Spectre Vibration
Spectre Vibration
Spectre Vibration
La description précise du mouvement des noyaux (une fois moyenné celui des électrons) est le fondement
théorique d’une autre spectroscopie (IR et micro-ondes2 ) apportant de précieux renseignements sur la confor-
mation moléculaire et les champs de forces effectifs entre noyaux. Principalement, la spectroscopie IR (spectres
de vibration) donne des renseignements sur les constantes de force d’équilibre et donc sur la “force” des liaisons
chimiques, tandis que la spectroscopie micro-ondes permet de “voir” les états rotationnels, la molécule étant
considérée (en première approximation) comme un rotateur rigide, défini par des axes principaux et des moments
d’inertie ; la détermination de ces derniers fournit notamment les distances d’équilibre des liaisons. Au total,
les mesures spectroscopiques mettant en jeu les degrés de libertés vibrationnels et rotationnels permettent de
remonter à la configuration géométrique de la molécule et aux forces qui la régissent.
Comme on l’a vu au chapitre 5, la fonction d’onde adiabatique d’une molécule est de la forme :
Te étant l’opérateur cinétique des électrons, cependant que la fonction d’onde des noyaux χm (Qj ) obéit à :
Au chapitre précédent, on a montré sommairement que l’existence d’états propres électroniques liés – et stables
vis-à-vis de (petites) déformations de la configuration nucléaire – est due à de subtiles compétitions entre l’énergie
cinétique des électrons, la répulsion entre noyaux et entre électrons, et l’interaction attractive entre les noyaux
et les électrons.
1 Par exemple, toute raie d’émission s’accompagne de satellites provenant de transitions électroniques avec modification de l’état
de vibration intramoléculaire.
2 La spectroscopie Raman, très utile pour les molécules dénuées de moment dipolaire électrique – voir ci-dessous – met en jeu des
phénomènes généralisant la diffusion Rayleigh classique, et utilise donc une source d’excitation de fréquence optique, typiquement.
CHAPITRE 7. MOUVEMENT DES NOYAUX.
2 SPECTRES DE VIBRATION ET DE ROTATION
Pour une molécule à N noyaux, il y a 3N degrés de liberté nucléaires. Comme on l’a vu, seuls 3N − 6
d’entre eux – ou 3N − 5 pour une molécule linéaire3 – correspondent à des mouvements internes (c’est-à-dire
produisant des déformations du squelette moléculaire). Parmi les autres degrés, ceux de translation ne donnent
jamais de quantification (translation en bloc dans R3 sans conditions aux limites) ; en revanche, la rotation
en bloc est quantifiée, en conséquence du fait que les variables dynamiques sont des angles, définis sur un
intervalle fini, [0, 2π] ou [0, π] suivant les cas. En Mécanique Quantique, toute variable confinée produit la
quantification via le jeu des conditions aux limites imposées par le sens physique accordé aux fonctions d’onde.
En conséquence de la théorie du moment cinétique, la fonction est inchangée par une rotation de 2π des variables
spatiales puisqu’il n’est ici question que d’un moment cinétique orbital 4 .
L’étude détaillée des mouvements nucléaires est assez laborieuse pour une molécule un tant soi peu
complexe5 ; on se bornera principalement ici à exposer les idées essentielles, données ci-dessous dans le cas le
plus simple, celui des molécules diatomiques.
Dans cette section, on considère exclusivement le cas d’une molécule AB, hétéronucléaire (A = B) ou homonuclé-
aire (A = B). Dans cette seconde étape de l’approximation adiabatique, on dispose d’une énergie électronique
Em , jouant le rôle d’une énergie potentielle dans une équation aux valeurs propres pour (ici) deux noyaux
ponctuels de masses MA et MB . Évidemment, Em ne dépend ici que d’une seule coordonnée, la distance R
entre les deux noyaux (homogénéité et isotropie galiléennes de l’espace). S’agissant d’étudier les mouvements
de la molécule constituée, la fonction Em (R) est supposée posséder un minimum (unique) en R = R0 .
Ceci représente l’équation aux valeurs propres standard pour deux particules en interaction centrale par Em (R).
La séparation du centre de masse fait apparaı̂tre χm sous la forme :
A, R
B) = ei K.X Fm (R)
B − R
= R A) ,
χm (R (R (7.5)
2 K
2
Etranslation = . (7.7)
2(MA + MB )
µ étant une masse (réduite) nucléaire, le terme cinétique est petit par rapport à la profondeur du puits de
potentiel que constitue Em (R). Dans le repère du centre de masse – le seul pertinent ici –, on a :
2
− ∆R + Em (R) Fm (R) = E Fm (R) . (7.9)
2µ
Ceci fait renouer avec un cadre familier : (7.9) est une équation aux valeurs propres pour une particule de masse
µ dans le potentiel radial Em (R). La séparation des variables angulaires procède donc exactement comme pour
l’atome d’hydrogène et fait apparaı̂tre les harmoniques sphériques. En désignant par (R, θ, φ) les variables
sphériques conventionnelles (voir fig. 7.1), on pose6 :
2 d2 f
− + Veff (R) f(R) = E f(R) , (7.11)
2µ dR2
avec :
2 L(L + 1)
Veff (R) = Em (R) + . (7.12)
2µR2
B
θ
G
A
Figure 7.1: Repère utilisé pour fixer la position d’une molécule diatomique AB.
Comme d’habitude, le potentiel effectif est la somme de l’énergie potentielle purement radiale et du terme
2
L
centrifuge 2µR 2 , provenant de l’opérateur cinétique TN . De toute évidence, la variable R décrit la vibration de
la molécule, alors que les variables angulaires sont associées à sa rotation. Il est utile à ce stade de mettre des
nombres dans (7.12), ce qui permet de réaliser que les deux contributions à Veff ne sont pas du même ordre de
grandeur. En effet (m est ici la masse de l’électron) :
m me
4
2 L(L + 1) 2 2 m
2
∼ 2
= 2 = = EI , (7.13)
2µR 2µ(2a0 ) 8µ( me2 )2 µ 82 4µ
2 L(L + 1) m
∼ Em Em ; (7.14)
2µR2 4µ
sans surprise, l’énergie de rotation est bien une petite correction devant l’énergie Em ; en première approxima-
tion :
Veff Em . (7.15)
Par ailleurs, ce sont les vibrations de la molécule constituée qui présentent un intérêt, en tant que source
d’information sur l’édifice moléculaire tel qu’il existe. Implicitement, ceci suppose que les vibrations sont de
6 L’indice m de F
m continue à désigner un ensemble de nombres quantiques. Par ailleurs, la fonction radiale f dépend explicite-
ment de L, mais ceci est omis par simplicité.
petite amplitude (autrement, la liaison chimique se casse). Il est donc licite, pour la question posée, de développer
Veff près de son minimum et d’écrire7 :
1 2 L(L + 1) 2 L(L + 1)
Veff (R) Em (R0 ) + Em (R0 ) (R − R0 )2 + − (R − R0 ) , (7.16)
2 2µR20 µR30
Le troisième terme dans (7.16) est l’énergie du rotateur rigide, la distance R étant fixée à sa valeur d’équilibre
R0 . Le dernier terme est visiblement un couplage entre vibration et rotation : sous l’effet de celle-ci, la liaison
s’étire un peu et le point d’équilibre change (un peu), sans pour autant changer la fréquence8 de fond de puits
(qui ne dépend que de la dérivée seconde). Dans la suite, en oubliant ce type de correction et se bornant au
terme harmonique venant de Em , l’équation à résoudre, (7.11), prend la forme simplifiée :
2 d2 f 1 2
− + E m (R 0 ) + µω (R − R 0 )2
+ Bm hL(L + 1) f(R) = E f(R) , (7.17)
2µ dR2 2 m
où ont été introduites la pulsation de vibration ωm et la notation traditionnelle pour le terme centrifuge9 :
2 ≡
2
µωm = Em (R0 ) , Bm = , (7.18)
4πµR0 4πI0
I0 désignant le moment d’inertie à la distance d’équilibre R0 .
Clairement, on peut attendre des effets isotopiques importants, exclusivement dus au terme cinétique
TN : par exemple, entre l’hydrogène H2 et son isotope D2 , on gagne un facteur 2 pour la masse réduite µ. D’un
autre côté, la dérivée seconde Em (R0 ) ne dépend pas des masses nucléaires10 : la variation de masse réduite se
transporte donc fidèlement√sur les pulsations. Compte tenu de la première relation (7.18), la pulsation propre
doit donc être divisée par 2 et c’est bien ce que l’on observe : la vibration strictement harmonique se produit
à 4401 cm−1 pour H2 , et à 3112 cm−1 pour D2 . D’une façon générale, la pulsation ωm est d’autant plus grande
que la masse réduite est faible et la liaison stable (le minimum de Em (R) est aigu). Pour une molécule de gaz
rare (en interaction par van der Waals), ωm est beaucoup plus petit (quelques dizaines de cm−1 au plus).
L’équation (7.17) est une approximation de (7.11), et représente un oscillateur harmonique linéaire11 pour
l’écart R − R0 , dont le spectre est décalé de la constante Bm h L(L + 1). D’après ce que l’on sait de l’oscillateur
harmonique linéaire, on peut dès lors affirmer que la valeur propre E de (7.17) est de la forme :
1
E = Em (R0 ) + ωm (v + ) + Bm h L(L + 1) (v ∈ N, L ∈ N) . (7.19)
2
Cette expression met bien en évidence le découplage des différents degrés de liberté, l’énergie apparaissant sous
la forme d’une somme de trois termes, écrits dans l’ordre des énergies décroissantes :
En ce qui concerne la fonction propre f, c’est – formellement – une fonction propre d’oscillateur har-
monique centrée en R0 , à ceci près que la variable R est ici cantonnée aux valeurs positives – donc la variable
R − R0 donnant l’écart à la position d’équilibre varie seulement de −R0 à +∞, et non entre ±∞. Ce distinguo
n’est pas gênant en pratique, puisque toutes les fonctions d’onde décroissent très vite de part et d’autre de R0
(l’enveloppe est gaussienne). Les différences deviennent sensibles seulement pour les grandes valeurs du nom-
bre quantique de vibration v, mais, de toute façon, l’hypothèse des petites oscillations exclut la considération
d’états de vibration très excités. Plus précisément, les fonctions propres harmoniques sont localisées autour de
7 R dépend de l’état électronique considéré ; on devrait donc plutôt noter R
0 m 0 la valeur d’équilibre, ce que l’on ne fait pas pour
alléger l’écriture.
8 Le terme suivant du développement de l’énergie centrifuge est en (R − R )2 et “renormalise” donc la fréquence de vibration.
0
9 La constante B
m dépend de l’état électronique considéré via la distance d’équilibre R0 de la liaison ; Bm est homogène à une
fréquence.
10 L’énergie E (R) se trouve dans l’étape où les noyaux sont fixes, et est donc forcément la même pour tous les isotopes.
m
11 À une petite réserve près liée au fait qu’ici R est une variable positive – voir plus loin.
..
.
V=3
..
.
V=2
..
.
V=1
..
.
V=0
Figure 7.2: Représentation schématique des niveaux de vibration et de rotation d’une molécule diatomique. Le
trait en pointillés schématise le zéro d’énergie. Les niveaux de vibration ont l’énergie ωm (v + 12 ), v ∈ N ; les
peignes très fins schématisent les niveaux de rotation, décalés de hBm L(L + 1) par rapport aux niveaux de
vibration pure.
R0 sur un intervalle ∆R ; pour que la queue gaussienne du côté R < 0 soit invisible et donc inoffensive, il faut
∆R R0 . Comme ∆R ∼ ( µωm )1/2 , on doit donc avoir :
2
R0 ⇐⇒ R0 ⇐⇒ (R )R2
R20 . (7.21)
µωm
µ Em (R0 )/µ µEm 0 0
2
Par ailleurs, Em (R0 )R20 ∼ ma20
; en reportant cette estimation dans (7.21), on trouve que cette inégalité est
équivalente à :
m
1 , (7.22)
µ
inégalité qui est clairement bien vérifiée.
où Cv est la constante de normalisation. YLM est une harmonique sphérique qui décrit la rotation du “bâton”
rigide12 que constitue la molécule diatomique à noyaux fixés à la distance R0 , et dont l’orientation est définie
par les deux angles θ et φ.
12 ce que l’on appelle un rotateur rigide.
À l’ordre le plus bas, l’interation entre un système microscopique et le champ électromagnétique classique est
du genre −d. où E est le champ électrique de l’onde13 et où d est le moment dipolaire électrique total14 de
E,
la molécule (neutre) moyenné sur le mouvement électronique associé à l’état électronique considéré : s’agissant
ici d’examiner les transitions entre états dynamiques des noyaux, on raisonne à état électronique donné, en ne
considérant que les degrés de liberté nucléaires. d est donc :
d = Φm | eri + Zj |e|R
j |Φm = Φm | eri |Φm + Zj |e|R
j ; (7.26)
i j i j
ici, les . . . | . . . | . . . représentent des intégrations sur les seules coordonnées électroniques ri .
−→
Pour une molécule diatomique, le moment d est forcément porté par l’axe internucléaire AB puisque, en
tant que propriété de la molécule, il est invariant dans toute opération de symétrie :
R
d = d(R) . (7.27)
R
Par ailleurs, si la molécule est homonucléaire (A = B, A 2 en notation chimique), le système est symétrique
dans l’inversion par rapport au milieu de la liaison. Le seul vecteur invariant dans cette opération est le
vecteur nul : dépourvue de moment dipolaire, une molécule de ce type est donc inactive dans l’infra-rouge
et les micro-ondes15 . Seules les molécules hétéronucléaires sont actives en IR et micro-ondes ; pour une telle
molécule, l’existence d’un moment dipolaire permanent d résulte physiquement du fait que, compte tenu de la
dissymétrie des charges nucléaires, les électrons sont plus attirés par un noyau que par l’autre (celui qui est le
plus électronégatif).
Comme ce sont la vibration et la rotation de la molécule telle qu’elle existe qui sont pertinentes, la forme
utile du moment dipolaire d résulte d’un développement de Taylor autour de R0 , étant entendu que d est le long
de R ≡− →
AB :
d(R) = d(R0 ) + qeff . (R − R0 ) + . . . , (7.28)
où la constante qeff est une charge électrique effective. Si le champ est polarisé suivant Oz, le produit scalaire
E donne d(R) cos θ. Les intensités des raies de vibration - rotation sont donc gouvernées16 par le module
−d.
carré de l’élément de matrice :
FvLM |d(R) cos θ|Fv L M . (7.29)
Les variables sont séparées, de sorte que (7.29) est le produit de trois intégrales. L’une, de 0 à 2π, porte sur
l’angle azimutal φ, son intégrand est ei(M −M )φ et n’est non-nulle que si M = M , d’où la règle de sélection17
∆M = 0. Ceci étant fait, il reste le produit des deux intégrales :
Comme on l’a déjà vu à propos des transitions dipolaires électriques pour un atome (ch. 1), le facteur angulaire
n’est différent de zéro que si |L − L | = 1, d’où une deuxième règle de sélection de type E1 :
L = L ± 1 . (7.31)
13 Il
s’agit ici de la diffusion élastique résonnante de photons : tout comme pour un atome à deux niveaux, la susceptibilité est
exaltée lorsque la fréquence du champ coı̈ncide avec l’une des fréquences de Bohr du système. L’image classique est une vibration
forcée du dipôle microscopique qui, en tant que telle, s’effectue à la fréquence de l’onde excitatrice.
Schématiquement, il s’agit de processus élémentaires du premier ordre vis-à-vis de la théorie des perturbations dépendant du
temps. On sait que pour une onde quasi-monochromatique de pulsation ω et de durée T , la probabilité de transition fait apparaı̂tre
une pseudo-fonction de Dirac δT (Ef − Ei − ω) traduisant la conservation de l’énergie au sens de Bohr :
Ef = Ei + ω (absorption) . (7.25)
molécule étant neutre, d est invariant dans tout changement de l’origine du repère.
14 La
15 Voir
plus loin la description qualitative de l’effet Raman.
16 d’un point de vue purement mécanique. En temps utile, il faudra prendre en compte l’aspect statistique décrit par les probabilités
Les transitions v = v se font donc sans changement de l’état de vibration : elles forment ce que l’on appelle
le spectre de rotation pure. Compte tenu de (7.19), deux niveaux consécutifs de rotation pure sont séparés en
énergie par (voir figure 7.3) :
.
. L
2B m 2B m 2B m
.
4
4hBm 6hB m
3 ...
v 2
1
2hBm 0 0 2B m 4B m 6B m 8B m ...
Micro-ondes
Figure 7.3: Schéma des transitions donnant le spectre de rotation pure (v → v, L ←→ L + 1).
En vertu de la règle ∆L = ±1, le spectre de rotation pure est donc une série de raies impliquant les
différences d’énergie hBm [(L + 1)(L + 2) − L(L + 1)] = hBm (2L + 2) (L ≥ 0). Elles sont donc équidistantes,
centrées en fréquence aux points 2Bm , 4Bm , 6Bm , etc. Outre la dépendance vis-à-vis de L et v des éléments
de matrice, les intensités sont pondérées par les poids de Boltzmann19 donnant les populations thermiques des
états de départ ; comme gL = 2L + 1 est la dégénérescence de chaque niveau L de rotation, ces probabilités sont
de la forme (2L + 1)e−A L(L+1) ∼ (2L + 1)e−A L . La distribution de probabilité présente donc un maximum
2
Spectre de vibration-rotation
Les transitions v = v ± 1 forment le spectre dit de vibration - rotation. Compte tenu des ordres de grandeurs,
les degrés de liberté de rotation donnent en fait une structure fine aux raies de vibration, lesquelles se situent
dans l’infra-rouge. On peut distinguer deux groupes de transitions :
18 Àla petite réserve près énoncée dans la note 11.
19 À l’ambiante, on a kB T 25 meV. Cette énergie est nettement plus grande que l’échelle d’énergie donnant les différences
d’énergie rotationnelle (νrot ∼ 5 × 1010 Hz ←→ 0.2 meV). Il en résulte quà l’ambiante, les états rotationnels sont effectivement
distribués.
3
2B m
2
1
0
1 2
v+1 2 1
2 3
3 2 1 0 0 1
... ...
L ... ωm ...
3 2π
"Branche P" "Branche R"
2
1
0 Infra-Rouge
v
L L-1 L L+1
"Branche P" "Branche R"
Au total, on obtient deux groupes de raies équidistantes, séparées de 2Bm en fréquence, symétriques de
part et d’autre de νm = ω2πm . Finalement, tout se passe comme si la raie (∆v = ±1, ∆L = 0) (qui n’existe pas),
était décomposée par la structure fine due à la rotation (voir fig. 7.4). Tout comme pour la vibration pure, les
intensités sont pondérées par des poids de Boltzmann (νvibr ∼ 5 × 1012 Hz ←→ 20 meV).
Ce qui précède rend compte, pour l’essentiel, des spectres de vibration - rotation. Il existe bien sûr diverses
corrections à effectuer le cas échéant pour expliquer certaines finesses. Le plus souvent, la plus importante d’entre
elles s’obtient en développant le terme centrifuge :
2 L(L + 1) 2 L(L + 1) 1 1 2 1
= − 2(R − R0 ) 3 + 3(R − R0 ) 4 + . . . . (7.38)
2µR2 2µ R20 R0 R0
Le terme linéaire décale légèrement la position d’équilibre de R0 en R̃0 , cependant que la correction quadratique
“renormalise” la pulsation ωm en ω̃m . Enfin, il arrive aussi que l’on doive considérer les termes anharmoniques,
c’est-à-dire introduire le terme en (R − R0 )3 dans le développement de Em autour de R0 : alors les niveaux
de vibration ne sont plus strictement équidistants (les écarts entre deux niveaux consécutifs diminuent quand
on monte en énergie20 ). Le calcul convenable des diverses corrections exige du savoir-faire : il faut d’une part
effectuer des calculs de perturbation aux ordres successifs, d’autre part comparer entre elles les importances
relatives des différentes perturbations.
On a vu qu’une molécule homonucléaire est inactive dans l’IR ou les micro-ondes : dans cette gamme spectrale,
tous les éléments de matrice (dipolaires électriques) sont nuls. Pour obtenir le même type d’informations que
celles obtenues sur les molécules AB par les moyens décrits ci-dessus, il convient donc de s’y prendre autrement,
en exploitant un effet, dit effet Raman, dont le principe est donné ci-après en raisonnant semi-classiquement.
20 Retenir l’image : plus le potentiel se raidit, plus l’écart entre deux niveaux d’énergie consécutifs augmente, et inversement. Le
spectre de l’oscillateur harmonique est uniforme (écarts constants, En varie comme n), les énergies du puits carré infini augmentent
comme n2 (écarts En+1 − En ∝ n). Le puits infini est visiblement plus raide que le puits harmonique.
Rayleigh
Stokes anti-Stokes
v v+1 v v-1
ν−ν ν ν+ν
0 vibr 0 0 vibr
Figure 7.5: Schéma du spectre Raman de vibration ; quand la molécule gagne un quantum de vibration
(v → v + 1), c’est au détriment du photon diffusé, qui a une fréquence plus petite que le photon incident,
et inversement.
On connaı̂t la diffusion Rayleigh, qui est la mise en vibration forcée des électrons d’un atome ou d’une
molécule, à des fréquences petites devant la plus petite fréquence de résonance. D’une façon générale, lorsqu’un
champ électromagnétique est envoyé sur un tel système, et si sa fréquence21 ν0 ne coı̈ncide pas avec une résonance,
on obtient une diffusion élastique des photons dont la section efficace varie comme ν04 à basse fréquence (diffusion
Rayleigh) et tend vers une constante22 σT à haute fréquence (diffusion élastique des rayons X, par exemple).
Sous l’effet du champ excitateur, le petit dipôle induit est mis en oscillation forcée et rayonne à la fréquence
ν0 : la quantité importante est donc la polarisabilité de l’atome ou de la molécule. Cette polarisabilité dépend
évidemment de la géométrie de la molécule ; si les noyaux sont fixes, une seule fréquence existe, c’est ν0 et l’on
obtient une simple diffusion élastique.
À l’inverse, si les noyaux vibrent à la fréquence νvibr , le dipole induit sera (lentement) modulé en amplitude
à la fréquence νvibr , très petite devant ν0 ([1], complément AV ). La combinaison des ces oscillations fait alors
apparaı̂tre naturellement deux composantes supplémentaires ν0 ±νvibr : outre la raie élastique Rayleigh (toujours
présente, la molécule ne change pas d’état vibrationnel durant la diffusion du photon), deux raies symétriquement
déplacées apparaissent (raies inélastiques), l’une en ν0 + νvibr (raie dite anti-Stokes), l’autre en ν0 − νvibr (raie
dite Stokes). Ces deux raies correspondent au cas où la diffusion modifie l’état vivrationnel de la molécule
(v → v ± 1). La raie Stokes (ν < ν0 ) est celle où la molécule gagne un quantum de vibration au détriment du
photon, la raie anti-Stokes (ν > ν0 ) celle où la molécule en perd un et où on récupère un photon diffusé de plus
grande énergie (voir fig. 7.5).
Le même effet vaut pour la rotation ([1], complément CVI) : une molécule qui tourne sur elle-même
présente un moment dipolaire oscillant (à une fréquence double : quand la molécule homonucléaire a fait un
demi-tour, le dipôle induit est revenu à l’identique). On attend donc aussi un effet Raman, et donc des raies
Stokes et anti-Stokes, sur les spectres de rotation. Une différence existe cependant par rapport à la vibration :
alors que l’oscillateur a une fréquence unique (le spectre d’énergie est une échelle à barreaux équidistants),
il n’en va pas de même pour un rotateur. Il existe donc a priori une infinité de fréquences ν0 ± 2νrot où
νrot = 2B, 4 B, . . ., de sorte qu’il existe – modulo la règle de sélection23 ∆L = 0, ±2 – un très grand nombre de
raies visibles de chaque sorte (Stokes ou anti-Stokes) (voir [1], complément CVI ).
Pour une molécule ayant N > 2 noyaux, il existe NV = 3N − 6 ou 3N − 5 degrés de liberté de vibration, notés
Rj . Le jeu des Rj conduit à une déformation de la molécule relativement à une configuration d’équilibre stable,
21 En pratique, pour la spectroscopie Raman, ν0 est une fréquence optique.
2 2
22 σ = 8π re , où r e
= mc
T 3 e 2 est le rayon classique de l’électron.
23 avec toujours ∆M = 0.
Stokes anti-Stokes
L’=L-2 L’=L+2
2 4 1 3 0 2 2 0 3 1 4 2
... ...
ν
0
6Bm 4B m
4Bm
Figure 7.6: Schéma du spectre Raman de rotation ; quand la molécule passe de L à L + 2, la fréquence du
photon diffusé est plus petite que ν0 , et inversement.
configuration autour de laquelle les noyaux effectuent de petites vibrations approximées par le développement
harmonique ci-dessus. Comme la configuration est supposée stable, la fonction jouant le rôle d’une énergie po-
tentielle harmonique est une forme quadratique définie positive que l’on peut diagonaliser en formant les bonnes
combinaisons linéaires des Rj , appelées coordonnées normales et notées Xl . Au total, l’énergie électronique,
dans l’approximation harmonique, peut se mettre sous forme diagonale :
NV
1
Em (Rj ) = Em (Rj0 ) + kl Xl2 . (7.40)
2
l=1
Toutes les constantes de raideur kl sont strictement positives. En effectuant le même changement de variables
dans les termes cinétiques constituant TN , l’équation pour la fonction nucléaire prend la forme :
N
V
Le premier terme est une somme de NV oscillateurs harmoniques à une dimension. Le second est le Hamiltonien
du rotateur rigide constitué par la molécule dont les noyaux sont fixés aux positions d’équilibre24 et incorpore les
derniers degrés de liberté, la translation en bloc étant toujours mise de côté. Notons qu’une vibration normale
implique en général tous les noyaux : c’est donc bien un mouvement collectif 25 de ces derniers.
Remarque
L’introduction des coordonnées normales peut aussi s’effectuer de façon plus formelle. On part de :
N
1 2
HN = Mi Vi + Em (Qj ) . (7.42)
i=1
2
Posant :
s˙ j = j ,
Mj V sj = Mj (sj − sj0 ) , (7.43)
le terme cinétique devient :
N 3N
2TN = ˙ 2 ≡
sju s˙λ 2 , (7.44)
i=1 u=x,y,z λ=1
d’où :
3N
1
HN = s˙λ 2 + V (sλ ) V (sλ ) = Em (Qj (sλ )) . (7.45)
2
λ=1
En développant V autour de la position d’équilibre :
3N
1
V (sλ ) = fλµ sλ sµ , (7.46)
2
λ,µ=1
on trouve finalement :
3N 3N
1 1
HN = s˙λ 2 + fλµ sλ sµ . (7.47)
2 2
λ=1 λ,µ=1
Cette transformation laisse invariant le carré de la norme ; il en résulte que le terme cinétique s’exprime comme
suit :
3N
1 2
TN = Ẋl , (7.49)
2
λ=1
cependant que, par définition, l’énergie potentielle devient :
3N
1 1
V = kl Xl2 . (7.50)
2 2
λ,µ=1
On peut démontrer – mais c’est une évidence physique – qu’il existe 6 (5) constantes kl qui sont nulles, associées
à la rotation et à la translation en bloc. Autrement dit, l’équation caractéristique :
f1 1 − Λ f1 2 ... f1 3N
f2 1 f2 2 − Λ ... f2 3N
.. .. .. .. (7.51)
. . . .
f3N 1 f3N 2 . . . f3N 3N − Λ
possède 6 (5) fois la valeur propre Λ = 0.
La détermination des coordonnées normales est grandement facilitée par l’utilisation explicite de la
symétrie moléculaire (rotations, réflexions, . . . ). En effet, soit S une opération de symétrie de la configura-
tion d’équilibre ; par nature, effectuer cette opération ne change rien et, en particulier, ne modifie pas l’énergie
potentielle. On a donc d’une part (∆Qj = Qj − Qj0) :
1
Em (SQj ) − Em (SQj0 ) = (S∆Qj ) (S∆Qj ) Hjj . (7.52)
2
j, j
L’opération de symétrie est une transformation linéaire, représentée par une matrice orthogonale26 :
D’où, successivement :
Sjk ∆Qk Sj k ∆Qk Hjj = ∆Qj ∆Qj Hjj , (7.56)
j, j k, k j, j
Sjk Hjj Sj k ∆Qk ∆Qk = ∆Qj ∆Qj Hjj , (7.57)
k, k j, j j, j
t
SHS kk
∆Qk ∆Qk = ∆Qj ∆Qj Hjj . (7.58)
k, k j, j
la dernière égalité n’exprime rien d’autre que, S étant une opération de symétrie, H et S commutent. Maintenant,
soit Xl une certaine combinaison linéaire propre de S :
S Xl = σl Xl . (7.60)
Comme [H, S] = 0, on a :
Ceci montre que si Xl est propre de S, alors HXl est encore propre de S, avec la même valeur propre σl . Si σl
n’est pas dégénérée, alors SXl est proportionnel à Xl , c’est-à-dire que Xl est aussi propre de de H :
H Xl = hl Xl . (7.62)
Autrement dit, Xl est l’une des directions principales de la forme quadratique donnant Em dans l’approximation
harmonique.
Si σl est dégénérée, deux fois par exemple, il existe deux combinaisons linéaires telles que :
S Xl 1 = σl Xl 1 , S Xl 2 = σl Xl 2 . (7.63)
On a toujours :
S (HXl 1 ) = σl (HXl 1 ) , S (HXl 2 ) = σl (HXl 2 ) . (7.64)
HXl i (i = 1, 2) est propre de S avec la valeur propre σl ; donc chaque HXl i est une combinaison linéaire de
Xl 1 et Xl 2 : on peut donc diagonaliser H dans ce sous-espace sans pour autant dédiagonaliser la restriction de
S à ce sous-espace. Donc, même en cas de dégénérescence, on rendre simultanément diagonale les deux matrices
de H et S.
Pour terminer, disons un mot de la rotation en bloc (de la configuration d’équilibre) – qui donne lieu à une
quantification en raison du caractère périodique des variables angulaires et de la nécessité pour la fonction d’onde
d’être monovaluée. En tant que corps solide, la molécule dans sa configuration d’équilibre possède un tenseur
d’inertie Iuv (u, v = x, y, z), dont les éléments sont définis comme suit :
où les coordonnées sont définies par rapport à un repère lié à la molécule et dont l’origine est le centre de masse
G. Ce tenseur d’inertie est réel symétrique et peut donc être diagonalisé, ce qui conduit à trois axes principaux
X, Y et Z. Sur ces directions, le tenseur d’inertie est représenté par la matrice diagonale :
IXX 0 0
0 IY Y 0 . (7.66)
0 0 IZZ
Si les trois moments d’inertie IU U sont égaux entre eux, le rotateur est dit sphérique (ou isotrope)27 . Si
seulement deux d’entre eux sont égaux entre eux, on parle de toupie symétrique, pour évoquer un objet ayant
une symétrie de révolution cylindrique. Enfin, si les trois moments principaux sont tous différents, on a une
toupie asymétrique.
L’énergie classique de rotation est purement cinétique (en l’absence de tout champ extérieur) et est de la
forme :
1 2 1 1
IXX ωXX + IY Y ωY2 Y + IZZ ωZZ 2
(7.67)
2 2 2
où les ωU U sont les composantes du vecteur rotation Ω, donné par les vitesses angulaires de rotation autour des
trois axes principaux. C’est bien parce que le tenseur d’inertie est diagonal vis-à-vis de ces derniers que l’énergie
cinétique est une simple somme de trois termes indépendants les uns des autres.
[1] Cl. Cohen-Tannoudji, B. Diu et F. Laloë, Mécanique Quantique (Hermann, Paris, 1973)