Della-Ricca N. - Tfe Définitif

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Répression pandémique : analyse d'un régime pénal sanitaire à la lumière de


quelques principes fondamentaux du droit pénal belge

Auteur : Della-Ricca, Nicolas


Promoteur(s) : Thirion, Nicolas
Faculté : Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie
Diplôme : Master en droit, à finalité spécialisée en droit privé
Année académique : 2021-2022
URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/14674

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Département de Droit

Répression pandémique : analyse d’un régime pénal sanitaire à la lumière de


quelques principes fondamentaux du droit pénal belge

Nicolas Della-Ricca

Travail de fin d’études

Master en droit à finalité spécialisée en droit privé

Année académique 2021-2022

Recherche menée sous la direction de :

Monsieur Nicolas THIRION

Professeur ordinaire
RÉSUMÉ

Le 11 mars 2020, le monde entier fut confronté à une situation de pandémie jusqu’alors
inédite. Afin d’endiguer celle-ci, le gouvernement dû s’atteler à un exercice normatif
d’extrême urgence. Il entreprit, dans ces conditions, un travail de contrainte du citoyen dans le
but de pousser celui-ci à respecter les diverses mesures estimées nécessaires.

Cette responsabilisation de l’individu prit immédiatement une dimension pénale. Celle-ci a


vocation à être envisagée dans la première partie de ce mémoire qui analysera les dispositifs
normatifs principaux auxquels il a été recouru.

Ensuite, la seconde partie comportera une analyse métajuridique en ce qu’elle consistera en


un questionnement sur la compatibilité du régime répressif « Covid-19 » avec l’État de droit
et la procédure pénale y correspondant. Nous mobiliserons, à ce titre, le Traité des délits et
des peines de Cesare Beccaria afin d’énoncer trois principes fondamentaux de la norme
pénale et d’observer leurs origines philosophiques.

Enfin, nous conclurons succinctement en rappelant la place qu’eut le droit pénal au sein de la
crise sanitaire passée et en se questionnant sur les limites des dérogations à ses principes
fondamentaux.

2
3
REMERCIEMENTS

Je souhaite, en premier lieu, remercier vivement le Professeur Nicolas Thirion. Ses


enseignements, dès la deuxième année de bachelier en droit, m’ont appris à faire du doute une
méthode. Dans le cadre de ce travail, je tenais à souligner son implication, sa disponibilité et
ses conseils judicieux.

Dans un registre beaucoup plus personnel, je tenais aussi à remercier deux personnes
particulières.

Je tiens à remercier ma mère, Madame Giuseppina Faldetta , à qui je dois tout. Son support
inconditionnel, sa persévérance et son amour ont déterminé ma vie.

Je tiens à remercier ma grand-mère, Madame Rosalia Provenzano. Son nom, aux saveurs de
l’immigration italienne, révèle une vie de sacrifice. Les racines qu’elle m’a transmises m’ont
été d’une aide précieuse dans la compréhension de certains ouvrages nécessaires au présent
travail. Je ne concevais pas qu’elle ne figurasse pas à l’aboutissement de ces cinq années de
travail.

4
5
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION .................................................................................................................................................. 9

I.- PRÉSENTATION DES PRINCIPALES INFRACTIONS LIÉES À LA COVID-19 .......................... 10

A.- DES DIVERS ARRÊTÉS MINISTÉRIELS PRIS EN APPLICATION DE LA LOI DU 15 MAI 2007 RELATIVE À LA
SÉCURITÉ CIVILE ................................................................................................................................................ 10
1) Au commencement, était la loi sur la sécurité civile........................................................................... 10
a) Une technique législative : la loi d’habilitation ordinaire ................................................................................ 10
b) La loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile : dispositions pénales et fondement législatif incertain .... 11
1. Contexte général et ratio legis .................................................................................................................... 11
2. Dispositions pertinentes .............................................................................................................................. 12
a. Cadre légal ............................................................................................................................................. 12
b. Éléments de répression .......................................................................................................................... 13
2) Le Roi créa les arrêtés ministériels en application de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité
civile ............................................................................................................................................................. 13
a) Des interdictions sanctionnées pénalement ...................................................................................................... 14
b) Des permissions exceptionnelles...................................................................................................................... 14
1. Les activités en cercle intime ou familial et les cérémonies funéraires ...................................................... 14
2. Les promenades et activités physiques ....................................................................................................... 14
c) L’instauration d’un couvre-feu ........................................................................................................................ 15
1. Interdiction de principe ............................................................................................................................... 15
2. Les exceptions au couvre-feu ..................................................................................................................... 15
B.- LES ARRÊTÉS ROYAUX PRIS EN APPLICATION DE LA LOI DU 14 AOÛT 2021 RELATIVE AUX MESURES DE
POLICE ADMINISTRATIVE LORS D'UNE SITUATION D'URGENCE ÉPIDÉMIQUE ....................................................... 16
1) La loi « Pandémie » ............................................................................................................................ 16
a) Des objectifs louables… .................................................................................................................................. 16
b) … pour un dispositif pénal inchangé ............................................................................................................... 17
1. Disposition légale pertinente ...................................................................................................................... 17
2. Éléments de répression ............................................................................................................................... 18
2) L’arrêté royal du 28 octobre 2021 pris en application de la loi « Pandémie » ................................. 18
C.- UN EXEMPLE DE DISPOSITIF NORMATIF RELATIF À L’UTILISATION DU COVID SAFE TICKET : LE DÉCRET
WALLON DU 21 OCTOBRE 2021 RELATIF À L’USAGE DU COVID SAFE TICKET ET À L’OBLIGATION DU PORT DU
MASQUE ............................................................................................................................................................. 19
1) Brèves considérations de droit constitutionnel ................................................................................... 19
a) Le pouvoir répressif des entités régionales ...................................................................................................... 19
b) De l’accord de coopération .............................................................................................................................. 20
2) Dispositions pénales relatives à l’usage du COVID Safe Ticket ........................................................ 20
3) Dispositions pénales relatives au port du masque .............................................................................. 21
D.- LES INFRACTIONS DE DROIT COMMUN APPLIQUÉES À LA GESTION DE LA CRISE SANITAIRE ................. 22
1) La menace par substance .................................................................................................................... 22
a) Éléments matériels ........................................................................................................................................... 23
b) Élément moral .................................................................................................................................................. 23
2) L’administration de substances mortifères ou nuisibles ..................................................................... 23
a) Éléments matériels ........................................................................................................................................... 23
b) Élément moral .................................................................................................................................................. 24

II.- ÉVALUATION DU DISPOSITIF NORMATIF BELGE À LA LUMIÈRE DE DIVERS


PRINCIPES FONDAMENTAUX DE PHILOSOPHIE PÉNALE .................................................................. 25

A.- PROPOS LIMINAIRES ............................................................................................................................. 25


1) L’origine philosophique du droit pénal moderne : Cesare Beccaria ................................................. 25
a) Aspects biographiques ..................................................................................................................................... 25
b) Réception générale du Traité des délits et des peines : évolution de la théorie sociale pénale ....................... 26
2) Méthodologie d’analyse des principes................................................................................................ 27
B.- LE PRINCIPE DE LÉGALITÉ .................................................................................................................... 28
1) L’œuvre du législateur ........................................................................................................................ 28

6
a) Conséquences de ce caractère pour l’œuvre législative ................................................................................... 28
b) Conséquences de ce caractère pour l’œuvre juridictionnelle ........................................................................... 29
c) Caractère large de la notion de législateur ....................................................................................................... 29
d) Consécration en droit positif belge .................................................................................................................. 30
2) À l’origine de ce premier principe : le troisième chapitre du Traité des délits et des peines de Cesare
Beccaria ........................................................................................................................................................ 30
3) Le principe de légalité à l’épreuve de la pandémie ............................................................................ 31
a) Un libellé incertain ........................................................................................................................................... 31
b) La loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile: une jurisprudence divisée .......................................................... 32
1. Arguments en faveur de la légalité ............................................................................................................. 32
2. Arguments en défaveur de la légalité ......................................................................................................... 33
c) La loi… rien que la loi ? L’influence de la circulaire n°COL 6/2020 ............................................................. 33
C.- LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE D’ALLER ET VENIR ..................................................................................... 34
1) Principe ............................................................................................................................................... 34
2) L’habeas corpus chez Beccaria : la volonté de s’affranchir de la pratique de la capture................. 35
3) La détention préventive en Belgique : aspects .................................................................................... 36
a) Le texte constitutionnel .................................................................................................................................... 36
b) Le fonctionnement général de la détention préventive en droit belge ............................................................. 36
1. Cadre législatif national .............................................................................................................................. 36
a. Conditions de fond ................................................................................................................................ 36
b. Conditions de forme .............................................................................................................................. 37
c. Le maintien de la détention préventive ................................................................................................. 37
2. Un droit garanti internationalement ............................................................................................................ 38
4) La Belgique, bonne élève en période de pandémie ............................................................................. 38
D.- L’INTERPRÉTATION DE LA LOI PÉNALE ................................................................................................ 39
1) Le droit pénal est de stricte interprétation.......................................................................................... 39
2) À l’origine philosophique du principe d’interprétation stricte de la loi pénale : séparation des
pouvoirs, volonté de s’affranchir du juge et théorie du syllogisme.............................................................. 40
3) Le juge pandémique, un nouveau dictionnaire infractionnel ............................................................. 41

CONCLUSION ..................................................................................................................................................... 42

7
INTRODUCTION

Le 11 mars 20201, l’Organisation Mondiale de la Santé annonçait que la Covid-19 pouvait


être qualifiée de pandémie et sonnait le tocsin de ce qui allait alors devenir une « guerre »
sanitaire. Si, politiquement, la rhétorique martiale fut vite adoptée2, il ne fallut guère attendre
pour que la gestion juridique de cette crise prenne également une tournure singulière. De cette
gestion exceptionnelle, demeurent encore aujourd’hui des stigmates. Ceux-ci sont politiques 3
mais surtout, et ceux-là constitueront l’objet de notre étude, juridiques.

Plus spécifiquement, nous tâcherons de réaliser une évaluation juridique et philosophique du


dispositif répressif qui entoura la gestion de la circulation du virus Sars-Cov-2. Pour ce faire,
il nous faudra d’abord analyser l’ensemble de normes pénales destinées à régir les
comportements en situation de crise sanitaire. À cet égard, nous distinguerons quatre
instruments législatifs : (1) les arrêtés ministériels pris en application de la loi du 15 mai 2007
relative à la sécurité civile ; (2) les arrêtés royaux pris en application de la loi du 14 août 2021
relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique ; (3)
le décret du 21 octobre 2021 relatif à l’usage du COVID Safe Ticket et à l’obligation du port
du masque ; (4) les infractions de droit commun appliquées à la gestion de la circulation du
virus Sars-Cov-2.

Dans un second temps, nous analyserons les dispositifs normatifs précités à la lumière de
divers principes fondamentaux de la philosophie pénale. À cet effet, nous nous concentrerons
sur l’auteur qui a cristallisé l’éthique pénale de l’État de droit : Cesare Beccaria. Nous
mobiliserons, à cette fin, certains principes, leur origine philosophique et leur consécration en
droit positif belge. Nous évaluerons ensuite leur respect par le législateur et la jurisprudence
en temps de pandémie. Fort de cette évaluation, nous tenterons de dresser une analyse du
cadre juridique que nous avons connu.

Enfin, nous conclurons succinctement en évoquant les diverses analyses émises qui nous
permettront de dresser un état général du respect par l’État belge de ce que doit être la norme
pénale au sein d’un État de droit.

1
https://www.who.int/fr/director-general/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-media-
briefing-on-covid-19---11-march-2020
2
https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/17/nous-sommes-en-guerre-face-au-coronavirus-emmanuel-
macron-sonne-la-mobilisation-generale_6033338_823448.html
3
Nous avons pu voir, par exemple, lors des inondations survenues en juillet 2021, le bourgmestre de Verviers
décréter un couvre-feu, ce qui jusqu’ici n’avait rien d’anodin. (https://www.lesoir.be/384205/article/2021-07-
15/inondations-un-couvre-feu-impose-verviers)

9
I.- PRÉSENTATION DES PRINCIPALES INFRACTIONS LIÉES À
LA COVID-19

Il prescrit à chacun sa place, à chacun son corps, à chacun sa


maladie et sa mort, à chacun son bien, par l’effet d’un pouvoir
omniprésent et omniscient qui se subdivise lui-même de façon
régulière et ininterrompue jusqu’à la détermination finale de
l’individu, de ce qui le caractérise, de ce qui lui appartient, de
ce qui lui arrive

Michel Foucault

A.- DES DIVERS ARRÊTÉS MINISTÉRIELS PRIS EN APPLICATION DE LA LOI


DU 15 MAI 2007 RELATIVE À LA SÉCURITÉ CIVILE

1) Au commencement, était la loi sur la sécurité civile

a) Une technique législative : la loi d’habilitation ordinaire

L’article 105 de la Constitution permet au législateur d’habiliter le Roi à adopter des normes
juridiques allant plus loin que la simple exécution des lois 4. Dans ce cas, on parle de loi
d’habilitation ordinaire.

Selon A. ALEN, de telles lois d’habilitation sont « des lois confiant au Roi le soin de régler
des matières relevant de la compétence résiduelle du législateur »5. Les pouvoirs ainsi
conférés au Roi doivent être définis de manière restrictive et prévisible6.

Par un arrêt de 20067, la Cour constitutionnelle a, à propos de ces lois, précisé qu’elles ne
pouvaient en aucun cas laisser au Roi la possibilité de fixer les choix politiques essentiels.

4
C. BEHRENDT et M. VRANCKEN, Principes de droit constitutionnel belge, Bruxelles, La Charte, 2019, p.
342.
5
A. ALEN, Handboek van het Belgisch staatsrecht, Deurne, Kluwer, 1995, p. 193.
6
Civ. fr. Bruxelles (réf.), 31 mars 2021, J.L.M.B., 2021, p. 738.
7
C.C., 28 juillet 2006, n° 124/2006.

10
Ceux-ci doivent, pour la Cour, être fixés par l’assemblée législative. Toutefois, « le soin
d’arrêter les modalités de leur mise en œuvre peut être laissé au pouvoir exécutif. »8

L’étendue de cette habilitation est extrêmement large. Comme le relève M. LEROY, « elle
peut aussi aller jusqu’à autoriser le Roi à prendre des mesures qui, normalement, relèveraient
du pouvoir législatif. (…) Elle peut aussi n’attribuer au Roi qu’une compétence entièrement
liée (…) tous les intermédiaires sont imaginables »9.

Si l’ampleur de l’habilitation est étendue, il n’en demeure pas moins que les buts que doit
atteindre le Roi doivent être indiqués précisément par la loi 10. Le corollaire de cette exigence
de précision est la nécessité pour le Roi, lorsqu’il adopte des actes en vertu d’une loi
d’habilitation, de respecter strictement les buts définis par le législateur.

Enfin, l’infraction ainsi consacrée par le pouvoir exécutif demeure plus fragile que lorsqu’elle
l’œuvre du législateur. En effet, l’article 159 de la Constitution, qui permet au juge d’écarter
les actes législatifs du pouvoir exécutif peut s’appliquer dans ce cas et, partant, déposséder
l’infraction de son caractère légal.

b) La loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile 11 : dispositions


pénales et fondement législatif incertain

1. Contexte général et ratio legis

La loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile a servi de fondement législatif à la


répression pénale des mesures reprises dans l’arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des
mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-1912 et ses multiples
successeurs.

Avant d’aller plus avant, il convient de préciser le contexte dans lequel cette loi a été
élaborée.

Pour cela, il nous faut remonter à la catastrophe de Ghislenghien 13, survenue le 30 juillet
2004. En ce jour, l’explosion d’une conduite de gaz sous haute pression, causée par une fuite
de gaz, fit 24 morts et 132 blessés. Ce malheureux accident fut l’occasion, pour le législateur,
de se pencher sur la législation portant organisation des services de secours, dépassée alors
par les enjeux de la société moderne.

8
C.A, 3 mars 2004, n°31/2004, B.5.4, disponible sur www.juportal.be.
9
M. LEROY, Les réglements et leurs juges, Bruxelles, Bruylant, 1987, p. 38-39.
10
C. BEHRENDT et M. VRANCKEN, op. cit., p. 342.
11
Loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, M.B., 31 juillet 2007.
12
Arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus
COVID-19, M.B., 18 mars 2020.
13
Ladite catastrophe est mentionnée en toutes lettres au sein des documents parlementaires relatifs à la loi. Voy.
Projet de loi relatif à la sécurité civile, résumé, Doc., Ch., 2006-2007, n°2928/001, p. 3.

11
Réagissant à cette catastrophe, le législateur souhaita réformer la sécurité civile, qu’il définit
comme « l'ensemble des mesures et des moyens civils nécessaires pour accomplir les
missions visées par la loi afin de secourir et de protéger en tous temps les personnes, leurs
biens et leur espace de vie »14.

Ces missions de sécurité civile, définies à l’article 11 de la loi, sont :

1. Le sauvetage de personnes et l’assistance aux personnes dans des circonstances


dangereuses et la protection de leurs biens ;
2. L’aide médicale urgente ;
3. La lutte contre l’incendie et l’explosion et leurs conséquences ;
4. La lutte contre la pollution et contre la libération de substances dangereuses en ce
compris les substances radioactives et les rayons ionisants 15 ;
5. L’appui logistique.

D’emblée, nous attirons l’attention du lecteur sur la difficulté de rapprocher la ratio legis de
cette loi relative à la sécurité civile avec la gestion d’une pandémie. S’il est certain que l’on
peut relever, dans les deux cas, des enjeux humains, c’est là le seul rapprochement qui peut
être fait. En effet, il est difficile de concevoir que le législateur, qui souhaitait favoriser
l’accès des secours à proximité d’une catastrophe, ait imaginé qu’il soit ainsi possible de
contraindre pénalement un pays entier au confinement, d’y suspendre l’enseignement et de
régir le citoyen jusqu’à dans la façon dont il doit se promener ou voyager.

Pourtant, il s’agit bien là de la loi qui a servi de fondement légal à la répression pénale
imposée par les divers arrêtés ministériels dont nous proposerons infra16 l’analyse.

2. Dispositions pertinentes

a. Cadre légal

L’article 187 de la loi du 15 mai 2007 incrimine certains comportements et dispose que « le
refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 181,
§ 1er et 182 sera puni, en temps de paix, d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et
d’une amende de vingt-six à cinq cents euros, ou d’une de ces peines seulement. »

Ce sont précisément les deux dispositions citée par l’article 187 qui fondent le pouvoir du Roi
puisque l’article 181 permet au « ministre »17 ou son délégué de réquisitionner des personnes
ou des choses qu’il jugerait utiles « dans le cadre de la sécurité civile et pour les besoins de
celle-ci ». L’article 182, quant à lui, permet au même ministre ou à son délégué, « en cas de
circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, [d’]obliger celle-ci
à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et
[d’]assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure [et d’] interdire
tout déplacement ou mouvement de la population. ».

14
Loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, M.B., 31 juillet 2007, art. 3.
15
Nous soulignons.
16
Point I, A, 2), p. 14 et s.
17
Comprenez le Ministre de l’Intérieur.

12
b. Éléments de répression

Le législateur a voulu incriminer, d’une part, une certaine forme d’incivisme et, d’autre part,
le refus d’obéir aux ordres des autorités compétentes qu’il énumère 18.

Dès lors, il convient de fixer quels sont les comportements visés par la loi.

En réalité, deux types de comportement sont susceptibles d’une répression pénale.


Premièrement, le refus d’être réquisitionné, soi-même ou ses biens. Deuxièmement, le refus
d’évacuer un lieu ou une région ou le non-respect d’un confinement.

En somme, l’élément fautif de l’infraction consiste en un défaut de se soumettre. Cet élément


peut être rencontré soit par la volonté même de l’agent ou être le résultat d’un manque de
prévoyance ou de précaution19.

Dès lors qu’une simple négligence suffit à rencontrer l’infraction, nous pouvons affirmer ici
que l’élément intentionnel de cette infraction est la simple faute. Elle est définie par N.
BLAISE ET N. COLETTE-BASEQZ comme « une répréhensible négligence, un manque de
prévoyance et de précaution, qui entraîne la violation involontaire d’un bien ou d’un intérêt
protégé pénalement, alors que celle-ci aurait dû ou pu être évitée »20.

2) Le Roi créa les arrêtés ministériels en application de la loi du 15


mai 2007 relative à la sécurité civile

Dans un souci de clarté, convenons qu’il est impossible de présenter chacun des quarante-
six21 arrêtés ministériels adoptés dans le cadre de la lutte contre le virus Sars-Cov-2.

Toutefois, il demeure intéressant de définir les principaux comportements que le Roi a


souhaité proscrire sous couvert de la loi sur la sécurité civile et sous la menace de la
répression pénale.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous précisons d’emblée que nous nous concentrerons
principalement sur l’arrêté ministériel du 23 mars 202022 et sur l’arrêté ministériel du 18
octobre 202023 en ce que ce dernier instaure, pour la première fois, un couvre-feu.

18
F. KUTY, « Divers — Les implications pénales de la sécurité civile – Les infractions à la réglementation
tendant à limiter la propagation du virus Covid-19 (1re partie) », J.T., 2020, p. 296.
19
F. KUTY, Ibid., p. 297.
20
N. BLAISE et N. COLETTE-BASEQZ, Manuel de droit pénal général, 3e éd., Limal, Anthemis, 2016, p.282
21
https://centredecrise.be/fr/newsroom/coronavirus-reponses-vos-questions, qui ne fait, par ailleurs, pas mention
de l’arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus
COVID-19, M.B., 18 mars 2020.
22
Arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus
COVID-19, M.B., 23 mars 2020.
23
Arrêté ministériel du 18 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du
coronavirus COVID-19, M.B., 18 octobre 2020.

13
a) Des interdictions sanctionnées pénalement24

Dès l’entame de la gestion de la crise sanitaire, furent interdits :

1. Les rassemblements ;
2. Les activités à caractère privé ou public, de nature culturelle, sociale, festive,
folklorique, sportive et récréative ;
3. Les excursions scolaires et les activités dans le cadre de mouvements de jeunesse sur
le et à partir du territoire national ;
4. Les activités des cérémonies religieuses.

Le Roi décida, en outre, de fermer les commerces, à l’exception de ceux qu’il considéra
comme « essentiels »25. S’emparant de cette occasion pour y fixer les règles de distanciation
sociale, il définit également les horaires d’ouverture de ces commerces, leurs modalités
d’accès et interdit la pratique des soldes.

Enfin, un confinement généralisé fut instauré par la même voie, dès lors qu’il fut interdit de se
trouver sur la voie publique hormis en cas de nécessité et pour des raisons urgentes.

b) Des permissions exceptionnelles26

1. Les activités en cercle intime ou familial et les cérémonies funéraires

D’emblée, nous constatons le caractère large de cette exception.

S’il est évident que la notion de cérémonie funéraire fait immédiatement écho à notre esprit, il
est toutefois plus difficile de cerner ce qu’est une « activité physique en cercle intime ou
familial ». Sans doute, cette deuxième permission fait-elle écho à celle figurant dans l’alinéa
suivant dont nous proposons maintenant l’analyse.

2. Les promenades et activités physiques

L’autre permission exceptionnelle autorisée par l’article 5 de l’arrêté ministériel du 23 mars


2020 consiste en l’autorisation d’une « promenade extérieure avec les membres de la famille
vivant sous le même toit en compagnie d’une autre personne, l’exercice d’une activité
physique individuelle ou avec les membres de sa famille vivant sous le même toit ou avec

24
Art. 1, 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 pourtant des mesures d’urgence pour limiter la
propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 23 mars 2020.
25
Il s’agissait des magasins d’alimentation, des magasins d’alimentation pour animaux, des pharmacies, des
stations-services, des coiffeurs et des hôtels.
26
Art. 5 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 pourtant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du
coronavirus COVID-19, M.B., 23 mars 2020.

14
toujours le même ami, et moyennant le respect d’une distance d’au moins 1,5 mètre entre
chaque personne ».

Nous soulignons le caractère hasardeux de cette formulation et ne manquons pas de nous en


étonner, à l’instar du Professeur N. THIRION27, à trois égards. Premièrement, quant à la
définition (toujours inexistante à ce jour) de la notion d’« ami » en droit positif belge.
Deuxièmement, quant au distinguo, à notre sens inexistant, qu’il y aurait lieu de faire entre
une activité physique et la pratique de la promenade extérieure. Enfin, quant à l’obligation qui
semble être imposée aux membres de la famille qui, pour s’en aller promener, semble être
contraints à se déplacer « en compagnie d’une autre personne ».

c) L’instauration d’un couvre-feu

1. Interdiction de principe

Par un arrêté ministériel du 18 octobre 2020, le Roi décida de fixer un couvre-feu pour
l’ensemble du territoire national. Celui-ci s’étendait de minuit à cinq heures du matin28.

Cette mesure n’a rien d’anodin et présente un caractère à ce point rare que le dernier couvre-
feu à si grande échelle avait été déclaré par l’occupant allemand lors de la Seconde Guerre
mondiale29.

2. Les exceptions au couvre-feu

La nuit donc, le même article 16, qui fixe le principe du couvre-feu, prévoit que l’on peut
circuler « notamment30 » pour trois raisons :

- L’accès aux soins médicaux ;


- Fournir assistance aux personnes âgées, aux mineurs ou aux personnes handicapées ;
- Effectuer les déplacements professionnels.

Deux choses, nous semble-t-il, doivent ici être mises en lumière.

Premièrement, quant au terme « notamment ». Il est curieux de constater que le


gouvernement, alors même qu’il fixe des exceptions à un acte répréhensible, ouvre la voie à la
créativité de l’agent délinquant. En effet, par l’utilisation du terme « notamment », le Roi
ouvre la porte à d’autres exceptions non-spécifiées. Force est de constater que cela peut être
de nature à atténuer la sécurité juridique.

27
N. THIRION, Le confinement par les nuls, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2021, pp. 81-
82.
28
Art. 16 de l’Arrêté ministériel du 18 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation
du coronavirus COVID-19, M.B., 18 octobre 2020.
29
https://www.klm-mra.be/D7t/sites/default/files/011belgiqueoccupee.pdf
30
Nous soulignons.

15
Deuxièmement, nous déplorons également l’absence de clarté que comporte le terme
« personnes âgées ». Nous reviendrons infra31 sur cet état de fait lorsqu’il s’agira d’analyser la
portée du principe de légalité du droit pénal, lequel emporte un devoir de précision - chaque
citoyen devant savoir, lorsqu’il adopte un comportement, si celui-ci est constitutif ou non
d’une infraction32.

B.- LES ARRÊTÉS ROYAUX PRIS EN APPLICATION DE LA LOI DU 14 AOÛT


2021 RELATIVE AUX MESURES DE POLICE ADMINISTRATIVE LORS D 'UNE
SITUATION D'URGENCE ÉPIDÉMIQUE

1) La loi « Pandémie »

Le 14 août 2021, soit plus d’un an et cinq mois après la survenance de la crise sanitaire, le
Parlement fédéral adopta la loi dite « Pandémie »33

Si cette loi n’en est peut-être pas la réponse formelle34, il y a lieu de constater qu’elle fait à
tout le moins écho à l’ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de Bruxelles 35
statuant en référé sur la légalité des mesures adoptées jusqu’alors.

Il devenait urgent donc pour le gouvernement de faire pénétrer, au sein de son dispositif
répressif sanitaire, une once de légalité notamment par l’intervention d’une assemblée
législative.

a) Des objectifs louables36…

Le projet de loi fait, entre autres, état de la volonté du gouvernement de trouver le juste
équilibre entre les difficultés de la gestion d’une crise sanitaire et le respect des libertés
constitutionnelles.

31
Point II, B, p. 28 et s.
32
Cass., 2 juin 2009, RG n°P.09.0071.N, Pas., 2012, n°612.
33
Loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique,
M.B., 20 août 2021.
34
Le Ministre de l’Intérieur se réjouissant dans les travaux parlementaires de ladite loi de « la confirmation par
la jurisprudence de la validité du cadre juridique existant », Projet de loi relatif aux mesures de police
administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, Doc., Ch., 2020, n°1951/005, p. 7.
35
Civ. fr. Bruxelles (réf.), 31 mars 2021, J.L.M.B., 2021, p. 726.
36
Projet de loi relatif aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique précité,
Doc., Ch., 2020, n°1951/005.

16
Il prévoit également un contrôle par l’assemblée législative, via l’établissement d’un rapport
trimestriel, des mesures prises par le gouvernement.

Le même projet mentionne l’intention d’offrir aux justiciables des sanctions plus équilibrées
et proportionnées. Pour ce faire, le législateur ajoute à son éventail la possibilité pour le juge
de prononcer une peine de travail, une peine de probation autonome ou une peine sous
surveillance électronique.

b) … pour un dispositif pénal inchangé

1. Disposition légale pertinente

Le dispositif pénal est contenu dans l’article 6 de la loi « Pandémie », lequel dispose en son
premier alinéa que :

« Les infractions aux mesures prises en application des articles 4 et 5, sont punies:

1° d’une amende d’un euro à 500 euros;

2° d’une peine de travail de 20 à 300 heures;

3° d’une peine de probation autonome de six mois à deux ans;

4° d’une peine de surveillance électronique d’un mois à trois mois;

5° d’une peine d’emprisonnement d’un jour à trois mois.

Les peines prévues à l’alinéa 1er, 2° à 5°, ne peuvent s’appliquer cumulativement. »37

D’un point de vue légistique, cet article permet au juge répressif désigné de faire… ce qu’il a
de toute façon toujours pu faire. En effet, les ressources que l’on donne au juge pour justifier
« des sanctions plus proportionnées » ne revêtent aucun caractère novateur.

Le législateur reprend en réalité le dispositif des articles 37ter et suivants du Code pénal et ne
modifie en rien ni la fourchette légale applicable ni les modalités d’exécution de ces articles.
Dès lors, les points 2° à 4° ne sont que purement cosmétiques.

Du reste, en comparaison à la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, l’on constate que
le législateur se contente simplement de diminuer le minimum légal des amendes et peines
d’emprisonnement pouvant être prononcées, les peines maximales restant égales par ailleurs.

37
Art. 6, Loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence
épidémique, M.B., 20 août 2021.

17
Enfin, la disposition clarifie, en son troisième paragraphe, une controverse procédurale sur
laquelle nous reviendrons infra et énonce sans détour la compétence du Tribunal de police
pour les infractions dont elle se fera le fondement.

2. Éléments de répression

Dans la droite lignée de la loi du 15 mai 2007 analysée supra, le législateur établit, d’une part,
un élément moral qui se limite à la simple faute et, d’autre part, un élément matériel qui
constitue en un défaut de se soumettre aux mesures édictées, de façon délibérée ou par simple
négligence.

2) L’arrêté royal du 28 octobre 202138 pris en application de la loi


« Pandémie »

Le premier arrêté royal pris en application de la loi « Pandémie » fut l’arrêté royal du 28
octobre 2021 portant les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou
de limiter les conséquences pour la santé publique de la situation d’urgence épidémique
déclarée concernant la pandémie de coronavirus COVID-19.

Outre son nom d’une longueur particulière, ledit arrêté royal a pour particularité de
sanctionner de manière beaucoup plus large les comportements qu’il impose.

En effet, l’article 24 de l’arrêté royal du 28 octobre 2021 énonce que toutes les infractions aux
mesures prescrites par ledit arrêté sont sanctionnées conformément à l’article 6 de la loi
« Pandémie », analysé supra.

Entre autres comportements directement imposées aux citoyens, nous retrouvons notamment :

- L’interdiction d’utiliser collectivement des narguilés dans les lieux accessibles au


public39 ;
- Le port du masque dans les transports publics 40 et dans divers lieux tels que les
commerces, les bibliothèques, … 41 ;
- L’interdiction de réunions privées de plus de cinq cents personnes à l’intérieur, sept
cent cinquante à l’extérieur 42.

38
Arrêté royal du 28 octobre 2021 portant les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou
de limiter les conséquences pour la santé publique de la situation d'urgence épidémique déclarée concernant la
pandémie de coronavirus COVID-19, M.B., 29 octobre 2021.
39
Article 6 de l’arrêté royal susmentionné.
40
Article 14 de l’arrêté royal susmentionné
41
Article 22 de l’arrêté royal susmentionné.
42
Article 12 de l’arrêté royal susmentionné.

18
Tout aussi générales sont les exceptions prévues par ce même article, dès lors qu’il prévoit
que ne sont pas sanctionnées par les dispositions pénales de la loi « Pandémie » :

- Les infractions aux mesures concernant les obligations des autorités locales
compétentes ;
- Les infractions aux mesures qui ne constituent qu’une recommandation.

Quant à cette dernière exception, nous constatons en effet que l’arrêté royal contient diverses
« recommandations ». De nouveau, lorsqu’il s’agira d’analyser le principe de légalité, nous
reviendrons sur ces recommandations qui sont, à notre avis, de nature à créer une confusion
pour le quidam quant à savoir quels comportements sont sanctionnés pénalement.

Enfin, les infractions survenant sur le lieu de travail sont punies par un paragraphe distinct de
la loi « Pandémie »43, lequel renvoie directement aux dispositions du Code pénal social.

C.- UN EXEMPLE DE DISPOSITIF NORMATIF RELATIF À L’UTILISATION DU


COVID SAFE TICKET : LE DÉCRET WALLON DU 21 OCTOBRE 2021
RELATIF À L’USAGE DU COVID SAFE TICKET ET À L’OBLIGATION DU
PORT DU MASQUE44

1) Brèves considérations de droit constitutionnel

a) Le pouvoir répressif des entités régionales

Dans le cadre du présent décret, plus question d’une loi d’habilitation. En effet, au risque
d’énoncer un lieu commun, rappelons ici que les entités fédérées régionales disposent d’un
pouvoir d’édiction de normes législatives45.

Sans entrer dans les méandres du droit constitutionnel belge, retenons simplement ici que la
Région wallonne dispose d’un pouvoir législatif d’attribution dès lors que les compétences
législatives lui conférées le sont par une loi spéciale46. En l’occurrence, le siège de la matière
réside dans les articles 6 et 6ter de la loi spéciale de réformes institutionnelles47.

43
Article 6, §2 de la loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation
d’urgence épidémique, M.B., 20 août 2021
44
Décret de la Région wallonne du 21 octobre 2021 relatif à l’usage du COVID Safe Ticket et à l’obligation du
port du masque, M.B., 29 octobre 2021.
45
Const., art. 39 et 115.
46
C. BEHRENDT et M. VRANCKEN, op. cit., p. 437
47
Loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, M.B., 15 août 1980. Ci après, « LSRI »

19
En matière répressive, c’est l’article 11 de la LSRI qui énonce la règle. Celui-ci dispose que :
« Dans les limites des compétences des Communautés et des Régions, les décrets peuvent
ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines punissant ces
manquements; les dispositions du livre Ier du Code pénal s’y appliquent, sauf les exceptions
qui peuvent être prévues par décret pour des infractions particulières. »48.

b) De l’accord de coopération

Un accord de coopération est un « traité de droit interne conclu entre deux ou plusieurs entités
fédérales et/ou fédérées, et ayant pour objet (…) de formaliser une coopération entre lesdites
entités dans une matière déterminée. »49.

De tels accords ont pour base légale l’article 92bis de la LSRI et permettent notamment aux
entités d’exercer conjointement des compétences propres.

En l’occurrence, l’accord de coopération du 14 juillet 202150, visé par le décret que nous nous
apprêtons à analyser, visa à faciliter la collaboration entre l’Autorité fédérale et les entités
fédérées dès lors que chacune ont « la compétence d’adopter des mesures portant sur la lutte
contre une crise touchant la santé publique, chacune dans le cadre de ses compétences
matérielles »51.

Voici donc ce qui permit à la Région wallonne d’adopter des mesures répressives dans les
limites des compétences qui lui étaient conférées.

2) Dispositions pénales relatives à l’usage du COVID Safe Ticket

L’article 7 du décret du 21 octobre 2021 fixe les peines pour tout qui contrevient aux articles
4 et 5 dudit décret.

Deux peines sont à distinguer selon la qualité du contrevenant, dès lors que :

48
Loi spéciale du 8 août 1980 précitée, art. 11.
49
C. BEHRENDT et M. VRANCKEN, op. cit., p. 475.
50
Accord de coopération du 14 juillet 2021 entre l'État fédéral, la Communauté flamande, la Communauté
française, la Communauté germanophone, la Commission communautaire commune, la Région wallonne et la
Commission communautaire française concernant le traitement des données liées au certificat COVID
numérique de l'UE et au COVID Safe Ticket, le PLF et le traitement des données à caractère personnel des
travailleurs salariés et des travailleurs indépendants vivant ou résidant à l'étranger qui effectuent des activités en
Belgique, M.B., 23 juillet 2021.
51
Projet de loi portant assentiment à l’accord de coopération entre l’État fédéral, la Communauté flamande,la
Communauté française, la Communauté germanophone, la Commission communautaire commune, la Région
wallonne et la Commission communautaire française concernant le traitement des données liées au certificat
COVID numérique de l’UE et au Covid Safe Ticket, le PLF et le traitement des données à caractère personnel
des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants vivant ou résidant à l’étranger qui effectuent des activités
en Belgique, Doc., Ch., 2020-2021, n°2129/001, p. 130.

20
- Le visiteur qui ne présente pas son COVID Safe Ticket lors d’un des évènements ou
établissements détaillés au sein de l’article 552 encourt une peine d’amende pouvant
aller de cinquante à cinq cents euros ;
- L’organisateur qui ne vérifie pas ou n’organise pas l’information nécessaire autour du
COVID Safe Ticket dans les évènements ou établissements détaillés au sein de
l’article 5 encourt, en ce qui le concerne, une peine d’amende pouvant aller de
cinquante à deux mille cinq cents euros.

3) Dispositions pénales relatives au port du masque

L’article 9 du décret du 21 octobre 2021 sanctionne d’une peine d’amende pouvant aller de
cinquante à cinq-cents euros la personne qui contreviendrait à l’article 8.

Ce dernier article fixe les lieux dans lesquels il est obligé de se couvrir la bouche et le nez
d’un masque ou d’une alternative en tissu.

À cette obligation subsiste une exception pour les personnes pouvant le retirer afin de boire
ou de manger, pour les personnes qui ne peuvent porter un tel couvre-visage pour des raisons
médicales et pour les enfants jusqu’à douze ans accomplis.

Soulevons ici une difficulté quant à cette dernière exception. En effet, à notre sens, la
vérification de cette exception par les services compétents semble d’une difficulté assez
certaine, dès lors qu’il est impossible d’évaluer à l’œil nu l’âge d’un enfant.

Si bien que le policier qui souhaiterait procéder au contrôle de ladite exception devrait se
livrer à l’acte d’enquête qu’est le contrôle d’identité, régi par l’article 34, paragraphe premier
de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police 53. Outre les difficultés que constituent les
garanties dudit article54, il nous paraît relevant d’indiquer ici que l’obligation de porter sur soi
sa carte d’identité ne naît qu’une fois l’âge de quinze ans révolu 55. Compte tenu de ce qui
précède, il nous faut admettre l’impraticabilité de cette exception.

52
Il s’agit des évènements de masse, des expériences et projets pilotes, des établissements de l’Horeca, des
dancings et discothèques, des centres de sport et de fitness, des foires commerciales et congrès, des
établissements relevant des secteurs culturels, festif et récréatif et des établissements de soins résidentiels pour
personnes vulnérables.
53
Loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, M.B., 22 décembre 1992.
54
O. MICHIELS, Principes de procédure pénale, Collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège,
Bruxelles, Larcier, 2018, p. 141.
55
Arrêté royal du 25 mars 2003 relatif aux cartes d’identité, M.B., 28 mars 2003, art. 1.

21
D.- LES INFRACTIONS DE DROIT COMMUN APPLIQUÉES À LA GESTION DE LA
CRISE SANITAIRE

Nous ne suivrons pas en totalité les enseignements de L. KENNES et M. PREUMONT56 et


nous ne relèverons que deux infractions qui nous semblent être pertinentes en temps de crise
sanitaire. Ces deux infractions sont la menace par substance, d’une part, et l’administration de
substances mortifères ou nuisibles, d’autre part.

1) La menace par substance

L’infraction de menace par substance est inscrite à l’article 328bis du Code pénal57. Cette
infraction emporte la réunion de deux éléments matériels et d’un élément moral.

Elle est d’une pertinence certaine en temps de pandémie dès lors que, dans le climat de crainte
générale que l’on connaît, le simple crachat que l’on gratifie à une personne devient le
potentiel vecteur de la propagation du virus.

À cet égard, nous pouvons nous référer à l’arrêt rendu par le Tribunal correctionnel de Huy,
rendu en date du 28 mai 202058. Les faits sont les suivants : la police est appelée pour un
tapage nocturne ; un homme, sous influence d’alcool et de cannabis, se met à injurier les
agents de police depuis la fenêtre de son hôte ; il crachera ensuite en direction des policiers,
avant de descendre, d’être menotté et de tenter de prendre la fuite.

Si le Tribunal retient évidemment les préventions d’outrage, de rébellion et de détention de


cannabis, il se livre ensuite à une analyse quant à la prévention de menaces par substance.
Après avoir relevé la ratio legis de cette infraction, qui tend à assurer la tranquillité publique,
ainsi que son caractère large, le Tribunal énonce que : « Dans le contexte de la crise sanitaire
liée à l’épidémie du coronavirus Covid-19, le fait de cracher délibérément sur une personne
permet la projection sur autrui, et donc la diffusion, de salive susceptible de contenir ledit
virus, de sorte que « ce geste, grossier mais inoffensif en temps normal, est de nature à
inspirer la crainte, dans le chef de celui qui en est le destinataire, d'être victime de
l'administration du Covid-19 ». Sur cette base donc, il retient la qualification de menace par
substance.

56
L. KENNES et M. PREUMONT, « La responsabilité pénale et la pandémie », La pandémie de Covid-19 face
au droit, S. Parsa et M. Uyttendaele (dir.), Limal, Anthemis, 2020, pp. 243-251.
57
C. pén., art. 328bis, inséré par la loi du 4 avril 2003 insérant un article 328bis et modifiant les articles 328 et
331bis du Code pénal, M.B., 5 mai 2003.
58
Corr. Liège (div. Huy), 28 mai 2020, J.T., 2020, p. 491 ; voy. également Corr. Namur (div. Namur), 28 mai
2020, J.T., 2020, p. 492.

22
a) Éléments matériels

Pour être constituée, l’infraction de menace par substance requiert59 :

- La diffusion de substances, de quelque manière que ce soit, qui, ne présentant en soi


aucun danger, donnent l’impression d’être dangereuses ;
- Les substances en question peuvent inspirer une certaine crainte d’attentat contre les
personnes ou les propriétés, punissable d’un emprisonnement de deux ans au moins ;

b) Élément moral60

L’élément moral retenu par l’article 328bis du Code pénal est un dol éventuel61, dès lors que
l’auteur sait ou doit savoir que ces substances peuvent inspirer de vives craintes d’attentat
contre les personnes ou les propriétés62.

2) L’administration de substances mortifères ou nuisibles

Le délit d’administration de substances mortifères ou nuisibles peut être volontaire, auquel


cas il est régi par l’article 402 du Code pénal, ou involontaire, il est alors régi par l’article 421
du Code pénal.

La Cour de cassation marque, par son arrêt du 9 juin 2020 63, le distinguo entre le délit de
menace analysé supra et l’administration effective de substances nuisibles en précisant que,
« [si] les substances diffusées sont effectivement dangereuses ou dommageables, ce n’est pas
l’article 328bis du Code pénal qui s’applique mais, le cas échéant, une autre disposition
pénale ». Il nous paraît évident que dans le cas énoncé par la Cour, c’est bien aux articles 402
et 420 du Code pénal que l’on pourra avoir recours. C’est donc la dangerosité réelle de la
substance, qui se vérifiera a posteriori, qui sera de nature à permettre de retenir la prévention
adéquate le cas échéant.

a) Éléments matériels

Pour être constituée, l’infraction d’administration de substances mortifères ou nuisibles


requiert64 :

59
A. DE NAUW et F. KUTY, Manuel de droit pénal spécial, Liège, Wolters Kluwer, 2018, p. 206.
60
A. DE NAUW et F. KUTY, ibidem, p. 206.
61
N. BLAISE et N. COLETTE-BASEQZ, op. cit., pp. 307-308
62
Cass. (2e ch.), 9 juin 2020, R.G. n° P.20.0598.N, disponible sur www.juportal.be.
63
Cass. (2e ch.), 9 juin 2020, R.G. n° P.20.0598.N, disponible sur www.juportal.be.
64
A. DE NAUW et F. KUTY, op. cit., p. 358 et 425

23
- Le fait d’administrer ;
- Des substances de nature à donner la mort ou à altérer gravement la santé ;
- La survenance, a posteriori, d’une maladie ou d’une incapacité de travail personnel,
temporaire ou non.

b) Élément moral

C’est évidemment en ayant égard à l’élément moral que l’on distinguera le caractère
volontaire ou non de la prévention.

En effet, pour entrer dans le champ d’application de l’article 402 du Code pénal, il est requis
que l’auteur ait eu la volonté d’attenter à la personne d’autrui65. En revanche, pour entrer dans
le champ d’application de l’article 421 du Code pénal, le simple défaut de prévoyance ou de
précaution suffit66.

65
A. DE NAUW et F. KUTY, ibidem, p. 360.
66
A. DE NAUW et F. KUTY, ibidem, p. 427.

24
II.- ÉVALUATION DU DISPOSITIF NORMATIF BELGE À LA
LUMIÈRE DE DIVERS PRINCIPES FONDAMENTAUX DE
PHILOSOPHIE PÉNALE

But passion most dissembles, yet betrays,

Even by its darkness; as the blackest sky

Foretells the heaviest tempest.

Lord BYRON

A.- PROPOS LIMINAIRES

1) L’origine philosophique du droit pénal moderne : Cesare Beccaria

a) Aspects biographiques

Cesare Beccaria est né le 15 mars 1738 à Pavie en Lombardie67 et est mort le 28 novembre
1798 à Milan. Il suit ses études auprès des jésuites de Parme avant d’entamer des études de
droit à l’Université de Pavie, où il obtient son doctorat à l’âge de vingt ans 68. À vingt-trois
ans, alors qu’il souhaite se marier à sa future femme de seize ans alors, il est incarcéré par
l’action de son père qui ne consentait pas à cette union. Cet événement traumatisant lui fera
connaître les affres de la prison et de la torture 69 et marquera sans doute un tournant dans son
développement philosophique.

De ce développement philosophique naitra un amour inconditionnel pour les Lumières,


notamment Diderot, d’Alembert et Montesquieu dont il se revendique lui-même70. C’est
précisément son appartenance audit courant philosophique qui le poussera, en 1764, à publier
l’essai qui lui vaudra sa célébrité et qui constituera la naissance de l’éthique pénale de l’État
de droit moderne : le Traité des délits et des peines.

67
F. SCADUTO, Cesare Beccaria : saggio di storia ne diritto penale, Florence, Edizioni Sandron, 1913, p. 35.
68
F. SCADUTO, ibidem, p. 36.
69
F. SCADUTO, ibidem, p. 37.
70
F. SCADUTO, ibidem, p. 40.

25
Par le courage et la force de son œuvre, il provoquera l’admiration de ses pairs parmi lesquels
figure notamment Voltaire, lequel lui exprimera, à travers une lettre, toute sa gratitude en ces
termes: « Vous travaillez pour la raison et pour l’humanité, qui ont été toutes deux si
longtemps écrasées. Vous relevez ces deux sœurs abattues depuis environ seize cents ans.
Elles commencent enfin à marcher et à parler ; mais dès qu’elles parlent, le fanatisme hurle »
71.

Avec Cesare Beccaria et le principe de légalité qu’il insuffle dans la gestion des affaires
répressives, c’est en réalité l’État de droit, que l’on oppose à l’État de police, qui émergera.

L’auteur italien mourra le 28 novembre 1798 à Milan72 où il sera honoré et où, aujourd’hui
encore, sa statue figure à quelques pas du célèbre Dôme.

b) Réception générale du Traité des délits et des peines : évolution de la


théorie sociale pénale

La parution, en 1764, de l’œuvre de Beccaria intervient dans un contexte répressif particulier


à deux égards : quant à la peine et quant à la procédure pénale.

Quant à la peine, d’abord. Nous sommes aux XVIIIe siècle, en plein essor des Lumières, et
pourtant la répression demeure extrêmement barbare sur le vieux continent. En effet, à cette
époque, la torture, les supplices corporels et la peine de mort sont de rigueur partout et pour la
grande majorité des crimes 73. C’est pourtant à la fin de ce siècle que l’on va connaître une
évolution majeure dans l’art de punir : la punition cesse d’être un spectacle et le supplice
disparait74. Cette dernière disparition en entraine une autre : celle de la vision du corps-objet
de la punition. Désormais, le corps est le médiateur entre le pouvoir et ce qui devient alors la
nouvelle cible de sa répression : le droit à la liberté75. Cette évolution du châtiment est à
mettre en perspective avec l’œuvre de Beccaria, lequel fut l’un des premiers à écrire à propos
de la technique répressive que : « La rigueur du châtiment fait moins d’effet sur l’esprit
humain que la durée de la peine, parce que notre sensibilité est plus aisément et plus
constamment affectée par une impression légère mais fréquente, que par une secousse
violente mais passagère. »76.

Quant à la procédure pénale, ensuite. Elle se caractérise par une cruauté et un désordre total.
En l’absence de codes systématiques et d’échelles pour proportionner les peines aux délits 77,
c’est à la seule volonté du Prince et de ses juges qu’il faut s’en remettre. Deux facteurs
permettent d’expliquer la cruauté qui caractérise la norme pénale d’alors.

71
C. BECCARIA, Carteggio, I, 1758-1768, pp. 633-634 cité par M. PORRET, Beccaria : le droit de punir, Le
bien commun, Paris, Michalon, 2003, p. 7.
72
F. SCADUTO, ibidem, p. 70.
73
M. MAESTRO, Voltaire and Beccaria as reformers of criminal law, New York, NY, Columbia University
Press, 1942, p. 6.
74
M. FOUCAULT, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1993, p. 15.
75
M. FOUCAULT, ibidem, p. 18.
76
C. BECCARIA, Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1979, p. 91.
77
M. MAESTRO, op.cit., p. 2.

26
Premièrement, l’absence de sécularisation. Ce sont les principes de la Bible et de la loi du
talion qui guident les poursuites pénales. L’illustration la plus probante de cette politique
criminelle est la poursuite de la sorcellerie qui fut de mise jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle
en France78.

Deuxièmement, l’autorité du Prince 79. Puisque le despote est alors le représentant du pouvoir
suprême, transgresser ce qu’il édicte consiste en un affront fait à son autorité. C’est
précisément cette offense qui justifie que le délinquant soit puni sévèrement par les règles que
le pouvoir édicte.

Le Traité des délits et des peines sonnera le glas de cette manière de concevoir la procédure
pénale. L’œuvre apportera avec son analyse l’émergence de principes qui structureront
l’éthique pénale de l’État de droit : abolition de la torture et de la peine capitale, principe de
légalité des peines, interprétation stricte de la norme pénale à travers la théorie de
l’herméneutique judiciaire, proportionnalité des peines aux délits, … sont autant d’éléments
que l’on doit majoritairement à l’auteur italien et qui, aujourd’hui encore, doivent guider les
pas du législateur répressif.

2) Méthodologie d’analyse des principes

La deuxième partie du présent travail consiste en une analyse évaluative du dispositif pénal
retenu en temps de crise sanitaire. Afin de mener à bien celle-ci, nous procèderons par
l’énonciation des principaux principes fondateurs du droit pénal moderne. Nous en
analyserons la substance, leur consécration en droit positif belge et nous analyserons ensuite,
à la lumière de ces principes, les aspects législatifs et jurisprudentiels de la norme répressive
pandémique.

Nous mobiliserons principalement cinq principes, tous consacrés par Cesare BECCARIA
dans son Traité des délits et des peines : (1) le principe de légalité ; (2) le principe de liberté
individuelle ; (3) l’interprétation stricte de la loi pénale ; (4) la proportionnalité des peines aux
délits ; (5) la règle de preuve en droit pénal.

78
M. MAESTRO, ibidem, p. 4.
79
M. MAESTRO, ibidem, p. 5.

27
B.- LE PRINCIPE DE LÉGALITÉ

1) L’œuvre du législateur

Le principe de légalité est la plupart du temps résumé en une éloquente locution latine :
« Nullum crimen nulla poena sine lege ». Il revêt un caractère formel et un caractère
substantiel80.

D’une part, il implique que la punition de la criminalité doit être l’œuvre du seul pouvoir
législatif81, sous réserve de certaines exceptions que nous détaillerons ci-après. Cela entraine
pour conséquence immédiate que le droit pénal est un droit écrit tant en ce qui concerne les
infractions qu’en ce qui concerne les peines 82. Il s’agit ici de son aspect formel.

D’autre part, ledit principe emporte trois conséquences substantielles : la loi pénale doit être
précise, accessible et prévisible83.

a) Conséquences de ce caractère pour l’œuvre législative

Quant au critère de précision, d’abord. Le pouvoir édictant la norme pénale se doit d’être
aussi précis que possible, d’une part, et doit s’adapter à l’époque qui est la sienne, d’autre
part84. Ainsi que l’écrit P-E. TROUSSE : « L’usage d’expressions vagues et extrêmement
compréhensives est contraire au principe de légalité des incriminations sainement
entendu. »85. Si la condition de précision de la loi pénale s’est assouplie avec le temps,
victime de l’inflation législative et de la complexification des matières 86, il n’en demeure pas
moins que tant le Conseil d’Etat, que la Cour constitutionnelle demeurent attentifs à son
respect, du moins en temps normal87.

80
F.TULKENS et al., Introduction au droit pénal : aspects juridiques et criminologiques, Waterloo, Kluwer,
2010, p. 222.
81
P.-E. TROUSSE, Les principes généraux du droit pénal positif belge, Droit pénal ; Tome I-1, Bruxelles,
Maison Ferdinand Larcier, 1956, p. 61.
82
F. TULKENS et al., op. cit., p. 227.
83
N. BLAISE et N. COLETTE-BASEQZ, op.cit., p. 19.
84
P-E. TROUSSE, op. cit., p. 62.
85
P-E. TROUSSE, ibidem, p. 63.
86
À ce propos, voy. T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal, Bruges, la Charte, 2019,
pp. 17 et 18 : « il s’agit souvent d’un vœu pieux: l’inflation des lois pénales, leur complexité et les problèmes
d’interprétation qu’elles soulèvent démontrent à suffisance que le droit pénal constitue un droit qui échappe de
plus en plus à la compréhension du citoyen ordinaire. »
87
Voy. not. Avis n°31.342 du 6 juin 2001 sur l’avant- projet de loi de « mise en conformité du droit belge avec
la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », in « Projet de
loi de mise en conformité du droit belge avec la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, faite à New York le 10 décembre 1984 », Doc. parl., Chambre, 2000-2001,
n°50-1387/001, p. 25 et C.C., 20 octobre 2004, n°158/2004 disponible sur www.const-court.be dans lesquels tant

28
Quant au critère d’accessibilité, ensuite. Le citoyen doit, en tout temps, avoir accès au prescrit
pénal qui le régit. Il peut, par conséquent, exiger que la loi lui soit mise à disposition pour
qu’il en prenne connaissance88.

Quant au critère de prévisibilité, enfin. Le citoyen doit être à même de pouvoir, par avance,
connaître la peine qu’il encourt lorsqu’il adopte un comportement répréhensible 89. Ce dernier
aspect est sans doute celui qui est le plus mis à mal par la jurisprudence récente. La Cour
européenne des droits de l’Homme90 lui asséna le premier coup en décidant que la condition
de prévisibilité ne devait pas être appliquée trop strictement. Si bien que, selon la Cour, le
prescrit parfois flou de la loi peut être complété de l’interprétation qu’en font les tribunaux
pour permettre au citoyen d’être fixé sur les conséquences de son comportement.. Le
deuxième coup lui fut asséné par la Cour de cassation qui jugea que la condition prévisibilité
s’appréciait également en fonction de la « qualité ou de la fonction particulière de la personne
à laquelle la disposition pénale s’adresse »91.

b) Conséquences de ce caractère pour l’œuvre juridictionnelle

Le principe de légalité n’est pas sans conséquence pour les juridictions.

En effet, le juge pénal ne peut punir l’agent que sur base du seul prescrit légal92. Il ne lui
appartient donc pas de faire œuvre créatrice pour incriminer un comportement qui lui apparaît
immoral.

En outre, le juge, lorsqu’il apprécie la peine qu’il attribuera au délinquant, s’en réfère
obligatoirement à la fourchette que lui impose le législateur 93. Il constatera, par ailleurs, la
légalité de sa condamnation dans le dispositif du jugement ainsi rendu 94

c) Caractère large de la notion de législateur

Il serait erroné d’adopter une vision restrictive consistant à réserver l’édiction de la norme
pénale au seul pouvoir législatif, entendu comme l’assemblée délibérante fédérale.

En effet, dans le cadre du principe de légalité, la notion de loi doit s’entendre largement et
peut être l’œuvre du législateur fédéral, du législateur international, des assemblées

la section législation du Conseil d’Etat que la Cour constitutionnelle invitent le législateur à être plus précis dans
le libellé de ses infractions.
88
N. BLAISE et N. COLETTE-BASEQZ, op.cit., p. 18.
89
N. BLAISE et N. COLETTE-BASEQZ, op.cit., p. 19.
90
Cour. eur. D.H., arrêt Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, disponible sur www.echr.coe.int.
91
Cass. (2e ch.), 29 novembre 2011, disponible sur www.juportal.be
92
P-E. TROUSSE, op. cit., p. 62.
93
P-E. TROUSSE, ibidem, p. 63.
94
P-E. TROUSSE, ibidem, p. 63.

29
communautaires ou régionales et du pouvoir exécutif habilité 95, pour ce faire, par le
législateur96.

d) Consécration en droit positif belge

En ce qui concerne les sources nationales, le principe de légalité est contenu dans les articles
12 et 14 de la Constitution et est également inscrit dans l’article 2 du Code pénal.

Aussi, ledit principe reçoit-il une assise internationale puisqu’il est consacré par l’article 7,
alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme97 et par l’article 15.1 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques 98.

2) À l’origine de ce premier principe : le troisième chapitre du Traité


des délits et des peines de Cesare Beccaria

Le principe de légalité de la loi pénale nous vient du XVIIIe siècle et prend pour appui la
volonté de s’affranchir du pouvoir despotique des princes et des juges.

En effet, selon BECCARIA, le droit de punir prend son origine dans un contrat social passé
entre les citoyens qui, ne supportant plus de vivre dans l’incertitude d’un monde sans règle,
ont chacun mis en commun la plus petite portion de leur liberté individuelle. Dans cette
conception, le législateur représente l’union de cette société 99.

L’auteur en déduit que seules les lois qui émanent de ce représentant peuvent fixer les délits et
les peines qui restreignent la liberté individuelle. Ceci emporte deux conséquences.

Premièrement, le juge, membre à part égale de cette société commune, ne peut s’attribuer un
statut supérieur lui permettant d’infliger à son semblable une peine qu’il aurait déterminé
unilatéralement. Aussi, il ne pourrait en aucun cas condamner un citoyen à une peine
augmentée unilatéralement par lui100.

Deuxièmement, le souverain, s’il lui est reconnu le pouvoir d’édicter les lois qui incriminent
le citoyen, ne peut en aucun cas juger que celui-ci a effectivement violé ces lois. Tout au plus,
ce dernier peut-il accuser le citoyen d’une violation qu’il portera devant un tiers, le magistrat,

95
Quant à la notion d’habilitation, cf. supra, pp. 10 et 11.
96
N. BLAISE et N. COLETTE-BASEQZ, op.cit., p. 17.
97
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre
1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, M.B., 19 août 1955, err., 29 juin 1961, art. 7.
98
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 décembre 1966, approuvé par la
loi du 15 mai 1981, M.B., 6 juillet 1983, art. 15.
99
C. BECCARIA, op. cit., p. 50.
100
C. BECCARIA, ibidem, p. 51.

30
lequel décidera s’il y a lieu ou non à condamner101. Nous voyons ici naitre la figure
aujourd’hui bien reconnue du Ministère public.

3) Le principe de légalité à l’épreuve de la pandémie

a) Un libellé incertain

D’un point de vue légistique, l’œuvre répressive en temps de crise sanitaire n’eut de cesse
d’étonner l’observateur attentif.

Nous avons pu, en première partie du présent travail, analyser les principales dispositions
répressives alors en vigueur. Nous souhaiterions ici reprendre le libellé de certaines
incriminations afin que le lecteur puisse les mettre en perspective avec le principe de légalité
tel que défini ci-dessus.

D’un point de vue de la précision de la loi pénale, d’abord. Divers dispositifs législatifs
peuvent être ici mis en lumière. Ainsi donc, relevons qu’il a été interdit, entre autres :

- Apparemment, de s’adonner à une activité physique individuelle en l’absence d’un


ami ou d’un membre de la famille102 ;
- De circuler entre minuit et cinq heures du matin, sauf dans le cas où l’on manifestait
une imagination assez porteuse pour satisfaire à la liberté octroyée par le Roi de créer
une exception103 ;
- Ce qui était interdit par les arrêtés royaux pris en application de la loi « Pandémie », à
l’exception des recommandations qu’ils énonçaient 104 ;
- …

Si le libellé de ces infractions fut parfois de nature à semer la confusion, on doit également
avoir égard à l’inflation législative qui eut lieu durant cette courte période de crise. En effet,
nous avons relevé pas moins de cinquante-cinq instruments normatifs dont quarante-six
arrêtés ministériels. Dans ces conditions, force est d’admettre qu’il fut des moments où le
quidam a pu être perdu et où le caractère prévisible de la loi pénale ne fut pas respecté.

Un jugement du Tribunal de police de Bruxelles du 27 juillet 2020105 témoigne d’ailleurs de


ce souci de précision. Dans cette affaire, un homme est poursuivi pour le non-respect des
règles du confinement. Il lui est reproché de circuler en compagnie de deux autres personnes à
bord d’un véhicule, méprisant ainsi les règles de distanciation sociale. Pour sa défense, le

101
C. BECCARIA, ibidem, p. 52.
102
Art. 5 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 pourtant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du
coronavirus COVID-19, M.B., 23 mars 2020.
103
Art. 16 de l’Arrêté ministériel du 18 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation
du coronavirus COVID-19, M.B., 18 octobre 2020.
104
Voy. p. 18 et s. du présent travail.
105
Pol. fr. Bruxelles, 27 juillet 2020, C.R.A., 2020, n°6, pp. 40-41.

31
prévenu invoque dans ses auditions le fait que, bien qu’il ne soit pas enregistré comme tel
dans les registres de la population, celui-ci a constitué un ménage de fait avec ses deux
comparses. Le juge, après avoir relevé le caractère fortement imprécis de la notion de
« personne vivant sous le même toit » consacrée dans l’arrêté du 23 mars 2020, acquitte le
prévenu au bénéfice du doute quant à cette prévention dès lors que la notion susmentionnée
est large et que le parquet reste en défaut de prouver que le ménage de fait est inexistant.

Toute autre fut la vision des juridictions admettant la légalité substantielle des mesures.
Certaines juridictions se limitaient bien souvent, lors de l’analyse de ce caractère, à exprimer
le relais des mesures par les médias et le caractère constant des mesures, bien qu’admettant
leur caractère parfois plus strict qui, selon ces dernières, ne changeaient en rien les prévisions
de l’agent106.

b) La loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile: une jurisprudence


divisée

Si l’aspect substantiel du principe de légalité ne fut que peu respecté, l’aspect formel dudit
principe provoqua lui aussi d’immenses soucis. En effet, face à une jurisprudence divisée, le
justiciable, selon la juridiction qui le jugeait, encourait ou non le risque d’être condamné.

Très vite, deux camps se sont formés : d’une part, les juridictions qui reconnaissaient la
légalité des mesures prises sur la base de la loi du 15 mai 2007 précitée ; d’autre part, les
juridictions qui, se référant aux travaux parlementaires et, plus largement, à l’esprit de la loi,
réfutaient la légalité desdites mesures et les écartaient sur la base de l’article 159 de la
Constitution.

1. Arguments en faveur de la légalité

Plusieurs juridictions107 ont affirmé la légalité des mesures édictées par les divers arrêtés
ministériels. Nous proposons ici une synthèse des raisons qui, selon ces dernières, fondaient
cette légalité.

D’abord, quant à l’objet de la loi du 15 mai 2007 sur la protection civile. Les juridictions
ayant admis la légalité des arrêtés ministériels pris sur cette base semblent avoir donné une
acception large à ce que ladite loi régit. Le terme qui revient au détour d’une analyse des
travaux préparatoires est celui de « circonstances dangereuses ». Selon ces juridictions donc,
la simple survenance des telles circonstances suffit à permettre l’application de la loi précitée.
La plupart admettent le caractère large de cette notion mais se cantonnent à exprimer
l’impossibilité d’énumérer de manière exhaustive les circonstances dangereuses.

106
Mons, 8 février 2021, J.J.Pol, 2021, p. 129.
107
Voy. not. Corr. Brabant wallon (6e ch.), 26 juin 2020, J.L.M.B., pp. 1755-1764 ; Pol. Anvers, div. Anvers, 14
décembre 2020, J.J.Pol., 2021, p. 121 ; Cour d’appel Mons, 8 février 2021, J.J.Pol, 2021, pp. 127-129 ; Corr.
Hainaut (div. Charleroi) 9 février 2021, J.J.Pol., 2021, pp. 139-147.

32
Aussi, il fut recouru à l’adage « qui peut le plus peut le moins », ceci afin de dire que si la loi
du 15 mai 2007 autorisait la mobilisation des personnes à domicile, elle permettait à tout le
moins d’édicter des règles de distanciation sociale dans les lieux publics, par exemple.

2. Arguments en défaveur de la légalité

D’autres juridictions 108 ont proclamé l’illégalité des mesures prises sur base de la loi du 15
mais 2007 précitée et ont, partant, écarté l’application des arrêtés ministériels sur elle fondés
sur la base de l’article 159 de la Constitution. Comme cela l’a été fait au point précédent, nous
proposons ici une analyse des principaux arguments en défaveur de la légalité des mesures
prises sur base de la loi précitée.

Quant au but poursuivi par la loi du 15 mai 2007, d’abord. Les juridictions écartant
l’application des arrêtés ministériels adoptés sur cette base adopte une tout autre lecture que
les précédentes. En effet, selon celles-ci, l’habilitation donnée sur cette base doit remplir un
critère de rigidité et de prévisibilité. Or, la lecture des travaux parlementaire de la loi sur la
sécurité civile permet de déduire que celle-ci ne vise en aucun cas une pandémie - son unique
but étant de faciliter les opérations de secours en cas de sinistre.

Quant au libellé de la loi mis en perspective avec les mesures édictées, les juridictions ont pu
constater que le Titre XI relatif aux articles établissant les dispositions pénales s’intitulait
« De la réquisition et de l’évacuation ». Ce point leur permit de déduire qu’en aucun cas ces
articles ne visaient la plupart des mesures édictées durant la Pandémie.

Enfin, d’autres ont jugé, relativement au port du masque, que le port de celui-ci en toutes
circonstances et sans différenciation était contraire au principe d’égalité et non-discrimination.

c) La loi… rien que la loi ? L’influence de la circulaire n°COL


6/2020109

Si la répression des infractions fut de nature à faire douter du respect total du principe de
légalité, la place laissée aux circulaires des procureurs généraux laissa également
l’observateur dubitatif.

Les directives de politique criminelle matérialisent le système répressif, basé sur le principe
d’opportunité des poursuites110. L’inflation législative, couplée au manque de moyens mis à la

108
Voy not. Pol. fr. Bruxelles, 12 janvier 2021, J.L.M.B., 2021, pp. 277-279 ; Pol. Hainaut, div. Charleroi, 21
septembre 2020, J.L.M.B., 2020, pp. 1692-1706 ; Civ. fr. Bruxelles (réf.), 31 mars 2021, J.L.M.B., 2021, pp.
726-743.
109
Circulaire n°COL 6/2020 du Collège des procureurs généraux près les cours d’appel du 25 mars 2020 relative
à la mise en œuvre judiciaire de l’arrêté ministériel du 24 mars 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 23 mars
2020 portant des mesures pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, disponible sur www.om-mp.be.

33
disposition de la Justice, a poussé le Ministère public à devoir choisir, par voie de circulaires
principalement, quelles infractions devaient être poursuivies en priorité, ce qui attribue à cette
institution un pouvoir discrétionnaire susceptible d’abus111.

Ces directives sont arrêtées par le Ministre de la Justice après que celui-ci a pris l’avis du
collège des procureurs généraux dont l’avis n’est pas contraignant 112. Lesdites directives sont,
quant à elles, contraignantes pour les membres du Ministère public 113.

Très vite cependant, les circulaires de politique criminelle dépassèrent leur rôle et devinrent
un véritable outil de définition des infractions, comblant ainsi la carence législative 114.

Particulièrement, en période de crise sanitaire, le Collège des procureurs généraux adopta la


circulaire COL 6/2020 visant à aiguiller les policiers dans la recherche et la poursuite des
infractions relatives à la Covid-19115.

Cette circulaire eut ceci de curieux qu’elle prit le parti de définir les éléments constitutifs de
certaines infractions liées au virus. Ainsi donc, comme le relève D. TATTI 116, alors même que
les dispositions pénales de la loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile ne le prévoyait pas,
comme nous l’avons vu supra, ladite circulaire ajouta un dol spécial à la notion de fête
illégale, exigeant par-là l’existence d’une volonté manifeste de non-respect des mesures de
confinement.

C.- LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE D’ALLER ET VENIR

1) Principe

Par le principe de liberté d’aller et venir, nous souhaitons désigner ce que le juriste nomme
l’habeas corpus. Il s’agit du droit fondamental de ne pas être privé de liberté sans avoir fait
l’objet d’un jugement117.

Historiquement, l’habeas corpus peut désigner deux choses 118. Premièrement, il pouvait
s’agir de la possibilité qui était faite à un prévenu de faire appel au pouvoir de la Cour du

110
C. GUILLAIN, « Les directives de politique criminelle comme source du droit », in I. HACHEZ, Les sources
du droit revisitées, Vol. 2, Limal, Anthemis, 2013, p. 350.
111
O. MICHIELS, op. cit., p. 19.
112
C. jud., art. 143quater.
113
C. jud., art. 143quater.
114
C. GUILLAIN, op. cit., p. 379.
115
D. TATTI, « Des « (a)normalités » en temps de COVID-19 : quelles mutations en matière pénale ? Réflexions
critiques à propos des normes fédérales et régionales bruxelloises », Rev. dr. pén., 2021, pp. 777.
116
D. TATTI, ibidem, p. 779.
117
C. BEHRENDT et M. VRANCKEN, op. cit., p. 239.
118
R.J., SHARPE et J. FARBEY, The law of habeas corpus, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 148.

34
Roi119 afin de fournir, en échange de sa liberté retrouvée, une caution. Deuxièmement, le
terme latin pouvait également désigner les différentes mesures de contrôles des procédures
préalables au procès.

Aujourd’hui, l’habeas corpus vise principalement le mécanisme, bien connu du juriste pénal,
de la détention préventive. Celle-ci, comme l’explique la doctrine consiste en « un lieu de
conflit dialectique où deux intérêts sont en présence : d’une part, l’intérêt de l’inculpé détenu
alors qu’il est présumé innocent et, d’autre part, le droit concurrent de la communauté à la
protection et à la sécurité qui requiert que l’action de la justice puisse aboutir à la découverte
de la vérité et à la condamnation éventuelle de l’auteur de l’infraction si sa culpabilité est
établie. »120.

2) L’habeas corpus chez Beccaria : la volonté de s’affranchir de la


pratique de la capture

La liberté individuelle, à l’époque de BECCARIA, est peu de chose. En effet, selon les mots
mêmes de l’auteur, les magistrats sont libres d’emprisonner qui bon leur semble et,
pareillement, de laisser libres ceux à qui ils souhaitent accorder protection 121.

De plus, la distinction traditionnelle que l’on fait aujourd’hui entre « suspect », « inculpé » et
« prévenu »122 n’a pas cours. Lorsque l’on est « capturé », on a d’office le seul statut de
« coupable » et on est détenu dans les mêmes cellules que les personnes qui sont
emprisonnées à la suite d’un jugement123.

Face à cet état de fait, BECCARIA pose le nœud du problème : l’absence, dans la procédure
pénale du Moyen-Âge, de normes juridiques qui lient les juges dans la capture des
délinquants et leur maintien en prison qui constitue, en soi, une peine124. En effet, les lois du
Moyen-Âge laissaient aux juges un pouvoir arbitraire qui empêchait à l’agent, dès le stade de
l’enquête, de prouver avec des garanties suffisantes son innocence. Il était nécessaire, selon
l’auteur, qu’un cadre législatif fixe les indices sur base desquels un accusé peut se voir
emprisonné afin d’être soumis à un interrogatoire.

119
Dans la littérature anglophone, « King’s Bench ».
120
M-A. BEERNAERT, H. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, 4e éd., Bruges,
La Charte, 2021, p. 1053.
121
C. BECCARIA, op. cit., p. 58.
122
Ou « accusé » lorsqu’il s’agit de la Cour d’assises.
123
A. DE MARCHI, Cesare Beccaria e il processo penale, Torino, Fratelli Bocca, 1929, p. 125.
124
C. BECCARIA, op. cit., p. 58.

35
3) La détention préventive en Belgique : aspects

a) Le texte constitutionnel

L’article 12 de la Constitution dispose, en son troisième alinéa, que : « Hors le cas de flagrant
délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu d’une ordonnance motivée du juge qui doit être
signifiée au plus tard dans les quarante-huit heures de la privation de liberté et ne peut
emporter qu’une mise en détention préventive. »125.

De ce libellé, nous voyons apparaître une condition majeure de la détention préventive : le


juge d’instruction dispose du monopole quant à l’émission du mandat d’arrêt 126.

b) Le fonctionnement général de la détention préventive en droit


belge

1. Cadre législatif national

En Belgique, la matière est réglée par la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention
préventive127. Dans le respect de ce qu’exigeait BECCARIA donc, un cadre législatif fixe la
matière et lie le juge.

a. Conditions de fond

L’article 16 de la loi sur la détention préventive 128 prévoit les conditions de fond à respecter
pour que celle-ci soit valable. Elles sont au nombre de cinq129 :

1. Il faut, pour délivrer un mandat d’arrêt, que celui-ci soit absolument nécessaire pour la
sécurité publique ;
2. La délivrance du mandat d’arrêt nécessite, en outre, l’existence d’indices sérieux de
culpabilité ;
3. Le fait à propos duquel il existe des indices sérieux de culpabilité doit être de nature à
entraîner un emprisonnement d’un an ou une peine plus grave ;
4. Si le maximum de la peine applicable ne dépasse pas quinze ans de réclusion, le juge
d’instruction doit craindre que l’inculpé puisse soit commettre de nouveaux délits, soit
se soustraire à son jugement ou bien tenter de dissimuler des preuves ;
5. Enfin, et nous retrouvons ici l’esprit de BECCARIA, la mesure ne peut être prise pour
exercer une répression immédiate ou une contrainte quelconque.

125
Const., art. 12.
126
O. MICHIELS, op. cit., p. 305.
127
Loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, M.B., 14 août 1990.
128
Loi du 20 juillet 1990 précitée, art. 16.
129
O. MICHIELS, op. cit., pp. 306 à 308

36
b. Conditions de forme

Le même article 16 prévoit les conditions de forme qu’il faut respecter, sous peine de devoir
remettre l’inculpé en liberté. Celles-ci sont au nombre de trois :

1. L’inculpé doit avoir fait l’objet d’un interrogatoire préalable sur les faits qui lui sont
reprochés, interrogatoire au cours duquel il a pu faire ses observations ;
2. Le mandat d’arrêt doit être motivé (cela ressort tant de la loi que de l’article 12 de la
Constitution mentionné plus haut)
3. Le mandat doit être signifié, conformément à l’article 18, dans un délai de quarante-
huit heures, commençant à courir à partir de la privation effective de liberté de
l’individu.
4. Le mandat doit revêtir le sceau et la signature du juge d’instruction

c. Le maintien de la détention préventive

C’est l’analyse du maintien en détention préventive qui revêt le plus d’importance dans le
cadre de la gestion de la crise sanitaire.

Lorsqu’une personne est placée en détention préventive, une juridiction se doit de contrôler si,
en premier lieu, le mandat d’arrêt a été décerné régulièrement et si son maintien est bien
opportun.

La matière de ce contrôle figure aux articles 21 et suivants de la loi sur la détention préventive
et peut être présentée schématiquement comme suit.

La première phase de ce contrôle intervient dans les cinq jours de la délivrance du mandat
d’arrêt130. Ce délai couperet se calcule de minuit à minuit, le jour de la signification du
mandat n’étant pas pris en compte 131. À l’issue de ces cinq jours, la chambre du conseil
contrôle, pour la seule et unique fois 132, la légalité et la régularité du mandat d’arrêt. Après
avoir opéré ce contrôle, elle apprécie, sur base du rapport du juge d’instruction et de
l’audience à laquelle participe le procureur du Roi ainsi que l’inculpé et/ou son conseil,
l’opportunité du maintenir ou non la détention préventive. Elle rend, sur cette base, une
ordonnance qui est signifiée à l’inculpé dans les vingt-quatre heures 133.

Dans le cas où la détention préventive a été maintenue, la deuxième phase du contrôle


s’enclenche. Elle consiste en une appréciation du maintien ou non de la détention préventive
sur base des conditions de fond que nous avons évoquées. À ce stade, comme nous l’avons
dit, le contrôle de légalité du mandat d’arrêt n’est plus de mise. Ainsi donc, l’inculpé se

130
Loi du 20 juillet 1990 précitée, art. 21, §1er.
131
O. MICHIELS, op. cit., p. 324.
132
O. MICHIELS, ibidem, p. 324.
133
Loi du 20 juillet 1990 précitée, art. 30, §2.

37
rendra de mois en mois et, au bout de deux mois, tous les deux mois en chambre du conseil
afin qu’il soit statué sur son maintien ou non en détention préventive.

La pensée de BECCARIA reçoit également un écho quant aux droits de la défense. En effet,
conscient de ce que l’inculpé doit pouvoir faire valoir tous les éléments utiles à sa défense dès
ce stade, le législateur organise l’accès au dossier répressif dès le dernier jour ouvrable avant
la première comparution en chambre du conseil134.

Ainsi donc, comme nous le voyons, la mise en détention préventive d’une personne ne peut
en aucun cas revêtir un caractère automatique et est, de surcroit, soumise à des garanties
légales permettant à l’inculpé de faire valoir ses moyens de défense dès son arrestation.

2. Un droit garanti internationalement

La matière de la détention préventive trouve également des garanties au sein de l’article 5 de


la Convention européenne des droits de l’Homme qui proclame le droit à la liberté et à la
sûreté.

En substance, cet article proclame le droit de chacun à ne pouvoir être privé de liberté que
selon les voies légales (5.) ; à être informé dans les plus brefs délais des accusations justifiant
cette arrestation (5.2) ; à être jugé dans un délai raisonnable (5.3) ; à accéder à un juge afin de
vérifier la légalité de sa détention (5.5) et à obtenir réparation en cas de détention injustifiée
(5.6).

4) La Belgique, bonne élève en période de pandémie

Cet aspect démocratique de la Belgique fut préservé durant la crise sanitaire en matière de
détention préventive.

Il faut dire que le combat n’était pas gagné d’avance. Un simple coup d’œil à sa frontière
occidentale aurait pu l’inspirer à sombrer dans une dénégation totale des droits du détenu.

En effet, en France, par une ordonnance du 23 mars 2020135, le Gouvernement décida de


prolonger d’office et en l’absence de tout contrôle de deux ou trois mois, selon les cas, les
délais de détention provisoire. Cette ordonnance, outre le fait qu’elle déshonore totalement le
gouvernement qui l’édicte, avait pour effet de facto de prolonger automatiquement le séjour
en détention des inculpés.

Fort heureusement, la Cour de cassation française jugea ce prolongement automatique


contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme en jugeant qu’ « à

134
Loi du 20 juillet 1990 précitée, art. 21, §3.
135
Ordonnance n°2020-303 du 23 mars 2020 portant adaptation de règles procédurale pénale sur le fondement
de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, art. 16.

38
défaut d’un tel contrôle et sauf s’il est détenu pour une autre cause, l’intéressé doit être
immédiatement remis en liberté » 136.

En Belgique, comme le rapporte F. KUTY137, le respect de la procédure relative à la détention


préventive fut satisfaisant. Par deux arrêts, respectivement du 3 et du 17 juin 2020 138, la Cour
de cassation rappela que le droit de comparaitre en personne ne pouvait être suspendu par
l’acte d’une autorité judiciaire. Impossible donc, pour le premier président d’une cour d’appel,
de décider de la non-comparution des détenus en audience de chambre du conseil 139.

D.- L’INTERPRÉTATION DE LA LOI PÉNALE

1) Le droit pénal est de stricte interprétation

Le principe général en droit pénal est que celui-ci est de stricte interprétation et a pour
conséquence directe que l’interprétation par analogie est proscrite 140.

Toutefois, si le principe a été énoncé à quelques reprises par nos juridictions 141, force est de
constater qu’il n’est consacré dans aucun texte national ou international directement
applicable. Seul l’article 22 du Statut de Rome sur la Cour pénale internationale en fait
clairement mention.

En réalité, il s’agit d’une atténuation du principe de légalisme extrême qui consiste non plus à
se cantonner de manière radicale au texte de la loi mais plutôt à appliquer cette dernière
rigoureusement de sorte à limiter tant que faire se peut la portée d’une interprétation trop
extensive142.

F. TULKENS143 relève quatre tempéraments à ce principe d’interprétation stricte :

1. La loi pénale ne s’interprète pas obligatoirement de manière littérale ;


2. Il convient d’interpréter extensivement les dispositions favorables au prévenu
3. Lorsqu’un doute survient sur la portée de la loi, il ne doit pas nécessairement profiter
au prévenu ;
4. Il peut être recouru au sens usuel des termes lorsque la loi est obscure.

136
Cour de cassation française (chambre criminelle), 26 mai 2020, J.L.M.B., 2020, p. 1248.
137
F. KUTY, « Le maintien d’une mesure de privation de liberté requiert un contrôle juridictionnel dépourvu de
tout automatisme », J.L.M.B., 2020, pp. 1248 à 1251.
138
Cass. 3 juin 2020, R.G. n°P.20.499.F ; Cass., 17 juin 2020, R.G. n° P.20.626.F., disponibles sur
www.juportal.be.
139
F. KUTY, op. cit., p. 1250.
140
F. TULKEN et al., op. cit., p. 293.
141
Voy not. Gand, 20 mars 1970, J.T., 1971, p. 497 ; Corr. Liège., 11 septembre 1996, Journ. proc., n°311,
1996, p. 26 ; C.A., n°45/96, 12 juillet 1996, M.B., 27 juillet 1996, p. 20027.
142
F. TULKENS et al., op. cit., p. 294.
143
F. TULKENS et al. Ibidem, pp. 301 à 307.

39
2) À l’origine philosophique du principe d’interprétation stricte de la
loi pénale : séparation des pouvoirs, volonté de s’affranchir du
juge et théorie du syllogisme

La raisonnement que prodigue Beccaria en matière d’interprétation de la loi pénale revêt,


faut-il le dire, un caractère utopiste.

Son présupposé peut être résumé à cette formule qu’il écrit dans son Traité : « L’art des
interprétations odieuses, qui est ordinairement la science des esclaves, peut seul confondre des
choses que la vérité éternelle a séparées par des bornes immuables. »144

Dans l’esprit de Beccaria, l’office du juge doit être réduit à constater l’existence de faits
répréhensibles : le juge ne doit pas interpréter la loi, pas plus qu’il ne doit s’improviser
législateur145.

Les lois, selon l’auteur, dirigent les intérêts particuliers vers le bien commun et tiennent leur
force du contrat social passé entre les citoyens et le souverain 146. Dans cette configuration,
seul ce dernier est à même de les interpréter, dès lors qu’il est « le dépositaire des volontés
actuelles de tous »147.

Cette vision de la loi pénale amène l’auteur à deux conclusions majeures.

La première consiste à ramener le rôle du juge à un simple syllogisme. En effet, Beccaria


réclame des juges un raisonnement parfait. De manière schématique, il énonce trois stades :
d’abord, l’existence de la loi générale ; ensuite, la certification d’une action conforme ou
contraire à la loi ; enfin, l’application de cette loi qui a pour conséquence ou non la
condamnation de l’accusé148. Laisser rentrer l’humain et s’en remettre à l’interprétation du
juge, craint Beccaria, constitue le risque d’être jugé de manière inconstante selon le lieu où
l’on comparaît.

La seconde conclusion, sans doute la plus utopiste, revient à exiger des lois fixes et littérales.
À propos de ces lois, l’auteur italien écrit : « lorsqu’elles ne confieront au magistrat que le
soin d’examiner les actions des citoyens, pour décider si ces actions sont conformes ou
contraires à la loi écrite; lorsqu’enfin la règle du juste et de l’injuste, qui doit diriger dans
toutes leurs actions l’ignorant et l’homme instruit, ne sera pas une affaire de controverse, mais
une simple question de fait, alors on ne verra plus les citoyens soumis au joug d’une multitude
de petits tyrans, d’autant plus insupportables que la distance est moindre entre l’oppresseur et
l’opprimé »149.

144
C. BECCARIA, op. cit., p. 117.
145
A. DE MARCHI, op. cit., p. 40.
146
C. BECCARIA, op. cit., p. 53.
147
C. BECCARIA, ibidem, p. 53.
148
C. BECCARIA, ibidem, p. 53.
149
C. BECCARIA, ibidem, p. 55.

40
3) Le juge pandémique, un nouveau dictionnaire infractionnel

Si, comme nous l’avons explicité plus haut, la tendance contemporaine n’est pas à la rigueur
extrême de la loi et laisse place à l’interprétation du juge, il n’en reste pas moins que l’écart
entre la conception de Beccaria et la tendance jurisprudentielle a, plus que jamais, été
abyssale en période de Covid-19.

Nous avons évoqué, tout au long de ce travail, la confusion qui a pu régner dans l’esprit du
citoyen face au libellé des diverses mesures répressives qui lui étaient imposées. Cette
confusion s’est étendue aux juridictions qui, à défaut de lois fixes et claires, ont dû parfois
s’adonner à un travail qui, à notre sens, n’est pas le leur.

Ainsi, par exemple, par un jugement du 15 juillet 2020150, le Tribunal correctionnel du


Brabant Wallon se lance dans une interprétation des infractions Covid-19 dont il fait aveu de
l’absence de clarté. En l’espèce, le prévenu était poursuivi pour la violation des articles 5 et 8
de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020. Son tort était de s’être arrêté pour saluer une
connaissance alors qu’il s’adonnait à une promenade avec son frère.

Après avoir constaté que l’arrêté ministériel en question ne définissait pas la notion de
rassemblement, d’activité physique et de promenade, le juge décide d’en déterminer les
contours en donnant, faut-il le dire, une définition bien trop générale que pour être utile,
puisqu’il définit ces notions de la sort : « Dans leur sens usuel, le rassemblement vise le
regroupement d’au moins deux personnes dans un lieu déterminé, l’activité physique
vise tant l’exercice physique de la vie quotidienne ou des loisirs que la pratique sportive et,
enfin, la promenade vise une marche, avec ou sans but, pour se distraire ou se détendre »151.

Voici donc à quoi peut mener une loi confuse et trop générale : une interprétation sommaire
qui, en soi, n’apporte rien au justiciable. Dans ce cas précis, le juge acquitta le prévenu au
motif que le procès-verbal n’établissait pas à suffisance la durée du rassemblement de ces
trois personnes et leur respect de la distanciation sociale. Cette circonstance heureuse ne doit
pas occulter la pénibilité de voir un juge admettre que les éléments matériels d’une infraction
pénale ne sont pas compréhensibles en tant que tels dans le texte censé les édicter.

150
Bruxelles (vac.), 15 juillet 2020, J.L.M.B., 2020, pp. 1266 à 1271.
151
Bruxelles (vac.), 15 juillet 2020, J.L.M.B., 2020, pp. 1268.

41
CONCLUSION

E sarà mia colpa

Se cosi è ?

Machiavelli

Nous avons commencé par présenter les différents instruments normatifs employés afin
d’endiguer la Covid-19. Au sein de cette première analyse, nous avons mis en lumière les
dispositifs principaux afin d’en relever les particularités de fond et de forme.

Ensuite, fort de cette analyse, nous avons procédé à l’examen de trois principes fondamentaux
de la norme pénale belge et, plus largement, de l’État de droit. Nous en avons expliqué
l’origine philosophique à travers l’œuvre de Cesare Beccaria.

Ce retour aux racines du droit pénal nous a permis de procéder à la confrontation d’un
dispositif pénal sanitaire à l’éthique pénale de l’État de droit.

De cette confrontation, il ressort que : le principe de légalité ne fut pas respecté par l’État
belge qui joua périlleusement avec la technique de la loi d’habilitation pour se couvrir d’une
loi inadaptée aux besoins d’une pandémie ; l’habeas corpus, en revanche, fut globalement
bien respecté152 et le contrôle de la détention préventive fut moins atteint qu’en France ; enfin,
le rôle laissé au juge dans la définition des infractions « Covid-19 » fut bien plus large que ce
que l’on pourrait attendre d’un État de droit.

À l’heure d’écrire ces lignes, une campagne fédérale est diffusée en continu sur les ondes de
certaines radios belges. Elle nous dit, en substance, que le peuple belge doit être solidaire de
l’Ukraine (ce que personne ne contestera !). Pour ce faire, l’État belge invite ses citoyens à
adopter, au nom de cette solidarité, un mode de vie énergétique plus sobre.

Ce que ce discours occulte, ce sont, d’une part, les liens commerciaux que la Belgique
continue d’entretenir avec le pays de Vladimir Poutine et, d’autre part, les recettes qu’il
continue d’engranger par le fait même de cet approvisionnement, par la pression fiscale qu’il
continue d’exercer. Cette circonstance fait particulièrement écho à ce que constatait déjà
Barbara Stiegler lorsqu’elle écrivait, à propos de la crise sanitaire, que : « Ainsi s’opérait, dès
les premières heures, une spectaculaire inversion des responsabilités. Alors que les citoyens
étaient les victimes d’une politique qui avait désarmé le système sanitaire, le gouvernement
inversait la charge en l’imputant aux citoyens eux-mêmes (…) »153. Cette tendance étatique à
la responsabilisation amène insidieusement une tendance à la répression dont témoigne
l’inflation législative pénale de ces dernières années. Dès lors, face à cette circonstance
grandissante, nous devons nous poser la question suivante : jusqu’où nous écarterons-nous du
pacte social initial ?

152
Nous ne pouvons, en revanche, pas avoir connaissance du nombre exact d’arrestations administratives
survenues pour cause d’infraction aux dispositions régissant la crise sanitaire.
153
B. STIEGLER, De la Démocratie en Pandémie, coll. Tracts, n°23, Paris, Gallimard, 2021, p. 23.

42
43
BIBLIOGRAPHIE

I. LÉGISLATION

A. Textes internationaux

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à


Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, M.B., 19 août 1955.

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approuvé par la loi du 15 mai 1981, M.B., 6 juillet 1983.

B. Dispositifs normatifs étrangers

Ordonnance n°2020-303 du 23 mars 2020 portant adaptation de règles procédurale pénale sur
le fondement de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de
Covid-19.

C. Constitution

Const., art. 39, 12 et 115.

D. Législation fédérale

C. pén., art. 328bis, inséré par la loi du 4 avril 2003 insérant un article 328bis et modifiant les
articles 328 et 331bis du Code pénal, M.B., 5 mai 2003.

C. jud., art. 143quater.

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Loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation
d’urgence épidémique, M.B., 20 août 2021.

Arrêté royal du 28 octobre 2021 portant les mesures de police administrative nécessaires en
vue de prévenir ou de limiter les conséquences pour la santé publique de la situation d'urgence
épidémique déclarée concernant la pandémie de coronavirus COVID-19, M.B., 29 octobre
2021.

Arrêté royal du 25 mars 2003 relatif aux cartes d’identité, M.B., 28 mars 2003.

44
Arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation
du coronavirus COVID-19, M.B., 18 mars 2020.

Arrêté ministériel du 23 mars 2020 pourtant des mesures d’urgence pour limiter la
propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 23 mars 2020.

Arrêté ministériel du 18 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la
propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 18 octobre 2020.

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Projet de loi relatif aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence
épidémique précité, Doc., Ch., 2020, n°1951/005.

Accord de coopération du 14 juillet 2021 entre l'État fédéral, la Communauté flamande, la


Communauté française, la Communauté germanophone, la Commission communautaire
commune, la Région wallonne et la Commission communautaire française concernant le
traitement des données liées au certificat COVID numérique de l'UE et au COVID Safe
Ticket, le PLF et le traitement des données à caractère personnel des travailleurs salariés et
des travailleurs indépendants vivant ou résidant à l'étranger qui effectuent des activités en
Belgique, M.B., 23 juillet 2021.

Avis n°31.342 du 6 juin 2001 sur l’avant- projet de loi de « mise en conformité du droit belge
avec la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants », in « Projet de loi de mise en conformité du droit belge avec la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, faite à New
York le 10 décembre 1984 », Doc. parl., Chambre, 2000-2001, n°50-1387/001.

Circulaire n°COL 6/2020 du Collège des procureurs généraux près les cours d’appel du 25
mars 2020 relative à la mise en œuvre judiciaire de l’arrêté ministériel du 24 mars 2020
modifiant l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures pour limiter la propagation
du coronavirus COVID-19, disponible sur www.om-mp.be.

E. Législation fédérée

Décret de la Région wallonne du 21 octobre 2021 relatif à l’usage du COVID Safe Ticket et à
l’obligation du port du masque, M.B., 29 octobre 2021.

Projet de loi portant assentiment à l’accord de coopération entre l’État fédéral, la


Communauté flamande, la Communauté française, la Communauté germanophone, la
Commission communautaire commune, la Région wallonne et la Commission communautaire
française concernant le traitement des données liées au certificat COVID numérique de l’UE
et au Covid Safe Ticket, le PLF et le traitement des données à caractère personnel des
travailleurs salariés et des travailleurs indépendants vivant ou résidant à l’étranger qui
effectuent des activités en Belgique, Doc., Ch., 2020-2021, n°2129/001.

45
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Cour. eur. D.H., arrêt Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, disponible sur www.echr.coe.int.

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46
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48

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