Victime-Agresseur Tome 1
Victime-Agresseur Tome 1
Victime-Agresseur Tome 1
Éric Baccino
& Philippe Bessoles
sous la dir.
Victime-Agresseur. Tome 1
Le traumatisme sexuel et ses devenirs
et de la verrerie
CHAMP SOCIAL
É D I T I O N S
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Victime-Agresseur
TOME 1
Sous la direction
d’Éric Baccino et de Philippe Bessoles
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SOMMAIRE
Problématique..........................................................................................................13
LE FAIT TRAUMATIQUE
Données épidémiologiques des abus sexuels chez les mineurs en France
Éric BACCINO............................................................................................................19
La criminalité sexuelle
Daniel DUCHEMIN....................................................................................................33
Fait traumatique et temporalité
Philippe BESSOLES.....................................................................................................43
De la honte à la plainte
Benjamin JACOBI.....................................................................................................147
AGRESSOLOGIE ET VICTIMOLOGIE
Enfant symptôme et trauma sexuel
Ingrid CAZES...........................................................................................................219
Honte en victimologie
Delphine SCOTTO...................................................................................................227
Les personnes âgées abusées
Emmanuel MARGUERITTE.......................................................................................233
Au risque de la confrontation
Danièle CANY..........................................................................................................239
AUTEURS
Problématique
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LE FAIT TRAUMATIQUE
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Études d’incidence
C’est une équipe de médecine légale qui en 1993 a réalisé une enquête
auprès des médecins du secteur privé du Finistère afin de savoir si, en
1992, ils avaient rencontré des ASM chez des mineurs de 15 ans et avec
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Études de prévalence
Ce chapitre ne saurait être complet si l’on ne mentionnait au préalable
le travail de Quemada cité très brièvement dans le dossier technique du
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ministère des Affaires sociales (2). Il y est rapporté une prévalence d’abus
sexuel de, respectivement, 0,18 et 0,95 % pour les garçons et les filles
d’une population très particulière puisque celle des secteurs de Psychiatrie
Infanto-Juvénile (55 036 sujets, 35 382 garçons). Nous possédons, aussi,
beaucoup plus de détails sur l’étude de Lazartigues réalisée en 1988 auprès
d’un échantillon représentatif de 1 000 étudiants parisiens (8).
Il n’existe à ce jour qu’une seule étude de prévalence ayant porté sur un
échantillon représentatif de la population générale ; réalisés pour le
compte du ministère de la Santé en 1989 par BVA pour le PROMST
(association pour un projet régional d’observatoire des MST) dans la
région Rhône-Alpes. Ces résultats ont été publiés dans deux ouvrages
(2,7). Les données ont été obtenues à partir des résultats d’un question-
naire auto-administré dans le cadre d’interview pour une enquête sur le
SIDA au sein de laquelle les questions sur les ASM n’occupaient quanti-
tativement qu’une petite place. Comme le montre le tableau IV, ce travail
apporte de multiples informations sur la prévalence de différents types
d’ASM (C et NC) et sur certaines caractéristiques de l’agresseur. Il est tout
particulièrement remarquable par la qualité de l’échantillon et surtout le
faible taux de non réponses (2,1 %). Pour ce qui est des taux de préva-
lence, signalons néanmoins que ceux des ASM type C chez les mineurs de
15 ans ont été calculés par nos soins à partir du taux que l’un des auteurs,
le Docteur Zorman, nous a transmis pour les ASM de type G (5 %) en
supposant que la proportion des moins de 15 ans restait constante quel
que soit le type d’ASM. Enfin et peut-être surtout, ce travail est fonda-
mental dans la mesure où pour la première fois en France il objective la
réalité du sous-signalement des ASM. En effet, parmi les personnes inter-
rogées moins de 40 % d’entre elles affirment en avoir parlé à quelqu’un et
dans moins de 10 % des cas les autorités policières et/ou judiciaires,
sociales et/ou médicales ont été prévenues. L’iceberg français des ASM a
donc 90 % de sa masse immergée !
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(44, 445) n’a fourni un travail recevable. L’on reste, en effet, en présence,
aux côtés de l’enquête Rhône-Alpes, de l’étude anglaise de Baker en 1985
et de celle réalisée au Canada par Badgley en 1984. Malheureusement,
l’intérêt de cette dernière est un peu tempéré par la difficulté d’accès au
document de référence non publié dans la littérature médicale classique.
En raison de l’étude de Badgley, nous ne pouvons comparer les taux de
prévalence que pour les sujets de sexe féminin victimes d’ASMC ; ils vont
de 4,1 % pour l’étude française à 10 % pour l’étude canadienne en pas-
sant par 5,4 % pour l’étude britannique. Les différences sont ici bien
moindres que celles constatées pour l’ensemble du tableau IV ; elles ne
s’expliquent pas par des différences d’âge dans la mesure où la limite maxi-
mun établie pour les victimes va de 14 ans dans le travail de Bargley à 16
ans dans le travail de Baker. Nous remarquons, cependant qu’à l’inverse
de Baker où il s’agissait d’une interview et de l’étude française où ques-
tionnaire et interview étaient couplés, les individus de l’échantillon de
Bargley remplissaient un questionnaire de façon privée, semble-t-il en
dehors de la présence de l’enquêteur. Cet anonymat peut, peut-être, expli-
quer, en plus des raisons géographiques et culturelles éventuelles, le taux
de prévalence plus élevé dans l’étude canadienne. Le dernier point, où ces
travaux peuvent être comparés, est le pourcentage de cas survenus à l’in-
térieur du cercle familial. On retrouve là aussi des taux relativement
proches de 14 % (Baker), 17 % (Rhône-Alpes) et jusqu’à 25 % dans
l’étude canadienne. Pour les autres données, faute d’informations plus
complètes sur l’étude de Badgley, nous devons nous contenter de compa-
rer celles des études britannique et française. Les taux de prévalence sont
toujours plus élevés chez Baker quel que soit le type d’ASM et ceci bien
que l’âge des victimes soit de deux ans inférieur à ceux de la région
Rhône-Alpes. Néanmoins les taux sont quasiment identiques lorsqu’on
considère les ASM de type C chez les victimes féminines (5,4 versus 5,2).
On constate, par contre, dans le travail britannique que les victimes mas-
culines sont plus représentées que dans l’étude de Rhône-Alpes avec un
sex-ratio hommes/femmes de 0,66 versus 0,58 pour les ASM de type C
où les ratio sont respectivement de 0,79 et 0,59. Cette tendance se
confirme dans le pourcentage d’agressions répétitives, chez les victimes de
sexe masculin, qui est plus élevé (41 %) que dans l’étude française (18 %),
alors que pour les deux sexes confondus, ces taux sont comparables (37 %
versus 33 %).
Les âges moyens où le risque est maximum sont aussi très proches mais
par contre la place de l’inceste est environ trois fois plus élevée en France.
Ceci est dû à des différences de définition. Baker limite l’inceste à des rap-
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ports sexuels avec un parent biologique, alors que dans l’étude française
sont pris en compte, père, beau-père et concubin, et ceci quel que soit le
type d’ASM. Baker signale qu’au moment où l’enquête a été réalisée, les
victimes, les non-victimes et les non-répondeurs ne différaient en terme
de catégories socio-professionnelles, ni de lieu d’habitation. Bien qu’il n’y
ait pas eu d’évaluation du statut mental et psychologique au moment de
l’interview, il a été demandé aux victimes de décrire comment, de façon
subjective, elles percevaient les effets de ces ASM sur leur vie d’adulte. Il
en ressort que les agressions survenues avant l’âge de 10 ans, au sein du
cercle familial et de façon répétée, sont ressenties comme les plus dom-
mageables alors que celles qui semblent avoir laissé le moins de traces sont
les épisodes uniques perpétrées par un étranger (personne inconnue de
l’enfant).
La dernière information que fournit ce travail concerne une possible
augmentation des ASM au cours de ces dernières années. L’auteur signale
à ce propos qu’il existe une différence significative dans les taux rapportés
par les sujets les plus jeunes et les plus âgés. L’analyse détaillée des résul-
tats montre qu’en fait ces taux varient peu entre la décade des 15/24 et
jusqu’à celle des 45/54 (entre 10 et 13 %) ; chez les 55/64 ans une baisse
se dessine à 9 % mais ce n’est que chez les plus de 65 ans que la chute est
vraiment nette avec une prévalence de 3 %.
Il n’est pas certain que ceci soit significatif d’une augmentation réelle
de la fréquence des ASM, l’explication peut résider dans une plus grande
facilité à se confier, pour les sujets les plus jeunes, mais aussi, dans des
troubles de la mémoire bien compréhensibles pour des faits remontant à
plus de 50 ans. Il n’y a donc pas d’éléments décisifs pour trancher entre
ceux qui comme Feldman (31) pensent que depuis le travail de Kinsey
dans les années 50, la prévalence des ASM n’a pas varié et les autres qui
comme Leventhal (29) soutiennent exactement l’inverse, précisant même
que cela est dû à une plus grande proportion d’ASM sévères perpétrés par
des agresseurs plus proches de la victime. Là aussi, l’on peut reprocher à
ces deux auteurs d’avoir comparé des études méthodologiquement criti-
quables, ce qui explique probablement ces conclusions diamétralement
opposées.
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Discussion
Ce travail a permis de constater qu’en France plusieurs équipes se sont
intéressées aux différents aspects épidémiologiques des ASM : études d’in-
cidence émanant d’équipes hospitalières, de la DASD, des Forces de
l’Ordre ou d’un Observatoire Départemental comme l’Isère ; mais aussi,
études de prévalence tant sur groupe d’étudiants que sur échantillon
représentatif de la population générale.
Du point de vue strictement national, le travail le plus intéressant
semble être l’enquête BVA Rhône-Alpes, non seulement en raison de sa
méthodologie, tout à fait exemplaire dans le cadre des études de préva-
lence, mais aussi du fait que ses résultats peuvent être analysés conjointe-
ment avec les études d’incidence réalisées la même année (1989) dans
l’Isère par l’Observatoire Départemental de l’Enfance Maltraitée
(ODEM), organisme susceptible de recenser la majorité des cas signalés
aux différentes autorités (N = 49, type C). L’application du pourcentage
des 10 % de signalement aux différentes autorités permet d’avancer le
nombre de 490 cas réels d’ASM type C chez les moins de 18 ans dans
l’Isère en 1989.
Les comparaisons des taux de prévalence entre études internationales
sur population générale ne montrent pas de grosses différences lorsqu’une
méthodologie satisfaisante est utilisée (7, 31, 34). Au sein des nations
occidentales, on peut alors situer ce phénomène, de façon très approxi-
mative, comme ayant une prévalence de l’ordre de 5 % chez les mineurs
de 15 ans lorsque les ASM avec contact physique sont seuls retenus. De
façon intéressante ce sont également des taux de cet ordre que l’on
retrouve dans les études sur groupes d’étudiants du secondaire (26, 27).
Les taux de prévalence ne sont pas les seules informations que nous
apportent les études réalisées en France et dans le monde, en sachant que
ne seront envisagées, ici, que celles émanant de travaux considérés comme
corrects du point de vue de leur méthodologie (7, 31, 34). Typiquement,
la victime est six à sept fois sur dix une fille de 10 ans ou moins, connais-
sant son agresseur dont le sexe est majoritairement masculin. Ces agres-
sions se répéteront dans plus d’un tiers des cas et seront rarement signa-
lées aux autorités (moins de 10 % des cas). À l’âge adulte, le fait d’avoir
été victime d’ASM ne semble pas avoir d’influence sur le niveau socio-
économique ni sur le lieu de résidence.
Mais les zones d’inconnu sont, comme on le voit, toujours nom-
breuses. On ignore en particulier, quel était au moment des faits la situa-
tion socio-économique, familiale, scolaire ainsi que les manifestations
somatiques, psychiques ou psycho-somatiques qui ont pu se manifester
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Conclusion
Les données épidémiologiques disponibles sur les ASM en France per-
mettent d’en situer, très approximativement, l’incidence et la prévalence
et de classer ce fléau au rang des problèmes de Santé Publique. Toutefois,
mais pas plus qu’ailleurs, ces informations sont pour l’instant insuffisantes
pour permettre la mise en route d’un dépistage, de la prise en charge thé-
rapeutique des victimes et a fortiori d’une prévention réellement efficace.
De nouveaux travaux sont donc indispensables en sachant les difficultés
particulièrement grandes qu’ils engendrent, difficultés à la hauteur de
l’importance des enjeux.
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La criminalité sexuelle
Daniel Duchemin
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Le cadre légal
Le code pénal de 1994
Le code pénal entré en vigueur en 1994 a consacré une section III aux
agressions sexuelles.
Excluant de ce chapitre les atteintes sans violence et la corruption de
mineurs.
Une remarque préalable doit être faite à propos de trois expressions
que le Code ignore :
. La « pédophilie » ne trouve sa place nulle part. Elle correspond à un
comportement psychologique et n’est réprimée que par les actes criminels
qu’elle suscite.
. L’inceste qui ne constitue ni un crime ni un délit ; seul le viol sur
mineur de 15 ans par un ascendant ou le viol par ascendant, est visé selon
la définition générale.
. L’expression « traumatisme sexuel » n’était pas utilisée par le code de
1994. Cette notion n’apparaîtra qu’en 1998, en ce qui concerne les vic-
times mineures.
La définition du viol, telle que posée en 1980, a été maintenue. Elle
implique les éléments alternatifs de contrainte, violence, menace ou surprise.
Le viol est matériellement un crime constitué par un acte de pénétra-
tion sexuelle de quelque nature qu’il soit. Cette définition large permet de
retenir tout acte pénétrant d’un sexe ou par un sexe ou par quelque autre
moyen que ce soit, sans cependant que l’acte de pénétration soit défini,
laissant ce soin au juge. La répression s’est accentuée en portant la peine
maximum à 15 ans ou à 20 ans en présence de circonstances aggravantes.
La notion ancienne d’attentat à la pudeur a été remplacée par celle
d’agression sexuelle. En supprimant cette qualification, outre la moderni-
sation de vocabulaire, le législateur a tenu à signifier avec précision la
réponse sociale à un comportement en désignant l’objet de la poursuite :
les atteintes objectivement portées au sexe d’autrui.
La minorité maintenue à 15 ans, l’infirmité, l’abus d’autorité ne
constituent que des circonstances aggravantes, contrairement à ce qui
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soins, après expertise préalable. Le condamné est alors suivi par un méde-
cin de son choix sous contrôle d’un médecin coordonnateur travaillant de
concert avec le Juge. Cette mesure peut être commencée en détention.
La tâche du médecin coordonnateur ne sera pas simple, le décret du
18 mai 2000 précise les modalités d’exercice et de choix. Sa mission sera
quadruple :
– inviter le condamné à choisir, sous son contrôle, un médecin traitant ;
– conseiller le médecin traitant ;
– transmettre au juge les éléments nécessaires au contrôle du suivi ;
– conseiller le condamné en fin d’injonction.
On voit de suite la difficulté de ces textes : cette mesure ne peut avoir
d’intérêt que si elle s’inscrit dans un processus de réinsertion, s’appuyant
sur la volonté de participation du condamné. Aucun traitement ne peut
se concevoir sans cette participation.
Pourtant en cas de refus, ou d’inobservation, l’incarcération est à nou-
veau prévue, jusqu’à 5 ans en matière de crime, ce qui, avouons-le, est
pour le moins incitatif.
Autre difficulté, la loi va demander au médecin d’être son auxiliaire
(éventuellement répressif ) dans un cadre inhabituel. Restera donc à défi-
nir le rôle du médecin dans cet édifice ; celui de l’expert qui proposera
cette obligation, celui du médecin coordonnateur, dont l’action peut
tendre à la prise de décisions coercitive ; celui du médecin traitant qui
pourra, s’il le désire, rendre compte au coordonnateur voire au Juge. (L
355-35 CSP) indépendamment des règles sur le secret.
Nous n’évoquerons pas le débat déontologique qui s’est instauré ; le
décret d’application vient de paraître.
En pratique le suivi socio-judiciaire ne devrait pas faire l’objet de diffi-
cultés particulières d’application. Ce type de mesures était déjà connu des
services de l’application des peines dans l’action menée vers la réinsertion.
Concernant l’obligation de soin, il faudra construire un système cohé-
rent sans vouloir envisager que cette obligation soit la nouvelle panacée
permettant de résoudre la récidive dans ce type de criminalité. Gardons
en mémoire, que des affaires médiatisées, dont certaines ont été jugées
dans notre région ont démontré toutes les limites du suivi et de l’obliga-
tion de soins : 2 ans après la fin d’un suivi accompagné de l’administra-
tion d’Androcur (acétate de cyprotérone), 2 enfants de 10 et 12 ans mon-
taient dans le véhicule de cette personne… on connaît la suite.
Ce type de mesure constitue un outil complémentaire à disposition du
juge. Celui-ci ne saurait l’ignorer. Le suivi socio-judiciaire est aussi un
progrès dans l’évolution des mentalités puisque pour la première fois un
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Procès et récidive
Pour terminer ce tableau trop succinct, mais surtout pour mesurer
l’ampleur de notre tâche, il me faut revenir aux statistiques pour consta-
ter que celles-ci mettent en évidence une augmentation constante d’af-
faires enregistrées, que l’on discute pour expliquer ce phénomène, soit de
manière sociologique, soit par la plus grande vigilance institutionnelle.
Mais surtout et c’est peut-être là le sujet principal d’inquiétude qu’en est-
il de la récidive ?
Selon le rapport de Mme Lemperière, lequel a servi de base à la réflexion
du législateur de 1998, il est possible de se référer tout d’abord à une
étude réalisée par le service médico-psychologique régional (SMPR) de
Grenoble-Varces selon laquelle le taux de récidivistes atteignait 8 % en cas
de viol, 3,7 % en cas d’inceste mais 20,4 % en cas d’agression sexuelle,
cette dernière catégorie était celle à laquelle appartiennent de nombreux
pédophiles. Par ailleurs, selon diverses études réalisées au Canada, aux
États-Unis, au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, le taux de réci-
divistes serait de 15 % pour l’ensemble des condamnés pour infraction
sexuelle. Il semble relativement faible chez les ascendants incestueux
(moins de 10 %) et très fort chez les exhibitionnistes (20 à 40 %). Mais
surtout la probabilité de récidive croît avec le nombre d’actes déjà com-
mis : faible pour les primo-délinquants (moins de 10 %), il est plus que
doublé pour les primo-récidivistes et peut aller jusqu’à 40 à 50 % pour
ceux déjà condamnés à deux reprises.
Le taux de récidive n’est pas relativement plus élevé pour les délin-
quants sexuels que pour d’autres formes de délinquance ; en revanche, il
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Introduction
Le temps est au centre de la problématique victimologique. Il stigma-
tise une constante de la clinique des états post-traumatiques aigus, des
psychopathologies immédiates et récurrentes et des névroses trauma-
tiques. Le temps fait signe de l’horreur et de la terreur quand il aliène la
personne victime aux vécus d’effroi et de sidération. Il fait symptôme dans
les cicatrisations psychiques de la remémoration quand il permet quelques
historisations non sans paiement douloureux à la « mémoire de l’oubli »
selon l’expression de J. Lacan définissant l’inconscient.
Toute personne victime, mineur ou adulte, femme ou homme, quelle
que soit la nature individuelle ou collective de son effraction et son his-
toire éminemment singulière, voit son rapport à la temporalité fonda-
mentalement altéré.
Mon cadre épistémique est celui de la psychologie clinique, de la psy-
chopathologie et de la métapsychologie illustrant ainsi le vecteur des
sciences humaines cliniques en matière de victimologie.
Posé soit en terme de commotion psychique comme le fait Sandor
Ferenczi en 1932, en stress aigu ou Post traumatic stress disorder comme le
propose le D.S.M. IV, en compulsion de répétition comme le théorisent
les travaux freudiens, en effet d’encryptage selon les recherches de Nicolas
Abraham et Maria Torok en 1978 ou enfin, comme collusion entre per-
ception et angoisse d’anéantissement comme le propose Michèle Bertrand
en 1997, le temps victimologique est un temps figé. Ce qualificatif usuel
indique l’envahissement du tableau clinique de la sidération du temps de
l’effraction ou de l’attentat. Il n’est pas un temps psychique c’est-à-dire
économique, dynamique, représentatif et symboligène. C’est un temps
d’effondrement des processus psychiques mais aussi de la gestion pure-
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Recueil de données
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Tableau clinique
Ces données qui font, par ailleurs, l’objet d’étude qualitative, m’amè-
nent à circonscrire trois figures majeures de déliaisons pathologiques du
fait traumatique notamment sexuel (viol, tentative de viol, attouchement,
inceste, abus sexuels, tortures sexuelles, etc.).
1) La déliaison avec la fonction métaphorisante de la langue indique
que le temps du langage est confisqué pour la victime. Elle est souvent assi-
gnée au temps du silence ou pire assujettie à formaliser le propre échec de
l’agresseur face à ses actes de parole. « Hein que tu aimes ça… surtout ne
dis rien, c’est normal… tais-toi, tu tuerais ta mère… » illustre cruellement
ce temps du double lien déshumanisé de la fonction pacifiante du langage.
2) La déliaison avec la fonction métonymique du scopique témoigne
que le temps du « voir et regarder » est aussi perverti. La victime est sou-
vent dans l’injonction de baisser les yeux comme si l’agresseur avait trop
peur de voir dans le visage de l’autre sa propre figure de l’horreur.
3) La déliaison des affects, assignés à se taire, gomme toute expression
émotionnelle, sensitive et sensorielle. La mort psychique est aussi une
mort du sensible.
Ces trois figures de déliaison, fréquemment observées lors des entre-
tiens post-traumatiques, m’amènent à vous préciser mon hypothèse de la
temporalité en matière traumatique :
Le fait traumatique actualise le temps de l’infantile.
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Argumentation
Cette actualisation n’est pas celle d’un causalisme du développement
ou de l’évolution libidinale. Ce temps est celui de l’originaire infantile qui
réalise l’omnipotence, la toute puissance et la violence fondamentale. Une
première approche en psychopathologie clinique pourrait se poser ainsi :
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Conclusion
Le fait traumatique est donc un non lieu psychique qui réussit et réa-
lise son entreprise de destruction. En cela, il est condamnable, y compris
juridiquement, car il tue le temps et condamne ainsi la victime à perpé-
tuité.
Lever cette perpétuité psychique, la commuer en peine et remise de
peine peut consister alors sur la scène clinique à :
1) Accompagner la patiente à vivre la réalité perceptive du fait trau-
matique par une prise en charge contenante et une bienveillante attention
et non de neutralité.
2) Promouvoir la réinscription d’une temporalité représentative et
symboligène où se joue une réciprocité patient/soignant.
3) Solliciter les historisations possibles en initiant le trauma psychique
par sa déposition événementielle individuelle.
C’est là où nous invite P. Ricœur dans son expression de « mise en
intrigue » (cité par M. Bertrand, 1997) à savoir « instruire » une drama-
tique qui s’est jouée et, dont la victime a été le jouet, sur une scène de
représentation qui peut enfin commencer, peut avoir lieu et s’élaborera
sur le plan psychique. Toute l’importance des entretiens post-trauma-
tiques est là. Cet enjeu est déterminant d’un point de vue psychopatho-
logique comme thérapeutique.
Si le sujet traumatisé reste en défaut d’énoncé et en mal d’énonciation,
il incombe au clinicien d’inventer des temporalités de figurabilité (R.
Kaës, 1997) pour ré-ouvrir des instants du dire traumatique.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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éd. PUF, 1986.
BARROIS (C.) : Les comportements violents, Paris, éd. PUF, 1995.
BESSOLES (P.) : Le meurtre du féminin. Clinique du viol, St Maximin, Théétète, 2000
(2e édition).
FERENCZI (S.) : Œuvres complètes, Paris, éd. Payot, 1968, 4 tomes (« Psychanalyse I, II,
III, IV »).
FREUD (S.) : La naissance de la psychanalyse, 1895, Paris, éd. PUF, 1975.
FREUD (S.) : « Au delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse, 1920, Paris,
éd. Payot, 1981.
GORI (R.) : La preuve par la parole, sur la causalité en psychanalyse, Paris, éd. PUF, 1996.
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KRISTEVA (J.) : Pouvoirs de l’horreur, Paris, éd. Seuil, 1980.
MIOLLAN (C.) : « Inceste, une écoute post-traumatique », Cliniques Méditerranéennes
n° 55-56, Toulouse, éd. Érès, 1997.
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LA DÉPOSITION DE
L’ÉVÉNEMENT TRAUMATIQUE
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celle où l’on tire les grandes lèvres vers le haut et en dehors). Il faut rap-
peler que la morphologie hyménéale est très variable.
L’anus doit être déplissé afin de voir toute la marge et de rechercher la
moindre fissure anale. Il est possible d’effectuer une anuscopie.
En cas de pose d’un spéculum, il doit être lubrifié à l’eau. Il faut voir
le col, les culs de sac, les parois vaginales.
Le toucher rectal permet en cas de pénétration anale d’apprécier la
tonicité du sphincter, de rechercher un saignement intra-anal ou intrarec-
tal et permet l’étalement de la cloison recto-vaginale. Il est important de
noter s’il existe une douleur qui puisse témoigner d’une fissuration anale.
3) Protocole des prélèvements : ils sont effectués dans 2 buts ; un but
médico-légal, et dans un but médical préventif, expliquant parfaitement
que dans ces agressions le constat médico-légal seul n’est pas suffisant et
que le rôle du médecin légiste aille au-delà des simples constatations.
. La recherche de spermatozoïdes est systématique. Jusqu’à environ
une semaine, on peut rechercher des spermatozoïdes, tout en sachant que
plus le délai est long plus la recherche peut s’avérer négative. Il faut réali-
ser des prélèvements en fonction de la localisation de l’agression : concer-
nant les prélèvements en région vaginale, réaliser des prélèvements au
niveau des culs de sacs, de l’exocol et de l’endocol, faire au moins 6 écou-
villons pour étude génétique éventuelle, deux par site et 3 écouvillons, un
par site pour la détection des spermatozoïdes (recherche sur lame ou pour
lyse des écouvillons à base de protéinase K). En cas de pénétration buc-
cale, prélèvements buccaux (derrière les incisives, derrière les molaires, au
niveau amygdalien si possible). En fonction des prélèvements anaux : au
moins deux écouvillons pour éventuelle étude génétique, et un écouvillon
pour détection des spermatozoïdes avec soit étalement sur lame.
Il faut garder les écouvillons après séchage à une heure à tempéra-
ture ambiante au sec pour transmission aux forces de police sur réqui-
sition judiciaire. À partir de ces écouvillons, des analyses génétiques
pourront être réalisées pour déterminer le type de sperme. Il est pos-
sible de congeler immédiatement les écouvillons à -18° C, mais lors du
transport par les autorités judiciaires, il faudra maintenir une tempéra-
ture équivalente.
. Autres prélèvements, notamment pour savoir si la conscience de la
victime était altérée au moment des faits (en cas de notion d’obnubilation,
d’amnésie antérograde) :
– Alcoolémie.
– Dosage des toxiques, de toute forme de psychotropes ou de
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stupéfiants dans le sang et les urines. Prélever deux flacons d’urine et deux
flacons de sang (expertise/contre expertise) ; dans les cas de prise de psy-
chotropes le plus important est le prélèvement d’urines jusque dans les 4
jours après l’agression supposée, les prélèvements de sang peuvent être
intéressants au moins dans les 24/48 heures après l’agression (prélèvement
de sang sur tube à base de fluorure de sodium, ou d’oxalate de potassium).
Si les prélèvements vont être techniques dans les jours suivants, il est
possible de les conserver à +4° C, s’il y a un potentiel délai les congeler
à -18° C, les résultats seront valables quelques mois (3/4 mois).
– Faire un dosage de BétaHCG à J + 10 en fonction de l’an-
cienneté de l’agression.
Rechercher les maladies sexuellement transmissibles : dosage HIV,
hépatite B, hépatite C (+/-), syphilis, Chlamydiae, prélèvements locaux :
Trichomonas, recherche d’autres maladies parasitaires (mycoses), autres
maladies gonocoques, pour le Chlamydiae la meilleure détection est
constituée par une PCR sur les sécrétions vaginales ou sur les urines (rem-
boursement par la sécurité sociale). Si sérologies négatives, dosage à 1
mois et 3 mois.
La prise en charge des soins médicaux selon la circulaire de Kouchner
en 1997 est à la charge de l’hôpital, mais si la victime vient sur réquisi-
tion, il est possible que ces examens soient pris en charge par la justice s’ils
sont mentionnés par la réquisition car il peut être utile aux magistrats de
savoir si des maladies sexuellement transmissibles vont ou ont été détec-
tées dans le cadre de la procédure.
. Les vêtements : conserver les vêtements du moment des faits, non pas
dans un sac plastique mais dans une enveloppe ou un carton.
Dans le cadre de la prise en charge médico-légale, quand l’agression
sexuelle date de moins de 3 jours. Il existe un protocole de traitement
pour la prévention de la contamination du virus HIV.
Selon le risque, une bithérapie à base de Combivir est proposée ou une
trithérapie est proposée à base de Combivir et Viraceps.
Il n’y a pas de traitement immédiat pour la prophylaxie de l’hépatite.
Il faut savoir que ce traitement dure 1 mois et nécessite une sur-
veillance clinique et biologique.
Combivir (lamivudine) : 2 comprimés par jour, (analogue nucléosi-
dique antirétroviraux, inhibiteur compétitif de l’élongation de la chaîne
d’ADN virale).
Viraceps 750 : 3 fois 3 comprimés, matin, midi et soir ou chez l’enfant
de moins de 13 ans, 25 à 30 mg par kg par jour (Nelfinavir).
Aux urgences, les médicaments sont donnés pour 2 jours, puis une
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préciser par le geste les zones agressées et le mode d’agression. Les dessins
peuvent être également utiles pour que l’enfant arrive à objectiver le type
d’agression dont il a été victime.
L’examen
L’examen a pour but la recherche des traces de violence sur le corps.
Il précise également le stade pubertaire, (seins et pilosités pubienes),
avoir préparé psychologiquement l’enfant à la réalisation de l’examen, au
passage à l’examen gynécologique.
En lui expliquant que c’est le premier et dernier examen dont il fera
l’objet dans le cadre médico-légal, lui expliquer le but de cet examen. Cet
examen ne sera réalisé qu’avec l’accord de l’enfant. Il est utile de lui mon-
trer les gestes qui vont être pratiqués, montrer le matériel qu’on va utili-
ser. Expliquer aux enfants, et notamment aux adolescentes, le fonction-
nement de leur anatomie car pour la majorité des jeunes filles, il s’agit là
de leur premier examen gynécologique, toutes le redoutent.
Pendant l’examen, il faut s’attacher à aborder ces sujets clairement, à
les commenter à voix haute pour que l’enfant ou l’adolescente soit partie
prenante dans cet examen.
Cet examen pelvien comprend :
1) Une inspection minutieuse de la vulve en écartant les grandes lèvres
à la recherche d’œdème, d’ecchymose.
En général, chez les enfants et adolescentes, sans lésion hyménéale,
sans rapport sexuel préalable, la technique de tirer vers le haut et l’exté-
rieur les grandes lèvres, suffit à déplisser l’hymen et il est inutile d’utiliser
des spéculums ou des sondes urinaires (sondes à ballonnet).
2) Examen de la cavité buccale, de l’anus. En cas de défloration et
d’agression sexuelle récente, le protocole du viol est le même pour l’ado-
lescent et l’adulte.
Comme pour l’adulte, des photographies seront réalisées pour fixer
l’instant et seront remises éventuellement sur réquisition.
Pour les adolescents, une hospitalisation courte peut se justifier s’il
existe, soit des lésions anatomiques, un retentissement émotif important
chez la victime ou une dégradation de la relation parents/enfant dans les
suites immédiates de l’agression.
Rédaction du certificat
Le certificat doit mentionner :
– les antécédents ;
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Conclusion
. Les faits mis au conditionnel.
. Les lésions objectivées.
. Les types de prélèvements effectués et de leur mode de conservation.
. Préciser si une ITT a été posée (interruption temporaire totale de tra-
vail personnel) :
- si une évaluation psychologique a été faite ou va être faite ;
- si une hospitalisation a été nécessaire ou pas ;
- savoir que ce certificat sera remis, soit sous réquisition directe
aux autorités judiciaires, soit il sera remis à la personne en lui proposant
d’accélérer la procédure en portant plainte avec son consentement et de
remettre directement le rapport aux officiers de police judiciaire, soit de
lui remettre et d’en conserver un double ainsi que les prélèvements si la
personne ne désire pas porter plainte dans l’instant.
Concernant les mineurs, s’il s’agit d’un mineur de moins de 15 ans, le
signalement de sévices sexuels est non obligatoire mais possible sans l’ac-
cord du mineur et sans l’accord des parents, ainsi le certificat pourra être
remis directement après signalement judiciaire.
S’il s’agit d’un mineur de plus de 15 ans, il faut tenir compte, comme
pour un adulte, de son consentement, pour remettre le certificat
médico-légal aux autorités judiciaires (articles 226-13 et 226-14 du
code pénal).
Ce qu’il ne faut pas faire :
– prendre les dires de la victime à son propre compte ;
– se limiter à un unique examen gynécologique ou anal, bien préciser
les signes négatifs dans l’examen clinique ;
– oublier de faire les prélèvements ;
– se prononcer sur le traumatisme psychique et ses conséquences
notamment le minimiser ;
– conclure à l’absence d’agression sexuelle lorsque l’examen clinique ne
montre aucune lésion ;
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Mais, cette défaite n’est pas toujours soutenable par les pulsions du Moi,
car elle renvoie à la violence originaire sans nom, à la Chose (Lacan), d’où
l’angoisse. La jouissance, même si elle y est associée, est radicalement dif-
férente de l’orgasme, qui, par sa tonalité de plaisir et de satisfaction, ras-
sure le Moi. Comment peut-on désirer être pénétrée, attaquée dans son
intérieur ? Notre Moi n’est pas d’accord, voilà une partie de la honte, être
obligée de mentaliser cette régression.
C’est un travail du Moi considérable pour la petite fille, celui de la
féminité, que d’accepter cette construction en creux et elle demande à ce
que cela soit reconnu symboliquement et en aucun cas dans la réalité.
Tout comme Emmy Von R, qui disait violemment à Freud : « Ne bougez
pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez pas ! » parce qu’il imposait une pres-
sion sur son front. Se serait-il résigné à seulement écouter, et aurait-il
renoncé à sa théorie de la séduction infantile traumatique réelle sans cela ?
C’est par cet interdit du toucher – vécu comme moyen de violence
physique ou de séduction sexuelle – que se met en place l’interdit de l’in-
ceste. Après un traumatisme, l’impuissance renvoie à une passivité proche
de celle de la jouissance et on peut faire l’hypothèse que c’est cela qui fait
apparaître le sentiment de honte.
Cette honte serait le signe que même dans la douleur, la jouissance est
proche.
C’est un travail de reconstruction anale, puis œdipienne, que devra
recommencer inlassablement toute personne traumatisée qui vient parler.
Parachever cette métabolisation, pour une meilleure cohérence des pul-
sions, sous la houlette de la génitalité, tout en renonçant à l’illusion d’une
maîtrise dans ce domaine est-ce à quoi peut arriver le sujet. Le Moi
accepte alors la pulsion en tant que séduction interne et de poussée
constante qui le violente.
La condition de la jouissance sexuelle féminine (différente de l’or-
gasme) c’est cette défaite sans déliaison mortifère, mais ces deux états sont
très proches l’un de l’autre, de plus, ils sont très dépendants de l’autre qui
va « effracter » le Moi. Quel type de passivité l’autre va-t-il éveiller ? Cela
va dépendre de sa capacité à envisager (et non pas à affronter) le féminin.
Si l’effracteur – J. Schaeffer utilise le terme d’amant de jouissance – entre
aussi dans cette régression à travers la jouissance du partenaire, il s’ache-
mine, lui aussi, vers une jouissance Autre. Si dans cette régression il y a
l’impossibilité de distinguer le retour à la mère primitive, au néant, c’est
l’horreur du réengloutissement dans le ventre maternel dont le sexe est
l’entrée et la sortie. Resurgir alors la violence fondamentale liée au maso-
chisme primaire.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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LES CONSÉQUENCES
DES TRAUMATISMES SEXUELS
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dans la honte ou dans la culpabilité ; cela même qu’il sait retrouver dans
la victime qu’il sait abuser en répétitions.
Si l’on suppose que le contrôle des corps et de la parole, leur mise au
secret est une condition d’obtention et de réalisation du sexuel, l’emprise
s’exercera en niant la sexualité comme convention et partage.
La victime d’agressions à caractère sexuel sera mise dans une position
particulière ; l’agresseur en s’attaquant à tout ce qui passerait à son insu
ou bien à tout ce qui ferait le jeu d’une innocence : revendique de tout
savoir (réification langagière d’une féminité interne folle) sur le dedans
d’une intimité, en en cherchant sa disparition, en s’appropriant une jouis-
sance supposée dans l’intimité elle même ; les signes en sont l’absence de
résistance vaut approbation…, suspicion de relations troubles mères
enfants, mères filles, mères garçons. Pas de rival ici, mais un corps dont il
faut extraire la jouissance, un châtiment toujours en attente si… Ou bien
cherche à donner des formes ou des frontières à l’intime supposé (une fémi-
nité externe) pour pouvoir disposer de ces néo-règles ; fragilisation poursui-
vie des frontières, frontières dont il faut supposer l’existence pour les
réglementer autrement (recherches de règles nouvelles de cohabitation,
constitutions de codes langagiers pour l’obtention de l’obéissance, pour la
mise en garde…).
En cherchant à coder la jouissance elle-même, l’agresseur se fait péda-
gogue de l’érogénéité, dans des fins toujours préventives, toute résistance
à la mise en place de ces frontières faisant surgir l’image d’un rival.
4) La constitution de la honte (et la référence narcissique qui l’accom-
pagne) chez la victime est plus qu’un procédé ; elle est attendue comme
condition et a une fonction en symétrie : non seulement elle est ce qui
permet la réitération, mais elle soulage l’agresseur de ses propres
défaillances dans un jeu identificatoire et projectif spéculaire et complé-
mentaire, parfois cathartique. Elle a une double face puisqu’elle permet la
représentation d’un persécuteur (la victime) et de tenir une parole indi-
gnée au nom de la collectivité (concernant la sexualité).
On peut alors dire que la honte se constitue comme un implant, plus
encore qu’elle devient le corps de l’enjeu, l’espace de la confusion dans un
espace dont on vient de voir qu’il était sujet à une double exploitation,
appropriation d’une jouissance supposée, codification de la jouissance
supposée ; l’appropriation de l’intimité exige de prendre au dépourvu. La
victime est sidérée, fascinée, médusée. La néo-réglementation de la jouis-
sance implique la transgression des règles elles-mêmes, ne rien voir au-
delà est attendu, la victime est vampirisée.
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Psychopathologie
des agressions sexuelles chez l’enfant
Claude Aiguesvives
Le contexte actuel
Nous préférons utiliser la notion d’agression sexuelle. D’emblée, elle
discerne à la fois la violence et l’infraction commise à l’encontre de l’en-
fant. À l’inverse, la notion d’abus, évoque un usage qui, à partir d’un cer-
tain seuil serait excessif.
De même, nous récusons le terme très médiatique de pédophilie car
sémantiquement il exprime des liens affectifs positifs avec l’enfant alors
qu’aujourd’hui, il est utilisé communément pour caractériser des infrac-
tions à caractère sexuel commises à l’encontre de l’enfant.
Ces confusions terminologiques expriment la difficulté de l’opinion et
des professionnels à nommer et qualifier les agressions sexuelles. Ces
mêmes confusions, nous les retrouvons en permanence au sein de la cli-
nique psycho-pathologique des agressions sexuelles.
Dans notre propos, nous serons volontiers réducteurs car la notion
d’agression sexuelle recouvre un champ très large de situations. Il est donc
essentiel de séparer des âges, des contextes différents. Dans cette commu-
nication, nous évoquerons les agressions sexuelles subies par les enfants
pré-pubères, commises par un auteur ayant autorité sur l’enfant. Nous
précisons qu’il s’agit d’auteurs de sexe masculin. Nous n’avons pas ren-
contré durant ces deux dernières années de personnes féminines, auteur
principal d’agression à caractère sexuel sur la personne d’un enfant. Une
enquête récente de l’OMS confirme ce fait.
Notre expérience s’appuie sur un travail de suivi d’enfants victimes
mais aussi d’expertises médico-psychologiques.
Nous mettrons en perspective notre expérience au sein de l’hôpital de
Béziers auprès d’enfants victimes d’agressions sexuelles à celles cumulées
en médecine humanitaire auprès d’enfants victimes de guerre ou de situa-
tions de violences politiques.
Cette communication s’appuie sur un travail réalisé sur 13 dossiers : 7
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fant perçoit que sa mère est trop dépendante de l’auteur des agressions, il
choisira alors de révéler ces situations à une personne en qui il a
confiance : une enseignante, la mère d’un de ses amis….
De l’amnésie à l’hypermnésie
Nous savons aujourd’hui que les repères apportés par l’école, les
médias, la société dans son ensemble, aident l’enfant à résister et donc à
ne pas être anéanti par la toute puissance de son agresseur.
L’enfant victime ne peut pas trouver de point d’appui quand son
estime de soi a été détruite. Il est obligé de nier la réalité qu’il vit. C’est la
période d’amnésie. Celle-ci peut tout englober, le plus souvent un échec
scolaire massif car penser devient dangereux.
Mais nous avons rencontré deux adolescents, anciennes victimes
d’agression sexuelles qui ont pu mettre en relation leur hyper-investisse-
ment scolaire et la fuite d’une réalité traumatique vécue à la maison.
Lorsque l’enfant révèle très souvent cette réalité vécue, il va la mettre
en scène sans cesse. Nous sommes chaque fois frappés, la répétition inlas-
sable par ces enfants, des scènes traumatiques. Pour ceux qui n’arrivent
pas à le mettre en scène et en parler, ils nous rapportent le retour du trau-
matisme au travers des rêves et des cauchemars.
Cette hypermnésie qui hante le sujet, c’est la répétition idéïque par la
victime des actes cruels qu’elle a vécus. Il s’agit de l’irruption d’une réalité
non pensée. Cette activité idéïque en boucle, autour du trauma, est une
tentative d’adosser un sens au tragique. C’est aussi l’appel à témoin au
sein du corps social.
Notre travail consiste en une écoute neutre de cette hypermnésie trau-
matique, nous apportons les repères dont a besoin l’enfant, nous refusons
toute interprétation qui aurait pour but de retricoter un lien de causalité
entre la victime et l’agresseur. Nous travaillons, bien au contraire, sur les
processus d’autonomisation psychologique de l’enfant.
Nous le mettons en confiance dans sa vie sociale. Nous aidons cet enfant
à discerner son histoire traumatique de son histoire de vie. Il convient d’évi-
ter que ce vécu traumatique recouvre tout le devenir identitaire de l’enfant.
L’histoire de cet enfant ne doit pas se résumer à son traumatisme. Trop sou-
vent les adultes victimes d’agressions sexuelles présentent le traumatisme
comme l’origine de leur malheur et de leur histoire.
La recherche d’un récit intelligible de vie
« Je ne peux pas comprendre et je ne comprendrai jamais », répétait
souvent cette adolescente qui avait été victime d’inceste très rapidement
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ter que si cette confusion intervenait, elle était le point de départ d’un des-
tin tragique. Alors que les sujets venaient rechercher l’intelligibilité d’une
histoire vécue, ils se retrouvaient pris entre l’alliance inconsciente de
l’agresseur et du médecin.
Le plus souvent nous nous trouvons dans cette situation contraire ;
pour survivre à ces agressions, l’enfant s’efforce de reconstruire une situa-
tion plus présentable et plus supportable, il a alors recours au fantasme. Il
masque la réalité vécue.
L’essentiel est donc de ne pas figer les processus d’élaboration psy-
chique de l’enfant par des conclusions trop rapides, trop affirmatives
lorsque nous aussi nous sommes perdus entre l’imaginaire et la réalité.
Sachons qu’à l’inverse de la justice, où l’absence de preuves bénéficie au
présumé coupable, dans le soin psychique, lorsque nous sommes perdus
dans le récit d’un enfant, il convient de ne pas conclure en discréditant la
parole de l’enfant. Essayons de construire l’espace dialectique qui permet à
l’enfant, souvent terrifié, de résoudre l’énigme dans laquelle il est pris.
Les fausses allégations
Comme nous l’avons décrit en préambule, notre communication
évoque les problèmes des fausses allégations chez les enfants âgés de 2 à
11ans.
Dans le cadre de notre travail de psychothérapeute et d’expert, nous
avons suivi quatre enfants, pour lesquels nous avions retenu comme dia-
gnostic principal celui de fausses allégations.
Les quatre situations étaient identiques. Il s’agissait d’enfants jeunes
qui se trouvaient, comme les enfants victimes d’agressions sexuelles, eux
aussi dans des relations d’objet avec un père ou une mère convaincus que
leur enfant avait subi une agression sexuelle.
Ces enfants n’étaient pas autonomes, ils étaient aliénés dans le discours
de l’adulte. Ils étaient là encore des objets. Nous avons pu constater que
ces enfants sont incapables, lorsque le thérapeute n’est pas pris dans le
désir des parents, de recontextualiser les situations : dates, lieux, fré-
quences, comportements agressifs… qu’ils auraient vécus. Dans ces deux
cas, il s’agissait de maman ayant subi durant leur enfance des agressions
sexuelles, ces dernières n’avaient jamais été parlées.
Nous n’avons pas d’expériences concernant des enfants pré-pubères
d’une psychopathologie de nature endogène. Utilisant la notion d’agres-
sion sexuelle dans un but de victimisation ou de manipulation de leur
entourage.
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ans pour les crimes et de trois ans pour les délits. Mais le régime des délits
les plus graves a été aligné sur celui des crimes. Sont ainsi visés les actes
incriminés par les articles 222-29 et 227-25 CP, c’est-à-dire les agressions
sexuelles autres que le viol et les atteintes sexuelles sans violence,
contrainte ou menace sur la personne d’un mineur de quinze ans.
En outre, le délai de dix ans de l’action en responsabilité civile exercée
devant les juridictions civiles a été prolongé à vingt ans lorsque le dom-
mage a été causé à un mineur par des tortures, des actes de barbaries, des
violences ou des agressions sexuelles (art. 2270-1 al 2 CC).
La révélation par d’autres personnes
Existe-t-il une obligation de dénoncer les violences sexuelles ?
Ce n’est que lorsque les agressions sont commises sur des mineurs de
quinze ans ou sur des personnes particulièrement vulnérables, que la
dénonciation peut devenir une obligation pour les adultes en contact avec
ces mineurs et particulièrement pour les professionnels de la santé et de
l’assistance. Nous savons, malheureusement, que trop de silence entou-
rent ces fais qui peuvent détruire des jeunes vies pour longtemps, voire
pour toujours et que l’inaction accentue les stratégies subies. Mais l’exi-
gence de dénonciation ne supprime pas toujours l’obligation de garder le
secret. Aussi faut-il distinguer les personnes selon qu’elles sont astreintes
ou non au secret professionnel.
Les personnes astreintes au secret professionnel, c’est-à-dire toutes les
personnes, médecins psychiatres, psychologues, assistants sociaux, éduca-
teurs spécialisés qui interviennent dans le cadre de la protection de l’en-
fance, ne sont pas en principe assujettis à l’obligation générale de signale-
ment fondée sur l’article 434-3 al 1 CP. Par son deuxième alinéa, cet
article pose la règle de « l’option de conscience » qui n’impose ni le signa-
lement, ni le silence à ces professionnels. En effet, il n’y a plus violation
du secret professionnel (délit prévu par l’article 226-13 CP) « dans les cas
où la loi impose ou autorise la révélation du secret ». L’article 226-14 CP
vise précisément les hypothèses de privation ou sévices, y compris lorsqu’il
s’agit d’atteintes sexuelles… qui ont été infligées à un mineur de 15 ans
ou à une personne particulièrement vulnérable. Ainsi, le médecin qui,
avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la
République des sévices qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et
qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature
ont été commises « ne peut être poursuivi pour violation du secret pro-
fessionnel » (art. 226-14 CP).
Les deux textes, l’article 434-3 al. 2 CP et l’article 226-14 CP, doivent
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être lus en parallèle afin de laisser au professionnel le libre choix entre les
deux obligations d’égale valeur que sont l’obligation de dénoncer les mau-
vais traitements dont font partie les atteintes sexuelles et l’obligation de
respecter les secrets dont on est dépositaire.
Mais la règle de l’option peut-être écartée par une autre loi, une loi spé-
ciale. Par exemple, le code de la famille et de l’aide sociale expressément
dans son article 80, que toute personne participant aux missions du ser-
vice de l’aide sociale à l’enfance est tenue de transmettre sans délai au pré-
sident du conseil général ou au responsable désigné par lui, toute infor-
mation nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et leur
famille peuvent bénéficier, notamment toute information sur les situa-
tions des mineurs susceptibles de relever de mauvais traitements.
Il faut ajouter que la règle de l’option ne met pas le professionnel, tenu
au secret professionnel, à l’abri de poursuites pénales fondées sur le délit
de non assistance à personne en péril défini par l’article 223-6 CP. Ainsi,
ont été condamnés pour non assistance à personne en danger et non
dénonciation de sévices ou privations infligés à un mineur de quinze ans,
des professionnels de l’accompagnement de l’enfance en danger, psy-
chiatre, éducateur, assistante sociale, psychologue et codirecteurs du ser-
vice de placement auquel la victime avait été confiée par le juge des
enfants, dans une affaire où un enfant de 7 ans a été sodomisé par un
jeune majeur de 18 ans. (Cass. crim. 8 oct 1997, bull. crim. n° 329, droit
pénal, 1998, 50, obs. Veron ; revue Sc. crim. 1998, obs. Y. Mayaud, 320).
Les personnes non astreintes au secret professionnel sont tenues d’une
véritable obligation de signalement dont le non respect constitue un délit
punissable de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 F. d’amende :
l’art. 434-3 CP, impose cette obligation en cas de privations, de mauvais
traitements ou d’atteintes sexuelles à quiconque ayant eu connaissance de
ces faits. Ce texte s’applique notamment aux proches de la victime, sou-
vent des membres de la cellule familiale. Ainsi, une mère, infirmière de
son état, a été jugée parfaitement avertie de la nature et de l’ampleur des
relations de son mari avec sa fille, par celui-ci et par sa belle mère. or, elle
avait préféré se taire (Cass. Crim. 25 oct. 1994 Gaz. Plal. 5 ; 7 février
1995).
La protection légale ne se limite plus aux mineurs de 15 ans, mais
s’étend à toute personne particulièrement vulnérable, c’est-à-dire une per-
sonne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une
maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un
état de grossesse.
Il faut citer, en outre, l’article 40 al 2 CPP, qui fait obligation à « tout
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L’expertise médico-légale
Marie-Brigitte Malgouyres
Introduction
Si l’expertise médico-légale n’est qu’une partie de la procédure judi-
ciaire dans les traumatismes sexuels, elle n’en reste pas moins la pièce tech-
nique incontournable qui va permettre au Magistrat d’être éclairé dans un
domaine bien particulier s’il en est !
Ce rôle revient au médecin – de préférence légiste –, expert près la
Cour d’Appel, auxilliaire de justice qui de part sa qualité « reçue par déter-
mination de la loi » va s’appliquer à respecter des règles de forme et de
fond. Quelles sont-elles ?
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Le contenu de l’expertise
La mission d’expertise a pour objet l’examen de questions d’ordre tech-
nique au pénal comme au civil.
En matière de traumatisme sexuel, il s’agira de procéder à l’examen de la
victime après avoir pris soin de noter ses déclarations, sa présentation, ses
doléances.
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Exemple pratique
Réception de la mission
. Acceptation au civil par renvoi d’un formulaire prévu à cet effet.
. Au pénal sauf récusation, les opérations peuvent débuter dès récep-
tion de la mission, tandis qu’au civil elles ne peuvent débuter qu’après
l’avis de consignation du greffe.
Convocation de la victime
Par simple courrier à la victime au pénal, au civil en prenant la pré-
caution d’en informer les parties.
Déroulement de l’expertise
Au pénal face à la victime, au civil également ainsi qu’avec la présence
des parties diversement représentées : médecins, avocats, conseils, famille…
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Conclusion
L’expertise médico-légale obéit donc à des modalités strictes mais
indispensables au bon déroulement de toute la procédure judiciaire sous
peine de nullité pour vice de forme. Le fond, quant à lui, requiert toute
la compétence de l’expert, sa rigueur intellectuelle, un bon équilibre, le
tout doublé d’une solide expérience nourrie par une formation et un
enseignement continu.
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L’expertise psychologique
Yves Morhain
Un « bilan » ponctuel
Acte de fonction judiciaire, ordonné par le juge et non une demande
de la victime ou de la famille, la mission d’expertise peut, selon le dérou-
lement de la procédure, s’effectuer plusieurs mois après les faits. Espace
singulier où se trouvent confrontées constructions juridiques et construc-
tions psychologiques, l’expertise psychologique est « essentiellement un
bilan ponctuel qui occupe une fonction opératoire à l’intérieur d’une
démarche judiciaire » (Duflot, 1988). Le magistrat commet un psycho-
logue avec pour mission de décrire la personnalité d’un sujet et d’apporter
des éléments de réponse afin d’aider à la décision de la Justice, qui a défaut
d’un insaisissable pourquoi, attend l’analyse d’un comment.
L’intervention de l’expert qui appréhende le sujet dans son histoire et
ses particularités, a un caractère ponctuel. Le terme de bilan illustre bien
ce moment particulier inscrit dans une démarche intersubjective. Il
contient l’idée d’un moment donné pour faire le point, de s’interroger sur
les événements qui ont jalonné le cours de la vie. L’expert a pour mission
de resituer les faits dans l’histoire du sujet et de faire des propositions
concernant la décision et d’en aborder les conséquences possibles.
Après l’étude des éléments du dossier, l’analyse de l’expert prend appui
sur les entretiens préalables avec l’entourage et l’examen psychologique de
la victime. L’entretien, la passation d’épreuves d’intelligence et de person-
nalité, vont permettre de repérer la dynamique du sujet, les significations
d’une trajectoire, ses lieux d’investissement, sa manière de se situer dans
le champ relationnel et social.
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L’expertise psychologique n’est pas seulement centrée sur les faits. Elle
permet de situer l’événement traumatique dans l’histoire du sujet. La cré-
dibilité des propos d’un enfant, ne peut être évaluée de la même manière
que celle d’un adulte, du fait de la spécificité du développement intellec-
tuel et psychologique (suggestibilité, mémorisation, flou des limites entre
fantasmes et réalité). Pour la justice, la crédibilité détermine le vrai, cepen-
dant ce qui peut être cru n’est pas toujours vrai. Il importe au clinicien
« d’aider le sujet à produire du sens, à lier les représentations mentales et
les actes, à inscrire dans son histoire affective, le “moment” (non le fait)
qu’il met sous le regard des autres et de la justice » (Viaux, 1998).
Au-delà de la recherche d’éventuels troubles psychopathologiques sus-
ceptibles d’influencer la crédibilité, l’authenticité des propos de la victime,
l’expert doit mettre en évidence des signes d’anxiété post-traumatique et
ou de dépression. Il cherchera à analyser la relation de la victime à l’abu-
seur. Des indications de guidance ou de psychothérapies adaptées à la vic-
time ou/et à l’abuseur terminent l’évaluation.
Si le psychologue se trouve contraint de fonctionner dans la hâte et
dans la rupture, cela ne signifie pas pour autant être pressé. Il a une fonc-
tion de soutien, de disponibilité, d’accueil auprès de la victime, afin de
permettre que se crée un espace de confiance. Il faut provoquer l’essentiel.
La verbalisation du vécu souffrant, du sentiment de vide et d’annihilation
permet de tempérer, de temporiser, de temporaliser. Accueillir, c’est per-
mettre à la victime de se tourner vers l’espace du possible, de mettre ne
marche les circuits de relations, de recueillir les ressources sensorielles et
émotionnelles du sujet. L’image renvoyée à la victime est alors celle d’un
être en devenir. Il ne s’agit pas tant de lui permettre de se dévoiler que de
la convier à trouver une passe.
Le chemin de la reviviscence reste douloureux, l’expertise pouvant sur-
venir plusieurs mois après la révélation et être vécue « comme une inves-
tigation au-delà du silence installé » (Viaux, 1998) et de ce fait comme un
réveil de la souffrance. L’absence de demande de la victime est sans doute
l’écueil le plus important auquel se heurte l’examen, d’autant que le motif
est rarement expliqué. Cette investigation, à la demande d’un tiers, le
Juge, peut être perçue par la victime comme une nouvelle mise en doute
de sa parole, source de culpabilisation.
Le rapport écrit
Un temps de maturation est nécessaire entre les opérations d’expertise
effectuées et la rédaction définitive du rapport. Il s’agit de mette en liai-
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Perspectives
L’institution judiciaire qui a le souci d’échafauder une argumentation,
vise à établir la réalité des faits incriminés dans leur chronologie. La fonc-
tion des magistrats est de mettre des mots sur des actes. La fonction de
l’expert est de porter sur la scène judiciaire la parole de souffrance de la
victime au cours du procès. L’expertise psychologique fonctionne comme
trace, inscription possible d’un acte criminel subi au sein de l’histoire du
sujet. Entre un bilan ponctuel d’évaluation et l’indication d’un travail psy-
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BERTRAND (M.) : « Les traumatismes psychiques, pensée, mémoire, trace. » in Les trau-
matismes dans le psychisme et la culture, B. Doray et Cl. Louzoun, Toulouse, éd. Érès,
1997, p. 37-46.
DUFLOT (C.) : Le psychologue expert en justice, Paris, éd. PUF, 1988.
LEGENDRE (P.) : L’empire de la vérité, Paris, éd. Fayard, 1983.
VIAUX (J.-L.) : « L’expertise psychologique des enfants victimes d’abus sexuels » in Les
enfants victimes d’abus sexuels, M. Gabel, Paris, éd. PUF, 1998, p. 157-170.
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L’expertise psychiatrique
Marcel Danan
Les experts psychiatres ont vu ces dernières années leur travail consi-
dérablement augmenter en raison du grand nombre d’affaires d’agressions
sexuelles qui apparaissent au grand jour. C’est ainsi qu’au cours des douze
derniers mois j’ai expertisé 115 agresseurs sexuels (de l’exhibitionnisme au
viol associé à diverses circonstances aggravantes pouvant aller jusqu’à la
tentative de meurtre). Cette cadence est la même depuis quatre ou cinq
ans alors qu’auparavant je n’avais à expertiser qu’une cinquantaine
d’agresseurs sexuels par an.
Que peut-on attendre d’une expertise psychiatrique ?
– La description de l’état mental au moment de l’examen ;
– la description de l’état mental au moment des faits présumés ;
– le pronostic, dont l’évaluation est faite à partir des notions de dan-
gerosité, d’accessibilité à une sanction pénale, de réadaptation et, depuis
deux ans, de l’opportunité d’une injonction de soins dans le cadre d’un
suivi socio-judiciaire (nous en reparlerons).
La difficulté de toute expertise psychiatrique tient à ce qu’à partir d’un
entretien nécessairement court (à mon avis il n’est pas nécessaire de répé-
ter les entretiens), nous devons évaluer le présent, ce qui n’est pas toujours
facile, mais également évaluer le passé et prévoir l’avenir. Voilà l’expert
confronté à la notion de temporalité qui intervient aussi bien pour la vic-
time, ce qui se conçoit aisément, que pour l’auteur de l’agression. Sans
avoir besoin de faire appel à la psychanalyse il est facile de concevoir que
le passé (de l’auteur, de la victime) agît sur leur présent de même que leur
présent agit sur leur passé. C’est la théorie de « l’après-coup » selon
laquelle des impressions ou des traces mnésiques peuvent n’acquérir tout
leur sens et toute leur efficacité que dans un temps postérieur à leur pre-
mière inscription et en fonction d’expériences nouvelles. Pour ne s’en
tenir qu’aux agresseurs, bon nombre d’entre eux cherchent à expliquer les
faits, quand ils les reconnaissent, par une agression sexuelle qu’ils disent
avoir subie dans l’enfance.
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La méthode de l’expertise
Elle est simple et c’est pour cela qu’elle est difficile. Il s’agit essentiel-
lement d’un examen clinique qui est de loin l’examen le plus fiable, que
rien ne peut remplacer et qui fait appel à une excellente connaissance de
la psychiatrie et de la criminologie clinique. Il s’agit donc d’un face à face,
d’un colloque singulier, qui doit durer d’une heure et demi à deux heures
selon les cas. L’expérience prouve que la répétition des examens n’apporte
rien et peut avoir des effets pervers tels que des transferts ou des contre-
transferts. Dans certains cas, lorsque le sujet revient sur ses dénégations ou
que des faits nouveaux apparaissent, une autre expertise est justifiée mais
elle n’est pas toujours demandée.
Bien entendu l’expert doit parfaitement connaître le dossier et avoir
lu en détail les dépositions des victimes, des témoins, de l’entourage
familial, et avoir pris connaissance des dossiers médicaux et des procé-
dures antérieures.
Il faut garder une attitude neutre, ne pas dévoiler les éléments du dos-
sier (déposition des victimes surtout lorsqu’il s’agit d’affaires familiales).
Chemin faisant on évalue l’intelligence du sujet, les traits pathologiques
de la personnalité ou les éléments de pathologie psychiatrique passés et
présents. Il est exceptionnel que l’on ait à demander des examens com-
plémentaires tels que scanner encéphalique ou caryotype.
Durant l’entretien l’expert cherche à recueillir des symptômes et des
signes tout en sachant qu’il s’agit d’une tâche difficile car le mode de rela-
tion est particulier, le sujet étant privé de liberté et n’ayant pas de possi-
bilité de choix sauf le refus. L’organisation des éléments observés en une
nosographie, fait intervenir la formation de l’expert et ses conceptions de
la psychopathologie. Il doit se garder de tout sectarisme, ce qui n’est pas
toujours le cas, lorsqu’il confronte les données cliniques aux modèles
théoriques. Il faut être prudent et limité en particulier dans les explica-
tions psychanalytiques.
L’expert aura bien fait son travail s’il attache de l’importance à l’en-
chaînement des événements de l’existence du sujet dont il ne doit pas pré-
senter la biographie comme un curriculum vitae. C’est l’étude de la per-
ception par le sujet du déroulement de son existence et de son mode de
relation aux autres qui a de la valeur. Tout compte pour évaluer s’il y a eu
continuité ou rupture par rapport à la personnalité, lors des passages à
l’acte.
Les expertises de peu d’intérêt sont celles où le psychiatre n’a pas su
garder la bonne distance entre la froideur indifférente, la hauteur ponti-
fiante et l’attitude compassionnelle. L’expert qui agit ainsi, ne peut évaluer
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La responsabilité pénale
La réponse aux questions concernant la responsabilité est en général
facile. Sur plus de 1.500 expertises d’agresseurs sexuels je n’ai trouvé que
quatre cas d’irresponsables, c’est-à-dire qui ont bénéficié d’un non lieu en
raison de l’application de l’article 64 du code pénal. Je n’ai pas eu d’irres-
ponsable depuis le 1er mars 1994 (nouveau code pénal) sinon des cas tout
à fait particuliers et rares d’agressions sexuelles dans le cadre d’actes de
bouffée délirante ou d’accès maniaques.
Dans l’immense majorité des cas les sujets ne présentent pas de trouble
psychique ou neuropsychique au sens de l’article 122-1 alinéa 1 ou 2 du
code pénal qui évoque les troubles du discernement (altéré ou aboli) et du
contrôle des actes (entravé ou aboli). Le législateur ne nous a pas indiqué
ce qu’il fallait entendre par « trouble psychique ou neuropsychique », aussi
les experts se sont fait eux-mêmes leur « jurisprudence » et il est admis que
sont considérés comme responsables, c’est-à-dire n’ayant aucun trouble
du discernement ou du contrôle des actes, les sujets qui ont une intelli-
gence suffisante (non débiles, non déments) et qui n’ont aucune patholo-
gie aliénante par rapport à la réalité. Cette façon de procéder peut paraître
abrupte et bien entendu elle heurte souvent les avocats de la défense.
Pour schématiser, on propose l’application de l’article 122-1 alinéa 2
(altération du discernement et entrave du contrôle des actes) chez les
sujets présentant une débilité mentale légère, chez les épileptiques qui
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Le pronostic
Dans l’immense majorité des cas les sujets comparaissent en justice et
l’expert psychiatre est interrogé sur le pronostic. C’est un temps capital
de l’expertise et qui prend beaucoup d’importance lors de la déposition de
l’expert en Cour d’Assises. Après avoir demandé au psychiatre de lire dans
le passé on lui demande de prévoir l’avenir, exercice difficile auquel on
peut donner une réponse trop facile mais simpliste, à savoir que le pro-
nostic n’est jamais très bon et qu’il peut être très mauvais. Les éléments
d’appréciation font intervenir plusieurs facteurs :
. La personnalité sous-jacente. S’il s’agit d’un sujet pervers le pronos-
tic est bien entendu très mauvais et il n’y a pas beaucoup d’illusions à se
faire. J’ai vu un certain nombre de cas particulièrement dramatiques pour
lesquels on a l’impression qu’il n’y a aucune solution. Le pronostic est plu-
tôt mauvais lorsqu’il s’agit de personnalités paranoïaques psychorigides. Il
en est de même pour les déséquilibrés psychiques surtout lorsqu’ils ont
tendance à boire ou à se droguer.
. Le contexte. L’agression sexuelle peut être considérée comme acci-
dentelle (c’est-à-dire isolée et sans risque majeur de récidive) lorsque l’acte
tranche avec la personnalité habituelle qui est bien équilibrée et bien insé-
rée dans la société et dans la famille, et que le sujet reconnaît les faits et
paraît les regretter sincèrement. Il s’agit d’affaires où la victime est connue
et a pu jouer un rôle plus ou moins déclenchant voire provocateur. C’est
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le cas des sujets qui agressent leur ancienne compagne ou qui, ayant plus
ou moins bu, anticipent le désir d’une passagère d’auto-stop ou d’une ren-
contre de boîte de nuit.
Les faits peuvent être considérés comme non accidentels, c’est-à-dire
susceptibles de se reproduire dans un certain nombre de circonstances.
On distinguera parmi ces cas des sujets inintimidables et des sujets inti-
midables. Les sujets inintimidables sont ceux qui commettent des viols à
répétition associés ou non à des actes de tortures et de barbarie. Ils ont
tendance à nier les faits, à les banaliser et à se trouver de bonnes excuses.
Le pronostic est mauvais pour ne pas dire sans remède. Enfin, heureuse-
ment, un certain nombre de sujets restent intimidables : ce sont les per-
sonnalités immatures et instables.
Chez ces personnes la peur du gendarme, les rigueurs de la loi et de ses
conséquences sociales peuvent avoir un effet favorable. Il s’agit de certains
sujets névrotiques sans agressivité avec des tendances pédophiliques et cer-
tains exhibitionnistes et fétichistes.
Ces indications ne doivent jamais être considérées comme des prophé-
ties. L’expert psychiatre ne doit pas, sauf cas tout à fait particuliers (viols
et meurtres à répétition qui sont exceptionnels et que la justice condamne
pratiquement à vie), répondre en devin. Il doit évaluer tous les critères cli-
niques, sociaux et médicaux en sa possession pour donner des orientations
pronostiques en insistant sur l’histoire personnelle et la qualité pulsion-
nelle. Comme on l’a dit, l’expert psychiatre ne peut être un homme de
science qui s’identifie à la science, laquelle ne peut se tromper.
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des peines à la disposition des juges, y compris des juges des enfants, car
il est applicable aux mineurs. À la différence du sursis avec mise à
l’épreuve, il peut s’appliquer, en cas de condamnation supérieure à cinq
ans d’emprisonnement.
Le suivi socio-judiciaire consiste dans l’obligation, pour le condamné
de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, à des
mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive. La
durée du suivi socio-judiciaire est fixée par la juridiction de jugement sans
pouvoir excéder dix ans en cas de délit ou vingt ans en cas de crime (le
délai d’épreuve en matière de sursis avec la mise à l’épreuve ne peut être
supérieur à trois ans). Si le condamné ne respecte pas les obligations qui
lui sont imposées par la juridiction de jugement ou le juge de l’applica-
tion des peines, il est emprisonné pour une durée maximale de deux ans
en cas de délit et de cinq ans en cas de crime (l’emprisonnement maxi-
mum encouru en cas de non respect des obligations du sursis avec la mise
à l’épreuve est de cinq ans aussi bien pour un crime que pour un délit).
Le montant est fixé initialement par la juridiction de jugement.
Les mesures de surveillance applicables à la personne condamnée au
suivi socio-judiciaire sont d’abord celles, 18 au total, générales ou spé-
ciales (cf. article 132-44 et 132-45 du code pénal), prévues par le régime
du sursis avec la mise à l’épreuve comme par exemple : répondre aux
conventions du juge de l’application des peines, obtenir son autorisation
pour tout déplacement à l’étranger, exercer une activité professionnelle…
Les mesures de surveillance propre au suivi socio-judiciaire sont les
suivantes :
– s’abstenir de paraître en certains lieux, notamment ceux accueillant
habituellement des mineurs ;
– s’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes, notamment
des mineurs, à l’exception de celles désignées par la juridiction ;
– ne pas exercer d’activité professionnelle ou bénévole impliquant un
contact habituel avec des mineurs.
Le suivi socio-judiciaire peut aussi comprendre une injonction de soins
thérapeutiques, et cet aspect de la loi, particulièrement développé par le
législateur, fait l’intérêt majeur du texte.
Pour que l’injonction de soins soit mise en œuvre, deux conditions
préalables ont été posées par le législateur :
. Une expertise médicale doit d’abord établir que le délinquant sexuel
peut faire l’objet d’un traitement. Cette expertise aura été ordonnée le
plus souvent par le juge d’instruction ou le parquet mais peut l’être aussi
par la juridiction de jugement ou le juge de l’application des peines.
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NOTE
Statistiques :
. La direction centrale de la police judiciaire a dénombré 18 000 infractions sexuelles en
1995, le nombre des viols étant passé de 5 068 en 1991 à 7 350 en 1995.
. Les tribunaux ont prononcé 8 400 condamnations pour infractions aux moeurs en
1993.
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. 1 593 personnes étaient détenues en 1991 pour infractions sexuelles, elles étaient 2 858
en 1996, soit 9,1 % de la population pénale.
. Le service national d’accueil téléphonique pour enfance maltraitée (SNATEM) a reçu
960 000 appels en 1996 et en a orienté 23 000 pour abus sexuels.
– Au grand dam de certains médecins, cette peine a failli s’appeler « peine de suivi
médico-social ».
– Le n° 50 du bulletin infostat-justice de décembre 1997 indique que les taux de réci-
dive des condamnés pour viol varient entre 2,5 % et 4 % selon l’année étudiée soit
une vingtaine de cas par an. La récidive en matière d’agressions sexuelles est plus fré-
quente : 8,5 % à 10 % soit environ 400 cas par an.
– Rapport des commissions par Marie-Elisabeth Cartier, Claude Balier et Thérèse
Lemperière.
– Commentaire de la loi du 17 juin 1998 par Francis Le Gunehec (JCP n° 27 du
1/07/98).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
L’expertise judiciaire
Jacques-Philippe Redon
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Conclusion
On a bien vu le gonflement de la sphère de l’expertise et des consé-
quences qui en découlent. Elle prend trois directions :
– obligatoire ;
– impérative ;
– contradictoire.
D’où découlent trois risques dans la pratique de l’expertise et qui cor-
respondent à chacune des directions :
– l’engorgement ou la précipitation ;
– l’erreur de l’expert qui faussera tout le dossier ;
– la paralysie par la multiplication des débats, contre-débats, complé-
ments de débats au sein de l’expertise.
Pour échapper à ces trois risques, permettez-moi, pour terminer, d’en-
tr’ouvrir modestement la porte de la réforme du statut de l’expert en pro-
posant :
– la réforme de son inscription sur les listes des tribunaux et des cours
d’appel, ces modes d’inscription étant aussi variées que ce qu’il existe de
tribunaux de grande instance et de cours d’appel ;
– une nouvelle définition de son régime de responsabilité qui va de
l’article 1382 du Code Civil à une responsabilité administrative en tant
que chargé d’une mission de service public, en passant par les sanctions
que le juge qui l’a désigné peut lui-même lui infliger et jusqu’à l’article
434-1 du code pénal qui permet de poursuivre devant les juridictions
répressives le fait pour expert de falsifier dans son rapport les résultats
d’une expertise ;
– la mise en place d’un système « surveillé » et conseillé de formation
continue obligatoire pour les experts dans leur matière et qui conditionne
leur maintien sur des listes ;
– enfin, ne faudrait-il pas revoir toute l’architecture du procès pénal, sa
phase principale de la mise en examen et des droits qui y sont attachés
étant concurrencé par l’expertise judiciaire. Ne devrait-on pas ouvrir la
phase du procès dès le récolement d’indices ? doit-on, au contraire, consi-
dérer l’expertise comme un procès doit-on considérer que l’expertise
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TRAUMATISME SEXUEL
ET PSYCHOPATHOLOGIE
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Évaluation expertale
du traumatisme sexuel en psychiatrie
Jean-François Chiariny
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En ce qui concerne les faits, il lui arrive encore d’en parler avec sa mère.
Son attention est labile ; très souvent Aurélie semble écouter ce qu’on lui
dit puis elle fait répéter ou repose la même question. Lorsqu’elle voit une
scène pouvant évoquer l’inceste dans des films ou des émissions, elle
devient très irritable. Les parents d’Aurélie ont remarqué qu’elle restait
encore très anxieuse et qu’elle présentait des tics sous forme de toux spas-
modique, de clignotements des yeux ou des mouvements de l’épaule
gauche. Elle reste difficilement immobile et n’arrive pas à se contrôler au
cours des exercices de ballets de danse. Plus récemment, lors du mariage
de son oncle paternel, Aurélie aurait prononcé ces paroles : « Je crois que
je ne pourrai pas avoir d’enfant car je ne pense pas pouvoir faire comme
tonton, je ne pourrai jamais me marier… »
Les données de l’examen
L’examen ne fait apparaître, chez Aurélie, aucune décompensation de
type névrotique ou psychotique. Il n’existe aucun syndrome de discor-
dance ou d’ambivalence. L’examen ne met en évidence aucune activité
délirante. La référence à l’ordre symbolique est normale. Le développe-
ment d’Aurélie reste harmonieux, et il n’existe pas d’ébauche d’organisa-
tion névrotique de cette personnalité.
Par contre, persiste un syndrome anxieux directement lié à l’agression
dont elle a été victime. Aurélie se sent encore très culpabilisée et honteuse
de ce qu’il est arrivé. Elle est encore très marquée par ses événements et
l’état de tension qu’elle vit s’exprime par une irritabilité, des tics et une
labilité thymique de fond. Ses rapports avec autrui sont souvent infiltrés
d’agressivité, qu’Aurélie n’arrive pas à maîtriser. Nous sommes donc en
présence d’un état anxieux traumatique.
Le compte rendu du suivi thérapeutique fait état des éléments suivants :
– très agitée, dispersée, agressive ;
– pensées obsessionnelles sexuelles ;
– attitude corporelle de l’acte sexuel ;
– besoin fréquent de masturbation ;
– angoisse et peur de contact corporel ;
– a pu exprimer facilement les faits et son ressenti ;
– pas de peur pendant les faits, mais des peurs après la révélation des faits.
– culpabilité par rapport au verdict de savoir cet homme en liberté
selon ses dires ;
– a exprimé des peurs par rapport à la sortie de cet homme ;
– au moment de l’arrêt de sa thérapie : calme, apaisée, sécurisée ; ce qui
motive pour elle l’arrêt de la thérapie.
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– un syndrome d’inhibition ;
– une symptomatologie centrée sur des signes de modifications com-
portementales (familial, social, professionnel…) ;
– des troubles du caractère ;
– des modifications du vécu de l’image du sujet ou de l’image du
corporelle ;
– des modifications du vécu anticipatoire de l’être.
. Sur le plan psychologique et sur le plan de la compréhension
psychanalytique
L’expert est amené à évaluer l’impact du traumatisme sexuel en abor-
dant, tout d’abord, les événements pour mettre en évidence une émer-
gence du plaisir, la culpabilité et le « subir ». Il est amené à évaluer la
remise en jeu du problème œdipien par le traumatisme sexuel subi,
notamment chez la victime, mais également chez l’entourage lorsqu’il
s’agit d’un enfant.
L’expert est également amené à faire une évaluation anticipatoire de
l’émergence d’une organisation psychopathologique à venir de la person-
nalité. Cette évaluation s’articule sur quatre points :
– évaluation des capacités de la victime à rentrer dans un travail de
réparation ou de deuil ;
– qu’est-ce qui va faire trace par rapport à l’événement traumatique qui
véhicule un caractère indélébile ?
– quelles sont les modalités de la mise en mémoire et de l’événement
traumatisant ?
– quelles sont les possibilités de mise en parole à valeur cathartique ?
Conclusions
L’expert devra toujours être attentif sur l’impact de l’acte expertal et de
sa traduction juridique et judiciaire.
La reconnaissance médico-psychologique de la faute est un moment
important dans lequel l’acte expertal vient prendre sa place. La faute doit
être reconnue par la Justice des hommes et punie.
L’attente de réparation de la victime et de son entourage entraîne sou-
vent des discordances. Les victimes et leur entourage pointent fréquem-
ment la discordance qui peut y avoir entre la gravité, le vécu somatique,
le vécu psychologique et la nature de la sanction pénale ou de la répara-
tion financière. Cependant, l’acte expertal peut représenter une recon-
naissance humaine de la souffrance de la victime. À l’expert de trouver les
mots pour le dire dans l’instant expertal et dans l’anticipation du proces-
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parler, mais à condition que la parole permette une élaboration et non une
répétition pure et simple de l’événement qui pourrait être dramatique en
soi. De plus, le trauma est avant tout sensoriel. Il faudra revisiter toute la
scène traumatique en liant impressions sensorielles, émotions et représen-
tations. La dimension totalement subjective du traumatisme, pose l’obli-
gation de donner un sens personnel à l’événement, le restituer dans l’his-
toire individuelle du sujet et dans son économie psychique. Le travail sera
ponctué par l’élaboration de la honte, de la culpabilité et de la violence et
parfois même par la réélaboration de la position dépressive et de la ques-
tion de l’identité sexuelle (voire même de l’identité tout court). Dans cer-
tains cas, un travail préalable sur le corps (relaxation par exemple) pourra
favoriser un travail de parole qui n’est pas toujours possible dans un pre-
mier temps.
La thérapie post-traumatique s’inscrit dans un processus plus large de
réparation, qui se joue sur la scène judiciaire. La réparation, c’est redon-
ner la vie à celui qui était dans la mort. Il s’agit d’une renaissance acquise
tout au long d’un cheminement quasi initiatique, à travers les méandres
des institutions sociales et judiciaires. La réparation stricto sensu n’existe
pas. Il existera toujours une part d’irréparable. La réparation, c’est avant
tout reconnaître la victime en tant que telle pour que cet état reste transi-
toire et ne devienne pas un statut et encore moins une identité. C’est aussi
la délier de l’agresseur et apporter et apporter une réponse partielle à sa
culpabilité. Mais attention, la victime ne doit pas tout attendre de l’Autre
(de la Justice, notamment), ce qui pourrait engendrer de douloureux mal-
entendus. Pour redevenir tout simplement sujet de sa propre histoire, la
victime ne pourra pas faire l’économie d’un travail personnel.
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De la honte à la plainte
Benjamin Jacobi
La honte est fons et origo (la source et l’origine) de toute plainte issue
d’un traumatisme sexuel. Cette conviction constitue une ligne d’écoute
du discours de sujets après l’expérience d’une violence sexuelle. Quand
celle-ci survient, quand une parole peut être énoncée à sa suite, on peut
constater qu’elle se déploie pour dire une sorte de déshérence de son pro-
ducteur. Parler d’un traumatisme est alors avant tout se dire abîmé, désa-
voué, dévalorisé, et irrémédiablement atteint.
Dans un ouvrage consacré à la plainte, j’ai avancé l’idée suivante : se
plaindre sur soi, de ce qu’on est, de ce qu’on vit, pouvait désigner un objet
de la plainte resté inaccessible à la conscience de son émetteur.
Une plainte apparemment concentrée, retournée sur son producteur,
pouvait désigner un destinataire. Cette hypothèse a l’intérêt, peut être de
permettre de reconnaître la valeur de la plainte autocentrée par la honte.
À l’inverse, une plainte qui désigne sa source, sa cause externe, me
paraissait mésestimer ou ignorer son origine narcissique. Je faisais alors
allusion à des formes de plainte où un sujet en se plaignant des autres, de
leurs exigences, visait à une auto-célébration narcissique. Décrire l’abomi-
nation venue des autres, la quantité d’exigences dont un sujet se dit être
l’objet est forme de constat à usage interne de la place, de l’importance
que l’on occupe aux yeux des autres. C’est pourquoi se plaindre de l’agres-
seur, peut devenir un indice décisif dans l’élaboration psychique consécu-
tive à une violence sexuelle. Se plaindre de l’agresseur ne consiste donc pas
seulement à le désigner pour la vindicte, le châtiment ou la sanction, mais
me paraît soutenir la possibilité d’un accès à une restauration narcissique.
La sanction sociale rétablit certainement un environnement plus vivable
pour la victime d’une violence sexuelle, il reste que la clinique psychana-
lytique enseigne que les conditions externes nécessaires ne suffisent pas
pour permettre à un sujet de se reprendre après l’événement de la violence
sexuelle.
Une orientation de l’intervention clinique peut être alors esquissée : par-
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plaisir et fierté doit être totalement dévalorisé pour être considéré comme
déchet. Le caca devient de la merde pour le dire trop crûment. Ce mou-
vement constitutif du sujet à l’égard des excréments pourrait représenter
la radicalité de la déchéance ressentie dans la honte consécutive au trau-
matisme sexuel. Honte d’être devenu déchet, honte d’être déchet par la
déchéance infligée.
La réalité du traumatisme n’est pas au centre de l’attention clinique, sa
présence en tant qu’événement dans le discours, dans des récits esquissés
lors de rencontres psychothérapeutiques reste essentielle. Je veux signifier
ainsi que ce n’est pas la réalité du traumatisme, son ampleur, sa nature, sa
gravité qui seraient considérées, mais la valeur que leur accorde celui qui
en aurait été l’objet, au sens fort de cette formulation, c’est-à-dire lors-
qu’un sujet en est réduit à n’être que l’instrument d’une jouissance sup-
posée d’un tiers.
J’ai donc – comme d’autres praticiens – été sensibilisé à l’expression de
sentiments de honte qui pouvaient colorer le récit d’expériences de trau-
matisés sexuels et qui surtout semblaient devoir envahir, invalider, l’en-
semble de la vie psychique, de l’expérience relationnelle de ces sujets.
Non seulement la honte gagnait, envahissait le territoire subjectif, mais
la récurrence devenait répétition dans la mise en scène de récits de situa-
tions productrices de honte pour ces sujets.
Une situation clinique pourrait maintenant relancer cette enquête sur
une problématique de la honte et de la violence sexuelle.
Une jeune femme que nous appellerons Tania, vient en consultation à
la suite d’une séparation conjugale vécue très douloureusement. Mère
d’une petite fille, elle se sent perdue et s’estime en grande partie respon-
sable de cette rupture. Elle explique qu’elle a eu une brève aventure amou-
reuse avec un proche du couple, la crise qui s’en est suivie n’est pas sur-
montée même s’il y a eu une reprise des liens. Actuellement, chacun des
conjoints vit dans un appartement différent et la vie quotidienne du
couple reprend très progressivement.
La patiente a d’abord consulté pour sa fille, avec l’intention de mettre
en place une sorte de médiation avec le conjoint puis elle a été adressée
seule à un psychothérapeute.
Elle semble – au moment de la formulation de la demande – tout à fait
lucide sur l’ampleur de la dépression et de l’angoisse générée par cette
séparation. Elle associera cet épisode actuel à des moments de son histoire
personnelle et notamment à une violence sexuelle vécue avec un amant de
sa mère.
Les faits rapportés paraissent être les suivants : enfant, vers 6-7 ans, le
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tion de Tania. Elle a été exposée aux manœuvres d’un adulte, dans son lit,
elle dit n’avoir pu que subir sans un mot le jeu de main de l’adulte préve-
nant et pervers. Il y a également dépossession du corps propre. Il ne lui
appartient pas. Ses organes génitaux sont aux mains de l’adulte, elle ne sait
comment se défendre de cette intrusion, la part la plus intime de son être
physique et psychique est sous l’emprise de l’absolutisme pulsionnel d’un
adulte, d’un tiers. La déchéance est enfin soudaine et impensable.
Considérée comme une personne, comme une enfant reconnue dans une
certaine détresse avant la séparation de la nuit, elle est brutalement réduite
au rang de chose soumise au plaisir indicible de l’adulte.
L’épreuve subie devient source inépuisable de honte dans la mesure où
elle apparaît comme une tâche indélébile. La violence sexuelle provoque
une sorte de lésion, irréversible, ressentie comme non cicatrisable, ou
encore dont la cicatrice ne peut que rester indéfiniment trop visible, trop
douloureuse, trop encombrante. En somme, on pourrait affirmer que
cette souillure est indélébile parce qu’elle ne fait pas trace.
Au lieu de devenir trace, appui potentiel d’autres pensées, ouverture à
d’autres traces, elle se conserve comme intacte dans son actualité déstruc-
turante, un peu comme une brûlure qui ne cicatriserait pas, avec une sen-
sation de chaleur, insupportablement constante, ou encore dans une évo-
lution catastrophique source d’infections non maîtrisables.
Dans le discours de Tania, même si le sentiment de honte prédomine,
on peut estimer qu’une certaine traçabilité de l’expérience rétablit le début
d’un processus associatif, en connectant diverses situations porteuses de
honte (l’ivresse du père, la panique face au risque de paraître inculte), elles
pourraient être signe avant-coureur d’une entrée dans la plainte.
Peut-être faut-il également différencier la honte de la culpabilité. La
conscience d’avoir commis une transgression, la conscience d’être en
faute, l’attente de la sanction, la peur de la punition nourrissent les pen-
sées incessantes, les ruminations permanentes alimentées par l’épreuve de
la culpabilité. Le sentiment de honte semble relever d’une logique
inverse : le souci de ne plus y penser, le souhait récurrent d’oublier abou-
tissent souvent à des silences obstinés et durables et, quand ce qui a sus-
cité la honte est évoqué, les pensées sont rares, fugitives et le plus souvent
absentes. L’impensable de l’acte évacue, évince la pensée sur l’acte.
La honte est une absence infinie à soi-même. Lors du traumatisme
sexuel, l’enfant – Tania – est absent, sans réaction. Ce sentiment nourrit
les auto-reproches spécifiques de la honte. Ils ne concernent pas une
transgression – comme dans la culpabilité – mais la conscience d’une
incapacité avérée, d’un ravalement subi dans un évidement de l’être. Rien
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PROBLÉMATIQUE DU RISQUE :
VULNÉRABILITÉ ET RÉSILIENCE
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L’originaire et sa fonction
Si l’on reste « enfermé » dans le modèle de Freud limité aux processus
primaires et secondaires la seule hypothèse explicative consiste à dire
qu’effectivement, la mise hors service momentané du représentationnel,
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Certaines se laissent aller dans leur apparence et leur hygiène, c’est plus
qu’une négligence, elles ne se lavent plus, vont s’habiller n’importe com-
ment. Corps non respectés, délaissés, image du déchet qu’elles pensent
être.
C’est le paradoxe de ces jeunes filles qui veulent s’effacer de leur corps,
disparaître, se soustraire, et qui se construisent un corps repoussant pour
l’autre. Pour exemple, Vanessa, devenue boulimique, comme pour se
fondre dans sa propre masse, de manière à se rendre ainsi invisible, ou
cette autre jeune fille de noir vêtue qui déambulait, recroquevillée,
comme une petite vieille.
Construire un corps repoussant alterne avec des tentatives de fabriquer
un corps plus attractif, avec parfois, une forme de frénésie, de violence
faite au corps (gymnastique, danse, autant de disciplines où elles mettent
leur corps à rude épreuve) Comme le corps peut être délaissé, il peut aussi
être trop lavé, frotté.
Longtemps, une petite fille accueillie, ne pouvait faire autrement que
de « briquer de neuf » son corps, se lavant plus que nécessaire et associant
au frottage de son corps, celui de la baignoire, des faïences. Il fallait que
tout soit parfaitement propre… Elle avait été abusée, avec violences asso-
ciées, par son beau-père, dans la salle de bains.
Au croisement du langage et du corps, bien souvent, ces enfants soma-
tisent ; ils ont toujours des « bobos à soigner » et des peurs qu’il faut
accompagner lorsqu’il y a une piqûre à faire ou des soins dentaires à effec-
tuer ; nous avons remarqué souvent cette tendance à rechercher des soins
qui ne suffisent jamais, disant par là un corps à réparer.
Ce qui nous est donné à voir par les enfants, ce sont des formes singu-
lières de relation à l’autre :
. D’abord une dépendance affective : certains de ces enfants, sont dans
une quête de relation privilégiée avec l’adulte, voulant s’approprier l’édu-
cateur dans une recherche d’exclusivité ; avoir l’autre pour soi, rien que
pour soi, l’envelopper de paroles, chercher à capter son attention, sa pré-
sence, toujours vouloir faire plaisir, dans un besoin de revalorisation, de
réassurance. Cela peut être très démonstratif, très envahissant. Il y a
demande de tout, en tout.
. Mais ce peut être aussi bien un collage qu’une mise à l’écart. Nous
retrouvons ces formes de collage, de façon très concrète avec des enfants
qui sont dans un corps à corps enveloppant, dans une recherche de
contact très adhésif, mais différent du collage de l’abandonnique : les
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câlins sont plus que des câlins, sont autre chose que des câlins.
« L’accrochage » de l’enfant est alors plus une recherche de contact éro-
tique qu’une demande d’entrer en relation avec l’adulte.
. Collage également au discours de l’adulte : dire comme lui, faire
comme lui… ainsi l’une des enfants était très en demande d’accompa-
gnement de son éducatrice, elle recherchait le point de vue de celle-ci sur
tout, incapable de penser par et pour elle-même ; il lui fallait l’opinion,
l’assentiment de l’éducatrice, pour qu’elle puisse ensuite dire comme elle.
Très longtemps, elle a collé au discours de son père qui disait : « Ma fille
m’a provoqué ! », reprenant à son compte : « J’ai provoqué mon père ! ».
. À l’opposé du collage, il y a des enfants qui se tiennent éloignés, se
mettent à l’écart des autres, se distancient.
. Ce que ces enfants rejouent entre eux, sur le groupe, ce sont des atti-
tudes de soumission et des positions de victime.
– Des enfants sont ainsi d’une grande servilité envers d’autres :
porter le sac de… faire le ménage à la place de…, jouer les grandes sœurs
en s’occupant des autres pour ne pas avoir à s’occuper de soi-même, s’ou-
blier. Elles se montrent très disponibles aux autres, règlent les conflits des
autres ; elles prennent ainsi des rôles qui ne sont pas toujours ceux atten-
dus d’un enfant. Cette soumission amène certaines adolescentes à tout
accepter de la par des garçons, au point de se mettre en danger dans leurs
relations avec eux : sortir la nuit, rentrer tard toute seule… autant de
situations à risques.
– Les positions de victime se traduisent dans le quotidien par des
effets de domination et de tentatives de maîtrise sur les dispositifs édu-
catifs et les équipes, au nom de ce qui leur a été fait « on me doit tout,
parce qu’on m’a fait ça ! » Cette recherche de limites, ces provocations
et passages à l’acte, mettent à mal l’éducateur. Pour une petite fille, une
mauvaise note à l’école était associée à sa position de victime : c’est à elle
qu’on en voulait, et tout s’écroulait alors pour elle dans la certitude
qu’on ne l’aimait pas.
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retrouve soit dans un agir non maîtrisé, soit dans une paralysie de la pen-
sée qui entrave la fonction d’aide :
Les repas avec Maryline étaient difficiles, elle ne voulait rien manger, sinon les des-
serts ; caprice ? chantage ? fallait-il céder ? Quelles réponses donner dans un espace col-
lectif où, très vite, il y a surenchère de la part des autres enfants, créant des situations qui
mettent l’éducateur en difficulté ?
Les réponses oscillèrent car les différents membres de l’équipe abordaient le problème
très différemment, rendant ainsi nécessaire la confrontation avec Maryline mais aussi
entre eux. En effet, Maryline savait être très exigeante, elle imposait sa façon d’être aux
autres et se montrait tyrannique envers son éducatrice. Elle choisissait toujours des
moments inadéquats, obligeant l’éducatrice à lui renvoyer son indisponibilité à s’occu-
per exclusivement d’elle. Les actes qu’elle posait, tout ce qu ‘elle répétait dans ses com-
portements, avec le conflit comme mode d’existence, laissait l’équipe démunie, presque
fascinée par le scénario qui se déroulait sous ses yeux.
Car, si risque il y a pour l’enfant, c’est celui du regard que pose sur lui
l’équipe éducative.
Ce que l’on doit lui garantir, c’est un regard construit, une élaboration
collective d’un « ça nous regarde ! »
Cette approche se fait par oscillations :
– on trouve le regard englué, pris dans les émotions et qui entrave
toute gestion des situations ;
– mais aussi, celui qui s’identifie à la victime, amenant ou confortant
l’autre à se vivre comme victime effective ;
– ou encore, le regard qui met très à distance, que l’on trouve dans la
mise en doute de l’existence même de l’acte traumatique vécu par l’enfant.
C’est pourquoi l’équipe éducative doit tendre vers un regard adulte sur
l’enfant, car le regard que nous posons sur lui amène quelquefois le
trouble en nous :
– ainsi devant la petite fille qui apparaît tantôt ange, tantôt démon ;
– ou la même que l’on voit petite fille et femme par le jeu de superpo-
sitions d’images (habillée comme une femme, elle suce son pouce) ;
– trouble aussi devant la vision fugace de la prostituée qui vient s’im-
primer subrepticement, puis disparaît pour réapparaître au détour d’un
instant. Cette dernière image fait écho aux provocations des adolescentes
en question qui lancent par défi : « Pas de problème, plus tard, je ferai la
pute ! », ou bien lors d’une fête costumée organisée dans la maison d’en-
fants, arrivent déguisées en prostituées.
Il nous paraît important de pouvoir aller à la rencontre de ces images
furtives, l’instant parfois d’un regard, et de pouvoir revenir de cette
vision. Une des garanties que doit offrir l’institution, sera le partage et la
confrontation de ces regards, pour ne pas enfermer ces enfants dans nos
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– l’espace éducatif.
L’enfant tresse sa vie des réponses qu’il reçoit dans chacun de ces
espaces. Tous sont nécessaires et aucun ne peut suffire à lui seul.
Comment, nous-mêmes, articulons-nous ces espaces ?
Sur quelles données avons-nous à communiquer ?
Nous avons aussi à construire ensemble.
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La sexualité sectaire
Sonya Jougla
Par définition, la secte quelle que soit sa taille, est une structure dog-
matique de soumission, fermée sur elle-même, et dans laquelle l’individu
perd sa dimension de personne et de citoyen. En faisant régresser l’adepte,
par la manipulation mentale vers une dépendance psychologique, intel-
lectuelle, émotionnelle et physique, la secte agit comme lieu de fabrique
d’état de faiblesse.
On pourrait dire qu’elle est en quelque sorte une serre où se développe,
en culture intensive et forcée, la vulnérabilité des individus adeptes.
Pour que l’emprise soit efficace et irréversible, il faut obligatoirement
qu’existe cette mise en état de faiblesse. La manipulation mentale utilise
comme outil privilégié la sexualité institutionnalisée par le gourou.
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La dangerosité de la secte
Toutes les sectes ne présentent pas la même dangerosité pour les
enfants :
– elles sont plus ou moins coercitives ;
– certaines n’entreprennent l’enfant qu’à l’âge de l’adolescence et lui
laissent librement vivre son enfance ;
– d’autres le conditionnent dés sa vie fœtale (par la « galvanoplastie
spirituelle » par exemple) pour créer « la sixième race des élus de l’aire
du verseau » ;
– d’autres encore sélectionnent par la génétique les fœtus avec IVG obli-
gatoire pour les enfants qui ne sont pas reconnus par les « géniocrates » ;
– elles sont plus ou moins closes :
- certains enfants vivent en permanence dans la secte,
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En guise de conclusion
Comme un « cancer psychique » dont la dangerosité n’apparaît que tar-
divement, le traumatisme sectaire est ignoré de la victime. Le mal n’en est
pas pour autant bénin.
La souffrance de ces adeptes, non conscients de leur identité de vic-
time, reste silencieuse et incomprise par une société qui la nie parce qu’elle
commet le contresens de croire que l’adhésion de l’adepte à sa secte,
résulte d’un consentement libre et éclairé.
Je terminerai mon propos avec cette phrase d’Elie Wisel :
« N’oublions jamais que ce qui choque le plus profondément la victime, n’est pas tant la
cruauté de l’oppresseur que le silence du spectateur. »
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respecte tout de même les droits de l’abusé, mais peut ne pas satisfaire ni
sur le plan moral ni sur le plan juridique.
L’accompagnement par l’avocat lors du procès est
la partie visible de l’iceberg
C’est le lieu où l’accompagnement de la victime est le plus crucial
puisque l’avocat est le porte-parole de la victime.
L’accompagnement doit d’abord être un travail d’explications relatives
au déroulement du procès, avec éventuellement :
– la visite préalable des lieux ;
– explication de la place et du rôle de chacun ;
– explication de la façon dont il faut entendre les plaidoiries de la
défense ;
– explication des constatations expertales ;
– explication du rapport psychiatrique de l’abuseur ;
– explication de la peine encourue.
Les effets positifs du procès pour la victime
ou si j’osais les bienfaits thérapeutiques du procès
Je pense que le procès est la phase culminante, bien sûr, de l’accompa-
gnement de l’avocat de son client, car la plaidoirie a pour but de porter la
parole au nom de la victime en rappelant son ressenti, sa souffrance lors
de faits, les traumatismes décrits par les experts, les problématiques de son
devenir.
Avec la décision de justice, les choses vont être claires.
Un auteur a été reconnu coupable, il a été sanctionné pénalement par
un texte précis, et il a été sanctionné de façon civile à des dommages et
intérêts pour le préjudice subi.
Je crois que, pour la victime, le procès a plusieurs buts :
. Il va permettre la qualification pénale des faits.
Il va être fait référence à un texte de loi qui vise les actes subis par l’abu-
sée et qui rappelle que ces faits sont interdits par la loi.
La victime a besoin d’entendre prononcer l’interdit de l’acte par la Loi.
. Il va permettre une clarification de la place de chacun.
Il va y avoir une identification des parties :
– celui qui a subi les faits est la victime et va se reconnaître à sa
place de victime ;
– celui qui a commis les fait c’est l’abuseur et va être reconnu
comme tel par la justice.
Il va y avoir une reconnaissance de la souffrance de l’abusée qui sou-
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Position du problème
Je voudrais ici, à partir d’une séquence relative à ma pratique de cli-
nique analytique, questionner la problématique du sexuel et du sacré en
lien avec les processus d’exil.
À distance des positions anthropo-cliniques et des théorisations eth-
nopsychiatriques, notre démarche vise une « analytique anthropologique
de la parole », (F. Benslama, 1985), tel que Freud en a laissé certaines
traces dans Totem et Tabou et/ou dans L’homme Moïse et la religion mono-
théiste notamment. Traces où aspects historiques, sociologiques, anthro-
pologiques, linguistiques etc. se révèlent comme des restes diurnes per-
mettant l’accomplissement du désir, (R. Gori 1996, p. 249), démarche
heuristique où le primitif se construit comme le siège figuré de l’incons-
cient, (C. Stein 1962-63) et Moïse, sous la plume de Freud est d’abord un
mot signifiant enfant, en égyptien, avant que ne soit discuté sa stature
sacralisée de guide des hébreux.
Ainsi notre essai qui cherche à se déployer à travers une transcendance
langagière nourrit également l’espoir, à partir de ces éclairages, de rapa-
trier la question du sacré, de la langue et du sexuel dans une dimension
métapsychologique.
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une femme musulmane pouvait tout dire à un homme. Elle ajouta : « J’ai
des choses à dire mais je ne sais pas si je peux vous les dire ? » Je lui répon-
dis : « À la prochaine fois. »
Pendant que mes pensées questionnaient ce souvenir, j’entendis sa voix
à peine audible me demandant si je connaissais quelqu’un de la mosquée,
un imam par exemple. Devant mon interrogation l’incitant à poursuivre
à ce sujet, elle répliqua : « Il y a des choses que je n’ai jamais pu dire à per-
sonne, peut-être que c’est hram, interdit » (les séances avec cette patiente
se déroulaient presque tout le temps en langue arabe) de le dire ; l’imam,
lui, doit le savoir.
Elle se mit à pleurer, à ré-évoquer les maltraitances autant physiques
que morales quasi quotidiennes qu’elle subissait de son père. Elle insistait
sur différents détails tout en ponctuant ses dires par des : « Mais il n’y avait
pas que ça ». Cette persistance de : « Il n’y avait pas que ça », accentuait
ses sanglots qui, petit à petit, se transformaient en cris et gémissements.
Elle me tendit la main comme par recherche d’affection en évoquant une
discrète et ambivalente consolation maternelle qui lui disait : « Tu n’as pas
de chance… tu as la peau salée. » (Ce qui, métaphoriquement, en langue
arabe, et plus précisément en dialecte marocain, cela revient à dire : « Ttu
as la peau qui attire les coups et/ou qui aime les coups. »)
Cette main tendue, où furent mêlées détresse et demande de tendresse,
manifestait l’actualisation infantile d’une « confusion de langue » (S.
Ferenczi 1933). Je me suis trouvé avec sa main dans les miennes, dans un
geste de consolation, bouleversé par son récit, habité par la confusion dans
ce mouvement de contre-transfert. Je m’entends dans un lapsus répétant
sa dernière phrase : « Quand j’étais encore petite » et je reprends, en
lâchant précautionneusement sa main : « Quand vous étiez petite… oui ».
La patiente respira profondément, les mots semblaient l’emporter sur les
pleurs.
Elle s’ouvrit alors sur la narration de l’événement qui assiégeait sa
mémoire. Il ne s’agissait pas ici de souvenirs oubliés qui faisaient retour,
mais d’un vécu qu’elle n’avait jamais refoulé et qui, de ce fait, se consti-
tuait comme la référence signifiante, pseudo statut de la mémoire, où
toute la lutte pour pouvoir l’oublier n’était qu’une forme de répression
ontologique qui faisait retour dans notre situation d’interlocution, sous
formes d’émois corporels tels que je viens de l’évoquer.
De l’abject au trauma
D’ailleurs, elle lâcha rapidement une phrase comme par peur de ne
pas pouvoir la dire : « Quand j’avais 8 ou 9 ans, mon père a voulu abu-
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ser de moi. » L’abus, ici, avait été exprimé en langue arabe, en terme
de ghasb qui signifie autant : contraindre, forcer à…, qu’arracher
quelque chose à quelqu’un.
Ce ghasb résonne dans toute sa profondeur comme un acte de
dépouillement matériel et psychique qui maintient captif l’être du
dépouillé. Le traumatisme de l’acte en tant que contrainte, forçage et ten-
tative d’arrachement de l’intime se révèle dans l’économie libidinale du
sujet comme trauma qui encombre la conscience, mutilant par là même
les capacités de la mémoire du sujet à transformer les événements en
récits.
Les phantasmes et les rêveries versent dans les cauchemars qui se pro-
filent comme l’accomplissement ultime du désir, et le discours n’est plus
alors qu’un corpus de plaintes et de narrations épuisées à coloration
dépressive.
Nadia, comme sujet, est ici l’éponyme de tout sujet dit traumatisé, qui,
dans l’altérité, rencontre l’abject en tant qu’objet de pulsion de l’autre
dont le but cannibalique est de dés-humaniser, d’ingérer l’humanité.
L’être de l’humain ainsi consommé n’a plus alors que le statut d’un sujet
infâme qui se consume et qui, dans sa lutte pour l’existence, échoue dans
la survivance.
Nadia s’est défendue de toutes ses forces contre son père qui avait
quitté le lit conjugal en pleine nuit pour la rejoindre, alors que plutôt dans
la soirée, il l’avait frappée comme à l’accoutumée et envoyée au lit « sans
rien dans le ventre ». Aidée par une force obscure, disait-elle, elle avait pu
s’arracher à sa puissance, remettre son saroual et se redresser, tout cela dans
« un silence de mort ». Le père, par un double geste de la main, lui intima
l’ordre de se taire sinon il l’égorgerait. Elle se souvint alors que quelques
années plus tard, après la mort de sa mère, il voulut recommencer : « On
était seuls à la maison, je faisais la sieste, il est venu s’étendre près de moi.
Je me suis levée et je suis partie ; il n’a pas insisté ».
Elle se rendit compte alors que cet événement avait été complètement
effacé de sa mémoire ; elle le médita un long moment et remarqua qu’elle
était la seule parmi sa nombreuse fratrie à avoir subi les violences de son
père qui passait d’ailleurs pour un homme intègre, généreux et était res-
pecté parmi les gens du village.
D’un sacré à l’autre
« Pourquoi moi ? » me demanda-t-elle. « Comment pouvait-il me haïr
à ce point et vouloir de moi en même temps ? Expliquez-moi, s’il vous
plaît. »
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— Votre père ne vous aimait pas d’un amour paternel, lui dis-je, sans
pouvoir me débarrasser de l’émotion qui s’était saisie de moi et de ce
« pourquoi moi » qui la restituait dans mon écoute du côté d’un être dont
l’ablation inachevée de sa subjectivité fut objet de sacrifice. Ma réplique
tomba comme un blasphème dans son oreille. Elle se mit alors à invoquer
le nom d’Allah, à lui demander pardon pour ce qu’elle venait d’entendre
en ponctuant : « Mon père m’a désiré,… a eu envie de moi,… au nom
d’Allah le miséricordieux, qu’Allah nous prémunisse contre Satan, qu’il
brûle en enfer ».
Ma remarque, fruit d’un mouvement transféro-contre-transférentiel
où avaient été mêlées répulsion et émotion, mobilisa une pensée qui s’ino-
cule d’un esprit de langue sacrée et qui l’autorisa à interroger sa dimen-
sion d’être dans l’ignorance, à signifier sa haine afin de pouvoir s’ouvrir à
la dimension d’amour, afin de pouvoir se raconter. En rapport avec la
définition qu’en donne J. Lacan : « C’est seulement dans la dimension de
l’être et non pas dans celle du réel que peuvent s’inscrire les trois passions
fondamentales – à la jonction du symbolique et de l’imaginaire, cette cas-
sure, si vous voulez, cette ligne d’arête qui s’appelle l’amour – à la jonc-
tion de l’imaginaire et du réel, la haine – à la jonction du réel et du sym-
bolique, l’ignorance. » (1954, p. 297-298).
Cette innovation de fragments sacrés est une convocation du symbo-
lique dans sa dimension éthique du pur et de l’impur, qui reconstitue la
langue et construit la mémoire par et dans le langage. Le pardon demandé
à une instance divine opère comme la réconciliation distante avec l’Autre,
dans une auto-intégration du dire d’un agir qui n’avait cessé, depuis, de
continuer l’action perdue dont les récits qui rythmaient nos rencontres
n’achevaient pas de reconstruire.
Son père ironisait grossièrement sur les raisons qu’elle avait d’aller au
hammam quand elle lui demandait de l’argent à cet effet. (Dans les socié-
tés musulmanes procéder aux grandes ablutions, comme aller au ham-
mam par exemple, est une obligation sacrée lorsqu’il y a eu relations
sexuelles.) Il s’opposait à tout prétendant en mariage. Ce père cédait, dans
le discours, sa place à un mari mal aimant et violent qui ne lui autorisait
aucune dépense et qui, dans ses dires, passait le relais à leur fils, pour la
traiter quotidiennement de « folle et de pute », voire la battre, sans que le
père, qui avait cessé ses agissements suite aux interventions des services
sociaux ne la protège. Fils qui a fini par être placé, par ces mêmes services
sociaux, dans un foyer.
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vent dilués dans le langage. Cette dilution les rend d’autant plus présents.
L’inconscient n’est-il pas d’essence sexuelle ? C’est ce que manifeste cette
castration qui opère du côté d’une nomination directe. Ceci autorise une
richesse dans le vocabulaire, condition incontournable d’accès à la jouis-
sance. Plaisir de dire toujours au plus près, de borner avec les mots celui
qui n’a pas de nom, le signifiant du manque : le phallus.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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DARWICH (M.) : La Palestine comme métaphore, éd. Actes Sud, 1997.
HASSOUN (J.) : L’exil de la langue. Paris, éd. Point, Hors ligne, 1993.
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FREUD (S.) : Totem et Tabou, 1912, Paris, éd. Payot, 1984.
FREUD (S.) : L’homme Moïse et la religion monothéiste, 1939, Paris, éd. Gallimard, 1986.
GORI (R.) : La preuve par la parole, Paris, éd. PUF, 1996.
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ABUS SEXUEL
ET FIGURES DU CORPS
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Traumatismes sexuels
Le point de vue du gynécologue
Emmanuel Bolzinger
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Vignettes cliniques
1re situation
Maud âgée de 9 ans. Elle est auditionnée après avoir révélé à sa mère
l’attitude de son beau père après la rupture mère/beau-père. Celui-ci
l’obligeait régulièrement à l’embrasser sur la bouche et il avait pris l’habi-
tude de s’introduire dans la salle de bains quand Maud se douchait pour
la regarder longuement toute nue.
Dans un premier temps, l’officier de police s’est attaché à n’interroger
Maud que sur les pratiques buccales du beau-père : et de fait, il y a là un
comportement très violent avec effraction : il s’agit de baisers prolongés
avec contact de langue à langue. Pourtant, si Maud manifeste de l’émo-
tion et du trouble, jamais elle ne s’effondrera et elle résistera à ses émo-
tions pour répondre précisément aux questions du policier.
C’est un peu accessoirement que l’officier de police l’interroge sur le
comportement voyeuriste du beau-père. Cela lui paraît manifestement
l’élément secondaire du crime.
Mais c’est paradoxalement là que Maud va s’effondrer en larmes et
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peut avancer que Stéphanie n’a pas pu voir ce qu’on lui imposait d’image
insensée d’elle même.
3e situation
Solène aura 5 ans dans 2 mois. Elle est amenée à la consultation par sa
mère car elle a été récemment abusée sexuellement par son beau-père (âgé
de 10 ans de moins que sa jeune mère). Alors qu’ils regardaient ensemble
la télévision, celui-ci s’est couchée sur elle et a éjaculé entre ses jambes –
ce, sans pénétration – Solène, effrayée par la sensation d’humidité, dont
elle dira qu’elle l’a immédiatement assimilée à une émission d’urine, a
couru dès que possible le rapporter en ces termes à sa mère : « Il m’a
mouillé entre les jambes ». Trois consultations plus tard, Solène propose
un dessin qui témoigne de l’impact de cet événement sur la subjectivation
de son corps : elle dessine un bonhomme de neige couché, sans les jambes
et précise : « C’est une petite fille ». Alors qu’elle venait d’apprendre la pos-
sibilité de gommer les traces du crayon gris, elle se sert de ce dernier pour
esquisser des traits face au bas du corps et commente « il pleut dessus ». Puis,
soigneusement, elle ajoute à ces « traits de pluie » des crochets au crayon
feutre, déviant ainsi définitivement leur trajectoire et elle précise « c’est pour
pas que ça lui tombe dessus ».
Confrontée à vécu émotionnel débordant ses capacités narcissiques de
métabolisation, et donc de représentation psychique, Solène ne pourra
plus intégrer à son image fonctionnelle du corps ses membres inférieurs.
Ses jambes, réceptacle par effraction de la jouissance de l’adulte sont
désormais mises en sommeil par la prédominance des pulsions de mort
sur les pulsions de vie, exilant ainsi toute forme ou trace de désir dans
cette partie du corps.
Conclusion
L’enfant n’est pas au même niveau d’investissement libidinal de son
corps que l’adulte. Il est traversé par les pulsions sexuelles mais non par le
désir de relation sexuelle. Il est d’emblée dans l’agir et ce sont les interdits
et les castrations successives qui, en créant le manque, vont ouvrir la porte
au désir, à la symbolisation de son image du corps et lui permettre de pas-
ser de l’agir pulsionnel à l’acte.
Dès lors, il nous est possible de constater comment l’irruption pul-
sionnelle de l’adulte, s’appropriant l’enfant comme objet de jouissance,
vient mettre à mal ce processus de subjectivation symbolique corporelle
chez l’enfant.
Quand l’enfant est abusé (éthymologiquement « ab-usé » signifie : usé
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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C’est parfois l’attitude d’un adulte qui évoque un abus sexuel ou du moins
une proximité qui ne respecte pas l’enfant dans son intimité
Les caresses érotisées, une toilette « intime » faite par un parent à un
enfant grand, l’utilisation d’un langage empreint de sensualité… toute
chose qui exprime une confusion entre le langage de la tendresse et le
langage de la sensualité, et ne respectent pas l’espace nécessaire entre les
générations.
Même s’il n’y a pas alors « abus sexuel » au sens de la loi, il y a au moins
une situation de danger qu’il importe de prendre en compte.
Dans toutes ces situations, il est essentiel de ne pas banaliser, ni de dra-
matiser. En parler à d’autres professionnels est une bonne façon de
prendre des distances par rapport aux émotions que vont susciter les révé-
lations de l’enfant. Cela permettra une évaluation plus juste.
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Exil et traumatisme
Rajaà Stitou
L’exil n’est pas propre à celui ou celle qui a quitté sa terre natale, mais
concerne tout sujet dans son rapport au tout Autre qui le divise et fait
énigme pour lui. Il renvoie à cette incomplétude, à ce point d’impensable
que la psychanalyse comme le mythe situent au fondement de l’humain.
Cette incomplétude que chacun s’approprie subjectivement en fonction de
son histoire singulière prise dans une histoire collective, c’est ce qui se ravive
parfois, non sans violence à travers la question d’un qui suis-je, d’un où suis-
je lorsque le sujet se sépare de son pays, de sa langue et de sa culture, c’est-
à-dire du lieu de ses repères, de ses ancrages imaginaires et symboliques.
Mais, ce sur quoi je voudrais insister ici, c’est sur cette réalité à l’humilia-
tion, touchant aux limites de l’impensable et vivant l’exil comme une effrac-
tion les aliénant parfois dans la capture mortifère du traumatisme.
Je pense à cette jeune femme algérienne, âgée de 27 ans qui a quitté
son pays afin de s’extraire de la violence de ses bourreaux. Séquestrée, tor-
turée, violée par des fanatiques se réclamant de l’Islam, elle n’avait qu’une
idée en tête lorsqu’elle a réussi, comme par miracle, à leur échapper, par-
tir loin, le plus loin possible, fuir la barbarie. Aidée par un proche, elle
parvient à venir en France. Accueillie dans un foyer, elle s’effondre, perd
son sommeil, le goût de la vie.
Reçue en consultation un mois après les faits, elle est encore sous le
choc. Aucun goût à vivre, la peur de sortir, d’affronter le regard des autres.
Les mots lui manquent pour dire les violences subies. Elle évoquera sim-
plement ses cauchemars et ses douleurs abdominales. Lorsque la souf-
france est indicible, lorsqu’elle ne peut pas se dire avec des mots, elle tran-
site par le corps. Ce corps meurtri, abîmé, Leïla ne cesse de le laver, de le
frotter jusqu’au sang selon son expression, compulsivement comme pour
tenter de se le réapproprier, de le réhabiliter, de l’humaniser. Elle se sent
anéantie dans son être femme, envahie par ce sentiment de souillure, cet
innommable qui la coupe de la communauté humaine et la rejette dans la
honte d’exister.
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leur temps à errer de gare en gare. Soumis aux aléas de l’histoire et des
décisions bureaucratiques, qui les renvoient d’une instance à l’autre, livrés
à la culpabilité indéfinie, en demeure d’avoir à justifier leur propre exis-
tence, parfois dans la situation absurde d’avoir à vivre dans des lieux de
transit, dans une attente interminable de régularisation d’un permis de
séjour qui leur donnerait enfin un lieu d’ancrage. Traqués par la menace,
rejetés de toute citoyenneté, il ne leur reste parfois, que le nulle part pour
unique habitat.
Lorsque l’exil constitue un déchirement, lorsqu’il fait advenir le réel du
trauma, le sujet se trouve parfois envahi par le réel du corps. C’est ce que
décrit J. Champion, à travers l’errance de ce jeune pakistanais fugitif,
condamné à la clandestinité, menacé dans sa vie : « Depuis qu’on était à
ses trousses, il avait l’impression qu’un parasite proliférait dans son corps
mais peut-être n’était-ce qu’un cancer ? le médecin qui l’avait examiné,
avait remarqué que les hommes traqués affichaient les mêmes symptômes
que les femmes enceintes (nausées, vertiges, baisse de tension), l’anxiété
les investissait à la manière de l’enfant à naître, mais eux n’avaient accou-
ché que de leur peur ».
Ce jeune pakistanais est décédé au moment où lui parvenait enfin son
statut de réfugié. On n’a jamais déterminé précisément s’il était mort des
suites d’un accident ou s’il s’était suicidé.
L’impossible deuil qui entretient la pulsion de mort, peut conduire à
l’impasse, au suicide lorsque la scène sociale se confond avec la scène pri-
vée. Aucune réponse ne peut cependant clôturer la vérité de ce geste que
nous pouvons seulement questionner.
Se pose alors avec acuité, cette nécessité d’effectuer le lien et la dis-
tinction entre la situation de terreur et ses résonances psychiques.
Autrement dit, il s’agit de prendre la mesure de la réalité historique ou
politique dans laquelle s’inscrit le sujet et de ce qui est lié à son histoire
propre, ou revécu dans le fantasme, cette mesure nous permet d’éviter de
confondre le sujet avec la masse indifférenciée de ceux que l’on appelle
improprement les rescapés, les persécutés ou les traumatisés de l’histoire
et du terrorisme. Elle permet d’aider le sujet à se distancier d’une position
de victime, de héros ou de coupable, ce qui donne consistance à la vio-
lence. Reconnaître l’outrage ou l’abjection subie tout en considérant le
sujet comme un être de parole faisant partie de la communauté des
hommes, faire en sorte que le silence morbide ou le cri de douleur se
transmute en demande adressée dans le transfert tout en acceptant la part
indicible, n’est-ce pas là la position éthique du clinicien, position qui
résiste au mirage de la visibilité, à l’avidité voyeuriste ou à la volonté d’un
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AGRESSOLOGIE
ET VICTIMOLOGIE
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Introduction
J’ai choisi de présenter le cas clinique de Mélodie, dont la probléma-
tique expose, me semble-t-il, les effets du traumatisme sexuel et ses deve-
nirs ; tout en soulignant la dimension du trans-générationnel. Ce cas cli-
nique illustre la souffrance d’une fillette de 11 ans, victime d’attouche-
ments sexuels, de la part de son grand-père maternel.
Mon exposé comporte 3 parties. Dans un 1er temps j’évoquerai les
symptômes qui ont poussé Mélodie à consulter, puis, j’exposerai plusieurs
entretiens, marquant des moments clés dans l’évolution de sa probléma-
tique. La 3e partie portera sur les hypothèses et l’argumentation clinique
autour des effets du traumatisme sexuel.
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Depuis quelques temps elle est devenue très angoissée lorsque l’heure de
se coucher approche, si bien qu’elle refuse de dormir dans sa chambre.
Elle dort désormais, avec sa sœur aînée, âgée de 17 ans. « Je me sens plus
rassurée », dit-elle.
Mélodie, cadette d’une fratrie de 3 filles, était une enfant désirée par
ses deux parents. Mme M. souffrant de crises d’épilepsie, me confiera avoir
été terriblement angoissé durant la grossesse. Mélodie est née dans un
contexte de drame familial. Mme M. était alors très inquiète pour différents
membres de sa famille. J’ai pu observer combien la maladie (tant soma-
tique que psychique) tenait une place importante dans cette dynamique
familiale.
Les premiers troubles somatiques ont commencé il y a un peu plus
d’un an, Mélodie était selon les dires de sa mère préoccupée par la santé
d’une proche parente. Le premier épisode s’est déclenché un soir, Mélodie
était dans son lit et ne pouvait plus respirer. Ces crises se reproduiront,
survenant toujours dans la soirée, de plus en plus intenses et rapprochées,
évoluant en dernier temps, vers une paralysie des jambes. Paralysie qui
sera suivie d’une rémission spontanée, 24 heures après.
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« Hier soir j’ai fait un cauchemar mais je suis sûre que ce n’était pas
papi qui me tracassait, je suis sûre que c’était le film », dit-elle. On observe
un mécanisme de dénégation avec projection sur un support cinémato-
graphique. L’angoisse qui émerge dans le cauchemar trouve son origine
dans la scène traumatique avec le grand-père.
5) La rencontre suivante va lui permettre d’aller plus loin dans son res-
senti. « Il y a quelque chose qui me tourbillonne, les garçons m’embêtent
mais qu’est-ce que j’ai fait de mal ? ». Qu’elle est la faute imaginaire qu’elle
a bien pu commettre ? Qui a réellement commis la faute ? Pour S.
Ferenczi, il s’agit de « l’introjection du sentiment de culpabilité de
l’adulte ». « J’avais envie de pardonner papi mais il m’avait dit de ne pas
parler alors j’ai peur qu’il se venge, j’ai fait un cauchemar j’avais peur que
papi se venge en me frappant », dit-elle. On retrouve ici l’injonction faite
à la victime de ne pas parler, c’est l’injonction du secret, ce qui va entraî-
ner la culpabilité d’avoir parlé. Dans le sommeil émerge les craintes de
Mélodie, dont l’angoisse vient dire la peur que le grand-père se venge,
mais également sa peur de la répétition. « J’ai peur que ça recommence »,
dit-elle. C’est aussi la fonction protectrice des parents qui est pointée. Le
père étant un père dit absent, psychiquement parlant, mais, qu’en est-il de
la mère ? Pour J.-C. Racamier, il faut être attentif à la « notion d’inces-
tuel », qui selon lui est le fait de la mère et prépare l’inceste. Il y a peut-
être quelque chose de cet ordre dans cette histoire où, la mère connaissait
fort bien, et pour cause, ce dont son père pouvait être capable. Ceci étant
elle s’en défendra en disant qu’elle n’aurait jamais pensé qu’il touche les
enfants. Je terminerai sur cet entretien pour revenir sur l’hypothèse et l’ar-
gumentation de ce cas clinique.
Argumentation
Dans un 1er temps, Mélodie présente des troubles fonctionnels de types
psychosomatiques. On pourrait parler de « douleurs psychogènes » et de
« souffrance corporelle » dont J.-D. Nasio nous indique qu’il s’agit de
« douleurs somatiques éprouvées sans raison organique ». La clinique nous
invite à interroger ce qui se cache derrière le symptôme. L’inscription cor-
porelle révèle l’absence d’une élaboration psychique. Un événement n’a
pu être pris en charge par les processus de symbolisation. Il y a une faille
au niveau des processus de traduction de choses en mots, de mise en sens.
Que signifie ses crises d’angoisse sur fond de somatisation ? S. Freud
considère « l’angoisse comme un signal d’alarme qui annonce au moi un
danger menaçant son intégrité ». On peut formuler l’hypothèse selon
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Conclusion
Je conclurai en mettant l’accent sur l’intensité du tableau clinique,
pour attirer votre attention sur la catastrophe psychique et la souffrance,
qui accompagne ce type d’agression. Les symptômes auront eu le mérite
de déclencher la sonnette d’alarme et, de permettre à l’enfant d’être sui-
vie. L’explosion somatique était probablement la seule possibilité pour
que sa souffrance soit entendue, et que Mélodie puisse trouver dans la
révélation du secret, le soulagement et l’allégement de sa douleur, tant
physique que psychique. La révélation faisant tomber les symptômes der-
rière lesquels se cachait le trauma, libérant le moi du poids du silence,
auquel il était assujetti. L’intégration du traumatisme coûtera encore
beaucoup à la victime.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BESSOLES (P.) : Le meurtre du féminin, clinique du viol, Saint Maximin, éd. Théétète,
1997, p. 95.
DAMIANI (C.) : Enfants victimes de violences sexuelles : quel devenir ?, Revigny-sur-Ornain,
éd. Hommes et perspectives, 1999, p. 271.
FERENCZI (S.) : Texte sur « Confusion de langue entre adulte et enfant ».
FREUD (S.) : Névrose, psychose et perversion, Paris, éd. PUF, 1992, p. 303.
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Honte en victimologie
Delphine Scotto
« J’ai longtemps refusé de parler – me dit un jour une patiente en cours d’entretien
– à cause d’une certaine honte de ce que j’ai vécu, à savoir avoir été abusé sexuellement
par mon cousin. Aujourd’hui, je parle de ma honte et je me sens mieux… disons qu’elle
n’occupe plus le devant de la scène. Je peux désormais me regarder en face dans le miroir,
me maquiller et me convaincre que je ne suis pas un monstre mais un être humain. »
Le traitement psychothérapeutique des enfants ou des adultes victimes
de traumatismes sexuels fait apparaître un sentiment de honte caractéris-
tique. Cet éprouvé de honte, qui empourpre et farde le visage, est d’abord
un sentiment social : il apparaît toujours en réaction au regard d’autrui.
Nous pouvons dire que dans cet amalgame de souffrance, de douleur, de
peur, d’humiliation, de désespoir, de culpabilité et de honte, directement
liés au traumatisme subi, c’est le désir même du sujet victime qui s’en
trouve lourdement altéré.
Comment décrire la honte d’un point de vue symptomatologique ?
Voici ce que je propose :
1) L’expérience de honte saisit le sujet dans le sens où elle le surprend
brutalement, « l’empoigne » et provoque en lui une émotion vive, sou-
daine et violente. Momentanément, on peut dire que le sujet honteux
n’est plus maître de lui-même : il se sent abandonné par ses forces, s’ef-
fondre, baisse la tête et les yeux, cherchant à se retirer, à se cacher, à se
soustraire à la vue d’autrui.
2) L’expérience de honte va également affecter le sujet dans son inti-
mité car elle vient dévoiler et exposer crûment son « intérieur », son espace
intime. La honte émerge toujours en corollaire d’un regard qui « met à
nu » (comme en effaçant l’enveloppe protectrice des vêtements). Il se pro-
duit un effroi dans le fait d’être le point de mire, d’être pris sous le regard
d’autrui et de ne pouvoir s’y soustraire. L’affect de honte est chargé de sens
dans le rapport de soi à soi : avoir honte, c’est se faire honte comme
l’autre, le tiers, peut vous faire honte.
3) L’éprouvé de honte crée un hiatus dans le sentiment de continuité
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du moi, hiatus qui est à entendre dans le sens d’une interruption brutale,
d’une coupure temporaire du sentiment de permanence du moi. Le vécu
de honte est traumatique dans le sens où il entraîne un débordement
incontrôlable d’un Moi qui est pris à revers, et débordé. Il se produit une
perte de contrôle, une confrontation à l’incontrôlable. Le langage dit bien
« perdre la face » et/ou « perdre contenance ».
4) C’est une expérience qui inhiberait toute élaboration psychique,
c’est-à-dire qu’elle paralyserait momentanément toute possibilité de
réaction de l’appareil psychique. Instant de choc, temps d’arrêt sur une
image honteuse de soi (d’où l’expression « être paralysé de honte ») qui
vient marquer le défaut du sujet et la mise en échec de sa confirmation
narcissique.
5) On peut dire aussi que l’éprouvé de honte sidère le sujet, dans le
sens où il anéantit temporairement ses facultés psychiques (le sujet est en
quelque sorte abasourdi, frappé de stupeur) et où il produit conjointe-
ment un état d’inhibition motrice. La honte laisse place à un envahisse-
ment traumatique, à la fois par le vécu psychique et le vécu corporel
qu’elle induit.
Cette description symptomatologique n’est pas exhaustive. Les diffé-
rentes manifestations du sentiment de honte, manifestations aussi bien
physiques, corporelles, physiologiques que langagières, nous permettent
d’affirmer sans conteste que l’expérience de honte est toujours doulou-
reuse. Qui plus est, la honte condamne au silence et au secret puisqu’elle
est vécue comme étant irrévocable, le sujet considérant qu’il ne peut que
la subir et se cacher.
La honte mobilise notre subjectivité, notre expérience intime, essen-
tiellement sur le versant de l’identification imaginaire (avoir honte pour
l’autre). En effet, il est parfois difficile d’assister à la honte de l’autre sans
l’éprouver à son tour. Autrement dit, l’aveu de honte risque toujours de
« déstabiliser » celui ou celle qui en est le témoin.
La honte se redouble aisément en honte de la honte mais aussi en
angoisse de la honte et honte de l’angoisse, ou encore en honte des symp-
tômes névrotiques phobiques (par exemple : l’érythrophobie). Elle sus-
pend la parole singulière du sujet, puisque c’est la honte elle-même qui
interdit sa propre expression (« J’ai trop honte pour vous confier ce qui
m’est arrivé… » nous disent certains patients). Par conséquent, la mise en
mots peut être impossible du fait de la forte honte qui a accompagné la
rencontre traumatique. La honte peut envahir l’ensemble de la personna-
lité et s’opposer ainsi à sa verbalisation. Or, refuser de parler de sa honte
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Les abus sur les sujets âgés posent plusieurs problèmes de sens et de
définition. Étymologiquement, l’abus signifie faire mauvais usage (latin :
abusus, de abuti), aujourd’hui, on l’entend plus comme « user avec excès »,
l’agression sexuelle (AS), qui sera l’objet de cette communication, n’est
donc pas son sens premier. Les anglo-saxons définissent l’ensemble des
mauvais traitements contre les personnes âgées comme : abuse and neglect
(abus et négligences et/ou abandon) qui sont regroupés dans la classifica-
tion suivante (1) :
« Elder Abuse-Concil on scientific Affairs », JAMA, vol. 257, n° 7, feb. 20, 1987.
Les sévices sexuels apparaissent dans la rubrique : atteintes physiques,
et ne sont pas définis de façon précise, il est seulement fait mention des
signes d’appel médicaux tels que présence de maladies vénériennes, dou-
leurs, lésions, hémorragies dans les régions vaginale et anale.
Afin de faciliter l’étude des violences sexuelles, en particulier sur le plan
épidémiologique, nous utiliserons les définitions du champ judiciaire.
Dans le nouveau code pénal français de 1994, « constitue un agression
sexuelle, toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte,
menace ou surprise. » (article 222-22)
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit com-
mis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise
est un viol. » (art 222-23)
« L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible
aux regards publics est punie d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F
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Épidémiologie
Le vide français
En France, l’on dispose :
– du nombre d’infractions pour agressions sexuelles enregistré par les
services de police et de gendarmerie (tableau 2 et 3) ;
– du nombre de condamnations pour agressions sexuelles enregistré
par le ministère de la justice (tableau 3).
Les seules spécifications mentionnées dans ces données sont l’âge des
victimes quand il s’agit de mineurs de moins de 15 ans, la présence de cir-
constances aggravantes prévues par le code pénal et l’âge des condamnés.
Tableau 2 : nombre d’infractions constatées en France en matière de
délinquance sexuelle en 1998 (source : ministère de l’Intérieur. À noter
que le proxénétisme est pris en compte dans ces chiffres)
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La prise en charge
En France, la prise en charge des sujets âgés victimes d’AS se conçoit
sur un plan médico-social et judiciaire.
L’AS constitue une urgence médicale avec consultation dans un centre
médico-judiciaire où peuvent être réalisées :
Examen gynécologique avec prélèvements, rédaction d’un certificat
médical initial, protocole de prévention des maladies sexuellement trans-
mises, hospitalisation si nécessaire en cas de lésions graves, évaluation et
prise en charge psychologiques.
Dépôt de plainte par la victime.
Évaluation sociale avec hébergement temporaire extérieur au domicile
si besoin et mesures de protection en cas d’affaiblissement cognitif marqué.
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La prévention
La prévention passe d’abord par une amélioration du recueil épidé-
miologique des AS afin de mieux cerner le phénomène. Cette améliora-
tion pourrait se concevoir en centralisant les données et en créant des
réseaux de surveillance regroupant plusieurs services (justice, police,
médecine légale, services sociaux, associations d’écoute téléphonique…)
Des campagnes d’information pourraient être menées visant :
– le grand public (sur le modèle de celles organisées dans le cadre des
AS chez l’enfant) ;
– les personnels au contact des sujets âgées (services sociaux, infir-
mières….).
Parmi les supports utilisables et déjà expérimentés aux USA figurent les
campagnes de presse, les sites internet.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
TYRA (P. A.) : « Helping Elderly Women Survive Rape. Using a Crisis Framework »
Journal of Psychological Nursing, vol. 34, n° 12, 20-25, 1996.
BALL (H.) : « Offending Pattern a Gerontophilic Perpetrator », Med. Sci. Law, vol. 38,
n° 3, 261-262, 1998.
CARTWRIGHT (P.S.), MOORE (R.A.) : « The Elderly Victim of Rape », Southern Medical
Journal, Aug.1989, vol. 82, n° 8, 988-989.
RAMIN (S. M.) and al. : « Sexual Assault in Postmenopausal Women », Obstetrics and
Gynecology, vol. 80, n° 5, nov. 1992, 860-864.
SIMMELINK (K.) : « Sexual Assault : Clinical Issues, Lessons learned from three elderly
sexual assalt survivors », J. Emerg. Nurs., déc. 1996, vol. 22, n° 6, 619-621.
CODE PÉNAL : éd. Dalloz, Paris.
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Au risque de la confrontation
Danièle Cany
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tion, c’est à dire jusqu’au moment où il va être désigné comme seul cou-
pable et sommé de payer la faute. Jusque là il est toujours, dans la repré-
sentation fantasmatique de sa victime, celui qui a le pouvoir, celui qui a
la parole, celui qui maîtrise le jeu et dicte la loi. En effet, aux premiers
stades de l’enquête, bien peu de mis en examen reconnaissent les faits.
Ainsi le danger de la confrontation réside d’abord dans le risque d’une
rétractation. La parole de la victime, autorisée par la « force publique »,
est mise à l’épreuve de la parole de l’autre, contradictoire de la sienne dans
la majorité des cas. D’abord conforté par le dévoilement et la prise en
charge qui a suivi, le sentiment de sécurité est contaminé par la crainte.
Car la parole de la victime est ici transgression, il lui a fallu braver l’inter-
dit du secret, verrouillé par la menace. Entendue et soutenue par l’OPJ,
cette parole est dénigrée, niée ou critiquée lors de la confrontation.
La victime se trouve à ce moment là en position d’accusé, ce qui réac-
tive la honte et la culpabilité, affecte la confiance en soi encore mal assu-
rée et l’expose à se sentir dévalorisé voire invalidé, à faire que la parole
vivante (facteur de reconnaissance et de renaissance) devienne parole mor-
tifère parce que inhibitrice.
Mais c’est compter sans la présence du magistrat, garant de l’enquête
et de la protection du sujet. La confrontation est aussi ce moment qui lui
est offert, de s’opposer directement et pour la première fois au tyran, de
dire non et de le désigner devant témoin comme coupable. Dans cette
situation d’équité, la victime n’est plus dans la soumission, sa parole prend
la même valeur que celle de l’autre, jusque-là toute puissante, impossible
à contrer et dont les énoncés (« personne ne te croira… je dirai que tu
mens…. on dira que c’est de ta faute… etc. ») l’ont écrasé de silence.
En position de suspect dans le bureau du juge, l’agresseur perd de son
assurance, n’est plus invincible. Dans cette optique, la confrontation peut
devenir une épreuve de réalité salutaire, contribuant à défaire la fantasme
d’invulnérabilité. Le juge sert de tiers médiateur. Au sein de cette trilogie,
sa présence signifie à la victime qu’elle n’est plus seulement objet de jouis-
sance de l’autre, objet de consommation ou de dévoration. À tous points
de vue (physique par la protection qu’il offre, psychologique par la per-
mission qu’il accorde de s’exprimer et symbolique puisqu’il incarne la loi),
le juge d’instruction est garant du sujet.
La parole du sujet victime devient ainsi parole vivante, elle entre en
résonance, n’est plus « couchée sur du papier », ou mise sous scellés, sai-
sie c’est à dire figée. Quelle angoisse peut recéler l’impossibilité de revenir
sur la parole, de la reprendre ou de la remanier ? Il y va de la liberté de
l’être qui doit rester acteur de la procédure, au risque de la confrontation,
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qui peut être une étape plus constructive que destructrice. À travers une
réaffirmation de sa parole et en toute sécurité, la victime peut y retrouver
une dignité, en se mesurant dans toute sa dimension à la présence maîtri-
sée de l’agresseur.
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VIOLENCES SEXUELLES :
ENFANCE/ADOLESCENCE
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Établir la vérité d’un fait et le consigner par écrit paraît être une vision
bien trop réductrice du constat médico-légal. En effet, même si le méde-
cin légiste intervient en tant que technicien auxiliaire de justice, répon-
dant à une mission précise et dans le strict respect des règles déontolo-
giques de l’Expertise, il n’en reste pas moins un médecin à la recherche du
moindre signe, symptôme ou manifestation suspects dont l’interprétation
entraînera parfois des répercussions judiciaires majeures tant pour la vic-
time que pour l’éventuel auteur.
Il serait illusoire de conférer tout pouvoir à l’examen médico-légal pour
que jaillisse La Vérité auréolée d’Absolu. Ainsi, l’entretien et l’examen
somatique participeront à l’approche d’une vérité, souvent nuancée au cas
par cas.
Il paraît donc essentiel de s’interroger, avant tout, sur cette notion de
vérité.
Veritas, Veritatis
Quel est le visage de la vérité ? S’agit-il de la conformité de ce qu’on dit
avec ce qui est ; s’agit-il de l’expression fidèle de la nature ou tout simple-
ment de la sincérité et de la bonne foi de son interlocuteur ? Ne devrait-on
pas parler de la vérité médicale, de la vérité judiciaire et de la vérité des vic-
times, voire des auteurs ? D’ailleurs, ces « vérités » sont-elles si éloignées, si
distinctes et si antinomiques que l’on ne pourrait pas les confondre ?
Lors de l’entretien, préambule indispensable à tout examen médical et
à fortiori médico-légal, la victime est amenée à relater les faits subis. Elle
ne s’exprimera alors qu’en fonction de son propre vécu et de ses propres
capacités d’idéation. Ainsi, elle emploiera le vocabulaire qu’elle maîtrise,
voire, très souvent, qu’elle croit maîtriser. Il est fréquent, d’ailleurs, que
certains enfants s’approprient une terminologie adulte, sans en com-
prendre parfaitement le sens, ni même la portée (« faire l’amour, violer,
sperme, éjaculation »… ).
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Il est donc évident que les déclarations d’un enfant ne peuvent être
appréhendées de la même façon que celles d’un adolescent ou d’un adulte.
Ainsi, selon l’âge de la victime, le discours doit être abordé avec la plus
extrême minutie. En effet, les valeurs et les référentiels sexuels ne sont pas
superposables entre les différents individus, ceux-ci relevant directement
de leur niveau d’expérience dans ce domaine.
Cette remarque trouve toute son illustration dans la notion de « péné-
tration ». Pénétrer, pour tout adulte possédant un minimum d’expérience
sexuelle, renvoie immédiatement à un référentiel sensoriel bien établi,
parfaitement défini et communément admis. Cependant, qu’en est-il
pour un enfant, dépourvu de toute expérience et dont le dit référentiel est
inexistant voire fantasmagorique ? Ainsi, la virginité confirmée d’une
jeune enfant ayant dénoncé une « pénétration » vaginale doit-elle irrémé-
diablement la désigner comme affabulatrice ? Il est évident que ce rac-
courci simpliste doit être définitivement rejeté, en particulier dans les
milieux judiciaires, car fréquemment l’enfant emprunte à l’adulte une ter-
minologie impropre à décrire son cas. Il ne cherche alors qu’à exprimer la
perception de sensations nouvelles, lui étant totalement étrangères et éma-
nant d’une région de son corps dont il n’a pas encore acquis l’entière et
totale représentation.
Or, établir l’état de virginité ou de défloration de la victime reste l’un
des éléments auquel s’attache l’examen médico-légal et, au travers de
celui-ci, la Justice. En effet, cette « vérité médicale » reste un élément pré-
pondérant dans la qualification délictuelle ou criminelle des faits dénon-
cés, permettant alors de faire le distinguo entre les attouchements sexuels
(article 222-23 du nouveau code pénal) et les viols (article 222-22 du
nouveau code pénal).
Toutefois, la « vérité judiciaire » ne se limite pas à cette simple consta-
tation. Ainsi, la pratique d’une fellation reste un viol au sens de la loi,
même si elle n’entraîne pas habituellement de stigmates physiques
patents. Il en va de même pour les jeunes adolescentes dénonçant une
agression avec pénétration vaginale, mais déclarant qu’un précédent rap-
port librement consenti les aurait déjà déflorées. Ainsi, l’absence de
preuve objective n’interdit pas les poursuites judiciaires, voire l’éventuelle
condamnation du suspect. Il faut donc reconnaître en la « vérité judi-
ciaire » une entité indépendante qui ne s’attache pas uniquement et exclu-
sivement à la preuve matérielle, mais qui se base aussi sur la notion plus
large « d’intime conviction » comme le rappelle l’article 353 du code de
procédure pénale : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens
par lesquels ils sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles des-
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Le constat médico-légal
Le constat médico-légal découle le plus souvent d’une mission judi-
ciaire. Le médecin légiste intervient alors dans le cadre soit d’une réquisi-
tion émanant d’un officier de police judiciaire, voire d’un magistrat du
Parquet, soit d’une ordonnance émanant d’un magistrat du Siège.
Ce constat trouvera ses limites et ses objectifs dans les termes de la dite
mission dont le libellé classique est de « bien vouloir procéder à l’examen
médical et gynécologique de l’enfant X. Indiquer si en quelques endroits
elle (il) présente des traces traumatiques, les décrire. Préciser s’il existe une
défloration et dans l’affirmative, son ancienneté. Faire toutes observations
utiles à l’enquête en cours. »
Pour ce faire, le médecin légiste dispose de son sens clinique, basé sur
un entretien rigoureux et un examen somatique minutieux, parfois allié à
des examens de laboratoire.
L’entretien médico-légal
Si celui-ci s’avère indispensable, il ne doit en aucun cas se substituer à
l’expertise psychologique. En effet, les objectifs de ses deux entretiens
s’avèrent relativement distincts.
L’entretien médico-légal a pour buts fondamentaux de générer le cli-
mat de confiance impératif à l’examen clinique, d’appréhender les faits
afin d’interpréter au mieux les constatations somatiques et accessoirement
de brosser un tableau succinct de la personnalité de la victime.
Ainsi, l’examen médico-légal s’accorde mal avec les objectifs initiaux
de la loi du juin 1998, en particulier, quant à l’éventuelle survictimisa-
tion consécutive à la répétition des entretiens. Mais, malheureusement,
il serait impensable d’imposer à une victime d’agression sexuelle un exa-
men gynécologique sans la moindre explication ni la moindre justifica-
tion. Une telle pratique ne pourrait que générer un sentiment de « viol
dans le viol ». Par ailleurs, un climat de confiance et une parfaite coopé-
ration de la victime sont nécessaires à l’examen, passant indubitable-
ment par une parfaite compréhension non seulement de ses modalités,
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Chez la jeune fille, l’hymen est scrupuleusement étudié afin d’en défi-
nir les caractéristiques anatomiques (au moins neuf formes distinctes
étant décrites) et de dépister une éventuelle défloration dont l’ancienneté
est évaluée selon son stade de cicatrisation. En cas d’hymen non défloré,
l’appréciation qualitative de la dilatation de l’orifice hyménéal s’avère fon-
damentale afin de ne pas méconnaître un hymen dont la souplesse auto-
riserait une introduction digitale, voire une intromission totalement
atraumatique (notion d’hymen complaisant). Cette notion est primor-
diale, car elle peut influencer le devenir judiciaire de l’affaire.
En revanche, chez le jeune garçon, l’examen clinique des organes géni-
taux externes se révèle presque systématiquement normal.
La troisième étape consiste en un examen périnéal et anal. Celui-ci
nécessite la même délicatesse que l’examen gynécologique. Il recherche,
de prime abord, d’éventuelles anomalies anatomiques (conformation de la
marge anale, aspect de la muqueuse et des plis muqueux), puis d’éven-
tuelles traces traumatiques, avec toutefois quelques spécificités inhérentes
à la région étudiée. Ainsi, seront notés toutes déchirures anales, toutes
déformations et tous troubles du sphincter anal (du spasme hypertonique
et douloureux au relâchement sphinctérien avec perte de matières).
Exceptionnellement, l’examen clinique est complété par des prélève-
ments biologiques, en vue essentiellement d’une recherche ultérieure de
spermatozoïdes. Ces prélèvements, pratiqués par écouvillonnage, s’avè-
rent rarement nécessaires du fait du long délai séparant souvent les faits
dénoncés de l’examen. Tout aussi exceptionnellement, le médecin légiste
peut être amené à examiner les pièces vestimentaires portées par la victime
au moment des faits, afin de rechercher d’éventuelles traces suspectes
(traces de sang, de liquide séminal…).
Le constat médico-légal
L’examen médico-légal est finalement conclu par un rapport médico-
légal écrit, synthétisant non seulement les déclarations de la victime, mais
aussi les constatations cliniques et leur appréciation.
En particulier, sont discutés la nature et l’aspect des éventuelles traces
traumatiques colligées, ainsi que la réalité de la virginité, en faisant alors
le distinguo entre les états de virginité certaine, les états de défloration
ancienne, les états défloration récente et les états de virginité douteuse
(hymen complaisant).
Ce dernier cas mérite d’être éclairé. En effet, la souplesse extrême de
certains hymens permet parfois l’introduction d’un à plusieurs doigts,
voire même une intromission complète, l’orifice hyménéal possédant
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Conclusion
Le constat médico-légal s’articule non seulement autour d’un examen
médical soigneux, doux et attentif, mais aussi et surtout autour d’un
entretien dont la bonne qualité reste essentielle. En effet, cet entretien
s’avère un préalable indispensable, afin de limiter l’anxiété inhérente à
l’examen somatique et de ne pas réduire l’expertise médico-légale à la col-
lecte froide et impersonnelle de signes objectifs. Si la Justice se doit d’être
humaine, il serait impensable que la médecine, dans son versant médico-
légal, oublie l’humanité qui en est un des piliers.
Mais, même si l’examen médico-légal reste une étape fondamentale, la
réalité d’agression à caractère sexuelle ne peut se résumer à un simple
constat objectif, ceci d’autant plus lorsque les faits intéressent de jeunes
enfants et des adolescents.
Ainsi, le magistrat n’obtiendra de l’examen que des éléments d’appré-
ciation qui souvent l’obligeront, devant le peu de preuve objective, à faire
appel à son intime conviction afin d’assurer un jugement équitable.
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Énigme de l’inceste :
d’une violence à l’autre
Laure Razon
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confronté à l’enfant. Les paroles des victimes font écho à ses propos « je
ne peux pas dire que j’aime beaucoup mon papa, d’ailleurs je n’aime pas
l’appeler comme ça car il ne s’est jamais occupé de nous ».
Ces hommes répètent fréquemment dans leur relation à l’enfant ce
qu’ils ont eux-mêmes vécu du désintérêt parental dans une famille où cha-
cun devait s’élever seul, sans réelle affection maternelle et sans référence
paternelle stable. Les repères filiaux et identificatoires en sont restés à
jamais précaires. Ainsi, certains pères n’ont aucune notion des places que
chacun doit occuper au sein d’une famille.
Ils passent de l’objet mère à l’objet « mère-bis » et se comportent sou-
vent comme un enfant supplémentaire lorsqu’ils intègrent une famille où
une place vacante est à prendre. Une même quête, celle de la mère idéale,
se déplace d’un être féminin à un autre ; l’abuseur glisse le long de cette
équation associative : passant de la mère à l’épouse, puis de l’épouse à l’en-
fant, et donc de la mère à l’enfant. Ce déplacement transgénérationnel fait
fi de la différence des générations et évince le deuil nécessaire de la mère
idéale. Et c’est auprès de l’enfant qu’il s’illusionne trouver l’objet idéal
qu’il souille paradoxalement dans le même mouvement.
Le rapport à la descendance ne peut donc se faire que dans un corps à
corps destructeur. En effet, par le simple fait de vivre, l’enfant réfère son
ascendant à sa propre mort et donc à son impuissance face à celle-ci. À tra-
vers la violence physique resurgit cette problématique et plus largement
s’expose toute la violence psychique ou violence fondamentale non dépas-
sée. Le rapport à l’autre se régit dans une dualité où l’un des deux éléments
est forcément de trop et doit mourir dans son corps et dans sa parole.
La cohabitation entre deux générations est inconcevable ; l’une d’entre
elle étant vouée dès l’origine à être effacée afin que l’autre survive : « Un
des deux termes doit disparaître ».
L’abuseur traduit dans ses actes incestueux cette impossibilité à vivre si
face à lui se présente un autre. Et s’« il n’y a pas de place dans l’imaginaire,
à la fois pour les parents et pour les enfants », il n’y a pas de place non plus
pour le désir de l’autre en tant que sujet. La pulsion de mort transparaît
donc ici principalement par le biais de la relation d’emprise où « l’enfant
est aliénée dans le désir de l’autre, le mettant en position d’objet absolu »,
et de non-vie.
Violence maternelle
Abordons à présent la violence maternelle, où plus précisément ce qui
fait violence dans le lien mère-fille. La violence maternelle s’exprime
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exceptionnellement par des passages à l’acte mais bien plutôt par une atti-
tude de rejet ou de manière lapidaire dans leurs propos, par exemple une
mère après la dénonciation écrira à sa fille : « J’aurais dû t’abandonner à
la naissance car tu n’aurais pas fait le mal que tu faisais à tout le monde ».
Majoritairement on découvre des grossesses non désirées parfois avec
un amant de passage dont l’identité est secrètement gardée et lors de la
naissance, un désintérêt de l’enfant surgit. Il s’exprime dans le discours des
mères et surtout dans celui des victimes un lien violent et mortifère extrê-
mement prégnant, principalement en matière de viol. L’enfant victime
d’inceste subit fréquemment et primitivement un rejet massif de son être.
Quelque chose de mortifère émane à travers le rejet maternel primaire.
L’amour maternel fait et fit défaut sur au moins deux générations. La
transmission d’une telle violence, s’originerait dans un processus de
retournement ou d’identification à l’agresseur. Mélanie Klein l’exprime
ainsi : « Les désirs inconscients de mort que la petite fille éprouvait pour
sa mère sont reportés sur son propre enfant lorsqu’elle devient mère ».
Julien Bigras va plus loin en disant que l’attitude maternelle porte
atteinte directement à l’être féminin. « La plupart du temps le sexe même
de ces petites filles a d’emblée été disqualifié [...] la petite fille est donc
porteuse d’un vide au départ ».
Julien Bigras pointe la désertion maternelle comme facteur favorisant
l’inceste : « l’inceste en creux » tel qu’il le définit. La mère creuse par ses
absences et son comportement de rejet, un espace vide (creux) où l’abu-
seur pervers s’engouffrera. La quête des victimes se résumerait en un peu
d’amour et de tendresse, afin de panser et compenser les blessures mater-
nelles. La confusion de langues entre l’enfant et l’adulte pour reprendre
les propos de Ferenczi, c’est-à-dire la confusion que fait l’adulte entre la
demande de l’enfant et la réponse qu’il y apporte, se pose lorsque l’enfant
a affaire à un pervers lui restituant en acte ce qui demanderait à être réta-
bli par la parole.
L’autre forme de violence que ressent l’enfant c’est lorsqu’il confie à sa
mère les faits incestueux, dans une demande de protection et qu’en retour
le discours maternel fait écho à la violence de l’abuseur. Nous savons, que
l’acte incestueux se réalise dans la majorité des cas lors des absences mater-
nelles. Néanmoins, quand ce tiers représentant l’interdit par sa présence
se trouve éloigné de la scène incestueuse, cela n’évince pas une suspicion
ou une connaissance des faits. Les modes de défenses sont variables : le
doute, le déni, la dénégation, ou plus encore la complicité passive et
quelques rares fois active.
À l’opposé des mères protégeant leur enfant, se profilent celles dont
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mère qui pousse des hauts cris : “vous allez me la casser”, il me rentre
dedans ». Lorsqu’il y a de la parole c’est toujours sous l’angle de l’humi-
liation où « il éprouve un vif plaisir ».
Marie nous dit que dans la famille on explique ce lien du fait qu’ils ont
« le même caractère », quant à Marie, elle nous déclare : « C’est parce que
je suis amoureuse de mon frère que je suis devenue homosexuelle ».
Cependant aux vues des autres entretiens, il semble que le lien soit plus
du côté de l’oralité que d’un amour œdipien.
Les parents de Marie sont décrits comme absents tant physiquement
que psychiquement. Son père devient présent depuis sa maladie, bien
qu’un lapsus du côté de Marie et surtout du côté de sa mère persiste
« quand mon père est mort » où il s’installe comme le « cinquième
enfant » de la famille en appelant sa femme « maman ». Lors d’une
conversation en tête à tête, vers 18 ans, Marie découvre son père et ne fait
plus le lapsus, mais elle s’aperçoit que la relation change et que son père
s’est pris d’un besoin de lui parler et d’être materné par elle. Tout simple-
ment parce qu’elle a su l’écouter un jour.
Le lien à la mère est bien sûr très particulier et ne semble exister pour
Marie que lorsqu’elle est malade : « Pendant ce temps mes parents s’occu-
paient de moi ». Par rapport à l’anorexie elle dit ceci : « Là, elle a été
géniale parce qu’il n’y avait pas vraiment de contact au niveau des paroles
mais elle a fait attention pendant 2/3 mois le temps que je mange nor-
malement puis après c’est redevenu… », concernant son genou plâtré
« ma mère s’est occupée de moi pendant trois mois même plus longtemps
après car j’ai mis du temps à marcher seule trois mois pour marcher cor-
rectement et six mois pour marcher sans béquilles. Tout mon temps, je le
passais à la maison puis ma mère s’est appuyée sur moi aussi parce que
bon elle sentait que j’étais plus mûre par rapport à ce qui se passait dans
la famille donc on discutait énormément de sa jeunesse à elle de ce qu’elle
vivait avec mon père. Ca s’est étalé sur deux ans… si je me couchais à 1
ou 2 heures du matin c’est parce que j’avais discuté (ou plutôt écouté)
trois ou quatre heures avec ma mère, elle ne se rendait pas compte que
j’étais fatiguée le lendemain à l’école ».
Sinon Marie reproche à sa mère de ne pas avoir su l’aimer, elle lui écri-
vit des lettres d’injure aussitôt détruite « c’était pas ma mère parce qu’on
se parlait pas qu’on avait rien à se dire et que l’on vivait l’une collé à
l’autre, l’une à côté de l’autre sans se voir ».
Marie préfère conserver le secret de l’inceste : « Parce que c’est mieux
comme ça, ma mère est trop fragile elle se sentirait mal dans son rôle de
mère ça impliquerait trop de choses, c’est dire à ma mère toi tu as pas vu
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tu as pas été une bonne mère tu as pas fait attention et à mon père c’est
pareil : t’as pas été assez présent t’as pas fait attention à ce qui se passait
sous ton toit… c’est vrai mais en même temps, vu l’état où ils sont autant
l’un que l’autre ça ferait une bombe bon je préfère la faire sauter ailleurs
même si quelque part j’ai du ressentiment vis-à-vis de mes parents parce
que justement ils n’ont pas joué leur rôle de parents ».
Dans ses relations au quotidien, Marie dit « je me perds dans les gens »,
se trouvant dans l’impossibilité d’exprimer son désir se fondant plutôt
dans celui de l’autre, elle ne sait pas dire non, cela la renvoie à la scène
incestueuse : « Quelque part je l’ai voulu en ne disant pas non ainsi l’autre
n’a senti aucune résistance », cet autre sera ensuite référé à tous ses objets
sexuels.
L’une de ses premières relations avec un homme nous est ainsi décrite :
« Je jouais avec ce garçon, je ne voyais pas d’avenir avec lui jamais je pou-
vais imaginer que je pouvais avoir des enfants avec lui…. je ne pouvais
pas, peut-être aussi par rapport à la cellule familiale comme elle fonction-
nait j’avais peut-être pas envie que ça recommence… je me vois pas mère
non plus je pouvais pas m’imaginer tout ça. » Puis elle instaura un système
de séduction et lorsque les hommes succombaient elle prenait alors un
plaisir sadique à les humilier : « À chaque fois que j’avais une relation avec
un homme cela me rappelait un certain scénario déjà ancien qu’à la
rigueur je mettais moi-même en scène ». Dans ses relations avec les
femmes, cela semble être également très compliqué. Marie ne supportant
pas d’être aimée : « Je me sens indigne d’être aimée », elle entre dans des
scenarii destructeurs et revit dans l’intimité de ses liens la relation inces-
tueuse « ce n’est pas elle que j’avais en face de moi ». Elle en arrive à la
conclusion suivante : « Je pensais qu’avec les femmes ce serait différent,
aujourd’hui ni l’un ni l’autre ne me convient ».
Au terme de cet exposé, nous pouvons constater à quel point l’absence
d’interdit de l’inceste faisant défaut chez chacun des membres d’une
même famille fait naître une violence dont l’acte incestueux apparaît
comme une forme parmi d’autres.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Un enfant à séduire
Philippe Gutton
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trice : à juste titre. Mais insistons sur le fait que son point d’impact essen-
tiel est sur le fonctionnement psychique des parents et les liens avec l’en-
fant, avant de devenir une problématique de l’enfant lui-même. Le trau-
matisme est un dérapage reflétant la méconnaissance de l’écart que nous
travaillons (forclusion de la fonction tierce et enfermement répétitif
duel) : c’est l’abus génital, la transgression. Si l’irruption génitale envahit
de façon trop rapide et trop large, la vie psychique infantile, la puberté est
considérée (S. Ferenczi) à juste titre, comme, traumatique. Toutes les cir-
constances majorant la violence sexuée accentuent le choc : à titre
d’exemple, la clinique de l’inceste.
Corollaire est la clinique du refusement (J. Laplanche) de la génitalité
séductrice, qu’il s’agisse d’un refoulement ou plus souvent d’un déni. Je
rappellerais que les adolescents très perturbés se situent dans cette
topique : l’effacement de la génitalité, autrement formulé, l’échec de l’auto
séduction adolescente. Le corps génital demeure alors dans la position d’un
objet extérieur, séducteur et persécuteur. Nous voyons dans cette situa-
tion, la cause de bien des suicides, sur le modèle : « Je veux me débarras-
ser de mon corps (génital), afin de survivre ». Ces adolescents vivent sous
contrainte ou sous menace d’abus. J’utilise volontiers le concept freudien
de clivage du moi, pour définir cette pathologie ; de façon plus précise, il
y est question d’une clinique de la limite (pathologie limite) entre une
intériorité s’accrochant à l’infantile et une extériorité génitale refusée. On
comprend que les noms donnés à cette clinique soient ceux de « cassure
d’histoire » ou de « panne des identifications » traduisant le terme anglais
de breackdown (M. Laufer).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. GUTTON (P) : Le Pubertaire, Paris, éd. PUF, 1991 ; Adolescens, Paris, éd. PUF, 1996 ;
Psychothérapie et adolescence, Paris, éd. PUF, 2000.
2. LAPLANCHE (J.) : Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, éd. PUF, 1980.
3. FREUD (S.) : Trois essais sur la théorie de la sexualité, 1905, Paris, éd. Gallimard Folio,
1986.
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CONTEXTUALITÉ CULTURELLE
ET TRAUMATISME SEXUEL
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été pris à partie par des miliciens… Après de longs silences elle nous dit
qu’ils ont essayé de la violer, mais rajoute aussitôt qu’ils n’y sont pas par-
venus, qu’elle a réussi à s’échapper…
Une avocate de l’association avocats sans frontières (ASF), qui plaidait
dans les procès du génocide et qui a travaillé avec nous sur l’articulation
entre justice et traumatisme psychique nous a rapporté que très peu de
femmes rwandaises portaient plainte pour viol.
Et pourtant la loi organique de 1996, élaborée afin d’établir une jus-
tice et un tribunal d’exception pour le génocide rwandais, prévoit le viol
comme crime, passible de peines très lourdes…
Probablement la plupart des victimes ont été assassinées ensuite… mais
cela n’explique pas tout… il y a sûrement eu des rescapées, comme cette femme
qui a accepté de témoigner… Elle était « protégée » par un petit chef des
milices interhamwe qui la cachait dans son grenier le jour et abusait d’elle
toutes les nuits en échange de la vie… Ce milicien était le même qui avait
massacré toute sa famille, ses proches, son mari, ses enfants… Comment réus-
sir à dire cela ? comment vivre avec le poids de cette culpabilité, de cette fai-
blesse ressentie : « Je devrais être morte, avec mes proches, je me suis prostituée
pour survivre… »
D’autre part, les femmes et les adolescentes au Rwanda, du fait du
poids de la tradition, ne sont généralement pas encouragées à révéler
qu’elles ont été violées ou à parler ouvertement de leur expérience. Il faut
rappeler ici à nouveau, que la coutume impose aux Rwandais la retenue
en toute chose, et surtout à ne pas exposer ses sentiments, ses émotions
devant des étrangers, en public… il est bon de souffrir en silence, et de
garder pour soi, dans la fierté et la noblesse, umupfura. Mais aucune cul-
ture ne peut prévoir une telle tragédie… La tradition, adaptée au contexte
culturel d’un pays rude et fier, ayant échappé jusqu’aux portes du XXe
siècle à la colonisation et à l’esclavage, peut devenir alors inadaptée,
débordée, imposant un lien social mortifère…
Que penser, en outre, de cette autre tradition, rapportée par les ins-
tituteurs rwandais, lorsque nous débattions de l’implication de la cul-
ture à la fois dans l’histoire du génocide et dans ses possibilités de réso-
lution : autrefois, une jeune fille enceinte avant que d’être mariée, selon
les lois de la communauté, devait être jetée dans la rivière pour y être
noyée…
La religion chrétienne est passée par là, le terrible châtiment a été sup-
primé, mais probablement pas la « faute » d’être « fille-mère », la honte
d’avoir été violée et la possibilité d’un rejet communautaire.
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Que penser enfin de ce taux de SIDA très élevé, plus élevé que la
moyenne, chez les jeunes filles de 12 à 17 ans en milieu rural ?
. L’histoire de Mado ou le « double indicible »
Mado est une jeune fille de 20 ans, elle avait 16 ans lors des événements.
Ses parents ont été tués peu après le génocide, lors d’une rafle de repré-
sailles dans une commune de la préfecture de Butare faite par des mili-
taires. Ils ont rassemblé les villageois d’une même commune sous le pré-
texte de leur donner une carte d’identité. Mado s’est méfiée et à refuser
d’y aller. Elle s’est cachée dans la forêt avoisinante et a vu toute la scène.
Lorsque les militaires ont commencé à tuer les gens, elle s’est enfuie. Ses
parents et ses trois frères ont été tués.
Elle a réussi à échapper à la vigilance des soldats rwandais et à se réfu-
gier dans la zone turquoise où elle a été recueillie par les soldats français
qui l’ont amenée dans un orphelinat de Gikongoro. Elle y est restée
quelques mois.
Lors du retrait des troupes françaises elle a refusé de fuir au Zaïre, pen-
sant que ses ennuis étaient terminés. L’orphelinat a fermé, elle est allée
dans un autre orphelinat à Butare. Après avoir trouvé une aide pour payer
ses études elle est sortie de l’orphelinat pour aller vivre dans de la famille
éloignée à Butare.
Elle avait alors 17 ans. Lors d’une visite à une amie, elle a rencontré
dans la rue des militaires qui ont tué ses parents et qui l’ont reconnue. Ces
militaires l’ont alors arrêtée et amenée dans une prison de leur camp. Là,
elle a été torturée et violée à plusieurs reprises. Les soldats, elle ne sait pas
pourquoi, ont fini par la relâcher.
Après quelque temps, Mado s’est rendu compte qu’elle était enceinte.
Elle n’a pas pu aller dans un centre où l’on pratique l’avortement des
femmes violées pendant le génocide, car elle n’osait pas dire qu’elle avait
été violée par des soldats… La grossesse est donc arrivée à son terme et elle
a accouché d’un garçon qu’elle a abandonné à des sœurs, dans un orphe-
linat, à la naissance.
Elle a alors été recueillie par des connaissances à qui elle disait toujours
qu’elle était orpheline du génocide. Elle a continué ses études jusqu’à la
sixième année de secondaire, mais elle a dû arrêter car plusieurs fois à nou-
veau, les militaires l’ont arrêtée, la reconnaissant, l’accusant d’être dange-
reuse et d’être un informateur des droits de l’homme. Ils l’ont battue mais
pas violée.
Mado vit maintenant dans la peur d’être à nouveau arrêtée ou tuée,
chez différents amis qui ne connaissent pas sa situation et pense seulement
qu’elle est orpheline avec des difficultés financières.
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Une femme aura, comme nous l’avons déjà dit plus haut, certainement
du mal à parler du viol qu’elle a subi, devant un homme, a fortiori deux
hommes dont l’un est Rwandais (l’interprète). On peut, au moins dans
un premier temps passer par une médiation (interprète femme ou
membre d’une association de femme), qui peut être individuelle (1er
entretien avec une femme dont on pense qu’elle a pu être victime d’un
viol) ou collective (sensibilisation d’un groupe de femmes par une asso-
ciation de femmes victimes par exemple).
Cette démarche a pour but d’amener ces femmes à témoigner et se
porter partie civile pour obtenir réparation, mais aussi et surtout de les
soulager de cette charge psychologique et sociale que le mot « honte »
résume bien.
L’avocat devient alors le maillon d’une chaîne de soutien aux victimes.
Il pourra et devra orienter la personne qui témoigne vers des services de
soutien psychologiques, sociaux et médicaux. De la même manière, le
psychologue, s’il est le premier intervenant de la chaîne proposera à la vic-
time de porter plainte, sachant comme la justice peut être un facteur de
résolution du traumatisme.
Approcher les victimes avec humanité et compréhension, leur per-
mettre d’accéder à un soutien psychologique et à une action en justice, au
Rwanda comme en France ou ailleurs, semble être une des voies d’accès
vers une réparation, une réhumanisation…
Ce n’est peut-être pas la seule… Je pense à cette jeune fille, violée pen-
dant le génocide, qui a demandé un nouveau baptême, un rite purifica-
teur qui lui a permis de retrouver une nouvelle virginité symbolique
reconnue et acceptée par sa communauté…
Quelle que soit la culture, l’important n’est-il pas ce passage de la
honte, du rejet, de la « non reconnaissance » à un statut de « victime »
reconnue, entendue, puis réintégrée dans sa communauté en tant que
« sujet » ?
Quant à la réparation, le mouvement d’appui aux victimes de vio-
lences (M’AP VIV) en Haïti, avec le soutien de l’ONU et de MDM,
préconise une « discrimination positive ou du moins de préséance rai-
sonnable aux femmes victimes de viol. La reconnaissance collective des
violations et sévices endurés dans des situations précises devra pouvoir
remplacer les introuvables éléments de preuves qu’une acception étroite
du droit criminel exige trop souvent (témoins oculaires, certificats
médicaux, etc.) ».
Et que penser de cette femme rwandaise, à qui l’assassin de son mari a
demandé pardon et qui vient lui apporter de la nourriture chaque semaine
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Émissaire de violence
et survictimisation
Jean-Pierre Martineau
Dépositaire/émissaire
Qui ne s’est pas un jour étonné qu’une personnalité du monde des arts,
des lettres, des sciences, du sport…, renommée pour la maîtrise de sa spé-
cialité, quitte le champ de sa compétence pour endosser la charge d’émis-
saire public. Tribut de la renommée, idéal grandiose, découverte d’un
autre plan de vie, cette fonction d’émissaire constitue une forme d’enga-
gement bien différente de la charge de dirigeant politique, de conseiller
du prince, de commissaire ou d’ambassadeur. L’émissaire est un envoyé
spécial, mais non officiel qui conserve une liberté d’appréciation – dire ou
ne pas dire – et peut exercer une ingérence plus ou moins discrète. Il ne
peut être assimilé à un simple porteur de messages, à un chargé de la pro-
pagande ni à un créateur d’événements. Pas plus que cette autre fonction
en cours de configuration : la médiation, l’émissaire n’est pas assimilable
aux principaux métiers de la communication (journalisme, attaché de
presse, chargé des relations publiques). Émissaire et médiateur sont pré-
posés à « l’intelligence » du risque et du passage, discipline sous l’égide
d’Hermès, plus soucieux de transmission que de communication.
Étymologiquement (emissarius, traduction du grec apopompaios) le
mot émissaire désigne outre l’agent chargé d’une mission secrète, une voie
d’évacuation, mais aussi « celui qui écarte les fléaux ». Ceci faisant réfé-
rence au mot hébreu et au rite du Lévitique selon lequel chaque année la
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Registres d’accréditation
La conversion dépositaire/émissaire est régie par des principes écrits et
non écrits, codifiés ou affaire de discernement, sous obédience institu-
tionnelle ou pas, culturellement façonnés et structurants de l’humain.
Dans l’accomplissement du service des victimes quatre registres d’accrédi-
tation peuvent être distingués.
Registre opératoire : les procédés et les compétences qui déterminent
une qualification, une habileté d’exécution, un niveau de connaissance,
une garantie de moyens. L’ensemble définissant un métier et les
défaillances consistant en erreurs.
Registre professionnel : l’appartenance à une communauté définie par
des usages et des règlements répertoriés, par exemple dans un code de
déontologie qui définit ce « qu’il faut faire » éventuellement contre les sol-
licitations du public demandeur de résolutions magiques ou de maîtrise
technologique des problèmes humains. Les connaissances scientifiques et
l’habileté ne préservent pas des manquements moraux aux règles de collé-
gialeté ni au respect des personnes. La passion épistémophilique (voir,
savoir, montrer) et le désir d’emprise (de maîtrise totale et d’éradication
de l’inconnu) rencontrent là les premières limites. Ce registre d’équilibre
entre ce que l’on sait ou pourrait faire et ce qui se fait ou ce qui est juste
permet d’établir la responsabilité professionnelle et l’échelle des fautes.
Registre légal et civique : le respect du droit et l’observance des règles
de civilité (des devoirs) vont déterminer des degrés de culpabilité en fonc-
tion de la gravité des infractions, délits ou crimes, mais aussi des variations
du sentiment de responsabilité et de la conscience morale. La citoyenneté,
le devoir politique exigent plus que de l’innocence pour gagner la
confiance (fidélité, probité, intégrité, loyauté) et dénoncer la malhonnê-
teté, la lâcheté, la perversité et autres disqualifications qui peuvent échap-
per à la compétence du législateur et à ses exécutants.
Registre éthique : au-delà des valeurs de la Cité et de celles qui sont
ancrées et véhiculées dans la culture, l’éthos humanitaire dépasse les exi-
gences du démos comme de ses édiles. Le devoir de désobéissance, le
dévouement, l’impératif qui obligent de « se tenir » et de « s’excepter »
répondent à l’appel d’un « Tout-Autre » (E. Lévinas), d’une altérité radi-
cale qui porte au sacrifice de soi (cf. Antigone), à moins que ce ne soit la
fidélité à une utopie réalisable (principe d’espérance) ou à la défense de
l’Humain quand celui-ci refuse d’être réduit à l’animal qu’il est aussi et au
milieu dont il est aussi pour mettre à l’épreuve cette « capacité à entrer
dans la composition et le devenir de quelques vérités éternelles » (A.
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Éthique
L’accréditation d’un émissaire ou de sa publication mobilise ces quatre
registres, elle ne se réduit pas à satisfaire des critères scientifiques, esthé-
tiques, politiques selon le propos de l’émission. Encore ne faut-il pas
confondre les genres : heuristique, émotionnel, décisionnel…
Par delà les façonnages sociaux mais en reconnaissant un progrès en
matière de souci des victimes et de réhabilitation des boucs émissaires
injustement sacrifiés par la violence mimétique et ses mythes (R. Girard,
1999), on peut retenir les critères universels suivants :
. « Servir ou se servir » (tant de la victime que du public).
. Ne pas confondre l’exhibition du mal, l’autopsie du pire, l’exérèse de
l’effroi, le « forçage de l’innommable » (A. Badiou), c’est-à-dire la défigu-
ration avec le souci de la contextualisation, la symbolisation, l’historiali-
sation, c’est-à-dire la figuration, encore moins le simulacre (« être le fidèle
terrorisant d’un faux événement », ibid.) avec la métaphorisation, la fic-
tion qui augurent d’une transfiguration.
. « Ne pas céder sur une vérité au nom de son intérêt » (ibid.), du
confort ou de l’enflure de soi. C’est-à-dire par complaisance, infatuation,
trahir l’événement et les protagonistes qui dérangent les plans.
. « Ne pas se porter aux extrêmes de la Totalité » (ibid.), croire que la
vérité est Toute et toujours bonne à dire, partout.
Le public : cité-masse
Les cliniciens sont assez bien formés à faire preuve de réserve et d’effa-
cement dans leurs communications motivées par l’analyse collégiale d’un
cas à des fins diagnostique, thérapeutique, de formation ou de recherche.
Encore ne faut-il pas confondre les anecdotes, le cabinet des curiosités, les
collections de vignettes, les scènes dramatiques avec un travail du cas.
Celui-ci n’est pas réductible à une simple notation, à un cliché, à une
pièce fut-elle à conviction et « l’énigme du cas » ne se dissout pas dans une
démonstration théorique, dans une affirmation dogmatique ni dans une
mise en scène flamboyante. On se méfiera tout autant des révélations
spectaculaires déplacées quand elles ne concernent pas le champ des com-
pétences du public, ses possibilités d’analyse et d’action. Cela peut dériver
en distraction, au pire en épreuve à sensation. Il ne s’agit pas tant de
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La maladresse
L’émissaire ne se contente pas de lâcher, de lancer une information, de
jouer les « circulateurs » (P. Nemo) à perte de vue ; il garde en vue l’adresse
de ses destinataires (dêmos) sous peine de voir l’éveilleur de l’accomplisse-
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Bouc émissaire
Les victimes émissaires sont exposées au sacrifice sinon par leurs
groupes d’appartenance (famille, voisinage, monde du travail…) de toute
façon par le groupe large (Establishment ou foule capricieuse et ses straté-
gies défensives contre la peur (C. Dejours) : la loi du silence, la banalisa-
tion du mal (H. Arendt), la normopathie, la soumission entretenue par
l’ignorance, par la distorsion communicationnelle, l’intimidation, le pri-
mat de la virilité (C. Dejours, 1998). Il revient aux émissaires de ces vic-
times (cliniciens, juristes, chercheurs…) de ne pas confondre leur mandat
social ni avec celui des journalistes ni avec celui des auteurs tragiques. On
notera que l’étymologie de ce mot (tragos : bouc, ôidê : chant) fait réfé-
rence au « bouc » sans doute parce que les représentations tragiques
étaient accompagnées du sacrifice de cet animal ; certainement parce que
la tragédie est la forme mythopoétique de la victimologie (de sa version
muthos et non logos). La promotion scientifique – religieuse ou citoyenne
– de cette « transdiscipline » est culturellement ordonnée pour R. Girard
par le message biblique, évangélique et la révélation d’un dieu des vic-
times. Cette thèse souligne que le souci des victimes (leur droit à la pré-
somption d’innocence ; « la fin des fermetures victimaires », c’est-à-dire le
desserrement des clôtures culturelles ou politiques qui justifient et cou-
vrent nombre de victimations ; le devoir d’ingérence) coïncide avec la pre-
mière culture vraiment planétaire. S’oppose au mimétisme du marché, de
la médiatisation et du technico-scientifique, le « savoir subversif des boucs
émissaires injustement condamnés » (ibid.). Ce savoir a grand besoin
d’émissaires aux conditions que j’ai exposées pour renseigner notre
connaissance des formes ancestrales – toujours vivaces – et modernes de
l’oppression et de la persécution sur lesquelles sont encore fondées
nombre de nos organisations.
La création d’un tribunal pénal international, le refus d’amnistier les
crimes contre l’humanité, le droit d’inventaire, les actes de repentance, le
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La reliance
La recherche de la reliance sociale trouve dans le témoignage médiatisé
des victimes sur un mode dysphorique la possibilité de communier dans
une expérience émotionnelle plus large que par la recherche de stimula-
tion clanique. Sur un mode euphorique, les spectacles sportifs, artis-
tiques… répondent à cette recherche de participation universelle à la célé-
bration du vivant. La vague d’acclamation – la ola – figure l’acmé de cette
élation. Sur un mode de recueillement les célébrations religieuses ou
laïques répondent elles aussi à cette recherche du Sacré pour refonder
l’« être ensemble » (M. Maffesoli, 1997) voit dans cette valorisation du
sensible une manifestation de « l’éthique de l’esthétique ». Cet « éprouver
en commun », l’ambiance contactuelle, haptique, constituent
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un Lebenswelt capable d’infiltrer les sociétés éclatées mais qui sont suscep-
tibles par contagion émotionnelle de pallier : l’inquiétude de l’avenir, la
décomposition de la religion du progrès, la vulnérabilité aux risques. Les
messes médiatiques mobilisent les donateurs de fond et nombre de béné-
voles mais le problème des sans papiers reste non résolu, la misère sexuelle
des populations en situation de précarité est peu considérée, les mutila-
tions sexuelles, l’incestualité, la prostitution sont tenues au secret. Plus
que la consternation fascinée, plus que les épisodes compassionnels pro-
voqués par les émissions hypermédiatisées c’est « la mise en scène de la vie
quotidienne » (E. Goffman, 1973) qu’il faut interroger. Les campagnes de
proximité, le travail d’accompagnement en réseau et en groupe restreint
(groupes de parole, médiation sociale, service d’écoute, aide au signale-
ment des personnes en danger), la formation des personnes ressources
devraient être soutenus. Ce sont ces premiers dépositaires – émissaires des
victimes de la domination sectaire et sexiste qui ont besoin de soutien
pour faire évoluer leur fonction phorique en : transport-transfert-trans-
faire, pour considérer leur souffrance subjective liée à l’action et qu’ils ne
deviennent pas victimes de leur service.
Le paraclet (celui qu’on appelle au secours) sait bien que l’éthique ne
dispense pas de la responsabilité politique et que « l’aesthésie » ne tient pas
lieu de praxis. Il nous reste que l’espérance conservée au fond de la jarre
de Pandore est toujours à portée d’homme.
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notamment aux Tuamotu et aux Marquises. Dans les autres classes, les
femmes étaient considérées comme impures dans certains domaines.
Exclues des “marae, elles ne mangeaient à l’écart, que des nourritures de
qualité inférieure” ».
Aujourd’hui, la femme polynésienne repose sur deux clichés : la
vahine et la mama. Ce mythe a considérablement joué en défaveur des
femmes qui les cantonnait le plus souvent dans leur image de femme-
objet sexuel pour ce qui concerne la vahine et dans leur fonction de
génitrice pour la mama. Pourtant, elles s’impliquent très largement dans
la vie associative, surtout religieuse qu’elles considèrent comme fonda-
mentales pour leur vie. Le maintien de ce lien communautaire entre
elles favorise l’échange et la solidarité et pour les îles éloignées de Tahiti,
le maintien des populations.
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La commotion psychique
Mareike Wolf
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L’interprétation des rêves : le rêve reprend les restes diurnes. Les restes
du jour sont ici à entendre comme des « restes de vie ». Ils sont éclairés
avec « une précision et une acuité presque inégalée ». C’est ce retour-là qui
constitue la véritable « fonction du rêve » dans la névrose traumatique.
Ces restes de la vie sont équivalents des symptômes de répétition de trau-
matismes. Cette fonction du rêve possède une vertu auto thérapeutique :
« Elle va conduire le traumatisme à une résolution si possible définitive,
meilleure que cela n’avait été possible au cours de l’événement originaire
commotionnant ».
La formulation de Freud selon laquelle « le rêve est l’accomplissement
du désir » devient ici : « Tout rêve, même le plus déplaisant, est une ten-
tative d’amener des événements traumatiques à une résolution et à une
maîtrise psychique meilleure ».
Rerenczi ne considère pas, dans le cas de la névrose traumatique, le
retour des « restes » du jour ou de vie comme un produit mécanique
obéissant au mécanisme de la répétition, mais il lui confère une qualité
psychologique et thérapeutique. Dans ce sens, les rêves d’angoisse et les
cauchemars correspondent à « l’amorce dans le travail de déplacement
partiellement accompli ». Comme, de toute façon, il s’agit des « impres-
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sions psychiques » qui n’ont jamais été conscients, les conditions du som-
meil et du rêve sont la seule occasion pour permettre leur émergence.
Autrement dit : l’état d’inconscience favorise « le retour d’impressions
sensibles traumatiques, non résolues, qui aspirent à la résolution (fonction
traumatolytique du rêve) ». Il revient à la succession des rêves d’exercer
une série de défenses pour écarter la commotion psychique : « Le premier
rêve est une répétition pure ; le deuxième est une tentative d’en venir à
bout seul, d’une façon ou d’une autre, et cela à l’aide d’atténuations et de
distorsions, c’est-à-dire sous forme falsifiée. Donc, à la condition d’une
falsification optimiste, le traumatisme sera admis à la conscience ».
Les techniques de relaxation accentuent différemment le transfert et
l’interprétation des rêves. Ceux-ci risquent d’être trop violents. Les rêves
gravitent autour d’un petit nombre d’événements commotionnants de
l’enfance. D’une part, les patients confondent la situation de transfert
avec une relation réelle et durable. Les séances se terminent tantôt avec
une conviction de compréhension profonde, tantôt avec une perte de
toute conviction. De telles alternances ont un effet néfaste sur la vie psy-
chique. Le patient se sent trahi et augmente sa résistance. L’agressivité qui
monte est inhibée et aboutit à un état proche de la paralysie. Il se décrit
comme étant mort ou mourant.
Ces réactions correspondent à la cassure ou au déchirement
(Zerreissung) qui a eu lieu lors de l’événement traumatique. Ce sont des
processus analogues au refoulement. La régression qui opère au cours de
l’analyse risque justement de produire une « immersion complète dans le
passé traumatique ».
La conséquence : de la simple « déchirure » au moment des faits, le
patient passe à « l’auto-déchirure » (Selbstzerreissung) où la relation d’ob-
jet est devenue impossible et se transforme en relation narcissique. Ainsi,
il devient son propre « ange gardien ». Le poids de l’échec de cette fonc-
tion provoque des impulsions de suicide.
Pour terminer, je présente deux patients étant victimes de trauma-
tismes sexuels dans leur enfance de la part d’un autre enfant. C’est une
situation que décrit également M. Klein, ainsi que l’issue sado-maso-
chiste. Je m’intéresse au lien entre le traumatisme sexuel et son devenir
sous l’aspect de la reconstruction du traumatisme et le changement du
comportement déviant (pervers).
Le matériel clinique montre que l’agresseur sexuel a été, en général,
victime d’agressions sexuelles à son tour. Il semble y avoir un cercle
vicieux. La prévention du traumatisme sexuel doit s’adresser aussi bien à
l’enfant qu’à l’adulte. car la victime d’aujourd’hui risque d’être le bourreau
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palier. Celle-ci lui fait part de ce qu’elle a observé chez ses parents. Il s’agit
de toutes sortes de positions qu’elle a manifestement envie de répéter.
Ensemble, ils vont faire comme les parents : le patient, motivé par la las-
situde que lui inspire la succession de naissances dans sa fratrie (dont il se
sent exclu), et la file par les jeux sexuels des parents (dont elle se sent éga-
lement exclue). C’est un terrain d’entente idéal. À la découverte de ces
deux amants, la famille de la fille a déménagé de façon soudaine.
La narration du patient comporte la particularité suivante : quand il
parle des événements passés, c’est lui qui suit les consignes de sa parte-
naire. C’est-à-dire, il est celui qui est séduit. Tandis que, quand il en parle
en prenant la distance, c’est lui qui mène le jeu.
Justement, sa façon de mener le jeu perturbe sérieusement ses relations
actuelles. À présent, il ne peut envisager l’activité sexuelle sous d’autres
formes que d’imposition de scénario sado-masochiste. Il semble perpé-
tuellement devoir se réaffirmer dans une position active. La position pas-
sive revient dans le renversement masochiste qu’implique la position
dominante. Ses partenaires finissent par se lasser et de l’accuser d’être
malade et pervers. C’est de justesse qu’il échappe à une plainte. D’ailleurs
lui-même, a l’habitude de reprendre ces mots. Mais, c’est pour signifier
que c’est l’autre plutôt que lui (l’autre est malade et pervers, parce qu’elle
ne sait pas assumer « sa » sexualité). Il est évident qu’il n’a nullement envie
de prendre contact avec ses sentiments et ceux des autres. Bref, il évite sa
vie psychique ainsi sue celle de l’autre. Il a une vie sexuelle compulsive. Il
ne supporte pas une objection à ses besoins sexuels. Chaque érection, dans
la journée, doit être menée « à bout ». En dehors de ses jeux sado-maso-
chistes quotidiens, il montre un fonctionnement obsessionnel qui alterne
avec un surinvestissement narcissique (le sport, les produits d’hygiène du
corps). De ce point de vue, il fait preuve d’une solide santé.
Il n’a pas trouvé la motivation nécessaire de changer et il a pris le chan-
gement de son affectation professionnelle comme raison d’arrêter son
analyse.
On voit ici, que la pathologie a été peut-être moins sévère, mais plus
difficile à traiter. Chez ce patient, tout en se rappelant des faits, le trau-
matisme sexuel n’est pas reconnu en tant que tel. Le contre-investissement
et la réaction défensive sont tels que tout son mode de vie est fait pour
écarter la moindre expérience commotionnante. Cependant, il se trouve
dans une surenchère insoutenable. Il suffit de peu pour le contrarier et
surtout il se caractérise par l’impossibilité de prendre une décision.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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KLEIN (M.) : La psychanalyse des enfants, Paris, éd. PUF, 1959.
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Le traumatisme de l’ordinaire
Roland Gori
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bilité. Le sujet rejoint ici par l’acte la part de lui-même qu’il a exclue et
dont paradoxalement il ne peut se séparer, à laquelle il demeure fixé.
L’événement de vie vient ici à la place des restes diurnes d’une mémoire
qui ne peut que s’indiquer dans l’acte faute de pouvoir se dire sous forme
de traces dans le travail du rêve ou du transfert. C’est dans cette monade
intersubjective que le passage à l’acte révèle son sens et sa valeur : le sujet
se fait exclure par ce qui l’a exclu de lui-même, par ce qui l’a mis hors de
lui. Ce en quoi le passage à l’acte est produit par une angoisse de fusion,
de non-séparation. Le sujet consiste alors d’une filiation réelle à son crime
dont il devient tout autant l’auteur que le produit, faute de pouvoir s’ins-
crire dans la lignée du langage et de la parole. Christine Papin refusant de
signer toutes les demandes de pourvoi en cassation ou de grâce présiden-
tielle, énonçait : « À quoi bon ? J’ai tout dit. » L’acte valait signature
ultime.
L’acte est ici une tentative de guérison de la rencontre du sujet avec un
trait ou un événement qui le confronte à son horreur intérieure, à sa jouis-
sance, à, comme le dit Freud : « L’horreur d’une volupté qu’il ignore lui-
même » (1907). Mais à l’inverse du névrosé, l’ignorance du sujet qui passe
à l’acte n’est pas faite de refoulement mais de forclusion. Il exécute litté-
ralement les métaphores.
Ce qui déclenche le passage à l’acte est bien souvent la rencontre du
sujet avec un mot, un nom, un trait signalétique, avec lequel il entretient
un rapport intime d’inquiétante étrangeté. Un mot, un nom, un prénom,
une marque qui se trouve ravalé à la valeur d’un signal, d’une clé qui ouvre
la serrure. L’importance de l’événement déclenchant dépend de sa pure
valeur psychique, bien souvent sans rapport avec sa réalité matérielle.
Il arrive parfois qu’une rémission survienne après un passage à l’acte
criminel. La chose est connue des aliénistes. Mais elle concerne essentiel-
lement des patients psychotiques qui peuvent, un temps au moins, paci-
fier par l’acte leur vie intérieure. L’acte est alors l’équivalent d’une hallu-
cination. Il peut en révéler la structure délirante, la trame mélancolique,
paranoïaque ou schizophrénique. Mais sans entrer dans le détail de la psy-
chopathologie, il advient quelquefois que loin de constituer le terme de
l’horreur, l’acte terrifiant en relance la dynamique. Il y a alors une véri-
table spirale de l’horreur qui s’installe. La terreur relance la terreur. La ter-
reur devient cet événement épouvantail qui donne à voir l’effroi, en deve-
nant un appeau pour détourner ce qui nous menace, ce que nous crai-
gnons et que nous voulons fuir. C’est-à-dire l’affect d’effroi et d’angoisse
qui se dérobe au travail psychique, au travail de liaison des « pensées de
transfert » (Gori, 1993 ; 1996) où il pourrait se déplacer, s’attacher, trou-
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au sens, au sens dans les deux sens du terme. Au sens entendu comme
signification et au sens compris comme sensation, support d’une réalité
tangible et visible dont Freud annonçait prémonitoirement le nécessaire
renoncement dans une lettre à Martha du 23 Juillet 1882 : « Jérusalem est
détruite, mais ma petite Martha et moi vivons et sommes heureux. Et les
historiens disent que si Jérusalem n’avait pas été détruite, nous autres
juifs, aurions disparu comme tant d’autres peuples avant et après nous. Ce
ne fut qu’après la destruction du temple visible que l’invisible édifice du
judaïsme put être construit. » (Correspondance, p. 29-3O, souligné par
moi).
C’est la mise à mort du sensible qui constitue le foyer de la parole et
de la pensée, dans une perte de vue qui conditionne tout autant, comme
le remarque Freud, l’existence de la mémoire que la structure mélanco-
lique du langage.
Au moment de conclure cet exposé au cours duquel j’ai insisté sur l’im-
portance du travail psychique que requiert l’événement traumatique pour
advenir comme trace je souhaiterai attirer votre attention sur l’existence
de ce que j’ai appelé le traumatisme de l’ordinaire.
En effet, nos pratiques cliniques témoignent de l’importance pour nos
événements quotidiens de se voir promus restes diurnes de nos rêves d’en-
fants. Et de l’échec de cette promotion à une création dont le rêve fait
paradigme se déduit pour le psychisme l’effraction du trauma. Or dans
une société et une culture qui incitent les individus à s’adapter à leurs
fonctions, à faire prévaloir l’intérêt pratique et économique sur le désir et
ses fictions, dans une telle « société de fonctionnaires », comme le dit le
philosophe Gadamer, ne sommes-nous pas condamnés à un traumatisme
de l’ordinaire ? Si tel était le cas la délinquance de notre jeunesse révéle-
rait le miroir brisé de nos rêves sous l’impact de « l’Homme-Machine »
(La Mettrie), de « l’homme neuronal » (Changeux), corrélé à une horreur
économique où le sujet se réduit à la virtualité de sa position statistique.
Je prendrai congé avec Khalil Gibran (p. 119) :
La chouette dont les yeux de nuit sont
aveugles le jour ne peut dévoiler le mystère
de la lumière.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Empreinte et trauma
François Pommier
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gros effort ; il lui arrive même assez souvent de ne pas pouvoir redire les
quelques mots qu’elle a prononcés, comme s’ils avaient été dits par quel-
qu’un d’autre et qu’elle ne s’en souvenait pas. Elle dit, d’ailleurs, parfois
qu’elle ne sait plus ce qu’elle vient de dire, comme si tout s’effaçait au fur
et à mesure, ou comme si elle était parlée plus qu’elle ne parlait. Mon sen-
timent, au fil du temps, est que, peu à peu, elle s’efforce, malgré elle, de
parler le plus bas possible et le plus lentement possible pour que je me
perde dans son discours, qu’elle finisse par m’endormir et qu’ainsi la
séance puisse durer le plus longtemps possible.
La séance commence en règle générale de façon très silencieuse. Marie
prend différentes mimiques qui vont d’une expression d’angoisse pro-
fonde au visage de la folle des possédés du Moyen-Âge. Elle semble déjà
se parler à elle-même, se dire un mot ou deux que je ne peux pas entendre.
Puis au moment où surgit un bruit à l’extérieur de mon cabinet, par
exemple la sirène d’une voiture, Marie prend la parole, juste le temps du
bruit en question, de sorte que je n’entends rien de ce qu’elle dit et que,
bien sûr, je suis amené à lui demander de répéter.
Ce qui frappe d’emblée chez Marie, c’est la manière dont elle se per-
çoit : un bourreau vis-à-vis d’elle-même, une folle, quelqu’un qui panique
en toutes circonstances ; elle-même trouve désespérant de mettre tout en
place pour se retrouver seule, pour que ses amis soient le plus distants pos-
sibles et pour que finalement elle panique devant sa propre solitude. La
panique est un mot qui revient très régulièrement dans son discours. Elle
parle de son impossibilité à tuer la bête qui est en elle et en veut, bien sûr,
à son psychanalyste de ne pas l’aider à la tuer. Il lui arrive souvent d’en-
tendre en elle une voix intérieure qui lui dit : « Il faut la mater ». La ques-
tion qu’elle pose et repose en permanence est, donc régulièrement en
séance, celle de savoir si elle continue à venir me voir ou si elle « arrête »
ce travail avec moi qu’elle présente comme une sorte de supplice auquel
elle ne parviendrait pas à échapper et qui, au contraire, chaque jour, la
contraindrait davantage, un peu comme une drogue.
Au moins une semaine sur deux, elle demande pourtant, du bout des
lèvres, une séance hebdomadaire supplémentaire, alors que je la reçois
déjà régulièrement trois fois par semaine. Elle dira de ces séances supplé-
mentaires que je lui accorde régulièrement, et à propos desquelles elle me
dit se sentir coupable, que ce sont des séances de réconfort, de rattrapage
de quelque chose et d’oubli. Elles sont là pour retarder la dernière séance
de la semaine qui, de toute façon, est « fichue », comme elle le souligne
presque à chaque fois.
La période qui précède mes absences, que je prévienne Marie la veille,
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Marie se souvient bien de ses 7 ans, l’époque des femmes enceintes (sa
mère, deux de ses institutrices, la nourrice). Le beau-père parti travailler
au loin pour un mois, elle avait alors bien pensé reconquérir sa mère, mais
ça n’a pas marché. C’est sans doute à partir de cette époque qu’elle a com-
mencé à faire de son père « une espèce de magicien », une sorte de héros,
une branche à laquelle se raccrocher entre une mère qui faisait comme si
de rien n’était et un beau-père qui se refuse à prendre la place du père.
Le père mort devient donc le personnage central du roman familial de
Marie.
Puis celle-ci me fait part, alors que son analyse est déjà bien en cours,
d’un deuxième élément qui va se trouver condensé avec la mort du père.
Il a trait à la toute première grossesse de la mère. Il se passe donc avant la
naissance du premier frère de Marie. Il concerne l’enfant qui aurait dû être
l’aîné.
La mère en est à son 5e mois de grossesse lorsqu’elle apprend que l’en-
fant qu’elle porte est en réalité déjà mort dans son ventre. Elle doit
attendre 15 jours pour accoucher de cet enfant mort-né.
Et puis voilà l’événement qui me conduit à vous parler, aujourd’hui, de
Marie. Il survient alors qu’elle a 8 ans, à la période de sa communion
solennelle et va venir stigmatiser sa problématique. Elle rentre de l’école
quand, trois garçons, un peu plus âgés qu’elle, la bouscule et vont finale-
ment l’obliger à faire une fellation à l’un d’entre eux. Elle rentre chez elle ;
sa mère et son beau-père décident de ne pas porter plainte puisqu’il n’y
aurait pas vraiment eu viol. Elle-même, d’ailleurs, se surprend intérieure-
ment à penser qu’il n’y aurait pas véritablement eu viol, mais qu’elle aurait
pu rechercher le viol en question pour que soit pris en considération et
reconnu à sa juste valeur ce qui lui est arrivé. « Ce que j’ai senti surtout,
me dit-elle, c’est qu’ils ne m’ont pas considéré comme une femme ; j’ai été
ravalée au rang de petite fille chose. » « La seule conséquence a été qu’à
partir de là, ma mère a commencé à manifester sa crainte que je rentre
tard. Quant à moi, c’est seulement à partir de la puberté que j’ai com-
mencé à avoir peur…, peur de l’agression sexuelle en particulier…, et
pour conjurer ma peur, je faisais comme s’il n’y avait pas de danger ; pour
me rassurer j’allais même au-devant du danger. » On voit là, assez claire-
ment la position contra phobique adoptée par Marie et qu’elle retrouve
encore souvent aujourd’hui.
Et puis, Marie finit par rêver de l’épisode traumatique : « Ttrois
oiseaux verticaux et avant la mort de mon père, me rappelle-t-elle, on était
effectivement trois ; quatre oiseaux horizontaux et j’ai eu quatre frères au
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final qui sont, dans ce rêve, représentés couchés ; un oiseau au fond qui
représente mon père. Tous sont très beaux mais inatteignables. Il existe un
décalage entre ce que je visualise et mes sentiments au cours de la scène qui
se déroule. L’un des trois oiseaux indifférenciés qui sont disposés verticale-
ment, pénètre par le capot d’une voiture, la voiture qu’avaient les parents de
Marie autrefois. Il pénètre dans la voiture et n’en ressort pas, dit Marie ». Le
toit est déchiré, mais ils en ressortent, dit-elle aussitôt, montrant par là-
même son ambivalence devant la scène, une scène, en tout cas, très sexuali-
sée ; elle le dit. Puis elle tente de noyer le poisson en disant que les trois
oiseaux verticaux ne seraient pas ceux d’avant la mort du père, mais ceux
qui seraient situés avant la mort du père et du remariage de la mère. Deux
séances plus tard, elle en vient à penser plus clairement que les trois oiseaux
pourraient bien représenter ses trois agresseurs d’autrefois.
Fait suite à ce rêve, un sentiment de colère à propos d’une entrevue un
peu houleuse avec des amis, un sentiment qu’elle rapproche très vite de ce
qu’elle avait dû éprouver lors de l’événement traumatisant.
Puis surgit, quelques mois plus tard, un nouveau rêve associant cette
fois-ci, la fausse couche de la mère et l’agression sexuelle dont Marie fut
l’objet. « Je suis enceinte dans une pièce sans meuble, mais avec un très
beau sol. Je suis accroupie sur le sol (comme un enfant, dira-t-elle). Ma
mère est là, et je lui demande si je peux continuer les travaux, si que je sois
enceinte ne pose pas de problème. Elle me répond que non. Puis, quel-
qu’un donne un grand coup à la porte, me fait très peur. Je me retrouve
dans la cage d’escalier. Je descends et je vois tout à coup un homme en
face de moi. Je suis terrifiée. » Ce rêve lui rappelle aussitôt l’agression
sexuelle. À l’époque, dit-elle, ma mère était enceinte. Elle attendait mon
frère. La nourrice aussi était enceinte. Mais, c’est finalement sur l’enfant
mort qu’associe Marie et sur le fait que, dans ce rêve, elle prend la place
de sa mère pour rejouer l’histoire de l’enfant mort.
Dans l’évolution du travail de Marie, je constate qu’à la faveur du
transfert ; Marie place en regard de l’événement traumatique d’autres élé-
ments plus anciens et qui ont déjà fait l’objet d’une fantasmatisation.
Elle le fait, vous le voyez, grâce au rêve. Elle rêve d’abord de l’épisode
traumatique lui-même, ce qui aboutit à l’expression verbale de la colère au
sujet des circonstances de l’agression. Elle rêve ensuite de l’agression asso-
ciée à la fausse-couche de la mère et prend alors conscience d’une sorte
d’identification à la mère. Fait suite à cela, une opération de désidentifi-
cation à la mère donc de retrouvailles avec la réalité et de remise des fan-
tasmes à leur juste place.
Parallèlement à cela, le transfert qui comme le dit Roland Gori, « opère
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