Moulay Driss El Jihad
Moulay Driss El Jihad
Moulay Driss El Jihad
216 (2010/3)
Territoire, Paysage, Anthropisation, Perception, Conservation, Restauration
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Moulay-Driss El Jihad
Les difficultés de gestion des
ressources « naturelles » et de
développement rural dans un milieu
anthropisé : l’expérience du Projet
Oued Srou (Maroc central)
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Référence électronique
Moulay-Driss El Jihad, « Les difficultés de gestion des ressources « naturelles » et de développement rural dans un
milieu anthropisé : l’expérience du Projet Oued Srou (Maroc central) », Norois [En ligne], 216 | 2010/3, mis en ligne
le 01 décembre 2012, consulté le 01 avril 2014. URL : http://norois.revues.org/3320 ; DOI : 10.4000/norois.3320
Moulay-Driss El Jihad
ICoTEM
(Université de Poitiers),
Maison des Sciences de l’Homme et de la Société (Bâtiment A5), 5 rue Théodore-Lefebvre – 86 000 Poitiers – France
[email protected]
RÉSUMÉ
Au Maroc, la protection des ressources « naturelles » se centre sur la rareté de l’eau
engendrée non seulement par la recrudescence des sécheresses, mais aussi par la dégra-
dation des forêts et des sols qui compromet l’eficacité de la mobilisation des eaux par les
barrages à cause de l’envasement. Ceci soulève la question de l’aménagement des bassins
versants amont, comme le montre l’exemple du Projet Oued Srou (POS). Ce projet, objet
d’une coopération germano-marocaine, concerne une zone de moyenne montagne très
sensible à l’érosion du fait de son substrat à dominante argileuse et de ses massifs forestiers
constamment sous pression anthropique.
Les premières actions du projet, basées sur la lutte contre l’érosion, n’ont pas réussi à
stimuler la participation de la population. Des mésententes ont rapidement éclaté entre
la GTZ (Allemagne), animée par l’approche participative, et le gouvernement marocain
qui prône l’aménagement techniciste du territoire visant, en premier lieu, à lutter contre
l’envasement de la retenue du barrage d’Ahmed-el-Hansali. Ce désaccord a retardé l’en-
clenchement d’une approche participative d’autant plus dificile que la population est
analphabète, mal organisée et déstabilisée par la misère et le chômage. Après quelques
années de recherche, une approche s’inspirant de la tradition locale en matière de gestion
des ressources « naturelles » a été mise en œuvre. Toutefois, ses objectifs n’ont pas été entiè-
rement atteints. Si les principales réalisations ont touché les terres privées, l’intégration du
domaine forestier à ce processus a échoué. Par ailleurs, pour la première fois au Maroc, des
actions ont été destinées spéciiquement aux femmes.
ABSTRACT
The dificulties of “natural” resources management and rural development
in an anthropized environment: the experience of Oued Srou Project (central
Morocco)
In Morocco, the protection of « natural » resources is centred around water scarcity
generated not only by droughts upsurge, but also by degradation of forests and soils which
compromises the effectiveness of water mobilization by dams because of sedimentation. This
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arises the question of catchments area upstream management, as shown by the example of
the Oued Srou Project. This project, object of a German-Moroccan cooperation, cover a
region of mid-mountain highly sensitive to erosion because of its substrate with dominant
clay and its forest massifs constantly under anthropogenic pressure.
The project irst actions, based on ight against erosion, could not stimulate population’s
participation. Disagreements burst quickly between GTZ (Germany), driven by participa-
tive approach, and Moroccan government advocating technical territory planning, aiming
irst of all, at ighting against reservoir sedimentation of the Ahmed-el-Hansali dam. This
disagreement delayed participative approach commitment, all the more dificult as the
population is illiterate, badly organized and destabilized by poverty and unemployment.
After some years of research, an approach, inspired by local tradition concerning « natu-
ral » resources management was implemented. However, its objectives were not entirely
achieved. If the main achievements concern private lands, the integration of forest domain
to this process failed. In addition, for the irst time in Morocco, of the actions were intended
speciically for the women.
Les activités liées à l’utilisation des forêts sont anciennes au Maroc. Elles ont été menées et
contrôlées par des populations locales peu nombreuses, dont les besoins réduits sont satisfaits sans
dommage visible pour l’environnement. Cet équilibre se serait rompu avec le blocus colonial des
populations dissidentes durant les années 1920. Privées de leur azaghar 1, les tribus montagnardes
n’eurent d’autres moyens de subsistance que l’exploitation massive de la forêt de leur adrar 2. Ce
blocus aurait transformé les montagnes en enclos à l’intérieur desquels l’entassement des hommes
et du bétail aurait ini par dégrader manifestement le potentiel végétal et édaphique (Naciri, 1997).
Cette dégradation s’est accentuée pendant les décennies de l’indépendance en raison de l’explosion
démographique, de la poursuite de la domanialisation des forêts et de la transformation croissante
des parcours collectifs en terrain de culture.
Après le projet DERRO dans le Rif occidental (années 1960), d’autres projets étatiques ont été
mis en place à partir des années 1970 dans les montagnes atlasiques (Moyen Atlas central, Haut
Atlas central, etc.). L’ensemble de ces projets visait essentiellement à lutter contre l’envasement
des retenues des barrages (Fay, 1979, 1986). Le cas du Projet Oued Srou (POS), objet d’une coo-
pération germano-marocaine, s’inscrit également dans la même stratégie pendant les premières
années de sa mise en œuvre. Son objectif initial était, en particulier, de réduire l’érosion des sols
dans le bassin du Srou, principal afluent du haut Oum-er-Rbia.
Cette étude restitue les dificultés de mise en œuvre d’une démarche participative dans un projet
de développement rural. Après avoir exposé les faibles potentialités de la région et son caractère
anthropisé et dégradé qui menace le barrage d’Ahmed-el-Hansali d’envasement, nous montrerons
les divergences de modèles de développement portés par l’Administration marocaine et la coopé-
ration allemande, ainsi que l’évolution de leurs attitudes et celle des populations locales durant la
mise en œuvre du POS. Ensuite, nous analyserons les caractéristiques des principales actions du
projet dans le cadre d’une rélexion sur la prise en compte des questions de développement rural
participatif en rapport avec les préoccupations environnementales.
1. Azaghar (pl. izoughar) : terme berbère qui désigne le bas pays où les populations pastorales montagnardes viennent passer l’hiver.
2. Adrar (pl. idourar) : ce terme berbère qui signiie les hautes terres, est tombé en désuétude depuis le début du xxe siècle,
au proit du terme arabe jbel. Le terme consacré aux pâturages d’altitude (agoudal) sera expliqué plus loin.
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Ressources « naturelles » et développement rural au Maroc
Figure 1 : Situation de la zone du POS dans le bassin du haut Oum-er-Rbia : esquisse géologique
Location of the POS area in the upper basin of the Oum-er-Rbia: geological sketch
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Figure 2 : Occupation du sol et répartition spatiale de la population rurale et urbaine dans la zone du POS en 2004
Land use and spatial distribution of the rural and urban population in the POS area in 2004
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La population de la zone du projet a sextuplé entre 1900 et 2004 (ig. 3), soit un taux d’accrois-
sement annuel de 1,72 %. Cette croissance, qui tendait à la diminution depuis les années 1980,
restreint la SAU moyenne dont dispose chaque habitant. Le rapport ne dépasse pas 0,7 ha/habitant
en 2004. Cette moyenne masque à la fois l’importance de la micropropriété et la concentration
foncière. 33 % des ménages (jusqu’à 12 personnes par ménage) possèdent des surfaces vivrières
(< 5 ha), soit 8 % de la SAU. En revanche, les exploitations de plus de 50 ha ne représentent que
1 % des ménages mais couvrent 6 % de la SAU totale.
Quand l’éleveur manque de terres, il se rabat sur la forêt pour amortir les charges tributaires
de la location des terres de pâture (jachère, chaume, etc.). Les besoins s’accroissent pour l’en-
semble des éleveurs en période hivernale (septembre à février) à cause d’enneigement, ou encore
pendant les périodes de sécheresse prolongées durant lesquelles les parcours n’offrent que des
aliments à faible valeur nutritive. Pendant ces périodes, les éleveurs procèdent à des écimages et
des ébranchages d’autant plus sévères que les potentialités fourragères des parcours et des champs
en jachère s’amenuisent. Les parcours forestiers d’altitude sont particulièrement prisés en été
lors de la transhumance estivale qui se pratique encore, mais individuellement et sur de courtes
distances (< 10 km) grâce au compartimentage du relief. Si les cédraies sont tant bien que mal
protégées, la situation est, par contre, critique pour les chênaies dont la densité s’affaiblit autour
des villages, des bergeries et des terres de culture. Estimée à plus de 4 UPB/ha 3, la charge animale
dans les forêts est largement supérieure aux seuils préconisés dans les parcours méditerranéens,
soit 1 UPB/ha (Goujon, 1977). Si les ravages par le feu sont insigniiants, les délits de coupe de
bois vif, de surpâturage et de défrichement sont fréquents, exposant de ce fait les sols à l’érosion.
Figure 3 : Évolution de la population urbaine et rurale et de la densité rurale dans la zone du POS entre 1900
et 2004
Evolution of the urban and rural population and the rural population density in the POS area between 1900
and 2004
3. L’UPB (unité petit bétail) est un paramètre de comptage. 1 UPB correspond à 1 ovin ou caprin adulte. 1 bovin représente
5,2 UPB, 1 équidé fait 5 UPB.
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Ressources « naturelles » et développement rural au Maroc
4. Depuis l’indépendance du Maroc, les dénominations du ministère de l’Agriculture et de ses services n’ont pas cessé de
changer au gré des réformes administratives et institutionnelles. Pour éviter tout développement inutile de ces change-
ments, nous utilisons les appellations du ministère de l’Agriculture/MA (au lieu de MARA et de MADRPM…) et de
l’Administration des Eaux et Forêts/AEF (au lieu de DFCCS et de MDCEF…). L’AEF est le service dont dépendait le
POS jusqu’à 1996 (ig. 5).
5. GTZ (Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit) est un établissement public autonome chargé de l’exécution de la
coopération technique de l’aide bilatérale allemande. Il relève du ministère fédéral de la Coopération économique et du
Développement (BMZ) qui déinit la politique allemande de coopération.
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Sur le plan des réalisations, deux phases sont à distinguer. La première phase (1986-1995) est
caractérisée par une implication dificile des populations et des réalisations éparses et centrées sur
la Défense et la Restauration des Sols (DRS). Pendant la deuxième phase (1996-2000) où le projet
évolue vers une approche participative, les réalisations ont tendance à se diversiier (tableau 1).
torales » chargées d’exploiter les forêts, le pouvoir de décider revient aux ingénieurs et aux entre-
preneurs forestiers. Il en résulte, en l’absence d’une comptabilité transparente, un détournement
partiel des revenus forestiers par certains notables locaux et les personnes précitées, généralement
sans aucune sanction. Le rôle de la population locale dans la gestion de « leur » forêt est réduit à
solliciter un emploi dans les chantiers forestiers (coupe, reboisement, etc.), faiblement rémunéré.
Ceci explique, en partie, que cette population procède à des défrichements plus ou moins exces-
sifs avec la complicité corrompue des gardes forestiers. Le défrichement est considéré comme
un moyen de faire disparaître la présomption de domanialité de la forêt et, pour les propriétaires
riverains, d’augmenter la supericie de leurs biens fonciers (Laouina, 2000). La supericie forestière
endommagée annuellement est estimée à 200 ha dans la zone du POS.
Cela étant, des efforts ont été déployés pour tenter de répondre aux revendications des popula-
tions jusque là insufisamment consultées. Dans ce sens, la GTZ fait appel à la méthode, qui lui
est chère, de la Planiication Par Objectif (PPO) 6. La PPO suppose que les actions à entreprendre
soient exprimées par les représentants des populations (élus communaux) et des autorités locales
en s’appuyant sur l’analyse des problèmes, des objectifs et des approches alternatives. Une fois la
planiication du projet et le budget établis, le pilotage du projet consiste à vériier l’avancement et
l’exécution du budget par rapport aux objectifs ixés initialement. Toutefois, ni la méthode (axée sur
la lutte contre l’érosion), ni le langage technique (exprimé en français) utilisés pendant les séances
de planiication ne débouchent sur une participation effective des élus. La démarche de la PPO
s’avère peu performante pour un projet à forts handicaps (pauvreté, analphabétisme, corruption,
clientélisme, poids des traditions, etc.). La planiication est dissociée de la réalité du terrain dans
le sens où les séances se déroulent hâtivement en salle à la Direction Provinciale de l’Agriculture
de Khénifra (DPA). Bien qu’elle soit représentée par ses élus, la population n’est pas au courant
de la planiication élaborée et, donc, pas encline à y participer. Les pesanteurs bureaucratiques et
les récurrentes surenchères électorales rendent dificile le suivi régulier d’un projet inscrit dans
le long terme. Soucieux de leurs intérêts personnels, les élus et les représentants de l’État font
preuve d’une compréhension très limitée de l’approche participative. Depuis, les élus communaux
ont été écartés du POS (ministère de l’Agriculture, 1995).
La cellule du POS est placée sous la responsabilité administrative du directeur de la Direction
Provinciale de l’Agriculture de Khénifra (DPA). Elle est rattachée au Service des Eaux et Forêts
(SEF) de la DPA. Ce service relève réellement de l’Administration des Eaux et Forêts (AEF)
qui assure non seulement la maîtrise d’œuvre du POS, mais également, et de manière non
explicite, la maîtrise d’ouvrage puisqu’il était à l’origine de la demande d’actions de lutte contre
l’érosion dans la zone du POS. Cette confusion des rôles a souvent conduit à des situations de
conlits d’intérêts dictées essentiellement par la volonté délibérée de l’AEF de privilégier les
actions de la DRS. Bien qu’ils soient assistés par deux conseillers allemands, les trois ingénieurs
forestiers du POS appréhendaient le projet selon les orientations rigides de leur administration
de tutelle (l’Administration des Eaux et Forêts – AEF) qui refuse d’intégrer la forêt dans les
actions envisagées par le POS, comme nous le verrons plus loin. Sous la pression de la GTZ,
l’équipe du POS 7 s’étoffe en 1993, de trois autres ingénieurs agronomes animés par une certaine
approche participative du projet, incompatible avec les méthodes de travail de l’AEF auquel ils
sont subordonnés. Celle-ci, par le biais de sa représentation locale (SEF), a souvent entravé la
programmation et la réalisation de plusieurs activités et actions, même en dehors de l’espace
forestier (ouverture de nouvelles routes par exemple). La complexité des relations de travail a
amené la GTZ à émettre des réserves quant à la poursuite de sa participation au projet (ig. 5).
6. À l’origine, la méthode PPO repose sur la doctrine militaire américaine du « logical framework » (cadre logique). Mise en
application en 1969 dans le domaine de l’aide au développement, cette méthode a été oficialisée à la GTZ, depuis 1983
sous les termes allemands de « Zielorientierte Projektplanung » (ZOPP), pour planiier ses interventions en améliorant la
communication et la coopération entre les partenaires d’un projet (GTZ, 1988).
7. L’équipe du POS est dirigée par un chef de projet marocain et d’un représentant de la GTZ qui supervisent la gestion des
moyens humains et matériels des deux pays partenaires du projet.
Ressources « naturelles » et développement rural au Maroc
Figure 5 : Le positionnement de la cellule du POS dans l’organigramme de travail avant et après l’adoption de l’approche participative
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The positioning of the unit of the POS in the working organization chart before and after the adoption of the participative approach
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8. Jusqu’alors, l’intégration du SEF à la DPA est dictée par des raisons purement économiques.
9. Le Cheikh (pl. chioukh) et le Moquadem (pl. moquademin) sont les représentants du Ministère de l’Intérieur en milieu
rural, respectivement au niveau de la fraction et du douar.
10. Le terme agoudal (pl. igoudlan) signiie, stricto sensu, pâturage d’altitude. Dans sa déinition lato sensu, l’agoudal (ou
l’agoudal villageois pour le différencier de son sens précité) désigne un espace-ressource (forestier ou pastoral) installé le
plus souvent sur des terres de statut collectif et dont l’accès et les usages sont soumis à des règles précises instaurées par
une ou plusieurs jemaas. Il s’agit le plus souvent de mises en défens temporaires (les dates de fermeture et d’ouverture sont
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Ressources « naturelles » et développement rural au Maroc
de l’agoudal ont été acceptées, autant les nouvelles restrictions exogènes de l’Administration des
Eaux et Forêts (AEF) quant à l’utilisation des forêts (pacage, extraction du bois de feu et d’œuvre,
etc.), sont mal perçues par des populations qui considèrent encore les forêts comme leur héritage
tribal. La réinvention de la gestion communautaire se heurte aujourd’hui à des problèmes d’ordre
juridique et foncier. D’une part, les dispositions du code forestier marocain (loi du 10 octobre
1917 et décrets ultérieurs) en matière d’approche participative dans la gestion des ressources
forestières sont insufisantes, voire obsolètes. Elles ne tolèrent en forêts que le parcours de trou-
peaux et le ramassage de bois mort, alors que les labours et les coupes de bois y sont interdits
ou réglementés. D’autre part, les terres collectives, du fait des atteintes oficielles et privées
qu’elles subissent, offrent des cas de igures où le statut foncier est ambigu, c’est-à-dire entre le
melk (privé) et le collectif (bien commun ou domanial). Plus ou moins mêlées aux forêts et aux
terres privées, les terres collectives concernent actuellement des terres pauvres (terrains déclives,
rocheux, rocailleux, érodés, etc.) qui sont sous pression d’une vaine pâture excessive (Mekouar,
1984 ; El Jihad, 1999 ; Potters et al., 2003).
Malgré ces évolutions qui favorisent le développement d’un individualisme qui va à l’encontre
des pratiques collectives d’antan, les responsables du POS ont cherché à réactiver certaines pra-
tiques séculaires qui se perpétuent encore, tant bien que mal, par certaines populations. À l’échelle
du douar, qui constitue un champ d’expression des solidarités avec un minimum d’antagonisme,
la population peut être assez facilement informée et concertée. Toutefois, concernant la planii-
cation spatiale, l’étroitesse du douar semble constituer un handicap. Le choix porté en 1993 sur
le niveau du douar (qui est toutefois conservé pour la concertation) a été abandonné en 1995, au
proit de la fraction. Le territoire de chaque fraction se présente en inage allongée dans le sens
de la pente d’un grand versant avec des dénivelés qui peuvent dépasser 1 000 m. Ce inage réunit
au moins deux terroirs agropastoraux différents : un dans le Causse (adrar ou jbel) et l’autre dans
la vallée ou le dir (azaghar). C’est au niveau de la fraction (traduit spatialement par terroir, ce qui
est impropre) qu’on observe une évidente capacité des populations à s’organiser collectivement
pour gérer, naguère, les parcours forestiers et, encore, les périmètres d’irrigation traditionnelle qui
s’étendent sur plusieurs terroirs d’un ou deux inages (ministère de l’Agriculture, 1995, 1999a ;
El Jihad, 1999).
Cette approche des valeurs propres aux populations locales s’est avérée intégrable à une démarche
de développement décentralisé dite Gestion du Terroir Villageois (GTV) dont la inalité est l’élabo-
ration du Plan de Développement du Terroir (PDT) par le biais d’un outil de travail dit Méthode
Active de Recherche et de planiication Participatives (MARP) 11. Les nombreuses applications
de cette méthode francophone ont démontré son adaptation à la diversité socio-environnementale
des milieux, en particulier dans les pays de l’Afrique subsaharienne et à Madagascar. La Méthode
Active de Recherche et de planiication Participatives (MARP) est un processus lexible orienté vers
le travail étroit avec la population (en favorisant son savoir) pour l’aider rapidement à analyser ses
besoins et à identiier des solutions pour les satisfaire (ministère de l’Agriculture, 1999a ; Guèye,
2000 ; Hitimana et Hussein, 2000 ; Rakoto Ramiarantsoa, 2002 ; Lavigne-Delville, 2007).
Constituées de 4 à 6 personnes, les équipes d’enquêteurs sont multidisciplinaires et mixtes
pour prendre en compte certains groupes qui ne sont pas d’accès facile, en particulier les femmes
(ministère de l’Agriculture, 1999a). Les enquêteurs utilisent divers outils et techniques (dessins,
cartes, photos aériennes, entretiens semi-structurés collectifs ou individuels, etc.) pour élaborer le
PDT en concertation avec les représentants de la population qui sont organisés en Comités villa-
ixes ou négociées), souvent durant les mois de printemps (période la plus sensible pour le développement des plantes),
ain de permettre la reconstitution et la continuité de l’écosystème végétal (Lefébure, 1979 ; Auclair, 2005 ; Mahdi et
Domínguez, 2009).
11. La MARP est une méthode inspirée de deux concepts anglais : Rapid Rural Appraisal (RRA) et Participatory Rural
Appraisal (PRA). Elle a été développée, à partir de la in des années 1970, par différents spécialistes qui étaient arrivés
à la conclusion que les méthodes habituelles de recherche ne permettaient pas toujours une bonne compréhension des
réalités rurales (Guèye et Freudenberger, 1991 ; Chambers, 1994 ; GTZ, 1994).
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geois où tous les douars d’un terroir sont représentés autant par les hommes que par les femmes.
L’élaboration d’un Plan de Développement du Terroir (PDT) dure un mois maximum par terroir.
Les PDT sont élaborés pour 12 terroirs ain d’intégrer la plus grande diversité en termes de groupes
et de zones (ig. 6 – planche II). Ces terroirs occupent une supericie de 360 km2 et comptent
17 000 habitants en 1997. Les PDT sont exécutés selon des accords semi-oficiels établis entre le
POS et les Comités villageois (ministère de l’Agriculture, 1999a).
Photo 1 : Vue vers le nord-est. Un terroir irrigué situé à 7 km à l’est d’El Kebab. L’agriculture irriguée s’est déve-
loppée sur les terrains du fonds de la vallée du Srou. Au dessus, les terrains argileux deviennent de plus en plus
pentus et sont soit laissés à l’abandon ou, rarement, occupés par l’arboriculture fruitière. En arrière-plan, apparaît
le Causse couvert de forêt de chêne vert (cliché de l’auteur, 6 novembre 2005).
Sight eastward. An irrigated soil located at 7 km east of El Kebab. The irrigated agriculture devel-
oped on the grounds of bottoms of the valley of Srou. Above, the clayey grounds become increasingly sloping
and are either neglected or, seldom, are occupied by fruit tree-growing. In background, the covered Causse of
forest of holm oak appears (author’s photograph, November 6th, 2005).
Photo 2 : Vue vers le Sud. Exemple d’un aménagement hydraulique du POS, situé à 9 km à l’est d’El Kebab. L’amé-
nagement de la source (2 à 3 l/s) est conçu pour satisfaire plusieurs usages (borne-fontaine, lavoir, abreuvoir). Le
surplus en eau est destiné à l’irrigation (cliché de l’auteur, 6 novembre 2005).
Sight southward. Example of a hydraulic installation of the Oued Srou Project, located at 9 km east
of El Kebab. The arrangement of the spring (2 to 3 l/s) is conceived to satisfy several uses (drinking fountain,
washhouse, drinking trough). The water surplus is intended for the irrigation (author’s photograph, November
6th, 2005).
trop marquée qui pourrait déstabiliser les structures sociales. Ce semi-échec tient au fait que les
hommes détiennent les moyens de production et représentent la famille à l’extérieur. Bien que
les femmes travaillent aux champs familiaux, leur liberté est limitée par la tutelle que leurs maris
exercent sur elles. Seules les femmes âgées et/ou divorcées échappent, à un certain degré, à cette
tutelle. Malgré ces blocages, l’activité inancière de l’Association de Micro-inance Oued Srou
(AMOS) s’est renforcée progressivement grâce au soutien de plusieurs instances nationales et
internationales. Depuis 2000, l’AMOS a étendu son aire d’intervention à l’ensemble de la province
de Khénifra et ses alentours, en élargissant ses services à la population masculine à faible revenu,
aussi bien en milieu rural qu’en milieu semi-urbain.
Photo 3 : Vue vers l’est. La seule route qui longe la vallée du Srou est partout entaillée en raison de l’extrême vul-
nérabilité des terrains argileux au ruissellement, comme ici à 8 km au sud-ouest de Kerrouchène. Bien qu’elle soit
goudronnée, la route revêt la couleur ocre de l’argile (cliché de l’auteur, 6 novembre 2005).
Sight eastward. The only road which goes along the valley of Srou is cut everywhere because of the
extreme vulnerability of the clayey grounds to the surface runoff, as here at 8 km in the southwest of Ker-
rouchène. Although it is tarred, the road takes on the ochre colour of the clay (author’s photograph, November
6th, 2005).
(AFC). Le but de ce plan est de réinventer la gestion communautaire des forêts selon les règles
d’une gouvernance territorialisée qui déinissent les droits et les devoirs des différents partenaires
(citoyens, entreprises forestières, communes, etc.) vis-à-vis de l’État qui ixe les normes en concer-
tation avec tous les acteurs de la société civile (ministère de l’Agriculture, 1999a ; Fay, 1987). Les
systèmes communautaires de gestion des pâturages forestiers sont largement expérimentés dans
plusieurs pays de l’Afrique (Madagascar, Cameroun, Sénégal, Burkina-Faso, Bénin, etc.) depuis
déjà deux à trois décennies, suivant des modèles qui vont de différents types de droits de gestion
à une profonde réforme foncière aboutissant à l’appropriation. Les taux de réussite sont générale-
ment encourageants (Drabo et al., 2001 ; Faye, 2001 ; Marty, 2001 ; Rakoto Ramiarantsoa, 2002).
Le concept de l’AFC, destiné à être expérimenté dans deux terroirs sur 2 000 ha de la chênaie
situés au nord de la vallée du Srou, a été inalement abandonné. L’AEF n’est pas fervente de la
gestion communautaire des forêts pour des raisons qui tiennent aussi bien aux conditions hydro-
climatiques défavorables à la régénération forestière qu’aux effets « secondaires » d’un contexte
socio-économique marqué par une croissance démographique soutenue et la pauvreté. Avec la
disparition progressive de la transhumance, la sédentarisation de la population et la recrudescence
des années sèches, le séjour des troupeaux en forêts s’allonge et compromet, par conséquent, la
reconquête forestière par des interventions écologiques dont les délais sont d’ordre générationnel.
Depuis le début du xxe siècle, la population a sextuplé dans le Moyen Atlas occidental, alors
qu’elle n’a fait que triplé au mieux dans le Haut Atlas central. Les densités rurales moyennes évo-
luent dans les mêmes proportions (Couvreur, 1986 ; El Jihad, 1999). Si certains auteurs (Auclair,
1996 ; Fay, 1986) constatent que, dans certaines vallées du Haut Atlas central, il n’existe pas de
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relation linéaire entre forte densité humaine et aggravation des processus de déforestation et
d’érosion, force est de constater que ces vallées, bien qu’elles soient localement assez densément
peuplées (35 à 40 hab/km2), sont enclavées (relief accidenté) et loin des centres urbains (40
à 60 km). Par contre, les campagnes du Moyen Atlas occidental sont parsemées de petites et
moyennes villes qui constituent des débouchés pour l’écoulement des produits d’abattage forestier.
Dans la zone du POS et sa périphérie occidentale, une demi-dizaine de villes abritent près de
200 000 habitants dont plus de 150 000 à Khénifra qui se trouve à seulement 15 km de la zone du
POS. Cette urbanisation galopante implique une certaine densité de routes qui favorise la mobilité
alors que les moyens de surveillance des forêts stagnent.
Au Moyen Atlas occidental, les massifs forestiers sont plus ou moins surveillés suivant non seu-
lement la densité de la population (2 000 à 2 500 hab/garde forestier), mais également en fonction
de l’essence forestière. Les chênaies sont moins bien surveillées que les cédraies qui sont la cible
de bandes « spécialisées » dans le façonnage des madriers. De l’ordre de 1 poste pour 80 km2 de
forêts en moyenne, la densité des postes forestiers tend à s’accroitre à proximité aussi bien des
aires couvertes par la cédraie que des routes et pistes qui les sillonnent. La proximité des centres
urbains, la densité des routes et l’insufisance de la surveillance jouent un rôle important dans
la dégradation des forêts. La population défriche là où elle est moins inquiétée et déploie moins
d’effort pour écouler les produits extraits de la forêt.
Par ailleurs, les fortes densités rurales du Moyen Atlas occidental s’accompagnent d’un accroisse-
ment des effectifs des troupeaux en raison non seulement de la croissance des populations locales,
mais surtout du développement d’associations pastorales entre ruraux pauvres ayant le droit en
tant riverains de la forêt, et des citadins économiquement puissants, mais qui sont juridiquement
exclus de la forêt (Mekouar, 1984 ; Laouina, 2000). Ces associations pastorales entre ruraux et
citadins exacerbent la concurrence entre les éleveurs et renforcent l’anarchie dans l’utilisation des
ressources pastorales.
S’opposant au plan forestier de la GTZ, l’Administration des Eaux et Forêts (AEF) a focalisé
son intention sur l’application de son programme de lutte contre l’érosion en prenant parti pour
la plantation fruitière des exploitations privées et la reforestation massive du domaine forestier
(tableau 1). Depuis 1996, les actions de la DRS sont considérées par l’Administration des Eaux et
Forêts (AEF) comme un moyen pour gagner l’adhésion des populations en raison de l’intérêt que
celles-ci tirent non seulement du travail rémunéré dans les chantiers domaniaux, mais également
des travaux destinés à la protection d’ouvrages de la PMH (prises d’eau, canaux, etc.) contre les
crues et le ruissellement. Malgré les dificultés d’intervention sur les exploitations instables, cer-
taines espèces adaptées au climat local (cyprès, acacia, eucalyptus, etc.) y ont été introduites tant
bien que mal pour constituer des haies vivantes ou traiter les bad-lands.
L’idée, déjà ancienne, de construire un barrage à l’aval du bassin du Srou pour retenir les sédi-
ments resurgit de nouveau (El Jihad, 1999). Ceci relète l’inadaptation des techniques antiérosives
mises en œuvre, non seulement en raison des conditions morpho-lithologiques et climatiques
locales (pentes fortes, substrat argileux, averses intenses, etc.), mais aussi des blocages socio-
économiques. En effet, la population locale ne considère pas ou peu l’érosion des sols comme le
résultat de la pression exercée par une démographie galopante, mais comme un fait naturel que
l’on ne peut combattre. Cela étant, de toutes les actions du POS, ce sont les actions antiérosives
(reboisement, ixation des ravins, cordons pierreux, traitement des bad-lands, etc.) qui sont les
moins prometteuses en termes de durabilité en raison moins de l’extrême rhexistasie du milieu
que des défauts de conception des ouvrages antiérosifs. Sur le terrain, le comportement de tous
les types d’ouvrages adoptés pour stabiliser l’évolution des ravines (branchage, gabion, digue de
pierres, etc.) semble lié à la taille de la ravine, dans la mesure où ils sont mieux conservés dans
les petites ravines, en raison des faibles écoulements. Dans les grandes ravines de plus de 500 m
de longueur (bassins de 40 à 150 ha), ils ont tendance à céder.
Au même titre que l’emploi et les aménagements hydro-agricoles, le réaménagement des pistes
existantes et l’ouverture de nouvelles routes constituaient l’une des principales revendications
43
Ressources « naturelles » et développement rural au Maroc
des populations. La qualité médiocre et l’insufisance des routes se répercutent négativement sur
la vie quotidienne des populations (scolarisation, déplacement, approvisionnement des villages,
installation des services de proximité, etc.). Les pistes et les routes qui sillonnent la zone sont
mal entretenues et généralement impraticables en période d’intempéries (photo 3). Le POS n’a
procédé, généralement, qu’à une réhabilitation des pistes et des routes existantes. L’AEF consi-
dère que l’ouverture d’une route accentuerait, aux abords de son tracé, l’exploitation commerciale
illégale des ressources forestières par l’acheminement rapide (par camion et non plus à dos de
mulet) des produits des coupes sauvages. Par conséquent, les charges du contrôle de la forêt s’en
trouveraient accentuées.
Toutes les actions ont été réalisées dans le cadre de nombreuses associations dédiées à l’organi-
sation des populations en matière d’analyse des situations, de prise consensuelle des décisions et
d’exécution contractuelle des actions.
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Cet article a été reçu le 27 juin 2009 et déinitivement accepté le 1er juin 2010.
planche II (Moulay-Driss EL JIHAD – Les dificultés de gestion des ressources « naturelles » et de développement rural…)
Figure 6 : Répartition par terroir des réalisations de petite et moyenne hydraulique dans la zone du POS (phase
1996-2000)
Distribution by village land of the achievements of small-scale irrigation in the POS area (phase
1996-2000)
planche III (Moulay-Driss EL JIHAD – Les dificultés de gestion des ressources « naturelles » et de développement rural…)
Figure 7 : Répartition par terroir des plants fruitiers dans la zone du POS (phase 1996-2000)
Distribution by village land of the fruit seedlings in the POS area (phase 1996/2000)