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Système d'information comptable de l’Etat et contrôle

de l'exécution des contrats publics

N° 2009-10
Avril 2009

Thierry Kirat
CNRS
Frédéric Marty
Université de Nice Sophia-Antipolis
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution
des contrats publics

14 avril 2009

Thierry KIRAT * T

Frédéric MARTY **

Abstract

The paper deals with the consequences of the implementation of the new French budgetary
framework, especially an accrual accounting scheme for Government, on public management
performance evaluation and monitoring. We focus our study on procurement by contrasting with the
former Government practices. We underline the relationships between public accounting and
procurement control procedures by analysing conventional procurement contracts and public-private
partnerships ones. We have shown that because of the performative nature of accounting norms, the
adoption of an accrual accounting framework cannot be considered as neutral for public policy.
Private accounting norms are framed for external funders but not for parliamentary control purposes.
However, managing and monitoring public procurement needs a customised accounting framework
oriented towards the public decision needs and stakeholders’ control requirements.

*
Chargé de Recherche CNRS - UMR CNRS 7170 IRISES – Université de Paris-Dauphine
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny 75116 Paris - [email protected]
**
Chargé de Recherche CNRS - UMR CNRS 6227 GREDEG – Université de Nice Sophia-Antipolis
Chercheur affilié OFCE – Département Innovation et Concurrence - 250, rue Albert Einstein 06560 Valbonne -
[email protected]
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

Résumé

Il s’agit, dans le cadre ce cet article de s’interroger sur les effets de la mise en œuvre de la LOLF, et
notamment l’introduction d’une comptabilité générale de l’Etat, sur les modalités et l'efficacité du
contrôle de la dépense publique via les marchés publics ou autre formule contractuelle. Nous nous
attacherons, en partant d'une analyse du contrôle des contrats publics antérieurement LOLF et à la
réforme de la comptabilité publique, aux relations qui peuvent se faire jour entre le cadre comptable
public et le contrôle de l’exécution des contrats publics. Nous procéderons à une comparaison entre
deux types de contrats publics : les marchés publics et les contrats de partenariat public-privé. Nous
montrerons cependant que l’adoption d’une comptabilité patrimoniale ne saurait être tenue pour
neutre, du fait du caractère performatif de l’information comptable. L’introduction de ce nouveau
référentiel comptable au sein de la sphère publique pourrait induire une substitution à une information
comptable axée sur les besoins du Parlement d’une information principalement construite en fonction
des besoins des apporteurs de ressources externes. Or, les défis qui se posent à la commande publique
nécessitent une information comptable construite en fonction des nécessités de la décision publique et
du suivi de son exécution. Un système comptable principalement orienté vers le contrôle de la
solvabilité de l’emprunteur public pourrait potentiellement léser les intérêts des autres stakeholders
aux premiers rangs desquels les générations présentes et futures, à la fois en qualité de contribuables
mais aussi de consommateurs de biens publics.

3
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

La loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF) et la réforme subséquente de la
comptabilité publique ont suscité de nombreux analyses et commentaires. Cependant, la question de
l'impact de ces réformes sur les modalités et l'efficacité du contrôle de la dépense publique via les
marchés publics ou autre formule contractuelle n'a guère retenu l'attention. C'est à elle que cet article
s'attache. Nous tenterons, en partant d'une analyse du contrôle des contrats publics antérieurement à la
LOLF et à la réforme de la comptabilité publique, de poser quelques jalons sur les relations entre le
cadre comptable public et le contrôle de l’exécution des contrats publics. Nous procéderons à une
comparaison entre deux types de contrats publics : les marchés publics et les contrats de partenariat
public-privé.

Le contexte récent en France est particulièrement intéressant dans la mesure où, outre la loi organique
et la réforme de la comptabilité publique, ont été mises en oeuvre trois réformes successives du code
des marchés publics (en 2001, 2004 puis 2006) et promulgué l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les
contrats de partenariat de l'Etat (dans un esprit ouvert par les lois d'orientation relatives à la sécurité
intérieure, puis à la justice et au système de santé en 2002 et 2003). Les transformations de la
réglementation des marchés publics, la création des PPP, témoignent d'un certain renouveau des
contrats publics.

Du côté de l'information comptable publique, la loi organique de 2001 prévoyait que l’appareil
comptable public devra comprendre trois types de dispositifs :

1. une comptabilité de caisse pour la comptabilité budgétaire 1 , qui demeure à quelques nuances près le
cadre traditionnel de la comptabilité publique 2 ,
2 .une comptabilité financière en droits constatés (comptabilité d’engagement et comptabilité
patrimoniale) 3 sur le modèle de la comptabilité d'entreprise – aux spécificités de l'Etat près,
3. une comptabilité de gestion permettant une analyse des coûts par activité, indispensable pour les
comparaisons de coûts public privé et qui au passage suppose que l’"accrual accounting" soit une
réalité.

1
"cash budgeting system" selon les termes de l’IFAC-PSC.
2
En effet, si le passage à une logique d’engagement constitue la règle en matière de comptabilité de l’Etat, il
n’en demeure pas moins l’exception en matière budgétaire. Le Royaume-Uni s’est en effet individualisé en
menant de front les deux réformes en 1998 avec le Resource Accounting and Budgeting Act de 1998. Ce
moindre développement s’explique à la fois par des craintes que ce système ne vienne compromettre la
discipline budgétaire et par les réticences des parlements à l’encontre d’une méthode apparaissant comme
complexe et donc susceptible de remettre en cause leur contrôle.
Pour une synthèse, voir Blöndal J.R., (2003), « Comptabilité et budgétisation sur la base de droits constatés :
questions clés et développements récents », Revue de l’OCDE sur la gestion budgétaire, vol. 3, n° 1, pp. 47-65.
3
"accrual accounting" dans la terminologie anglo-saxonne

4
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

En effet, la loi organique a conduit à la construction de deux comptabilités différentes. Il s’agit une
comptabilité budgétaire classique, retraçant la gestion et la consommation des autorisations
d’engagements et des crédits de paiements, ainsi que l’exécution des recettes et dépenses budgétaires,
et, d’autre part, d’une comptabilité générale. Cette dernière doit permettre, selon un cadre donné par le
recueil des normes comptables de l’Etat 4 , de rendre compte de toutes les opérations, y compris celles
affectant le patrimoine public. Ainsi, le compte général de l’Etat 5 (article 54-7) témoigne de la mise en
œuvre au sein de la sphère publique d’une comptabilité de nature patrimoniale (Marty, Trosa, Voisin,
2006). Il comprend donc une balance générale des comptes, un bilan (tableau de situation nette), une
annexe (regroupant les engagements hors bilan et le tableau de flux de trésorerie) et enfin un compte
de résultat (lequel se différencie du fait des spécificités de l’action publique de ceux des entreprises
privées) 6 .

Nous nous intéressons à la concomitance des innovations institutionnelles et réglementaires et


cherchons à vérifier si la nouvelle donne comptable publique est de nature à surmonter les limites du
dispositif antérieur en termes de maîtrise des coûts et de la qualité d'exécution des marchés publics.
Nous soutiendrons, en effet, que l’objet principal de la comptabilité budgétaire de caisse dans le
contexte pré-LOLF tenait plus au contrôle de la régularité formelle des engagements budgétaires qu’à
l’évaluation de l’opportunité et de la performance économiques des contrats publics. Nous tenterons
de voir si oui, dans quelle mesure, la réforme de la comptabilité publique a modifié les conditions du
suivi et du contrôle des marchés publics (I-). Nous tenterons de déterminer si les nouveaux contrats
publics que sont les contrats de partenariat public-privé auraient pu émerger dans le cadre comptable
antérieur à la LOLF et si la nouvelle comptabilité publique fournit l'information comptable et
financière que le recours à ces contrats exige (II-). Pour autant, la réforme du système comptable et
budgétaire public peut elle-même générer de nouveaux risques si la nature de l’information comptable
ne fait pas l’objet d’une réelle réflexion et si la diversité de ses destinataires n’est pas prise en
considération. En ce sens, nous verrons (III-), que l’adoption d’une comptabilité patrimoniale ne
saurait être tenue pour neutre, du fait du caractère performatif de l’information comptable. En effet,
tout changement de l’information comptable peut traduire non seulement une évolution de la nature de

4
Le recueil des normes comptables de l’Etat, publié le 21 mai 2004, a fait l’objet de modifications le 17 avril
2007, suite à un avis du Comité des normes de la comptabilité publique.
5
Le périmètre comptable de l’Etat recouvre l’ensemble des services, établissements ou institutions d’Etat non
dotés de la personnalité juridique, que ces derniers reçoivent ou non une dotation du budget de l’Etat.
6
A l’instar de ceux des entreprises privées, les comptes de l’Etat doivent faire l’objet d’une procédure de
certification, mais en l’occurrence par la Cour des Comptes. La première certification a été opérée pour les
comptes 2006. La Cour doit, dans le cadre des normes internationales d’audit (ISA) établies par la fédération
internationale des experts comptables (IFAC), émettre une opinion motivée et étayée sur la régularité, la sincérité
et la fidélité des comptes de l’Etat et accompagner celle-ci d’un compte rendu des vérifications opérées (Huron,
Marty, Spindler, 2007).

5
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

son destinataire principal, mais s’avère, de plus, susceptible d’orienter les conclusions qui pourraient
découler la consultation des documents de synthèse comptables. 7 ".

Le risque serait de voir se substituer à une information comptable axée sur les besoins du Parlement
(et, derrière lui, les apporteurs de ressources fiscales) une information exclusivement construite en
fonction des besoins des apporteurs de ressources externes (i.e. les établissements financiers et les
souscripteurs de la dette publique). Or, les défis qui se posent à la commande publique nécessitent une
information comptable construite en fonction des nécessités de la décision publique et du suivi de son
exécution. Un système comptable principalement orienté vers le contrôle de la solvabilité de
l’emprunteur public pourrait potentiellement léser les intérêts des autres stakeholders aux premiers
rangs desquels les générations présentes et futures, à la fois en qualité de contribuables mais aussi de
consommateurs de biens publics.

I. Comptabilité publique et contrôle de l'exécution des contrats publics. Un


retour sur les marchés publics et la comptabilité de caisse antérieurement à la
LOLF et à la réforme de la comptabilité publique

Un diagnostic sur la structure, le contenu et la portée du modèle de base de la comptabilité publique


s’impose préalablement à l’examen des modalités et des enjeux de la réforme budgétaire introduite par
la loi organique relative aux lois de finances de 2001.

I.1 - La comptabilité publique antérieure à la LOLF : institution politique ou institution


économique ?

Il est important de noter qu’à l’instar de toute institution humaine, la comptabilité publique est une
construction sociale dont l’émergence répond à des fonctions précises 8 . En effet, les règles
comptables, comme toute convention de mesure ne sauraient être tenues pour neutres ou objectives
(Amblard, 2000). Une telle position est par exemple celle de la Positive Accounting Theory (PAT).
Celle-ci considère tout choix comptable comme étant par nature « intéressé » et analysable sous le
prisme de l’intérêt bien compris de son promoteur (Chiapello et Desrosières, 2006). Dans cette

7
“Although portrayed as being essentially descriptive, financial reports are subjectively constituted and
interpreted” (Mc Sweeney, 1997).
8
L’observation d’Alain Desrosières selon laquelle la statistique publique est le produit d’une « co-construction
mutuelle » résultant de la rencontre d’une représentation économique du monde, du type d’intervention légitime
de l’Etat et de mesures statistiques de variables sur lesquelles l’action de l’Etat porte, peut être étendue à la
comptabilité publique (Desrosières, 2001), mais aussi aux règles comptables privées (Chiapello et Desrosières
2006).

6
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

optique, les choix comptables sont considérés comme le reflet de comportements opportunistes et
maximisateurs des entreprises productrices des comptes. Ceux-ci ne révèlent pas une vérité objective
mais sont tout simplement, dans cette optique, le reflet des intérêts particuliers des entités concernées.
Ainsi, les normes comptables peuvent être envisagées sous l’angle des stratégies d’acteurs et sous
celui des rapports de force entre les diverses parties prenantes auxquelles les informations délivrées
par les comptes (et donc la communication financière de la firme) sont destinées (Demaria et Marty,
2007).

En la matière, la comptabilité publique est, quant à elle, fonctionnellement liée à la logique régalienne
de mesure des recettes et des dépenses de l’Etat. Détenteur du monopole fiscal, l’Etat dispose de la
capacité de financer les acquisitions publiques à partir de ressources dont l’engagement repose sur des
procédures administratives et, surtout, politiques. En d’autres termes, la comptabilité publique est la
facette technique de la gestion des finances publiques. Alors que la comptabilité privée est intimement
liée au développement du capitalisme marchand et à la mesure des ressources générées par des actifs
constituant une charge, donc à la mesure du résultat, la comptabilité publique
d’encaissements/décaissements est le reflet d’une logique différente : administrative et politique. Elle
est organiquement comme fonctionnellement liée aux autorisations de dépenses sur le budget de l’Etat
donnée par les lois de finances, proposées par le gouvernement et avalisée par le Parlement. Elle a été
en France régie par une ordonnance de 1959 9 jusqu’à sa réforme en août 2001 par une loi organique
relative aux lois de finances 10 .

Dans ces conditions, la comptabilité publique établit un ensemble de catégories de mesure structurées
par, en amont, la procédure budgétaire (vote de la loi de finances initiale et de la loi rectificative en
cours d’année civile) et, en aval, les compte rendus d’exécution budgétaire :

"Government accounting was originally designed primarily to ensure the performance of transactions
authorized by the budget. As such, it was an accounting system that differed from the model adopted
by the private sector 11 ".

La comptabilité publique n’a pas été conçue comme une "technologie immatérielle" (Berry, 1983) de
gestion des actifs de l’Etat, encore moins comme un outil au service de l’évaluation économique et
comptable de l’exécution des contrats publics. La finalité ultime de la comptabilité publique est de
faire apparaître, annuellement, le solde général de la loi de finances, c’est-à-dire de mesurer ce que
l’Etat devra emprunter, après amortissement de la dette à moyen à long terme, pour combler une

9
Ordonnance relative aux lois de finances du 2 janvier 1959.
10
Loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.
11
IFAC Public Sector Committee, (2002), “The Modernization of Government Accounting: The Current
Situation, The Issues, the Outlook”, Occasional paper by Lionel Vareille and Philippe Adhémar.

7
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

éventuelle différence entre recettes et dépenses (Rivoli, 1980, p. 46). Nous reviendrons sur ce dernier
point plus loin. Pour l’heure, il nous faut préciser la nature des catégories de mesure produites au sein
de la comptabilité publique.

Les catégories de la comptabilité publique

Chaque département ministériel dispose au terme du vote de la loi de finances de supports budgétaires
de deux types. Selon les termes de l'ordonnance de 1959, il s’agit, d’une part, des autorisations de
programme qui ne constituent pas des moyens de règlement de la dette de l’Etat envers ses
fournisseurs mais un volume de dépenses plafonnées allouées à tel ou tel emploi (les salaires des
fonctionnaires, les dépenses de fonctionnement, les dépenses d’investissement). Il s’agit, d’autre part,
d’un moyen de règlement constitué par des crédits de paiement, lesquels en théorie doivent rester dans
les limites des autorisations de programme dans le cours de l’année d’exécution budgétaire.

Les prévisions de dépenses de l’Etat accordées par le Parlement sont structurées dans une
nomenclature budgétaire qui articule, du plus général au particulier, des titres, chapitres et articles
budgétaires. Le principe de base en comptabilité publique est le principe de spécialité, partiellement
réformé par la loi organique de 2001 : toute ligne budgétaire, en tant que produit de l’autorisation de
dépense donnée par le Parlement, doit être exclusivement allouée à la destination qui lui a été donnée.
Les modifications d’affectation des crédits budgétaires sont certes possibles et régulièrement
pratiquées, mais elles doivent suivre une procédure légale et administrative précise.

La philosophie de la structure nomenclature budgétaires est d’être l’expression technique de la


programmation de la dépense publique ; or, comme la Cour des comptes a eu l’occasion de le
souligner à de nombreuses reprises, la réalisation de la dépense publique par des entités publiques se
fait dans des conditions très éloignées de la nomenclature budgétaire. En d’autres termes, les entités
publiques se dotent, de manière officieuse, de nomenclatures et d’outils de gestion de qualité inégale,
qui ne pas systématiquement articulés à la nomenclature budgétaire. Un écart important sépare la
logique de la programmation budgétaire de celle de la gestion des crédits par des entités publiques qui
recourent à des achats auprès du secteur marchand.

Le règlement des achats publics s’opère au terme d’une série d’opérations de nature
procédurale et formelle/légale

L’achat public suppose la passation de contrats avec des fournisseurs de biens, de services, de travaux,
etc. C’est l’objet de droit des marchés publics, qui ne fonctionne pas indépendamment de la

8
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

comptabilité publique. En l’effet, l’Etat devant payer l’acquisition de biens ou services, le règlement
de cette dette s’inscrit dans un cadre institutionnel dont on doit souligner la double nature, procédurale
et formelle/légale.

Aucune dépense publique ne peut être réglée si elle n’a pas été régie par une série d’opérations
successives : la dépense doit être été préalablement engagée, avant d’être liquidée et que soit réalisé
son ordonnancement, c’est-à-dire le paiement monétaire au créancier.

L’engagement de la dépense est un acte par lequel un organisme public reconnaît l’existence d’une
obligation créatrice de charges. L’engagement est d’une double nature : juridique et comptable.
L’engagement juridique est l’acte par lequel l’organisme public crée, ou constate à son encontre, une
obligation de laquelle découlera une charge. C’est le cas lorsqu’un marché public est passé : le contrat
crée une obligation et une charge pour le service acheteur ; l’engagement comptable est une opération
consistant, pour le comptable public, à affecter en comptabilité une somme correspondant aux
dépenses qui résulteront des engagements juridiques. On doit noter que ces deux types d’engagements
ne relèvent pas des mêmes compétences : l’engagement juridique est réalisé par la personne
responsable du marché, l’engagement comptable par le comptable public (désormais par le
responsable de programme).

La deuxième étape procédurale est celle de la liquidation de la dépense : elle a pour objet de vérifier la
réalité de la dette de la personne publique et d’en arrêter le montant. Enfin, l’étape ultime est celle du
paiement de la dépense, qualifiée d’ordonnancement. Cette opération consiste à produire un acte
administratif donnant, conformément au montant arrêté par le service liquidateur, un ordre de
paiement. L’ordonnancement peut être réalisé soit par un ordonnateur principal, soit par un
ordonnateur secondaire qui dispose d’un mandat de délégation sur certains crédits. 12

Le paiement de la dette de l’Etat contractée à l’occasion de l’acquisition de biens ou services est par
ailleurs soumis à un ensemble de contrôles de nature, eux aussi, procédurale et légale/formelle. Deux
types de contrôle sont en effet exercés :
- un contrôle a priori est exercé par le contrôleur financier, dont la mission n’est pas d’évaluer
l’opportunité ni les conditions économiques du contrat, mais sa régularité avec la
réglementation budgétaire et administrative (disponibilité des crédits, imputation sur le
chapitre convenable, etc.) ;

12
Il faut souligner que nombre de dépenses publiques peuvent être réglées selon des procédures spéciales,
différentes de celle qui viennent d’être décrites : il s’agit de dépenses payables sans ordonnancement, et dont la
liquidation est faite directement par le comptable payeur. Il s’agit pour l’essentiel des traitements des
fonctionnaires, mais aussi des remboursements d’impôts, de frais de justice, des pensions civiles et militaires,
des dépenses d’aide sociale, etc. Mais elles ne concernent en aucun cas la dépense en capital.

9
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

- un contrôle a posteriori est exercé par le comptable public, chargé du paiement des dépenses
après leur ordonnancement. La séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable est en
effet une dimension clé du droit budgétaire français. A l’instar du contrôleur financier, le
comptable public contrôle la régularité de la dépense ordonnée et sa conformité à la
réglementation : il ne peut régler une dépense que s’il dispose des pièces appropriées,
notamment l’attestation de service fait. Il vérifie les calculs du service liquidateur et s’assure
que les justifications de la dépense apportées par les ordonnateurs ne sont pas irrégulières.

Le régime français de comptabilité publique, mais on pourrait étendre cette conclusion à d’autres pays
comme les Etats-Unis, est une construction ancienne, structurée par une rationalité avant tout politique
et administrative. La comptabilité publique est en effet composée d’un ensemble de normes,
d’institutions et de procédures qui dérivent de la procédure budgétaire, donc de l’élaboration et de
l’exécution des lois de finances. A ce titre, la comptabilité publique est ce que l’on pourrait appeler
une institution politique à caractère administratif. Elle n’est pas, fondamentalement, une « technologie
immatérielle » (Berry, 1983) de la gestion des relations marchandes de l’Etat avec ses fournisseurs.
Elle ne constitue pas un outil de prévention ou de gestion des dérives de coûts et de délais dans les
marchés publics.

I.2- Les dérives de coûts et des délais : l’exemple des marchés de la défense

Le cas des marchés publics passés pour les besoins de la défense est significatif des limites de la
comptabilité publique, qui correspond au portait qu’en dressait en 2001 le sénateur Thierry Lambert,
c’est-à-dire d’une comptabilité « sous-développée au regard de la comptabilité générale et des
obligations qui en découlent pour les entreprises et… ne permettait qu’un suivi des recettes et des
dépenses (sans fournir d’indications sur la situation patrimoniale de l’Etat ainsi que sur ses charges
futures…) (et) s’apparentait à une comptabilité d’épicier » (T. Lambert, Sénat, 2001). Les phénomènes
récurrents de surcoûts et de retards dans l’exécution des marchés de la défense ont des sources
multiples : des prévisions trop optimistes des services de programme et des entreprises sur les
conditions techniques et économiques de réalisation des prestations ; des gels, reports et annulations
de crédits de paiement qui paralysent les marchés notifiés, de la même manière que de simples retards
dans la libération des crédits. Notre propos n’est pas ici d’exposer les causes des dérives de coûts et de
délais, mais de mettre en exergue le fait que les orientations et les finalités de la comptabilité publique
n’offraient pas aux services de l’Etat les moyens de superviser les conditions financières dans lesquels
les marchés, plutôt que les programmes d’armement au titre desquels ils étaient passés, étaient
exécutés.

10
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

Le problème de l’évaluation des dérives des coûts : une information structurée par
l’enregistrement de la consommation des crédits dans les programmes d’armement français

Il est important de souligner que les marchés publics ne sont pas identifiés en tant que tels dans la
nomenclature budgétaire. L’entité pertinente, au regard du caractère politique de la comptabilité
publique, est celle de la ligne budgétaire (aux niveaux du chapitre et – surtout dans ce cas d'espèce –
de l'article). A cet égard, la réforme de la nomenclature de programmation au ministère de la défense à
la suite de la publication par la Cour des comptes d’un rapport critiquant sévèrement la gestion
budgétaire du ministère 13 a été entreprise dans une visée précise : identifier tous les programmes
d’armement au niveau du chapitre budgétaire. Depuis 1999, les dotations prévues pour chaque
programme d’armement sont inscrites sur un seul article budgétaire : il n’existe plus dorénavant de
chapitre regroupant à lui seul plus de la moitié des crédits du titre V (c’est-à-dire des dépenses en
capital 14 ).

Cette réforme a permis de combler l’écart entre la nomenclature budgétaire et la nomenclature de


programmation, donc de mettre fin à l’opacité des dépenses en capital du ministère de la défense.
Toutefois, elle n’est pas allée jusqu'à mettre en place un dispositif de mesure de la dépense en capital
au niveau du marché public, qui demeure une catégorie sans pertinence dans le dispositif budgétaire.
Par voie de conséquence, le seul moyen de mesure des surcoûts dans l’armement est de rapprocher le
coût prévisionnel des programmes et les dépenses budgétaires effectivement réalisées : le surcoût n’est
rien d’autre que le dépassement de coûts prévisionnels.

C’est à ce niveau que les contrôles de la Cour des comptes s’exercent. A titre d’illustration, nous
pouvons évoquer certaines données fournies par la Cour des comptes dans son rapport public
particulier de 1997 et dans les chapitres consacrés aux programmes d’armement dans le rapport annuel
public 1999 :

- les surcoûts liés aux demandes de prestations supplémentaires par la Direction des
constructions aéronautiques dans le cadre du programme Mirage 2000 sont de l’ordre de 14,5
millions de francs, soit un accroissement de 24,2% du coût ex post par rapport au coût prévu
ex ante ; s’agissant du programme Rafale, les chiffres s’élèvent à 313,9 millions de francs et à
+14,3% ;

13
Cour des Comptes, (1997), La gestion budgétaire et la programmation au ministère de la défense, Rapport
public particulier.
14
Ce qui était le cas auparavant : le chapitre « Fabrication. Air, Terre, Mer » regroupait plus de moitié des
dotations inscrites au titre V.

11
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

- l’évolution du coût prévisionnel du programme sous-marin lanceur d’engin-nouvelle


génération (SNLE-NG) entre le 1er janvier 1986 et le document de suivi de 1995 a connu une
augmentation de 43,2% du coût de la phase de développement, qui a induit la nécessité de
réduire la cible (de 7 unités à 4) en 1995 ;
- le programme Canon 155 mm tracté a été marqué par une réduction significative de cible (de
200 à 105 unités), un retard considérable dans la livraison du matériel (sept années de retard),
le doublement des frais de développement et la multiplication par 2,5 des frais
d’industrialisation.

De la même façon, sur un échantillon de contrats passés par la DGA entre 1994 et 2005, Oudot 15
montre que 87 % de ces derniers connaissent des dérives de coûts, d’une valeur moyenne de 10 % et
92 % des retards calendaires. Ce faisant, quelques 56 % des contrats sont renégociés. Il apparaît que
l’acheteur public arbitre en faveur de la réalisation des objectifs techniques, ce qui se traduit
notamment par l’acceptation de dérives de coûts et de délais. Or, les capacités budgétaires étant très
peu flexibles à la hausse, il s’ensuit de fréquentes réductions de cibles pour demeurer à l’intérieur de
l’enveloppe budgétaire initiale, lesquelles sont estimées aux alentours de 30 %. Ainsi, des contrats
passés à hauteur de 98 % sous un régime de prix forfaitaires s’avèrent-ils exécutés à 56 % comme des
contrats à remboursement de coûts.

L’unité d’enregistrement des dépenses d’acquisition de défense en France : le « no bridge »


entre ligne budgétaire et suivi des marchés publics

L’unité de base de la comptabilité publique étant la ligne budgétaire (c’est-à-dire l’article), il n’existe
en France aucun système d’information comptable situé au niveau des marchés publics passés au titre
de l’exécution des programmes d’armement.

La logique de la nomenclature budgétaire n’est pas, en effet, celle de la gestion de la dépense, mais
celle de la confrontation entre crédits votés et crédits dépensés. De plus, les catégories budgétaires
constituent des sources d’imputation de dépenses allouées par les services de la défense à des marchés
publics passés dans le cadre de la réalisation de programmes d’armement ou du maintien en condition
opérationnelle des matériels. 16

Dans des termes moins techniques, prenons l’exemple de la réalisation d’un programme d’avion de
chasse : elle suppose que la Délégation Générale à l’Armement (DGA) passe une série de marchés

15
Oudot J.-M., (2007), Choix contractuels et performances. Le cas des contrats d’approvisionnement de
Défense, Thèse de doctorat es Sciences Economiques, Paris 1, septembre, 373p.
16
Sur ce point, voir : Cour des Comptes, (2004), Kirat et Bayon (2006).

12
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

avec l’industrie, pour la conception, le développement, puis la fabrication de l’appareil. Le coût du


programme pourrait être mesuré en totalisant les montants des marchés publics passés avec l’industrie,
et son évaluation pourrait être faite en prenant en considération des dépassements de coûts, des
résultats atteints, etc. Or, tel n’est pas le cas, comme l’illustre le tableau suivant.

Tableau 1 : Information budgétaire et suivi des marchés publics

Marchés Lignes budgétaires (j=1,n)


Total ligne
(i=1,n) LB1 LB2 LB3 LBn
M1 X11 X12 X13 X1n ΣXij
M2 X21 X22 X2n ΣXij
M3 ΣXij
Mn ΣXij

Σ LB1 Σ LB2 Σ LB3


Total
LBn
colonne
Xij = part du marché i financée par ressources budgétaires j

Les colonnes du tableau représentent la logique des nomenclatures budgétaires (celle des lois de
finance) : des lignes budgétaires (chapitre ou article) sont affectées à des missions génériques (par
exemple : l’entretien programmé des matériels, ou l’équipement des armées).

C’est dans ce cadre que sont produits les rapports d’exécution budgétaire, portés à la connaissance du
Parlement.

Les lignes du tableau représentant les marchés publics passés par le ministère de la défense. Un
marché est financé par la mobilisation de crédits disponibles sur plusieurs lignes budgétaires : par
exemple, un marché passé pour l’acquisition de pièces détachées d’avions de chasse peut être financé
en mobilisant des crédits imputés sur les chapitre budgétaires ‘entretien programmé des matériels’,
‘équipement des armées’ et ‘forces nucléaires’. Le suivi de l’exécution budgétaire telle qu’elle est en
pratique réalisée supposerait qu’il existe des outils de gestion des dépenses dans les marchés publics
passés pour la réalisation des programmes d’armement. Or, de tels outils font défaut, ce dont atteste,
par exemple, la nécessité dans laquelle s’est trouvée la Cour des comptes de reconstituer le coût des
avions RAFALE, dans un contexte dans lequel un seul chapitre ("Fabrication. Air, Terre, Mer")
regroupait plus de la moitié des dotations inscrites au titre V (dépense en capital) du budget du
ministère de la défense.

13
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

I.3- L’inadéquation de l’information comptable pour le contrôle des marchés publics

Pour démontrer dans quelle mesure l’information comptable publique n’est pas adéquate pour la
gestion des acquisitions publiques, il convient de distinguer entre sa structure et son contenu.

Comme nous l’avons précédemment exposé, la structure de l’information comptable est orientée par
les conditions d’élaboration et d’exécution des lois de finances, qui allouent aux entités publiques des
ressources affectées à des emplois définis dans les termes de la nomenclature budgétaire. Or, lorsque
l’exécution budgétaire porte sur des commandes publiques, la nomenclature budgétaire n’est pas
remplacée par un autre cadre de mesure : la catégorie de "marché public" n’a pas sa place dans le
dispositif d’information comptable public. En d’autres termes, la dépense publique n’est pas identifiée
au niveau des contrats passés au titre de l’exécution de la dépense d’acquisition.

Ce point est important, notamment pour les entités publiques qui prennent en charge des activités
organisées sous la forme de programmes, comme c’est le cas en particulier pour le ministère de la défense.
Dans ce cadre, le système d’information comptable n’a pas été conçu selon une logique de suivi de la
dépense au niveau des contrats, mais comme le support de comptes rendus d’exécution budgétaire.

S’agissant du contenu des systèmes d’information comptable, ils relèvent d’une logique de
comptabilité d’encaissement - décaissement dont le principe de base est d’enregistrer des flux relatifs
aux encaissements et à la consommation de crédits.

Il est important à ce stade de signaler que l’Etat, précédemment à la LOLF, n’était pas sans tenir des
comptes : les documents comptables comme le bilan et l’équivalent du compte de résultat sont tenus, non
pas au niveau des administrations et des organismes publics identifiés en tant que tels, mais au niveau
macroéconomique dans les comptes de la nation. Les comptes nationaux ne sont pas, par la force des
choses, des références dans la conduite de l’action publique et dans l’exécution de la dépense par les
administrations, qui ne disposent ni d’une comptabilité de gestion, ni d’une comptabilité patrimoniale.
Avant la mise en œuvre de la loi Organique, les ministères ne disposaient pas d’une identité comptable au
plan patrimonial : ils n’avaient ni capital, ni stock, donc ne disposaient pas de la possibilité de créer un
bilan, un compte d’exploitation, une comptabilité analytique. Les actifs publics n’étaient par voie de
conséquence ni valorisés, ni l’objet de tableaux d’amortissement. L’Etat ne dispose, non plus, de la base
informationnelle requise pour évaluer les coûts de possession des actifs publics.

L’information comptable publique antérieure à la LOLF était bâtie sur une logique de caisse, c’est-à-
dire d’enregistrement des flux d’encaissements et de décaissements annuels. Cet état de fait est propice
à des pratiques de gestion budgétaire qui concourent, paradoxalement, à l’existence de ce que

14
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

l’économiste hongrois Janos Kornai appelait une "contrainte budgétaire molle" (Kornai, 1984). Le
principe de base en est simple : les administrations publiques présentent leurs demandes de crédits
budgétaires au ministère du budget en pratiquant une sur-évaluation du rapport avantages (non
monétaires)/coûts de leurs programmes afin de maximiser la probabilité d’obtention de ressources
rares. Une fois l’allocation effectuée, l’exécution de la dépense ne se réalise pas dans les conditions
d’efficacité annoncées ex ante ; des pénuries de crédits surviennent alors. La gestion de ces pénuries
s’exerce alors par différentes voies : soit par la revendication de crédits supplémentaires auprès du
Budget, alloués dans le cadre de la loi de finances rectificative ; soit par des arbitrages internes aux
ministères concernés, qui conduisent à des annulations de dépenses ou de programmes afin de dégager
des ressources affectables à des dépenses ou programmes considérés, au terme de processus de
marchandage non exempts de rapports de force, comme prioritaires.

I.4- La LOLF change-t-telle quelque chose ?

La maîtrise des dépenses dans les marchés publics est, comme nous l’avons précisé précédemment,
une question-clé. Nous pouvons ajouter que l’absence d’identification, donc de mesure, de la dépense
au niveau des marchés rend leur contrôle par la Cour des comptes particulièrement difficile. Il est peu
probable que la LOLF change cet état de choses

Nous avons vu que la LOLF a introduit une comptabilité générale de nature patrimoniale fondée sur
les engagements aux côtés du cadre budgétaire classique fondé sur les seuls flux de fonds. Une telle
logique vise à la fois à présenter des comptes publics sur une base proche de celle du privé, à donner
une meilleure information comptable en s’attachant principalement aux décisions suscitant les
engagements, en rendant compte de la valeur des actifs détenus et de leurs dépréciations pour inciter à
une gestion efficace de ces derniers mais aussi en en permettant d'évaluer le coût des programmes et
donc d'apprécier l'efficacité de l'action publique17 .

Cependant, l’adoption d’une comptabilité de nature patrimoniale n’a pas pour effet automatique de
permettre une réelle évaluation de la performance de la gestion publique en matière d’encadrement des
contrats. Tout d’abord, il convient de bien définir l’esprit qui anime la certification des comptes opérée
par l’institution de la rue Cambon. L’exercice a pour objet de garantir le respect des normes et principes

17
L’adoption de ce nouveau référentiel comptable par la France s’inscrit dans un mouvement commun à la
quasi-totalité des pays membres de l’OCDE. Aux Etats-Unis, l'Etat fédéral, les états fédérés et les collectivités
locales doivent établir des comptes patrimoniaux suivant les pratiques comptables généralement acceptées (US
GAAP). Au Royaume-Uni, l’introduction d’une comptabilité patrimoniale au travers du Resource Accounting
and Budgeting Act de 1998 avait été préconisée dès juillet 1995 par le Livre Blanc Better Accounting for the
Taxpayer’s Money. (Huron, Marty, et Spindler, 2007). Il est d’ailleurs à relever que si les normes comptables
publiques britanniques étaient initialement développées à partir des UK GAAP appliquées par les entreprises
privées, le Trésor britannique a décidé en mars 2007, dans le cadre du Budget 2007, d’adopter les normes IFRS
(HMT, 2007a).

15
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

comptables que l’Etat a choisit d’appliquer. En d’autres termes, il s’agit de certifier que les comptes
donnent une image sincère, fidèle et régulière de sa situation patrimoniale. En tant quel tel la certification
des comptes de l’Etat 18 , publiée en mai 2007 ne traite pas des résultats de l’exécution de l’exercice
antérieur (rôle dévolu au rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques) ou de
l’examen de l’exécution des crédits par mission et par programme, dans une logique d’évaluation des
performances (rapport sur les résultats et la gestion budgétaire). Il n’en demeure pas moins qu’il
convient de distinguer selon la pratique du National Audit Office britannique les Financial Audit Reports
on Accounts des Value for Money reports 19 . En d’autres termes, l’adoption d’une comptabilité
patrimoniale (et la certification qui en découle) ne saurait à elle seule constituer un instrument de
maîtrise des dépenses dans les marchés publics.

Une évaluation de la performance, par exemple au niveau d’un programme, suppose, entre autres
éléments, la disponibilité d’un véritable contrôle de gestion, devant être articulé avec la nouvelle
comptabilité patrimoniale de l’Etat (tant aux niveaux de la programmation, de la gestion et de
l’évaluation des résultats). Si depuis l’exercice 2006 l’Etat doit, selon les termes de la circulaire
interministérielle du 21 juin 2001, mettre en œuvre un contrôle de gestion, de nombreuses difficultés
sont rencontrées 20 . Celles-ci sont en grande partie liées à l’absence de normes communes, à la faible
diffusion des guides d’application et à l’imprécision des concepts utilisés. En outre, la Cour des
Comptes relève que « cette approche conserve un caractère facultatif et n’apparaît encore
qu’exceptionnellement reliée aux processus d’allocation des crédits et d’exécution de la dépense ». Or,
un contrôle de gestion efficace devrait permettre de mesurer l’efficience des activités engagées et
d’orienter de façon conséquence les indicateurs retenus dans le cadre de la loi de finances vers
l’évaluation de l’impact et le coût de chaque programme. Ainsi, la Cour note qu’ « en l’état actuel des
choses, le dispositif de suivi disponible ne permet pas d’estimer si le fait qu’un objectif n’a pas été
atteint résulte d’une défaillance dans la fixation de la cible, d’un effet de conjoncture, de l’insuffisance
des moyens mis en place, de l’absence de stratégie bien établie ou d’une gestion défectueuse ». Or,
tant au Royaume-Uni qu’aux Etats-Unis de véritables audits de performance permettent de satisfaire
ces objectifs en intégrant l’information sur les performances dans le processus budgétaire.

18
Cour des Comptes, (2007), Certification des comptes de l’Etat – exercice 2006, Paris, mai, 56p.
19
Ces derniers introduits par le National Audit Act de 1983 constitue un hybride entre audit conventionnel et
conseil en management. Il s’agit de réaliser à la fois un audit financier, de statuer sur l’efficacité de l’action
publique considérée et de dégager des bonnes pratiques (Glynn, 1993).
20
Cour des Comptes, (2007), Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’Etat pour l’année 2006,
Paris, mai, 261p,

16
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

II. Nouveaux contrats, nouvelles exigences comptables : le cas des partenariats


public-privé

La réforme de la comptabilité publique liée à la Loi organique peut être envisagée au regard des
finalités poursuivies avec l’introduction d’une comptabilité d’exercice et d’une comptabilité de gestion
en plus de la comptabilité de caisse, ainsi que par les changements de référentiels comptables. Les
finalités sont bien connues (Milot, 2004, p. 511) :

- rendre compte de l'exécution budgétaire (dans un système de caisse),


- rendre compte de l'état du patrimoine et la situation financière (dans un système d'exercice),
- permettre une analyse des coûts (dans un système de comptabilité de gestion).

L'introduction d'une comptabilité d'exercice et d'une comptabilité de gestion renvoie à deux grandes
questions qui concernent les contrats publics : la première concerne l'information comptable
compatible avec les besoins d'évaluation économique préalable au recours aux contrats de partenariat
imposée par l'ordonnance de 2004 ; la seconde concerne la saisie comptable des engagements de
longue durée et des garanties publiques dans les contrats de partenariat. Les nouvelles normes
comptables de l'Etat entrent en résonnance avec les contrats de partenariat dans la mesure où elles sont
censées permettre de calculer des coûts complets, de procéder à des comparaisons de coûts public-
privé et de traduire dans les comptes publics les engagements liés aux contrats de partenariat.

On peut dans ces conditions pressentir qu'une relation existe entre le nouveau cadre de la comptabilité
publique et les nouvelles formes de contrats publics que sont les PPP.

I.1 Une réforme d’ensemble de l’Etat

Le passage en comptabilité d’exercice peut en effet être situé dans une réforme globale de l’action
publique allant de la mise en place de partenariats public-privé (partage des risques) à l’octroi de
l’indépendance des banques centrales (objectifs de prévisibilité) en passant par de nouvelles règles
applicables aux investissements publics (l’endettement public ne doit financer que des dépenses
d’investissements) (Hepworth, 2004). La nouvelle constitution financière de l’Etat vise à soutenir ces
transformations de l’action publique, en permettant aux décideurs publics d’étayer leurs décisions sur
des bases informationnelles fiables et exhaustive et en garantissant un contrôle efficace de leurs choix.

L’origine de l’accent mis sur la redevabilité (accountability) est à rechercher dans l’accroissement
spectaculaire des déficits et de la dette publique. La dégradation des comptes publics rend

17
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

indispensable un contrôle plus rigoureux des résultats obtenus (outputs et outcomes). L’accountability
pourrait se traduire par l’obligation de rendre des comptes de façon à pouvoir être tenu pour
responsable des résultats obtenus dans le cadre de son activité (Charron, 2004). Elle peut cependant
revêtir deux sens bien distincts (Carassus et Rigal, 2008). Elle peut tout d’abord être limitée au seul
reporting, dès lors qu’il s’agit principalement de la communication d’une information synthétique et
fidèle d’un mandataire au profit de son mandant. Une acception plus large peut conduire à saisir
l’accountability non plus comme le fait de rendre des comptes sur les moyens utilisés dans le cadre
d’un mandat mais sur le mandat lui-même et ses implications. Il est alors possible de définir
l’accountability comme « le préalable fondamental à la prévention de l’abus des pouvoirs délégués et
la garantie que ce pouvoir est dirigé vers la réalisation d’objectifs largement acceptés avec le plus
grand degré possible d’efficience, d’efficacité, de probité et de prudence » (Kelly et Hanson, 1981).

L’introduction au sein de la sphère publique des standards et donc de la logique d’évaluation de la


gouvernance privée, issue du nouveau management public (Hood, 1995) peut d’ailleurs être remise en
perspective avec les recommandations théoriques de l’Ecole des Choix Publics (Mueller, 1997) et de
la Nouvelle Economie Publique (Laffont, 2000). L’adoption du référentiel privé s’inscrirait en
complément naturel de la politique du Small Government. Elle permet notamment de recourir à des
mises en concurrence public-privé. A ce titre, il n’est pas surprenant que les pays les plus avancés dans
le transfert d’activités au privé et aux PPP (Royaume-Uni ou Australie) soient ceux qui ont adopté le
plus précocement ce nouveau référentiel comptable.

Ainsi, si la comptabilité publique fut longtemps "exorbitante"" du droit commun, il est aujourd’hui
exigé de celle-ci qu’elle se conforme aux principes de bases sous-tendant la comptabilité privée, c’est-
à-dire donner une image fidèle, sincère et régulière de la situation de ses comptes, à l’instar des
objectifs poursuivis par la LOLF. En effet, depuis le 1er janvier 2006, les pouvoirs publics doivent
produire des états financiers construits sur le principe de la constatation des droits et obligations 21 .
Replacée dans son environnement international 22 , il est incontestable que cette réforme comptable,
préparée depuis 1999, ne se limitera pas à un changement technique mais induira une rupture dans
l’organisation et le fonctionnement interne des services de l’Etat, dans le contrôle du Parlement et de
la Cour des Comptes.

21
En juillet 2002, l’Union Européenne a prescrit une convergence à l’horizon 2005 des comptabilités publiques
avec les normes de l’IAS / IFRS (International Accounting Standards / International Financial Reporting
Standards).
22
Le Public Sector Committee de l’IFAC a entamé dès 1996 des travaux en vue de construire de nouveaux
référentiels comptables permettant à la fois de promouvoir l’efficacité de la dépense publique, de renforcer la
transparence des comptes pour le Parlement, mais aussi de faciliter les comparaisons internationales. Il
recommande désormais l’adoption par les entités publiques des principes introduits par l’IFRS (International
Financial Reporting Standards).

18
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

En effet, l’évolution porte tant sur les normes qui régissent la production des comptes que sur leurs
principes d’évaluation. D’une part, la loi organique conduit l’Etat à présenter un compte général
(article 54-7) recouvrant un périmètre définit par l’ensemble des services, établissements ou
institutions d’Etat non dotés de la personnalité juridique, qu’ils reçoivent ou non une dotation
budgétaire de ce dernier. Il s’agit alors de produire des comptes patrimoniaux sur la base du Recueil
des normes comptables de l’Etat, dont la première version fut publiée le 21 mai 2004 et dont la
version actuelle, en date du 17 avril 2007 tient compte de l’avis du Comité des normes de la
comptabilité publique. En l’absence de cadre comptable international applicable, il a été décidé de
construire un cadre à partir de trois références distinctes bien qu’inscrites dans un mouvement de
convergence. Il s’agit respectivement du Plan Comptable Général, du projet de référentiel
actuellement développé par le Comité Secteur Public de l’IFAC et du référentiel de l’IASB. D‘autre
part, à la construction progressive d’un référentiel comptable patrimonial public fait écho une
évolution en matière d’évaluation des comptes publics. Comme nous l’avons vu, il s’agit à la fois de
s’assurer de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes produits mais aussi d’évaluer
l’action publique elle-même en mettant en balance coûts et performances.

Le développement de nouvelles formes de commande publique, notamment le contrat de partenariat


créé par l’ordonnance du 17 juin 2004, induit, comme nous allons le voir dans notre prochaine section,
plusieurs questionnements en matière comptable. Il s’agit à la fois de dimensions se rattachant à la
comparaison des coûts entre public et privé et de considérations relatives aux traitements de ces
contrats dans la comptabilité patrimoniale de l’Etat. Cela concerne tant les engagements de long terme
liés aux contrats que le mode de traitement des actifs (à l’instar des biens remis en concession).

II.2 Contrats de partenariats et nouveau cadre budgétaire et comptable

Alors que ni la LOLF ni la réforme des normes comptables de l'Etat n'ont introduit de changements
majeurs dans les conditions de l'enregistrement des coûts et des paiements liés aux marchés publics
qui restent soumis à la comptabilité publique, les contrats de partenariat public-privé offrent un image
différent. En effet, à la différence des marchés publics, l'exécution des contrats de partenariat est, du
fait de leur structuration même, soumise aux règles de la comptabilité privée. La contraction du
périmètre d'application de la comptabilité publique par rapport aux marchés publics se double
cependant d'un changement de nature de l'information comptable requise pour la décision de recourir
aux PPP, la saisie des engagements publics liés, et l'éventuelle consolidation dans la dette publique.

Face aux difficultés de maîtrise des coûts dans les contrats d’acquisition traditionnels, les contrats de
partenariats sont communément présentés comme susceptibles d’apporter des réponses aux dérives
constatées en matière de marchés publics, dans la mesure où leur caractère global et forfaitaire garantit en

19
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

théorie l’acheteur public contre les risques de dérives des coûts (Banc-Brude, 2007). De la même façon, le
partage des risques entre les partenaires privés et publics permet de responsabiliser les cocontractants de
l’Etat en cas de retards de mise en service de l’actif support de la prestation. En effet, les flux de paiements
de l’Etat ne sont déclenchés que lors de la délivrance du service23 . Plus généralement, l’adjonction de
clauses incitatives permet d’intéresser le prestataire privé aux objectifs de performance et de qualité que le
partenaire public a spécifié contractuellement. Enfin, le contrat de partenariat participe d’une logique de
rationalisation de la dépense publique dans la mesure où la décision d’y recourir doit faire l’objet d’une
évaluation économique préalable qui prend la forme, dans le cas britannique, de différents tests, tels la
valeur du projet pour le contribuable (value for money), le transfert de risque et la soutenabilité des
engagements pour l’acheteur public (affordability criterion)24 . Notons que ce dernier critère permet de
s’assurer que la collectivité publique qui s’engage dans un contrat de partenariat sera bien en mesure de
faire face aux engagements de paiements tout au long de la période contractuelle 25 .

Il est peu probable que la mise en œuvre de contrats de partenariat aurait été possible dans le cadre
comptable public antérieur à la réforme liée à la LOLF : le principe de l’annualité budgétaire est
incompatible avec le fait que les PPP supposent des engagements contractuels pluriannuels et une
évaluation des coûts sur une base inter-temporelle. Supposant également des comparaisons des coûts
privés et publics avant d'y recourir, les PPP doivent être assortis d'une information budgétaire
permettant de déterminer le coût de revient d’une fonction donnée réalisée en régie. Il apparaît donc
qu’un développement efficace de tels contrats suppose la mise en place (aux côtés de la comptabilité
d’engagements traditionnelle) d'une comptabilité patrimoniale permettant de déterminer l’opportunité
du recours à un partenariat public privé 26 , d’en mesurer l’impact financier pour la collectivité publique
et d’en contrôler d’éventuelles dérives. La comparaison du développement des contrats de partenariats
au Royaume-Uni montre à cet égard qu’il est nécessaire d’accompagner la mutation des règles de la
commande publique par une réforme de l’information comptable publique.

23
Il convient cependant de relever que l’ordonnance française de juin 2004 permet de faire débuter les paiements
de la personne publique préalablement à la fourniture du service. Si une telle possibilité permet de ne pas
aggraver les difficultés d’un prestataire ne parvenant pas à remplir ses obligations contractuelles, elle n’en
affaiblit pas moins l’efficacité incitative du montage contractuel.
24
Par exemple, dans le cadre des règles en vigueur au Royaume-Uni, un projet de PPP est considéré comme
soutenable si les flux de paiements qu’il induit respectent la contrainte budgétaire inter-temporelle de la personne
publique. L’utilisation de ce critère pose cependant diverses difficultés. D’une part, l’affordability doit être
évaluée sur l’ensemble de la durée du contrat, ce qui dépasse bien souvent l’horizon budgétaire. D’autre part,
l’affordability ne doit pas être confondue avec le respect des règles de discipline budgétaire, qu’il s’agisse du
Pacte de Stabilité et de Croissance pour les pays de la zone Euro ou de la Golden Rule pour le Royaume-Uni.
25
Le contrat de PFI de l’hôpital de Dartford et de Gravesham illustre le cas dans lequel les annuités dépassaient
les capacités de paiements de l’organisme public. cf National Audit Office, (1999), The PFI Contract for the
New Dartford and Gravesham Hospital, House of Commons, n° 423, session 1998-1999.
26
La loi organique prévoit, à l’instar de nombreuses législations étrangères le maintien parallèle d’une
comptabilité de caisse au côté de la nouvelle comptabilité patrimoniale. Il apparaît que la première demeure des
plus utiles pour le Parlement en matière de suivi en temps réel de l’exécution des autorisations de dépenses. De
la même façon, une telle comptabilité présente toujours la garantie d’une moindre sensibilité aux choix
comptables réalisés par le producteur des comptes (Marty, Trosa, Voisin, 2006).

20
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

En effet, le passage à une comptabilité de gestion offre la possibilité de définir un coût complet,
intégrant par exemple le coût des ressources, de chaque service rendu par les services de l’Etat. La
définition d’un coût complet sur les mêmes bases comptables que les firmes privées est en effet une
condition nécessaires pour la mise en concurrence des offres publiques et privées dans le cadre de
contrats de partenariats (Trosa, Marty, Voisin, 2004). De la même façon, la prise en compte des
risques associés à chaque décision de gestion, peut être renforcée dès lors que le cadre comptable
exige d’enregistrer des provisions et de présenter les éventuels engagements financiers souscrits
(garanties apportées, engagements hors bilan,…) 27 .

En effet, la décision de recourir à un prestataire privé repose non seulement sur la comparaison
"statique" du coût de la prestation du service en régie avec celui de l’offre économiquement la plus
avantageuse, sortant de la mise en concurrence des offreurs privés, mais aussi et surtout sur une
comparaison de nature "dynamique". Il s’agit alors de comparer les coûts publics et privés dans le
cadre d’un arbitrage intertemporel, permettant de prendre en compte le facteur "risque", notamment
sous l’angle des dépassements de coûts (Marty, Trosa, Voisin, 2006). Ce faisant, la décision publique
doit prendre en compte une évaluation des engagements futurs, ce que ne permet pas réellement le
cadre comptable antérieur à la LOLF. En d’autres termes, qu’il s’agisse de contrats de partenariat ou
de tout arbitrage entre des choix alternatifs, une décision publique efficace nécessite un cadre financier
et comptable tendu vers le futur.

Le développement d’une comptabilité d’engagement s’avère en effet un corollaire indispensable à la mise


en œuvre de contrats de partenariats qui se distinguent notamment par leur caractère global et pluriannuel.
Une telle nécessité peut être mise en évidence non seulement au niveau de la décision publique de recourir
à ces contrats, mais aussi en matière de contrôle des engagements budgétaires qu'ils induisent.

Tout d’abord, la conclusion d’un contrat de partenariat ne saurait constituer une politique systématique28 . Il
est non seulement nécessaire d’arbitrer entre les différents types de contrats envisageables29 , mais aussi de
comparer les coûts publics et privés pour garantir ce que le Trésor britannique nomme la Valeur pour le

27
Le recours aux PPP, notamment du fait des conditions juridiques qui l’accompagnent, présente l’intérêt de
réhabiliter le « calcul économique D’ailleurs, le rapport d’activité 2006 de la Commission des Marchés publics
de l’Etat souligne l’intérêt de la démarche de l’évaluation économique préalable mise en œuvre dans le cadre des
partenariats et considère qu’elle peut servir de référence en matière d’aide à la décision pour les marchés publics.
Commission des Marchés Publics de l’Etat, (2006), Rapport d’activité, Ministère de l’Economie, Paris, 11 mai,
61p.
28
Si dans le cas français, le contrat de partenariat demeure un contrat dérogatoire vis-à-vis du cadre général de la
commande publique, la PFI (Private Finance Initiative) constitue une option par défaut au Royaume-Uni.
Cependant, la part des PPP dans les investissements publics britanniques ne dépasse pas 10 à 15 % de
l’investissement public plus de quinze ans après le lancement de cette politique.
29
L’ordonnance du 17 juin 2004 relative aux contrats de partenariats prescrit la réalisation d’une évaluation
économique préalable avant de s’engager dans la voie partenariale.

21
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

Contribuable (Value for money). Une telle comparaison repose principalement sur une information
comptable homogène permettant de comparer les coûts de façon non biaisée entre la solution interne et
l’offre privée. L’exemple britannique atteste du fait que le développement des contrats de partenariats (sous
la forme de la Private Finance Initiative – PFI) ne fut réellement effectif que dès lors que furent mis en
place non seulement une méthode de comparaison de coûts (le Public Sector Comparator en 1997), mais
aussi un cadre comptable permettant de déterminer le coût de revient des activités publiques (la Resource
Accounting and Budgeting en 1998) (Trosa, Marty, Voisin, 2004).

Une seconde raison pour laquelle le développement du recours aux contrats de partenariat pourrait
s’avérer contre productif à cadre budgétaire constant tient à la difficulté du contrôle des engagements
souscrits dans le cadre d’une comptabilité de caisse, notamment du fait de la prégnance du principe
d’annualité budgétaire. La conclusion d’un contrat de partenariat ne se traduirait, dans les comptes
publics, que par un paiement annuel sans information aucune quant aux engagements souscrits. Non
seulement, il serait impossible de déterminer la valeur actuelle nette des flux de paiements, mais la
valeur même de l’information comptable délivrée pourrait être mise en question. Le choix d’une telle
formule pourrait constituer une astuce budgétaire" permettant de dissimuler le financement d’un
investissement public par de la dette (Koen et van den Noord, 2005) et de transférer indûment la
charge du remboursement sur les générations futures (Mayston, 2001). De la même façon, les risques
associés au contrat (notamment les garanties publiques) ne pourraient être connus et ne pourraient,
bien évidemment, pas faire l’objet de provisions. Enfin, la conclusion de tels contrats dans la cadre
d’une comptabilité de caisse peut contribuer non seulement à réduire la transparence de l’information
comptable délivrée au Parlement, mais pourrait s’avérer susceptible de réduire son pouvoir du fait du
quasi-caractère de "service voté" des engagements de paiements souscrits (Kirat et Marty, 2007).

Il s’ensuit une nécessité de rendre compte des engagements souscrits dans le cadre des contrats de PPP au
sein des comptes et du budget de l’Etat. S’il n’existe pas de norme comptable internationale applicable à la
reconnaissance des actifs concernés par des contrats de PPP et des engagements induits par ces derniers,
notamment dans la mesure où il s’agit d’engagements conditionnels (Marty, 2007), un ensemble
d’évolutions permet d’espérer une meilleure traduction comptable. Tout d’abord, alors que les contrats de
PFI britanniques n’étaient que très partiellement intégrés dans les comptes publics, du fait de l’application
des FRS 5 et SSAP 21, l’adoption des IFRS va permettre d’appliquer au sein de la sphère publique la règle
IFRIC 12, initialement développée pour les groupes privés (HMT, 2007b). De la même façon, l’IPSASB
(International Public Sector Accounting Standards Board) a publié en mars 2008 un document de
consultation relatif aux règles applicables pour les service concession arrangements. Ces derniers couvrent
tous les montages à l’exception d’une part des contrats d’affermage des montages et de conception /
construction et des privatisations, d’autre part. Dans le cadre de la proposition de l’IPSASB, le critère du
contrôle est prédominant en matière de consolidation des actifs.

22
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

A cet effort de traduction comptable, notamment relayé par la Cour des Comptes dans sa certification
des comptes de l’Etat au printemps 2007, s’ajoute des règles budgétaires impliquant une couverture
des contrats par des autorisations d’engagements. Il a, en effet, été proposé de compléter
l’encadrement comptable des PPP par un système de contrôle budgétaire fondé sur le régime des
autorisations d’engagement (AE), définies dans la LOLF comme « la limite supérieure des dépenses
pouvant être engagées » (article 8-2).

Il était possible de craindre qu’à l’instar d’autres contrats publics pluriannuels, les CP ne se traduisent
dans le budget de l’Etat que par des crédits de fonctionnement annuels. Or, « cette imputation au fil de
l’eau des dépenses budgétaires ne permet pas de retracer correctement la réalité de l’engagement de
l’Etat sur longue période » (Ministère de l’Economie, 2005). Or, la généralisation du système des
autorisations d’engagement peut permettre de rendre compte en comptabilité budgétaire des
engagements juridiques de l’Etat. Il n’en demeure pas moins nécessaire de définir le degré de
couverture optimal des contrats de PPP par les AE. Une première disposition, introduite par le Sénat,
exigeait que la couverture couvre la totalité de l’engagement financier. Dès la première année de
contrat, la personne publique aurait du disposer de l’ensemble des AE correspondant au coût total du
contrat sur l’ensemble de son cycle de vie. Un tel niveau d’exigence aurait rendu le recours à de tels
contrats de long terme, difficile si ce n’est impossible. Aussi, l’Assemblée nationale substitua-t-elle à
cette exigence de couverture de la « totalité de l’engagement financier », une exigence de couverture
de la « totalité de l’engagement juridique » (Arthuis, 2005). L’AE pour la première année de contrat
doit donc couvrir la seule partie certaine de l’engagement contracté, c’est-à-dire les coûts
d’investissements et le montant contractuel du dédit 30 . A l’inverse, le montant de l’annuité (coûts de
fonctionnement et de financements) sera couvert par des AE année après année.

Ainsi la réforme du cadre comptable et budgétaire peut aussi renforcer l’efficacité des dépenses
publiques dans une optique intertemporelle. En effet, la connaissance du coût des politiques publiques
doit s’accompagner d’une évaluation des engagements de paiements induits par des contrats de long
terme ou des garanties publiques, donc de leurs conséquences financières futures, dont l’impact
financier doit être intégré dans l’information comptable 31 .

Il est donc espéré que le desserrement du carcan de l’annualité budgétaire puisse permettre d’accroître
la prégnance de la prise en compte des aspects financiers de long terme dans les décisions publiques.

30
Le dédit inclut ici à la fois la reprise de la dette (pour que le partenaire puisse couvrir l’ensemble de ses frais
financiers) et les pénalités prévues contractuellement en cas de fin anticipée du contrat (compensant, par
exemple, l’absence d’exploitation dans la durée de l’ouvrage réalisé).
31
Matheson A., (2004), “Better Public Sector Governance: The Rationale for Budgeting and Accounting Reform
in Western Nations”, in Models of Public Budgeting and Accounting Reforms, OECD Journal on Budgeting,
volume 2, supp.1, August.

23
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

Le budget pourrait alors recouvrer sa signification première qui est de présenter un plan de
financement orienté vers le futur et annonçant les allocations de ressources publiques entre les
différents usages alternatifs (Kotlikoff, 1992). Ainsi, les états financiers publics doivent-ils permettre
d’éclairer la décision publique en fournissant une image sincère et fidèle de la situation et de la
performance financière de l’entité publique.

III. L’impact des normes comptables sur l’action publique

Il apparaît que le système comptable et budgétaire public doit s’adapter aux mutations de l’action
publique et notamment à celles des procédures d’acquisition publique. Il s’agit donc de redéfinir le
destinataire de l’information comptable. Celui-ci n’est plus simplement un contrôleur de légalité, mais
aussi un évaluateur de l’opportunité et des modalités économiques de l’acquisition.

III.1 - Conception de l’action publique et adoption des normes comptables issues du privé

La comptabilité actuelle est exclusivement fondée sur le contrôle des engagements par le Parlement et
non sur le suivi de l’efficacité économique des activités ou le suivi des marchés. Le problème est donc
de passer d’une comptabilité focalisée sur la régularité juridique de la consommation d’inputs à une
comptabilité sur les outputs voire les outcomes (Gibert et Andrault, 1996). Cependant, un autre risque
existe : celui d’avoir une information comptable calquée sur les normes du privé (one size fits all) à
néo-zélandaise (Ellwood and Newberry, 2007) et donc perdre de vue les spécificités de la comptabilité
publique. L’erreur serait alors d’assimiler logique publique et logique d’une entreprise privée et de
songer que le destinataire principal du reporting est l’apporteur de capital.

Réflexions sur les destinataires de l’information comptable

Si la gouvernance des entreprises peut apparaître comme une médiation entre les firmes et les marchés
financiers (Aglietta et Rebérioux, 2004b), il ne peut en aller de même en matière publique. La
gouvernance financière de l’Etat peut être considérée comme une médiation entre action publique et
les différents stakeholders. Elle vise, en ce sens, à permettre le contrôle des apporteurs de ressources,
qu’il s’agisse de ressources fiscales (contrôle du Parlement et des cours des comptes) ou de ressources
levées sur les marchés financiers. L’ensemble des exigences pesant sur les entreprises (Mistral, 2003)
peuvent se retrouver peu ou prou dans le nouveau cadre comptable et financier applicable aux
administrations publiques, à l’instar de l’utilisation d’indicateurs de gestion fondée sur la mesure de la
performance et du couple transparence / responsabilité.

24
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

La comptabilité budgétaire actuelle correspond aux besoins de contrôle de la partie prenante "dominante"
(en termes d’apports de ressources) ; à savoir le Parlement. A l’instar de ce que l’on observe pour la
comptabilité privée, les évolutions des poids relatifs des différentes parties prenantes peuvent se solder par
des transformations de l’information comptable de façon à permettre un reporting satisfaisant au besoin de
contrôle de l’utilisation des ressources apportées. Il s’ensuit, dans le cas de l’Etat, une exigence
d’accountability32 de la part des électeurs-contribuables et pour les marchés financiers la demande d’une
information financière de type privé, permettant d’évaluer la valeur d’une garantie publique ou d’un projet
d’investissement public du moment où il est fait appel aux marchés de fonds prêtables pour son
financement33 , notamment sous la forme d’un partenariat public-privé. Ainsi, l’accountability peut-elle être
rapprochée des exigences de souveraineté des actionnaires (Aglietta et Rebérioux, 2004a), Celle-ci réclame
de la même façon la primauté d’une logique financière garantissant une meilleure efficacité économique
dans la répartition des risques et l’allocation des ressources financières, ainsi que le renforcement du
contrôle s’exerçant sur les "managers".

Cependant, les normes comptables ne sauraient constituer, comme nous l’avons vu, une traduction
quantifiée neutre de l’activité d’une entité économique, qu’il s’agisse d’une firme ou de l’Etat. « Adopter
un langage comptable plutôt qu’un autre, c’est adopter une représentation de l’entreprise : la nature de
l’information que l’on produit sur une activité dépend très largement de l’idée que l’on se fait, ou que l’on
veut bien se donner, sur cette activité » (Aglietta et Rebérioux, 2004b, p. 151). Il apparaît que les normes
comptables et les documents qui en découlent ne peuvent que très difficilement prétendre à une réelle
objectivité. Tout d’abord, la quantification d’un phénomène pose la question de la construction des
catégories. « Reality does not exist independantly of accounts of it » (Hines, 1988). De plus, comme toute
convention d’évaluation, la comptabilité doit se concevoir comme un construit social, influencé non
seulement par des circonstances particulières de temps et de lieu, mais aussi par les "rapports de forces"
entre les différentes parties prenantes (Eyraud, 2004) pour orienter la nature de l’information comptable
dans le sens de la protection de leurs intérêts. "In this way accounting needs to be understood not as neutral
– if not benign – technical means of promoting accountability, but as a sociological and institutional

32
Les normes comptables australiennes constituent un exemple significatif de cette approche :
“Managements and Governing bodies shall present general purpose financial reports in a manner which assists
in discharching their accountability. [Accountability is defined as] the responsibility to provide information to
enable users to make informed judgements about the performance, financial position, financing and investing
and compliance of the reporting entity”. Public Sector Accounting Board of the Australian Accounting Research
Foundation, (1990), “Financial Reporting by Local Governments”, Australian Accounting Standard n° 27.
33
Il convient, cependant, tant dans le domaine de la gouvernance d’entreprise que dans celui de l’accountability
requise en matière de comptes publics, de souligner que le terme de shareholder, i.e. d’actionnaire est, en grande
partie, réducteur. En effet, le terme d’actionnaire renvoie à des individus atomistiques, dépourvus de pouvoir de
marché et disposant tous de la même information. Il conviendrait plutôt de parler d’investisseurs pour traduire
leur hétérogénéité (Charron, 2004).

25
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

practice which itself needs to be made accountable through those who endorse and practice it” (Hopwood
and Miller, 1994).

Deux dimensions de l’information comptable doivent donc être mises en exergue.

La première concerne l’impossibilité d’une traduction objective de la réalité de l’activité de l’entreprise


(Carnegie and West, 2004). Toute technique comptable est porteuse en elle-même d’une évaluation, d’un
jugement. “Representations, accounting and others, are not disinterested characterisations of the world but
rather are arguably created in order to act and master it” (Mc Sweeney, 1997, p. 708). En d’autres termes,
la comptabilité est performative par nature. "We represent in order to intervene in the light of
representations" (Hacking, 1983). La performance de l’entité ne préexiste pas à la mesure comptable. Elle
dépend des critères de jugements portés par les normes comptables. Nous retrouvons ici la problématique
de la positive accounting theory, selon laquelle la comptabilité ne saurait être tenue pour neutre et ne
permettrait donc pas de mesurer objectivement les résultats économiques des entreprises (Watts &
Zimmerman, 1978). Pour celle-ci les choix comptables des firmes traduisent des comportements
opportunistes et maximisateurs. En d’autres termes, les comptes ne révèlent pas une vérité objective mais
sont tout simplement le reflet des intérêts particuliers des entités concernées. La positive accounting theory
considère de la même façon que « les théories comptables normatives sont des arguments, des « excuses »
que s’échangent les protagonistes pour essayer de justifier au nom de l’intérêt général, que ces théories
mettent en avant (une mesure plus « juste », une image plus « fidèle »), ce qui est en fait motivé en
profondeur par l’impact des règles comptables sur des intérêts égoïstes » (Watts et Zimmerman, 1979).

La seconde concerne l’influence de l’évolution des poids relatifs des diverses parties prenantes dans la
dynamique des normes comptables. En ce sens, les évolutions des catégories comptables publiques
pourraient être lues comme étant en partie liées à la montée de l’endettement des Etats, lequel se
traduit par un renversement des poids relatifs des deux catégories d’apporteurs de ressources à savoir
les parlements et les marchés de fonds prêtables. L’information comptable viserait dès lors non plus
exclusivement à vérifier la régularité juridique de la consommation des crédits votés par l’assemblée
délibérante 34 mais aussi à rendre compte de la capacité de l’Etat à faire face à ses engagements vis-à-
vis de ces prêteurs, i.e. de sa solvabilité (voir figure 1).

34
Rappelons que la Loi Organique prévoit la coexistence des deux cadres comptables.

26
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

Figure 1 : Les incidences de l'adoption d'une comptabilité patrimoniale

Comptabilité de Caisse Comptabilité Patrimoniale

Logique économique /
Logique légale / parlementaire
financière
Accountability dirigée vers les Accountability dirigée vers
parlementaires les apporteurs de capitaux

Rendre compte de l’utilisation des Rendre compte de la capacité


fonds destinés à couvrir les coûts de l’Etat à faire face au
induits par les services publics service de sa dette

A ce titre la question des normes comptables adoptées par les administrations publiques devient
déterminante. Il s’agit non seulement de s’interroger sur l’adéquation de normes forgées pour des
entreprises privées à l’activité de l’Etat, mais aussi sur l’impact de l’évolution actuelle des normes
comptables qui seront à terme appelées à s’appliquer à la sphère publique, notamment sous l’effet des
normes IFRS.

L’impact potentiel de l’adoption des normes du privé

La théorie comptable oppose classiquement les approches dynamiques et statiques de la comptabilité


(Biondi, 2003). L’approche dynamique correspond à une vision holiste de l’entité (Schmalenbach, 1926).
Elle considère que les actifs sont la résultante des investissements passés. Ils sont la capitalisation des
dépenses liées à leur acquisition. Ils n’ont pas de valeur en eux-mêmes et ne doivent être inscrits dans le
bilan que dans la mesure où ils participent à l’activité de l’entité. Il convient donc de les enregistrer à leur
coût d’entrée et de maintenir cette évaluation dans le temps, tout en passant les dotations aux
amortissements nécessaires. Ainsi, l’évolution des évaluations des éléments de l’actif du bilan ne peuvent
venir que de facteurs internes (dotations aux amortissements et provisions) et plus rarement d’éléments
externes (évolution des prix de marchés des actifs concernés). A l’inverse, l’approche statique de la
comptabilité « [a] pour objet, de mesurer la valeur liquide des actifs d’une entreprise pour vérifier la

27
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

capacité de cette entreprise à rembourser immédiatement son passif» (Aglietta et Rebérioux, 2004b, p.
168). La comptabilité est ici vue comme un instrument d’information et de protection des créanciers
(Colette et Richard, 2000). Il s’agit d’évaluer les actifs en fonction de leur valeur liquidative. Dans le cadre
d’une pure logique statique, la valorisation d’un actif dans le bilan est donc déterminée par sa valeur de
marché35 . Or, la prise de position (certes nuancée et limitée quant à son champ d’application) de
l’International Accounting Standard Board (IASB) en faveur d’une comptabilité en juste valeur peut faire
craindre la convergence progressive des normes comptables du privé vers une approche de type statique,
laquelle entraînerait à sa suite la comptabilité publique.

L’adoption par l’Etat d’une comptabilité d’inspiration statique (caractérisée par exemple par la
valorisation des actifs publics à leur valeur de marché) entraînerait un réel glissement dans la nature
même de l’information comptable publique 36 . Il ne s’agirait plus de rendre compte de l’action
publique devant le Parlement votant un impôt destiné à couvrir les coûts de cette dernière, mais de
renseigner sur la protection des intérêts d’une catégorie particulière de parties prenantes à l’action
publique, celle des apporteurs de ressources externes. L’adoption de telles normes comptables dans le
domaine public distordrait l’information comptable publique, notamment en valorisant chaque actif
public non seulement dans une optique liquidative mais de plus isolément les uns des autres (Bignon,
Biondi, Ragot, 2004), De plus, nous pouvons ajouter à cela la spécificité de l’Etat au regard du
principe de rattachement des charges aux produits de la comptabilité privée. Alors qu’en comptabilité
d’entreprise, il s’agît de déterminer d’abord les revenus (produits) et y rattacher ensuite les coûts
(charges) correspondants, dans le domaine de la comptabilité publique la logique (ou la nécessité) est
de déterminer d’abord les coûts (charges) devant être supportées et financées par les contribuables.
Alors qu’en comptabilité d’entreprise le produit suppose des prix, un revenu d’entreprise, la
disponibilité à payer des clients, une évaluation par le marché, en comptabilité publique de telles
conditions ne sont pas réunies : l’activité publique vise pas le profit, les prélèvements fiscaux de
dépendent pas du consentement à payer… (Biondi et Kirat, 2007).

Enfin, la question de l’adéquation des normes comptables privées à la sphère publique doit être posée non
seulement au niveau de l’évaluation de chaque projet d’investissement public en fonction des seuls flux
financiers générés par ce dernier mais aussi en matière de valorisation des actifs. Or, l’évaluation de chaque
actif au prix de marché peut induire des biais. Un exemple peut être trouvé dans le domaine du patrimoine
35
Si l’approche dynamique a inspiré les systèmes comptables français et anglo-saxons, l’approche statique ne fut
longtemps dominante qu’en Allemagne. Cependant, le principe de prudence comptable empêchait de tenir
compte des plus-values latentes sur les biens. Ainsi, la valeur des actifs au bilan n’était elle corrigée que dans la
mesure où le prix de marché s’inscrivait en deçà du coût historique amorti. Pour une vue historique, voir Biondi
Canziani et Kirat (2007).
36
Le “risque” n’est pas exclusivement virtuel dans la mesure où même si la Loi Organique Française de 2001
demeure ambiguë sur la question, les pays “précurseurs” sur la question telle l’Australie ont clairement fait le
choix d’une logique statique. Pour les normes comptables australiennes (Australian Accounting Standard Board
– 1995), les actifs sont évalués en fonction des cash flows anticipés que généreront leur détention.

28
Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

naturel ou culturel37 . Comment valoriser les collections d’un musée national ou d’une bibliothèque
nationale ? Le cumul des valeurs de marché de chaque pièce prise isolément fournit-il une bonne
approximation de la valeur pour la collectivité nationale d’un musée ? Peut-on de la même façon, apprécier
son utilité sociale à partir de la somme actualisée des flux de ressources que son exploitation génère ou à
partir du rapport (mesurant la rentabilité) entre ces deux valeurs ?

De la même façon, fonder l’évaluation d’un actif ou d’un projet d’investissement sur les flux futurs de
trésorerie peut apparaître comme légitime dans le cadre de l’activité d’une entreprise dont l’objet est
de dégager des flux de ressources au profit de ses actionnaires. Ainsi, la comptabilité privée traduit la
capacité de l’entreprise à maximiser la richesse de ses shareholders, ainsi que le montant que ces
derniers pourraient récupérer en cas de cessation de l’activité. Or, l’action publique ne vise pas
principalement à générer des flux financiers. Si l’adoption d’un système comptable de nature
patrimoniale permet de s’assurer du bon usage des deniers publics et donc de participer à la
transparence de l’action publique, la concentration sur les seules dimensions monétaires risque
d’occulter la question de la qualité du service rendu à la collectivité 38 .De tels objectifs ne sont
réalisables que dans la mesure où la comptabilité patrimoniale sert de base à l’établissement d’une
comptabilité de gestion et que les procédures d’évaluation ne se limitent plus à une logique de contrôle
de légalité mais se prolongent dans le sens d’audits de performance.

Conclusion

Les normes de comptabilité budgétaires ne sauraient donc être considérées comme des techniques de
quantifications objectives et neutres quant au jugement qu’il peut être tiré de la lecture des documents
de synthèse comptables qui en découlent. Le débat autour de la Positive Accounting Theory 39 illustre
la difficulté de « penser en même temps que les objets mesurés existent bel et bien et que cela n’est
qu’une convention 40 ». A ce titre, se saisir de l’information comptable comme d’une convention peut
permettre de rendre compte des effets sociaux de la quantification qui lui est associée. Pour reprendre
les termes de Chiapello et Desrosières, il s’agit de reconnaître une double nature à celle-ci. Elle est à la
fois un outil de preuve et un instrument de coordination.

37
Carnegie G.D. and West B.P., (2004), op. cit.
38
Walker R.G., (2002), “Are Annual Reports of Government Agencies Really “General Purpose” if they do not
include Performance Indicators?”, Australian Accounting Review, volume 12, n° 1, pp 43-54.
39
Chiapello E. et Desrosières A., (2006), op. cit.
40
Desrosières A., (2000), La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, La Découverte,
Paris.

29
Thierry KIRAT et Frédéric MARTY

En effet, la comptabilité publique, tout comme la comptabilité privée fait figure de convention
d’évaluation instituée 41 . A ce titre, elle doit être analysée comme la résultante d’un équilibre entre les
points de vue et les intérêts des diverses parties prenantes et contribue à construire, par ses catégories,
les politiques publiques elles-mêmes. Ainsi, la construction des règles et les négociations autour de
celles-ci reposent sur un lien pragmatique entre l’action et son objet, mettant en lumière le caractère
performatif de la comptabilité.

En ce sens, les évolutions du droit de la commande publique vers le recours aux PPP et de la
comptabilité publique font écho l’une à l’autre et s’inscrivent dans une mutation de l’action publique,
dont il s’agira à l'avenir de mesurer toutes les conséquences, que cela soit au niveau de la traduction
comptable des engagements ou de la reconnaissance des actifs concernés ou que cela soit au niveau de
la soutenabilité budgétaire de ces derniers, ce qui oblige à raisonner sur une base inter-temporelle et
donc d’évaluer les engagements budgétaires futurs certains ou conditionnels liés aux contrats. La
question de l’affordability est en effet déterminante dans la mesure où elle garantit la capacité de la
personne publique à faire face à ses obligations tout au long du contrat, capacité souvent à l’origine de
dépassements de coûts et de délais dans le cadre des contrats publics traditionnels, au travers
notamment des phénomènes de régulation budgétaire (Kirat et al., 2003). Il s’agit donc de la capacité à
financer le projet tout au long de son exécution : a PPP project is affordable if the expenditure it
implies for government can be accommodated within current levels of government expenditure and
revenue and if it can also be assumed that such levels will be and can be sustained into the future
(Burger et al., 2008). De telles questions, au-delà même de la consolidation des contrats de PPP dans
la comptabilité patrimoniale publique, conduisent à s’interroger sur l’évaluation des obligations issues
de ces derniers et de leur révision tout au long du contrat afin d’apprécier le risque auquel est exposé le
contractant public.

41
Il convient de souligner le fait que conventionnel ne signifie en rien arbitraire. Les conventions comptables
reposent en effet sur des règles explicites produites dans le cadre de procédures négociées et encadrées au sein
par exemple de l’IASB ou du CNC (Chiapello et Desrosières, 2006)

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Système d'information comptable de l’Etat et contrôle de l'exécution des contrats publics

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