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Systèmes d'instruments, des ressources pour le développement

Conference Paper · January 2015

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3 authors:

Christine Vidal-Gomel Gaëtan Bourmaud


Nantes université Université de Vincennes - Paris 8
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Grégory Munoz
University of Nantes
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Vidal-Gomel, C., Bourmaud, G. & Munoz, G. (2015). Système d’instruments, des ressources pour le développement. Dans Actes du
colloque « L’activité en débat. Dialogues épistémologiques et méthodologiques sur les approches de l’activité ». Université de Lille 3,
maison de la recherche : 14-16 janvier 2015. En ligne : http://evenements.univ-lille3.fr/activite-en-debat/index.php?static12/actes-
colloque.
Systèmes d’instruments, des ressources pour le développement
Christine Vidal-Gomel1
Gaëtan Bourmaud2
G. Munoz3

La psychologie ergonomique et l’ergonomie4 dites « de l’activité » se sont constituées


à la fois à partir de la tradition française (ou francophone) d’analyse des conduites en
situation, dont les travaux de Lahy et Pacaud (1948) sont un bon exemple, et à partir des
théories russes de l’activité, et notamment des apports de Léontiev (1975). C’est d’ailleurs à
la suite de la publication de l’ouvrage de Léontiev en français que le terme d’ « activité »
vient remplacer celui de « conduite » (Daniellou, 2005).
Dans ce contexte, les travaux de Rabardel et de Vérillon (Rabardel, 1995 ; Vérillon &
Rabardel, 1995) sont originaux. Ils mobilisent à la fois des apports de Piaget qui relèvent de la
première approche, dont ils conservent notamment la notion de schème, et ceux de Vygostki
(1934/1997) et de Léontiev (1975) ; ils en retiennent notamment la notion de médiation et
celle d’objet de l’activité. Le cadre des activités avec instruments qu’ils ont développé dans
cette lignée permet de rendre compte de la façon dont l’individu s’approprie les artéfacts mis
à sa disposition, et ainsi le capital historique et social qu’ils cristallisent, et élabore des
ressources qui lui sont propres, alimentant dans ce même mouvement le capital du collectif
(Léontiev, 1975 ; Rabardel, 1995 ; Kaptelinin et Nardi, 2006 ; Clot, 2008). Cette approche
permet de rendre compte du développement des individus comme relevant du développement
de ses compétences avec l’acquisition de l’expérience, et plus généralement de ses propres
ressources pour l’action. Le développement de ces ressources — ici instruments et systèmes
d’instruments — est le résultat d’activités métafonctionnelles (Falzon, 1994), c’est-à-dire
d’activités qui ne sont pas orientées par la production immédiate d’un résultat, qui relèvent à
la fois de l’apprentissage et de l’élaboration de nouveaux outils, de différents types de
ressources externes facilitant le futur travail5. Dans cette contribution, nous rendrons d’abord
compte de l’évolution de la notion de système d’instruments à la suite de Lefort (1978, 1982)
puis de Rabardel (1995) et des caractéristiques des systèmes d’instruments (Bourmaud, 2006).
À l’origine ces travaux ont été menés dans le monde du travail — conduite de navires
de pêche (Minguy, 1995, 1997), maintenance des systèmes électriques (Vidal-Gomel, 2001,
2002 a et b), régulation des lignes de métro (Zanarelli, 2003), ordonnancement du travail de
maintenance (Rabardel & Bourmaud, 2003, 2005 ; Bourmaud, 2006, 2007), chargés de
sécurité (Munoz & Bourmaud, 2012) —, ce cadre a aussi été mobilisé pour rendre compte de
l’activité dans le domaine scolaire 6 (Munoz & Bourmaud, 2011, par exemple). Nous
présentons des recherches inscrites dans ce domaine, en nous intéressant à des artéfacts et
systèmes d’artéfacts particuliers : les prescriptions. Nous décrirons deux études : l’une
mettant en regard système d’instruments et système d’artéfacts (prescrits ou proposés à autrui)
1
Université de Nantes, CREN.
2
CRTD-CNAM & AXErgonomie.
3
Université de Nantes, CREN
4
2
CRTD-CNAM
L’analyse ergonomique
& AXErgonomie.
de l’activité ne mobilise pas seulement des apports issus de la psychologie et les
ergonomes
3
Université peuvent
de Nantes,
êtreCREN
issus de différents domaines (sociologie, physiologie, médecine du travail, prévention
4
L’analyse ergonomique de l’activité ne mobilise pas seulement des apports issus de la psychologie et les
ergonomes peuvent être issus de différents domaines (sociologie, physiologie, médecine du travail, prévention
des risques professionnels, etc.).
5
Ces aspects ne sont pas intégrés à la notion d’activité constructive développée par Samurçay et Rabardel (2004)
plus classique en didactique professionnelle ; c’est pourquoi nous lui préférons ici le terme d’ « activité
métafonctionnelle » (Falzon, 1994).
6
Nous faisons bien référence à la notion de système d’instruments ; en soi l’approche instrumentale a en effet
été mobilisée dans de nombreux travaux s’intéressant au domaine scolaire (voire Nijimbere, 2013, par exemple).

1
sur la base du parcours professionnel d’une conseillère pédagogique de professeurs des
écoles ; l’autre montrant comment des élèves de première se saisissent, ou non, des artéfacts
prescrits ou proposés par les enseignants, et mettent en place un système d’instruments,
révélateur de leurs difficultés d’élèves. La notion de système d’instruments se montre ainsi
comme une grille de lecture particulière de l’activité des sujets et de leur développement,
mettant l’accent sur la façon dont ils contribuent à l’élaboration de leurs propres ressources.
Comme nous le verrons, cela constitue aussi une approche originale pour penser le transfert
de ressources d’un sujet à l’autre, dans le cadre spécifique d’une mission de contribution au
développement des autres.

Les systèmes d’instruments

Dans la suite des travaux de Lefort (1978, 1982), Rabardel déclare : « Chaque outil
remplit généralement sa ou ses fonctions formelles mais aussi d’autres fonctions. Une
certaine redondance est ainsi introduite par l’opérateur dans son outillage. Elle permet une
plus grande souplesse dans l’utilisation, ainsi qu’une plus grande variété de solutions grâce à
l’invention de nouvelles fonctions attribuées aux outils formels et surtout informels.
L’outillage, ainsi restructuré et organisé, forme un ensemble homogène où se réalise un
meilleur équilibre entre les objectifs d’économie et d’efficacité » (1991, 128).
Les travaux initiaux de Lefort présentaient ainsi plusieurs résultats intéressants à mettre
en relief avec le cadre théorique des activités avec instruments (Rabardel, 1995) :
o les outils formels et informels constituent ensemble les instruments du sujet, la genèse
instrumentale permet en effet de dépasser les points de vue informel et catachrétique ;
o l’ensemble des outils constitue un système d’instruments, structuré en fonction de
l’expérience du sujet, et mobilisé en fonction de la situation ;
o des complémentarités et des redondances apparaissent au niveau des différentes
fonctions du système d’instruments ;
o ce système d’instruments permet la réalisation d’un meilleur équilibre entre les
objectifs d’économie et d’efficacité.

Rabardel propose donc d’analyser la constitution et la genèse des systèmes


d’instruments : « analyser, au-delà des instruments singuliers, l’ensemble que représente
l’outillage d’un sujet, ses règles et formes d’organisation, sa genèse et son évolution, etc., les
instruments qui le constituent, leurs statuts » (1995, 128).
Dans la lignée de Lefort (op. cit.), une série de recherches, bien que non dédiées
spécifiquement aux systèmes d’instruments, avait permis à Bourmaud (2006, 2007) d’établir
une première liste de leurs caractéristiques (Rabardel, 1995 ; Minguy 1995, 1997 ; Vidal-
Gomel 2001, 2002a, 2002b ; Zanarelli, 2003). Suite à ces premiers apports, les travaux de
Bourmaud ont alors porté tout particulièrement sur les systèmes d’instruments (Rabardel &
Bourmaud, 2003, 2005 ; Bourmaud, 2006, 2007). Ils ont notamment mis en évidence
l’importance d’un cadre méthodologique spécifique pour une approche globale et
systématique des systèmes d’instruments – la MDSR : la Méthode de Défaillance et
Substitution de Ressources. Ainsi, la MDSR a permis de préciser les caractéristiques des
systèmes d’instruments.
Nous les rappelons en détaillant les aspects qui nous intéressent plus particulièrement
ici :
1. Un système d’instruments organise de vastes ensembles d’instruments, et d’une manière
plus générale des ressources de nature hétérogène, et cette hétérogénéité participe de
l’organisation systémique même des instruments.

2
Les artefacts institutionnels cohabitent avec des artefacts informels, pour reprendre la
terminologie de Lefort (Bourmaud, 2006 ; Lefort 1978, 1982 ; Vidal-Gomel, 2001, 2002a,
2002b) et des ressources internes sont également mobilisables.

2. Un système d’instruments est lié aux objectifs de l’action poursuivis par le sujet et doit
permettre l’atteinte d’un meilleur équilibre entre économie et efficacité de l’action.

3. Un système d’instruments est différent d’un opérateur à un autre. Il est structuré en


fonction de son expérience et de ses compétences. Il est de ce fait personnel car spécifique à
un sujet.

4. Des notions d’emboîtement de systèmes et donc des sous-systèmes d’instruments


apparaissent, associés aux plans d’organisation de l’activité.

Les systèmes d’instruments sont organisés en plusieurs niveaux : des sous-systèmes


s’emboîtent dans d’autres systèmes. Ils apparaissent ainsi totalement liés à l’organisation de
l’activité et à la catégorisation des situations : classes de situations et domaine d’activité.
Cette caractéristique des systèmes d’instruments rend compte d’un processus de
conceptualisation : le sujet élabore des classes de situations et les catégorise à partir de ses
connaissances des objets et des invariants de l’action ; ces deux processus n’étant pas
exclusifs l’un de l’autre (Samurçay & Ravardel, 2004) :
a. Le premier processus conduit à construire des classes de situation à partir des
connaissances qui portent sur les objets : leurs propriétés, leurs relations, les
traitements que l’on peut réaliser sur ces objets… Dans le cadre des activités des
électriciens d’EDF, on peut repérer une classe de situations correspondant aux
câbles enterrés (Vidal-Gomel, 2001) : les câbles sur lesquels on peut travailler même
en présence de tension (ensemble de traitements que l’on peut réaliser). Il s’agit des
câbles « armés », protégés par un « feuillard » en acier (propriété des câbles).
b. Le second processus conduit à construire des classes en se fondant sur les invariants
construits ou observés de l’action (Samurçay & Rabardel, 2004). Toujours à propos
des agents d'EDF : la règle « faire le maximum hors tension et le minimum sous
tension » s'applique à toutes les situations dans lesquelles un électricien doit réaliser
un branchement chez un particulier dans un immeuble, puisqu'il est impossible de
mettre tout l'immeuble hors tension (Vidal-Gomel, 2001).

Les domaines d’activité relèvent d’un niveau de catégorisation supérieure. Ils


regroupent l’ensemble des classes de situations qui font appel à la fois à un ensemble
d’activités caractéristiques, voire éventuellement aux objets, outils ou tâches communs à ces
activités (Samurçay & Rabardel, 2004). Par exemple, dans l’activité des officiers sapeurs-
pompiers, la gestion de crise peut être comprise comme un domaine d’activités particulier qui
nécessite la mise en œuvre d’un artéfact spécifique, la méthode de raisonnement tactique, qui
organise le travail du collectif à mettre en place (Rogalski, 1995).
Les travaux de Bourmaud (Rabardel & Bourmaud, 2003, 2005 ; Bourmaud, 2006, 2007)
ont conduit à identifier un plan intermédiaire : celui des familles d’activités. Les familles
d’activités regroupent et organisent l’ensemble des classes de situations qui correspondent à
un même type de finalité générale de l’action. Par ailleurs, les classes de situations
apparaissaient communes à plusieurs familles. Ainsi, le domaine d’activité professionnelle
comprend l’ensemble des classes de situations et des familles d’activités qui sont susceptibles
de relever de l’intervention professionnelle de l’opérateur. Quant au système d’instruments
principal (celui du domaine d’activité), il apparaissait composé de sous-systèmes

3
d’instruments (ceux des familles d’activité), eux-mêmes composés de sous-systèmes (ceux
des classes de situations).

La représentation suivante en a été proposée (Bourmaud, 2006) :

Domaine d’Activité => SYSTEME D’INSTRUMENTS

Familles d’Activité => SYSTEMES D’INSTRUMENTS

Classes de Situations => systèmes d’instruments

Ce résultat vient alimenter positivement une hypothèse précédemment formulée par


Rabardel (Rabardel & Bourmaud, 2003) : « le développement des systèmes d’instruments par
les opérateurs tend à les rendre coextensifs à l’ensemble de leur domaine d’activité (…) leur
évolution devrait donc refléter celle du domaine d’activité lui-même ».

1.Les fonctions des instruments qui composent le système montrent des types forts
d’émergences : des complémentarités et des redondances
Les systèmes d’instruments présentent la double caractéristique de redondance et de
complémentarité de leurs fonctions (Lefort, 1978, 1982 ; Vidal-Gomel, 2001, 2002a, 2002b &
Zanarelli, 2002). Ainsi, dans un système :
a. la redondance permet qu’il y ait donc le plus souvent une, voire des solutions
alternatives à un artefact ;
b. la complémentarité, quant à elle, témoigne de l’organisation entre les ressources
du système d’instruments, de la force de leurs interactions et interdépendances.

2. La robustesse et l’adaptabilité des systèmes d’instruments comme caractéristiques


intrinsèques.
La double caractéristique de complémentarité et de redondance des fonctions contribue ainsi
simultanément à la robustesse du système et à la souplesse et l’adaptabilité de sa mobilisation
en relation avec la variabilité des circonstances (Bourmaud, 2006). Par exemple, si une
fonction s’avère défaillante, elle peut être assurée par une autre ressource aisément
mobilisable par le sujet, puisqu’elle constitue une ressource présente dans son système
d’instruments.

3. Un instrument joue un rôle central dans le système : l’instrument pivot.


Parmi l’ensemble des instruments composant le système, l’un d’eux se distingue tout
particulièrement : c’est l’instrument pivot du système d’instruments (Minguy, 1995, 1997).
Plusieurs indicateurs objectifs et mesurables du rôle d’instrument pivot ont été identifiés
(Bourmaud, 2006) :
a. il présente la fréquence d’occurrences dans le domaine d’activité la plus élevée, à
travers sa mobilisation dans un grand nombre des différentes classes de situation ;
b. sa répartition est homogène à travers les familles d’activités, et couvre ainsi dans
sa plus large globalité le domaine d’activité du sujet ;
c. sa fréquence d’usage pour chacune des classes de situations dans lesquelles il est
mobilisé – évaluée grâce à la MDSR – est constamment estimée par le sujet lui-
même à « toujours » (item le plus élevé de la dimension « fréquence d’usage »).

4
4. D’autres instruments jouent un rôle central en constituant un sous-système pivot du
système d’instruments.
Il s’agit d’un deuxième type de pivot, constitué celui-ci de plusieurs instruments : le sous-
système pivot du système d’instruments, dans lequel l’instrument pivot identifié joue
évidemment un rôle organisateur et central (Bourmaud, 2006). Ces résultats complémentaires
permettent de dépasser le concept d’instrument pivot unique, et renforcent la notion de sous-
système, avec ici un sous-système singulier, le pivot.

Système d’instruments, artéfacts et prescriptions

La notion de système d’instruments doit être comprise du point de vue de la contribution


du sujet à la conception de ses propres ressources (Rabardel, 2005). Les systèmes
d’instruments sont des ensembles d’artéfacts associés à des schèmes d’utilisation, résultats
d’un processus de genèse instrumentale (Rabardel, 1995). Plus précisément, les artefacts —
toute chose, matérielle ou non, susceptible d’un usage — sont compris comme comportant un
patrimoine historique et culturel que le sujet s’approprie par les usages qu’il en fait. En
s’appropriant ces ressources, il se transforme et il les transforme, contribuant ainsi
potentiellement au capital collectif (Léontiev, 1975 ; Rabardel, 1995 ; Kaptelinin & Nardi,
2006 ; Clot, 2008). La genèse instrumentale est en effet un double mouvement de
transformation des artéfacts et d’évolution/constitution des schèmes du sujet, entre filiation et
rupture (Rabardel, 1995).
Nous accordons ici une importance particulière aux prescriptions et nous les analyserons
comme des artefacts. Orales ou écrites, les prescriptions revêtent une importance capitale au
travail comme dans le cadre scolaire ; deux domaines auxquels nous nous intéressons dans
cette communication.
Les documents prescripteurs ont donné lieu à de nombreuses analyses (voir Leplat, 2004
pour une synthèse). Ce ne sont pas ces documents ou leur analyse qui retiennent ici notre
attention mais le fait qu’ils ont un « un rôle de référentiel à la tâche prescrite », « un rôle
d'aide-mémoire des actions à exécuter » et un rôle de « guidage de l’action » (Veyrac, Cellier
& Bertrand, 1997, p. 389), voire d’ « organisateur de l’activité » (Mayen & Savoyant, 2002).
Considérer les prescriptions à partir du cadre des activités avec instruments revient alors à
s’intéresser à la façon dont l’individu s’approprie le patrimoine constitutif de ces artéfacts,
l’intériorise et le transforme en le faisant sien, en en faisant un instrument, voire en
développant un système d’instruments.
Que peut-on alors s’approprier ? Quelles sont les caractéristiques du patrimoine en
question ? La tâche prescrite est l’expression d’un ensemble de choix organisationnels :
répartition des tâches, autonomie accordée aux opérateurs. Elle comporte un modèle de la
tâche et de l’opérateur à laquelle elle est destinée. Quand il s’agit de règles de sécurité, la
prescription comporte aussi un modèle technique du risque dont il faut se préserver (Leplat,
1991, 1998).
Pour comprendre le rôle de ces artéfacts dans le développement, on peut à l’instar de
Mayen et de Savoyant (2002) se demander quelles composantes de l’organisation de l’activité
— du schème dans les termes de Vergnaud (2007) — sont prises en charge par les
prescriptions : Buts ? Règles d’action, de prise d’information, de contrôle ? Invariants
opératoires ? On peut également s’interroger sur la façon dont, en fonction de l’expérience,
une règle est transformée au fil de l’expérience. Autrement dit : comment les instruments
évoluent-ils en lien avec des invariants opératoires, les classes de situations constituées par les
sujets ? Comment les usages d’une même règle de sécurité s’inscrivent-ils dans un système
d’instruments ? Une partie d’un système d’instruments a été analysée sous cet angle, dans le
domaine de la maintenance des systèmes électriques (Vidal-Gomel, 2002). On a ainsi pu

5
montrer que l’instrument le plus efficace pour gérer les risques électriques liés à la mise hors
tension d’un dispositif se développe en interaction avec deux invariants opératoires (ici ce
sont deux concepts pragmatiques articulés) et avec l’expérience du métier. Il est constitué sur
la base de la règle de sécurité comme artefact, mais en la précisant et en la complétant ; si
bien que cet instrument fonctionne comme un réel savoir-faire de prudence (Ouellet &
Vézina, 2009). Le modèle du risque dont il faut se préserver et que comprend l’artéfact a été
amélioré dans le nouvel instrument. Cet instrument apparaît par ailleurs comme le pivot d’un
système qui est d’autant plus efficient que les opérateurs disposent d’une ancienneté au poste.
Des opérateurs ayant une expérience du métier, mais qui ont changé de poste de travail
récemment, n’ont pas encore constitué un tel système. Ainsi avec l’expérience précise des
situations, d’autres ressources viennent compléter le système constitué, le rendre plus souple
et efficient.
Toujours en s’interrogeant sur la façon dont une règle évolue en fonction de
l’expérience, mais sans prendre en compte les interactions avec d’autres dimensions des
compétences, Mayen et Savoyant (1999) mettent en évidence quatre moments de relations
aux règles :
1. respect de la règle par absence de doute ;
2. remise en cause de la règle au profit de la référence à ses propres perceptions, à
son propre raisonnement, à sa propre capacité d’initiative (et revendiquant une part de
liberté individuelle) ;
3. respect de la règle reconnue et réinventée dans la nécessité logique, et certitude
du bien fondé de son action : application des procédures par connaissance des causes ;
4. discussion/délibération de la règle après l’action éventuellement, pour la
remettre en cause et participer à son évolution
Ces quatre moments, indicateurs d’une plus grande maîtrise de la part des opérateurs,
soulignent à quel point s’approprier ce qui est mis en patrimoine dans un artefact
demande du temps ; temps qui est celui d’un processus de conceptualisation articulant la
compréhension des situations et des propriétés de l’artefact.

Pour résumer, ces différentes études développementales soulignent l’écart entre les
artefacts réglementaires ou prescrits, voire le système d’artefacts que constitue par exemple
un règlement, et les instruments et systèmes d’instruments constitués par les opérateurs — y
compris quand les artéfacts sont fondés sur un modèle pertinent de la tâche ou du risque, ce
qui n’est pas toujours le cas (Vidal-Gomel, Olry & Rachedi, 2011).

Construire des systèmes d’instruments et prescrire des systèmes d’artefacts

Une étude de cas réalisée auprès d’une conseillère pédagogique de professeurs des
écoles, nous permet d’illustrer comment le système d’instruments élaboré dans un domaine
d’activités antérieur — elle a été professeur des écoles en petite section de maternelle — est
plus ou moins réinvesti dans leur nouveau domaine — le conseil pédagogique —, en devenant
alors un ensemble d’artéfacts proposé et/ou prescrit aux enseignants qu’elle accompagne.
L’activité des conseillers pédagogiques ne consiste en effet pas directement à donner
des prescriptions aux enseignants, mais plutôt à les accompagner, à leur donner des conseils.
Cependant, par ce biais, ils élaborent ce que Goigoux (2007) appelle la prescription
secondaire7. Elle relève de la formation initiale dispensée par les maîtres-formateurs qui, en
quelque sorte, redéfinissent la prescription primaire, à partir de leur conceptualisation.

7
La prescription primaire correspond aux aspects institutionnels : aux programmes, aux instructions officielles,
aux recommandations de la hiérarchie.

6
Les données que nous présentons ont été recueillies au cours d’un entretien semi-directif
cherchant à comprendre la conception et l’usage des ressources pédagogiques au sens large
(Munoz & Bourmaud, 2011). Nous avons cherché à identifier les artefacts auxquels elle se
réfère, ainsi que son système d’instruments, ses usages et transformations, avec l’objectif de
documenter l’évolution de ses ressources en fonction de son propre développement
professionnel.
Cette conseillère, qui intervenait en petite section de maternelle, a construit un système
de ressources pédagogiques rassemblé dans des classeurs : « C'est-à-dire que j'avais des
classeurs par domaines disciplinaires et il y avait dans ces classeurs un amalgame d'apports
théoriques, de mises en œuvre dans ma classe, de mise en œuvre que j'avais observée dans
des classes. Voilà, donc j'y mettais tout type de documentations ».
Le système d’instruments élaboré (Munoz & Bourmaud, 2011) correspond à un
domaine d’activités précis, celui de l’enseignement en classes maternelles et petite section, à
un moment où peu de ressources pédagogiques étaient mises à dispositions des enseignants
(ressources mises à disposition en formation mais aussi livres, documents numériques, etc.).
Ces professionnels devaient donc les construire eux-mêmes.
Leur capitalisation sous forme de classeurs a permis à la conseillère de suivre et de
planifier son travail : « donc dans l'année ça me servait dans mon suivi d'activité, sur la
cohérence du travail que je menais avec les élèves ». Dans la transition entre son domaine
d’activités antérieur (l’enseignement) et le présent (le conseil pédagogique), ce système
d’instruments a été réinvesti et complété pour qu’il constitue « comme une préparation de
classe que l'on attend de gens dans leur classe : avec un descriptif de séquences avec des
objectifs, le déroulement, une partie bilan, bon, voilà ». Elle a donc rajouté « des descriptifs
de séances que j'avais expérimentées », et « des descriptions, je dirais, de comment se tenait
la séquence ». Il est ainsi rendu plus lisible pour les enseignants auxquels elle peut le
proposer. Comme nous l’avons noté dans l’analyse de ce que constitue la prescription, il a
pour objectif d’encadrer leur travail de planification et de conduite des séances. Si nous nous
référons à l’analyse de la dynamique temporelle du travail d’enseignement (Rogalski, 2003),
il peut encadrer la planification à long terme au cours de l’année, à moyen terme d’une séance
à l’autre, à court terme au lors d’une séance.
Cette conception est faite d’étapes successives : avant d’être conseillère pédagogique,
elle a été tutrice, c’est-à-dire professeure d’école institutrice maître-formatrice (PEIMF). Elle
a donc accueilli des stagiaires dans sa classe, ce qui lui a permis de transformer son système
d’instruments pour en faire une ensemble d’artéfacts destinés à autrui : « c’est devenu
organisé parce que du coup c'était aussi utilisé par d’autres personnes qui étaient dans la
classe, c’était à disposition dans la classe ». Depuis qu’elle est conseillère pédagogique, ce
système a encore été complété. Elle utilise Internet et indique aller « avant tout sur les
programmes » et notamment le programme de 2008, c’est-à-dire qu’elle intègre à son système
la prescription primaire et ses évolutions, au regard de l’ancien programme de 2002. « Je
prends le programme de 2008 pour voir le cadre ». Ensuite, elle se reporte à d’autres
ressources numériques : elle reprend « tout ce qui vient des Inspections académiques », où
elle « retrouve le travail de collègues, conseillers pédagogiques, qui ont cherché ; cela
m'évite de tout réinventer. Donc, là encore, cela me fait un point de départ avant de
m'approprier et de modifier en fonction de ce que je veux faire passer ». Ce qu’elle réélabore
en s’appuyant sur ces ressources est maintenant directement adressé aux enseignants qu’elle
conseille et porte la marque du modèle de ce qu’est selon elle l’activité d’enseignement.
L’usage de ce système d’artéfacts destiné aux enseignants dépend de leurs demandes8.
Elle leur propose « des petites situations », de « l’organisationnel très concret, dans le sens
très pragmatique », des « mises en œuvres » qui donnent des « solutions immédiates », « en
8
La façon dont elle conceptualise ces demandes rend compte des classes de situations qu’elle a constituées.

7
relation avec les programmes », de manière à rappeler « les grandes orientations quand
même ». Cet usage du système s’inscrit dans deux familles d’activités : le conseil en
formation continue ou en formation initiale. Il porte ainsi la marque des conceptions de son
travail de conseillère et du besoin d’autonomie ou d’encadrement des enseignants qu’elle
accompagne, en fonction de leur expérience. En effet, en formation continue, il s’agit d’un
« conseil gratuit » dont elle ne vérifie pas l’application par la suite. Ce qui est différent en
formation initiale, où là, elle « demande des comptes... C'est-à-dire je donne des pistes de
travail, et après je demande à vérifier ». Cette fois l’utilisation d’artefacts est prescrite :
« Alors, soit je vérifie de visu, soit je demande, j'interroge la personne pour savoir comment
ça évolue et en fonction du descriptif qui m'est donné, et bien, je peux même demander à voir
une séance pour m'assurer que ce soit bien mis en œuvre ».
L’analyse des ressources que cette conseillère a développées (1) d’abord pour elle, (2)
puis pour les autres dans un objectif d’aide et (3) enfin en tant que conseillère pédagogique,
traduit les caractéristiques des domaines d’activités dans lesquelles elle s’inscrit au fil de son
parcours professionnel. La constitution de son système d’instruments initial est en effet
marquée par le peu de ressources pédagogiques disponibles destiné aux petites sections des
classes de maternelles. Dans une phase transitoire en tant que maître-formatrice, elle le met à
disposition des stagiaires qu’elle accueille dans sa classe. Son système d’instruments
commence à devenir un système d’artéfacts qu’elle transforme pour l’adresser à autrui. Elle le
rend notamment plus lisible. Enfin en devenant conseillère pédagogique, elle le complète par
de la prescription primaire. Deux familles d’activités sont alors identifiables en fonction de
l’autonomie qu’elle laisse aux enseignants qu’elle accompagne : celle de la formation initiale
et celle de la formation continue. Ces familles rendent compte de ses conceptions de son
travail de conseillère pédagogique — on pourrait dire qu’elles traduisent la tâche redéfinie
(Leplat, 1997) —, mais aussi de ses conceptions des besoins des enseignants en fonction de
leur expérience. Le système d’artéfacts adressé à autrui est alors constitué et fait pour
encadrer, organiser l’activité des enseignants, et son degré de prescription rend compte de son
modèle de l’utilisateur.
La façon dont les parcours professionnels peuvent se dessiner au sein de l’éducation
nationale permet une continuité entre les différents domaines d’activités de la conseillère. Elle
agit beaucoup plus indirectement sur le développement des élèves en tant que conseillère
pédagogique puisque son activité est alors de ce point de vue médiatisée (Rogalski, 1994) par
celle des enseignants, mais il reste un objet important de son activité. Nous faisons
l’hypothèse que de ce fait, et du fait même de la faiblesse des ressources disponibles pour les
petites sections de maternelles, elle a pu réinvestir son système d’instruments initial pour
constituer des systèmes d’artefacts mis à disposition, voire prescrits, aux enseignants.

Des artefacts — prescrits ou proposés — au système d’instruments constitué par des


élèves au cours d’un TPE.

Les travaux personnels encadrés (TPE) réalisés en classe de première constituent une
activité atypique dans le cursus menant au baccalauréat. Les lycéens sont amenés à
« travailler » collectivement et individuellement une problématique faisant intervenir au
moins deux disciplines ; dans notre étude : sciences économiques et sociales et histoire-
géographie. La réalisation du TPE est une tâche particulière au cours du parcours de l’élève :
elle vise à « diversifier les modes d'appropriation des contenus […] en prenant appui sur une
démarche interdisciplinaire et à développer chez les élèves les capacités d'autonomie et

8
d'initiative dans la recherche et l'exploitation de documents, en vue de la réalisation d'une
production qui fait l'objet d'une synthèse écrite et orale» (site Eduscol9 ).
L’objectif de notre étude était d’identifier l’ensemble des instruments des lycéens : ceux
qu’ils développent à partir des artéfacts fournis par l’institution (environnement numérique de
travail, documents distribués par les enseignants, etc.) ou ceux qu'ils s’approprient,
détournent, conçoivent pour réaliser leur TPE (Vidal-Gomel et coll., sous presse). L'étude a
été réalisée en première ES (sciences économiques et sociales), dans une classe d'environ 25
élèves10. Cette classe a 2 heures de TPE d’affilée (coupées par une récréation). Les données
que nous présentons ici concernent un groupe de 3 élèves, considérées comme « moyennes »
par les enseignants, qui n’ont jamais redoublé. Elles sont dans la même classe mais n'ont pas
choisi de suivre les mêmes options. De ce fait, elles ne commencent et ne finissent que
rarement aux mêmes heures et n'ont pas d’heure de permanence en commun. De plus, leurs
lieux d’habitation sont éloignés du lycée, et entre eux. L’une d’elles fait le trajet en bus
scolaire. Elle est donc très contrainte par les horaires de passage : elle ne peut par exemple
quasiment pas travailler au lycée après les cours. Ces trois lycéennes n'ont jamais travaillé
ensemble auparavant. L’une d’elles vient d'arriver au lycée ; elle est issue de seconde
technologique et a été réorientée en première générale ES. Les séances de TPE débutent dès la
deuxième semaine de rentrée, en septembre. Les enseignements se déroulent de septembre à
janvier, date de remise des dossiers élaborés. L'oral a lieu en mars. Les contraintes
temporelles sont donc importantes à la fois pour les lycéens et les enseignants, alors que les
élèves n’ont jamais été formés à un travail qui s’apparente à l’initiation à la recherche
(Baconnet et al., 2001).
Sur 16 séances de cours, nous avions prévu d’assister à la première séance et de prendre
contact avec les élèves, puis d’en filmer 6 à des moments clés du travail de conception du
TPE, identifiés avec l’aide des enseignants. Les films réalisés doivent ensuite servir de
support à des entretiens d’alloconfrontations collectives (Mollo-Falzon, 2004). Nous devions
aussi assister à l’examen oral devant le jury. En raison de différents types d’aléas seules 3
séances ont été filmées et ont donné lieu à des alloconfrontations. Nous les avons complétées
avec des entretiens semi-directifs réalisés après l’examen oral avec les élèves, puis leurs
enseignants responsables du TPE.
Précisons d’abord que les trois élèves ont décidé de travailler uniquement pendant les
heures de TPE, en présentiel. Une fois les cours de TPE finis, elles ont conservé ce créneau
horaire pour des « tâches communes », pour reprendre leurs propos, c’est-à-dire la rédaction
de la conclusion de leur dossier et la réalisation d’un oral blanc. Seule la rédaction
individuelle du dossier est réalisée en dehors de ce créneau horaire, au domicile des élèves.
Les enseignants proposent un certains nombre d’artefacts pour réaliser le TPE : les logiciels et
espaces collectifs de l’environnement numérique de travail, dont un enseignant rappelle qu’il
permet des sauvegardes de documents, qu’il a des propriétés de fiabilité ; les ouvrages mis à
disposition au CDI, des ressources numériques accessibles également au CDI avec des
possibilité d’impression des documents ; un planning qui rappelle les dates de rendus
intermédiaires et qui fixe des échéances pour chaque phases du travail. Seules les dates des
rendus intermédiaires sont une prescription au sens fort du terme. Le reste est plutôt de l’ordre
de la proposition d’artefacts d’aide à l’organisation de l’activité à la fois dans le temps et pour
le travail collectif.
9
La production élaborée (le plus souvent un dossier) porte sur deux disciplines conjointement — sciences
économiques & sociales, et histoire & géographie pour ceux que nous avons observés. Les TPE donnent lieu à
une évaluation individuelle mais sont réalisés en groupe (http://eduscol.education.fr/cid48136/definition-et-
enjeux.html#definit, consulté en septembre 2013).
10
Le lycée public dans lequel a été réalisée l’étude est situé dans une ville de 12 000 habitants, dans un
département rural. Une centaine de personnes y travaille, dont environ soixante enseignants. En 2013 il
accueillait 1650 élèves (étudiants post-bac compris).

9
L’examen des ressources mobilisées par les élèves fait apparaître deux groupes
d’instruments : des instruments tournés principalement vers la réalisation de l’objet (la
conception du TPE) et des instruments de planification temporelle.

Les instruments principalement tournés vers la conception de l’objet

o Le bloc-notes de l’une d’elles devient rapidement une ressource du collectif. Elle note
différentes informations et instructions données par les enseignants mais aussi les cotes
des documents à récupérer au CDI, des mots-clés, etc. Il devient un instrument rappelant
la prescription, qui capitalise différents types d’informations utiles à la synchronisation,
puisqu’il permet d’une part le partage d’informations, contribuant par conséquent à
l’élaboration et au maintien d’un référentiel opératif commun indispensable au travail
collectif (de Terssac & Chabaud, 1990), et d’autre part puisqu’il intervient dans
l’organisation du travail collectif. Il s’agit d’un instrument individuel, mis au service du
collectif.
o La recherche de documents est d’abord réalisée au CDI pour identifier des documents
« papier ». Les documents sélectionnés au CDI sont lus par les trois élèves qui prennent
chacune des notes.
o Les élèves utilisent aussi des ressources numériques. Une fois la recherche de
documents numériques réalisée, les élèves sélectionnent tout ou partie de ces documents
et en font un copier-coller dans un autre fichier. Celui-ci est ensuite imprimé. Il
constitue un objet intermédiaire au sens de Vinck (1999), instrument intermédiaire dans
nos termes puisqu’il a pour objet la conception même du dossier de TPE. Pendant le
cours, il est décomposé en trois parties, ou trois instruments de second niveau, pour
chacune des élèves. Les trois sont lus, les informations qui les composent surlignées
et/ou donnent lieu à des notes. Ce travail de lecture, de sélection et de tri s’est avéré long
et coûteux en temps puisqu’en décembre il n’était pas achevé. À la fin du cours
l’instrument intermédiaire est recomposé et conservé par l’une d’entre elles (A.), qui
doit l’amener au cours suivant.
Les copier-coller réalisés et la constitution d’un instrument intermédiaire à retravailler
ensuite, correspondent à ce que Boubée nomme la constitution d’un « document de
collecte » (Boubée, 2008) : les extraits sont empilés les uns à la suite des autres au fil de
la collecte, la mise en forme du document est différée. Ce document a pour vocation
d’être retravaillé, ce qui n’a pas toujours été possible étant donné le manque de temps.

Un instrument de planification temporelle : le planning

Le planning distribué à la première séance par les enseignants devient un instrument de


planification du travail du groupe. Au cours des séances de TPE, la même élève (A) le sort,
rappelle les dates avec les objectifs à atteindre, valide ceux qui sont atteints et précise de cette
manière au groupe les écarts avec le prescrit et les étapes à réaliser. Le planning prescrit
devient donc un instrument de régulation des activités du groupe en fonction des contraintes
temporelles. Un agenda du travail du groupe est aussi constitué à partir de ce même planning :
A. y note les dates des entretiens qu’elles doivent réaliser, barre les dates des séances
auxquelles elles sont absentes, etc. L’artéfact initial est donc transformé. L’instrument
constitué est impliqué dans la synchronisation du collectif.
Toutefois, nous avons identifié des difficultés. La planification du travail collectif
réalisée à l’aide du planning prescrit n’est pas pertinente, toutes les échéances n’ayant pas été
reportées (un voyage scolaire, un bac. blanc par exemple), ce qui a occasionné des surcharges

10
de travail et des reports du travail de TPE, pourtant déjà en retard. Les élèves peinent à
prendre en compte conjointement un ensemble de tâches ayant des tempos et des échéances
variées.
Ainsi le planning — artéfact mis à disposition par les enseignants — permet de
constituer à la fois un instrument de rappel des tâches à réaliser et des échéances du TPE, et
un instrument permettant de rendre compte d’un ensemble de contraintes temporelles du
travail scolaire. Il permet ainsi d’identifier les difficultés des élèves.
Nous nous attendions à ce qu’il soit l’instrument « pivot » du système. Or, il n’est pas
directement articulé à l’instrument intermédiaire (le document fait de copier-coller). Le
planning est bien davantage un moyen d’identifier des contraintes temporelles et leur
évolution dans le temps. Ces deux instruments ont des fonctions complémentaires. De plus, le
planning n’est pas directement articulé avec l’usage du bloc-notes. Il s’agit plutôt d’un
instrument qui a des fonctions à la fois redondantes avec celles du bloc-notes (si nous nous
référons au fait que des prescriptions y sont reportées) et complémentaires. Il est donc plus
probablement l’instrument « pivot » d’une classe de situations spécifique : celle de la
planification du travail du groupe.
L’analyse du système d’instruments mobilisé par les élèves nous permet de mettre en
évidence qu’il est peu fiable et robuste. Les instruments collectifs (bloc-notes, objet
intermédiaire, planning) sont sous la responsabilité d’un seul membre du groupe. Il suffit que
cette élève oublie l’un des trois, ou qu’elle ne puisse pas venir en cours pour que le travail du
groupe soit mis en difficulté. En effet, nous identifions peu de fonctions redondantes dans les
instruments de leur système. Leur système est fragile, peu fiable pour travailler en face à face
durant les cours, alors que c’est la seule solution qu’elles ont envisagée.
Par ailleurs, les instruments constitués par les élèves sur la base du planning distribué
par les enseignants sont révélateurs de leurs difficultés de prise en compte des contraintes
temporelles. Ainsi l’artéfact proposé qui vise à organiser et encadrer le travail des élèves n’est
pas suffisant en soi.
Enfin, elles ont exclu le travail à distance via des artéfacts numériques (ENT ou autres)
alors que les heures de cours ne suffisent pas pour réaliser le TPE et que le travail collectif du
groupe en dehors des cours n’est pas facilité par l’organisation scolaire, l’éloignement de
leurs lieux d’habitation et l’organisation de leurs déplacements. Notons que les trois élèves
ont par ailleurs un usage privé des réseaux sociaux numériques, notamment de Facebook.
Leur choix ne relève donc pas d’une méconnaissance des propriétés de ce type d’artéfacts.
Ces résultats peuvent plutôt être lus au regard des observations de Fluckiger (2008) sur des
collégiens et de l’enquête de Burban et coll. (2014) au lycée, qui montrent une rupture entre
les usages du numérique dans la sphère personnelle et dans la sphère scolaire ; ce qui nous
conduit à faire l’hypothèse de deux domaines d’activités conçus comme distincts par les
élèves, et pose la question de leur conceptualisation des propriétés de ces artefacts pour
réaliser du travail scolaire.
Ces obstacles sont sans doute difficiles à identifier pour les enseignants alors que les
discours sur les facilités d’utilisation du numérique par les plus jeunes sont dominants. En
effet, les artéfacts proposés par les enseignants comme le planning ou les outils numériques
n’ont pas été accompagnés d’une aide. Or la prescription ou la proposition de l’utilisation
d’un artéfact ne suffit pas. Il s’agit en effet d’une genèse instrumentale et celle-ci relève bien
d’un processus de conceptualisation.

* *
*

11
La notion de système d’instruments offre une grille de lecture particulière de l’activité
des sujets en mettant l’accent sur la façon dont ils contribuent à l’élaboration de leurs propres
ressources ; elle constitue ainsi une façon d’appréhender leur développement. L’articulation
entre les catégorisations de situations en classes de situations, familles d’activités et domaine
d’activités, et les systèmes d’instruments élaborés par les sujets garde les traces de la
conceptualisation et rend compte de filiations dans un parcours professionnel. Nous avons
tenté de le montrer à partir de l’analyse d’un entretien mené avec une conseillère d’éducation.
Toutefois dans ce cas, le mode particulier d’évolution des carrières au sein de l’éducation
nationale, qui permet une certaine stabilité des objets principaux de l’activité, joue sans doute
un rôle facilitateur, qui le distingue d’autres mondes professionnels.
Dans l’étude menée sur les instruments des élèves de première réalisant un TPE, nous
ne retrouvons pas de traces des familles d’activités des élèves. Cela peut s’expliquer, d’une
part, parce que la méthode de recueil des données employée s’y prête peu. D’autre part, parce
que le niveau des familles d’activités semble beaucoup plus difficile à définir et lié à des
variabilités inter-individuelles (Bourmaud, 2006), que celui des classes de situations et des
domaines d’activités, qui ont été identifiés plus fréquemment dans des travaux de recherche
(Samurçay & Rabardel, 2004). Plus précisément, on peut retenir que ce niveau apparaît très
lié à la nature même du domaine d’activité. Nous faisons l’hypothèse que dans le cadre d’un
domaine d’activités de nature professionnelle, les classes de situations sont pour une large
partie pré-déterminées par le travail prescrit (Bourmaud, 2006) et celles-ci semblent alors
davantage pouvoir (ou devoir) être pensées à un niveau supérieur, qui les regroupe. La
compréhension de ce processus de catégorisation mériterait une étude spécifique.
L’analyse du système d’instruments des élèves réalisant un TPE souligne un ensemble
de conditions déterminant la réussite d’une tâche scolaire. Celles-ci relèvent d’activités
métafonctionnelles (Falzon, 1994) impliquées dans la constitution d’instruments facilitant la
conduite de projet collectif, la constitution d’un système d’instruments permettant, par la
complémentarité et redondance des fonctions, de faire face aux aléas, de disposer de
souplesses d’utilisation. Dans la situation analysée, les artefacts numériques proposés par les
enseignants ont des propriétés pertinentes pour atteindre ces objectifs : l’environnement
numérique de travail (ENT) du lycée est composé d’artefacts qui permettent le travail
synchrone et asynchrone à distance, ce qui aurait été utile pour compenser un certain nombre
de difficultés du travail en face à face qu’ont rencontrées les élèves. L’ENT permet aussi la
sauvegarde des documents numériques dans un espace partagé. D’autres artefacts, accessibles
dans la sphère privée, et que connaissent les élèves, le permettent aussi. C’est le cas de
Facebook, ou des logiciels de courriel par exemple. L’analyse du système d’instruments des
élèves, des artéfacts proposés par les enseignants et des aides qu’ils ont fournies ou non,
révèle un modèle implicite de l’élève-utilisateur comme étant compétent alors qu’il peut être
en difficulté.
Ce dernier constat nous amène à revenir sur la catégorie particulière d’artefacts que
sont les prescriptions. Nous avons examiné ici une situation dans laquelle le sujet participant à
l’étude était concepteur d’artefacts prescrits ou proposés et une situation dans laquelle il était
utilisateur ou non. Dans les deux cas nous identifions l’écart entre instruments et artefacts.
Dans les deux cas, les artefacts conçus et destinés à d’autres pour encadrer leur activité sont
marqués par le modèle que le concepteur a de l’utilisateur, de ses compétences et de son
besoin d’aide. En revanche, on ne sait que peu de choses sur la façon dont cela contribue au
développement de l’utilisateur.
Enfin, comme dans une étude menée dans le monde du travail (Bourmaud, 2012a,
2012b), une recherche portant sur le système scolaire prenant en compte à la fois la
conception des artéfacts prescrits et leurs utilisateurs destinataires pourrait nous renseigner sur
le processus de conception lui-même, et sur ce qui se joue de façon plus précise entre

12
prescripteurs et utilisateurs, quand les concepteurs-prescripteurs (conseillers pédagogiques,
enseignants) ont pour mission de contribuer au développement des utilisateurs (enseignants et
élèves).

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