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Conseil scientifique

de l’éducation nationale

DE LA MULTIPLICATION
AUX FRACTIONS :
RÉCONCILIER INTUITION
ET SENS MATHÉMATIQUE
Synthèse de la recherche
et recommandations
Texte rédigé par
Emmanuel Sander,
Monica Neagoy,
Catherine Rivier,
Calliste Scheibling-Sève,
Gérard Sensevy
et Catherine Thevenot

© MARIE GENEL / MENJ


Ce texte a été rédigé dans le cadre des travaux du groupe de travail « Pédagogies et manuels
scolaires » du Conseil scientifique de l’éducation nationale par Emmanuel Sander, Monica
Neagoy, Catherine Rivier, Calliste Scheibling-Sève, Gérard Sensevy et Catherine Thevenot1.

Groupe de travail « Pédagogies et manuels scolaires »


du Conseil scientifique de l’éducation nationale
Le groupe de travail « Pédagogies et manuels scolaires » (GT3) se donne pour objectif de dresser
un bilan des relations entre les résultats de la recherche, les dispositifs pédagogiques proposés
(dont font partie les manuels scolaires), les pratiques d’enseignement correspondantes et les
apprentissages des élèves. Il entend également être force de proposition sur ces questions.
Après s’être intéressé à l’apprentissage de la lecture, le GT3 consacre ses travaux aux appren-
tissages mathématiques, pour lesquels les résultats aux évaluations internationales récentes
justifient une focale toute particulière. Ses travaux ont notamment conduit à l’organisation
de la conférence internationale « Mathématiques pour tous : faire aimer et pratiquer les maths
de l’école au lycée » disponible en replay sur reseau-canope.fr/­­­mathematiques-pour-tous ou
reseau-canope.fr/conseil-scientifique-de-leducation-nationale.

Les membres du GT3

• Coordination : Emmanuel Sander, professeur à la faculté de psychologie et des sciences de


l’éducation de l’université de Genève / IDEA • Marie Amalric, chercheuse post-doctorante
à NeuroSpin • Sandra Andreu, cheffe du bureau de la conception et du pilotage des évaluations
des élèves, DEPP, MENJ • Eric Baccala, chargé d’études au bureau des écoles, DGESCO, MENJ •
Jérôme Deauvieau, professeur de sociologie à l’ENS / Centre Maurice Halbwachs • Stanislas
Dehaene, président du CSEN, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège
de France / NeuroSpin • Etienne Ghys, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences • Valeria
Giardino, chargée de recherche au CNRS / Institut Jean Nicod • Paul Gioia, chercheur doctorant
à l’Ined • Virginie Giraud, chargée d’études au bureau des collèges, DGESCO, MENJ • Rémi
Guyot, adjoint à la cheffe du bureau des écoles, DGESCO, MENJ • Olivier Hunault, inspecteur
général de l’éducation, du sport et de la recherche, IGESR, MENJ • Véronique Izard, chargée
de recherche au CNRS/ Centre de neurosciences intégratives et cognition de l’université de
Paris • Marie Lubineau, chercheuse doctorante en sciences sociales et sciences de l’éducation
à NeuroSpin • Pauline Martinot, médecin, chercheuse doctorante à NeuroSpin • Monica Neagoy,
autrice bilingue, formatrice et consultante internationale en mathématiques • Sofia Nogueira,
cheffe du bureau des collèges, DGESCO, MENJ • Cassandra Potier-Watkins, chercheuse
post-doctorante au Collège de France • Isabelle Renault, référente pédagogique mathéma-
tiques, Réseau Canopé • Catherine Rivier, chargée d’enseignement et chercheuse doctorante /
IDEA • Thierry Rocher, adjoint au sous-directeur des évaluations et de la performance scolaire,
DEPP, MENJ • Calliste ­Scheibling-Sève, chercheuse post-doctorante à l’université de Genève/
IDEA • Gérard Sensevy, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Bretagne
Occidentale / CREAD • Olivier Sidokpohou, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la
recherche, IGESR, MENJ • Elizabeth Spelke, professeure de psychologie à l’université Harvard •
Catherine Thevenot, professeure de psychologie à l’université de Lausanne / LABCD • Charles
Torossian, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, directeur de l’IH2EF
• Johan Yebbou, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, IGESR, MENJ.

1 Emmanuel Sander, professeur à l’université de Genève ; Monica Neagoy, autrice et consultante internationale
en mathématiques ; Catherine Rivier, chargée d’enseignement et chercheuse doctorante à l’université de Genève ;
Calliste Scheibling-Sève, chercheuse post-doctorante à l’université de Genève ; Gérard Sensevy, professeur à l’université
de Bretagne Occidentale et Catherine Thevenot, professeure à l’université de Lausanne. En collaboration avec le LéA
« Réseau ACE Armorique-Méditerranée ». Remerciements à la DEPP pour les données fournies et à Thierry Dias,
professeur à la HEP Vaud, pour sa contribution.

De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 3
Sommaire

Résumé....................................................................................................... 6 3.3 Les fractions...........................................................................................................................38


3.3.1 Aspects conceptuels..........................................................................................................................39
3.3.2 Aspects Procéduraux........................................................................................................................43
Introduction.............................................................................................. 7 3.3.3 Propositions pédagogiques..............................................................................................................44

1. Connaissances conceptuelles et procédurales, Bibliographie.............................................................................................. 48


conceptions intuitives, codages et recodages.................................. 8
1.1 Connaissances conceptuelles et procédurales : distinguables
Ce qu’il faut retenir.................................................................................. 52
mais indissociablement liées......................................................................................................8
1.2 Identifier les conceptions intuitives pour favoriser leur transformation...................9
1.2.1 Angles morts de l’expertise et de l’intuition, domaine de validité des conceptions
intuitives..........................................................................................................................................................9
1.2.2 Les conceptions intuitives des opérations arithmétiques..........................................................11
1.2.3 Les conceptions intuitives des fractions........................................................................................13
1.3 Du codage spontané au recodage pour aller au‑delà des limites
des conceptions intuitives..........................................................................................................14
1.3.1 Le codage des situations....................................................................................................................14
1.3.2 Les apports du recodage...................................................................................................................14

2. Faire appel aux représentations figurées........................................ 17


2.1 Des représentations pour soutenir et développer la compréhension.......................17
2.1.1 La force des représentations en mathématiques.........................................................................17
2.1.2 Ce que produisent les représentations..........................................................................................18
2.1.3 La traduction entre représentations...............................................................................................19
2.1.4 Représentations, analogie, et modélisation..................................................................................20
2.2 Le cas du nombre rectangle : une représentation particulière pour favoriser
la compréhension de la multiplication....................................................................................21
2.2.1 Représenter la multiplication par un nombre rectangle.............................................................21
2.2.2 Quels apports de l’usage du nombre rectangle pour représenter la multiplication ?.........22
2.2.3 Quelques exemples d’usage en classe...........................................................................................23
2.3 Représentations et enquêtes.............................................................................................28

3. Focale sur les aspects conceptuels et procéduraux


du champ multiplicatif.......................................................................... 30
3.1 La multiplication....................................................................................................................30
3.1.1 Aspects conceptuels...........................................................................................................................30
3.1.2 Aspects procéduraux ........................................................................................................................32
3.1.3 Propositions pédagogiques ..............................................................................................................33
3.2 La division...............................................................................................................................35
3.2.1 Aspects conceptuels..........................................................................................................................35
3.2.2 Aspects procéduraux........................................................................................................................36
3.2.3 Propositions pédagogiques .............................................................................................................37

4 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 5
Introduction
Résumé
Au-delà d’une excellence pointue aux retombées majeures, sur le plan de la recherche fondamen-
La compréhension mathématique est décisive pour le citoyen du 21 siècle, dans la sphère
e
tale comme appliquée, les mathématiques sont essentielles à tout citoyen du 21e siècle, dans la
personnelle comme professionnelle. Elle intervient dans la lecture de graphiques et l’inter‑ vie professionnelle comme personnelle. Loin d’être une compétence élitiste, la compréhension
prétation de statistiques tout comme dans la rigueur des raisonnements et l’exercice de mathématique est mobilisée dans la vie de chacun pour les calculs de la vie quotidienne, la
l’esprit critique. Dans un contexte de résultats préoccupants aux évaluations nationales et mesure des longueurs et des quantités, la lecture de graphiques, l’interprétation de toute donnée
internationales, tant pour le niveau en mathématiques que pour le poids de l’origine sociale, chiffrée, etc. Elle soutient aussi la qualité des raisonnements, la capacité d’évaluation des risques et
ce texte cible les structures multiplicatives se focalisant sur la multiplication, la division le développement de l’esprit critique. Peu de domaines au 21e siècle peuvent se passer de modèles
et les fractions. Moins étudiées que les structures additives, les structures multiplicatives mathématiques et nombre de métiers font appel à des mathématiques de difficulté variable.
font partie du socle des connaissances arithmétiques tout en constituant des prérequis Les notions travaillées à l’école primaire et au collège constituent des acquis indispensables dans
au dévelop­pement de compétences mathématiques ultérieures. de nombreuses professions et sont aussi un socle nécessaire aux acquisitions de notions plus
Ces connaissances sont de nature conceptuelles (les principes mathématiques en jeu) et avancées, mathématiques ou extra-mathématiques, pour des métiers où la technicité attendue
procédurales (les algorithmes de réso­lution). Connaissances conceptuelles et procédurales, est plus grande.
bien que distinctes, sont intri­­quées et se construisent ensemble. Ainsi, mettre en œuvre une
Depuis plusieurs décennies, on observe une baisse du niveau des élèves français en mathématiques
stratégie de résolution dans des contextes appropriés dépend de connaissances concep‑
et un accroissement de l’effet de l’origine sociale (DEPP, 2020a ; 2020b). Ces résultats préoccupants
tuelles. Les connaissances conceptuelles des élèves s’appuient sur des intuitions initiales,
fondent la nécessité d’efforts ciblés pour contrer une tendance sur une question à la fois large et
issues d’expériences extra scolaires, avec lesquelles ils abordent les notions enseignées.
focalisée, celle des structures multiplicatives et tout particulièrement de la multiplication, de la
Ces conceptions intuitives ont l’intérêt majeur d’offrir un sens aux notions rencontrées et
division et des fractions. Qu’est-ce qui a guidé ce choix ?
l’inconvénient d’être trompeuses dans certains contextes. Un enjeu crucial pour la pro‑
gression des élèves est de prendre appui sur les conceptions intuitives pour rencontrer Tout d’abord, le champ des mathématiques est si large que toute prétention d’exhaustivité est
progres­sivement le sens mathématique. à exclure. Ensuite, il a semblé important de privilégier des compétences qui relèvent d’un incon-
Alors que les conceptions intuitives de la multiplication, de la division et des fractions sont testable socle commun, et à propos desquelles des attentes existent pour l’ensemble des élèves
respectivement l’addition itérée, le partage équitable et la structure bipartite composée du du système scolaire. Il s’agit de favoriser l’appropriation par les élèves de notions essentielles et
couple « numérateur, dénominateur », il s’agit de favoriser un nouveau codage des situa­­tions néanmoins difficiles, telles que les fractions et la fameuse « règle de trois », qu’ils seront amenés
rencontrées par les élèves pour ouvrir la possibilité de développer une expertise adaptative à mobiliser de manière régulière dans une diversité de situations tout au long de leur vie. En outre, si
conduisant à mobiliser la stratégie la plus appropriée au contexte rencontré, en s’appuyant cette appropriation se révélait lacunaire, elle ferait obstacle aux apprentissages de nouvelles notions
sur les propriétés mathématiques. Des activités de comparaison entre situa­­tions avec le qui en dépendent. Or de nombreux travaux portent déjà sur les structures qualifiées d’additives,
recours à des représentations figurées constituent des aides pour accompagner ce recodage qui concernent les situations pour lesquelles les opérations d’addition et/ou de soustraction sont
et initier la perception de principes mathématiques occultés par les conceptions intuitives. suffisantes. Il nous a semblé prioritaire de privilégier des notions moins rebattues, également fonda-
mentales, et pour lesquelles des difficultés importantes existent. C’est le cas des multiplications,
Ainsi, le rectangle constitue une modélisation de la multiplication et de la division. Pour
des divisions et des fractions, dont une certaine maîtrise est essentielle tant pour les compétences
développer les conceptions de la multiplication, un schéma qui met l’accent sur le rapport
générales évoquées ci-dessus que pour les apprentissages mathématiques ultérieurs.
entre les éléments en présence peut aussi être mobilisé, qui ne souffre pas des mêmes limites
que celui de l’addition répétée. Il permet de faire usage de manière flexible des tables de Le sous-titre « réconcilier intuition et sens mathématique » appelle à être commenté. En effet,
multiplication, dont l’automatisation, favorisée par des tâches de production, est cruciale une idée qui parcourt ce texte est que les acquisitions mathématiques, pour être vraiment utiles,
pour libérer les ressources cognitives pour des apprentissages plus complexes. Le schéma doivent faire pleinement sens pour les élèves : l’application aveugle de règles absconses ne peut
« partitif » intuitif de division est présent précocement chez les élèves mais sans que les pro‑ seule faire office de progrès en mathématiques. Cela implique de favoriser une compréhension
priétés mathématiques pertinentes associées le soient également. La division gagne à être profonde des notions qui s’apparente à de l’intuition. S’approprier une connaissance, une idée,
travaillée dans des contextes de quotition (combien de groupes de ? ou combien de fois ?) qui c’est la faire sienne. On évoquera à ce sujet la parabole du mathématicien Henri Poincaré, déclarant
n’offrent pas les mêmes contraintes conceptuelles que les situations de partage. qu’un chien mangeant une oie emmagasine de la graisse de chien et non de la graisse d’oie (Apéry,
Les fractions sont l’objet de difficultés importantes d’apprentissage, qui prennent leur 1982). Or les notions mathématiques sont d’abord appréhendées par des intuitions premières,
source dans la conception bipartite, selon laquelle numérateur et dénominateur sont traités aussi nommées conceptions intuitives, par exemple que multiplier c’est additionner plusieurs
comme deux nombres indépendants. En outre, des représentations traditionnellement mobi­ fois, que diviser c’est partager, ou qu’une fraction est un un couple de nombres. Ces intuitions
lisées telles qu’un nombre de parts (qui forme le numérateur) sur une totalité découpée en initiales, largement issues du langage et des expériences de la vie quotidienne, présentent l’intérêt
parts (dont le nombre forme le dénominateur) offrent une conception seulement partielle. crucial de permettre aux élèves de donner sens aux situations rencontrées en classe. Mais elles
Une diversité de conceptions telles que la partie d’un tout non unitaire, le quotient d’une sont aussi partiellement trompeuses et expliquent de nombreuses difficultés auxquelles les
division, la position d’un point sur la droite numérique, peuvent toutes être soutenues par élèves font face. Elles le sont par exemple lorsqu’il s’agit de multiplier ou de diviser par une valeur
des représentations figurées et des activités destinées à leur donner sens. Elles constituent décimale comprise entre 0 et 1, ou de comparer entre elles deux fractions. Il s’agit donc, afin de
autant de points de vue que l’élève peut apprendre à mobiliser en situation pour développer ne pas rompre avec la précieuse et nécessaire attribution de sens, de s’appuyer sur les intuitions
son expertise des fractions et se préparer aussi à des apprentissages ultérieurs. premières pour les dépasser et soutenir la construction d’intuitions nouvelles, cette fois en phase
avec le sens mathématique.

6 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 7
Nous émettons le vœu que cette contribution aide à soutenir les apprentissages des élèves, ce qui telle ou telle stratégie de résolution est applicable. Cette reconnaissance est au cœur de la
signifie avant tout soutenir les enseignants dans la tâche difficile de faire partager des notions riches question essentielle du transfert d’apprentissage et s’apparente à la reconnaissance de contextes
et subtiles et de communiquer la beauté des mathématiques. où une certaine notion mathématique peut être mobilisée à bon escient. En outre, il est de moins
en moins considéré que les connaissances conceptuelles sont celles qui s’expriment uniquement
verbalement, telles que par des définitions (Robinson, 2017). En effet, la capacité de mise en œuvre
en situation des principes mathématiques concernés fait aussi partie des connaissances concep-
tuelles : la capacité de formuler une définition dit relativement peu de choses de l’application
1. Connaissances conceptuelles et en situation du principe mathématique concerné (Greeno, 1993). Il n’est donc pas imaginable de

procédurales, conceptions intuitives, découper les connaissances des élèves entre certaines purement théoriques et d’autres purement
pratiques (Crooks & Alibali, 2014 ; Rittle-Johnson, 2019). Au contraire, ce sont de plus en plus les
codages et recodages procédures mises en œuvre par les élèves qui sont considérées comme des indicateurs pertinents
de l’existence de telle ou telle connaissance conceptuelle (Robinson, 2017). Ainsi, pour saisir
les difficultés rencontrées par un élève dans la réalisation de telle ou telle tâche, ou les erreurs
les plus susceptibles d’être commises, il est essentiel d’identifier les connaissances conceptuelles
1.1 Connaissances conceptuelles et procédurales : distinguables inadéquates à l’origine de la difficulté ou de l’erreur.
mais indissociablement liées
À propos des notions mathématiques travaillées à l’école, il existe une distinction classique entre les 1.2 Identifier les conceptions intuitives pour favoriser
connaissances conceptuelles et les connaissances procédurales (Hiebert, 1986). Les connaissances
leur transformation
conceptuelles relèvent de la compréhension du sens d’une notion mathématique et concernent
les principes mathématiques associés à une notion (Crooks & Alibali, 2014). Il s’agit par exemple Les connaissances conceptuelles inadéquates sont souvent liées au point de vue initial des élèves
du fait que 1 est un élément neutre pour la multiplication (a × 1 = a), que multiplication et division sur les notions concernées. En effet, les notions mathématiques font l’objet de conceptions
sont deux opérations réciproques l’une de l’autre (a / a = 1), de la commutativité (a × b = b × a) et de intuitives de la part des élèves (Lautrey, Rémi-Giraud, Sander, & Tiberghien, 2008). Ces conceptions
l’associativité (a × (b × c) = (a × b) × c) de la multiplication, de la distributivité de la multiplication ont pour source des connaissances issues de la vie de tous les jours, qui se substituent aux notions
par rapport à l’addition (a × (b + c) = a × b + a × c), ou encore du fait que multiplier une fraction par mathématiques. Certains auteurs utilisent le terme de modèles tacites (Fischbein, 1989), d’autres
la fraction inverse donne le résultat 1 (a × 1 / a = 1), que le produit et la somme de deux fractions de métaphores conceptuelles (Lakoff & Núñez, 2000), d’autres encore de connaissances naïves
sont encore des fractions, etc. (Sander, 2008). L’idée commune est qu’une notion scolaire est comprise à travers une conception
Les connaissances procédurales sont en revanche directement liées aux moyens mis en œuvre extrascolaire, issue de l’expérience quotidienne. Parce qu’elles confèrent aux élèves une certaine
pour atteindre un objectif, le « savoir comment faire » (Baroody, 2003), à travers le déploiement intuition d’une notion mathématique et lui donnent ainsi du sens, les conceptions intuitives sont
d’algorithmes de résolution (Rittle-Johnson, 2019). Il s’agit typiquement aux cycles 2 et 3 de réaliser loin d’exercer une influence uniquement négative. Elles conditionnent même la compréhension
un calcul ou une séquence de calculs. Par exemple, l’addition de deux fractions par détermination première d’une notion car la seule manière de donner sens à une situation nouvelle est, par analogie,
d’un dénominateur commun puis par addition des numérateurs et simplification de la fraction de la rapprocher d’une situation connue qui paraît semblable. Elles posent toutefois la difficulté de
résultante, nécessite la mise en œuvre de connaissances procédurales. Plus tard dans la scolarité, ne pas couvrir l’intégralité des situations dans lesquelles une notion s’applique. Cela peut conduire
avec le développement des apprentissages algébriques, il s’agira aussi des algorithmes de résolution les élèves dans une impasse ou à des erreurs lorsque la situation qu’ils rencontrent ne relève pas,
impliquant des variables, comme la résolution d’équations avec une ou plusieurs inconnues. Les selon leur conception intuitive, de la notion concernée. Il y a donc un enjeu d’apprentissage crucial
connaissances procédurales sont indispensables dans de nombreuses tâches mathématiques. à ce que les connaissances procédurales des élèves puissent être décontextualisées des seules
Elles constituent un objectif identifiable de maîtrise d’un socle de compétences que l’on peut conceptions intuitives des notions qui leur sont attachées afin de pouvoir aussi être mises en œuvre
attendre des élèves. lorsque les conceptions intuitives ne sont pas en phase avec les notions mathématiques.

Même si la distinction entre ces deux formes de connaissances peut paraître aisée, connaissances
conceptuelles et procédurales sont en fait indissociablement liées et même profondément intri- 1.2.1 Angles morts de l’expertise et de l’intuition, domaine de validité
quées (Rittle-Johnson, Schneider, & Star, 2015 ; Rittle-Johnson, Siegler, & ­Alibali, 2001). Et sans que des conceptions intuitives
cela remette en cause l’importance de leur acquisition, les connaissances procédurales sont plutôt Sans que puissent facilement être démêlées la part qui revient aux activités de classe de celles qui
la partie émergée de l’iceberg des connaissances mathématiques (Prather & Alibali, 2009). En effet, proviennent plus largement de la culture et du langage, les conceptions intuitives s’avèrent forte-
hormis le cas des faits numériques mémorisés, comme les tables de multiplication apprises par ment partagées au sein d’une population d’élèves. L’enseignant est alors confronté à un double défi :
cœur, tous les calculs reposent sur des règles, et le recours à des principes mathématiques peut
influencer considérablement la manière de les mener. Par exemple, le calcul 1 × 17 + 17 × 3 peut se – d’une part se prémunir au maximum de « l’angle mort de l’expertise » (Nathan & Petrosino, 2003),
4 12 12 4 qui le conduit à ignorer la difficulté de l’élève parce que, ayant lui-même surmonté celle-ci depuis
résoudre par une succession de mises au même dénominateur ou, de manière bien plus directe,
par la prise en compte de la commutativité de la multiplication et de sa distributivité par rapport longtemps, l’enseignant en a perdu la conscience ;
à l’addition [ ( 1 + 3 ) × 17 = 17 ] . – d’autre part, ne pas être influencé par « l’angle mort de l’intuition » (Gvozdic & Sander, 2018),
4 4 12 12
Plus généralement ce que « l’on a le droit » ou pas de réaliser comme calcul dépend de connais- car certaines conceptions intuitives sont tellement prégnantes qu’il est difficile y compris pour
sances conceptuelles. C’est également le cas de la reconnaissance des situations dans lesquelles des adultes professionnels de l’enseignement d’en faire abstraction (Tirosh & Graeber, 1991)

8 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 9
et de concevoir des activités de classe qui favorisent leur dépassement. Il est à noter qu’être (Sander, 2018 ; Rivier, Scheibling-Sève, & Sander, en révision). À chaque fois, il s’agit de repérer dans
influencé par ses conceptions intuitives est inéluctable et n’est pas synonyme de défaut de les situations rencontrées par les élèves des facteurs extra-mathématiques susceptibles de faciliter
compétence. Il a par exemple été montré que même des experts en mathématiques pouvaient la résolution lorsque les contextes sont favorables, c’est-à-dire en cas de concordance, et d’y faire
être mis en difficulté dans la résolution de problèmes arithmétiques élémentaires dans les obstacle lorsqu’ils sont défavorables, c’est-à-dire en cas de discordance.
contextes où les intuitions fourvoient (Gros, Sander, & Thibaut, 2019). Sur le plan des apprentis-
En ce qui concerne le scénario rencontré, il s’agit de repérer si les éléments de contenu de la situation
sages, il est extrêmement intéressant pour un enseignant de positionner les situations travaillées
(les objets, les relations qui lient ces objets), orientent vers les opérations qui mènent à la solution
en classe par rapport aux conceptions intuitives des notions concernées. Pour cette raison,
(concordance) ou non (discordance). De nombreux travaux ont montré que la situation décrite
une attention particulière est portée dans ce texte à l’introduction de situations qui paraissent
conduit à la construction d’une représentation mentale de l’énoncé, induite par ses éléments les
souvent atypiques pour la raison même qu’elles vont à l’encontre de ces conceptions intuitives.
plus concrets, qui va, à bon ou à mauvais escient, susciter une stratégie de résolution plutôt qu’une
L’objectif sera d’augmenter la diversité des contextes dans lesquelles une même notion mathé-
autre. Par exemple, s’il est demandé d’inventer des problèmes où les entités appartiennent à une
matique est susceptible d’apparaître.
même catégorie générique, par exemple des pommes et des oranges relativement à la catégorie
Les conceptions intuitives ont été largement documentées par la recherche depuis une cinquan- « fruits », des problèmes d’addition ou de soustraction tels que « combien de fruits en tout ? » vont
taine d’années. Par exemple, pour le signe « = », il s’agit de la conception « processus-produit », quasi exclusivement être proposés. En revanche, si les entités sont liées par des relations fonction-
selon laquelle ce signe « = » sépare un processus de son résultat (Behr, Erlwanger, & Nichols, 1980). nelles de contenance telles que des pommes et des paniers, ce sont cette fois des problèmes de
Contrairement à la conception du signe « = » comme indicateur d’équivalence entre ce qui est multiplication ou de division qui seront élaborés, par exemple « combien de pommes dans chaque
indiqué de part et d’autre du signe, il résulte de cette conception que « 8 = 4 × 2 », « 2 × 6 = 4 × 3 » ou panier ? » (Bassok, Chase, & Martin, 1998). En cas de concordance, le scénario facilite le choix d’une
« 8 = 8 » ne vont pas être considérées comme des expressions recevables par certains élèves parce stratégie réussie, alors que la discordance fait obstruction. Si les élèves rencontrent uniquement
qu’il y a, selon la conception intuitive, inversion du processus et de son résultat dans le premier cas, des scénarios favorables le risque est d’être démunis dès lors que le scénario introduit cessera d’être
deux processus indiqués et pas de résultat dans le deuxième cas, et deux résultats dans le dernier inducteur de stratégies de résolution appropriées. Il est pourtant pleinement dans les attendus de
(Kieran, 1981). Identifier les conceptions intuitives offre la possibilité à un enseignant de prendre l’école primaire que les élèves soient en mesure de résoudre un problème tel que « Combien y a-t-il
appui sur elles lors de la construction de séquences d’apprentissage. En effet, elles déterminent la de fois de plus d’oranges que de pommes ? » qui repose sur le choix d’une division dans un scénario
représentation initiale la plus probable qu’un élève a d’une notion. Elles orientent la manière dont faisant intervenir des éléments d’une même catégorie, ce qui souligne l’importance de travailler
les élèves sont susceptibles d’interpréter une situation qui leur est proposée en classe. Le fait de aussi en classe de tels contextes discordants.
les identifier permet de saisir pourquoi une situation particulière pose plus de difficultés qu’une
Pour ce qui est de la simulation mentale, il a été montré que les élèves privilégient des stratégies
autre et pourquoi les élèves ont tendance à commettre certaines erreurs plutôt que d’autres. Cela
qualifiées d’informelles lorsqu’elles mènent à la réussite. De telles stratégies informelles sont
rend aussi possible de s’appuyer sur elles pour en dépasser les limites. Il s’agit pour cela d’introduire
observées avant l’entrée au CP et ne cessent pas avec l’étude des opérations arithmétiques
des situations qui évitent l’ancrage des conceptions intuitives et qui favorisent une évolution des
à l’école primaire. Il serait d’ailleurs infondé de décourager leur usage, car il s’agit d’un signe que
connaissances conceptuelles des élèves.
l’intuition de l’élève lui permet d’atteindre la solution. En revanche, il est important de dissocier
Indissociable de la notion de conception intuitive, celle de son domaine de validité permet d’iden- les situations pour lesquelles une simulation mentale mène à la solution sans faire appel à la notion
tifier les situations susceptibles de poser des difficultés aux élèves. En effet, lorsque le recours à la visée, de celles pour lesquelles cette résolution directe n’est pas possible et nécessite pour l’élève
conception intuitive conduit à la même conclusion que le recours à la conception scolaire, cela de mobiliser la notion en question. Par exemple, en CE1, le problème « Combien y a-t-il d’images
signifie que la situation concernée se situe dans le domaine de validité de la conception intuitive. dans 4 paquets de 10 images ? » est réussi par une majorité d’élèves tandis que le problème
En revanche, les cas où le recours à la conception intuitive conduit à une conclusion différente « Combien y a-t-il d’images dans 10 paquets de 4 images ? » est deux fois moins bien réussi alors
de celle du recours à la conception mathématique se situent à l’extérieur du domaine de validité. même qu’il repose sur la même opération de multiplication (Brissiaud & Sander, 2010). La raison
Par exemple l’expression « 4 × 2 = 8 » se situe à l’intérieur du domaine de validité de la conception en est que beaucoup d’élèves résolvent le premier problème en additionnant 4 fois la valeur 10,
intuitive du signe « = » (séparer un processus, à gauche, du produit de ce processus, à droite) tandis ce qui amène à la solution assez aisément. En revanche, la même stratégie conduit, pour le second
que ce n’est pas le cas pour l’expression « 8 = 4 × 2 », qui, selon cette conception intuitive, indique problème, à tenter d’additionner 10 fois la valeur 4, ce qui est nettement plus périlleux et bien
le résultat avant même le processus qui l’a produit, ou « 2 × 6 = 4 × 3 », qui présente deux processus moins susceptible de mener à la solution.
et pas de résultat. De même, comme on le précisera lors de la section suivante (1.2.2), un problème
Il est important de travailler en classe tout à la fois des situations concordantes, avec les intuitions
d’addition itérée se situe dans le domaine de validité de la conception intuitive de la multiplication,
premières, avec des scénarios aidant et pour lesquelles les stratégies informelles mènent à la
contrairement, par exemple, au cas d’un problème dans lequel on recherche combien de fois plus
solution, ainsi que des situations discordantes, pour lesquelles ces intuitions ne sont pas suffisantes.
il y a dans un ensemble que dans un autre.
Cela favorise le développement des connaissances conceptuelles de l’élève et lui donne la possi-
Le prisme de la concordance ou de la discordance avec les conceptions intuitives peut ainsi être bilité de décontextualiser les situations d’application des connaissances procédurales acquises et
mobilisé pour analyser les situations scolaires en mathématiques. Le fait de repérer si une situation de développer les expertises adaptatives nécessaires pour faire face aux situations rencontrées
rencontrée par les élèves se situe ou non dans le domaine de validité de la conception intuitive ultérieurement dans sa scolarité (Verschaffel, Luwel, Torbeyns, & Van Dooren, 2009).
associée à la notion concernée constitue une indication sur la difficulté pour les élèves. Lorsqu’il
y a concordance entre la conclusion à laquelle aboutit la référence et la conception intuitive,
1.2.2 Les conceptions intuitives des opérations arithmétiques
la résolution sera facilitée.
Concernant l’addition, la conception intuitive est celle de l’ajout (Fischbein, 1989 ; Lakoff &
De manière plus large, les conceptions intuitives ne concernent pas uniquement les notions
Núñez, 2000 ; Usiskin, 2008). Selon cette conception, les situations d’addition sont celles pour
scolaires, mais également les scénarios des situations introduites et la simulation mentale
lesquelles deux parties sont réunies pour former un tout, par exemple « Léa a 3 billes. Théa a

10 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 11
5 billes. Combien ont-elles de billes à elles deux ? », ou celles pour lesquelles une valeur initiale est Pour la division, la conception intuitive est celle du partage équitable (Fischbein, 1987 ; Lakoff &
donnée, ainsi que la valeur d’un accroissement, avec la question portant sur la valeur finale, par Núñez, 2000) – qualifié aussi de division-partition – dans une situation où la quantité totale est
exemple « Léa a 3 billes. Elle gagne 5 billes à la récréation. Combien de billes Léa a-t-elle après la connue ainsi que le nombre de parts et que la question porte sur la quantité reçue par chacun,
récréation ? ». Un problème qui porte sur la recherche de la valeur de départ dans un contexte c’est-à-dire la taille de chaque part, par exemple « 20 bonbons sont partagés équitablement
de perte, par exemple « Léa avait des billes. Elle en perd 3 à la récréation. Il lui reste 5 billes. entre 5 amis. Combien de bonbons chaque ami va-t-il recevoir ? ». Ces situations conduisent à un
Combien de billes Léa avait-elle avant la récréation ? » se situe hors du domaine de validité de la résultat dans la même unité que la valeur initiale. Une telle conception occulte les scénarios de
conception intuitive de l’addition, de même qu’un problème de comparaison, par exemple « Léa division-quotition dans lesquels la recherche porte sur le nombre de fois qu’une valeur se trouve
a 3 billes. Théa a 5 billes de plus que Léa. Combien Théa a-t-elle de billes ? ». Autant les énoncés dans une autre (par exemple « 20 bonbons sont répartis en sachets de 5 bonbons. Combien de
tels que les deux premiers sont réussis par la quasi-totalité des élèves d’une classe dès le CP, autant sachets va-t-on remplir ? »). Le fait que les situations de quotition se résolvent par des divisions ne
les deux derniers résistent bien plus tardivement. On note en particulier que le mot « de plus » va pas de soi et nécessite d’être travaillé. Ainsi, les résultats de l’enquête TIMMS 2019 indiquent que
présent dans certains problèmes de comparaison ne suffit pas à lui seul pour provoquer l’usage seuls 38 % des élèves de CM1 en France choisissent la division parmi les 4 opérations pour résoudre
de l’addition par les élèves. le problème suivant : « Céline distribue 48 autocollants. Elle en offre le même nombre à 4 amis.
Quelle opération donne le donne le nombre d’autocollants que Céline offre à chaque ami ? » (DEPP,
La conception intuitive de la soustraction (Fischbein, 1989 ; Lakoff & Núñez, 2000) est celle de la
2022). La conception intuitive de la division conduit à penser que diviser rend le nombre plus petit.
recherche de la quantité subsistante, connaissant la valeur initiale et la quantité perdue, typique-
Alors que des situations très concrètes existent telles que « Combien de verres de 0,23 l peut-on
ment, « Léa a 8 billes. Elle en perd 5. Combien lui reste-t-il de billes ? ». À l’inverse, des problèmes
remplir avec une bouteille de 2 l ? »), la quasi-totalité des élèves de 6ème/5ème et une grande partie
pour lesquels il s’agit par exemple de trouver combien a été gagné, tel que « Léa avait 3 billes. Elle en
des adultes échouent à imaginer une situation de division « qui rend plus grand » (Sander, 2018).
gagne. Maintenant elle en a 8. Combien de billes Léa a-t-elle gagnées ? », ou de comparer, comme
« Léa a 8 billes. Théa a 3 billes. Combien Théa a-t-elle de billes de moins que Léa ? », sont hors du
domaine de validité de la conception intuitive et nettement plus difficiles pour les élèves. Notons 1.2.3 Les conceptions intuitives des fractions
que ce n’est pas simplement le fait de mettre en scène une situation de perte qui correspond à la
Pour les fractions, il s’agit d’une structure bipartite (DeWolf, Grounds, Bassok, & Holyoak, 2014 ;
conception intuitive de la soustraction mais bien la recherche de la quantité restante. Ainsi, l’énoncé
Lortie-Forgues, Tian, & Siegler, 2015), composée de deux nombres entiers. Cette conception est
« Lors d’une course, 108 coureurs prennent le départ. Il y a beaucoup d’abandons : 85 coureurs
renforcée par l’utilisation d’exemples pédagogiques qui alignent la forme a/b sur des exemples de
seulement terminent la course. Combien de coureurs ont abandonné ?» proposé en France par la
type parties/tout comme dans un scénario de parts de pizza (DeWolf, Rapp, Bassok, & Holyoak,
DEPP auprès d’élèves de CE2 donne lieu à seulement un quart de réussites. Bien qu’il s’agisse d’un
2014). Les fractions sont donc le plus souvent utilisées avec des quantités discrètes. Le numérateur
contexte de diminution, où des coureurs abandonnent, cette situation sort du domaine de validité
et le dénominateur sont de mêmes unités, comme pour les parts de pizza. Ainsi, on retrouve chez
de la conception intuitive de la soustraction car la question porte sur la quantité enlevée alors que
les étudiants une préférence pour représenter les fractions sous forme de diagramme discret plutôt
c’est la valeur du reste qui est connue.
que continu (Rapp, Bassok, DeWolf, & Holyoak, 2015). En conséquence de cette structure bipartite,
Concernant la multiplication, la conception intuitive est celle d’une réplication, avec ajouts la fraction est vue comme une division de deux nombres (a/b, c’est a divisé par b) et non comme un
successifs de la valeur associée à chacune des répliques, ce qui correspond à une addition itérée nombre, une grandeur (Bonato, Fabbri, Umilta, & Zorzi, 2007). De la conception intuitive de fraction
(Bell, Swan, & Taylor, 1981 ; Fischbein, 1989). Un problème typique de la sorte est « Léo a 3 paquets comme structure bipartite découle des stratégies erronées dans le cas de l’addition de fractions
de 10 gâteaux. Combien Léo a-t-il de gâteaux ? ». Près de 80 % des élèves de CM1 répondent par par exemple. Ainsi, dans un énoncé comme celui de TIMMS (2011) – Tom a mangé 1/2 d’un gâteau. Et
exemple correctement à la question « Le prix d’une place de cirque est de 8 euros. Quel est le Jeanne a mangé 1/4 d’un gâteau. A eux deux, quelle fraction du gâteau ont-ils mangé ? – la stratégie
prix de 4 places » (DEPP, 2022). Cette conception intuitive de l’addition répétée a toutefois des intuitive est celle d’additionner indépendamment les numérateurs et les dénominateurs (soit 2/6).
conséquences problématiques pour les apprentissages. Tout d’abord, elle rend difficilement Une réponse correcte au problème traduit le fait que l’élève a soit mis en œuvre les techniques
acceptable la commutativité de la multiplication, puisque l’idée ne va pas de soi qu’ajouter un opératoires pour additionner les fractions, ce qui n’est pas encore au programme à cet âge dans
certain nombre de fois une certaine valeur aboutisse au même résultat que l’ajout successif de de nombreux pays notamment en France où il s’agit d’élèves de CM1, soit a réussi à se représenter
l’autre valeur l’autre nombre de fois (Fischbein, Deri, Nello, & Marino, 1985). Comment se fait-il que mentalement la fraction comme quantité (la moitié + le quart donne les trois quarts). Or on constate
« 3 × 5 » = « 5 × 3 », autrement dit selon la conception intuitive que « 5 + 5 + 5 » = « 3 + 3 + 3 + 3 + que le taux de réussite est faible (23 %) au niveau international2.
3 » ? Elle induit aussi l’idée, conforme à la signification extra-mathématique du terme « multiplier »,
Un obstacle particulier pour comprendre les fractions découle de l’analogie entre nombres naturels
que toute multiplication rend le nombre plus grand, dans la mesure où une certaine valeur est
et nombres rationnels. Cela conduit à une tendance à appliquer les propriétés des nombres entiers
additionnée plusieurs fois. Elle conduit aussi à ne pas envisager la possibilité de multiplier deux
aux fractions. On parle alors de biais pour les nombres entiers (whole number bias, Ni & Zhou, 2005).
nombres dont aucun ne serait un nombre entier. Elle rend difficile d’associer à la multiplication des
De cette conception intuitive découlent différentes difficultés. Les élèves ont ainsi tendance
situations qui ne peuvent être résolues par des additions itérées. Par exemple, il a été montré que
à penser que les nombres rationnels, comme les nombres entiers, ont un unique successeur et
seule une mino­­rité d’élèves de collège résolvait par une multiplication un problème dans lequel
non pas une infinité de successeurs (Siegler & Lortie-Forgues, 2015 ; Vamvakoussi & Vosniadou,
on connaîtrait le prix unitaire et on chercherait le coût d’une quantité inférieure à 1, par exemple,
2010). Cette assimilation avec les nombres naturels conduit aussi les élèves à penser que plus le
« un kilo de tomates coûte 2,27 euros, combien coûtent 0,22 kilos de tomates ? » (Bell, Swan, &
numérateur, ou le dénominateur, ou les deux, sont grands, plus la fraction est grande (Ni & Zhou,
Taylor, 1981). Finalement, elle exclut de nombreux scénarios de multiplication tels que le calcul
2005). Ainsi, respectivement 41 % et 44 % des élèves de l’enquête TIMMS 2019 ont estimés que
d’une distance parcourue, de la surface d’un rectangle, un rapport entre quantités : « Combien y
1/3 et 3/10 étaient supérieurs à 1/2 (DEPP, 2022). Cela montre l’importance, parmi les 58 % et 59 %
a-t-il de fois de plus ? », ou encore le produit cartésien comme dans l’exemple : « Mehdi a 3 tee-shirts
et 2 pantalons. Combien de tenues différentes Mehdi peut-il créer ? ».

2 La France ne participait pas à TIMMS en 2011

12 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 13
d’élèves qui répondent (à juste titre cette fois) que 5/6 ou 7/12 sont supérieurs à 1/2, de distinguer situation des propriétés qui sont aisément attribuées dans certains contextes mais atypiques pour
les réponses issues de l’influence de la conception bipartite de celles qui s’appuient sur une ce contexte particulier. Il s’agit d’un changement de point de vue soutenant un cheminement
authentique compréhension des quantités associées aux fractions. De même, par analogie avec vers l’abstraction car il favorise une décontextualisation des situations pour lesquelles certaines
les nombres entiers, il est fréquent de conclure que multiplier deux fractions rend nécessairement propriétés peuvent être attribuées en élargissant les cas de figure envisageables. Pour reprendre
plus grand, et que diviser deux fractions rend nécessairement plus petit (Siegler & Lortie-Forgues, l’exemple de la question « Combien y-a-t-il de pommes par panier ? », la relation contenu-contenant
2015). Un enjeu de l’enseignement des fractions, comme cela sera développé dans ce texte (3.3), soutient un scénario de répartition de pommes dans des paniers qui rend accessible l’opération
est donc de favoriser la compréhension de la fraction comme une grandeur. de division. En revanche, la question « Combien y a-t-il de pommes pour chaque orange ? » n’offre
pas cette possibilité de prime abord, sauf à considérer que la répartition se fait non pas par panier
mais par orange, autrement dit qu’un même groupe de pommes est assigné à chaque orange.
1.3 Du codage spontané au recodage pour aller Ce type de processus est une forme de changement conceptuel, car sa réalisation ne consiste
au‑delà des limites des conceptions intuitives pas en un simple enrichissement de la représentation initiale (Vosniadou & Verschaffel, 2004).
Le recodage pourrait être d’une grande importance dans les apprentissages mathématiques, car
l’accès à une représentation différente et l’utilisation des connaissances arithmétiques qui y sont
1.3.1 Le codage des situations associées, ouvrent la voie à une expertise adaptative consistant en la mise en œuvre de stratégies
de résolution appropriée à la situation rencontrée.
Les activités en classe ne sont pas intériorisées par les élèves comme de simples copies internalisées
des situations décrites. Toute situation rencontrée fait l’objet d’un codage plus ou moins pertinent Revenons à l’énoncé précédent d’achat de stylos dans la librairie. Le codage qui conduit à l’opéra-
sur le plan mathématique. En effet, toute situation est codée sur la base d’indices, souvent non tion « 3 + 3 + 3 + 3 + 3 » aboutit à une addition d’autant plus longue qu’il y a d’enfants. Modifions
conscients, à savoir les propriétés qui, du point de vue de la personne qui résout, sont perçues à présent l’énoncé pour préciser la couleur de chaque stylo : « Madame Durand achète dans une
comme structurantes. Ce processus, largement implicite, va organiser la représentation mentale librairie pour chacun de ses 5 enfants, 3 stylos, un rouge, un bleu et un vert. Combien de stylos
d’une situation, et, de la, biaiser la stratégie de résolution. Prenons l’exemple de l’énoncé « Madame achète-t-elle en tout ? ». L’attribution d’une couleur aux stylos rend plus facilement accessible
Durand achète dans une librairie pour chacun de ses 5 enfants, 3 stylos. Combien de stylos achète- un codage alternatif de cette situation, car au lieu d’additionner le nombre de chaque sorte de
t-elle en tout ? », que l’on se contraint à résoudre par une addition. La solution qui vient à l’esprit est stylos par enfant (3 + 3 + 3 + 3 + 3), il devient plus aisé d’imaginer l’addition du nombre d’enfants
systématiquement 3 + 3 + 3 + 3 + 3. Cela indique que le codage de la situation a conduit à imaginer par sorte de stylos (5 + 5 + 5). S’il y a beaucoup d’enfants et peu de sortes de stylos, le nombre de
une addition itérée dans laquelle chaque enfant reçoit 3 stylos. En règle générale, un codage peut calculs en est d’autant réduit. Cet exemple est loin d’être anodin. En effet, considérons maintenant
être plus ou moins favorable à une stratégie de résolution. Ainsi, dans l’exemple précédent, le calcul l’énoncé « Madame Durand achète dans une librairie pour chacun de ses 5 enfants, 3 stylos rouge,
est d’autant plus long que le nombre d’enfants est élevé, ce qui peut le rendre difficile. 6 stylos bleu et 4 stylos vert. Combien de stylos achète-t-elle en tout ? ». Cet énoncé ouvre la voie
à deux principales stratégies distinctes, qui reposent sur la distributivité de la multiplication sur
Le codage adopté sera déterminant pour rendre ou non une stratégie de résolution accessible et
l’addition : celle de développement (« 5 × 3 + 5 × 6 + 5 × 4 ») et celle de factorisation (« 5 × (3 + 6 + 4) »).
ce, même pour des problèmes qui partagent une même structure mathématique. La recherche a
Ainsi, développement et factorisation n’apparaissent pas simplement comme deux algorithmes
amplement montré comment l’« habillage » d’un problème peut radicalement modifier la difficulté
concurrents, mais reposent sur deux codages alternatifs d’une même situation qui conduisent à des
de sa résolution (De Corte, Verschaffel, & De Win, 1985 ; Vicente, Orrantia, & Verschaffel, 2007).
stratégies distinctes : soit on privilégie le codage par couleur de stylo en procédant à l’addition
En effet, le codage se fait par rapport au contenu de l’énoncé. Par exemple un énoncé de problème
successive des stylos de chaque couleur, ce qui correspond à un développement (« 5 × 3 + 5 × 6 + 5
dans lequel il est fait mention de fleurs et de vases, ou de pommes et de paniers, ou encore de
× 4 »), soit on privilégie le codage par objets en procédant d’abord à l’addition des types de stylo, ce
billes et de sacs, fera certainement intervenir la relation « contenu – contenant » parmi les dimen-
qui correspond à une factorisation (« 5 × (3 + 6 + 4) »). La possibilité d’envisager les deux codages est
sions de codage, ce qui se prête à une stratégie de résolution faisant intervenir une multiplication
déterminante pour justifier la possibilité de faire appel à l’une ou l’autre stratégie et donner sens à la
ou une division (1.2.1). En revanche un énoncé de problème faisant intervenir des tulipes et des
distributivité plutôt que la percevoir comme une règle arbitraire. Il est donc essentiel de travailler
roses, des pommes et des oranges, ou des billes bleues et des billes rouges fera intervenir parmi
la diversité des codages possibles et les possibilités de recodage lorsque les différents codages ne
les dimensions de codage la relation d’appartenance à une même catégorie, en l’occurrence les
sont pas immédiatement accessibles (Gvozdic & Sander, 2020 ; Thevenot & Oakhill, 2005, 2006).
catégories fleurs, fruits et billes respectivement, ce qui se prête à une stratégie de résolution faisant
intervenir une addition ou une soustraction, comme discuté également ci-dessus (1.2.1). De ce Un enjeu essentiel d’apprentissage est que les élèves ne codent pas les énoncés travaillés en
fait, les codages spontanés faciliteront les résolutions de problèmes comme « Combien y a-t-il de classe selon les seules caractéristiques de l’habillage du problème, ce qui les mettrait en échec
pommes par panier ? » ou « Combien y a-t-il de pommes de plus que d’oranges ? », mais poseront dès lors qu’un nouveau problème cesserait de partager les caractéristiques de cet habillage.
difficulté lorsqu’il s’agit par exemple de chercher « Combien y a-t-il de fois de plus de pommes L’enjeu est donc qu’ils soient aussi en mesure de repérer des propriétés qui sont pertinentes sur
que d’oranges ? ». le plan mathématique. Une activité explicite de comparaison entre énoncés de problèmes peut
soutenir le recodage et favoriser le traitement en profondeur des deux situations et l’extraction
de caractéristiques communes pertinentes sur le plan mathématique. Le recodage sémantique
1.3.2 Les apports du recodage
peut être réalisé par le biais d’activités en classe qui impliquent la comparaison des stratégies de
Pour donner les moyens de dépasser une première compréhension, intuitive, fondée sur les seuls résolution sur des problèmes présentant des contextes sémantiques différents (Gamo, Sander &
codages initiaux, des activités de recodage peuvent être extrêmement fécondes. Elles peuvent Richard, 2010). Dans les recherches qui s’inscrivent dans ce paradigme, il est demandé aux élèves
favoriser le développement d’une conception plus abstraite d’une notion mathématique, moins de comparer des situations ou des stratégies afin d’identifier les similitudes ou dissimilitudes entre
dépendante de propriétés extra-mathématiques, comme l’existence d’une relation de contenu elles et ainsi acquérir un codage commun et utiliser la stratégie la plus efficace. Ainsi, les différents
à contenant entre les entités présentes dans la situation. Un recodage consiste à attribuer à une types de comparaisons pour l’apprentissage de la résolution de problèmes ont des résultats positifs

14 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 15
dans la maîtrise des notions étudiées, et peuvent également favoriser le transfert (Rittle-Johnson
& Star, 2011 ; Rittle-Johnson, Star, & Durkin, 2017). Il a même été montré que la comparaison des
2. Faire appel aux représentations figurées
procédures informelles et formelles de résolution améliore la compréhension conceptuelle
(Hattikudur, Sidney, & Alibali, 2016).

Outre la comparaison explicite, une direction pour la conception d’interventions pédagogiques 2.1 Des représentations pour soutenir et développer
favorisant les processus de re-représentation des élèves est celle de l’introduction de problèmes la compréhension
pouvant se résoudre avec plusieurs stratégies distinctes (Scheibling-Sève, Gvozdic, Pasquinelli,
& Sander, sous-presse). Les élèves doivent alors adopter les différentes stratégies, favorisant Dans cette partie du texte, nous exprimons l’idée selon laquelle un certain type de représentation
le passage d’une conception à l’autre. Dans une expérimentation menée en milieu écologique « figurée » ou « figurative » est inséparable de l’activité mathématique. Faire des mathématiques,
auprès de 600 élèves de CM1 et CM2 (Scheibling-Sève et al., sous-presse), les élèves étaient incités c’est utiliser sans cesse des représentations, en tant que productions visibles ou tangibles. Dans
à recatégoriser la situation via l’explicitation d’un changement de point de vue. Ils étaient ainsi cette section 2 de ce texte, le terme de représentation est utilisé uniquement dans ce sens, et non
amenés a adopter plusieurs points de vue sur une même situation. Par exemple, afin de favoriser dans celui, fréquent en psychologie des apprentissages, de représentation mentale. La question de
la maîtrise de la distinction entre structure additive et multiplicative, l’objectif était de dépasser la l’activité mathématique des élèves et du professeur est donc aussi celle de leur usage des représen-
conception intuitive de comparaison « en plus » pour construire les conceptions valides sur le plan tations. Plus généralement, lorsque l’on considère les mathématiques pratiquées à l’école, le constat
scolaire de comparaison « de plus » et comparaison « fois plus ». Les élèves étaient ainsi amenés est que les élèves ont tendance à voir « les mathématiques comme une collection de règles et de
à utiliser les points de vue « de plus », « de moins », « fois plus », « fois moins ». Par exemple, deux points procédures dont il faut se souvenir » (Richland, Stigler, & Holyoak, 2012). Ainsi, les connaissances
de vue peuvent être adoptés sur la phrase : « Jena a 15 billes et Mateo a 5 billes ». En prenant le mathématiques se trouvent abusivement assimilées à des connaissances procé­durales, pour des
point de vue de Jena, on peut conclure : « Jena a 3 fois plus de billes que Mateo ». En prenant le élèves qui « manquent des concepts fondamentaux dont ils auraient besoin pour raisonner en
point de vue de Mateo, on peut conclure : « Mateo a 3 fois moins de billes que Jena ». Ainsi, les mathématique » (Ibid.).
élèves étaient amenés à travailler la réciprocité de la multiplication et de la division qui apparait
Ce constat invite à une certaine prise de conscience du fait que, pour beaucoup de mathématiciens,
cruciale dans la construction de la notion de rapport. Un même travail était également réalisé pour
l’activité mathématique consiste à « penser en mathématiques », ainsi que l’exprime par exemple
distinguer « de plus » et « de moins ». En effet, les élèves opèrent avec difficulté la distinction entre
le mathématicien William P. Thurston dans un article important3 au sein duquel il décrit le travail
les structures multiplicatives et additives, du fait des conceptions intuitives de l’addition ́ itérée
mathématique de la manière suivante : « Nous n’essayons pas de respecter quelques quotas
pour la multiplication et du partage équitable pour la division (Fischbein, 1989).
abstraits de production : tant de définitions, tant de théorèmes et tant de preuves. La mesure de
Il s’avère donc que les codages des situations déterminent les stratégies envisageables et notre succès est bien plutôt : est-ce que ce que nous faisons permet effectivement aux individus
contraignent les possibilités de transfert. Un codage pertinent sur le plan mathématique est le de comprendre des mathématiques, et d’y penser plus clairement et plus efficacement » (Thurston,
gage d’une compréhension et d’un transfert d’apprentissage approprié. Un recodage, reposant 1995, p. 9). Dans une telle perspective, le but essentiel de l’activité mathématique, en classe comme
notamment sur la comparaison explicite entre différentes situations introduites en classe, soutient pour les mathématiciens, est de comprendre les mathématiques, ce qui implique de développer
la construction de codages pertinents et l’apprentissage. Afin de faire évoluer les conceptions des outils ou des images mentales nouvelles. Les représentations jouent un rôle majeur dans
intuitives et de favoriser les recodages, il est utile de pouvoir s’appuyer sur des représentations ce processus : devenues familières, internalisées, ces images concrètes soutiennent la pensée
figurées, qui constituent des manières de modéliser les situations mathématiques rencontrées. abstraite et l’intuition mathématique. Nous argumentons ainsi quant à l’importance de lier d’une
En effet, il s’agit de pouvoir aller au besoin à l’encontre de l’intuition première, tout en préservant certaine manière l’activité mathématique des élèves et du professeur à celle des scientifiques et des
la possibilité d’attribuer du sens à la situation rencontrée. Cela permet de la comprendre, en la mathématiciens, et quant au rôle essentiel des représentations pour assurer ce lien.
représentant dans un nouveau format qui permet de rendre mieux visible la ou les stratégies les
plus appropriées pour résoudre les problèmes rencontrés, qui constitue donc un nouveau codage,
2.1.1 La force des représentations en mathématiques
plus fécond pour réussir la tâche rencontrée.
Par représentation, nous désignons dans ce texte, « des productions visibles ou tangibles – des
diagrammes, lignes numériques, graphes, des arrangements d’objets concrets ou manipulables, des
modèles physiques, des mots écrits, des expressions mathématiques, des formules et équations,
des images sur l’écran d’un ordinateur ou d’une calculatrice, etc. Ces représentations encodent,
symbolisent, ou incarnent des idées ou des relations mathématiques » (Goldin, 2020). Les représen-
tations mathématiques organisent d’une manière spécifique les relations entre abstrait et concret.
Avant d’en venir à la question de la multiplication, prenons l’exemple de l’opération d’addition.
Il est possible de penser et écrire l’addition des nombres 2 et 4 sous diverses formes, par exemple :

– a/ d’une écriture mathématique telle que 6 = 2 + 4 ou 4 + 2 = 6 ;

– b/ d’un segment sur une ligne numérique (Bass, 2018 ; Gravemeijer, 1994).

3 Cet article est paru en 1995 aux États-Unis, et a été traduit en France dans la revue Repères
(https://publimath.univ-irem.fr/biblio/IWR97142.htm), avec des commentaires de Guy Brousseau
(http://guy-brousseau.com/wp-content/uploads/2011/11/Notes-%C3%A0-propos-de-larticle-de-Thurston-On-Proof-
and-Progress-in-math%C3%A9matics-_1_.pdf).

16 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 17
Notons qu’une telle représentation de l’addition, et plus généralement des structures additives Par exemple, il sera possible de « décomposer » cette écriture en écrivant 6 = 2 + 3 + 1, ou encore
c’est-à-dire des situations où une addition ou une soustraction s’appliquent, est déjà présente de la « complexifier », en écrivant par exemple 6 + 4 = 2 + 3 + 1 + 4. De la même manière, écrire
chez Descartes, qui écrit dans ses Règles pour la direction de l’esprit (1628-1629, 1973, p. 115, 32 = 8 × 4 peut permettre d’écrire 32 = 8 × 2 × 2.
Règle XVIII) : « S’il faut faire une addition ou une soustraction, nous concevons le sujet sous la
Si maintenant l’addition est représentée sous la forme d’un segment sur la ligne numérique, ce
forme d’une ligne, ou sous la forme d’une grandeur étendue dans laquelle on ne doit considérer
format permettra d’appréhender, directement, que la « mesure 4 » est le double de la « mesure 2 »,
que la longueur : car s’il faut ajouter la ligne [on parlerait aujourd’hui de « segment de droite »]
et que la « mesure 6 » est le triple de la « mesure 2 ». Si enfin l’addition est représentée sous la forme
a à la ligne b, nous joignons l’une à l’autre de cette manière ab, et l’on obtient c. Si, au contraire,
d’un « diagramme en boîte » non proportionnel, on « perdra » l’analogie de la mesure puisque, par
il faut soustraire la plus petite de la plus grande, à savoir b de a, nous les appliquons l’une sur
exemple, la case « 4 » n’est alors pas nécessairement deux fois plus grande que la case « 2 », mais
l’autre de cette manière : on obtient ainsi la partie de la plus grande qui peut être couverte par
un tel format de représentation mettra l’emphase sur un codage de deux parties formant un tout.
la plus petite. »
De manière analogue, il est possible de représenter la multiplication 32 = 8 × 4 sur la ligne numérique,
mais il est également possible de le faire en deux dimensions, sous la forme d’un rectangle de
8 rangées de 4, comme cela sera développé ci-dessous.

Selon le format de représentation adopté, de nouveaux phénomènes numériques, des propriétés


de l’expression mathématique auparavant « dissimulées » seront à chaque fois rendues saillantes.
Les exemples qui précèdent concrétisent la définition de la notion de représentation proposée
par Brousseau : « Une représentation consiste donc en l’utilisation d’un univers représentant, pour
y accomplir une action a priori directement impossible dans un univers représenté, afin de pouvoir,
par la suite, ramener dans ce dernier le résultat de cette action. » (Brousseau, 2004, p. 149).

Afin de concrétiser cette définition, précisons que dans l’addition précédente, il est ainsi possible
de partir de l’écriture mathématique 6 = 2 + 4, que l’on cherche à représenter ; cette écriture
est donc le « représenté », produit dans « l’univers représenté ». Cette même écriture peut être
représentée par une addition de segments sur la ligne numérique : les segments constituent alors
le « représentant », produit dans « l’univers représentant ». Utiliser la représentation sur la ligne
numérique, rend visible et aide à comprendre que, par exemple, 4 est le double de 2 et que 6 est le
triple de 2. Il sera alors possible de ramener dans l’univers « représenté » (l’écriture mathématique)
le produit de cette compréhension, en écrivant par exemple que 3 × 2 = 2 × 2 + 1 × 2.

De même, il sera possible de considérer un rectangle de longueur 8 et de largeur 4, et donc


de surface 32, comme le représentant de l’écriture 32 = 8 × 4 (le représenté). Le rectangle
– d/ d’un diagramme en boîte (Fischer, Sander, Sensevy, Vilette, & Richard, 2019) ; « dessiné » représentera l’écriture mathématique 32 = 8 × 4. De la même manière, l’utilisation du
6 nombre rectangle, développée ci-dessous, permet de représenter et de comprendre en faisant
simplement pivoter ce même rectangle que 32 est aussi égal à 4 × 8. On aura ainsi ramené dans
2 4
l’univers représenté (l’écriture mathématique), le résultat de l’action produite dans l’univers repré-
« L’abstrait » de l’idée mathématique d’addition se trouve concrétisé de manière différente dans ces sentant (le pivotement du rectangle), en écrivant par exemple que 32 = 8 × 4 = 4 × 8.
trois représentations. Davydov (2008) parle à ce sujet d’ascension de l’abstrait au concret, ascension
dans la mesure où une signification mathématique, ici l’addition, gagne en puissance dans l’appré-
2.1.3 La traduction entre représentations
hension du réel, et se trouve elle-même mieux appréhendée. En effet, lorsque l’idée d’addition (ici
des nombres 2 et 4) est concrétisée dans les trois représentations ci-dessus, elle s’incarne dans une Dans de nombreux cas, l’activité mathématique peut être considérée comme une opération de
forme spécifique qui permet de la manipuler, de l’étudier, de mieux la comprendre. Ce qui importe traduction entre différentes représentations d’un même énoncé (cf. McNeil & Fyfe, 2021 ; Fyfe,
n’est donc pas tant le passage à l’abstraction ou le passage à la concrétisation, mais la relation entre McNeil, Son, & Goldstone, 2014, Ding & Li, 2014). Cette traduction consiste en l’élaboration de
abstrait et concret, dans les deux sens (Dreyfus, 2014), et donc à la fois la capacité à abstraire et stratégies qui consistent à produire d’abord une première représentation d’une relation mathéma-
celle à concrétiser. On peut considérer le travail des représentations comme visant à développer tique – l’écriture mathématique 32 = 8 × 4 dans l’exemple précédent –, qui permet de comprendre
ensemble ces deux capacités, dans tous les domaines des mathématiques, et notamment dans cette relation d’une certaine manière, par exemple que 32 correspond à 8 groupes de 4, et donc
la résolution de problème (cf. les guides du MEN, 2021, 2022 : Résolution de problèmes au collège ; de pouvoir agir sur elle en utilisant les propriétés associées à cette compréhension.
Résolution de problèmes au cours moyen).
Dans un second temps, cette représentation est traduite dans une autre représentation – par
exemple l’usage d’un rectangle de 8 rangées de 4 –, ce qui rend possible de réaliser d’autres actions,
2.1.2 Ce que produisent les représentations fondées sur d’autres propriétés. On peut faire tourner le rectangle, par exemple, ce qui rend visible
que 8 groupes de 4 et 4 groupes de 8 correspondent à la même quantité. D’autres manipulations
Les représentations se caractérisent précisément parce qu’elles permettent de concevoir l’idée ou
permettront de voir au sens littéral, que 8 groupes de 4 peuvent être « décomposés », par distribu-
la relation mathématique d’une manière spécifique, et donc d’agir, dans le travail mathématique,
tivité, en 6 groupes de 4 et 2 groupes de 4.
d’une manière spécifique. Reprenons l’exemple ci-dessus : écrire 6 = 2 + 4, c’est représenter
symboliquement l’addition d’une manière qui peut rendre saillantes certaines de ses propriétés.

18 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 19
2.1.4 Représentations, analogie, et modélisation
2.2 Le cas du nombre rectangle : une représentation particulière
Dans l’activité humaine en général et l’activité mathématique en particulier, l’analogie a un rôle pour favoriser la compréhension de la multiplication
majeur (Gray & Holyoak, 2021 ; Hofstadter & Sander, 2013 ; Holyoak & Thagard, 1997). Les représen-
tations peuvent fonctionner comme favorisant l’analogie, comme des « opérateurs d’analogie », en
particulier parce qu’elles permettent de modéliser différentes situations qui peuvent se concevoir 2.2.1 Représenter la multiplication par un nombre rectangle
comme relevant de la même structure mathématique. Ainsi, la représentation sur la ligne numérique
Parmi les représentations qui permettent de comprendre les nombres et les opérations arithmé-
permet de modéliser une variété de situations diverses telles que la juxtaposition d’un bâton de 4 m
tiques se trouvent les nombres figurés (cf. par exemple Deza & Deza, 2012), et notamment les
de longueur à un bâton de 2 m de longueur, ou la mise en commun d’une somme de 4 euros et d’une
nombres rectangles. Comme introduit ci-dessus (1.2.2), la conception intuitive de la multiplication
somme de 2 euros. Elle favorise la compréhension par les élèves que cette diversité de situation
est l’addition itérée, qui conduit par exemple à ce que 3 × 4 soit compris comme 4 + 4 + 4. Cette
peut être ramenée à une même représentation. De même, un nombre-rectangle, tel qu’introduit
conception selon laquelle a × b = b + b + b + b… « a fois » constitue une compréhension spécifique
ci-dessous, peut unir sous un même format de représentation une diversité de situations (cf. La
de la multiplication, qui peut bien se représenter sur la ligne numérique, mais qui peut également
résolution de problèmes au cours moyen et La résolution de problèmes au collège pour de nombreux
faire obstacle dans de nombreuses situations, comme discuté également au 1.2.2. Si les nombres
exemples), rendant saillant en quoi ces situations sont analogues sur le plan mathématique.
figurés sont classiquement utilisés dans leur format rectangle sous forme de tableaux contenant
L’analogie sous-jacente à la diversité des situations représentées est traduite par le codage sur la ligne un point dans chaque case, il est aussi possible que les côtés soient des segments de taille non
numérique ou avec le nombre rectangle, qui conduit à une modélisation de ces situations. D’une entière. C’est notamment le cas lorsqu’on a affaire à un produit de nombres décimaux (on ne saisit
manière générale, donc, les représentations peuvent symboliser des états et des relations. C’est un pas facilement comment on peut appréhender de cette manière 3,2 fois 4,1 par exemple), ou
aspect essentiel de l’activité scientifique en général, et mathématique en particulier (Coopmans, lorsqu’on considère la multiplication par un nombre inférieur à 1. En effet, la conception intuitive
Vertesi, Lynch, & Woolgar, 2014 ; Lynch & Woolgar, 1990) que d’utiliser des représentations pour de la multiplication comme addition itérée laisse penser que multiplier un nombre b par un nombre
modéliser. Une part importante de l’activité mathématique en classe peut donc se centrer sur quelconque donnera toujours un résultat supérieur à b (alors que par exemple 0,5 × 3 = 1,5 ; 1,5 < 3,
l’enseignement de « méthodes de représentation efficaces pour modéliser » (La résolution de et qu’on voit mal comment donner du sens à l’idée de itérer « une demi-fois »).
problèmes au cours moyen, p. 107). Dans cette perspective, une représentation peut être utilisée
Descartes (1628-1629, 1973, p. 115, Règle XVIII), qui considérait, comme nous l’avons vu, l’addition
à la fois pour modéliser une situation donnée, par exemple un énoncé de problème, mais aussi
et la soustraction « sous la forme d’une grandeur étendue dans laquelle on ne doit considérer que
pour produire des relations qu’elle permet de concevoir.
la longueur », pense la multiplication de la même manière. Il envisage toutefois aussi un autre format,
Ainsi, le diagramme en boîte précédemment évoqué peut-il être considéré de deux manières. Il est comme cela apparaît lorsqu’il écrit :
possible d’une part de considérer qu’il modélise une situation de la vie quotidienne et une question
qu’elle pose (par exemple, « Lydia a 4 billes. Haruki a 2 billes. Combien en ont-ils ensemble ?).

6
2 4

Ce format fait apparaître la valeur de la totalité et en dessous les valeurs associées à chaque partie.
Il est possible d’autre part de le considérer comme une petite machine à écrire des équations.
En s’appuyant sur ce diagramme, il sera possible d’écrire par exemple :

6 = 4 + 2, mais aussi 2 = 6 − 4, ou encore 4 = 6 − 2

Tel qu’il est pratiqué ici, le passage de la configuration des nombres au sein du diagramme en boîte
à un ensemble d’égalités qui en découlent constitue une première forme d’accès à une pensée
pré­-­algébrique, fondée sur la syntaxe des nombres et des relations qui les unissent, ce à quoi
réfèrent ces nombres étant mis de côté temporairement. Dans un second temps, toutefois, ces
équations, obtenues de manière syntaxique par la manipulation du diagramme en boîte, pourront
être pensées comme des modélisations de situations de la vie quotidienne. De même, comme cela
est discuté ci-dessous, le nombre rectangle permet non seulement de modéliser de nombreuses
situations multiplicatives, souvent contre l’intuition immédiate, mais favorise aussi la production
pré-algébrique d’écritures mathématiques, par exemple en rendant visible la distributivité de
la multiplication sur l’addition.

20 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 21
Depuis Descartes, on trouve un grand nombre d’exposés de mathématiciens, qui, pour reprendre On peut lister rapidement quelques-uns des intérêts de la représentation sous forme de nombres
les propos cartésiens, adaptent les « lignes l’une à l’autre en angle droit ». Il est intéressant à ce sujet rectangles :
de s’arrêter sur la proposition du mathématicien Charles-Ange Laisant (1841-1920), dans son livre
– a) Elle permet de représenter la multiplication des décimaux dans la mesure où rien n’impose
Initiation mathématique (1907). Après avoir présenté la table de Pythagore :
que les côtés des rectangles aient des valeurs entières (nous ne parlons pas ici des tables de
Laisant mentionnées ci-dessus, mais de rectangles ayant pour longueur des côtés les valeurs
dont on cherche à calculer le produit).

– b) Elle donne à voir que le résultat de la multiplication d’un nombre b par un nombre inférieur à 1
est inférieur à b dans la mesure où la valeur de l’aire d’un rectangle dont l’un des côtés est plus
petit que 1 est inférieure à la valeur de la longueur de l’autre côté de ce rectangle.

– c) Comme précisé plus haut, elle figure aussi presque immédiatement la commutativité de la
multiplication. Il suffit en effet de faire pivoter mentalement ou matériellement un rectangle
de 4 × 3 pour constater qu’on peut le voir aussi comme un rectangle de 3 × 4.

– d) Elle exemplifie de multiples façons la distributivité de la multiplication sur l’addition, puisqu’elle


permet de « tracer », par exemple sur un rectangle de 5 × 7, un rectangle de 2 × 7 et un rectangle
de 3 × 7, ce qui permettra de comprendre qu’on peut écrire 5 × 7 = 2 × 7 + 3 × 7.
Il en propose une autre version :
– e) Elle donne à voir de manière assez explicite la relation inverse entre multiplication et division.
Un rectangle peut ainsi servir de base à la production d’écritures divisives, dans leurs relations
avec les écritures multiplicatives correspondantes (par exemple, 32 = 8 × 4, c’est d’un certain
point de vue « la même chose » que 32 : 8 = 4, qu’on « voit » sur le rectangle) et aux situations
de divisions que ces écritures peuvent modéliser.

– f) Elle permet de représenter tout nombre sous la forme d’un rectangle (les nombres premiers
ne pouvant être figurés que par un seul rectangle de largeur 1).

– g) Elle peut servir de base à un travail intelligent, c’est-à-dire fondé sur les propriétés des nombres,
dans l’apprentissage systématique des tables de multiplication (par exemple se servir du fait
qu’on connaît 2 × 4 pour calculer 6 × 4).

– h) Elle peut constituer un outil précieux pour la résolution et la création de problèmes, notam-
ment de problèmes à énoncés (problem posing, cf. Felmer, Pehkonen, & Kilpatrick, 2016 ; Singer,
Ellerton, & Cai, 2015).
dont il dit qu’elle « ne fait qu’exécuter graphiquement les opérations qui [dans la table de Pythagore]
résultent du calcul ». En effet, on peut « lire » sur la deuxième « version » de la table de Pythagore – i) Et ainsi de suite : même des théorèmes ou des formules mathématiques assez avancées, telles
les nombres représentés sous la forme de rectangles. Par exemple, la première ligne juxtapose que (a + b)² = a² + b² + 2ab, peuvent être rendus visibles et « évidents » (du latin videre, voir) grâce à
des rectangles d’aire 1, 2, 3, etc. la deuxième ligne des rectangles d’aire 2, 4, 6, etc. Et on lit « direc- ce format de représentation. Celui-ci se généralise également à la troisième dimension – les élèves
tement », c’est-à-dire graphiquement, sur cette deuxième « version » que 2 × 2 = 4, 2 × 3 = 6, etc. des écoles Montessori, dès le primaire, jouent avec un « cube du binôme », puzzle en bois qui
représente, implicitement, le développement (a + b)3 = a3 + b3 + 3ab² + 3a²b.
Une telle représentation a pu être utilisée au sein d’une recherche récente (Maffia & Mariotti, 2020)
pour travailler avec des élèves de CE1 la distributivité de la multiplication sur l’addition.
2.2.3 Quelques exemples d’usage en classe
2.2.2 Quels apports de l’usage du nombre rectangle pour représenter Nous nous appuyons ici sur le travail concret, dans les classes, issu de la coopération entre profes-
la multiplication ? seurs et chercheurs au sein d’un LéA (Lieu d’Éducation Associé) à l’Institut Français d’Éducation
(IFÉ)4. Nous avons restreint les exemples donnés au cycle 2 (CE1), de sorte à montrer des possibilités
Cette conception de la multiplication fondée sur la représentation-rectangle présente de
effectives de travail qui pourront être développées dans les cours et cycles suivants.
nombreux intérêts (les guides du MEN, 2021, 2022, La résolution de problèmes au collège et La
résolution de problème au cours moyen). D’une manière plus générale, la représentation rectangle de Calcul de la multiplication et nombre rectangle
la multiplication permet cette « ascension » de l’abstrait au concret évoquée ci-dessus. Ce qui n’était
pas directement visible dans l’écriture en ligne d’une multiplication, par exemple la commutativité Les exemples ci-dessous montrent comment l’usage des nombres rectangles est d’abord institué
de l’opération, ou ses propriétés de distributivité, devient évident dans la représentation rectangle. dans l’usage d’un matériel. Ce matériel permet, en désignant des collections organisées sous forme
Dans ce cas aussi, la traduction entre représentations pourra être efficace, non seulement dans
le sens de l’écriture mathématique à la représentation rectangle, mais aussi dans le sens inverse,
qui consiste à représenter un rectangle, « pavé » par des rectangles de dimensions variées, par une 4 Ces exemples ont été fournis et étudiés par Mireille Morellato, Sandrine Jadot, et Angélique Martinotti du LéA
Réseau ACE Armorique-Méditerranée http://ife.ens-lyon.fr/lea/le-reseau/les-differents-lea/reseau-ecoles-armorique-
écriture mathématique adéquate (2.2.3). mediterranee

22 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 23
de produits, de donner concrètement à voir les produits partiels dont la somme correspond au nombre Les nombres 5 et 7 sont décomposés : 5 en 3 + 2 ; 7 en 2 + 2 + 3. Les produits partiels, à l’intérieur
rectangle. L’écriture mathématique permet ainsi d’abstraire « le concret » des cubes du matériel. En des rectangles, permettent de les désigner par une écriture mathématique. Ces produits partiels
retour, les cubes du matériel permettent de concrétiser « l’abstraction » de l’écriture mathématique. sont ensuite repris, sous le rectangle dessiné, sous la forme d’une somme égale à 7 × 5.

Une telle activité met l’accent sur la propriété de distributivité de la multiplication. Elle est
complémentaire d’autres activités qui peuvent également être travaillées par le biais de nombres
rectangles, comme le fait que 5 × 7 = 35 se décompose en 3 fois 10 et une unité de 5.

Pour éviter oublis et confusions rendus possibles par la complexité du nombre rectangle, le
professeur fait pointer les produits écrits au fur et à mesure (flèche supérieure sur le photogramme).

Il institue l’usage des parenthèses pendant l’écriture mathématique, parenthèses qui donnent
à voir les produits partiels.

La production suivante montre le travail d’un élève sur 9 × 6. On voit comment l’élève a décomposé
9 et 6, puis écrit les produits partiels désignés à l’intérieur du rectangle, avant d’établir l’écriture
L’exemple ci-dessous montre comment, dans la classe, un affichage résume les relations entre mathématique de la multiplication en utilisant les parenthèses pour bien identifier les produits
« les décomposions rectangulaires » qui permettent de calculer les multiplications, et d’autres partiels dans leur somme.
manières d’opérer des multiplications.
Il a ensuite calculé la somme des produits partiels.

À noter que l’élève écrit 12 + 15 + 15 + 12 = 10 + 10 + 10 + 10 + 10 + 4.

On peut penser que cette égalité a été obtenue grâce à des techniques de composition-­
décomposition en considérant que : 12 + 15 + 15 + 12 = 10 + 2 + 10 + 5 + 10 + 5 + 10 + 2 = 10 + 10 + 5
+ 5 + 10 + 2 + 2 = 10 + 10 + 10 + 10 + 10 + 4.

L’étude de la distributivité de la multiplication sur l’addition

Les élèves travaillent sur 5 × 7 en représentant des multiplications par un nombre rectangle.
La production ci-dessous montre comment le travail du professeur et des élèves, lors de la mise
en commun dans la classe, peut permettre de structurer le travail. La multiplication 5 × 7 : l’exemple ci-dessous illustre le double intérêt de la décomposition unitaire
et de l’usage des parenthèses.

24 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 25
Les élèves peuvent ainsi percevoir comment on peut décomposer 7 en 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1, et Sur la figure ci-dessus, les énoncés de problèmes proposés par l’élève ont été recopiés à droite.
comment ensuite on obtient le produit de 5 par 7 en « distribuant » 5 sur chacune des unités (5 × 1) + Ces énoncés, lors de la mise en commun en classe vont faire l’objet d’un travail critique.
(5 × 1) + …, etc. Les parenthèses utilisées dans l’écriture sous la figure donnent à voir et à comprendre
cette distribution, puisqu’elles permettent de regrouper les produits partiels. Même si elles ne sont La communication avec les parents d’élèves
pas indispensables sur le plan de l’écriture mathématique proprement dite, leur usage permet ici Le texte ci-dessous, et ses illustrations, ont constitué un document résumant le travail sur les
de structurer la perception et la compréhension des élèves. nombres rectangles dans une classe du LéA Réseau Armorique-Méditerranée, construit à destination
Cette production (6 × 5) continue à rendre compte de la diversité possible dans le travail des élèves. des parents d’élèves.

« Nous avons commencé à travailler sur le sens de la multiplication. Nous avons appris à désigner
une collection d’objets par une multiplication. Pour cela, nous avons organisé cette collection en
rectangle. Les enfants ont travaillé par 4 et chaque groupe est venu présenter sa collection
organisée ainsi que les écritures mathématiques correspondantes. »

Ici, l’élève, dont la production a été reprise au tableau lors de la mise en commun du travail dans « Nous avons aussi cherché plusieurs façons de représenter une même collection avec des
la classe, a travaillé de manière proche des productions précédentes, mais elle a décomposé rectangles différents ; par exemple, comment représenter une collection de 18 cubes avec des
différemment 6 sur les deux « lignes » du rectangle. En haut, 4 et 2, en bas, 2 et 4. Ceci lui permet écritures multiplicatives différentes : »
d’obtenir des produits partiels différents, et lors de cette mise en commun dans la classe, les
élèves, soutenus par le professeur, peuvent prendre conscience de cette variété et utiliser la même
technique dans leur future décomposition, en travaillant par exemple dans le Journal du Nombre5.

À noter, en haut du tableau à gauche, l’écriture commutative de la multiplication (6 × 5 = 5 × 6 = 30), la


commutativité de la multiplication étant rendue très facile à appréhender avec un nombre rectangle.

Résolution-création de problèmes avec les nombres rectangles

Les nombres rectangles peuvent constituer


un moyen de représenter des problèmes.
L’exemple ci-contre montre comment un
élève a travaillé dans son Journal du nombre,
à partir de l’incitation « Écris des énoncés
de problèmes qui correspondent à cette
représentation ». Il s’agit ici de la création
de problèmes de multiplication, élaborés
sur la base de l’activité de résolution de
problèmes préalables. Seront abordés
ensuite, en classe puis dans le Journal du
nombre, les problèmes de division, à la fois
en résolution et en création de problèmes.

5 Le « journal du nombre » est un cahier dans lequel les élèves écrivent « les mathématiques qu’ils savent ». On peut
prendre connaissance de l’organisation de ce dispositif dans un module M@gistère : https://magistere.education.fr/
dgesco/course/view.php?id=1650&section=1

26 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 27
« Puis, nous avons constitué des familles de nombres rectangles : la famille du 5, par exemple,
écriture mathématique et une « décomposition » d’un rectangle. Lorsqu’il identifie de telles idées,
c’est-à-dire tous les nombres rectangles qui ont un côté de 5 … Nous avons ainsi construit ensemble
le professeur peut alors les instituer, au sein du collectif de la classe, comme des exemples emblé-
nos tables de multiplication. »
matiques, exemples dont l’étude des élèves pourra s’inspirer, ainsi que nous le verrons ci-après.

En travaillant de cette manière, la classe agira d’une manière parente d’un collectif scientifique,
où, ainsi que l’a montré Thomas Kuhn (1972), des exemples exemplaires de la manière dont les
principaux problèmes ont été posés, travaillés et résolus, nourrissent le travail des étudiants comme
celui des chercheurs.

Certains dispositifs didactiques, comme le Journal du Nombre peuvent ainsi mettre les élèves en
situation, après un enseignement exigeant, de produire des mathématiques et des représentations
mathématiques de leur propre mouvement, de dialoguer à leur propos avec le professeur et le
collectif de la classe, pour faire avancer leur propre compréhension des mathématiques et celle de
la classe. De tels dispositifs peuvent également instituer des exemples particulièrement intéressants
de productions d’élèves en exemples emblématiques (potentiels « exemples exemplaires ») dont
la classe pourra s’inspirer pour son étude mathématique.

Dialoguer sur la base d’un tel document avec les parents et les élèves permet de faire progressi-
vement comprendre aux parents les possibilités de travail de leurs enfants en classe. Il s’agit de
partager avec eux les conceptions sous-jacentes (ici, la multiplication représentée par des nombres
rectangles) à l’activité mathématique en classe, ainsi que les instruments concrets de cette activité
(par exemple, le tableau de la « famille des nombres rectangles » ci-dessus). Ces instruments
pourront ainsi concrétiser le dialogue mathématique, non seulement entre professeurs et élèves,
mais entre parents et élèves, et parents, professeurs et élèves.

2.3 Représentations et enquêtes


Plus haut dans ce texte, nous faisions l’hypothèse que l’activité mathématique à l’école gagne à être
mise en relation avec l’activité propre des mathématiciens, et que l’usage des représentations peut
contribuer à cette mise en relation. Toutefois, la qualité de l’activité mathématique des élèves et
du professeur ne dépend pas bien sûr seulement de son contenu mathématique proprement dit,
mais également de la nature de cette activité.

L’un des éléments essentiels de cette activité concerne la manière dont les élèves étudient les
relations entre représentations mathématiques au sein de problèmes, et dont ils parviennent peu
à peu à explorer ces relations par eux-mêmes, grâce à l’enseignement du professeur et à la coopé-
ration avec les autres élèves. On retrouve ainsi un aspect majeur de l’activité des scientifiques en
général et des mathématiciens en particulier, la nécessité de discuter longuement et précisément
les « infrastructures », pour reprendre le mot de Thurston (1995), des théorèmes et des preuves issus
de l’activité mathématique, afin de les faire comprendre. Dans la classe, il y a donc une nécessité
d’enquête, à la fois individuelle et collective, enquête dans laquelle le travail du professeur joue
un rôle fondamental.

En accomplissant cette enquête, les élèves peuvent produire des idées mathématiques intéres-
santes, par exemple, pour ce qui concerne les structures multiplicatives, en mettant en relation une

28 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 29
3. Focale sur les aspects conceptuels que la multiplication comme addition répétée doit être envisagée dans les classes uniquement
comme une procédure de résolution, limitée cependant aux manipulations sur des nombres
et procéduraux du champ multiplicatif entiers, et qu’il ne s’agit pas de la conception la plus souhaitable pour soutenir la compréhension
de la multiplication.

Gérard Vergnaud (1988) introduit la notion de champ conceptuel comme « un ensemble de Ces résultats contrastent fortement avec une tradition qui reste vive dans laquelle l’addition
problèmes et de situations dont le traitement implique des concepts, procédures et représenta- répétée est considérée comme un moyen privilégié de favoriser l’appréhension du concept de
tions de plusieurs types en étroite connexion ». Il décrit les grands volets du champ conceptuel multipli­cation par les élèves, en cohérence avec leur conception intuitive. Au contraire, Nunes,
multiplicatif en y intégrant multiplication, division, fractions, ratios, nombres rationnels et autres Bryant, Evans et Bell (2010) avancent que le schéma de correspondance est également acquis
structures multiplicatives plus complexes. À mesure que les élèves avancent, de la plus simple à la intuitivement par les enfants avant l’enseignement scolaire des multiplications. Ce serait donc
plus élaborée de ces structures, ils sont supposés passer progressivement d’une pensée additive sur ce schéma informel que la pédagogie aurait le plus intérêt de s’appuyer pour développer
à une pensée multiplicative, condition requise pour développer le raisonnement proportionnel. Le l’enseignement du concept de multiplication. La présence d’un tel schéma de correspondance
raisonnement proportionnel comprend des formes de pensées mathématiques qui se développent chez des élèves de 5 ans et leur compréhension satisfaisante de ce schéma ont été documentées
dans les dernières années d’école primaire et continuent à s’approfondir au-delà. Il correspond par Frydman et Bryant (1994). Dans une recherche, il était demandé aux élèves de partager équita-
à un certain niveau de maturité qui consolide des idées mathématiques fondamentales et ouvre blement des gâteaux dont certains faisaient exactement trois fois la taille des autres. La plupart des
les portes à une pensée mathématique plus avancée. élèves réussissent à réaliser ce partage équitable en donnant systématiquement 3 petits gâteaux au
récipiendaire A à chaque fois qu’un gros gâteau était donné au récipiendaire B. Bien entendu, ces
La partie de ce texte consacrée à la multiplication et à la division présente les conceptions intuitives
résultats n’impliquent pas que les jeunes élèves reconnaissent consciemment une telle situation
qu’ont les élèves de ces opérations dans le prolongement de ce qui a été ébauché précédemment
comme impliquant un rapport fixe qui relie deux variables ni qu’ils l’associent à l’opération de
(1.2.2), ainsi que les conceptions dont il serait souhaitable de favoriser le développement pour une
multiplication. Cependant, faire travailler les élèves dans ce type de contexte pourrait permettre
meilleure appréhension de la signification de ces notions. Pour chacune des opérations, les aspects
de faciliter les apprentissages scolaires ultérieurs concernant les rapports et les proportions et les
procéduraux seront ensuite abordés en complément de ces aspects conceptuels. En d’autres
lier à la multiplication.
termes, la manière dont les multiplications et divisions sont et pourraient être résolues par les
élèves sera décrite. Nous verrons la manière dont les aspects conceptuels et procéduraux liés aux Concevoir le schéma de correspondance comme soubassement principal de la compréhension
multiplications d’une part et aux divisions d’autre part sont profondément intriqués et difficiles de la multiplication permet également d’anticiper certaines des difficultés que les élèves risquent
à envisager indépendamment les uns des autres. Dans les différentes parties du texte, des éléments de rencontrer lors de l’introduction des nombres décimaux. Rappelons en effet que si l’on s’en
relatifs aux formes d’enseignement et à la manière de favoriser leur portée seront proposés ; des tient à la conception de la multiplication comme addition répétée « 4,6 fois la valeur 3,2 » n’est
propositions pédagogiques seront formulées dans des parties spécifiques. Précisons que ce texte pas compréhensible.
se focalise sur le calcul mental des multiplications et des divisions : le cas des opérations posées, Une manière de favoriser le dépassement du schéma d’addition répétée qui entraverait les élèves
qui aurait nécessité des développements spécifiques trop importants, n’est pas concerné ici. dans leur apprentissage est d’introduire des variables continues, qui suscitent plus aisément
des représentations fondées sur les rapports. Par exemple, calculer des surfaces de rectangles
La compréhension des fractions débute quant à elle avec des expériences informelles de partition
constitue une activité idéale (Larsson, Pettersson, & Andrews, 2017). De telles activités de mesure
dans la vie quotidienne et se poursuit à l’école élémentaire avec un apprentissage plus formel. Étant
favorisent l’appréhension du principe de commutativité de la multiplication. Ce principe est en
donné les difficultés d’apprentissage des élèves dans ce domaine, il paraît important d’identifier
effet souvent occulté lors de la résolution d’exercices qui impliquent des quantités discrètes, pour
les conceptions trompeuses sur les fractions et d’élaborer des approches pédagogiques visant
lesquels, rappelons-le, la conception de la multiplication comme addition répétée, qui donne un
à soutenir le développement de la pensée multiplicative et du raisonnement proportionnel.
statut différent aux deux termes du produit, rend difficile de saisir la commutativité. Ainsi, si Anne
a 3 biscuits dans chacun de ses 4 sacs, il va de soi, pour déterminer le nombre de biscuits qu’Anne
possède, d’additionner 4 fois le nombre de biscuits par sac. En revanche, bien que requérant
3.1 La multiplication un plus petit nombre d’additions, une stratégie consistant à additionner 3 fois le nombre de
sacs serait incompréhensible. Ce type d’énoncé provoque donc un conflit entre la sémantique
de la situation décrite et le principe de commutativité. Pour la même raison, les performances
3.1.1 Aspects conceptuels
d’élèves de CE1 et de CE2 résolvant des problèmes tels que « Combien y a-t-il de biscuits dans
Comme cela a déjà été abordé plus tôt (1.2.2), la conception intuitive de la multiplication est l’addi- 2 paquets de 10 biscuits ? » versus « Combien y a-t-il de biscuits dans 10 paquets de 2 biscuits ? »
tion itérée. Pourtant d’autres conceptions sont possibles comme une relation de correspondance sont bien meilleures pour le premier énoncé que pour le second bien qu’il s’agisse de la même
invariante entre deux quantités (i.e., schéma de correspondance ou rapport entre deux quantités). multiplication. En effet la résolution par une addition répétée du premier énoncé est très simple
En comparant les conséquences d’enseignements mettant l’accent sur l’une ou l’autre de ces (10 + 10), et beaucoup plus périlleuse pour le second (2 + 2… + 2, 10 fois) (Brissiaud & Sander, 2010).
conceptions de la multiplication, Park et Nunes (2001) constatent que le concept de multiplication De manière plus générale, il est intéressant de noter les liens entre la conception que les élèves
est mieux saisi par les élèves en leur faisant travailler le schéma de correspondance plutôt qu’en ont de la multiplication et leur compréhension de ses propriétés (Larsson et al., 2017). Les activités
leur faisant travailler l’addition répétée. Ainsi, des élèves de CE1 résolvent mieux des problèmes fondées sur les représentations figurées telles que celles s’appuyant sur le nombre rectangle (2.2)
à structure multiplicative après avoir étudié la résolution de problèmes sous la forme : « Hier, Tom a ont l’intérêt de rendre visible la commutativité y compris dans des scénarios d’addition répétée
mangé 2 fruits à chacun des 3 repas de la journée. Combien Tom a-t-il mangé de fruits hier ? » plutôt tels que ceux de l’énoncé précédent pour lesquels la sémantique de la situation est impuissante
que sous la forme : « Hier au petit déjeuner, Tom a mangé 2 bananes, il a mangé 2 poires à midi à faire saisir les propriétés mathématiques : « 3 biscuits par sac dans 4 sacs » et « 4 biscuits par sac
et 2 clémentines lors du dîner. Combien Tom a-t-il mangé de fruits hier ? ». Les auteurs concluent dans 3 sacs » se représentent par le même nombre rectangle.

30 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 31
Enfin, et pour anticiper la transition avec la partie suivante qui traite des aspects plus spécifi- de connaître et s’arrêtent prématurément de travailler en ayant faussement l’impression d’avoir
quement procéduraux de la multiplication, « entrer » dans cette opération par le schéma de déjà appris correctement (Campbell, 1987b). D’autre part, il est établi que le processus cognitif
correspondance plutôt que par l’addition répétée aide les élèves à ne pas généraliser abusivement de recherche active d’information en mémoire est un outil d’une grande efficacité pour favoriser
des stratégies spécifiques à l’addition. Il a par exemple été montré que les élèves décomposent les apprentissages (Roediger & Butler, 2011). Ce résultat corrobore de nombreux travaux y compris
parfois les dizaines et les unités dans une multiplication comme ils pourraient le faire pour une hors des apprentissages mathématiques sur les apports de la profondeur de traitement pour
addition (ex : 19 × 26 est transformé en 10 × 20 + 9 × 6) ou bien considèrent que si 26 × 21 = 546 la mémorisation.
alors 27 × 21 = 547 (Larsson et al., 2017).
Afin de favoriser le plus possible la mémorisation durable des tables de multiplication, une pratique
intensive est à privilégier. Sans surprise, plus de temps aura pu être consacré à l’apprentissage par
3.1.2 Aspects procéduraux cœur des tables, plus les élèves atteindront un niveau élevé. Une pratique quotidienne de 3 minutes
en classe durant 8 semaines parait déjà satisfaisante pour que des élèves de 6ème atteignent un
Comme cela a été discuté, les élèves recourent le plus fréquemment à l’addition répétée pour
bon degré de maîtrise des tables de multiplication (Knowles, 2010). Même si cet apprentissage
résoudre des problèmes simples (ex : 3 × 7 = 7 + 7 + 7). Cette stratégie fréquente en début
pourrait paraître superflu car dénué de sens, l’automatisation de la production des réponses aux
d’apprentissage peut être associée ensuite à l’utilisation de faits dérivés (ex : 6 × 7 = 6 × 6 + 6).
multiplications est pourtant nécessaire pour que les élèves puissent consacrer leur attention et
Les élèves peuvent également appliquer des règles comme le fait que multiplier par 0 donne
leurs ressources cognitives à l’apprentissage d’activités et de concepts mathématiques de plus
toujours 0 (élément absorbant) ou que multiplier par 1 ne modifie pas le multiplicande (élément
haut niveau, tels que la recherche de multiples communs lors de l’addition de fractions avec
neutre). Les élèves peuvent également dérouler des séries mémorisées (ex : 4 × 5 => 5, 10, 15, 20)
des dénominateurs différents ou de la factorisation d’équations algébriques (Woodward, 2006).
pour trouver le résultat d’un produit (LeFevre et al., 1996).
Bien entendu, cet apprentissage par cœur doit être associé à, voire précédé d’un enseignement
Cependant, comme évoqué dans la partie précédente, les stratégies de comptage reposant sur les du concept de multiplication afin que les élèves puissent faire appel à leurs connaissances de
additions répétées pour résoudre des multiplications trouvent très rapidement leurs limites tant manière flexible à l’école et dans la vie quotidienne et puissent trouver des solutions alternatives
conceptuelles que procédurales. Sur le plan procédural, additionner 8 fois 7 pour résoudre 8 × 7 pour résoudre un problème lorsque le résultat d’un calcul ne peut pas être directement récupéré
est une procédure bien trop longue et coûteuse pour être applicable de manière systématique. en mémoire. Il a d’ailleurs été montré auprès d’élèves en difficulté qu’associer apprentissage par
Afin d’accroître leur performance de résolution, les élèves devront apprendre par cœur les tables cœur et apprentissage de stratégies de décomposition (ex : 8 × 6 = 8 × 4 + 8 × 2) s’avère plus efficace
de multiplication impliquant des nombres à un chiffre. Cela n’est pas chose facile ; de fait, même que l’apprentissage par cœur seul (Woodward, 2006).
les adultes recourent régulièrement à d’autres stratégies que la récupération en mémoire pour
résoudre certaines multiplications (LeFevre et al., 1996). Comme le note Butlen (2007) : « On constate
3.1.3 Propositions pédagogiques
un défaut d’adaptabilité des élèves pour les calculs et un manque de faits numériques mémorisés.
La plupart du temps les élèves utilisent des procédures sûres mais coûteuses en temps et énergie – Proposer aux élèves de maternelle et de CP des problèmes de partage équitable avec des objets
(notamment le recours aux calculs posés) ». variant selon un rapport fixe évident. Par exemple, « Est ce que tu pourrais partager ces gâteaux
entre les deux poupées pour qu’elles aient toutes les deux la même chose à manger ? ». Dans
La difficulté d’apprentissage des tables de multiplication réside en partie dans le fort degré d’inter-
cette situation, certains gâteaux sont deux ou trois fois plus gros que les autres. Pour faciliter
férence entre les faits multiplicatifs. Ainsi, 6 × 4 = 24, mais les nombres impliqués dans ce calcul
l’appréhension perceptive du rapport, les gros gâteaux peuvent être construits sous la forme
ne sont pas représentés de manière isolés et uniques dans le réseau mémoriel d’une personne.
d’un motif répété des petits gâteaux (1 carré vs. 3 carrés collés par exemple).
En effet, le nombre 6 est aussi impliqué dans d’autres multiplications et, associé à 7, il produit 42
qui est une écriture inverse de celle de 24. Pire, 24 n’est pas seulement associé à 6 × 4 puisque – Favoriser la mémorisation des tables de multiplication en proposant aux élèves des tâches de
8 × 3 produit le même résultat. Ces relations complexes qui existent entre les différents faits multi­ production de résultats diversifiées (3.2.2).
plicatifs produisent des interférences qui brouillent les processus de récupération de l’information
– Comme proposé plus haut, travailler en CE1 des énoncés de problèmes qui facilitent la mise en
(Campbell, 1987a). Ces phénomènes d’interférence se reflètent dans les erreurs commises par les
œuvre d’un schéma de correspondance plutôt que d’un schéma d’addition itérée. Par exemple,
enfants et les adultes lorsqu’ils produisent un résultat incorrect correspondant à un résultat de
pour donner un exemple concret où la multiplication peut s’appliquer, on privilégiera un énoncé
la table associé à l’un des deux opérandes comme 9 × 6 = 48. Et malheureusement, chaque fois
tel que « Hier, Tom a donné 2 pommes à chacun de ses 3 amis. Combien Tom a-t-il donné de
qu’une erreur de ce type se produit, une association erronée entre les éléments du problème, dans
pommes à ses amis hier ? ».
notre exemple entre 9, 6 et 48, est créée en mémoire. En conséquence, plus les élèves commettent
d’erreurs et plus la probabilité de les commettre à nouveau augmente (Siegler, 1996). C’est la raison – Proposer aux élèves de calculer et de comparer des surfaces de rectangles en leur donnant les
pour laquelle proposer aux élèves des tâches de vérification de multiplications dans lesquelles les outils pour le faire afin qu’ils opèrent eux-mêmes aux mesures de base (mesure de la longueur
problèmes sont parfois associés à des réponses fausses est contreproductif car des associations et de la largeur). Les représentations des situations rencontrées à l’aide de nombres rectangles
qui interfèrent avec la bonne réponse sont créées en mémoire à chaque présentation d’une tâche gagnent à être systématisées. Ce type d’exercice permet aux élèves d’aller au-delà du schéma de
pour laquelle la réponse proposée est erronée. l’addition répétée pour conceptualiser la multiplication. Des activités de construction matérielle,
par exemple de parallélépipède rectangle, ou pavé droit, en papier, peuvent également soutenir
Présenter un problème avec sa réponse n’est pas non plus une stratégie qui favorise le mieux
ce format de représentation.
l’apprentissage par cœur, même lorsque la réponse présentée est correcte. En effet, il est en
général plus efficace de faire produire les réponses par les élèves, surtout lorsque ceux-ci sont – Concevoir des énoncés de problèmes dans lesquels le principe de commutativité n’entre pas
encore en début d’apprentissage, plutôt que de leur faire lire les opérations avec leur réponse en conflit avec la représentation de la situation, c’est-à-dire dans lesquels le multiplicateur et le
pour qu’ils les mémorisent (McNamara, 1995). Ce phénomène s’explique de deux manières. multiplicande sont interchangeables conceptuellement. Par exemple, « Dans une salle de classe,
D’une part, lors de la lecture d’opérations en vue de leur mémorisation, les élèves ont une illusion il y a 10 rangées de 9 places chacune. À combien de places différentes puis-je m’asseoir ? ».

32 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 33
– Introduire des problèmes qui suscitent aisément deux codages différents, chacun inversant le
statut de multiplicateur et de multiplicande. Par exemple « Théo achète 15 paquets de 3 yaourts 3.2 La division
à la banane, à la fraise et à la pêche. Combien Théo a-t-il acheté de yaourts en tout ? », qui suscite
la multiplication 15 × 3 ou 3 × 15 selon que l’on envisage l’addition itérée 15 fois de 3 yaourts ou
3.2.1 Aspects conceptuels
l’addition itérée 3 fois de 15 yaourts d’un même arôme.
La division relève du raisonnement multiplicatif et il est essentiel que l’élève saisisse, tout comme
– Programmer des séances d’apprentissage intégrant des problèmes de multiplication, dont la
pour la multiplication, que deux quantités sont mises en relation dans un rapport fixe. Bien que
résolution nécessite de dépasser la conception intuitive de la notion afin de travailler les concepts
classiquement la division soit rarement introduite dans les programmes scolaires avant le CM1, les
dans toutes leurs dimensions : des énoncés dans et hors du champ de validité de la conception
élèves peuvent appréhender cette opération dès la maternelle à travers des situations de partage
intuitive de la multiplication, des énoncés impliquant des entités d’une même catégorie (pommes
équitable (Ching & Kong, 2022 ; Squire & Bryant, 2002).
et oranges) ou des entités reliées fonctionnellement (pommes et paniers) et des énoncés pour
lesquels la simulation mentale mène directement au résultat ou non. L’objectif est pour ces Cependant, même si les élèves de 5 ans sont en mesure de partager équitablement un ensemble
énoncés de favoriser pour les élèves l’identification des situations de multiplication de manière d’objets (1 pour toi, 1 pour moi, 1 pour toi, 1 pour moi…), cela ne signifie bien sûr pas qu’ils saisissent
décontextualisée par rapport aux intuitions premières. Les énoncés proposés dans le tableau pleinement les propriétés de la division. Ainsi, moins d’un tiers des élèves de 5 ans qui réussissent
suivant permettent d’engager un travail explicite en classe sur la compréhension des expressions à partager équitablement savent qu’à dividende égal, plus le diviseur est élevé, moins le quotient
« fois plus » et « fois moins » avec pour objectif de ne pas favoriser les associations « fois plus ; sera grand. Plus concrètement, 70 % des élèves qui réussissent à réaliser un partage égal ne saisissent
structure multiplicative » et « fois moins ; structure de division ». Leurs structures sémantiques ont pas que plus le nombre d’enfants impliqués dans un partage est élevé et moins chacun recevra de
par ailleurs été choisies pour mettre en évidence trois facteurs permettant aux enseignants de bonbons. Exprimé différemment, ces élèves ne saisissent pas encore la relation inverse entre le
moduler leur niveau de difficulté selon le nombre de discordances. Les entités en jeu dans ces diviseur et le quotient dans une division. Il faudra attendre l’âge de 7 ans pour que les élèves
exemples sont les doublets « pommes-oranges » ou « pommes-paniers » et peuvent servir de guide appréhendent cette relation inverse de manière plus systématique (Correa, Nunes, & Bryant, 1998).
à la création d’autres énoncés verbaux du même type (p.ex. « tulipes-roses » et « tulipes-vases »). Cette amélioration de la compréhension des rapports entre dividende, diviseur et quotient entre
l’âge de 5 et 7 ans peut tout autant être attribuable à la maturation cognitive qu’à l’expérience
quotidienne ou à l’enseignement en classe et le poids de chacune de ces variables reste, à notre
Exemples d’énoncés de multiplication
connaissance, indéterminé à ce jour. Cependant, il est connu que l’explication de ces lacunes
Hors du domaine de validité de la conception conceptuelles tient en partie à la surgénéralisation de connaissances acquises sur les nombres
Pierre a des pommes et 10 paniers. Pierre a 3 fois intuitive de la multiplication, concordant entiers. Les élèves peuvent ainsi penser que le résultat de 2 ÷ 15 est plus élevé que celui de 2 ÷ 11
plus de pommes que de paniers. Combien Pierre pour le scénario et la simulation mentale. car 15 est plus grand que 11 (Hurst & Cordes, 2018 ; cf. aussi 1.2.3 et 3.3.1 sur cette question de la
a-t-il de pommes ? Version discordante pour la simulation mentale : conception bipartite des fractions).
« 3 paniers » et « 10 fois plus de pommes ».

Lou a 10 paniers et des pommes. Lou a 3 fois moins


de paniers que de pommes. Combien Lou a-t-elle Version « fois moins » de l’énoncé précédent.
de pommes ?

Hors du domaine de validité de la conception


intuitive de la multiplication, discordant pour
Mattéo a des pommes et 10 oranges. Mattéo a 3 fois
le scénario et concordant pour la simulation
plus de pommes que d’oranges. Combien Mattéo
mentale. Version discordante pour la simulation
a-t-il de pommes ?
mentale : « 3 oranges » et « 10 fois plus
de pommes ».

Mattéo a 10 oranges et des pommes. Mattéo a 3 fois


moins d’oranges que de pommes. Version « fois moins » de l’énoncé précédent.
Combien Mattéo a-t-il de pommes ?

Énoncé concordant pour la multiplication


(addition itérée), discordant pour le scénario
Gaspard a 3 pommes. Il échange chaque pomme
(pommes et oranges en contexte multiplicatif)
contre 10 oranges. Combien Gaspard recevra-t-il
et simulable mentalement. Version discordante
d’oranges ?
pour la simulation mentale : « 10 pommes », chaque
pomme échangée contre « 3 oranges ».

34 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 35
Outre le schéma partitif, qui est celui impliqué dans les situations de partage équitable, dans lequel Une explication à ce phénomène (Robinson et al., 2006) est qu’étant donné que la division est intro-
la question porte sur la quantité reçue par chacun (1.2.2), les élèves auront à saisir la division égale- duite après la multiplication dans le cursus scolaire, les élèves préfèrent utiliser leurs connaissances
ment sous l’angle du schéma quotitif. La distinction principale est que dans les situations partitives, des tables de multiplication déjà bien ancrées en mémoire pour résoudre les divisions plutôt que
une quantité est distribuée équitablement entre plusieurs entités alors que dans les situations quoti- de se lancer dans un apprentissage par cœur de nouveaux faits arithmétiques. Cette stratégie de
tives il s’agit de déterminer combien de groupes peuvent être constitués à partir d’une quantité recours à des connaissances pré-existantes est renforcée par le fait que les tables de division font
donnée. Par exemple, si une personne est en possession de 8 œufs, chercher combien d’omelettes l’objet d’un apprentissage beaucoup moins systématique que pour la multiplication. Ce manque
de 2 œufs pourront être cuisinées repose sur un schéma quotitif (Cf. figure pour une illustration de pratique des divisions peut être considéré comme regrettable car le temps et les ressources
des deux types de situations). Même si les élèves ont plus de facilité à comprendre les situations cognitives consacrés à l’usage de stratégies dérivées de la multiplication pourraient être investis
partitives que quotitives, la manière dont les problèmes sont présentés les conduit à évoquer dans des niveaux d’analyse et d’exécution plus complexes telles que les opérations sur les fractions.
préférentiellement un schéma plutôt qu’un autre et peut donc les aider dans leur processus de Cependant, la vitesse d’exécution d’une multiplication dérivée pourrait parfois être aussi rapide
résolution (Squire & Bryant, 2002). Concrètement, si la division 8 ÷ 2 est présentée dans un contexte que la récupération directe du résultat de la division (Robinson et al., 2006). Toutefois, il n’est pas
quotitif de la sorte « Il y a 8 poissons. Si l’on donne 2 poissons à chacun des chats, combien de chats exclu qu’une pratique intensive des tables de division puisse accélérer la vitesse de récupération
va-t-on pouvoir nourrir ? », les élèves réussissent mieux le problème si on leur présente 4 groupes des résultats.
de 2 poissons plutôt que 2 groupes de 4 poissons. Inversement, si la division est présentée dans un
Les stratégies de résolution qui viennent d’être décrites sont indépendantes de contextes ou de
contexte partitif (« Il y a 8 poissons. Combien de poissons peut-on donner à chacun des 2 chats ?),
situations particulières dans lesquels les divisions pourraient être présentées. Il est intéressant de
les performances seront meilleures si l’on représente 2 groupes de poissons plutôt que 4 groupes.
noter que considérer les aspects conceptuels et procéduraux de la division de manière indépen-
Selon Ching et Kong (2022), les difficultés que les élèves ont à se représenter les problèmes de dante n’est pas toujours adapté puisque les procédures de résolution employées dépendent
division, principalement dans des contextes quotitifs, pourraient s’alléger autour de l’âge de 8 ans justement souvent des contextes. Ainsi, lorsque la division est présentée dans un contexte quotitif,
lorsqu’ils commencent à bien manipuler les multiplications. La propriété de commutativité de les élèves auront plus tendance à résoudre les problèmes en effectuant des soustractions répétées
la multiplication pourrait rendre plus saillante la propriété d’interchangeabilité du diviseur et du que dans d’autres contextes (Fischbein et al., 1985). Par exemple, si avec 25 euros, on doit déterminer
quotient. Ainsi, si 6 × 3 = 3 × 6 = 18, il devient envisageable que si 18 ÷ 3 = 6 alors 18 ÷ 6 = 3. Les élèves combien de fleurs à 5 euros on peut acheter, un certain nombre d’élèves partiront de 25 pour
pourraient plus facilement se détacher des situations précises décrites pour envisager les relations retirer 5 de manière répétée jusqu’à atteindre 0. Le nombre d’étapes requises constitue la bonne
entre dividende, diviseur et quotient de manière plus abstraite et flexible. Cela pourrait les aider réponse au problème (25 − 5 = 20 − 5 = 15 − 5 = 10 − 5 = 0, 5 étapes), ce qui ne sera quasiment jamais
à réaliser que les énoncés décrivant des relations quotitives ou partitives peuvent se résoudre par observé pour un problème partitif tel que « 5 personnes se partagent 25 euros ». Cette stratégie
les mêmes opérations. reste cependant plutôt rare quel que soit le contexte (Robinson et al., 2006).

Les auteurs ne discutent pas des relations entre multiplication et division mais évoquent le fait
que certaines propriétés de la multiplication pourraient aider à mentaliser le monde des relations 3.2.3 Propositions pédagogiques
numériques. La difficulté que rencontrent les élèves à saisir la relation inverse entre multiplication
– Dès la maternelle, introduire à la fois des scénarios de partage et des scénarios quotitifs en présen-
et division a par ailleurs été largement étudiée. Ainsi, Robinson et al. (2006) montrent que la grande
tant aux élèves des représentations visuelles qui les aideront à construire des représentations des
majorité des élèves de 4ème n’appliquent pas leur connaissance des relations entre division et multi-
situations fidèles à ce qu’elles décrivent. Voir l’exemple des poissons dans la partie 3.2.1 (Squire
plication lorsqu’ils résolvent des problèmes impliquant une série d’opérations. Ainsi, pour résoudre
& Bryant, 2002). Ceci devrait aider les élèves à aller au-delà d’une représentation de la division
le problème 64 ÷ 8 × 8, 80 % des adolescents vont se lancer dans un calcul sans prendre en compte
comme uniquement une situation de partage.
le fait que la quantité initiale reste inchangée si elle est divisée puis multipliée par une même valeur.
Ce comportement reste d’ailleurs parfois observé même chez des adultes (Robinson & Ninowski, – Puis proposer plusieurs types de représentations pour un même problème (groupement par
2004). De manière quelque peu rassurante, Thevenot et al. ont montré que les performances des diviseur et groupement par quotient pour un problème partitif ou un problème quotitif) afin que
élèves dans la réalisation de divisions au tout début de leur apprentissage sont tout de même mieux les élèves saisissent que les deux représentations peuvent modéliser la même situation. Ce type
prédites par leurs performances en multiplication que par leurs performances en soustraction et d’exercice permet aussi aux élèves de mieux comprendre les rôles des dividendes, diviseurs et
addition ou que par des capacités numériques plus générales. quotients au sein des divisions (Squire & Bryant, 2002).

– De la même manière que pour la multiplication, programmer des séances d’apprentissage


3.2.2 Aspects procéduraux intégrant des problèmes de division, dont la résolution nécessite de dépasser la conception
intuitive de la notion : des énoncés dans et hors du champ de validité de la conception intuitive
Au début de l’apprentissage de la division à l’école, les élèves vont utiliser majoritairement des
de division, des énoncés impliquant des entités d’une même catégorie (pommes et oranges)
stratégies d’additions répétées pour résoudre des divisions. Par exemple, pour résoudre 20 ÷ 5,
ou des entités reliées fonctionnellement (pommes et paniers) et des énoncés pour lesquels la
ils vont chercher combien de fois il est possible d’ajouter 5 pour arriver à 20 (5 + 5 + 5 + 5 = 20
simulation mentale mène directement au résultat ou non. L’objectif est pour ces énoncés de
donc 4). Dans un second temps, à partir du CM2, ils vont plutôt réorganiser le problème sous la
favoriser pour les élèves l’identification de situations de division de manière décontextualisée
forme d’une multiplication lacunaire. Ainsi, 20 ÷ 5 sera envisagé sous la forme 5 × ? = 20. Cette
par rapport aux intuitions premières (cf aussi propositions pédagogiques du 3.2.2).
stratégie restera d’ailleurs dominante chez les élèves au moins jusqu’à l’âge de 12-13 ans (5ème) alors
que la récupération directe en mémoire à long terme du résultat des divisions aurait pu devenir la
stratégie principale plus tôt dans l’apprentissage du fait de l’occurrence fréquente de ces problèmes
de division à l’école (Robinson et al., 2006).

36 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 37
nombres entiers. Les nombres négatifs sont introduits plus tardivement dans les programmes.
Exemples d’énoncés de division Puisque, dans les programmes scolaires, l’étude des fractions commence bien avant l’introduction
a
des entiers relatifs et des nombres rationnels, les valeurs de a et de b dans l’expression sont
Hors du domaine de validité de la conception
0 23
b
limitées à l’ensemble des nombres naturels, comme dans 3 , 7 et . C’est une fois les nombres
Line a 30 pommes et des paniers. Line a 3 fois plus intuitive de la division, concordant pour le scénario 4 5 n 10
de pommes que de paniers. Combien Line a-t-elle et pour la simulation mentale. Version discordante négatifs introduits dans les progressions pédagogiques que seront étudiés les nombres rationnels
de paniers ? pour la simulation mentale : « 30 pommes » et dans leur ensemble.
« 10 fois plus de pommes que de paniers ».
Quel que soit le système scolaire concerné, y compris en Asie du Sud-Est où les performances aux
Malo a des paniers et 30 pommes. Malo a 3 fois évaluations internationales en mathématiques sont élevées, l’apprentissage des fractions s’avère
moins de paniers que de pommes. Combien Malo Version « fois moins » de l’énoncé précédent. difficile. À la fin des années 1970, lors d’une évaluation à grande échelle aux Etats-Unis auprès d’un
a-t-il de paniers ? échantillon représentatif de vingt mille élèves de 4ème 7, seulement 24 % des élèves choisirent la
0 12 7
bonne réponse à la question : « Trouvez le nombre entier le plus proche pour la somme de n 13 + 8 »
Hors du domaine de validité de la conception
(NAEP8, 1978). Parmi les réponses proposées (1, 2, 19, 21 et Je ne sais pas), la plus fréquemment choisie
intuitive de la division, concordant pour le scénario
Margot a 30 pommes et 10 paniers. Combien a-t-elle était 19. Après plusieurs décennies de réformes marquées par la volonté de faire progresser les
et la simulation mentale. Version discordante
de fois plus de pommes que de paniers ? élèves dans les classements internationaux, la question fut à nouveau posée en 2014 à des élèves
pour la simulation mentale : « 30 pommes »
et « 3 paniers ». de même niveau scolaire. Cette fois-ci, 27 % des élèves trouvèrent la bonne réponse, soit une
modeste amélioration de 3 % en 36 ans (Lorties-Forgues, Tian, & Siegler, 2015).
Margot a 10 paniers et 30 pommes. Combien a-t-elle
Version « fois moins » de l’énoncé précédent. Les difficultés rencontrées n’épargnent pas la France, où en début de 6ème moins de la moitié des
de fois moins de paniers que de pommes ?
élèves réussit à transformer une écriture décimale en écriture fractionnaire et réciproquement,
Hors du domaine de validité de la conception pour un nombre tel que 0,25 ou 1 , et seulement un cinquième des élèves réussit à encadrer le
4
0 385
Line a 30 pommes et des oranges. Line a 10 fois plus intuitive de la division, discordant pour le scénario nombre n 10 par deux nombres entiers consécutifs (Chesné & Fischer, 2015). La compréhension
de pommes que d’oranges. Combien Line a-t-elle et la simulation mentale. Version concordante des fractions est pourtant cruciale non seulement parce qu’elle est utile dans la vie quotidienne
d’oranges ? pour la simulation mentale : « 3 fois plus (respect des proportions, comparaisons de prix, calculs de pourcentages, etc.) mais également
de pommes ».
parce qu’elle est essentielle pour le développement des compétences algébriques (NMAP9, 2008),
préalable nécessaire à la poursuite d’un cursus plus avancé en mathématiques (Siegler et al., 2012).
Malo a des oranges et 30 pommes. Malo a 3 fois
moins d’oranges que de pommes. Combien Malo Version « fois moins » de l’énoncé précédent.
a-t-il d’oranges ? 3.3.1 Aspects conceptuels
Hors du domaine de validité de la conception La capacité des élèves à raisonner sur les fractions, puis sur les ratios et les proportions provient
intuitive de la division, discordant pour le scénario de leurs expériences avec les concepts de nombre et de fractions construits préalablement. Nous
Flore a 30 pommes et 3 oranges. Combien a-t-elle
et la simulation mentale. Version concordante nous focalisons ci-dessous sur les principales difficultés conceptuelles rencontrées par les élèves
de fois plus de pommes que d’oranges ?
pour la simulation mentale : « 3 pommes » dans leur apprentissage des fractions et sur des pistes pour y faire face.
et « 10 oranges ».

Le biais de raisonnement sur les nombres entiers


Flore a 3 oranges et 30 pommes. Combien a-t-elle
Version « fois moins » de l’énoncé précédent.
de fois moins d’oranges que de pommes ? Conséquence de la conception intuitive bipartite des fractions, une tendance est observée
à étendre aux fractions certaines propriétés des nombres entiers (whole number bias ; 1.2.3). Un
des obstacles majeurs que rencontrent les élèves dans leur apprentissage est que ce raisonnement
sur les nombres entiers n’est pas opérant dans le champ des fractions (Van Hoof, Verschaffel, De
Neys, & Van Dooren, 2020). Parmi les exemples de raisonnement sur les nombres entiers rencontrés
3.3 Les fractions chez les élèves que connaissent bien les enseignants et qui conduisent à des conclusions erronées,
se trouvent : 1 > 1 parce que 4 > 3 ; 4 ≠ 3 parce que 4 ≠ 3 ; 7 > 5 parce que 7 > 5 et 9 > 6. Une diffi­
Les fractions sont des nombres écrits sous la forme de symboles bipartite, obéissant à un système 4 3 4 3 9 6
culté supplémentaire est issue du fait que les élèves attribuent le statut de nombre entier à la fois
de notation consistant en deux nombres entiers écrits avec, entre eux, un trait horizontal, appelé
au numérateur et au dénominateur de la fraction, ne considérant pas la fraction comme une entité
vinculum. Les Indiens ont introduit cette écriture bipartite, les Arabes y ont ensuite ajouté le trait.
unique, un nombre à part entière (Behr, Wachsmuth, Post, & Lesh, 1984). Prendre en compte cette
Dans les programmes internationaux de mathématiques d’école élémentaire, le mot fractions
conception intuitive afin d’engager une approche didactique visant à soutenir le développement
renvoie au sous-ensemble des nombres rationnels non négatifs6. Dans l’ensemble des nombres
conceptuel de la notion de fraction est un enjeu important.
rationnels se trouvent par exemple 3/4, -1/4 ou 0 puisque 0 peut s’écrire sous la forme n0 , n ≠ 0.
En revanche, π et0 √2
n ne sont pas des nombres rationnels car leurs numérateurs ne sont pas des
4 2

6 Les nombres rationnels (dans leur écriture fractionnaire a/b) sont des nombres dont le numérateur et 7 8e grade aux États-Unis
le dénominateur sont des nombres entiers relatifs (avec b ≠ 0). Les entiers relatifs sont les entiers naturels auxquels 8 National Assessment of Educational Progress
a été ajouté un signe positif ou négatif pour indiquer leur position par rapport à l’origine, 0, sur un axe orienté. 9 Rapport final du National Mathematics Advisory Panel

38 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 39
Les limites de la représentation parties/tout
a
Le symbole d’une fraction particulière telle que 3 ou celui de la notation générale se prête à une
4 b
diversité d’interprétations que les élèves construisent progressivement à travers leurs expériences
tant extra-scolaires que lors d’activités de classe. De nombreux systèmes scolaires privilégient
l’introduction des fractions à l’école élémentaire selon l’interprétation de la partie rapportée au
tout. Au cours des dernières décennies, de nombreux travaux ont montré les limites de cette
approche et son impact délétère sur une compréhension approfondie des nombres rationnels et
des opérations pouvant être réalisées sur ces nombres (Cramer, Behr, Post, & Lesh, 2009). Il y a un
enjeu éducatif important à ce que les fractions soient abordées précocement dans les programmes
de l’école élémentaire afin que soient données aux élèves l’opportunité de développer une
fami­liarité avec les fractions et une compréhension intuitive des notions fondamentales pour un
travail plus avancé lors des cycles 3 et 4.

En effet, donner du sens aux nombres rationnels constitue un objectif important de l’enseignement
des mathématiques au collège. Les études ont identifié des conceptions – comme la partie d’un
tout, la division et le quotient, la mesure, l’opérateur, le ratio – dont les élèves devraient faire
l’expérience au cycle 3 pour saisir tout l’éventail de ce que certains appellent les « personnalités » ou
encore les « saveurs » des nombres rationnels (Behr, Harel, Post, & Lesh, 1993). Il semble important
qu’une telle approche soit intégrée dans les pratiques de manière à soutenir les élèves dans le Source : U npacking Fractions: classroom tested strategies to build
développement d’une meilleure connaissance conceptuelle des fractions. Un travail explicite students mathematical understanding, de Monica Neagoy, 2017, p. 82.
des équivalences et des traductions (2.1.3) entre les sens multiples des fractions est à ce titre
extrêmement utile. Les élèves illustrent le partage de trois pizzas entre quatre personnes d’au moins trois façons dif­­­
férentes (Figure ci-dessus). Ce faisant, ils comprennent la division partition, c’est-à-dire le procédé
Par exemple10 :
de répartir 3 unités parmi 4 personnes, tout comme le résultat de la division, c’est-à-dire le
– La notion de « partie d’un tout » pour laquelle la fraction 3 , c’est donc 3 parties de 4 parties quotient 3 . Ce genre d’activité favorise chez les élèves une flexibilité dans leur interprétation de
4 4
égales d’un tout. Les élèves apprennent à écrire le tout, c’est-à-dire l’unité, de façons multiples : l’unité, un concept ardu pour les élèves. Dans l’exemple ci-contre, ils sont engagés à conceptualiser
2 3 4 5
, , , … l’équi­valence entre « 3 fois 1 » (Ligne a de la figure ci-dessus) et « 1 de trois » (Ligne c de la figure
2 3 4 5 4 4
ci-dessus) (Lamon, 2012).
– La notion de « fraction comme un nombre » et donc représenté comme un point sur la droite
numérique. Le point représentant la fraction 3 est alors situé à 3 de la distance de 0 à 1. Si le schéma de la « tarte » ou de la « pizza » est très souvent utilisé, un rectangle élongé ou une
4 4
« barre », que l’on divise selon sa longueur, s’avère souvent bien facile à employer, et tout aussi
– La notion de « partie d’un ensemble ». La fraction 3 désigne par exemple la part des filles dans
4 productif pour comprendre une fraction comme partie d’un tout (3/5 = « trois cinquièmes » = trois
un groupe de 15 filles et 5 garçons.
morceaux d’un cinquième de barre).
– La notion de « fraction comme division » : l’action de diviser un tout et le résultat de la division ;
L’avantage de cette représentation en barre est qu’elle conduit à la représentation essentielle de la
la fraction 3 s’applique dans ce cas au partage équitable de 3 tartes entre 4 personnes. Elle
4 droite numérique (Dehaene, 2007) qui permet aux élèves de représenter les fractions, comme des
exprime également la part reçue par chacun, ou le quotient de la division. La notion de « fraction
points sur cette droite, situés entre les nombres entiers habituels : 1/2, est au milieu du segment [0, 1].
comme opérateur » émerge dans de tels exemples en parlant du quotient comme « 1 de 3. »
4 Ce format de représentation soutient l’apprentissage des fractions comme grandeurs (Schneider &
– Sont introduites aussi les notions de rapports ou ratios, de taux, et de pourcentages. Siegler, 2010). L’unité dans ce cas est représentée par la longueur d’un segment et non par l’aire d’une
figure. Une expérimentation récente montre que beaucoup d’élèves de sixième échouent à placer
Apports de différentes représentations figurées
sur la droite numérique des fractions aussi simples que 1/2 ou 1 + 1/5 (Dehaene, Potiers-Watkins,
Les modèles en disque ou sous la forme d’autres figures bidimensionnelles telles que des carrés ou Chen, & Lubineau, 2021). Ce résultat suggère que le système scolaire français gagnerait à beaucoup
des rectangles sont souvent les premières représentations utilisées dans l’enseignement des plus utiliser la représentation en barre et sous forme de ligne numérique à l’école, et ce dès le CP.
fractions. Par exemple, pour la fraction 3 , trois des cinq parts égales d’un disque sont présentées
5 Un modèle plus complexe, introduit en général plus tardivement auprès des élèves, est la repré-
en grisé dans la figure ci-dessous à gauche. De tels modèles en deux dimensions sont intéressants
sentation de la fraction comme partie d’une variable discrète : le tout est alors un entier supérieur
car ils soulignent le concept de « partie-tout » et font apparaître clairement la taille relative de la
à 1. Les élèves ont à conceptualiser que « le tout » ou l’unité correspond à une pluralité d’objets.
partie par rapport au tout. Notamment, « le principal avantage de la forme circulaire est la mise en
Un problème de ce type est le suivant : « Il y a 18 cubes dont 15 bleus et 3 rouges. Quelle fraction
valeur de ce qui reste pour faire le tout » (Van de Walle & Lovin, 2006). Dans cet exemple, les parties
des cubes représentent les cubes rouges ? » Le tout correspond ici à une pluralité, à 18 cubes.
en grisé combinées à celles en blanc forment « le tout », ou 3 + 2 = 5 . Dessiner de tels diagrammes
5 5 5 Le groupement des éléments d’un ensemble en sous-ensembles de cardinalité égale demande une
est adapté à la représentation de situations de division-partition (Empson & Levi, 2011).
compétence plus sophistiquée que la partition d’un tout en parts égales. Du matériel pédagogique
tel que des cubes emboîtables peuvent aider à visualiser la tâche cognitivement difficile de trouver
la fraction de cubes rouges dans cet ensemble de 18 cubes en formant des trains de trois cubes et
10 Il s’agit ici pour exemple des choix opérés dans l’approche dites de Singapour, aux niveaux scolaires allant en remarquant que seul un train sur les six trains est rouge, d’où la fraction 1 .
de l’équivalent du CE1 au CM2 français 6

40 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 41
Les recherches montrent que l’utilisation de représentations figurées (matériel pédagogique, 3.3.2 Aspects Procéduraux
dessins ou créations d’élèves) aide au développement de la compréhension des fractions. De plus,
Une autre difficulté majeure que rencontrent les élèves dans le domaine des fractions concerne les
ils suggèrent qu’il est bénéfique que les élèves manipulent des représentations visuelles et tactiles
compétences calculatoires. La majorité des études révèle que les élèves qui réussissent les exercices
diverses (Petit, Laird, Marsden, & Elby, 2010), en suivant des approches pédagogiques variées,
de calcul sur les fractions ont tendance à faire preuve d’une « expertise de routine » plutôt que
intégrant en particulier des représentations diversifiées, des situations problèmes, des représenta-
d’une « expertise adaptative » (Baroody, 2003). L’expertise adaptative est définie dans la littérature
tions symboliques (Lesh, Landau, & Hamilton, 1983). Pour augmenter l’impact du matériel pédago-
comme la capacité à appliquer avec du sens, et de manière flexible et créative, les procédures
gique sur une construction plus aboutie des concepts, l’explicitation des liens entre les diverses
arithmétiques apprises (Hatano & Oura, 2003) ; les élèves disposent alors de plusieurs stratégies
représentations paraît être un geste professionnel indispensable à mobiliser (Clements, 1999).
différentes pour une même opération qu’ils adaptent à la situation en question. Par contraste avec
Les représentations choisies peuvent donc d’une part illustrer une interprétation de fraction et
l’expertise adaptative, l’expertise de routine se définit comme la capacité à résoudre rapidement
d’autre part servir de point de départ au développement de conceptions plus abstraites : ces deux
et correctement des problèmes de mathématiques scolaires standard, sans nécessairement les
modalités, de contextualisation et de décontextualisation, sont complémentaires et indispensables.
comprendre : connaître les opérations sur les fractions devient synonyme de savoir exécuter les
Les écueils de la compréhension de l’unité algorithmes de calcul et produire des réponses correctes. Lorsque les opérations sur les nombres
rationnels sont enseignées comme des règles sans lien les unes avec les autres, elles sont alors
Une difficulté majeure rencontrée par les élèves relève de la conception de la notion d’unité. Or, le difficiles à retenir et dépourvues de sens apparent. Les élèves se découragent et deviennent confus
concept du tout est à la base du concept de fraction. En d’autres termes, une fraction est toujours lorsqu’il s’agit, par exemple, de chercher pourquoi certaines opérations requièrent de trouver
en relation avec un tout explicite ou implicite : « Comprendre que la grandeur d’un nombre en d’abord les dénominateurs communs, alors que d’autres non (Barnett-Clarke et al., 2010) ? Ou
écriture fractionnaire est relative à la taille de l’unité est une clé pour comprendre les nombres pourquoi il est possible de multiplier les numérateurs et les dénominateurs lors de la multiplication
rationnels » (Barnett-Clarke, Fischer, Marks, Ross, & Zbiek, 2010). Trouver une partie fractionnaire de fractions, alors qu’il n’est pas correct d’ajouter les numérateurs et les dénominateurs lors de
d’un tout est souvent une des premières étapes de la compréhension que les fractions n’ont de l’addition de fractions ? Pourquoi la procédure de division des fractions est-elle si compliquée alors
sens qu’au regard d’un tout. Comme évoqué plus haut, les élèves débutent avec l’interprétation de que celle de la multiplication des fractions est si simple ? « Le résultat est une litanie de procédures
la partie d’un tout. Ils passent ensuite à des touts plus grands et des fractions plus complexes pour apparemment sans rapport que les élèves doivent mémoriser, et les tentatives à leur trouver un sens
développer des concepts tels que la grandeur relative, l’équivalence et les opérations. La première sont rapidement abandonnées » (Neagoy, 2017).
difficulté rencontrée par les élèves lorsqu’ils résolvent des problèmes impliquant une fraction, est
d’identifier le tout, explicite ou implicite, quand ce tout consiste en plus d’un élément, d’une pièce La difficulté pour les élèves à attribuer du sens aux calculs sur les fractions concorde avec les
ou d’un objet (Payne, 1976). Par exemple, le tout peut-être un paquet de 2 gâteaux. Les activités résultats d’études réalisées auprès d’enseignants sur ces mêmes sujets. Deux études récentes,
usuelles dans lesquelles les élèves colorient une fraction d’une forme simple et dénomment la l’une internationale menée auprès d’enseignants en formation initiale (Olanoff, Lo, & Tobias, 2014)
fraction ainsi coloriée renforcent cette conception limitante selon laquelle toutes les unités sont et l’autre états-unienne menée auprès d’enseignants en poste (Copur-Gencturk, 2021), ont abouti
faites d’un seul objet. à des conclusions comparables. Les 43 études réalisées sur une vingtaine d’années auprès d’ensei-
gnants en formation initiale montrent que leur maîtrise des fractions est relativement solide lorsqu’il
Une seconde difficulté survient pour les fractions supérieures à 1. Les difficultés qui s’observent s’agit d’exécuter des procédures, mais que s’éloigner des procédures et utiliser le « sens commun
dans ces situations ont pour source la conception « partie d’un tout », qui coïncide le plus souvent des nombres fractionnaires » représente un obstacle. Des difficultés sont identifiées également
avec l’expérience initiale des fractions. Une limitation évidente à interpréter a comme « a parties dans la compréhension du sens des procédures ou de la raison pour laquelle ces procédures
b
de b parties égales » est la conclusion tacite que a est nécessairement inférieur à b ; par conséquent, fonctionnent. Concernant les enseignants en formation continue, les recherches suggèrent que
les fractions dont le numérateur est supérieur au dénominateur apparaissent comme dénuées de leur compréhension de l’arithmétique des fractions est également parcellaire.
sens (Neagoy, 2017).
Le Rational Number Project (RNP), un projet de recherche et développement coopératif multi-­
Une troisième difficulté est de déterminer le tout ou l’unité lorsque seulement une partie du universitaire financé par la National Science Foundation (NSF) aux États-Unis, de 1979 à 2002, a
tout, ou une fraction du tout, est donnée, particulièrement avec les fractions qui ne sont pas des enquêté sur l’apprentissage des fractions par les élèves et a élaboré un programme d’apprentissage
fractions unitaires (Behr & Post, 1992). Traditionnellement, les tâches scolaires privilégient des du « sens des nombres fractionnaires » chez les élèves de quatrième et cinquième année de primaire
situations dans lesquelles le tout est donné et la fraction est à chercher, par exemple, un dessin d’un (CM1 et CM2). En effet, la focale a été mise sur la compréhension conceptuelle des fractions
gâteau coupé en 12 parts. « 3 parts ont été mangées. Quelle fraction du gâteau a été mangée ? ». à partir d’une variété de modèles concrets, en élaborant des stratégies informelles reposant sur
Les élèves n’ont ainsi que rarement l’occasion de chercher le tout à partir d’une fraction donnée, des représentations mentales des fractions, en créant concrètement le sens de l’équivalence
par exemple, « J’ai mangé 3 parts. Elles représentaient un quart du gâteau. En combien de parts et en estimant les sommes et les différences des fractions avant l’introduction des algorithmes
était coupé le gâteau ? ». de calcul. Les élèves qui ont élaboré des stratégies pour ordonner les fractions en s’appuyant sur
Les difficultés de compréhension de l’unité sont souvent repérables dans les activités de compa- une démarche conceptuelle ont également été en mesure de les mettre en œuvre pour réaliser
raison de fractions. Ainsi, seulement un quart des élèves de CM1 proposent une réponse satis­faisante les exercices d’estimation. Par exemple, en réponse à la question suivante : « Estimez 2/3 + 1/6.
à la question suivante : « José a mangé 1 pizza. Ella a mangé 1 d’une autre pizza. José dit qu’il a Cette somme est-elle supérieure à 1/2 ou inférieure à 1/2 ? Est-elle supérieure à 1 ou inférieure à 1 ? »
2 2
mangé plus de pizza que Ella mais Ella dit qu’ils ont tous deux mangé la même quantité. En te servant Un élève a répondu de la manière suivante : « 2/3 est supérieur à 1/2 ; si on ajoute 1/6, ce n’est pas
de mots ou de dessins, montre que José peut avoir raison ». L’erreur la plus fréquente est de répondre supérieur à 1 parce que 1/6 est inférieur à 1/3 » (Cramer & Henry, 2002).
qu’Ella a forcément raison puisque 1/2 égale toujours 1/2 (Kouba, Zawojeski, & Strutchens, 1997). Le RNP et d’autres projets curriculaires d’envergure (par exemple Lamon, 2007 ; Moss, 2002) qui
tentent de développer la compréhension des fractions chez les élèves ont plusieurs aspects
en commun. Ils cherchent à donner un sens aux nombres rationnels avant de travailler avec les

42 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 43
symboles et les procédures formelles ; ils aident les élèves à saisir les fractions, les décimaux et les Activités destinées à soutenir la compréhension que le dénominateur indique de quelles
pourcentages comme des grandeurs ; ils utilisent des modèles concrets et des contextes du monde parties fractionnées il s’agit et que les parties fractionnées du tout sont toujours égales.
réel pour donner un sens aux fractions utilisées ; ils favorisent les liens entre les modèles visuels ou
Par exemple, Idris et Adèle discutent de la fraction qui correspond à la partie grisée par rapport
tactiles et les notations symboliques formelles.
au tout (la figure dans sa totalité) : Idris dit : « C’est 1 du tout. » ; Adèle réagit : « Non, moi je crois
3
que c’est 1 . »
4
3.3.3 Propositions pédagogiques Le professeur demande aux deux élèves d’expliquer leur raisonnement.
A ton avis, quelle pourrait être l’explication d’Idris ?
La recommandation la plus importante est de ne pas limiter la compréhension d’une fraction a un
a A ton avis, quelle pourrait être l’explication d’Adèle ?
modèle mental tel que que « veut dire prendre a parties parmi b parties égales » mais d’élargir
a b Es-tu d’accord avec Idris ou avec Adèle ? Explique pourquoi
l’interprétation de comme « a copies ou itérations de la fraction unitaire » (CCSSM11, National
b
Governors Association Center for Best Practices and the Council of Chief State School Officers,
3
2010). Cette approche doit favoriser la compréhension des fractions, par exemple , comme des
5
constructions multiplicatives, c’est-à-dire comme « 3 itérations de 1 » qui devient « 3 fois 1 . »
5 5
Les élèves pourront ainsi envisager sans difficulté majeure la fraction 7 plus tard comme 7
5
« un cinquième » ou « 7 fois 1 ».
5
Dans l’objectif d’aider les élèves à dépasser le stade d’une expertise routinière des calculs avec les
fractions et à favoriser le développement d’une expertise plus flexible et pourvu de sens, plusieurs
propositions peuvent ainsi être données : Activités destinées à comprendre les fractions inférieures et supérieures à 1 comme
– n’introduire les opérations formelles avec des fractions qu’une fois que les élèves ont développé
des multiples d’une fractions unitaire, en les représentant sur la droite numérique.
un sens de la grandeur relative des fractions, ce qui peut s’appuyer sur des modèles concrets Par exemple, fais des bonds sur la droite numérique. Place la fraction 1 sur la droite numérique.
4
(modèle en barre, ligne numérique) ; Fais ensuite des bonds de « 1 » jusqu’à 3 , puis jusqu’à 7 . Place ces deux fractions sur la droite
4 4 4
numérique. Pour atteindre 7 , tu es passé par la fraction 4 . Donne un autre nom à cette fraction.
– donner aux élèves l’opportunité de développer une compréhension approfondie de l’équivalence 4 4
a a×c
des fractions au-delà du simple algorithme = ;
b b×c
– mettre l’accent sur l’estimation lorsque sont enseignées les opérations avec des fractions avant
d’introduire les algorithmes de calcul ;

– établir des liens entre la signification des opérations avec des nombres entiers et des opérations
avec des fractions tout en soulignant les différences de procédures ;

– ancrer les opérations sur les fractions dans des contextes de la vie quotidienne pour aider les Place la fraction 1 sur la droite numérique. Fais ensuite des bonds de « 1 » jusqu’à 2 , puis jusqu’à 5 .
3 3 3 3
élèves à mieux saisir la signification des procédures de calcul sur des fractions. Place aussi ces deux fractions sur la droite numérique. Quelle est la distance entre les fractions
2
et 5 sur la droite numérique ? Explique ta réponse.
Les pistes ci-après pour des activités sur les fractions ne sont pas des exercices mathématiques 3 3
scolaires traditionnels. L’objectif des propositions suivantes est de cultiver chez l’élève un sens des Activités destinées à soutenir la compréhension que l’unité n’est pas nécessairement
fractions, de l’unité, de la comparaison, des opérations qui soit ancré dans une compréhension plus un seul objet.
profonde des concepts mathématiques. Il s’agit de favoriser le développement d’une « expertise
Par exemple, la partie grisée représente la part restante de deux gâteaux.
adaptative » plutôt qu’une « expertise de routine ».

Activités autour de différentes significations d’une fraction afin de favoriser la mise en lien
entre plusieurs sens d’une fraction : une partie d’un tout, une division (l’action de diviser
et le quotient obtenu), et une partie d’un ensemble.

Par exemple, pour la fraction 5 , on cherche en classe des contextes pour lesquels, elle peut avoir
6
le sens de
• « partie d’un tout » (par exemple 5 parts de pizza, d’une pizza découpée en 6 parts) Emma dit que la fraction de gâteaux mangée est 5 , et Koffi affirme que c’est 5 .
3 6
• « action de diviser » (par exemple partager 5 tartelettes équitablement entre 6 personnes) Essaie d’expliquer le raisonnement d’Emma.
• « quotient » (par exemple, chaque personne reçoit 5/6 d’une tartelette dans l’exercice précédent) Essaie d’expliquer maintenant le raisonnement de Koffi.
• « partie d’une collection ou d’un ensemble » (par exemple, la fraction de cubes rouges dans un Es-tu plutôt d’accord avec Emma ou avec Koffi ?
groupe de 18 cubes dont 15 sont rouges et 3 bleus) Montre qu’en choisissant des unités différentes, Emma et Koffi peuvent tous les deux avoir raison.
• « placement sur la ligne numérique » (partager le segment [0, 1] en 6 segments égaux et placer 5/6) Un autre exemple d’activité portant sur cette compréhension de l’unité pourrait être : « J’ai
3 bouteilles. J’en ai bu le tiers. Colorie ce que j’ai bu. Propose plusieurs réponses ». 2 points de vue
sont possibles : un tiers de chaque bouteille, ce qui fait 3/3 ou 1 bouteille (l’unité est la bouteille),
11 Common Core State Standards for Mathematics a pu être bu ; ou un tiers des 3 bouteilles, ce qui fait 1 bouteille (l’unité est les 3 bouteilles).

44 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 45
La phrase en gras ajouté à l’énoncé est susceptible de favoriser l’adoption d’un deuxième point
de vue, et donc un recodage de l’énoncé (1.3.3) qui adopte la perspective d’une fraction comme
grandeur : « Au goûter, il y a 2 gâteaux : un avec des noix et un avec des raisins. Julia, Yliès et Mylan
veulent se partager les cakes. Julia est allergique aux noix. Ils veulent tous les 3 manger la même
quantité. Quelle fraction de cake va manger Julia ? ». Dans ce dernier énoncé, étant donné que
Julia est allergique au cake aux noix, elle peut manger uniquement le cake aux raisins. Ce deuxième
énoncé favorise la solution de donner les deux tiers d’un cake aux raisins à Julia.
Activités destinées à soutenir la compréhension que le choix de l’unité peut varier.

Par exemple, la flèche désigne un point P de la droite numérique qui représente un nombre.

Indique en vert où se trouve le nombre 1 si le point P représente le nombre 3.


Indique en bleu où se trouve le nombre 1 si le point P représente le nombre 3 .
4
Indique en rouge où se trouve le nombre 1 si le point P représente le nombre 3 .
2

Activités destinées à faire appel à l’estimation de l’ordre de grandeur des fractions


avant d’enseigner les algorithmes de calculs, pour développer le sens donné
aux opérations et anticiper l’ordre de grandeur des résultats.

Par exemple, la somme 2 + 1 est-elle supérieure ou inférieure à 1 ?


3 6 2
Est-elle supérieure ou inférieure à 1 ?

Léa n’a pas fait de calcul pour répondre à ces deux questions. Elle a répondu ainsi :
« 2 est supérieur à 1 donc la somme est aussi supérieure à un 1 . »
3 2 2
« Il faudrait ajouter 1 à 2 pour faire 3 , ce qui fait 1. Mais puisque 1 est inférieur à 1 , la somme est
3 3 3 6 3
inférieure à 1 ».
En utilisant le même type de raisonnement que Léa, peux-tu dire si la différence 7 − 2
8 4
• est supérieure ou inférieure à 1 ?
2
• est supérieure ou inférieure à 1 ?

Activités destinées à s’assurer que l’élève ne s’appuie pas sur la seule conception bipartite
des fractions

Proposer des exercices de comparaisons de fractions discordants avec les stratégies intuitives
telles que « plus le numérateur ou dénominateur est grand, plus la fraction est grande » : dans
le cas d’une paire discordante comme 2/9 vs 1/3, si l’élève compare les numérateurs (2 > 1) et les
dénominateurs (9 > 3), il conclut de façon erronée que 2/9 > 1/3. Pour réussir, l’élève doit percevoir
la fraction comme grandeur.

Activités destinées à favoriser le développement de l’expertise adaptative, fondée


sur une diversité de codage d’une même situation

Introduire des énoncés de problèmes pouvant se résoudre par plusieurs stratégies distinctes grâce
à l’adoption de deux points de vue, soit celui de structure bipartite, soit celui de grandeur.

Un problème de fraction pour favoriser l’adoption du point de vue de la fraction comme structure
bipartite et du point de vue de la fraction comme grandeur peut être le suivant : « Au goûter, il
y a 2 cakes, un avec des noix et un avec des raisins. Julia, Yliès et Mylan veulent se partager les
cakes. Ils veulent tous les 3 manger la même quantité. Quelle fraction de cake va manger Julia ? »
Il existe 2 réponses possibles : Julia mangera 1/3 de chaque cake ou Julia mangera 2/3 d’un cake.
Dans la conception bipartite de la fraction, la réponse de l’élève sera 1/3 de chaque cake, car cette
conception consiste à partager chaque tout (ici un cake) en parties.

46 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 47
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Ce qu’il faut retenir — L’automatisation de la connaissance des tables de multiplication permet aux élèves de consacrer
leur attention et leurs ressources cognitives à d’autres apprentissages.

— Compétence cruciale pour le citoyen du 21e siècle, la compréhension mathématique est mobi­ — Le plus efficace pour la mémorisation des tables de multiplication consiste en des tâches de pro‑
duction des réponses, répétées fréquemment même sur des durées brèves.
lisée dans la vie de chacun pour les calculs de la vie quotidienne, la lecture de graphiques, l’inter‑
prétation de toute donnée chiffrée. Elle soutient aussi la qualité des raisonnements, la ­capacité — La récupération en mémoire est moins fréquente pour les divisions que pour les multiplications.
d’évaluation des risques et le développement de l’esprit critique. Elle est favorisée par le progrès en multiplications.

— L’apprentissage des structures multiplicatives dont font partie la multiplication, la division et — La conception intuitive de la fraction comme structure bipartite conduit à des échecs impor‑
les fractions, tout en relevant d’un socle commun, se répercute sur les apprentissages ultérieurs tants, par exemple lorsqu’il s’agit de comparer ou d’additionner des fractions.
comme les raisonnements proportionnels et algébriques.
— La représentation répandue de la fraction comme nombre de parts parmi un tout unitaire

— Les connaissances mathématiques se distinguent entre connaissances conceptuelles (les prin‑ ­découpé en parts égales met l’emphase sur une conception partielle des fractions.
cipes mathématiques) et procédurales (les algorithmes de résolution).
— D’autres conceptions de la fraction, telles que la position sur la droite numérique, une partie d’un

— Loin d’être complètement dissociées, ces connaissances se construisent l’une sur l’autre. tout supérieur à l’unité, un quotient, un opérateur, un ratio, constituent autant de recodages
Les procédures sont révélatrices des conceptions des élèves et les connaissances conceptuelles qui favorisent une expertise adaptative.
déterminent dans quels contextes une procédure sera appliquée.
— Des représentations figurées sont à même de concrétiser ces différentes conceptions des

— Les notions mathématiques sont l’objet de conceptions intuitives, dérivées de l’expérience fractions et d’être le support d’activité en classe destinées à les travailler auprès des élèves.
quotidienne. Elles donnent sens à ces notions mais fourvoient dans certains contextes.

— Un enjeu majeur pour les apprentissages est que les conceptions des élèves évoluent de manière
à aller au-delà des conceptions intuitives et à rencontrer le sens mathématique.

— La conception intuitive de la multiplication est l’addition répétée, celle de la division est le par‑
tage équitable, celle de la fraction est la structure bipartite.

— Lorsqu’une conception intuitive suffit pour réussir une tâche, cette réussite n’est pas indicatrice
que l’élève pourra mobiliser la notion mathématique dans des contextes où la conception intui‑
tive est limitante. Pour s’assurer d’un apprentissage il est essentiel d’introduire des situations
où la conception intuitive ne suffit pas.

— Toute situation mathématique fait l’objet d’un codage par l’élève. Ce codage conditionne les
stratégies envisageables et les possibilités de transfert à une nouvelle situation.

— La diversité des codages qu’un élève peut appliquer à une situation favorise son expertise adap‑
tative, qui permet une flexibilité dans les stratégies, par opposition à une expertise de routine,
où des algorithmes sont appliqués de manière systématique mais rigide.

— Des activités de comparaison entre situations favorisent les recodages qui offrent la possibilité
de percevoir de nouvelles propriétés mathématiques et mettre en œuvre de nouvelles stratégies.

— Des représentations figurées peuvent soutenir la compréhension de notions mathématiques,


en offrant des opportunités de recodage et en rendant visible des propriétés mathématiques
pertinentes.

— Le passage d’une représentation figurée à une autre – la traduction entre représentations –


­favorise la perception de nouvelles propriétés mathématiques.

— La représentation par des nombres rectangles favorise la compréhension de la commutativité


de la multiplication, de la multiplication entre nombres décimaux, de la distributivité de la multi­
plication sur l’addition, ainsi que la relation inverse entre multiplication et division.

— Le schéma de correspondance, présent chez les élèves dès 5 ans, favorise la compréhension
de la notion de rapport pour la multiplication, contrairement à celui d’addition répétée.

— Pour la division, même si la notion de partage est présente à 5 ans, il reste difficile de concevoir
que plus le nombre d’individus entre lesquels on partage est élevé, moins la quantité reçue par
chacun l’est.

— Outre le schéma partitif de recherche de la taille d’une part, le schéma quotitif est important
à mobiliser dans l’apprentissage de la division. Diversifier les figurations de la division est une aide.

52 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022 53
54 De la multiplication aux fractions : réconcilier intuition et sens mathématique — CSEN, juin 2022
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