EAF 6 La Rencontre Entre Des Grieux Et Manon Lescaut

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 4

EAF 6 : Abbé PRÉVOST, Manon Lescaut (1731), Première partie : « La rencontre entre Des

Grieux et Manon »

Travail préalable : avoir cherché la définition du mot « romanesque »

Éléments pour l’introduction


. (Présentation de l’œuvre) Véritable critique sociale, réaliste avant l’heure, le roman de l’abbé Prévost
(1697-1763) est, dès sa parution en 1731, jugé immoral et frappé par la censure. Les deux jeunes
héros, dont la passion amoureuse enfreint toutes les conventions et leurs vies, apparaissent comme
les victimes d’une société corrompue. Des Grieux est prêt à embrasser l’habit de prêtre quand il
rencontre Manon. Il abandonne pour elle sa condition d’honnête homme et sa fortune. Mais, si Manon
l’aime tendrement, elle ne peut renoncer au goût du luxe et vend son corps au plus offrant.
. (Présentation et situation du passage étudié) Deux ans auparavant, le chevalier Des Grieux a
rencontré un certain Renoncour. Ce dernier lui était venu en aide alors qu’il souhaitait s’embarquer
pour l’Amérique pour suivre sa maîtresse. Les deux hommes se retrouvent par hasard à Calais. Des
Grieux raconte alors à son bienfaiteur les mésaventures qui l’ont conduit dans l’état misérable où il se
trouve, en commençant par sa première rencontre avec Manon.
PB : Comment l’abbé Prévost fait-il de la rencontre entre Des Grieux et Manon un épisode à la fois
fatal et romanesque ?
. Mouvements du texte :

1. Une apparition angélique et décisive (l. 1 à l. 12 « la maîtresse de mon cœur »)


2. Le premier duo amoureux (l. 12 à « nul moyen de l’éviter »)
3. La folle décision de Des Grieux : le début du romanesque (depuis « La douceur de ses
regards » à la fin )

Analyse linéaire

1. Une apparition angélique et décisive


J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas
! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! J'aurais porté Énonciation : marque de la première personne, le narrateur
chez mon père toute mon innocence. La veille même de Renoncour cède ici la parole à Des Grieux qui raconte sa
celui que je devais quitter cette ville, étant à me propre histoire. Le procédé est artificiel et romanesque puisque
promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous Renoncour nous rapporte a posteriori l’histoire et les propos de
vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes Des Grieux.
jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent.
Le contexte spatio-temporel est installé avec précision :
Hélas !(...) : Interjection tragique + modalité exclamative
témoignent de l’oralité du passage : les paroles de Des Grieux
sont rapportées au discours direct. Dès le début du passage, on
a l’expression d’une fatalité en marche associée au regret avec
« Hélas », et à une temporalité complice du destin : puisque la
rencontre se produit la veille du départ programmé par des
Grieux : « La veille même de celui que je devais quitter cette
ville ». = procédé très romanesque du commentaire du
narrateur sur son propre récit qui annonce par anticipation la
Nous n'avions point d'autre motif que la curiosité. Il en suite funeste de l’histoire ; cela permet d’accrocher l’attention et
sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il l’intérêt du lecteur.
en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour,
pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui
Le lieu : la scène de la rencontre a lieu sur une place à Amiens
servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son
(dans le Nord de la France), devant l’hôtellerie où descendent
équipage des paniers.
les coches. C’est un lieu de passage, urbain et mouvementé qui
place la rencontre sous le signe de l’itinérance et du voyage.

Présence de Tiberge, le grand ami de Des Grieux, ami fidèle et


secourable, qui incarne la voix de la sagesse dans le roman. Il
est témoin de la scène. Or la rencontre est racontée selon le
point de vue de Des Grieux.
Elle me parut si charmante, que moi, qui n'avais jamais
pensé à la différence des sexes, ni regarder une fille « Nous n’avions point d’autre motif que la curiosité » : insistance
avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde sur le caractère extraordinaire et inattendu de cette rencontre,
admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai présentée comme un coup du destin : « Il en sortit quelques
enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort
jeune, qui s'arrêta seule dans la cour ». Le « mais » marquant
l’opposition permet de Manon est singularisée parmi les autres
femmes. Portrait physique de Manon : insistance en incise sur
son âge avec l’adverbe d’intensité « fort jeune ». « pendant
qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de
conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des
paniers. » = action simultanée, l’homme chargé de
l’accompagner est occupé, ce qui donne l’occasion à Des
Grieux d’approcher la jeune femme (réalisme de la scène).

« si charmante » = Suite du portrait physique de Manon du


Point de Des Grieux = focalisation interne. Adverbe d’intensité à
nouveau « si ».
J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à
déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette
faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. Phrase complexe : avec des propositions subordonnées
relatives en incise qui font le portrait moral élogieux de Des
Grieux, lui permettent de mettre en évidence le bouleversement
dont il est victime et retardent l’aveu du coup de foudre.

Moment de grammaire : Structure de la phrase complexe


Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut
mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui Elle me parut si charmante, que (…) je me trouvai enflammé
demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait tout d'un coup jusqu'au transport.
quelques personnes de connaissance. Elle me répondit
ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour
être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis = Principale + Proposition subordonnée conjonctive de
un moment qu'il était dans mon cœur, que je regardai ce Conséquence
dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui
parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes La construction met en évidence la force de la passion
sentiments, car elle était bien plus expérimentée que amoureuse.
moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour
arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était
déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses A noter un seul et unique qualificatif « charmante » suffit à
malheurs et les miens. produire le coup de foudre : Manon exerce un charme
exceptionnel (Rappel : charme < du Latin carmen, -inis = le
chant, le sortilège, qui peut être fatal).

Suite du portrait moral de Des Grieux : d’un naturel timide, il est


le sujet actif du verbe s’avancer, il va au-devant de son destin
pour séduire la jeune femme qu’il désigne par la périphrase « la
maîtresse de mon cœur » indiquant le pouvoir d’attraction de
Manon.

2) Le premier duo amoureux

Je combattis la cruelle intention de ses parents par Le dialogue qui s’est tenu entre les deux amoureux est
toutes les raisons que mon amour naissant et mon retranscrit au discours indirect (cf. les verbes de parole « je lui
éloquence scolastique purent me suggérer. Elle n’affecta demandai ; elle me répondit que ; je lui parlai ; elle me dit »)
ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de
silence, qu’elle ne prévoyait que trop qu’elle allait être
malheureuse, mais que c’était apparemment la volonté Insistance sur leur jeune âge à tous deux pour justifier (et
du Ciel, puisqu’il ne lui laissait nul moyen de l’éviter. excuser) leurs erreurs + mettre en évidence le trait de caractère
incarné par Manon : « son penchant au plaisir » (voir plus loin).
Aspect de sa personnalité aussitôt contredit par l’adverbe de
manière « ingénument » (le lecteur est alerté et s’interroge :
La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse double nature de Manon ?) alors que Manon est présentée
en prononçant ses paroles, ou plutôt, l’ascendant de ma comme « plus expérimentée ». Situation de Manon contrainte
destinée qui m’entraînait à ma perte, ne me permirent par ses parents à devenir religieuse caractéristique de la
pas de balancer un moment sur ma réponse. Je l’assurai condition des femmes au XVIIIè s. (3 options : mariée,
que, si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et religieuse ou prostituée)
sur la tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà,
j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses Des Drieux développe un champ lexical traditionnel de l’amour :
parents, et pour la rendre heureuse. « l’amour ; dans mon cœur ; mes désirs ; mes sentiments ».

« C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent » =


dramatisation immédiate de l’échange. Le discours narrativisé
(le récit résume ce qui a été dit sans donner accès précisément
aux paroles prononcées) ne laisse place qu’aux interprétations
de Des Grieux : avec l’emploi du modalisateur « sans doute », il
porte un jugement rétrospectif sur son histoire, et sur Manon,
Je me suis étonné mille fois , en y réfléchissant, d’où me dont la vertu est mise en doute et dont la nature même est
venait alors tant de hardiesse et de facilité à m’exprimer ; présentée, dans une prolepse narrative comme la cause de
tous leurs malheurs. = jugement subjectif de Des Grieux qui
mais on ne ferait pas une divinité de l’amour, s’il désigne Manon comme la coupable (valeur affirmative de
n’opérait souvent des prodiges. l’Indicatif, mode du réel, avec l’emploi du Passé composé « a
Abbé Prévost, Manon Lescaut (1731) causé »).

« Je combattis » : sujet agissant, Des Grieux condamne par ses


paroles la cruauté des parents de Manon, il fait ressortir le
conflit de générations (opposition jeunesse et vieillesse) pour
mieux la séduire, et recourt à toute son « éloquence
scolastique » = importance de la parole qui convainc et séduit
par tous les artifices de la rhétorique dans le roman,
caractéristique de la société du XVIIIè s. d’ailleurs.

Paroles habiles de Manon également (faussement ingénue ?)


qui tend la perche à son sauveur.

3) La folle décision de Des Grieux : le début du


romanesque

Poursuite du portrait de Manon : le charme continue d’opérer,


idée reprise par le qualificatif « un air charmant de tristesse » ;
« douceur » et « tristesse » sont les maîtres-mots pour définir
ce que dégage Manon = l’image d’une jeune femme fragile à
laquelle Des Grieux ne peut que porter secours.

Tentative de Des Grieux d’expliquer l’engagement décisif qu’il


va prendre : plus encore que du charme de Manon, il se
présente comme victime du destin dont il est l’objet « ne me
permirent pas de » et prévient le lecteur de l’issue « ma perte ».
Des Grieux s’engage « sur mon honneur » (conformément à
son statut d’aristocrate et aux valeurs du XVIIIè s.) et « sur la
tendresse infinie qu’elle m’inspirait » = dramatisation
hyperbolique des sentiments et des paroles digne d’un conte de
fée : le jeune chevalier se montre héroïque en lui promettant de
« la délivrer de la tyrannie de ses parents » et une vie
« heureuse ».

Commentaire rétrospectif de Des Grieux-narrateur sur son


propre récit qui renforce l’aspect très romanesque du motif
littéraire du coup de foudre : c’est la rencontre du dieu de
l’Amour lui-même que fait Des Grieux, qui se revoit comme
dépossédé de lui-même.

Conclusion :
. (Bilan) Nous sommes au début de la prise de parole de Des Grieux qui se confie au narrateur
Renoncour. Tout en dressant de lui-même le portrait élogieux d’un jeune homme de bonne famille et
en ayant laissé entendre que sa vie a basculé du mauvais côté à cause d’elle, des Grieux relate sa
toute première rencontre avec Manon, véritable allégorie de l’amour. Dans cette scène très
romanesque de coup de foudre, racontée rétrospectivement, et de façon subjective, le jeune chevalier
se présente comme victime de la fatalité et donne l’avant-goût du malheur qui les attend.
. (Ouverture) Quelques pages après « l’Avis » dans lequel l’auteur annonce sa visée morale : prévenir
des malheurs engendrés par l’amour, le lecteur est à ce stade en droit de s’interroger : et si c’était Des
Grieux qui était à la manoeuvre pour séduire Manon et non cette toute jeune femme qui l’avait
séduit ?

Travail à faire à la maison :

. Écouter l’enregistrement de l’extrait à l’aide du mini-lien https://www.hatier-clic.fr/ 08628a (extrait


légèrement plus long).

. Dans le Carnet de lecture :


• D’après la lecture de ce texte, faites ressortir en quelques lignes le portrait moral de Des
Grieux et celui de Manon Lescaut.
• Visionnage d’une archive de l’INA : extrait du film de l’adaptation de L'Histoire du Chevalier
des Grieux et de Manon Lescaut de l'abbé Prévost par Jean Delannoy en 1978. L'extrait
proposé montre la rencontre de Des Grieux et de Manon (4,44 min.) avec Fanny Cottençon
dans le rôle de Manon.
https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001592

• Que pensez-vous de l’adaptation de Jean Delannoy ? Les interprètes et leur jeu d’acteur vous
semblent-ils correspondre à la vision que vous avez d’eux ? Pourquoi ?

Vous aimerez peut-être aussi