Apprentissage de La Lecture Propositions
Apprentissage de La Lecture Propositions
Apprentissage de La Lecture Propositions
dossier – rencontre
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APPRENTISSAGE DE LA LECTURE :
PROPOSITIONS DE DÉMARCHES
ET D’OUTILS ADAPTÉS
Roland Goigoux, professeur à l’université Blaise-Pascal Clermont II, spécialiste
dans l’apprentissage de la lecture, a piloté l’étude « Lire et Écrire », co-financée
par l’Institut français de l’éducation (IFE) et la Direction générale de l’ensei-
gnement scolaire (DGES). Cette étude a été lancée entre 2013 et 2015, et a été
menée dans 131 classes concernant ainsi 2 507 élèves. 3 000 heures d’ensei-
gnement de la lecture et de l’écriture ont été décortiquées par une équipe de
140 enquêteurs. Cette étude de grande envergure révèle que le secret de l’effi-
cacité est à chercher dans l’expertise des activités proposées aux élèves de CP,
et notamment celles qui permettent aux élèves de « comprendre » un texte.
Cette recherche permet de faire un état des lieux des connaissances dispo-
nibles, celles que doivent mobiliser enseignants et formateurs au bénéfice
de la réussite de tous les élèves. À partir de cette étude, quels sont les savoirs
et savoir-faire à transmettre aux jeunes enseignants ? Quels sont les impacts
possibles sur la formation continue ?
Dans le cadre des Grands Réseaux de Recherche de Haute-Normandie, Fabrice
Hauzay, et Jean-Louis Cléro, tous deux formateurs de l’ESPE de l’Académie de
Rouen, ont eu l’occasion de rencontrer Roland Goigoux. Cet échange a décliné
les enjeux de la recherche menée sur la lecture et l’écriture. Des questionne-
ments sont apparus au fil de la discussion, des réponses sont proposées avec
des points d’appui qui interrogent l’efficacité pédagogique des professeurs,
des méthodes, des manières de faire en classe.
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JLC/FH : Pour que les enseignants prennent un peu de recul sur leurs propres
pratiques ?
RG : À partir de ces cas concrets visionnés, la première consigne est : « et vous,
à quoi ressemblez-vous ? Vous sentez-vous plus proche de l’un ou de l’autre ? ».
Des enseignants réalisent qu’ils font tel geste professionnel et ils corrigent sur
tel ou tel point. Cela génère une véritable réflexion qui est importante pour la
formation car l’enseignant imagine les différentes alternatives à sa manière de
faire. C’est le premier effet formateur, ouvrir le champ des possibles. Le deuxième
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ROLAND GOIGOUX
effet formateur, c’est qu’à chaque fois, on travaille selon une méthodologie qu’on
pourrait schématiser par un dessin. J’ai toujours une colonne qui est de l’ordre
du gain et une colonne de l’ordre de la perte. Une colonne du côté des avan-
tages, l’autre du côté des inconvénients. À chaque fois, on essaye de documenter
les forces et les faiblesses, les intérêts et les inconvénients et les bonnes raisons
qu’on a de faire un geste. Ces bonnes raisons sont souvent les avantages que
le maître, qui utilise une technique, lui attribue. Mais lorsqu’il y a une alterna-
tive, on cherche ce que celle-ci peut produire comme avantages et évidemment
ça nous amène à regarder les inconvénients, les limites. C’est véritablement là-
dessus qu’on enclenche les dynamiques formatives car, encore une fois, on ouvre
la palette des possibles mais on donne des critères qui permettent de définir ce
qui est important. On est toujours en train de mettre en rapport des techniques
et un objectif qu’on se donne. On voit qu’avant de comparer des techniques en
disant que celle-ci est meilleure que l’autre, en réalité, elles sont adéquates ou
inadéquates à un but que l’on se donne. Si on est d’accord sur le but, alors on peut
discuter sur l’adéquation des techniques mais on s’aperçoit que très souvent, le
désaccord n’est pas sur la technique, il est sur le but ! Dans ce cas-là, c’est un autre
sujet de discussion qu’il faut nourrir. Est-ce que ce but est pertinent ou pas à cet
âge-là, à ce moment de l’année, sur cette notion, sur ce texte et sur ce support ?
Ce matériau, que la recherche nous permet de bien théoriser, ne donne pas la
réponse sur ce qu’il faut faire mais en revanche, il donne bien la trame d’une
ingénierie de formation qui elle, rend les personnes plus solides dans leurs capa-
cités de réflexion et de choix plus éclairés.
JLC/FH : En prenant les données brutes, très peu commentées mais rendues le
plus explicites possibles, vous en avez tout de suite tiré un enseignement.
RG : C’était notre première idée, c’est-à-dire livrer les résultats bruts et de voir
comment chacun les lisait et s’en saisissait, exactement ce que vous venez de
me dire. Mais on se dit que maintenant on a laissé le temps aux gens de digérer.
On nous dit partout que « ça ne suffit pas, aidez-nous à aller plus loin. Aidez-nous
à vérifier qu’on a bien compris ce que vous aviez en tête lorsque vous écriviez
ce que vous écrivez. D’autre part, dites-nous comment vous, vous en tireriez des
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JLC/FH : C’est ce qui rend notre métier passionnant dans le sens où l’on teste
constamment…
RG : Vous voyez lorsqu’on dit enseignant-chercheur, le chercheur à un certain
moment, s’arrête mais le formateur que je suis, veut en dire plus. J’arrête alors
de parler au nom du collectif et j’assume une responsabilité individuelle qui a à
voir avec ma propre expérience et mes propres connaissances car il n’est pas dit
que les 45 chercheurs qui ont signé ce rapport seraient d’accord avec moi sur ma
façon de tirer des enseignements sur les résultats que vous venez de rapporter. Si
les maîtres, statistiquement, étudient les correspondances graphèmes-phonèmes
trop lentement, ils pénalisent les élèves les plus faibles. Donc, on pourrait dire
que le résultat le plus clair, c’est une mise en garde contre des maîtres qui, sous
prétexte que leurs élèves sont en difficulté, adoptent une progression lente. Les
mettre en garde contre cette intuition n’est certainement pas la bonne attitude.
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ne balise pas les étapes intermédiaires, celles d’une zone proximale de dévelop-
pement professionnel, ce modèle paraît hors de portée. On devrait être capable
de dire : « Vous savez sur l’écriture, si vous faisiez simplement ça, cela changerait
tellement la face des choses ! »
Si on regarde la technique emblématique de la dictée à l’adulte, d’ailleurs les
programmes 2015 de la maternelle mettent l’accent sur cette approche, il y a
cette idée qu’il faut qu’il y ait tout le processus d’écriture. Il faut qu’il y ait le
projet, c’est-à-dire une intention de communiquer quelque chose d’important à
un lectorat. Il faut concevoir, qu’à partir de là, on doit passer des idées à la mise
en mots nécessaire. Cette mise en mots, il faut être capable de la transcrire.
Cette transcription va aller sur une édition qui, elle-même, ira vers le lectorat
pour vérifier que l’intention de départ est satisfaite. C’est ça l’épaisseur de l’ac-
tivité d’écriture. Lors du séminaire national « maternelle », mes propos sur ce
sujet ont eu un fort impact pour dire « attention, vous êtes en train de telle-
ment charger la barque que c’est décourageant ! ». Parce que ce genre de projet
d’écriture, vous faites ça une fois, vous y passez trois semaines, vous en sortez
exsangue et les élèves, à la fin, ont complètement oublié ce qu’était le projet de
départ. On voit des classes où il s’agit de rédiger une petite histoire pour monter
une pièce de théâtre de la fin du trimestre, fabriquer un ouvrage, légender la
moindre photo de piscine avec un texte de trois lignes et d’autres qui disent
« allez, aujourd’hui on va écrire ce mot. Comment on s’y prend ? » Un mot, UN
MOT, choisi par le maître dans un atelier qui est un atelier d’écriture approchée.
Ce n’est pas de la dictée pure et simple mais c’est quelque chose sur une unité
extrêmement réduite.
Certains vous disent « mais ce n’est pas un projet ça ! ». Mais l’activité de base
c’est, « vous avez une ardoise, ce mot-là on essaye de l’écrire ». « On ne sait pas
m’sieur ! » « Qu’est-ce qu’on sait déjà ? » et on y va ! C’est ça déjà l’écriture ou
ce n’est pas ça ? C’est noble ou ce n’est pas noble ? On a le droit ou on n’a pas
le droit ?
C’est permettre ainsi aux collègues de faire un peu plus, faire autre chose que
ce qu’ils font, sans leur donner comme horizon des choses qui sont tout de
suite tellement lourdes et complexes, que quand ils les ont essayées, ils n’y
reviennent plus. Je pense qu’on a découragé. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut
pas donner des pratiques expertes comme horizon ! Le problème c’est qu’on ne
jalonne pas assez ce que pourrait être des tâches beaucoup plus modestes mais
qui donneraient du jeu, en gros des techniques, des idées, des outils. Et là si on
regarde la différence entre lecture et écriture, on voit qu’une des différences,
c’est ma troisième explication, c’est le déficit d’outils…
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JLC/FH : Mais quand vous parlez de déficit d’outils, seraient-ce les outils donnés
par les formateurs pour que les collègues aient accès plus facilement aux acti-
vités ou bien ce sont les outils que construisent les enseignants ?
RG : Je parle clairement des outils qu’on propose aux enseignants comme étant
des outils déjà fabriqués…
JLC/FH : Nous sommes d’accord avec vous, pourtant, nous avons tous été
confrontés aux remarques « vous ne les formez pas, vous leur donnez des
recettes ».
RG : Là-dessus, ma réponse est très claire. Je suis comme vous en désaccord
avec toute une partie de mon corps professionnel qui a trop longtemps raisonné
comme vous venez de le dire en considérant que les outils rendaient les maîtres
paresseux en leur donnant des recettes. On a des acteurs, des enseignants qui
ont des connaissances, des représentations sur ce qu’est la lecture, sur ce qu’est
l’écriture, sur ce qu’est apprendre à lire et à écrire et sur les techniques qui per-
mettent d’apprendre à lire et à écrire. Et ils ont en face de ça, un certain nombre
d’actions possibles, qui sont liées à des savoir-faire, voilà ! Le scénario de la for-
mation continue et initiale classique, c’est de modifier les connaissances ou les
représentations des acteurs. Une fois qu’ils sauront l’importance de l’écriture,
pense-t-on, puisque ce sont des êtres rationnels, ils mettront en œuvre dans
l’action les principes qui auront été mis en lumière par la formation.
Ce scénario, ce sont des dizaines d’expériences et d’années d’échecs massifs.
D’où l’approche instrumentale qui est la nôtre de considérer que ce métier est
un métier avec « instruments » et que, comme toutes les techniques humaines,
la conceptualisation de l’action se fait par une théorisation de l’action avec un
vecteur, et ce vecteur se nomme instrument et arrêtons de la caricaturer sous
le terme de recette et pensons en termes de technique, pensons que les ins-
truments sont du condensé de connaissances, de conception, de réflexion. Ces
instruments vont donc être des vecteurs de cette action et de développement
professionnel. C’est l’action, pensée, théorisée, grâce à l’instrument, qui a un
effet de retour sur les connaissances et sur les représentations qui a l’effet for-
matif, qui du coup permet aussi une inventivité.
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cartons ministériels, c’est-à-dire l’idée qu’il y aurait des outils labellisés imposés
aux professionnels dans une linéarité descendante, au nom de la science et d’un
nouvel avatar du dirigisme pédagogique, alors si on a ça, je vous garantis que
l’effet dont on parle ne fonctionnera pas.
Comment ces instruments sont diffusés aujourd’hui ? Par les blogs d’instits qui
disent « t’as essayé le dernier truc de machin ? ». Les réseaux, c’est incroyable !
Je piste ça, c’est inouï comment ça glose, ça commente.
Il y a des questions de recherche portant sur la conception d’instruments et
de ce point de vue-là, si on les pense comme des instruments permettant
de se développer professionnellement, alors oui, il faut toute une ingénierie
de conception des outils dans ce métier comme dans les autres métiers. C’est
réévaluer le concret, c’est arrêter d’avoir honte du concret comme si c’était le
concret ou la théorie. La théorie qui ne sert à rien et le concret qui est utile. C’est
à nous à le rehausser intellectuellement, le faire vivre et d’arrêter de faire que
les enseignants chercheurs parlent de la théorie et que les maîtres formateurs
parlent de la pratique. C’est ça le drame ! C’est ça qu’il faut casser !
On s’aperçoit que ce qui remobilise les enseignants, ce n’est pas un stage de
management en ressources humaines, ce sont les questions au cœur du métier,
quand les personnes arrivent à dépasser sur ce quoi ils se cassaient les dents.
Je trouve que souvent, la barre est mise très haut comme notamment les docu-
ments d’accompagnement des programmes de la maternelle qui n’échappent
pas à cette critique.
Pour l’écriture, faisons pareil ! Où sont les nœuds, où sont les leviers, quelles
sont les étapes, quelles sont les tâches d’enseignement emblématiques
qu’il faudrait s’assurer que les maîtres fassent suffisamment régulièrement
pour que cette activité d’encodage soit finalement une activité beaucoup
plus fréquente ? Que cette activité soit à des moments très dirigée sous la
forme d’une dictée, des ateliers de tâtonnement, ou sous des phases plus
ou moins autonomes. Il faudrait graduer cet univers de tâches en difficultés
possibles, en autonomie ou en étayage. Si l’écriture est le parent pauvre, c’est
que l’étayage est plus complexe. Le détour est généralement plus long. Les
gestes professionnels ne sont alors plus inscrits dans la même temporalité. Ça
demande de penser à des organisations de classe spécifiques. Je pense que
cette complexité-là est trop fragmentée dans nos recherches. Vous avez les
didacticiens qui s’occupent de l’activité fine de l’encodage et puis vous avez
les pédagogues qui s’occupent de l’organisation du travail scolaire sauf qu’en
l’occurrence là, si vous ne tenez pas tout en même temps, il y a des ingénie-
ries qui ne fonctionnent pas. Il faut pouvoir regarder comment une technique
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didactique peut avoir une vertu intrinsèque mais comment elle peut s’in-
tégrer dans un système d’enseignement qui est plus complexe. Ce que l’on
voit beaucoup dans l’étude lire et écrire c’est ça, ce sont des alchimies très
complexes entre les pièces d’un puzzle énorme. Les chercheurs prennent un
point et le grossissent car c’est leur objet d’étude et ils peuvent avoir raison
localement et tort globalement. S’ils hypertrophient leur travail sur telles
dimensions phonologiques, ça va le faire au détriment de l’écriture. Or, en
réalité, le travail phonologique n’a d’intérêt et de sens que s’il est étroitement
lié au travail d’écriture.
En observation de classe, on a constaté que beaucoup d’enseignants passent
beaucoup de temps sur des tâches phonologiques pures, ce qui est, à mon avis,
inutile. Le regain d’intérêt pour la phonologie aurait dû générer un regain d’in-
térêt pour l’écriture puisque la phonologie, c’est l’entrée de ce qu’on entend
vers ce qu’on écrit. Sinon, on est dans une autre démarche qui est la démarche
de la lecture classique, on part du graphème, on part de l’écrit et on regarde
comment il se prononce. Ça c’est le chemin de la lecture. Ça veut dire que
c’est une entrée graphémique. Là, les méthodes syllabiques sont cohérentes,
elles sont purement graphémiques. Elles rentrent par l’écrit et elles vont vers la
prononciation de l’écrit. Mais les méthodes qui disent entrer par la phonologie,
devraient être des méthodes basées sur l’écriture or, elles ne le sont pas. Là, c’est
une conséquence de cette recherche, c’est de dire qu’il y a une incohérence
phénoménale. La montée en force de la phonologie aurait dû générer cette
écriture, or, il y a une sorte de dissociation au lieu d’être le moteur. Les résultats
de la recherche tels qu’ils sont rédigés ne disent pas ça ! On a toutes les bonnes
raisons de penser que l’encodage est bénéfique. Trouver une manière de décrire
des tâches scolaires, il n’y en a pas 35, il y en a 150. Il fallait donc trouver un
grain qui soit fonctionnel, qui soit un grain juste du point de vue didactique
mais qui soit manipulable par l’enquêteur qui en regardant le maître agir puisse
ranger la tâche dans une typologie facilement manipulable « en direct ». On
s’aperçoit qu’en procédant ainsi, on ne peut pas avoir une grille à 150 items. Il
fallait prendre la décision de qualifier ce qu’on voyait pour pouvoir faire après
des affinements avec la vidéo.
Un autre résultat important de cette recherche, c’est le vrai bonus systématique
pour ceux enseignant l’étude de la langue. Au CP, ce n’est pas au programme, et
en même temps, c’est un peu au programme mais ce n’est pas la priorité. De
quoi est-ce le signe ? Je pense que ce sont des maîtres qui ne perdent aucune
occasion de faire réfléchir leurs élèves sur le sens des messages mais aussi la
manière dont la langue écrite s’y prend pour transcrire. Ce ne sont pas des
leçons de grammaire. Ce sont à chaque fois des pas de côté, des repérages. Il y a
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des maîtres qui n’ont aucun état d’âmes à se saisir de toutes ces occasions pour
mettre leurs élèves en situation de réflexion par rapport à la langue. C’est une
source de jubilation de comprendre comment ça marche.
JLC/FH : Dans vos ouvrages, vous vous appuyez énormément sur l’idée d’ensei-
gnement explicite en lecture…
RG : Je fais des conférences sur l’enseignement explicite. C’est une notion extrê-
mement galvaudée. J’ai fait une conférence en prenant 5 sens différents de cette
notion-là. Certains prennent cette notion dans une vision très nord-américaine
étroite dans le sens d’instruction directe. Le dossier EDUSCOL, éducation priori-
taire, sur ce sujet est intéressant. Personnellement, j’ai fait une analyse du terme
explicite dans les programmes, j’ai trouvé une quarantaine d’occurrences dans
les programmes de cycle 3. Il y a énormément de sens différents, du même mot
dans ce texte. Je l’ai catégorisé en 4 blocs mais le premier sens au passage, c’est
un adjectif qui ne qualifie pas l’enseignement mais l’apprentissage.
C’est également toute une réflexion sur tous ces apprentissages qui se font
par la réitération de l’action, par des stabilités de l’environnement qui font
qu’il y a des co-occurrences. L’organisme humain est programmé pour être
capable de dégager des régularités dans un environnement relativement
stable et qu’il y a plein de choses, en les fréquentant, qu’on apprend sans
aucune intention de les apprendre. Ça c’est de l’apprentissage implicite et il y
a beaucoup d’apprentissages à l’école qui relèvent aussi de cet apprentissage
implicite.
Il y a des éléments dans les programmes qui introduisent l’idée de : à quel
moment, des choses qui étaient de l’ordre de l’implicite doivent le rester et
à quel moment vous les faites passer à un statut d’explicite. Elles vont être à
nouveau explicitées et ils deviendront conscientisables, manipulables en tant
que tel. Et si on lit bien les programmes, on voit d’ailleurs un processus qui de la
maternelle au cycle 3 va vers de plus en plus d’explicite. Ce qui veut dire que ce
n’est pas une modalité, c’est une préoccupation, c’est un souci et c’est quelque
chose en rapport avec le développement des enfants.
Ce qui fait aujourd’hui le succès de l’enseignement explicite c’est d’abord que
cela est présenté comme une réponse au défaut de démocratisation du système
et une réponse aux errements des outrances des méthodes actives mal pensées,
des pédagogies de projet qui, lorsqu’elles étaient excessives faisaient qu’il n’y
avait pas de fréquentations suffisamment structurées, régulières, planifiées d’un
certain nombre de notions. Avant de penser aux transpositions finlandaises ou
nord-américaines en France, il faut quand même regarder l’adéquation de ces
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JLC/FH : Arrivent-ils à expliquer alors pourquoi ils utilisent les prénoms des
élèves comme outil ?
RG : Vous voyez, outil pourquoi faire ? Il faudrait qu’ils puissent dire notamment
qu’il y a deux clés dans le prénom des enfants : c’est une très belle occasion de
faire de la lecture et de l’écriture, c’est une très belle occasion de dénommer les
unités que sont les lettres et troisième occasion majeure, c’est d’avoir des seg-
ments qui vont être utilisés dans des processus analogiques mais ces segments
qui sont des morceaux de prénoms sont notamment des syllabes. Combien
de maîtres expliquent pourquoi ils s’appuient sur les prénoms ! Le matériau
analytique le plus fabuleux c’est évidemment la liste des prénoms parce qu’il
est parmi les plus connus, les plus disponibles et évidemment dès qu’on a une
Nathalie, immédiatement nous avons le NA qui va nous servir, qu’on va se
mettre à entourer !
Le maître a besoin de théoriser ses gestes professionnels dans ce grain-là. On a
un vrai problème de développement professionnel ! C’est le fait qu’on a si peu
d’occasions de travail collectif sur la didactique entre enseignants. En fait, les
enseignants parlent des enfants et ils parlent de l’organisation de l’école mais ils
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ne parlent à peu près jamais de leurs techniques avec ce grain-là. Du coup, dans
les moments où ils ont à communiquer, ils sont souvent très en deçà de ce qu’ils
savent faire. On a des résultats qui sont une photo de ce que j’appelais un état
du monde, un paysage pédagogique français et je pense que le fait de travailler
les aspects descriptifs et de les modéliser, de les décrire, de les relayer et de les
travailler peut-être un vrai bon levier vers la formation continue.
Enfin l’autre question est qu’avons-nous fait en maternelle pour construire des
compétences qui sont aussi marquées socialement, aussi importantes sur le
devenir des élèves et finalement aussi peu travaillées ? Et les plus spectaculaires
se situent autour de « compréhension de textes entendus » et du « vocabulaire »
qui sont les plus marquées socialement, tout le monde le sait. On demande
alors où on en est sur l’enseignement du vocabulaire à l’école maternelle ? Il y
a vraiment des pans entiers dont on sent bien qu’ils ont été trop peu investis
par la recherche. Si vous faites une bibliographie sur le lexique, vous avez des
tas de choses qui décrivent les carences lexicales qui génèrent des difficultés de
compréhension mais si vous cherchez de l’ingénierie didactique sur le lexique
de manière solide et utile pour le maître qui veut changer à peu de frais dans sa
manière de faire et qui aura des effets, il y a peu de choses.
Cette année, on passe à une recherche expérimentale. On a mis dans 150 classes les
scénarios construits en collaboration avec des enseignants, un album, 4 semaines
de travail autour de l’album avec deux clés, apprendre à raconter et le vocabulaire.
Ce qui est la clé de la production écrite, c’est la conduite monologuée et si on n’en-
traîne pas le contage alors il y a une partie de la pédagogie de la production écrite
qui est défaillante. Cette année, on évalue ce que cela donne sur une année avec
trois mois de travail puisqu’il y a trois fois un album. On a un groupe qui travaille
avec nos outils qui sont des prototypes modifiés déjà deux fois. On en a qui ont
les outils et l’accompagnement de conseillers pédagogiques, c’est notre deuxième
groupe expérimental et on a un troisième groupe, un groupe témoin, qui a les
albums et les outils d’évaluation, c’est-à-dire qu’ils savent à l’avance comment on
évaluera leurs élèves à la fin. Tout le monde sait comment on évaluera les élèves
à la fin et on va comparer les pratiques. Elles ne sont plus déjà des pratiques ordi-
naires car vous voyez, le simple fait de prévenir les maîtres que vous allez évaluer
sur le fait que les élèves sachent raconter bouleverse déjà bon nombre de choses.
C’est ça notre recherche actuelle pour essayer de valider les outils mais aussi la
dynamique que génère cette prise en main instrumentale.
Entretien réalisé par Jean-Louis Cléro et Fabrice Hauzay
Enseignants à l’ESPE de l’Académie de Rouen.
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