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Geo-Eco-Trop.

, 2020, 44, 4: 631-651

Risques géomorphologiques et aménagement dans la partie sud-est du golfe de Tunis :


Le cas du versant du Jbel Korbous (Tunisie nord-orientale)

Geomorphological risks and management in the south-eastern part of the Gulf of Tunis:
The case of the Jbel Korbous slope (North Eastern Tunisia)

Ouadii EL AROUI1

Abstract: This work focuses on the western slope of Jbel Korbous which borders the south-eastern part of the Gulf of Tunis.
The landscape is characterized by a morphology of cliffs often relayed upwards by very steep slopes which are the seat of an
important geomorphological activity. Direct field observations, analysis of map and photographic documents from different
dates made it possible to identify two families of dynamics. The first is related to landslides with a particular place for sudden
and instantaneous movements (scree and rock fall) while the second is related to torrential flows. Such dynamics are already
favoured by various natural factors, including the morphology of the slope and its inclination, numerous tectonic weaknesses,
a contrasting lithology and extensive scouring wave. Irresponsible human interventions have also been added to these factors.
The effects of this evolution have already led to delicate situations; namely the prohibition to the circulation in the southern
section of the Jbel Korbous road built on its littoral front following the progressive collapse of the rock in place. However,
other management activities have been undertaken or are carried out in alarming situations.

Keywords: Tunisia, Gulf of Tunis, Jbel Korbous, slope dynamics, risks, planning

Résumé : Ce travail s’intéresse au versant occidental du Jbel Korbous qui limite la partie sud est du golfe de Tunis. Le paysage
se caractérise par une morphologie de falaises souvent relayées vers le haut par des terrains à pentes très raides qui sont le siège
d’une activité géomorphologique importante. Les observations directes de terrain et l’analyse des documents cartographiques
et photographiques de différentes dates ont permis de dégager deux familles de dynamiques. La première est en rapport avec
les mouvements de terrain avec une place particulière aux déplacements brusques à instantanés (éboulis et éboulements) alors
que la deuxième est liée aux écoulements torrentiels. De telles dynamiques sont déjà favorisées par différents facteurs naturels
dont la morphologie des versants, les pentes raides, les nombreuses faiblesses tectoniques, une lithologie contrastée et un
important travail d’affouillement par les vagues. A tout cela se sont ajoutées des interventions humaines imprévoyantes. Les
effets d’une telle évolution ont déjà conduit à des situations délicates à savoir l’interdiction à la circulation tout le long de la
section méridionale de la route du Jbel Korbous aménagée sur son front littoral suite à l’écroulement et l’éboulement progressif
de la roche en place. Pourtant, d’autres travaux d’aménagement ont été entrepris ou sont en cours dans des situations peu
rassurantes.

Mots-clés : Tunisie, golfe de Tunis, Jbel Korbous, dynamique des versants, risques, aménagement

INTRODUCTION

Le golfe de Tunis appartient à la Tunisie nord-orientale et s’étend sur une distance d’environ
150 km reliant, en demi-arc de cercle, Ras et Tarf (Cap Farina) au Ras Addar (Cap Bon) occupant
respectivement ses deux extrémités nord-ouest et nord-est. Entre les deux, et en plusieurs points, la place
est donnée à des terrains accidentés et le plus souvent bordant directement la mer comme le versant
ouest du Jbel Korbous situé sur la côte orientale du golfe de Tunis qui correspond en même temps à la
façade occidentale de la péninsule du Cap Bon (Fig. 1).
Les caractéristiques topographiques, lithologiques et structurales, ainsi que les particularités de
son occupation humaine, ont fait de ce versant un terrain propice à l’étude des risques
géomorphologiques et des dynamiques qui y sont souvent responsables. Nous citons, à tire d’exemple,
l’instabilité des versants et les écoulements torrentiels. Lors de phénomènes météorologiques
exceptionnels, leurs actions deviennent sensiblement graves, notamment au niveau des agglomérations
et le long des réseaux routiers. Tel fut le cas des pluies diluviennes du 22 septembre 2018 qui ont été à
l’origine d’une véritable situation de crise.
1 Laboratoire CGMED, Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Université de Tunis, Tunisie. [email protected]

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Figure 1 : Carte de localisation de la zone d’étude.

Cette étude propose donc une recherche dans les caractéristiques de la dynamique
géomorphologique et dans la relation Homme-milieu naturel sur le versant côtier de Jbel Korbous afin
de dégager les secteurs les plus exposés aux risques. Ceci doit se faire en deux grandes parties. La
première mettra l’accent sur les caractéristiques du milieu naturel. Par contre, la deuxième exposera la
famille des risques géomorphologiques. Une mention particulière sera accordée aux moteurs de la
dynamique ainsi qu’au rôle des aménagements humains dans l’accélération ou l’atténuation du risque.

DES CARACTERISTIQUES DU MILIEU NATUREL DEJA FAVORABLES


AUX RISQUES GEOMORPHOLOGIQUES

Les dynamiques géomorphologiques relevées sur le versant côtier du Jbel Korbous ainsi que les
risques qui y résultent sont favorisés par différents facteurs naturels. A titre d’exemple, nous citons les
pentes raides et leur caractère irrégulier, les nombreuses faiblesses tectoniques, la lithologie contrastée
et un important travail d’affouillement par les vagues.
Des risques commandés d’abord par les particularités topographiques et morphologiques du
versant
Les observations directes de terrain ainsi que l’analyse de différents documents cartographiques
et photographiques ont déjà permis d’examiner le rôle des caractéristiques topographiques et de préciser
le poids des héritages quaternaires dans l’activation de la dynamique géomorphologique et dans
l’identification des phénomènes générés, à savoir l’instabilité des versants et les écoulements torrentiels.
Selon le type des pentes et la position de la ligne de crête par rapport à la côte
D’une direction généralement subméridienne (NNE-SSE), le versant côtier du Jbel Korbous
culmine à 416 m d’altitude et s’étend de Ras al Fartas au nord jusqu’à Sidi Errais au sud. Le paysage se
caractérise par une morphologie de falaises souvent relayées vers le haut par des terrains pentus,
notamment dans sa section méridionale, entre Ain el Fakroun et Sidi Errais. Les altitudes élevées (plus
de 350 m) et les pentes raides (autour de 30°) accordent à cette partie du versant son aspect imposant.
Alors que, dans sa section septentrionale et surtout entre Ain el Kanassira et Ras al Fartas, les altitudes

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baissent rapidement (moins de 100 m) contre une accentuation des pentes qui atteignent des valeurs
avoisinantes de 45° (Figs. 2 et 3).
L’action de la morphogenèse semble donc être liée, dans la zone étudiée, aux variations des
valeurs et des aspects de pentes qui sont eux aussi en rapport avec la distance qui sépare la ligne de crête
au rivage. Ces caractéristiques qui commandent, en grande partie, la dynamique géomorphologique sur
le versant sont responsables d’une famille assez riche de phénomènes à savoir éboulis et éboulements,
glissements de terrain et écoulements torrentiels.

Figure 2 : MNT de la zone d’étude. Figure 3 : Carte des pentes.

Le long du Jbel Korbous, la distance séparant la ligne de crête au rivage n’a, en aucun cas, dépassé
1550 m. Pourtant des situations différentes ont été dégagées en rapport avec des dynamiques variées :
- Une dynamique en rapport avec les écoulements torrentiels dans la partie centrale du versant favorisée
par une ligne de crête suffisamment décalée et un versant taillé dans une longue pente concave. Une
telle situation a été relevée, au moins, dans trois secteurs différents à savoir Ain Oktor, l’agglomération
de Korbous et Ain el Fakroun (Profil A-B, Fig. 4).
- Une dynamique double qui alterne à la fois des mouvements de terrain et des écoulements torrentiels.
Elle caractérise les parties du versant là où la ligne de crête et le rivage sont très distants et là où des
pentes irrégulières taillent la topographie du versant. Il s’agit, dans la plupart des cas d’une accentuation
de pente sur les deux extrémités amont et aval du versant contre un léger adoucissement dans sa section
médiane. Citons, à titre d’exemple, la section du versant située à quelques centaines de mètres au sud
de l’agglomération de Korbous au niveau de Kef el Hendi (Profil C-D, Fig. 4).

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- Une dynamique des mouvements de terrain sur les versants très pentus et dont les lignes de crêtes sont
peu distantes du rivage. Les exemples sont très répandus le long du versant côtier du Jbel Korbous,
notamment entre Ain Oktor et l’agglomération de Korbous et entre Ain el Kanassira et Ras al Fartas
(Profil E-F, Fig. 4).

Figure 4 : Exemples de profils topographiques le long du versant côtier du Jbel Korbous.

Rôle de la morphologie et poids des héritages quaternaires


La morphologie de détail du versant côtier du Jbel Korbous, en dehors du schéma général présenté
dans la partie précédente, offre un peu partout un paysage de gradins où alternent des corniches, de
quelques mètres de commandement, à pentes raides dominant des talus de pentes concaves, taillés dans
la roche tendre sous-jacente. Une telle organisation a accordé au versant son aspect très irrégulier et a
été à l’origine de l’accélération, par endroit, de la dynamique géomorphologique.
Cette parfaite succession de l’amont vers l’aval du versant, de binômes de roche dure sur roche
tendre, est souvent dérangée par des apports alluviaux et colluviaux ayant totalement chambardé la
morphologie initiale. Ces apports, pour l’essentiel anciens, ont été à l’origine de la mise en place de
plusieurs formes héritées probablement depuis les périodes humides du Quaternaire. Elles sont en étroite
relation avec l’activité des mouvements de terrain et les écoulements, au moins d’après ce que nous
avons pu déterminer suite à nos observations de terrain.
Malgré les multiples études réalisées sur la région (KARRAY & PASKOFF, 1977 ; PASKOFF
& SANLAVILLE, 1983 ; BOURGOU, 1991, 2017 ; OUESLATI, 1993, 2004 ; BEN MAMMOU et al.,
2007 ; HADDAD, 2017), la question en rapport avec la dynamique héritée reste encore peu discutée
malgré la netteté des formes et des dépôts qui y sont relatifs. Le résultat sur le versant s’exprime par une
variété de modelés qui alternent à la fois et sur des courtes distances, des corniches et des éboulis, des
cuvettes et des bosses et des niches de décollements et des masses glissées. Généralement, le matériel
déplacé est caillouteux, très anguleux et emballé dans une matrice argileuse et semble être à l’origine
d’une double action sur le versant (Fig. 5).
Il agit d’abord par la pression et la surcharge qu’il apporte sur les formations sous-jacentes,
essentiellement argileuses, et par ses capacités d’infiltration et de stockage des eaux pluviales. Ceci
favorise le déclenchement, voire même, la réactivation de certains mouvements surtout pendant les
années humides (EL AROUI, 2016, 2018).

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Figure 5 : Exemples de manifestations des dynamiques anciennes sur le versant côtier du Jbel Korbous.
a : Une niche de décollement marquant le départ d’une loupe de glissement qui a déplacé vers l’aval quelques
39000 m3 de matériel chaotique. Elle est localisée en amont de l’ancienne route qui relie Sidi Errais à Korbous et
qui, aujourd’hui, est stabilisée et colonisée par une couverture de végétation très dense.
b : Exemple d’une couverture colluviale de quelques mètres d’épaisseur située à mi-versant entre la crête et le
rivage dans la section médiane du versant côtier du Jbel Korbous.

D’autres facteurs sont aussi déterminants


Ces facteurs sont liés particulièrement aux caractéristiques lithologiques, tectoniques et morpho-
structurales du versant ainsi qu’aux caractéristiques pluviométriques et les données de vent et de houle.
Les caractéristiques lithologiques, tectoniques et morpho-structurales
Les études géologiques réalisées dans la région sont multiples et ont particulièrement mis l’accent
sur la variété lithologique et la complexité structurale qui ont accompagné la sédimentation et
l’affleurement des différentes couches géologiques. Tous les auteurs sont d’accord sur le rôle de ces
caractéristiques dans la prolifération des phénomènes en rapport avec la dynamique géomorphologique,
notamment celle en rapport avec l’instabilité des versants.
- Les caractéristiques lithologiques : la série sédimentaire du Jbel Korbous est constituée par la
formation Fortuna datant de l’Oligocène-Miocène inférieur qui accorde une place prépondérante,
surtout dans sa moitié basale, aux alternances de roches dures et autres tendres, considérées comme étant
un des facteurs favorisant le déclenchement et l’amplification des formes d’instabilités sur le versant.
D’une manière générale, cette série est formée par deux membres lithologiques à savoir un membre
inférieur ou unité Korbous et un membre supérieur ou unité El Haouaria (BEN SALEM, 1992 ;
MAAMRI et al., 2001) (Figs. 6 et 7). La première débute par des calcaires finement gréseux avec des
bancs de 20 m d’épaisseur et se termine vers le haut, aussi, par des calcaires disposés en bancs métriques
(2 à 3 m) (MEHAT-ONM, 2018). Entre les deux, la place est donnée aux intercalations des argiles et
des grès. Cette unité pourra être suivie le long de la section médiane du versant côtier du Jbel Korbous
entre Ain Oktor et Ain el Kanassira (Figs. 6 et 7). C’est aux dépens de ce segment que des indices de
dynamique géomorphologique, parfois intenses, ont été relevés exposant ainsi tous les aménagements
humains, situés à l’aval du versant, à un véritable danger. La deuxième unité débute juste au-dessus des
calcaires supérieurs de Korbous par des alternances de grès fins et d’argiles et se poursuit vers le sommet
par des grès grossiers qui forment la majeure partie des reliefs et de la ligne de crête du Jbel Korbous
(MAAMRI et al., 2001). Dans la zone étudiée, cette unité est bien représentée entre Ain el Kanassira et
Ras al Fartas au nord et entre Ain Oktor et Sidi Errais au sud (Figs. 6 et 7).
- Les caractéristiques tectoniques sont d’une importance capitale dans la compréhension de la
dynamique morphologique enregistrée sur le versant côtier du Jbel Korbous. Ce dernier, selon BEN
SALEM (1992), correspond au flanc oriental d’une structure anticlinale dont le flanc occidental est
effondré sous la mer. Il s’agit donc, selon le même auteur, d’une structure d’apparence monoclinale qui
présente des pendages relativement faibles à l’ouest (de l’ordre de 20°) et qui s’accentuent brusquement
sur sa retombée orientale ce qui laisse penser à un flanc d’un grand pli coffré.

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Figure 6 : Log lithologique de la série de Figure 7 : Carte de la répartition des affleurements
l’Oligocène-Miocène inférieur du Jbel Korbous. lithologiques dans la zone étudiée.

Cette histoire tectonique compliquée trouve ses origines dans un long processus commandé
essentiellement par des déformations cassantes sous l’effet d’une forte activité tectonique extensive
exprimée aujourd’hui sur le versant par plusieurs horsts et grabens (MEHAT-ONM, 2018). Elle est
exprimée aussi par un réseau de failles de différentes directions et dont les manifestations se sont
poursuivies même au cours du Quaternaire supérieur (BEN AYED et al., 1988). Nous en citerons à titre
d’exemple la grande faille d’effondrement (F1), sensiblement rectiligne et de direction N20 et la faille
d’Ain Oktor (F2) de direction proche d’E-W (BEN SALEM, 1992) (Fig. 8). La première est une faille
normale qui longe la côte et a été à l’origine de l’effondrement du flanc occidental de la structure
anticlinale de Korbous. Le long de cette faille jaillissent plusieurs sources d’eau, parfois thermales, à
savoir celle d’Ain el Kanassira, Ain el Fakroun et Ain Oktor. Par contre, la deuxième, qui passe par Ain
Oktor, a découpé le Jbel Korbous en deux compartiments bien individualisés et a décalé vers l’ouest
tout le compartiment sud en un jeu apparent normal dextre (BEN SALEM, 1992 ; MAMMRI et al.,
2001).
En dehors de ces deux failles principales, la zone d’étude est également parcourue par un réseau
de fracturations dense repéré particulièrement aux dépens des affleurements des roches dures (Fig. 8).

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Ceci provoque d’abord le détachement des blocs et par la suite leurs basculements et
écroulements, souvent, suivant des directions préférentielles commandées par les lignes de fractures.
Une telle situation trouve ses origines selon MAMMRI et al. (2002) dans les directions orthogonales
qui caractérisent un champ assez dense de failles normales dans la zone étudiée (N30 à N50 et N130 à
N150).

Figure 8 : Croquis morpho-structural de la zone étudiée.

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- Les caractéristiques morpho-structurales : Le Jbel Korbous appartient à une structure monoclinale
dont le pendage des couches s’oriente vers l’est et présente des valeurs qui varient entre 13° et 40°
(Fig. 4). Il s’agit donc d’un crêt avec un front et un revers bien distingués dans le paysage. Le premier,
qui correspond en même temps au versant côtier du Jbel Korbous, est taillé dans une pente raide et est
façonné dans des alternances de roches dures et tendres. Par contre, le deuxième domine le synclinal de
Takelsa et est taillé dans une surface structurale fortement disséquée, laissant apparaître plusieurs
chevrons.
De l’amont vers l’aval, le front présente plusieurs éléments qui plaident en faveur de situations
d’instabilité. Tout à fait à l’amont, au niveau de la ligne de crête, le paysage est donné à une paroi
rocheuse très fracturée, redressée à la verticale, de quelques mètres d’épaisseur et superposant un
affleurement argileux. Vers l’aval, la place est donnée à plusieurs ressauts structuraux correspondant
dans le paysage aux affleurements des bancs de roches dures fortement diaclasés et parfois fracturés,
reposant eux aussi sur des passages argileux (Fig. 8).
Les caractéristiques pluviométriques et les données de vent et de houle
* Les caractéristiques pluviométriques : La position du Cap Bon, région à laquelle appartient la zone
étudiée, au milieu de la mer Méditerranée et son caractère insulaire laisse cette région exposée à des
perturbations ayant des directions différentes. En fait, la quasi-totalité des types de flux atmosphériques
qui l’abordent se caractérisent, sauf exception, par des trajectoires maritimes (EL MELKI & BEN
BOUBAKER, 2017). Selon BEN BOUBAKER et al. (2010), ceux qui viennent du côté SW à NW, sont
souvent les plus fréquents et arrosent abondamment les flancs NW des jbels à savoir le versant côtier du
Jbel Korbous. Par contre, les flux qui abordent le Cap Bon des côtés SE, E et NE sont certes moins
importants mais ils sont parfois responsables d’évènements pluviométriques exceptionnels.
EL MELKI & BEN BOUBAKER (2017) ont montré, sur base de l’analyse des séries
pluviométriques enregistrées dans la station de Korbous durant la période 1970-2000, la grande
variabilité interannuelle des pluies. Par exemple, l’écart absolu (Max-Min) de la précipitation totale
annuelle est supérieur à la moyenne pluviométrique annuelle. Ainsi, la précipitation maximale annuelle
est quasiment deux fois supérieure à la précipitation moyenne annuelle (Tab. 1).

Tableau 1 : Variabilité des précipitations dans la station de Korbous (période 1970-2000).


Source (INM, in EL MELKI & BEN BOUBAKER, 2017)
Moyenne annuelle Ecart absolu (Max-Min) Ecart type Coefficient de variation Max Min
498,96 623,2 157,95 31,66 855,3 231,1

Ces moyennes annuelles cachent en réalité une grande variabilité mensuelle et journalière. Par
exemple, le 22 septembre 2018, la station de Korbous a enregistré 160 mm de pluie en seulement
quelques heures. C’est-à-dire près de cinq fois sa moyenne mensuelle (34 mm) et le 1/3 de son total
annuel2 (MRABTI et al., 2019). Ces pluies diluviennes qui dépassent 30 mm/jour (HENIA & EL
MELKI, 2000) ne manquent pas dans la zone étudiée et ont souvent été à l’origine de véritables
situations de crise. Les exemples sont multiples, mais le plus impressionnant par son ampleur et ses
conséquences est celui du 22 septembre 2018 ; il fera l’objet d’une discussion détaillée dans la partie
suivante.
* Les données de vent et de houle : Les vents forts caractérisant le versant côtier de Jbel Korbous
reviennent essentiellement à l’exposition de ses côtes aux directions NW à SW ainsi que son ouverture
sur une mer relativement ouverte. En fait, les vents les plus fréquents proviennent du secteur SW à NW,
avec une forte prédominance des vents d’Ouest. Par contre, les vents les plus forts (autour de 20 m/s)
proviennent du secteur W à NNW (MEHAT, 2016). Ces vents sont à l’origine des agitations les plus
longues et les plus fortes et sont aussi responsables des hauteurs considérables des vagues qui, par leurs
actions hydrodynamiques, contribuent à l’affouillement du pied du versant et facilitent, par conséquent,
l’instabilité des sections situées ci-dessus. Par exemple, la hauteur significative d’une vague pour une

2Ces données sont calculées par MRABTI et al. (2019) sur base des séries pluviométriques de la station de Korbous pour la
période 1982-2018.

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période de retour d’une année est de 2,8 m contre 4,7 m pour une période de retour de 25 ans et de 6,8
m pour une période de retour de 100 ans3 (HYDROTECNICA PORTUGUESA, 1995).
L’étude des caractéristiques du milieu naturel a permis d’évaluer le degré de susceptibilité du
versant côtier du Jbel Korbous à la dynamique géomorphologique. En fait, le caractère accidenté du
relief, les pentes raides, les aspects morphologiques, l’alternance de roches dures et tendres, le réseau
dense de fracturation, le caractère torrentiel des pluies et le travail d’affouillement par les vagues sont
tous des facteurs éminemment favorables à une telle dynamique.

RISQUES GEOMORPHOLOGIQUES ET AMENAGEMENT SUR LE VERSANT COTIER


DU JBEL KORBOUS : QUELS ENSEIGNEMENTS FAUT-IL TIRER ?

Sur le versant côtier du Jbel Korbous, la dynamique géomorphologique est souvent associée à des
interventions humaines imprudentes. Les effets d’une telle situation sont bien ressentis, surtout dans sa
moitié sud, entre Sidi Errais et Ain el Kanassira, qui abritait l’essentiel des aménagements édifiés dans
la région. Ici, la dynamique est commandée par les mouvements de terrain et les écoulements torrentiels.
Ils ont d’ailleurs été à l’origine de tous les phénomènes ayant touché à la fois le réseau routier et les
habitations. La situation devient plus inquiétante et des sonnettes d’alarmes devraient être tirées lors des
événements météorologiques exceptionnels, à savoir les pluies diluviennes et les vents forts.
L’instabilité des versants : un risque généralisé à des intensités différentes
Les phénomènes en rapport avec l’instabilité des versants dans la zone étudiée sont variés et
appartiennent à deux familles à savoir celle des mouvements gravitaires et celle des glissements de
terrain. La terminologie retenue au cours de cette présentation est acceptée d’abord par FLAGEOLLET
(1989), VEYRET et al. (1998), VALADAS (2004), KARRAY (2010) et reprise par EL AROUI (2016,
2018).
Les actions d’une telle dynamique sur le versant se matérialisent par plusieurs phénomènes :
éboulis, éboulement, glissements et coulées. Ils agissent souvent simultanément et accordent au versant
son aspect très irrégulier de telle façon qu’il est parfois difficile de distinguer la part de chacun de ces
phénomènes dans la dynamique et dans l’évaluation du risque. Certes, leurs conséquences sur le versant
et sur les aménagements humains sont lourdes, au moins d’après ce qu’on a pu constater en comparant
plusieurs sections du versant qui ont été illustrées sur des cartes postales anciennes, qui datent du début
du vingtième siècle, avec des situations récentes (Fig. 9).

Figure 9 : Evolution de l’état de la section médiane de la route qui reliait jusqu’à l’an 2000 Sidi Errais à
l’agglomération de Korbous. Les manifestations de la dynamique des versants ont touché aussi bien le mur de
soutènement situé à l’aval de la route que celui situé à son amont, consacré plutôt à la sauvegarder contre la
chute de pierres. (Les flèches représentent des points repères entre les deux photos a et b).

3 Les hauteurs de vagues sont relatives à des mesures prises dans un point situé à 5 km au nord-ouest de Korbous par 23 m de
fond.

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Les mouvements d’origine gravitaire
Les phénomènes répertoriés sous cette famille sont ceux qui ont été définis par KARRAY (2010)
comme des mouvements dus à des déplacements rapides, sur de courtes distances avec une importante
composante verticale et qui se produisent en roche cohérente principalement sous l’effet de la gravité.
Dans la zone étudiée, ils sont bien distingués dans le paysage et sont rencontrés dans deux lieux
différents : aux pieds des parois rocheuses et le long des routes, particulièrement, aux dépens des
sections aménagées dans la roche dure. Généralement, ces phénomènes sont de deux types : les chutes
de pierres ou les éboulis de gravité pure et les éboulements.
* Les chutes de pierres ou les éboulis de gravité pure : Ces phénomènes se caractérisent par le
détachement élémentaire, depuis la paroi rocheuse, des blocs de tailles variables qui évoluent suivant
deux modes de déplacements différents en fonction des caractéristiques topographiques intrinsèques du
versant et selon la taille et le poids des blocs détachés.
Les blocs atterrissent rapidement, à quelques mètres du lieu de détachement, lorsque le versant
présente un modelé en gradin où alternent plusieurs crêts qui sont taillés dans des binômes de roche dure
sur roche tendre. Ils finissent par s’accumuler sur le revers du crêt situé plus en aval. Rares sont les cas
où ces éboulis dépassent le front du deuxième crêt sous-jacent vu la taille souvent moyenne des blocs
détachés et la largeur parfois considérable des replats (Fig. 10). Cette dynamique caractérise plusieurs
secteurs sur le versant côtier du Jbel Korbous et est à l’origine d’un risque élevé le long de son réseau
routier.

Figure 10 : Représentation schématique des éboulis caractérisant un versant en gradin dans un lieu-dit Ain el
Atrous situé à l’entrée nord de l’agglomération de Korbous.

Dans le deuxième modèle, la situation est totalement différente. Les blocs détachés sont souvent
de taille de quelques décimètres voire même un mètre de diamètre ou plus. Ils proviennent des parois
les plus imposantes dans le paysage ou depuis les fronts des entailles qui limitent directement les
principales routes de la région à savoir le secteur de Kef el Hendi au sud de l’agglomération de Korbous.
Au cours de leurs chutes, la vitesse des blocs augmente par effets de chocs et par l’accentuation de la
pente sur certaines sections du versant. Ces blocs s’arrêtent généralement, sur la chaussée, en contre-bas
du versant ou sur les replats topographiques caractérisant les sections médianes du versant (Fig. 11 et
Photo 1).
Les interventions urgentes appliquées à l’amont de la ville de Korbous entre 2014 et 2015 afin
de minimiser le risque de chutes de pierres dénote d’une sensibilité élevée de la notion du risque chez
les autorités locales et chez la population. Ceci est aussi affirmé suite aux quelques discussions que nous
avons pu mener auprès d’un certain nombre de personnes croisées sur le terrain. Les aménagements
réalisés avaient un seul objectif : celui de sauvegarder la route, les habitations et les installations
hôtelières contre l’instabilité. Les techniques appliquées sont multiples et ont été aménagées,
particulièrement, sur les bancs de grès de fracturation élevée. Nous citerons à titre d’exemple
l’implantation des filets métalliques en contre-bas des fronts des bancs de grès, la consolidation de leur

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base par l’injection de béton et parfois leur fixation par des filets, également, métalliques (Photo 2).
Malgré l’efficacité de telles interventions dans l’atténuation du risque lié aux éboulis et à la chute de
pierres, ceci reste encore insuffisant du fait que ces aménagements, en dehors des secteurs surplombant
directement l’agglomération de Korbous, sont absents.

Figure 11 : Représentation schématique de la situation Photo 1 : Eboulis de gravité pure à l’entrée de la


à Kef el Hendi (Korbous) : secteur sévèrement affecté ville de Korbous le lendemain des pluies
par les éboulis (Source : OUESLATI, 2004). diluviennes du 22-09-2018.

Photos 2 : Exemples d’interventions récentes pour contrecarrer le risque de chute des pierres.

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- Les éboulements sont désignés par FLAGEOLLET (1989) comme une chute soudaine d’une masse
rocheuse de plusieurs dizaines de m3 qui se détache d’une paroi ou d’un versant très raide. VALADAS
ajoute en 2004, qu’au moment de la chute, la masse rocheuse se disloque en une multitude de blocs et
s’entasse sous la forme d’une accumulation chaotique au pied du versant.
Sur le versant côtier du Jbel Korbous, les principales manifestations en rapport avec ce
phénomène ont été relevées essentiellement sur l’ancienne route reliant Sidi Errais à l’agglomération de
Korbous. Son interdiction à la circulation revient, en grande partie, aux éboulements progressifs ayant
affecté la route en plusieurs points. Tel fut le cas à Kef el Hendi et à l’entrée sud de l’agglomération de
Korbous. De telles situations ne manquent pas aujourd’hui dans différents secteurs du Jbel Korbous
considérés, jadis, comme étant à l’abri des éboulements, signalant donc une nouvelle phase dynamique.
Il semble que cette dernière soit intrinsèquement liée aux phénomènes météorologiques exceptionnels,
au moins d’après ce qui a été constaté le lendemain des pluies diluviennes de 22 septembre 2018
(Photo 3).

Photo 3 : Eboulement récent dans l’agglomération de Korbous.

Cette analyse a permis de mettre l’accent sur le poids des mouvements d’origine gravitaire dans
la dynamique géomorphologique et dans la prolifération du risque d’instabilité sur le versant côtier du
Jbel Korbous. Ici, les mécanismes responsables du détachement des roches et leurs écroulements sont
en étroite relation avec les caractéristiques tectoniques, topographiques et climatiques de la région. Le
détachement qui aura lieu auprès des parois rocheuses est facilité par la nature des formations
lithologiques qui, parcourues par un réseau dense de diaclases, se débitent assez facilement et permettent
la libération de nombreux blocs parfois de grande taille (OUESLATI, 2004). Ces diaclases facilitent la
circulation de l’eau et favorisent l’imbibition et l’humidification des niveaux argileux sous-jacents. Une
fois le seuil de plasticité atteint, les bancs de grès, déjà fracturés, basculent et, par la suite, s’écroulent
sur le versant.
Les glissements de terrain : actifs, surtout en présence des aménagements humains
Sous cette catégorie, nous rassemblons tous mouvements ayant été à l’origine d’un déplacement
lent, qui devient brutalement rapide, d’une masse de matériaux meubles. Généralement, ces mouvements
se distinguent par une zone d’arrachement en amont et des masses glissées, de formes variées vers l’aval.

642
Les effets d’une telle situation ont commandé, pour longtemps, la dynamique géomorphologique
sur le versant côtier du Jbel Korbous, dont les traces sont, jusqu’à nos jours, bien distinguées dans le
paysage.
Les phénomènes des glissements de terrain dans la zone étudiée appartiennent principalement à
deux générations. La première, héritée probablement des périodes humides du Quaternaire, a été à
l’origine des grands phénomènes responsables du déplacement et de l’accumulation simultanés des
masses glissées sur le pied du versant. Par contre la deuxième, plus récente, rassemble des glissements
variés, de tailles modestes et pour la plupart déclenchés aux dépens des masses anciennement
déstabilisées.
Aujourd’hui, la situation sur le versant côtier du Jbel Korbous semble être inquiétante surtout
dans sa moitié sud, entre Sidi Errais et Ain el Kanassira. Cette section abrite l’essentiel des
aménagements édifiés dans la région à savoir routes, habitations, complexes sanitaires, hôtels,
restaurants et cafés. Certains ont été construits dans des secteurs déjà considérés autrefois comme
instables. Citons particulièrement l’exemple du réseau routier qui semble être l’élément qui a subi les
plus lourdes conséquences de cette dynamique, surtout, dans sa section reliant Sidi Errais à
l’agglomération de Korbous. Cette route a été interdite à toute circulation depuis l’an 2000 suite à
l’écroulement et l’effondrement de certaines sections de son tracé. De telles situations s’expliquent
d’abord par la susceptibilité des facteurs du milieu naturel à l’instabilité (cf. première partie), mais
également aux interventions humaines souvent inappropriées aux caractéristiques intrinsèques du
versant.
Dans l’exemple de la route de Korbous, le problème révèle une connaissance très limitée des
particularités morphologiques du versant et des moteurs de la dynamique d’instabilité. Cette route,
souvent perchée sur les pentes raides du pied du versant, a été aménagée sur des manteaux colluviaux
d’épaisseurs variables ou sur des loupes d’anciens glissements. Dans les deux cas, il s’agit de blocs de
grès souvent aigus emballés dans une matrice argilo-sableuse de couleur jaunâtre. Son instabilité
excessive pourra trouver ses origines dans une action double matérialisée à la fois par des écoulements
anarchiques à l’amont et du travail d’affouillement par les vagues depuis l’aval.
A l’amont, les travaux de terrassement effectués sur le versant afin d’installer les routes ont déjà
perturbé les écoulements superficiels et interstitiels des eaux. Même les aménagements hydrauliques
réalisés n’ont pas été réellement efficaces, faute d’entretien et de sous-estimation des caractéristiques
hydrologiques. En fait, pendant les événements pluvieux, ces routes, souvent fissurées et excavées
favorisent l’infiltration et la circulation des eaux dans les niveaux inférieurs, souvent argileux,
contribuant donc à leur déstabilisation suite au franchissement de leurs limites de plasticité et parfois de
liquidité (Photo 4a).
Du côté de la mer et au pied du versant, la dynamique semble être plus importante et est à l’origine
de toute la dynamique d’instabilité qui est commandée ici par les actions hydro-dynamiques des vagues.
Ces dernières contribuent à l’affouillement du pied des masses glissées et facilitent par conséquent
l’instabilité des sections situées ci-dessus, y compris le tracé de la route (Fig. 12). Des situations encore
plus délicates ont été relevées dans les sections les plus proches du rivage. Ici, le travail d’affouillement
par les vagues provoque le recul de la falaise, taillant à la fois les masses déstabilisées et les roches
mères sous-jacentes. Souvent, le résultat a été catastrophique et s’est matérialisé par l’effondrement de
sections entières de la route (Photo 4b).
Le rôle de l’Homme dans l’aggravation du risque de glissement ne doit pas être sous-estimé sur
le versant côtier du Jbel Korbous. Il n’a probablement pas encore tiré les leçons des interventions passées
et des situations de crises qu’il a créées.
L’Homme continue encore à intervenir d’une façon inappropriée sur le milieu naturel en
provoquant ainsi de nouvelles situations d’instabilité. Les exemples sont multiples, mais les plus
expressifs sont ceux qui ont été relevés le long de la route actuelle de Korbous, aménagée du côté nord
de l’agglomération. D’anciennes loupes de glissements stabilisées, ayant atteint leur profil d’équilibre
et colonisées par un couvert végétal assez dense, sont de nouveau, exposées aujourd’hui, au risque
d’instabilité. Le sapement basal des loupes, le dégagement des talus de pente raide, le changement des
caractéristiques hydrologiques locales du versant sont toutes des actions d’aménagement responsables
de la réactivation de l’instabilité (Photo 5).

643
Figure 12 : La dynamique ancienne et récente sur le pied du Jbel Korbous.
a- Une longue loupe de glissement située à mi-chemin entre Ain Oktor et l’agglomération de Korbous. Elle prend
naissance à 200 m d’altitude et fini dans la mer par une falaise vive de 4 m d’élévation. La route située sur cette
masse est encore à quelques mètres de la falaise.
b- Une masse glissée située à 1500 m au nord de l’agglomération de Korbous, très épaisse, surtout du côté de la
mer, où elle est taillée par une falaise vive de 5 m d’altitude. La nouvelle route de Korbous occupant le sommet
de cette masse est encore à une certaine distance de la falaise.
c- A mi-chemin entre Sidi Errais et Ain Oktor, une falaise de 20 m d’altitude taille des dépôts colluviaux ainsi que
leur substratum argileux. Une telle situation s’explique par un travail d’affouillement excessif qui a conduit à un
recul important de la falaise, mettant en danger, une section de la route reliant Sidi Errais à Ain Oktor aménagée
au sommet des colluvions.

Photos 4 : Déstabilisation de l’ancienne route reliant Sidi Errais à Korbous.


a- A mi-chemin entre Ain Oktor et l’agglomération de Korbous, la route est partiellement déstabilisée suite aux
actions de soutirage provoquées par le travail d’affouillement depuis la base. Des fissures et des excavations sont
donc apparues sur la chaussée. Ceci facilitera l’infiltration des eaux et par conséquent l’imbibition de la masse
sous-jacente. L’état actuel de la route est une situation qui précède l’écroulement total.
b- A 600 m au sud de l’agglomération de Korbous, une section de la route écroulée suite au travail d’affouillement
provoqué par les actions hydrodynamiques des vagues.

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Photo 5 : Création de nouvelles conditions d’instabilité aux dépens d’une loupe de glissement stabilisée suite à
l’aménagement d’une route.
1- Corps de la loupe de glissement colonisée par une végétation assez dense. Le matériel déplacé est composé de
blocs de grès emballés dans une matrice argileuse.
2- Front de la loupe taillé aujourd’hui dans un talus à pente raide.

Le risque lié aux écoulements torrentiels : cas du 22 septembre 2018


Certaines particularités spécifiques du milieu naturel devraient être conjuguées sur le même
versant afin de permettre le déclenchement des écoulements torrentiels à savoir des pluies fortes, une
lithologie contrastée, des pentes raides et surtout des vallées de type torrent. Même si toutes ces
caractéristiques sont rencontrées sur le versant côtier du Jbel Korbous, de tels phénomènes restent
toutefois rares. Mais, lorsqu’ils surviennent, ils marqueront pour longtemps l’esprit des gens, à l’image
de celui qui a eu lieu le 22 septembre 2018. Cette journée a été caractérisée par une instabilité
atmosphérique particulièrement marquée sur le détroit de Sicile et le golfe de Hammamet, ce qui a
généré les pluies diluviennes sur la péninsule du Cap Bon (MRABTI et al., 2019) (cf. première partie).
Ces pluies qui ont atteint, en quelques heures, 160 mm ont été à l’origine d’une véritable situation
de crise particulièrement entre Ain Oktor et Ain el Kanassira. Cette partie centrale du versant est le siège
de plusieurs torrents qui prennent naissance sur la ligne de crête avant de se jeter rapidement dans la
mer. Souvent, leurs bassins versants sont de tailles réduites, ne dépassant pas 1 km² pour le plus étendu.
Néanmoins, des conséquences catastrophiques, notamment au niveau de leurs exutoires, ont été
enregistrées le 22 septembre 2018. Une mention particulière sera accordée au cours de cette présentation
aux deux agglomérations de Korbous et d’Ain el Fakroun qui ont subi les conséquences les plus lourdes
dans toute la région. En fait, leur situation, exactement, au niveau des exutoires associés à une extension
des aménagements humains aussi bien le long des chenaux d’écoulement que sur les versants ne
pourront qu’accentuer l’ampleur du risque aux moments des fortes pluies (Fig. 13).
Les deux bassins versants de Korbous et d’Ain el Fakroun présentent parfaitement les mêmes
caractéristiques topographiques, morphométriques et hydrologiques. Beaucoup plus larges à l’amont
qu’à l’aval, ces deux bassins versants sont généralement d’une forme allongée, taillés dans une pente
raide et drainant un réseau hydrographique dense et très ramifié surtout dans leurs sections amont
(Fig. 2). A mi-versant, les eaux ruisselées se concentrent dans un seul chenal d’écoulement qui les

645
achemine, suivant un tracé rectiligne et une pente constante, vers leur exutoire naturel, dans ce cas, de
la mer.
Le 22 septembre 2018, les quantités de pluies qui se sont abattues sur la région étaient intenses
de façon que le ruissellement ait rapidement pris naissance sur les parties amont des deux bassins et le
long des chenaux d’écoulement. Il s’agit d’un écoulement torrentiel qui a été à l’origine de
l’acheminement, vers l’exutoire, de plusieurs dizaines de milliers de m 3 d’eau. Le problème n’aurait
jamais pu être relevé si ces eaux étaient arrivées librement à la mer, ce qui n’est pas tout à fait le cas
pour les deux bassins versants de Korbous et d’Ain el Fakroun. Ici, l’écoulement normal des eaux a été
entravé par les différents aménagements installés aux dépens de l’exutoire et contre le chenal
d’écoulement. Nous pensons particulièrement à l’effet de l’espace bâti mais également à l’effet-barrière
des routes et des enrochements côtiers édifiés perpendiculairement au sens de l’écoulement (Photo 6).
La situation a été catastrophique surtout dans l’agglomération de Korbous qui a enregistré le plus
de dégâts matériels. D’ailleurs, elle a été signalée par les autorités nationales comme étant en état
d’urgence appelant des interventions rapides à l’image de plusieurs autres villes dans la région du Cap
Bon. En fait, ses routes se sont transformées en de véritables torrents ayant été à l’origine du
déplacement, vers l’aval, de toutes les voitures garées sur les deux bords de la route principale (Photo 7).
La mémoire illustre également les quantités énormes de sédiments qui ont été piégées dans les rues de
Korbous et contre les aménagements de type linéaire à savoir routes et barrières. Quelques 3500 m 3 de
sédiments qui auraient dû arriver à la mer se sont en fait accumulés dans les rues4 (Photo 6).

Figure 13 : Croquis de localisation et aménagement à l’aval des deux bassins versants de Korbous et d’Ain el
Fakroun.

4 Des calculs réalisés directement sur le terrain afin d’estimer le volume de sédiments retenu dans les rues de Korbous.

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Figure 6 : Rôle des aménagements humains dans la perturbation des écoulements torrentiels.
1- Des habitations construites exactement sur le chenal d’écoulement.
2- Enrochement au niveau de l’exutoire qui entrave le ruissellement et piège les sédiments (3).

Photo 7 : Amas de voitures cabossées qui ont été emportées par des torrents dans l’agglomération de Korbous
(Source : Mosaïquefm.net).

CONCLUSION

Par ses caractéristiques du milieu naturel, le versant côtier du Jbel Korbous semble être un terrain
favorable à l’étude de la dynamique géomorphologique aussi bien récente qu’héritée. En fait, le caractère
accidenté de sa topographie, ses pentes raides, ses caractéristiques morphologiques, sa lithologie
contrastée, ses caractéristiques tectoniques et structurales, ses vents forts et ses pluies souvent intenses
sont des conditions éminemment favorables aux actions morphodynamiques. Les phénomènes qui y sont
générés sont variés et appartiennent à deux grandes familles à savoir celle des mouvements de terrain et
celle liée aux écoulements torrentiels (Fig. 14).
Dans la première, les phénomènes d’éboulis et d’éboulement semblent être très répandus. Ils ont
été rencontrés aussi bien en amont du versant qu’à son aval. Ces conséquences deviennent sensiblement
graves à l’occasion de la présence des aménagements humains. C’est ainsi, que l’ancienne route reliant
Sidi Errais à Korbous a été interdite à la circulation, à cause des éboulis progressifs ayant entravé
plusieurs sections de son tracé. La dynamique de l’instabilité semble être aussi importante grâce aux
mouvements de type glissements de terrain qui ont été à l’origine de déplacement lent et parfois rapide
des masses de matériaux meubles. Leurs conséquences sont aussi néfastes sur les aménagements,
notamment sur le réseau routier.

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Figure 14 : Carte des dynamiques et des risques géomorphologiques sur le versant côtier de Jbel Korbous.

648
Figure 14 : Légende (suite).

La deuxième famille de dynamique est toutefois rare mais dont les conséquences sont, également,
lourdes aussi bien sur les aménagements que sur la nature. En fait, dans la zone étudiée les vallées sont
creusées dans des versants de pente raide favorisant ainsi la dynamique des torrents. Le risque d’une
telle dynamique s’intensifie, surtout si des aménagements humains se présentent au niveau des exutoires.
Ceci entrave l’écoulement, piège les sédiments et favorise incontestablement de vraies situations de crise
à l’instar de ce qui s’est passé dans l’agglomération de Korbous le 22 septembre 2018 à l’occasion des
pluies diluviennes.
Il semble que l’Homme n’ait pas encore saisi l’ampleur des risques sur le versant côtier du Jbel
Korbous. Ce dernier est encore le siège de plusieurs aménagements en cours et d’autres projetés. Nous
citerons l’exemple du grand Hôtel de Korbous et son petit port de plaisance en cours de réalisation au
niveau d’Ain Oktor. Encore plus, les travaux d’une nouvelle route qui démarrera prochainement et

649
reliera Ain Oktor à Korbous afin de remplacer celle qui a été interdite à la circulation suite à son
exposition à plusieurs risques d’instabilité.
Sur le versant côtier du Jbel Korbous, trois niveaux de risque ont été identifiés (Fig. 14) en
considérant l’ampleur de la dynamique géomorphologique et les enjeux qu’exposent les aménagements
humains :
* Niveau de risque faible : sous cette catégorie, nous avons réuni les terrains qui sont encore en dehors
de toute action en rapport avec des aménagements humains, pourtant l’intensité de la dynamique
géomorphologique qui a été relevée. Il s’agit de la section située entre Ain el Kanassira et Ras al Fartass.
* Niveau de risque moyen : cette catégorie réunit les terrains qui connaissent une dynamique
géomorphologique prononcée contre une présence faible d’aménagements humains à l’exception du
grand hôtel de Korbous et de son petit port de plaisance qui occupent des sites bien abrités et à
l’exception aussi de l’ancienne route qui reliait auparavant Sidi Errais à Korbous, aujourd’hui
abandonnée. Cette catégorie pourra être reclassée et glissera vers un niveau de risque plus élevé si les
travaux de la nouvelle route programmée pour relier Ain Oktor à Korbous démarrent. Les terrains
appartenant à cette famille de risques occupent les sections méridionales de la zone étudiée entre Sidi
Errais et l’entrée sud de l’agglomération de Korbous.
* Niveau de risque élevé : il concerne les terrains situés entre l’agglomération de Korbous et Ain el
Kanassira. Il s’agit de la section qui héberge l’essentiel des aménagements réalisés dans la zone étudiée.
La dynamique géomorphologique est aussi considérable et réunit à la fois l’action des écoulements
torrentiels et celle des glissements de terrain.

REMERCIEMENTS

Les résultats présentés dans ce travail s’inscrivent dans le cadre des activités du projet PHC-Utique (17G 0404) intitulé
« Géoarchéologie, risques naturels et aménagement du littoral dans le golfe de Tunis ». L’auteur a bénéficié de l’apport matériel
du projet et à cette occasion, il tient à remercier le Pr. Christophe Morhange, responsable du programme de recherche et le Pr.
Ameur Oueslati, responsable de l’équipe tunisienne.

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