JUSTE LA FIN DU MONDE Textes Bac
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Texte 1 : Le Prologue
J’habite toujours ici avec elle. Je voudrais partir mais ce n’est guère possible,
je ne sais comment l’expliquer,
comment le dire,
alors je ne le dis pas.
5 Antoine pense que j’ai le temps,
il dit toujours des choses comme ça, tu verras (tu t’es peut-être déjà rendu compte),
il dit que je ne suis pas mal,
et en effet, si on y réfléchit
– et en effet, j’y réfléchis, je ris, voilà, je me fais rire –
10 en effet, je n’y suis pas mal, ce n’est pas ce que je dis.
Je ne pars pas, je reste,
je vis où j’ai toujours vécu mais je ne suis pas mal.
Peut-être
(est-ce qu’on peut deviner ces choses-là ?)
15 peut-être que ma vie sera toujours ainsi, on doit se résigner, bon,
il y a des gens et ils sont le plus grand nombre,
il y a des gens qui passent toute leur existence là où ils sont nés
et où sont nés avant eux leurs parents,
ils ne sont pas malheureux,
20 on doit se contenter,
ou du moins ils ne sont pas malheureux à cause de ça,
on ne peut pas le dire,
et c’est peut-être mon sort, ce mot-là, ma destinée, cette vie.
Je vis au second étage, j’ai ma chambre, je l’ai gardée,
25 et aussi la chambre d’Antoine
et la tienne encore si je veux,
mais celle-là, nous n’en faisons rien,
c’est comme un débarras, ce n’est pas méchanceté, on y met les vieilleries qui ne servent
plus mais qu’on n’ose pas jeter,
30 et d’une certaine manière,
c’est beaucoup mieux,
ce qu’ils disent tous lorsqu’ils se mettent contre moi,
beaucoup mieux que ce que je pourrais trouver avec l’argent que je gagne si je partais.
C’est comme une sorte d’appartement.
35 C’est comme une sorte d’appartement, mais, et ensuite j’arrête,
mais ce n’est pas ma maison, c’est la maison de mes parents,
ce n’est pas pareil,
tu dois pouvoir comprendre cela.
Tu es là,
tu m'accables, on ne peut plus dire ça,
tu m'accables,
tu nous accables,
40 je te vois, j'ai encore plus peur pour toi que lorsque j'étais enfant,
et je me dis que je ne peux rien reprocher à ma propre existence,
qu'elle est paisible et douce
et que je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d'avoir failli se lamenter,
alors que toi,
45 silencieux, ô tellement silencieux,
bon, plein de bonté,
tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne
saurais pas même imaginer le début du début.
Je ne suis rien,
50 je n'ai pas le droit,
et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras,
je serai moins encore,
juste là à me reprocher les phrases que j'ai dites,
à chercher à les retrouver avec exactitude,
55 moins encore,
avec juste le ressentiment,
le ressentiment contre moi-même.
SÉQUENCE N°2 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle
Agrippine, Néron
AGRIPPINE
Moi, le faire empereur, Ingrat ? l'avez-vous cru ?
Quel serait mon dessein ? qu'aurais-je pu prétendre ?
Quels honneurs dans sa cour, quel rang pourrais-je attendre ?
Ah ! si sous votre empire on ne m'épargne pas,
5 Si mes accusateurs observent tous mes pas,
Si de leur empereur ils poursuivent la mère,
Que ferais-je au milieu d'une cour étrangère ?
Ils me reprocheraient, non des cris impuissants,
Des desseins étouffés aussitôt que naissants,
10 Mais des crimes pour vous commis à votre vue,
Et dont je ne serais que trop tôt convaincue.
Vous ne me trompez point, je vois tous vos détours ;
Vous êtes un ingrat, vous le fûtes toujours ;
Dès vos plus jeunes ans, mes soins et mes tendresses
15 N'ont arraché de vous que de feintes caresses.
Rien ne vous a pu vaincre ; et votre dureté
Aurait dû dans son cours arrêter ma bonté.
Que je suis malheureuse ! Et par quelle infortune
Faut-il que tous mes soins me rendent importune ?
20 Je n'ai qu'un fils. O ciel ! qui m'entends aujourd'hui,
T'ai-je fait quelques vœux qui ne fussent pour lui ?
Remords, crainte, périls, rien ne m'a retenue ;
J'ai vaincu ses mépris, j'ai détourné ma vue
Des malheurs qui dès lors me furent annoncés ;
25 J'ai fait ce que j'ai pu : vous régnez, c'est assez.
Avec ma liberté, que vous m'avez ravie,
Si vous la souhaitez, prenez encor ma vie,
Pourvu que par ma mort tout le peuple irrité
Ne vous ravisse pas ce qui m'a tant coûté.