hadrien un
défi stimulant, celui de donner un sens, et, partant, du sens, à une vie déjà accomplie mais encore
informe : l’intérêt de Mémoires d’Hadrien ne tiendrait pas tant au récit rétrospectif qui se déroule
sous les yeux du lecteur qu’à la (re)construction de cette vie dont Marguerite Yourcenar fait
d’Hadrien le maître. Le roman jouant sur une double distance créatrice (Marguerite Yourcenar
reconstituant à la première personne la vie d’un empereur qui dit la raconter), le sujet incite à
questionner le projet même de l’œuvre, qu’éclaire l’intitulé du parcours associé : « Soi-même
comme un autre ». La formulation de la question doit conduire le candidat à s’interroger sur ce qui
est à l’œuvre dans Mémoires d’Hadrien, et se demander si ces mémoires ne se révèlent pas surtout
le roman d’une vie où Hadrien, substitut de Marguerite Yourcenar, endosse le statut d’écrivain.
Plusieurs démarches sont envisageables pour aborder le sujet : le candidat peut s’interroger sur les
figures du mémorialiste et du «je » telles que Marguerite Yourcenar les met en scène. Il peut aussi
s’intéresser à la poétique de l’œuvre, en réfléchissant à sa composition et à son organisation.

Pistes de réflexion
- Écrire ses mémoires constitue le moyen d’accéder à la « vérité » (p.29) d’un homme
par l’Histoire.
Au moment où l’empereur se lance dans l’écriture de sa lettre testament à Marc-Aurèle, dans
laquelle il ambitionne de ne rien cacher, il existe déjà une autobiographie d’Hadrien : « j’ai
composé l’an dernier un compte rendu officiel de mes actes, en tête duquel mon secrétaire
Phlégon a mis son nom. J’y ai menti le moins possible. » (p.29) La mention d’une
autobiographie, officielle et récente, indique clairement que le projet entrepris par Hadrien ici
ne peut être de recommencer ce qui existe déjà ; Hadrien apporte lui-même la réponse : à
ce « compte rendu officiel » qui l’a forcé « à réarranger certains faits » par souci de « l’intérêt
public et la décence », et à donner une image de sa « vie partiellement modifiée par l’image
que le public s’en forme » (p.32), il entend révéler en contrepoint la vérité de son existence :
« j’ai formé le projet de te raconter ma vie » (p.29) et parvenir à façonner « une idée de [s]a
destinée d’homme. » (p.32). Ainsi se justifie le choix d’une forme prétendument
autobiographique, subjective, qui va écrire l’Histoire autant qu’elle va la réécrire. Car si
Hadrien affirme qu’il va adopter envers lui-même la distance qu’on attend de l’historien,
créant entre lui (sujet de l’écriture) et lui (objet de l’écriture) une nouvelle forme de distance
(« J’emploie ce que j’ai d’intelligence à voir de loin et de plus haut ma vie, qui devient alors
la vie d’un autre » (p.32)), la vie qu’il raconte répond aux exigences d’un temps personnel
qui n’est pas celui de l’Histoire : comme l’indique le personnage (p.34), « j’ai ma chronologie
bien à moi, impossible à accorder avec celle qui se base sur la fondation de Rome, ou avec
l’ère des Olympiades ». De fait, certains épisodes, pourtant importants dans la vie de
l’empereur, comme la guerre contre les Daces qui a occupé près d’un quart de son règne,
sont effleurés, concentrés en à peine une page ou un paragraphe.
[On pourrait convoquer Mémoires de De Gaulle, ou le travail de Chateaubriand, qui entend
reconstituer en un ensemble cohérent et structuré par une pensée l’ensemble d’un passé épars.]

- Cette forme autobiographique organise en effet le récit en fonction de critères qui ne


sont pas ceux de l’Histoire. Le récit rétrospectif s’élabore grâce à une approche
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fondamentalement introspective. Aux portes de la mort, il s’agit pour Hadrien de
donner un sens (et du sens) à la vie qui a été la sienne. Marguerite Yourcenar choisit « le
moment où l’homme qui vécut cette existence la soupèse, l’examine, soit pour un instant
capable de la juger. » (p.322)
 Hadrien décide d’écrire l’histoire de sa vie, parce qu’il sait qu’elle est arrivée à son terme ;
c’est en fonction de la perspective de sa mort qu’il réfléchit à qui il a été.
Cf. « Je commence à apercevoir le profil de ma mort » (p.13), seule phrase sauvée du
récit antérieur et dont Yourcenar a déclaré qu’elle marquait « le point de vue du livre »
(p.322). Il s’agit pour le personnage non pas de se remémorer les actes de sa vie, mais
de les comprendre ; il cherche, au terme de son existence, à reconstituer son être, à
réduire la distance qui le sépare de lui-même. Cf. p. 34 : « il y a entre moi et ces actes
dont je suis fait une distance indéfinissable. Et la preuve, c’est que j’éprouve sans cesse
le besoin de les peser, de les expliquer, d’en rendre compte à moi-même. »
 Seule une expression authentique et personnelle pourra dire enfin qui Hadrien a été et
qui il est.
Le projet d’Hadrien est donc de dépasser le mystère qu’il est pour lui-même : au moment
où l’imminence de la mort l’oblige à réfléchir sur son existence, il constate avec douleur
que sa vie n’a pas la cohérence qu’il avait cru lui donner et qu’un abîme s’est ouvert
devant lui : « Au plus profond, ma connaissance de moi-même est obscure, informulée,
secrète comme une complicité […]. Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la
trouver informe. » (p.32) Il s’agit alors pour lui d’accomplir le parcours qui lui permette de
se connaître et de plonger sous la surface de l’homme public et d’analyser en profondeur
cet homme qui s’appelle Hadrien afin de trouver en lui une cohérence qui lui échappe
jusqu’alors. Marguerite Yourcenar formule le même constat : « Tout nous échappe, et
tous, et nous-mêmes. » (p.331) C’est donc pour parvenir à s’unifier et mettre en
cohérence son existence qu’Hadrien entreprend ce projet autobiographique. Il s’agit pour
lui de rassembler en une seule ligne les « trois lignes sinueuses, étirées à l’infini, sans
cesse rapprochées et divergeant sans cesse : ce qu’un homme a cru être, ce qu’il a voulu
être, et ce qu’il fut. » (p.342). La sagesse prêtée à Arrien prend alors tout son sens : « ce
qui compte est ce qui ne figurera pas dans les biographies officielles, ce qu’on n’inscrit
pas sur les tombes » (p. 297).
 Une lecture d’Hadrien à la lumière de son amour pour Antinoüs ?
Ce qui compte, ainsi que le révèle Arrien, est peut-être l’amour d’Hadrien pour Antinoüs.
Dès les premières pages, Hadrien évoque avec nostalgie à la fois la splendeur de la
rencontre avec Antinoüs et la profondeur d’une perte irréparable : « Plus tard, en Bithynie,
en Cappadoce, je fis de grandes battues un prétexte de fête, un triomphe automnal dans
les bois d’Asie. Mais le compagnon de mes dernières chasses est mort jeune, et mon
goût pour ces plaisirs violents a beaucoup baissé depuis son départ. » (p.14). Alors qu’il
n’a pas encore défini son projet, il signale presque en passant l’omniprésence d’Antinoüs :
« qu’un seul être, au lieu de nous inspirer tout au plus de l’irritation, du plaisir, ou de
l’ennui, nous hante comme une musique et nous tourmente comme un problème ; qu’il
passe de la périphérie de notre univers à son centre, nous devienne enfin plus
indispensable que nous-mêmes, et l’étonnant prodige a lieu » (p.23). Antinoüs est ainsi
rétrospectivement désigné comme le principe organisateur de sa vie et de ses mémoires.
Plus même, la mort d’Antinoüs doit devenir un outil de la connaissance du monde ; dans
son désespoir, Hadrien se découvre une nouvelle mission : tenter de comprendre le
mystère de cette étrange mort qui lui permettra de comprendre le mystère de sa propre
mort à laquelle elle le renvoie. En comprenant qu’Achille est grand parce qu’il aime

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Patrocle, Hadrien comprend enfin qui il est : « Je suis ce que j’étais ; je meurs sans
changer. » (p.311).
[Cette descente vers l’intériorité est celle que professe Jean-Jacques Rousseau, quand il entend
tout mettre de lui dans ses Confessions.]

- Au terme de son parcours fait de « descente en soi » et de « sortie hors de soi-même »


(p. 32), Hadrien touche à un accord, une réconciliation ultime avec lui-même qui lui
permet d’aborder sereinement la perspective de la mort.
 « Penser sa vie », et l’écrire, autorise Hadrien à s’affirmer encore comme vivant, et à
regagner sur le plan de la pensée ce qui est perdu sur le plan de la vie. Dès le premier
chapitre, il affirme cette exigence : « Je n’en suis pas moins arrivé à l’âge où la vie, pour
chaque homme, est une défaite acceptée. » (p.12). Penser ses limites, évaluer les succès
de la raison et ses échecs, les capacités du sujet et ses défaillances, c’est échapper à
l’humiliation de la défaite et « regagner quelques pouces de terrain perdu » (p. 12). Car
un homme qui lit ou qui pense appartient à l’espèce ; dans ses meilleurs moments, il
échappe même à l’humain.
 Lui qui ambitionnait de découvrir qui il était (« Je compte sur cet examen des faits pour
me définir, me juger peut-être, ou tout au moins pour me mieux connaître avant de
mourir » (p. 29-30)) a appris à se reconnaître et à accepter qui il est : un homme. « Après
tant de réflexions et d’expérimentations parfois condamnables, j’ignore encore ce qui se
passe derrière cette tenture noire » (p.165) ; « j’observe ma fin : cette série
d’expérimentations faites sur moi-même continue la langue étude commencée dans la
clinique de Satyrus. […] Je suis ce que j’étais, je meurs sans changer. » (p.311). Il peut
« entrer dans la mort les yeux ouverts. »

On valorisera :
- Toute copie s’intéressant aux mensonges repérables dans l’œuvre et se demandant qui
ment, Hadrien ou Marguerite Yourcenar. En effet, alors même qu’elle exhibe volontiers sa
documentation, Marguerite Yourcenar oriente donc le regard du lecteur pour que le
personnage d’Hadrien (et non plus la figure historique) soit fidèle à l’image qu’elle veut
donner de lui ;
- Toute copie sensible à la haute image de lui-même qu’Hadrien veut donner, et ce qu’on
pourrait appeler son orgueil.

Et plus généralement :
 Toute copie manifestant une finesse d’analyse, une réflexion particulièrement nuancée, la
mobilisation pertinente d’une culture littéraire solide.

On pénalisera :
 Toute copie qui témoignerait d’une connaissance fragile et superficielle de l’œuvre.
 Toute copie qui se limiterait au résumé ou à la narration.
 Une langue mal maîtrisée.

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