Mars 2024

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N° 3 940

MarS 2024

Bergkamp,
une touche
d’oranje

+
reportage
À virton, le club
belge de
N’Golo Kanté
enquête
l’addiction
n° 25 409 – 9 mars 2024 – Ne peut être vendu séparément. paul lehr/l’équipe

des joueurs aux


paris sportifs
portrait
Coach michel,
des quartiers
populaires
à Gérone

entretien

“J’ai marqué
la viE dEs
supportErs
dE City”
rodri
supplément de
RIP
LES VANNES
SUR LES
SANDWICHS
SNCF
LE BAR
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« Goûter Avantage » (Jus de pomme ou eau plate + cookie ou M&M’s® + yaourt au choix) au prix de 5€, en présence de l’enfant ou sur présentation
de son titre de transport. Réduction valable sur présentation d’une carte Avantage en cours de validité (sans limitation du nombre de passage au
Bar). Offre non applicable sur les trains Renfe-SNCF en coopération, TGV Lyria et TGV INOUI vers l’Italie. TGV INOUI est une marque enregistrée de
SNCF Voyageurs. Tous droits de reproduction réservés. SNCF Voyageurs, SA au capital social de 157 789 960 euros, inscrite au RCS de Bobigny
sous le numéro 519 037 584 - 4, rue André Campra - CS 20012 - 93212 Saint Denis Cedex. JL0224
n° 3 940 - mars 2024
Édito
LE SUPPLÉMENT MENSUEL
DE

DIRECTION, ADMINISTRATION,
RÉDACTION, VENTES, PUBLICITÉ
40-42, quai du Point-du-Jour
CS 90302
92100 Boulogne-Billancourt Cedex
T. 01 40 93 20 20
F. 01 40 93 24 92
CCP Paris 9 427 90 C

L’ÉQUIPE
Société par actions simplifiée
Siège social :
40-42, quai du Point-du-Jour
CS 90302
92650 Boulogne-Billancourt Cedex
PRINCIPAL ASSOCIÉ
Les Éditions P. Amaury
PRÉSIDENTE ET DIRECTRICE DE LA PUBLICATION
Aurore Amaury
ÉDITEUR
Éric Matton
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DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
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RÉDACTEUR EN CHEF
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DIRECTION ARTISTIQUE
Yann Le Duc, Pierre Wendel,
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RESPONSABLES ICONOGRAPHIE
Antony Ducourneau, Virginie Hadri
DUO DE CHUTE
ADMINISTRATION, DIRECTEUR PRÉPRESSE Vincent Garcia
ET FABRICATION
Rédacteur en chef
Bruno Jeanjean
PHOTOCOMPOSITION, PHOTOGRAVURE
SAS L’Équipe
IMPRESSION Pires que ceux de son ancien club, Manchester United, les déboires de Paul Pogba,
Newsprint, Rotocolor
Origine du papier : Allemagne suspendu quatre ans pour dopage fin février avant appel, nous ont presque fait oublier
Certifié : PEFC, eutrophisation : Ptot
0.003 kg/T de papier
que l’équipe de France vit aussi depuis longtemps sans N’Golo Kanté. Les deux milieux
SERVICE ABONNEMENTS ont régné dans l’entrejeu des Bleus dans un passé récent et à la fois lointain, puisque
T. 01 76 49 35 35
Didier Deschamps a dû faire sans eux déjà à la Coupe du monde 2022. Inséparables dans
PUBLICITÉ
Amaury Media leur chute, Pogba l’extraverti et le timide Kanté n’ont jamais eu en commun le caractère
PRÉSIDENTE mais ils ont partagé beaucoup d’autres choses, du talent, un titre de champion du monde
Aurore Amaury
DIRECTEUR GÉNÉRAL
en 2018 et le fait d’avoir été menacés par des armes à feu, à cause d’entourages avides et
Kevin Benharrats toxiques. Le quartier d’origine n’est pas toujours un cocon protecteur et solidaire, comme
DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE
Christèle Campillo celui de Vallecas, dans la banlieue de Madrid, où France Football est allé sur les traces
EXÉCUTION-PLANNING des jeunes années de “Michel”, l’actuel entraîneur de Gérone. Happés par leurs soucis
Nadia Lanak, Ghislaine Davoust
extra-sportifs, l’histoire s’est écrite sans eux depuis la fin de l’Euro 2021, année où l’ancien
COMMISSION PARITAIRE
N°1227K82523 de Chelsea a terminé cinquième du Ballon d’Or. Sans trop de conséquences sur les résul-
ISSN02453312
tats des Bleus, ce qui peut paraître incroyable vu leur importance à une époque. Il faut
croire que le talent est interchangeable chez les footballeurs français. L’un, Pogba, a 30
ans, l’autre 32 ans, et le sentiment de gâchis concerne avant tout leur fin de carrière,
même si une pointe de regret ne disparaîtra jamais. Celle de ne pas avoir eu ces deux-là
en pleine possession de leur moyen sur la pelouse du stade de Lusail à Doha le 18 décem-
bre 2022 face à l’Argentine (3-3 a.p., 2-4 aux t.a.b.). Techniquement et contrairement à “la
Ballon d’Or et France Football sont des marques Pioche”, Kanté reste sélectionnable. Ce serait un improbable come-back pour celui qui
déposées. Toute reproduction est susceptible
d’entraîner des poursuites. Tous les textes et est parti trop tôt en Arabie saoudite à Al-Ittihad. En attendant, FF est allé voir du côté de
photographies sont placés sous le copyright Virton en D3 belge, pour comprendre comment est géré le club qu’il a racheté cet été. “Il
France Football et Presse Sports. Toute reproduc-
tion, même partielle, est formellement interdite. est petit, il est gentil…” disait la chanson. Trop gentil ? h
Pierre Lahalle/L’Équipe

3
France Football, tous les deuxièmes samedis de chaque mois avec l’équipe :
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n° 3 940 - mars 2024
Sommaire

IZOnE mIXTE
6 Instantané
Angleterre, Fight Club(s)
8 Mon héros
Ibara, sauvé par la beauté du geste Rodri
IÀ L’aFFICHE
10 Entretien
Rodri : “J’ai mis moins de temps
à comprendre le jeu de Pep
que la Premier League”
20 Data zone
Antoine Griezmann,
ses châteaux en Espagne
22
22 Reportage Virton
Virton, l’histoire belge
de N’Golo Kanté
28 Enquête
Paris sportifs : faites vos jeux,
rien ne va plus !
36 Portrait
Michel, le Rayo de soleil
40 Au tableau ! 28
Cesare Prandelli revient sur la demi- Paris sportifs
finale Allemagne-Italie à l’Euro 2012

Paul Lehr/L’Équipe - Hugues Lawson-Body - Laura Acquaviva - Vassia Tolstoi/L’Équipe - Alain Landrain/L’Équipe
46 Reportage
FC United of Manchester :
esprit, es-tu las ?
ITEmPs aDDITIOnnEL
52 Ville de foot
Rio répond toujours
60 Tendances 52
Les pros investissent Rio de Janeiro
dans des start-up françaises

62 Sur les traces de...


Dennis Bergkamp, total contrôle
69 Paroles de juré
Christophe Cerf : “Mon vote
a surpris beaucoup de monde” 62
70 Pas trop cliché Bergkamp
“Gigi” l’âme au rosé
4
Faites vivre à vot‘e enfant
une expérience magique
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lundi 11/
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ZONE MIXTE
Instantané

FIGHT CLUB(S)
Sur le podium de la Premier League,
les Gunners s’accrochent comme
ils peuvent, à l’image du défenseur
Jakub Kiwior (à gauche) sur l’ancien
Rennais Lorenz Assignon (Burnley).
Un match moins serré qu’il n’y paraît
(victoire d’Arsenal, 5-0, le 17 février).
Vingt ans après le triomphe
des Invincibles, les Londoniens sont
toujours à l’affût malgré le rythme
imprimé par Liverpool et Manchester
City. Le moindre faux pas pourrait être
fatal aux hommes de Mikel Arteta.
Photo Lee Durkin/Action Plus/Icon Sport

6
ZONE MIXTE
Instantané

7
ZONE MIXTE
Mon héros

village de Petit-Verly, dans l’Aisne. J’ai redécouvert


la beauté, voire la grâce que l’on retrouve chez les
grands joueurs. Les gestes sont parfaits, d’un
esthétisme dingue. Et on n’en parle jamais.”
Né à Oran (en Algérie française à l’époque) en
1950, arrivé à Strasbourg en 1962, Ibara s’est
épris du foot en 1963, lors d’un match d’exhibition
entre Santos et le Partizan Belgrade au… stade de
la Meinau. “J’ai osé entrer dans le vestiaire, au
milieu de Pelé et du gardien Gilmar. Ça m’a mar-
qué. Leurs performances aussi. Balancer un coup
de pied pour atteindre la cible et subjuguer des
milliers de personnes, c’est surnaturel. Il faut un
tel degré d’entraînement physique, psychique et
spirituel pour arriver à ce niveau d’osmose entre le
corps et l’esprit… Comme un dessinateur.”

Zidane entre Léonard de Vinci


et Michel-Ange
Le football est ainsi élevé au rang d’art, “pourvu
de ses personnages emblématiques que l’on
reconnaît en un instant, poursuit-il. Le Léonard de
Vinci ou le Michel-Ange du ballon, c’est Zinédine
Zidane. Sa grâce naturelle le rend incomparable,
comme le sont Raymond Kopa et Michel Platini. Et
maintenant, il y a Mbappé. Sa fluidité et sa légère-
té l’extirpent de l’uniformisation des profils moder-
nes. Il est plus compliqué de distinguer un joueur
aujourd’hui.” Ibara bloque ainsi toujours sur cer-
tains grands noms. “Franck Ribéry, par exemple.
Son allure n’est pas facilement reconnaissable, et
elle contient quelque chose de brutal.”
Mais, au fait, pourquoi avoir choisi le rouge ? “Le

SAUVÉ PAR LA sang exprime la vitalité et la force, tout en resti-


tuant parfaitement le mouvement, répond Ibara.

BEAUTÉ DU GESTE Le sang a aussi une grande importance dans ma


vie. J’ai été considéré mort à la naissance, sacrifié
pour la survie de mon frère jumeau, puis ramené à
L’artiste français Henri Ibara peint des footballeurs à l’encre la vie miraculeusement. J’ai ensuite connu les
rouge. En hommage à un sport à l’esthétisme “parfait” violences familiales, la guerre d’Algérie, puis
l’humiliation à l’école car j’étais obèse. Je faisais
et à l’impact concret sur sa vie, lui qui était obèse à 14 ans. plus de 110 kg à 14 ans. J’éprouve un amour pour
Par Théo Troude. Photos Alain Mounic/L’Équipe le sport et le foot car il m’a fait maigrir.’’ Sa gratitu-
de, Ibara la place jusque dans ses critères de
Des gouttes de (faux) sang explosent sur le genoux, les bras croisés sous les aisselles. Henri vente. Seuls des pratiquants de sport peuvent
blanc immaculé du papier. Armée d’une simple Ibara vient d’ajouter une nouvelle œuvre à sa prétendre à l’achat de ses hommes rouges. Cha-
pipette, une main s’agite pour diffuser l’encre collection intitulée Les hommes rouges, dédiée que aquarelle est unique, au format 40 x 50 cm,
pourpre et, au bout d’une minute seulement, se au sport et particulièrement au football. encadrée et facturée 280 euros. “Et ça se vend
dévoile une silhouette bien connue. Kylian Mbap- Salué pour ses performances en direct et en vraiment bien”, sourit l’artiste. “Ce corps, qui était
pé est là, à célébrer un but en glissant sur les musique, produites dans le monde entier disgracieux, m’apporte tellement de joie. Donc je
depuis 1983, l’artiste français a eu cette idée en ne pense pas à la retraite. Et malgré mon âge
2014. “Nike venait de m’inviter, sous le pont canonique, il me reste un objectif. Pour les Jeux

8
Alexandre-III à Paris, à réaliser trois grandes toiles de Paris, je voudrais produire 100 toiles en vingt-
de footballeurs, de 2 mètres sur 2 chacune, quatre heures sur toutes les disciplines olympi-
raconte le peintre de 73 ans dans son atelier du ques. Heureusement, le foot en fait partie.” h
ZOnE mIXTE
Henri Ibara

“Le sang exprime la vitalité


et la force, tout en restituant
parfaitement le mouvement’’,
répond l’artiste français
de 73 ans, ici dans son atelier
dans l’Aisne, lorsqu’on lui
demande pourquoi il a choisi
le rouge pour représenter
ces footballeurs qu’il apprécie
tant. à l’occasion des Jeux
de Paris, il a pour projet
de peindre 100 toiles en vingt-
quatre heures sur toutes
les disciplines olympiques.

9
À L’aFFICHE
Entretien

RODRI
“J’AI MIS MOINS
DE TEMPS À
COMPRENDRE
LE JEU DE PEP
QUE LA PREMIER
LEAGUE”
L’Espagnol Rodri, cinquième du dernier Ballon d’Or et unique
buteur de la finale de Ligue des champions 2023, dissèque
la particularité de son poste de milieu défensif et la progression
de son rôle à Manchester City sous les ordres de Guardiola.
Par Photos
Dave Appadoo, à Manchester (Angleterre) Paul Lehr/L’Équipe

10
À L’aFFICHE
Rodri

11
À L’AFFICHE
Entretien
Rodrigo Hernandez
Cascante, simple
et efficace comme
son diminutif, Rodri.

rodrigo Hernandez Cascante dit rodri


27 ans. Né le 22 juin 1996, à Madrid (Espagne). 1,91 m ;
82 kg. Milieu. International espagnol (48 sélections, 1 but).

Parcours
Villarreal (2015-2018), Atlético de Madrid (2018-2019),
Manchester City (ANG, depuis juillet 2019).

Palmarès
Ligue des nations 2023 ; Coupe du monde des clubs 2023 ;
Supercoupe d’Europe 2018 et 2023 ; Ligue des champions
2023 ; Championnat d’Angleterre 2021, 2022 et 2023 ;
Community Shield 2019 ; Coupe d’Angleterre 2023 ;
Coupe de la Ligue anglaise 2020 et 2021.

“Rodri, vous n’êtes sur aucun réseau Je ressens le besoin de connaître les gens plus concentrés sur leur boulot, leur mis-
social : pas de compte Twitter, pas dans la vraie vie plutôt que de façon vir- sion. Bien entendu, vous pouvez avoir
d’Instagram, rien. C’est très surprenant tuelle. Je privilégie donc ma famille, mes des tatouages, des bijoux, et être focus
pour un joueur de 27 ans avec votre amis, mon environnement. Attention, je aussi. (Rires.) Je n’ai rien contre tout ça.
statut en 2024. Pourquoi ce choix ? sais qu’il y a plein de choses intéressantes
Ce n’est même pas une question d’âge avec les réseaux sociaux. Mais être con- Votre façon d’être et de vivre indique
car c’est une décision que j’ai prise depuis necté à plein de gens sans même les con- donc que vous êtes totalement dédié
que je suis jeune, dès l’apparition de ces naître, ce n’est pas ma sensibilité, ce n’est au football ?
réseaux sociaux. Très tôt, j’ai décidé de pas ma façon d’envisager les relations. Je Je le suis, oui. Mais, en même temps, il me
vivre ma vie à ma façon, selon mes envies, préférerais toujours une bonne conversa- paraît important d’avoir un horizon plus
sans me laisser influencer par les autres. tion avec une personne à des milliers de large que le football dans la vie. Que ce
Et les réseaux sociaux, selon moi, c’est un messages sur les réseaux sociaux. J’ai soit par le biais d’autres hobbies, d’autres
peu faire des choses par rapport à l’opi- conscience que c’est assez inhabituel centres d’intérêt, des études comme je le
nion des gens, par rapport à ce qu’on ima- comme approche quand on exerce une fais, peu importe. Je trouve ça plus sain.
gine qu’ils attendent de vous. Je n’ai profession tournée vers le public comme Pour ma part, j’adore étudier, m’informer,
jamais eu le sentiment d’avoir besoin de le football. Mais je suis plus à l’aise de j’écoute des podcasts assez longs sur
ça, je me sens très bien de cette façon. Je cette façon. différents sujets de société. Tout à l’heure,
pense même que c’est une très bonne on parlait de mon rapport aux réseaux
décision pour ma vie mais aussi pour ma Pep Guardiola a dit de vous : « Il n’a sociaux. Je trouve que ma curiosité pour
carrière. pas de tatouages, pas de bijoux. C’est différents sujets sociétaux ou d’actualité
un vrai milieu défensif. » Est-ce que constitue une autre façon d’être connecté.
Qu’entendez-vous par « vivre ma vie à ce genre de détails dit le joueur que En tout cas, c’est celle qui me convient
Robbie Jay Barratt/AMA/Getty Images

ma façon » ? vous êtes ? bien.


D’une certaine façon, oui. Ce que vous

“Je me revois faites, comment vous le faites, avec tel


ou tel style, cela vous définit un peu.
L’an passé, vous avez marqué le but
vainqueur en finale de Ligue des cham-
sur la pelouse Bien souvent, les gens qui, comme moi, pions face à l’Inter Milan (1-0). Qu’est-

en train de lâcher sont sans artifice, ne sont pas dans le


marketing, ni sur les réseaux sociaux, il y a
ce que ce but a changé dans votre vie,
vous qui semblez ne pas rechercher la
et de pleurer” des chances pour qu’ils soient d’autant lumière à tout prix ?

12
À L’AFFICHE
Rodri

“La Liga et la Premier League sont


quasiment des sports différents”
Le foot à ce niveau vous expose de façon ner, et la phrase que je dis tout de suite à D’ailleurs, ce n’est pas au stade que cette
extraordinaire, encore plus dans de telles mes partenaires venus célébrer avec moi : émotion est la plus puissante. C’est lors
circonstances. C’était la première Ligue « Les gars, encore vingt minutes ! Vingt des célébrations. J’en ai encore la chair de
des champions de Manchester City, pour minutes ! » Car rien n’était fait à ce poule rien que d’y penser.
réaliser un triplé historique (Championnat, moment-là, et d’ailleurs on a souffert jus-
Cup, C1). Un moment de fierté incroyable, que dans les dernières secondes. C’était Vous étiez resté sur le banc lors de la
pour moi et ma famille. J’ai repensé à tout tellement spécial, tellement grand au coup précédente finale face à Chelsea en
mon parcours, les efforts fournis pour de sifflet final. J’ai surtout ressenti de la 2021 (0-1). Était-ce donc une espèce de
arriver à ce moment. Et surtout, c’est un libération. Parce que le club se battait pour revanche personnelle ?
sentiment incroyable de comprendre que ce moment depuis si longtemps, en pas- Depuis longtemps, j’ai appris que le foot,
j’ai marqué la vie des supporters de City sant très près bien souvent (demies en comme beaucoup de choses dans la vie,
dans le monde entier. 2016 et 2022, finale en 2021). Et parce que est une affaire d’échecs et de comment on
moi aussi je me suis battu toute ma vie s’en relève pour tenter de nouveau. Évi-
Vous souvenez-vous de la sensation pour vivre cet instant. Je me revois sur la demment, j’aurais adoré jouer cette finale
quand vous avez marqué ce fameux but pelouse en train de lâcher et de pleurer. face à Chelsea, mais j’ai soutenu mes
pour l’histoire ? Car, à ce moment-là, le cerveau s’arrête et partenaires de toutes mes forces, et, là
Je me souviens de la dureté du match, qui les émotions prennent le relais, il n’y a plus encore, j’ai pleuré pour cette finale, cette
était bloqué, de la situation où je reçois le de contrôle. On comprend que ça nous fois de tristesse. Je voulais tellement que
ballon avec la sensation qu’il y a une forêt dépasse, ça dépasse même l’équipe et le l’on gagne… Mais, très sincèrement, lors
de joueurs dans un petit espace, de cette club, c’est un moment pour les millions de de la finale l’an passé, il n’y avait pas dans
frappe qui part parfaitement et qui finit au fans un peu partout sur la planète. Ça ma tête d’idée de revanche. J’étais plutôt
fond, du sprint le plus rapide de ma vie dépasse l’entendement. C’est pour ça que en train de me dire : « La vie me donne une
pour aller célébrer près du poteau de cor- l’on est submergé par les émotions. nouvelle chance d’être là, d’aider mes p

Arrivé sur la pointe des pieds à City


en 2019, l’Espagnol a gagné le respect
et la confiance de ses partenaires.
Il est aujourd’hui un des hommes
de base du onze de Pep Guardiola.
À L’AFFICHE
Entretien
Très jeune, le Madrilène a
fait étalage de sa maturité.
En Angleterre, il a rajouté
la confiance à sa palette.

2023, l’année de tous


les succès avec City
et avec l’Espagne
vainqueure de la Ligue
des nations. Mais aussi
celle de la reconnaissance,
en témoigne sa cinquième
place au Ballon d’Or.

p partenaires sur le terrain, je dois être Je vais vous avouer quelque chose : j’ai
prêt et ne pas laisser passer cette occa- toujours voulu être milieu défensif. Et je
sion. » C’est ce que l’on a réussi à faire. suis devenu le joueur que je rêvais d’être.

Aujourd’hui, avez-vous conscience Si jeune ?


d’être essentiel au jeu de City ? Oui, oui. Je sais que ça peut paraître un
Il y a évidemment une évolution depuis peu fou mais c’est la vérité. Évidemment, à
que je suis arrivé en 2019 dans cette équi- 12 ans, on ne sait pas si on va devenir pro.
pe incroyable (en provenance de l’Atlético Mais, déjà, j’étais fasciné par les joueurs
de Madrid, contre 70 M€), qui gagnait déjà qui jouaient dans ma position. J’observais
tellement de choses et dans laquelle je particulièrement Sergio Busquets et Xabi
voulais simplement réussir à avoir une Alonso, qui étaient les deux références
place et jouer un rôle. Mais c’est vrai que je absolues. Je voulais être comme eux, faire
suis très fier du joueur que je suis devenu comme eux. Je savais que c’était la
pour cette équipe, et pas que sur le terrain. meilleure position pour moi, je le sentais
J’aime ce que je représente dans le regard au fond de moi. Donc j’ai grandi dans cette
de mes coéquipiers, le fait d’être écouté direction. Tous mes coaches de l’époque
dans le vestiaire, à l’entraînement. Je le trouvaient que j’étais très mature pour mon
savoure car ç’a été un chemin entre mon âge en étant si jeune concentré sur ce rôle
arrivée et aujourd’hui, pour chaque année alors que, normalement, ce sont les
m’imposer davantage, gagner la confiance meneurs ou les attaquants qui font rêver.
du groupe. Je ressens ce respect, cette
confiance. En me voyant mes partenaires On vous compare souvent à Busquets
se disent : « OK, on va suivre ce gars. » (qui a rejoint l’Inter Miami l’été dernier
après quinze ans au Barça), dont vous
Quel joueur rêviez-vous de devenir avez dit qu’il était le meilleur milieu
quand aviez 12 ou 13 ans ? Peut-être un défensif de tous les temps. Qu’a-t-il de
joueur plus offensif ? plus que vous ? Et à l’inverse, que pen-
JB Autissier/Panoramic

sez-vous posséder qu’il n’a pas ?


“Sergio Busquets En le côtoyant en équipe nationale d’Espa-
gne (entre 2018 et 2022), j’ai pu apprendre
est le vrai baromè- de lui. Ça m’a donné beaucoup d’informa-
tre d’excellence” tions et d’outils pour progresser. Il m’a

14
À L’AFFICHE
rodri

donné parfois quelques conseils, mais j’ai “À l’atlético, Diego Simeone m’a permis
surtout pu l’observer de très près. C’est
vraiment le plus fort de l’histoire. Par son
d’élever mon niveau de dureté”
jeu, bien sûr, mais aussi et surtout par mis l’importance du côté défensif de ma faire avec le ballon. En Angleterre, le foot-
cette régularité hallucinante durant telle- position. La mentalité à avoir pour être ball est plus une question d’intensité. Je
ment d’années. Pour moi, c’est le vrai baro- compétitif dans les duels, être fort quand me souviens de mes débuts contre West
mètre d’excellence. Quand je me prendrai l’équipe est dans le dur, etc. J’ai compris Ham, je n’avais pas une demi-seconde
ma retraite, j’aimerais que les gens puis- une autre dimension du jeu. « Cholo » m’a pour réfléchir, j’avais déjà un adversaire
sent se souvenir de moi comme d’un permis d’élever mon niveau de dureté sur moi. Il m’a fallu apprendre à penser
joueur constant dans la qualité. Après, dans des secteurs qui n’étaient pas forcé- plus vite, à résister aux impacts pour gar-
pour en revenir à votre question, nous ne ment mon truc. Et avec le ballon, nous der la maîtrise du ballon. Il m’a fallu aussi
sommes pas tout à fait les mêmes joueurs. étions dans un 4-4-2 à plat classique, avec apprendre à le perdre un minimum car, ici,
Sergio est incroyable dans le petit périmè- deux milieux axiaux, il fallait communiquer avec la vitesse des adversaires, le danger
tre, personne n’a jamais eu une première pour savoir quand l’un pouvait monter et offensif des équipes, les talents indivi-
touche de balle d’une telle qualité. Car il y a l’autre couvrir. Avec le ballon, la demande duels vous sanctionnent davantage qu’en
la qualité de pied, le jeu de corps, mais de Simeone était de jouer dans la profon- Espagne.
aussi et surtout la vitesse du cerveau pour deur, éviter les passes redoublées latéra-
faire le bon contrôle souvent sous la pres- les que l’on pouvait trouver ailleurs en Liga, pourquoi cela prend-il parfois du temps
sion de deux ou trois adversaires, dans par exemple. Là encore, j’ai progressé de s’adapter au jeu de pep guardiola ?
une zone où tu n’as pas le droit de perdre la dans la capacité à jouer vite vers l’avant. C’est une double équation à City car il faut
balle. Pff… c’est exceptionnel. Pour ma s’adapter aux principes de Pep et au jeu de
part, je pense être un joueur avec plus et, quand vous avez quitté la Liga pour la Premier League. Moi, peut-être en rai-
d’impact physique et davantage de projec- la premier League, qu’est-ce que cela a son de mon éducation footballistique
tion dans les trente derniers mètres. changé pour le milieu défensif que vous espagnole, j’ai mis moins de temps à com-
êtes ? prendre le jeu de Pep que la Premier Lea-
Vous avez joué sous les ordres de Die- Ce sont quasiment des sports différents. gue. Peut-être que pour certains, la diffi-
go Simeone à l’atlético, un tout autre (Rires.) La clé, c’est la compréhension du culté principale au début avec Pep est qu’il
logiciel que le Manchester City actuel. rythme. En Liga, vous ne pouvez pas jouer change en permanence, il ajuste tout le
Bernard Papon/L’Équipe

qu’avez-vous développé là-bas ? sur le même rythme qu’en Premier League temps, et comme les partenaires ne sont
Je n’ai passé qu’une saison avec Diego car les partenaires ne vous suivraient pas pas toujours les mêmes, il faut être très
Simeone (2018-2019) mais j’ai beaucoup et vous vous isoleriez avec le ballon. En concentré sur ces changements car il
appris. À la base, je suis un joueur qui pré- Espagne, c’est patient et tactique, les équi- s’agit d’avoir le même rendement collectif
fère avoir le ballon. C’est lui qui m’a trans- pes savent davantage ce qu’elles veulent avec différents partenaires. p

15
À L’AFFICHE
Entretien

Matteo Ciambelli/DeFodi Images / Icon Sport


À L’AFFICHE
Rodri
10 juin 2023, finale de la Ligue des champions,
Manchester City-Inter Milan (1-0). Rodri célèbre
son but. L’Espagnol vient d’offrir aux Skyblues
leur premier succès dans l’épreuve reine.

p On a parfois le sentiment que le jeu centré que sur mon rôle, avec la certitude
des Citizens est réglé comme une hor- que sur le plan offensif il y avait d’autres
loge. Quelle est la part d’improvisation, joueurs pour faire la décision. Donc, je ne
de liberté, dans cet ensemble si huilé ? pensais pas à essayer de marquer car,
Je comprends ce que vous voulez dire. Et quand on n’a pas quelque chose en tête,
je suis d’accord que le foot n’est pas tou- on ne se met pas en position de l’obtenir. Il
jours du tableau noir pur et dur. C’est ce qui y avait donc des positions de frappe où je
le rend aussi beau, une inspiration indivi- faisais plutôt la passe. Et puis, j’ai fini par
duelle peut changer un match. La tactique me dire qu’il fallait que j’aide aussi l’équipe
nous donne un cadre, des repères. Mais il y en essayant d’être décisif. Du coup, on
a une part importante d’initiative pour aller entre avec un autre état d’esprit, il y a des
au-delà du schéma. Cela étant, il faut aussi actions et des déplacements que l’on fait
dire que le foot a changé ces dernières un peu différemment, tout en respectant le
années. Avant, il était davantage affaire de cadre, car il y a la possibilité de trouver la
talents individuels. Aujourd’hui, c’est plus faille. C’est aussi ça être un joueur impor-
collectif, le foot est devenu très tactique, et tant, savoir prendre ses responsabilités.
plus les principes d’équipe sont respectés, OK, je sais défendre et contrôler, mais si je
travaillés, affinés, plus vous avez de chan- sens que je peux aussi aider l’équipe en
ces de performer. Même s’il y aura toujours marquant, je me dois de le faire ou au
besoin des inspirations d’un Foden, d’un moins d’essayer. Surtout que l’on affronte
De Bruyne pour faire basculer un match. régulièrement des blocs bas et resserrés
qui privent nos attaquants d’espaces. Il y a
L’an dernier, Pep a fait monter l’un des donc une option pour surgir qui s’offre aux
défenseurs centraux, John Stones, à milieux plus reculés car ils sont peut-être
vos côtés en phase de possession, moins surveillés.
pour former une sorte de carré au
milieu avec les deux autres relayeurs, Pour le milieu défensif que vous êtes,
souvent De Bruyne et Gündogan. que change le retour en janvier de Kevin
Qu’est-ce que cela vous a apporté ? De Bruyne, longtemps absent ?
Comme je vous le disais, il faut être prêt à C’est un joueur tellement incroyable. Il
tous les changements, ça requiert beau- m’apporte du confort car il saura toujours
coup d’attention. C’était bien car j’avais quoi faire avec le ballon. Il diffuse de la
une option de passe en plus, d’autant que tranquillité et c’est inestimable pour une
John est incroyable dans ce rôle. On avait équipe qui cherche à garder le maximum
un joueur supplémentaire dans le cœur du de contrôle. Tactiquement, il joue selon
jeu, ce qui nous mettait en situation de son inspiration, il ne suit pas le tableau
surnombre et pouvait libérer un milieu noir. Donc, on va dire que l’on est un tout
pour surprendre la défense adverse dans petit peu moins organisé mais il apporte
la surface, comme Gündogan l’a souvent tellement sur tout le reste, et notamment
réussi. Bien sûr, cela demande d’avoir la le côté décisif, que c’est unique.
qualité et la personnalité pour avoir le
ballon sans le perdre car on a un défen- Pep Guardiola a joué à votre poste il y a
seur en moins. plusieurs années…
(Il coupe.) Je ne l’ai pas vu jouer, si c’est
En parlant de projection, vous avez votre question. (Rires.)
marqué quelques buts importants ces
dernières années. Avez-vous toujours Non, évidemment, mais vous donne-t-il
eu cette qualité en vous ou est-ce venu des conseils individuels ?
avec la confiance ? C’est sûr qu’il y a une grande communica-
C’est une sorte de prise de conscience tion entre lui et moi, car il sait tout de ce
progressive. Longtemps, je n’ai été con- rôle. Le foot a changé mais il m’appor- p

“La tactique donne un cadre. Mais le


foot n’est pas toujours du tableau noir”
À L’aFFICHE
Entretien
Rodri, pas si réservé,
s’est livré sans retenue
à Dave Appadoo.

“Pour le football,
ce serait un signal
intéressant
qu’un milieu
défensif gagne
le Ballon d’Or”
Pep Guardiola a dit que vous étiez le
meilleur joueur du monde à votre poste.
Pensez-vous la même chose ?
Je vais être franc : il faut penser qu’on est le
meilleur. Ou au moins penser qu’on veut le
devenir. C’est une affaire de confiance.
C’est avec cette mentalité inscrite en soi
qu’on a une chance de devenir le meilleur,
ou, en tout cas, la meilleure version de
soi-même.

Vous avez fini cinquième du Ballon d’Or


2023 (derrière Lionel Messi, Erling
Haaland, Kylian Mbappé et Kevin
De Bruyne). Rêvez-vous de remporter
un jour ce trophée ?
Nous en rêvons tous. Ce serait un accom-
p te énormément sur le plan tactique ou Sur le plan marketing ou dans les médias ? plissement incroyable. Mais je sais aussi
de la mentalité, en fonction des moments Je me sens déjà incroyablement heureux que des milieux de légende n’ont pas réus-
du match, des phases de jeu, car dans de faire partie de ce rarissime accomplis- si. J’adorerais qu’un milieu défensif com-
cette position vos partenaires attendent sement collectif. Pour le reste, le plus me moi puisse le gagner, ça signifierait
que vous soyez le joueur « sécurité », avec important est toujours de comprendre. beaucoup. Pour le lauréat, mais aussi pour
ou sans le ballon. Surtout quand un match Comprendre que le foot pour les fans est les jeunes qui veulent jouer ce rôle et sau-
est tendu. Vos partenaires doivent lire en avant tout une affaire de buts. Je sais aussi raient qu’ils peuvent être reconnus autre-
vous, dans votre jeu : « Pas de panique, on que d’immenses milieux n’ont pas toujours ment qu’en étant forcément le joueur qui
va reprendre le contrôle. » C’est avec cette eu la reconnaissance à laquelle ils auraient marque ou fait des actions d’éclat. Pour le
responsabilité que vous devez envisager pu prétendre. Est-ce juste ou injuste ? Les foot, ce serait un signal intéressant. Mais
votre rôle. gens se font leur opinion. Moi, je sais com- moi, je savoure déjà mon classement.
ment les choses fonctionnent et donc ça Imaginez, je peux dire que je suis le cin-
Vous sentez-vous un leader par l’exem- ne me rend pas triste ou amer. quième meilleur joueur du monde.” h D. A.
ple, par le lien avec le coach ou par la
parole dans le vestiaire ?
On peut l’être des trois façons. Mais, natu-
rellement, j’ai senti que mon leadership making of
s’exerçait d’abord sur le terrain. Le reste,
Lieu La note qu’il se met “Juste dans le football ou on peut
c’est venu plus progressivement, avec la
L’auditorium du centre d’entraîne- “9,7. Je ne mets pas 10 car on peut aller dans le sport en général ?
confiance du coach et de l’équipe. C’est le ment de Manchester City. toujours s’améliorer. Mais, franche- Essayez d’avoir Michael Jordan
fruit aussi de ce dont on parlait en termes ment, c’était bien, non ? (Rires.)” alors. (Rires.) Ensuite, disons,
de concentration et de dévouement à mon Durée David Villa, un attaquant excep-
métier, les autres le ressentent sans doute 45 minutes, photos comprises. La note que FF lui met tionnel, qui a sûrement beaucoup
et la confiance vient aussi de là. Un 8 car on aurait aimé pouvoir lui de choses à transmettre. Et pour la
Autres personnes présentes parler plus longuement tant on troisième interview, s’il était encore
Paul, le photographe, ainsi que sent qu’il connaît le foot. parmi nous, j’aurais dit Luis Arago-
Regrettez-vous parfois que l’on mette Joe, un des responsables presse nes. Allez, surprenez-moi, je vous
moins de lumière sur vous que sur les bilingue espagnol du club quand Les trois interviews fais confiance, ce sera bien.
joueurs offensifs ? Rodri avait un doute sur un terme. qu’il aimerait lire dans FF (Rires.)”

18
À L’aFFICHE
Rodri
À L’aFFICHE
Data zone

L’EXPATRIÉ
rid
o de Mad
Atlétic 2017
Mad
rid 2016-
de
tico -2016
Atlé

GRIEZMANN,
15
20
rid
Mad
e 15
SES CHÂTEAUX lét
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c
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ou e 22
16

At
2 r
pe agn
EN ESPAGNE Su ’Esp 8
d

20 d
5

13- eda
22

14
20 l Soci
128
Le Français a construit sa légende de l’autre
113

a
Re
côté des Pyrénées, où il a passé toute 1
3
sa carrière pro. Antoine Griezmann, 33 ans 7 3

16
10

2012 ociedad
le 21 mars, revit à l’Atlético de Madrid après

13

3
3
-20
un passage difficile au Barça.

140
S
Zoom sur le plus Espagnol des Bleus.
Real

10

7
3
Par Tom Bertin, avec Opta

220
dad
2011-2012

4
Real Socie

238
7
L’Atlético, sa maison 4

12
175 buts : anatomie d’un record
Meilleurs buteurs de l'Atlético de Madrid
358

15
2010-2011
Real Sociedad

toutes compétitions confondues (t.c.c.)


1
7

ss.
1. Antoine Griezmann 175 sif Cla
Déci es du club
Pied gauche : 127 Dans la surface : 148 Pass
es tout
Pied droit : 25 dont penalty : 13 s Buts écisives les X es
arè d t
Tête : 23 En dehors de la surface : 27 / Palm minu
dont CF direct : 8 Clubs ns t.c.c.
Saiso Liga En
2. Luis Aragones 173

3. Adrian Escudero 169

Par compétition
123
Son bilan face
31 aux deux gros Buts+passes en Liga
depuis qu'Opta collecte ces données (1998-99)
Ligue des
Champions Buts+passes Buts Passes

14 Real Madrid
Lionel Messi 666 474 192
Coupe Matches Buts Passes
6 Cristiano Ronaldo 398 311 87
du Roi 28 9 5
Ligue
Europa Karim Benzema 343 238 105
1 Barcelone
Supercoupe Matches Passes Antoine Griezmann 265 185 80
d'Espagne Buts
20 3 2 Luis Suarez 253 179 74

20
À L’aFFICHE
Data zone

Son coin de ciel bleu Palmarès


Peu importe ses saisons en Espagne, Antoine Griezmann a fait preuve Coupe
d’une régularité à toute épreuve en sélection. Il a disputé du monde
Atlético
de M les 84 derniers matches des Bleus, série en cours et de loin (2018)
2017-2 adrid la plus longue de l'histoire sous le maillot tricolore. Il n'a plus
018 Atlé Ligue
tico manqué la moindre rencontre de l'équipe de France depuis
201 de Ma le 13 juin 2017 face à l'Angleterre (3-2).
des nations
Ligue 8-2 drid (2021)
Europa 0 19
Su FC 127 sélections
19 d’E perco 20 Barc 43
uro up 19 elo 19
pe e 18 18 18
-2 11
15 0
9 ne
20
Amicaux Coupe Qualif. Coupe Qualif. Ligue des Euro
9 du Monde du Monde Euro Nations
FC
9 20
B
90
arc 202
20
Meilleurs passeurs en équipe de France depuis 1974
133 4 e lon
-
e Passes
Co spag

2
d’E
up ne

Antoine Griezmann 30
1

2 19
e

7
13

Zinédine Zidane 26
Atlé 21-202
FC Bo de Mad
2
20
7

Thierry Henry
tic

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arce
131

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Buts+passes en équipe de France depuis 1974


3

Buts+passes Buts Passes


rid
2
3
4
281

Thierry Henry 77 51 26
Atlético de M
3

2022-2023

Antoine Griezmann 74 44 30
Kylian Mbappé 71 46 25
15
16
92

Olivier Giroud 67 56 11
3

adrid Atlético de

Michel Platini 61 41 20
27 journés
(4 e

115

Le blues du Blaugrana
a

2023-202 rid
?
p

11

Preuve que ses années Barça ont été difficiles à digérer,


es)

la saison 2021-2022, celle qui marque son départ


du FC Barcelone et son retour à l’Atlético le 1er septembre,
Mad

reste sa pire en termes statistiques en Liga avec 3 buts


4

et 4 passes. Des chiffres même pas au niveau


de sa première saison dans l’élite à la Real Sociedad
(7 buts, 1 passe).

La Liga, Un but toutes


son royaume les X minutes l’Atlético 219 Barça
166
Laurent Langeron (infographie), Philippe Escoffier (illustration)

Loin de Benzema Matches joués en Ligue des


en Ligue des champions champions chez les joueurs français
Buts marqués en Ligue des champions Karim Benzema 152
chez les joueurs français Thierry Henry 112
Karim Benzema 90 Patrice Évra 108
Thierry Henry 50 Claude Makelele 96
Kylian Mbappé 44 Antoine Griezmann 92
Antoine Griezmann 35 Raphaël Varane 92

21
À L’aFFICHE
Reportage

À Virton, le club de
Troisième Division belge
peut compter sur
une petite base de
mille fidèles passionnés.

22
À L’aFFICHE
Virton

L’HISTOIRE
BELGE
DE KANTÉ Fin juin 2023, N’Golo Kanté
rachetait le Royal Excelsior
Virton, un club de Troisième
Division belge. Huit mois
plus tard, le monde du foot
continue de s’interroger
sur cet investissement.
Les locaux, eux,
se réjouissent tandis que
les nouveaux dirigeants
travaillent dans l’ombre.
Par Thymoté Pinon, à Virton (Belgique).
Photos Hugues Lawson-Body/L’Équipe

“On l’a vu arriver comme le Messie.” Au la bande. Et il avait décidé d’arrêter de table rendue collante par la potion locale.
fond du Celtic, la taverne qui sert de repai- porter le projet, donc on ne savait pas “Certains nous ont parlé de ses soucis
re aux Kaotic Gaumais, N’Golo Kanté fait comment ça allait se finir. Aujourd’hui, les extra-sportifs, nous ont dit que ce n’était
quasiment l’unanimité. Jusqu’à cet été, les dirigeants viennent nous voir à la fin du peut-être pas son idée à lui, qu’il subissait
membres du principal groupe de suppor- match, on échange, c’est plus humain. Le des pressions, glisse un habitué. Vous en
ters du Royal Excelsior Virton se deman- jour où N’Golo est venu rencontrer les savez plus ?” Quelques mois après le
daient ce que leur club allait devenir, alors joueurs, ils m’ont même invité.” rachat, les mêmes discussions ont eu lieu
aujourd’hui, ils savourent. “Flavio Becca, Jusqu’ici, tout va bien. Il n’y a finale- dans le petit vestiaire du RE Virton. “Les
l’ancien propriétaire, avait beaucoup ment qu’à la fin d’une dernière pinte joueurs se posaient des questions, ils
d’argent mais il ne savait même pas qu’on d’Orval, tout au fond du bar, que la ques- avaient vu passer des choses sur Kanté,
existait, résume Nathan Collin, le kapo de tion, celle qui fâche, arrive d’une petite résume un ancien salarié du club. Ils p

23
À L’aFFICHE
Reportage

p disaient qu’ils ne savaient pas qui avait frère d’Hakem est agent ; Khabtane, lui, Quand un supporter interpelle le manager
fait quoi, si les nouveaux dirigeants étaient s’est toujours intéressé au foot. On n’en général en lui demandant de dire au pro-
mêlés à tout ça…” Mais Mohamed Hakem saura guère plus. Leurs contempteurs priétaire de “mettre encore un peu plus de
et Rebeai Khabtane, respectivement nom- soulignent qu’ils n’ont aucune expérience sous”, la réponse fuse : “Le but, c’est qu’il
més manager général et président par dans le milieu du foot. Ceux qui les appré- en mette de moins en moins.”
N’Golo Kanté le 29 juin 2023, date de l’offi- cient considèrent qu’ils apprennent vite.
cialisation du rachat, ne font pas partie de “Becca, l’ancien propriétaire, avait des La seule visite de Kanté
l’entourage historique de l’international défauts mais il était très riche et payait tout L’intéressé ne s’est pas encore exprimé
français. Très vite, ils ont d’ailleurs essayé ou presque. Donc, quand il est parti, on publiquement sur son achat. Il n’est venu
de clarifier certaines choses au sujet de ce était inquiets, pose Vincent Wauthoz, le qu’une fois à Virton cette saison, le 5 jan-
que le milieu du foot appelle “le dossier maire de Virton, ville de 11 000 âmes, coin- vier, le temps d’une visite de courtoisie
Kanté”*. “Pour nous, il n’y a aucune relation cée dans l’extrémité sud de la Belgique, auprès du groupe pro. Mais en Gaume,
entre ce projet Virton et les enquêtes (de dans la province de Luxembourg. Désor- cette sous-région de la Wallonie, et même
Mediapart, L’Équipe et France Football)”, mais, on est assez satisfaits et contents. un peu plus loin, tout le monde parle de lui.
aiment-ils laisser filtrer. La nouvelle équipe dirigeante semble avoir “L’autre jour, j’étais avec des Suisses et ils
une volonté de s’insérer dans la vie locale. m’ont dit qu’on avait de la chance, plaisan-
Dirigeants sans véritable expérience Je les ai trouvés plutôt sérieux. Si c’est te François Culot, maire de Virton de 2012
Le binôme reste toutefois prudent, notam- pour quelque chose qui s’enracine dans la à 2023. À l’international, Kanté a une super
ment vis-à-vis des médias français. Par durée, pas de problème.” Sous deux por- image.” L’équipe dirigeante installée par le
peur d’agacer le premier cercle du cham- traits du roi et de la reine de Belgique, Français a fait savoir qu’il souhaitait inves-
pion du monde 2018 ? Rien de tout ça, à en l’édile conclut : “J’attends désormais un tir dans le foot depuis un moment et qu’un
croire ce que le duo distille ici ou là, dans écrit de leur part qui trace plus concrète- projet d’académie au Mali mûrissait. Virton
les coursives du stade Yvan-Georges. ment le projet, c’est la prochaine étape. aurait vocation à être un peu le FC Metz de
Comprenez : “Ils font leurs trucs, nous les Quand vous souhaitez obtenir des subven- Génération Foot au Sénégal, un club vers
nôtres.” La discrétion, toujours la discré- tions de la part des différents échelons, lequel les meilleurs joueurs maliens
tion. Les deux hommes, l’un de Bagnolet, vous devez monter des dossiers solides.” seraient transférés, le dernier étage de la
l’autre de Rueil-Malmaison, la ville de Kan- Car Kanté (32 ans, 53 sélections), qui fusée. Un dernier étage acheté… avant que
té, disent s’être rencontrés lors d’un projet perçoit autour de 2 millions d’euros par la fameuse académie ne sorte de terre.
porté par un candidat à la présidence de la mois à Al-Ittihad en Arabie saoudite, Certains murmurent que Kanté ne connaît
Fédé algérienne, il y a quelques années. Le n’entend pas faire tourner le club seul. que très peu le pays dont sont issus ses

24
À L’aFFICHE
Virton
Dans le sud de la Belgique, les sourires
et la confiance sont de mise chez Rebeai
Khabtane, le président du club (ci-contre),
Vincent Wauthoz (ci-dessous), le maire
de Virton, et les joueurs. Pourtant, les contours
précis du projet tardent à se dessiner.

“Je trouve les dirigeants plutôt sérieux. particulier, il n’y a aucune commission

J’attends un écrit qui trace plus concrè- (sic)”. Toujours selon le dirigeant, “le pro-
cess est le même pour tout le monde. Les
tement le projet” Vincent Wauthoz, maire de Virton joueurs sont checkés et validés par le club
sur des critères objectifs.”
parents. En privé, les nouveaux dirigeants carrière, mais ne sait pas encore dans quel Le soir de la venue de FF, lors de la
assurent, eux, que des discussions ont eu rôle. Président, entraîneur, agent… Au réception de la réserve de La Gantoise
lieu, que le projet est sur les rails. moins, avec Virton, il aura le choix. (Rires.)” (2-0 pour les locaux, le 24 février), l’un des
Depuis le Mali, un journaliste local trois éléments officiellement estampillés
pourtant bien renseigné sur le cas Kanté Ce frère agent qui interroge UFC, la société de Merouan Hakem, était
avoue ne pas pouvoir démêler le vrai du Kanté sait-il seulement ce qu’il en est titulaire et a affiché une technique sédui-
faux. “On raconte que ce sera à Kayes, la aujourd’hui et qui gère quoi ? Merouan sante. Un autre est entré en jeu et le troi-
région d’où sont originaires ses parents et Hakem, le frère du manager général, est, sième était absent. Sur place, personne ne
où il a passé la majorité de son séjour ici, par exemple, agent et il a “placé” trois des semble se soucier de ce possible conflit
fin mars 2022, expose-t-il. D’autres affir- joueurs qu’il représente, via la société d’intérêts. “C’est plus ou moins comme ça
ment que l’académie est en construction Universal Football Consulting (UFC), dans dans tous les clubs, non ?” lâche l’ancien
dans la capitale, à Bamako, mais que les le club belge. Une manœuvre qui suscite, maire. L’affluence est, elle, encourageante.
travaux n’avancent que lentement.” Diffici- chez ce dirigeant d’un club français, quel- Lors de cette 24e journée de D3, ils étaient
le d’en savoir plus. À Virton, on préfère ques persiflages : “Virton, c’est une caram- 1 042. “Ici, les gens aiment le foot, affirme
communiquer sur l’idée de “deuxième bouille perpétuelle, ça fait des années que le nouvel édile, présent en tribunes.
chance”, à l’image de la trajectoire inspi- ça dure…” “Trois joueurs ? C’est plus que Vous connaissez une autre activité qui
rante du patron, celle d’un joueur long- ça, sourit un ancien salarié. En période de ramène, tous les quinze jours, entre 1 000
temps snobé par les clubs pros. “Les gens mercato, il n’y a que ses propositions qui et 1 500 personnes au même endroit ?”
ont du mal à croire qu’il fait ça par passion, sont retenues.” Un autre interlocuteur D’autres se montrent plus circons-
mais il a envie de rendre ce que le foot lui a raconte, lui, que le frangin passe une tête pects. “Tout ça est très curieux”, lâchait un
donné, confiait ainsi Khabtane à L’Avenir, au club une fois par mois, environ. Sur le salarié de la Fédé belge, au moment du
le 7 septembre 2023. Il a envie de donner sujet, Mohamed Hakem indique qu’il arrive rachat. La transaction avait même intrigué
une chance (…) à des garçons qui, comme à son frère de “proposer des joueurs l’entourage historique du joueur. “Je l’ai
lui, ont percé sans prendre la voie classi- quand (il y a) des besoins” puis précise appris par voie de presse et ça m’a surpris,
que. Il veut rester dans le foot après sa que, “comme tous les agents, et pour lui en confiait l’un des conseillers du Fran- p

25
À L’aFFICHE
Reportage

Au Celtic, le repaire
des supporters du Royal
Excelsior Virton,
on se prend à rêver
de Deuxième Division.
Mais, pour le moment,
la route est encore longue.
Et N’Golo Kanté n’entend
pas financer ce projet
à lui tout seul.

26
À L’aFFICHE
Virton

Thomas Meunier
ou Timothy Casta-
gne sont passés ici
respecté ce qu’ils ont dit. Ils sont présents, prise” en juillet 2022) ? Cette fois, c’est le
N’Golo aussi. Ils m’ont un peu donné les bagou des deux néo-dirigeants virtonais
clefs du camion.” Au sujet de l’environne- qui est mis en avant. “Dans le monde du
ment dans lequel il exerce ses fonctions, foot, on rencontre souvent des gens com-
Arpinon ne fait pas dans la langue de bois : me ça, à la narration très bien faite, décrit
“Quand je suis arrivé, ça manquait un peu un intermédiaire. Mohamed (Hakem) sait
de rigueur du haut niveau. J’ai amené du très bien parler. C’est une qualité.” Le pre-
professionnalisme. J’ai fait un audit et, à la mier bilan sportif est, lui, contrasté. Après
trêve, j’ai écarté onze joueurs. Ils ont ache- avoir flirté avec la relégation à la mi-no-
té le club peu de temps avant le début de vembre, le RE Virton respire mieux. Sous la
la saison donc le recrutement a été tardif. direction d’Arpinon, l’équipe est remontée
Eux-mêmes ont reconnu quelques erreurs en milieu de tableau et ne devrait pas être
de casting.” inquiétée. “Il faut finir le plus haut possible
Les nouveaux dirigeants n’ont pas pour qu’il y ait de l’engouement, de l’attrait,
encore tous les codes du milieu. Lorsque conclut le coach. Et pourquoi pas monter
le président passe une tête dans le vestiai- en D2 ensuite ? Les gens sont gentils, il y a
re à la mi-temps pour livrer des conseils une âme, et un stade à l’anglaise. Avec un
tactiques, cela ne plaît pas spécialement peu de travail et deux ou trois renforts…”
“Les dirigeants ne aux joueurs. Quand l’équipe dirigeante
L’éternelle recette du trading
se sont pas critique un peu trop bruyamment certaines
individualités lors d’un match de la réserve, Reste à savoir comment le duo Hakem-
moqués de moi. les voisins de main courante se pincent Khabtane appréhendera la suite. En
novembre, L’Avenir a interrogé le second
lls sont présents, pour y croire. “Ils ont un côté amateur”,
raconte un intermédiaire ayant récemment sur le mode de fonctionnement de son
N’Golo aussi” Jérôme échangé avec eux. Cela ne les a pas club. “On veut faire du trading, répondait le
empêchés de séduire l’environnement. président. Surtout sur des garçons qu’on
Arpinon, le coach
“J’ai trouvé qu’ils faisaient les choses intel- aura formés. C’est important de revenir à la
p çais. Je ne sais même pas exactement ligemment, indique Wauthoz, le maire de source de ce club.” Le 5 janvier, devant ses
de quoi l’on parle.” Après une relance sur la Virton. Ils ont notamment contacté une joueurs, Kanté indiquait, lui, que “remonter
question de savoir si Kanté lui avait déjà série de personnes en qui nous avons serait bien pour tout le monde, pour la ville
soumis l’idée de racheter un club, la confiance. Ils se sont bien entourés.” L’élu (…), pour vous-mêmes”.
réponse était sortie toute seule : “Jamais !” fait référence à Abdel el-Abar, ancienne Au Celtic, les amoureux du RE Virton
figure du club, chargé de relancer les équi- rappellent que des garçons comme Tho-
L’ambition de Jérôme Arpinon pes de jeunes, abandonnées sous mas Meunier ou Timothy Castagne, deux
Nommé entraîneur au début du mois de l’ancienne présidence. À ce sujet, la direc- internationaux belges, ont effectué leurs
novembre 2023, Jérôme Arpinon, libre tion indique que l’académie sera relancée classes ici. Une fumée verte s’apprête à
depuis son départ de Nîmes en févri- dans les prochaines semaines. napper tout le quartier. Une partie du grou-
er 2021, semble heureux d’être là. Après pe a entamé sa procession vers le stade
s’être fait ovationner par les bruyants ultras Un premier bilan sportif contrasté en craquant une dizaine de fumigènes aux
locaux, il passe une tête à l’espace VIP, Une question demeure en suspens : com- couleurs du club. La passion est de retour
serre de nombreuses mains, puis donne ment Hakem et Khabtane ont-ils pu ren- et Nathan et ses copains en sont persua-
son ressenti sur sa nouvelle maison. “J’ai carder N’Golo Kanté, champion du monde dés : la soirée sera belle. Pour le moment,
eu quelques sollicitations avant d’arriver millionnaire, avec l’ancien propriétaire rien d’autre ne compte. h T. P.
en Belgique, indique le coach. Mais ici, les Flavio Becca, riche homme d’affaires * Depuis 2017, le Français est englué
dirigeants avaient vraiment envie que je luxembourgeois (condamné par la Cour dans une affaire où se mêlent les intérêts
financiers divergents de plusieurs
vienne et il s’agit d’un projet ambitieux. Ils d’appel de son pays pour “abus de bien intermédiaires peu scrupuleux. Ce qui
ne se sont pas moqués de moi, ils ont sociaux et détournement de fonds d’entre- lui a valu d’être menacé avec une arme à feu.

27
À L’aFFICHE
Enquête

ICI, ÇA
PARIE
Malgré l’interdiction qui leur est faite de miser de l’argent
sur leur sport, un nombre croissant d’acteurs du foot pro a fauté
ces dernières années. Un constat qui interroge et dérange.
Par Illustrations
Thomas Simon Laura Acquaviva

28
À L’aFFICHE
paris sportifs

29
À L’aFFICHE
Enquête

30
À L’AFFICHE
Paris sportifs

La conversation s’étire et, a priori, on suivis dans des cliniques spécialisées sensibilisation aux risques des paris. Dans
n’a plus rien à se dire. Mais avant de rac- pour soigner leur addiction aux jeux chaque club, les jeunes en formation, le
crocher, ce protagoniste du football fran- d’argent. En France également, la situation groupe pro, l’ensemble du personnel, tout
çais, bien au fait des dérives actuelles de semble prendre de l’ampleur et doit préoc- le monde y passe, et une charte intégrité
son sport, finit par lâcher, à mi-chemin cuper. est signée. L’étape est autant nécessaire
entre effarement et fatalisme : “Des Pour au moins deux bonnes raisons. Le qu’essentielle, mais la désagréable
joueurs en sont déjà venus à parier à la danger d’addiction qu’impliquent ces pra- impression de pisser dans un violon n’est
mi-temps, aux chiottes… Ça voulait dire tiques, d’abord. Et les risques d’approches pas loin tant il est compliqué de faire le
qu’ils l’ont fait sur le match qui se déroulait, malintentionnées, ensuite. Dans le recoin poids face au matraquage publicitaire des
le match auquel ils prenaient part. Si les le plus sombre des paris se trouvent la opérateurs qui se voient, s’entendent et
gens savaient tout ce qu’il se passe dans corruption et la possibilité de fausser des s’imposent à tous et partout (clubs,
un vestiaire…” Proposé ainsi, le présent est rencontres, de façon partielle ou totale. joueurs, stades, médias, influenceurs, etc.).
dérangeant. Mais on évitera de céder au “De mon point de vue, cela reste excep- “Ce qu’on peut faire et ce qu’on fait, c’est
trop facile et stérile “c’était mieux avant”. tionnel en France”, estime Antoine Béghin, multiplier les interventions de prévention.
Un ancien se souvient d’ailleurs de ce qui directeur de l’intégrité du sport à la Fran- Mais on ne peut pas lutter, cela nous
pouvait déjà se pratiquer au siècle dernier çaise des Jeux (FDJ). Mais il n’y a aucune dépasse”, déplore Guillaume Stéphan,
au plus haut niveau hexagonal : “Nous raison de se penser à l’abri d’une telle directeur général adjoint de l’UNFP.
avions une prime de match quand on dérive. “Il existe un risque de trucage de L’incitation vire parfois au grotesque. En
gagnait en Championnat. Alors, un coéqui- matches, prévient Corentin Segalen, coor- 2016, six joueurs et deux membres du staff
pier nous mettait perdant à chaque ren- dinateur de la plateforme de lutte contre la de l’OGC Nice sont épinglés pour paris
contre… Il ne faisait pas perdre l’équipe manipulation des compétitions sportives à interdits. Winamax, qui s’affichait alors sur
mais il disait : « Si on gagne, je touche la l’Autorité nationale des jeux (ANJ, ex-AR- les shorts et dans l’enceinte des Aiglons,
prime de victoire, si on perd, je remporte la JEL). Plus il y a de joueurs addicts, plus le avait octroyé des dotations (argent crédité
mise du pari… »” Si l’intégrité se portait de risque de manipulations va être impor- sur un compte de paris à leur nom) au
travers, c’est ce qu’on pourrait appeler tant.” personnel du club, joueurs et encadrants
avoir de la suite dans les idées. compris, ouvrant ainsi en grand la porte de
Des garde-fous insuffisants la tentation. Même la LFP, qui prévient au
Une dérive bien connue à l’étranger L’Union nationale des footballeurs profes- début de la chaîne et sanctionne à l’autre
L’époque n’est pas la même, les règles non sionnels (UNFP) le rappelle à chaque fois extrémité, a comme partenaire Betclic
plus, et puis “le football il a changé”, a un qu’elle communique sur le sujet : “Afin de (comme la FFF d’ailleurs).
jour asséné Kylian Mbappé en effleurant combattre la manipulation des compéti-
sa cravate, mais le parallèle établi offre en tions sportives, la France s’est dotée d’une Une méconnaissance des règles
toile de fond ce que les derniers mois et loi adoptée le 12 mai 2010, qui interdit Mais les concernés savent. Cette interdic-
même ces dernières années ont souligné : notamment aux acteurs de parier sur les tion figure dans leurs contrats de travail. Y
avec les paris sportifs, le football a un sou- compétitions auxquelles ils participaient. contrevenir expose à des sanctions – le
ci. Et ce n’est pas la peine de détourner le Par le décret du 28 décembre 2017, cette non-paiement de la prime d’éthique en est
un exemple – qui peuvent aller jusqu’au
La Ligue, qui prévient au début de licenciement. Un dirigeant persifle : “Ah

la chaîne et sanctionne à l’autre parce que les joueurs les lisent ? Non, ce
sont les agents…” Leur rôle à ce sujet est
extrémité, a comme partenaire Betclic central. “Ça fait partie de mes missions,
estime Christophe Hutteau. En parler, c’est
regard, ni de le diriger en direction de l’Ita- loi a été renforcée afin d’interdire aux bien mais pas suffisant, il faut leur rappeler
lie et sa vaste affaire de paris clandestins – acteurs des compétitions sportives de régulièrement, sans cesse leur rabâcher.
le milieu de la Juve, Nicolo Fagioli, a par parier sur leur sport. Cette interdiction Le football doit être intransigeant. Il y a
exemple été épinglé pour avoir joué plus prévue dans l’article 124 des règlements suffisamment de problèmes dans notre
d’un million d’euros sur des plateformes de la Fédération française de football con- sport pour ne pas en rajouter.”
étrangères ; le parquet fédéral l’a suspen- fère à la Commission de discipline de la L’un de ses joueurs, Gaëtan Laborde,
du sept mois et condamné à une amende LFP la faculté de sanctionner les acteurs l’attaquant du Gym, s’est fait rattraper par
de 12 500 euros. Ou vers la Premier League qui ne la respecteraient pas.” la patrouille début 2022, écopant d’une
– Ivan Toney, l’attaquant de Brentford, a Les concernés savent. Depuis plus de suspension de trois matches avec sursis
notamment été suspendu de mai 2023 à dix ans, la LFP collabore avec l’UNFP et pour des faits remontant à la saison 2019-
janvier 2024 pour 232 infractions au code l’UNECATEF (Union nationale des entraî- 2020, à l’époque où il évoluait à Montpel-
de conduite de la Fédération anglaise –, neurs et cadres techniques du football) lier. “Il était avec des amis à la maison, ils
dont une quarantaine de joueurs seraient pour mettre en place des journées de ont fait des paris instantanés, relate p

31
À L’AFFICHE
Enquête

p Hutteau. Il me l’a dit : « Je ne suis pas


près de me faire reprendre un jour. » C’est
clairement de l’inattention.” La même
erreur d’étourdi est évoquée par d’autres
lorsqu’il faut se justifier. “J’en faisais (des
paris) avant d’être à Niort, j’ai continué,
reconnaît Mathis Ansar, ancien stagiaire
pro des Chamois. Je pensais que je n’avais
pas le droit de miser sur mon club, c’est
tout. J’avais eu les journées de prévention,
oui, mais je ne voyais pas du tout le mal à
faire ça.” Antoine Béghin de la FDJ a déjà
entendu ça : “La plupart du temps, me
semble-t-il, les sportifs n’ont pas cons-
cience que l’interdiction porte sur l’ensem-
ble des compétitions de leur sport, aussi
bien en France qu’à l’étranger, et pas seu-
lement sur les compétitions auxquelles ils
participent. Il s’agit d’un travail d’éducation
au long cours.”
Quand il reçoit un mail de la LFP pour lui
détailler ses paris interdits avec toutes les
mises qu’il a effectuées et lui signifier sa
convocation en commission de discipline,
Todd Vromant est “choqué”. Tout juste
majeur au moment des faits qui lui sont
reprochés, le jeune joueur (18 ans), passé
brièvement par la réserve de Toulouse
“ne [s’] y attendait pas” et assure qu’il
“ne savait pas”. “Il devait y en avoir pour
1 000 euros, je ne sais plus. Un délire entre
potes pendant la Coupe du monde. Je
jouais alors au LOSC, je parie sur des mat-
ches du Mondial, je ne me sens pas du tout
concerné, confie le milieu offensif parti se
relancer à la Royale Entente Acren Lessi-
nes, en Quatrième Division belge. C’est
une leçon. Depuis un an, j’ai tout fermé.”
l’un d’entre eux n’a pas réalisé de paris en tôt, environ quatre-vingts. On pourrait
Des infractions en hausse depuis 2019 ligne ou en réseau physique. Lorsqu’un continuer. Corentin Segalen de l’ANJ pose
Pour repérer les fautifs, la LFP sollicite acteur ressort « positif », l’ANJ et la FDJ un constat chiffré : “Depuis 2019, le nom-
l’ANJ et la FDJ pour réaliser un croisement nous transmettent un fichier individualisé bre de fautifs a été multiplié par cinq.” Et
de fichiers (quinze depuis la saison 2013- du parieur qui répertorie l’ensemble de ses cette tendance à la hausse ne semble pas
2014). “Nous leur envoyons pour cela une paris ainsi que les montants misés.” sur le point de s’inverser. Elle peut s’expli-
liste comprenant l’ensemble des joueurs Le 16 novembre dernier, soixante quer. Le Covid, coup de frein sur le volet
et entraîneurs sous contrat de travail avec joueurs et éducateurs ont été punis pour prévention, est passé par là. Mais le cadre
un club professionnel, que ces derniers avoir enfreint l’interdit. Dans le lot, beau- dans lequel s’inscrit cette augmentation
soient professionnels ou non, indique la coup de jeunes qui débutent à peine ou est plus large. Dès 2016, un article scienti-
Ligue. L’ANJ et la FDJ vérifient ensuite encore en réserve. Cinq mois avant, tren- fique du professeur Marie Grall-Bronnec,
leurs fichiers respectifs pour contrôler que te-cinq s’étaient déjà fait pincer. Un an plus du service d’addictologie et de psychiatrie
de liaison au CHU de Nantes, posait le
“Quand on vit dans un univers joueur, préambule en même temps que le contex-
te : “La prévalence des problèmes de jeu
c’est très difficile de ne pas jouer” est quatre fois plus importante en popula-
Julie Giustiniani, addictologue et psychiatre tion de sportifs professionnels qu’en popu-

32
À L’AFFICHE
paris sportifs

AUX JO,
L’INTERDICTION
VAUDRA pOUR
TOUS LES SpORTS
Trente-deux sports seront au program-
me officiel des Jeux Olympiques de
Paris qui se dérouleront du 26 juillet
(cérémonie d’ouverture) au 11 août
2024 (clôture). Il pourrait être tentant
pour un joueur sélectionné pour le
tournoi olympique de football (du
24 juillet au 9 août chez les hommes,
du 25 juillet au 10 août côté femmes)
de parier sur les exploits potentiels de
Léon Marchand en natation, le troisiè-
me titre individuel possible du judoka
Teddy Riner, ou l’éventualité de voir
Victor Wembanyama et les basketteurs lation générale.” Les hypothèses sont pes où on jouait sur nous pour nous pous-
français détrôner Team USA. Ce ne multiples : l’attrait pour la compétition et ser encore plus. C’est la réalité. Aujour-
sera pas possible. “Là, on travaille les défis, la dépendance à la récompense, d’hui, ce n’est plus possible de faire ce
avec le COJOP (Comité d'organisation l’impulsivité, la recherche de sensations qu’on faisait. Mais on jouait pour nous, pas
des Jeux Olympiques et Paralympi- fortes, en sont quelques-unes, accentuées contre. C’est un délire, ça permet de parta-
ques) et le CIO (Comité international ou au moins accompagnées par un temps ger un truc, de se rejoindre.” Le consultant
olympique) pour faire de l’information, libre hyperconnecté et des capacités de et animateur de RMC a aussi vu : “À la fin
explique Corentin Segalen, coordina- jeu augmentées par les industriels. de ma carrière, ce n’était plus pareil. Il y a
teur de la plateforme de lutte contre la Le docteur Julie Giustiniani, addictolo- eu une telle évolution. J’imagine que ça
manipulation des compétitions sporti- gue et psychiatre au CHU de Besançon, doit être décuplé désormais. C’est difficile.
ves à l’ANJ (Autorité nationale des appuie : “Les footballeurs constituent la Ç’a pris une place énorme dans la société.
jeux). Un footballeur retenu pour dispu- cible même des publicitaires. Ce sont des Regarde toutes les entreprises qui font
ter les Jeux Olympiques ne pourra pas hommes jeunes, parfois issus de milieux des trucs autour de ça lors des grandes
parier sur le vainqueur du 100 m en plus précaires, qui veulent une ascension compétitions… Et un vestiaire de foot, c’est
athlétisme ou d’une quelconque autre sociale. L’argent peut être un élément le reflet de cette société. « Eh vas-y, t’as
discipline. On considère que c’est une motivant mais, au-delà de la dimension joué là-dessus, t’as mis quoi ? » C’est la
seule et même compétition.” Et, bien monétaire, il y a l’idée d’être validé par le gangrène, ce truc. Tu baignes dedans,
évidemment, l’interdiction de parier groupe en étant identifié expert, meilleur c’est difficile d’en sortir. Il y a une règle, tu
concernera aussi les deux tournois de que les autres, plus malin et plus fort dans dois la respecter, mais j’imagine qu’aujour-
football. Elle vaudra pour les staffs, les leur domaine pour prédire ce qui va se d’hui, dans tous les vestiaires, tu as des
joueurs du sélectionneur Thierry Henry passer. Une forte influence culturelle peut mecs qui jouent. Certains se font prendre,
(les Espoirs français de 23 ans ou s’exercer sur ces footballeurs. Quand on vit d’autres pas.”
moins, nés à partir du 1er janvier 2001, dans un univers joueur, c’est très difficile De l’extérieur, on s’en tient au pas vu,
ainsi que trois joueurs sans limite de ne pas jouer.” pas pris. Dans le milieu, “tout le monde”,
d’âge) et les joueuses de l’équipe sous-entendu le leur, “sait”. Et c’est le
de France dirigées par Hervé Renard. Le système D pour grand écart d’intention entre ceux qui se
h T. S. contourner l’interdiction feraient avoir par excès de confiance ou de
Sanctionné au cours de sa carrière profes- naïveté en laissant leur carte bancaire à un
sionnelle pour avoir fourni des conseils en entourage malintentionné et ceux qui
pronostics sportifs pour Unibet, avec qui il sauraient exploiter les failles du système
était sous contrat, et pour avoir lui-même de surveillance. “Ceux qui se font attraper
parié, Jérôme Rothen a connu ça : “Dans et donc sanctionner, c’est la partie émer-
un vestiaire, c’est comme ça, tu te montes gée, confie un ancien joueur toujours dans
un peu la sauce, il y a une excitation parti- le circuit pro. Des joueurs parient grâce à
culière, tu ne vas pas chercher le gain mais d’autres personnes, font payer des amis ou
l’adrénaline. Je suis passé dans des grou- de la famille, font des tickets et règlent p

33
À L’AFFICHE
Enquête

34
À L’AFFICHE
Paris sportifs

p en cash. Si je vous donne 50 balles et “J’ai connu des dirigeants qui pariaient
vous demande de les mettre sur tel match,
qui va retracer ça et me retrouver ? J’ai
contre leur équipe” Un ancien joueur
même connu des dirigeants qui pariaient
contre leur équipe. Ils me disaient : « Je me il y a forcément une part de déni et, entre le santé mentale, dépression, anxiété, stress
suis fait du pognon cette saison, tellement moment où mon manager m’en parle et le et aussi addictions, rappelle Guillaume
on a été nuls. » Ils faisaient jouer quelqu’un rendez-vous avec la spécialiste, je me suis Stéphan, le directeur général adjoint du
d’autre…” posé beaucoup de questions.” syndicat. Ils peuvent ensuite être réorien-
Parce que la dépendance est un écueil. tés vers des professionnels de santé.”
La nécessité d’être mieux accompagné Elle est sans produit donc sans produit de Lucas Pouliquen insiste : “La sanction,
Peu de punis veulent parler. Lucas Pouli- substitution aussi. Sur les soixante der- d’accord. Mais peut-être faudrait-il aller
quen, entraîneur de la réserve du Grenoble niers sanctionnés, trois de moins de 21 ans plus loin et proposer un accompagne-
Foot 38 qui a écopé en novembre de trois ont été interdits de plateforme en ligne et ment, un suivi. Parce que moi, c’est mon
matches de suspension ferme et de deux d’entre eux – sur demande de leurs club qui m’a poussé vers l’aspect médical
3 000 euros d’amende, a voulu exposer parents – bénéficient d’une aide psycholo- en se disant « peut-être que là, il y a un
son cas : “J’ai été sanctionné pour environ gique. C’est probablement de ce côté qu’il problème ». Mais s’il ne le fait pas, la finali-
800 paris sur la saison 2022-2023. C’est faut davantage regarder et réfléchir. té, c’est que j’ai parié, enfreint le règle-
beaucoup. J’étais au courant que ce n’était “L’UNFP a une cellule d’écoute, « C’ dans la ment, je suis sanctionné, et voilà quoi… Je
pas autorisé. Mais je n’ai jamais parié sur tête » qui permet aux footballeurs d’expri- m’en sors bien mais ce n’est certainement
mon club, ni sur aucune des compétitions mer leur mal-être, une problématique de pas le cas pour d’autres.” h T. S.
dans lesquelles il était engagé. Pour don-
ner un ordre d’idée des mises, la sanction
financière qu’on m’a infligée correspondait
à cinq fois le montant engagé sur l’année.
Une année que j’ai dû terminer dans le
négatif avec une cinquantaine d’euros
perdus. Je n’ai pas mis en péril ma famille
sur le plan financier. Je ne me levais pas la
nuit pour jouer. J’aimais ça et je le vivais
comme un divertissement. Je devais avoir
20 ans quand j’ai commencé (il en aura 33
le 11 mars). Avant d’être éducateur, j’ai été
joueur, et avant que ça ne me soit interdit
parce que c’est mon travail, je pariais déjà.”
Et le technicien de poursuivre : “Il y a le
côté compétiteur, imaginer le scénario
d’un match, un résultat, cette adrénaline
de pouvoir gagner. Je n’ai jamais considé-
ré avoir un avantage sur d’autres et je n’ai
jamais utilisé ma position pour en avoir un.
Mon club m’a mis à pied une semaine,
durant laquelle je n’ai pas pu faire mon
travail ni toucher mon salaire. J’ai fauté, je
suis sanctionné, j’accepte. J’ai eu la chan-
ce d’avoir un manager général, Max Marty,
qui m’a redirigé vers un process médical. Il
a voulu savoir si j’avais besoin d’une aide et
m’a conseillé d’aller parler avec le docteur
du club, qui m’a redirigé vers une psycho-
logue spécialiste dans les addictions. Je
l’ai vue, nous avons discuté et elle a posé
son diagnostic : je ne souffrais pas d’addic-
tion, contrairement à ce qui avait pu être
fortement sous-entendu et même écrit. Ça
peut être difficile de se reconnaître addict,

35
À L’AFFICHE
Portrait

MICHEL
LE RAYO
DE SOLEIL
Avant de briller à Gérone, l’entraîneur espagnol, auteur d’une saison sensationnelle
avec le club catalan, s’est construit à Vallecas et au Rayo Vallecano. Un quartier
populaire de Madrid et un club qui ont façonné sa personnalité et ses méthodes.
Par Photos
Antoine Simonneau, à Madrid (Espagne) Ali Sallusti/L’Équipe

Le 11 novembre dernier, le Rayo Valleca- modestes et alimenteront le commerce La lutte est une seconde peau à Valle-
no accueille Gérone. Dans l’Estadio de familial. Les parents de Michel, né en 1975, cas. Pendant la guerre civile, le gouverne-
Vallecas, les supporters du club de la ban- y tiendront un magasin de primeurs, près ment républicain installe son quartier
lieue ouvrière de Madrid ne sont pas là que de leur modeste demeure, que le grand- général dans cette commune, rattachée à
pour voir le leader de la Liga (aujour- père maternel a construite. Aidé de pro- Madrid en 1950. Elle sera dévastée par les
d’hui 2e). Ils ont surtout rendez-vous avec ches et de voisins, il se raccorde à l’eau, à bombes franquistes. La misère et la souf-
l’entraîneur de l’équipe catalane, Miguel l’électricité et édifie sa “chabola”, maison france de l’endroit et de l’époque seront
Angel Sanchez Muñoz, dit Michel. Une basse, faite de matériaux sommaires, en immortalisées par les photos de Robert
banderole est déployée sur toute la tribune périphérie des grandes villes. Elle abritera Capa. L’ouvrière Vallecas est surnommée
des Bukaneros, le groupe de supporters les grands-parents, les parents, les deux le quartier rouge de Madrid. Cette couleur
ultras du Rayo : “Michel, petit-fils de Maria, frères et la sœur de Michel, le benjamin. omniprésente : des briques des HLM aux
bienvenue au quartier.” Entre Vallecas et affiches syndicales, en passant par l’éclair
Michel, le lien est indéfectible. Il est le Gamin timide transcendé par le sport barrant le maillot du Rayo, jusqu’aux murs
symbole et le porte-parole d’un quartier, Au milieu des années 1980, ils en seront repeints de l’Estadio de Vallecas.
d’un club. L’incarnation de leurs valeurs. délogés, puis recasés par les services Les “chabolas” ont été remplacées par
Pour mieux comprendre le phénomène sociaux, dans un cinq-pièces, extérieur des ensembles d’immeubles modernes et
Michel, il faut retourner aux racines fami- brique rouge. L’entraide, c’est le ciment de impersonnels, et des artères goudron-
liales. À la fin de la guerre civile espagnole Vallecas. L’école de la débrouille aussi. nées. C’est pourtant dans ces anciennes
(1936-1939), portés par la vague d’immi- “Pour certains entraînements, on se chan- ruelles de terre battue que Michel grandit.
gration paysanne du sud, ses grands-pa- geait dans le vestiaire du stade des pros, Avec son frère, Javi, et leurs amis, il y tape
rents maternels débarquent de Murcie à puis on faisait un footing de dix minutes ses premiers ballons. “Du lever du jour
Vallecas, quartier populaire du sud-est de dans les rues en crampons, pour trouver jusqu’à ce qu’il fasse nuit, on arrêtait seule-
Madrid. Le grand-père cultive des pota- un terrain”, relate José Luis Martin, son ment de jouer pour laisser passer les voi-
gers qui nourriront longtemps les plus premier coach en jeunes au Rayo. tures”, rembobine son acolyte Alvaro
“Pour l’éclairage, je juchais sur mes épau- Zapata. “Je n’ai pas souvenir de l’avoir vu

36
les le plus grand pour qu’il coince l’inter- sans son ballon, fouille sa sœur, Gema
rupteur avec un bout de bois”, sourit Sanchez, de cinq ans son aînée. Et je ne
le directeur du centre d’entraînement du vous dis pas le nombre de fois où on a dû
Rayo Vallecano. l’emmener à l’hôpital à cause de ça !” p
À L’AFFICHE
michel

Vallecas, sud-est de
Madrid. Dans ce quartier
populaire, le quartier rouge
de la capitale espagnole,
Michel (à gauche) s’est
éveillé au football et a pris
pour première maison le
Rayo Vallecano. Ici, il a
appris durant son enfance
la solidarité, le don et le
dépassement de soi.
Des valeurs qui prévalent
dans le management de
ses joueurs. Et le coach
de Gérone aime revenir
à Vallecas, notamment
pour des déjeuners en
famille ou avec ses amis
à sa table favorite
au Cruz Blanca.
À L’AFFICHE
Portrait
Gema (à gauche), la sœur aînée de Michel, vit
toujours à Vallecas, tout près de l’école Raimundo
Lulio. Celle-là même où, dans la cour,
celui que l’on appelait alors Miguel faisait étalage
de tous ses talents balle au pied (ci-dessous).
Tel un conservateur de musée, Gema garde
les photos de classe de son jeune frère mais
aussi ses licences de joueur au Rayo Vallecano,
ce club qui fait la fierté de tout un quartier.

p À quelques ruelles de chez lui, “Las d’un surnom à vie : Michel. En référence au foot ! Au dernier nouvel an, il a passé sa
Cuevas” (les grottes), le mythique et ravalé milieu offensif du Real Madrid et de la soirée à visionner des matches sur sa
terrain vague du quartier, meurtri par les Quinta del Buitre (composée aussi d’Emilio tablette.” Tout va ensuite aller très vite pour
ornières et les faux rebonds, est leur plus Butragueno, Miguel Pardeza, Manolo San- le prodige du “barrio” : constamment sur-
beau théâtre des rêves. C’est là, en grande chis et Rafael Martin Vazquez), idoles de classé de deux ans, premier contrat pro et
partie, qu’il développe une habileté rare toute une génération espagnole fin des premiers entraînements avec l’équipe
balle au pied. Une technique de joueur de années 1980. Au détour d’un match de rue, première à 17 ans, appelé dans toutes les
rue, peaufinée par sa pratique dans Fanti Callejo, l’un de ses voisins et joueur sélections de jeunes. Avec comme apo-
l’immense patio aux allures de cour de de l’équipe première du Rayo, tombe sous gée une demie de Mondial des moins de
prison de son école Raimundo Lulio, à cinq le charme de ce “gamin qui dribble tout le 20 ans au Qatar (1995), aux côtés des Raul,
minutes de son domicile. “Un gamin cal- quartier”. Il lui propose un essai chez les Ivan de la Peña ou Michel Salgado.
me, timide, pas du tout leader, mais, quand Franjirrojos. Le fan de Diego Maradona a
il prenait le ballon, il était au-dessus de 13 ans. Il séduit tout le monde sur-le- Attachement viscéral à Vallecas
tout le monde, décrit Raul Lopez, son ami champ. “Un gaucher aussi doué du pied Une période faste où la tête de l’adoles-
depuis leurs 6 ans. C’était le premier choisi droit, intelligent, avec la technique et la cent “bien éduqué” est proche d’enfler.
dans les équipes.” Élève moyen qui ne fait malice du joueur de rue”, se souvient Mar- “Des joueurs du Rayo passés par les
pas de vagues, il est métamorphosé par sa tin, son premier coach en jeunes au Rayo. sélections nationales, on les compte sur
passion du sport. “Il était doué en tout : à la Dans un quartier où tout est estampillé une main, rappelle Martin. Pour éviter qu’il
course, au ping-pong, au basket… même “Rayo” – l’auto-école, le salon de coiffure ne se perde, on a dû le recadrer avec ses
aux billes ! se souvient Lopez. Il avait une et même le kebab –, la fièvre “rayista” va parents.” Le paternel a élevé ses gosses à
agilité et une coordination supérieures. piquer Michel dès sa première licence. la dure. Intransigeant sur leur comporte-
Surtout, il comprenait tout de suite les “C’est devenu sa seconde famille et sa ment et leur réussite. “Il nous disait : « Tu
stratégies à mettre en place pour gagner.” première maison même, soutient sa sœur peux faire ce que tu veux, mais si tu le fais,
Gema, qui en nourrit une légère amertu- tu dois être le meilleur »”, rapporte sa fille.
L’école de la rue, un tremplin me. Depuis ce jour, il ne parle plus que de Durant sa jeunesse, Michel est aussi
À partir de 10 ans, Miguel, comme l’appel- élevé par Maria, sa grand-mère maternel-
lent encore ses proches, sort aussi du lot Doué en tout : le. Quand la majorité des familles retour-
avec El Moyano, le club de futsal le plus
réputé de Vallecas. Grâce à son élégance
course, ping-pong, nent au “pueblo” (village familial) durant
l’été, lui, reste à Vallecas. Son point
et sa faculté à casser des reins, il y hérite basket et billes ! d’ancrage et unique horizon. “Il a le quar-

38
À L’AFFICHE
Michel

tier dans le sang, assure son ami Zapata. “Du Rayo jusqu’à la tombe. Michel, on
La solidarité qu’on y a trouvée nous procu-
re un sentiment d’appartenance difficile-
sera toujours avec toi” Un chant des supporters
ment explicable.” Cet attachement viscé-
ral le poussera, ado, à repousser les tion, entraîneur des équipes de jeunes et es celui qui nous a sauvés en D2. Du Rayo
sirènes du Real et du Barça. Trop grand, fait partie du staff de Paco Jemez (2012- jusqu’à la tombe. Michel, on sera toujours
pas assez familial. Et à quoi bon vouloir 2016), coach de l’équipe première. avec toi”, entonnent les fans. “On préfére-
fricoter avec les lumières quand ce qui rait être en D2 avec Michel qu’en Europe
brille le plus à vos yeux se trouve au bas de Limogé du Rayo, sa plus grande douleur avec n’importe quel autre coach”, assure
la porte. Le grand saut comme entraîneur principal Ramon, le Bukanero.
En vingt ans de carrière, le milieu en arrive très vite. En février 2017, le Rayo est à Ses valeurs, héritées de son quartier,
disputera quinze avec son Rayo. Capitaine, un point de la descente en Segunda B. son club, infusent en Catalogne jusque
meilleur buteur (67), troisième joueur le Fraîchement nommé, Michel le sauve. Un dans son style de management, axé sur le
plus capé (425 matches), il y connaîtra an plus tard, il est sacré champion de D2. travail, l’humain, le collectif, l’exigence et le
tout. Descentes et montées incessantes L’unique titre du club. Le plus grand bon- dépassement de soi. La modestie et la
de la Liga à la Segunda B (D3), jusqu’à heur de sa carrière. “Fêter la montée en sincérité de ce coach “excessivement
goûter à la C3 (2000) et devenir le premier Liga devant 10 000 personnes de son normal”, “sans cravate”, ont conquis la
buteur européen du club. Le 28 novembre quartier et à deux pas de sa maison natale, majorité des Espagnols qui, eux aussi, se
1993, pour son baptême du feu, quand “El c’était indescriptible pour lui”, se rappelle reconnaissent en lui. “Comme tout bon
Niño” entre en jeu contre le Barça, le stade Lopez, l’ami d’enfance. Sa plus douloureu- Vallecano, il regarde vers le haut mais sait
de Vallecas retient son souffle. “C’est se blessure va surgir rapidement. Dans les toujours que le sol n’est jamais très loin”,
l’enfant et la fierté du quartier, assure profondeurs de la Liga la saison suivante, il philosophe Martin. Vallecas non plus. À la
Ramon, membre des Bukaneros. Il fait est limogé en mars 2019. “Ça l’a dévasté. moindre opportunité, Michel y revient.
partie des nôtres. Tout le monde l’adore et Le Rayo, c’était toute sa vie”, assure sa Pour déjeuner avec sa famille à sa table
s’identifie à lui. Un exemple et un modèle sœur. “C’est comme les histoires d’amour. favorite de la Cruz Blanca, proche de son
pour beaucoup.” À la fin de sa carrière de Plus c’est fort, plus tu souffres quand ça se ancienne école. Pour échanger aussi avec
joueur (2012), “Michel Ier de Vallecas” finit”, corrobore Martin, l’entraîneur de sa les élèves dès qu’on le sollicite ou pour une
embrasse celle d’entraîneur. Forcément au jeunesse. Mais chacun de ses retours est partie de padel avec ses amis. Histoire de
Rayo. Il cumule les casquettes de directeur chaudement fêté dans son stade de Valle- garder les pieds sur terre, alors qu’il donne
de la méthodologie du centre de forma- cas. “Même si tu es l’entraîneur adverse, tu à Gérone le vertige des sommets. h A. S.

39
À L’AFFICHE
Au tableau!

FICHE DE MATCH
AU COUP D’ENVOI
allEmaGNE (4-2-3-1) ENtr. : JoaCHim lÖW

NEuEr

J. BoatENG HummEls BadstuBEr laHm (C)


e
" 71
KHEdira sCHWEiNstEiGEr

Kroos ÖZil podolsKi


" 46e
GomEZ
" 46e

BalotElli CassaNo
" 70e " 58e

moNtolivo
" 70e
dE rossi marCHisio
pirlo
CHiElliNi BoNuCCi BarZaGli BalZarEtti

BuFFoN (C)

italiE (4-4-2) ENtr. : CEsarE praNdElli

ALLEMAGNE-ITALIE: 1-2
DEMI-FINALES DE L’EURO 2012
Cesare Prandelli
“CETTE ALLEMAGNE A
GAGNÉ LE MONDIAL”
40
À L’AFFICHE
Allemagne-Italie 2012

Avec l’Italie, Cesare Prandelli (66 ans) avait misé sur un milieu de terrain très technique
et un style aux antipodes des clichés sur le football transalpin pour terrasser l’Allemagne
en demi-finales de l’Euro 2012. La même Nationalmannschaft qui, deux ans plus tard au
Brésil, allait conquérir sa quatrième étoile. Par Valentin Pauluzzi, à Orzinuovi (Italie). Photos Amélie Canon/L’Équipe

L’APPROCHE DU MATCH
“ON ÉTAIT LEUR BÊTE NOIRE” sENs
du JEu

“C’était la conclusion d’un cycle de deux ans où on avait misé


sur le jeu, en écartant l’idée selon laquelle seules les individualités
BoNuCCi
permettent de franchir les difficultés. Avec Andrea Pirlo, Daniele
dE rossi CHiElliNi
De Rossi, Thiago Motta, Riccardo Montolivo et Claudio Marchisio,
j’avais cinq potentiels titulaires au milieu qui combinaient vision du
jeu et qualités techniques. Je n’ai même pas convoqué un pur pirlo

milieu défensif. L’Allemagne restait sur quinze victoires, tout le


monde la donnait grande favorite, tout le monde ! Il n’y avait pas
besoin de motiver mes joueurs plus que cela. Et on était leur bête
noire dans les grandes compétitions, avec notamment des victoi-
res lors des Coupes du monde 1970, 1982 et 2006. Ce genre de
statistiques, aucune équipe ne la subit avant une rencontre, même
si toute la presse en parle. Au contraire, il y a une volonté d’inverser
enfin la tendance. Toutefois, durant le match, ça peut resurgir
selon le scénario, tels de vieux fantômes. Ça, c’est indéniable.”

Jeu court, circulation


de balle rapide, densité
LE PLAN DE JEU au milieu, les Italiens ont
“AU MILIEU, PLUS D’INVENTIVITÉ” baladé les Allemands
et déréglé leur pressing
“En termes de préparation tactique, le football est assez sim- pour sortir les ballons
proprement, avant
ple, c’est durant le match que ça se complique. À la vidéo, on avait d’utiliser un jeu plus
remarqué que l’Allemagne exerçait une pression moyenne-haute direct. Très proches
les uns des autres, selon
très efficace avec son bloc central, elle forçait ainsi ses adversai- la consigne de Prandelli,
les Transalpins créaient
28 juin 2012, à Varsovie, res à jouer sur les côtés et à se mettre en difficulté. En discutant d’abord une toile
le onze de l’Italie. Accroupis, avec mes joueurs, on s’est dit : « Jouons dans l’axe ! » On a donc d’araignée, façon tiki-
de gauche à droite : Claudio Marchisio, taka. Gomez devait
Antonio Cassano, Riccardo Montolivo, bossé sur cet aspect lors des deux séances d’entraînement, avec redescendre gêner
Andrea Pirlo et Daniele De Rossi. Pirlo, mais ce dernier
Debout, de gauche à droite :
De Rossi et Pirlo devant la défense et Montolivo et Marchisio un
s’appuyait sur De Rossi
Giorgio Chiellini, Mario Balotelli, cran au-dessus. On a poussé notre identité de jeu à son paroxys- (surtout), Bonucci,
Andrea Barzagli, Leonardo Bonucci, voire Chiellini en passes
Federico Balzaretti et Gianluigi Buffon. me. Dans cette zone, les Allemands étaient physiquement plus courtes. Quant à Özil,
forts mais on avait une meilleure circulation de balle et plus il ne savait pas s’il
devait rester sur Pirlo
d’inventivité. On n’a pas négligé la phase défensive. J’avais eu ou aller sur Chiellini.
Montolivo cinq ans à la Fiorentina (de 2005 à 2010), il connaissait
mes habitudes. C’est lui qui effectuait la première pression, qui
dictait le tempo du pressing.
Derrière, c’était un peu une défense à trois et demi, j’avais la

A
BBC de la Juve (Bonucci, Barzagli, Chiellini) mais dans une défense
à quatre. Giorgio Chiellini était latéral gauche, mais il devait surtout
m’apporter la supériorité numérique au milieu. Devant, Antonio

41
Cassano devait traîner entre les lignes du 4-2-3-1 adverse. Il savait
Pierre Lablatinière/L’Équipe

où aller, comment jouer, avec le bon timing, toujours très lucide.


Aujourd’hui, le coach adverse réglerait ça en instaurant un mar-
quage individuel. C’était un peu une Italie sans avant-centre car
Mario Balotelli avait tendance à venir vers le ballon et attirer p
À L’AFFICHE
Au tableau!

p des défenseurs avec lui, ce qui pouvait être problématique. Il


avait la liberté de dézoner, verticalement, pas horizontalement.
Mario débordait d’énergie, il avait envie de démontrer sa force à un
groupe dont la cohésion a été, avec le recul, un peu sous-estimée.”

LA PREMIÈRE PÉRIODE
“ÖZIL DISAIT À SON COACH:
«ON N’EN TOUCHE PAS UNE»”
“Joachim Löw a tenté un coup tactique en alignant Toni Kroos
sur le côté droit, mais ça ne m’a pas fait peur de voir un joueur avec
ses caractéristiques à ce poste, car il n’est pas bon en un-contre-
un. Si ça avait été Mesut Özil, là oui, il aurait fallu trouver une parade
en doublant, par exemple, le marquage, mais Kroos… Reste que le
premier quart d’heure, on a été à la merci des Allemands. J’ai
appelé Pirlo et lui ai dit : « Andrea, essayons d’appliquer ce qu’on a
étudié, je suis convaincu que ça peut fonctionner. » On a commen-
cé à aligner les passes courtes au milieu, De Rossi et Pirlo étaient
très proches et jouaient souvent l’un avec l’autre. Özil pressait
Chiellini, Pirlo se libérait, Mario Gomez descendait sur lui, on
repassait par Bonucci, puis de nouveau pour Pirlo. On fonctionnait
avec ces rotations, on faisait semblant d’aller sur les côtés et on
jouait dans l’axe. Ils ont commencé à ne plus rien comprendre. Özil
se tournait souvent vers son coach pour dire : « On n’en touche pas
une. » Si Pirlo était pris, il montait de 30 mètres, et un autre milieu
sENs
du JEu
se plaçait devant la défense. Ils étaient interchangeables. Cesare Prandelli replace
En outre, Marchisio s’excentrait et empêchait Philipp Lahm de Antonio Cassano. Le rôle de ce dernier
était simple : traîner entre les lignes
monter. On avait toujours la supériorité numérique au milieu. L’Alle- du 4-2-3-1 allemand et désorganiser
son bel ordonnancement.
magne était en grande difficulté psychologiquement. Quand je
voyais Cassano provoquer en un-contre-un, je regardais tout de
suite dans la surface pour voir combien de gars on avait. Antonio a
CHiElliNi
inventé le premier but, personne ne peut lui enseigner ce qu’il fait
dE rossi
sur ce coup-là. Il y a la capacité d’enchaînement rapide sur le drib-
pirlo ble et la sensibilité sur le centre. Les Allemands ont mal défendu
marCHisio mais c’est parce que Cassano ne donnait pas de point de repère,
moNtolivo ce n’était pas un 9 et demi classique. Ils avaient peur de l’affronter,
Mats Hummels sort sur lui mais se fait avoir sur une feinte. Bon, le
marquage de (Holger) Badstuber sur Balotelli n’est pas terrible. Sur
le second but, on a tous crié depuis le banc : « Mario est libre ! Mario
est libre ! » Montolivo a entendu, a levé la tête et a réalisé cette
ouverture parfaite de 40 mètres. Ensuite, même chose : personne Super Mario peut bomber le torse.
ne peut apprendre à Mario comment faire (frappe puissante depuis À la 36e minute, l’attaquant vient
de doubler la mise pour la Nazionale.
S’il était marqué à la l’entrée de la surface sous la barre). Aujourd’hui, une telle action
culotte, Pirlo n’hésitait
pas à porter le ballon offensive, ce serait presque interdit, il faudrait ressortir balle au
sur plusieurs dizaines pied, et ça prendrait dix secondes de plus.”
de mètres pour attirer
Özil et échanger sa
position avec Montolivo,
donnant naissance à un
milieu “rotatif” où les LA MI-TEMPS
quatre éléments étaient
capables d’occuper “ON NE DEVAIT PAS CHERCHER
toutes les positions. En
outre, Chiellini montait
À DÉFENDRE CET AVANTAGE”
d’un cran pour apporter “Déjà, on s’est dit qu’on méritait cet avantage de deux buts et
de la densité et qu’on ne devait pas chercher à le défendre. Les Allemands
Marchisio bloquait
Lahm afin de conserver devaient prendre des risques, on le savait, donc un troisième but
la supériorité
numérique dans était possible. J’ai vérifié les données statistiques. Physiquement,
le cœur du jeu. on tenait le coup. J’ai demandé aux joueurs de partir rapidement

42
À L’AFFICHE
Allemagne-Italie 2012

vers l’avant dès qu’on récupérait le ballon. Löw a effectué deux


changements dès la mi-temps, mais pas pour passer à deux atta-
quants. Il cherchait toujours à passer par les côtés. Marco Reus
était plus dangereux que Lukas Podolski en un-contre-un. Miro-
slav Klose, on ne le présente pas.”

LA SECONDE PÉRIODE
“BUFFON ÉTAIT FURAX!”
“Au fil des minutes, j’ai effectué trois changements poste pour
poste. Balotelli a demandé à sortir, il avait dépensé plus d’énergie
que prévu, et Di Natale le remplace. Avec Cassano, un joueur qui
Mesut Özil pris en tenaille misait beaucoup sur son explosivité et se cramait plus vite, il y avait
par Giorgio Chiellini (à gauche) un accord tacite. L’idée était qu’il se donne à 100 %, qu’il soit pro-
Pierre Lablatinière/L’Équipe - Marcus Brandt/ dpa picture alliance/Icon Sport

et Daniele De Rossi, c’est


l’Allemagne qui perd une grande actif et nous fasse profiter d’une de ses inspirations, avant de sor-
partie de son pouvoir créatif.
tir. Diamanti l’a remplacé, il savait lui aussi trouver une position
hybride entre milieu offensif et 9 et demi. Parmi les joueurs que j’ai
entraînés, Thiago Motta est celui qui réfléchissait le plus rapide-
ment. Je m’énerve encore aujourd’hui quand il est taxé de joueur le
plus lent de l’histoire récente de la Nazionale. Sur ce match, il a su
anticiper plein de situations. Et quel charisme !
À la 71e, Löw a sorti Boateng pour Müller, il n’y avait plus vrai-
ment de logique vu le scénario. L’idée de renforcer l’équipe défen-
sivement m’a traversé l’esprit mais quel message aurais-je envoyé
à mes joueurs en sortant un milieu avec des qualités techniques
pour faire entrer un défenseur ? On a pris un peu de précaution, on
a reculé, mais ils ont juste enchaîné les centres, une situation qui
nous avantageait, au regard de nos défenseurs bien bâtis pour p

43
À L’AFFICHE
Au tableau!

Cassano était l’élément p le jeu aérien. On a vendangé trois buts sur des occasions Cesare Prandelli le concède :
à trouver en priorité lors “S’il y avait eu une égalisation,
des sorties de balle. Il
incroyables, deux par Marchisio et un par Di Natale. Buffon était l’Italie aurait probablement
jouait entre les lignes et furax ! Quand, ensuite, j’ai analysé le match avec notre caméra perdu en prolongation.”
offrait peu de points de
repère aux adversaires. grand angle, sur le dernier loupé, on le voit monter jusqu’au rond
Balotelli, lui, dézonait. central pour pourrir ses coéquipiers. Sur la réduction du score (90e

Didier Fèvre/L’Équipe
Les déplacements des
deux éléments offensifs + 2), aujourd’hui, on ne sifflerait pas penalty. Le ballon touche
de la Nazionale d’abord le ventre puis la main de Barzagli. Bien sûr que j’ai eu peur
obligeaient les milieux
axiaux allemands à quand l’Allemagne a marqué, mais il faut faire comme si de rien
reculer de quelques
mètres, créant un n’était. Pourtant, vous vous demandez ce qu’il va se passer. Il suffit
espace béant dans d’un tir dévié… S’il y avait eu une égalisation, on aurait probable-
l'entrejeu.
ment perdu en prolongation. Mais défensivement, on était ordon-
sENs nés, même quand on subissait. Il n’y a pas eu de bévue, de faute
du JEu
stupide devant la surface de réparation ou de situation où le latéral Gianluigi Buffon devance
Mario Gomez sous les yeux
va où il ne doit pas aller. La lucidité a toujours été présente.” d’Andrea Pirlo et Giorgio Chiellini,
toute la lucidité de l’arrière-garde
transalpine.

L’IMAGE QUI RESTE


“AU BOUT DE NOS FORCES”
”On s’est salué poliment avec Joachim Löw, on avait une bonne
relation et cela avait été un match très correct. Les festivités pour
moNtolivo une qualification en finale sont particulières car il faut immédiate-
ment penser à établir un mini-programme, le médecin doit rapide-
ment fournir un rapport sur la condition physique des joueurs et on
était arrivés au bout de nos forces (l’Italie s’inclinera 4-0 en finale
CassaNo BalotElli contre l’Espagne). On aurait voulu rentrer à notre camp de base (à
Cracovie, le match se jouant à Varsovie) en début de nuit mais on
est arrivés au petit matin. On a attendu trois heures, deux de nos
joueurs étaient retenus par le contrôle antidopage. À l’arrivée, il y

44
À L’aFFICHE
allemagne-italie 2012
fiche de match
au coup de LES STATS
sifflet final ALLEMAGNE ITALIE
allEmaGNE (3-3-3-1) ENtr. : JoaCHim lÖW avait des centaines de Polonais qui nous attendaient, on aurait dit 56 % POSSESSION 44 %
une fête nationale ! Le jour suivant, j’avais programmé la séance 20 TIRS 11
NEuEr
d’entraînement en soirée et seulement pour les remplaçants. Mais 8 TIRS CADRÉS 4
eux aussi étaient fatigués car ils avaient vécu le match nerveuse- 14 CORNERS 0
HummEls sCHWEiNstEiGEr BadstuBEr
ment. C’est peut-être la rencontre la plus représentative de ma 1 CARTONS JAUNES 4
Kroos KHEdira laHm (C)
carrière, par rapport à la manière et à l’adversaire aussi. Cette 13 FAUTES COMMISES 19
ÖZil
mÜllEr rEus équipe d’Allemagne, avec les mêmes joueurs, le même coach et la LES BUTS
! 71e ! 46e
KlosE même identité de jeu, a remporté la Coupe du monde haut la main 0-1 Balotelli (20e, passe de Cassano)
! 46e 0-2 Balotelli (36e, passe de Montolivo)
deux ans plus tard (en 2014, au Brésil, face à l’Argentine, 1-0 a.p. ; 1-2 Özil (90e + 2 s. p.)
di NatalE diamaNti l’Italie, elle, avec une victoire – contre l’Angleterre – et deux défai-
! 70e ! 58e
tHiaGo motta
! 64e tes – face au Costa Rica et l’Uruguay – ne franchira pas la phase de
dE rossi marCHisio groupes). On a vraiment réalisé quelque chose d’incroyable. Je
pirlo
n’étais pas certain de continuer avec la Nazionale, car je voulais à
CHiElliNi BoNuCCi BarZaGli BalZarEtti nouveau entraîner un club. C’est Giorgio Napolitano, le président
de la République de l’époque (décédé en 2023), qui m’a convaincu
BuFFoN (C) de prolonger en m’appelant après la victoire.” h V. P.

italiE (4-4-2) ENtr. : CEsarE praNdElli

La joie des Italiens.


La Nazionale vient
de se qualifier pour
sa troisième finale
européenne après
celles de 1968 et 2000.

le quiz de cesare: 5/8


“quels étaient vos joueurs suspendus ? quelle était l’affiche de l’autre demi-finale ?
Notre latéral droit, Christian Maggio. Et son rempla- Espagne-Portugal. (VRAI. 0-0, 4-2 aux t.a.b.) 4/5
çant, Ignazio Abate, était blessé. (VRAI.) 1/1
quelle était la nationalité de l’arbitre ?
quel est l’italien qui a touché le plus de bal- Aucune idée, car bien souvent, je débutais
lons ? les matches sans savoir qui nous arbitrait,
Je dirais Andrea Pirlo. (VRAI. 79.) 2/2 ça n’a jamais été une obsession. (FAUX.
Le Français Stéphane Lannoy.) 4/6
mario Balotelli a marqué un seul autre doublé
en sélection, toujours sous vos ordres. Contre avec quelle partie du corps le gardien manuel
quel adversaire ? Neuer a-t-il touché ses deux derniers ballons ?
Le Danemark. (FAUX. Contre l’équipe de Malte, De la tête, dont une plongeante au milieu de terrain.
le 26 mars 2013, 2-0, dans le cadre des qualifica- (VRAI.) 5/7
tions pour la Coupe du monde 2014.) 2/3
pour quelle raison vos joueurs portaient-ils un
Combien de corners votre équipe a-t-elle brassard noir ?
obtenus ? Le tremblement de terre en Émilie-Romagne. (FAUX.
Pas beaucoup, je me souviens très bien car En hommage à Manuel Braj, militaire de 30 ans mort
on avait préparé des combinaisons sur les à la suite de l’explosion d’une roquette dans le camp
corners mais on n’en obtenait pas ! Je dirais d’entraînement de la police afghane à Adraskan.)
aucun. (VRAI.) 3/4 5/8” h V. P.

45
À L’aFFICHE
Reportage

FC UNITED OF
MANCHESTER
ESPRIT,
ES-TU LAS?Fondé en 2005 par “Certains disaient qu’on ne passerait ans après la victoire du prestigieux voisin
pas l’hiver. Donc, à chaque fois qu’on
des supporters dissidents aligne une équipe c’est une victoire.” Chris
contre le club portugais en finale de la C1
1968 à Wembley (4-1 a.p.). Sur la gauche,
de Manchester United Boulderstone a commencé à soutenir Man une coupe rend hommage au tout premier
United à l’âge de 5 ans. En mai 2005, avec
opposés au rachat du club d’autres fans des Red Devils, elle participe
match disputé face au Leigh RMI, en juillet
2005 : “C’était fou, on venait du plus grand
par la famille Glazer, à créer le FC United of Manchester pour club anglais et on s’est retrouvés dans des

le FC United of Manchester s’opposer aux nouveaux propriétaires, les


Glazer. Celle que l’on surnomme “Chris B.”
petits villages du nord. Je ne connaissais
pas les équipes adverses ni nos joueurs”,
végète en Septième Division a donc vécu ces années où le FCUM se remémore Adrian Seddon, lui aussi

et a perdu des fans en cours empruntait le terrain de Bury, commune au


nord de Manchester, pour ses matches à
engagé depuis le début, avec un sourire
nostalgique. Cette rupture avec Old Traf-
de route. Mais l’essentiel domicile. ford n’a pas été facile : “La décision a été
Depuis, la structure dissidente a évo-
est ailleurs. lué. En 2015, au milieu des maisons de
déchirante”, témoigne même Chris B.

Par Mathis Rouanet, briques du quartier populaire de Moston, Une double identité assumée
à Manchester
dans le nord-est de la ville, le club a inau- Détenu par ses fans, démocratique (un
(Angleterre)
guré sa propre enceinte : Broadhurst Park. membre représente une voix) et critique
Photos
“C’est génial d’avoir un endroit que l’on du foot business, le FC United, parti en
Benjamin Cremel/
L’Équipe peut considérer comme notre chez-nous”, Dixième Division, démarre par trois mon-
s’enthousiasme Chantal Adams, qui n’avait tées. Puis, la situation se gâte en coulisses
que 7 ans à l’aube de l’aventure. Dans la en 2016 : “Le board a perdu le lien avec les
grisaille, l’écrin de 4 400 places est visible supporters lambda. Ils ne se sentaient plus
de loin grâce au nom du club affiché en écoutés”, raconte Matt Haley, soutien de la
lettres capitales rouges sur sa façade. première heure. Sous la pression populai-
L’entrée du complexe exalte la courte re, cet organe directeur démissionne alors

46
histoire du FC United. Sur les murs, des que le club doit aussi gérer les dettes du
maillots encadrés en soulignent les étapes stade. Sept comités sont mis en place
décisives. L’un d’eux renvoie au baptême pour plus de transparence : “Tous les
du stade contre Benfica, quarante-sept membres peuvent les intégrer. Ils p
Au Broadhurst Park,
le foot business, vivement
critiqué, n’a pas sa place :
“On crée des amitiés,
pas des millionnaires.”
À L’aFFICHE
Reportage

Le 13 février, les joueurs du FC United, dont les maillots Au FC United, les jeunes supporters
et les shorts n’affichent aucun sponsor, accueillaient les Français sont un enjeu pour l’avenir du projet.
du Vinsky FC lors du Trophée Fenix, sorte de C1 des amateurs. Le club veut les impliquer davantage.

p travaillent sur différents aspects, font venir des sacres européens de Manches- munauté. Dans le couloir qui mène à l’un
des recommandations. Plus de membres ter United. Une double identité assumée, des bars, un drapeau est accroché au mur.
sont impliqués dans le fonctionnement”, comme le note Matt Haley : “Ce lien ne Une conserve est dessinée, accompagnée
décrit l’homme nommé au sein du board disparaîtra pas, tant que nos membres des mots “FC United, Fans, Repas,
en novembre. voudront le garder.” La plupart des suppor- Familles”, qui font référence à l’aide fournie
Ces tensions n’ont pas refroidi Neil ters suivent même les deux Manchester : par le club lors de la crise du Covid.
Reynolds, coach de l’équipe masculine “Mais je ne vais pas à Old Trafford, tempè- Encore aujourd’hui, il collecte des den-
depuis 2018 : “On m’a dit de ne pas mettre re Adrian Seddon, je ne paye pas pour les rées et des vêtements dans son enceinte
les pieds ici. Mais c’était une chance Glazer. Il n’y a plus un joueur de Man Uni- qui est un lieu de vie. “Le foot n’est pas le
de pouvoir reconstruire ce qui avait été ted que j’ai vu jouer en vrai. Je n’ai plus le plus important”, justifie Desmond. Un
bien fait”, affirme-t-il, assis dans le vestiai- même rapport qu’il y a vingt ans.” constat d’autant plus vrai pour le Nord-
re paré de maillots rouges (sans sponsor) Irlandais, admirateur de George Best,
et de shorts noirs. Le foot et les résultats au second plan Ballon d’Or 1968. Récemment, l’homme
Ce mardi 13 février, le FC United accueille Le club séditieux a tracé sa voie, en éri- aux lunettes carrées a perdu sa femme.
les Français du Vinsky FC, dans le cadre du geant son stade ou en forgeant son expé- “Ce club a été un refuge”, confie-t-il en
Trophée Fenix, sorte de C1 des amateurs rience continentale. “Nous sommes un essuyant ses yeux humides. Occupée à
(voir encadré). Au bar, à l’étage, les béné- club à part entière. Nous pensons être les installer la sono, Chantal Adams loue
voles s’affairent sur un air de The Kinks. La descendants des Busby Babes (jeunes également le lien entre les générations :
longue pièce surplombe le terrain, éclairé formés à MU, champions d’Angleterre en “Je crois que l’on ne voit pas beaucoup ça
par les projecteurs. Chaque tribune est 1956 et 1957 sous la houlette de Matt Bus- dans la société.”
décorée par des bannières affublées de by, dont l’un d’entre eux, Bobby Charlton, Les anciens fans des Red Devils ont été
messages, comme “Nous sommes les fut Ballon d’Or en 1966. Huit de ces joueurs rejoints par des jeunes. C’est le cas de Gaz
propriétaires”, rappelant l’esprit du lieu. sont morts après le crash de leur avion à Drinkwater, spectateur occasionnel, placé
Sous le kop se cache un deuxième bar Munich le 6 février 1958)”, lance Desmond en haut du kop : “J’aime l’angle antifascis-
où d’autres bribes d’histoire du FCUM Gallagher. Les pensionnaires de Broad- te, le concept de foot punk, précise l’ani-
côtoient des écharpes qui ravivent le sou- hurst Park ont ancré leur lien avec la com- mateur radio. J’aime que le club appartien-

48
À L’aFFICHE
FC United

Lieu de vie et d’entraide, l’antre du FCUM sert


aussi à collecter des vivres et des vêtements
pour les plus démunis de la communauté.

PAS LE SEUL
EN ANGLETERRE
Le FC United n’est pas un cas
isolé en Angleterre. Dès 2002,
les supporters du Wimble-
don FC refusent le déménage-
ment de leur club à Milton
Keynes, à 80 kilomètres au
nord-ouest de Londres. Ils font
scission du MK Dons et créent
l’AFC Wimbledon avec pour
devise “We are fans, we are
owners” (Nous sommes fans,
nous sommes propriétaires).
Aujourd’hui, l’AFC Wimbledon
évolue en League Two (D4)
dans le même Championnat
que le MK Dons. Autre exemple,
en 2008, des fans des Reds
fondent l’AFC Liverpool, l’Affor-
dable Football Club (aujourd’hui
en D9), le club de foot aborda-
ble en français. Un nom qui dit
tout du combat mené contre le
foot business.

“J’aime l’angle peine perturbés par l’ouverture du score limité pour plusieurs années. Et ses adver-

antifasciste, le du Vinsky FC, reprennent en chœur des


hymnes fustigeant le foot moderne et les
saires disposent parfois d’importants
moyens financiers. S’il est ambitieux, le
concept de foot Glazer. Un drapeau tricolore à l’effigie club rebelle tient d’abord à ses valeurs.

punk” Un ancien fan de MU d’Éric Cantona, la légende de MU qui a


adoubé les frondeurs, est également bran-
Pour Glenn Williams, l’arbitrage est
délicat : “Nous ne pourrons pas monter
di. John, coiffé d’un béret, hurle des “Uni- trop haut sans que quelqu’un ou une entre-
ne aux supporters. J’ai l’impression qu’ils ted !” à s’en casser la voix. À la pause, au prise qui a de l’argent ne nous aide”, réflé-
s’investissent à fond.” bar, Joanne Burtonwood s’active. Loin chit cet homme longiligne alors que les
Cependant, le nombre de fans a dimi- d’être passionnée de ballon rond, cette joueurs et le public communient. Des-
nué par rapport à 2023 (2 327 contre 2 686) dernière a été conquise par l’ambiance : mond Gallagher, lui, a un avis plus tranché :
et a été divisé par deux en comparaison à “J’aime l’attention qu’on se donne mutuel- “Nous serions heureux de retourner en
2016. Les troubles de cette période ont lement”, insiste-t-elle en mastiquant un Division 6. Mais au-dessus, nous perdrions
joué un rôle. Le nombre d’abonnés dimi- chewing-gum. Le second acte reprend certaines libertés. Un dicton dit : « Il ne
nue aussi. David Ashurst, présent dans le avec la même ferveur. Le kop exulte quand s’agit pas de gagner ou de perdre mais de
board depuis 2022, ne s’en inquiète pas : les Mancuniens renversent le match, agi- chanter et de boire. » S’il y a un débat sur la
“Je crois qu’une seule équipe dans notre tant des écharpes à l’unisson. montée en National League (D5), je pense
Ligue a une meilleure affluence. Mais oui, il que je dirai non.”
y a une baisse, notamment à cause de Un budget limité pour plusieurs années En dehors des terrains, les défis du
l’augmentation du coût de la vie”, explique- Avec ce succès (4-1), le club est en tête de FC United of Manchester semblent encore
t-il en mimant une courbe ascendante la poule C et espère regagner le Trophée plus nombreux. Après dix-huit ans se pose
avant d’avancer une solution : “On veut Fenix, déjà glané en 2022. En Champion- la question du rajeunissement du projet.
étaler le paiement des abonnements.” nat en revanche, le FCUM végète en Sep- Chris B. souhaite par exemple implanter
Ce mardi soir, ils sont 400 à affronter le tième Division depuis la relégation de un comité pour les jeunes : “Nous leur
froid et la bruine (1 600 en moyenne le 2019. Avec le prêt pour le stade, le budget demanderons leurs idées car il s’agit de
week-end). Dès le coup d’envoi, les fans, à alloué à l’équipe masculine et féminine est leur avenir. Nous devons les compren- p

49
À L’aFFICHE
Reportage

Dans le vestiaire
du Broadhurst Park,
le contraste est saisissant
avec le voisin mancunien.

Pour les plus anciens,


la rupture avec Man United
et Old Trafford n’a pas
été simple.

En tribunes, les bannières


ne suffisent pas à masquer
l’assistance parfois
clairsemée.

Le King Éric Cantona,


légende des Red Devils,
fait l’unanimité auprès
des fans du FCUM.

Serveuse au bar du stade,


Joanne Burtonwood a été
conquise par l’ambiance
qui règne au sein du club.

50
À L’aFFICHE
FC United
Grâce à son succès 4-1 face
au Vinsky FC, le club est
en tête de la poule C
et espère décrocher
à nouveau le Trophée Fenix,
déjà remporté en 2022.

LA LIGUE
DES CHAMPIONS
AMATEURS,
C’EST QUOI?
Le Trophée Fenix a été créé en 2021-
2022 à l’initiative du Brera FC, la “troi-
sième équipe” de Milan. Cette compé-
tition, reconnue par l’UEFA, revendique
certaines valeurs, contenues dans
devons en avoir plus en tribunes.” Des l’acronyme FENIX : Friendly (amitié),
mesures sont imaginées pour attirer les European, Non-professional, Innovati-
habitants locaux, comme le détaille Matt ve (innovant) et Xenial (terme issu du
Haley : “En mars nous leur distribuerons grec Xenos signifiant hospitalité).
1 000 billets. Nous voulons qu’ils viennent Après avoir réuni huit clubs la première
plus nombreux et qu’avec le temps, cela se année, puis neuf lors de la deuxième
fasse naturellement.” édition, douze formations européennes
Tourné vers l’avenir, le FC United n’en (quatre groupes de trois) sont présen-
oublie pas pour autant la viabilité écono- tes cette saison. On retrouve le FC Uni-
mique. “Sans ça, on s’effondre. Nous vou- ted of Manchester, donc, le Vinsky FC
lons être là dans trente ans, pour la com- (France), Enfield Town, Lewes (Angle-
munauté”, martèle David Ashurst. “L’une terre), Llantwit Major (pays de Galles),
des équipes de notre Championnat a déjà Krakow Dragoons (Pologne), le FC Oslo
fait faillite deux fois depuis 2005”, avertit (Norvège), Gilla FC (Finlande), le BK
de son côté Adrian Seddon. Le récent Skjold (Danemark), le Venus Bucuresti
rachat par Ineos de 25 % de Manchester (Roumanie), le KSK Beveren (Belgique)
United peut-il encore plus affaiblir la légiti- et Prague Raptors (République tchè-
“Nous voulons être mité du FCUM ? Pas selon Matt Haley, que). Les formations qui termineront
en tête de chaque poule disputeront un
là dans trente ans” malgré la perte d’influence des Glazer :
“Nous sommes établis, nous comptons Final Four du 10 au 12 mai en Italie, à
David Ashurst, au board 2 000 membres qui croient passionné- Desenzano Del Garda (le dernier a eu
depuis 2022 ment au projet. C’est la meilleure chose qui lieu à San Siro).
soit arrivée à beaucoup de gens, dont moi. Les participants sont sélectionnés en
p dre et en tenir compte.” Le lancement Nous offrons une solution abordable. Je raison de leur singularité dans leur
de l’Académie masculine va aussi en ce doute fort que MU soit en mesure d’offrir fonctionnement ou leur identité. Ainsi,
sens. Chez les jeunes, une section fémini- un jour un football abordable aux fans les le Vinsky FC a été fondé par un Youtu-
ne pourrait aussi ouvrir dès septembre plus assidus.” beur (Vinsky, alias Vincent Maduro).
2024 : “C’est important pour nous, com- Plus largement, United of Manchester Au nom de l’hospitalité et de l’amitié,
mente David Ashurst. L’un des drapeaux dénonce les travers du foot moderne (prix inhérentes au Trophée Fenix, l’équipe
en tribunes dit : « La place d’une femme est des billets, horaires des matches, etc.). Un qui reçoit se charge de l’accueil (hôtel,
au match. » Il faut également s’assurer que départ total des propriétaires honnis ne transports sur place) de son adversai-
nous offrons un endroit sûr où elles peu- semblerait donc pas avoir de conséquen- re, qui s’occupe seulement des billets
vent voir du foot.” ces : “La famille Glazer n’est qu’un des d’avion. Divers modes de financement
aspects du problème. Même s’ils ven- existent. Le Vinsky FC peut compter
Engagé sur la diversité daient le club, cela ne changerait rien”, sur ses sponsors (Unibet, Adidas),
Le FCUM s’engage sur les questions de confirme fermement celui qui gère aussi tandis que le FC United, détenu par ses
diversité. Membre du board depuis août, les réseaux sociaux du FCUM. Après une fans, se repose sur leur mobilisation.
Bhavna Mistry se sent intégrée : “Je suis ultime communion entre joueurs et fans Véritable Coupe d’Europe du foot ama-
peut-être la première femme asiatique au autour d’un verre, Broadhurst Park se vide. teur, cette compétition est une aventu-
sein du board. Je suis un bon exemple de Dehors, la bruine ne s’est pas arrêtée. re sportive mais aussi humaine qui
ce qui est fait en termes d’inclusion.” Éclairé par des néons blancs et rouges, le marque les esprits. “Une bande de
Cependant, elle veut observer cette diver- nom du club, apposé sur la façade du sta- potes qui se déplace pour un match à
sité partout dans le stade : “C’est un défi de, brille dans la nuit de Manchester. Loin l’étranger, c’est incroyable”, assure
pour la plupart des clubs mais peut-être des succès du rival City, United, scindé en Vincent Maduro. h M. R.
encore plus pour nous, à Moston, où il y a deux, a appris à composer désormais avec
une grande communauté noire. Nous ses fidèles désunis. h M. R.

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TEmPs aDDITIOnnEL
Ville de foot

Si le niveau des clubs a baissé, la passion pour le foot,


qui se conjugue sur tous les terrains, n’est pas une légende
à Rio de Janeiro. Ici, le ballon est partout.

rio Par
Éric Frosio, à Rio de Janeiro (Brésil)
Photos
Vassia Tolstoi/L’Équipe

répond
toujours
AtLAs À rio de janeiro, les mois de décembre et commenter les résultats de la veille, se chambrer…
rio de Janeiro, Brésil. janvier sont synonymes d’été et de vacan- Sans foot, on se fait chier !”
population 6 211 223 habitants. ces. Ils déboussolent des milliers de Brési- À l’échelle d’un supporter brésilien, ces quaran-
température liens fans de futebol. À l’instar de ces deux te-quatre jours ressemblent à une éternité. Entre
moyenne l’hiver 22 °C. trentenaires, Bruno et Caca, les fêtes de fin la finale du Mondial des clubs, Fluminense-Man-
température d’année les privent de leurs repères et de leur chester City (0-4), le 22 décembre, et le premier
moyenne l’été 30 °C. passion commune. “Franchement, c’est la choc du Championnat Carioca, Vasco da Gama-
Ensoleillement 8 h 25 par jour. période que je déteste le plus, résume le pre- Flamengo (0-0), le 4 février, il ne s’est écoulé que
précipitations 93 jours par an. mier, maillot vintage floqué Zico et une bière six semaines. Suffisant cependant pour frustrer
Chopp bien fraîche dans la main. On parle de des millions de passionnés. Alors, quand la per-
transferts ou des matches en Angleterre, mais spective du Classico dos milhoes (Classique des
bon, il manque un truc.” “C’est surtout que millions) entre Vasco et Flamengo se présente, Rio
l’atmosphère de la ville n’est plus pareille, reprend des couleurs. Malgré le ciel gris et mena-
reprend son acolyte, visage chiffonné et l’air çant de ce dimanche après-midi, plus de 56 000
ailleurs. Ça manque de sel, on ne peut pas torcedores (supporters) convergent vers le Mara-

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TEmPs aDDITIOnnEL
rio de janeiro

RIO DE
JANEIRO
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cana, construit pour accueillir le Mondial 1950 et tée, et tout le monde se disperse. Certains en pratique
plusieurs fois renové depuis. Aux abords de ce galopant, d’autres en marchant, comme si de rien décalage horaire
temple du foot, les fans des deux camps se croi- n’était. “Ça ? C’est normal, c’est pas méchant”, - 5 heures en été,
sent et se chambrent, sans agressivité. Et, même s’amuse un Flamenguista pour rassurer sa cousi- - 4 heures en hiver.
si ce derby est considéré comme le plus redouté ne de 20 ans, qui tousse et pleure. distance paris-rio 9 497 km.
par les autorités, la présence policière semble Pour “dribbler” le nuage toxique, on se dirige vol paris-rio 11 heures de vol.
dissuasive. Tout comme la taille des matraques vers l’entrée des tribunes réservées aux Vascai- prix du billet d’avion
qui pendent aux ceintures de ces malabars en nos. Des vendeurs ambulants se frayent un che- Environ 1 000 euros.
uniforme. Cela n’empêche pourtant pas un début min au milieu de ces supporters qui multiplient les une nuit d’hôtel
de confusion vers l’esplanade où s’affiche le vrai selfies afin d’alimenter leurs réseaux sociaux. À Environ 1 00 euros.
nom du stade : Estadio Mario-Filho. plus d’une heure du coup d’envoi, ils sont des cen- trajet aéroport-Cocapabana
taines à partager une bière ou une brochette de 25 euros.
Le retour de la passion poulet. Malgré la pluie qui s’invite, Gerson, 27 ans, ticket de transport
Face à un embryon de bagarre, quelques grena- a la moustache qui frétille. Il a fait quatre heures de en commun 1,50 euros.
des lacrymogènes sont lancées par la police mon- bus depuis Angra dos Reis, il s’est embrouillé p

53
p avec sa copine, mais il est là où il voulait être. nais, qui a perdu huit kilos depuis son arrivée, en
“Soutenir Vasco, c’est spécial. Notre club est diffé- août 2023, est l’un des chouchous de la torcida.
rent. On a construit notre stade (1925-1930) et on a Avec deux buts et une passe décisive en 17 mat-
accueilli les premiers joueurs noirs (1924)… On est ches, il a participé l’an dernier au sauvetage de son
des fous, je dépense de l’argent que je n’ai pas à club parmi l’élite. Mais l’ancien Marseillais sait qu’il
cause d’une inexplicable passion. Le club ne nous doit maintenant prendre du galon et se montrer
donne aucun motif de satisfaction – je n’ai vu qu’un plus décisif. Face au Flamengo de son pote Ger-
trophée de mes yeux (la coupe du Brésil 2011) –, son, Payet ne sera pas loin d’y parvenir, mais, à
mais on est là ! Toujours à fond !” deux reprises, le défenseur Léo Pereira sauvera
Comme pour valider ses propos, ses potes sur sa ligne des tentatives de Pablo Vegetti. Dans
craquent un fumigène et hurlent des chants à la un Maracana tantôt assourdissant tantôt somno-
gloire du Vasco. Ils sont bientôt une trentaine de lant, “Gabigol”, l’attaquant de Flamengo, aurait pu
fadas à faire le show devant l’objectif de notre devenir le héros de la soirée. Mais le gaucher a
photographe, aspergé de bières, et bientôt par des perdu son mojo, au point que Leo Jardim, l’ancien
seaux de pluie tropicale. Les vendeurs de ponchos gardien lillois, a repoussé son penalty. Qu’importe
À Rio, le Christ rédempteur
n’est pas le seul messie. en plastique se frottent les mains, empochent ce 0-0 un peu décevant. Dans le cœur des Cario-
À chaque club le sien. billets et Pix (système de transaction via le télé- cas, comme dans celui de Bruno et Caca, ce Clas-
Dimitri Payet n’a pas tardé
à devenir celui des fans phone) avant de voir tout ce beau monde rallier sico marque le retour de leur feuilleton favori. Il va
du Vasco da Gama,
qui ont adopté sa coupe
l’enceinte. s’étirer jusqu’en décembre et proposera un maxi-
de cheveux. Côté mum de 75 épisodes cette saison – entre Cham-
Flamengo, Nunes (en bas,
à droite), vainqueur Le feuilleton de 75 épisodes pionnat régional, national, Coupe du Brésil,
de la Copa Libertadores Le Maracana version Copa 2014, le Mondial à Copa Libertadores, l’équivalent de la C1, ou Copa
1981, est une des figures
passées du club. domicile, n’est pas du genre à vous couper le souf- Sudamericana, à rapprocher de la C3…
Aujourd’hui, c’est Gerson fle. Une fois aspirés dans ses entrailles, ceux qui Ailleurs, sur les plages, le foot n’est jamais
(page de droite), l’ancien
Marseillais, qui suscite ont connu les anciennes versions sont déçus, les hors-jeu. Pendant l’été, il est même encore plus
la passion des supporters
des Rubro-Negra. autres vont apprécier l’envergure et l’acoustique présent. Le lendemain du Classico, sous le soleil,
sans se douter que le bijou a perdu de sa superbe. le Posto 9 d’Ipanema est chargé de touristes et de
Ça n’empêche pas Dimitri Payet d’admirer le spec- badauds. C’est pourtant la rentrée des classes,
tacle. Sous le déluge, le Français et ses coéqui- mais il flotte encore un air de vacances. Pas éton-
piers terminent leur échauffement. Le Réunion- nant de voir tous les terrains de futevolei (footvol-

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TEmPs aDDITIOnnEL
rio de janeiro

StaDeS
1. maracana (Estadio
Jornalista Mario-Filho).
Clubs résidents
Flamengo et Fluminense.
inauguration 1950.
rénovations 1999-2000 ;
2005-2007 ; 2010-2013.
Capacité 78 838 places.
affluence record 199 854,
ley) occupés. C’est le cas de l’Astro beach créé il y disputer des tournois : “Je déteste la pression, j’en Brésil-Uruguay (1-2), match
a sept ans par Lucas Dantas. Celui qui est surnom- perds mes moyens et je me sens mal vis-à-vis de décisif pour le gain de la Coupe
mé “Tio Lucas” dirigeait une flotte de véhicules de ma partenaire.” D’autant que, contrairement aux du monde, le 16 juillet 1950.
luxe pour transporter artistes et célébrités. “Mais apparences, l’esprit du futevolei n’est pas des plus
je n’aimais pas les bagnoles, dit-il pour justifier ce pacifiques. Il suffit d’avoir vu Romario et ses amis 2. Engenhao
radical changement d’activité. J’ai tout largué en action pour s’en rendre compte. Sur la plage de (Estadio Olimpico
après les JO (2016) et j’ai monté ma structure pour Barra, le fief du champion du monde 1994, ils Nilton-Santos).
assouvir ma passion du futevolei.” s’engueulent, se chambrent, s’insultent, et parient Club résident Botafogo.
de grosses sommes d’argent pour pimenter le inauguration 2007.
Le futevolei et l’altinha, deux jeux de plage tout. Des scènes qui se répètent sur de nombreux Capacité 44 661 places.
Aujourd’hui, il gère quatre terrains, une centaine terrains. “Les provocations et tout le folklore qui affluence record 43 810,
d’élèves et emploie sept professeurs, à l’image de vont avec sont dans l’ADN du futevolei, regrette Tio Botafogo-Fluminense,
Leo, 19 ans, qui entraîne ce jour-là cinq filles et Lucas. Moi, je n’aime pas les embrouilles et les le 30 juin 2007.
deux garçons. Services, passes de l’épaule, amorti paris. J’essaye de changer les mentalités. Et celui
de la tête, contrôle de la poitrine pour lever le bal- qui ne se plie pas aux règles, il va voir ailleurs.” 3. sao Januario
lon vers son partenaire… En quelques minutes, C’est justement pour échapper aux règles que (Estadio Vasco da Gama).
Clara, Loany et les autres disciples font étalage de d’autres footballeurs se passionnent de plus en Club résident Vasco da Gama.
toute la panoplie des gestes techniques. Il ne plus pour une discipline 100 % carioca, l’altinha. inauguration 1927.
manque que le Shark Attack, un mouvement con- Avec cette pratique, nul besoin de filet, de terrain Capacité 24 584 places.
sistant à smasher le ballon au-dessus du filet avec ou d’arbitre. “Il suffit d’un ballon et d’un peu de affluence record 40 209,
les orteils. “Un bon footeux fait un bon joueur de talent”, se marre Gabriel, l’un des beaux gosses Vasco da Gama-Londrina,
futevolei, précise Lucas. La force n’est pas impor- d’un quatuor composé de Bruno, Caio et Gustavo. le 19 février 1978.
tante. Ce qui compte, c’est le placement, la gestion Ensemble, ils se réunissent dès qu’ils le peuvent
des angles, l’intelligence de jeu…” pour faire danser le ballon, se l’envoyer, plus ou 4. Estadio luso-Brasileirao
Né dans les années 1960, sur la plage de Copa- moins fort, avec une obligation : multiplier les Club résident aucun.
cabana, ce sport qui se joue à deux contre deux ou échanges en une ou deux touches sans le faire inauguration 1965.
trois contre trois a pris de l’ampleur et propose tomber. “On est à la plage, les pieds dans l’eau, et Capacité 5 044 places.
aujourd’hui un circuit national permettant à une on s’éclate, c’est beaucoup plus fun que le foot affluence record 18 204,
trentaine d’athlètes d’en vivre. Un rêve que caresse traditionnel”, résume Gustavo. Au coucher du Flamengo-Grêmio,
Leo. Pour Loany, en revanche, pas question de soleil, on se régale de ce formidable ballet p le 13 juillet 2017.

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TEmPs aDDITIOnnEL
Ville de foot

ON MANGE
ET ON BOIT QUOI?
Haricots rouges ou
noirs, açai et caïpi
1. Feijoada
Pas l’idéal avant de se balader en ville.
Considéré par beaucoup comme le plat
national, il ressemble à une sorte de
cassoulet. Il se prépare avec des feijaos,
les haricots rouges ou noirs, et s’accom-
pagne de porc frit et de banane plantain.

2. Churrasco
À moins d’être vegan, impossible de
résister à l’appel d’un bon churrasco. Le
concept est simple : faire griller de la
viande rouge, du porc ou du poulet sur
un barbecue. Il est accompagné de riz
À Rio, même entre amis, p durant lequel des grappes de joueurs – entre blanc, de feijao, de farofa (farine de
le niveau de jeu peut être
élevé. Ici, le foot est partout : trois et six ou sept participants – voltigent, cares- manioc) et d’une sauce composée de
sur les terrains, les plages sent le ballon, le contrôlent avec amour, avant de tomates, oignons et poivrons.
et les écrans.
l’expédier parfois à pleine vitesse d’une reprise de
volée vers leur camarade. C’est tellement beau 3. açai
que l’altinha a été déclaré patrimoine immatériel Idéal pour se rafraîchir, l’açai est une
de la ville de Rio de Janeiro, en 2020. “Y a-t-il un baie dont on se sert pour réaliser une
sport plus carioca que celui-là, s’interroge Gabriel. sorte de crème glacée. Elle est générale-
Il n’y a pas de règles, c’est mixte et on joue en toute ment garnie de granola, de fruits, puis
liberté ! Comment ne pas aimer ça ?” Peut-être mélangée avec du sirop de guarana pour
quand on a les pieds un peu carrés et pas le lui ôter son goût un peu terreux.
niveau !
4. Caïpirinha
Les souvenirs de Paulo César Elle a traversé les frontières du Brésil
Deux jours après ce bain de soleil à Ipanema, pour conquérir le monde. La “caïpi” est
notre tour en ballon nous mène dans le quartier un cocktail préparé à base de cachaça -
chic de Leblon, au sud-ouest de la ville. Rendez- alcool tiré de la canne à sucre - de sucre
vous est pris avec l’un de ses plus célèbres rési- et de citron vert.
dents : Paulo César Caju, 74 ans, champion du
monde 1970 au Mexique, idole de Botafogo et 5. Chopp
éphémère attaquant de l’OM en 1974-1975. À peine À Rio, la bière pression se boit “estupi-
assis à la terrasse de la Sardinha, “PC” nous damente gelada” (très, très fraîche).
déroule son histoire intime avec sa ville natale qui Les marques les plus populaires sont
transpire le futebol. De son enfance dans une la Brahma, Antarctica (photo), Skol,
favela, à son adoption par le coach de Botafogo, Bohemia…
en passant par ses souvenirs du Mondial 1958,
l’oreille collée au poste de radio, jusqu’à son titre
suprême, au stade Aztèque, douze ans plus tard
aux côtés de Pelé, Gerson ou Jairzinho… Avec une
verve inégalable, nimbée d’un léger accent mar-

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seillais, il raconte comment le ballon rond a impré- défenseur, plutôt discret sur le sujet, lui révèle son
gné Rio. équipe de cœur. “Botafogo, comme toi ! Mon père
“Au départ, le football était pour les vagabonds était Flamengo mais je ne l’ai pas suivi.” Formé au
et puis les titres mondiaux de 1958 et 1962 ont Fluminense, puis coach du Vasco et de Botafogo,
changé la donne. Un peu comme la France avec Ricardo sait de quoi il parle quand il s’agit de foot à
1998. Le foot est devenu hyper populaire, il a cassé Rio. “Quand j’étais jeune, on ne parlait que de ça. À
des préjugés, comme le racisme. La passion a l’école, c’était le seul sujet de conversation, avec la
électrisé toutes les classes sociales et c’est deve- politique peut-être. Et tous les dimanches, j’allais
nu chic d’aller au Maracana. Il n’y avait pas de vio- au Maracana avec mon père. On n’échangeait pas
lence, les rivalités étaient saines et le niveau large- beaucoup car il avait des séquelles de son AVC.
ment supérieur. Pour moi, l’âge d’or a duré jusqu’en Mais, peu importe, c’était le meilleur moment de la
1982, tranche celui qui délivre des chroniques, semaine.”
souvent acides, au quotidien Correio da Manha.
Aujourd’hui, les joueurs maltraitent le ballon, le Le blues de Botafogo
beau jeu a disparu, la corruption et la violence sont Aujourd’hui, les siennes sont un peu vides.
Personne ne connaît mieux
partout, et le Maracana, qui était magique, est À 59 ans, Ricardo est sur le marché. L’ancien coach Rio de Janeiro que Paulo César,
devenu une merde !” de Bordeaux, de Monaco, de Sao Paulo, de Vasco en haut à droite avec Ricardo,
ancien joueur et coach du PSG.
Pour lui redonner le sourire après un constat ou de Botafogo a besoin de replonger. En Europe, Le champion du monde 1970
y est né, a porté les couleurs
aussi négatif, Ricardo Gomes tombe à pic. L’ancien au Brésil, ou encore mieux, chez lui, à Rio, là où il a de Botafogo, Flamengo,
joueur puis entraîneur du PSG (1991-1995 et 1996- connu trois des quatre gros bras du Championnat. Fluminense et Vasco da Gama
et se plaît à raconter
1998), tout juste opéré d’un genou, s’installe à côté “Fluminense c’est le plus organisé, Botafogo le des anecdotes sur le football
de Caju et semble ravi de lui confier son secret plus attaché à son passé, Flamengo le mieux mar- carioca, ses supporters
et ses enfants de la balle.
d’enfant : “C’est grâce à toi que j’ai aimé le foot ! Tu keté et Vasco le plus passionné”, résume-t-il avec
as été mon idole. J’avais 5 ans lors du Mondial 70. son sourire malicieux. Peu avant 21 heures, même
Tu étais un crack, un vrai. Je voulais être milieu si les échanges sont passionnants, Paulo César
pour faire comme toi. Mais je n’ai fait que reculer, prend la tangente. Il ne veut pas rater le coup
et j’ai failli me retrouver ramasseur de balles”, plai- d’envoi de Flamengo-Botafogo.
sante-t-il. Les deux légendes brésiliennes se mar- Les terrasses des botecos (bistrots typiques)
rent et se donnent un abraço (accolade). Ils évo- se remplissent. En solo, les yeux rivés sur l’écran,
quent le souvenir d’un ami en commun et l’ancien ou en petits groupes pas toujours attentifs, p

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p ils sont des centaines à scruter le deuxième nir, il existe des contraintes : s’entraîner dur, bien
Classico de la saison. Il n’a pas l’air plus emballant dormir, oublier la plage et la samba…”
que le précédent, mais cette fois Flamengo va Entre deux coups de sifflet et quelques con-
l’emporter sur la dernière action (1-0). Un coup dur seils un peu musclés, Nunes nous confie qu’il a
de plus pour les fans de Botofago, encore trauma- trois-quatre futurs pros dans son écurie. Dont le
tisés d’avoir dilapidé 13 points d’avance en tête du petit Gabriel, 11 ans, “un crack”. Son pied gauche
Championnat lors du dernier Brasileirao achevé à est effectivement épatant, tout comme sa ginga,
la cinquième place. “Tout va bien, on est vaccinés son sens du mouvement typiquement brésilien.
et habitués au malheur”, ironise Tigana (c’est son “Je veux que les jeunes soient sérieux mais qu’ils
surnom), en ronchonnant et en se demandant si le s’éclatent sur le terrain, je veux qu’ils dribblent,
club racheté par John Textor, également proprié- provoquent, tentent, insiste l’homme aux 281 buts
taire de l’OL, ne serait pas maudit. en 452 matches. Je veux des futurs Garrincha,
Le lendemain, c’est à Gavea, au Clube de Rega- Paulo César, Neymar. Aujourd’hui, le foot est deve-
tas do Flamengo, que nous nous rendons. Au cœur nu trop intellectuel, je préfère quand c’est plus
de la ville, ce club omnisports, qui faisait office de joyeux, plus provocateur.”
Le Classico dos Milhoes,
le “Classique des Millions”, centre d’entraînement des pros, jusqu’au début
entre Flamengo et Vasco,
a marqué le coup d’envoi
des années 2000, abrite deux piscines, des tennis, La recherche des futurs Vinicius
de la nouvelle saison (0-0, une salle de gym, un terrain de foot en herbe et un Cette provocation typiquement carioca, on la
le 4 février). Si ce derby
peut être source de
synthétique. C’est là que Nunes, 69 ans, l’ancien retrouve le lendemain, sur les terrains municipaux
tensions dans les tribunes, attaquant du Flamengo version Zico, vainqueur de de l’Aterro, à quelques mètres de la baie de Gua-
sur le terrain ou aux abords
du stade, il a redonné la Copa Libertadores en 1981 face au club chilien nabara, au nord. Au bord de la voie rapide, sept
le sourire aux fans, privés de Cobreloa, et triple champion du Brésil en 1980, terrains synthétiques, pas forcément en bon état,
de foot pendant la trêve
estivale, et à Lucas Dantas, 1982 et 1987, a installé son projet social. Objectif ? sont ouverts au public et éclairés toute la nuit. Il est
surnomme “Tio Lucas” Permettre à des gamins défavorisés mais talen- plus de 22 heures, ce jeudi 8 février, veille de car-
(en haut, à droite),
qui a fondé sa structure tueux de se former, de percer au plus haut niveau. naval, et deux équipes s’affrontent, confirmant ce
de futevolei.
“Ils viennent de la périphérie de Rio mais égale- qu’on savait : à Rio, tout le monde sait jouer au foot.
ment de Belo Horizonte, Fortaleza ou Salvador, Et souvent très bien. C’est le cas de cette équipe
énumère l’ancien numéro 9 du Mangao. Ici, la prio- de copains tous issus de la favela de Cerra Coral,
rité, c’est le respect, l’éducation, le travail. Leur pas loin de la colline du Corcovado. Intensité,
rêve est de devenir professionnel et, pour y parve- vitesse, dribbles, ils osent tout. Et c’est beau à voir.

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TEmPs aDDITIOnnEL
rio de janeiro
Si tu VaS À riO...
Un décor de
carte postale
1. le Christ rédempteur
On ne peut pas passer à côté de cette
merveille plantée au sommet du mont
Corcovado (le bossu), à 704 mètres
d’altitude. Les bras ouverts, comme
pour protéger la ville, la statue du Christ,
sculptée par le Français Paul Landowski,
mesure 30 mètres de haut. Plus de
750 000 visiteurs s’y rendent chaque
année.

2. le pain de sucre
L’autre site emblématique de la ville. Un
téléphérique permet de relier le morro da
Urca au Pain de Sucre. Une fois là-haut, à
392 mètres d’altitude, on bénéficie de la
plus belle vue panoramique sur Rio.

3. santa-tereza
Le quartier situé dans le centre de Rio
est comparé à Montmartre, avec ses
artistes, sa vie nocturne et son côté
bohème autour du Largo dos Guimaraes.
Il est aussi traversé par une vieille ligne
de tramway devenu mythique.

4. Jardim Botanico Douglas, le vétéran de la bande, 37 ans, encou-


C’est l’un des espaces verts les plus rage ses potes et son fiston, un verre de bière à la
remarquables et les mieux préservés main. La musique de MC Poze, chanteur de funk
de la ville (photo). On y observe environ brésilien, fait office de bande-son, en mode ghet-
6 500 espèces florales et, avec un peu to. Après la victoire des siens, Douglas retrouve
de chance, on peut y apercevoir des son sérieux et affiche une certaine fatalité. “Ces
toucans ou des micos (petits singes). gars-là sont très forts et n’ont rien à envier à ceux
qui jouent en D1. Mais ils n’ont pas les opportunités
5. la plage de Copacabana de se montrer et d’aller dans des clubs pros. C’est
L’une des plages les plus célèbres dommage mais, pour nous qui sommes issus de la
du monde. Elle s’étire sur 4,5 kilomètres favela, on dirait que les portes nous sont fermées.”
et abrite des kiosques, des restaurants, Dans leurs ruelles à flanc de colline, ces ados
le Copacabana Palace… Le soir du se sont formés pieds nus, à dribbler les obstacles
réveillon du nouvel an, près de deux et les nids-de-poule et ils incarnent ce foot qui a
millions de personnes, habillées en fait rêver le monde entier mais qui a de plus en
Copacabana, sa plage,
blanc, assistent au feu d’artifice. plus de mal à exister. Si un garçon comme Vinicius son sable fin : une image
a réussi, combien d’autres n’ont jamais été détec- de carte postale pour
les touristes. Le quotidien
tés ? “Des Vinicius, j’en connais un paquet”, exagè- pour les Cariocas et un terrain
de jeu idéal pour ces quatre
re Douglas. Son fils de 23 ans, Yan, aurait-il pu faire pratiquants d’altinha :
partie des heureux élus ? “Peut-être, mais j’avais la Gabriel, Bruno, Caio et Gustavo.
tête un peu ailleurs, détaille le numéro 7, qui avoue
n’être jamais allé au Maracana. J’ai pris un autre
chemin, et pas le meilleur. Maintenant, je veux
aider les jeunes de la favela à réaliser leur rêve. Ils
TOimages/stock.adobe.com

sont meilleurs que ceux que je vois à la télé, donc il


faut défoncer les portes et les aider à exploiter leur
talent.” Frustré de ne pas avoir tenté sa chance, il
n’a désormais qu’un but : que le style carioca, le
vrai, celui de la rue, continue d’exister pour éclairer
un football brésilien de plus en plus terne. h É. F.

59
TEmPs aDDITIOnnEL
Tendances

naire minoritaire d’Upway et de douze autres

PROS sociétés. “J’ai déménagé en Floride en 2019 et j’ai


pu constater le succès des athlètes dans la tech
aux États-Unis, nous explique-t-il. Je pense à

EN AFFAIRES Kevin Durant, Serena Williams ou Stephen Curry.


J’ai aussi investi aux côtés de LeBron James, et ce
genre de deal a confirmé mon envie de le faire à
Après avoir investi en masse dans l’immobilier, plein temps.”

de nombreux joueurs gèrent désormais leur patrimoine Blaise Matuidi en chef de file
différemment, en finançant des start-up françaises. Matuidi est ainsi devenu le premier footballeur
Par Théo Troude européen à contribuer à la création d’un tel fonds.
Fort d’un important carnet d’adresses, l’ex-Turinois
Non, vous ne savez pas tout sur Olivier Giroud. a vite été rejoint par d’autres joueurs. Outre Giroud,
Le meilleur buteur de l’équipe de France est nos- les “Limited partners” – les individus qui confient
talgique de son premier vélo. “C’était un BMX noir de l’argent à Origins, qui le diffuse ensuite dans
que mes frères m’avaient refourgué, conte-t-il sur des start-up – se nomment Presnel Kimpembe,
Instagram. Mon père m’a appris à en faire, je me Miralem Pjanic, Kevin Gameiro, Nampalys Mendy,
souviens qu’il s’essoufflait pas mal en me courant Ricardo Pereira ou Yohan Benalouane, défenseur
après…” La vidéo aux accents publicitaires n’éma- formé à Saint-Étienne. “Lorsque je partage mes
ne pas du compte personnel de l’attaquant de idées, je souligne l’opportunité de s’impliquer dans
37 ans, mais d’Upway, une start-up spécialisée des start-up avec un fort potentiel de croissance,
dans la vente de vélos électriques reconditionnés, admet Matuidi. C’est aussi l’occasion pour eux de
dans laquelle Giroud a investi en 2022. penser à l’après-carrière, de diversifier leurs
Le champion du monde 2018 n’a pas agi seul, investissements.”
DR - Alexis Réau/L’Équipe

plutôt au sein d’un collectif dessiné par un ex-par- “Ce sont les arguments qu’on met également

60
tenaire en bleu, Blaise Matuidi. En mars 2022, neuf en avant, témoigne Romain Battiston, fils de
mois avant de raccrocher les crampons à Patrick et cofondateur (avec l’ancien joueur de
l’Inter Miami, l’ancien du PSG a cofondé le fonds Lyon Philippe Violeau) du cabinet de gestion en
d’investissement Origins, devenu depuis action- patrimoine Battiston Violeau et Associés. On tra-
TEmPs aDDITIOnnEL
Tendances

UN PRÉCIEUX
VECTEUR
DE COM’
Ces investissements ne
profitent pas qu’aux
joueurs. Grâce à eux,
Upway et moka.care, deux
des sociétés financées en
partie par Origins, jouis-
sent d’une visibilité
auprès de 160 millions de
personnes, le total
d’abonnés sur les réseaux
sociaux des athlètes
membres du fonds
d’investissement.
“On n’aurait jamais pu
s’offrir des pubs avec de
telles stars sans cela,
sourit Toussaint Wattinne
(photo), cofondateur
d’Upway. La notoriété
colossale des joueurs vaille avec des joueurs de Ligue 1, de l’équipe de récemment pour avoir fait perdre leurs économies
nous permet surtout de France, et on leur parle d’un investissement dans à plusieurs joueurs dans de mauvais placements
gagner la confiance des l’économie réelle, qui permet de sortir du sport en immobiliers via sa filiale ESC.
consommateurs. Quand mettant un pied dans l’entrepreneuriat.” Et il ne
Giroud parle de nous, cela faut pas omettre un intérêt fiscal. “Quand on inves- Griezmann et Varane en indépendants
agit comme un tampon de tit par l’intermédiaire d’un fonds spécialisé, on Certains, comme Antoine Griezmann, suivent la
légitimité. Et les joueurs peut s’offrir une exonération d’impôt sur le revenu tendance sans passer par des fonds d’investisse-
ont tout intérêt à commu- sur les plus-values, à la fin d’un engagement de ment. L’international a investi directement dans
niquer, puisqu’ils seront cinq à sept ans minimum, précise Loïc Nasra, différentes sociétés, notamment moka.care, une
gagnants si tout se passe ingénieur patrimonial au sein du même cabinet. plateforme de prévention en santé mentale au
bien pour la société.” Cela peut être plus intéressant qu’investir en travail. Le meilleur passeur des Bleus avait aussi
“C’est un changement direct dans une start-up. Dans ce cas, le risque est ouvert la voie à Kylian Mbappé chez Sorare, un jeu
d’angle, assure Guillaume plus grand. Néanmoins, il ne faut pas se tromper. de simulation sportive dans lequel se vendent des
d’Ayguesvives, cofonda- Ces joueurs n’investissent pas uniquement pour cartes de joueurs numériques. Raphaël Varane, lui
teur de moka.care, aussi l’avantage fiscal. C’est seulement la cerise sur le aussi seul, s’est notamment engagé dans une
suivi par Origins depuis gâteau si leur placement fonctionne.” Cette volon- start-up basée à Montpellier et spécialisée dans le
deux ans. Nous ne payons té de mettre un pied dans le monde de l’entrepre- matériel physiologique, Kinvent. Une idée qui plaît
plus pour que le joueur neuriat est à mettre en parallèle avec l’arrêt de dans les vestiaires, puisque Clément Lenglet et
fasse notre pub, il investit l’accompagnement de l’UNFP, le syndicat des Bruno Fernandes pourraient rejoindre le projet.
et communique. Matuidi joueurs évoluant en France. “Il y a deux ans que Pendant ce temps, d’autres, comme Mamadou
est influent et parle de nous avons fermé notre service de conseil en Sakho, cofondateur en 2023 de Bloks, spécialisée
nous comme son projet gestion”, nous confirme Stéphane Saint-Raymond, dans les murs de commerce, façonnent leur pro-
coup de cœur. Griezmann directeur de l’information de l’institution, épinglée pre entreprise. Il s’apprête à prendre ses distances
est une marque mondiale avec cette start-up mais le défenseur devrait bien-
avec plus de 40 millions
d’abonnés sur Instagram.
“J’ai constaté tôt monter un nouveau business. Et peut-être, un
jour, atteindre le succès du précurseur Mathieu
Leur impact pour nous est le succès des athlètes
Romain Petit - DR

Flamini. L’ex-milieu de l’OM et d’Arsenal, PDG


énorme.” h T. Tr.
dans la tech aux d’une société de biochimie depuis 2008, a intégré
le top 400 des plus grandes fortunes de France
États-Unis” Blaise Matuidi établi par le magazine Challenges. h

61
Sur les traces de...

TOTAL
CONTRÔLE De l’Ajax Amsterdam avec Johan Cruyff, le chantre du football total,
à son statut de légende des Gunners d’Arsenal, Dennis Bergkamp,
deuxième du Ballon d’Or en 1993, revient sur sa carrière,
son obsession du beau jeu et son toucher de balle si soyeux.
Par Jeremy Docteur, à Londres (Angleterre). Photos Léo Aupetit/L’Équipe

Quand Dennis Bergkamp s’avance dans réflexion sur la première touche, la finition, “J’étais en réunion, mais j’étais plus con-
les luxueux salons de l’hôtel The Grove, à poursuit-il. J’adore les tirs de loin, mais centré sur mon téléphone à regarder le
Watford, en banlieue londonienne, on a celui-là, c’était un aboutissement, tout match”, confesse-t-il, en référence à la
envie de lui parler d’un but. “Celui contre devait fonctionner ensemble. Les grands victoire des Gunners contre Burnley (5-0)
l’Argentine en 1998”, anticipe avec amuse- joueurs doivent faire ça au plus haut deux jours plus tôt. Dans le nord de Lon-
ment l’esthète néerlandais. Évidemment. niveau, c’était mon moment.” dres, personne ne l’a oublié. Il se dit surpris
Par sa classe, ses contrôles orientés, sa Le lieu du rendez-vous en ce 19 février qu’il y ait encore autant d’intérêt pour lui,
qualité de passe, le troisième du Ballon est à une vingtaine de kilomètres de alors qu’il signe quelques photos. “Ça fait
d’Or 1992 et deuxième de l’édition 1993 a Colney, le centre d’entraînement d’Arsenal, partie du job”, sourit-il. Dans le hall
marqué des générations entières. Et puis un club où il a passé onze ans et forgé sa d’accueil, un homme nous interpelle : “Est-
ses buts, donc. “C’est le plus beau parce légende. Bergkamp, membre des Invinci- ce que je peux le voir ? Je suis un fan abso-
que c’est en Coupe du monde. La cons- bles de 2004, y a remporté trois Cham- lu.” Madame Bergkamp passe également
truction, le contrôle sur un long ballon, la pionnats et quatre Coupes d’Angleterre. dire bonjour, tout comme le chien. p

62
Dennis Bergkamp

63
sur les traces de...

Soulier d’Or néerlandais en 1992


pour la deuxième année de suite
(à droite), Dennis Bergkamp rejoint
l’Inter Milan et son vice-président
Giuseppe Prisco à l’été 93,
où il est suivi par son coéquipier
de l’Ajax Wim Jonk (en haut à
gauche). En Italie, le maître à jouer
des Pays-Bas, qui totalise
79 sélections, trouve
le Championnat trop défensif
et décide, après seulement
deux saisons, de rejoindre Arsenal
où il fera les beaux jours du club
avec son compatriote
Marc Overmars (à gauche).

p La famille est un peu chez elle ici. j’entendais les buts.” Au début des années
Dennis, avec deux “N” – un prénom choisi 1980, il rejoint le club phare, le début d’un le classement de 1993
1. Roberto Baggio (ITA, Juventus), 142 pts
par son père en hommage à Denis Law, le formidable voyage. À l’évocation du nom
2. Dennis Bergkamp (HOL, Ajax, Inter), 83 pts
Ballon d’Or 1964 –, s’exerce régulièrement de son premier mentor, Johan Cruyff, les
3. Éric Cantona (FRA, Manchester United), 34 pts
à quelques swings sur le parcours de golf yeux de Bergkamp pétillent, l’admiration 4. Alen Boksic (CRO, Marseille, Lazio Rome), 29 pts
qui jouxte la bâtisse principale. toujours palpable. Il a 12 ans lors de leur 5. Michael Laudrup (DAN, FC Barcelone), 27 pts
première rencontre. “C’est un monstre du 6. Franco Baresi (ITA, AC Milan), 24 pts
L’influence de Cruyff et Van Gaal football, mais il se comportait normale- 7. Paolo Maldini (ITA, AC Milan), 19 pts
Bergkamp, père de quatre enfants, appa- ment, il parlait à tout le monde, avec un 8. Emil Kostadinov (BUL, FC Porto), 11 pts
9. Stéphane Chapuisat (SUI, B. Dortmund), 9 pts
raît serein, d’un caractère introverti, mais grand respect.” Plus tard, les deux reste-
–. Ryan Giggs (GAL, Manchester United), 9 pts
se plie volontiers à l’exercice. “Posez tou-
“Enfant, le diman-
11. Andreas Möller (ALL, Juventus), 7 pts
tes les questions que vous voulez, je suis 12. Ruud Gullit (HOL, Sampdoria), 6 pts
che, j’étais au bord
Aldo Liverani/Icon Sport - René Bouwman/ANP/Icon Sport - Bernard Papon/L’Équipe
là pour ça.” Des sourires, un peu de rire, –. Peter Schmeichel (DAN, Manchester U.), 6 pts
mais jamais d’éclats ni d’extravagance. Un –. Hristo Stoitchkov (BUL, FC Barcelone), 6 pts
sérieux dans la vie non sans rappeler son des terrains 15. Basile Boli (FRA, Marseille), 5 pts
–. Rune Bratseth (NOR, Werder Brême), 5 pts
surnom, “Iceman”. Lui qui, petit, a grandi
dans un foyer de footballeurs, avec ses
de 8 heures 17. Enzo Scifo (BEL, Torino, AS Monaco), 4 pts

trois frères à l’influence majeure. “C’était à 18 heures” 18. Andreas Herzog (AUT, Werder Brême), 3 pts
–. Ronald Koeman (HOL, FC Barcelone), 3 pts
foot du lundi au dimanche. Dès que j’ai pu –. Jari Litmanen (FIN, Ajax), 3 pts
marcher, je tapais dans la balle, se sou- ront en contacts réguliers. Bergkamp 21. Dino Baggio (ITA, Juventus), 2 pts
vient-il. Ma mère me racontait souvent embrasse la philosophie de jeu du triple –. Sergueï Kiriakov (RUS, Karlsruhe), 2 pts
cette histoire. Le dimanche, j’étais au bord Ballon d’Or (1971, 1973, 1974). “C’est facile : –. David Platt (ANG, Juventus, Sampdoria), 2 pts
–. Franck Sauzée (FRA, Marseille, Atalanta), 2 pts
du terrain, mon premier frère avait match, si tu as la balle, l’autre équipe ne peut pas
–. Giuseppe Signori (ITA, Lazio Rome), 2 pts
puis le second. On était là de 8 heures à marquer. J’adorais son approche et sa 26. Thomas Brolin (SUE, Parme), 1 pt
18 heures. Je pleurais quand il fallait ren- manière d’en parler était si simple.” –. Martin Dahlin (SUE, Borussia M’gladbach), 1 pt
trer. J’étais plein de boue, on mettait des Le “Hollandais volant” lance Bergkamp –. Georges Grün (BEL, Parme), 1 pt
journaux pour s’asseoir dans la voiture.” dans le monde pro en 1986, au poste –. Stelios Manolas (GRE, AEK Athènes), 1 pt
Son premier club, Wilskracht SNL, est d’ailier. Mais Louis van Gaal va sentir le –. Paul McGrath (IRL, Aston Villa), 1 pt
situé à quelques encablures de l’ancien coup. “C’est lui qui a décidé de me mettre
stade De Meer de l’Ajax. “Quand je jouais, derrière l’attaquant. Je crois que j’ai mar-

64
Dennis Bergkamp

incroyable, mais je préférais me faire un “Le Hollandais non-volant”. “J’ai souvent


nom ailleurs. J’avais ce sentiment en moi.” essayé de comprendre. Mais je ne peux
En Italie, face à des défenseurs plus robus- pas l’expliquer, c’est en moi, dans mon
tes, l’attaquant doit s’adapter. “À l’Ajax, si tu corps. Je me souviens, pendant un match,
ne marquais pas en première période, tu je regardais le ciel. Ça empirait. À chaque
qué pendant dix matches d’affilée.” Entre avais quatre ou cinq chances en seconde. fois que je devais prendre l’avion, je me
ces deux coaches, deux styles. “Pour Il n’y avait pas vraiment de pression, tu demandais ce qui allait se passer.” La
Van Gaal, je n’étais pas Bergkamp, j’étais le pouvais plus t’amuser. À l’Inter, tu réalises situation devient intenable. Après le Mon-
numéro 10. Si tout le monde faisait son job, que c’est un monde d’adultes. Lutter con- dial 1994, Dennis et les avions, c’est termi-
alors l’équipe allait gagner.” tre des mecs expérimentés de 30-35 ans, né. “Est-ce que ça allait affecter ma carriè-
ça ressemblait plus à un travail.” re ? Sûrement. Mais si j’avais eu tout le
Une phobie incontrôlable de l’avion Les dirigeants lui promettent de sortir temps peur ou que j’avais cherché des
Grâce à ses performances avec l’Ajax, la du catenaccio. Bergkamp va vite déchan- excuses à chaque fois, ça aurait eu un
Serie A lui fait de l’œil. “Je voulais aller en ter. “Je me souviens d’un match amical de impact aussi. Alors j’ai décidé d’en parler.
Espagne ou en Italie. Et, plutôt que la Juve, pré-saison. On voulait jouer au foot, mais D’abord en sélection, et par la suite à cha-
j’ai choisi l’Inter (qu’il rejoint à l’été 1993 on a été mis sous pression et on a pris un que nouveau contrat à Arsenal.” Cette
avant de terminer deuxième du Ballon d’Or but. À la pause, le coach a tout changé et décision ne l’a pas empêché de participer
en décembre de la même année). L’Angle- on jouait le contre. Il a dit aux milieux : « Si aux Euros 1996, 2000 et au Mondial 1998.
Alain de Martignac/L’Équipe - Paul Stolk/ANP/Icon Sport

terre était dans un coin de ma tête pour vous voyez la ligne médiane, n’avancez “J’ai raté des déplacements européens,
plus tard.” À l’AC Milan, ses compatriotes plus ! » Après la Coupe du monde 1994, je mais ce choix m’a libéré et m’a permis
Marco van Basten, Ruud Gullit et Frank n’y étais plus. J’étais en vacances et j’ai d’avoir une telle carrière avec Arsenal.”
Rijkaard ont marqué le club de leur appelé le coach, Ottavio Bianchi, pour
empreinte. “Ce qu’ils avaient réussi était demander une semaine de plus. Il m’a dit : Les mauvaises habitudes anglaises
« Non, non, reviens, on va régler ça. » Il y a En 1995, contre 7,5 M£ (environ 8,8 M€),
“En arrivant à eu des blessures et mentalement ça Bergkamp débarque à Londres, mais pas
n’allait pas. Ma seconde saison à l’Inter en avion donc. Un transfert qu’il découvre
l’Inter, tu réalises était probablement la pire de ma carrière.” officiellement sur Ceefax, l’équivalent du
que c’est un À cette époque, sa phobie de l’avion Télétexte pour ceux qui ont connu. L’Angle-
prend des proportions incontrôlables. Il en terre, c’est la terre d’une de ses autres
monde d’adultes” récolte un surnom, drôle et un peu cruel, idoles, Glenn Hoddle, l’ancien meneur p

65
Sur les traces de...

p de jeu élégant de Tottenham (et de


Monaco). “Je trouvais son style fantasti-
que. Sa maîtrise du ballon, sa vision… Dans
ce foot anglais un peu dingue, il sortait du
lot par son calme. Il réussissait des choses
que seul lui voyait.” Pourtant, c’est bien
chez le grand rival qu’il s’engage. “Je vou-
lais juste apprécier le foot de nouveau.”
Le joueur garde en tête les promesses
non tenues du passé à l’Inter, mais le club
souhaite sortir du “Boring Arsenal” de
George Graham avec son nouveau coach,
Bruce Rioch. Les débuts sont contrastés :
aucun but sur ses sept premières sorties.
“En réalité, je n’ai jamais rien vu de ces
critiques. On vivait à l’hôtel, ma femme
était enceinte et on cherchait une maison.
Je ne regardais pas les journaux, ni la télé.
Je m’entraînais, je rentrais… détaille-t-il.
Et puis, un jour, j’ai découvert les tabloïds,
ce qu’il s’y disait. Je devais faire quelque
chose, la pression montait.”
À l’Inter, Bergkamp avait déjà expéri-
menté une culture différente : “80 % de
l’équipe fumait et beaucoup prenaient du
Eric Renard/Icon Sport

vin au déjeuner.” Mais l’arrivée en Angle-


terre est un choc. “Les gars étaient fantas-
tiques, mais tu t’entraînes toute la journée
pour préparer ton corps, et le soir, tu le
détruis en buvant…” Dans l’effectif, de

66
Dennis Bergkamp
Le premier mentor de Dennis fut le triple
Ballon d’Or FF Johan Cruyff (à droite), qui l’a lancé
dans le monde pro à l’âge de 17 ans. Les deux
hommes sont restés en contact jusqu’au décès
de la légende du foot, en mars 2016. Joueur
élégant et technique, Bergkamp était d’une autre
planète. Mais en sélection, il n’a jamais remporté
de trophées avec les Pays-Bas, malgré
deux Coupes du monde et trois Euros disputés.

sacrés personnages : Ray Parlour, Martin Français nous disaient qu’ils ne voulaient sance, ses dribbles, sa mentalité, son
Keown, Tony Adams. L’arrivée d’étrangers pas nous jouer en finale.” éthique de travail, sa finition… Il pouvait
change la donne, puis celle d’Arsène Wen- Malgré des équipes qui font rêver, les décider du sort d’un match tout seul. Par-
ger, en octobre 1996. “Les premières Oranje ne gagnent aucun trophée. “En fois, je me disais que j’aurais adoré avoir
semaines à l’entraînement, on faisait beau- 1998 et 2000, on était proches, ça aurait cinq ans de moins, pour voir ce que ça
coup de jeu de position, des circuits de été génial de jouer une finale au moins. aurait donné…” Au tournant du siècle,
passes à 11. Les Anglais s’insurgeaient : Mais qu’est-ce que tu veux faire de plus Bergkamp finalise sa mue de buteur à
« C’est quoi ce coach ? Ce n’est pas contre l’Italie en demies (0-0, 1-3 passeur. En 2002, Arsenal réalise un nou-
s’entraîner, ça ! » Il a tout révolutionné. Il a aux t.a.b.) ?” Après cet Euro à la maison, il veau doublé. “Avec Wenger, c’était très
apporté du calme, de la sérénité. Pour moi, tire sa révérence pour se concentrer sur simple. Il pouvait y avoir beaucoup de
c’était incroyable, car sa philosophie était Arsenal, où il a évolué au fil des années aux pression mais, à l’entraînement, c’était
similaire à celle de Cruyff.” Le Français voit
en Bergkamp le “cerveau de l’équipe” et “Thierry Henry est le joueur le plus
l’alchimie entre les deux est immédiate. complet que j’aie vu. Parfois, j’aurais
Aldo Liverani/Icon Sport - Pim Ras/ANP/Icon Sport - Bruno Fablet/L’Équipe

La malédiction des tirs au but adoré avoir cinq ans de moins”


Alors que Manchester United et Alex Fer-
guson roulent sur l’Angleterre, Arsenal côtés de sacrés buteurs, entre Ian Wright, comme si le monde extérieur n’existait
n’est pas vraiment invité dans la conversa- Nicolas Anelka et Thierry Henry. “Ian était pas. Sa qualité première était de tirer le
tion… Jusqu’au doublé Coupe-Champion- un finisseur extraordinaire. Il se créait maximum des joueurs. C’était un maître
nat de 1998. À 29 ans, il est élu joueur de la tellement d’espace, il maîtrisait tous les pour les mettre dans la bonne position et
saison. “Je crois que c’est le moment de angles du but. Nicolas était plus timide. Sa créer ces connexions sur le terrain.”
ma carrière où j’étais le plus fort.(Une sai- vitesse était phénoménale. Je pouvais le
son conclue par une huitième place au trouver en un coup d’œil. Il y a eu des his- Les vingt ans des Invincibles
Ballon d'Or.)” En parallèle, les Pays-Bas toires par la suite, mais c’était un gars telle- Une fois la paire Henry-Bergkamp bien
atteignent les demies de la Coupe du ment gentil.” Forcément, pour parler de rodée, Wenger se contente de peu de
monde, s’inclinant contre le Brésil (1-1 a.p., son duo avec “Titi”, le numéro 10 est sans mots. “La seule chose qu’il nous disait,
2-4 aux t.a.b.). “J’ai joué cinq grands tour- réserve. “Thierry… Il n’avait aucune faibles- c’était que la balle ne devait pas passer
nois, j’en ai perdu quatre aux tirs au but. Et se dans son jeu. C’est le joueur le plus entre nous pour atteindre le milieu
ça, c’est frustrant. On était très forts. Les complet que j’aie vu. Sa vitesse, sa puis- adverse. C’était un jeu pour Thierry. p

67
Sur les traces de...

À 54 ans, malgré un peu moins de cheveux,


l’ex-Interiste – club avec lequel il a décroché
la Coupe de l’UEFA en 1994 –, est resté
un esthète dans l’âme. L’ancien numéro 10
garde une vision romantique du football.

p Alors on passait tout le match à l’Emirates. Son baroud d’honneur aurait pu en équipe première. À 54 ans, il n’écarte
l’empêcher d’avoir la balle.” être cette finale de Ligue des champions pas de retrouver un staff, un jour. En retrait,
La suite reste gravée dans l’histoire du perdue contre le Barça (1-2). À 37 ans, il reste habité par cette vision romantique
football britannique. En 2024, les Invinci- l’heure est venue de raccrocher. Quelques du football. Plus qu’un sport, un art. “Com-
bles fêtent leur vingtième anniversaire : semaines plus tôt, contre West Bromwich, me un acteur ou un chanteur, tu veux diver-
pour la première fois, une équipe termine tout le stade s’était vêtu en orange pour lui tir les gens. La première touche me pas-
une saison de Premier League invaincue. rendre hommage. “Ces huit derniers mois, sionnait. C’est elle qui fait la différence,
49 matches au total. “Avec le temps, c’est c’était un peu les montagnes russes. Je cette demi-seconde qui te donne du
encore plus impensable. Mais je ne suis disais au revoir à Highbury, au foot, à tout.” temps.” h J. D.
pas surpris, la qualité dans l’équipe était Clap de fin, donc. Sauf qu’un tel pas-
extraordinaire. À chaque poste, on avait du sionné ne peut pas décrocher si facile-
top 5 mondial. Il suffisait de regarder ment. “J’ai eu besoin de temps pour me
autour : Robert Pirès, Freddie Ljungberg, remettre. J’ai complètement coupé. Je
Thierry Henry, Patrick Vieira, des défen- voulais tester la vie sans foot. Ce n’était
dennis Bergkamp
seurs qui marquaient.” Construit depuis peut-être pas la bonne décision… Les
54 ans. Né le 10 mai 1969 à Amsterdam (Pays-Bas).
plusieurs années, cet effectif, presque une premières semaines, c’était super, mais 1,83 m, 78 kg. Attaquant. International néerlandais
famille, atteint l’apogée. “Ça me rappelait après ça… Ce n’était pas facile.” Pendant (79 sélections, 37 buts).
l’Ajax. Je savais qu’on allait gagner, la deux ans, il reste en Angleterre avec sa
question était juste de savoir si ça finirait à famille. “Un jour, Phillip Cocu (son ancien Parcours de joueur
9-0 ou 3-1. Honnêtement, ce sentiment de coéquipier avec les Pays-Bas) m’appelle. Ajax Amsterdam (1986-1993), Inter Milan (1993-1995),
Aldo Liverani / Icon Sport - Léo Aupetit/L’Équipe

Arsenal (1995-2006).
confiance, je ne peux pas le décrire.” Il m’explique que si je veux passer mes
diplômes d’entraîneur en accéléré, je dois Palmarès de joueur
Il ne se voit pas coach principal le faire vite. J’ai réfléchi à mes objectifs. Je Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe 1987 ; Coupe
La discussion reprend fatalement sur ne me voyais pas coach principal et c’est de l’UEFA 1992 et 1994 ; Championnat d’Angleterre
quelques regrets. “C’est vraiment bizarre”, toujours le cas. C’était surtout l’opportunité 1998, 2002 et 2004 ; Championnat des Pays-Bas
rétorque Bergkamp, incapable d’expliquer d’avoir des diplômes pour la vie.” Retour où 1990 ; Coupe d’Angleterre 1998, 2002, 2003 et 2005 ;
Coupe des Pays-Bas 1987 et 1993 ; Community Shield
l’absence de succès en Europe pendant tout a commencé, à l’académie de l’Ajax.
1998, 2002 et 2004.
ses onze ans au club. En 2006, Arsenal est “Y a pire pour démarrer, non ?” Il y passe
au tournant de la modernité : un nouveau plusieurs années, notamment en tant Parcours d’entraîneur
stade va voir le jour, exit Highbury pour qu’adjoint de Frank de Boer ou Peter Bosz Ajax Amsterdam (adjoint, 2011-2017).

68
Paroles de juré

Nom Cerf média Radio Télévision Suisse (RTS) son “score” (nombre de fois
prénom Christophe Clubs préférés Sochaux et le FC Bâle où il a donné le vainqueur final) 5/9
Âge 51 ans Nombre de participations
pays Suisse au jury du Ballon d’or 9

“moN votE a surpris


BEauCoup dE moNdE”
“Mon vote pour le Ballon d’Or 2023 a surpris beaucoup de mon- reux de voir un adversaire rater, mais exulter comme s’il avait lui-
de. Mon top 5 final (1. Haaland, 2. Vinicius Jr., 3. Bounou, 4. Bernar- même marqué, alors qu’il s’était plaint du traitement qui lui avait
do Silva, 5. Saka) est d’ailleurs très éloigné des cinq premiers noms été infligé après son loupé contre la Suisse à l’Euro 2021 (élimina-
que j’avais couchés sur le papier : Haaland, Mbappé, Messi, tion en 8es, 3-3, 4-5 aux t.a.b.), ce n’était pas très fair-play. Il n’a
De Bruyne, Vinicius. Mais la saison passée, à cause de problèmes donc pas eu ma voix, même s’il méritera de l’avoir un jour.
de santé, j’ai eu plus de temps que d’habitude pour revoir les mat- La cérémonie s’est déroulée alors que j’étais en Namibie, sans
ches, c’est la seule chose qui me restait. J’ai beaucoup réfléchi. téléphone. Quand je suis rentré en Suisse, j’ai rallumé mon mobile.
Je vais expliquer pourquoi j’ai retiré J’ai reçu beaucoup de : « Mais comment
Messi et Mbappé. Deux joueurs du Paris- tu as voté cette année ? » Je n’ai pas été
Saint-Germain dans mon top 5… je me “Des spécialistes dérangé outre mesure. En revanche, des
suis dit que ça ne collait pas, le PSG
n’ayant pas fait une grande saison. Et je
du foot africain m’ont spécialistes du foot africain m’ont félicité
et remercié parce que j’avais placé Bou-
n’ai pas voulu que ce soit uniquement la félicité pour Bounou” nou dans mon top 5. Il a été l’ambassa-
Coupe du monde qui dicte mon vote. J’ai deur de cette remarquable aventure
ensuite pensé au critère du fair-play. Des images m’ont dérangé. marocaine en Coupe du monde, puis décisif en Ligue Europa avec
Le « vrai-faux » départ de Mbappé du PSG, ce n’était pas classe. Il y le Séville FC.
a aussi l’attitude de Messi au Mondial, devant le banc néerlandais Je reste vraiment en accord avec moi-même. Tout le monde ne
puis dans les vestiaires. Comme ses déclarations quant à son pas- partage pas mon avis, et c’est l’un des points intéressants du Bal-
sage en France. Un Ballon d’Or a un devoir d’exemplarité. lon d’Or : il y a des critères mais le vote repose aussi sur des élé-
Même chose pour Mbappé. Sa réaction après le penalty man- ments subjectifs et cela provoque des débats. Si tout le monde
qué de Harry Kane en quarts du Mondial (2-1 pour la France contre était d’accord, si on devait désigner quelqu’un en prenant son
l’Angleterre) manquait de classe. On peut intérieurement être heu- nombre de buts marqués, ce ne serait pas drôle.” h Théo Troude
Illustration Laura Acquaviva

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pas trop cliché

“GiGi” l’ÂmE au rosé


1982, l’année de toutes les émotions pour Alain Giresse. La joie, à presque 30 ans, d’un premier grand
tournoi international, ce Mondial étincelant en Espagne. La fierté de décrocher une deuxième place au Ballon
d’Or derrière Paolo Rossi, d’être désigné footballeur français par FF. Mais aussi un sentiment d’injustice,
le 8 juillet à Séville, après l’élimination en demies contre la RFA. Au moment du bilan, chez lui, à Langoiran,
le capitaine bordelais pouvait pourtant sabler le champagne (rosé). Le voilà entré dans la cour des grands.
André Lecoq/L’Équipe

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