La Philosophie Morale D Eric Weil
La Philosophie Morale D Eric Weil
La Philosophie Morale D Eric Weil
Jean-François Robinet
Philopsis : Revue numérique
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Éric Weil est un des philosophes majeurs du XXe siècle. Certes, il est
moins connu que Heidegger ou Jean-Paul Sartre, et certaines vedettes intel-
lectuelles qui ont défrayé en leur temps l’actualité et qui sont maintenant ju-
gées par l’histoire. Quand on lit Éric Weil on a vraiment le sentiment
d’entrer dans une philosophie de la plus haute exigence et de la plus grande
compréhension. Éric Weil est le philosophe des lecteurs et non d’une actuali-
té passagère.
Il publie son livre principal la Logique de la philosophie en 1950.
Dans ce livre il expose non une philosophie déterminée, qui s’ajouterait aux
autres philosophies, mais une philosophie de la philosophie. Ce qui fait pro-
blème pour Éric Weil c’est la multiplicité des philosophies. Héraclite ne dit
pas la même chose que Parménide. Epicure ne dit pas la même chose que
Platon. Nietzsche ne dit pas la même chose que Kant, etc.…. Éric Weil veut
comprendre ces différentes philosophies en fonction de leurs différences ir-
réductibles et il veut comprendre en quoi ces différentes philosophies consti-
tuent une multiplicité non arbitraire. D’où la logique, la mise en place d’une
structuration.
A partir de ce livre systématique il publie ensuite Philosophie poli-
tique en 1956 et Philosophie morale en 19611. Chaque livre se consacre à un
domaine du réel dont il veut donner la compréhension cohérente.
Philosophie morale est un livre difficile à première lecture, car Éric
Weil ne donne pas beaucoup d’exemples et peu de références philoso-
1
Les références aux livres d’Éric Weil sont indiquées dans le texte selon les abrévia-
tions suivantes : LP pour Logique de la philosophie, PP pour Philosophie politique, PM pour
Philosophie morale.
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phiques. Il est plus facile de lire Jean-Paul Sartre, Emmanuel Levinas, Paul
Ricœur ou Hannah Arendt sur les mêmes thèmes !
La démarche est originale.
I. Le concept de la morale
2
Ce qui est par exemple le cas d’André Comte-Sponville dans le Petit traité des
grandes vertus, Paris, PUF, 1995.
3
Platon met en scène les sophistes extrémistes dans ses dialogues. Callicles dans le
Gorgias prône les passions des êtres supérieurs. Thrasymaque dans la République (livre I)
soutient que « le juste est ce qui profite au plus fort ». Ce que Glaucon corrobore avec
l’histoire de l’anneau de Gygès.
4
Goethe, Faust I, publié en 1808, Faust II, publié en 1832.
5
„Werd’ ich zum Augenblicke sagen :
Verweile doch! Du bist so schön !
Dann magst du mich in Fesseln schlagen,
7
Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur, Acte III scène 3.
8
Dans sa célèbre conférence Le métier et la vocation de l’homme politique (1919)
Max Weber radicalise la différence entre l’éthique de la conviction et l’éthique de la respon-
sabilité.
« Il aura l’air d’un saint aux yeux de ceux qui, confusément, sentent
en lui comme l’exigence de la réalisation de leur propre bonheur, mais ne ré-
ussissent pas et, au fond, ne désirent pas réussir comme lui, il aura l’air d’un
fou, d’un trouble-fête, d’un criminel pour ceux qui placent le bon ordre de la
vie normale au-dessus de toute intention. En lui-même et pour lui-même, il
n’est ni l’un ni l’autre : il fait ce qu’il est convaincu que tous veulent, il est en
accord avec lui-même » (PM, p. 165).
Le monde moderne, explique Éric Weil, est traversé par une opposi-
tion délétère, l’opposition entre moralisme et esthétique. Dans le moralisme
seul compte le respect obsessionnel du devoir et l’évaluation suspicieuse des
conduites. Du côté de l’esthétique la morale devient une sorte de créativité
personnelle qui s’élève au-dessus de toute règle et qui est censée emporter
l’assentiment. C’est l’essentiel de l’opposition entre Kant et Nietzsche.
On peut alors parler d’invention morale. L’inventeur moral crée une
nouvelle forme de vie supérieure à partir du sentiment et en convainquant les
autres par son exemple. L’inventivité morale n’est pas réservée à de grandes
âmes. Elle est exigée de chacun.
Toute la philosophie morale de Bergson est consacrée à ce thème.
Dans Les deux sources de la morale et de la religion Bergson oppose « les
sociétés closes » et « les sociétés ouvertes ». Les sociétés closes sont régies
par des obligations habituelles et impersonnelles. Elles visent principalement
la cohésion sociale. Dans les sociétés ouvertes en revanche la morale ne
s’arrête pas aux frontières de la nation, elles englobent toute l’humanité et
elles sont animées par des inventeurs moraux.
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On peut penser à certaines sectes protestantes rigoristes du XVIIe siècle : les qua-
kers, les puritains…
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Œuvres, édition du centenaire, Paris, PUF, 1963, p. 1056.
Conclusion
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On peut trouver chez Alain, certes dans un tout autre style, des orientations ana-
logues à celles d’Éric Weil. Voir dans Propos sur le bonheur (1928) les derniers chapitres :
Bonheur est vertu, Que le bonheur est généreux, L’art d’être heureux, Devoir d’être heureux,
Il faut jurer.
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Voir la traduction de la Logique de la philosophie en allemand par Alexander
Schnell : Logik der Philosophie, Olms, 2010.