Quand Le Paranormal Manipule La Science

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reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non
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et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est
illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce
soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles
L. 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

© Presses universitaires de Grenoble, octobre 2014


5, place Robert-Schuman
BP 1549 – 38025 Grenoble cedex 1
[email protected] / www.pug.fr

ISBN 978-2-7061-2198-2 (e-book ePub)


L’ouvrage papier est paru sous la référence ISBN 978-2-7061-2138-8
Serge Larivée

Quand le paranormal
manipule la science
Comment retrouver l’esprit critique

Presses universitaires de Grenoble


La collection Points de vue et débats scientifiques, créée et dirigée par
Pascal Pansu et Alain Somat, traite de thèmes qui, au sein de la
communauté scientifique, font débat et sont sources de polémique.
Sans recourir à des jugements de valeur, les ouvrages de la collection
s’ancrent dans une position critique et alimentent la controverse.

Déjà parus dans la collection
Nicolas Pinsault & Richard Monvoisin., Tout ce que vous n’avez jamais
voulu savoir sur les thérapies manuelles, 2014
Guillaume F., Tiberghien G., Baudouin J.-Y., Le cerveau n’est pas ce
que vous pensez. Images et mirages du cerveau, 2013
Pansu P., Dubois N., Beauvois J.-L., Dis-moi qui te cite et je saurai ce
que tu vaux. Que mesure vraiment la bibliométrie ?, 2013
À mes petits-enfants, Raoul, Ulysse, Élouard, Romy, Félix, Eugène et ceux
à venir. Dans l’espoir que leurs propres petits-enfants considèrent le
contenu de ce livre complètement dépassé parce que l’esprit critique
prévaudra alors sur les pseudosciences.
“I believe in evidence. I believe in observation, measurement, and reasoning,
confirmed by independent observers. I’ll believe anything, no matter how wild
and ridiculous, if there is evidence for it. The wilder and more ridiculous
something is, however, the firmer and more solid the evidence, will have to be.”
Isaac Asimov, scientist and writer (1920-1992)
« Je crois aux faits, je crois à l’observation, à la mesure et au raisonnement
confirmés par des observateurs indépendants. Je suis prêt à croire aux faits
les plus extravagants s’ils sont observables. Cependant, plus une observation
est extravagante et peu commune, plus les preuves de son existence devront
être solides. »
(Traduction libre)
INTRODUCTION

ucun champ de connaissance n’est à l’abri des pseudoscientifiques. Les


A sciences humaines et sociales constituent cependant un terreau
particulièrement fertile pour les charlatans de tout acabit. Plusieurs des
exemples présentés dans cet ouvrage s’arriment par conséquent au domaine de
la psychologie.
L’ouvrage comprend six chapitres. Au cours du premier chapitre, je tenterai
de répondre à deux questions : qu’est-ce que la science et que sont les
pseudosciences ? Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne s’agit pas des
deux côtés d’une même médaille comme le supposent ceux qui relient
l’astronomie et l’astrologie. Le seul point commun entre ces deux approches
réside dans leurs quatre premières lettres lesquelles recoupent également au
Québec une marque de yaourt : Astro. Soyons clairs, science et pseudosciences
ne sont pas les deux côtés de la même médaille. Nous sommes nettement en
présence de deux médailles bien distinctes.
Le deuxième chapitre sera consacré à présenter l’état des lieux quant à la
croyance aux phénomènes paranormaux en France, au Canada et aux États-
Unis. Au cours de ce chapitre, je tenterai de dresser le portrait de la nature des
croyances aux phénomènes paranormaux ainsi que le portrait de ceux qui y
adhèrent. Cette présentation nous conduira, avec les troisième et quatrième
chapitres, aux raisons qui font que les phénomènes paranormaux et les
pseudosciences dans leur ensemble fascinent les humains. J’insisterai alors sur
les facteurs historiques, d’autres reliés à la nature humaine et enfin sur des
facteurs reliés au climat socioculturel et à l’éducation. Pour faire en quelque
sorte écho au premier chapitre, je présenterai dans le cinquième vingt-six
arguments auxquels recourent les tenants des pseudosciences pour justifier leur
approche. Dans le sixième chapitre, je montrerai qu’entre une ouverture béante
de l’esprit et un excès de scepticisme, il y a de la place pour le doute
raisonnable. J’insisterai alors sur le rôle des journalistes et des médias, de l’école
et des parents.
Je m’intéresse au paranormal et aux pseudosciences depuis la fin des années
1990 et ai commis quelques publications sur le sujet. Pour écrire cet ouvrage,
je m’en suis inspiré lorsque cela m’apparaissait pertinent. Les voici de la plus
ancienne à la plus récente : Larivée (1997, 1999, 2001a, 2001b, 2002a,
2002b) ; Larivée et Van Gijseghem (2003) ; Larivée (2004a, 2004b, 2009) ;
Larivée, Fortier et Filiatrault (2009) ; Larivée (2011) ; Larivée et Sénéchal
(2011) ; Larivée et Coulombe (2013) ; Larivée, Sénéchal et Gagné (2013) ;
Larivée, Sénéchal, Miranda et Vaugon (2013).
CHAPITRE 1

L’idéal scientifique :
distinguons science
et pseudosciences

S’entourer du manteau de la science exige qu’on en respecte les règles du jeu, ce


que refusent de faire les défenseurs des pseudosciences. Dans ce chapitre, je
présenterai d’abord trois éléments fondamentaux qui octroient à une approche
un caractère scientifique : les normes de Merton et les mécanismes de
régulation qui y sont rattachés, la notion de paradigme proposée par Kuhn et
le critère de réfutabilité de Popper.

Les normes de Merton


Les comportements normatifs auxquels doit adhérer la communauté
scientifique rappellent aux chercheurs que le but premier de la science est de
développer des connaissances fiables. Le sociologue des sciences Merton (1942,
1968, 1973), et ses disciples (Gourmand & Zuckerman, 1975 ; Zuckerman,
1977) ont brillamment défini ces normes éthiques que les apprentis chercheurs
intériorisent au cours de leur formation, tout en découvrant les étapes de la
démarche scientifique (Woolf, 1981). Ces normes opérationnalisent en
quelque sorte l’idéal du fonctionnement de la science que sont l’universalité
(universalism), le partage de l’information (communality ou communalism), le
scepticisme organisé (organized skepticism) et le désintéressement
(desinterestedness).
– L’universalité stipule que la véracité d’un énoncé scientifique est distincte
des caractéristiques personnelles ou institutionnelles du chercheur. Par
exemple, reconnaître qu’un résultat est significatif à p < 0,01 a la même
signification partout dans le monde et dans toutes les disciplines. Cette norme
fait évidemment appel à l’objectivité et à l’intégrité intellectuelle du chercheur.
– Le partage de l’information implique que tous les résultats de recherche
sont publics et par conséquent disponibles, visibles et accessibles aux fins de
vérification. Le sentiment d’appartenance à la communauté scientifique est
évidemment relié à l’acceptation de cette norme sous réserve de conditions
particulières liées à des contrats de recherche industrielle, objets de brevets
éventuels (Gaglio, 2011).
– Le scepticisme organisé se traduit par l’encouragement institutionnalisé à
critiquer le travail de ses collègues et à douter de ce qui apparaît comme étant
des certitudes ; il s’agit d’un moteur important du progrès scientifique.
D’ailleurs, la communauté scientifique « récompense » ceux qui parviennent à
identifier des failles et des erreurs dans les travaux de collègues. En fait, s’il
fallait qualifier d’un seul mot la première règle du jeu scientifique, ce serait
« vérifier » (Reuchlin, 1992). Le caractère éthique conféré à la critique ouverte
et généralisée permet également de mettre au jour les comportements déviants.
– Le désintéressement présume que le travail du scientifique est guidé par le
désir d’accroître les connaissances et non par le désir d’assouvir des intérêts
personnels ou celui d’obtenir des récompenses. Convenons tout de même que
si les chercheurs sont centrés sur la production de nouvelles connaissances, ils
carburent à la reconnaissance, même si l’humilité est de rigueur en sciences.
À la suite de Merton, Cournand et Zuckerman (1975) ont proposé trois
principes supplémentaires au code de la science : la tolérance envers les idées
nouvelles et les scientifiques dissidents, la reconnaissance publique des erreurs
et la reconnaissance des travaux antérieurs dans le processus de la découverte.
L’intériorisation de l’ensemble de ces normes constitue non seulement un
rempart contre les fraudes et les abus potentiels des pseudoscientifiques, mais
elles sont également perçues comme un idéal pour quiconque veut adhérer à la
communauté scientifique (Larivée & Baruffaldi, 1993).

Les mécanismes de régulation de la science


Si la formation du chercheur assure un contrôle interne implicite des
normes mises de l’avant par Merton, leur maintien est assuré par deux
mécanismes explicites d’autocontrôle totalement ignorés par les
pseudoscientifiques : le contrôle par les pairs et la reproduction des résultats.
Le contrôle par les pairs. Le contrôle par les pairs agit aux deux bouts de la
chaîne de la production scientifique : lors des demandes de subventions de
recherche et lors de la soumission des articles dans les revues spécialisées. On
aura compris ici que l’universalisme, le partage de l’information et le
scepticisme organisé sont des valeurs à l’œuvre chez les évaluateurs dont les
décisions reposent, du moins en théorie, sur leur honnêteté, leur impartialité et
leur ouverture d’esprit. Dans le premier cas, les comités d’experts examinent la
valeur scientifique des projets soumis ; leur pouvoir est d’autant plus important
que leurs verdicts déterminent qui recevra des subventions et qui n’en recevra
pas. Ce premier temps du processus d’évaluation constitue théoriquement un
premier filet de sécurité contre des approches non conformes aux normes.
Dans le second cas, le système des lecteurs arbitres utilisé par les revues
scientifiques consiste à soumettre à des experts du domaine concerné les
articles reçus. Habituellement, ils examinent la qualité scientifique du texte
tant sur le plan théorique que méthodologique, la nouveauté des données
présentées (les résultats représentent-ils un progrès suffisamment important
pour être publiés ?), la prise en compte des travaux antérieurs sur le même
sujet, leurs éventuelles erreurs ou leurs imperfections techniques ou
linguistiques. Plus que l’examen des demandes de fonds, le système des lecteurs
arbitres représente sans conteste le contrôle le plus rigoureux que puisse subir
un article soumis pour publication et, à ce titre, il constitue ipso facto, un
second filet de sécurité essentiel pour vérifier la valeur des résultats présentés et
par ricochet, leur validité. Même si le système d’évaluation par les pairs n’est
pas parfait, on n’en connaît pas de meilleur pour le moment.
Ce contrôle par les pairs force également l’application d’un autre principe
éthique : l’absence d’attachement affectif à ses propres théories et à ses propres
données afin que le chercher puisse se raviser si on lui démontre qu’il se
trompe. L’intériorisation de l’ensemble de ces normes constitue un rempart
contre la fraude ; dans leur poursuite de la vérité, les chercheurs les perçoivent
comme un idéal par ceux qui y adhèrent. Cependant, il y a parfois loin de
l’idéal scientifique à la pratique des scientifiques puisque la science en tant
qu’activité humaine, reste soumise, comme toutes les autres, aux mêmes
tentations que le commun des mortels.
La reproduction des résultats. La reproduction des résultats de recherche
constitue le troisième filet et probablement le plus important et le plus
redoutable moyen de détecter ou de prévenir la fraude, tout en permettant de
reconnaître une pseudoscience. En effet, l’une des différences majeures entre la
connaissance scientifique et les autres formes de connaissances tient au fait que
les affirmations d’un chercheur peuvent et doivent être vérifiées. À cet égard,
les articles scientifiques doivent être rédigés de manière à ce que les résultats
soient reproductibles par d’autres chercheurs. En fait, la reproduction des
résultats constitue en science le test décisif pour établir la validité d’un fait ou
la justesse d’une théorie. À ce titre, toute expérience frauduleuse qui aurait
traversé les mailles des deux premiers filets devrait être saisie dans ce troisième
filet, à condition, bien sûr, que l’étude soit reproduite, ce qui n’est pas toujours
valorisé par la communauté scientifique. Vu le nombre très élevé des
publications, seules les recherches de pointe sont malheureusement
reproduites.
Cette brève présentation de l’idéal scientifique met en évidence que la
communauté scientifique dispose, au moins théoriquement, de mécanismes
internes de surveillance des comportements des chercheurs et de la valeur
scientifique des approches ou des travaux de recherche. Hélas ! Cet idéal
scientifique est loin d’être respectée par les pseudoscientifiques.

La notion de paradigme
L’ouvrage de Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (1972), a fourni
un modèle pour comprendre l’activité des chercheurs. Une science, selon
Kuhn, progresse selon un processus sans fin :
préscience → science normale → crise (révolution) → nouvelle science
normale → nouvelle crise (Chalmers, 1987).
Ce modèle fait appel à quatre notions : le paradigme, la science dite
normale, l’énigme et la révolution scientifique. La notion de paradigme a causé
bien des difficultés à Kuhn. Dans sa postface de 1969 (Kuhn, 1972), il
reconnaît la pertinence des critiques de Masterman qui a dénombré vingt-et-
un sens différents au concept. Essentiellement, un paradigme recouvre un
ensemble de croyances, de valeurs et de techniques communes aux membres
d’un groupe donné. Notons, au passage, que la notion de paradigme ne se
réduit pas à une simple méthode particulière comme le font parfois les tenants
de certaines disciplines expérimentales. Dans leur pratique scientifique, les
chercheurs, dont les travaux sont fondés sur le même paradigme obéissent en
fait aux mêmes normes. Leur façon de travailler engendre alors une tradition
particulière de recherche, qu’on appellera la science normale.
Deux caractéristiques essentielles caractérisent la science normale. D’abord,
les découvertes issues d’un certain type de recherche sont considérées comme
suffisamment importantes pour regrouper des chercheurs. Ensuite, l’envergure
de ces découvertes fournit au groupe de chercheurs une variété de problèmes à
résoudre que Kuhn appelle énigmes.
Les résultats des recherches émanant de la science normale sont publiés
dans des revues spécialisées, puis consignés dans ce qu’il est convenu d’appeler
des manuels à la disposition entre autres des étudiants intéressés à la recherche.
Ceux-ci trouveront les règles de la résolution des énigmes que continue de
poser le paradigme. Qui plus est, la vérification des hypothèses découlant des
énigmes non encore résolues doit s’élaborer à l’intérieur du paradigme qui
fournit également aux chercheurs les critères de vérification. En science
normale, la recherche vise essentiellement l’approfondissement de la
connaissance des phénomènes et des théories inhérentes au paradigme.
Par définition, un paradigme n’est pas considéré a priori sans faille.
L’histoire des sciences a d’ailleurs bien montré « qu’il n’y a pas une seule règle,
aussi plausible et solidement fondée sur le terrain de l’épistémologie soit-elle,
qui n’ait été violée à un moment ou un autre » (Feyerabend, 1979, p. 20).
C’est pourquoi la science, contrairement aux pseudosciences, aux idéologies et
aux religions, doit contenir en elle un moyen de rompre avec un paradigme
pour passer à un autre, plus pertinent. Les théories scientifiques sont d’une
certaine façon biodégradables.
La crise éclate lorsque le nombre d’énigmes non résolues devient important
et qu’un paradigme rival en formation permet de résoudre ses propres énigmes,
et celles laissées en plan par le paradigme en place, entraînant du coup son
affaiblissement et une perte de confiance chez ses défenseurs. La révolution
scientifique se résorbe lorsque le nouveau paradigme entraîne l’adhésion non
pas d’un chercheur isolé, mais d’un nombre toujours plus grand de chercheurs
de la communauté scientifique concernée. Kuhn assimile ce transfert
d’allégeance d’un paradigme à l’autre à une expérience de conversion libre.
Le choix des chercheurs en faveur d’une théorie plutôt qu’une autre ne
s’appuie pas nécessairement sur des critères entièrement objectifs, mais se
fonde, par exemple, « sur le degré de précision, l’envergure, la simplicité, la
fécondité ou encore l’élégance relatifs de telle théorie par rapport à telle autre »
(Boudon, 1990, p. 220). La part de subjectivité dans l’appréciation d’une
théorie ne signifie nullement que les chercheurs sont prêts à adhérer à
n’importe quelle théorie. La nature des débats scientifiques s’apparente en fait à
l’enquête judiciaire. Tant que l’enquête est en cours, les défenseurs des
paradigmes en place ont habituellement « de bonnes raisons, c’est-à-dire ni
objectives ni pour autant arbitraires, d’adhérer à l’une ou l’autre » (Boudon,
1990, p. 225 ; voir également Larivée, Fortier, & Filiatrault, 2009). Par
ailleurs, quelle que soit la force des raisons subjectives des protagonistes en
présence, Kuhn a montré que les chercheurs en sciences naturelles cessent la
discussion dès que les raisons deviennent objectives. Dès lors, le nouveau
paradigme devient incompatible avec l’ancien.
C’est la mise en place d’un paradigme dont émergera une tradition de
science normale qui distingue une science et une préscience. Quand une
discipline donne lieu à un perpétuel débat sur ses fondements, chaque
chercheur peut concevoir sa propre théorie et il part pratiquement de zéro pour
justifier son approche (Chalmers, 1987). Dans cette perspective, on doit
convenir que le schéma kuhnien sied mieux aux sciences naturelles qu’aux
sciences humaines et sociales puisque les premières ont traversé maintes
révolutions scientifiques qui ont entraîné des changements de paradigmes et
que, par surcroît, elles disposent des solides racines méthodologiques de
l’approche expérimentale. En effet, bien qu’on recoure souvent au terme
paradigme pour identifier une approche ou théorie en sciences humaines et
sociales, cela ne garantit pas le consensus de ses tenants. Par exemple, les
explications psychodynamiques, béhavioristes, génétiques, biologiques,
sociales, etc. du comportement humain peuvent dans certains cas relever de
convictions idéologiques (Stengers, 1995) plutôt que d’un ensemble de
connaissances empiriquement vérifiées. Le cas du mouvement psychanalytique
est à cet égard exemplaire (voir Encadré 1). La prolifération de ses écoles qui
proposent des grilles de lecture plus ou moins conciliables peut finalement
laisser entendre que chaque analyste s’en remet à sa propre intuition même s’il
partage le même cadre général de pensée que ses collègues (Coulombe &
Larivée, 2013 ; Larivée & Coulombe, 2013 ; Quillot, 1994).

ENCADRÉ 1. L’ÉVOLUTION DE LA PSYCHANALYSE, UNE SUCCESSION DE RÉVOLUTIONS DE PALAIS.

Freud a remanié ses théories à quelques reprises. On doit cependant s’attendre à ce que les
changements apportés à une théorie scientifique digne de ce nom découlent de réfutations
clairement établies ou de nouvelles observations qui permettent de la reformuler, mais non de
changements de conceptions personnelles pour mieux se sortir de l’impasse de certains échecs
thérapeutiques. Or, sauf erreur, ses modifications théoriques ont toujours précédé les
observations cliniques, une démarche contraire à la méthode scientifique.
Sulloway (1981) et Scharnberg (1993a, b) ont montré que le moteur des nombreux
remaniements de la théorie freudienne relevait plus de la passion personnelle pour de nouvelles
idées que d’observations qui auraient contredit la théorie en place. Cette absence de critères de
réfutation pour juger de la valeur de la théorie peut conduire à des abus.
Il n’est guère surprenant dès lors que les psychanalystes vivent leurs « révolutions scientifiques »
comme des schismes à partir d’interprétations divergentes qu’aucune observation empirique ne
peut trancher. Le ton passionnel des affrontements internes entre les écoles psychanalytiques
depuis les débuts de la psychanalyse tels que racontés avec moult détails par Debray-Ritzen
(1972, 1991), Masson (1988), Scharnberg (1993a, b), Torrey (1992) et Van Rillaer (1981), en
constituent d’éloquents exemples. En France, entre autres aléas, les psychanalystes d’obédience
freudienne ont traversé quatre importantes scissions sur une période de quinze ans (voir Sédat,
1980 pour les détails historiques).
En 1953, quelques psychanalystes, Lagache en tête, démissionnent de la Société
psychanalytique de Paris et fondent la Société française de psychanalyse qui éclatera à son tour
en 1964. Lacan fonde alors l’École freudienne de Paris. Celle-ci est rapidement affectée par un
double schisme qui donne lieu à deux nouvelles écoles l’Association psychanalytique de France
en 1965 et le Quatrième groupe en 1968.
Enfin, au début de l’année 1980, Lacan dissout son École afin de lutter contre les déviations et
les compromissions que l’École freudienne de Paris a nourries. Dès lors, les anciens membres
sont invités à faire acte d’allégeance, permettant ainsi à Lacan d’éliminer les hérétiques et de
regrouper ses vrais disciples. Après sa mort en 1981, ceux-ci se disputent néanmoins son
héritage, et leurs conflits sont à ce point violents que la justice doit s’en mêler. De tels
événements ne ressemblent guère aux pratiques d’une authentique communauté scientifique,
mais bien davantage à phénomène de mode ou de secte (Bouveresse-Quillot & Quillot, 1995).

Le critère de réfutabilité
Le critère de réfutabilité (Popper, 1973) est probablement le meilleur
critère reconnu par la communauté scientifique pour juger du caractère
scientifique d’une théorie. Pour Popper, la démarche scientifique ne vise pas à
prouver le bien-fondé d’une théorie, mais à multiplier les expériences
susceptibles de démontrer qu’elle est fausse. Tant qu’on n’y parvient pas, elle
est temporairement tenue pour non fausse. Les théories scientifiques, surtout
dans le champ des sciences humaines et sociales, sont par définition
biodégradables vu l’éclosion rapide de découvertes plus ou moins
déterminantes de recherches dédiées au comportement humain. Quand il fait
de la science, le chercheur même guidé par son intuition, utilise des
observations, des hypothèses, des méthodes et des résultats qui sont vérifiables
et reproductibles.
Le noyau dur du consensus déterminant le caractère scientifique d’une
recherche réside, encore une fois, dans l’aspect reproductible des résultats.
Autrement dit, contrairement aux autres formes de connaissances, les
affirmations scientifiques demandent à être vérifiées par d’autres chercheurs. Ce
critère de vérifiabilité implique que les méthodes de collecte des données soient
explicitement divulguées. Le degré d’explicitation peut varier et certaines
méthodes s’y prêtent moins facilement sans pour autant perdre leur caractère
scientifique, mais dans tous les cas, la science est une activité essentiellement
collective. Le caractère public signifie que d’autres chercheurs disposant des
qualifications requises (connaissances théoriques et méthodologiques) et des
moyens nécessaires (instruments de mesure) peuvent réutiliser la méthode
décrite explicitement dans une publication. Si un chercheur est le seul à
pouvoir utiliser sa méthode, comme c’est souvent le cas avec les
pseudoscientifiques, sa recherche échappe à la vérification et, par conséquent,
ne sera pas considérée valide par la communauté scientifique.
La vérification passe donc par les caractères explicite et réfutable des
hypothèses. Pour mettre une hypothèse à l’épreuve des faits, il s’agit de
l’opérationnaliser, c’est-à-dire de la traduire en opérations mesurables qui
fourniront un contenu observable. Par exemple, si je posais l’hypothèse que les
femmes sont plus intelligentes que les hommes, je devrais d’abord annoncer
dans quel cadre théorique je me situe – ici le relativisme est de rigueur –, puis
procéder à la vérification de mon hypothèse en utilisant les mesures
appropriées. Dans une perspective développementale, les épreuves opératoires
(Piaget) feraient partie des mesures possibles, alors que dans une perspective
psychométrique, les tests de QI feraient partie de la panoplie des tests
possibles.
Les hypothèses doivent aussi revêtir un caractère réfutable au sens de
Popper. La valeur heuristique d’une hypothèse est en effet nulle si sa
formulation est nécessairement compatible avec toutes les observations
ultérieures possibles. Par exemple, comme les observations cliniques ont lieu en
référence à un cadre théorique, elles peuvent laisser l’impression d’être ipso facto
confirmées. Ainsi, ceux qui défendent le caractère scientifique de la
psychanalyse commettent l’erreur de penser qu’une théorie est d’autant mieux
« vérifiée » que de nombreux exemples la confirment (Bouveresse-Quillot &
Quillot, 1995). Dans un tel cas, autrement dit, quels que soient les faits, ils
confirment toujours la théorie. Or, une théorie qui a réponse à tout est a
fortiori non réfutable et, par conséquent, n’explique rien.
L’objection traditionnelle à ce type de propos veut que les sciences
« molles » (humaines et sociales) en tant que différentes des sciences « dures »
(naturelles) n’ont pas à se conformer aux critères méthodologiques de ces
dernières. Personne ne nie en effet, Popper y compris, qu’en sciences humaines
et sociales l’expérimentation se révèle plus difficile. En fait, l’assouplissement
du critère de réfutabilité situe la frontière entre les théories scientifiques et les
autres dans l’acceptation du principe de la discussion critique ou non.
S’opposent ainsi les formes de pensée dont les promoteurs consentent à
modifier et éventuellement abandonner leurs construits théoriques en fonction
des arguments proposés par leurs adversaires et celles qui, fermées sur elles-
mêmes, refusent toute discussion puisque leurs promoteurs sont assurés du
bien-fondé de leur approche (Quillot, 1994).
En sciences humaines et sociales ainsi que dans la vie de tous les jours,
l’application stricte du critère de réfutabilité n’est certes pas une solution
gagnante, même s’il faut tendre à s’en approcher. L’usage exclusif de la
réfutation reviendrait à faire un dogme du critère de Popper sans compter
l’aspect irréaliste de la chose. II est donc plus raisonnable – économie d’énergie
oblige – d’utiliser un critère de plausibilité, surtout lorsqu’un même fait est
compatible avec plusieurs théories comme c’est souvent le cas en sciences
humaines et sociales. En somme, un chercheur ou un psychologue qui se méfie
de ses préférences idéologiques, optera pour la théorie la plus plausible, c’est-à-
dire celle qui s’approche au plus près des critères d’une théorie scientifique, y
compris celui de la réfutabilité, lorsque cela s’avère pertinent bien sûr.
La théorie darwinienne de l’évolution se prête bien à l’illustration de cette
situation. Elle a donné beaucoup de fil à retordre à Popper qui ne savait pas
trop dans quelle mesure elle pouvait être considérée comme réfutable au sens
strict, zone grise utilisée à souhait par les créationnistes pour justifier la
scientificité de leur approche (Gould, 1983 ; Lecourt, 1992). Dans son ouvrage
autobiographique, Unended Quest (La quête inachevée), Popper (1976/1989) en
arrive à la conclusion « que le darwinisme n’est pas une théorie testable, mais
un cadre possible pour les théories scientifiques testables » (p. 237). En fait,
Popper résout le problème en décrivant le darwinisme comme une manière
d’analyser les processus évolutifs. Comme Darwin a mis au jour les
mécanismes de mutation et de sélection qui engendrent les processus évolutifs,
Popper relève le caractère normatif de son modèle, qui dès lors, se trouve à la
fois non réfutable et pourtant scientifique.
• Non réfutable. En effet, on ne voit pas très bien quel genre de faits
pourrait contredire la proposition « les phénomènes d’évolution s’expliquent
par le jeu des mutations et de la sélection ». Malgré son caractère non réfutable,
en tout cas dans l’état actuel des connaissances, le darwinisme a joué et joue
encore un rôle majeur dans l’histoire des sciences en général et des sciences de
la vie en particulier. Réduit à sa plus simple expression, le message néo-
darwinien tient dans cette proposition : si vous observez que telle espèce se
trouve dans telle niche écologique, essayez d’expliquer sa présence à partir des
mécanismes de mutation et de sélection.
L’exemple de la théorie de Darwin montre que, parmi les théories
scientifiques, il en est qui portent sur le réel et d’autres qui constituent une
façon de l’appréhender, bref, pour le dire à la manière kuhnienne, un
paradigme (Kuhn, 1972). Rappelons qu’un paradigme n’est ni vrai ni faux,
mais plus ou moins utile pour prédire des événements ou agir sur eux, plus ou
moins heuristique pour découvrir de nouveaux faits. Qui plus est, par
définition, un paradigme n’est pas sans faille.
• Elle est scientifique, car le schéma explicatif proposé par la théorie de
Darwin a maintes fois fait la preuve de son efficacité. Elle est également
scientifique dans la mesure où elle est publique. En science, le fondement des
théories repose sur des observations reconnues et non sur des expériences
personnelles subjectives et privées. Dans ce sens, les observations empiriques de
Darwin lors de son voyage sur le Beagle seraient restées lettre morte si elles
n’avaient pas franchi la sphère de son expérience personnelle. Ces observations
ont au contraire acquis une valeur scientifique à partir du moment où elles ont
été formulées et communiquées à d’autres chercheurs non seulement pour être
critiquées, mais aussi vérifiées empiriquement avant d’être utilisées.
Soulignons enfin que Popper (1972) a débouché sur une épistémologie
évolutionniste, sorte de schéma biologique néo-darwinien du développement
de la connaissance. Il parle même de « sélection naturelle des hypothèses » pour
décrire l’activité scientifique. Sa position lui permet en quelque sorte de rendre
compte à la fois de la continuité et de la discontinuité entre la connaissance
animale et la connaissance humaine. Si tout être vivant apprend par
tâtonnement, et si la vie elle-même évolue par mutation et sélection,
l’originalité de l’homme tient en ce que, au lieu de subir les erreurs, il est
capable de les rechercher (Bouveresse, 1981, p. 137). « De l’amibe à Einstein,
la croissance de la connaissance est toujours la même. La seule différence entre
Einstein et une amibe est qu’Einstein cherche consciemment à éliminer ses
erreurs » (Popper, 1972, p. 261). Qui plus est, le scientifique recherche
délibérément l’erreur, c’est-à-dire qu’il tente lui-même de réfuter ses propres
hypothèses, alors que l’animal fonctionne à partir d’attentes innées ou apprises.
L’originalité de l’homme réside dans sa capacité de théoriser et surtout de
rendre opérationnelles ses croyances et les objets de sa connaissance qui, par le
fait même, l’interrogent ou l’interpellent de l’extérieur. Comme ses échecs
théoriques ne le feront pas mourir, l’homme peut mettre à l’épreuve ses
théories et les faire évoluer sans porter atteinte à sa personne. Le processus
d’équilibration décrit par Piaget (1975) pour expliquer le développement
cognitif de l’enfant opère lui aussi par élimination des erreurs donc, en quelque
sorte par sélection naturelle, permettant ainsi l’accroissement de la
connaissance et la création constante de nouveauté.
En somme, que le critère de réfutabilité fasse l’objet de critiques, c’est de
bonne guerre. Si la critique suffisait pour abandonner une approche, un
concept ou une théorie, il y a belle lurette que le vaste champ du paranormal
serait relégué aux oubliettes. Il faut aussi analyser la validité des objections.
Jusqu’à maintenant, le recours au critère de réfutabilité permet d’établir la ligne
de démarcation entre la science et les pseudosciences. Nous y reviendrons lors
de la présentation des procédés utilisés par les défenseurs des pseudosciences.
Au cours des chapitres suivants, le lecteur constatera que le terme
« pseudosciences » recouvre des approches aussi diverses en apparence que les
phénomènes paranormaux (clairvoyance, divination, télépathie, fantômes,
etc.), l’astrologie et la psychanalyse. Faut-il rappeler ici que la distinction entre
science et pseudosciences ne concerne pas leur objet, mais la méthode utilisée
et, conséquemment, la validité du savoir obtenu ? (Sokal, 2005). À cet égard,
une approche mérite le titre de pseudoscience lorsque ses défenseurs se
contentent d’utiliser le vocabulaire scientifique sans se soucier de la démarche
scientifique. Ce n’est donc pas par hasard que le critère de réfutabilité est
considéré par la communauté scientifique comme le critère de démarcation
entre science et pseudosciences. Rappelons également que l’astrologie et la
psychanalyse sont les deux exemples auxquels se réfère Popper pour illustrer les
approches non-scientifiques. Enfin, les procédés utilisés par les défenseurs des
pseudosciences présentées au chapitre 5 décrivent fort bien la nature et le
fonctionnement de celles-ci.
CHAPITRE 2

L’état des lieux


Si les « faits » avancés par les tenants des pseudosciences restent souvent sans
fondement, leur présence constitue par contre un fait social bien documenté,
comme le montrent différentes études présentées dans cet ouvrage. L’objectif
de ce deuxième chapitre est donc de cerner la popularité des croyances
pseudoscientifiques (paranormales) aux États-Unis, au Canada, au Québec et
en Europe, particulièrement en France. Les données présentées concernent les
sondages effectués depuis environ 1990 des deux côtés de l’Atlantique. Ils ne
dépassent malheureusement pas 2005.
Dans la mesure du possible, je tenterai de présenter les enquêtes nationales
qui vérifient de manière longitudinale l’évolution de diverses croyances. Cette
procédure permettra de vérifier si le pourcentage de croyants aux phénomènes
paranormaux augmente, diminue ou reste stable au fil des ans. Deux ensembles
de données feront l’objet de cette brève analyse : celles consacrées aux
croyances paranormales traditionnelles et celles consacrées aux croyances
paranormales à connotation religieuse. Je suis conscient que plusieurs de ces
croyances ne sont pas des pseudosciences au sens strict, mais elles les
alimentent largement en contribuant à créer et à maintenir un climat culturel
exempt d’esprit critique. Deux éléments empêchent d’avoir une comparaison
France-Amérique exacte. Premièrement, les prises de mesure n’ont pas
nécessairement eu lieu les mêmes années. Deuxièmement, non seulement le
nombre mais également la nature des phénomènes étudiés n’est le même que
dans six cas (voir Tableau 3).
En France, Boy (2002) rapporte les résultats de cinq enquêtes concernant la
croyance des Français à onze phénomènes paranormaux échelonnés sur près de
vingt ans (1982 à 2000). Le tableau 1 présente les résultats des trois dernières
prises de mesure, les seules où des données à propos des onze phénomènes sont
disponibles. Le tableau 2 présente les résultats de six sondages Gallup
échelonnés de 1990 à 2005 concernant la croyance des Américains à treize
phénomènes paranormaux. Seuls les sondages de 1990, 2001 et 2005
présentent des données complètes. La lecture de ces deux tableaux permet trois
constats généraux.
Tableau 1. Pourcentage de croyance à onze phénomènes paranormaux en France en 1988-1989, en 1993 et en 2000 (Boy, 2002).

1988- Écart 1993 c. 1988- Écart 2000 c.


1993 2000
1999 1989 1993
Astrologie 24 26 18 +2 -11
(Prédiction)
Astrologie (Personnalité) 40 46 33 +6 -13
Chiromancie/ligne de la 17 23 17 +5 -6
main
Clairvoyance 27 24 18 -3 -6
Envoûtements 17 19 21 +2 +2
(Sorcellerie)
Extraterrestres - 18 17 - -1
Fantômes 5 11 13 +6 +2
Guérisons (Imposition des 47 55 54 +8 -1
mains)
Rêves prémonitoires 38 35 35 -3 0
Tables tournantes 10 16 15 +6 -1
Télépathie 40 55 40 +15 -15
Moyenne 26,5 29,8 25,5

Tableau 2. Pourcentage de croyance ferme à treize phénomènes paranormaux de 1990 à 2005 aux États-Unis (Moore, 2005).

Écart 2001 Écart 2005


1990 1991 1994 1996 2001 2005
c. 1990 c. 2001
25 23 25 28 25
Astrologie - +3 -3
(21) (16) (22) (18) (19)
26 27 32 26
Clairvoyance - - +6 -6
(23) (25) (23) (24)
Communication 18 28 20 28 21
- +10 -7
avec les morts (20) (21) (22) (26) (23)
11 12 15
Envoûtement - - 9 (20) +4 -6
(22) (21) (21)
Extraterrestres 27 - - - 33 24 +6 -11
(32) (27) (24)
25 28 30 38 32
Fantômes - +13 -6
(19) (17) (19) (17) (19)
29 28 33 42 37
Maison hantée - +13 -5
(17) (18) (19) (16) (16)
Perception extra- 49 48 50 41
- - +1 -9
sensorielle (22) (22) (20) (25)

Possession du 49 37 42 41 42
- -8 +1
démon (10) (18) (13) (16) (13)
Pouvoir de guérison 46 54 55
- - - +8 +1
de l’esprit (20) (19) (17)
21 27 22 25 20
Réincarnation - +4 -5
(22) (20) (22) (20) (20)
16 19 26 21
Sorcières 14 (8) - +12 -5
(13) (11) (15) (12)
36 35 36 31
Télépathie - - -5 -5
(25) (24) (26) (27)
Moy. Croyance
28,9 27,3 26,0 30,2 34,5 29,5
ferme +5,6 -4,6
(20,1) (16,5) (19,0) (20,0) (20,3) (19,9)
(Moy. des indécis)
Total des croyants 49,0 43,8 45 50,2 54,8 49,4
et des indécis

Premièrement, la croyance aux phénomènes paranormaux, contrairement à


ce qui est largement diffusé, n’augmente pas et ce, tant en France qu’aux États-
Unis. On observe plutôt une fluctuation au fil des ans, tantôt à la hausse et
tantôt à la baisse, du pourcentage de la croyance aux divers phénomènes
paranormaux évalués. Ainsi, en France, les pourcentages ont augmenté entre
2 % et 15 % (Moy : 6,3 %) entre 1988-1989 et 1993 pour huit phénomènes
et ils ont diminué de 3 % (Moy : 3 %) pour deux phénomènes au cours de la
même période. Par contre, pour les mesures prises en 1993 et en 2000, le
pourcentage de croyance a diminué entre 1 % et 15 % (Moy : 4,9) pour huit
d’entre elles. Le pourcentage augmente de 2 % pour deux autres et le dernier
reste stable. Au total, le pourcentage moyen de la croyance à des phénomènes
paranormaux est passé en France de 26,5 % en 1988-1989 à 29,8 % en 1993
et à 25,5 % en 2000. Par ailleurs, un autre sondage qui apparaît dans le « Blog
du paranormal et de l’insolite »1 indique qu’en 1994 et en 2003, les
pourcentages de croyances de la part des Français à la voyance, à l’astrologie et
à la sorcellerie (envoûtements) sont passés respectivement de 46 % à 23 %, de
60 % à 37 % et de 41 % à 21 %. Ces résultats ne seraient pas tant un indice
d’une baisse aux croyances irrationnelles qu’une manifestation de la fluctuation
notée plus haut.
Deuxièmement, aux États-Unis, les données s’échelonnent sur une plus
longue période. Le tableau 2 présente les résultats en pourcentage de la
croyance à des phénomènes psychiques et paranormaux aux États-Unis colligés
à six reprises entre 1990 et 2005. Soulignons au passage que les échantillons
varient entre 1250 et 1500 individus. Les données sont partielles en 1991,
1994 et 1996 et complètes en 1990, 2001 et 2005. En plus des pourcentages
de croyances, les sondages Gallup fournissent le pourcentage des individus qui
sont incertains (résultats présentés entre parenthèses) quant à leurs croyances
aux dits phénomènes. Cette information est précieuse dans la mesure où elle
fournit une meilleure indication des « incroyants ». Avec ces données, j’ai
calculé les écarts entre 1990 et 2001 et entre 2001 et 2005 aux treize
phénomènes évalués. Dans le premier cas, on observe une augmentation de
1 % à 13 % (Moy : 7,3 %) d’individus qui croient à onze des treize
phénomènes. La croyance à la télépathie baisse de 5 % et la croyance au fait
qu’un individu puisse être possédé du démon, de 8 %. Dans le second cas, on
observe la tendance inverse, c’est-à-dire une baisse de la croyance à onze des
treize phénomènes variant de 3 % à 11 % (Moy. 6,2 %). Les deux autres
croyances (possession du démon et pouvoir de guérison de l’esprit)
n’augmentent que de 1 %. Soulignons également que la baisse observée en
2005 renvoie presque au même pourcentage global de 1990 incluant les
indécis : 49,0 c. 49,4. Au total, le cumul des croyants et des indécis au cours
des six prises de mesure montrent qu’environ 50 % de la population
américaine adhère à la croyance à un ou plusieurs phénomènes paranormaux.
Troisièmement, nonobstant leur fluctuation, la stabilité des pourcentages
de croyance les plus élevés et les moins élevés en France et aux États-Unis
diffèrent en grande partie probablement parce que ce ne sont pas toujours les
mêmes phénomènes qui sont étudiés. Ainsi, en France, la moyenne des
pourcentages de croyances les plus élevés au fil des ans sont : les guérisons
(52 %), la télépathie (45 %), l’astrologie (personnalité) (40 %) et les rêves
É
prémonitoires (36 %). Aux États-Unis, les résultats sont : le pouvoir de
guérison de l’esprit (52 %), la perception extraterrestre (47 %), la possession
du démon (42 %), la télépathie (35 %) et les maisons hantées (34 %). Par
ailleurs, en ce qui concerne les phénomènes paranormaux dont le pourcentage
de croyances est le plus faible, il s’agit en France : des fantômes (10 %), des
tables tournantes (14 %), des extraterrestres (17 %) et de la chiromancie
(19 %). Aux États-Unis, il s’agit : de l’envoûtement (12 %), des sorcières
(19 %), de la communication avec les morts (23 %), de la réincarnation
(23 %) et de l’astrologie (prédiction) (25 %).
Le tableau 3 présente la différence de moyennes entre la France et les États-
Unis eu égard à six phénomènes mesurés dans les deux pays entre 1988 et 2000
(trois mesures) pour la France et entre 1990 et 2005 (cinq mesures) pour les
États-Unis. Pour quatre des six mesures, la différence de moyennes est plus
élevée en faveur des États-Unis (astrologie, clairvoyance, extraterrestres et
fantômes), cette différence variant de 2,5 % à 20,9 %. Le plus fort pourcentage
de croyance aux extraterrestres et aux fantômes des Américains s’explique
probablement en partie par une plus large diffusion de films et d’émissions
télévisuelles sur le sujet. Dans un autre sondage en 2013, on note que 47 %
des Américains ne croient pas au crash d’un OVNI à Roswell au Nouveau-
Mexique, ainsi qu’aux extraterrestres (Frazier, 2013).
Tableau 3. Comparaison France-États-Unis à propos de six phénomènes paranormaux.

Différence de
France États-Unis
moyennes
1988- France c. États-
1993 2000 1990 1994 1996 2001 2005
1989 Unis
Astrologie 18 24 26 25 23 25 28 25 22,7 c. 25,2
(prédiction)
Clairvoyance 27 24 18 26 - 27 32 26 23,0 c. 27,8

Envoûtement 17 19 21 11 - 12 15 9 19,0 c. 11,8

Extraterrestres - 18 17 11 - - 33 24 17,5 c. 28,0

Fantômes 5 11 13 25 28 30 38 32 9,7 c. 30,6

Télépathie 40 55 40 36 - 35 36 31 45,0 c. 34,5


La croyance aux phénomènes paranormaux n’épargne ni les enseignants, ni les
intellectuels, ni les étudiants en sciences. Bref, traverser des études
universitaires n’empêche nullement d’adhérer à des croyances paranormales. Le
tableau 4 présente les données colligées au Québec et aux États-Unis à dix
phénomènes paranormaux. Ainsi Châtillon (1987, 1988) a vérifié à la fin des
années 1980 auprès de 206 professeurs de l’université du Québec à Trois-
Rivières ainsi qu’auprès de 41 membres du groupe Mensa leurs croyances à sept
phénomènes paranormaux pour les premiers et à six phénomènes pour les
seconds. Châtillon (1987) pense même que le pourcentage de croyance
attribué dans son enquête aux professeurs d’université est probablement en-
deçà de la réalité. Qui plus est, ce sont les membres du groupe Mensa qui
présentent les pourcentages les plus élevés d’adhésion au paranormal ; or le seul
critère d’appartenance à ce groupe réside dans la présence d’habiletés
intellectuelles au-dessus de la moyenne. L’intelligence ne semble donc pas
toujours prémunir contre des thèses aux fondements fragiles. Toutefois, la
section « croyance au paranormal ou aux pseudosciences » nuance une telle
impression : alors que 59 % des Américains sans diplôme d’études secondaires
affirment que l’astrologie est une science, ce pourcentage chute à 40 % chez les
diplômés et à 24 % chez ceux qui détiennent un diplôme d’études collégiales
(Pollack, 2001).
Tableau 4. Pourcentage de croyance à dix phénomènes paranormaux chez les universitaires.

Professeurs Université Études bio. Étudiants Membres


Phénomènes
du Québec à Trois- Université de universitaires de
paranormaux
Rivièresa Montréalb États-Unisc Mensad
Astrologie 26 21 - 44
Biorythmie 43 - - -
Clairvoyance - 49 - -
Divination 31 - 37 (36) 51
Extraterrestres 18 34 29 (29) 56
Fantômes - 43 69 (13) -
Sourciers 53 - - 61
Télékinésie 30 - 25 (35) 29
Télépathie 61 59 - 73
Vies - 33 - -
antérieures

a Châtillon (1987, 1988)


b Baril (1994)
c Châtillon (1988)
d Sparks, Hansen, & Shah (1994). Le chiffre entre parenthèses correspond au pourcentage de sujets indécis à propos des croyances.
L’enquête a également mesuré la croyance aux rêves prémonitoires, aux sorcières et aux tables tournantes dont les pourcentages de
croyances sont respectivement : 34 (19), 35 (25) et 27 (40).

L’enquête de DeRobertis et Delaney (1993) apporte d’autres nuances


intéressantes. Les auteurs ont étudié, au cours de la première année
universitaire, l’attitude de 1 122 étudiants en arts et 383 étudiants en sciences
de l’Université York envers l’astronomie et l’astrologie. Résultat : 55 % des
étudiants en arts et 43 % des étudiants en sciences ne peuvent distinguer entre
l’astronomie comme science et l’astrologie comme pseudoscience. Enfin,
questionnés sur leurs croyances à d’autres pseudosciences (par exemple : la
numérologie, la parapsychologie, la perception extrasensorielle), seuls 31 % des
étudiants en arts et 36,8 % des étudiants en sciences déclarent ne pas y croire.
Que des individus bien scolarisés maintiennent des croyances à des
phénomènes paranormaux est a priori surprenant. Toutefois, Evans (2003) a
bien montré que la pensée intuitive propre à l’enfance n’est pas nécessairement
remplacée au fil des ans par la pensée analytique. Non seulement les deux
modes de pensée mûrissent concomitamment, mais elles peuvent également
agir de concert. À cet égard, on retrouve souvent chez les adultes des
affirmations contradictoires. Par exemple, la mort est définitive (un fait
abondamment démontré) et après la mort, l’âme survit (une affirmation sans
fondement empirique) (Lindeman & Aarnio, 2007).
Boy (2002) a également montré que l’idée selon laquelle les croyances aux
pseudosciences, qu’il appelle « parasciences », vont à l’encontre d’une
familiarité avec la science, est partiellement fausse. Pour le démontrer, il utilise,
entre autres mesures, le degré de connaissance scientifique (11 énoncés
concernant des faits scientifiques). Il observe, contrairement à ce qu’on aurait
dû s’attendre, une augmentation de croyance aux pseudosciences lorsque le
degré de connaissance scientifique passe de très faible (2,3090) à assez faible
(2,9607), à assez bon (2,4862). Les données relatives à sept croyances
religieuses concernant des populations adultes tant en Amérique qu’en Europe
présentées au tableau 5 constituent d’autres exemples de cette « confusion des
genres ».

Tableau 5. Pourcentage de croyances à sept phénomènes religieux en Amérique et en Europe.

Québeca Canada États-Unis Francea Angleterrea


Ia IIb Ia IIb
1990 2005 1990 2005
Anges - 61 61 62 78 72 78 32 26
Diable 36 48 - 65 69 65 70 27 25
Enfer 29 40 46 48 70 71 70 25 29
Imposition des mains - - - - - - 54 40
Miracles 79 - 74 72 80 - - 34 15,3
Paradis - - 70 62 - 86 81 - -
Vie après la mort - - 68 67 - 78 82 - -

a
Ouellette (2004) – Résultats basés sur 58 sondages de 1984 à 2004
b
Bibby (2007)

On notera les pourcentages plus élevés au Canada et aux États-Unis qu’en


France et en Angleterre. Cette confusion n’est en quelque sorte guère
surprenante. Boy (2002) note à juste titre le rôle fondamental des croyances
religieuses dans l’explication des croyances aux pseudosciences. Ainsi les
croyants minimalistes, c’est-à-dire sans grande conviction religieuse, affirment
plus souvent croire aux phénomènes paranormaux que les croyants fermes.
Quoi qu’il en soit, Boy (2002) a bien montré que « la croyance dans ce qu’il
advient après la mort est toujours la meilleure variable explicative » de la
croyance aux pseudosciences. Croire dans « une autre vie » et surtout « dans
une réincarnation » va plus souvent de pair avec les croyances au paranormal
(p. 42).
Cette brève présentation de quelques données concernant les enquêtes liées
à la croyance aux phénomènes paranormaux montre malheureusement que
l’éducation a somme toute peu d’impact sur la croyance au paranormal. De
plus, comme on le verra dans le chapitre suivant, le cerveau étant une machine
à générer des croyances de toutes sortes, on peut facilement imaginer que les
croyances pseudoscientifiques ont probablement encore un bel avenir devant
elles.
1. http://www.blogparanormal.com/paranormal/lamerique-paranormale/
CHAPITRE 3

Pourquoi les humains sont-ils


si attirés par les pseudosciences :
des facteurs historiques et d’autres reliés à la
nature humaine ?

Dans ce chapitre, nous tenterons de comprendre ce qui pousse des individus à


croire en des phénomènes dont l’existence n’est pas démontrée ainsi qu’à des
systèmes de croyances dépourvus de tout appui empirique. Au moins quatre
grandes catégories de facteurs peuvent expliquer l’influence exercée par les
pseudosciences : des facteurs historiques, des facteurs reliés à la nature
humaine, des facteurs reliés au climat socioculturel et des facteurs reliés à
l’éducation. J’aborderai ici les deux premiers, réservant les deux autres pour le
chapitre 4.

Des facteurs historiques. Six méthodes préscientifiques


d’acquisition ou de transmission des connaissances.
Les métaphores facilitent souvent la compréhension des choses complexes.
Pour expliquer la difficulté de recourir à l’attitude scientifique, j’emprunte à
Sagan (1980) sa métaphore du calendrier cosmique qui comprime l’histoire de
l’univers (plus ou moins quinze milliards d’années) sur une seule année. Selon
ce calendrier, « toute l’histoire connue occupe les dix (10) dernières secondes
du 31 décembre, et le temps écoulé de la fin du Moyen Âge à nos jours occupe
un peu plus d’une seconde » (p. 29). Quant à la présence de la méthode
expérimentale dans les sciences, elle n’apparaît que le 31 décembre à 23 h 59.
Pendant presque toute son histoire, l’humanité s’en est donc tenue aux
méthodes dites préscientifiques pour acquérir des connaissances. Et non
seulement s’en est-elle accommodée, mais les limites de celles-ci ont
probablement concouru à l’émergence de la méthode scientifique. Que les
méthodes préscientifiques soient encore utiles pour la majorité de nos décisions
quotidiennes ne pose guère de problème. Par contre, que les défenseurs des
pseudosciences s’en prévalent pour convaincre – et ils y réussissent très souvent
– devrait nous interroger.
Comment donc fonctionnent ces méthodes et comment expliquer leur
force d’attraction ? Ces questions apparaissent d’autant plus pertinentes qu’elles
introduisent les facteurs reliés à la nature humaine, dont l’influence reste sans
doute la plus déterminante. Sauf erreur, le philosophe et logicien américain
Charles S. Peirce (1839-1914) fut le premier en 1877 à présenter les méthodes
préscientifiques d’acquisition de connaissances dans un article au titre on ne
peut plus évocateur : « Comment se fixe la croyance » (voir Buchler, 1955 et
Peirce, 1957). Peirce discutait alors de trois méthodes – ténacité, autorité et a
priori – opposées à la méthode scientifique, en montrant qu’elles servent bien
la croyance. Par la suite, de nombreux auteurs s’y appuieront pour distinguer
les méthodes préscientifiques de la méthode scientifique en sciences humaines
et sociales, et en ajouteront quelques autres (par exemple : Bujold & Gingras,
2000 ; Crête & Imbeau, 1994 ; Kerlinger, 1964 ; Ouellet, 1981 ; Sabourin,
1982).
Je présente ici six méthodes préscientifiques d’acquisition de connaissance : la
ténacité, le sens commun, le témoignage, le consensus, l’autorité et la
prédication. On verra dans le chapitre 5 que certaines d’entre elles sont encore
des méthodes privilégiées par les défenseurs des pseudosciences.
La méthode de la ténacité
La méthode de la ténacité repose sur un principe fort simple : tenir
fermement à ce qu’on croit vrai. Ses tenants adhèrent à quelque chose qu’ils
ont toujours considéré comme vrai. Et ils considèrent cela vrai parce qu’ils y
adhèrent. Plus ils professent cette « vérité », plus elle croît en validité à leurs
yeux. D’où le risque que d’autres esprits moins aptes à la critique la tiennent
pour rationnellement fondée. La longévité des superstitions n’est pas étrangère
à la méthode de la ténacité. Les croyants fondent alors leur certitude sur les
« faits » qui, à leurs yeux confirment leur croyance et négligent toutes les
occasions où l’objet de leur croyance aurait dû se manifester sans qu’il le soit.
D’ailleurs, même en présence de preuves qui la contrediraient, ils restent
imperturbables, à l’instar de cette numérologue qui, ayant échoué à démontrer
son pouvoir, conclut tout simplement qu’une meilleure numérologue aurait
mieux fait (Larivée, 2001). Poussé à l’extrême, le recours à la ténacité peut
traduire un dogmatisme qui cherche à se prémunir contre la dissonance
cognitive. Les guerres de religion dans lesquelles les adversaires sont convaincus
de détenir la vérité en constituent un bel exemple. On aura compris que, dans
ces cas, ni la raison, ni les connaissances ne partagent un terrain commun avec
la croyance.
Pour expliquer la force de la méthode de la ténacité, l’analyse de Peirce en 1877
se révèle tout à fait pertinente. Celui-ci met en évidence que le doute entraîne
un état de malaise alors que la croyance procure le calme. Dès qu’un individu
consent à une croyance, une grande paix d’esprit contrebalance chez lui les
inconvénients qui pourraient résulter de sa mise en doute. Par exemple, dit
Peirce, s’il est vrai qu’à notre mort tout est fini, croire qu’on ira au ciel
moyennant le respect de certaines règles religieuses procure somme toute une
satisfaction peu coûteuse en termes de désagrément.
La méthode du sens commun
On parle indifféremment de la méthode du sens commun, du bon sens, de
l’évidence, de l’intuition ou de l’a priori. Même si le bon sens reste
indispensable dans le processus d’adaptation quotidienne, il présente de
sérieuses limites quant à l’acquisition des connaissances ; en voici trois dont
deux sont empruntées à Selltiz, Wrightsman et Cook (1976).
La première limite est reliée à la perception. Un simple regard sur une
réalité non seulement conduit rarement à des conclusions valables, mais
aboutit souvent à des conclusions contradictoires. Imaginons un ancien Grec
en compagnie d’Ératosthène sur la côte de la mer Égée regardant un navire
s’éloigner du port. Ératosthène, pour qui la terre est ronde, dira que le bateau
pourrait contourner le monde ; notre Grec, pour qui la terre est plate, conclura
que le bateau échappe à sa vue et risque de tomber. À cette époque, c’était une
affaire de bon sens que de considérer le monde plat : un simple regard suffisait
pour le constater. Et cela se comprend bien. Nous appréhendons le réel à
travers le prisme déformant de ce que nous voyons, savons et de ce à quoi nous
nous attendons. Autrement dit, le simple fait de regarder active mes schèmes,
eux-mêmes tributaires de mes connaissances actuelles et de mes expériences
antérieures.
« Le bon sens confine à ce qui est familier ». C’est la deuxième limite.
Considérons cette énigme courante dans les années 1960. Un homme et son
fils sont impliqués dans un accident d’automobile. L’homme est tué sur le coup
et le fils, gravement blessé, est transporté d’urgence à l’hôpital pour une
intervention chirurgicale. Or le chirurgien jetant un regard sur le patient dit :
je regrette, mais il m’est impossible d’opérer ce garçon. C’est mon fils.
Auparavant, comme la profession de médecin était exercée presque
exclusivement par les hommes, on devait beaucoup réfléchir pour résoudre
l’énigme : le chirurgien est la mère de l’enfant. Aujourd’hui, même si plus de
personnes trouvent la solution, force est de constater que les stéréotypes
féminins empêchent encore un certain nombre d’individus de trouver la
solution. De fait, on considère spontanément « ce qui est familier comme
inévitable et ce qui n’est pas familier comme inconcevable » (Selltiz et al.,
1976).
Troisièmement, non seulement le sens commun ne débouche sur aucun
nouveau problème, ses postulats et ses méthodes allant de soi, mais il reste
également rivé à l’immédiat et il engendre souvent des croyances
contradictoires auxquelles on recourt d’ailleurs au gré des occasions. Par
exemple, la même personne affirmera tantôt : « qui se ressemble s’assemble » et
tantôt que : « les contraires s’attirent ».
En bref, la méthode du sens commun ou l’« apriorisme » fondent ses
propositions sur l’évidence même. Mais comme il en sera question plus loin,
une croyance peut être partagée par des milliers d’individus sans pour autant
résister à l’expérimentation. Or seule une vérification empirique serrée assure la
concordance de la pensée avec le réel. Ainsi valoriser l’argument du bon sens
pourrait signifier à long terme la perpétuation de connaissances non validées
(voir chapitre 5).
La méthode du témoignage
Ici, la validité ou la véracité des affirmations repose sur la conviction de
celui qui en témoigne. – « Pourquoi est-ce vrai ? » « Parce qu’un tel le pense et
que son témoignage est digne de foi. » – « Pourquoi le pense-t-il ? » – « Parce
que c’est vrai ». Etc. Et nous voilà en plein raisonnement tautologique.

É
Évidemment, la force de persuasion est proportionnelle à l’autorité morale du
témoin à plus forte raison s’il véhicule une vision du monde qui réconforte ses
auditeurs ou soulève chez eux des émotions positives.
Le témoignage joue probablement un rôle capital dans l’élaboration d’un
sens de l’identité, en particulier sur le terrain de la recherche des valeurs et d’un
sens à la vie. Le témoignage peut grandement servir celui qui, le saisissant pour
lui-même, jouit d’une autonomie suffisante pour vérifier la cohérence des
vérités sous-jacentes. Sans nier l’importance de ce processus psychosocial, il
convient d’en situer les limites dans l’ordre des connaissances proprement dites.
À trop donner de crédit aux témoins, on peut verser dans la passivité
intellectuelle, comme si la vérité saisie par procuration dispensait de démarches
personnelles.
Le témoignage revêt une efficacité navrante pour transmettre des croyances
pseudo-scientifiques de toute sorte. Ici la transmission se fait soit oralement –
« j’ai suivi un atelier avec un tel », « telle approche m’a fait beaucoup de bien »
-, soit par la lecture de livres de « psycho pop » qui ne sont souvent que des
publicités pseudoscientifiques pour promouvoir un système non valide. Je
reviendrai plus longuement sur la notion de témoignage dans les chapitres 4 et
5 (Larivée, 2002 ; Larivée, Sénéchal, Miranda, & Vaugon, 2013).
La méthode du consensus
Ici le subjectivisme individuel cède au subjectivisme collectif, ce qui ne
change pas grand-chose au statut de vérité des faits allégués. L’augmentation du
nombre de personnes partageant une même conviction ne confirme pas ipso
facto la véracité d’une connaissance. Plusieurs personnes peuvent tout autant se
tromper qu’une seule. Un peuple tout entier peut nourrir des convictions
erronées, par exemple à l’égard d’un groupe ennemi ou encore de faits soi-
disant historiques qui n’ont jamais réellement eu lieu. Dans la méthode du
consensus, l’expérience ou le témoignage du groupe ou de la communauté ont
force d’argument. La sûreté des connaissances est alors précisément fondée sur
le caractère collectif de la croyance. L’inverse dresse également un piège à cette
méthode d’acquisition des connaissances : telle ou telle connaissance est
considérée fausse ou inexacte du seul fait qu’elle soit préconisée par un groupe
adverse. Si le consensus peut être utile, voire nécessaire à la stabilité sociale, en
sciences, il n’est que temporaire et appelle sans cesse un nouveau consensus
(voir chapitre 1, la notion de paradigme).
La méthode du consensus illustre dans quel sens les méthodes préscientifiques
d’acquisition de connaissances ont pu servir à l’évolution de l’humanité. Issu
davantage de l’instinct grégaire qu’élaboré par le raisonnement, le consensus
fait que c’est en s’opposant à ses adversaires qu’un groupe donné s’affirme et
affirme son homogénéité et par conséquent survit. La rassurante homogénéité
du groupe auquel on appartient évite les interrogations personnelles et dispense
de prouver ou de démontrer par une argumentation rationnelle. L’homogénéité
permet alors d’inhiber certaines préoccupations au profit d’une activité de
survie collective. Cependant, là où prédomine la méthode du consensus, le
droit à la dissidence prend figure de menace ; la contestation fait lever les
boucliers et le corps étranger est voué au rejet. Le consensus est moins
pernicieux quand ses adhérents parviennent à s’ouvrir en temps opportun aux
questionnements venus d’ailleurs.
La méthode de l’autorité
La méthode de l’autorité consiste à se réclamer d’une sommité dans telle
matière sans chercher à vérifier minimalement ses affirmations, au détriment de
l’autonomie intellectuelle et de l’esprit critique propres. En fait, on peut
distinguer deux formes de recours à l’autorité. La première est en quelque sorte
inévitable et raisonnable. Compte tenu de l’énorme quantité d’informations à
laquelle nous sommes soumis, nous devons tenir pour acquis un grand nombre
de faits et de renseignements sur une base autoritaire puisqu’un même individu
ne peut à la fois tout connaître ni tout vérifier. La référence à une autorité reste
nécessaire dans presque tous les secteurs de la vie et n’est donc pas sans
justification. En effet, la reconnaissance de nos propres limites et de celle des
autres dans divers domaines de compétence permet d’utiliser son esprit critique
pour jauger à quels moments il est raisonnable de recourir à l’autorité. Cette
méthode, supérieure à celle de la ténacité, peut tout de même, quoique
lentement, faire progresser la connaissance, pourvu qu’on sache la dépasser en
temps et lieu.
Dans le cadre de l’acquisition ou de la transmission de connaissances, le
recours à l’autorité ne désigne pas un individu en position sociale d’autorité –
comme un juge, un professeur, etc. –, mais bien un expert dans le domaine
concerné. Blackburn (1992, 1994) propose quatre critères qui justifient l’appel
à une telle autorité : la compétence de l’individu-expert doit être reconnue ;
celui-ci doit faire autorité dans le domaine dont il est question ; il doit être
effectivement d’accord avec les propos qu’on lui prête ; un consensus d’experts
de ce domaine à propos de la question débattue doit exister.
La seconde forme du recours à l’autorité relève de la doctrine ou du
dogme. Généralement, une doctrine n’invite pas ses adhérents à vérifier ses
fondements et à tenir compte des informations contradictoires. Il n’est guère
surprenant dès lors que la méthode d’autorité soit à la base de la plupart des
religions. Dès qu’un texte fondateur est considéré univoque ou tel chef
religieux infaillible, la remise en question devient interdite et ses propos
verbaux ou ses écrits prennent alors valeur de vérité. Au plan historique, les
déboires de Galilée face à l’autorité ecclésiale à propos de l’héliocentrisme en
sont un exemple patent. Aujourd’hui, les créationnistes rejettent les données
empiriques en faveur de la théorie de l’évolution au nom d’une interprétation
littérale de la Bible. Par exemple, les membres du Groupe biblique universitaire
de l’Université de Montréal véhiculent encore à qui mieux mieux que
« l’évolutionnisme et le créationnisme sont deux croyances » et que, de toute
façon, « l’évolutionnisme est [aussi] une religion » (Baril, 2000, p. 7). Ces
propos ne manquent pas d’étonner. Les gens adhèrent à la théorie de
l’évolution, non parce qu’ils veulent y croire de façon arbitraire, mais parce
qu’elle s’appuie sur des preuves indiscutables par ailleurs à la portée de tous.
Qui plus est, alors que la théorie de l’évolution présente des connivences avec
le critère de réfutabilité (voir chapitre 1) à l’instar de toute théorie scientifique,
les bases de la théorie créationniste sont immuables puisque basées sur les
certitudes de la foi.
Dans le contexte d’une doctrine, une source unique d’information sur des
questions complexes risque toujours de biaiser la réalité. Aussi la référence à
l’autorité, quant au processus d’acquisition des connaissances, a-t-elle quelque
chose de méprisant envers l’esprit humain, qu’elle soit préconisée par une
institution religieuse, un parti politique, une idéologie totalitaire ou un
marchand de chimères. L’utilisation de la méthode d’autorité comme source
unique d’information déborde évidemment le champ du politique et du
religieux. Elle s’infiltre plus ou moins subtilement dans le quotidien par
exemple lorsqu’on essaie de trancher une question en présentant l’opinion d’un
expert comme la vérité absolue et définitive.
Les situations émotives sont propices à un tel maraudage. Cette méthode revêt
une forme encore moins déguisée et plus vile lorsque, pour vendre une
« marchandise » (matérielle, idéologique ou autre), on exploite le prestige et la
renommée d’une « vedette » dont la spécialité n’a rien à voir avec le « produit »
proposé. Le pauvre Einstein est souvent victime de cet aspect pervers du
recours à la méthode d’autorité. Sous prétexte qu’il aurait dit un jour : « Dieu
ne joue pas aux dés avec l’univers ! », des croyants en Dieu fondent la
pertinence intellectuelle de leur foi, sur cette phrase. L’expertise d’Einstein en
physique ne se généralise pas ipso facto à tous les domaines. Ses opinions sur
l’existence de Dieu ou sur la bourse n’ont pas plus de valeur que celles de mon
voisin, (voir le chapitre 5 pour une discussion sur le règne de l’opinion).
La méthode de la prédication
La prédication constitue en quelque sorte un sous-produit de la méthode
d’autorité. Le terme prédication a certes une connotation religieuse, mais celle-
ci peut tout aussi bien s’appliquer au discours politique ou au conférencier qui
vend un « produit », une idée ou un système. Les nombreuses conférences
visant la connaissance de soi ainsi que le succès des « preachers » américains en
constituent un exemple. Si on en juge par l’ampleur de son utilisation, on peut
conclure que la prédication satisfait un bon nombre de personnes et on ne
saurait nier son efficacité.
Trois facteurs semblent converger pour garantir l’efficacité de la prédication : la
fonction sociale du prédicateur, la nature même de la méthode et l’appel
implicite aux émotions. L’efficacité de la prédication est largement fonction de
la notoriété du prédicateur et de la malléabilité de son auditoire. À cet égard, la
politique, la religion et, à un moindre degré, l’enseignement constituent des
champs privilégiés d’application de la prédication. L’enseignement a certes
pour fonction de faire connaître des objets de connaissance et non quelque
conviction personnelle, mais nul n’est à l’abri d’un dérapage. La seconde raison
de sa grande percussion tient au fait qu’elle représente un heureux alliage des
méthodes précédentes. Le politicien, le prêtre, le professeur ont, du fait de leur
position, le privilège, si tel est leur vouloir, d’utiliser la méthode de la ténacité
en répétant ad nauseam les vérités auxquelles ils croient. De la même façon, le
prédicateur peut manier à sa guise le témoignage ou faire appel au consensus. À
cet égard, l’histoire est remplie d’horreurs perpétrées au nom d’idéologies
religieuses ou politiques. Des milliers d’humains semblent alors se satisfaire des
arguments mélangés d’émotions, d’irrationalité et de dogmatisme avancés par
leur chef. Il sera question plus loin de l’impact des émotions.
En route vers la méthode scientifique avec celle du
raisonnement
Selon Fourastié (1966), « le raisonnement rationnel est à la fois une arme
indispensable et un piège insidieux » (p. 118). La méthode du raisonnement
apparaît plus adaptée au réel que la pensée spontanée impliquée dans les
descriptions précédentes. Situer la méthode de raisonnement parmi les
méthodes préscientifiques d’acquisition de connaissances ne signifie nullement
que le raisonnement rationnel n’est jamais utilisé en science. De fait la
méthode du raisonnement nous rapproche de la méthode scientifique. La
pensée rationnelle permet en effet d’ordonner les connaissances obtenues par la
méthode scientifique et, dans un second temps, de les communiquer.
L’appréciation générale chez les étudiants des professeurs qui dispensent des
bons cours magistraux fait foi de son efficacité. Cependant, agencer dans un
ordre logique les connaissances connues est une chose, en acquérir de nouvelles
en est une autre, c’est pourquoi cette méthode reste préscientifique. Elle recèle
d’ailleurs plusieurs écueils dont les deux suivants :
1) les prémisses peuvent être fausses ;
2) le raisonnement basé sur des prémisses même vérifiées peut être erroné.
Les gens, selon Fourastié (1966), sont habituellement assez « habiles à
prouver par le raisonnement tout ce dont ils sont convaincus, quelle que soit
l’origine de leur conviction » (p. 119-120). Quand les règles du raisonnement
logique sont respectées, on tend à en accepter les conclusions. Pourtant, le
bien-fondé de la conclusion repose sur la validité des prémisses et dans la
mesure où la validité de celles-ci n’a pas été préalablement vérifiée, le
raisonnement peut s’apparenter aux méthodes de ténacité ou d’autorité.
Admettons maintenant que la vérité des prémisses n’est plus à démontrer, il
subsiste un autre piège : des erreurs de logique peuvent se glisser. Dissipons
immédiatement un possible malentendu. Les méthodes exposées jusqu’ici ne
sont pas sans faire appel au raisonnement, mais la dimension logique chez elles
cède à des moyens qui n’ont rien à voir avec les règles de l’argumentation
rationnelle de tel point de vue. Autrement dit, dans les six méthodes
précédentes, au lieu d’utiliser des propositions valides en soi et rigoureuses, on
parvient à convaincre les auditeurs par des moyens dépourvus d’articulations
logiques (témoignage, consensus, autorité, appel aux émotions, etc.).
Au total, il est clair que les six méthodes des préscientifiques d’acquisition de
connaissance présentées ici sont, dans la conduite de la vie quotidienne,
beaucoup plus confortables que l’acceptation du doute systémique inhérent à
la méthode scientifique qui demande continuellement à voir avant de croire.
Même si la méthode scientifique au sens strict se révèle rarement utile pour
résoudre nos problèmes quotidiens, comment se fait-il que l’attitude
scientifique ait si peu de prise sur le paranormal ? Pourquoi, en l’absence de
toute preuve, continue-t-on de croire aux phénomènes paranormaux ou d’en
admettre la possibilité ? Qu’est-ce qui, dans la nature humaine, regimbe à
l’approche scientifique des choses et des événements et au doute qui lui est
indispensable ? Ces questions feront l’objet de la prochaine section.

Des facteurs reliés à la nature humaine


Parmi les facteurs susceptibles d’expliquer le phénomène de la croyance aux
pseudosciences, la nature humaine est sans conteste le facteur le plus important
à partir duquel les autres facteurs s’alimentent. Cette section comprend trois
éléments susceptibles d’expliquer pourquoi la raison baisse les bras devant le
paranormal et deux manifestations de ces éléments. Les trois éléments sont la
satisfaction de l’homme à l’égard de sa propre pensée, la prééminence des
émotions sur la raison et la fabrication de sens inhérente au travail du cerveau
humain prodigieusement facilitée par la croyance. Les deux manifestations qui
découlent de ces trois éléments sont la paréidolie ainsi que l’effet Barnum et
son frère jumeau, le biais de confirmation.
L’homme se satisfait de sa propre pensée parce qu’elle est le
produit de son propre cerveau
Telle est la conclusion à laquelle parvient Fourastié (1966) devant le
constat que « plus de 10 000 générations de l’homo plus ou moins sapiens aient
pu se succéder sans que commence sérieusement l’inventaire de l’univers
sensible auquel nous procédons depuis trois ou quatre cents ans avec un succès
croissant » (p. 69). En fait, l’homme est satisfait par sa propre pensée,
indépendamment de ce qu’elle représente par rapport à la réalité extérieure.
Cela ne signifie évidemment pas qu’il soit imperméable au réel. Si tel était le
cas, sa survie serait menacée. Ce que nous voulons signifier ici, c’est que le fait
de croire en quelque chose donne un sens à l’existence et, ce faisant, influence
nos comportements, même quand ladite croyance se révèle non fondée. Et plus
les croyances sont ancrées profondément, moins elles supportent le
changement. Or, comme le fait de croire en « quelque chose » donne un sens
au monde qui nous entoure, nos comportements peuvent renforcer des
« vérités » tout à fait erronées.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’attitude scientifique ne s’apprend pas
facilement. Si cela était, son enseignement ne serait pas nécessaire. Il faut voir
et entendre à cet égard l’embarras de la majorité des étudiants en psychologie et
en sciences sociales lorsqu’ils se rendent compte qu’un cours de méthodes de
recherche fait partie du programme obligatoire de leur formation. Nul besoin
par contre d’enseigner les méthodes préscientifiques, on y recourt
spontanément depuis toujours. L’esprit tend naturellement à l’intuition du réel
et au simple raisonnement plutôt qu’à l’expérimentation. Alors que le
raisonnement (inductif et déductif ), une des meilleures méthodes
préscientifiques, est une construction spontanée de l’intelligence,
l’expérimentation ainsi que toutes les méthodes qui visent la vérification sont
soumises à certaines règles qui exigent un plus gros effort et une adaptation
psychique plus ardue (Fourastié, 1972 ; Piaget, 1970). En fait, la méthode
expérimentale et ses dérivés ne sont simples que dans leurs produits finis, c’est-
à-dire une fois les résultats publiés. La pensée spontanée est en réalité étrangère
à la démarche scientifique. Alors que la crédulité est naturelle, programmée et
découlant de la constitution même du cerveau, l’esprit critique et le
scepticisme supposent un certain apprentissage, un effort volontaire et une
vigilance constante (Dawkins, 1996).
Les émotions priment sur la raison
La recherche en psychologie sociale montre que dans plusieurs situations les
émotions constituent un meilleur moteur de régulation sociale que la raison.
Qui plus est, les humains seraient prédisposés biologiquement à créer des liens
sociaux en petits groupes. Par ailleurs, la contagion émotive inhérente aux
diverses formes de rituels suscités par des gourous charismatiques est un
phénomène connu. Les réunions animées par les preachers sont, à cet égard,
exemplaires. Il arrive en outre que des individus réputés sceptiques adhèrent à
certaines croyances pour des raisons psychologiques et émotionnelles qui les
réconfortent à l’occasion d’événements difficiles à traverser (disparition d’êtres
chers, peine d’amour). Des groupes et des sectes offrent aussi à leurs adeptes un
certain statut social, voire un prestige. Les initiés se considèrent alors supérieurs
au reste des citoyens (Broch, 2000). Dans de tels cas, la croyance remonte
l’image de soi à la manière de l’effet placebo, ce que les médecines douces ont
d’ailleurs bien compris. Pour leur part, ceux qui abandonnent une croyance, et
plus particulièrement une croyance religieuse, le font essentiellement pour des
raisons intellectuelles. Ils s’approprient les conclusions logiques de données
(archéologiques, historiques, biologiques, psychologiques, etc.) qui
déconstruisent les fondements mêmes de la croyance en mettant au jour, par
exemple, la genèse sociohistorique du développement des religions et de celle à
laquelle ils ont adhéré. Par ailleurs, les croyants intégristes clameront
imperturbablement qu’aucun argument ne saurait atteindre ou ébranler leur
foi puisqu’ils détiennent la Vérité. Ce faisant, ils placent la croyance dans un
registre tout autre que celui de la pensée.

Le cerveau humain, une machine à générer des croyances et, par


conséquent, à fabriquer du sens
Évoquant les propos d’une médium voyante sur la politique internationale,
les cataclysmes, etc., tenus le 1er janvier 2000 à la télévision française, Broch
(2000) se demande ce « qui pousse quelqu’un à proférer et/ou gober de telles
imbécillités ? » (p. 109). Une bonne partie de la réponse à cette question réside
probablement dans le fait que le cerveau humain a besoin de sens pour
fonctionner, et la croyance est la manière la plus rapide et la moins laborieuse
d’en obtenir. Malheureusement, beaucoup de croyances ont le même
dénominateur commun : la mise à l’écart de la raison, cette récente et toute
fragile acquisition dans l’histoire de l’humanité.
Dans Le cerveau social, Gazzaniga (1996) a habilement proposé que la
formation des croyances chez les humains découle de la constitution même de
notre cerveau et de son fonctionnement. La capacité de faire des inférences
dévolues à l’hémisphère gauche « a libéré l’être humain de l’interminable
corvée consistant à progresser par tâtonnements » (p. 138) et, comme il ne
supportait pas la dissonance cognitive, il s’est trouvé du coup contraint de
chercher des raisons à ses comportements. La théorie de la dissonance cognitive
élaborée par Festinger (1957) en psychologie sociale dans les années 1950 et
extrêmement féconde depuis lors constitue en effet une brillante manifestation
du besoin de cohérence du cerveau (voir Encadré 2).

ENCADRÉ 2. LA DISSONANCE COGNITIVE.

Pour Festinger (1957), les gens sont en quête d’harmonie cognitive et ont un besoin de penser
que leurs opinions (cognitions) et leurs comportements (actions) ne sont pas incompatibles.
Pour lui, l’expérience d’une contradiction entre une cognition et une action ou entre deux
cognitions traduirait une relation d’inconsistance (eg., fumer et savoir que fumer provoque le
cancer) qui placerait l’individu dans un état d’inconfort psychologique, appelé dissonance
(Joule, 1986). Pour faire face à cette tension psychologique désagréable, l’individu chercherait à
rétablir une cohérence entre les éléments générateurs de cette tension en modifiant ses opinions
ou ses comportements.
Plusieurs voies sont possibles : nier le comportement (nier les dangers du tabac), modifier ses
cognitions en accentuant les cognitions consonantes (plaisir de fumer) ou en minimisant les
cognitions dissonantes (ne pas fumer n’exclut pas tous risques de cancers), réévaluer le
comportement et le modifier (arrêter de fumer). La théorie de Festinger repose sur l’idée que la
dissonance serait un élément motivationnel comparable à une motivation primaire (comme la
faim ou la soif ) qui pousserait l’individu à toujours vouloir réduire son inconfort
psychologique. Elle s’avère heuristique car l’ampleur de la dissonance ressentie par un individu
permet de prédire son malaise et donc l’importance du changement attitudinal ou
comportemental qu’il devra engager pour le réduire. Cette théorie permet de comprendre
pourquoi, après avoir réalisé un comportement, les individus ajustent souvent après coup leurs
connaissances ou opinions, ce qu’il est convenu d’appeler un processus rationalisation
(Beauvois & Joule 1981, 1996).

« L’hémisphère gauche dominant est affecté à la tâche consistant à


interpréter nos comportements patents autant que les réactions émotionnelles
moins évidentes produites par ces différents modules mentaux de notre
cerveau. Il élabore des théories quant aux raisons de ces comportements, et le
fait à cause du besoin qu’éprouve le système cérébral de maintenir une
impression de cohérence entre tous nos comportements » (Gazzaniga, 1996,
pp. 111-113). La difficulté de ne pas confondre coïncidence, corrélation et
causalité s’explique mieux lorsqu’on comprend que l’homme fait des liens et
des inférences par automatismes cognitifs à propos de presque tout. Le succès
de certains ouvrages ésotériques tels, La Prophétie des Andes (Redfield, 1994) ou
Le secret (Byrne, 2007) est essentiellement basé sur l’exploitation des
coïncidences et notre désir de croire qu’elles n’en sont pas, mais comportent un
sens. En effet, on résiste fort à croire qu’une partie de ce qui nous arrive n’est
qu’accidentelle et relève de pures contingences et du hasard. Croire que notre
vie est parsemée d’accidents dépourvus de sens semble insupportable (Barrette,
2000).
L’impératif et profond besoin de croire semble n’imposer aucune limite à ce
que les individus peuvent inventer pour y arriver. Toutefois, le cerveau humain
ne peut indéfiniment faire de nouvelles inférences à propos de la structure du
monde. Économie d’énergie oblige, il doit porter son choix sur l’une d’entre
elles. Une fois ce choix fait, s’installe alors chez le croyant un système cognitif
plus ou moins fermé dont l’une des propriétés essentielles est d’écarter
d’emblée toute donnée contraire aux postulats implicites de la croyance choisie.
Ainsi, un système de croyances qui ne s’écarte pas trop de la réalité quotidienne
peut constituer une façon de faire relativement bien adaptée dans la mesure où
il favorise l’efficacité comportementale avec un minimum d’efforts cognitifs et
adaptatifs. Par contre, un système rigide de croyances qui ne souffre pas la
discussion peut déboucher sur le dogmatisme. L’encadré 3 présente dix
caractéristiques correspondant à une pensée fermée ou dogmatique (Rockeach,
1960) que j’oppose à la pensée formelle ou ouverte (lnhelder & Piaget, 1955 ;
Larivée, 2007) et dont la similitude avec la pensée critique est évidente
(Guilbert & Boisvert, 1999).

ENCADRÉ 3. LA PENSÉE FORMELLE, UN ANTIDOTE À LA PENSÉE DOGMATIQUE (LARIVÉE, 2007A, P. 208).

La pensée dogmatique La pensée formelle


1) empêche de séparer les informations de leur
1) permet la séparation des variables en jeu ;
source ;

2) limite les informations aux sources 2) cherche à diversifier les sources


considérées comme suffisantes ; d’information ;

3) juge les raisonnements et les informations 3) juge les raisonnements et les


vrais ou faux selon qu’ils proviennent ou non informations vrais ou faux après vérification
de l’autorité en place ; leur validité n’est pas des prémisses, et ce indépendamment des
sujette à caution ; autorités ;

4) empêche de tenir compte d’informations qui


4) tient compte d’informations de sources
s’opposent au système de croyances-
divergentes ;
incroyances ;

5) maintient la coexistence de croyances 5) permet l’élimination logique des


contradictoires à l’intérieur du système ; contradictions ;

6) bloque l’influence éventuelle de 6) cherche à distinguer les éléments dignes


raisonnement logique sur le système de de foi et les éléments douteux ;
croyances-incroyances ;

7) tend à nier tout ce qui contredit ou menace


7) peut remettre en question une hypothèse
son propre système de croyances et de non-
lorsqu’une donnée contradictoire apparaît ;
croyances ;

8) bloque la prise de conscience des 8) critique ses propres raisonnements ;


inconsistances de ses propres jugements ou vérifie la validité de ses conclusions à la
l’influence de faits contradictoires ; lumière d’autres informations ;

9) confrontée à la résolution des problèmes, 9) face à un problème, permet de considérer


recourt principalement aux croyances l’ensemble des possibles ; les croyances
personnelles, ce qui bloque l’ouverture sur les personnelles font alors partie de la panoplie
possibles ; des possibles ;

10) est centrée sur le point de vue propre ; le


10) permet d’envisager un ensemble de
sujet saisit difficilement les ressemblances et les
points de vue et de considérer leurs
différences entre celui-ci et le point de vue des
ressemblances et leurs différences.
autres.

À la limite, peu importe que les explications soient vraies ou fausses,


l’important, c’est qu’elles soient satisfaisantes pour l’individu aux plans émotif
et cognitif (Lett, 1992). Les pouvoirs religieux exploitent habilement la
propension humaine à croire, comme en font foi les leaders de certaines
religions et sectes. Les explications élaborées par les leaders religieux leur
permettent non seulement de considérer la pensée magique comme un mode
normal de réflexion, mais surtout d’exercer leur pouvoir de coercition,
particulièrement sur les jeunes esprits. À cet égard, non seulement la capacité
de croire des enfants est plus grande que celle des adultes, mais la sélection
naturelle a débouché sur un cerveau qui permet aux enfants de croire ce que
leurs parents leur demandent de croire (Dawkins, 2008).
Cette confiance en la parole d’adultes significatifs est essentielle à
l’apprentissage qui permet d’acquérir des connaissances grâce aux expériences
et aux connaissances accumulées par d’autres. Une telle transmission
d’informations est un avantage en ce qu’elle permet moult aptitudes sociales et
autres comportements propres à l’espèce humaine. Le revers de cette obéissance
aveugle est la crédulité. Il est dès lors nécessaire que, pour se prémunir contre la
manipulation et l’exploitation par ses congénères, l’enfant développe une
certaine méfiance envers sa propre crédulité.
Autrement dit, le cerveau est davantage programmé pour faire confiance
que pour douter. Le doute, le scepticisme et la pensée critique font partie des
capacités cognitives de l’être humain, mais ces capacités nécessitent un certain
entraînement intellectuel et culturel, alors que la confiance et la crédulité à
l’égard de nos proches sont des inclinations spontanées et naturelles. En
situation de survie dans l’environnement ancestral où ces dispositions ont été
acquises, mieux vaut un surcroît de confiance qu’un doute éventuellement
fatal.
Pour expliquer pourquoi certains individus sont plus facilement influencés
par le discours religieux, Parejko (1999) relie l’omniprésence et la force du désir
de croire à un programme émanant de la sélection naturelle. La « crédulité »
serait ainsi, au même titre que d’autres traits humains complexes, (par
exemple : l’anxiété, l’intelligence, les troubles bipolaires, l’introversion) un trait
de caractère sujet à la sélection naturelle et comportant une composante
héritable (Bouchard, 1994 ; Plomin, 1990).
Un individu crédule peut se définir comme celui qui accepte d’emblée de
croire à des événements extraordinaires sans exiger de preuves toutes aussi
extraordinaires. À l’instar des autres traits héritables, celui-ci est à la fois
génétique et environnemental. Comme on peut exercer une certaine influence
sur l’environnement, on a intérêt à contrôler quel aspect de l’environnement
peut jouer un rôle. Ce qui suit sert à cela.
S’interrogeant sur les raisons de la persistance des fausses croyances, Lester
(2000) adopte un point de vue évolutionniste et biologique. Comme tous les
organes du corps, le cerveau a été façonné par l’évolution qui a retenu des
solutions adaptatives, dont celle de permettre aux humains de rester vivants.
Pour ce faire, les sens sont à cet égard les premiers outils. Ainsi, les premiers
hominidés avaient intérêt à bien percevoir le danger (par exemple, la présence
d’un lion) s’ils voulaient survivre, mais se fier uniquement aux sens comporte
en même temps de sérieuses limites adaptatives. Par contre, les croyances issues
de l’expérience (à titre d’extension de nos sens) peuvent s’apparenter à des
connaissances et constituent à cet égard l’instrument de survie par excellence.
Par exemple, nos ancêtres du Paléolithique augmentaient leurs chances de
survie s’ils étaient fortement convaincus de l’existence du danger, même si leurs
sens ne leur indiquaient pas la présence d’un danger immédiat. De la même
façon, un policier a tout intérêt à croire en la possibilité que l’individu arrêté
pour excès de vitesse puisse être un psychopathe armé, même si ses sens ne lui
indiquent rien de tel. Au fil de l’évolution, les sens et les croyances sont
demeurés essentiels pour la survie, mais se sont en quelque sorte spécialisés. Les
sens permettent de nous adapter à partir de ce que nous percevons, alors que
les croyances permettent, au-delà de nos sens, de donner du sens à ce qui nous
arrive ou d’anticiper l’avenir. Les croyances n’ont donc plus besoin des sens
pour fonctionner. Les croyances tiennent leur valeur de survie en ce qu’elles
persistent même confrontées à des données contradictoires. En effet, tant nos
ancêtres que le policier moderne, pour reprendre les mêmes exemples, ont
intérêt, même en l’absence de tout danger immédiat, à maintenir leurs
croyances quant à la présence d’un danger potentiel. En fait, en présence d’un
conflit entre des faits et une croyance, le cerveau ne se tourne pas
automatiquement vers les faits. Si ce constat peut faire comprendre pourquoi
des croyances irrationnelles peuvent persister même en face de données
contradictoires, cela n’explique cependant pas pourquoi certains individus
adhèrent plus facilement que d’autres à des croyances irrationnelles et surtout
pourquoi certaines croyances ont une durée de vie plus longue que d’autres
(Larivée, 2009).
À cet égard, les théories néodarwiniennes de la culture proposent
d’appliquer les concepts de sélection naturelle et de mécanismes héréditaires
aux phénomènes socioculturels. Parmi les théories disponibles, la théorie des
mèmes de Dawkins (1996 ; voir aussi Blackmore, 1999 ; Dennet, 2000) et celle
de la coévolution gène/culture (par ex. : Durham, 1991 ; Lumdsen & Wilson,
1981 ; Sperber, 1996) sont en bonne position malgré les critiques dont elles
sont l’objet.
Dans le premier cas, Dawkins (1996) postule que le mécanisme de
l’évolution, tel qu’il est modélisé dans le darwinisme, loin d’être limité aux
phénomènes biologiques, commande également la dynamique culturelle.
Autrement dit, le darwinisme ne peut être réduit au contexte étroit des gènes.
Si les gènes sont en effet des réplicateurs, ils ne seraient pas seuls à jouer ce rôle.
La transmission culturelle donne aussi lieu à une forme d’évolution en ce que
les représentations culturelles seraient aussi des réplicateurs, c’est-à-dire des
objets capables de produire des copies d’eux-mêmes, et que Dawkins appelle
mème. Un mème est tout aussi bien une recette de cuisine (la pizza), une
opinion (le racisme), une théorie (la théorie piagétienne), les contes de fées,
une croyance (un Dieu monothéiste), une pièce de musique. On aura compris
ici que la description des diverses cultures comme un ensemble d’unités qui
forme, à l’instar des gènes au plan biologique, des unités culturelles constitue
une analogie. À l’instar des gènes, qui sont des unités qui se perpétuent en
vertu de leur capacité à produire des répliques fidèles d’elles-mêmes, les mèmes
se reproduisent de cerveau à cerveau essentiellement par imitation : « les bons
réplicateurs culturels colonisent ainsi les populations humaines » (p. 32). Mais,
dans tout processus de copie, il arrive que celle-ci ne soit pas tout à fait
conforme à l’original. Dans le cas des gènes, on assiste alors à des mutations
génétiques. Non seulement ce même phénomène est-il applicable aux mèmes,
mais il est aussi plus fréquent. Dawkins reconnaît d’ailleurs que le processus de
copie des mèmes est moins précis que celui des gènes ; chaque copie pourrait
donner lieu à un élément mutationnel. Ainsi, certains mèmes mutants ne
parviendront pas à se reproduire, car personne ne les imite ; d’autres auront
une durée de vie plus ou moins éphémère, par exemple les modes ; d’autres,
enfin, ont une vie durable, l’idée de Dieu est un exemple typique. Les mèmes, à
l’instar des gènes, sont donc l’objet d’un processus de sélection avec un
potentiel de survie plus ou moins fort.
Le mème de Dieu est à cet égard significatif. On sait depuis les travaux de
Jaynes (1976, 1986) que l’idée de Dieu est apparue dans l’humanité avec
l’émergence de la conscience, il y a environ 10 000 ans avant Jésus-Christ (AD)
et perdure depuis ce temps. Qu’est-ce qui assure à l’idée de Dieu sa pérennité
et son pouvoir de pénétration de l’environnement culturel ? La valeur de survie
du même Dieu provient de son énorme attrait psychologique. Il fournit en fait
une réponse simple à des questions profondes et troublantes, à propos de la vie
et de la mort. Entre autres, les religions suggèrent que les injustices terrestres
seront réparées par la justice divine dans une autre vie. Les mèmes peuvent aussi
augmenter leur chance de propagation en s’associant entre eux. Ainsi, les
associations, répulsives (Dieu et enfer) et attractives (Dieu et paradis) se
renforcent mutuellement, augmentant ainsi la probabilité de propagation du
mème de Dieu dans le pool mémique. En fait, avoir la foi, c’est se mettre dans
un état d’esprit tel qu’on est prêt à croire quelque chose en l’absence de toute
preuve, même quand des raisonnements logiques ou des faits interfèrent avec
les affirmations dogmatiques inhérentes. Le mème de la foi aveugle décourage
ainsi toute démarche rationnelle assurant du coup sa pérennité. La forte
tradition orale puis écrite des grandes religions, soutenue par des grandes
réalisations artistiques (architecture, musique, peinture), ainsi que par leurs
rituels et leurs lois contribue aussi à la grande stabilité du mème de Dieu.
La différence d’attitude entre le Thomas des Évangiles et les autres apôtres
constitue un exemple paradigmatique du fonctionnement de la foi.
L’évangéliste, plutôt que de saluer la recherche de preuve du disciple sceptique,
donne à admirer la foi de ceux qui croient « sans avoir vu ». La foi aveugle
(qu’elle soit patriotique, politique ou religieuse) peut alors justifier n’importe
quoi. Dans les cas extrêmes, les tenants d’un système de croyances sont prêts à
tuer et à mourir sans autre justification que celle de leur foi. La foi aveugle peut
décréter que quiconque nuit au système doit mourir sur une croix, sur le
bûcher, occis par l’épée d’un croisé, mitraillé dans les rues de Beyrouth,
pulvérisé par une bombe dans un bar de Belfast ou tué par un kamikaze dont
l’avion s’écrase sur le World Trade Center à New York. La foi a suffisamment
de pouvoir pour immuniser contre tous les appels à la pitié, au pardon ou aux
plus nobles sentiments humains. Elle immunise même contre la peur, pour peu
que le Paradis soit promis aux martyrs (Dawkins, 1996). La science n’est certes
pas à l’abri de dérapages basés sur une « foi aveugle » en sa toute-puissance,
mais heureusement le fonctionnement scientifique lui-même entrave la
pérennité d’un tel aveuglement. Le caractère biodégradable des théories
scientifiques en est probablement une bonne illustration.
Enfin, contrairement au darwinisme classique, sans toutefois nier que la
culture est le prolongement de nos dispositions biologiques, la théorie des
mèmes s’oppose au déterminisme génétique de l’explication des phénomènes
culturels. Selon Dawkins, la culture humaine serait non seulement débranchée
de l’évolution biologique, mais nettement plus rapide. En fait, « une fois que
les gènes auront pourvu leurs machines à survie d’un cerveau capable d’imiter
rapidement, les mèmes prendront immédiatement le contrôle » (Dawkins,
1996, p. 271). Les mèmes utiliseront à plein cette capacité d’imitation du
cerveau, ce qui ne minimise en rien les autres formes d’apprentissage dont il est
pourvu.
Par ailleurs, deux tendances caractérisent les théories de la coévolution
gène/culture (Guillo, 2000). La première est défendue par le père de la
sociobiologie, E.O. Wilson (voir Lumdsen & Wilson, 1981), et la seconde, par
des anthropologues (par exemple Durham, 1991 ; Sperber, 1996). Pour
illustrer leur perspective, Lumdsen et Wilson (1981) recourent à l’exemple de
la peur et de la fascination à la fois culturelle et institutionnelle qu’inspire le
serpent. L’adoption du culturegène, « peur des serpents » favorise la fuite face
aux serpents, et les sociétés qui adoptent et transmettent le mieux ce
culturegène ont une meilleure chance de survie. En fait, dans la perspective
défendue par Lumdsen et Wilson, même si les gènes « tiennent en laisse la
culture », celle-ci est quand même considérée comme relativement autonome,
interagissant avec les gènes dans un processus coévolutif. Autrement dit, les
cultures humaines se développeraient sur un fond d’aptitudes (conduites
sociales, langage, etc.) génétiquement programmées qui influenceraient en
retour la sélection des gènes porteurs de ces comportements. La culture
(conduites, croyances et apprentissages de toutes sortes) interviendrait ainsi à
titre de relais ou d’accélérateur de l’évolution sans pour autant échapper au
contrôle des gènes.
Tout en appuyant l’idée que la culture se greffe sur les aptitudes (cognitives
et émotionnelles) relativement stables héritées de l’évolution et que le cerveau a
retenu au fil du temps des solutions aux problèmes courants (se reproduire, se
nourrir, se défendre, communiquer, etc.), Sperber (1996) soutient que
l’évolution culturelle obéit à une logique de diffusion similaire à celle des
épidémies. Ainsi, les idées se répandraient d’un cerveau à l’autre par une sorte
de contamination d’où le titre de son ouvrage, La contagion des idées. Sperber
insiste toutefois sur le fait que les unités culturelles ainsi transmises sont
rarement identiques de fois en fois, ce qui ne les empêche pas de conserver une
certaine stabilité. Les différentes versions des contes de fées illustreraient ce
type de transmission. À choisir entre réplication et transformation pour
caractériser la loi générale de la transmission culturelle dans une optique
néodarwinienne, Sperber opte d’emblée pour la transformation.
Comprendre que les croyances ont de solides fondements biologiques axés
sur la survie requiert de les respecter. Laisser tomber ses croyances implique
peut-être pour certains individus des conséquences adaptatives trop coûteuses.
Comme les croyances ont contribué au cours de l’évolution à notre survie, il
n’est guère surprenant qu’elles soient biologiquement résistantes au
changement. S’il existe un tel « instinct » de la foi, selon l’expression de
Barrette (2000), on comprend qu’il soit difficile d’y résister, qu’il soit plus facile
de croire que de douter, que l’esprit critique et rationnel soit plus tardif dans
l’histoire de l’humanité et dans le développement de l’homme (Châtelet,
1992 ; Fourastié, 1972) et surtout moins populaire que les mythes et
l’ésotérisme. Puisque nous sommes programmés pour croire, nous sommes
particulièrement sensibles aux histoires qui répondent à ce que nous avons
besoin de croire. En fait, non seulement le croyant néglige plus ou moins
volontairement les démonstrations qui prouveraient l’existence des objets de sa
foi, mais advenant une démonstration scientifique, ces objets cesseraient
d’appartenir au domaine de la croyance pour intégrer le domaine des
connaissances. Qui plus est, certains croyants, reconnaissant probablement
l’importance de l’esprit critique, pensent qu’en rejetant la méthode scientifique,
ils sortent des sentiers battus et font ainsi preuve de scepticisme.
Si nous sommes programmés pour croire, force est d’admettre que la
croyance au sens large possède une valeur adaptative et culturelle et que même
si elle n’est plus branchée sur la survie au sens strict, elle contribue au bien-être
physique et spirituel de ses adeptes. On a montré, par exemple, que les
individus qui cultivent une spiritualité ont tendance à vivre plus longtemps et
en meilleure santé et que les malades qui prient avant et après une opération
récupèrent plus rapidement que ceux qui ne prient pas (voir Benson & Stark,
1966 ; Forester, 1999 ; Layne, 2000). Peut-être est-ce l’effet placebo, mais peu
importe. Puisque nous sommes programmés pour croire, nous sommes
particulièrement sensibles aux histoires qui répondent à ce que nous avons
besoin de croire. En fait, peu importe que tel ou tel phénomène (par exemple,
la vie après la mort) existe vraiment, ce qui compte pour le bien-être du
croyant, c’est qu’il existe dans son cerveau. Que nous ayons tous besoin de fuir
momentanément la réalité – et les moyens ne manquent pas (rêve, imaginaire,
fiction, etc.) – soit, mais « le défi est de ne pas confondre la fiction avec la
réalité, de ne pas succomber au désir de croire, si c’est la vérité que l’on
cherche » (Barette, 2000, p. 291).
À cet égard, bien qu’il reste impossible d’être parfaitement objectif, il est
souhaitable de tendre à l’objectivité dans le champ de l’acquisition des
connaissances. C’est en effet le meilleur moyen d’éviter de prendre ce que nous
voulons croire pour la vérité, ou pour éviter de trouver ce que nous voulons
trouver plutôt que ce qui est (Barrette, 2000). Or, que font les approches qui
gravitent autour du paranormal, des enfants du Verseau et du nouvel-âge ?
Elles laissent l’impression qu’elles peuvent réconcilier la subjectivité et la raison,
que le vouloir croire et le vouloir la vérité sont tout à fait conciliables. Mais
c’est peine perdue : l’ésotérisme et la science constituent deux démarches
inconciliables qui ne peuvent s’amalgamer dans un même discours. La source
de cette opposition réside dans les méthodes que l’humanité doit suivre pour
obtenir des connaissances fiables. L’ésotérisme, tout comme la mystique
d’ailleurs, valorise l’expérience subjective, tandis que la science est tendue vers
la quête incessante de l’objectivité. Certains croyants résolvent ce dilemme en
se persuadant qu’ils ont intimement découvert la vérité. Or, l’objectivité ne
relève ni de l’opinion personnelle ni de la conviction intime. Les connaissances
dérivées d’une démarche scientifique sont le résultat du processus
essentiellement collectif. Quand il fait de la science, le chercheur, même guidé
par son intuition, utilise des hypothèses, des observations, des méthodes et des
résultats qui sont vérifiables. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, le
noyau dur du consensus définissant une activité de recherche scientifique réside
dans le caractère reproductible des résultats. Autrement dit, contrairement aux
autres formes de connaissances, les affirmations d’un chercheur demandent à
être vérifiées par d’autres chercheurs. Ce critère de vérifiabilité implique
évidemment que les méthodes de collecte de données soient explicitement
divulguées et reproductibles (Larivée, 1997).
Bref, la science s’occupe de la réalité sensible et, en définitive, elle ne peut
répondre qu’à une part relativement restreinte des besoins humains. La
création artistique, la réflexion éthique, la recherche du sens, l’interrogation
métaphysique échappent pour une large part au traitement scientifique.
Cependant, même si la réflexion et l’intuition rejoignent les sciences par leurs
racines, leur exercice singulier présente des différences fondamentales. Tandis
que dans les sciences dures, l’intuition s’exprime souvent avec timidité, dans les
sciences humaines et sociales, la démarche scientifique provoque quelquefois
des réticences. La coexistence de la pensée intuitive et de l’attitude scientifique
passe probablement par la reconnaissance de leurs limites respectives (voir
Eisner, 1997, 1999 ; Knapp, 1999 ; Mayer, 2000).
Actuellement, on convient de la pertinence de la méthode scientifique pour
aborder et résoudre certains problèmes et, surtout, pour acquérir des
connaissances valables. Si l’arrivée toute récente de la méthode expérimentale
dans l’histoire de l’humanité (à peine 500 ans) explique en partie les limites de
son utilisation, il faudra attendre le verdict de l’histoire pour savoir si à long
terme elle aura une fonction de survie pour l’humanité.
La paréidolie
Un des beaux exemples confirmant que le cerveau humain est une véritable
machine à générer du sens et, partant, des croyances, est le phénomène de la
paréidolie. Nous verrons également dans le chapitre 5, que plusieurs des
arguments utilisés par les pseudoscientifiques en constituent également
d’excellents exemples. Cela dit, la paréidolie consiste à reconnaître clairement
dans un stimulus visuel vague ou ambigu des images ou des objets, le plus
souvent une forme humaine ou un animal. À cet égard, on peut penser que la
paréidolie pourrait expliquer les cas de visions de figures iconiques ou
religieuses, telles les apparitions mariales.
En fait, par excès de zèle, notre cerveau peut en venir à distinguer des
formes partout. L’identification de visages ou d’animaux dans les nuages
constitue un exemple classique de paréidolie auquel les enfants aiment bien se
prêter. Par ailleurs, voir « Mère Teresa dans une brioche, Lénine sur un Rideau
de douche, un verset du Coran sur un poisson, Ben Laden ou le Diable dans
les fumées du World Center » (Axelrad, 2009), ou plus simplement voir un
visage sur un caillou ramassé au hasard ne prête également guère à
conséquence. Par contre, que quelqu’un ait en 2004 payé 28 000 $ pour un
toast sur lequel on affirmait percevoir le visage de la Vierge Marie, nous
apparaît un peu cher payé pour un phénomène sans aucun fondement dans la
réalité autre que celui qu’il correspond à nos croyances.
Que dire également des psychologues qui utilisent le test de Rorschach, un
test de taches d’encre à partir duquel on demande à un individu de dire ce qu’il
perçoit (Brugger & Regard, 1995). Ses réponses sont alors censées représenter
certains aspects de son psychisme. N’est-ce pas là encourager la paréidolie dans
le cadre d’un travail professionnel ?
Si, de façon générale, notre esprit est prédisposé à donner du sens à
l’aléatoire, certains individus sont non seulement plus portés à croire que
d’autres, mais prennent leurs croyances au sérieux. À cet égard, les individus
qui croient aux phénomènes paranormaux sont particulièrement doués pour
déceler des formes là où d’autres ne voient que du flou. Les voyants de tout
acabit sont alors prêts à alimenter les croyances que ces individus prennent au
sérieux. C’est ainsi que plusieurs voyants se livrent à un brillant exercice de
paréidolie avec « la cafédomancie, c’est-à-dire l’aptitude à voir l’avenir dans le
marc de café, la catoptromancie (divination à l’aide de cristaux), l’encromancie
(à l’aide de taches d’encre), l’acutomancie (à l’aiguille), la grammattomancie (à
l’aide de lettres tirées au sort) […] » (Bronner, 2007, pp. 69-70).
Ce n’est également peut-être pas par hasard si les visions paréidéliques sont
souvent de nature religieuse (par exemple la Vierge Marie). À Houston, aux
États-Unis, des citoyens ont vu dans les restes d’une crème glacée sur un
trottoir une image de la Vierge de Guadeloupe. Bien sûr, la présence de cette
tache est un pur hasard. Mais certains considèrent que cette ressemblance est
tellement peu probable qu’il s’agit là assurément d’un miracle (Bronner, 2007).
L’encadré 4 illustre mon propos.

ENCADRÉ 4. DIEU CHEVAUCHAIT LE TSUNAMI.

Selon le directeur du Centre d’études islamiques de Colombo au Sri Lanka, Mohamed Al-Faiz,
le nom de Dieu était écrit en arabe au plus haut de la vague mortelle. Pour Al-Faiz, le
tremblement de terre et le raz-de-marée relèvent de la volonté de Dieu de punir ceux qui se
sont écartés de sa voie. Tout comme pour le Déluge, Dieu a déchaîné les éléments naturels
contre ces rivages à cause des touristes étrangers et les musulmans pervertis qui venaient
forniquer et boire de l’alcool.
À la fin de janvier 2005, le magazine Elaph a fait un sondage. À la question « êtes-vous
d’accord ou non avec les thèses fondamentalistes selon lesquelles les tremblements de terre
seraient une manifestation de la colère divine ? » 50,7 % ont répondu « non » et 41,7 %
« oui ». Selon le journaliste, le pourcentage de « oui » est très élevé si on considère que les
lecteurs du Elaph ne se recrutent pas majoritairement dans les milieux fondamentalistes a.
Source : A. Hall, Le Soir, Alger, repris dans le n° 743 du Courrier International (27 janvier-
2 février 2005, p. 63).
a
On peut bien sûr se demander s’il n’y a pas ici un biais d’échantillonnage.

Atran (2006) considère pour sa part que le phénomène paréidolique provient


d’un héritage biologique de nos ancêtres. À l’époque, par exemple, percevoir le
visage d’un ennemi réel ou pas (humain ou animal) dissimulé dans des herbes
hautes, alors qu’en apparence il n’y avait qu’un amas confus, pouvait être une
question de survie.
L’effet Barnum et son frère jumeau, le biais de confirmation
Si le phénomène de la paréidolie montre que certains individus peuvent
être trompés par des illusions perceptives, l’effet Barnum et le biais de
confirmation mettent en évidence un phénomène beaucoup plus généralisé : la
généralisation de fausses perceptions.
Effet Barnum. En 1949, Forer, après avoir fait passer un test de personnalité
à ses étudiants (n = 39), met de côté les résultats et leur remet plutôt un texte
qu’il emprunte à la rubrique « astrologie » d’un magazine leur signifiant qu’il
s’agissait là bien sûr d’un résultat personnalisé (voir encadré 5).

ENCADRÉ 5. FORER, UN ASTROLOGUE DE SERVICE POUR LA BONNE CAUSE.

« Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous
avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les
compenser. Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas tourné à votre avantage. À
l’extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l’intérieur vous tendez à être
préoccupé et pas très sûr de vous-même. Parfois vous vous demandez sérieusement si vous avez
pris la bonne décision ou fait ce qu’il fallait. Vous préférez une certaine dose de changement et
de variété, et devenez insatisfait si on vous entoure de restrictions et de limitations. Vous vous
flattez d’être un esprit indépendant et vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment
démontrée. Vous pensez qu’il est maladroit de se révéler trop facilement aux autres. Par
moments, vous êtes très extraverti, bavard et sociable, tandis qu’à d’autres moments vous êtes
introverti, circonspect, et réserve. Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes ».
http://www.charlatans.info/effet_barnum.shtml

Puis, il demanda à ses étudiants leur degré d’accord avec la description de


leur personnalité sur une échelle de type Likert en cinq points (0 signifiant
aucune ressemblance et 5 une ressemblance exacte). Résultat : un score moyen
de 4,2. À la suite de son expérience, Forer baptisa son observation « Effet
Barnum » probablement sur la base de deux aphorismes attribués à Phineas T.
Barnum, le célèbre patron du non moins célèbre cirque américain Barnum et
Baily : « Il faut que dans un spectacle, chacun croit qu’il y a un peu de quelque
chose pour lui » et « à chaque minute, il naît un gogo ». Bref, l’effet Barnum
n’est rien d’autre que la tendance des individus à s’attribuer une vague
description de personnalité sans soupçonner bien sûr que, compte tenu des
propos très généraux, la même description peut s’appliquer également à
d’autres individus. Convenons ici que Barnum était probablement loin de se
douter que son nom passerait à l’histoire de la psychologie (Filiatrault, 2002).
Dans le cadre des activités des astrologues, des graphologues et des voyants
de tout acabit qui prétendent fournir des informations sur leurs clients, l’effet
Barnum se produit lorsqu’un individu se reconnaît dans la description qui lui
est présentée (Layne, 1979 ; Snyder, Shenkel, & Lowery, 1977). Si le
« consultant » s’en tient à des informations très générales, vagues et surtout
positives, le tour est joué. Non seulement l’individu acquiert la conviction de
l’exactitude des propos, mais ceux-ci confirment en retour la validité de
l’approche. Et le cirque continue.
L’expérience initiale de Forer a été reproduite à moult reprises et avec
autant de succès. Par exemple, Stagner (1958) a fait parvenir à 68 directeurs du
personnel d’entreprises américaines une analyse comprenant 13 formules
identiques à celles utilisées dans les analyses graphologiques ou astrologiques.
Leur tâche : évaluer le degré de vraisemblance de chacun des jugements par
rapport à eux. Résultat : plus du tiers des participants ont jugé l’analyse
« étonnamment précise » et 40 % « plutôt bonne ». Les deux phrases jugées très
précises ou étonnamment appropriées disaient : « vous préférez une certaine
variété et vous êtes insatisfait quand les contraintes ou les restrictions sont
excessives » (91 %) et « vous avez quelques faiblesses de caractère, mais vous
parvenez généralement à les surmonter » (89 %). Inversement, les deux phrases
évaluées les moins précises ont été « vous avez des difficultés dans le domaine
sexuel » et « certaines de vos aspirations tendent à être peu réalistes ».
Pour leur part, Ulrich, Strachnick et Stainton (1963) ont constaté que 53
personnes sur 57 (93,0 %) à qui on a remis une évaluation de leur personnalité
ont conclu que celle-ci correspondait bien à ce qu’ils étaient. En fait, plus
l’évaluation est positive, plus elle est acceptée comme vraie. Certains individus
y croient tellement que même après avoir constaté que l’évaluation de tous les
participants est identique, ils continuent d’y croire. À cet égard, les auteurs
citent le cas d’un individu qui affirma, même après le debriefing « je crois que
dans mon cas, cette interprétation s’adapte individuellement car il y a
beaucoup trop de facettes qui me correspondent pour que cela puisse être une
généralisation » (p. 833).
Outre que la « connaissance de soi » est un impératif à la mode dans la
société actuelle, ces résultats font ressortir au moins deux éléments.
Premièrement, quand une description propose un trait de personnalité et son
contraire, l’élément qui « parle » à l’individu prendra toute la place au
détriment de l’autre. Par ailleurs, quand la description demeure vague,
l’individu, sans s’en rendre compte, remplira les vides avec ses propres images
et représentations, croyant les y trouver véritablement. Deuxièmement, l’effet
Barnum met en évidence que les descriptions des traits de personnalité sont
bien acceptées uniquement quand elles sont positives.
L’effet Barnum met évidemment en cause la façon dont les descriptions
sont élaborées. Il nous renseigne aussi sur le processus même de la construction
de l’identité ou du concept de soi (Filiatrault, 2002). Nous devons garder de
nous-mêmes une image positive et, pour ce faire, rechercher en priorité ce qui
la confirme (Dickson & Kelly, 1985 ; Snyder & Cowles, 1979). Et conserver
une telle image de soi est essentiel au bien-être psychologique (Brown, 1991 ;
Diener & Larsen, 1993 ; Halperin & Snyder, 1979). En fait, plus la
description est flatteuse, plus la personne a tendance à la percevoir comme
s’adressant à elle de façon spécifique (Guastello, Guastello, & Craft, 1989). Ces
processus ont été observés en appliquant les résultats à de faux tests de
personnalité, mais également à partir des approches psychologiques les plus
scientifiques. En fait, tout se passe comme si l’effet Barnum joue de façon
automatique, un peu à la façon dont l’effet placebo se confirme en présence des
médicaments les plus avérés (Filiatreault, 2002).
Biais de confirmation. Le biais de confirmation se manifeste lorsque
confronté à un ensemble d’informations, un individu sélectionne celles qui
confirment sa propre croyance et ignore celles qui la contredisent ou qui la
sous-estiment (Nickerson, 1998). Autrement dit, dans une masse
d’informations, certains individus ont tendance à ne retenir que celles qui
apparaissent correspondre à leurs attentes en mettant l’accent sur une seule
possibilité et en ignorant les alternatives. Un tel phénomène est plutôt
fréquent. Prenons deux individus : l’un est un partisan de l’importance des
études collégiales et l’autre, pas. Le premier identifie d’emblée les emplois
auxquels peuvent avoir accès les détenteurs d’un diplôme collégial et le second,
les emplois disponibles et payants pour ceux qui ne détiennent pas ce diplôme.
L’adoption d’enfants par des adultes de même sexe constitue un autre
exemple parlant. Ceux en faveur sélectionneront des cas d’enfants dont le
développement se situe dans la norme et ceux en défaveur, des cas où ces
enfants ont à leurs yeux ratés leur vie. Bien sûr, la solution au biais de
confirmation est de chercher, en application du critère de réfutabilité (Popper,
1973), des contre-exemples à notre croyance.
Smith (2010) présente plusieurs techniques pour favoriser (accroître) l’effet
Barnum et le biais de confirmation. En voici deux :
Offrir plusieurs possibilités
Prononcez d’abord un énoncé qui laisse la place à plusieurs interprétations.
Puis à partir de la réponse du sujet, tenez des propos vraisemblables
susceptibles de déboucher sur une réponse positive puis reformulez un énoncé
complexe. L’individu aura alors tendance à ignorer ce qui ne correspond pas à
ce qui le concerne et à sélectionner ce qui lui convient, tel qu’illustré par le
dialogue suivant :
Le voyant : Vous semblez être à un point tournant dans votre vie, à un
moment qui implique de manière significative d’autres personnes, vos finances
et une décision médicale majeure.
Le client : En effet, je suis préoccupée de ce que je vais faire à la fin de mes
études universitaires.
Le voyant : C’est exactement ce que je pensais. Vous êtes soucieux (inquiet)
à propos de votre carrière, de vos finances et d’un éventuel mariage – ce qui est
normal à votre âge.
Le client : En effet, j’aimerais bien me marier.
Un énoncé bicéphale
Faites une prédiction ou une observation qui inclue son contraire. Voici un
exemple :
• En ce moment, vous êtes un peu timide, mais quelques fois vous vous
surprenez vous-mêmes à constater à quel point vous pouvez aller de l’avant.
En prédisant un événement et son contraire, vous aurez nécessairement
raison. Dans une telle situation, le voyant sort gagnant, il a nécessairement vu
juste. Et si le voyant apparaît suffisamment sincère, le client ignorera la partie
de l’énoncé qui est fausse.
Le biais de confirmation est aussi très fréquent chez les cliniciens. Ceux-ci
tendent à retrouver chez leurs patients les éléments du cadre théorique qu’ils
privilégient pour expliquer les problèmes de leurs clients. Ainsi, pour Freud,
l’inconscient est « le réservoir des désirs sexuels refoulés dans l’enfance et dans
la préhistoire de l’humanité, et pour Jung, l’inconscient est un musée complet
des antiquités païennes, transmis de génération en génération par l’hérédité des
caractères acquis » (Bénesteau, 2002, p. 93). Pour sa part, Alfred Adler voit des
complexes d’infériorité partout. Pour Otto Rank, les problèmes sont
attribuables au traumatisme de la naissance. Pour Mélanie Klein, les difficultés
des enfants qu’elle rencontre sont attribuables à la représentation du sein
morcelé de leur mère. Pour Lacan, l’inconscient est évidemment structuré
comme un langage. De nos jours, beaucoup de cliniciens croient déceler dans
les problèmes des enfants qu’ils traitent des perturbations dans le processus
d’attachement ce qui ne préjuge en rien de la qualité de leurs mesures, plus
objectives que les interprétations freudiennes. Les choses n’ont guère changé :
les croyances subjectives du thérapeute, au lieu des connaissances découlant de
la recherche scientifique, guident encore trop souvent la démarche
thérapeutique (Garb & Boyle, 2003 ; Van Gijseghem, 1993).
CHAPITRE 4

Comment le climat socioculturel


et l’éducation contribuent
à la promotion des pseudosciences

Le climat socioculturel
Deux ensembles de facteurs socioculturels favorisent l’attrait des
pseudosciences chez le citoyen : l’un relève de l’écrit et l’autre de l’audiovisuel.
Dans le premier cas, je montrerai comment non seulement les journaux et les
magazines, mais aussi les bibliothèques ainsi que les librairies, ces lieux
privilégiés de la culture et du savoir, font rutiler aux yeux du citoyen l’univers
du paranormal et de l’ésotérisme. Dans le second cas, je montrerai comment la
télévision et l’Internet encouragent la croyance au paranormal.
L’écrit
J’aborderai d’abord brièvement le rôle des journaux et des magazines,
j’enchaînerai sur le rôle des bibliothèques et discuterai plus largement du rôle
des librairies dans la promotion des pseudosciences. L’essentiel de mes
exemples et des données présentées proviennent de la situation au Québec.
Les journaux et les magazines. Les médias tiennent aujourd’hui un rôle
majeur en ce qu’ils jouent sur le climat socioculturel tout en reflétant le visage
de la société. La plupart des journaux et des magazines, particulièrement ceux
qui visent la clientèle féminine ont leur astrologue, chinois ou autre, ou leur
numérologue attitré. Les lecteurs en redemandent, ce qui conforte évidemment
le choix des éditeurs. Cependant, plus on accorde d’espace à ces
pseudosciences, au détriment d’une information plus objective, plus on
cautionne leur discours, comme si le consensus populaire pouvait conférer un
caractère raisonnable, voire un statut de vérité, à une croyance.
On doit donc s’interroger sur le laxisme et la naïveté de certains médias
face aux prétentions des tenants du paranormal. Par exemple, l’ouvrage de
Danièle Fecteau (2005), Télépathie, l’ultime communication, a reçu un accueil
élogieux au Québec de la part d’au moins trois journalistes. L’une d’elles
n’hésite pas à affirmer qu’« après avoir dépouillé 500 articles scientifiques, la
docteure Fecteau a élaboré un nouveau concept : le QX ou quotient
télépathique, qui mesure notre capacité de transmission extrasensorielle »
(p. 70). Et Fecteau de renchérir : « la télépathie va devenir la plus grande
preuve de la vie après la mort » (p. 70). Aucun questionnement critique ni
aucun doute ne semble avoir traversé l’esprit de la journaliste devant les
affirmations grotesques de l’auteur. Qui plus est, une autre journaliste prend à
son tour la science à témoin et met en garde les sceptiques de bien surveiller
leurs œillères ! Nonobstant la liberté d’expression dont tout citoyen dispose, de
telles allégations qui se réclament de la science sans en épouser les exigences
sont éminemment trompeuses quand elles se glissent sous la plume d’un
journaliste.
Un véritable savoir scientifique ne peut pas, faire cavalier seul ; il doit
concorder, ou du moins ne pas être en contradiction, avec les résultats obtenus
par les autres théories scientifiques. Or, si ce processus universel de
transmission, même involontaire, de pensée et d’états d’âme est réel, son
existence invalide la presque totalité des recherches en psychologie
expérimentale, en sociologie, en anthropologie et en biologie. Comme le dit
Alcock (1989), « si le psi existe, la science telle que nous la connaissons ne peut
pas exister » (p. 342). Sans compter que, si les maladies se transmettent
réellement par « télésomatique », toutes les recherches épidémiologiques, tant
en médecine qu’en sociologie deviennent caduques.
Enfin, certains magazines, majoritairement des revues de vulgarisation
scientifique, remettent en question les approches pseudoscientifiques. Leur
démarche consiste souvent à présenter les deux côtés de la médaille comme s’ils
étaient d’égale valeur et qu’il s’agissait de départager la validité de deux
démarches rigoureuses ou deux théories scientifiques. Or, un des deux côtés
relève de l’opinion ou de la croyance et l’autre de l’effort d’objectivation, ce qui
rend impossible toute comparaison.
Un coup d’œil dans les bibliothèques. Comme les bibliothèques constituent
sans conteste un outil collectif majeur, il importe de vérifier l’importance
qu’elles accordent respectivement aux sciences et aux pseudosciences.
J’appuierai ici mon propos par une incursion dans les bibliothèques
municipales, collégiales et universitaires du Québec.
En 1995, les quatre-vingt-quinze bibliothèques de la ville de Montréal ont
été mises en nomination pour le prix « Fosse sceptique » décerné par les
sceptiques du Québec à un individu ou un organisme dont l’esprit crique fait
cruellement défaut. À titre d’exemple, la consultation des fichiers informatisés
de deux bibliothèques importantes de la ville de Montréal a permis de
constater chez celles-ci la présence de deux fois plus d’ouvrages d’astrologie que
d’astronomie (77 c. 36 ; 107 c. 50) et presque autant d’ouvrages de
parapsychologie que de psychologie (125 c. 119). Le fait que les rayons de ces
deux approches figurent côte à côte et même s’interpénètrent et le fait que les
ouvrages de psychanalyse fassent même quelquefois carrément partie de la
catégorie « ésotérisme » n’aident sûrement pas le public à distinguer les genres.
En période de restrictions budgétaires, il est inconcevable qu’une bibliothèque
paie pour un livre contenant les dernières astro-élucubrations d’une astrologue
pour répondre à la demande des usagers, quand le plus récent manuel
d’astronomie sur les rayons date de 1940.
J’ai alors voulu vérifier l’ampleur de la présence du paranormal non
seulement dans les bibliothèques municipales (n = 23), mais aussi collégiales (n
= 16) et universitaires (n = 12). Le tableau 6 présente le nombre d’ouvrages
traitant du paranormal et, d’autre part, de l’astrologie et de l’astronomie ainsi
que le pourcentage d’ouvrages d’astronomie par rapport aux ouvrages
d’astronomie et d’astrologie. Ces données sont cependant insatisfaisantes, car si
la comparaison astrologie-astronomie est intéressante, la même comparaison
paranormal-science eût été souhaitable. La classification en vigueur à l’époque
dans les bibliothèques et la structuration de banques de données n’ont
malheureusement pas permis d’effectuer cette analyse.
De plus, comme le nombre d’ouvrages traitant d’astrologie, de paranormal
et de pseudosciences en général est relativement faible en proportion du
nombre total d’ouvrages disponibles dans chaque bibliothèque, pour évaluer
un tant soit peu l’ampleur de l’influence de tels ouvrages, il aurait fallu
comparer leur pourcentage d’emprunt par rapport à celui des ouvrages des
autres catégories. Si, d’après les bibliothécaires, ce genre de calcul est
impossible, ils concèdent du même souffle que l’achat de ces ouvrages est en
fonction de la demande.
Tableau 6. Nombre d’ouvrages traitant d’astronomie, d’astrologie et d’ésotérisme dans les bibliothèques municipales, collégiales
et universitaires du Québec.

Bibliothèques Astronomie Astrologie %a Ésotérisme


Municipales 279 235 54,3 160
(n = 23)
Collégiales 249 19 92,9 34
(n = 16)
Universitaires 836 104 88,9 165
(n = 120)

a
Pourcentage du nombre d’ouvrages d’astronomie par rapport au nombre total d’ouvrages d’astronomie et d’astrologie. Plus le
pourcentage est élevé, plus on compte d’ouvrages d’astronomie par rapport aux ouvrages d’astrologie.

Les données présentées au tableau 6 permettent tout de même certains


constats. Premièrement, dans les bibliothèques municipales le nombre
d’ouvrages d’astronomie par rapport à celui d’ouvrages d’astrologie est
beaucoup plus faible (54 %) que dans les bibliothèques collégiales (93 %) et
universitaires (89 %). Dans 5 bibliothèques municipales sur 23, on dénombre
plus d’ouvrages d’astrologie que d’ouvrages d’astronomie, ce qui n’est jamais le
cas des bibliothèques collégiales et universitaires. Deuxièmement, on retrouve
en moyenne 160 ouvrages ésotériques (min. : 5 ; max. : 522) dans les
bibliothèques municipales, 34 (min. : 18 ; max. : 889) dans les bibliothèques
collégiales et 165 dans les bibliothèques universitaires. Ces données requièrent
quelques commentaires. Le nombre élevé d’ouvrages traitant d’ésotérisme dans
les bibliothèques universitaires est peut-être dû à la présence d’ouvrages
consacrés à leur critique, hypothèse qui demanderait une analyse du contenu
pour être confirmée. Par ailleurs, on ne trouve aucun ouvrage sur l’ésotérisme
dans les bibliothèques de l’École Polytechnique et des Hautes Études
Commerciales (HEC) de l’Université de Montréal. Et c’est dans les
bibliothèques de l’UQAM qu’on retrace le plus grand nombre d’ouvrages
traitant d’ésotérisme (n = 889).
Les librairies… au Québec. Même si les librairies sont des lieux privilégiés
de culture et du savoir au sens large du terme et que leurs propriétaires sont
tenus d’offrir une gamme diversifiée d’ouvrages, ils doivent également
rentabiliser l’entreprise et mettre en valeur les ouvrages en vogue. D’où la mise
en évidence d’ouvrages consacrés aux phénomènes dits paranormaux dont la
vente garantit dans certains cas plus de la moitié du chiffre d’affaires
(Coulombe, 2002 ; François, 2010). Pour la psychologie appliquée, les livres
occupent une place de choix parmi les produits culturels tangibles pouvant
informer concrètement les chercheurs intéressés aux tendances culturelles
significatives d’une société (Morling & Lamoureux, 2008). Ainsi, l’espace
réservé aux diverses rubriques en librairie, et notamment la visibilité des livres
les plus susceptibles d’intéresser la population, peut servir d’indicateur quant à
la place des sciences et des pseudosciences dans l’intérêt des lecteurs d’une
société.
Dans cette perspective, j’ai au cours des étés de 2001 et 2011, sillonné le
Québec munis d’un mètre pliant en vue d’évaluer l’espace en centimètres
occupé par les ouvrages de sciences et de pseudosciences destinés aux adultes
(voir Figure 1). Pour ce faire, 55 librairies ont été visitées en 2001 et 72 en
2011. Nous avons ainsi pu colliger les données aux deux temps de mesure pour
40 librairies (Larivée, 2002 ; Larivée, Sénéchal, Miranda, & Vaugeon, 2013).
Aux deux temps de mesure, les librairies généralistes à grande surface
fréquentée par un large public ont été privilégiées, dont celles, par exemple, des
groupes Archambault (n = 10), Renaud-Bray (n = 29) et CCI (Chapters,
Coles, Indigo ; n = 10), l’équivalent de la FNAC et de Virgin en France. Les
librairies collégiales et universitaires ou celles consacrées à un thème en
particulier comme la religion ou l’ésotérisme ont été laissées de côté
puisqu’elles sont spécialisées et limitées en quelque sorte à une clientèle cible en
raison de leur spécialité.
Figure 1. Procédure utilisée pour la collecte des données dans les librairies.

On retrouve sous la rubrique « science » principalement des ouvrages de


vulgarisation scientifique qui traitent d’une discipline spécifique (par exemple
l’astronomie, la chimie, la physique), du fonctionnement de la science ou de
son histoire. Concernant la rubrique « pseudosciences », même si aucune
librairie ne classe formellement ces ouvrages sous cette appellation, nous avons
regroupé sous ce vocable, les appellations afférentes : ésotérisme, astrologie,
paranormal, nouvel-âge, arts divinatoires, croissance personnelle, psychologie
populaire, spiritualité (à distinguer de l’étude des religions) et médecines
douces ou alternatives. De plus, non seulement on ne retrouve pas toutes les
catégories dans toutes les librairies, mais les ouvrages classés dans une librairie
sous « paranormal » peuvent aussi bien recevoir l’étiquette « ésotérisme »,
« nouvel-âge », « développement personnel », « psychologie populaire » ou
« arts divinatoires » dans une autre librairie. En 2001, la pertinence de
regrouper sous le même titre ces rubriques s’est en quelque sorte confirmé lors
d’une visite à une librairie spécialisée sur le sujet. Je constatais alors que les
ouvrages traditionnels consacrés à l’ésotérisme, au paranormal ou à l’astrologie
côtoyaient les ouvrages de spiritualité orientale ou autre, de psychanalyse
jungienne, de chamanisme, etc. Pour la collecte de 2011, je suis retourné à la
même librairie pour constater que les catégories étaient restées les mêmes.
Afin de vérifier si le classement des librairies en fonction de l’espace
attribué aux livres de pseudosciences demeurait stable entre 2001 à 2011, nous
avons comparé les résultats. Les différences inter-librairies montrent que celles-
ci sont stables au cours de la dernière décennie puisque les librairies qui
consacrent davantage d’espace aux pseudosciences en 2001 restent
généralement les même en 2011.
Cette stabilité est porteuse d’informations sur le plan social, puisque cela
suggère que les communautés québécoises les plus exposées (et les moins
exposées) aux ouvrages de pseudosciences pour adultes sont restées les mêmes
durant une décennie. Rappelons que les livres sont d’importants produits
culturels qui se prêtent à une opérationnalisation en psychologie appliquée
(Morling & Lamorfeaux, 2008). L’espace en librairie, notamment celui
attribué aux livres jugés plus susceptibles d’intéresser la population, représente
un environnement culturel tangible et implicitement indicatif de la place des
sciences et des pseudosciences dans la vie de tous les jours à l’intérieur d’une
société. Il ne s’agit évidemment pas du seul indicateur. Cependant, les librairies
occupent probablement un endroit stratégique dans le tissu social en ce qu’elles
permettent de situer de capter, du moins en partie, une certaine diffusion
culturelle des pseudosciences à travers plusieurs régions de la société
québécoise.
Par ailleurs, une analyse de variance (ANOVA) à mesure répétée indique
qu’en moyenne la proportion d’espace consacrée aux ouvrages de
pseudosciences (M = 86.07 ; E.T. = 8.67) en 2011 a diminué de manière
significative par rapport à celle de 2001 (M = 88.84 ; E.T. = 7.18). Si l’espace
attribué aux ouvrages de pseudosciences a diminué, il ne se situe pourtant pas
sous la barre des 85 % par rapport aux livres scientifiques, ce qui demeure une
proportion très élevée, par rapport aux ouvrages de sciences. Étant donné
qu’on peut assimiler ce pourcentage élevé à un effet plafond, on ne pouvait
guère s’attendre à une forte hausse de ce pourcentage. Il ne pouvait que rester
stable ou diminuer.
De plus, dans toutes les librairies visitées, des présentoirs montrent les
« best-sellers » et les nouveautés ou les approches en vogue. Si plusieurs
ouvrages consacrés aux pseudosciences sont ainsi souvent mis en évidence, les
ouvrages de vulgarisation scientifique ou de sciences sont, par contre, de l’avis
de libraires, majoritairement absents. Des difficultés techniques de mesures
n’ont pas permis de considérer ces espaces, mais il est clair qu’en tenir compte
eût notoirement favorisé les pseudosciences.
Au cours de cette collecte de données à dix ans d’intervalles, je me suis
également intéressé aux livres pour les enfants. Leur mesure posait deux
problèmes. Premièrement, que devrait-on inclure sous la catégorie « sciences » ?
Les avis de libraires pointaient tous dans la même direction : les livres consacrés
à l’initiation aux sciences et à la technologie, à l’histoire, aux grandes
découvertes, à l’astronomie, à la théorie de l’évolution et aux animaux.
Deuxièmement, il n’existe pas, sauf erreur de livres pour enfants qui traitent de
pseudosciences selon notre acception du terme. La suggestion d’un libraire
d’utiliser les livres de spiritualité est apparue d’autant plus justifiée que, chez les
adultes, les ouvrages de spiritualité et d’ésotérisme sont regroupés sous la même
rubrique. Sans entrer dans les détails, rappelons que les résultats sont
identiques entre 2001 et 2011. Lorsqu’on prend en compte les deux catégories
(sciences et spiritualité), les sciences l’importent haut la main (90 % c. 10 %).
Ces résultats ont quelque chose de surprenant. On peut en effet supposer que
ce sont les parents qui achètent les livres pour leurs enfants. Comment dès lors
expliquer que ceux-ci achètent des livres de pseudosciences pour eux et des
livres centrés sur les connaissances pour les enfants ?
On peut d’abord penser qu’un grand nombre d’adultes confondent science
et pseudosciences comme d’ailleurs le montre la confusion des genres dans les
livres de psychologie. A contrario, certains adultes sont probablement
convaincus de discerner l’ivraie du bon grain. On peut également supposer que
pour un certain nombre d’adultes les connaissances scientifiques ne
contribuent guère à donner un sens à leur propre vie, alors que l’univers du
paranormal permet de calmer à peu de frais psychique l’angoisse existentielle.
Enfin, les parents sont soucieux de bien former et informer leurs enfants à
moins qu’il ne s’agisse aussi d’un désir de paraître bon éducateur. Par ailleurs,
l’absence de livres consacrés aux pseudosciences destinés aux enfants s’explique
peut-être par le fait que ceux-ci ne se posent pas les questions existentielles que
se posent les adultes. Les contes de fées leur suffisent. Il y a bien sûr des
exceptions. Par exemple, lorsqu’un enfant perd un être cher, il peut s’interroger
sur le sens de la mort ou de la vie dans l’au-delà.
Contrairement à la collecte des données de 2001, où il n’y avait aucun livre
pour enfants sous la rubrique nouvel-âge, nous avons pu observer leur entrée
en douceur en 2011. En fait, on a retrouvé dans une librairie trois livres
portant sur le thème de l’âme, dont un de F. Grimard (2010)2 publié à compte
d’auteurs, La petite âme, d’où vient-elle ? Et deux de N. D. Walsch publiés aux
éditions Ariane : La petite âme et le soleil (2008a) et La petite âme et la terre
(2008b). Walsh publie également des ouvrages nouvel-âge pour les adultes. Le
classement de ces trois livres par la librairie sous la rubrique nouvel-âge à
proximité de la rubrique spiritualité est d’autant plus justifié que, chez les
adultes, les ouvrages de spiritualité sont classés sous la rubrique ésotérisme et
nouvel-âge. Dans une réunion à Toulouse le 5 mai 2012, Walsh, après avoir
affirmé le plus sérieusement du monde devant 2 000 adeptes du nouvel-âge :
« Aimez-vous, regardez-vous et le monde se portera mieux » a eu droit à une
ovation debout. En prévision de la fin du monde (le 22 décembre 2012), il
discourt sur « la nouvelle trame énergétique en création dans l’aura de la
Terre » (Doumergue, 2012). Peut-être est-il utile de rappeler que Walsh a
vendu plus de huit millions de livres dont le thème récurrent est de
« transformer les individus par l’éveil spirituel, puis de changer l’humanité ».
Un tel résultat est bien sûr encore loin des quarante millions d’exemplaires de
J. Gray (1992), Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, vendus au
cours des années quatre-vingt-dix.
Bref, on peut considérer que les livres publiés dans l’univers pseudo-
scientifique apportent des réponses rapides « toutes faites » qui requièrent peu
d’effort en plus d’être un divertissement pour certains. De plus, lorsque des
individus ont une conception du monde qui inclut des superstitions et des
croyances irrationnelles, il est plus que probable que celles-ci leur apparaissent
fort raisonnables et, somme toute, peu pénalisantes. Alors, pourquoi changer ?
Comme la croyance a souvent préséance sur la raison, les gens ont alors
tendance à chercher des arguments et des faits qui confirment leurs croyances
et, du même souffle, d’ignorer les faits qui les contredisent (Shermer, 2002,
2011). Cette tendance a une longue histoire. Nos ancêtres devaient en effet
consacrer leurs efforts à subvenir à leurs besoins immédiats. Réfléchir ou mettre
en doute leurs croyances n’était guère rentable. Ils n’avaient pas de temps à
consacrer pour questionner la validité de leurs croyances (Carroll, 2011).
Dans une tentative pour expliquer les succès de certains livres en France,
François (2010) a dressé la liste des « dix commandements des plus gros
vendeurs de livres ». Hormis le premier commandement, « De la Seconde
Guerre mondiale, tu traiteras », les trois suivants sont directement reliés à la
pensée positive et à l’univers ésotérique : « Une leçon positive de vie, tu
donneras », « Du fantastique et de l’ésotérisme, tu abuseras » et « De tes
maladies, tu triompheras ». Avec le deuxième commandement, il s’agit tout
simplement de convaincre le lecteur que quoi qu’il arrive, la vie est fabuleuse.
Un savant mélange de pensées positives, de principes nouvel-âgeux et de
réappropriation de philosophies asiatiques dont leurs auteurs ne maîtrisent pas
les fondements ou les déforment à dessein assurent ici la réussite. Avec le
troisième commandement, il s’agit tout simplement de convaincre le lecteur
que la vérité est ailleurs. Par exemple, affirmer que la télépathie existe, que les
expériences de mort imminente sont réelles, ou que les loups-garous et les
vampires nous côtoient est presque un gage de succès. Avec le quatrième
commandement, on n’affirme pas bien sûr que la vie est éternelle, mais tout
simplement qu’on peut guérir de tout, même – surtout, devrions-nous dire –
du cancer.
L’audiovisuel
Je discuterai ici de l’impact de la télévision et de l’Internet dans la
propagation de des pseudosciences. Dans le premier cas, on peut relever trois
types d’émissions télévisuelles relatives aux pseudosciences : des films et des
séries dont la trame implique des événements paranormaux, des émissions tout
simplement consacrées au paranormal et d’autres donnant lieu à des débats
entre sciences et pseudosciences. Dans le second cas, je présenterai les données
relatives à trois moteurs de recherche en ce qui concerne les pseudosciences, la
science et la vulgarisation scientifique.
Émissions télévisuelles : la représentation de la science à travers la fiction
télévisuelle. Tout porte à croire qu’une majorité d’individus élabore sa
représentation de la science à même l’image qu’en véhiculent les films et les
séries télévisuelles. Au cours des dernières décennies, les émissions de
divertissement dépeignent la science comme dangereuse, ce qui conforte une
large audience déjà méfiante ou anxieuse à l’égard de la science et de la
technologie (Gebner, 1987 ; Goldman, 1985). Autrefois présentés sous les
traits de savants fous qui mettaient l’humanité et l’environnement en péril, les
scientifiques apparaissent maintenant comme les individus austères, insensibles
et limités par leur scepticisme. En fait, les scientifiques malveillants font les
frais d’un plus grand nombre de films d’horreur que les zombies, les loups-
garous et les momies (Tudor, 1989).
Le discrédit de la science est d’autant plus accentué qu’elle échoue à contrer
la supercherie des phénomènes paranormaux présentés comme réels par les
médias. Pour suggérer l’inefficacité de la science, il suffit d’augmenter la
fréquence de phénomènes surnaturels ou d’événements dont l’explication lui
échappe. Dans la mesure où le paranormal devient normal, par exemple les
enlèvements extraterrestres ou la combustion spontanée, la science perd son
utilité aux yeux du citoyen (Evans, 1996). Comme les situations scénarisées
revêtent un caractère saisissant, le spectateur finit par laisser tomber ses doutes
pour adhérer à l’irrationalité qui s’impose d’elle-même : inutile de chercher à
expliquer ce qu’il suffit de voir pour croire. L’expertise du scientifique se trouve
également dévaluée au profit d’un héroïque médium (dans Poltergeist III) qui
l’emporte sur le psychologue, et où le moindre scepticisme est assimilé à
l’imbécillité et à l’inefficacité (dans Gostbusters) ou à la fermeture d’esprit.
Fortes de telles techniques, les séries télévisées The Twilight Zone, The X-
Files remportent un énorme succès. La dernière compte d’ailleurs parmi les
meilleures du genre tant elle manie savamment le mélange de paranormal et de
paranoïa (Emery, 1995). Deux agents du FBI enquêtent sur des affaires non
classées faute d’explications satisfaisantes. Le premier, Fox Mulder, est un
individu sympathique qui adopte d’emblée un raisonnement scientifique pour
lui substituer très rapidement l’explication surnaturelle. À l’inverse, Dana
Scully, sa coéquipière, est une scientifique plus austère dont l’attitude sceptique
entrave la démarche vers la solution. Le générique annonce bien le but de la
série : « La Vérité est ailleurs ». Dans cette optique, l’esprit scientifique devient
inutile, le scepticisme est une entrave et la rigueur manifeste un manque
d’ouverture d’esprit, une idée insidieusement renforcée par le génie des
scénaristes qui, après quelques épisodes, font dire à Scully qu’elle a tout
simplement peur de croire pendant que Mulder affiche clairement dans son
bureau « I want to believe ». Tout cela repose sur la trame d’un complot du
gouvernement américain qui vise à cacher l’existence des extraterrestres et fait
appel à certains phénomènes paranormaux obtenus par l’utilisation de
technologies de pointe comme la génétique. La fin de chaque épisode est
toujours éludée, laissant à tout coup poindre une interrogation qui laisse le
spectateur sur sa faim. La tension entre la science et la pseudoscience, entre le
rationnel et l’irrationnel ne saurait être résolue sans que meure la série. La
plupart des scénarios prennent comme point de départ des faits réels
grossièrement amplifiés et déformés pour cadrer avec le suspense indispensable
d’une telle série, si bien que vous en venez à vous demander dans quelle mesure
les contenus de l’information sérieuse ne relèvent pas d’un mélange de
canulars, de désinformations et de manipulations qui auraient érigé votre
conception de la réalité sur la base d’informations erronées.
Même si le médium qu’est la télévision ne peut être tenu pour totalement
responsable de la méfiance et de l’incompréhension du public à l’égard de la
science, il n’est pas davantage irréprochable. L’analyse de la représentation de la
science et des scientifiques montre par exemple que la plupart des citoyens
américains ne rencontrent la science et la technologie qu’au petit écran. À la
suite d’une enquête téléphonique conduite auprès d’un échantillon
représentatif de 1631 répondants, il apparaît que, indépendamment du sexe et
du niveau d’éducation, les plus grands adeptes de la télévision ont une image
très négative de la science (Gerbner, 1987). Dans la mesure, où la majorité des
fans de télévision préfèrent les chaînes les moins favorables à la science, les
producteurs ne vont pas diminuer les émissions de divertissement qui
encouragent les sentiments hostiles du public envers l’activité scientifique. De
plus, il existe une corrélation entre le fait de privilégier le divertissement
télévisé et la crédulité. En effet, près d’un tiers des adultes américains regarde la
télévision plus de quatre heures par jour et nourrit incidemment une opinion
négative à l’égard science et une opinion positive à l’égard des pseudosciences
(Evans, 1996).
Au cours des années 1990, Sparks et ses collègues ont mené cinq études sur
l’influence des descriptions médiatiques télévisuelles de la science et des
pseudosciences sur le comportement des individus (Sparks & Pellechia, 1997 ;
Sparks, Hansen, & Shah, 1994 ; Sparks, Nelson, & Campbell, 1997 ; Sparks,
Pellechia, & Irvine, 1998 ; Sparks, Sparks, & Gray, 1995). Pour les fins de la
démonstration, je présenterai la première et la dernière étude.
Dans la première étude, Sparks et al. (1994) présentent à 187 étudiants
d’une classe d’introduction à la communication d’une université du Midwest
américain des épisodes de la série Au-delà du réel en faisant varier le contenu du
texte introductif. Trois messages sont utilisés : les épisodes renvoient à une
adaptation de la réalité ; ils relèvent de la fiction ; les faits présentés sont
totalement impossibles. Les auteurs utilisent également une situation sans texte
introductif et, dans un autre, une comédie sans la moindre allusion au
paranormal (situation contrôle). Deux semaines avant l’étude, les sujets ont été
évalués en laboratoire à l’aide d’un questionnaire à propos de leur croyance au
paranormal. Immédiatement après l’expérience, puis trois semaines plus tard,
les sujets répondent au même questionnaire afin de vérifier l’occurrence de
modifications dans leur croyance au paranormal. Or, une forte proportion de
sujets se montre incertaine quant à leur croyance au paranormal surtout dans
les contextes : « fiction » et « impossible ». Ironiquement, lorsque le message
introductif présente l’épisode comme une réalité, les individus doutent
davantage de l’existence de ces phénomènes. Néanmoins, cette première étude
montre de façon significative que la manipulation même minime d’un élément
de présentation médiatique peut affecter les croyances des individus.
Dans la cinquième expérience, Sparks et al. (1997) étudient l’influence de
l’expérience personnelle eu égard à la croyance au paranormal. En utilisant une
technique de composition aléatoire de numéros de téléphone, 120 adultes du
Midwest sont interrogés sur leur exposition générale aux médias, sur leur
écoute d’émissions liées au paranormal (Unsolved Mysteries, Sightings, The X-
Files, The Psychic Connection) et sur leur croyance au paranormal. Les résultats
montrent qu’au-delà de l’étendue de la croyance en une variété de phénomènes
paranormaux (79,2 % croient qu’il est possible de lire dans les lignes de la
main, 64.1 % de se projeter dans l’astral, 63,4 % de tordre le métal par la
pensée, etc.), la croyance au paranormal met en jeu plusieurs dimensions.
Ainsi, pour l’échantillon étudié, on distingue au moins deux types de croyance
au paranormal : l’existence d’êtres surnaturels (fantômes, diables,
extraterrestres) et la croyance aux énergies psychiques (PES, lévitation, etc.).
De plus, bien qu’aucune relation significative n’émerge entre l’exposition aux
programmes de télévision généraux et les croyances au paranormal, une
relation apparaît entre l’exposition aux programmes évoquant des phénomènes
paranormaux et la croyance au paranormal. Par ailleurs, cette relation pourrait
être bidirectionnelle (Sparks, 1998 ; Sparks & Miller, 2001) : les individus qui
croient au paranormal consommeraient davantage d’émissions directement
liées à l’objet de leur croyance.
Au total, les résultats de ces études corroborent l’hypothèse selon laquelle
l’image des sciences et des pseudosciences véhiculée par les médias affecte la
représentation que se font les grands consommateurs d’émissions de
divertissement et de science-fiction au point de modeler leur attitude à l’égard
de la science. Bien que ces résultats soient fort convaincants et les expériences
bien menées, quelques critiques peuvent être formulées. Premièrement, hormis
la dernière étude pour laquelle les sujets ont été sélectionnés au hasard, les
participants des quatre autres études sont des étudiants universitaires donc peu
représentatifs de la population. Ce biais d’échantillonnage ne permet
évidemment pas de généraliser les résultats. On peut ici supposer que les
étudiants universitaires ont le sens critique plus aiguisé que la population en
général, ce qui laisserait supposer une plus grande influence des pseudosciences
dans un échantillon représentatif de la population. Ensuite, une évaluation du
niveau de croyance immédiatement après le visionnement d’éléments
paranormaux peut gonfler temporairement le niveau de croyance des individus
qui, à long terme, pourraient être moins affectés qu’il n’y paraît.
Troisièmement, le cadre scientifique dans lequel se déroule l’ensemble de ces
études est beaucoup moins naturel que le visionnement d’émissions de
divertissement quand on est confortablement installé chez soi ; il se peut donc
que l’influence de l’audiovisuel soit, sous cet angle, sous-estimée. Dans son
propre environnement, un individu est en effet nettement moins soumis au
facteur de désirabilité sociale qu’il ne l’est en présence d’un chercheur et son
niveau d’éveil ou d’esprit critique est loin d’être le même que dans une
situation de laboratoire. Quoi qu’il en soit, ces études font état d’un impact des
médias sur la croyance des individus et tendent à montrer que la crédulité
serait plus à la mode que la science ou l’esprit critique.
• Le paranormal à la télé. Outre les séries télévisuelles centrées sur le
paranormal et l’ésotérisme, d’autres types d’émissions sont aussi à l’horaire. Les
unes traitent carrément de paranormal, les autres abordent à l’occasion des
thèmes ésotériques.
Pour illustrer le premier cas, deux exemples. Au début des années 1980,
France Culture, une chaîne de télévision française à vocation culturelle,
présentait une émission au titre sans équivoque Zodiaquement vôtre (Pecker,
1984). Depuis, il semble que les diverses chaînes de télévision rivalisent
d’ingéniosité pour présenter du mystère et de l’ésotérisme. Ainsi, Canal D
lançait en 2001 une nouvelle série québécoise, Mystères d’ici et d’ailleurs,
« consacrée aux phénomènes inexpliqués et aux pouvoirs étranges : voyance,
dons et guérisons, chamans, énergie lunaire et ainsi de suite » (Cauchon, 2001,
p. 138).
Pour illustrer le second cas, deux exemples. Au Québec, le 5 novembre
1989, l’animateur de Second Regard, une émission religieuse, interviewait le
père Brune à propos de sa théorie de la transcommunication (contact audio et
vidéo avec l’au-delà), ce qui valait en outre à ce dernier l’occasion de faire la
promotion de son livre, Les morts nous parlent. Cet amalgame religion-
paranormal n’est guère surprenant ; il apparaît également dans la proximité des
ouvrages religieux et des ouvrages ésotériques sur les rayons des librairies.
Le deuxième exemple concerne l’émission Enjeux de Radio Canada diffusée
le 25 septembre 2001 dont le titre était « L’astrologie : vrai ou faux ? ». Trois
éléments serviront à illustrer mon point de vue : le temps consacré
respectivement aux défenseurs et aux détracteurs de l’astrologie, les propos
« astro­racistes » de M. Renaud et les effets de primauté et de récence en
fonction du montage.
Des 42 minutes consacrées au reportage en tant que tel, environ huit
minutes (20 %) le sont à l’approche scientifique. Je suis certes conscient que
d’un point de vue journalistique le temps imparti aux participants dans un
débat a peu à voir avec l’objectivité. Les débats politiques lors de campagnes
électorales font certes l’objet d’un minutage équitable, mais il s’agit alors d’un
débat d’idées et non d’un reportage journalistique. Malgré tout, il me semble
qu’on était en droit d’attendre un temps d’antenne mieux partagé si l’on
souhaitait vraiment répondre à la question-titre « L’astrologie, vrai ou faux ? »
Le témoignage de Pierre Renaud, administrateur de la plus importante
chaîne de librairies (n = 23) du Québec, embauche environ 700 employés. Sans
faire des signes astrologiques un critère d’embauche, celui-ci se dit heureux
d’avoir réussi à éviter des capricornes, des lions, des scorpions, des taureaux et
des vierges dans son entourage (voir Encadré 6).

ENCADRÉ 6. L’INTERVIEW DE PIERRE RENAUD.

« Je connaissais absolument pas l’astrologie. Mais alors pas vraiment et à un moment donné, je
feuillette dans les professions conseillées, si je puis dire, et il y avait libraire-éditeur. Et là ça a
été comme qu’ils disent dans Saint Paul sur le chemin de Damas, je suis tombé en bas de mon
cheval et croyez-le ou non, je suis rentré à Montréal dare-dare. J’ai vendu ma voiture en une
semaine, j’avais trouvé ma vocation et je l’ai jamais regretté ».
« S’il n’y a pas de scorpions, pas de taureaux, pas de lions, pas de capricornes. On est ben.
– Est-ce qu’il y a un lion ici ? Non, j’en connais pas.
– Y pas de lion, parce que s’il y en avait un…
– On l’saurait.
– Il t’aurait spotté déjà, il t’aurait mangé. On l’saurait ».
« Moi, j’ai deux enfants dont j’ai choisi les signes. Et mon deuxième par exemple est cancer et
s’il n’avait pas été conçu à ce moment-là, j’étais bon pour passer au moins 2 mois à faire ben
ben attention parce que je n’aurais pas voulu justement avoir un lion, une vierge dans mon
entourage, on aurait eu des problèmes. Et j’aime pas beaucoup les problèmes ».

Le troisième élément concerne les effets de primauté et de récence.


Utilisant les travaux sur la mémoire (Bradedley & Hitch, 1977), les spécialistes
en communication ont mis en évidence que lors de la lecture d’une histoire (ou
de sa narration) ou du visionnement d’une émission, les éléments présentés au
début (effet de primauté) et à la fin (effet de récence) sont mieux retenus
(Gunter, 1987 ; Reichel & Wood, 1997). Dans cette perspective, et sans prêter
d’intentions malveillantes aux responsables d’Enjeux, il est intéressant
d’observer les séquences placées en introduction et en conclusion ainsi qu’au
début et à la fin de chacune des quatre parties de l’émission. Qu’observe-t-on ?
L’équipe de montage a, dans sept possibilités sur huit, donné la parole aux
astrologues ou à leurs sympathisants.
Émissions télévisuelles : les débats télévisuels. Dans les débats télévisuels entre
les défenseurs du paranormal et des pseudosciences d’une part et les sceptiques
d’autre part, ces derniers partent pendants pour au moins six raisons, raisons
qui se généralisent évidemment à tous les médias d’information.
Premièrement, déjà dans Faillite de l’Université, Fourastié (1972) dégage
quelques éléments socioculturels qui non seulement défavorisent l’émergence
de l’esprit critique, mais favorisent le maintien des méthodes préscientifiques,
dont l’abondance et la nature des informations. Le bombardement
d’informations auquel nous sommes soumis va à contre-pied de la démarche
scientifique. Dans la plupart des cas, les informations communiquées visent la
réaction émotive immédiate ; elles sont brèves, disparates, décousues,
hétéroclites, sans analyse, excluant ainsi toute possibilité de mise en contexte,
de vérification, de confrontation, d’identification des sources, en un mot
d’esprit critique. Dans un tel monde de discontinuité, la contradiction ne peut
pas servir de critère de vérité ou de validité, puisqu’elle ne trouve aucun espace
(Postman, 1986). Si le réseau Internet peut en principe contrer ces problèmes,
il offre par contre une quantité exponentielle d’informations. On objectera
qu’une abondance d’informations, même hétéroclites, vaut mieux que son
absence. Convenons-en. Par ailleurs, les citoyens ne sont pas dénués de bon
sens et on est en droit d’espérer qu’à long terme, bien expliquées, les idées
basées sur les faits prévalent sur les idées saugrenues. Encore faut-il cependant
que les informations soient fournies dans un contexte qui en permette la
compréhension, ce qui est rarement le cas.
Sauf dans quelques rares émissions radiophoniques et télévisuelles ainsi que
dans quelques revues de vulgarisation scientifique, aux prises incidemment avec
d’importants problèmes de diffusion, la manière de présenter les informations
dans les médias s’oppose à la démarche scientifique. Tel que mentionné
précédemment, on recherche le sensationnel, assuré par l’image instantanée et
la prévalence des stimuli rapides, ce qui empêche l’analyse détaillée et
l’observation systématique : la brièveté des explications est la règle et le
témoignage (le « vécu ») prévaut sur l’expertise. Tout se passe comme si la
logique, la rationalité et le principe de non-contradiction n’avaient plus leur
place. Cette substitution graduelle de la raison par la sensation doit être prise
au sérieux, car elle sert de support au type de pensée que sous-tendent les
pseudosciences, et, par conséquent, à leur audience (Broch, 1985) (voir
Encadré 7). Bien sûr, l’actualité scientifique peut avoir parfois un caractère
sensationnel comme en témoignent certaines découvertes en médecine, en
génétique ou en astronomie. En astrophysique, on ne peut nier « la puissance
d’évocation d’objets théoriques désignés naine blanche, trou noir, mur du
temps » (Alfonsi, 1989).

ENCADRÉ 7. EXTRAIT DE SE DISTRAIRE À EN MOURIR


(POSTMAN, 1986, PP. 143-144).

« À ceux qui pensent que j’exagère, je proposerai de lire cette description des informations
télévisées, donnée par Robert MacNeil, rédacteur en chef et coprésentateur de MacNeil-Lehrer
Newshour. L’idée, écrit-il « est de rester toujours bref, de ne jamais surmener l’attention des
gens, mais au contraire, de créer une stimulation permanente par la variété, la nouveauté,
l’action et le mouvement. Vous êtes priés […] de ne pas prêter attention à aucun concept,
aucune personnalité ou aucun problème pendant plus de quelques secondes de suite ». Pour un
journal télévisé « le mieux, c’est les petites bouchées », précisant « qu’il faut éviter la
complexité, que les nuances sont superflues, que les réserves nuisent à la simplicité du message,
que la stimulation visuelle est un substitut de la pensée et que la précision verbale est un
anachronisme. »
Robert MacNeil est mieux placé que quiconque pour témoigner du caractère de vaudeville des
informations télévisées. L’émission MacNeil-Lehrer Newshour est une tentative inhabituelle et
raffinée d’apporter à la télévision certains éléments du discours typographique. Son émission
renonce à la stimulation visuelle ; elle consiste pour une bonne part en explications
développées des événements et en interviews en profondeur (qui n’excèdent néanmoins jamais
cinq à dix minutes) ; elle limite le nombre des sujets abordés et insiste sur le contexte et la
cohérence. Mais la télévision a fait payer son prix à MacNeil pour ne pas avoir adopté les
caractéristiques du show-business. Par rapport aux critères de la télévision, son audience est
minime ; l’émission n’est diffusée que par des chaînes de télévision publiques et les salaires
cumulés de MacNeil et Lehrer ne constituent sans doute pas plus du cinquième de celui d’un
Dan Rather ou d’un Tom Brokaw ».

Deuxièmement, sauf erreur, la grande règle de la télévision est de plaire et


le plus rapidement possible (loi de l’audimat) et à ce jeu, l’attitude scientifique
apparaît terne et bien longue à décrire comparée aux séduisantes
pseudosciences. Troisièmement et conséquemment, un débat implique
nécessairement un ingrédient totalement absent des approches paranormales :
l’esprit critique. Quatrièmement, le souci apparemment louable de présenter
les deux côtés de la médaille pour manifester au moins une apparence de
neutralité procure un immense avantage aux « croyants » puisqu’il n’existe
qu’une attitude scientifique et des centaines de façons d’être irrationnel.
Cinquièmement, un des procédés les plus utilisés par les défenseurs du
paranormal pour assurer leur crédibilité est de truffer leurs discours de mots à
saveur scientifique, tout en occultant le fait qu’ils se passent volontiers de la
démarche scientifique (Hill, 2012). Comme on le verra au chapitre 5, pour les
pseudoscientifiques, la physique quantique reste une source intarissable de
justifications. Pour leur part, particulièrement dans les débats télévisuels, les
scientifiques peuvent difficilement parler des résultats de leur recherche sans
rappeler les bases de leur démarche tout en ayant deux minutes pour le faire.
Or, la démarche scientifique n’est pas un contenu accrocheur, elle fait plutôt
appel à la pensée abstraite intraduisible en images. Aussi, Doury (1997) a-t-il
conclu à la fin des années 1990, après avoir analysé une trentaine de débats sur
les pseudosciences à la télévision française que ceux-ci relèvent plus de la
rectitude politique que de l’information. Un tel constat n’exclut pas que des
penseurs, principalement dans le domaine de la physique, de l’astrophysique et
de la biologie ou s’en inspirant, puissent eux aussi proposer des hypothèses de
sens qui vont au-delà des résultats de leurs recherches (Faivre, 2007).
Sixièmement, les pseudoscientifiques sont passés maîtres dans l’art de tirer
profit du doute. Si la croyance est naturelle à l’homme, le scepticisme ne l’est
pas et réclame un long processus d’apprentissage, sans compter la faible
tolérance à l’ambiguïté de bien des individus, ceux-ci étant plus à l’aise avec des
certitudes même non appuyées par les faits (Carroll, 2011 ; Shermer, 2011).
De toute évidence, le modus operandi des scientifiques ne fait pas le poids face
aux charlatans de tout acabit et aux promoteurs du paranormal. En effet, alors
que les pseudoscientifiques sont certains de leurs assertions, les scientifiques
prônent le doute raisonnable. Cette attitude se traduit entre autres éléments
par un impératif catégorique puissant : pour avoir le statut de scientifique, un
fait découlant de la vérification d’une hypothèse doit avoir été reproduit dans
un laboratoire indépendant. Autrement dit, en sciences les hypothèses doivent
être testables, c’est-à-dire réfutables (Popper, 1973).
Internet. Les croyances personnelles ont existé bien avant la structuration
du langage, mais le langage a permis de partager les croyances et les
informations, ce qui n’est pas d’ailleurs sans renforcer la cohésion sociale. Par la
suite, le pouvoir de diffusion du langage a été amplifié par l’écriture, puis de
façon exponentielle avec l’Internet, lequel s’est rapidement mis à la page du
paranormal et de l’ésotérisme. Pour illustrer mon propos, j’ai utilisé trois
moteurs de recherche en vue de dénombrer le nombre d’entrées (sites et pages
Web) consacrées aux pseudosciences, à la science et à la vulgarisation
scientifique disponibles en octobre 2013. Les résultats sont présentés au
Tableau 7. Trois constats s’en dégagent.
Tableau 7. Nombre de sites et de pages Web en français et en anglais
à partir de trois moteurs de recherche.

Moteurs de recherche
Total
Google Yahoo.com MSN Total
(Proportion)
Pseudo-
sciences
Français 1 217 969 764 065 614 811 2 596 845 90 734 977

Anglais 35 340 094 52 683 990 114 048 88 138 132 (99, 9 %)

Vulgarisation scientifique
Français 2 460 2 650 13 5 123 61 849

Anglais 6 1 820 54 900 56 726 (0.1 %)


Science
Français et anglais 16 000 000 17 600 000 44 000 33 644 000
Astronomie
Français 902 000 190 000 10 000 1 102 000 1 336 600

Anglais 143 000 75 700 15 900 234 600 (18,6 %)

Astrologie
Français 422 000 200 000 13 900 635 900 5 830 400

Anglais 5 090 000 74 500 30 000 5 194 500 (81,4 %)

D’abord, les sites consacrés aux pseudosciences sont presque trois fois plus
nombreux que ceux consacrés à la science (90 734 997 c. 33 644 000). La
même mesure prise onze ans plus tôt (Larivée, 2002) donnait un résultat
inverse (14 321 151 c. 54 383 144). On peut penser que la majorité des sites
consacrés à la science est principalement destinée aux individus actifs en
science, ce qui n’empêche évidemment pas le profane de les consulter. Il est
probablement plus juste d’opposer, comme je l’ai fait pour les librairies :
pseudosciences et vulgarisation scientifique.
Dans ce cas, les sites concernant les pseudosciences sont 1 467 plus
nombreux que ceux dédiés à la vulgarisation scientifique (90 734 977 contre
61 849). En 2002, ils étaient 758 fois plus nombreux (14 320 151 contre
18 884). Dans les deux cas, les pseudosciences occupent 99, 9 % de l’espace
virtuel ne laissant que 0,1 % à la vulgarisation scientifique.
Ensuite, cinq éléments nous portent à croire que ces résultats sont
davantage apparentés à une toile impressionniste qu’à une mesure exacte.
Premièrement, nous n’avons aucune idée de la manière dont les sites sont
indexés. Deuxièmement, nous ne savons pas si le même site se retrouve sur
d’autres moteurs de recherche. Troisièmement, même si l’utilisation de sous-
catégories vise à obtenir un portrait le plus précis possible, rien ne nous
garantit l’efficacité de cette procédure. Par exemple, sous la catégorie Tarot, on
retrouve des sites concernant l’astrologie. Il serait surprenant que ce manque de
précision soit un cas isolé. Quatrièmement, le nombre de sites varie à chaque
utilisation. Cinquièmement, même si l’objectif vise à recenser le nombre de
sites en français et en anglais, rien ne nous assure qu’il n’y ait pas des
recoupements à quelques reprises, ni que des sites autres que français et anglais
fassent partie du nombre. En fait pour avoir un portrait exact, il faudrait visiter
tous les sites, ce qui n’est pas réaliste.
Enfin, le troisième constat est relatif aux pourcentages de sites consacrés à
l’astronomie et à l’astrologie (1 336 600 contre 5 830 400), ce qui représente
des pourcentages respectifs de 18,6 % contre 81,4 %. Ces résultats contrastent
avec ceux de 2002 (2 908 747 contre 2 561 338) où l’écart entre le
pourcentage de sites consacrés à l’astronomie (53,2 %) et celui consacré à
l’astrologie (46,8 %) était légèrement en faveur de l’astronomie.

L’éducation : les pseudosciences à l’université


On peut déceler des infiltrations du paranormal à tous les niveaux du cursus
scolaire, mais je me limiterai à des exemples provenant du niveau le moins
susceptible d’en présenter, le milieu universitaire. Nous avons vu au chapitre 2
que la croyance aux phénomènes paranormaux n’épargnait pas le monde
universitaire. Ainsi entre 21 % et 69 % des étudiants universitaires, tous
domaines confondus, croient à une ou plusieurs approches paranormales
(astrologie, biorythmie, chiromancie, clairvoyance divination, numérologie,
parapsychologie, perception extrasensorielle, télékinésie, télépathie, vies
antérieures…). En fait, même si les enquêtes effectuées en France, au Québec
et aux États-Unis (voir Châtillon, 1987, 1988 ; de Robertis & Delaney, 1993 ;
Pollack, 2001 ; Sparks, Hansen, & Shah, 1994) montrent que de façon
générale plus le niveau d’éducation est élevé, moins les individus adhèrent aux
pseudosciences, il semble bien que la traversée des études universitaires ne
constitue pas un facteur de protection à sécurité maximale contre les croyances
au paranormal.
Cinq disciplines
Les exemples présentés proviennent tous des sciences humaines et sociales.
Leur objet d’étude prête en effet davantage le flanc à l’influence des
pseudosciences. A contrario, l’absence d’exemples concernant les sciences
naturelles (par exemple biologie, chimie, physique) tient probablement au fait
que leur objet d’étude rend plus difficile les connivences avec les
pseudosciences. Toutefois, lorsque les chercheurs en sciences naturelles quittent
la recherche empirique pour s’aventurer par exemple dans des implications
philosophiques ou spirituelles de l’univers, habituellement à connotation
nouvelle-âgeuse, on assiste alors à un véritable dérapage. C’est le cas
notamment de Rupert Sheldrake, de Fritjof Capra, de Deepak Chopra et des
frères Bogdanov. Le lecteur intéressé par ces dérives lira avec plaisir L’imposture
scientifique en dix leçons (de Pracontal, 1986). Il faut également noter une
dérive dramatique de certains groupes religieux, particulièrement aux États-
Unis, où des zélotes cherchent à mettre sur le même pied la théorie de
l’évolution et le créationnisme accordant à cette dernière un statut scientifique.
Enfin, de plus en plus de facultés de médecine et de sciences infirmières
enseignent des approches alternatives et complémentaires dont la validité n’a
pas encore été démontrée.
Les exemples de l’infiltration des pseudosciences dans le monde
universitaire québécois et européen mettent en cause principalement cinq
disciplines : orientation professionnelle, philosophie, criminologie, sociologie
et psychologie. Le lecteur pourrait être étonné que des exemples
pseudoscientifiques puisés dans les départements universitaires impliquent la
psychanalyse. L’étonnement se dissipe quand on apprend que Freud était non
seulement très superstitieux, mais qu’il croyait également à la numérologie, à
l’occultisme, à la transmission de pensée et à la télépathie (Onfray, 2010). Loin
de moi l’idée que les pseudosciences envahissent le monde universitaire en
général et les sciences humaines et sociales en particulier ; les exemples relevés
sont probablement de malheureuses exceptions dont les dommages n’en sont
pas moins importants non seulement pour les étudiants, mais également pour
les citoyens.
Orientation professionnelle. Quatre cas illustreront ici mon propos : 1) un
mémoire de maîtrise en éducation (section carriérologie) de l’Université du
Québec à Montréal ; 2) la proposition d’un professeur de la Faculté
d’éducation de l’Université de Sherbrooke ; 3) un essai produit dans le cadre
d’une maîtrise au département de counseling et orientation de l’Université
Laval, et 4) une proposition du « Service d’orientation et de consultation
psychologique » de l’Université de Montréal pour éclairer le choix de carrière.
• Dans le cadre de sa maîtrise en éducation (section carriérologie), Simard
(1999) a produit un mémoire intitulé La validité concomitante d’une
interprétation du thème de naissance comme prédicteur de l’occupation
professionnelle. Son hypothèse est sans équivoque : un profil réalisé à l’aide du
thème de naissance permet de prédire l’occupation professionnelle d’un
individu. Il faut saluer les précautions méthodologiques prises par l’auteur
particulièrement en ce qui concerne la sélection des sujets. Elle a engagé ce
qu’elle appelle un dépisteur pour recruter vingt sujets selon des critères très
précis. Ainsi, les dix-huit occupations professionnelles retenues (par exemple :
pompier, acteur, policier, agent immobilier, pharmacien, secrétaire) tirées de la
Classification nationale des professions (1993) figurent, aux dires mêmes de
l’auteur, « parmi les plus répandues dans le monde occidental et on les retrouve
en grand nombre au Québec » (p. 77). Outre le fait qu’ils devaient occuper
l’une de ces dix-huit professions, les sujets, des femmes et des hommes âgés de
35 à 55 ans, devaient travailler à temps complet dans une seule occupation
depuis au moins dix ans ; ils ne devaient pas enseigner ni gérer, que ce soit au
travail ou dans leurs loisirs ; ils devaient être établis dans leur carrière sans
envisager de réorientation professionnelle ; ils devaient être nés au Québec, ne
pas être jumeau ou jumelle et être en mesure de fournir un document officiel
attestant leurs coordonnées de naissance.
Le chercheur n’a eu aucun contact avec les seize sujets de 30 à 52 ans
finalement retenus. La collecte des données a elle-même été effectuée par le
dépisteur encadré par le directeur du mémoire ouvert aux besoins de
consultation. Là s’arrête la rigueur méthodologique. Comme on le verra, la
présentation des résultats et leur discussion relèvent du parti pris idéologique
en faveur de l’astrologie.
D’abord, le lecteur n’a pas droit à la présentation des résultats, comme c’est
le cas dans les articles scientifiques, mais plutôt au « dévoilement des
prédictions » (p. 94). Autrement dit, on révèle au lecteur ce qui restait caché,
comme si les données enregistrées sur bande-vidéo justifiaient un dévoilement
au lieu d’une présentation classique des résultats. Puis, les résultats sont on ne
peut plus clairs : les instruments astrologiques d’analyse n’ont permis que deux
prédictions exactes sur seize, tout simplement attribuables au hasard. Qui plus
est, on note que sur les seize professions prédites, quinze sujets seraient censés
exercer la profession d’acteur. Ce simple résultat aurait fait conclure à
n’importe quel chercheur qu’un instrument aussi peu discriminant non
seulement n’a aucune validité sur le plan scientifique, mais n’est d’aucune
utilité pratique. De plus, une page ou deux auraient suffi pour conclure. Les
vingt-six pages supplémentaires dont seize consacrées à la discussion des
résultats constituent une tentative de récupération de détails supposément
significatifs qui les expliqueraient. Deux raisons sont alors invoquées. L’auteur
attribue d’abord ses résultats à la nature de son échantillon qui ne
correspondait pas aux critères préétablis. Alors là, c’est le mystère le plus total.
Comment le dépisteur, encadré de surcroît par le directeur du mémoire, a-t-il
pu passer outre aux critères de sélection des sujets pourtant fort précis ?
Comment le directeur du mémoire a-t-il pu négliger ce préalable
fondamental ?
Tout aussi surprenante, la deuxième raison concerne la méthodologie.
Après avoir sélectionné trois grilles d’analyse parmi les meilleures selon son
point de vue, l’étudiante concède candidement que, faute de temps, elle a dû se
rabattre sur une méthode d’interprétation non standardisée qui prête trop à la
subjectivité et qui a été réalisée par une seule « interprète » (le chercheur). En
astrologie, soulignons-le, l’analyse des résultats est effectuée par un
« interprète », plutôt que par un chercheur. Qui plus est, « l’interprétation
astrologique repose non seulement sur les connaissances et les habiletés de
l’interprète, mais également sur des facteurs situationnels qui peuvent le rendre
temporairement moins efficace, tels l’anxiété ou la fatigue, ou toute distraction
inopportune qui nuit à la concentration que requiert un travail de synthèse »
(p. 107).
En conclusion, l’auteur affirme que « seules des recherches scientifiques
sérieuses et exhaustives pourront éventuellement témoigner de la validité, ou
de la non-validité de ses techniques » (p. 113). Voici comment se traduit son
accord avec cette déclaration de principe eu égard au fonctionnement
scientifique. « En ce qui a trait aux fondements de l’astrologie, il semble qu’elle
puisse être expliquée par le biais de corrélations, d’interconnexions acausales.
En mécanique quantique, on a en effet démontré scientifiquement, comme le
prétendent depuis toujours la philosophie orientale et l’astrologie, que toute
chose est reliée à toute autre, dans un continuum espace-temps et que
l’information n’a pas à se propager d’une particule à l’autre puisqu’elle est
présente dans tous les éléments de l’univers, en permanence » (p. 114). Mais
alors il faudra expliquer comment il se fait que, si « tout est dans le tout »,
American Express continue à nous facturer séparément (Lederman, 1993).
« Cette notion de “non-séparabilité”, poursuit l’auteur, se retrouve tant
dans l’hypothèse de synchronicité formulée par Jung et Pauli que dans le
concept de “l’univers holographique” suggéré par Bohm et Pribram ou la
théorie des champs morphogénétiques de Sheldrake, ce qui suggère que nous
nous dirigeons, comme l’affirme Laszlo (1992, p. 14), vers […] “une
description du monde unifiée et unitaire”. Bohm propose en outre que
l’univers a un ordre explicite, le monde tangible et stable, et un ordre implicite,
qui guide son expression […] Enfin, si les patterns d’interférence énergétique
contiennent l’information qui définit l’identité de chaque forme (Dychtwald,
1984), nous pouvons supposer que le thème astrologique, qui reflète l’ordre
qui existait dans le cosmos au moment de sa naissance, puisse nous informer
sur l’ordre ou la structure interne de l’homme […]. La solution semble donc
résider, comme le suggère Pervin (1996), dans l’utilisation de mesures
idiographiques indirectes, qui peuvent évaluer les construits personnels, les
états internes et les perceptions, par le biais de méthodes qui ne requièrent pas
une intervention consciente du sujet » (pp. 114-115).
Ce mémoire est un exemple typique des tentatives de récupération des
sciences par les pseudosciences. L’auteur s’engage résolument dans la démarche
scientifique. Devant des résultats une fois de plus négatifs – le défaut de
l’astrologie est d’avoir été un échec permanent (voir Carlson, 1985 ; Crowe,
1990), – elle persiste dans l’erreur en cherchant à trouver des résultats là où il
n’y en a pas. Si l’astronome est lié par sa méthodologie, l’astrologue, pour sa
part, fait fi de ses échecs et il gagnera toujours sur le premier, car en science,
quand l’expérience reste systématiquement négative après avoir
raisonnablement éliminé les facteurs qui auraient pu faire échouer la
démonstration, on abandonne les hypothèses.
• L’autre orientation. Après avoir posé la prémisse que l’orientation
professionnelle est à la fois une science et un art, Limoges, professeur de
l’Université de Sherbrooke (1994) propose aux étudiants « l’autre orientation »
qui serait « objet et source de conscience et de conscientisation » (p. 10). La
proposition de Limoges a de quoi laisser perplexe dans la mesure où cette autre
orientation n’est ni plus ni moins qu’un plaidoyer en faveur d’une formation
aux pseudosciences telles l’astrologie, la graphologie, la parapsychologie, les
médecines douces, le mysticisme, etc. « Grâce à la recherche d’inspiration
phénoménologique ou qualitative » (p. 10), il sera dorénavant possible
d’envisager d’autres façons de faire en établissant par exemple « un parallèle
entre la voie et la voix » (p. 10), ce qui devrait apporter « des éclairages neufs et
répondre à certaines interrogations jusqu’à maintenant insolubles » (p. 10).
On peut franchement douter que jouer sur des homophones (ici voie et
voix) puisse faire progresser les recherches en orientation, fussent-elles
qualitatives. En quoi « un parallèle entre la voie et la voix » est-il pertinent pour
des services d’orientation professionnelle ? Car ce faisant, Limoges se rapproche
dangereusement des élucubrations lacano-freudiennes de Dolto et de bien
d’autres comme on le verra plus loin.
• S’inspirant de son essai qui lui a valu l’obtention d’une maîtrise au
département de counseling et orientation de l’Université Laval, Garcia (1995b)
écrit, en écho à la proposition de Limoges (1994), « permettez-moi de me faire
le porte-parole d’une intervention qui dépasse le champ habituel de la
personnalité, d’une intervention transpersonnelle, justifiée par la nécessité de
prendre en considération les aspects élevés, supraconscients et spirituels de la
nature humaine » (p. 15), intervention qui devrait permettre l’étude « des
différents éléments d’intervention pouvant favoriser l’émergence d’un “Moi
transpersonnel, un Soi supérieur” » (Garcia, 1995a, p. 1). L’intervention
transpersonnelle « explore non seulement la personnalité mais s’étend au-delà
du Je […] et situe un facteur permanent, une réalité transcendante, le Soi »
(Garcia, 1995b, p. 15).
Il s’agit en fait pour l’auteur d’élaborer une intervention qui étudie « l’être
humain à partir de son centre, de son essence, [et qui] soutient l’existence d’un
“Soi” tel un facteur universel même s’il lui est possible de “s’individualiser” »
(Garcia, 1995a, p. 2). Ce nouveau type d’intervention serait d’autant plus
nécessaire que « la stimulation des énergies supraconscientes, de “l’inspiration
supérieure”, de la force d’attraction du “Soi”, se manifeste par des conflits entre
les aspects “normaux” et “inférieurs” de la personnalité, telle fameux “vide
existentiel” » (Garcia, 1995a, p. 3 et 1995b, p. 15).
Par la suite, le premier chapitre de l’essai traite du « paradigme entre l’esprit
et la matière animé par les scientifiques et les mystiques » (p. 8) qui se traduira
par la rencontre des démarches occidentales et orientales, justifiant cette
rencontre par la théorie quantique. À l’instar de ceux qui appliquent la théorie
quantique aux sciences humaines, Garcia (1995a) conclut : « au niveau
expérimental, l’objectivité devient impossible » (p. 12) et, par conséquent, « le
scientifique ne peut s’attribuer le rôle d’un observateur détaché car il participe
inévitablement au phénomène qu’il observe. Il rejoint son voisin de l’Orient
car pour accéder à la connaissance, il doit prendre entièrement part à
l’expérience » (p. 13), et « cette voie de l’apprentissage passe par le processus de
la réincarnation » (p. 14).
En conclusion, l’auteur invite les intervenants à développer et à intégrer
une intervention qui « accède à la conscience de Soi, laquelle doit être explorée
de façon scientifique pour ne pas être confondue avec les phénomènes pseudo-
spirituels ou parapsychologiques » (Garcia, 1995b, p. 16). Cette déclaration de
principe est d’autant plus surprenante que, en introduction, l’auteur reprenait à
son compte la proposition de Limoges d’« apporter un regard neuf sur des
thématiques jusqu’alors ignorées, voire interdites, comme l’astrologie, la
graphologie, la parapsychologie en général » (p. 15) et que la conclusion de son
essai est titrée « Éducation dans le nouvel-âge » (p. 63), titre emprunté à Bailey
(1974). On admettra ici que cette proposition de Limoges, à laquelle adhère
Garcia, flirte dangereusement avec l’ésotérisme et, ce faisant, contrevient à une
saine protection du public. Le projet de Garcia (1995a) vise en effet à mettre
en évidence les « éléments pouvant favoriser la naissance d’un Soi supérieur
ainsi que son application possible dans le cadre d’une pratique professionnelle »
(p. 63). Landry (1995), alors présidente de l’Ordre des conseillers et
conseillères d’orientation, a aussi réagi à l’article de Limoges dans le cadre d’un
texte au titre évocateur « Les approches alternatives : pas toujours une
alternative ! ». Sans jamais faire explicitement référence au texte de Limoges,
elle rappelle clairement les exigences découlant du code de déontologie.
« Toute approche alternative, avant d’être intégrée dans une pratique
professionnelle, doit :
– être documentée et les fondements de cette approche doivent être
clairement explicités ;
– être évaluée scientifiquement, sinon dans ses fondements, tout au moins
en ce qui concerne son efficacité à traiter les problématiques humaines ainsi
que ses effets à plus long terme sur l’être humain » (p. 3).
En fait, Landry remet les pendules à l’heure. Elle souligne que l’utilisation
d’approches alternatives par un diplômé universitaire spécialiste en sciences
humaines ne rend pas ipso facto celles-ci moins dommageables. La rigueur et
l’esprit critique restent de mise et ce, d’autant plus que le recours à l’intuition,
à la créativité ou à la spiritualité remplace souvent la vérification empirique.
• L’exemple suivant montre qu’un professionnel œuvrant dans un
organisme sérieux qui offre des services d’orientation professionnelle et de
consultation psychologique de qualité peut à l’occasion se laisser tenter par une
approche dont le caractère scientifique reste à démontrer. Je pense que c’est ce
qui a pu se produire lorsque Ricard a signé dans Vies-à-Vies (2001) à l’occasion
de la semaine de l’orientation et de l’emploi, un article « Place à l’intuition et à
la synchronicité dans le choix de carrière ». Enfin, si on peut mettre en doute le
caractère scientifique de l’approche d’inspiration jungienne développée dans
l’article de Ricard, elle est tout de même acceptée tant par la discipline de la
psychologie que par celle de l’orientation professionnelle.
L’auteur fait d’abord une analyse pertinente de la complexité du monde du
travail et de la difficulté pour les jeunes d’aujourd’hui d’effectuer un choix de
carrière conforme à leurs aspirations ; puis elle expose deux éléments à son sens
importants et interreliés qui conduisent à une décision concernant le choix de
carrière : la synchronicité et l’intuition. L’expérience synchronistique « permet
en quelque sorte d’ouvrir les portes de l’inconscient en libérant des idées, de
l’information ou des désirs que nous portons en nous… En un mot, elle “fait
du sens” » (p. 2). Quant à l’intuition, elle est « une conviction interne
immédiate » [qui] « ressemble à une illumination que l’on retrouve au cours
d’une expérience de synchronicité » (p. 2). Toutefois, ajoute l’auteur, il serait
inapproprié de s’en remettre uniquement aux événements synchroniques ou à
l’intuition ; la vérification des intuitions « à l’aide de notre logique, de nos
sentiments et des faits » (p. 2) est aussi nécessaire. Les deux références citées
permettent de situer le cadre théorique sur lequel repose sa proposition : un
ouvrage de Hillman, Le code caché de votre destin (1999), et un mémoire de
maîtrise en philosophie de Beaubien (1994) dont il sera question plus loin.
Examinons brièvement les prémisses de l’ouvrage de Hillman (1999), un
psychologue de formation jungienne qui a enseigné dans de nombreuses
universités américaines et européennes. Pour Hillman, « chaque personne
possède à la naissance le ferment de ce que sera son destin, ce mystère invisible
qui devient le caractère et la personnalité, comme le gland devient le chêne »
(4e de couverture). L’ouvrage de Hillman a connu un succès mondial comme
on pouvait s’y attendre. Il dénonce la description du développement humain
de la psychologie traditionnelle (classique) ainsi que l’assimilation de la vie
humaine à une interaction entre la génétique et l’environnement. Il propose
une nouvelle voie qui s’inspire d’une vieille idée : chaque individu vient au
monde avec une vocation. En fait, l’auteur veut réhabiliter la notion de destin.
« On nous a volé, affirme Hillman, notre véritable biographie – cette destinée
inscrite dans l’akène, la graine, la semence, le gland du chêne » (p. 17). Selon la
théorie de l’akène, « chaque personne porte en soi une unicité qui demande à
être vécue et est déjà présente avant de pouvoir être vécue » (p. 19). Dans le
cadre de cette théorie, « à l’âme de chacun d’entre nous est attribué un ange
gardien unique avant la naissance, qui a choisi une image ou un modèle que
nous incarnons sur terre. Cet ange gardien nous guide et se soucie de notre
image et de ce qui caractérise notre modèle, et c’est ainsi qu’il est porteur de
notre destinée » (pp. 19-20). En fait, chaque être humain vient au monde avec
une image qui le définit parce que chacun d’entre nous est une incarnation de
sa propre idée et « cette image prend notre intérêt à cœur puisqu’elle nous a
choisis pour des raisons qui lui sont propres » (p. 24).
Hillman est bien conscient de la difficulté que pose l’idée d’un ange
gardien. « Mais pourquoi est-il si difficile d’imaginer qu’on prend soin de moi,
que quelque chose s’intéresse à ce que je fais, que je suis peut-être protégé, que
ce ne sont peut-être ni ma volonté ni mes actes qui me maintiennent en vie ?
Pourquoi préférons-nous contracter une police d’assurance, plutôt que de nous
en remettre aux protecteurs invisibles de l’existence ? » (p. 24). Autrement dit,
abdiquons notre volonté et tout sens critique ! À quoi bon faire un effort ou
même être prudent quand je traverse la rue ? Mon ange gardien s’occupe de
tout (voir Encadré 8).

ENCADRÉ 8. VIVE LES ANGES GARDIENS !

« Certes, il est facile de mourir. Une seconde d’inattention et les plans les mieux établis de l’ego
le plus vigoureux s’éparpillent sur le trottoir. Or quelque chose m’empêche chaque jour de
tomber dans les escaliers, de trébucher dans le caniveau, d’être attaqué par surprise. Comment
peut-on rouler sur l’autoroute en écoutant de la musique, l’esprit ailleurs, et rester en vie ? En
quoi consiste ce « système immunitaire » qui veille sur mes journées, monte la garde devant les
aliments bourrés de virus, toxines et bactéries que j’absorbe ? Qui, entre autres, me débarrasse
des microbes envahissant les sourcils, à la façon de ces petits oiseaux perchés sur le dos des
rhinocéros qui les nettoient de leur vermine ? Tout ce qui nous protège, nous l’appelons
instinct, autopréservation, sixième sens, conscience subliminale (autant de phénomènes
invisibles mais bien présents). Il fut un temps, jadis, où ce qui me protégeait si bien s’appelait
un ange gardien, et je savais, ô combien, lui accorder l’attention qui convenait » (Hillmann,
1999, p. 24).

Si les anges gardiens s’occupent de chacun, pourquoi diantre former des


psychologues ? À quoi bon suivre une formation universitaire où la rigueur
scientifique est importante ? Tenons-nous en plutôt à la théorie de l’akène.
Selon celle-ci, en effet, la multitude des symptômes propres aux enfants
difficiles est moins « une affaire de causalité que de vocation, moins les
influences passées que des révélations intuitives » (p. 25). Autrement dit, quelle
que soit la nature, adaptative ou pas, des comportements d’un enfant, cessons
de nous en faire. Les symptômes ne sont rien d’autres que le témoin de la
vocation particulière de l’enfant. Comme « l’image entière de la destinée est
inscrite au sein d’un akène minuscule…, ses appels se manifestent dans les
colères et les caprices, la timidité et le repli sur soi, qui semblent opposer
l’enfant au reste du monde mais ne sont peut-être qu’une façon de protéger le
monde intérieur qu’il apporte avec lui » (pp. 25-26). Qui plus est, les données
cliniques de nature pathologique seraient tout simplement attribuées à l’enfant
et transmises avec lui.
Philosophie. Le mémoire de Beaubien (1994) obtenu à l’Université du
Québec à Trois-Rivières et intitulé Le principe de synchronicité chez Carl Gustav
Jung s’inscrit dans la même perspective que ceux de Simard et Garcia. D’entrée
de jeu, Beaubien présente les deux manières de définir le concept de
synchronicité développé par Jung. « D’une part, il s’agit d’une correspondance
ou d’une coïncidence significative entre un événement psychique et un
événement physique qui n’ont pas de rapport causal entre eux. De tels cas se
présentent, par exemple, lorsque des phénomènes intérieurs comme des rêves,
des visions ou des prémonitions offrent une correspondance avec la réalité
extérieure. D’autre part, il s’agit d’une correspondance entre des rêves, ou
encore entre des idées identiques ou analogues qui se manifestent à différents
endroits, simultanément » (p. 5).
Beaubien cherche ensuite à justifier la pertinence du concept de
synchronicité pour élever au rang d’événements importants et significatifs des
phénomènes qui relèvent de pures coïncidences. Pour ce faire, il a recours au
taoïsme, au principe d’incertitude d’Heisenberg, à la parapsychologie, à
l’inconscient collectif et au phénomène de la divination.
En fait, c’est « en s’initiant au mode de fonctionnement du Yi-King que
Jung a pu expérimenter le phénomène de synchronicité. Ce procédé divinatoire
permet à un individu d’identifier le texte ou l’hexagramme du Yi-King en
rapport avec son vécu propre » (p. 10). Par la suite, s’appuyant sur la physique
relativiste et quantique, en particulier sur le principe d’incertitude
d’Heisenberg, l’auteur rappelle qu’un phénomène n’est pas indépendant de
l’observateur : « l’observateur et l’observé sont interchangeables, l’espace et le
temps ne sont plus qu’un continuum » (p. 21). Ce constat annulerait le
principe même de la causalité applicable à tous les phénomènes d’où la
nécessité d’un autre principe explicatif basé cette fois sur l’acausalité.
– Et quelle serait la manière de reconnaître des événements de nature
acausale ?
Pour Beaubien la réponse est simple : « il y a acausalité là où un
enchaînement causal apparaît comme impensable. Ainsi, beaucoup de soi-
disant hasards s’éliminent de la sorte » (p. 25).
– Et comment reconnaître de façon empirique l’existence de relations
acausales ?
La réponse est encore très simple : « la preuve décisive d’une connexion
acausale entre certains événements est apparue récemment, grâce à des
recherches effectuées dans le domaine de la parapsychologie. Cette science (sic)
vise à la compréhension des phénomènes de clairvoyance, de psychokinésie, de
télépathie, etc. » (p. 29). L’auteur est formel : les expériences de Rhine sur la
perception extrasensorielle et la psychokinésie – celui-là même qui fut accusé
de fraude (voir Broch, 1985 ; de Pracontal, 1986 ; Langmuir, 1985 ; Ledoux,
1976) – « ont jeté les bases d’une étude quantitative des phénomènes de
synchronicité » (p. 63) et « ont été décisives quant à la démonstration d’une
relation acausale » (p. 29).
– Et à quoi ressemblent ces fameuses études quantitatives ?
Premièrement, à discourir pendant plus de soixante pages sur les liens entre
l’inconscient collectif, la synchronicité et la parapsychologie – comme si l’on
avait encore besoin de se faire convaincre que la psychanalyse a peu à voir avec
la science. L’apogée de la démonstration se situe dans l’avant-dernière partie
(pp. 77-80) consacrée à « la divination ». « Depuis toujours, est-il écrit, les
hommes ont cherché au moyen de l’oracle, à connaître l’avenir » et « toutes les
techniques divinatoires qui se sont élaborées au cours de l’histoire reposent sur
le principe de la relation synchronistique » (p. 77).
– Et comment fonctionne la divination ?
Grâce au nombre bien sûr ! « Le nombre entier naturel a quelque chose
d’insondable, d’irrationnel, et l’ensemble des mathématiques est basé sur ces
nombres. Ayant une nature telle, ces derniers sont alors aptes à saisir
l’irrationnel. C’est là la base de la divination » (p. 79). De plus, comme « la
divination est basée sur le principe de la synchronicité, ce qui est constellé dans
le ciel, dans le psychisme ou encore dans divers jeux arithmétiques est en
correspondance avec les événements extérieurs de la vie d’un individu » (p. 82).
– Et la divination est-elle efficace ?
Évoquant précisément l’efficacité des méthodes divinatoires, Beaubien
rappelle que « le phénomène de la divination porte sur l’aspect fortuit
des événements. Il consiste à interpréter le savoir inconscient. L’archétype
soulève une masse d’énergie considérable. Lorsque nous sommes dans une
situation de tension intérieure, il est alors très probable qu’un archétype soit
constellé dans l’inconscient. C’est à ce moment que l’oracle a le plus de chance
de fonctionner » (p. 86). De plus, « qu’il soit question d’oracles numériques ou
d’autres techniques de divination, il s’agit de moyens servant à catalyser son
propre savoir inconscient. Chacune des techniques permet de traduire et
d’accéder à ce savoir. Les feuilles de thé ou le marc de café, par exemple,
suggèrent des images. Le caractère chaotique du motif a pour but d’abaisser
l’esprit conscient afin de laisser parler l’inconscient » (p. 83).
Outre leurs références à la synchronicité, les mémoires de Simard, de
Garcia et de Beaubien ont un autre point en commun : ils recourent au
principe d’incertitude pour justifier le caractère flou de leurs argumentations
théoriques et empiriques. Dans ce qui suit, je vais d’abord essayer de montrer
(1) que le recours au concept de synchronicité est au mieux une illusion et au
pire une escroquerie théorique et (2) qu’il faut en finir avec le principe
d’Heisenberg appliqué aux sciences humaines.
• Le concept de synchronicité, le hasard mal compris
« Alors qu’il y travaillait, il reçut un manuscrit d’un jeune biologiste qu’il
ne connaissait pas, A.R. Wallace, qui tout en étant plus succinct, était l’exposé
d’une théorie analogue à celle de Darwin. Or, Wallace se trouvait à ce
moment-là aux Moluques en Malaisie. Il connaissait Darwin en tant que
naturaliste, mais n’avait pas la moindre idée du genre de recherches théoriques
dont il s’occupait à ce moment » (Jung, 1964, p. 306).
Cette citation de Jung est utilisée par Beaubien (1994, p. 6) pour valider le
concept de synchronicité. Nos deux auteurs semblent ignorer que c’est un
phénomène relativement fréquent en sciences que deux ou plusieurs chercheurs
travaillent à résoudre les mêmes problèmes. Beaubien reproche ici aux
scientifiques de considérer ces coïncidences significatives comme le fruit du
hasard ou de l’état des domaines de recherche à un moment donné. Puisque de
tels phénomènes échappent aux explications causales et que le cerveau humain
est une machine à chercher des explications et du sens, Jung et consorts font
appel à un principe explicatif de nature acausale, le principe de la
synchronicité. Qui plus est, la publicité concernant les activités du « cercle
Jung de Montréal » constitue un autre bel exemple. Voici un extrait de la
publicité de la conférence de J.-F. Vézina (2 avril 2012) intitulée « Les hasards
nécessaires. La synchronicité dans les rencontres qui nous transforment » :
« Nous faisons l’expérience de coïncidences qui nous déroutent parce
qu’elles semblent orchestrées dans un but qui échappe à notre conscience.
Comme si, à des moments charnières de notre vie, un sens essayait
mystérieusement de nous trouver. Dans un monde de plus en plus programmé
où nous calculons tout, même notre rapport à l’autre, la synchronicité, ce
principe spontané dans la nature, offre une alternative riche et créative dans la
quête de notre histoire. La conférence visera à examiner comment le réel peut
devenir le théâtre de ces mystérieux rendez-vous auxquels nous convie notre
inconscient ».
Certains individus sont tellement préoccupés de trouver une explication
qu’ils sont prêts à donner un sens caché au hasard. Autrement dit, le hasard
devient alors un pourvoyeur de signification. À l’opposé, la pensée scientifique
accepte l’absence de sens et son corollaire, le doute. Pour ce faire, elle a
incorporé le hasard dans les estimations statistiques et le calcul des probabilités
comme moyen de tenir compte de notre ignorance des causes et de les
quantifier. Enfin, que les humains cherchent à donner un sens à ce qui leur
arrive, cela se comprend. J’avoue cependant avoir quelque difficulté à saisir
comment un sens essaie mystérieusement de nous trouver.

Pour en finir avec le principe d’incertitude


Les tenants des pseudosciences, les défenseurs du courant postmoderne et
les psychanalystes – en tout cas les jungiens et les lacaniens – font référence à
qui mieux mieux aux concepts des sciences dures pour justifier leurs croyances.
Un des concepts privilégiés est celui du principe d’incertitude de Heisenberg. En
mécanique classique, la description d’un système physique est complète, à un
moment donné, lorsque sont connues les positions et les vitesses de toutes les
particules qui le composent. En mécanique quantique, la situation est tout
autre. Il peut sembler étrange que, pendant trois quarts de siècle, tant de gens
aient cru bon d’avoir recours à cette inégalité pour étayer leurs opinions sur le
déterminisme universel, le libre arbitre, la nature de l’âme ou la télépathie.
Bien sûr, cela s’explique par le halo poético-philosophique dont est nimbée
l’expression principe d’incertitude. Si, au lieu de principe d’incertitude, on avait
parlé de relations d’incertitude (Cohen-Tannoudji, Diu, & Laloë, 1973) ou,
encore plus simplement, d’inégalités de Heisenberg (Lévy-Leblond & Balibar,
1984), on n’en aurait sans doute jamais entendu parler en dehors du domaine
de la physique. De plus, on peut regretter que l’expression principe
d’incertitude ait laissé l’impression, chez un large public, que la physique avait
renoncé à quelque chose, alors qu’en fait la théorie quantique a permis de
comprendre un grand nombre de phénomènes auparavant inexplicables sans
elle, comme la taille et la stabilité des atomes. L’incertitude dont il est question
ne renvoie ni à l’ignorance, ni à une quelconque erreur de mesure qui
constituerait un obstacle à l’étude physique des lois naturelles. Le principe
d’incertitude est une loi physique comme toutes les autres lois physiques.
Autrement dit, à titre de loi physique concernant une propriété de la matière, il
constitue une vérité objective concernant l’univers (Gross & Levitt, 1994) à
propos d’une propriété mathématique des ondes permettant d’estimer des
valeurs expérimentales utiles.
Quant à l’appropriation des idées et des termes de la physique en dehors de
son domaine, la meilleure attitude à adopter est bien décrite par les propos de
Richard Feynman dans son Cours de physique (1965/2000) : « Nous allons
discuter brièvement quelques-unes des implications philosophiques de la
mécanique quantique. Comme toujours, il y a deux aspects du problème :
d’une part les implications philosophiques de la physique, et d’autre part
l’extrapolation de sujets philosophiques dans d’autres domaines. Lorsque des
idées philosophiques associées avec la science sont appliquées à d’autres
domaines, elles sont d’habitude complètement distordues. Nous allons donc,
autant que possible, limiter nos remarques à la physique » (p. 27).
Dans cette perspective, récupérer le principe d’incertitude en psychologie –
St-Arnaud (1982) parle du « facteur d’incertitude en psychologie » – c’est
s’approprier un phénomène spécifique à la physique quantique en réalité
inapplicable aux sciences humaines et qui ne peut donc en aucune façon servir
d’argument en faveur d’une quelconque théorie psychologique. Certes
l’analogie frappe l’esprit et ceux qui s’en servent ne manquent pas de souligner
que même en physique, science par excellence, la mesure exacte est impossible.
Confondant alors le principe lui-même et les résultats des mesures : ce sont les
résultats des mesures qui sont de nature probabiliste et non le principe
d’incertitude lui-même.
Cette confusion permet ainsi à Brunet (1996) de statuer que ceux qui
critiquent la psychanalyse ne sont que des ignorants puisque « la non-
objectivité et la non-reproductivité de toute observation scientifique y compris
celle des “sciences dures” ont été démontrées comme inéluctables depuis les
travaux d’Heisenberg » (p. 21). Dans cette perspective, ajoute-t-il, « la
psychanalyse comme science n’est pas plus objective ni reproductible que ne le
sont la physique, l’histoire, la criminologie, pour ne nommer que quelques
sciences. » (p. 21). Ce que Brunet semble ignorer, c’est que les sciences
humaines n’ont pas besoin de faire appel à la physique quantique pour savoir
que leurs mesures n’ont pas le même niveau d’objectivité que celles des sciences
dures. Il n’y a d’ailleurs pas de mal à ce que le caractère prédictif des sciences
humaines et sociales soit faible. Ceux qui prennent des mesures au lieu de se
fier uniquement à leur intuition ou à leur subjectivité le savent fort bien,
puisqu’ils présentent leurs résultats assortis de seuils de probabilité et de taille
d’effet. Au lieu d’utiliser l’incapacité à obtenir des certitudes (mesures exactes)
pour justifier des approches encore moins rigoureuses, le principe d’incertitude
devrait plutôt inciter les tenants des sciences humaines à multiplier les
contrôles ou, à tout le moins, à déployer plus de rigueur méthodologique avant
d’affirmer quoi que ce soit. Est-il utile de rappeler ici que si le pouvoir prédictif
de la physique n’était pas plus élevé que celui de la psychanalyse, je doute fort
qu’on ait réussi à envoyer des hommes sur la lune et à construire des ponts qui
ne s’effondrent pas.
Si certains peuvent être surpris que, dans le cadre de services d’aide
psychologique offerts par une université, on puisse retrouver le genre de
proposition formulée par Ricard (2001), il faut savoir qu’on le retrouve dans
bien d’autres lieux. En fait, cette proposition s’inscrit dans le courant dit
postmoderne – dénoncé par Sokal et Bricmont (1997) – que fréquentent
principalement les littéraires, les philosophes, les anthropologues et les
psychanalystes d’universités nord-américaines et européennes (particulièrement
françaises). Ce courant se fait en quelque sorte le défenseur du spirituel, de
l’importance de l’âme et de la quête de sens. Les tenants du post-modernisme
n’hésitent pas à affirmer que la réalité objective n’existe pas, que la réalité n’est
rien d’autre qu’une construction sociale.
Criminologie. Moody, médecin et docteur en philosophie, aurait jubilé de
voir Anja Opdebeeck, juriste de formation, soutenir à l’Université catholique
de Louvain au cours du deuxième trimestre de 2001, une thèse de doctorat en
criminologie sur le phénomène du Near Death Experience (NDE), en français
L’Expérience de Mort Imminente (EMI). Moody (1977, 2011) fut en effet le
premier à présenter l’EMI comme un phénomène qui se produit lorsqu’un
individu survit en quelque sorte à une mort imminente à la suite d’un
problème physique grave. Pourquoi un tel sujet en criminologie ? La thèse
d’Opdebeeck, Expériences de mort imminente et conséquences pour les intéressés et
la société sur le plan micro-et macropsychologique, a sa place dans cette discipline
du fait que les individus ayant vécu une EMI auraient un statut de « victimes »
dans nos sociétés. Et la victimologie est en effet un champ d’étude de la
criminologie.
La thèse comprend deux volets : un volet dit théorique et un volet
témoignages. Einhorn et Backx (2001) considèrent en fait que cette thèse « se
caractérise avant tout par un mélange constant des registres (pseudo)-
scientifique et émotionnel » (p. 2). Les individus qui ont témoigné dans le
cadre de ce travail doctoral seraient revenus radicalement transformés de leur
EMI. Ils auraient aperçu des bribes d’un autre monde lumineux (baignant dans
une clarté aveuglante) et pétri d’amour. Ces rescapés de l’au-delà éprouveraient
de la difficulté à se réadapter à notre univers matérialiste et marqué de conflits
interminables, d’où leur statut de victimes.
À l’instar de l’ouvrage de Moody (1977), la thèse d’Opdebeeck n’offre
qu’une collection de témoignages anecdotiques d’individus qui ont vu la mort
de près. Ces témoignages ne nous renseignent donc nullement sur « la vie après
la vie ». Pour ajouter au sérieux des témoignages de tous ces survivants, on
invoque souvent le fait qu’ils ont tous expérimenté sensiblement la même
chose : le passage à travers un tunnel, la rencontre d’une lumière intense, un
retour sur toute leur vie, l’atteinte ou le franchissement d’une limite et, dans la
quasi-totalité des cas, la sortie de son propre corps en planant au-dessus de
celui-ci… La notion de rencontre d’un être de lumière (identifié par certains à
Dieu), dégageant un amour infini, est presque une constante (p. 4). Il n’est
guère surprenant dès lors que les défenseurs des EMI, même s’ils prétendent
faire de la science, affirment que ce genre d’expériences présente quelque chose
de divin et touchent aux grandes questions du sens, ce qui les rend pour une
part inaccessibles à la méthode scientifique, compte tenu, bien sûr, de l’état
actuel du développement scientifique.
Et pourtant la science peut faire un certain usage de ces résultats. Bien sûr,
le cumul de témoignages ne prouve pas l’existence de ce qui aurait été vu ou
expérimenté. Les témoignages rassemblés par Moody et consorts peuvent
cependant fournir des indications sur le fonctionnement du cerveau chez une
personne mourante. Si, comme on peut le supposer, les individus qui vivent
une EMI cessent de respirer et que le sang, par conséquent, manque d’oxygène,
une augmentation du taux d’azote-oxygène se produit dans le cerveau. Ce
phénomène entraînerait l’expérience typique des plongeurs en eau profonde :
« une narcose d’azote », communément appelé le « ravissement des
profondeurs » ; « ils se sentent la tête légère, tranquilles, ils voient des lumières
devant eux et n’ont aucune crainte de ce qui leur arrive » (Stein, 2001, p. 33).
Présenter les EMI comme des hallucinations causées par un manque
d’oxygène dans le cerveau ne ferait pas un best-seller. La recette consiste plutôt
à traiter de la mort – un sujet qui touche aux grandes questions de sens – et de
l’hypothèse d’un au-delà sous les apparences de recherches scientifiques que
cautionne un travail universitaire de niveau doctoral dans un contexte
universitaire. On est alors assuré de voir grossir la section pseudosciences dans
les librairies (Larivée et al., 2013). Cela dit, la thèse de l’auteur quant au statut
de « victimes » des individus qui disent avoir vécu une EMI reste pertinente.
Ma critique porte essentiellement sur l’interprétation que les individus
concernés donnent de leur expérience de EMI (pour des informations
supplémentaires, voir Blackmore, 1993).
Sociologie. Le 7 avril 2001, Elizabeth Teissier s’est vue décerner le titre de
docteur en sociologie de l’Université Descartes-Paris V après avoir produit une
thèse portant sur la Situation épistémologique de l’astrologie à travers
l’ambivalente fascination/rejet dans les sociétés postmodernes. Jusque-là, il n’y a pas
de problème. Les choses commencent à se compliquer lorsqu’on sait
qu’Elizabeth Teissier de son vrai nom, Germaine Hanselmann, était
l’astrologue de François Mitterand. Alors que tous les membres du jury, y
compris son directeur – il est rare qu’un candidat qui se rend jusqu’à la
soutenance soit coulé – ont eu beau souligner que leur approbation n’équivalait
nullement à une reconnaissance scientifique de l’astrologie, Teissier n’en avait
pas moins pour but avoué avant même la soutenance de sa thèse de « Redonner
ses titres de noblesse à l’astrologie, enseigner cet art à la Sorbonne : voilà ce
pourquoi je lutte ! » (http :/www.club-internet.fr./teissier). Elle n’a d’ailleurs
pas manqué tout au long de la soutenance de répéter à qui mieux mieux que
l’astrologie est une science.
Pour compléter des études doctorales, il faut un directeur de thèse attitré.
Même si celui-ci laisse habituellement une grande marge de manœuvre au
candidat en général, le candidat et le directeur partagent sensiblement le même
point de vue quant aux méthodes appropriées pour cerner l’objet d’étude.
Qu’en est-il des approches privilégiées par le directeur de thèse, M. Maffesoli
de l’Université René Descartes-Paris V ? Ce dernier admet privilégier des
méthodes qui permettent l’éloge de la connaissance ordinaire. « Parmi les
différentes manières d’aborder les faits sociaux… celle qui le fait à partir du
quotidien, du banal, de l’imaginaire, s’emploie à rester enracinée, sans a priori
normatif, dans ce qui est l’existence de tout un chacun :… une connaissance
ordinaire » (Maffesoli, 2001). Lorsque Baudelot et Establet (2001) lui
reprochent de privilégier « le culte du vécu, l’interprétation gratuite et l’analyse
spontanée au détriment d’une analyse objective des faits sociaux », Maffesoli
(2001) rétorque : « peu importe, puisqu’empiriquement cela a permis et
permet de donner un cadre analytique cohérent aux recherches sur les
tendances profondes de nos sociétés ».
Lors de la soutenance, Teissier ajoute que, sur le plan individuel, « telles des
cartes à puce, les êtres seraient lors de leur entrée en ce monde sublunaire,
selon l’expression d’Aristote, comme imprégnés des énergies planétaires
harmoniques ou dissonantes, celles-ci induisant un psychisme plus ou moins
équilibré » (in Pecker, 2001, p. 6). Puis, en réponse à Moscovici qui lui dit que
l’astrologie est une magie naturelle et s’apparente à la science new-age, Teissier
rétorque qu’« il sera difficile de montrer que la magie a un statut de science, elle
n’a rien à voir avec un système vérifiable comme l’astrologie et de toute façon,
tout est vibratoire, rien n’est de l’ordre de la matière » (in Pecker, 2001, p. 9).
En fait, en lieu et place d’hypothèses, de méthodes et de données
empiriques, les quelque 900 pages de la thèse de Teissier ne comportent que
des anecdotes, des témoignages de l’auteur qui s’autocongratule, citant aussi
bien des lettres de gens ordinaires que le témoignage de l’ancien président de la
France, François Mitterand. Les affirmations tiennent lieu de démonstrations
du caractère scientifique de l’astrologie, cette « science empirique des astres »,
cette « science par excellence de la caractérologie » (p. XI), cette « science de la
qualité du temps » (p. 112), « seule science objective de la subjectivité »
(p. 250), « la mathématique du tout » (p. 501), « science empirique par
définition » (p. 769), bref, « la reine des sciences » (p. 72). De toute façon,
pourquoi se donner la peine de mettre en place un véritable dispositif de
recherche lorsque « la vitalité de l’astrologie aujourd’hui ne fait aucun doute »
et que « pour preuve, il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles » (p. 792).
L’astrologie est une malheureuse victime de la domination de la science
officielle. Que fait l’auteur en l’absence de faits ? Elle se gargarise de phrases
soi-disant savantes mais dénuées de sens.
Répétons-le, il ne s’agit pas de s’opposer à l’étude du phénomène social que
constitue l’étonnante influence de certaines croyances sur la population, dont
celle de l’astrologie. Il y a là un fait social observable et donc un sujet d’étude
potentiel au même titre que les autres faits sociaux. Toutefois, l’analyse du
phénomène « astrologie », qu’elle soit d’ordre psychologique ou sociologique,
ne confère pas à celle-ci ipso facto un statut scientifique. Par contre, ce qui est
scandaleux dans cette affaire, ce n’est pas qu’une astrologue ait infiltré
l’université, c’est que des professeurs d’universités sous prétexte d’une
ouverture d’esprit acceptent que déferle une vague d’obscurantisme dans une
prestigieuse université parisienne (Charpak & Broch, 2002). Par ailleurs,
l’octroi d’un doctorat en sociologie à une astrologue place les sociologues dans
une fâcheuse position. Il n’est guère surprenant dès lors que 400 sociologues
aient signé une pétition demandant au président de la Sorbonne de procéder à
une réévaluation indépendante de la situation même si une chercheuse en
sociologie écrivait dans Le Monde que : « cette dame est finalement très
représentative des thésards en sociologie ». Pour en savoir plus sur l’affaire
Elizabeth Teissier, le lecteur consultera avec profit l’analyse de Broch (2001).
Dans tous les cas, l’espoir de Teissier d’enseigner un jour l’astrologie
comme « science » à la Sorbonne n’est malheureusement pas saugrenue. Par
exemple, en Angleterre, on enseigne l’astrologie dans au moins deux
universités, celle de Plymouth et celle de Londres. Par ailleurs, Kumar (2001) a
recensé vingt-quatre instituts dans le monde où l’on enseigne l’astrologie,
certains depuis plus de cinquante ans. Dans cette perspective, la pseudoscience
postmoderne serait devenue une banalité dans plusieurs universités
américaines, particulièrement dans les départements de littérature, de
philosophie et de psychanalyse. L’une d’entre elles réclame même une
accréditation pour une chaire d’astrologie (Backx & Einhorn, 2001).
En Inde, où plus de seize universités dispensent des cours d’astrologie dans
le cadre de divers programmes, la commission du financement universitaire par
l’entremise du ministre de la Recherche et de l’Éducation a offert aux
universités de créer des départements d’astrologie védique dotés de cinq postes
de professeur, d’une bibliothèque, de laboratoires informatiques et d’une base
de données d’horoscopes. La formation de trois ans au premier cycle, de deux
ans au deuxième cycle et d’une durée indéterminée pour le doctorat, est
ouverte à tous. Le ministère encourage particulièrement les enseignants et les
professionnels (médecins, architectes, hommes d’affaires, analystes financier et
politique, etc.) à suivre cette formation (Kumar, 2001).
Cette décision du ministère de la Recherche et de l’Éducation relève en fait
d’un courant idéologique (politique et religieux) on ne peut plus clair qui
prône « une nation, une religion et une culture ». Le ministre n’a pas hésité à
proclamer haut et fort l’urgence pour les scientifiques d’étudier le sanscrit et la
philosophie indienne et ce, d’autant plus que la science moderne est « peu
concluante et par conséquent peu fiable ». À l’instar de l’astrologie occidentale,
l’astrologie védique prétend faire des prédictions à partir d’objets
astronomiques : le soleil, la lune et cinq planètes repérables à l’œil nu. Mais
l’astrologie védique ajoute deux planètes invisibles, Raahu et Kedhu, qui
deviennent deux serpents qui avalent la lune et le soleil lors des éclipses, ce qui
explique du coup le phénomène. Voilà la « science » qu’on veut enseigner à
l’université, ce qui n’est pas moins farfelu que le récit biblique de la création.
Plus de 100 scientifiques et 300 chercheurs en sciences sociales et
politiques se sont mobilisés pour condamner cette tentative de légitimer les
pseudosciences. Les scientifiques indiens ont été déboutés en Cour supérieure
dans leur tentative d’empêcher la mise en place de programmes d’astrologie. Ils
eurent beau invoquer l’article 51 de leur constitution selon lequel un des
devoirs fondamentaux des citoyens consiste à développer un esprit scientifique
et à combattre les superstitions, rien n’y fit. Conclusion : éclipse totale de la
raison broyée par le serpent cosmique ! (Astrologie à l’Université, 2001 ;
Kumar, 2001).
Psychologie. L’infiltration des pseudosciences dans l’enseignement
universitaire des départements de sciences humaines et sociales en général et de
la psychologie en particulier est particulièrement insidieuse. Ainsi, il n’est pas
rare de constater qu’à l’intérieur d’un même département on dispense des cours
de psychologie expérimentale et des cours de psychanalyse comme si ces deux
approches avaient le même statut scientifique.
Même si en Amérique du Nord la psychanalyse est moins populaire qu’en
France, il subsiste quelques poches de résistances défendues principalement par
des Gaulois lacaniens. Dans ce qui suit, je vais présenter quelques exemples
inspirés des écrits psychanalytiques déjà dénoncés pour la plupart par Sokal et
Bricmont (1997). Par la suite, je discuterai de l’impact sur la population de
l’inaction des psychologues qui prônent la méthode scientifique et l’utilisation
de données probantes.
Quelques exemples inspirés des travaux de Lacan,
Dolto et Bettelheim
Lacan. En plus du langage « maison » hermétique utilisé par les défenseurs
des pseudosciences que certains enseignants universitaires d’allégeance
psychanalytique s’approprient, ceux-ci se font les champions de
l’intersubjectivité dans le cadre de la formation des futurs psychologues. C’est
ainsi qu’en parallèle à une formation scientifique en psychologie, les étudiants
ont également des cours dont la rigueur méthodologique des approches
enseignées peut laisser à désirer. Par exemple, l’intersubjectivité dont sont
friands les psychanalystes est par définition à l’abri de toute intervention
critique puisque le seul outil d’évaluation réside dans l’analyse elle-même. Et
comme l’analyse n’est pas testable, ils s’installent à demeure dans le discours.
L’adage selon lequel « l’interprétation est toujours plus vraie que les faits » est
malheureusement plus vrai que jamais ! Ainsi, les lacaniens excellent-ils à
manier les jeux de langage au détriment de l’observation et de
l’expérimentation croyant mettre le doigt sur l’essentiel de l’être. Ils s’emploient
ainsi à convaincre à peu près tout le monde que la psychanalyse détient les clés
de l’interprétation de tous les troubles psychologiques. Ce tour de force est
d’autant plus pernicieux qu’aucun cas de clinique psychanalytique n’a été
publié par Lacan et que les interprétations psychanalytiques n’obéissent à
aucune règle empiriquement vérifiable (Bénesteau, 2002, p. 318). En évitant
de se soumettre au verdict des faits, les psychanalystes peuvent ainsi triturer à
qui mieux mieux les concepts pour imprimer à leur discours une apparence de
cohérence théorique. Les constructions interprétatives, conceptualisées dans
l’intersubjectivité si chère aux psychanalystes, permettent alors de faire « flèche
de tout bois » : l’analyste peut ainsi donner du sens (le sien) à ce qui, au départ,
ne semble pas en avoir. Qu’un même fait entraîne deux ou plusieurs
interprétations différentes ou contradictoires ne dérange guère les
psychanalystes, ni d’ailleurs les astrologues.
À cet égard, certains psychanalystes sont maîtres dans le recours aux
hypothèses ad hoc leur permettant ainsi de valider leur théorie, quels que soient
les faits. Ainsi on peut contester la valeur heuristique d’une théorie qui permet
de prédire à la fois qu’une réaction agressive peut soit être dirigée contre l’agent
d’une frustration, soit déplacée sur un tiers, soit retournée contre soi-même ou
encore inhibée et transformée en indifférence, sinon en dévouement,
puisqu’elle est nécessairement compatible avec toutes les observations. Nous
l’avons déjà dit, une théorie qui a réponse à tout n’explique rien (Bouveresse-
Quillot & Quillot, 1995). Autrement dit, la valeur heuristique d’une
hypothèse est nulle si sa formulation est nécessairement compatible avec toutes
les observations ultérieures possibles.
À la vérification des faits empiriques, doublée des efforts méthodologiques
qu’elle exige, les psychanalystes préfèrent discourir sur les concepts ou faire des
jeux de mots. Lorsque le psychanalyste Case (in Shevrin, 1995) affirme d’une
part que seule la méthode psychanalytique donne accès au fonctionnement
intrapsychique et, d’autre part, que seuls le psychanalyste et l’analysé sont
habilités à juger de la réussite ou de l’échec de la thérapie sans autre contrôle
externe, il se situe hors de la science. Alors que les scientifiques s’efforcent de
rendre leurs hypothèses opérationnelles de manière à ce qu’elles soient
réfutables, les psychanalystes se contentent de proclamer la scientificité de la
psychanalyse à partir d’une description du fonctionnement interne de la cure
analytique (Bouveresse, 1992).
La large audience de la psychanalyse tient probablement aussi à un tour de
force pour le moins suspect. Comme l’ont dénoncé Sokal et Bricmont (1997),
certains psychanalystes « importent des notions de sciences exactes dans les
sciences humaines sans en fournir la moindre justification empirique ou
conceptuelle […] et exhibent une érudition superficielle en jetant sans
vergogne des mots savants à la tête du lecteur et dans des contextes où ils n’ont
aucune pertinence » (p. 14). Par exemple, l’intérêt de Lacan pour les
mathématiques porte surtout sur la topologie, branche des mathématiques qui
concerne la propriété des surfaces : « on peut montrer qu’une coupure sur un
tore correspond au sujet névrotique » (p. 26). Lorsqu’on l’interroge pour savoir
si l’utilisation de cette topologie est au mieux une analogie pour expliquer la
vie de l’esprit, Lacan répond : « ce n’est pas une analogie […] Ce tore existe
vraiment et il est exactement la structure du névrosé. Ce n’est pas une
analogie ; ce n’est pas même une abstraction, car une abstraction est une sorte
de diminution de la réalité, et je pense que c’est la réalité » (Lacan, 1970a,
p. 192-196 dans Sokal & Bricmont, 1997, pp. 26-27).
L’exemple du tore n’est pas isolé. Lacan recourt aisément à un ensemble
d’objets topologiques (ruban de Moebius, spire, bouteille de Klein) ou de
termes mathématiques (espace, borné, fermé, topologique) sans se soucier de
leur signification habituelle et surtout sans rendre compte de leur pertinence
dans le domaine de la psychanalyse. La citation suivante est à mon avis
particulièrement éloquente. Après avoir longuement discouru sur le rôle
psychanalytique des nombres imaginaires, Lacan conclut : « c’est ainsi que
l’organe érectile vient à symboliser la place de la jouissance, non pas en tant
que lui-même, ni même en tant qu’image, mais en tant que partie manquante
à l’image désirée : c’est pourquoi il est égalable au √ -1 de la signification plus
haute produite, de la jouissance qu’il restitue par le coefficient de son énoncé à
la fonction de manque de signifiant : (-1) » (Lacan, 1971a, pp. 183-185 dans
Sokal & Bricmont, 1997, p. 32). Que dire de plus ? Non seulement tout cela
reste incompréhensible, mais les analogies entre concepts mathématiques et
psychanalytiques se révèlent arbitraires, sans fondement et nullement justifiées
sur le plan empirique ou conceptuel. Ces informations pourraient-elles être
utiles aux hommes qui souffrent d’impuissance et, du coup, leur économiser
leurs doses de Viagra ou les conseils d’un sexologue ?
Dolto. Les écrits de Dolto sont certes accessibles à un large public, mais ne
sont malheureusement pas exempts d’élucubrations lacano-freudiennes. Ainsi,
avec une imperturbable assurance, elle affirme que de nombreux échecs
scolaires résultent de ce que le « li-vre » évoque chez l’enfant le lit parental, et
les rapports arithmétiques, les rapports sexuels. « Mais d’abord le mot “lire” est
un mot qui, pour certains enfants, éveille quelque chose de totalement tabou :
c’est le lit conjugal des parents. Au moment où l’enfant est en train d’élaborer
son interdit de l’inceste, le verbe du “lit” que leur paraît être le mot “lire” rend
ce mot banni, et les activités qui entourent le fait de lire sont quelque chose qui
le met dans un très grand trouble. Bien sûr, les maîtresses d’école ne le savent
pas et cela doit rester inconscient » (Dolto, 1990, p. 19). « Les mots de “lire” et
“écrire”, pour certains enfants, sont des signifiants inconscients de l’union
sexuelle dont on ne leur a pas clairement parlé et qui, à cause de cela, les
empêchent de dépasser le trouble que ces mots induisent dans leur vie
imaginaire. Leur curiosité, quelle qu’elle soit, leur semble coupable…
Expliciter le sens de ce mot de “lire” et de ce mot “d’écrire”, par rapport aux
incidents dans le couple des parents et à la vie génitale des parents, levait le
voile… » Dolto ne savait-elle pas que des enfants d’une autre langue que le
français peuvent présenter des problèmes de lecture et que, par conséquent, son
jeu de mots n’a aucune valeur diagnostique et encore moins scientifique ? Dans
la même veine, cette fois sous l’angle mathématique, Dolto poursuit : « Le
calcul étant tout ce qui se passe autour des nombres et des “opérations”. La
multiplication : comment un et un, dans la vie quelquefois ça fait trois au lieu
que un et un ça fasse deux quand c’est des choses. Comment un tout seul (avec
une maman toute seule) on soit (on est, on naît) tout d’un coup trois, parce
que maman a un bébé sans qu’il y ait un “papa” » (Dolto, 1990, pp. 38-39).
Par ailleurs, dans Le cas Dominique, Dolto (1974) raconte l’histoire d’un
enfant de quatorze ans, effrayé par les objets qui tournent (ex. : bicyclettes,
manèges). La célèbre psychanalyste avait découvert, d’une part, comment
Dominique dominait sa mère au point de devenir le phallus de maman et,
d’autre part, combien la naissance de sa sœur Sylvie avait été catastrophique.
En effet, « toute l’image dynamique semble être la signalisation de l’existence
de Dominique en tant qu’il est encore vivant. Mais cela pouvait être annulé…
tout cela ne pouvait être pérennisé que s’il vit (or précisément voici venue…
Sylvie) » (Debray-Ritzen, 1991, p. 160). Quelles sortes de psychologues et de
pédagogues espère-t-on former lorsqu’on leur fait lire certains écrits de Dolto ?
En France, elle reste encore une référence importante en matière d’éducation
en particulier dans les milieux bourgeois-bohèmes (bobo). Et comme la
psychanalyse prétend malheureusement être le moyen le plus populaire pour
soigner l’humain en désarroi psychologique, Dolto a encore un bel avenir
(Pleux, 2013).
Bettelheim. Même si Psychanalyse des contes de fées a été publié en 1976, il
continue d’être l’un des ouvrages de psychologie les plus vendus tant en
Amérique du Nord que dans les pays francophones. Le responsable des
éditions Pocket me confirmait dans un courriel du 5 mars 2010 (Larivée &
Sénéchal, 2011) « cet ouvrage continue à se vendre malgré les années, il se vend
même très bien ». De plus, s’il faut en croire Monzani (2005), l’ouvrage serait
en grande partie à l’origine de l’engouement actuel pour l’utilisation
thérapeutique du conte.
Avec Psychanalyse des contes de fées, Bettelheim (1976), se situe dans une
application orthodoxe de la psychanalyse freudienne à l’éducation. Selon lui, la
lecture des contes de fées favorise le développement affectif et cognitif de
l’enfant tout en ayant des effets thérapeutiques. Illustrons sa position avec la
notion du complexe d’Œdipe, un pilier de la théorie freudienne encore
enseigné, dont il se réclame abondamment dans son ouvrage. Ainsi, le conte du
Petit Chaperon rouge précipiterait, sous forme symbolique, « la petite fille dans
les dangers que représentent les conflits œdipiens pendant la puberté »
(Bettelheim, 1976, p. 220). En se laissant séduire par le loup, qui n’est autre
que « le séducteur mâle [qui] représente aussi les tendances asociales animales
qui agissent en nous » (p. 221), le Chaperon rouge oublierait « les principes
vertueux de l’âge scolaire qui veulent que l’on “marche droit”, comme le devoir
l’exige » (p. 220). Ce faisant, « notre héroïne retourne au stade œdipien de
l’enfant qui ne cherche que son plaisir » (p. 221). Pour appuyer son analyse,
Bettelheim signale que « tout au long du conte et dans le titre comme dans le
nom de l’héroïne, l’importance de la couleur rouge, arborée par l’enfant est
fortement soulignée », puisque « le rouge est la couleur qui symbolise les
émotions violentes et particulièrement celles qui relèvent de la sexualité »
(p. 221). De toute évidence, Bettelheim ignore que la coiffure rouge portée par
la fillette existe seulement dans la version de Perrault (Lauzier-Déprez, 1965).
Par contre, l’interprétation de Bettelheim n’est pas nécessairement partagée
par tous les psychanalystes. Par exemple, pour Von Franz (1990), un adepte de
Jung, les contes de fées ne sont rien d’autre que l’expression des processus
psychiques de l’inconscient collectif. En ce qui concerne le Chaperon rouge,
Fromm (1951) est d’avis que si le loup dévore le Petit Chaperon rouge, c’est
pour la punir de « s’être écartée du droit chemin et d’avoir mis en danger sa
virginité représentée par le petit pot de beurre ». De son côté, Robert Gessain
déclare que le Petit Chaperon rouge est un « petit pénis à tête rouge » qui est
englouti par le « vagin dent » qu’est la « grand-mère loup » (Lauzier-Déprez,
1965). Par ailleurs, après une minutieuse analyse de certains éléments
psychopathologiques dans la vie de Charles Perrault, Lauzier-Deprez (1965)
conclut que, dans la version de Perrault, le petit Chaperon rouge, c’est Perrault
lui-même. S’il se présente sous la forme d’une fillette, c’est pour se défendre
contre son homosexualité, et l’ajout d’un bonnet rouge, symbole des
menstruations, lui permet d’affirmer sa féminité. Qui plus est, quand le Petit
Chaperon rouge arrive à la maison de la grand-mère, le loup lui demande de
coucher avec lui, ce qui serait la projection du désir de Perrault de coucher avec
son père. Enfin, quand le loup mange le Petit Chaperon rouge, l’enfant prend
la place de la mère dans la scène primitive et réalise son désir homosexuel sous
la forme régressive de la dévoration par le père (Castet-Stioui, 1992).
Discutant des différences entre Blanche-Neige et Boucle d’Or, Bettelheim
conclut que : « Blanche-Neige est une enfant plus âgée qui est en proie à une
phase particulière de ses conflits œdipiens non résolus : ses relations
ambivalentes avec sa mère. Boucles d’Or est une préadolescente qui essaie de
faire face à tous les aspects de la situation œdipienne. Cela est symbolisé par le
rôle significatif que joue le chiffre trois dans l’histoire. Les trois ours forment
une famille heureuse où tout se passe dans une telle harmonie qu’ils ignorent
tout des problèmes sexuels et œdipiens. […] Dans l’inconscient, le chiffre trois
représente le sexe, pour la simple raison que chacun des sexes a trois
caractéristiques sexuelles visibles : le pénis et les testicules pour l’homme, la
vulve et les deux seins pour la femme. Le chiffre trois représente également le
sexe pour l’inconscient d’une façon toute différente : il symbolise la situation
œdipienne qui implique l’interrelation profonde de trois personnes, relations
qui, comme le montrent l’histoire de Blanche-Neige et bien d’autres, sont fort
empreintes de sexualité » (pp. 275-276).
Avec ces nombreuses interprétations, nul doute que les étudiants en
psychologie formés à la psychanalyse pourront y trouver leur compte dans leur
compréhension de la réelle signification accordée par les enfants aux contes de
fées. Quant aux vertus thérapeutiques que Bettelheim leur attribue, elles ne
sont pas justifiées pour au moins deux raisons : les données empiriques
disponibles sur la présence du conflit œdipien et les travaux des hellénistes.
Quelques données empiriques. En adoptant un point de vue freudien
classique, Bettelheim passe sous silence – ou peut-être les ignorait-il – les
données empiriques disponibles lors de la rédaction de Psychanalyse des contes
de fées. En effet, dès 1943, Sears, après avoir passé en revue les données
empiriques sur les manifestations du complexe d’Œdipe, qualifie la conception
freudienne de « grotesquerie » (p. 136). Pour leur part, Fisher et Greenberg
(1977), après avoir passé en revue les relations entre la pathologie mentale et le
complexe d’Œdipe, concluent : « il n’y a pas d’étude qui ait pu établir une
corrélation, même faible, entre la perturbation des relations œdipiennes et une
symptomatologie névrotique dans la suite de l’existence » (p. 218). Plus de
cinquante ans après la publication de Sears (1943), deux psychologues
allemands, W. Greve et J. Roos (1996), dans La fin du complexe d’Œdipe :
arguments contre un mythe3, montrent, une fois de plus, que le complexe
d’Œdipe est une pure invention. Pour ce faire, ils ont testé 61 garçons et 67
filles âgés de trois à neuf ans, ainsi que leurs parents. Pour éviter de contaminer
les réponses des enfants quant au tabou de l’inceste, ils ont évité les questions
directes, préférant noter leurs réactions à des tests fondés sur des entretiens
projectifs ou des récits. Les deux chercheurs « ont eu la surprise de constater
qu’à l’âge “phallique” ou “œdipal”, 81,5 % des enfants, indépendamment du
sexe, jugeaient leur mère “gentille” et 78,5 % leur père “gentil” » (p. 28).
Autrement dit, aucun des enfants n’idéalisait le parent du sexe opposé et
n’éprouvait d’hostilité à l’égard du parent de même sexe. « Quant aux
propositions de mariage (“plus tard, je t’épouserai”), dont font grand cas les
psychanalystes, 82,5 % des mères et 86,5 % des pères n’avaient jamais entendu
leur enfant faire ce type de remarques. Qui plus est, dans la phase “œdipale”,
chaque enfant s’identifiait au parent du même sexe que lui » (p. 28). Le
complexe d’Œdipe est aussi remis en question par ceux-là même qui se
réclament de la psychanalyse (Simon, 1991). Par exemple, sur la base
d’observations effectuées au cours de son travail clinique auprès de nombreux
enfants, Schrut (1994) conclut que la peur de la castration et le désir
d’éliminer le père sont à peu près inexistants, sauf dans les familles gravement
pathologiques.
Les travaux des hellénistes. En se réclamant de la légende grecque d’Œdipe, la
psychanalyse, Freud en tête, voulait souligner l’universalité du complexe
d’Œdipe. En se référant au savoir ancestral recueilli dans les mythes, Freud
prétendait, alors, donner un poids décisif à sa « découverte » (Vatan, 2005).
Pourtant, des spécialistes de la mythologie grecque ont largement mis en doute
la présence du fameux conflit sexuel dans le crime commis par Œdipe. Par
exemple, l’helléniste J.-P. Vernant (1988) se demande « en quoi une œuvre
littéraire appartenant à la culture de l’Athènes du Ve siècle avant J.-C. et qui
transpose elle-même, de façon très libre, une légende thébaine bien plus
ancienne, antérieure au régime de la cité, peut-elle confirmer les observations
d’un médecin du début du XXe siècle sur la clientèle de malades qui hantent son
cabinet ? » (p. 1). On constatera ici que la perspective freudienne fait
complètement fi du contexte historique. Freud suppose, tout simplement, que
le vécu œdipien existe depuis la nuit des temps et se reflète dans la pièce de
Sophocle indépendamment du contexte socioculturel de l’époque. Mais il y a
plus, si le destin d’Œdipe-Roi symbolise une donnée universelle que chaque
humain porte en lui, « pourquoi la tragédie est-elle née dans le monde au
tournant du VIe et du Ve siècle ? Pourquoi les autres civilisations l’ont-elles
entièrement ignorée ? » (Vernant, 1988, p. 4). D’un autre côté, que fait Freud
des autres légendes et tragédies grecques qui n’ont rien à voir avec les rêves
œdipiens ? Enfin, dans le cadre de la théorie psychanalytique, les rêves d’union
avec la mère et du meurtre du père sont nécessairement accompagnés de
sentiments de répulsion et de conduites d’autopunition. Or, Vernant note que
« dans les versions premières du mythe, il n’y a pas, dans le contenu légendaire,
la plus petite trace d’autopunition puisqu’Œdipe meurt paisiblement installé
sur le trône de Thèbes, sans s’être le moins du monde crevé les yeux » (p. 5).
De plus, Mullahy (1948) a montré que « dans toutes les vieilles versions du
mythe, sauf une, [Œdipe] n’épouse aucunement sa mère » (p. 271).
Quelques retombées cliniques et sociétales
La promotion des approches pseudoscientifiques à l’université déborde le
simple cadre académique. La valorisation des pseudosciences n’est en effet pas
sans conséquences pour la profession de psychologue et les citoyens en général.
Je traiterai ici de cinq retombées cliniques et sociétales de la promotion des
pseudosciences à l’université dont en premier lieu son impact sur
l’enseignement. Une autre retombée concerne la soumission à l’autorité ; une
troisième, le rôle du psychologue aux yeux du public ; une quatrième, le
traitement de l’autisme. Une dernière retombée touche le rôle juridique de
l’expert en psychologie.
L’enseignement des sciences humaines et sociales. Un des concepts pour
distinguer sciences et pseudosciences est celui de paradigme tel que mentionné
au premier chapitre. J’insistais alors sur le fait que la notion de paradigme sied
mieux aux sciences dites naturelles (physique, chimie) qu’aux sciences
humaines et sociales où coexistent plusieurs théories souvent incompatibles
entre elles sans qu’on puisse déboucher sur un paradigme unificateur. Par
exemple, l’étude du comportement humain fait appel à plusieurs approches
(psychodynamique, béhavioriste, sociale, génétique, biologique, etc.) dont les
critères de vérification dans certains cas relèvent davantage de convictions
idéologiques que d’un ensemble de connaissances empiriquement vérifiées. À
cet égard, comparées aux sciences naturelles, les sciences humaines et sociales
sont préparadigmatiques. Ce qualificatif n’a rien de surprenant : non seulement
ses objets d’étude sont beaucoup plus récents que ceux des sciences naturelles,
mais ils sont également beaucoup plus complexes. Cet état de fait n’est pas sans
conséquence sur le choix des contenus enseignés pour lesquels on devrait faire
montre de prudence. En effet, aussi longtemps qu’on continuera d’enseigner
des théories dont le statut scientifique n’excède pas celui de l’astrologie et dont
les prétentions sont d’expliquer la nature profonde, cachée et complexe de
l’âme humaine plutôt que de s’intéresser au comportement individuel ou social
(Forget, 2002), on continuera d’enseigner des théories dont la validité reste
douteuse. Pour contrer ce phénomène, au moins trois conditions s’imposent.
Premièrement, il faudra que cesse la croissance de modèles et de théories dont
la pertinence peut être sérieusement mise en doute, particulièrement celles qui
ont des connivences ésotériques sans bien sûr ignorer celles qui pourraient
s’avérer fécondes. Deuxièmement et conséquemment, s’entendre sur une
compréhension du comportement humain, incluant les cognitions et les
émotions, qui débouche sur un vocabulaire commun. Troisièmement, et
contrairement à ce qui est valorisé par la rectitude politique bien en place, il
n’est pas normal, en exagérant à peine, qu’il existe presque autant de théories
que de professeurs qui les enseignent. En fait, dans bien des cas, le contenu
d’un cours universitaire en sciences humaines et sociales dépend de
l’orientation théorique ou des valeurs personnelles du professeur et pas
nécessairement des données empiriques qui la supportent.
Comme les étudiants ont souvent tendance à se soumettre à la « vision du
maître », les professeurs d’université devraient s’assurer au premier chef que les
contenus enseignés ont quelque validité.
La soumission à l’autorité. Le dogmatisme constitue une organisation
cognitive relativement fermée de croyances et de non-croyances à propos de la
réalité (Rokeach, 1960, 1979). Cet ensemble de croyances est dicté par une
autorité, qui institue les normes d’orthodoxie au-delà desquelles errent les
hérétiques. Au cœur de la notion de dogmatisme règne la soumission à
l’autorité. La dépendance dogmatique se reconnaît en effet à l’autorité absolue
et totalisante que le “croyant” ou le “disciple” accorde à ce qu’il considère
comme la vérité inaltérable et universelle sur la réalité ; le réel est tenu pour tel
dans la mesure où il est reconnu et décodé comme tel par l’autorité à laquelle il
se réfère. D’où deux conséquences : d’une part, le brassage des idées a lieu dans
le cénacle des adhérents, et ceux dont la pensée diverge sont ostracisés ; d’autre
part, l’information reste, pour ainsi dire, fusionnée à la source de l’information.
Confondre ainsi la validité d’une donnée et le statut autoritaire de celui qui
l’énonce paralyse tout exercice critique. On reconnaît la tendance dogmatique
chez quiconque refuse systématiquement de soumettre ses théories à la critique
externe, fonction que joue le critère de réfutabilité dans le domaine des sciences
(Voir chapitre 1)
Les critiques de la psychanalyse qui ont dénoncé son caractère dogmatique
ne manquent pas. L’énumération des manifestations rappelle celles qu’a
décrites Rokeach (1960, 1979) : « culte de la personnalité du chef d’école
(Freud ou Lacan), figure charismatique dont les écrits et les paroles sont
indéfiniment relus et commentés, intolérance à l’égard des hérétiques,
sentiment de supériorité à l’égard des profanes qui vivent dans l’ignorance,
utilisation d’un langage ésotérique pour donner l’impression d’un savoir
réservé aux seuls initiés, etc. » (Bouveresse-Quillot & Quillot, 1995, p. 98). À
la limite, une telle fermeture d’esprit peut se comprendre quand un courant en
est à ses débuts, mais être les seuls à posséder la vérité est encore une certitude
chez bon nombre de psychanalystes.
Qu’aujourd’hui la psychanalyse s’apparente toujours à un mouvement
sectaire intégriste, cela relève carrément du scandale épistémologique. « La
psychanalyse est La vérité même et en discuter, simplement en douter, est
encore aujourd’hui du domaine de l’inimaginable ou du blasphème »
(Bénesteau, 2002, p. 342). En fait, à l’instar des mouvements religieux, la
communauté psychanalytique s’est toujours efforcée de protéger ses dogmes
plutôt que de contribuer à leur vérification. Ainsi, dans ses Écrits, Lacan
(1966) n’hésite pas à affirmer que « la vérité se fonde de ce qu’elle parle, et
qu’elle n’a pas d’autres moyens pour ce faire. C’est même pourquoi
l’inconscient qui le dit, le vrai sur le vrai, est structuré comme un langage, et
pourquoi, moi, quand j’enseigne cela, je dis le vrai sur Freud qui a su laisser,
sous le nom d’inconscient la vérité parler » (p. 868). Quelques années plus
tard, Lacan (1977, p. 9) récidive à propos de sa propre infaillibilité. Parlant de
la nature de la clinique, il affirme : « Ce n’est pas compliqué. Elle a une base –
C’est ce qu’on dit dans une psychanalyse. En principe, on se propose de dire
n’importe quoi, mais pas de n’importe où – de ce que j’appellerai pour ce soir
le dire-vent analytique […] On peut aussi se vanter, se vanter de la liberté
d’association, ainsi nommée […] (p. 7). Évidemment, je ne suis pas chaud-
chaud pour dire que quand on fait de la psychanalyse, on sait où on va. La
psychanalyse, comme toutes les autres activités humaines, participe
incontestablement de l’abus. On fait comme si on savait quelque chose »
(p. 10). De tels jeux de langage peuvent évidemment conduire à des abus de
pouvoir et, dans certains cas, à octroyer au parleur une position de dominance
irréfutable fondée sur le dogmatisme et ce, malgré l’hermétisme des propos.
D’ailleurs, Lacan n’hésite pas à proclamer son infaillibilité. « Je dis toujours la
vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. La dire toute, c’est
impossible, matériellement : les mots y manquent […] À le dire crûment, vous
savez que j’ai réponse à tout, moyennant quoi vous me prêtez la question : vous
vous fiez au proverbe qu’on ne prête qu’au riche. Avec raison » (Lacan, 1973,
p. 9 et 47).
Les effets pervers de l’attitude dogmatique sont connus. Les disciples
perdent tout sens critique et se contentent de croire les affirmations du maître
qui, seul, a le pouvoir de départager le vrai du faux, même s’il se contredit. Par
exemple, Roustang (1976) avoue que Lacan « peut affirmer n’importe quoi, et
même le contraire, on y adhère sans délai. Durant quinze jours le bruit courut
que la forclusion était réversible, car, de très bonnes sources, le sachant l’avait
dit : donc, tout le monde le croyait. Passé ce délai, les mêmes très bonnes
sources devaient faire savoir qu’il n’en était rien : le même tout le monde crut
qu’il n’en est donc rien et que la forclusion n’était pas réversible » (p. 49). Cette
perte de sens critique face au Maître atteignit un sommet d’absurdité quand,
durant les dernières années de sa vie, Lacan souffrit manifestement d’une
démence vasculaire. Une figure mathématique particulière, appelée nœud
Borroméen, dans laquelle il voyait la clef de l’inconscient, de la sexualité et de
la condition ontologique du genre humain, l’obséda. Ses fantaisies pseudo-
mathématiques, pseudo-logiques, exposées lors d’interminables séminaires,
torturaient l’esprit de sa congrégation, incapable de leur donner le moindre
sens. Même ses épisodes d’aphasie, conséquences de ses mini-infarctus, furent
considérés comme des “interprétations”, au sens technique, devant transmettre
la signification latente des propos et du comportement de l’analysant. Puis,
quand il devint sourd, et que ses réponses furent encore plus discordantes par
rapport à ce qu’on lui disait, elles occasionnèrent parmi ses disciples des débats
prolongés sur la signification de ses paroles et de ses actes. Dans la dernière
année, Lacan, l’esprit totalement absent, était toujours invité aux réunions
pour légitimer ce qui était fait en son nom et les gens influençables
l’entendaient parler dans son silence (Tallis, 1997).
D’ailleurs, on pouvait observer l’attitude dogmatique du mouvement
psychanalytique dès son origine. En 1922, lors d’une assemblée de la Société
médicale de Londres, le président de l’époque, un certain Lord Dawson, fit son
allocution sur la méthode psychanalytique naissante en tenant ces propos :
« Trop de ses praticiens sont des fanatiques ne considérant rien en dehors de
leur culte étroit. C’est injuste pour les professionnels compétents et sérieux
dont les travaux se voient de cette façon dénaturés, tel que l’illustra
dernièrement la conférence conjointe des psychologues et des éducateurs au
récent congrès de l’Association britannique à Hull » (Psycho-analysis…, 1922,
p. 9).
L’imposture n’est pas toutefois qu’intellectuelle et ne berne pas uniquement
les disciples. Elle trompe surtout le client qui, en situation de souffrance, est
encore moins en mesure de la déceler. Que les clients acceptent de se faire dire
sans sourciller par Dolto que le fait qu’elle dorme pendant ses entrevues
constitue « une preuve de confiance en ses clients » est plutôt inquiétant. Y a-t-
il beaucoup d’ordres professionnels qui sont prêts à inclure un tel critère dans
leur code de déontologie ? Que de futurs psychologues cliniciens se fassent
raconter des interprétations pour le moins douteuses pose un réel problème
éthique. Par exemple, un professeur de psychologie reconnu pour sa
compétence raconte à ses étudiants la situation clinique suivante : J’ai en
thérapie, dit-il, un jeune homme à la fin de la vingtaine qui n’est vraiment pas
bien dans sa peau. Rien ne lui réussit contrairement à ses deux sœurs qui vont
de succès en succès. Assez curieusement, note le professeur, tous ses rêves se
déroulent dans un ascenseur. Pour interpréter la récurrence des dits-rêves, le
professeur ne trouve rien de mieux à dire à ses étudiants que le jeune homme
est convaincu que « sans sœurs » il serait un « as ». C’est du grand Dolto !
Alors que les scientifiques s’efforcent non seulement d’infirmer leurs
théories comme le suggère Popper, mais de lire les ouvrages de ceux qui les
contestent, les psychanalystes ont tendance non seulement à prescrire et, ce
faisant, à confirmer leurs théories, mais à ne tirer leur inspiration que des
révélations des maîtres. À l’instar des croyants qui font preuve de souplesse
cognitive et d’ouverture d’esprit malgré les dogmes de leur église respective,
certains psychanalystes récusent les attitudes dogmatiques de leur groupe
respectif au risque de se voir ostracisés. Par exemple, Fromm (1955/1975)
déclarait : « En certaines occasions et du fait de la personnalité de certains de
ses représentants, le mouvement psychanalytique a fait montre d’un fanatisme
qu’on ne rencontre d’habitude que dans les bureaucraties religieuses et
politiques » (p. 91). Près de quarante ans plus tard, un autre psychanalyste
tenait des propos similaires : « il est vrai que nous les gens d’“allégeance”
psychanalytique, nous nous comportons quelquefois comme des sectaires
adhérant à quelque “vérité révélée” et ignorant avec mépris toute exigence
extérieure de “preuves” ou de démonstration. […] Nous écartons en effet la
critique en l’interprétant comme “une résistance à l’analyse”, nous donnant
ainsi raison sans même avoir discuté. Nous ne démontrons rien en choisissant
que des “initiés” pour interlocuteurs. Comment, dès lors – de l’extérieur –
percevoir la psychanalyse autrement que comme une doctrine, une secte, une
religion, une idéologie ? Ne faudrait-il pas consentir à retirer cette grille
d’analyse des “sciences humaines”, renoncer à son enseignement dans les
universités, cesser de la mettre en concurrence avec les approches
scientifiques ? » (Van Gijseghem, 1993, p. 320).
Les psychologues, ces incompris. Lors de la cueillette des données concernant
l’espace consacrée aux pseudosciences et à la vulgarisation scientifique dans les
librairies, nous avons pu constater que les ouvrages de la psychologie considérés
comme sérieux côtoyaient allègrement les ouvrages de psychologie populaire et
de psychanalyse. Un tel constat n’aide guère les citoyens à considérer la
psychologie avec sérieux et ce, d’autant plus que la popularité du paranormal
n’est malheureusement pas ou peu contrée par les psychologues qui prônent la
démarche scientifique. Dans les années 1980, c’était encore mal vu par la
communauté scientifique que les chercheurs s’adressent aux médias
(Dunwoody & Ryan, 1985), une tendance qui s’est heureusement inversée au
cours des années 2000 (Mooney & Kirshenbaum, 2009). Ce manque
d’investissement pour contrer les croyances au paranormal et les théories
pseudoscientifiques qui promettent de guérir tous les maux a pour
conséquences que les citoyens ont quelque difficulté à percevoir positivement le
rôle des psychologues. Ainsi, Penn, Schoen et Berland Associates (2008) ont
interviewé 1 000 adultes à travers les États-Unis pour connaître leur perception
de la psychologie. Les résultats sont mitigés. Parmi ceux-ci, 82 % des
répondants considèrent que la recherche en psychologie aide les individus à des
degrés divers. Par contre, d’autres résultats sont peu flatteurs pour la
psychologie. Ainsi, seuls 30 % des répondants considèrent que la psychologie
est fondée sur la recherche scientifique, alors que 41 % sont d’avis que la
recherche en psychologie est moins rigoureuse que la recherche en médecine et
31 %, que la recherche en économie. Qui plus est, parmi un ensemble de
professions (psychologues, psychiatres, avocats, hommes d’affaires, prêtres, etc.)
susceptibles d’aider à réduire le nombre de divorces, à peine 22 % des
répondants considèrent qu’il est préférable de faire appel à un psychologue.
Bien que Lilienfeld (2012) prenne soin de démontrer que les six critiques
ou perceptions (voir Tableau 8) véhiculées par le public en général mettant en
doute les bases scientifiques de la psychologie ne sont pas fondées, elles ne sont
pas étrangères au fait qu’un grand nombre de livres de psychologie se
retrouvent dans les mêmes rayons que les livres de pseudosciences (par
exemple, croissance personnelle, psychologie populaire). C’est en tout cas, ce
qui se dégage des sources possibles du scepticisme de la population à l’égard de
la psychologie.

Tableau 8. Six critiques non fondées à propos du caractère scientifique


de la psychologie (Lilienfeld, 2012).

• La psychologie n’est rien d’autre que le sens commun.


• La psychologie n’utilise pas de méthodes scientifiques.
• La psychologie ne peut pas déboucher sur des généralisations
parce que chacun est unique.
• La psychologie ne débouche pas sur des résultats reproductibles.
• La psychologie ne peut pas faire de prédictions précises.
• La psychologie n’est pas utile.

Ainsi, une des sources ciblées par Lilienfeld (2012) est l’échec de la
psychologie à s’autoréguler. À cet égard, les ordres professionnels de
psychologues ont une définition large des approches acceptables et acceptées
que leurs membres peuvent utiliser. Ce faisant, certains psychologues peuvent
en toute impunité traiter leurs clients à l’aide d’approches non validées ou qui
relèvent carrément de l’univers magique ou paranormal. Aux États-Unis, il se
publie chaque année approximativement 3 500 ouvrages de croissance
personnelle (self-help books) dont à peine 5 % relèvent d’une approche
scientifique. C’est dire à quel point, les pseudosciences ont le champ libre.
Reliée en quelque sorte à la première source, une deuxième source évoquée
par Lilienfeld (2012) concerne les promoteurs les plus en vue de la
psychologie. Ceux-ci ne viennent pas du monde de la recherche, mais de celui
de l’intervention, ce qui bien sûr n’est pas mauvais en soi. Notons toutefois que
leurs interventions s’inscrivent de plain-pied dans le créneau des ouvrages de la
psychologie populaire. À cet égard, il est tout de même curieux que le « Dr
Phil » (Dr Phillip McGraw), dont les propos s’éloignent quelquefois de la
réalité scientifique, ait été invité en 2006 par l’American Psychological
Association (APA) à titre du meilleur représentant de la psychologie auprès du
public (Lilienfeld, 2012). Sauf erreur, l’APA n’a pas réagi à l’émission du
25 mai 2012, lorsque le Dr Phil accueillit, dans le cadre de sa populaire
émission de télévision, quatre invités en vue de tester leur prétendu pouvoir
psychique et une personne sceptique à propos desdits pouvoirs. Donnant
d’abord la parole à ce dernier, le Dr Phil lui demanda par la suite de prendre
place dans l’assistance, consacrant le reste de l’émission aux « psychiques ». Les
trois premiers ne démontrèrent absolument rien, se contentant de faire leur
autopromotion. Le dernier invité se présenta comme un scientifique, mais
s’avéra être aussi un ardent croyant dans les pouvoirs psychiques. Au total, sous
prétexte de tester avec ouverture d’esprit les pouvoirs psychiques de ces invités,
le Dr Phil se contenta tout simplement de leur donner la parole, abandonnant
même tout doute raisonnable. Résultat : alors qu’au début de l’émission, 78 %
des gens présents affirmaient croire aux pouvoirs psychiques, à la fin de
l’émission, 84 % y croyaient (Bryan, 2012 ; Frazier, 2012). Est-il nécessaire de
rappeler que le célèbre Dr Phil a un doctorat (Ph. D) en psychologie ? Compte
tenu de l’impact du Dr Phil aux États-Unis, il n’est donc guère surprenant que
le public considère la psychologie comme une profession aidante par n’importe
moyen et non comme une discipline scientifique. En fait, au-delà de l’image
positive des psychologues dans la société, les citoyens assimilent leur travail à
celui des psychiatres (r = .98) et quelquefois à celui des scientifiques (r = .11)
(Webb & Speer, 1986) d’où d’ailleurs la confusion entre psychologie et
psychothérapie (Hartwig & Delin, 2003) aux yeux du public.
Le traitement des autistes. Beaucoup de psychologues et d’intervenants
psychosociaux utilisent des traitements non validés empiriquement pour traiter
divers troubles psychiques. C’est le cas notamment pour beaucoup d’autistes
(Levy & Hyman, 2003) même si on a démontré depuis déjà un bon moment
la totale inefficacité de la psychanalyse en ce domaine. La communauté
scientifique reconnaît également depuis plus de trente ans que l’autisme est un
trouble neurologique entraînant un déficit social. Pour montrer à quel point la
psychanalyse a envahi les soins destinés aux enfants autistes, je présenterai cinq
extraits du documentaire de 52 minutes de Sophie Robert inspiré de quatre
années d’enquête auprès de psychiatres et de psychanalystes français (Le Mur
ou La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme, 2011). Le lecteur pourrait être
étonné de la longueur des extraits, mais il sera plus difficile de me reprocher de
les avoir cités hors contexte. Dois-je également rappeler que le documentaire
est paru en 2011 ? De plus, même si les psychanalystes avaient obtenu du
tribunal de grande instance de Lille la censure du documentaire dès le
26 janvier 2012, peut-être est-il utile de rappeler qu’en mars 2012 la Haute
Autorité de Santé a émis de sérieuses réserves quant aux approches
psychanalytiques dans le traitement des enfants autistes (Pleux, 2013).
Même si le lecteur peut par lui-même juger de la pertinence des propos
tenus par les participants4, je ferai dans certains cas un commentaire plus ou
moins long, dans les autres cas j’indiquerai « sans commentaire ». Dans la
mesure du possible, chaque extrait est précédé d’un propos de Sophie Robert
en italique.
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1. En France, la psychiatrie qui est très largement dominée par la psychanalyse
ignore résolument ces découvertes. Pour les psychanalystes, l’autisme est une psychose,
autrement dit un trouble psychique majeur résultant d’une mauvaise relation
maternelle […] 50 ans de progrès en science ne semblent pas avoir d’influence sur
leur dogmatisme et la façon dont ils perçoivent et traitent l’autisme.
‒ Q : Est-ce que vous faites une distinction structurale entre la
psychose et l’autisme ?
‒ A.S. Non, pour ma part non.
‒ Q : Donc tous les autistes sont psychotiques ?
‒ A.S. Oui. C’est-à-dire si vous voulez l’autisme est une situation extrême
de quelque chose qui est dans le cadre de l’ensemble des psychoses.
‒ G.L. C’est le crocodile. Le crocodile nous indique tout de suite de quoi il
s’agit. Ils jouent avec, quand ils mettent la main dedans je suis inquiète. Quand
ils se mettent dessus et tapent dessus je suis rassurée.
‒ Q : Pourquoi, qu’est-ce que ça veut dire ?
‒ G.L. Le crocodile c’est le ventre de la mère. Les dents de la mère.
‒ Q : C’est ce que Lacan appelait la mère crocodile ?
‒ G.L. Oui, alors tout le but de notre travail c’est de lui interdire de
manger (en parlant du crocodile) voilà, je lui ai mis une barre (elle met un
crayon dans la bouche du crocodile)
‒ Q : De manger l’enfant ?
‒ G.L. Oui, voilà alors l’enfant quand il commence à sortir de ça parfois il
met sa main, parfois il met une figurine dedans.
‒ Q : Et ce crayon représente quoi ?
‒ G.L. Ça, c’est : « tu ne peux plus »
‒ Q : Donc c’est le phallus paternel ?
‒ G.L. Voilà, tu ne peux plus
‒ Q : C’est la voix du père qui parle ? Qui parle de l’enfant à sa mère ?
‒ G.L. Voilà.
‒ Q : Qui interdit à la mère de détruire l’enfant ?
‒ G.L. Voilà et de le dévorer.

Commentaire
En écho à l’une des premières interventions de Geneviève Loison (G.L) à
l’effet que le crocodile représente le ventre de la mère, on pourrait se demander
le plus sérieusement du monde, quelle interprétation serait réservée à une mère
de famille qui aurait une fille autiste prénommée Odile ? Par ailleurs, pourquoi
avoir utilisé la métaphore du crocodile et non celle du caïman, c’est
qua(s)iment pareil ?
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2. Q : Les enfants autistes, on dit que leurs mères n’arrivent pas à
capter leur regard ?
‒ G.L. Bien sûr, ils ne sont pas dans la relation du tout, ils sont restés dans
un œuf.
‒ Q : Ils fuient la mère parce qu’ils sont fusionnés à leur mère ?
‒ G.L. Ils n’ont pas décollé du tout, moi ce que j’en dis c’est qu’ils sont
restés dans l’œuf dans l’utérus, s’ils sont restés dedans, pourquoi voulez-vous
qu’ils regardent ou qu’ils parlent ?
Sans commentaire
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3. Le psychanalyste austro-américain Bruno Bettelheim a été le précurseur du
traitement psychanalytique de l’autisme. Bettelheim comparait les enfants autistes
aux prisonniers des camps de concentration nazis qui se balançaient d’avant en
arrière sidérés de terreur dans l’attente d’une mort imminente. Raisonnant par
analogie, il était convaincu que les autistes étaient victimes de parents tortionnaires,
de mères glaciales qui avaient désiré la mort de leur enfant. Depuis Bruno
Bettelheim, le grand principe du traitement psychanalytique des autistes consiste à
séparer les enfants de leurs parents. Ses travaux ont été largement récusés aux USA
depuis plus de trente ans. Mais qu’en est-il en France ? […] Aujourd’hui encore, en
France et en Belgique, un certain nombre d’institutions psychiatriques sont des
lieux de vies pas du tout accessibles aux familles et les familles ne sont pas tenues
informées de ce qui s’y passe.
‒ P.D. Bruno Bettelheim est une victime de l’injustice de l’histoire
contemporaine. Je pense qu’il a fait un travail à une époque où personne, il
faut bien le dire, ne s’intéressait aux autistes, un travail de pionnier tout à fait
exemplaire […] Il est arrivé dans cette planète autistique en se disant que
finalement « voilà des enfants qui ont peut-être souffert de carences tout à fait
comparables à ce que j’ai vécu comme propre expérience, alors je vais essayer
de les traiter à partir de cette hypothèse » c’est-à-dire en les séparant des
parents.
‒ E.S. Disons que lorsqu’on reçoit un enfant autiste, on pratique une
psychanalyse qui est une pure invention.
‒ L.D.B. Moi, je suis plutôt du genre comme dans une attitude
d’observation. C’est-à-dire qu’avec un enfant autiste, j’en fais très peu. Très peu
ça veut dire quoi ? Je pose mes fesses, je me mets à côté de lui et j’attends qu’il
se passe quelque chose et j’oublie, j’essaie d’oublier tout. J’oublie le temps,
j’oublie qu’on est pressé par le temps pour qu’il acquière le langage, j’oublie
tout. Parce que je me dis qu’à partir du moment où je me mets dans cette
espèce d’apesanteur, il risque de se passer quelque chose que je ne peux pas
prévoir […] Moi, si l’enfant ne fait rien de toute la séance et si je somnole à
côté de lui, ça m’est égal. Je suis habitué à ça dans mon travail de psychanalyste
[…] Et ça, c’est une attitude, je pense, qui est une attitude psychanalytique
profondément […] Le point fondamental de mon attitude en tant qu’analyste
vis-à-vis de ces enfants-là c’est le fait d’abdiquer l’idée d’une progression et ça
ne va pas de soi […]

Commentaires
Visiblement, les psychanalystes qui ont vanté les travaux de Bettelheim
passent sous silence les nombreuses critiques formulées à son endroit. Que les
psychanalystes français réfèrent encore à Bruno Bettelheim pour le traitement
des enfants autistes est totalement incompréhensible. De toute évidence, ils
n’ont pas lu les ouvrages qui montrent que Bettelheim a menti, sinon
carrément exagéré quant à ses succès thérapeutiques avec les enfants autistes
(Pollak, 1997 ; Roazen, 1992 ; Sutton, 1996). Ainsi, sans qu’aucune étude
évaluative sérieuse n’ait été effectuée, Bettelheim affirmera en 1950 dans Love is
not enough et en 1955 dans Truants for life, avoir guéri plus de 80 % de ses
patients, son nombre magique, tout en assumant du même souffle qu’aucune
étude statistique n’est possible dans ces cas… (Bénesteau, 2002 p. 331). En
1974, résumant les vingt-cinq dernières années de l’école, son taux de succès
grimpe à 85 %. En fait, les patients en question souffraient de troubles divers
dont, pour la période de 1956 à 1963, à peine 6 sur 48 répondent au
diagnostic de l’autisme.
On peut difficilement accepter qu’il ait joué impunément avec la santé
physique et psychique d’autres humains. Par exemple, lorsqu’il prétend guérir
des enfants autistes à l’aide de la psychanalyse, à condition qu’ils soient confiés
à une institution pour soi-disant les protéger de leur mère dite mortifère et
responsable des comportements pathologiques de leur enfant, accablant ainsi
de culpabilité des parents déjà fort éprouvés, cela devient totalement
inacceptable aux plans humain et éthique. Pourtant, dès 1970 (Hermelin &
O’Connor, 1970 ; Rutter, 1970), l’hypothèse de l’origine neurobiologique de
l’autisme a été mise en évidence, mais Bettelheim et consorts ont continué de
l’attribuer à des comportements maternels. Que les premiers travaux de 1970
aient échappé à Bettelheim, passe encore. Qu’il n’ait pas pris en compte le
travail synthèse de Rutter (1978) dans lequel les causes neurobiologiques sont
évoquées surprend de la part d’un « spécialiste » de l’autisme. Et pendant ce
temps, comme le montre Sophie Robert, des psychanalystes continuent de
reporter sur les mères (confondant ainsi cause et conséquences) leur propre
inefficacité thérapeutique.
Prenant en compte 125 articles en psychiatrie juvénile, inspirés par le
dogme freudien et publiés entre 1970 et 1982, Torrey (1992) note que « les
mères sont rendues responsables de 72 sortes de désordres mentaux chez leurs
enfants ; aucune mère n’est déclarée émotionnellement intacte alors que la
plupart des pères le sont » (Bénesteau, 2002, p. 335 ; voir aussi Dolnick,
1998).
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4. À la fin des années 1960, la psychanalyse commence à décliner un peu
partout dans le monde, mais elle connaît un essor phénoménal en France sous
l’impulsion d’un psychiatre ambitieux et charismatique. Pour Jacques Lacan, les
enfants psychotiques et autistes sont victimes de l’aliénation à une mère psychogène,
une femme qui refuse d’abandonner sa grossesse parce qu’incapable de se séparer
d’un enfant substitut d’un pénis qu’elle n’a pas reçu à la naissance […] Mère trop
froide, mère trop chaude, mère trop bonne ou pas assez, mère mortifère, mère
fusionnante, mère toxique par nature. Il restait pourtant un dernier pas à franchir :
Au cours des repérages, plusieurs psychanalystes m’ont affirmé que l’autisme était la
conséquence d’un inceste maternel.
‒ A.S. La fonction paternelle consiste à intervenir de deux façons. D’une
part, dire non à la fusion de la mère et de l’enfant, le père est celui qui interdit
la mère.
‒ Q : Qui interdit sexuellement c’est ça ?
‒ A.S. Qui interdit la jouissance de la mère, c’est-à-dire cette entente dans
son équivoque, qui interdit aussi bien que l’enfant jouisse exclusivement de la
mère que le fait que la mère jouisse exclusivement de l’enfant.
‒ J.S. À la naissance de l’enfant, il y a une lune de miel, quelques fois ce
n’est pas si lune de miel que ça, ça peut être dramatique, mais il y a une lune de
miel, une fusion qui est extraordinaire, donc quand vous dites « ne faire
qu’un » bien sûr il y a cette fusion, mais en même temps il y a un grand plaisir
pris ensemble, le bébé, très rapidement, il n’y a pas de différence du sexe, mais
il y a un grand plaisir érotique pris ensemble.
‒ Q : Le fait qu’une mère s’occupe de son enfant comme d’un être
humain et considère son enfant comme un être humain, ce n’est pas
sexuel ?
‒ Y.B. Eh bien oui parce que la sexualité au départ ce n’est pas au sens que
les adultes l’entendent au sens génital, c’est tout ce qui pour Freud, puisque
c’est lui qui a théorisé cela, va être les endroits du corps qui vont donner du
plaisir à l’enfant. Donc, le corps de l’enfant et le corps de la mère sont là dans
un étroit unisson et même l’enfant qui vient au monde ne sait pas qu’il est
séparé de la mère […] c’est un travail de séparation des corps […]
‒ L.D.B. Il y a des psychanalystes, qui, il y a très longtemps, ont parlé de
quelque chose qui s’appelait la censure de l’amante, ça veut dire une chose très
simple, ça veut dire que quand la mère est en train de, disons, changer le
nourrisson, et puis que tout d’un coup elle prend un peu trop de plaisir à son
propre goût au toucher qu’elle a du nourrisson, et elle se dit « mais oh là là il y
a quelque chose de bizarre, de pas logique, là je ne le traite pas comme si
c’était…
‒ Q : Un truc incestueux ?
‒ L.D.B. Un truc un peu incestueux, alors qu’est-ce qui se passe ? Eh bien,
elle va penser à l’homme avec lequel elle l’a conçu, en d’autres termes, à son
amant, et du coup ça va créer une distance entre elle-même et le nourrisson en
question, c’est ce qu’on appelle la censure de l’amante.
‒ Q : Il faut qu’elle ait un homme dans la tête pour qu’elle ne soit pas
dans une relation incestueuse avec son enfant ?
‒ J.S. Dans les soins maternels la mère peut très bien exciter le pénis d’un
petit garçon. Je veux dire, les soins maternels, les petits garçons ne s’en privent
pas. On voit beaucoup de petits garçons qui, quand ils sont langés, quand ils
sont nettoyés par la mère voyez, les pénis réagissent.
‒ Y.B. Le père est là pour dire l’interdit et en même temps protéger
l’enfant. C’est-à-dire protéger l’enfant du désir incestueux de la mère.
‒ Q : Toutes les mères ont des désirs incestueux envers leurs enfants ?
‒ Y.B. Ah oui ! Qu’elles en aient conscience ou pas ! Oui !
‒ Q : D’où vous vient cette conviction […] que l’amour d’une mère
pour son enfant soit un désir incestueux ?
‒ Y.B. Eh bien parce que déjà elle a beaucoup de mal à se séparer de son
enfant qui est né. Il y a là une unité qui se fait qui, si le père de l’enfant ou
celui qui occupe cette place […] ne vient pas dire à la mère que la jouissance se
passe entre eux, que s’il ne vient pas rappeler à la mère son désir et la jouissance
qu’elle pourra avoir par le truchement de son désir qui les lie tous les deux, la
mère va avoir une jouissance à caresser son enfant […].
‒ Q : Dans ce cas, pourquoi est-ce que la majorité des incestes sont
perpétrés par le père ?
‒ J.S. L’inceste paternel, ça ne fait pas tellement de dégâts. Ça rend des
filles un peu débiles, mais l’inceste maternel, ça fait de la psychose, c’est-à-dire
c’est la folie. Il ne peut pas y avoir d’inceste maternel d’un garçon envers sa
mère sans qu’il n’y ait un énorme trouble mental, ce n’est pas possible à cause
justement de cette fameuse barrière. Mais la fille avec le père, elle n’est pas issue
du père, elle n’a pas été dans le ventre du père, donc il y a quelque chose vous
voyez. C’est un inceste secondaire, je dirais ça. Alors que l’inceste primaire, le
véritable, c’est la mère, c’est de pénétrer la mère. Les garçons qui pénètrent leur
mère sont psychotiques, alors que les filles non […].
Sans commentaire

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5. Q : Si l’enfant ne parle pas, c’est que la mère déconsidère la parole
du père ?
‒ E.S. Fondamentalement, la fonction du père est une fonction
symbolique et des fois le père réel ne porte pas cette fonction symbolique. Il
peut être absolument adorable et gentil, mais néanmoins, l’enfant se trouve
confronté à une carence symbolique du côté de la fonction paternelle.
‒ Q : Mais pourquoi est-ce que ce n’est pas une fonction maternelle ?
Pourquoi est-ce que ce n’est pas une symbolique maternelle ? Pourquoi lui
donner un sexe ?
‒ E.S. La loi de la mère c’est une loi de caprices.
‒ A.N. En 1984, il y a un biologiste qui fait la démonstration, assez
extraordinaire, que le placenta est d’origine paternelle exclusive. C’est-à-dire
qu’il est sous le contrôle de gènes portés par le spermatozoïde. Autrement dit,
le placenta, c’est ce qui permet à une mère de ne pas détruire son enfant et à un
enfant de ne pas tuer sa mère […] Autrement dit, c’est un élément régulateur,
c’est une interposition ce placenta. C’est-à-dire qu’en gros, on a le sentiment
comme ça, que l’attitude du père à l’intérieur des décisions qu’il prend, de ce
patriarcat qu’il instaure, de sa domination masculine, etc. que ça a toujours été
une recherche empirique de cette fonction que le placenta occupe et qui
permet à chaque enfant de venir au monde sans être détruit.

Commentaires
Ces propos d’Aldo Naouri sont une belle illustration d’une technique
éprouvée des pseudoscientifiques : utiliser des connaissances scientifiques et les
déformer en vue de légitimer leurs théories et leurs pratiques. De plus, Naouri
y colle ses impressions personnelles : « En gros, on a le sentiment… ». À cet
égard, Anton Suwalki (2012) et Fabienne Cazalis (2011) ont rectifié le tir. S’il
est vrai « que chez les souris le rôle des gènes d’origine paternelle est essentiel
pour la composition du placenta », tel n’est pas le cas chez tous les
mammifères. En tant que pédiatre, Naouri aurait dû savoir que « le placenta
humain est un tissu d’origine mixte provenant de la fusion de l’endomètre et
du trophoblaste du fœtus ». Comment dès lors considérer le placenta
« d’origine paternelle exclusive » ? Cazalis précise en outre que chez les humains
l’influence des gènes soumis à empreinte lors de la constitution du placenta est
mixte « avec action combinée de certains allèles provenant du père et d’autres
de la mère ». Pour sa part, Naouri prête au père une figure autoritaire qui n’est
absolument pas justifiée. De plus, est-il besoin de préciser que sans les gènes de
la mère, il n’y aurait pas de placenta et donc pas d’embryon.
________________________
• Le rôle juridique de l’expert « psy ». Les fantaisies interprétatives des
psychologues d’allégeance psychanalytique peuvent également causer un tort
irréparable lorsque ceux-ci agissent à titre d’experts dans un procès.
À ce propos, Barillon et Bensussan (2004) rapportent deux exemples de
propos tout à fait inacceptables. Le premier exemple est extrait d’un rapport
d’expertise rendu par un psychiatre lacanien, « chargé par un juge de donner
un avis sur la personnalité d’un père accusé d’inceste » (p. 163). L’expert
lacanien présente alors des éléments qu’il considère accablants pour l’accusé.
« Notons que Monsieur X a prénommé son fils Jason, ce qui n’est pas sans
évoquer “J’ai un fils”, si l’on sépare la première syllabe, “j’ai” de la seconde,
“son”, c’est-à-dire fils en anglais… » Plus loin : « Nous remarquons que le
sujet arbore un tatouage sur son épaule gauche : le dessin représente trois
fleurs : il nous explique qu’il s’agit d’une rose, d’une marguerite et d’une
éphémère. Un “effet mère” ? » (p. 163).
Barillon et Bensussan (2004) ne manquent pas de conclure que « les
rapports d’expertise gagneraient à être expurgés d’interprétation aussi
délirantes. Et que les ténèbres qui entourent souvent l’acte criminel ne risquent
guère d’être percées par l’éclairage de tels “ex-pères”… » (p. 163).
Le deuxième exemple est tiré du rapport d’un psychanalyste freudien au
sujet d’une :
« femme auteur d’un crime passionnel, accusée d’avoir poignardé son mari.
Précisons que la coupable avait été victime d’inceste dans son enfance.
L’expert n’a pas manqué de souligner l’importance de ce traumatisme
originel dans la compréhension et la genèse de l’acte criminel, assénant à la
barre de la cour d’assises cette interprétation fulgurante : “Monsieur le
Président, ce n’est pas un couteau que Madame X a planté dans le cœur de
son mari. C’est le sexe de son père !” Personne ne cilla. Les circonstances
atténuantes venaient d’être magistralement attribuées… » (p. 167).
Outre le témoignage de ces experts, les analyses des psychanalystes ne sont
pas en manque d’explications. L’encadré 9 en constitue un bel exemple
d’errance interprétative.

ENCADRÉ 9. L’ENVERS DU DESSIN (LARIVÉE, 2013, PP. 215-216).

Au début des années 2000, je coordonnais les services de psychologie dans un centre en
périphérie de Montréal. L’un de nos mandats consistait à offrir des traitements de
psychothérapie à des enfants dont l’efficacité ne faisait pas l’unanimité parmi les psychologues
de l’équipe. D’un côté, les “psy” d’orientation analytique prétendaient soigner ces jeunes
enfants “négligés” en leur donnant accès au monde imaginaire et à leurs émotions. De leur
côté, les “psy” de l’approche comportementale mettaient en doute la valeur de ce traitement et
préféraient une approche cognitive davantage orientée sur l’apprentissage de nouvelles
stratégies.
Françoise (nom fictif ), l’une des psychologues de l’équipe tenait à tout prix à me convaincre
que la thérapie psycho-dynamique avec les enfants apportait des résultats significatifs. Elle
appuyait sa propre conviction sur un résultat impressionnant de son approche auprès de la
petite Fannie (nom fictif ), 8 ans, dont voici le compte rendu. Françoise se précipite à mon
bureau pour me montrer un dessin que venait de lui remettre Fannie en lui disant ; « Tiens
Françoise ! C’est pour toi, je te donne ce joli cadeau, mais tu dois l’ouvrir juste quand je serai
partie ». En ouvrant l’enveloppe, Françoise découvre le dessin que vient de lui remettre Fannie.
Elle se met alors à interpréter son contenu associant divers éléments au douloureux passé de
l’enfant, marqué par de nombreux placements, des abandons, des épisodes de négligence, de
violence et d’abus.
Impressionné par l’interprétation que venait de me livrer Françoise, je suis resté bouche bée
jusqu’au moment de lui remettre le dessin. Je remarquai alors derrière celui-ci les mots
suivants : « à toi Fannie de Xavier, 6 ans ». J’ai demandé à Françoise qui était Xavier. « C’est le
garçon naturel des parents de la famille d’accueil où réside Fannie depuis 3 ans », m’a-t-elle
murmuré. Je vous laisse imaginer la réaction de Françoise à la lecture de la dédicace…
Gilles Bergeron, ps. éd.

2. À la suite d’une conversation téléphonique avec l’auteur, celle-ci a confirmé que cet ouvrage
était son deuxième sur le même thème et s’inscrivait dans la mouvance du nouvel-âge et
qu’elle entendait poursuivre dans la même veine.
3. L’ouvrage de Greve et Roos n’est pas disponible en français. Les résultats de leur recherche
ont, toutefois, été présentés par Deleage et Vincent (1197) et Lecompte (1998).
4. Dr Alexandre Stevens (A.S) psychanalyste et psychiatre pour enfants ; Pr Pierre Delion (P.D)
psychanalyste ; Geneviève Loison (G.L) psychanalyste lacanienne ; Dr Aldo Naouri (A.D)
pédiatre et psychanalyste ; Esthela Solano (E.S) psychanalyste et psychologue ; Yann
Bogopolski (Y.B) psychanalyste lacanienne ; Laurent Danon-Boileau (L.D.B) psychanalyste et
linguiste ; Jacqueline Shaeffer (J.S) psychanalyste et formatrice en psychanalyse.
CHAPITRE 5

Vingt-six procédés utilisés


par les défenseurs
des pseudosciences

Si certaines approches méritent d’emblée l’étiquette de pseudosciences (par


exemple, le Tarot, l’astrologie ou la thérapie par les cristaux), pour d’autres (la
chiropraxie ou l’acupuncture), la distinction ne s’impose pas d’emblée du
moins aux yeux de certains. Lilienfeld (1998) est même d’avis que la
distinction entre une science et une pseudoscience est probablement plus une
question de degrés que de catégories. À cet égard, la notion de « concept
naturel » (Rosch, 1973, 1977) facilite cette démarche de distinction. En effet,
contrairement aux concepts mathématiques qui renvoient à des caractéristiques
claires et universellement reconnues – par exemple le triangle équilatéral
présente trois côtés égaux -, le concept naturel fait référence à une réalité
difficile à circonscrire en raison du flou de ses contours et pour lesquels
plusieurs caractéristiques peuvent être pertinentes. Pour y parvenir, plutôt que
d’en donner une définition univoque, on recourt à l’énumération de
prototypes, c’est-à-dire des exemples typiques et représentatifs du concept en
question. Les membres d’une même communauté ou d’une même société
s’entendent généralement pour situer tel prototype sous telle catégorie
conceptuelle. Par exemple, selon Neisser (1979), le concept de « personne
intelligente » répond à la notion de prototype. On jugera qu’une personne est
intelligente en la situant par rapport à certains prototypes. Par conséquent,
trois personnes qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques individuelles
peuvent néanmoins être reconnues intelligentes en vertu de leurs
correspondances à des dimensions différentes du prototype de la « personne
intelligente ».
Toutefois, si les contours des concepts de pseudoscience et de science sont plus
ou moins flous, cela ne signifie pas que leurs distinctions soient fictives ou
parfaitement arbitraires. Ce n’est pas parce que la frontière entre le jour et la
nuit n’est pas précise que le jour et la nuit ne peuvent être distingués
(Lilienfeld, Lynn, & Lohr, 2003). Dans ce chapitre, nous présentons pas moins
de vingt-six procédés utilisés par les défenseurs des pseudosciences, procédés
qui montrent à souhait qu’ils font fi de la manière dont fonctionne la science.
Plusieurs auteurs ont déjà écrit à propos de ces procédés dont Baker (1993),
Broch (1985), Bunge (1967, 1984), Dawes (1994), Dersken (1993),
Grünbaum (1978), Herbert et al. (2000), Hines (1988), Lilienfeld (1998),
Lilienfeld et al. (2003), Lipps (2004), Ruscio (2001), Shannon (2002),
Shermer (1997, 2001) et van Rillaer (1991). Certaines caractéristiques seront
traitées plus longuement et d’autres plus sommairement sans raison
particulière. Comme la nature des sciences humaines les rend plus vulnérables
que les sciences dures aux escroqueries de toutes sortes, les exemples illustrant
notre propos proviennent plus souvent du domaine de la psychologie.

Le recours à des théories invalidées ou non encore validées


En sciences, c’est la théorie qui guide la lecture du réel et qui permet de
colliger les faits. D’où l’importance de fonder les recherches sur des théories
valides et solidement documentées. D’un autre côté, la collecte des faits peut
conduire à modifier la théorie. Dans cette perspective, la science est
probablement une des activités intellectuelles qui comportent le moins de
certitudes. Il y a bien sûr des exceptions. Par exemple, en astronomie, je peux
prédire avec précision que les prochaines éclipses solaires observables le
25 décembre auront lieu en 2307, 2326 et 2383. Par contre, en sciences
humaines, je peux connaître les éléments qui déterminent le risque de
délinquance, mais je ne pourrai jamais affirmer qu’un jeune individu qui les
présente tous deviendra à coup sûr un délinquant. En fait, les théories
scientifiques particulièrement celles en sciences humaines sont biodégradables.
De façon générale, les scientifiques s’efforcent donc de ne pas avoir
d’attachement émotif à leurs théories afin d’y renoncer lorsqu’une autre théorie
procure de meilleures explications. C’est là une conséquence de l’application
du critère de réfutabilité de Popper (voir chapitre 1).
De toute évidence, l’application du critère de réfutabilité ne convient guère aux
défenseurs du paranormal et des pseudosciences. Pour justifier leurs
convictions, ils préfèrent utiliser aussi bien l’argument de l’ancienneté que celui
de la nouveauté. Non seulement recourent-ils à des théories démontrées fausses
depuis longtemps tout en prétendant qu’elles sont originales, inspirantes, etc.,
mais ils justifient leur savoir sous prétexte que celui-ci existe depuis la nuit des
temps. Bien que la connaissance scientifique relève d’un long processus, un
savoir, tout séculaire qu’il soit, reste sujet à caution s’il n’a pas encore réussi à
faire ses preuves. Tel est le cas de l’astrologie. Selon certains tenants des
approches paranormales, plus les références sont anciennes et mystérieuses,
plus elles sont crédibles. D’autres, au contraire, recourent à des théories
inédites misant sur la nouveauté pour conclure à leur validité.

On ne révise pas la théorie, et pour cause, elle est invérifiable


Alors que les scientifiques sont généralement prêts à changer d’avis à la suite de
critiques pertinentes ou de faits nouveaux, les pseudo-scientifiques prêchent
que leur « théorie » est à prendre telle quelle ou à laisser. Pour parer à toute
critique, ils s’assurent alors que leur système de croyances paranormales soit
basé sur des déclarations vagues ou sur l’action de forces invisibles. De cette
façon, la critique n’a aucune prise et ils s’assurent d’étouffer dans l’œuf tout
débat susceptible de les contraindre à modifier leur théorie, voire à
l’abandonner. Les créationnistes sont à cet égard passés maîtres dans l’art
d’éviter le débat. Quand une approche se tient ainsi en marge de la critique,
elle relève de la foi et non de la science.

Absence d’autocorrections et, par conséquent, de progrès


La vérité des avancées ne constitue pas nécessairement un critère pour
distinguer un programme de recherche scientifique des prétentions des
pseudosciences. Dans les deux cas, les erreurs sont possibles. Toutefois, à plus
ou moins long terme, les programmes de recherche scientifique ont tendance à
éliminer ces erreurs alors que les pseudo-scientifiques s’y accrochent à tous
crins. À cet égard, l’astrologie est un modèle idéal. Après 2 500 ans de
« recherche », elle survit à l’absence totale de données valides. En fait, les
défenseurs des pseudosciences ne tiennent pas compte des nouvelles données
empiriques ou des nouvelles découvertes scientifiques qui contredisent leurs
prétentions et encore moins les critiques qu’ils perçoivent habituellement
comme des attaques plutôt que de les considérer comme une composante
essentielle de la démarche visant à vérifier leurs assertions.

Absence de liens avec d’autres disciplines scientifiques


Le développement des connaissances scientifiques implique habituellement
que les chercheurs situent leurs travaux dans le cadre d’un paradigme relié à
une ou plusieurs disciplines. En pratique, les chercheurs dont les travaux
appartiennent au même paradigme obéissent aux mêmes normes. La recherche
est alors essentiellement orientée vers une connaissance plus approfondie des
phénomènes et des théories inhérentes au paradigme.
Par définition, un paradigme n’est pas considéré a priori sans faille ; l’activité
scientifique s’est alors dotée d’un moyen de rompre avec un paradigme pour
passer à un autre, nécessairement meilleur (Voir chapitre 1). Pour leur part, en
créant des théories de toutes pièces, les pseudo-scientifiques prétendent à
l’originalité de leur approche. Il n’est donc guère surprenant selon eux qu’ils ne
soient pas compris par la science officielle. Ce faisant, ils se situent eux-mêmes
hors du champ de la science puisqu’ils négligent complètement de s’inspirer
des connaissances scientifiques bien établies. Bien sûr, le sceptique raisonnable
gardera l’esprit ouvert à la possibilité qu’un paradigme entièrement nouveau
supplante toutes les théories en place, mais avant d’y adhérer, il exigera des
preuves solides.

Argument de l’holisme
Certains défenseurs des pseudosciences, particulièrement ceux qui sévissent
dans le cadre des médecines alternatives et complémentaires ne se donnent
même pas la peine de présenter des hypothèses ad hoc pour justifier l’absence
de résultats ou des résultats négatifs. En fait, ils clament que leur approche ne
peut être évaluée scientifiquement que dans un cadre plus large. En
psychologie, Merlo et Barnett (2001) donnent l’exemple des cliniciens qui
utilisent le Rorschach à des fins de diagnostic. Si les résultats de la recherche
confirment leur analyse, cela en corrobore à leurs yeux sa validité ; si les
résultats infirment leur analyse, ils concluent qu’un bon clinicien n’interprète
jamais un Rorschach de manière isolée. Autrement dit, pile je gagne, face tu
perds. Ou dit autrement, « le tout est dans le tout », ce qui dispense
évidemment de toute mesure objective.

Un énoncé audacieux ne le rend pas nécessairement vrai


Certains gourous pensent que plus leurs propositions apparaissent
audacieuses, plus elles ont de chances d’être considérées comme vraies. Par
exemple, L. Ron Hubbard, le fondateur de l’Église de Scientologie considère
que son ouvrage, Dianetics : The modern science of mental health est aussi
important sinon plus que la roue (Gardner, 1983).
À plus petite échelle, des thérapeutes autoproclamés proposent des services
tous plus extravagants les uns que les autres. Deux exemples. Nancy Brousseau,
thérapeute énergétique, médium et clairaudiente, offrait en 2012 un service de
« polarisation sonore des méridiens et des organes » dans le cadre d’un « atelier
de libération des méridiens et de guérison des organes internes avec bols de
cristal ». Dans une autre publicité, la même Nancy Brousseau est thérapeute
énergétique et radiesthésiste. Préconisant « L’arc-en-ciel du bien-être », elle
écrit :
« Les temps changent et moi aussi. Plusieurs ajustements énergétiques ont
été faits pour que je puisse passer à l’étape suivante qui est l’ouverture d’une
urgence énergétique. Je suis maintenant prête et je disponible (sic) pour
vous offrir un service rapide et efficace. Mon taux vibratoire, les nouvelles
canalisations d’énergie et mes nouveaux outils font en sorte que je peux
maintenant travailler à un rythme nouveau. La qualité et les résultats sont
au R.D.V. Il me fait plaisir d’être un instrument de l’Univers au service de
Dieu pour vous aider à retrouver votre chemin dans l’amour et la lumière. »
Tout ceci ne l’empêche pas d’avoir encore du temps pour d’autres ateliers
tous aussi intéressants les uns que les autres. Par exemple, « Atelier
Harmonisation Interactive » ou « Comment obtenir de bons résultats avec le
pendule ? » ou « Devenez thérapeute énergétique ».
Pour sa part, Danielle Brabant, intervenante en soins spirituels et religieux
en milieu hospitalier et professionnelle certifié en Focusing a créé l’entreprise
« Sage S Equine » qui permet de voir une forme de relation faisant cheminer
les personnes avec le Focusing et le cheval comme médiateur. Pour ce faire, elle
propose quatre ateliers (voir encadré 10).

ENCADRÉ 10. DESCRIPTION DES ATELIERS SAGE S EQUINE.

Mon cheval intérieur : Une image vaut mille mots. Dans un procédé de collage d’images, il
s’agit de créer une carte personnalisée reflétant votre sagesse intérieure avec le thème du Cheval
intérieur. Des exercices d’intériorisation facilitent la mise en marche. Ainsi, les participants
réalisent une carte 6 x 8 pouces qu’ils interprètent ensuite à l’aide d’une grille donnée. Belles
découvertes de soi, en vue !
Mandala et Rêves : Deux ateliers en un ! Le but est d’expérimenter une forme de méditation
au moyen de l’outil Mandala (qui signifie Cercle Sacré en sanskrit). À l’aide de dessins
mandala, en forme de cercles, les participants colorent et méditent sous le thème qui les
interpelle. Le but est de trouver une paix intérieure. De plus, l’atelier se poursuit en offrant aux
participants de déceler dans leurs rêves une source d’apaisement. En évoquant les rêves de nuit,
les rêveurs en découvrent le sens à l’aide des symboles qui s’y trouvent.
Âme-Cheval : Comment faire parler le symbole du cheval qui vibre en chacun de nous ?
Chaque personne connaît le cheval sans même s’y être approché une seule fois. Pourtant, cette
connaissance est bel et bien présente en chacun de nous. Avec la puissance du symbole Cheval
et par des exercices d’intériorisation, les participants touchent et expriment leur sensibilité et
leur force intérieures. Le but est de reconnaître ses forces et de saisir les moyens de les mettre
en pratique.
Sagesse équine : Comment le cheval est-il mon miroir ? Que peut-il m’apprendre sur moi ? Le
cheval, animal vivant et sensible, vit le moment présent. Grâce à sa sensibilité et sa présence au
moment présent, il est capable de refléter nos émotions et notre état d’âme. Il est un vrai
partenaire empathique. Les participants observent et apprivoisent doucement, à leur rythme, le
cheval qui capte leur attention et découvrent ainsi des pistes pour devenir une personne
authentique.

En science, même si on n’est pas formé aux énoncés audacieux, les mécanismes
d’autorégulation entrent en action. On est dès lors assuré que si l’annonce
d’une découverte va à l’encontre des lois de la physique ou de la chimie, par
exemple, des laboratoires indépendants vont tenter de reproduire l’expérience.

Le recours aux mystères et aux anomalies


Beaucoup de « théories » pseudoscientifiques doivent leur existence à des
« faits » mystérieux. Leurs défenseurs sont donc constamment préoccupés d’en
trouver. Qui plus est, tout ce qui à leurs yeux est perçu comme un mystère,
l’est nécessairement puisque tout est possible. Pour leur part, les scientifiques
ne sont pas à la recherche d’anomalies, celles-ci surviennent d’elles-mêmes au
fil des recherches sans pour autant mettre ipso facto la théorie en question. Si,
par contre, le paradigme en vigueur échoue à résoudre un trop grand nombre
de problèmes, il sera graduellement remplacé par un autre doté d’une plus
grande capacité explicative (Voir chapitre 1). Enfin, plusieurs individus pensent
que s’ils ne peuvent pas expliquer un phénomène, il s’agit nécessairement d’un
mystère dont l’explication ne peut relever que du paranormal. Shermer (2002)
rapporte l’exemple d’un archéologue amateur qui, en l’absence de
connaissances sur la manière dont les pyramides ont été construites, a conclu
qu’elles ont été construites par des extraterrestres.
Pour sa part, Gardner (1997) avance que « quelle qu’en soit la raison, le fait
qu’un maître zen puisse casser des briques à mains nues ou marcher sur des
braises – plus globalement, la conviction qu’il peut traduire une intention
directement en action – doit nous émerveiller, même si (ou précisément parce
que) cela défie l’explication scientifique courante » (p. 247).
Il semble ignorer que, contrairement à ce que prétendent les maîtres zen ou
les gourous du même genre, casser des briques à mains nues ou marcher sur des
braises n’ont rien à voir avec le dépassement de soi ou quelque intelligence
corporelle bien développée. Une application judicieuse des lois de la physique
contenues dans ces deux phénomènes, doublée d’une bonne dose de courage,
met ces deux « prouesses » à la portée de tous (voir Encadré 11).

ENCADRÉ 11. DES BRIQUES ET DES BRIQUETTES, OU LA (MÉTA) PHYSIQUE DU ZEN (LARIVÉE, 2007B, P. 347).

• La technique de cassage de briques repose sur des principes de physique très simples qui
peuvent se résumer à une équation d’énergie : Et = Ep = Ed = Ec, où Et est l’énergie transmise
au matériau par un coup, E p l’énergie portée par le coup, Ed l’énergie dissipée au moment de
l’impact, et Ec l’énergie de cohésion nécessaire pour briser la pièce. De petits trucs qui
respectent ces principes assurent le cassage… à tout coup. La brique devra reposer sur des
supports très rigides (p. ex., deux blocs de béton plutôt que deux chaises) qui n’absorbent alors
qu’une faible partie de l’énergie portée par le coup ; on cherche ainsi à minimiser l’énergie Ed
dissipée par le système. De plus, en posant la brique en porte-à-faux sur les supports, on
augmente l’accélération énergétique au moment du contact entre la brique et son support ; les
contraintes dans la brique sont accrues et la rupture est d’autant facilitée (l’énergie étant
amplifiée). Outre ces petits trucs, une pratique assidue permettra d’acquérir toute la
coordination nécessaire pour que la combinaison optimale de masse et de vitesse transmette un
maximum d’énergie cinétique au point d’impact, sans qu’aucune énergie cosmique
n’intervienne dans le processus.
• La marche sur des braises fait intervenir trois principes physiques (Forget, 1997).
Premièrement, la transmission de la chaleur des braises à la plante des pieds se fait
essentiellement par conduction ; dans ce cas, l’effet du rayonnement peut être négligé.
Deuxièmement, en ce qui concerne le transfert de chaleur par conduction, deux paramètres
doivent être pris en compte. D’une part, les braises sont recouvertes de cendres qui, agissant à
titre d’isolant, augmentent la résistance thermique entre elles et la peau ; d’autre part, la
brièveté du contact des pieds avec les braises minimise le transfert de chaleur. La course sur les
braises ne laisse pas le temps aux pieds d’absorber assez de chaleur pour brûler. L’exercice
équivaut en fait à marcher sur de l’asphalte chauffé par le soleil ou sur du sable brûlant.
Troisièmement, les gourous qui suggèrent cet exercice à leurs adeptes comme preuve de
l’efficacité de leur enseignement leur conseillent en outre de se mouiller les pieds avant de
réaliser l’exploit. Au contact de la chaleur, la vapeur d’eau crée un coussin isolant entre le pied
et la braise, c’est le phénomène de caléfaction, aussi connu sous le nom d’« effet Leidenfrost ».

Les métaphores, les analogies et les mythes transformés en


preuve
Dans le domaine des pseudosciences, on cherche quelquefois à démontrer
la cohérence de l’un ou l’autre système de croyances en relevant quelques
analogies avec certaines données déjà validées. Par exemple, les tenants du
biorythme considèrent, compte tenu de l’existence du rythme circadien chez
les êtres vivants, que la base de leur approche est nécessairement conforme à la
biologie (Baker, 1993). Ils oublient alors que la fonction d’une métaphore
consiste à éclairer une idée peu familière en la reliant à une autre plus familière
et non l’inverse. Aussi peut-on se demander dans quelle mesure un lecteur
formé en sciences humaines sera réellement éclairé par le recours à quelque
concept physique ou mathématique plus ou moins maîtrisé, sinon dénué de
sens en dehors de son contexte ? Ne cherche-t-on pas plutôt à impressionner le
lecteur non spécialisé dans le domaine des sciences par l’avalanche d’un jargon
apparemment érudit (Sokal, 1997) ?
II ne s’agit pas ici de s’opposer au langage évocateur. Les scientifiques ont
en effet compris depuis belle lurette la puissance évocatrice d’objets théoriques
ou de phénomènes comme naine blanche, big bang, trou noir, mur du son,
fusion à froid, mémoire de l’eau, théorie des catastrophes. Ils s’efforcent toutefois
dans la plupart des cas d’en donner une définition opérationnelle, ce qui réduit
sensiblement le risque de dérives conceptuelles. Ce qui est en cause, c’est
l’utilisation de termes ou de concepts scientifiques techniques en dehors de leur
contexte et sans aucune justification empirique ou conceptuelle tout en
prétendant à une connaissance essentielle. Les métaphores et les analogies ont
pour but de favoriser la compréhension du réel, qu’elles soient utilisées par le
tout-venant, le poète ou le scientifique. Sauf erreur, on ne reproche pas au
poète ses jeux de langage au plan sémantique, phonologique et pragmatique.
S’il maîtrise les opérations du langage au point de transgresser certaines d’entre
elles au moment opportun, il n’en respecte pas moins en général les règles de
grammaire et d’orthographe. À la limite, la liberté du poète n’est limitée que
par la compréhension de ses lecteurs. Que les littéraires poussent à l’extrême
leur compétence linguistique en utilisant des mots tels que « trous noirs » ou
« degré de liberté » en dehors de leur contexte, sans savoir très bien de quoi il
s’agit, cela ne nous dérange pas. Mais s’ils veulent se réclamer des sciences
exactes, ils doivent en respecter les règles du jeu.
Les sciences dures ont certes l’avantage d’être des sciences
logicomathématiques dont la rigueur de la formalisation et de
l’opérationnalisation pallie grandement le flou du langage ordinaire. Voilà une
raison de plus pour les sciences humaines et sociales de redoubler de prudence
si l’on veut éviter l’utilisation non seulement abusive mais pernicieuse de
concepts issus des sciences exactes. De plus, comme les objets d’étude de la
physique prêtent mieux à la vérification que les objets d’étude des sciences
humaines, ils sont d’autant mieux protégés contre les errements verbaux. La
complexité des sciences humaines et sociales devrait donc inciter d’autant plus
leurs défenseurs à la rigueur.
Richelle (1998) souligne judicieusement que les « légèretés dans l’appel aux
autres sciences ou les incursions dans leur domaine en toute ignorance de cause
ne vont pas que dans un sens » (p. 29) ; « … il ne manque pas d’exemples de
mathématiciens et de physiciens, pour ne pas parler de biologistes, qui
n’hésitent pas à traiter de psychologie en toute ignorance de cause » (p. 85). Le
lecteur intéressé consultera avec plaisir l’article de Beller (1998) qui fournit de
beaux exemples d’errements de la part de chercheurs célèbres des sciences dures
dont Bohr, Born, Jorden, Heisenberg et Pauli qui se sont aventurés dans le
domaine de la politique. On peut discuter ad infinitum des avantages et des
inconvénients de l’utilisation d’analogies ou de métaphores empruntées à
d’autres domaines. Disons qu’indépendamment des abus des uns et des autres,
la règle minimale de fonctionnement de l’utilisation des métaphores (voir
Encadré 12) interdit de confondre la carte et le territoire ou le menu et le
repas.

ENCADRÉ 12. RÈGLE DU LEU DES MÉTAPHORES SELON RICHELLE (1998, PP. 58-59).

« … la métaphore est un jeu de la liberté, un exercice producteur de nouveauté, d’inattendu,


d’insolite, l’une des sources principales de l’enrichissement du langage humain, et c’est vrai
qu’il ne va pas sans risques. Ses errements, voire ses extravagances sont le prix à payer pour que
ce jeu se poursuive. […] Au jeu de la métaphore en science, il vaut mieux imposer quelques
règles auxquelles se tenir. Tentons donc de légiférer.
Règle première : ne hasarder l’analogie ou la métaphore à partir d’une autre science que si l’on
a sérieusement pénétré et compris celle-ci, du moins dans son champ particulier auquel se
réfère l’analogie ou la métaphore en question.
Règle deuxième : justifier avec rigueur la transposition analogique ou métaphorique d’un
champ à l’autre.
Règle troisième : exprimer clairement, d’une manière dénuée d’équivoque, les rapports ainsi
établis, de sorte que personne ne soit amené à les interpréter autrement.
Règle quatrième : rendre l’analogie ou la métaphore également acceptable à des experts des
deux disciplines en cause – et s’il se peut, à l’aide de quelques artifices didactiques, à l’honnête
homme intelligent ».

Enfin, que la mythologie fasse partie d’un bagage culturel millénaire, soit.
Mais, prétendre par exemple que les divinités grecques sont à l’œuvre dans
l’« inconscient collectif », laisse pour le moins perplexe. Qu’à cela ne tienne,
certains se font fort d’établir le mythique en se contentant de l’affirmer.
L’exemple du complexe d’Œdipe, si cher aux psychanalystes, est à cet égard
exemplaire. Les manigances frauduleuses de Freud pour récupérer à son profit
la tragédie de Sophocle, Œdipe-Roi, sont connues (voir Borch-Jacobsen &
Shamdasani, 2006 ; Larivée & Coulombe, 2013 pour une synthèse). Sont aussi
connues les données empiriques illustrant la fragilité clinique du complexe
d’Œdipe ainsi que les travaux des hellénistes montrant qu’Œdipe n’épouse pas
sa mère et qu’il meurt heureux sur son trône. J’ai évoqué ces données au
chapitre 4 consacré aux facteurs reliés à l’éducation dans les pseudosciences.
Au total, les analogies, les métaphores, les mythes ainsi que les témoignages
comme on le verra ne constituent pas des preuves, mais plutôt de merveilleux
moyens de rhétorique lorsqu’utilisés à bon escient.
Quand les affirmations priment sur les démonstrations, l’opinion
règne en maître
Généralement, les tenants des pseudosciences ne se soucient guère de
démontrer leurs affirmations. Leur assurance est d’autant plus manifeste que les
fondements de leurs affirmations sont minces mais à force d’être répétées, elles
acquièrent à leurs yeux et aux yeux des croyants un statut de vérité officielle.
Quiconque dès lors ose questionner ces « vérités » fait preuve d’étroitesse
d’esprit. Ils appliquent en fait le principe suivant : « dites n’importe quoi, mais
avec assurance ; on vous croira » (Klatzman, 1985).
Si un scientifique affirmait sans démontrer ce qu’il avance, c’est-à-dire sur
la seule base de sa notoriété, il perdrait toute crédibilité auprès de la
communauté scientifique. Dans le cas des pseudosciences, le contraire semble
la règle : non seulement les gourous du paranormal affirment sans avoir de
compte à rendre à personne, mais plus ils déploient leur certitude, plus ils
acquièrent de crédibilité. Alors que plusieurs d’entre eux se réclament de la
science, ils font souvent fi d’une des règles élémentaires de la démarche
scientifique : ne déclarer vrai que ce qui peut être appuyé par des preuves.
Tenter d’expliquer un phénomène avant de vérifier son existence, c’est procéder
à l’envers de l’approche scientifique. Être persuadé intérieurement de la justesse
ou de la véracité de ses convictions ne peut faire office de preuve scientifique.
Tout fait qui est l’objet d’une conviction doit être, à un certain niveau,
empiriquement vérifiable par d’autres observateurs. Une opinion ne se justifie
pas du fait qu’elle semble subjectivement vraie. Ce qu’elle prétend demande
d’abord à être confirmé par une communauté de chercheurs et ce,
indépendamment de leurs désirs (Broch, 1985).
À cet égard, on aura compris que les scientifiques sont défavorisés par
rapport aux pseudoscientifiques particulièrement dans les médias de masse
(radio, télévision, journaux, Internet). Alors que ces derniers peuvent exposer
leurs opinions sans démontrer, les scientifiques doivent expliquer leur
démarche et présentés leurs résultats avec circonspection.
L’opinion fait partie de notre quotidien et la société l’exploite
abondamment, comme en témoignent, par exemple, les agences publicitaires
qui sondent les consommateurs pour leurs mises en marché. Les sondages sont
aussi monnaie courante dans la gestion des affaires de l’État. Au-delà de ces
processus de consultation, on devine aussi l’importance que chacun accorde à
sa propre opinion. L’opinion recèle cependant quelques pièges lorsqu’elle est
exprimée dans les médias sociaux. En voici quatre.
Moi, je pense que… Toute phrase qui débute par « Moi je pense que… »
laisse entendre que la connaissance qu’a l’individu du sujet dont il va parler se
situe, à son insu, quelque part entre l’ignorance et une connaissance réelle du
sujet en question (Joly, 1981). Plus encore, sur quoi celui qui écoute fonde-t-il
son adhésion à l’opinion énoncée ? Il y a bien sûr au premier chef l’autorité
prêtée à la personne. Ainsi, l’opinion d’un expert sur un aspect qui relève de sa
compétence a certes plus de poids que celle d’un profane sur le même sujet.
Toutefois, si l’on questionne un expert et un tout-venant sur un sujet d’ordre
général (l’avortement, la peine de mort, l’homosexualité ou les performances
d’un sportif ), les opinions se valent. Cependant, un scientifique imprimera
plus de crédibilité à son opinion sur ces sujets s’il prend soin de l’auréoler du
prestige de la science. Mais en quoi l’expertise d’un individu donnerait-elle
plus de poids à son opinion sur un sujet qui n’en relève d’aucune façon ? On
assiste au même effet de halo lorsqu’on requiert l’avis des vedettes sur divers
sujets, comme si leur avis avait plus de valeur du fait de leur vedettariat.
Par ailleurs, ce qui entraîne, par-dessus tout, l’adhésion à une opinion
exprimée, c’est qu’elle rejoint celle que l’interlocuteur s’est lui-même forgée.
Dit autrement, une opinion semble d’autant plus plausible qu’elle confirme
celle de la personne qui l’entend.
L’opinion, proche parent du sens commun. Le sens commun, qu’on pourrait
définir comme l’ensemble des théories implicites ou des croyances que
partagent les membres d’une société donnée, constitue un atout indispensable
pour l’adaptation à la vie quotidienne. On pourrait même assimiler la
démarche scientifique à une sorte de sens commun critique (Engel, 2002) qui
entraîne d’emblée l’adhésion, facilitant ainsi la communication. En voici un
exemple.
Un des phénomènes les plus intrigants et probablement les plus importants
de la recherche en psychologie de l’intelligence concerne l’« effet Flynn ». Dans
les années 1980, Flynn (1984, 1987) montra que dans les pays occidentaux, les
résultats aux principaux tests d’intelligence (QI) augmentaient de 3 à 5 points
par décennie. Si on applique à rebours cette augmentation des résultats aux
tests de QI, on pourrait d’emblée conclure que nos ancêtres étaient des tarés de
première classe. Non seulement le bon sens interdit évidemment toute
conclusion en ce sens, mais un simple regard historique contredit une telle
possibilité. Ainsi, d’après les normes de 1989, le QI moyen des Américains
aurait été de 79 en 1918 (Flynn, 1996). Par ailleurs, Flynn (1999) a passé en
revue les scores aux Matrices de Raven chez des individus nés entre 1877
et 1977. Les résultats montrent qu’un individu dont le score se situe dans le
90e percentile en 1877 se situerait dans le 4e percentile en 1977. Autrement dit,
la majorité des individus vivant en 1877 étaient déficients, ce qui, bien sûr,
contredit parfaitement le bon sens (voir Larivée, Sénéchal, & Audy, 2012 –
pour une présentation des paradoxes de l’effet Flynn). Comme on peut le
constater, du sens commun bien utilisé peut se dégager des opinions
empreintes d’une certaine sagesse. Le sens commun n’est donc pas qu’un
fouillis de croyances ; il s’organise à partir d’un noyau de compétences de base
– probablement acquises au gré de l’évolution et fondamentalement correctes.
Bien que le sens commun comporte des avantages certains à long terme,
survaloriser l’opinion pourrait à la limite entraîner la perpétuation de
connaissances non valides et bloquer l’accès à des connaissances valides. En
effet, le sens commun se restreint souvent à ce qui nous est familier, nous
portant à considérer « ce qui est familier comme inévitable et ce qui n’est pas
familier comme inconcevable » (Seltiz et al., 1976, p. 4).
Enfin, comme les humains font régulièrement des inférences sans
fondement, les opinions issues du sens commun ne constituent pas une base
solide pour le développement d’une pensée scientifique, sans être pour autant
totalement incompatibles avec elle. En effet, si on accepte que la démarche
scientifique constitue en quelque sorte du sens commun critique, cela implique
que nous puissions réviser nos croyances, les nuancer ou les conserver si nous
constatons que leurs rivales ne sont pas assez fortes lorsqu’on les confronte à la
réalité. Cela dit, les individus qui ont le courage de leurs opinions sont
habituellement respectés, du fait qu’ils osent penser par eux-mêmes (Bessaude-
Vincent, 2000).
Au total, avoir des opinions n’est pas mauvais en soi. Il y a abus lorsque le
sens commun consacre l’opinion à titre de fait et que celle-ci débouche sur un
conservatisme figé ; ou encore lorsqu’on s’accroche à des opinions qui auraient
été abondamment réfutées ou inaptes à toute mise à l’épreuve comme s’est
souvent le cas des croyances paranormales (Bunge, 2003). En fait, « le sens
commun est comme l’alcool : à consommer avec modération » (Engel, 2002,
p. 13).
Une opinion n’est pas un fait. Dans La formation de l’esprit scientifique,
Bachelard (1938/1972) est formel : l’opinion est un obstacle épistémologique
majeur à la formation de l’esprit scientifique. Pour lui, le débat est clos : « […]
l’opinion a en droit toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas […]
On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire » (p. 14).
Dans cette perspective, l’opinion ne peut même pas tenir lieu d’intermédiaire
entre l’ignorance et le savoir, car si d’aventure une opinion s’avérait, son bien-
fondé ne découlerait pas d’une démarche scientifique, mais d’un heureux
hasard. Pour Bachelard, l’accès à la connaissance scientifique passe par le deuil
des opinions. Et si toutes les opinions se valent, c’est en fonction de leur plus
petit dénominateur commun : elles ne valent rien.
À l’opposé, Bensaude-Vincent (2000) est d’avis que si l’ignorance désigne
un degré zéro de connaissances, l’opinion constitue un mode de savoir. À cet
égard, la science et l’opinion constitueraient deux formes de savoir qui
développent chacune leur propre vision du monde. D’ailleurs, comme les
opinions sont là pour rester, il vaut mieux s’en accommoder et tenter de les
domestiquer, surtout si l’on souhaite l’expansion de la culture scientifique.
S’efforcer de distinguer les faits de l’opinion est un pas dans ce sens. Par
exemple, certains faits demeurent incontestables et sont à situer en dehors du
champ de l’opinion. Que G.W. Bush ait été président des États-Unis est un
fait, alors que sa façon de gouverner donne lieu à des opinions divergentes.
Toutefois, la distinction entre un fait et une opinion n’est pas toujours aussi
évidente, par exemple, lorsque des témoignages et des opinions s’amalgament
pour s’octroyer réciproquement plus de poids. La méthode du témoignage, on
l’a vu précédemment, a démontré son efficacité : dans la mesure où le
témoignage touche des cordes émotives, on tend à adhérer à l’opinion alors
défendue. Développer le culte de l’opinion risque toutefois d’entremêler les
opinions et les faits, ce qui n’est en aucun cas justifiable. Les médias sont passés
maîtres dans cet art, sous prétexte de montrer les deux côtés de la médaille.
Dans la plupart des cas, il n’y a pas deux côtés d’une même médaille, mais deux
médailles : l’une concerne des faits et l’autre, une opinion fondée sur une
croyance jamais vérifiée.
Toutes les opinions se valent. Sans remettre en question le droit fondamental
de tout individu d’exprimer ses opinions dans la mesure où celles-ci ne portent
préjudice à personne, il n’en demeure pas moins que de dire que « toutes les
opinions se valent » ou que « chacun a droit à son opinion » sous-entend que
« tout est relatif ». Reprenons ici trois aspects qui permettent de distinguer la
place du droit à son opinion de celle de la connaissance.
À partir des années 1970, Bloor et Barnes (Bloor, 1991 ; Barnes & Bloor,
1981) ont développé un « programme fort » en sociologie des sciences. Les
tenants de cette approche affirment que, puisqu’elles servent essentiellement à
adapter à son environnement la société qui les développe, toutes les
connaissances se valent. Dans cette perspective, la science serait un mode de
connaissance parmi d’autres, au même titre que la magie, l’astrologie ou la
religion. La construction des théories scientifiques, soumises aux mêmes
déterminants sociaux et idéologiques que les autres activités humaines, se
fonderait dès lors sur des présupposés arbitraires en fonction de divers intérêts
sociaux, économiques, politiques et culturels, et ce, indépendamment des
raisons qu’ont les chercheurs de tenir une explication pour fondée. En
conséquence, la démarche scientifique, vidée de son contenu et de ses résultats,
ne revêtirait plus que le statut d’une vision du monde parmi d’autres (Thuillier,
1997). Autrement dit, il n’y aurait pas de vérité, mais seulement des opinions.
Que l’émergence, puis l’acceptation de théories soient fonction de choix,
de présupposés ainsi que d’un ensemble de facteurs sociaux et historiques, soit,
mais ces théories doivent s’approcher plus près de la réalité empirique, donc
d’approcher le plus possible la vérité. Concéder qu’une théorie puisse être mise
de l’avant pour des raisons autres qu’objectives ne revient pas à affirmer que
rien n’est objectivement vrai. En mettant la science sur le même pied que les
mythes, la superstition, l’astrologie, etc., on nie ipso facto que la quête de la
vérité objective puisse constituer un des objectifs de la recherche (Bogohsian,
1997).
Assez paradoxalement, la vie en démocratie, dans un monde libre et
pluraliste où, par exemple, les sectes, les groupes de croissance personnelle et
les associations diverses ont droit de cité, droit reconnu légalement, peut laisser
croire que tous ont une valeur égale sur le plan intellectuel.
Le relativisme cognitif pourrait paraître mieux convenir aux objets d’étude
des sciences humaines et sociales vu leur complexité et la diversité des modèles
et des théories qu’elles génèrent. De fait, même s’il est difficile de trancher dans
certains cas et que plusieurs théories expliquent par conséquent les mêmes faits,
cela ne réduit pas pour autant les théories en sciences humaines à des opinions.
Chacun d’entre nous se meut dans une double réalité : la réalité objective
indépendante de soi et la réalité perçue, tel qu’on l’interprète, marquée au coin
de nos opinions, de nos convictions, de notre culture, de notre personnalité et
de nos croyances. Que les individus reconstruisent la réalité à même la
représentation qu’ils s’en font ne change rien à la réalité objective. La quantité
de vin dans un verre ne diminue ni n’augmente du fait que l’amateur
pessimiste perçoit le verre à moitié vide et l’amateur optimiste, à moitié plein.
Le respect des représentations de tout un chacun ne signifie pas qu’il faille pour
autant les valoriser au détriment de la réalité objective. En effet, si la liberté de
pensée et d’expression se trouve garantie par des chartes, cela n’institue pas
comme vrai ce que chacun considère comme tel. Chacun a certes le droit de
croire ce qu’il veut et de rester volontairement dans l’erreur si sa croyance est
fausse, mais cela ne lui accorde pas le droit de prétendre que sa croyance est
vraie et généralisable sans démonstration.
Si personne n’était tenu de justifier son point de vue sous prétexte que
toutes les opinions se valent, on risquerait de valoriser un relativisme à tous
crins qui, poussé à l’extrême, porterait à croire tout et son contraire. Nous ne
serions pas loin alors de l’obscurantisme qui brouille les frontières entre le
savoir et les croyances, ou entre la science et les superstitions. À cet égard,
l’irrationalité sous toutes ses formes, alimentée par le relativisme cognitif, n’est
pas innocente sur le plan social. Le relativisme cognitif débouche souvent sur
un scepticisme déraisonnable à l’égard de la valeur de la démarche scientifique
et de ses résultats, tout en favorisant une déraisonnable crédulité à l’égard des
pseudosciences.
Pour éviter de faire des choix exclusivement fondés sur des croyances
idéologiques, religieuses, politiques, voire ésotériques, il faut avoir un
minimum de connaissances sur un minimum de sujets et savoir clairement ce
qui différencie une opinion d’un fait dûment établi. Dans cette optique, il
apparaît irresponsable de vouloir réduire les conclusions que la démarche
scientifique tire d’une vérification dans un domaine donné à une opinion
parmi d’autres, parce qu’en valorisant l’objectivité et la vérification, la science
offre précisément l’une des plus sûres protections contre les idéologies
totalitaires et l’obscurantisme.
Enfin, bien sûr, les gens ont le droit d’exprimer leurs opinions, mais il est faux
de prétendre que toutes les opinions se valent. La question est plutôt : qui doit-
on écouter ?

Confiance excessive dans les bonnes histoires, les anecdotes et


les témoignages
Convenons que les anecdotes et les témoignages peuvent se justifier lors de
la phase exploratoire d’une recherche : ils sont alors utiles pour générer des
hypothèses, mais inappropriés pour les tester. De plus, alors qu’en science on
prend toutes sortes de précautions pour s’assurer que les faits colligés sont bien
réels et indépendants des observateurs, les tenants du paranormal s’en tiennent
essentiellement aux témoignages et aux anecdotes. Par ailleurs, les scénarios
proposés par les scientifiques pour expliquer un phénomène (par exemple,
l’origine de la vie, la dépression, etc.) tiennent compte des lois et des théories
démontrées. Chez les pseudo-scientifiques, pas de loi, pas de théorie
scientifique, mais encore une fois, une histoire, un témoignage, une anecdote.
Or, une anecdote uniquement validée par le seul témoignage ne saurait
constituer une donnée empirique valable. Qui plus est, le cumul de
témoignages disparates ne renforce nullement leur crédibilité : il vaut mieux
une seule bonne preuve que mille mauvaises, floues, invérifiables ou
évanescentes dès la moindre tentative de vérification. Autrement dit, en science
la qualité de la preuve prime sur la quantité, alors qu’en pseudosciences, la
quantité semble compenser l’inexistence ou la faiblesse de la preuve.
En fait, il s’agit simplement de prendre le témoignage pour ce qu’il est : il
illustre mais ne démontre pas. Il peut à l’occasion suggérer des hypothèses qui
feront l’objet de vérification. Notre quotidien en est rempli et c’est très bien
comme cela. Le témoignage fait d’ailleurs habituellement du bien tant à celui
qui témoigne qu’à celui qui l’accueille. Le témoignage n’est-il pas un des
fondements du fonctionnement des alcooliques anonymes (AA) et de
nombreux groupes d’entraide ? Son utilisation dans l’enseignement ou lors de
conférences lorsque l’ennui gagner l’auditoire, produit un effet presque
toujours immédiat : devant des exemples concrets, l’auditoire se réveille, les
yeux s’allument et l’attention augmente. Dans ces situations, on ne peut
prétendre à la transmission de connaissances au sens strict, même si les
témoignages peuvent faciliter l’intégration (donc l’apprentissage) de concepts
qui demeureraient autrement trop abstraits. Bref, le témoignage ne constitue
pas un moyen d’obtenir des connaissances valides, fiables et généralisables.
Illustrons, à l’aide de trois arguments, ce point de vue dans le cas de
justification de réussite thérapeutique.
• Le premier argument concerne la sélection des cas pour défendre
l’efficacité de l’approche prônée. S’appuyer sur des témoignages pour faire
valoir les bienfaits d’une approche thérapeutique, c’est se placer en situation de
vulnérabilité scientifique dans la mesure où l’échantillon est par définition
biaisé. On soupçonne d’emblée en effet que les sujets choisis pour témoigner
sont des réussites et que les échecs sont passés sous silence. Ces cas de guérison
ne peuvent pas être attribués à ladite approche aussi longtemps que des
explications alternatives n’auront pas été dûment vérifiées (parmi lesquelles
l’effet de la maturation, la rémission spontanée, l’effet placebo, etc.) et aussi
longtemps qu’une étude comparative avec d’autres approches n’aura pas été
effectuée, ce que bon nombre de promoteurs d’approches nouvelles négligent.
Bref, quelques témoignages de succès ne constituent pas une véritable
démonstration de l’efficacité d’une approche.
• Le deuxième argument a trait à l’indispensable utilisation de la mémoire
lors de la narration d’un témoignage que celui-ci provienne du soigné ou du
soignant. Si la mémoire nous sert bien dans la vie quotidienne, il en va tout
autrement lorsqu’on veut s’en servir dans un contexte de vérification d’une
approche thérapeutique. Lorsqu’on fait appel à la mémoire, celle-ci reconstruit
les éléments du passé en concordance avec ce qui se passe maintenant. La
mémoire, en fait, « présentifie » le passé : certains faits ont été oubliés, d’autres
ajoutés, certains ont perdu leur valence émotive et d’autres en acquièrent une
nouvelle si bien qu’en général tout souvenir est parcellaire. Pour ainsi dire, la
mémoire reconstruit sélectivement en fonction des croyances et des attentes
actuelles (Conway & Ross, 1984). Si nécessaire, la mémoire ira même jusqu’à
fabriquer des souvenirs de toutes pièces.
Ce processus de reconstruction du souvenir est un mécanisme fondamental
de la mémoire. Il se produit automatiquement et n’a rien à voir avec la
mauvaise foi de la personne concernée. Lorsqu’on comprend que la mémoire
représente une interaction entre le présent et le passé activée par le contexte
actuel de l’observateur, un tel processus de sélectivité ne surprend guère. La
motivation, les attentes et les croyances actuelles filtrent alors nos perceptions
et nos souvenirs si bien qu’on tend à ne voir que ce qui les confirme ou les
justifie. D’où l’importance de recourir à la méthode scientifique pour
contrecarrer ce processus automatique (Spanos, 1996).
Ainsi, Safer et Kueler (1997) ont étudié chez leurs patients le souvenir
qu’ils gardaient de leur fonctionnement mental avant la thérapie. Avant le
début de la thérapie, les sujets répondaient à une série de questions visant à
évaluer leur perception de leur fonctionnement mental. À la fin de la thérapie,
on demandait aux mêmes sujets de répondre aux mêmes questions. Or, les
sujets décrivaient leur état antérieur de détresse d’une manière beaucoup plus
dramatique que lors du premier test. Le passé doit justifier le présent ! Les
individus reconstruisent donc leurs attitudes et leurs états d’âme antérieurs en
se basant sur leur situation présente et leur compréhension du changement
dans leur vie (Ross, 1989).
Une recherche de Neisser et Harsch (1992) sur les souvenirs-éclairs
(flashbulb memories) est particulièrement intéressante à ce propos. Le
lendemain de l’écrasement de la navette spatiale, ces chercheurs ont interviewé
une centaine d’étudiants sur les circonstances entourant le moment où ils ont
pris connaissance du drame. Trois ans plus tard, ces mêmes étudiants
répondaient de nouveau au même questionnaire. Tel que prévu, ces dernières
descriptions étaient en partie différentes des descriptions initiales. En fait, près
de 30 % des narrations étaient très différentes et cela, malgré le fait que les
sujets disaient se souvenir de façon très claire de cet événement. Les étudiants
furent par la suite confrontés à leurs deux récits et devaient décider lequel
correspondait le mieux à ce qui s’était réellement passé. Là, la surprise fut
totale : les sujets ont montré une préférence marquée pour leur version la plus
récente alléguant que leur premier récit était erroné ! La mémoire s’adapte.
Les pièges de la mémoire guettent aussi les cliniciens. À cet égard, Spence
(2001) soulève les dangers de ce qu’il appelle les rapports anecdotiques en
psychanalyse. Spence va même jusqu’à taxer lesdits rapports de fiction dans
lesquels la théorie influence la mémoire. L’analyse d’un échantillon de 450
rapports rédigés par des candidats au titre de psychanalyste est à cet égard
exemplaire (Burland, 1997). À quelques exceptions près, les rapports sont
étonnamment similaires. Tout se passe comme si le clinicien était porté,
inconsciemment bien sûr, à réorganiser le contenu du déroulement de la
thérapie en fonction de la théorie. Outre cette attitude qui protège la théorie
psychanalytique contre d’éventuels ajustements, le clinicien peut
involontairement oublier certains éléments susceptibles de mettre en évidence
des erreurs de sa part. Dans les deux cas, on est dans le statu quo, ce qui fait
dire à Spence (2001) qu’au cours des cent dernières années, les études en
psychanalyse ont généré très peu de progrès.
• Le troisième argument illustre d’une autre façon les dangers de se fier aux
études de cas pour promouvoir une approche quelconque. Ainsi, l’approche
appelée « communication facilitée » (CF) a été mise au point pour aider des
individus incapables de communiquer. La méthode consiste pour la personne
aidée à pointer des lettres ou des dessins sur un tableau ou sur un clavier
d’ordinateur en présence d’un assistant qui soutient son bras, son épaule ou
son index. Idéalement, l’assistant aide à composer le message le plus aisément
possible sans influencer son contenu. Les concepteurs de l’approche ont publié
des études de cas qui ont donné de l’espoir aux individus aux prises avec de tels
problèmes ainsi qu’à leurs proches (Crossley, 1992). Par la suite, plusieurs
chercheurs ont voulu vérifier la validité de l’approche, c’est-à-dire s’assurer que
la paternité des messages transmis provient bel et bien du sujet aidé et non de
l’individu aidant. Le tableau 9 présente les résultats des trente-cinq études
totalisant 251 sujets, recensées par Sénéchal, Larivée et Richard (2004).

Tableau 9. Nombre de sujets ayant réussi à communiquer dans le cadre de la « communication facilitée » selon trois catégories :
1 à 3, 4 à 9 et 10 à 23 sujets par étude.

Nombre de sujets par étude Nombre d’études Nombre de sujets Nombre de réussites
1à3 14 20 5 (25,0 %)
4à9 9 57 9 (15,8 %)
10 à 23 12 174 1 (0,57 %)
Total 35 251 15 (6,0 %)

Les résultats montrent que seuls 6 % indiquent une « certaine capacité » de


communiquer réellement dans le cadre de la CF. Le regroupement des résultats
en fonction du nombre de sujets composant les diverses études nuance
cependant ce faible pourcentage. Ainsi, les études comptant 10 sujets et plus
(12 études totalisant 174 sujets) ne révèlent qu’un seul cas de réussite
(0,57 %) ; celles qui comportent de 4 à 9 sujets (9 études totalisant 57 sujets)
distinguent 9 cas de réussite (15,8 %) et les 14 études portant sur 3 sujets ou
moins donnent un taux de réussite de 25 % (5 cas positifs sur 20). Même si ce
dernier demeure faible, il est clair que plus le nombre de sujets est élevé, moins
on compte de réussites. Autrement dit, quand on contrôle des variables autres
que l’approche elle-même et susceptibles d’expliquer son « succès », les résultats
positifs sont nuls, ici 0,5 %. Au total, il est clair que les pseudoscientifiques se
placent en situation de vulnérabilité lorsqu’ils s’appuient sur des témoignages
pour valider leur approche (Gilovich, 1991).

Les contradictions ne changent rien à la croyance


Les tenants des croyances au paranormal ne se laissent guère ébranler par
les faits qui les contredisent. Dans le cadre du défi sceptique doté d’un prix
d’un million de dollars, une numérologue a bien voulu se prêter au jeu de la
vérification empirique. En numérologie, on prétend que, muni du nom et de la
date de naissance d’un individu, on peut, grâce au pouvoir du numérologue,
percevoir les caractéristiques familiales de cet individu, dont le nombre de ses
frères et sœurs. Avec l’accord de la numérologue concernée, on lui remet douze
cartons sur lesquels sont inscrites les dates de naissance de douze individus âgés
de 18 à 24 ans ainsi que douze autres cartons sur lesquels sont inscrits le
nombre de frères et de sœurs de chaque individu. Sa tâche consiste à apparier
une date de naissance et une fratrie. Si elle bat le hasard, un chèque de
10 000 $ lui sera immédiatement remis et elle devient éligible pour le défi
sceptique du million de dollars puisqu’en science, un fait n’existe que s’il a été
reproduit. La nature reproductrice des résultats constitue en effet une
caractéristique essentielle du fonctionnement de la science (Voir chapitre 1).
Dans cette expérience, battre le hasard et, par conséquent, mettre en évidence
son pouvoir paranormal, correspondant à l’obtention d’au moins sept réponses
correctes, la probabilité d’obtenir par hasard un tel score étant d’une sur
12 032. Le résultat de notre numérologue : une réponse correcte sur douze, ce
qui correspond à un appariement au hasard. Autrement dit, il s’agit du score
probable qu’obtiendrait n’importe quel individu choisi au hasard (Labelle,
1993). Interrogée sur son résultat, la numérologue a calmement répondu
qu’une meilleure numérologue aurait mieux fait. Devant cette réponse, notre
question est : combien de fois doit-on répéter cette expérience pour que les
gens cessent de croire aux prétentions des numérologues et des astrologues de
tout acabit ? La réponse est probablement : à l’infini.

L’absence de faits ou de reproduction des résultats confirme aussi


la croyance
La première des règles du jeu scientifique consiste à vérifier (Reuchlin,
1992). Quand il fait de la science, le chercheur, même guidé par son intuition,
utilise des hypothèses, des observations, des méthodes et des résultats qui
peuvent être soumis à la vérification. Le noyau dur du consensus définissant
une activité de recherche réside alors dans le caractère reproductible des
résultats. Autrement dit, contrairement aux autres formes de connaissances, les
affirmations d’un chercheur demandent à être vérifiées par d’autres chercheurs.
Ce critère de vérifiabilité implique que les méthodes de collecte de données
soient explicitement divulguées. Le degré d’explicitation peut varier et certaines
méthodes s’y prêtent moins facilement sans pour autant perdre leur caractère
scientifique, mais dans tous les cas, la science est une activité essentiellement
collective de surveillance mutuelle. Ce caractère public signifie que des
chercheurs, disposant des qualifications (connaissances théoriques et
méthodologiques) et des moyens nécessaires (instruments de mesure), peuvent
réutiliser la méthode décrite explicitement dans une publication. Si un
chercheur est le seul à pouvoir utiliser sa méthode, sa recherche échappe à la
vérification et ne sera pas considérée par la communauté scientifique.
Contrairement à ce qu’on peut penser, le principe de la reproduction des
résultats n’est pas confiné au laboratoire du chercheur, il s’applique aussi de
façon presque automatique au quotidien lorsqu’il s’agit de planifier ou de
prendre des décisions. Par exemple, on s’assure deux fois que l’heure fixée sur
notre réveille-matin est la bonne ; on vérifie plusieurs fois que toutes les portes
sont verrouillées avant de quitter la maison pour quelques jours ; on regarde
plusieurs fois dans son rétroviseur avant de changer de voie sur l’autoroute ; on
s’assure deux fois plutôt qu’une de l’état de notre compte de banque ; on se
pèse plusieurs fois pour être bien sûr que la balance ne ment pas.
Ces exemples montrent qu’il est tout à fait normal de chercher à contre-
vérifier les informations, et que la méthode scientifique n’est pas une approche
ésotérique réservée à quelques initiés. De plus, certains croient que la
reproduction exige qu’un phénomène puisse être reproduit sur demande. Ce
n’est pas le cas. Par exemple, ce n’est pas parce que chaque relation sexuelle
n’entraîne pas une grossesse qu’on remet en question la certitude que les
humains se reproduisent de cette façon. En revanche, toute expérience qui ne
peut être reproduite doit être considérée d’emblée comme une coïncidence ou
une erreur d’interprétation. La réalisation des prédictions d’un médium n’est
pas une preuve tangible qu’il est clairvoyant. Cela prouve seulement que nul ne
peut se tromper dans 100 % des cas (Broch, 1985 ; Chevalier, 1993) ! En fait,
devant un phénomène extraordinaire, le sceptique raisonnable est en droit
d’exiger des preuves tout aussi extraordinaires. Par exemple, si quelqu’un
déclare que, ayant lâché un caillou du cinquième étage, il l’a vu tomber sur le
sol, on n’exigera pas de preuve à tout casser dans la mesure où le phénomène
est prévu par la loi de la gravité. Par contre, si on prétend que ledit caillou, au
lieu de tomber, s’est envolé majestueusement dans les airs, on peut non
seulement en douter dans la mesure où un tel phénomène va à l’encontre de la
loi de la gravité, mais on est tout à fait en droit d’exiger que l’expérience soit
reproduite. C’est ce que font les chercheurs en sciences dures lorsqu’ils sont
confrontés à des phénomènes extraordinaires : ils exigent des preuves solides
(Broch, 1985 ; Hines, 1988 ; Sagan, 1996 ; Shermer, 1997). Les affirmations
de Fleschman et Pons relatives à la fusion à froid et celles de Benveniste à
propos de la mémoire de l’eau pour expliquer l’homéopathie ont donné
immédiatement lieu à des études de reproduction. À la suite des résultats
négatifs répétitifs, la communauté scientifique a alors conclu qu’il fallait
abandonner, au moins temporairement, les recherches concernant ces deux
sujets.
Pour leur part, les pseudoscientifiques ne sont guère déconcertés par l’absence
de faits confirmant leurs avancées. La lettre d’un chasseur de sanglier illustre à
merveille à quel point la force d’une croyance peut être immense, même en
l’absence de faits. « Savez-vous que mon garde-chasse repère avec le pendule la
présence de sangliers dans une forêt ? J’ai même découvert un fait nouveau et
extrêmement intéressant, c’est que les sangliers sont sensibles au fluide
radiesthésique. Et la meilleure preuve c’est que, quand je vais à l’endroit
indiqué par le garde-chasse, les sangliers qui se sont méfiés sont toujours
partis » (Broch, 1985, p. 183). Cet exemple illustre à merveille la crainte du
parapsychologue Beloff (1974) de voir la parapsychologie menacée non pas par
la science dite officielle, mais par l’absence totale de critique des masses
populaires à son égard.

Pouvoir explicatif illimité et généralisation abusive


Les théories scientifiques sont circonscrites par une ligne de démarcation
au-delà de laquelle elles ne s’appliquent pas. Il en est tout autrement des
théories pseudoscientifiques. Par exemple, les approches thérapeutiques à
connotation nouvelâgiste s’adressent souvent à tous les genres de problèmes.
Par exemple, Callahan, le promoteur de la Thought Field Therapy prétend que
son approche s’adresse non seulement aux adultes, mais également « aux
chevaux, aux chiens, aux chats, aux enfants et aux très jeunes enfants » (2001,
p. 1255) !
Nous avons également insisté dans le chapitre 1, en évoquant le large
spectre des explications psychanalytiques, sur le fait qu’une hypothèse est nulle
si elle est nécessairement compatible avec toutes observations possibles. C’est
ce que fait Fecteau (2005) dans son ouvrage, Télépathie, l’ultime
communication, lorsqu’elle n’hésite pas à considérer que la télépathie est une
faculté universelle.
En effet, non seulement nous serions en communication constante les uns
avec les autres, mais aussi en contact télépathique avec les morts, les animaux, y
compris les insectes, les plantes et même l’eau ! Nous captons des messages
dans les rêves et dans les objets qui absorbent les « vibrations » de certaines
personnes ; le fœtus et sa mère s’échangent des informations, et même des
maladies se transmettent par télépathie (c’est la « télésomatique » !). Ainsi, pour
un tas de phénomènes, il n’y a « qu’une seule explication possible » (p. 71), la
télépathie ! Parmi de très nombreux exemples, citons ce lion qui a « fusionné »
avec un shaman pour lui transmettre des images « de sa race (et) de ce qu’il
ressentait lorsqu’il attaquait une autre bête » (p. 146), ou ce « malaise soudain,
inhabituel, voire inexplicable » (p. 131) qui ne peut par conséquent que
provenir de l’esprit d’une autre personne. Plus encore, constatant la
transmission de comportements appris par imitation chez certains primates (les
macaques du Japon, depuis 1953, lavent leurs patates douces avant de les
manger), on apprend que « la seule hypothèse valable qui ait été avancée » pour
expliquer le phénomène « résidait dans une transmission télépathique entre les
singes des différentes tribus » (p. 153) (Larivée & Filiatrault, 2006).
La généralisation abusive est un paralogisme qui découle d’une mauvaise
utilisation du raisonnement inductif s’appuyant essentiellement sur l’anecdote
ou le témoignage. Par exemple, quelqu’un défendra l’usage de l’homéopathie
sous prétexte qu’à chaque fois qu’il prend quelques granules, il se sent mieux,
oubliant du coup les explications alternatives et ceux chez qui les granules
n’ont aucun effet. Des fervents de l’astrologie concluent, à partir de quelques
cas, que les individus nés sous le signe du « scorpion » ont telles ou telles
caractéristiques. Certaines généralisations abusives font presque partie des
croyances populaires ; par exemple, tous les politiciens sont corrompus. On
aura compris ici que les généralisations abusives sont à la base des préjugés,
eux-mêmes facilités par le fait, comme nous l’avons vu au chapitre 3 que le
cerveau humain est une machine à fabriquer du sens. Dans tous les cas, tout
citoyen, à défaut d’être informé de la théorie de l’échantillonnage et de la
notion d’inférence statistique, devrait au moins s’enquérir si les cas cités sont
en nombre suffisant et représentatif de la population.

Utilisation d’un langage « maison » hermétique et de jeux de


langage
Le discours des partisans d’approches pseudoscientifiques n’est souvent
qu’un jargon technique spécialisé. Ils jettent ainsi de la poudre aux yeux pour
mieux cacher ce que Van Rillaer (1981) appelle des stratégies de
dissimulations. Ce faisant, comme il n’y a rien à voir et qu’ils sont les seuls à se
comprendre, ils peuvent, devant les néophytes, clamer haut et fort le caractère
scientifique de leur approche. À cet égard, Sokal et Bricmont (1997) ont entre
autres choses reproché à certains psychanalystes de manipuler des phrases
dénuées de sens et de se livrer « à des jeux de langage qui donnent lieu à une
véritable intoxication par les mots combinée à une superbe indifférence pour
leur signification habituelle » (p. 15).
Ils répandent ainsi leur façon de voir en empruntant une part de leur
vocabulaire à la vie quotidienne tout en réservant aux initiés le sens profond,
mais néanmoins arbitraire, des textes fondateurs. De plus, peu soucieux du fait
qu’un mot se révèle d’autant plus pauvre en informations qu’il est riche de sens
divers, les écrits lacaniens, entre autres abus (voir chapitre 4) en privilégient
certains, auxquels ils attribuent de multiples significations, augmentant ainsi
une confusion qu’ils restent évidemment les seuls à pouvoir élucider. Leurs jeux
d’homonymes, leur manie des termes allemands cités inutilement, la
surenchère des guillemets, l’abus de majuscules (l’Autre, le Sujet, etc.) et les
traits d’union décomposent les mots accentuant le caractère impénétrable de
leur savoir singulier, sinon impérialiste ou, pire, ésotérique. Le problème du
sens multiple attribué à un même mot revient d’ailleurs dans les critiques de la
psychanalyse depuis son origine. Dès les premières décennies du XXe siècle, des
auteurs avaient noté cet artifice discursif, le dénonçant comme un procédé
frauduleux, apte à mystifier (voir Encadré 13).

ENCADRÉ 13. DEUX PROPOS ANCIENS (1916 ET 1920) ENCORE ACTUELS.

« Une bonne partie de la combine, pour amener le domaine neuromédical vers le freudisme,
consiste à attribuer plusieurs significations différentes à un même mot. Le terme que j’évoque –
libido – fut d’abord utilisé dans son sens réel, mais dans les formes plus récentes de la doctrine,
il en est venu à signifier (entre autres) les concepts de « nature inconnue », d’énergie de vie
hypothétique, « d’énergie cosmique ou de désir » et aussi (bien sûr !) l’élan vital de Bergson.
[…] Une fois que l’on s’est convaincu qu’un mot, ayant au départ une signification bien
connue, peut facilement signifier n’importe quoi d’autre, il n’y aura manifestement aucune
difficulté pour prouver tout ce que l’on veut » (Ladd-Franklin, 1916, pp. 373-374).
« Le faux raisonnement utilisant deux sens différents d’un même mot débouche sur l’erreur
logique très bien connue de l’ambiguïté du moyen terme : une des astuces préférées de la
grande confrérie des penseurs malhonnêtes. En insistant tantôt sur l’autre, ou peut facilement
exécuter des sauts équivoques et appliquer un raisonnement ayant une bien plus grande portée
que ce que la logique pure autoriserait autrement. […] Lorsque le Freudien recourt à
l’ambiguïté du moyen terme dans ses analyses, il aboutit à des interprétations captieuses
répondant à son désir de disposer d’un savoir facile et définitif qui le dispense de rechercher
une véritable explication scientifique » (Dunlap, 1920, p. 97).

Humpty Dumpty dialoguant avec Alice à propos du terme « gloire »


constitue un exemple type des jeux de langage qui visent évidemment à
procurer à leurs utilisateurs, une position de dominance, payée et respectée.
– Je ne sais ce que vous entendez par « gloire » , dit Alice. Humpty Dumpty
sourit d’un air méprisant.
– Bien sûr que vous ne le savez pas, puisque je ne vous l’ai pas encore expliqué.
J’entendais par là : « Voilà pour vous un bel argument sans réplique ! »
– Mais « gloire » ne signifie pas « un bel argument sans réplique », objecta
Alice.
– Lorsque moi j’emploie un mot, répliqua Humpty Dumpty d’un ton de voix
quelque peu dédaigneux, il signifie exactement ce qu’il me plaît qu’il signifie… ni
plus, ni moins.
– La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les
mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire.
– La question, riposta Humpty Dumpty, est de savoir qui sera le maître… un
point, c’est tout (Carroll, 1971, p. 157 et 159).
Aux lecteurs qui pensent que les élucubrations lacano-freudiennes sont choses
du passé, je leur suggère de relire le chapitre 4.

Raisonnement circulaire
Le raisonnement circulaire, appelé également tautologie, consiste au sens
propre du terme à tourner en rond. Ce raisonnement est particulièrement
manifeste chez les croyants. Examinons la conversation suivante (Shermer,
2002 ; voir aussi Baillargeon, 2002).
– Dieu existe-t-il ?
– Oui !
– Comment le savez-vous ?
– Parce que la Bible le dit !
– Comment savez-vous que la Bible ne se trompe pas ?
– Parce qu’elle est inspirée par Dieu !
Autrement dit, Dieu existe parce que Dieu existe.
On objectera qu’en science, il y a également des raisonnements tautologiques.
Par exemple, qu’est-ce que la gravité ? La tendance des objets d’être attirés entre
eux. Pourquoi en est-il ainsi ? À cause de la gravité. Dans certains cas, une
définition tautologique opérationnelle peut être utile. Il s’agit dès lors de
construire une définition opérationnelle testable.

Le recours à Galilée
Devant la mise en doute de leur théorie ou de leur approche, certains
pseudoscientifiques recourent facilement aux déboires de Galilée. À les suivre,
on a l’impression que tous ceux qui ne sont pas reconnus sont victimes
d’obscurantisme. Il peut certes arriver qu’une nouvelle théorie soit ridiculisée
ou sujette à une forte opposition avant d’être finalement acceptée. Mais cette
séquence est loin d’être le lot de toutes les théories. Par exemple, la théorie
d’Einstein fût largement ignorée jusqu’en 1919, c’est-à-dire jusqu’au moment
où des preuves de sa justesse furent établies sans qu’elle soit ridiculisée, hormis
bien sûr par l’Église. La communauté scientifique ne peut s’attarder à tester
toutes les affirmations fantaisistes des uns et des autres. En fait, la règle est si
quelqu’un veut faire de la science, il doit en respecter les règles du jeu (Hall,
2009). Cela implique par exemple de présenter ses résultats dans des congrès
appropriés et les soumettre à la critique dans des revues scientifiques avec
comité de lecture. Éviter toute critique et surtout interpréter toute critique de
ses travaux comme une attaque personnelle devient suspect. Qui plus est
l’émergence d’une théorie sans référence à des points de vue critiques augmente
la probabilité d’une succession de résultats « positifs ». Or, la science ne
progresse-t-elle par corrections d’erreurs ?

Le messager est plus important que le message


Compte tenu de la quantité d’informations à laquelle nous sommes
soumis, nous devons tenir pour acquis un grand nombre de faits dans
différents domaines sur la base de l’avis des experts. Un même individu ne peut
en effet tout connaître en vérifiant tout par lui-même. Toutefois, comme on l’a
vu précédemment (chapitre 3), le recours à l’autorité comme mode de
connaissance peut avoir des effets pervers. Deux utilisations particulièrement
prisées par les défenseurs des pseudosciences doivent être à ce titre dénoncées,
et ce, d’autant plus qu’il n’y a pas de faits vérifiés auxquels se référer. La
première consiste tout simplement à considérer les paroles de l’autorité comme
la vérité absolue et définitive. La deuxième réside dans la prévalence du
messager sur le contenu du message ce qui est encore plus pernicieux et trahit
carrément un mépris pour l’intelligence. Alors qu’en science le contenu garde
un poids intellectuel plus important que le chercheur, dans le monde de la
croyance (pseudosciences et religions), non seulement le messager l’emporte
sur le contenu, mais plus le contenu s’apparente à la pensée magique, plus le
gourou acquiert de prestige et de pouvoir. Or, ceci est d’autant plus paradoxal
que la pensée magique contrairement à la pensée rationnelle « ne redoute ni
l’obscurité ni les contradictions. Au contraire, on peut même dire que la
difficulté de compréhension et l’ambiguïté des significations sont reçues
comme autant de gages fondamentaux de l’authenticité et de la profondeur
d’une connaissance » (Broch, 1985, p. 164). La psychanalyse, particulièrement
celle de Lacan, est à cet égard passée maître dans l’art de manier l’ambiguïté.
Si vous connaissez un gourou dépourvu de charisme dont le discours est
compréhensible et empiriquement fondé, il m’intéresse. Même à l’université,
les étudiants regrettent que leurs professeurs ne soient pas de meilleurs
gourous ! Et pourtant, en tant qu’enseignants, nous savons pertinemment que
nous pouvons à la fois être « ennuyants » et présenter un contenu intéressant.

Le renversement du fardeau de la preuve


En affirmant que « tout est possible », les pseudoscientifiques cherchent à
mettre le fardeau de la preuve sur la science : si la communauté scientifique ne
peut prouver qu’une théorie est fausse, alors elle est sérieuse. Et cela permet
tous les sophismes, dont celui-ci que nous empruntons à Broch (1985).
– « Pouvez-vous me prouver que cela n’existe pas ?
– Non.
– Donc cela existe ! »
Que quelque chose ne soit pas impossible ne prouve nullement son
existence. Les tenants des pseudosciences oublient que non seulement en
sciences, mais aussi dans la vie de tous les jours, le fardeau de la preuve repose
toujours sur les épaules de celui qui affirme. Les défendeurs des pseudosciences
négligent souvent ce principe et demandent plutôt aux sceptiques de leur
démontrer la fausseté de leurs propositions. Ils se comportent comme si le fait
de ne pas prouver qu’une théorie est fausse la rend ipso facto valide. Pour se
situer dans les paramètres de la science et de la simple logique, les faits
rapportés par les pseudoscientifiques doivent être réels, observables et
mesurables. De plus, si quelqu’un va à l’encontre des théories établies et
largement acceptées, il doit convaincre la majorité qu’il a raison. Par exemple,
si à l’époque de Darwin, le fardeau de la preuve revenait aux défenseurs de la
théorie de l’évolution, actuellement le fardeau de la preuve revient aux
créationnistes. La présomption d’innocence ne s’applique pas en science. Enfin,
comme on l’a vu précédemment, plus l’allégation est extraordinaire, plus la
preuve doit être solide, ce qui se traduit souvent par une exigence indiscutable,
la reproduction du résultat.
Discutant un jour avec une féministe convaincue, celle-ci alla jusqu’à affirmer
que si les lois qui régissent l’univers avaient été trouvées par une femme, elles
seraient probablement différentes. Surpris d’une telle affirmation, je lui suggère
de vérifier sur le champ la loi de la gravité. Elle saute la première de l’immeuble
de dix étages dans lequel nous nous trouvons, si elle s’envole au lieu de tomber,
je saute. La réponse ne se fit pas attendre : « de toute évidence, vous ne faites
guère preuve d’ouverture d’esprit ». La distinction entre un esprit troué et un
esprit ouvert ne s’impose-t-elle pas ici ?

La science n’explique pas tout


« La science n’explique pas tout » clament les défenseurs des
pseudosciences ! Bien sûr, mais où est le problème ? Il n’y a aucune raison de
penser que la science doive répondre à toutes les questions. Qui plus est,
l’existence de phénomènes inexpliqués reste tout à fait prévisible, et c’est
l’inverse qui serait surprenant. Néanmoins, l’absence d’explication d’un
phénomène n’implique nullement qu’il soit ipso facto de nature paranormale.
« Le problème est qu’il est relativement facile de trouver toute une série de
réponses cohérentes à presque n’importe quelle question, mais qu’il est difficile,
en l’absence de vérifications empiriques, de savoir laquelle est la bonne »
(Bricmont, 2000, p. 136).
Comme la science n’explique pas tout, elle ne nous procure qu’une
connaissance partielle de la réalité. Cet accès partiel à la connaissance, avancent
les tenants des pseudosciences, peut être non seulement complété par les
approches paranormales, mais celles-ci, argumente-t-on, donneraient accès à
des connaissances d’un autre ordre. Ce raisonnement est source de confusion.
En effet, les savoirs de la vie courante ne sont pas scientifiques au sens strict du
terme, ce qui ne nous empêche pas de viser à les rendre le plus proche possible
de la réalité à l’aide de raisonnements, d’observations et d’expériences. Bref, la
science n’explique pas tout et n’en a pas la prétention. Qu’il y ait des
phénomènes ou des réalités que les outils de la science ne peuvent pas percer
pour des raisons diverses est une évidence. Parler de connaissances lorsqu’on
cherche à expliquer ces phénomènes à l’aide d’approches dites alternatives, c’est
utiliser un vocabulaire inapproprié.
La démarche paranormale n’a que faire de ce contre-argument et revient à la
charge en utilisant la subjectivité de tout un chacun. « Ne sentez-vous pas qu’il
y a là quelque chose qui vous dépasse ? » Et voilà que les mille et une approches
du paranormal se pointent avec leurs réponses respectives. Et, sauf quelques
rares exceptions encore une fois, il n’y a aucun moyen de trancher entre elles
puisque leurs défenseurs refusent de se soumettre au verdict des faits.
Autrement dit, les faits objectivables ne les intéressent pas, seule leur opinion a
de la valeur. Et tout cela nous renvoie au règne de l’opinion.

Confusion entre coïncidence, corrélation et causalité


Les défenseurs du paranormal sont passés maîtres dans l’art d’entretenir la
confusion entre les notions de hasard, de coïncidence, de corrélation et de
causalité et d’alimenter cette machine qu’est le cerveau humain à chercher des
explications à tout prix. En fait, ils refusent que des événements puissent
survenir sans une cause qui leur donne du sens. Le hasard devient alors un
pourvoyeur de signification. À l’opposé, la pensée scientifique accepte l’absence
de sens et son corollaire, le doute. Pour ce faire, elle a incorporé le hasard dans
les estimations statistiques et le calcul des probabilités comme moyen de tenir
compte de notre ignorance des causes et de les quantifier (voir Encadré 14).

ENCADRÉ 14. ALLEZ, ON GRATTE !

Lorsque je suis dans une tabagie et qu’il y a beaucoup de personnes qui attendent pour payer,
j’achète un billet de loterie qu’il suffit de gratter pour savoir si l’on gagne. Je le paye et je
demande à la personne qui me suit si elle veut bien le gratter ; je lui annonce également que si
elle gagne, je lui laisse tout. J’ai tenté l’expérience une quinzaine de fois et à chaque occasion la
panique s’installe et… évidemment personne ne gagne. Il y a eu tout de même deux exceptions
à ce scénario.
Dans le premier cas, il s’agit d’un homme d’une soixantaine d’années qui gagne un billet
gratuit. Tout surpris, il se demande ce qu’il doit faire. Je lui rappelle qu’à la suite de notre
entente, le billet lui appartient. Interloqué, il me dit que s’il gagne un montant d’argent, il
m’en donne la moitié. Résultat : rien. Nous sortons ensemble de la tabagie. Il me confie que
c’est la première fois de sa vie que quelqu’un pose un geste gratuit à son égard. La tristesse de
son propos m’a touché. Je marchai quelques instants à ses côtés, puis je le saluai
chaleureusement.
L’atmosphère du second cas est tout à fait différente. Un dimanche matin, je suis à la
pharmacie (au Québec, on y vend également des billets de loterie). Lorsque je viens pour payer
mes achats, je constate qu’il y a derrière moi une dizaine de personnes âgées. Je me dis alors
« voilà une situation idéale pour le coup du billet à gratter ». Je fais donc ma demande à la
vieille dame qui me suit. Sa réponse fût instantanée : « Jeune homme, si vous pensez que nous
les personnes âgées on est juste bonnes pour gratter des billets de loterie, vous vous trompez ! »
Devant son propos sans appel, aucune des personnes âgées n’osa gratter mon billet. J’ai dû le
gratter. Résultat : rien.

La confusion dont font l’objet les notions de coïncidence et de hasard tient


probablement au mieux à l’oubli du rôle de la notion de hasard et au pire à son
incompréhension (Durm, 2008 ; Gauvrit, 2009 ; Martin, 1998 ; Stanovich,
2009). Les travaux piagétiens concernant La genèse de l’idée de hasard chez
l’enfant (Piaget & Inhelder, 1951) ont clairement mis en évidence que la
notion de probabilité n’est pas acquise avant l’adolescence. Des travaux
subséquents ont par la suite montré que près de 50 % de la population adulte
ne maîtrisent pas cette notion (Bond, 1998 ; Larivée, 1986, 2007a). Un tel
constat est une aubaine pour les loteries et les casinos de tous les pays qui
tomberaient peut-être en faillite si tous les citoyens comprenaient bien les lois
du hasard. L’impression de pouvoir battre le hasard n’est toutefois pas
seulement reliée au manque d’habiletés cognitives. L’affectivité et les fausses
croyances y sont aussi pour quelque chose : « Je suis dû pour gagner, je le
sens ». « J’ai perdu dix fois de suite, celle-ci sera la bonne ». « Cette machine n’a
jamais donné le gros lot, il faudra bien que son heure arrive ».
La chute d’une tuile qui tombe sur la tête d’un passant constitue l’exemple
classique de ce qu’est le hasard, la coïncidence fortuite d’événements
totalement indépendants les uns des autres. Autrement dit, les raisons de la
chute de la tuile et la présence du passant sont deux événements totalement
indépendants l’un de l’autre. Mais l’esprit a quand même besoin de trouver
une explication à cette situation totalement accidentelle (sans jeu de mots). On
invoque alors le destin, la fatalité, etc. (Lecomte, 1992). Les rêves
prémonitoires constituent un autre exemple de non-compréhension de la
notion de hasard. Sur les milliards de rêves qui ont cours quotidiennement, il
est inévitable que le contenu de quelques-uns coïncide avec des événements qui
se produiront (Alcock, 1989 ; Charpak & Broch, 2002 ; Lett, 1992).
Préoccupés de trouver des causes à ce qui leur arrive, les humains abusent en
quelque sorte des relations de cause à effet, même en leur absence.
Quatre cas de figure illustrent la difficulté à différencier coïncidence,
corrélation et causalité : la corrélation illusoire, la confusion entre cause et
corrélation, la direction de l’interprétation et l’intervention possible d’une
troisième variable.
• La corrélation illusoire. La difficulté de comprendre la notion de
corrélation peut nous porter à conclure tout à fait à tort à la présence d’une
corrélation positive entre deux éléments. Par exemple, un groupe d’infirmières
reçoit un paquet de cent fiches sur lesquelles sont inscrites deux variables :
présence (+S) ou absence (-S) de symptômes et présence (+M) ou absence (-M)
de maladie. Elles ont à déterminer s’il y a un lien entre les symptômes et la
maladie à partir des informations suivantes :
37 ont +S et +M
33 ont -S et +M
17 ont +S et -M
13 ont -S et-M
La majorité des infirmières (85 %) ont conclu à la présence d’une telle
corrélation sur la base des 37 cartes marquées +S et +M alors qu’elles ont
ignoré que 50 % des cartes affichent une corrélation négative (Lecomte, 1992).
• Confusion entre cause et corrélation. Alors que les étudiants en sciences
dures n’ont pas de manuels pour apprendre à faire de la recherche, la plupart
des ouvrages consacrés aux méthodes de recherche en sciences humaines et
sociales rivalisent d’ingéniosité pour faire comprendre aux étudiants que la
corrélation entre deux phénomènes ou deux variables indique seulement leur
degré de cooccurrence et ne fournit aucune information quant à la cause ou
l’effet de l’un sur l’autre. Autrement dit, on ne peut pas d’emblée passer du
constat d’une relation statistique à une imputation causale, comme le
suggèrent les exemples suivants (Reuchlin, 1992) :
– Un enquêteur du ministère des Transports remarque que les collisions
entre les voitures sont en général précédées d’un violent coup de frein.
– Un enquêteur du ministère de la Santé observe une corrélation entre le
nombre de visites effectuées par un médecin au domicile d’un malade et la
gravité de la maladie.
Si les deux enquêteurs confondent cause et corrélation, ils pourraient, dans
le premier cas, suggérer de supprimer les freins pour diminuer le nombre de
collisions et, dans le second cas, conseiller au médecin d’espacer ses visites !
• La direction de l’interprétation ou confondre la cause et l’effet. La corrélation
entre exercice physique et bonne santé cardio-vasculaire est largement
démontrée et nous en déduisons que le premier est la cause du second.
Pourtant, on peut également penser que les individus dotés d’un bon système
cardiovasculaire soient naturellement plus attirés par les activités sportives que
les autres (Klatzman, 1985).
• L’intervention d’une troisième variable. L’exemple classique de la corrélation
positive élevée entre le nombre d’églises dans une ville et le nombre de crimes
commis dans cette ville illustre bien cette autre difficulté. Peut-on dès lors
conclure que la pratique religieuse incite aux crimes ou que les activités
criminelles incitent à la pratique religieuse ? Bien sûr que non… à moins qu’on
prenne en considération les nombreux conflits armés à connotation religieuse.
Quoi qu’il en soit, la relation obtenue dans notre exemple est tout simplement
attribuable à une troisième variable : le nombre d’habitants.

La doctrine des vérités multiples : la version ésotérique du


relativisme cognitif
« Des idées mutuellement contradictoires peuvent être simultanément
vraies » (Bricmont, 2000, p. 146), telle est la doctrine des vérités multiples.
Lors d’une consultation « multidivinatoire », un numérologue et un astrologue
ne verraient probablement aucun problème à la présence de divergences ou de
contradictions dans leurs avis respectifs. Il en est de même pour les croyances :
que je sois un adepte du New Age, de Raël ou de Krishna, que je croie à la
réincarnation ou à la vie après la mort, peu importe. Chacune des vues est vraie
pour celui qui y croit. Voilà une position bien dangereuse qui calque le
relativisme cognitif au plan épistémologique et abuse du constructivisme au
plan pédagogique.
La doctrine des vérités multiples et du relativisme cognitif est dangereuse
au plan social et politique « parce qu’elle sous-estime l’importance de la notion
de vérité objective, indépendante des désirs et des choix subjectifs :
lorsqu’aucun critère objectif n’est disponible pour départager des opinions
contradictoires, il ne reste que la force et la violence pour régler les différends »
(Bricmont, 2000, p. 147). De plus, poussée à l’extrême, la confusion entre le
vrai et le faux, le juste et l’injuste, risque de valider tous les comportements et
toutes les idées, y compris le sexisme, le racisme, le totalitarisme, etc. Si la
science n’est qu’un discours parmi d’autres, au nom de quoi combat-on les
idées fausses, les erreurs de jugement ou les horreurs de certains types de
pouvoir, sur quel fondement propose-t-on des solutions aux problèmes de la
société ? Au plan scientifique, faute de pouvoir « juger une théorie autrement
qu’en évaluant le nombre, la foi et la puissance vocale de ses partisans, ce qui
est particulièrement vrai dans les sciences sociales […] la vérité se trouverait
dans le pouvoir » (Lakatos, 1979, p. 93) et le progrès scientifique consisterait
essentiellement à rallier le camp du plus fort. L’acceptation d’un relativisme pur
et dur conduit directement à l’élimination des critères susceptibles d’évaluer la
valeur scientifique d’une théorie. En mettant la science sur le même pied que
les mythes, la superstition, l’astrologie, etc., on nie ipso facto que la quête de la
vérité objective puisse constituer un des objectifs de la recherche (Bogohsian,
1997).
Par ailleurs, le constructivisme n’est jamais bien loin du relativisme et, à
l’instar des relativistes, les constructivistes comptent aussi leurs radicaux et leurs
modérés. À en croire les radicaux, la réalité objective n’existe pas, tout est pure
construction sociale. Pourtant, la nature constructiviste qui se dégage de la
genèse des systèmes normatifs de l’intelligence humaine élaborée par Piaget et
ses collègues servira à montrer qu’un constructivisme modéré peut faire bon
ménage avec la notion de réalité objective. S’il est vrai que chaque enfant
reconstruit graduellement le réel pour lui-même, il serait faux de prétendre
qu’il reconstruit un réel qui lui appartient en propre. L’intérêt des travaux de
l’école genevoise est d’avoir en quelque sorte balisé les normes de construction.
Ainsi, hormis certains cas pathologiques, tout enfant normal maîtrisera les
schèmes cognitifs nécessaires à son adaptation à la réalité. Ainsi, ce n’est pas
parce que les enfants d’un certain âge dessinent des cheminées penchées que les
cheminées droites n’existent pas. Les représentations successives de la réalité qui
jalonnent le développement cognitif de l’enfant ont un statut temporaire et
l’objectivité prendra graduellement le dessus.
L’anthropologie n’est pas sans prêter elle aussi au relativisme « naturel »
comme en témoigne le conflit entre deux visions de l’origine des populations
amérindiennes : la conception scientifique appuyée sur des données
archéologiques et une autre offerte par des mythes créationnistes amérindiens.
Selon l’explication archéologique, largement documentée, les premiers
« Amérindiens » sont venus d’Asie il y a 10 000 ans en passant par le détroit de
Behring. Selon certaines explications amérindiennes, ils vivent en Amérique
depuis que leurs ancêtres ont émergé d’un monde souterrain peuplé d’esprits
vers la surface du continent.
Un article paru en première page du New York Times du 22 octobre 1996
illustre les possibles dérives relativistes. Roger Anyon, un archéologue
britannique, aurait déclaré : « la science est simplement une des façons de
connaître le monde ; […] (la vision du monde des Zunis) est aussi valable que
le point de vue archéologique de la préhistoire ». Comment deux théories
contradictoires peuvent-elles être également valables ? Il m’a toujours semblé
que, selon le principe de non-contradiction, un mur ne peut pas à la fois être
blanc et non blanc. Qu’un individu perçoive le mur noir et que j’en tienne
compte lorsque je le côtoie, ne change rien à la blancheur du mur. De la même
manière, on peut avoir des sympathies culturelles et défendre les revendications
légitimes de ceux qui ont survécu à un génocide sans pour autant adhérer aux
mythes créationnistes. En fait, alors que la méthode scientifique cherche à
donner une description la plus précise possible de la réalité, le mythe zuni
appartient à la croyance religieuse et relève de la constitution d’une identité
culturelle.

Évitement du processus d’évaluation par les pairs


Plusieurs défenseurs des pseudosciences évitent de soumettre leurs travaux
au processus d’évaluation par les pairs, un des mécanismes d’autocontrôle de
l’activité scientifique. Ce mécanisme permet entre autres d’évaluer la qualité
scientifique du texte (tant au plan théorique que méthodologique) ainsi que la
nouveauté des données présentées. Les pseudoscientifiques justifient leur
décision de bouder ce processus en invoquant la partialité de la science
officielle ou en prétextant que leur démarche ne peut être évaluée selon les
standards de la démarche scientifique. En refusant de suivre les règles du jeu de
la science, les pseudoscientifiques non seulement ratent-ils une occasion d’être
renseignés sur la valeur de leurs travaux, mais s’excluent eux-mêmes du monde
de la science. Leurs travaux se retrouvent alors soit dans les rayons des librairies
consacrés au paranormal, au nouvel-âge et à l’ésotérisme, soit sur des sites
Internet (voir 3.2). Dans le cas d’Internet, ils peuvent à souhait promouvoir les
mérites de leur approche laissant du même coup à l’internaute la responsabilité
de séparer le bon grain de l’ivraie (voir chapitre 1 pour plus d’informations sur
l’évaluation par les pairs).
Même si le processus d’évaluation par les pairs n’est pas parfait, il demeure le
meilleur mécanisme d’autocorrection en science en ce qu’il permet d’identifier
les erreurs au niveau du raisonnement, des analyses et des méthodes utilisées.
Le processus d’évaluation par les pairs n’est pas nécessairement un processus
rigide. De plus en plus d’éditeurs de revues scientifiques offrent aux auteurs,
lorsque le texte n’est pas refusé, l’opportunité de répondre aux critiques des
évaluateurs et si leurs arguments sont convaincants, l’éditeur accepte dans la
majorité des cas de publier leur manuscrit.

Accent mis sur la confirmation plutôt que sur la réfutation


Les propos développés ici font référence au critère de réfutabilité présenté
dans le chapitre 1. Rappelons que la communauté scientifique considère le
critère de réfutabilité de Popper (1973 ; Bouveresse, 1981 ; Chalmers, 1987)
comme le critère par excellence pour juger du caractère scientifique d’une
théorie. Pour Popper, la démarche scientifique ne vise pas à prouver le bien-
fondé d’une théorie, mais à multiplier les expériences susceptibles de
démontrer qu’elle est fausse. Les théories qui résistent peuvent alors être jugées
temporairement non fausses, les théories scientifiques, du moins en sciences
humaines et sociales, étant presque par définition biodégradables.
Pour mettre une hypothèse à l’épreuve des faits, il s’agit de
l’opérationnaliser, c’est-à-dire de la traduire en éléments mesurables de manière
à obtenir un contenu observable. Conséquemment, une hypothèse ou un
énoncé qui se réclame de la science doit être réfutable, c’est-à-dire qu’il existe
au moins une façon de prouver sa fausseté. Or, les pseudoscientifiques sont
tellement préoccupés de prouver ce en quoi ils croient qu’ils oublient de
vérifier la possibilité de démontrer que leur croyance est fausse. Remarquons au
passage que les scientifiques ne sont pas nécessairement immunisés comme
cette tendance.
Le critère de réfutabilité marque en fait la frontière entre les théories
scientifiques et les théories non scientifiques. Qui plus est, en acceptant le
principe de la discussion critique, la science est, à notre connaissance, le seul
domaine où les hommes raisonnables ont l’occasion de se mettre d’accord ou
de changer d’avis quand de nouveaux faits ou des révisions de faits impliquent
de nouvelles preuves qui conduisent à réviser les théories en place.
Autrement dit, au lieu de vouloir à tout prix confirmer ses théories, le
scientifique cherche plutôt à les mettre à l’épreuve et à trouver des faits qui les
contredisent, essayant ainsi d’appliquer, autant que faire se peut, le critère de
réfutabilité de Popper (1973). La tendance naturelle n’est toutefois pas
d’utiliser un tel critère pour démontrer son point de vue et vérifier ses
hypothèses, mais plutôt de démontrer ce qui doit être vrai et d’invalider ce qui
doit être faux dans sa perspective. Cette tendance naturelle, que Tschirgi
(1980) appelle « sensible reasoning » (i.e. un raisonnement à base
principalement d’intuition et de gros bon sens), risque d’être renforcée chez les
cliniciens du fait qu’un bon clinicien « sent » habituellement « les choses », ce
qui peut rendre à ses yeux toute démarche d’expérimentation systématique
superflue. On comprendra alors la difficulté pour le thérapeute de résister au
puissant sentiment d’évidence que procure l’apparition des faits compatibles
avec la théorie à laquelle il adhère. Et en situation clinique, n’est-il pas toujours
possible de trouver le cas ou le fait justifiant sa théorie ? « Faites-moi une
théorie, n’importe laquelle si vous voulez, je vous trouverai toujours le type de
patients qui pourra le justifier. Mais il s’agit alors d’une démarche idéologique
qui cherche à confirmer le postulat plutôt qu’à le réfuter » (Cyrulnik, 1983,
p. 292).
Dans cette perspective, les cliniciens consciemment ou involontairement
peuvent avoir tendance à sélectionner les informations qui appuient leurs
hypothèses tout en délaissant celles qui les contredisent. Par exemple, à la suite
d’un visionnement d’une première séance de consultation, on a demandé à des
étudiants gradués en psychologie de dresser la liste des questions qu’ils
souhaiteraient poser à leur client. Haverkamp (1993) a alors montré que 64 %
des questions tendaient à confirmer leurs impressions sur le client, 21 %
étaient neutres et 15 % ne tendaient pas à les confirmer. Un des dangers est
alors qu’au fil des rencontres, parce qu’ils ne cherchent pas activement à
remettre en question ce qui leur apparaît comme une évidence, leur perception
initiale reste inchangée. L’étude déjà ancienne de Gauron et Dickinson (1969)
illustre bien ce phénomène. Les auteurs ont demandé à des psychiatres de
porter des diagnostics sur la base d’entrevues filmées sur vidéo. De 30 à 60
secondes de visionnement ont suffi à plusieurs d’entre eux pour poser leur
diagnostic. La majorité des psychiatres qui, par la suite, ont vu leur diagnostic
infirmé n’a pas changé d’avis préférant réinterpréter les nouvelles données pour
les rendre conformes à leur diagnostic initial, une tendance naturelle que la
démarche scientifique tend à juguler. Ce faisant, ils se comportent exactement
de la même manière que les pseudoscientifiques qui réinterprètent les résultats
négatifs comme une confirmation de leurs théories (Bunge, 1967 ; Herbert et
al., 2000) ou se comportent comme dans les histoires de pêche : ils exagèrent la
grosseur de leurs prises et négligent leurs échecs ou leur trouvent de « bonnes
excuses ».
La pensée scientifique étant autocorrectrice, les scientifiques acceptent
généralement le caractère biodégradable de leurs théories. Autrement dit, les
scientifiques sont d’accord pour changer d’avis si on leur démontre qu’ils se
trompent. Les formes de pensée ouvertes aux modifications ou même à
l’abandon de construits théoriques en fonction d’arguments adverses, et les
formes de pensée fermées sur elles-mêmes et sourdes à toute contestation
critique sont irréconciliables (Quillot, 1994). Woodward et Goodstein (1996)
réaffirment même l’importance du critère de réfutabilité pour aider à détecter
les fraudes scientifiques et à distinguer la bonne science de la mauvaise science.
Le fonctionnement des approches pseudoscientifiques leur donne tout à fait
raison. Dans cette perspective, la valeur d’une théorie ou d’une hypothèse reste
nulle si sa formulation est nécessairement compatible avec toutes les
observations ultérieures possibles : non réfutable, elle n’explique donc rien.

Usage excessif d’hypothèses ad hoc en vue de se soustraire à la


réfutabilité
Invoquer à l’occasion des hypothèses ad hoc pour expliquer des résultats
négatifs est compatible avec la démarche scientifique si on tente de les vérifier
par la suite. Cependant, y avoir sans cesse recours pour expliquer des résultats
négatifs, comme le font les défenseurs des pseudosciences, constitue une
tactique pour se prémunir contre d’éventuelles réfutations. En fait, les
pseudoscientifiques présentent une grande parenté avec la race féline ; à l’instar
des chats, ils retombent toujours sur leurs pattes.

Détournement du vocabulaire scientifique


Un des procédés les plus utilisés par les défenseurs du paranormal pour
assurer leur crédibilité est d’utiliser un vocabulaire emprunté à la science en
truffant leurs discours de mots scientifiques tout en occultant le fait qu’ils
passent outre la démarche scientifique (Hill, 2012). À titre d’exemple, voici des
extraits d’un article de Bénatouil (1981) « Intuition et révélation » publié dans
Le Monde inconnu : « Si les ondes de toutes natures sont connues, depuis celles
formées par la lumière sur une tache d’huile, d’autres sur le bitume, les ondes
sonores radio, etc., il y a celles nettement plus fines (ultrasons et autres)
qu’aucun appareil ne peut capter ni émettre et qui sont les ondes mystérieuses
qui suscitent les premières plus grossières » (p. 25). On apprend en outre que
« des particules fantômes, invisibles, voire inexistantes, donc purement
spirituelles, sont néanmoins présentes ; elles parcourent et animent toute
l’humanité, elles sont comme l’Esprit des choses » (p. 25). L’article de
Benatouil se termine dans une sorte de confusion scientifico-religieuse « où
l’esprit du savant atteint le sublime, c’est lorsque ses analyses parviennent aux
limites du laboratoire pour pénétrer dans le domaine de l’invisible, le royaume
du supracosmique. Le génie humain a été créé pour communiquer avec l’au-
delà et devenir l’interlocuteur valable de l’Esprit Suprême, du Créateur
Universel » (p. 28). Que dire de plus ?
Comme on l’a vu précédemment, la physique quantique reste également
une source privilégiée des pseudoscientifiques intéressés aux approches
orientales. Il s’agit alors d’expliquer les phénomènes paranormaux « en
s’appuyant sur des interprétations extrêmes de la physique quantique et de
valoriser, par opposition à la connaissance scientifique telle qu’elle est édifiée en
Occident depuis la Renaissance, les approches mystiques de l’univers et les
philosophies orientales » (Rouzé, 1981, p. 76). En fait, les quanta sont
invoqués pour cautionner la télépathie, la précognition et les phénomènes
paranormaux. Autrement dit, on recourt à « une incertitude théorique, mais
rationnelle, pour habiller une conviction irrationnelle » (Rouzé, 1981, p. 74).
Une variante de ce procédé consiste à prétendre au statut scientifique du
seul fait d’emprunter au langage scientifique comme en témoigne Antonio
Maddin, médium voyant qui dirige le Centre chrétien de parapsychologie à
Rome. Celui-ci applique sans vergogne le vocabulaire médical usuel « pour
expliciter les diverses techniques de sa magie curative : les croyances sont
comme des radiographies, les exorcismes extraient le mal comme de véritables
opérations chirurgicales » (Charuty, 1990, p. 50 et 52).
Auteur du Traité de médecine astrologique, Michaud, médecin et
homéopathe, ne répugne guère à recourir à l’astrologie sur demande. Il estime
son taux de réussite à 75 %. L’astrologie, dit-il, est « fondée sur la loi de
l’analogie comme l’homéopathie sur la loi de la similitude. La cellule, par
exemple, est un univers en miniature » (Mazion, 1985a, p. 76). Dans la même
veine, le psychiatre Joël Boucher soigne ses malades à l’aide des nœuds lunaires.
« Dans chaque thème astral existe un axe modal qui traverse deux des douze
maisons existantes. Leur signification symbolique permet alors de mieux
comprendre la structure psychique qui fait problème. Prenez par exemple un
axe des nœuds orienté maison IV, maison X. En schématisant un peu : le
patient sera à l’aise dans son intimité (maison IV), pourtant on devra l’aider
dans son insertion sociale (maison X). Imaginer un scénario pour passer d’une
maison à l’autre » (Mazion, 1985a, p. 76). Dans ce cas, la complexité de la
structure explicative semble suffire pour faire « scientifique ».
Beloff (1974), un éminent parapsychologue, définit les phénomènes
paranormaux comme des « […] phénomènes qui, sous un aspect ou un autre,
sont en contradiction avec ce que la science reconnaît comme physiquement
possible… » (p. 1). La majorité des défenseurs des approches paranormales
refuseraient probablement de considérer celles-ci comme des pseudosciences,
c’est-à-dire de les voir exclues de l’univers de la science. En revanche, ils
accepteraient probablement d’accorder aux approches qu’ils privilégient le
statut d’une parascience dans la mesure où ce terme désigne un ensemble de
pratiques et de doctrines plus ou moins occultes situé quelque part entre le
savoir et la croyance et qui, bien que rejeté par la science, mérite du moins à
leurs yeux une part de la légitimité de la science stricto sensu (Chevalier, 1986).
Pour parvenir à leurs fins, ils répertorient dans leur système de croyances tantôt
certains concepts des sciences dures, tantôt une part du vocabulaire
scientifique, ou encore des aspects technologiques dérivés de la science.
Cependant, ces tentatives sont loin de convaincre.
Par ailleurs, lorsque les pseudoscientifiques n’utilisent pas un vocabulaire
scientifique, leur discours n’est souvent qu’un jargon technique dit spécialisé
qu’ils sont bien sûr les seuls à comprendre. Cela leur permet alors de clamer
haut et fort devant les néophytes le caractère scientifique de leur approche,
oubliant qu’inventer un concept ne signifie pas qu’il s’incarne dans la réalité.
Pour leur part, les scientifiques peuvent difficilement, particulièrement dans les
débats télévisuels, parler des résultats de leur recherche sans rappeler les bases
de leur démarche et ils doivent le faire en deux minutes ! Or, la démarche
scientifique n’est pas un thème accrocheur, elle demande une abstraction de
pensée qui refuse l’image racoleuse.
Nous ne sommes pas fermés à l’utilisation d’un vocabulaire scientifique en
littérature romanesque. Par exemple, un romancier de science-fiction qui
permet à son héros d’emprunter des passages secrets dans l’espace-temps pour
remonter à l’époque des croisades est tout à fait légitime. On peut aimer ou
non ce genre de littérature, c’est une question de goût. Le problème des
défenseurs du paranormal et des pseudosciences est tout autre. Ils tiennent des
discours qu’ils considèrent tout à fait sérieux puisqu’ils utilisent des concepts
scientifiques provenant principalement des sciences dures comme la physique.
Par ailleurs, lorsqu’ils n’utilisent pas un vocabulaire scientifique, leur discours
n’est souvent qu’un jargon technique supposément spécialisé, qu’ils sont bien
sûr les seuls à comprendre. Cela leur permet alors de clamer haut et fort devant
les néophytes le caractère scientifique de leur approche, oubliant qu’inventer
un concept ne signifie qu’il s’incarne dans la réalité. Ce qui est dénoncé ici
rejoint leur manie d’utiliser un langage « maison » hermétique

Du bon et du mauvais usage du doute : les pseudosceptiques à


l’œuvre
Si la croyance est naturelle à l’homme, le scepticisme ne l’est pas et réclame
un long processus d’apprentissage, sans compter la faible tolérance à
l’ambiguïté de bien des individus, ceux-ci étant plus à l’aise avec des certitudes
même non appuyées par les faits (Carroll, 2011 ; Shermer, 2011). De toute
évidence, le modus operandi des scientifiques ne fait pas le poids face aux
charlatans de tout acabit et aux promoteurs du paranormal. En effet, alors que
les pseudoscientifiques sont certains de leurs assertions, les scientifiques
prônent le doute raisonnable. Cette attitude se traduit entre autres éléments
par un impératif catégorique puissant : pour avoir le statut de scientifique, un
fait découlant de la vérification d’une hypothèse doit avoir été reproduit dans
un laboratoire indépendant. Autrement dit, en sciences les hypothèses doivent
être testables, c’est-à-dire réfutables (Popper, 1973) (voir chapitre 1).
Les tenants du paranormal ont compris que faire appel à la vertu du doute
était rentable même si la caractéristique la plus évidente des pseudosciences est
la crédulité absolue. Toutefois, les promoteurs ont compris l’importance du
doute en science. Pour ce faire, des pseudoscientifiques – des pseudosceptiques
pourrait-on dire – promeuvent le scepticisme à titre de stratégie de
communication (Torcello, 2011, 2012). Leur objectif : combattre la science
par la science en insistant sur ses inévitables incertitudes. En témoignent
éloquemment certains lobbies industriels qui, appuyés par des chercheurs à
leur solde, utilisent les incertitudes inhérentes à la recherche pour créer un
doute raisonnable sur la nocivité du tabac ou les impacts du réchauffement
climatique paralysant ainsi toute velléité de réglementation (Carpio, 2012).
L’industrie des médecines alternatives et complémentaires (MAC) est aussi
passée maître dans l’art de manipuler le pseudoscepticisme. Sous prétexte que
la médecine traditionnelle échoue à traiter certaines maladies, les promoteurs
des MAC misent alors non seulement sur les échecs de la médecine officielle,
mais font également miroiter les bienfaits des MAC5.
Au moins trois facteurs expliquent en partie le succès des marchands de
faux doutes (Oreskes & Conway, 2012). Le premier facteur est inhérent au
fonctionnement même de la science. Non seulement la science ne prône pas de
certitudes, mais elle implique toujours l’incertitude puisqu’elle progresse par
corrections d’erreurs. Le second facteur concerne l’impact des bonnes et des
mauvaises nouvelles. Par exemple, les parents d’un enfant autiste seront
probablement plus heureux de lire un livre dont les auteurs attestent,
« preuves » à l’appui, que leur traitement peut guérir l’autisme, alors que les
spécialistes ne cessent de dire que si des améliorations peuvent survenir,
l’autisme est incurable. On comprend que les parents aient tendance à croire :
une bonne nouvelle qui donne de l’espoir est toujours plus agréable qu’une
mauvaise. Le troisième facteur a trait à la réserve des scientifiques face au
paranormal. Même si certains chercheurs font des efforts pour vulgariser leurs
découvertes, peu s’intéressent au paranormal et lorsqu’ils s’y intéressent, leurs
objections ne rejoignent pas nécessairement le tout-venant. Ce faisant, les
promoteurs des pseudosciences, qui utilisent à qui mieux mieux les médias de
masse, ont le champ libre.
Non seulement les pseudosceptiques utilisent-ils les médias, mais ils
exigent, sous prétexte de présenter tous les faits, que les journalistes présentent
les deux côtés de la médaille (« le pour et le contre »). Fortement ancré dans la
« doctrine de l’équité », l’appel à l’équilibre journalistique veut que les
journalistes consacrent le même temps et le même espace pour tout sujet
controversé d’intérêt public. Or, c’est oublier que l’idée d’un temps de parole
partagé a du sens en politique, mais pas en science, car la science n’est pas une
affaire d’opinion (voir Larivée, 2006). La science s’intéresse aux propositions
qui peuvent être testées dans le cadre d’une démarche rigoureuse et dont les
résultats ont été soumis au processus d’évaluation par les pairs.
L’usage manipulatoire du doute fonctionne en partie parce que le commun
des mortels ne différencie guère les notions de cause et de probabilité
(McGervey, 1986 ; Nickerson, 2004 ; Stanovich, 2009). Par exemple, la
présence d’une forte corrélation entre le cancer du poumon et la cigarette fait
conclure à plusieurs que si un individu fume, il aura nécessairement le cancer
du poumon, confondant ainsi cause et probabilité. Invoquer le doute pour
défendre le paranormal fonctionne également parce que les gens sont portés à
penser que la démarche scientifique débouche nécessairement sur des
certitudes, ce qui n’est pas le cas. En fait, comme la science n’explique pas tout,
elle ne nous procure qu’une connaissance partielle de la réalité. Ce constat fait
conclure aux partisans du paranormal que la science est faible et vulnérable. En
effet, si la science est incertaine, alors tout est incertain et, évidemment, la
vérité est ailleurs, d’où la pertinence de croire, si on a l’esprit ouvert, aux
propositions véhiculées par les pseudoscientifiques. Cet accès partiel à la
connaissance peut dès lors être complété par les approches paranormales qui
donneraient accès à des connaissances d’un autre ordre. Tout se passe comme si
pour les pseudoscientifiques, admettre la possibilité d’une chose c’est conclure
à son existence, alors que pour les scientifiques, il s’agit plutôt d’une hypothèse
à vérifier.

5. Voir à ce propos l’ouvrage de Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin (2014). Tout ce que vous
n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles. Grenoble, France : Presse
universitaire de Grenoble.
CHAPITRE 6

Un peu de culture scientifique


peut-être ?

Je suis loin d’être le premier à dénoncer l’un ou l’autre des vingt-six procédés
utilisés par les promoteurs des pseudosciences et présentés dans le chapitre 5
(voir par exemple Baillargeon, 2005, 2013 ; Drouet & Gauvrit, 2013 ;
Harrisson, 2012 ; Lilienfeld, Lynn, & Lohr, 2003 ; Mercer, 2009 ; Shermer,
2002 ; Smith, 2010) et qui constituent à eux seuls une liste de choses à ne pas
faire si on veut faire montre d’un minimum d’esprit critique et de culture
scientifique. De toute évidence, les pseudosciences sont là pour rester. Les
éliminer relève de l’utopie. En attendant que l’esprit scientifique se développe,
voyons comment à tout le moins en réduire les méfaits.
Pour contrer la tendance des humains à adhérer à toutes sortes de croyances, il
y a certes beaucoup à faire, mais je me limiterai à présenter trois pistes de
solution dont la mise en place pourrait freiner l’essor des pseudosciences et
favoriser l’émergence de l’esprit critique : elles concernent tour à tour les
journalistes et les médias, l’école et les parents.

Le rôle des journalistes et des médias


Comme le contenu des journaux, des magazines, de certaines émissions de
télévision et de l’Internet contribue largement à la promotion des
pseudosciences et du paranormal (voir chapitre 4), la valorisation du rôle des
journalistes scientifiques s’impose. En tout cas, il faut espérer que leurs
interventions écrites ou télévisuelles en faveur de la démarche scientifique ou
contre les pseudosciences parviendront à séduire le public.
C’est bien connu, la politique, le sport, le divertissement et les scandales
reçoit dans l’ensemble des médias une couverture médiatique nettement plus
importante que la science. Par ailleurs, la couverture des nouvelles scientifiques
varie d’un média à l’autre. Par exemple, les journaux dont le lectorat est plus
scolarisé publient des nouvelles scientifiques. Le même constat s’applique pour
les émissions télévisuelles (Bader, 1990). Ainsi, la clientèle plus scolarisée est
plus informée sur les résultats des recherches et sur les méthodes utilisées, alors
que la « nouvelle scientifique » dans les médias populaires relève souvent du
scoop (Entwistle & Hancock-Beaubien, 1992 ; Evans, Krippendorf, Yoon,
Posluszny, & Thomas, 1991).
Au début des années 1990, il y avait aux États-Unis environ 122 000
journalistes, mais à peine de 600 à 800 d’entre eux exerçaient leur métier à titre
de journaliste scientifique. Parmi ceux-ci, peu d’entre eux ont une formation
en sciences (Klaidman, 1991, Palen, 1994). Aux États-Unis, à peine 3 % des
étudiants gradués en communication sont spécialisés en mathématiques, en
physique ou en biologie. Ils apprennent donc généralement leur métier de
journaliste scientifique en l’exerçant (Hartz & Chappell, 1997 ; Weaver &
Wilhoit, 1997).
Quoi qu’il en soit, les scientifiques et les journalistes sont de plus en plus
condamnés à collaborer. Il y a à peine quarante ans, parler aux médias était mal
vu dans le monde universitaire. Vulgariser la science constituait alors pour un
chercheur une activité risquée susceptible d’affecter sa crédibilité aux yeux de
ses collègues. Frayer avec les médias équivalait donc à perdre son temps. Et si
un professeur s’y adonnait, c’est qu’il en avait à perdre. Depuis, les choses ont
changé, ce qui ne veut pas dire que la collaboration entre les chercheurs et les
journalistes coule de source. Si la plupart des chercheurs qui ont bien voulu
collaborer avec les journalistes ont leur « histoire d’horreur » à raconter, tous
devront poursuivre dans cette voie à moins qu’ils déploient le rare talent de
vulgarisateur, car les recherches et les découvertes scientifiques doivent
demeurer accessibles au grand public.
En plus de présenter un risque professionnel, la vulgarisation constitue un
certain défi. En science, la publication des résultats de recherche couronne un
long processus d’évaluation par les pairs et ils restent fondamentalement
temporaires – la science ne doit-elle pas demeurer réfutable ? –, alors qu’en
journalisme plus on s’approche du scoop, plus il faut simplifier les propos,
ignorer les nuances et gommer les détails. Néanmoins, d’heureuses exceptions
subsistent dans certaines publications de vulgarisation scientifique en français
(par exemple, Cerveau & Psycho, La Recherche, Science et Avenir, Science et Vie,
Sciences Humaines, Pour la science, Québec Science, Découvrir, CNRS le journal,
etc.) et en anglais (Scientific Americain, The Sciences, The Scientist, New-
Scientist, Science in Sociaty, etc.) pour n’en nommer que quelques-unes. Formés
en science, les auteurs présentent habituellement leur scoop avec mesure et
discernement.
Même si le temps où les scientifiques refusaient de parler aux journalistes
est révolu, la collaboration entre les uns et les autres ne va pas toujours de soi.
Quoi il en soit, cette collaboration ne pourra que s’améliorer puisqu’il n’y a pas
de démocratie sans information. En tout cas, les deux professions ont la
responsabilité de déconstruire les mythes et d’amener la population à raisonner
en fonction de connaissances éprouvées plutôt que de s’en remettre aux
rumeurs ou aux déclarations pseudoscientifiques. Pour ce faire, les scientifiques
doivent informer les journalistes des données empiriques dûment validées et
ces derniers les communiquer de la manière la plus juste possible, au risque
parfois de choquer l’opinion publique (Larivée, Sénéchal, & Gagné, 2013).
L’importance accordée aux phénomènes paranormaux et aux approches
pseudoscientifiques comparativement aux informations ou à la réflexion fondée
sur la méthode scientifique n’est guère surprenante et s’explique tout
simplement par la loi du marché qui est loin de privilégier le développement
intellectuel de la population. Autrement dit, les lecteurs ou les téléspectateurs
encouragent à leur insu leur propre sous-développement en redemandant
toujours et encore, en raison de facteurs complexes et variés, des produits plus
ou moins nocifs pour l’intelligence laquelle ne saurait se développer dans la
facilité. Peut-on également penser aussi que de se nourrir abondamment
d’ésotérisme ou d’approches pseudoscientifiques risque d’encourager une sorte
d’infantilisme psychosocial puisque la maturité conduit inévitablement à se
poser des questions sans réponse et à assumer ses propres limites.
Loin de moi l’intention de fustiger la population friande de doctrines étranges
et absurdes pour reprendre l’expression de Locke. Il y a des raisons à cela qui
relèvent entre autres de l’éducation. Toutefois, l’alarme doit être sonnée par
ceux qui ont eu la chance de développer l’esprit critique et qui, à titre
d’adultes, se trouvent responsables de témoigner des valeurs qui leur sont
chères, entre autres celles que nous laissa le siècle des Lumières, à savoir la
primauté de la raison sur le « crois ou meurs » doctrinaire et la primauté du
raisonnement sur tous les mysticismes.

Le rôle de l’école
Pour développer la culture scientifique des citoyens, on gagne à cibler les
enfants et les adolescents. J’ai toujours quelques difficultés à comprendre la
panoplie de nouvelles approches pédagogiques qui font leur entrée dans les
écoles sans avoir été sérieusement validées. On a récemment proposé à des
enfants d’une école primaire d’apprendre à se masser puisqu’on n’apprend
mieux lorsqu’on est détendu. Baillargeon (2013) qualifie ces nouvelles
approches de légendes pédagogiques et a dénoncé quatorze d’entre elles. Le
sous-titre de son ouvrage, « L’autodéfense intellectuelle en éducation » traduit
bien l’esprit de son essai.
Dans la foulée de ces approches, un ex-chiropraticien américain
multimillionnaire, Eric Pearl, parcourt le monde pour apprendre aux enfants
du primaire à devenir guérisseur en proclamant « Mettons la guérison entre les
mains de nos enfants ». Ainsi, à la suite de leur « formation », les enfants
accèdent à une « énergie nouvelle » par simple imposition des mains sur la
partie malade du corps. Il y a lieu de s’interroger sur la réaction éventuelle d’un
enfant qui tente de guérir son grand-père et que ce dernier meure. C’est le vol
de l’enfance (Malboeuf, 2012).
Même si les pseudosciences ont réussi à infiltrer le monde de l’éducation, il
n’en demeure pas moins que la scolarisation constitue un moyen essentiel pour
acquérir des connaissances valides et développer un esprit critique. Cela dit, les
cours de sciences, en particulier, devraient être un lieu privilégié à partir duquel
se développent la culture scientifique, l’esprit critique et le doute raisonnable.
Pour atteindre cet objectif, les obstacles ne manquent pas. En voici deux.
Le premier obstacle a trait au fonctionnement du cerveau à titre de
machine à fabriquer du sens. Or, plus les croyances sont ancrées
profondément, moins elles supportent le changement. Ce constat a pour
conséquence que deux modes de pensées contradictoires, par exemple magie et
raisonnement analytique, peuvent non seulement agir de concert, mais se
développer ensemble (Evans, 2003). Par exemple, on peut trouver chez les
adultes des idées contradictoires telles que la mort est définitive et l’âme survit
après la mort (Linderman & Aarnio, 2003). On peut observer le même
phénomène dans un domaine d’apprentissage où les émotions ne sont pas
particulièrement fréquentes, le raisonnement scientifique. Avec des enfants de
10 et 11 ans (n = 22), Schauble (1990) a étudié la maîtrise du schème du
contrôle des variables selon la stratégie (toute chose étant égale par ailleurs) à
partir d’un contenu échelonné sur huit semaines. Les enfants devaient
identifier les effets de plusieurs facteurs susceptibles d’influencer la vitesse
d’une voiture de course dans un micromonde informatisé. Certaines croyances
des enfants quant à l’importance des facteurs en jeu étaient fondées et d’autres
pas. Confrontés à une démonstration invalidant leurs croyances non fondées,
les sujets ne les abandonnent pas pour autant. En fait, même si les facteurs
identifiés par les enfants se sont révélés de plus en plus corrects au fil des
séances, cela ne les a pas empêchés de conclure à l’importance d’un facteur
dont ils avaient auparavant démontré la stérilité. Autrement dit, avoir noté une
absence d’effet ne semble pas suffisant pour l’abandonner. Tout se passe
comme si les enfants ne renonçaient à leurs fausses croyances qu’avec le temps,
et non sous l’effet d’une démonstration.
Maloney et Siegler (1993) ont même observé le phénomène chez des
étudiants universitaires en physique, que ceux-ci en soient à leur premier ou à
leur septième cours. On comprendra que si des « croyances » contradictoires
peuvent coexister dans le cadre de l’apprentissage du raisonnement scientifique,
il n’est guère surprenant que le rationnel et l’irrationnel se départagent si
difficilement lorsque les émotions participent des croyances défendues.
On observe des résultats similaires chez les adultes (Kuhn, Garcia-Mila,
Zohar, & Andersen, 1995). Sur le plan scolaire, les programmes mis en place
pour développer l’esprit critique sont nombreux, dont certains
particulièrement ingénieux. Par exemple, dans Regards multiples sur
l’enseignement des sciences, Potvin, Riopel et Masson (2007) ne présentent pas
moins de trente-trois manières d’enseigner les sciences : entre autres,
l’éducation à la consommation, la compréhension de la proprioception, la
compréhension des nouvelles scientifiques, le rôle de l’intuition et l’histoire des
sciences. Par ailleurs, l’ouvrage de Marcel Thouin (2001), Tester et enrichir sa
culture scientifique et technologique a été un best-seller. Malgré tous les efforts
consacrés à la promotion de l’enseignement des sciences et au développement
de la culture scientifique en général, les résultats sont décevants. De toute
évidence, l’attitude scientifique ne se développe pas facilement. Elle requiert un
certain apprentissage, un effort et une constante vigilance. Par contre, nul
besoin d’enseigner les approches préscientifiques et la croyance, on y recourt
spontanément depuis toujours.
Les propositions pour développer l’esprit critique et promouvoir l’attitude
scientifique ne manquent pas. J’aimerais ici en proposer trois : éducation aux
médias media literacy (éducation aux médias), critizen science (la science
citoyenne) et la lecture de romans policiers.
Media literacy (éducation aux médias). Les médias sous toutes leurs formes
sont des moyens privilégiés de transmission des savoirs et de diffusion des
informations. Il est donc impératif de s’en servir pour freiner l’essor des
pseudosciences et d’établir une stratégie visant à favoriser la pensée critique. Il
existe un concept pédagogique émergeant nommé media literacy visant
justement cet objectif (Aufderheide, 1993). Ce concept pédagogique se définit
comme la capacité d’accéder, d’analyser, d’évaluer et de créer des messages sous
une variété de formes médiatiques, telles que l’imprimé, la vidéo, l’audio et les
multimédias (Hobbs, 1998). Media literacy s’inscrit d’emblée dans la
prévention de la consommation naïve des pseudosciences comme d’autres
utilisent la même stratégie pour contrer la consommation naïve de messages
susceptibles d’entraîner des problèmes de santé (malbouffe) et de
comportements (images violentes) chez les adolescents (Brown & Bobkowski,
2011). En enseignant aux individus à s’informer de manière critique et en leur
permettant de créer leurs propres produits médiatiques, ils pourront mieux
évaluer ceux qui sont livrés par des médias de masse (Livingstone, 2004). De
plus, cela leur permettrait aussi d’apprécier les produits médiatiques destinés au
transfert des connaissances du public (sciences) et de les distinguer de ceux
produits pour attirer et divertir le même public (pseudosciences). Certains
chercheurs ont partagé des résultats encourageants à cet effet. Par exemple, des
études menées par Banerjee et Greene (2006, 2007) ont montré qu’en faisant
analyser et créer des messages contre le tabagisme à des jeunes adolescents,
ceux-ci présentaient un intérêt plus faible à la consommation de tabac. Comme
leur initiative visait à réduire les méfaits de la fumée de cigarette, la nôtre vise à
réduire les méfaits des fumistes.
Citizen science. Il s’agit d’un mouvement émergeant qui consiste à
impliquer des membres de la communauté non scientifique dans des
recherches d’ordre académique suivant la méthode scientifique (Trumbull,
Bonney, Bascom, & Cabral, 2000). Par exemple, le projet Planet Hunters
(www.planethunters.org) recrute des individus de la communauté non
scientifique afin qu’ils détectent, à l’aide de logiciels informatiques spécialisés,
des nouvelles planètes dans les galaxies. Au lieu de demander à quelque
astrologue d’établir leur carte du ciel, ces citizen scientists cartographient
l’espace. Parmi les bénéfices d’ordre éducatif récoltés par les participants, on
peut tout d’abord mentionner l’acquisition de savoirs dans les différents
domaines de recherche, tels l’archéologie, l’histoire et les sciences pures.
L’implication directe dans le processus d’expérimentation permet à ces
bénévoles de se familiariser avec les différents aspects de la démarche
scientifique, dont l’élaboration d’hypothèses et l’interprétation des résultats
(Conrad & Hilchey, 2010 ; Dickinson, Zuckerberg, & Bonter, 2010). En
résumé, tremper directement dans une recherche scientifique initie à la pensée
rigoureuse, ce qui enlève de facto du crédit aux prétentions pseudoscientifiques.
Dans cette perspective, il s’agirait d’encourager les élèves du primaire et du
secondaire à devenir bénévoles dans une variété de recherches scientifiques ou
encore de favoriser l’instauration de projets scolaires auxquels pourraient
participer des chercheurs universitaires. Par exemple, on peut penser que des
adolescents invités à cartographier l’espace en classant les étoiles et les galaxies
pourraient si tel est leur cas, se désintéresser de la recherche de leur carte du
ciel. L’application de ces deux premières stratégies pourrait donner lieu, à long
terme, à une société ayant un sens critique aiguisé, une société où l’impact des
pseudosciences serait faible.
Lecture de romans policiers. Notre troisième proposition consiste à inciter les
élèves à lire de bons romans policiers pour comprendre les principes de la
démarche scientifique (Larivée, Fortier, & Filiatrault, 2009), ce qui peut
étonner. Mais pourquoi pas ? Les scientifiques et les détectives ne poursuivent-
ils pas la même quête : débusquer la part cachée du réel, trouver la vérité et
chercher à comprendre comment certains événements se sont produits
(Guttman, 2004) ? Dans le cas des sciences, il s’agit d’élucider une partie du
réel, de décrire et d’expliquer les phénomènes physiques et sociaux au plan
macroscopique (astronomie, sociologie) ou microscopique (biochimie,
neurologie). Dans les enquêtes policières, il s’agit d’identifier le ou les criminels
après avoir reconstitué l’enchaînement des événements. Même si l’objet du
travail des policiers diffère de celui des scientifiques, ils doivent se plier à la
même démarche pour obtenir des résultats probants. En effet, à l’instar du
scientifique, le détective enquêteur doit formuler le problème, colliger les
données, interpréter les indices, émettre des hypothèses, vérifier si elles
correspondent à l’ensemble des faits et, finalement, tirer des conclusions qui
relient logiquement l’ensemble des indices (Goulet, 2005). Et dans les deux
cas, le « coupable » ne se laisse pas facilement trouver et prend habituellement
un malin plaisir à brouiller les pistes. Dans la recherche scientifique comme
dans l’enquête policière, les mêmes méthodes d’induction, de déduction et de
vérification sont utilisées. Si les scientifiques ont la possibilité d’être plus
rigoureux grâce à des tests statistiques, à la répétition d’expérience ou à divers
contrôles susceptibles d’accroître la fiabilité des résultats, les policiers
enquêteurs parviennent souvent à dégager des preuves convaincantes (Sokal &
Bricmont, 1997).
Par ailleurs, à l’instar de la démarche scientifique qui n’est pas une recette
magique donnant à tout coup des résultats assurés, l’enquête policière n’est pas
prémunie contre l’erreur. Condamner un individu coupable d’un crime à l’aide
de preuves irréfutables demeure le résultat idéal d’une enquête policière et il
arrive, en effet, qu’on dispose de l’arme du crime, d’empreintes digitales,
d’aveux, d’un mobile, etc. Dans les faits cependant, une enquête ne fournit pas
toujours des preuves indiscutables comme c’est le cas quand nous avons des
témoins directs, crédibles et indépendants. En outre, les enquêtes ne sont pas
toujours correctement menées : les hypothèses peuvent reposer sur des
observations plus ou moins confuses et des preuves peuvent tout simplement
avoir été fabriquées par la police, etc. Néanmoins, et c’est là l’important,
personne ne doute que les résultats des meilleures enquêtes correspondent
vraiment à la réalité. D’ailleurs, l’histoire permet d’élaborer certaines règles
pour mener une enquête : « plus personne ne croit à l’épreuve du feu et l’on
rejette aujourd’hui des aveux obtenus dans des conditions coercitives. Il faut
comparer les témoignages, procéder à des confrontations, chercher des preuves
physiques, etc. Même s’il n’existe pas de méthodologie fondée sur des
raisonnements a priori indubitables », ces règles et plusieurs autres sont
rationnelles et fondées sur une analyse détaillée de l’expérience antérieure
(Sokal & Bricmont, 1997, p. 60).
Pourquoi les professeurs de français et de sciences ne pourraient-ils pas
s’entendre sur un programme conjoint pour favoriser le développement de
l’attitude scientifique ? La démarche pourrait débuter par la lecture d’un roman
policier dans le cours de français. Les élèves tenteraient alors d’identifier dans le
roman les diverses opérations de la démarche scientifique (observation,
hypothèse, prédiction, vérification), lesquelles seraient par la suite reprises dans
le cadre des cours de science.
Le deuxième obstacle concerne les cours de sciences. S’il existe des cours
d’initiation à la science à l’école primaire, les matières scientifiques sont au
programme du collège avec le début de l’adolescence. Sur le plan du
développement cognitif, cet âge correspond à l’acquisition de la pensée
formelle ou hypothético-déductive telle que définie par l’école genevoise
(Inhelder & Piaget, 1955 ; Larivée, 2007). Les schèmes cognitifs qui se
développent alors sont indispensables pour assimiler les contenus des cours de
science, dont les schèmes de la combinatoire, des proportions, des probabilités,
des corrélations et du contrôle des variables. Or, contrairement aux prétentions
de l’école genevoise, ce ne sont pas tous les adolescents, ni même tous les
adultes, qui parviennent à maîtriser les schèmes formels. En fait, les recensions
des écrits sur le sujet (par exemple Bond, 1998 ; Larivée, 1986 ; Pelletier,
Larivée, Coutu, & Parent, 1989) correspondent à ce que la plus importante
vérification empirique menée en Angleterre auprès de 11 200 participants de
10 à 17 ans a montré : le pourcentage d’individus qui maîtrisent les schèmes
formels dépasse rarement 60 % (Shayer & Wylam, 1978 ; Shayer, Kuchemann,
& Wylam, 1976).
Pourtant la maîtrise des schèmes formels s’avère d’autant plus nécessaire
qu’un grand nombre des concepts enseignés dans les cours de sciences (chimie,
physique, mathématiques, biologie) requiert leur utilisation. Un tel constat
n’est guère surprenant On se rappellera en effet que l’ouvrage d’Inhelder et
Piaget (1955) découle en partie du travail d’Inhelder (1954) sur le
développement du raisonnement inductif et des attitudes expérimentales chez
l’enfant et l’adolescent.
Même si la compréhension de divers contenus des sciences humaines et
sociales ainsi que des arts et des lettres suscite parfois le recours à la pensée
formelle, la nature des concepts reliés aux contenus enseignés dans les cours de
sciences et de mathématiques est intimement liée aux schèmes formels et en
requiert la maîtrise (Atwater & Alick, 1990 ; Berg & Phillips, 1994). Or,
compte tenu du pourcentage relativement faible des élèves de 13 à 18 ans qui
maîtrisent les schèmes formels, on ne saurait attribuer l’échec de
l’enseignement des sciences à des sources uniquement pédagogiques et
socioculturelles.
Quoi qu’il en soit, le défi que doivent relever les enseignants de sciences est
de taille. Il consiste à la fois à intéresser des élèves à un contenu dont ils ne
possèdent pas toujours les structures cognitives nécessaires pour l’assimiler et
en même temps à favoriser l’émergence et la consolidation des schèmes formels
chez les élèves dont ils ont la charge. Dans cette perspective, des chercheurs ont
mis en place des programmes visant le développement des schèmes formels
dans le cadre de l’enseignement des sciences.
Le degré d’efficacité de ces programmes est très variable, bien qu’ils soient tous
basés sur le même modèle théorique. En fait, les programmes consacrés à
l’acquisition des schèmes formels ou au développement d’une attitude
scientifique se heurtent aux embûches habituelles de la recherche en
éducation : durée trop courte de la période consacrée aux apprentissages ;
élèves insuffisamment motivés ; tâches d’apprentissage trop globales qui ne
permettent pas de développer toutes les habiletés intellectuelles sous-jacentes
aux schèmes formels ; tâches d’apprentissage trop spécifiques pour faire
progresser l’ensemble de la pensée logique ; tâches d’apprentissage
insuffisamment diversifiées quant aux situations proposées pour parvenir à un
certain niveau de généralisation ; difficulté de tenir compte d’autres dimensions
du développement de l’élève, dont l’affectivité.

Le rôle des parents


Que les parents aient un rôle à jouer dans le développement de l’esprit
critique de leurs enfants est une évidence. À cet égard, on sait qu’ils exercent
bien leur rôle lorsqu’ils achètent pour leurs enfants des livres centrés sur la
connaissance même s’ils restent quelquefois accrochés à l’univers ésotérique
dans leurs lectures personnelles. Pour illustrer le rôle des parents dans le
développement de l’esprit critique de leurs enfants, j’utiliserai un
comportement tout à fait approprié de la plupart d’entre eux à l’égard de la
croyance au Père Noël en fonction du développement intellectuel de leurs
enfants (Larivée & Sénéchal, 2009 ; Larivée, Sénéchal, & Baril, 2010).
Si les parents se prêtent volontiers au jeu de la croyance au Père Noël chez
leurs enfants (faire la file au centre commercial pour voir le « vrai » Père Noël,
lui laisser des biscuits et du lait sur la table le 24 décembre, aider à lui écrire des
lettres), la plupart réagissent adéquatement quand le doute émerge dans l’esprit
de ces derniers. Par exemple, un parent qui interroge son enfant sur la capacité
du Père Noël à distribuer des jouets aux quatre coins du monde au cours de la
seule nuit du 24 décembre pourra évaluer la solidité de sa croyance. Certains
enfants rappelleront alors à leurs parents que les rennes du Père Noël volent
rapidement ou qu’ils sont magiques. À un certain moment de leur
développement, les enfants ne sont guère ébranlés de la présence de Pères Noël
différents dans plusieurs centres d’achats. Pour eux, il y en a un vrai et les
autres sont là pour l’aider. Un père qui demande à son fils comment va faire le
Père Noël pour entrer par la cheminée puisqu’il n’y a pas de cheminée dans
leur maison se voit répondre que le Père Noël a évidemment une cheminée
portative, etc.
Puis, l’âge de raison aidant, les enfants commencent à douter et
l’attribution de pouvoirs extraordinaires au Père Noël va s’estomper
graduellement. Comme la découverte de la vérité à propos du Père Noël est
inévitable, son avènement constitue en quelque sorte un rite de passage de la
naïveté au scepticisme (Breen, 2004).
Enfin, les légendes comme celles du Père Noël, du Lapin de Pâques ou de
la Fée des dents enseignent petit à petit à l’enfant que certaines croyances ne
renvoient pas à la réalité et qu’il convient parfois de s’interroger sur ce qui nous
est raconté, même par nos parents. De cette façon, l’enfant peut commencer à
développer un esprit critique de plus en plus utile à mesure qu’il progresse vers
la vie adulte et dans sa compréhension du monde.
À cet égard, on pourrait considérer que la perte de la croyance au Père Noël
dans la vie d’un enfant fait en quelque sorte office d’une initiation au critère de
réfutabilité essentiel pour valider une théorie scientifique selon Popper (1973).
D’ailleurs, les enfants qui conservent un bon souvenir de leur croyance au Père
Noël sont habituellement ceux qui en ont déconstruit eux-mêmes la possibilité
logique (Barbery, 2004), déconstruction vécue habituellement par un bon
nombre de parents comme une occasion de stimuler le système immunitaire
intellectuel de leurs enfants en développant un début de pensée critique.
CONCLUSION

Entre l’ouverture béante de l’esprit


et l’excès de scepticisme,
le doute raisonnable 6

Les individus qui questionnent la validité des pseudosciences se font souvent


reprocher de ne pas avoir l’esprit ouvert. Voici deux répliques possibles à cette
accusation. Distinguons d’abord l’esprit ouvert de l’esprit troué. Dans le
premier cas, on exerce un minimum de sens critique et on cherche à vérifier le
plus objectivement possible la validité de telle ou telle approche. Par contre,
dans le second cas, pour toutes sortes de raisons (non raisonnables !), on prête
foi au discours du premier gourou venu pourvu qu’il semble nouveau ou qu’il
évoque un antique système récemment redécouvert. En guise de deuxième
réplique, l’ouverture d’esprit ne peut faire l’économie de ce que Bricmont
(2000) appelle un scepticisme raisonnable et Bunge (2000) un scepticisme par
étapes, les deux types équivalant au doute raisonnable inhérent à la démarche
scientifique.
Bunge (2000) établit une distinction entre le scepticisme absolu qui
s’apparente au dogmatisme, et le scepticisme par étapes, qui se traduit par une
attitude ouverte et constructive. Alors que les sceptiques absolus refusent
d’admettre un phénomène sans se sentir contraints de produire des raisons
justifiant leur point de vue, les tenants du scepticisme par étapes feront preuve
de modération : ils douteront plutôt d’un phénomène parce qu’il leur apparaît
peu vraisemblable dans l’état actuel des connaissances partagées par la
communauté scientifique. Par exemple, le refus d’adhérer à la télépathie est
basé sur le fait actuellement établi en neurosciences que la pensée ne peut se
produire sans un cerveau et voyager par elle-même. Qui plus est, devant un
phénomène extraordinaire, le sceptique raisonnable est en droit d’exiger des
preuves tout aussi extraordinaires. C’est ce que font les chercheurs en sciences
dures lorsqu’ils sont confrontés à des phénomènes extraordinaires : ils exigent
des preuves solides (Hines, 1988 ; Sagan, 1996 ; Shermer, 1997). Les
affirmations de Fleschman et Pons relatives à la fusion à froid et celles de
Benveniste à propos de la mémoire de l’eau pour expliquer l’homéopathie ont
donné immédiatement lieu à des études de reproduction. À la suite de résultats
négatifs répétitifs, la communauté scientifique a conclu qu’il fallait
abandonner, au moins temporairement, les recherches concernant ces deux
sujets.
En sciences humaines et sociales, par contre, on génère quantité
d’approches thérapeutiques sans trop souvent se soucier de l’efficacité de
chacune d’entre elles et évidemment encore moins de ce qu’elles apportent
d’inédit.
Quoi qu’il en soit, l’histoire des sciences a bien montré que même dans le
cadre de la recherche dite scientifique, on peut s’illusionner. Si cela est vrai
pour la recherche classique, le risque n’est-il pas encore plus élevé dans le cadre
des approches dites alternatives ? En fait, les personnes qui défendent la valeur
de leur approche sont habituellement de bonne foi. Cependant, on sait qu’il
existe des personnes par trop crédules et d’autres qui cherchent délibérément à
tromper les gens. Il me semble que c’est faire preuve d’un scepticisme
raisonnable que d’exiger des arguments qui permettraient de conclure qu’il est
plus rationnel de croire les affirmations des défenseurs de ces approches que de
supposer qu’ils se trompent ou cherchent à tromper les autres. Or, les tenants
des pseudosciences défendent celles-ci sans tenir compte de l’approche
scientifique usuelle qui consiste entre autres à formuler et à tester des
hypothèses. Ils recourent plutôt à la compréhension intuitive de l’autre, aux
mystères ou à l’émergence d’une nouvelle approche.
Certains pseudoscientifiques prétendent même avoir des talents pour
interpréter des phénomènes mystérieux en se réclamant de l’herméneutique,
une approche qui cherche à comprendre les signes et leur valeur symbolique.
Cette méthode a néanmoins des limites, dont les acteurs concernés ne sont pas
toujours conscients : en effet, le sceptique peut demander comment départager
des intuitions ou des interprétations divergentes, si ce n’est en essayant de voir
lesquelles rendent compte du plus grand nombre de faits, lesquelles offrent le
maximum de cohérence, etc. Par conséquent, le sceptique nous amène,
lorsqu’il y a conflit entre plusieurs interprétations, à utiliser celles-ci comme
heuristique et surtout à nous tourner, dans la mesure du possible, vers
l’observable et le quantitatif. Je suis conscient que la méthode scientifique n’est
pas naturelle à l’homme. Elle suppose en effet que l’on mette entre parenthèses
notre attitude spontanément interprétative ou introspective qui fournit sur
nous-mêmes des explications qui apparaissent convaincantes sans avoir été
réellement testées (Debray & Bricmont, 2003).
Opter pour l’observable et le quantitatif se révèle souhaitable pour au
moins deux autres raisons. D’une part, dans la mesure où on se retrouve dans
l’impossibilité de trancher entre deux interprétations contradictoires, la
solution est d’opter pour l’idée des vérités multiples, ce qui constitue un
dangereux glissement vers le relativisme. D’autre part, comment établir des
relations causales de façon fiable sans faire appel aux méthodes scientifiques
usuelles ? C’est le cas notamment de la psychanalyse qui, tout en prêchant
l’importance de l’intersubjectivité relationnelle, truffe son discours d’assertions
causales : telle condition dans la petite enfance donne tel résultat à l’âge adulte,
ou telle intervention thérapeutique produit tel effet sur l’analysant (Grünbaum,
1993, 1996). Or, faire de la science consiste à formuler des hypothèses aussi
précises que possibles, en déduire des conséquences observables et comparer ces
prédictions avec la réalité (Debray & Bricmont, 2003) et non prédire le tout et
son contraire, comme c’est le cas avec la psychanalyse.
En fait, le sceptique modéré utilise le doute comme un moyen d’avancer
vers la vérité qu’il ne considère jamais comme totale et définitive. Il rejette une
affirmation ou un phénomène jugé incompatible soit avec les théories en place,
soit avec les données disponibles. En effet, comment mettre en doute une
théorie ou un fait dans un vide conceptuel total comme sont portés à le faire
les sceptiques absolus. Le scepticisme absolu ne participe donc pas au progrès
graduel du savoir. En revanche, en s’appuyant sur les découvertes antérieures et
en se centrant sur la méthode, le sceptique modéré contribue au progrès des
connaissances. En effet, chaque nouvelle théorie ou nouvelle méthode ne peut
se substituer à ses rivales que dans la mesure où elle parvient à mieux expliquer
un plus grand nombre de faits.
Il ne s’agit pas bien sûr de fustiger indifféremment toutes les approches qui
échappent encore à la preuve scientifique. Dans le domaine des connaissances,
la sagesse puise avant tout dans l’ouverture d’esprit. Cependant, il n’est pas
toujours facile, particulièrement dans le domaine des sciences humaines et
sociales, de distinguer la naïveté de la croyance et ce qu’il convient de
pourfendre résolument. Ce sont les prétentions à la certitude dont se font forts
les exploiteurs de la souffrance ou de la crédulité des esprits moins habilités à la
critique au nom de soi-disant savoirs auxquels, parfois, ils ne croient même pas
eux-mêmes, qu’il faut dénoncer.
Au total, le sceptique modéré est toujours prêt à mettre de l’avant des
hypothèses, si contraires à l’intuition soient-elles et à abandonner celles qui
sont infirmées (Bunge, 2000). À la limite, avoir des opinions même farfelues,
n’est pas dommageable en soi ; par contre s’accrocher à des opinions ou à des
croyances qui ne peuvent être mises à l’épreuve ou qui auraient été
abondamment réfutées, et prétendre qu’il s’agit de connaissances, voilà qui est
contraire à un scepticisme modéré – et à l’attitude scientifique –, mais surtout
au gros bon sens. Une telle attitude est malheureusement rarement adoptée par
les défenseurs des approches alternatives. Bien sûr, la science n’explique pas
tout et n’en a pas la prétention. Qu’il y ait des phénomènes ou des réalités que
les outils de la science ne peuvent pas percer pour des raisons diverses est une
évidence. Parler de connaissances lorsqu’on cherche à expliquer ces
phénomènes à l’aide d’approches dites alternatives non validées, c’est utiliser
un vocabulaire inapproprié. Actuellement, pour convaincre, les tenants de ces
approches emploient plus souvent le vocabulaire de la science qu’ils ne se plient
à la démarche scientifique. Ils auraient pourtant tout intérêt à se préoccuper de
la collecte de faits vérifiables et reproductibles. Il s’agirait alors de s’entendre sur
des expériences dont les résultats pourraient même être à leur avantage, c’est-à-
dire suffisamment significatifs pour entraîner l’adhésion.

6. Le titre de la conclusion reflète bien la démarche zététique présentée par Henri Broch
comme l’art du doute. La zététique est également un pilier fondamental du développement
de l’esprit critique et, par conséquent, de la démarche scientifique.
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Table des matières
Copyright
Titre
Déjà parus
Dédicace
Exergue
INTRODUCTION
CHAPITRE 1
Les normes de Merton
Les mécanismes de régulation de la science
La notion de paradigme
Le critère de réfutabilité
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
Des facteurs historiques. Six méthodes préscientifiques
d’acquisition ou de transmission des connaissances.
La méthode de la ténacité
La méthode du sens commun
La méthode du témoignage
La méthode du consensus
La méthode de l’autorité
La méthode de la prédication
En route vers la méthode scientifique avec celle du
raisonnement
Des facteurs reliés à la nature humaine
L’homme se satisfait de sa propre pensée parce qu’elle
est le produit de son propre cerveau
Les émotions priment sur la raison
Le cerveau humain, une machine à générer des croyances
et, par conséquent, à fabriquer du sens
La paréidolie
L’effet Barnum et son frère jumeau, le biais de
confirmation
Offrir plusieurs possibilités
Un énoncé bicéphale
CHAPITRE 4
Le climat socioculturel
L’écrit
L’audiovisuel
L’éducation : les pseudosciences à l’université
Cinq disciplines
Quelques exemples inspirés des travaux de Lacan,
Dolto et Bettelheim
Quelques retombées cliniques et sociétales
CHAPITRE 5
Le recours à des théories invalidées ou non encore validées
On ne révise pas la théorie, et pour cause, elle est invérifiable
Absence d’autocorrections et, par conséquent, de progrès
Absence de liens avec d’autres disciplines scientifiques
Argument de l’holisme
Un énoncé audacieux ne le rend pas nécessairement vrai
Le recours aux mystères et aux anomalies
Les métaphores, les analogies et les mythes transformés en
preuve
Quand les affirmations priment sur les démonstrations,
l’opinion règne en maître
Confiance excessive dans les bonnes histoires, les anecdotes et
les témoignages
Les contradictions ne changent rien à la croyance
L’absence de faits ou de reproduction des résultats confirme
aussi la croyance
Pouvoir explicatif illimité et généralisation abusive
Utilisation d’un langage « maison » hermétique et de jeux de
langage
Raisonnement circulaire
Le recours à Galilée
Le messager est plus important que le message
Le renversement du fardeau de la preuve
La science n’explique pas tout
Confusion entre coïncidence, corrélation et causalité
La doctrine des vérités multiples : la version ésotérique du
relativisme cognitif
Évitement du processus d’évaluation par les pairs
Accent mis sur la confirmation plutôt que sur la réfutation
Usage excessif d’hypothèses ad hoc en vue de se soustraire à
la réfutabilité
Détournement du vocabulaire scientifique
Du bon et du mauvais usage du doute : les pseudosceptiques à
l’œuvre
CHAPITRE 6
Le rôle des journalistes et des médias
Le rôle de l’école
Le rôle des parents
CONCLUSION
Bibliographie

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