Cours de Sociologie de L'etat-2
Cours de Sociologie de L'etat-2
Cours de Sociologie de L'etat-2
SOCIOLOGIE DE
L’ETAT
Par :
CYRIAQUE ESSEBA
Au premier abord, l'État est une notion familière, mais cependant difficile à cerner.
En effet, ce qui caractérise le mot « État » c'est sa récurrence dans le langage quotidien : l’État
français, l'État gabonais, 1'État allemand, l’État malien, les États unis d'Amérique, l’État du
Cameroun, les États occidentaux, les États sous-développés etc. Cette familiarité avec le mot État
entretient la croyance que la connaissance de ce que ce mot désigne va de soi, ne pose aucune
difficulté. En effet, la vulgarité du mot État, dans le langage quotidien tend à masquer la complexité
de la réalité qu'il désigne; on est ici face à l'un des obstacles épistémologiques les plus connus en
sciences politiques, à savoir l'illusion du savoir immédiat, la connaissance de ce que désigne le mot
« État », ne vas pas de soi. Pour plusieurs raisons :
En premier lieu, l'État est une notion ambivalente. À titre d'exemple, le Cameroun est un
État, mais il existe aussi un État au Cameroun. Autrement dit, l'État est à la fois un
contenant et un contenu.
L'État comme contenant désigne la globalité, la totalité; en ce sens le Cameroun comme État
renvoie à l'ensemble général, regroupant à la fois les gouvernants et les gouvernés. C'est
l'État en tant qu'entité territoriale et démographique placé sous la direction d'un appareil
politique.
Mais l'État peut également être appréhendé dans son sens restrictif. Dans ce cas, l'État renvoie
souvent à l'appareil politico-administratif, c'est-à-dire aux gouvernants symbolisés par les figures du
président, du premier ministre, du gouvernement (assemblée nationale, du sénat, du gouverneur
etc.). Ici l'État désigne les autorités, les pouvoirs publics dotés du pouvoir d'injonction.
L'État est également une réalité qui ne s'appréhende pas facilement parce qu'il est doté à la
fois d'une dimension concrète et d'une dimension abstraite.
La dimension concrète de l'État renvoie à ses éléments sociologiques et matériels ; c'est-à-dire
aux données concrètes par lesquelles on perçoit l'État au quotidien. Exemple la population le
territoire...
La dimension abstraite, elle renvoie aux attributs juridiques de l'État, lesquels ne sont pas
immédiatement perceptibles à l'œil nu. Exemple : la souverainte de l’etat
« L’etat est une idee et un faite » Philipe Harden
« je n’ai dejeune avec l’etat » Gaston gesse
L'État est au cœur de la sociologie politique; il est l'objet de réflexion de plusieurs auteurs :
Hegel voit l'État comme renvoyant au triomphe propre de la raison dans l'histoire.
Karl Marx considère que l'État est l'instrument de domination de la classe bourgeoise, par
conséquent selon lui, le projet révolutionnaire d'une société égalitaire sans clivages ni
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classes, suppose l'abolition de l'État parce qu'il est l'instrument d'oppression des classes
faibles.
Machiavel dans le prince, parle de l'État dans les premières lignes de son ouvrage.
Mais il utilise plus couramment les termes de principauté, de cité ou de république.
Bodin appréhende l'État à partir d'un trait principal à savoir la « souveraineté ». Il n'y a pas
d'État sans souveraineté. Selon lui, la « République est un étroit gouvernement de plusieurs
ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance et souveraineté ». Le problème de la
souveraineté comme caractéristique majeure de l'État, définie comme « absolue, indivisible,
perfectible » va imprégner d'abord la philosophie politique et ensuite sera relayée par la
théorie juridique. À l'origine, il s'agit d'affirmer l'indépendance de l'État à l'égard de
puissance extérieure ; le pape ou l'empereur. Il s'agit également de réfléchir sur les limites de
pouvoir à l'intérieure des frontières de l'État.
Hobbes fait reposer l'État sur le contrat social, c'est-à-dire l'arrangement entre les individus
et le Léviathan, afin que celui-ci puisse assurer la paix et la sécurité.
Bossuet fonde la légitimité du pouvoir politique et partant de l'État sur la divine providence.
La révolution industrielle fait émerger un autre débat dans la philosophie politique, celui de
savoir si l'État doit rester simplement un pouvoir régulateur, chargé d'assurer l'ordre et la sécurité
des personnes et des biens; ou alors être également un instrument de protection des catégories des
plus faibles c'est-à-dire un instrument au service de la justice. L'État doit-il être un État gendarme
ou un État providence ?
La théorie juridique quant à elle, appréhende l'État en le définissant aussi rigoureusement que
possible, aussi bien sur le plan du droit Constitutionnel, du droit administratif que du droit
international. La définition juridique de l'État est formulée dès la fin du 19 ème siècle en Allemagne et
en France. C'est une définition classique aujourd'hui que relayent les juristes contemporains. Elle
appréhende l'État comme une entité humaine organisée sur un territoire bien délimité
géographiquement et sous la direction d'un pouvoir politique souverain.
L’autre difficulté majeure qui structure l'appréhension de l'État est constituée par la question
de savoir s'il faut parler de l'État au singulier ou des États au pluriel. Existe-t-il un modèle unique de
l'État transposable partout dans le monde ? Y'a-t-il une différence entre l'État belge et l'État iranien,
entre l'État sénégalais et l'État pakistanais, entre l'État zambien et l'État thaïlandais ? Une
observation sociologique rigoureuse permet de voir que le terme générique d'État renvoie à des
réalités hétérogènes et disparates à travers le monde, et que le dit concept tend à voiler la pluralité,
la diversité sous la figure de l'unicité. Par conséquent, il faut analyser sociologiquement l'État en
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évitant de tomber dans le piège du nominalisme, c'est-à-dire la tendance à vouloir désigner des
réalités plurielles et disparates par un seul et même concept.
Les États à travers le monde différent aussi bien en ce qui concerne leur histoire, leur
configuration, leur contexte, leur dimension, leur composition humaine, leur culture, leur
civilisation, que par leurs modes d'action. D'où la nécessité de parler de l'État occidental, de l'État
africain, de l'État asiatique, bien plus ces modèles d'État ne se caractérisent eux même par des
différences et des disparités criardes. L'État français qualifié de jacobiniste ou centralisateur diffère
de l'État anglais considéré comme un modèle de l'État décentralisé, de même une sociologie locale
ou régionale de l'État dans la sous-région CEMAC permet de mettre en exergue des différences
énormes, en dépit des similitudes de certains entre l'état camerounais, l'état tchadien, l'état
congolais, l'état gabonais, l'état équato-guinéen et l'état centrafricain, non seulement du point de vue
de l'histoire, mais également des technologies institutionnelles employées par ces différents États.
Au sortir de ces diverses considérations, qui révèlent la divergence et la diversité des
conceptions de l'État, la question de savoir : qu'est-ce que l'État ? Question qui structure le présent
enseignement, reste entière. La philosophie politique de l'antiquité en passant par le Moyen-âge a
généralement appréhendé l'État et le pouvoir en général sous l'angle éthique mettant en exergue les
questions telles que : qu'est-ce qu'un bon gouvernement ? Sur qui faut- il fonder la légitimité du
pouvoir étatique ? Quelle en sont les limites ? Pour répondre à ces questions il faut nécessairement
se référer à des systèmes de valeur, avoir une approche axiologique différente de l'approche
sociologique.
Le travail de conceptualisation de l'État, en prenant ses distances avec l'approche
philosophique, s'est opéré sur trois grands domaines ou univers intellectuel. Il s'agit du domaine
juridique, de la sociologie wébérienne et de l'anthropologie culturaliste.
A. La conceptualisation de l'État dans l'univers intellectuel juridique
Les théoriciens du droit ont généralement tendance à penser l'État en se limitant à ses activités
législatives, administratives et juridictionnelles. Selon eux, l'État doit être pensé d'abord à partir de
sa différenciation, d'avec son environnement social ensuite à partir de sa domination de la société à
travers une production normative obligatoire.
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Ici, l'État apparait comme la partie d'un tout, une composante de la société globale. Dans cette
approche, trois critères se dégagent nettement:
Le territoire
Un État est d'abord et avant tout un espace géographique aux frontières conventionnellement
bien délimitées. Autrement dit, les frontières délimitatives de l 'État font l’objet d'accords
internationaux ou multilatéraux enregistrées par l'Organisation des Nations
Unies. Les territoires de l'État constituent le domaine d'extension des normes juridiques adoptées
par la puissance publique qui le régit. Mais peut-on dire qu'il n'y a pas d'État sans territoires, ou de
territoires sans États ?
L'État peut-il continuer d'exister malgré l'occupation totale ou partielle de son territoire ou
suite à une invasion ?
La population
La population de l'État renvoie à une agrégation des individus soumis aux droits dudit
État. La population de l'État est constituée de deux grandes catégories : les nationaux et les
étrangers.
Les nationaux sont liés à l'État par le lien de la nationalité acquise soit par filiation, soit par
naturalisation. Mais tous les nationaux d'un État ne vivent pas sur son territoire mais ceux-ci-restent
assujettis à l'État, même dans le pays d’accueil. En effet, la diaspora quel que soit son statut
juridique (double nationalité ou nationalité du pays d'accueil) est attaché à l'État d'origine par la
nationalité. Quant aux étrangers, ils revoient soit aux étrangers temporaires, soit aux étrangers
permanents. La population étrangère bénéficie des droits publics réduits par rapport à ceux des
nationaux. C'est le cas notamment des russes en Lettonie ou en Estonie, des réfugiés rwandais au
Zaïre, des Palestiniens dans les pays arabes du Golfe. Pour prévenir des difficultés politiques, par
rapport aux étrangers, certains États pratiquent soit une politique d'assimilation ou de naturalisation,
soit un cantonnement des étrangers dans un statut distinct du reste de la population soit alors une
politique d'expulsion.
Le pouvoir politique institutionnalisé.
Le pouvoir de coercition s'exerce sur tout le territoire et se matérialise par l'existence des
gouvernants, c'est-à-dire des autorités chargés de dicter et d’appliquer le droit. Pour être respecté, la
règle de droit, définit comme la prescription impérative d'un comportement en terme d'action ou
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d'inaction et dont l'inobservation entraine la sanction, doit nécessairement être garantit par l'usage
ou la menace d'usage de la force.
B. La conceptualisation de l'État dans la sociologie wébérienne
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La définition wébérienne de l'État, à partir du critère de la monopolisation tendancielle de la
violence est appréciable. Mais c'est une définition qui semble mettre plus en exergue le rôle de
gendarme joué par l'État au détriment des autres fonctions que l'État moderne est censé assurer.
2. l'État et le problème de l'institutionnalisation
Comme une entreprise politique à caractère institutionnel, l'institutionnalisation du pouvoir
étatique exclue toute appropriation privative des postes de pouvoir empirique, la démarcation nette
entre le privé et le public. L'institutionnalisation apparait alors comme le processus par lequel des
postes à pouvoir étatiques cessent d'apparaitre comme une propriété privée de ceux qui en ont la
charge.
C. L'appréhension de l'État dans le registre anthropologique : les assises symboliques de
l'État
Par symbolique, il faut entendre tout système de signe, de messages ayant des connotations
sur le plan émotionnel et cognitif : c'est le cas des termes tels que « service public » « intérêt général
» « liberté » ou des réalités matérielles comme les bâtiments officiels, les monuments
commémoratifs, les emblèmes. L'État apparait dans une perspective anthropologique sous la figure
des symboles, on évoquera ici, à titre d'illustration d'une part les liturgies politiques, d'autre part les
discours mobilisateurs.
1. Les liturgies politiques
Certaines dimensions majeures de l'activité étatique ne sont directement liées à l'exercice de la
violence ou à la production d'un droit contraignant, coercitif. Selon Clifford Geertz, la conception
occidentalo-centrique du pouvoir amène à minimiser l'importance de la dramaturgie mise en œuvre
par l'État moderne pour assurer et légitimer son pouvoir sur les populations.
Les liturgies politiques sont mises en œuvre pour démontrer la centralité de l'État dans
l'espace social. Ce sont des cérémonies officielles lors desquelles l'État se manifeste dans son
appareil, on peut citer entre autre :
Les rituels d'investitures qui concernent aussi bien les nouveaux chefs d'État ou de
gouvernement issus des urnes, que les passations des pouvoirs dans chaque ministère ou encore les
séances inaugurales d'une nouvelle assemblée parlementaire. Dans tous les cas l’enjeu principal est
d'indiquer la continuité de l'État par-delà les changements d'hommes ou de majorité politique.
Les rites présidant au déroulement des activités officielles tels que la tenue d'un conseil des
ministres, le déroulement des débats parlementaires, la signature d'un traité à l'issue d'une
conférence nationale, la mise en scène qui entoure les interviews ou les allocutions télévisées des
personnalités les plus éminentes de l'État. Tous ces phénomènes constituent des illustrations
significatives de la « théâtralisation du politique ».
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Les manifestations officielles : ce qui caractérise ces manifestations officielles c'est la
nécessité qu'il doit exister un public qui peut être soit restreint et sélectif dans le cas où au contraire
aussi large que possible quand il s'agit des inaugurations et des commémorations officielles des
voyages en région ou à l’étranger, les fêtes nationales où se déploient forces civiles et militaires de
l'État. À travers le nombre significatif des personnes présentes, on voudrait signifier que c'est le
peuple qui est présent.
Sujet les assise symbolique dans le processus de construction de l’Etat
Sujet les litturgies politique
PB importance ou role
Peut on pqrler des LP dans l’etat // Les LP suffissent a elle seul pour l’assise symbolique de
l’etat ?
Les LP gage de la centralite de l’etat
Les LP suffissent a elle seul
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L'État défenseur des valeurs républicaines
Les valeurs républicaines sont des valeurs de communauté, au détriment des valeurs
individuelles. C'est l'appréhension de l'État comme étant quelque chose de public. Dès lors, l'État
républicain est celui dans lequel les croyances religieuses relèvent de la sphère privée dans lequel le
principe de la laïcité permet la mise en œuvre de l'égalité juridique entre ses citoyens . C'est aussi un
État dans lequel les valeurs de justice et d'équité et la défense des plus faibles sont garanties, lequel
se situe sur le registre juridique, sociologique ou anthropologique, l'État apparait comme une forme
d'organisation politique qui ne se confond pas avec aucune autre forme de pouvoir politique. Les
thèmes juridiques et sociologiques montrent que l’État est une production historique attestant d'un
certain degré dans la division sociale des tâches. Ici, des agents spécialisés exercent au nom d'une
entité abstraite des fonctions régaliennes, monopolisent la compétence de dire le droit et d'en
imposer le respect si nécessaire par contrainte à tous les autres membres de la société.
Ce canevas général étant précisé, il convient d'indiquer qu'il existe une extrême diversité
historique des processus d'émergence de l'État dans les différents grands airs culturels du monde:
Européen, Asiatique, Américain, Africain.
Ces formes n'ont pas toujours atteint le degré de « l’État légal-rationnel ». De manière claire,
les trajectoires d'émergence de l'État sont multiples mais prodigieuses. Ici, on étudiera
les trajectoires occidentales d'une part (I), les trajectoires africaines d'autre part ( II ).
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Sujet : Existe-t-il un modèle unique d’émergence de l’état ?
PREMIÈRE PARTIE : LES TRAJECTOIRES OCCIDENTALES DE L'ÉTAT
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partir des processus historiques, des circonstances politiques contemporaines, des structures
sociopolitiques existantes et des données culturelles propres à ces sociétés.
On peut rendre compte de l'exigence de l'État en Europe à partir de deux éléments :
L'État comme résultat d'un processus conflictuel (chapitre 1)
L'État comme produit d'un processus d'institutionnalisation (chapitre 2)
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Chapitre 1: L'ÉTAT COMME RESULTAT D'UN PROCESSUS CONFLICTUEL
L'État a émergé en Europe à travers un processus de construction d'un centre politique qui
progressivement s'est imposé en imposant à ses rivaux un double monopole d'édiction au droit
applicable à l'ensemble de la société et celui de recours à la continuité pour garantir l'effectivité.
Mais ce projet de construire un État moderne n'est pas le résultat d'un plan intentionnellement mis
en œuvre par les monarques français et anglais, mais d'une suite d'actions fortuites qui ont abouti à
la mise en place de l'État moderne.
Les luttes pour la mise en place d'un centre politique, sont portées sur trois niveaux fortement
imbriqués:
Le niveau militaire
Le niveau économique
Le niveau symbolique
Deux phases majeures peuvent être distinguées dans le processus de luttes incessantes pour le
pouvoir en Europe. La première phase est caractérisée par la prépondérance du processus de
monopolisation intérieure où la violence dans les États modernes européens en formation,
notamment en Espagne, en France et en Angleterre et qui s'achèvent à la fin du
15ème siècle. La seconde phase est caractérisée par les affrontements extérieurs, c'est-à-dire les
guerres entre pays constitués dont les conséquences sur l'évolution du phénomène Étatique sont
importantes.
A. Les luttes guerrières internes.
Les luttes politiques intérieures pour le pouvoir, plus précisément pour la constitution d'un
centre politique unique, se déroulent en deux grandes phases majeures :
La première phase est caractérisée par la prépondérance du processus de monopolisation
intérieure, de la violence dans les États en voie de formation, notamment en
France, en Angleterre et en Espagne.
La seconde phase est démontrée par les affrontements extérieurs c'est-à-dire, des guerres
entre des pays constituant donc les conséquences sur l'évolution du phénomène étatique .Au
début du 12 siècle, le roi de France, Louis VI le gros déploie des efforts en vue de pacifier
son domaine qui se limite autour de Paris, entre Orléans et Senlis ; dans le même temps, le
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roi anglais, arrière-petit-fils de Guillaume le Conquérant, bataille pour l'hégémonie des
Normands sur les Saxons. Ici, la violence est décentralisée et met aux prises une multiplicité
de petits et de grands seigneurs. Deux siècles de luttes rudes, de combats féroces semblable
aux logiques des rivalités commerciales vont permettre respectivement au roi anglais
Édouard Ier et au roi français Philipe IV le bel d'être à la tête des ensembles territoriaux
important sur le plan de l'étendue géographique, sur le plan démographique, sur le plan de la
supériorité militaire, sur d'autres seigneurs à l'exception des noblesses coalisées. En
Allemagne, les affrontements guerriers du même genre se déroulent entre la couronne et les
grands féodaux. Mais ici, l'empereur initialement plus puissant entre le 10 ème et le 12ème
siècle, que les rois de France et d'Angleterre sont vaincus du fait de nombreuses révoltes des
princes suscités ou soutenues par la papauté. Dès lors, une dynamique de fragmentation du
saint empire se met en place après le grand interrègne du 13 siècle, laquelle dynamique
prendra fin au 19ème siècle , grâce à un mouvement d'unification autour de la Prusse. Jusqu'à
cette époque, l'Allemagne comme l'Italie n'est qu'une simple entité géographique.
L'Angleterre, la France apparaissent donc comme premiers ébauches de l’État moderne, mais
elles empruntent des directions et des trajectoires très différentes. En effet, en Angleterre,
l'affirmation du pouvoir du parlement, le développement administratif local et enfin une
organisation militaire favorisent l'émergence d'un État décentralisé, faible libéral. Par contre en
France, la victoire totale ou l'absolutisme favorise la constitution d'un État fortement centralisé, sur
le plan politico administratif, centralisation parachevé par la révolution française.
Les luttes extérieures renvoient aux guerres entre puissances, aux moyens militaires en fortes
croissance grace a la révolution industriel. À titre d'exemple, L ‘invasion de la Hollande en 1672,
par Louis XIV a nécessité la mobilisation de 100 000 hommes.
Les guerres du 18 et du 19ème siècle vont participer fortement au renforcement du processus de
construction de l'État, d'abord parce que les révoltes entre les puissances les conduisent à déployer
des efforts croissants pour mobiliser des ressources nécessaires à la conduite des opérations. La
rationalisation de cette levée des effectifs et la production des équipements militaires sont
également de mise. La mise en place des administrations conséquentes est adoptée.
La révolution française adopte la « levé en masse », c'est-à-dire un système de circonscription
qui sera imité par les autres États. Une telle armée exige un budget militaire conséquent et doit être
motivée par des arguments idéologiques puissants. Il en découle de grandes mobilisations
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patriotiques, dans lesquelles les États puiseront un surcroit de puissance et de légitimité: Les armées
napoléoniennes obtiennent des victoires contre l'Allemagne. Mais l'Allemagne a surtout obtenu des
victoires contre l'Autriche à Sadowa (1866) et contre la France à Sedan en 1870. Ce qui a constitué
l'unité allemande.
Les guerres extérieures renforcent l'unité intérieure des peuples et favorisent la construction
d'entités politiques homogènes et soudées. Les luttes extérieures apparaissent donc comme une
fonction de renforcement du processus étatique.
Norbert Elias dans son ouvrage majeur La dynamique de l'occident met en exergue
l'importance décisive du processus de monopolisation fiscale dans la formation de l'État : au départ,
le roi à l'instar des autres souverains ne comptant que sur ses revenus domaniaux pour financer les
dépenses de son gouvernement; mais par la suite, les monarques ont progressivement réussit à
imposer des prélèvements obligatoires sur diverses catégories de la société. Les prélèvements
inégalitaires vont se développer au détriment des taxes seigneuriales. S’agissant du clergé, qui lève
ses propres impôts notamment la dîme, le monarque lui, impose une « contribution extraordinaire »,
plutôt qu'une taxation régulière. À la fin de l'ancien régime, la monopolisation fiscale au profit de la
monarchie n'est pas totalement achevée et ses entrées d'argent sont encore assurées par « les
fermiers généraux » qui sont des particuliers. Toutefois, les droits seigneuriaux ou ecclésiastiques
qui subsistent ont désormais une importance secondaire par rapport à la fiscalité de l'État . La
restructuration rationalisée des prélèvements a consacré l’égalité de tous devant l'impôt.
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Désormais, l'individu ne peut se voir imposer des prélèvements obligatoires qu’en vertu de la
loi de l'État et en rapport de ses facultés contributives. C'est la loi de L'État qui autorise aussi les
taxes locales. L'impôt devient la ressource budgétaire prépondérante.
Au 19ème siècle, le pouvoir fiscal de l'État et celui des autres forces sociales qui se disputaient
ce monopole vont se départager au profit de l'État. Les résistances(ceux qui refuse de payer l’impot)
aux payements de l’impôt sont sous tendues par l’absence d'égalité entre les contribuables sous le
caractère trop pesant des charges fiscales, sur les activités économiques . En ce qui concerne les
activités économiques, les prélèvements obligatoires sont considérés comme se développant au
détriment des capacités privées d'épargnes d'investissement ou de consommation. En réalité, ici, le
monopole étatique de prélèvement fiscal n'est plus remis en cause mais, il est demandé à l'impôt
d'être économiquement « neutre », c'est-à-dire de ne privilégier aucun mode de production ou de
commercialisation et surtout de ne pas entraver le développement des activités économiques(il est
hors de question de faire un faux comme dans le cas des timbres). Le pouvoir central s'est
généralement efforcé de légitimer les usages des impôts afin d'en faciliter le recouvrement. Pour
justifier des levées extraordinaires d'impôts, Philippe Auguste invoque son départ à la croisade et
Philippe Le Bel, le financement de son expédition militaire en Flandre. Le financement des grèves
et des défenses ( ) constituent l'affectation principale d'un impôt qui va demeurer très impopulaire.
En fait pour que les citoyens acceptent ou tolèrent le relèvement il fallait qu'ils s'identifient à
la gloire du prince et à ses victoires.
L'État moderne a eu besoin de ressources appropriées qu'il puisait dans son environnement
pour s'affirmer avec efficacité. Ce n'est donc pas un hasard si le champ privilégié de son émergence
se situe dans l'économie du monde occidentale telle que l’économie s’est mise en place au 16 ème et
au 19 siècle sur les deux rives de l'Atlantique Nord. En effet, il existe une étroite interdépendance
entre le développement de l'État et la prospérité économique de l'environnement dans lequel il
émerge.
Dans l'hypothèse d'une économie aux maigres ressources, le prélèvement fiscal demeure
coûteux. Le produit fiscal sera réduit si la richesse intérieure imposable est d'un niveau très faible.
Si le pouvoir politique dispose des ressources trop limitées, il n'aura pas de moyens de construire un
appareil administratif étoffé et compétent, pouvant offrir des prestations de haut niveau en termes de
sécurité extérieure et intérieure, d'éducation, de justice, d'infrastructures publics etc. par conséquent,
la faible rémunération des agents de l'État va alimenter le développement de l'absentéisme et de la
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corruption et partant l'inefficacité de l'appareil étatique. Un prélèvement fiscal perçu comme
écrasant est nécessairement impopulaire, à cela s'ajoutent les faibles avantages attendus de l'action
administrative: le développement des pratiques de corruption et le développement économique ne
sont pas alors menés sur des bases saines. Parce que l'État apparait comme étant à la fois coûteux et
inefficace, il en découle un affaiblissement considérable de sa légitimité. Ce qui déteint sur sa
capacité de régulation et son aptitude à mobiliser les soutiens ; d'où le processus d'implosion
notamment dans le cas de l'empire Byzantin, l'empire Ottoman, le royaume de Pologne, I ‘Union
Soviétique.
Ce plan ne s'applique pas à l'économie -monde qui s'est mise en place à partir du 16 ème siècle.
En effet, l'économie-monde, conjuguée à ses facteurs politiques, culturels et historiques permet de
comprendre pourquoi ce sont les régions prospères de l'Europe occidentale qui ont constitué le
berceau de l'État moderne à savoir la France, l'Angleterre, la Suède, l’Espagne, la Hollande et
l'Allemagne, réunifiée autour de la Prusse.
Le développement des échanges commerciaux et l'essor de la production agricole et
industrielle ont favorisé l'apparition de nouvelles catégories aisées de la population distincte des
catégories dominantes qui étaient la grande noblesse et le haut clergé. Par la taxation de roturiers
démunis que les paysans médiévaux ou par la vente d'offices à des bourgeois enrichis, les
gouvernants de ces différents pays ont pu disposer des ressources nécessaires au financement d'une
armée permanente, d'une manne de guerre et d'un embryon d'administration centralisé.
Il en résulte une sécurité intérieure accrue qui s’est révélée favorable à l’accélération du
développement des affaires. Dans les relations entre les États, la suprématie navale de la Hollande
puis de la Grande Bretagne, leur a permis de profiter du commerce international et partant d'enrichir
leurs populations. L'État disposait de plus en plus des ressources financières accrues et pesait d'un
poids moins lourd sur la société.
De plus, les succès militaires de l'État ainsi que son action modernisatrice ont contribué à
renforcer sa légitimité aux yeux de la population. En effet, dès le 18ème siècle, la puissance publique
en France, en Angleterre, en Suède ou en Hollande, encourage vivement la construction des routes,
des voies navigables, des voies ferrées facilitant ainsi les échanges commerciaux.
Ces processus vont s'accroitre au 19ème siècle, et conférer à l'État une capacité d'intervention
sociale, conduite selon des modalités qui accroissent sa légitimité. En effet, la puissance publique se
déploie sur de nouveaux terrains : l'éducation, la santé etc.
À côté du conflit physique basé sur la monopolisation de la violence d'une part et la
monopolisation fiscale d'autre part, l'État s'est aussi construit à travers un affrontement symbolique
avec le pape et l'empereur.
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III. La construction et l'affirmation de l'État en occident à travers un affrontement
symbolique.
C'est le conflit des valeurs, il s'agit de l'affirmation historique de l'État occidental moderne,
outre les deux puissances dominantes, l'univers symbolique de la chrétienneté médiévale à savoir le
pape et l'empereur.
La notion de chrétienté renvoyait à l'idée d'une religion universelle et d'un empire universel.
Les héritiers germaniques de Charlemagne, empereurs couronnés par le pape ont généralement
nourri l'ambition d'une suprématie et d'une hégémonie sur les autres monarques, princes et
seigneurs de la chrétienté. Les légistes français vont y opposer la fameuse formule « le roi est
empereur en son royaume » ce qui signifie refus de toute allégeance même formelle au pape d'où
l’expression de la notion de souveraineté en France. Par contre, les rois de l'Angleterre ou de
Hongrie ont un temps prêté serment et hommage au pape.
La distinction entre pouvoir spirituel du pape et pouvoir temporel des princes s’est
généralement posée de manière cruciale dans l'univers culturel européen et comportant en
permanence un risque de conflit. À certaines époques, le poids politique de la papauté portait
atteinte à l'autorité de l'empereur d'Allemagne et celle des monarques français et anglais.
L'idée de croisade a même permis au pape de mobiliser sous la bannière d'une cause
religieuse, rois, barons, comtes et de disposer d’un bras armé constitué des templiers et des
hospitaliers. Mais l'hégémonie politique du pouvoir spirituel sera épisodique et relativement de
courte durée. En effet, les monarques vont s'arroger le droit de participer à la nomination des
évêques et des Abbés et inféoder totalement l'Église locale. C’est le cas d’Henri VIII en
Angleterre au moment de la réforme, sur la puissance ecclésiastique tout en se faisant les défenseurs
de la religion et en se proclamant « rois très chrétiens ».
Le progrès du relationalisme a permis à partir du 18 ème siècle de poser le problème des
rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel notamment en France en des termes
radicalement nouveaux. Il en a découlé l'imposition de la notion de laïcité qui implique une
séparation rigoureuse entre l'État et la religion. En France depuis 1905 l'État ne reconnait ni ne
subventionne aucune religion. La religion se trouve désormais reléguée dans la sphère privée
(d'ailleurs mis à part quelques rares cas) l'État ne cherche plus à mobiliser à son profit la force de la
symbolique chrétienne alors que Napoléon et certains rois y avaient fortement recouru.
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En conclusion l'État en occident apparait respectivement dans les différents pays considérés et
suivent des trajectoires plus ou moins divergentes, comme le résultat d'un triple conflit/ le conflit
politique, le conflit économique et le conflit symbolique. Conflit au terme duquel l'État se constitue
comme un monopole. C'est ce que révèlent les analyses de Norbert Elias et les travaux de Max
Weber.
Mais le processus de monopolisation s'accompagne également de l’institutionnalisation du pouvoir.
I. La différenciation structurelle
L'État contemporain est le résultat d'une évolution qui a conduit de l'État initial de quasi
indifférenciation dans lequel le monarque en Angleterre ou en France pendant l'époque médiévale
gouverne et délibère sur toutes les affaires importantes quel que soit leur nature, assisté de ses
comtes et de ses barons ainsi que de grands dignitaires ecclésiastes, à un État où le pouvoir est
détaché de la personne du monarque.
18
droit de consentir à l'impôt est reconnu au grand conseil du Roi la Curia Régis qui prend le nom de
parlement au milieu du 14ème siècle. Le dit parlement est originellement constitué de grands féodaux
mais il va voir sa composition s'élargir par l'élection de chevaliers qui représentent les comtes et les
bourgeois délégués par les villes. Après, 1332 chevaliers et Bourgeois d'une part, dignitaires
ecclésiastiques et laïcs d'autre part siègent séparément.
C'est l'amorce du bicaméralisme qui fait du parlement une institution composée de la chambre
des communes et de la chambre des Lords(les deux chambre n’ont pas les meme pouvoir la
chambre des comunes). Dès lors, le parlement ne cessera d'élargir son pouvoir politique face à la
couronne notamment après la disparition absolutiste du règne des Tudors (16ème siècle) puis la
grande crise du 17ème siècle qui oppose Charles 1 er au parlement dominé par les puritains de
Cromwell. Parallèlement, sa représentativité grandit notamment à la suite des diverses réformes qui
instaurent progressivement le suffrage universel pour l'élection à la chambre des communes alors
que les pouvoirs de la chambre des Lords sont réduits par les gouvernements travaillistes à un
simple rôle d'influence.
Toutefois, il serait erroné d'en déduire qu'il existe une séparation absolue entre le pouvoir
législatif et le pouvoir exécutif. Comme le dit Monica Charlot il y a « suprématie du parlement »
c'est dans le cadre de « la toute-puissance du gouvernement » disposant d'une majorité stable à la
chambre des communes. (C’est dire que le parti majoritaire gouverne)
En France, le souci de distinguer très tôt la curia in consilio sur les affaires politiques et
administratives et la curia in parlemento sur les affaires judiciaires débouche plus tard sur
l'affirmation d'un parlement ayant surtout les compétences d'un juge. Mais il n'y aura aucune
réunion véritable de cette assemblée représentative de tous ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-
État. Par conséquent, c'est un peu ex nihilo que les premières constitutions écrites adoptées en
France sous la révolution mettant en place des assemblées représentatives. La caractéristique
majeure de l'organisation du pouvoir législatif en France est donc un bicaméralisme inégalitaire au
profit de la chambre basse (l'assemblée nationale). Son rôle face au pouvoir exécutif est quasiment
le même que celui de son homologue anglais.
Sujet l’impôts dans le processus de construction de l’Etat.
B. La complexification de la structure gouvernementale
19
qu'il désigne librement à partir de critère de compétence et de loyauté. Mais cette institution aura
des appellations changeantes : conseil du roi, conseil privé, conseil d'État et a généralement eu une
composition instable et des attributions générales.
Les affaires financières étant généralement confiées à des conseils spécialisés.
Une différenciation fonctionnelle s’effectue seulement à partir de François 1 er et de ses
successeurs, se développe egalement sur le règne de Louis XIV et de ses successeurs.
L'évolution de l'État va aboutir à l'amorce d'une division des organes centraux du pouvoir en
départements ministériels. Le conseil d'en haut composé d'un nombre très limité de personnes qui
ont l'appellation des ministres traite des affaires extérieures, la conduite de la guerre et de la
diplomatie. Sous Mazarin, on assiste à une division du conseil d'en haut qui donne naissance au
conseil des dépêches chargé de la gestion des affaires intérieures du royaume. Quant au conseil
royal des finances, il hérite des attributions relatives aux finances du royaume. Les grands officiers
de la couronne assurent auprès du roi des fonctions à la fois politiques, administratives et
domestiques jusqu’au 16ème siècle où ils vont soit être supprimés soit conserver un rôle honorifique.
Seul le chancelier conserve ses prérogatives réduites en matière juridique.
Au début du 16ème siècle émerge également le surintendant des finances qui sera supprimé
par Louis XIV, celui-ci crée le poste de contrôleur général des finances, ancêtre direct du
ministre des finances.
A la veille de la révolution, la différenciation gouvernementale s'amorce sérieusement
dominée par la confusion de compétences. En revanche, sous la révolution de l'empire le processus
de rationalisation s'accélère : les ministères au sens moderne apparaissent. On compte 06 ministères
en 1791, 12 ministères en 1811 année de création du ministère du commerce et des manufactures.
L'organigramme interne se dessine avec la création des directions confiées à des hauts
fonctionnaires généralement issus du conseil d'État et les subdivisions des directions en bureau. De
nouveaux ministères seront créés dans la suite notamment le ministère de l'instruction publique en
1828, le ministère de travaux publics en 1893, le ministère du travail en 1906 etc.
La structure gouvernementale connait des mutations profondes au 20 siècle notamment avec
l'accroissement du nombre de ministères qui impose l'exigence de coordination d'où les conseils
inter ministériels et de hiérarchisation (Secrétariats d'État, ministère, premier ministère) le poids des
cabinets ministériels s'accroit, leurs membres qui sont des collaborateurs personnels du ministre
sont généralement issus de la naissance d’une fonction publique et se situent à la fonction des
considérations d'ordre politique et administratives.
20
La puissance de l'administration est visible à travers l’accroissement de ses effectifs.
L'administration générale qui contribue au fonctionnement du royaume sous l'ancien régime est
constitué de près d'un millier de personnes. Mais après la révolution, la forte naissance des effectifs
de l'administration porte à 25 000 le nombre de fonctionnaires en poste à Paris sous l'empire : en
1870 on compte 28 directeurs d'administration centrale, 61 à la fin de la 3 ème république, et 139 au
début de la 5ème république. Cette évolution est quasiment la même dans tous les autres États
européens notamment suite aux deux guerres mondiales et du fait de l'apparition et de l'affirmation
de l'État providence.(Etat qui doit tout faire)
A. La rationalisation bureaucratique
La mise en place d'une administration moderne marque l'aboutissement d'un long processus
de rationalisation :
En France, la valeur des offres était la règle jusqu'en 1780, Cette commercialisation des
charges publiques procurait des ressources au Roi. Elle ne garantissait pas un recrutement
fondé sur la compétence et tendait à la constitution des dynasties d'agents royaux. Il existait
également le système de la « commission » qui faisait des représentants du roi nommés
discrétionnairement des exécutants dociles soumis à sa seule volonté. Les intendants
précurseurs en province, des préfets modernes en constituaient un exemple.
La prusse quant à elle inaugure très tôt le principe de l'administration moderne. En effet,
sous le roi Fréderic Guillaume 1er les fonctionnaires sont nommés à leur emploi. Leur revenu
est constitué d'un salaire fixé à l'avance. Leurs actes doivent être conformes à un corps de
règle juridiques minutieusement codifiées. Si les agents publics prussiens agissent au nom
du roi, ils sont cependant animés par le sens de l'intérêt général, développent du sens du
service public qui est la caractéristique majeure de la fonction publique moderne. Le
système prussien favorise non seulement un recrutement fondé sur la compétence, et mais
également une juridicisation croissante des rapports entre l'administration et les administrés,
imposant idée d'un pouvoir « impersonnel », « anonyme » et « neutre » des bureaux c'est-à-
dire la bureaucratie mot qui apparait en France dès 1780.
Le processus de rationalisation s'affirme également à travers les réformes qui tendent à
hiérarchiser de manière pyramidale les activités administratives de la base jusqu'au sommet. En
France, les réformes révolutionnaires et napoléoniennes découpent le territoire en circonscriptions
au statut homogène et instaure ainsi un triple niveau de l'administration générale à savoir la
21
commune, le département et l'État. Ces réformes rendent les services extérieurs de l'État fortement
dépendants des administrations centrales et font du préfet L'autorité hiérarchique des services
administratifs et l'autorité de tutelle des collectivités décentralisées. Ce système décentralisateur a
été partiellement suivi dans les autres États européens.
A la seconde moitié du 19ème siècle, des tendances différentes se dégagent considérées par
certains auteurs comme traduisant « la crise de l'État ».
22
C'est une problématique qui soulève la question de l'existence ou non de l'État africain
précolonial. Autrement dit, l'Afrique a-t-il connu un état précolonial ou non ? Le modèle
d'organisation des sociétés africaines avant l'avènement de la colonisation est généralement
considéré comme relevant plus de la tradition que de la modernité du fait du caractère rudimentaire
et embryonnaire des-structures politiques. Néanmoins certains auteurs soutiennent la thèse de
l'existence d'un État précolonial, tout comme celle de la démocratie précoloniale.
I. L'État précolonial en Afrique : fiction ou réalité ?
Les sociétés précoloniales en Afrique sont caractérisées par l'absence d'identité et d'uniformité
politiques. Autrement dit, les sociétés précoloniales ont développé des modes variés de production
du politique. Ce qui prévaut en Afrique précoloniale c'est l'hétérogénéité des modes de production
du politique au point où on parle de chefferies, de royaumes, d'empires. En Afrique précoloniale les
modes de production du politique varient selon les civilisations.
Jacques Maguet dans son ouvrage consacré aux sociétés africaines distingue trois civilisations
originales et distinctes les unes des autres par un certain nombre de caractéristiques politiques,
économiques, culturelles, sociales, organisationnelles. Ces différentes civilisations correspondent
chacune à une aire géographique précise.
De manière globale, ces différentes civilisations peuvent être rangées en deux catégories :
Premièrement les civilisations nomades;
Deuxièmement les civilisations sédentaires.
La civilisation de la lance.
C'est une civilisation qui englobe les pasteurs des hauts plateaux de l'Est de l'Afrique dont la
caractéristique principale est la mobilité d'un endroit à un autre dans la quête du pâturage. Ici, c'est
la quête du pâturage qui pousse les pasteurs au déplacement.
La civilisation de l'arc.
23
Elle renvoie à la civilisation des chasseurs et des récolteurs. Les peuples constituant cette
civilisation se caractérisent également par la mobilité du fait de la nécessité de se déplacer dans le
but de rechercher les zones giboyeuses et fruitières. En effet, les peuples de la civilisation de l'arc
connaissent une sédentarité et un nomadisme partiels ; ils deviennent sédentaires pour un moment
lorsqu'ils trouvent une région pouvant pourvoir à leurs besoins en chasse et en récolte. Mais se
déplacent, aussitôt, dès lors que la chasse et la récolte ne sont plus possibles vers de nouvelles
régions.
Si les civilisations de la lance et de l'arc se caractérisent par le nomadisme c'est-à-dire par le
déplacement ou la mobilité, d'autres civilisations africaines se distinguent par leur sédentarité.
La civilisation des clairières renvoie aux agriculteurs itinérants de la forêt humide dont
l'activité principale a trait à la mise en valeur de la terre notamment dans les zones propices à
l'agriculture.
La civilisation des guerriers qui renvoie aux agriculteurs de la savane méridionale qui ont
pour caractéristique l'endurance à la guerre mais également à la pratique de l'agriculture.
La civilisation des cités qui englobe les marchands et les artisans de l'Afrique de l'Ouest qui
exercent des activités plus ou moins propices à la sédentarisation notamment le commerce et
l'artisanat,
En définitive, il apparait que le nomadisme ou la sédentarité des peuples africains est fonction
du type d'activité exercée. Il en découle également des modes d'organisation politiques différents.
Le mode d'organisation politique des chasseurs et des récolteurs est la « bande». Autrement
dit, les chasseurs et les récolteurs vivent généralement en bande sans territoire fixe et permanent. Ils
sont habitués à la mobilité d'un campement à un autre dans la quête des ressources de survie. Ce qui
24
fait l'unité au sein de la bande nomade c'est la parenté. Toutefois, suite à des litiges, les membres
d'une même famille peuvent faire partie des bandes différentes : ici l'action politique est constituée
par la nécessité de coordonner les comportements. Il n'existe pas ici des institutions politiques
spécifiques chargées de l'organisation et de la direction de la bande.
Le mode d'organisation politique des peuples pasteurs de l'Afrique de l'Est la constitution
d'une communauté peu stratifiée et hiérarchisée mais plus ou moins homogène.
Ce mode d'organisation politique est influencé par le modèle économique. En effet, l'économie des
peuples pasteurs repose essentiellement sur le bétail qui est une ressource de prestige. Le bétail ici
est destiné à la commercialisation et à la consommation. Pour survivre, le groupe doit s'astreindre à
une discipline rigoureuse, à la mobilité et à la recherche des points d'eau et du pâturage. D'où
également la prolifération des organisations guerrières.
25
Ghana ou de l'empire du Mali, dont les économies reposent respectivement sur l'or pour le royaume
du GHANA et sur les échanges commerciaux pour l'empire du Mali. On assiste à l'affirmation d'une
distinction nette entre les villes et les villages. Les villages sont organisés autour de l'agriculture et
approvisionnent les villes. Mais ce clivage n'empêche pas la constitution d'une économie intégrée
entre ville et village qui sont acteurs des échanges économiques qui n'entrainent pas nécessairement
l'unification politique. Dans la zone de son domaine on note une gradation des systèmes socio-
politiques qui reposent soit sur une intégration entre les composantes rurales et urbaines soit sur leur
indépendance des uns et des autres. L'analyse socio-anthropologique qui précède montre que
l'Afrique précoloniale est marquée par une variété des civilisations et des modes d'organisation
politique. Mais peut-on pour autant parler d'État ?
L'Afrique précoloniale est caractérisée par une variété de systèmes politiques qui se
distinguent chacun par son degré d'institutionnalisation des rôles politiques. On peut distinguer
trois :
La plupart des sociétés africaines précoloniales se caractérise par l'absence d'un gouvernement
au sens moderne du terme c'est à dire une instance politique chargée de la direction et de la
préservation de l'ordre dans la société. À titre d'exemple, chez les Bushmans il n'existe pas de
détenteur particulier de l'autorité politique. Ce qui assure l'unité du groupe, c'est le respect par tous
ses membres, des normes, des rites du groupe. Il n'existe pas ici une instance chargée de faire
respecter les lois, les normes. Les valeurs du groupe sont intériorisées par chaque membre du
groupe. Lorsqu'un individu transgresse le code de la société, il est mis à l'écart et est réintégré une
fois sa faute publiquement avouée et reconnue.
Ici, la logique sociale semble privilégier le maintien quasi automatique de l'harmonie sociale par le
biais de la réconciliation. Ici il n'existe pas une instance politique particulière incarnant l'autorité
politique, celle-ci est diffusée dans la société et permet de surmonter les conflits internes. D'où la
notion d'autorégulation. Néanmoins, le contrôle social n'est pas totalement automatique et spontané
car généralement il faut parfois réunir toute la communauté pour la stigmatisation unanime du
comportement déviant, par conséquent c’est le groupe ou la communauté qui constitue une instance
politique et qui intervient pour réguler les comportements lorsque le contrôle diffus est défaillant.
26
Le modèle à institutionnalisation résiduelle
C’est un modèle qu’on note dans les sociétés lignagères qui essaiment de nombreux points de
la forêt. Ici, la régulation des conflits ou la gestion des tensions s’effectuent à l’intérieur des
parentés. L’ordre sociopolitique repose sur la hiérarchie et l’égalité. La hiérarchie permet la
répartition des rôles sociaux sur la base de l’âge et du sexe. Quant à l'égalité, elle prévaut non
seulement au sein de chaque lignage mais également entre les lignages. Tous les lignages sont
égaux. L'échange des moyens et des femmes entre les lignages permet de développer les relations
extérieures et d'éviter les conflits. Cependant les conflits peuvent se manifester du fait des
problèmes terriens ou fonciers ou du fait du meurtre notamment lorsque l'auteur est issu d'un
lignage différent de celui de la victime. Le lignage est fondé sur l'identification à une âme, ancêtre
généalogiquement repérable. Le doyen d’âge incarne ici l'autorité légitime en tant que représentant
de l'ancêtre: ici, il n'existe pas véritablement des institutions politiques permanentes mais le contrôle
social ou la régulation des comportements est exercé par des individus remplissant certaines
conditions. À titre d'exemple chez les Nuers du Soudan, la fonction de régulation sociale et
règlement des litiges est assumée par l'individu dit « à peau de léopard ».
De manière générale, la parenté est prégnante dans les sociétés à institutionnalisation
résiduelle.
27
Les structures politiques permettent aux gouvernants d'extraire de la société plusieurs
ressources : humaine, matérielle, économique. Grace à la guerre, les prisonniers de guerre
sont fait esclaves utilisés comme main d'œuvre, ou forces de travail.
En conclusion, l'analyse qui précède montre que l’Afrique précoloniale n'était pas une terre
apolitique ou a-étatique. L’Afrique précoloniale est marquée par une diversité des modes de
production du politique, des modes d’organisation politique, des systèmes politiques qui toutefois
n'atteignent pas forme étatique. Ces différents moyens précoloniaux ont connu un démantèlement
de la part des colons qui y ont imputé et imposé un mode d’organisation politique qualifié
d'étatique.
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La conférence de Berlin a été un cadre de dépeçage de l'Afrique. L'Afrique a été
effectivement partagée par les puissances occidentales et la notion de zone d'influence légitimée. On
assiste à un découpage administratif à l'intérieur des zones d'influence. À titre d'exemple, après la
conférence de Berlin (le Cameroun a des frontières plus vaste que celles du Cameroun actuel). De
même, avant la colonisation, le Congo est un royaume très vaste qui regroupe la RDC, le Congo
Brazzaville, l'Angola, le Rwanda, le Burundi. Ces royaumes ont été découpés et partagés en zones
d'influence par la Belgique la France et le Portugal.
B. La bureaucratisation
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L'État africain post colonial est l'objet de deux grandes catégories de grilles de lectures :
Les lectures exogènes (A).
Les lectures endogènes (B)
Ce sont celles qui reposent sur les variables extérieures (autrement dit les lectures exogènes
de construction de l'État post colonial en Afrique renvoient aux approches exogènes de l'État). On
distingue plusieurs tendance ou écoles.
1. L'école dépendantiste
L'école dépendantiste est grandement influencée par l'idéologie marxiste, elle est marquée par
les auteurs tels que Samir Amin, Frantz Fanon, Owona Nguini etc. L'école dépendantiste considère
que l'État africain est un simple produit de la domination capitaliste, un simple instrument du
néocolonialisme. L'école dépendantiste considère l'État en Afrique comme un État dépendant non
pas seulement des autres États notamment occidentaux mais
Également des firmes multinationales, des organisations internationales ou des institutions
financières internationales. Dans cette perspective, l'indépendance politique, économique et
culturelle de l'État africain post colonial est de pire forme car dépourvue de toute consistance
C'est dans cette optique que l'État est analysé en Côte d'ivoire, au Sénégal, au Kenya, au
Cameroun ou au Gabon. Cette dépendance africaine post coloniale est perceptible à travers la
France-Afrique, les sommets France-Afrique, l'imposition des politiques d'ajustement structurel, la
conditionnalité démocratique à l'aide économique.
L'école dépendantiste pour aussi fondée qu'elle soit, présente des limites. Le principal défaut
de l'école de la dépendance c'est qu'elle reconnait les marges de liberté dont disposent les hommes
politiques africains dans leur relation au monde. Autrement dit, les acteurs politiques africains ne
sont pas des marionnettes entre les mains des États occidentaux
2. l'école développementaliste
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L'école développementaliste considère l'occident comme le modèle dont devant inspirer les
États africains pour se développer. C'est une école animée dans les années 1960 par les auteurs tels
Lucien Pye, David Apter. Selon ces auteurs le développement des États africains aussi bien sur le
plan politique que sur le plan économique doit procéder de l'importation de l'exemple des pays
occidentaux en Afrique.
L'école développementaliste considère les États africains post coloniaux comme des
États en retard qui doivent suivre la même trajectoire que les États occidentaux afin de parvenir au
même stade de développement politique.
Le principal défaut de l'école développementaliste c'est qu'elle considère le développement
uniquement sous le prisme occidental comme si le développement était monolithique, comme s'il
existait un seul modèle de développement.
C'est une école animée par les auteurs tels que Bertrand Badie et qui considèrent que l’État est
d'abord et avant tout l'exclusivité de l'occident et que sa présence dans les autres continents est le
résultat de l'importation. Cette école appréhende l'État comme un produit importé de l'étranger et
plaqué sur des réalités locales totalement différentes de celles du berceau originel de l'État.
L'État comme produit d'un processus d'importation est présenté alors comme coupé des
réalités locales, comme une réalité suspendue dans le vide. D'où l'étrangeté de l'État en
Afrique, étrangeté qui se traduit par des pratiques de corruption, de népotisme, de clientélisme, de
patrimonialisme.
L'école de l'importation procède par association de l'État et de l'histoire occidentale, en
ignorant totalement les dynamiques de production du politique ayant précédé la colonisation.
En effet, les civilisations précoloniales africaines montrent que les modes de production du
politique en Afrique sans être conformes à celles de l'occident n'en sont pas moins dignes d'intérêt
scientifique. De plus, l'État est loin d'être un produit exotique, inconnu des sociétés africaines parce
que l'anthropologie politique montre que la politique est universelle. De même, ce qui est importé
n'est pas nécessairement suspendu dans le vide car l'État en Afrique est objet de réinvention,
d'acclimatation.
Alors que les lectures exogènes mettent en exergue la variable externe dans la construction de
l'État post colonial en Afrique, les lectures endogènes s'articulent autour des éléments internes aux
États africains.
31
B. Les lectures endogènes
1. L'école patrimonialiste
L'école patrimonialiste présente l'État post colonial comme un État marqué par les pratiques
d'appropriation privée des postes étatiques. L'État patrimonial, suivant cette école, est caractérisé
par l'absence de distinction entre ce qui est privé et ce qui est public, par la confusion entre les
caisses de l'État et les poches des agents de l'État. À cet égard l’opération « épervier » menée au
Cameroun depuis quelques années a effectivement pour objectif de lutter contre la
patrimonialisation de l'État.
L'école patrimonialiste animée par les auteurs tels François Bayart, J.F Médard. Richard
Joseph analyse l’État en Afrique comme un État entre les mains de certaines classes ou de certaines
ethnies qui le considère alors comme leur propriété privée.
Il s'en suit alors la privatisation des ressources publiques, des postes de responsabilité
étatique, la personnalisation du pouvoir, l'accaparement des richesses par les dirigeants. La
patrimonialisation de l'État se traduit aussi par la personnalisation du pouvoir étatique, il en découle
que ceux qui aspirent aux postes de pouvoir sont réduits à la vénération du principal détenteur du
pouvoir de l'État.
La patrimonialisation l'État s'accompagne également du défaut d'institutionnalisation c'est-à-
dire le non-respect ou la fragilité des institutions existantes.
D'où les coups d'État, les guerres inter ethniques qui entrainent l'effondrement de l'État : Somalie,
Soudan, Sierra Léone, Libéria.
La thèse de l'absence des institutions du fait de la patrimonialisation est excessive. En fait,
c'est par ce qu'il existe des institutions que celles-ci sont privatisées. Il importe alors de s'inscrire
dans la perspective proposée par J.F. Médard qui considère que l'État africain post colonial est
caractérisé par la coexistence entre institutionnalisation et privatisation. D'où la thèse de l'État néo-
patrimonial. Cette thèse évite la perspective excessive de J. F. Bayart qui, considère de manière
catégorique que l'État africain post colonial est caractérisé par l'absence des institutions.
32
2. L'école de l'historicité de l'État
C'est une école qui considère que l'État en Afrique a une histoire. Ici, les acteurs africains en
dépit de l'emprise de l'occident bénéficient des marges de manœuvre qui leur permettent de
réinventer l'État en lui conférant des sens qui échappent à ceux imités par les colons. Dès lors,
L’État africain est un État marqué par le triple héritage précolonial, colonial et post colonial et par la
variété des régimes politiques relevant soit du capitalisme, du socialisme, du libéralisme planifié, du
communautarisme économique etc.
L'école de l'historicité met en exergue la capacité des acteurs africains à faire l'histoire à partir
des processus de ré-acclimatation de l'État dans chaque contexte. Dès lors, l’État en Afrique cesse
d'être appréhendé au singulier car les aires culturelles du Maghreb de l’Afrique Sub-saharienne et
Malgache modèlent différemment l'État.
En définitive, l'État en Afrique est analysé par différentes approches plus complémentaire que
contradictoires. Ces diverses approches permettent de comprendre l'État en Afrique d'autant plus
que les différentes analyses sociologiques présentent ledit État comme étant en crise.
La description qui est généralement faite de l'État africain est une description alarmiste
présentant ledit État sous le mode pathologique comme un État confronté à des maux divers.
L'analyse de l'État africain a généralement les allures d'un diagnostic médical qui établit les
différentes pathologies qui affectent l’État africain. Cette part renforce la dimension de l'étrangeté
de l'État africain que les sociologues africanistes ou non considèrent comme différent des autres
États. Toutefois, cette démarche médicale des analystes et observateurs de l'État africain ne
débouche pas sur le constat de la disparition de l'État africain. Ici, c'est la dialectique de la
déliquescence et de la persistance de l'État qui permet de rendre compte de l'État africain
La crise de l'État africain se manifeste dans différents domaines : domaine social, politique,
économique, culturel.
33
Elle renvoie à la montée en puissance des clivages culturels surtout d'ordre religieux qui
renforcent les divisions dans les sociétés africaines. La dimension religieuse de la crise culturelle se
traduit dans plusieurs États africains par la difficulté de cohabitation entre les religions notamment
entre le christianisme et la forme radicale de l'islam : Mali, Nigéria,
Côte d'Ivoire, soudan, Éthiopie.
Ici, en dépit de l'assurance de reconnaissance officielle du conflit entre chrétiens et
musulmans, les revendications de poste de pouvoir notamment dans les pays tels que la Côte
d'Ivoire, le Nigéria s'effectuent sur la base du registre religieux. C'est ainsi que le conflit s'est
exprimé dans une grande mesure comme un conflit entre le sud chrétien et le nord musulman.
Il en est de même du Nigeria où la montée en force de la secte islamiste Boko Haram est considérée
comme un non-respect par le président nigérian de l'alternance entre le Nord et le Sud.
La crise culturelle de l'État africain se traduit aussi par la contradiction entre d'une part la
consommation quotidienne de la culture occidentalo-américaine et en même temps la contestation
de la même culture par les africains. Cette contradiction traduit l'absence de repères culturels qui se
manifeste par l'exhortation des africains à revenir sur leurs cultures, leurs traditions.
L'État africain post colonial apparait comme un État fragile, notamment parce que c'est un
État qui éprouve des difficultés à contrôler ses populations, à étendre son pouvoir sur toutes les
localités. On parle alors de la « sous-étatisation » des sociétés africaines.
La crise sociale de l'État africain se traduit également par la prolifération des dynamiques
paroissiales de type clanique, ethnique ou régionale qui relativise l'identification de toutes les
populations au pouvoir central.
L'absence de contrôle effectif des frontières par l'État est une ressource pour les populations
qui usent alors de la transversalité ethnique pour échapper au contrôle d'un État, selon que les dites
populations se situent aux frontières.
La crise sociale se manifeste également par la multiplicité des clivages sociaux qui traversent
la population et qui ne sont pas seulement d'ordre religieux comme mentionné plus haut, mais aussi
d'ordre racial, ethnique, économique, linguistique etc.
34
La crise politique de l'État africain repose sur le constat entre l'écart considérable entre le
modèle d'État Weberien tel que observé dans la société prussienne et le fonctionnement concret de
l'État africain. La crise politique de l'État africain s'exprime alors par la patrimonialisation, la
privatisation, la criminalisation : Côte d'ivoire, Soudan, Lybie, Sierra Leone, Liberia, Mali,
République centrafricaine.
La crise politique de l'État africain se manifeste également par l'incivisme fiscal, le
vandalisme, les émeutes, les mouvements sociaux, la fraude, la corruption.
Cette crise politique de l'État africain traduit par les émeutes, les contestations,
s'observent en Afrique à partir du début des années 1990 notamment parce qu'ici les éléments
fondateurs de l'État africain post colonial tel que le parti unique, l'idéologie de l'unité nationale, le
père de la nation sont remis en cause.
L'État africain post colonial est également mais surtout un État en crise économique qui se
traduit par l'absence des capitaux, l'absence des infrastructures, la sous-industrialisation et la
dépendance à l'égard non seulement des pays occidentaux mais aussi des institutions financières
internationales.
La crise économique de l'État post colonial se traduit par les problèmes tels que la pauvreté, la
précarité, l'absence d'emploi, l'abondance des pandémies difficiles à maitriser, les inondations. Il en
découle la difficulté pour l'État africain de faire face aux problèmes structurels qui se posent à lui.
De plus la corruption, le détournement des deniers publics contribuent à l'accentuation de la crise
économique de l'État africain parce que ledit État est privatisé et ses ressources servent pour des
intérêts privés et non pour l'intérêt général
En conclusion l'État africain post colonial apparait comme un État en crise, crise ayant divers
aspects. Toutefois, la crise de l'État africain ne signifie pas la disparition de celui-ci.
L'État africain post colonial est un État qui, en dépit de ses fragilités diverses, demeure un
État acteur non seulement sur le plan interne mais également internationale. La crise de l'État
africain n'a pas entrainé la disparition de celui-ci. La résilience de l'État africain repose à la fois sur
les éléments d'ordre pratique et d'ordre culturel.
35
1. Les éléments de résilience de l'État africain sur le plan pratique.
La considération de l'État africain comme un État comme tous les autres participe également à
sa résilience notamment parce qu'il existe un ensemble de croyance de valeurs de représentation de
l'État qui ont été diffusé et critérisés par les africains. Dès lors, l'État africain en dépit de sa crise
matérielle continue de survivre dans les têtes et les esprits des- africains que l'on soit au Soudan, en
Somalie, en Lybie c'est-à-dire dans des contextes d'effondrement de l'État. Par conséquent,
contrairement aux-analyses occidentalo-centristes, le paroissialisme, l'ethnisme, le régionalisme, la
corruption, la patrimonialisation, la criminalisation ne sont pas des remises en cause de l'État mais
des modes d'accès à l'État. C'est dans ce sens que les conflits au Congo, en Côte d'ivoire, en
Centrafrique, au Tchad ou en Lybie contribuent à renforcer la place de l'État car lesdits conflits sont
des compétitions en vue du contrôle des postes de pouvoir de l'État.
De plus, le nationalisme et le patriotisme contribuent à maintenir la pensée d'État dans les
esprits des Africains, même dans les cas d'effondrement total de l'État, de démantèlement du
pouvoir central.
36
La culture de l'État est tellement enracinée chez les Africains au point que même dans les
contextes de remise en cause de l'État comme en Angola, au Liberia, en Côte d' Ivoire, en
RDC, les différents seigneurs de la guerre, tendent à réorganiser les portions occupées du territoire,
sous le modèle étatique. Il en a été ainsi du Savimbiland en Angola, du Taylorland au Liberia, du
nord de la Cote d'Ivoire sous la direction des forces nouvelles de Guillaume
Soro et des territoires dirigés par les rebelles de J.P Bemba.
Dans le même ordre d'idées, le printemps arabe a montré que ce qui était contesté en
Tunisie, en Égypte, en Lybie ce n'est pas l'État, mais une certaine organisation de l'État notamment
sous le modèle autoritaire.
De même, les organisations, telles que les frères musulmans en Égypte ou la secte Boko-
Haram au Nigeria, en contestant le pouvoir en place, viennent à mettre en place des États régis par
des règles de leurs religions.
Le conflit en République Centrafricaine, montre quant à lui que le mal de cohabitation entre
groupes identitaires, est une interpellation non pas au démantèlement de l'État, mais à une
réorganisation de l'État reposant sur les principes de l'équité, de la justice, de la tolérance, les
exemples rwandais, ivoirien, sud-africain l'attestent.
En conclusion, les modes de construction de l'État colonial sont complexes. L'État post
colonial est un État dont la construction est confrontée à divers obstacles, notamment d'ordre
politique, économique, social, culturel, religieux. Ces problèmes montrent que l'État est un
processus historique contingent, c'est-à-dire qui peut disparaitre.
L'État africain est différent des États occidentaux ou asiatiques à travers sa triple dimension
précoloniale, colonial et post coloniale. Ces trois dimensions sont complémentaires ; autrement dit,
il est difficile de comprendre l'État Africain tel qu'il fonctionne de nos jours, si l'on ne prend pas en
considération sa trajectoire historique. La connaissance historique de l'État africain, permet d'éviter
des approches en terme de pathologie, de crise.
Les trajectoires de construction de l'État en Afrique, divergent de celles de l'Occident tout en
les restant redevables dans une certaine mesure. Qu'en est-il des trajectoires de construction de
l’État au Cameroun ?
Pour comprendre comment l'État se construit au Cameroun, il faut se référer aux étapes
historiques successives qui vont de la découverte portugaise de la côte Douala, à L'indépendance du
Cameroun en 1960, en passant par la période allemande et franco-anglaise.
37
Comme le dit le professeur Louis Paul Ngongo, la construction de l'État du Cameroun est une «
histoire des institutions ». Autrement dit, la sociogenèse de l'État au Cameroun renvoie à la mise en
place des institutions politico-administratives. Néanmoins, on ne peut pas passer sous silence
l'usage de la force militaire par les différentes puissances coloniales sur la base du principe de
l'Hinterland; c'est-à-dire, le droit pour chaque puissance coloniale installée à la côte de progresser
vers l'intérieur du pays, jusqu'au télescopage avec une autre puissance.
De manière générale, la trajectoire de construction de l'État au Cameroun présente deux
dimensions : une dimension exogène et une dimension endogène.
38
l’Afrique; ayant pour but officiel d'énoncer les principes devant guider les puissances coloniales
dans la quête des territoires en Afrique.
La principale règle énoncée à l'occasion de cette conférence est la règle ou le principe de
l'hinterland. C'est une règle qui permet de rompre avec les logiques anarchiques qui ont caractérisé
la compétition pour les territoires en Afrique.
C'est sur la base du principe de l'hinterland que l'Allemagne va engager en ce qui concerne le
Cameroun, sa progression des côtes territoriales du Cameroun vers l'intérieur du pays. Avant
l'émancipation et la mise en œuvre du principe de l'hinterland, ce qui est appelé « Cameroun » se
limite aux côtes habitées par les populations douala.
La terminologie du pouvoir politique repose sur des postes administratifs .En 1913, on en
dénombre 21 à savoir Douala, Edéa, Buéa, Kribi, Ossindingué, Victoria, Dschang, Johann,
Abrechestohe, Yaundé, Kumba, Adamaoua, Garoua. Le territoire allemand du Tchad, Bané, Yabassi,
Lomé, Doumé Banyo, Ebolowa, Rio del Rey, Wum et Foumban.
Ici on distingue les postes administratifs, les postes militaires et les postes militaro-
administratifs. En fait, la construction administrative de l’État, s'accompagne de la construction
militaire.
39
Cette production de l'État du Cameroun à partir de la mise en place du centre et de la
périphérie est un processus qui sera interrompue par la première guerre mondiale en 1914. La
France et la Grande Bretagne, prennent le droit de relai dans la construction de l'État.
La France et la Grande Bretagne, exerçaient déjà un pouvoir de fait au Cameroun avant que le
mandat de la SDN ne leur soit accordé le 20 juillet 1922.
La construction française du modèle étatique Camerounais est marquée par le jacobinisme.
Autrement dit, c'est le modèle centralisateur qui guide la construction française de l'État au
Cameroun entre 1916 et 1920. C'est la ville de Douala qui symbolise le centre. En 1921 la ville de
Yaoundé devient le siège de l'autorité centrale. En 1940 le gouvernement ramène la capitale à
Douala ; en 1946 la capitale est transférée de nouveau à Yaoundé.
Ces différents transferts traduisent la quête de l'ancrage du centre, afin de construire les
périphéries. Le 8 avril 1935, l'arrêté du gouvernement français change la dénomination : on passe de
circonscriptions aux régions. 17 régions sont créées à cet effet. Il s'agit de Noun, Wouri, Nkossi,
Sanaga intérieure, Kribi, Mbam, Nyong et Sanaga, Haut Nkam, Ntem, Lom et Kadei, Boumba et
Ngoko, Adamaoua, Bénoué, Logone, Chari.
La multiplication des circonscriptions administratives renvoie à la dissémination de l'autorité
centrale dans les périphéries. C'est à travers les divisions et des subdivisions administratives que
l'État se construit dans la partie francophone du pays.
La construction anglaise de l'État camerounais se caractérise par une certaine noblesse, car la
Grande Bretagne a peu de considération pour la partie du Cameroun héritée de la guerre.
Historiquement, le Nigeria est démographiquement et économiquement avantageux pour la Grande
Bretagne. En 1939, le Southern Cameroon est rattaché à l'Eastern province du Nigeria et conserye,
ses quatre divisions territoriales à savoir: Victoria (Limbe actuelle). Kumba, Ossindingué (Mamfé
actuelle), Bamenda. La partie septentrionale du british Cameroon est intégré de fait à la région du
nord de la fédération nigériane. D'où la diffusion de la culture du Nigeria dans les circonscriptions
de Dikwo, Gwoza, Mubi Chamba, Mambila. En 1950, deux nouvelles divisions sont créées à partir
de Bamenda, il s'agit de Wum et Nkambé. En 1954, le Cameroun occidentale cesse d'être une partie
intégrante de l'Eastern province du Nigeria, la division d'Ossindingué devient la division de Mamfé.
La construction coloniale de l'État du Cameroun apparait donc comme une entreprise menée
par l'Allemagne, par la France et la Grande Bretagne.
40
Toutefois, pour comprendre la construction de l'État au Cameroun il ne faut pas se limiter à la
trajectoire coloniale, laquelle a posé les bases de l'État. La trajectoire post coloniale est également
une étape importante dans la construction de l'État du Cameroun.
2. L'émancipation des acteurs politiques indigènes par rapport aux logiques coloniales.
Les acteurs locaux ou indigènes, tout en s'inscrivant dans une optique de l'héritage colonial,
ont des dynamiques de démarcation par rapport au modèle colonial.
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Les éléments de démarcation entre l'État colonial et l'État post colonial sont marqués par deux
processus:
La patrimonialisation de l'État (BAYART, MEDARD) qui renvoi à la corruption, à la
confiscation ethnique, tribale ou familiale de l'État (Gabon, Togo, Lybie, RDC, etc.) au
népotisme, au clientélisme. L'État patrimonial comme l'État post colonial est qualifié d'État
étrange, notamment parce qu'il développe des logiques qui le distingue de l'État occidental.
Les dirigeants politiques tels que Omar BONGO, EYADEMA sont des figures politiques
très illustratives de la logique de patrimonialisation de l'État. Dans un cas comme dans
l'autre l'État est perçu et géré comme un bien familial pouvant être légué aux descendants
(Lire ESSEBA changements constitutionnels et transmissions héréditaires du pouvoir de
l'État en Afrique)
Le deuxième processus est la criminalisation de l'État visible dans le contexte de crise
politique connu autrefois en SIERRA LÉONE, en Somalie, au Soudan, en Côte d'ivoire, au
TCHAD, en RDC et aujourd'hui en Lybie, RCA... La criminalisation de l'État renvoie à un
usage des institutions politiques dans le sens de la commission des armes de guerre
diverses : mutilation, assassinat, génocide, mariage forcé, enlèvement des jeunes filles
(Boko Haram). C'est un contexte dans lequel la guerre est menée en violation de toutes les
règles relatives aux normes d'encadrement des guerres et l'irrespect des droits de l'homme.
L'État au Cameroun connait un processus d'émancipation de ses acteurs par rapport à l’État
colonial parce que c’est un État dont le modèle d'organisation et de fonctionnement n'est éloigné des
dynamiques de réinvention de l'État. C'est-à-dire de tropicalisation de l'État.
L'État camerounais apparait donc à l'instar des autres États africains comme un État hybride
associant les logiques reçues de la colonisation avec les logiques proprement indigènes.
Toutefois, aucun État au monde ne peut, du fait de la mondialisation actuelle, prétendre à une
pureté identitaire absolue. Même les états occidentaux sont influencés dans leur organisation et
leurs fonctionnements par des éléments de la culture politique globale.
42
TROISIÈME PARTIE
LES TRAJECTOIRES DE CONSTRUCTION DE L'ETAT DANS L'ESPACE
ORIENTAL ET AU MOYEN ORIENT
Les modalités historiques de construction de l'État dans I ‘espace oriental sont largement
marquées par les logiques traditionnelles. Les traditions culturelles dans le monde chinois, russe ou
indien sont des moules dans lesquelles les modèles de contrôle politique de la société doivent être
façonnées. Il en découle la nécessité de situer les logiques de production du politique dans l'espace
oriental à mi-chemin entre traditions locales et influences occidentales. C'est la raison pour laquelle
Bertrand Badie considère que l'État oriental notamment Russe, chinois ou indien n'est pas une
simple copie de l'État occidental.
C'est un État ayant son originalité ou sa spécificité
À l'analyse, l'État oriental présente plusieurs spécificités dues aux différentes cultures
millénaires des espaces sociaux dans lesquels ils sont construits. Mais cette spécificité doit être
relativisée du fait de la porosité des cultures et leur capacité d'accueil des éléments venant d'autres
cultures notamment occidentales.
Il existe un modèle d'État oriental différent de l'État occidental et de l'État africain.
Quels sont alors les éléments qui fondent l'originalité de l'État dans l'espace oriental ? Pour
appréhender les trajectoires de construction de l'État dans l'espace oriental on peut recourir à des
exemples précis dont les plus en vue sont la Russie, la Chine et l'Inde. Le premier pays constitue un
exemple de construction de l'État dans un espace eurasiatique (chapitre I), les deux autres pays
renvoient à des modèles exclusivement asiatiques (chapitre II).
43
Chapitre I: LA RUSSIE : UN EXEMPLE DE CONSTRUCTION DE L'ETAT DANS
L'ESPACE EURASIATIQUE.
La période de la préhistoire en Russie avant la conversion de Vladimir en 988 avant J.C est
semblable à celle du monde indien. La société russe est globalement structurée et contrôlée par les
Boyards. Les boyards constituent une aristocratie foncière, puissante et indépendante à l'égard de
laquelle le pouvoir princier faible et démuni n'a pas du tout d'emprise, du fait notamment de
l'absence des ressources de pouvoir.
Contrôlée par une aristocratie foncière, la Russie a les traits d'une société féodale dans
laquelle l'État au sens occidental est absent. Mais deux grands facteurs vont influencer la
constitution d'un empire sous le modèle centralisateur. Il s'agit de l'influence de la Byzance
(A) et de la constitution de l'église Russe (B).
A. Influence byzantine.
L'ordre politique est suffisamment structuré à Byzance dans les premiers siècles de l'ère
chrétienne. Ici, le pouvoir est organisé sous le modèle étatique et c'est l'empereur qui exerce le
pouvoir institutionnel grâce à des ressources bureaucratiques. A Byzance, les éléments caractérisant
l'État sont quasiment réunis. Ce modèle institutionnel très avancé va exercer une influence décisive
sur le monde Russe. Ce n'est pas seulement le mode d'organisation politique de la Byzance qui
influence la Russie, c'est aussi l'église,
44
Le christianisme oriental inaugure un modèle dans lequel l'église et l'État collaborent et où il y
a une abondance des ressources de pouvoir.
Le rôle joué par l'église va être très décisif dans la constitution d'un espace politique sous la
forme du modèle étatique car le pouvoir temporel entend se reconstituer pour jouer véritablement
son rôle de régulateur des tensions sociales. Ici, le pouvoir politique en Russie se construit et
s'articule autour de l'empereur. Le modèle d'organisation du pouvoir en Russie allie alors les
éléments de traditionnalité et de modernité.
L'influence de l'église orientale et de la Byzance ont contribué à jeter les bases d'un modèle
politique en Russie basé sur le modèle de l'État.
La mise en place de l'État en Russie est marquée par deux éléments: un élément d'ordre
endogène (A) et d'un élément d'ordre exogène (B)
C'est l'état de guerre quasi permanent qui caractérise le monde russe depuis le moyen- âge
jusqu'à l'époque moderne et qui accentue la militarisation de la société russe et renforce le centre
politique. En effet, l'État de guerre rend le centre politique fort et contribue à lui doter des moyens
qui lui permettent de démanteler les pouvoirs locaux notamment Ceux des Boyards. L'ordre
politique fragmenté en plusieurs pouvoirs locaux est démantelé au profit d'un ordre politique
centralisé.
B. Les éléments d'ordre exogène.
Il s'agit de la conquête Mongole qui a bouleversé l'ordre traditionnel en Russie et de la
pression militaire de l'occident où l’État s’est constitué dès la fin du moyen-âge. En effet, la
pression occidentale impose au prince de copier certains éléments de l'État occidental notamment
l'institution militaire. L'ordre politique devient prépondérant par rapport à l'église et entraine la
disparition des autonomies locales. Le pouvoir aristocratique n'a plus alors le même fondement
c'est-à-dire qu'il ne repose plus sur terre et les individus mais, sur le rapprochement avec le prince.
Dès lors, les boyards connaissent une situation de crise.
45
L'institutionnalisation du Tsarisme au 15 siècle permet d'allier une haute fonction publique
ayant l'ancienneté familiale et une classe moyenne que le Tsar récompense par
L'octroi des domaines et une classe de soldats professionnels rémunérés en salaire.
Ces différentes catégories dépendent de l'empereur (Pierre Legrand) qui entreprend de
grandes réformes décentralisatrices en distribuant les rôles administratifs et militaires entre les
familles aristocratiques.
En Russie, l'aristocratie qui est intégrée dans l'espace public n'a que tardivement la possibilité
de revendiquer les fonctions de représentation. On comprend alors, pourquoi les institutions de
représentation n'ont pas éclat en Russie. La Douma est ici la première institution de représentation
apparue avant la révolution. Cela explique-aussi la place de l'économie en Russie. En effet, comme
le montre Immanuel Wallerstein, les guerres qui ont contribué à couper la Russie de la Baltique
n'ont pas permis à ce pays de s'intégrer à l'époque de la renaissance dans le système conformiste qui
s'est constitué à cette époque en Europe occidentale. Le pouvoir tsariste va connaitre un
renforcement. Mais le dynamisme économique fait défaut à la Russie.
En conclusion, le mode de construction de l'État en Russie est nettement distinct de celui de
l'Europe occidentale et également des modèles chinois et indien.
Inscrit dans l'espace oriental, les modèles chinois et indien n'en sont pas pour autant moins
marqués par des dissonances non armée. Ici, le politique est fortement modelé par la culture et les
traditions.
46
pensées de Confucius et de son école mais également de l'histoire de la composition de l'ordre
sociopolitique en une société paysanne recourant à l'irrigation.
1. La contribution de Confucius
Confucius réagit contre la crise d'une société noble qui s'enlise dans le désordre notamment du
fait des luttes politiques et des guerres entre les royaumes qui ont accédé à la monarchie Zhou. Dans
la monarchie Zhou, le roi était un absolutiste qui régnait grâce au soutien politique d'une aristocratie
familiale puissante. Cet ordre de nature familiale, morale et cosmogonique se décompose au 8 ème
siècle avant J-C. La pensée de Confucius est de revenir cet ordre familial, moral et cosmogonique.
En effet, selon Confucius le gouvernement de la société et des hommes a pour but de garantir l'ordre
et la paix grâce au respect des normes et des règles par tous. Ici, le pouvoir ne s'appréhende pas sous
la forme de la contrainte, de coercition mais comme un conformisme social que l'ordre politique
protège et qui en retour protège l'ordre politique. La vie politique repose sur le conformisme. Ici,
l'individualisme n'a pas de sens et la compétition n'a pas de place. Ce qui importe c'est la conformité
de l’individu aux normes et aux règles sociales.
Confucius prêche une vision éthique et morale de la politique où règne la discipline,
l'altruisme, la bonté, la quête du bien. La conception politique de Confucius est donc à l'opposé de
celle de machiavel. Si machiavel décrit la politique comme un jeu de rapport de forces où le
cynisme, la ruse, la manipulation et le mensonge prévalent, Confucius lui conçoit la politique
comme une activité visant au bonheur des hommes et de la société.
La société chinoise repose sur la distinction entre une élite éduquée, instruite et la masse. Ce
dualisme est source d'instabilité et de conflit. Ici, les religions telles que le bouddhisme et le
tsarisme ont joué un rôle dans l'histoire politique de la Chine et ont contribué à donner une
orientation messianique à la contestation politique et aux mouvements révolutionnaires. Le modèle
de l'État chinois tel que professé par Confucius est un modèle éthique qui préconise une culture de
l'exaltation de l'ordre terrestre et non de la transcendance. Ce qui est prodigué ici, ce sont les règles
de la vertu et de la nature.
Sous la brève dynastie des Ain, on assiste à l'essor du légisme c'est-à-dire la faculté. étatique
de production de la loi, sa capacité à bousculer les traditions au profit des lois.
2. La contribution de l'histoire
47
Le contexte politique de la Chine à l'ère confucéenne est un contexte de guerre civile et de
militarisation de la société chinoise, de fragmentation et d'émiettement de la société de rivalités et
d'alliances entre les cités. Confucius intervient alors comme pour rappeler à l'ordre car les initiatives
individuelles des uns et des autres conduisent aux conflits.
Ici deux éléments caractérisent l'ordre politique : le respect des rôles et la conformité à une
harmonie sociale universelle. L'empereur est perçu comme le trait d'union entre le ciel et la terre. La
Chine apparait comme le véritable inventeur de la bureaucratie et du fonctionnariat. C'est dès
l'empire des Gins qu'il y a début d'une administration territoriale, de mise en place des mesures, de
la monnaie, de l’écriture et des armes. Le phénomène administratif s'étoffe sous les Hans, les Tans
et les Sangs.
Chaque nouvelle dynastie qui s'installe essaye de légitimer son pouvoir en redistribuant les
terres dans le sens de légalité politique. La dynastie apparait alors comme productrice d'un ordre
social. Le centre politique essaye également d'avoir la maitrise économique de la société par le
contrôle de la production économique notamment du sel et du feu sous la dynastie des Hans.
48
lequel les castes sont hiérarchisées. Ici, on peut distinguer deux grands éléments sur lesquels repose
la construction de l'ordre étatique :
Le système politique initial (A)
La construction d'un ordre politique étatisé (B)
Le modèle indien est caractérisé par la variété des aménagements politiques et la multiplicité
des lieux de pouvoir. Les premières sociétés Védiques du début du premier millénaire avant J-C
étaient des sociétés claniques et c'est la tribu qui détermine les contours de l'espace politique car la
Janapada c'est-à-dire le territoire politique renvoyait à l'aire territoriale dans laquelle la tribu avait
mis ses pieds. La Jana c'est la tribu. Le lieu d'installation de la tribu constituait le territoire politique
de la tribu. Par conséquent, il y avait dans la société indienne autant d'ordres politiques que des
tribus, chaque tribu étant indépendante des autres. Ici, le chef de chaque tribu n'a aucun droit
particulier sur la terre, laquelle terre est la propriété de toutes les tribus.
Le modèle politique initial indien est donc une sorte de modèle tribal ou clanique dans lequel
l'unité politique territoriale est la tribu. Mais il s'agit d'un mode d'organisation marqué par la
tradition, car l'organisation tribale n'a pas le même degré de structuration et de sophistication que
l'État. La tribu n'est pas le fief ou la seigneurie. Autrement dit, la tribu indienne en tant que unité
politique n'est pas la propriété d'un seigneur qui l'administre à sa guise. C'est une unité politique
caractérisée par la mentalité politique.
Cette organisation politique à base tribale de la société indienne favorise la fragmentation de
la société, car il n'existe pas ici un modèle d'organisation politique s'imposant à toute la société
indienne. Les tribus étant politiquement et culturellement différentes il en découle des
aménagements politiques distincts les uns les autres.
Le système de castes indiennes montre que la parenté est au cœur de la politique, Non
seulement elle préside à l'action politique mais en plus elle est un facteur de différenciation entre les
castes et d'interaction politique. Car, la Caste des forgerons est distincte de la caste des
commerçants ou des miniers. De même l'interaction politique entre les castes est déterminée par les
considérations d'ordre parental, car il n'y a pas de mobilité d'une caste à l'autre.
Alors qu'en Chine ce sont les dynasties qui structurent l'ordre politique, en inde celui- ci est
déterminé par les castes. L'existence de celle-ci fait de la société indienne une société caractérisée
par l'hétérogénéité politique qui impose les nécessités de coordination des relations entre les castes.
Dans ce contexte d'hétérogénéité politique, le passage du modèle initial à un modèle étatique n'est
49
pas évident. Il nécessite la coordination entre les castes, laquelle permet d'aboutir à une société
politique unifiée. Le contexte traditionnel indien est un contexte de production du politique sous
une forme pré-étatique. Il ne s'agit pas de sombrer dans l'occidentalo-centrisme qui consiste à
associer État et modernité et à considérer l'occident comme terre de prédilection de l'organisation
étatique et les autres aires culturelles comme ignorant l'organisation étatique, mais plutôt à dresser
le constat de l'imperfection de la forme d'organisation politique en Inde en période traditionnelle. Il
s'ensuit que le passage à une forme d'organisation politique ayant les caractéristiques de l'État est lié
aux transformations socio-économiques. En effet, ce sont des transformations socio-économiques
bousculant le système traditionnel des castes mais sans le faire disparaitre, ce qui va favoriser la
mise en place de mode étatique d'organisation de la société indienne.
50
Le pouvoir politique reste une simple source de conformisme parce qu'il se confond au
contrôle social exercé par la caste.
Le prince est obligé de compter avec la multiplicité des pouvoirs périphériques : chefferies,
royaumes, villages. L'empire apparait alors comme une série d'unités politiques émiettées et
variées, éparpillées dans tout le territoire indien. Ce qui permet de dire que le système des
castes est un système décentralisé, qui en dépit de son inégalité est plus démocratique que
tout autre système. Car ces castes apparaissent comme des États fédérés et l'empire comme
l'État fédéral. Celles-ci participent à l'organisation, à la gestion et à la direction.
Alors qu'en Europe occidental, l’État s'est bâtit sous les cendres du système féodal, en
Inde, l'État s'est construit avec les systèmes des castes. Certains analystes du monde indien ont
généralement voulu présenter le système des castes comme un système antinomique à la démocratie
parce que le système des castes est par essence inégalitaire, or, l'originalité du modèle étatique
indien réside dans la sagesse à mélanger à la fois les éléments du- traditionalisme (les castes) et
ceux du modernisme (la démocratie). À propos du modèle indien, François Bayart parle de la
réinvention de la démocratie qui renvoie à la capacité de l'État indien à donner un nouveau sens à la
démocratie en phase avec sa culture, ses traditions, autrement dit, à façonner la démocratie
occidentale dans le moule culturel indien.
L'État indien ne peut pas être entièrement compris tel qu'il s'est construit dans l'espace oriental
si l'on ne prend pas en considération cette dimension. En fait, l'État et les castes ne sont pas
antinomiques, comme l'État et les chefferies en Afrique ne s'opposent pas. Il y a plutôt intégration
du système des castes dans la rationalité étatique.
Les éléments qui précèdent montrent que le mode de construction de l'État en Inde est bel et
bien distinct d'abord du modèle occidental, ensuite du modèle africain et enfin des autres modèles
de l'espace oriental que sont le modèle chinois et le modèle Russe.
Le terme moyen orient désigne l’espace géographique situé entre la rive est de la mer
méditerranée et l’Iran1. Faire la sociologie de l’État dans cette partie du globe c’est en réalité,
s’intéresser à l’ « ailleurs » de l’instance politique hors de son bassin originel qu’est l’occident. La
trajectoire suivie par la forme d’organisation politique qualifiée d’État est produit de la rencontre
entre les civilisations arabo-musulmanes, turque-ottomanes et occidentales. Une pareille réalité
impose d’avoir une approche socio-historique qui permettra de voir comment, les processus en
cours dans l’évolution de l’État dans cet espace sont redevables des processus historiques qui les
1
Faire un brainstorming invitant les étudiants à citer les Etats situés dans cet espace.
51
déterminent2. Cela permet de valider ou d’invalider certaines théories devenues dominantes dans la
statologie consacrée à cette région. Surtout que traditionnellement, l’État y est qualifié
d’ « imparfait », de « patrimonial », de « faible ». Tous ces archétypes qui ont permis de caractériser
les ordres politiques de l’ère postcolonial dans ce sous-continent ont semblé trouver leur
accomplissement dans les récentes révolutions qu’on a qualifiées de « printemps arabe ». Ce
dernier étant alors perçu comme la conséquence des fragilités causées par les défauts originels de
l’État hérité de l’époque colonial. Si l’onde de choc de l’effondrement de certains États s’est fait
ressentir dans tout le moyen orient, certains États ont plutôt fait preuve de résilience malgré la
fragilité que la science politique a jadis proclamée. C’est le cas de certaines monarchies du golfe
parmi lesquelles se classe l’émirat de Dubaï. Une pareille réalité amène à relativiser la vision
totalisante qu’a la sociologie de l’État de cette région. Cela impose une vision idiosyncratique qui
amène à ne pas entièrement cerner l’État « ailleurs », à travers des généralisations abusives. Même
si dans cette partie du monde la majorité des États ont un héritage historique et culturel commun. Il
est donc question dans ce chapitre de revisiter et d’analyser la trajectoire socio-historique de l’Etat
dans cette partie du monde, de même que son évolution et sa situation actuelle.
2
Pascal Laborier, « Historicité et sociologie de l’action publique », in CURAPP, Historicité de l’action publique, Paris,
PUF, 2003 , p 420.
52
intitulé le « Coran » ou lecture3. Ces commandements forment un corps de lois qui fournissent une
législation fondamentale à l’Etat ainsi que les lois qui régissent les relations étrangères 4. Le Coran,
source de toute législation, est complété par la sunna (la tradition) qui est l’ensemble des règles et
des lois qui auraient été dictées par Allah (Dieu) à tous les prophètes. Ce sont des principes de vie
qui règlent les comportements individuels et collectifs; une espèce de loi immuable de Dieu,
révélée aux hommes par le Hadiths5 (communications orales du prophète).
Le but du khalifat est donc de bâtir une société unifiée politiquement et spirituellement à travers
l’umma. Les préceptes coraniques et traditionnels (sunna) qui l’organisent ne se présentent pas
seulement comme des règles religieuses mais aussi comme des modes de régulation de la vie en
société et des relations inter-religieuses et inter-ethniques 6. Il n’y existe donc pas une séparation
entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Etant donné que la loi islamique est acceptée
comme éternelle, la société est établie en fonction d’elle. Dans la société islamique le pouvoir et
l’autorité délégués aux hommes par Dieu sont indispensables pour la survie de l’humanité 7. Bien
que l’homme soit considéré comme un « animal social », il est animé par les inimitiés à l’égard des
autres. D’après les révélations coraniques « si Dieu ne contenait pas les nations les unes par les
autres (…) la Terre serait perdue». Le prophète et ses successeurs (Khalifes), sont ainsi les
dépositaires du pouvoir divin sur terre.
A la mort du prophète, ses successeurs vont étendre l’empire islamique à l’Est aux confins de l’Inde
et à l’Ouest en Afrique du Nord et en Espagne. L’histoire parle, dans un premier temps, des quatre
premiers califes, Abu Bakr (632-634), Omar (634-644), Othmân (644-656) et Ali (656-661), sous la
désignation de califes « Bien guidés » ou « orthodoxes ». Ils ont été soumis au suffrage des
différents compagnons du Prophète et organisent la communauté depuis Médine. Cependant la
constitution de cette vaste umma uni par la foi, subit les luttes de succession qui opposent deux
grandes tendances. Il y’a d’une part les partisans de la succession du prophète par ses proches et les
membres de sa famille, ce qu’on va appeler les « chiites ». Ils sont incarnés par Ali, cousin et
gendre du prophète qui accuse les trois premiers califes d’avoir usurpé le pouvoir. Celui-ci en tant
que membre de la famille du Mahomet méritait légitiment de titre de Khalife. Il y a d’autre part
ceux qui pensent que le titre Khalife devrait revenir à tout bon musulman qui respecte les principes
de la sunna (la tradition). Cette tendance est qualifiée de « Sunnite ».
Ali qui est devenu Khalife à cause de l’assassinat de son prédécesseur Othmân en 656, fait face à
une guerre civile qui l’oppose au Gouverneur de Syrie Mu'awiyya (un sunnite) qui l’accuse d’être
3
Voir Madji Khaldduri, « Le monde islamique », in UNESCO, Histoire de l’humanité, vol. IV, 600-1492, pp 111-112
4
Ibid.
5
Ali Amir Moezzi, Dictionnaire du Coran, éditions Robert Laffont, 2007
6
Pascal Buresi, «Cette anarchie à l’origine de l’islam», Marianne, 22 décembre 2012
7
Ibn Khaldun, Al-Muqaddima. Vol. I. Londres, 1958, pp. 89–92.
53
responsable de la mort d’Othmân. Ali meurt assassiné par un membre d’une tendance dissidente de
l’islam qui est apparu dans cette guerre : les Kharijites. Mu’awiyya prend la tête de l’umma et
installe une dynastie héréditaire : les Omeyyades. Le cœur de l’empire se déplace alors à Damas.
En 750, la califat des Abbassides (750-1258) se met en place et prend pour capitale Bagdad. Sous
les Abbassides la civilisation musulmane atteint son apogée. Le règne de cette dynastie prend fin
avec la prise de Bagdad par les Mongols au XIIIe siècle.
La conquête des terres arabes par les turcs ottomans va donner une seconde vie à l’umma et à
l’institution du Khalifat.
La conquête du Moyen Orient est parachevée par son successeur Souliman le magnifique qui
s’empare de Bagdad en 1534. Cette victoire militaire a une importance politique et symbolique pour
le souverain turc. Bagdad est la capitale du Khalifat des abbassides, sa prise lui donne donc une
légitimité nouvelle, celle d’héritier du pouvoir califal. Il prend de ce fait la tête de l’umma. Dès leur
établissement au moyen Orient, les turcs ottomans placent la région sous administration directe du
gouvernement impérial d’Istanbul. Ils la divisent en en huit provinces, quatre en Irak, celles de
8
Caroline Finkel, Osman's Dream : The Story of the Ottoman Empire, 1300–1923, Basic Books, 2005, p 2 et 7.
54
Basra, Bagdad, Mossoul, Kirkouk, et quatre dans la Grande Syrie – Syrie, Liban, Palestine –, celles
d'Acre-Sidon, de Tripoli, de Damas et d'Alep, placées sous l'autorité de pachas. En tant que Sultan-
Khalife9, il assume les fonctions politiques et religieuses. Le sunnisme est la religion de l’empire et
est au service de l’Etat. Cette réalité est un facteur d’unité, malgré le fait les populations arabes
supportent mal la présence des ottomans qu’elles considèrent comme des étrangers. L’Etat turc
s’appuie également sur la sharia, complété par un code civil qui est l’assemblage des traditions
locales le « Kanun ». A partir du XVIIIe siècle l’Etat turc est affaibli par les défaites militaires et les
soulèvements dans son empire. Après la signature du traité de Kücük Kaynarca en 1774, mettant fin
à la guerre russo-ottomane, l’Etat turc prit conscience du rapport de force qui lui était défavorable
face à l’Europe et comprit la nécessité d’amorcer des réformes 10 ou tanzimat11. Deux grandes
menaces guettent en effet « la sublime porte »12, il y a les ambitions expansionnistes des puissances
européennes et les oppositions internes alimentées par ces puissances 13. Dans le monde arabe, les
ottomans doivent endiguer les velléités expansionnistes de l’Egypte en Syrie et combattre l’Iran
chiite. La réforme de l’Etat va se traduire par la modernisation de l’armée, de l’administration et
une décentralisation de facto. Il y a donc une volonté du sultan et de certains ulémas (les
intellectuels musulmans) d’introduire des innovations dans la pensée musulmane en alliant la
pensée européenne à la sunna. Ces réformes furent mal perçues par l’umma du monde arabe. Le
sultan Mahmud II, l’un des initiateurs des réformes est alors affublé d’un surnom peu flatteur de
« giavour sultan » ou sultan infidèle14.
Parallèlement à ces réformes l’Etat ottoman veut utiliser le pouvoir califal pour susciter l’union des
musulmans pour faire face aux agressions européennes à travers le panislamisme. Le sultan va se
considérer comme défenseur de l’islam en tant que successeur du prophète 15. Cette
instrumentalisation de la religion et du pouvoir califal, n’est pas bien reçue dans le monde arabe qui
conteste sa légitimité comme successeur du prophète. Une pareille illégitimité est instrumentalisée
par les puissances européennes lors de la révolte arabe de 1916 deux ans après l’éclatement de la
première guerre mondiale. L’empire turc ottoman est l’allié des pays de la triple alliance
9
Odile Moreau, « Notion et nature de l’Etat, de l’héritage ottomane aux réformes constitutionnelles moderne », in Les
cahiers d’Orient, 2013/2, n°110, p118.
10
Ibid., p 119 ; Paul Dumont, « L’instrumentalisation de la religion dans l’Empire ottoman à l’époque de l’expansion
européenne (1800-1914). Un parcours à travers les fondements historiques des politiques turques d’aujourd’hui », in
European Journal of Turkish Studies, 27/2018,
11
Odile Moreau, « L’empire ottoman à l’âge des réformes. Les hommes et les idées du « nouvel ordre » militaire, 1826-
1914, Paris, IFEA Maisonneuve et Larose, 2007 ; « Notion et nature de l’Etat, de l’héritage ottomane aux réformes
constitutionnelles moderne », ibid, p 119.
12
Synonyme de l’empire ottoman
13
Odile Moreau, « Notion et nature de l’Etat, de l’héritage ottomane aux réformes constitutionnelles moderne », op. cit,
p119.
14
Ibid. p 120.
15
Paul Dumont, « L’instrumentalisation de la religion dans l’Empire ottoman à l’époque de l’expansion européenne
(1800-1914). Un parcours à travers les fondements historiques des politiques turques d’aujourd’hui », op. cit, pp 1-2
55
(Allemagne, empire austro-hongrois) contre les pays de l’entente, notamment la France et la grande
Bretagne.
Le sultan-khalife appelle alors au djihad et à l’union des musulmans contre les mécréants de
l’entente. Les arabes qui développent depuis quelques temps des sentiments nationalistes voient en
la guerre, un moyen de s’émanciper de la domination ottomane ne répondent pas à l’appel au
djihad. Pour des nationalistes le but est de créer un Etat arabe unifié. Les britanniques en ce refus
d’adhésion est une aubaine pour ouvrir un nouveau font au sud de l’empire. Le 6 juin 1916, le
Cherif de la Mecque Hussein Ben Ali avec le soutien des britanniques, organise la révolte arabe 16 à
partir de la ville sainte. La révolte s’achève à la fin de la première guerre mondiale avec le
démembrement de l’empire turc ottoman dans la région. Les aspirations des arabes (créer un grand
Etat arabe unifié) et de plusieurs minorités (chrétiennes, kurdes, palestiniennes) qui ont participé à
la révolte sont des déniés par les britanniques à la fin de la guerre au profit de leurs intérêts
stratégiques. À la fin de la guerre, la Grande Bretagne et la France vont se partager les dépouilles de
la portion de l’empire turc-ottoman du moyen orient conformément aux accords négociés par
négociés par Mark Sykes et François Georges Picot. Les accords Sykes-Picot signés en mai 1916,
avaient anticipé la victoire des alliés sur les ottomans. Ils prévoyaient le découpage du Moyen-
Orient autour d’une ligne allant d’Haïfa (Israël) sur la côte méditerranéenne à la frontière Perse
(Iran) au Sud de Mossoul. Ce découpage arbitraire a donné naissance à des réalités étatiques très
hétérogènes sur le plan ethnoreligieux17.
Ce passé historique sus-évoqué a donné naissance à une culture politique qui met en tension les
exigences confessionnels avec la volonté de bâtir un Etat moderne. Le rapport aux institutions
étatiques post-indépendantes va donc être saisi par cette double réalité. Elle va susciter de multiples
interrogations sur la nature de l’Etat dans cette partie du monde.
16
Noureddine Séoudi, La formation de l'Orient Arabe contemporain 1916-1939 : Au miroir de la Revue des deux
Mondes, L'Harmattan, 2005, p 69 ; Ali Moussa Iye, Albert Ollé-Martin, Violaine Decang, Histoire de l'humanité :
1789-1914, Unesco, 2008, p. 1199 ; Bichara Khader, Le monde arabe expliqué à l'Europe : histoire, imaginaire,
culture, politique, économie, géopolitique, Paris Louvain-la-Neuve, Harmattan Academia-Bruylant, 2009.
17
Pierre Blanc, Jean-Paul Chagnollaud, Atlas du Moyen-Orient. Aux racines de la violence, Paris, Editions Autrement,
2016, pp 6-15.
56
De nombreux auteurs ont essayé de conceptualiser l’Etat au Moyen-Orient en s’appuyant sur les
continuités et les discontinuités historiques, le rapport avec la société, de même que la prégnance du
phénomène ethnoreligieux.
Cette thèse est défendue par Bertrand Badie, pour qui l’Etat-nation moderne et ses formes associées
sont étranger au « monde de l’islam ». L’Etat au Moyen-Orient se caractérise par des continuités et
des parallèles avec les régimes politiques du monde de l’islam. Pour lui, l’essence historico-
culturelle de l’islam semble façonner son développement contemporain en supprimant ou en
neutralisant la modernité. En réalité, l’Etat en terre de l’islam se forme à l’inverse du processus
suivi à l’occident caractérisé par l’émancipation des sociétés de l’ordre impérial (sortir de l’empire
romain, romain-germanique, religieux…), pour les sociétés d’Islam, l’enjeu est la construction d’un
18
Bertrand Lewis, Le retour de l’islam, Paris, Gallimard, 1985, pp 374-375
19
Bruno Etienne, L’islam radical, Paris, Hachette, 1985, p 95.
20
Samir Amin, L’accumulation à l’échelle mondiale, Paris, Editions Anthropos, 1970 ; Le développement inégal, Paris,
Editions de Minuit, 1973.
57
Empire unificateur21. La modernité politique, ses concepts et ses institutions sont des impositions
superficielles sur une culture politique essentiellement différente.
58
Les printemps arabes n’ont pas produits les mêmes effets quant à la réforme de l’Etat escomptée.
Dans la majorité des cas, elles ont été récupérées par des groupes religieux, et les revendications
tribales. Si la reconstruction de l’Etat va bon train en Tunisie et en Egypte, la Syrie, la Libye et
Yémen ont sombré dans la guerre civile.
Les monarchies du golfe qui n’ont pas été épargnés par l’onde de choc des contestations ont
engagés quelques réformes en matière d’emploi, de construction de logement subventionnés et
redistribution de rentes.
Conclusion
L’évolution de l’Etat au Moyen Orient est déterminée par plusieurs réalités qui rendent son
appréhension complexe. Au-delà de la solidarité nationale que voudrait susciter l’idée de l’Etat
moderne, il y a des solidarités ethniques, tribales et religieuses qui sont des variables importantes
qui agissent peu ou prou dans la consolidation des ordres politiques.
59
CONCLUSION GENERALE
Ce qu'on désigne de nos jours par le terme « État » renvoie à une réalité complexe d'autant
plus qu'elle est fonction des milieux, des cultures, des continents voire de l'histoire. Il convient alors
de renoncer à parler d'État au singulier et parler plutôt des États. Toutefois, les différents États qui
diffèrent en fonction des contextes ont un substrat commun qui permet au-delà de leurs différences
de leur reconnaitre une même identité.
La sociologie de l'État montre que l'État quel que soit son aire culturelle, sa forme, son mode
d'organisation et de fonctionnement (démocratique, républicain...) n'est rien d'autre qu'un
regroupement organisé des populations en vue de la résolution collective des défis de la vie. Ce
minimum identitaire permet de reconnaitre l'État que l'on soit en Afrique, en occident ou en Asie. Si
l'histoire et la culture contribuent au façonnement de l'État, l'État à son tour apparait comme une
forme culturelle et historique c'est-à-dire que dans chaque État (européen, africain, asiatique) on
retrouve la culture et l'histoire du peuple qui s'en réclame.
À ce titre l'État français aujourd'hui n'est rien d'autre que l'histoire et la culture française. Il en
est de même de l'État camerounais, pakistanais, belge, indien, iranien.
L'originalité de chaque État est fondée sur la spécificité culturelle et historique de son
environnement. Il apparait que l'environnement culturel et sociohistorique de l'occident a produit un
État différent ou distinct de celui que l'environnement culturel et sociohistorique africain a produit.
Mais l'analyse politologique doit éviter de conclure à la radicalité de la spécificité de chaque
trajectoire de construction.
En définitive, l'État doit être situé au carrefour de l'universalisme et du particularisme.
60
BIBLIOGRAPHIE
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ébranler la nation ? », in Revue malienne de science juridique, politique et économique de Bamako
(REMASJUPE), Presses de l’université de Toulouse 1 Capitole, n°4.
Cyriaque Esseba, 2010, « Les modifications constitutionnelles sous le prisme des successions
politiques héréditaires en Afrique noire », in Revue Africaine d’Études politique et stratégique
(RAEPS), Université de Yaoundé II, n°7.
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