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Didactique 2 - Les méthodologies d’enseignement d’une langue étrangère

Enseignante : Danielle Omer Chapitre 2

LES TEXTES LITTERAIRES ET LA NORME DU «


BON USAGE » : DES OBJECTIFS POUR
L'APPRENTISSAGE D'UNE L.E.
Dans cette séance nous allons examiner les caractéristiques de ce qui
constitua très longtemps le type d'échantillon de langue sélectionné par les
spécialistes et les auteurs de manuel pour l'enseignement et l'apprentissage
traditionnels d'une langue étrangère.

Les langues vivantes s'imposent comme disciplines


scolaires sur le modèle des langues mortes :
L'enseignement obligatoire d'une langue étrangère (ou langue vivante) dans le
système scolaire s'est peu à peu imposé au cours du XIXe siècle. On peut affirmer
que la défaite française lors de la guerre franco-prussienne de 1870 a accéléré le
processus puisque beaucoup, en France, ont vu une des causes de l'infériorité
stratégique et militaire française dans le système éducatif sclérosé et peu
performant. Peu à peu la IIIe République qui se met en place dès 1871 essaie
d'impulser une réforme profonde du système éducatif. C'est dans les années 1881-
1882, par exemple, que l'école devient pour la première fois, gratuite, obligatoire et
laïque. Au cours de cette période les langues étrangères vont être durablement
introduites dans les programmes d'enseignement. Dans ce chapitre vous verrez
sous quelles influences s'est faite cette introduction et quelle variété de langue
a été sélectionnée.
Pour tout ce chapitre, l'ouvrage auquel il sera fait référence sera celui de Ch.
Puren, 1988 : Histoire des méthodologies de l'enseignement des langues, Paris :
Nathan : 21-92 — cf. bibliographie.

ACTIVITÉ 4

• Prenez connaissance de la datation concernant l'introduction des L.E. [extrait


n°1 ].

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• Donnez une explication au fait qu'une épreuve obligatoire de L.E. est d'abord
introduite au baccalauréat de sciences puis seulement plus tard au
baccalauréat de lettres.

Voici maintenant quelques explications qui permettent de mieux comprendre la


datation donnée à l'activité n°4 :
Tout d'abord il convient de faire la différence entre l'enseignement classique et
l'enseignement spécial. L'enseignement classique c'est celui où l'on fait « ses
humanités » selon l'expression consacrée, c'est-à-dire l'enseignement durant lequel
on apprend le latin au point de pouvoir composer des textes de prose et de vers
dans cette langue ; c'est la discipline la plus importante et celle qui bénéficie du plus
grand prestige. Les bons élèves sont ceux qui obtiennent des prix en composition
latine. Le grec et le français sont les deux autres disciplines importantes de ce
cursus. Toute autre formation est jugée inférieure.
Ainsi en est-il de l'enseignement spécial créé par Victor Duruy (ministre de
l'instruction publique sous Napoléon III) “Il s'agit fondamentalement de filières à
l'intérieur de l'Enseignement secondaire où se donne une formation différente de cet
Enseignement classique à base de langues anciennes et de français, et plus
adaptées aux nouveaux besoins de l'économie et de l'administration en cadres
moyens. L'enseignement des langues anciennes y est supprimé ou fortement réduit
au profit de disciplines comme les mathématiques, les sciences expérimentales, le
dessin et les langues modernes.” (Puren : 1988 : 47-48). Très vite ces sections
créées pour les enfants d'employés et ceux des couches paysannes moyennes
comptent un public nombreux et elles deviennent, sous le nom d'enseignement
moderne, des concurrentes de l'enseignement classique. L'enseignement des
langues étrangères se développe plus tôt dans l'enseignement spécial (ou
enseignement moderne) et conserve de ce fait une mauvaise réputation. Cet
antagonisme entre les sections dites des « humanités classiques » et celles dites «
modernes » va se poursuivre très longtemps jusque dans les années soixante du
XXe siècle.
A l'intérieur de cette configuration, les enseignants de langue étrangère se
sentent dévalorisés par rapport à leurs collègues de latin, grec et français. C'est
pourquoi ils seront très nombreux à œuvrer, des années durant, pour que
l'enseignement des langues étrangères acquière le même statut que celui des

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disciplines mieux considérées. Pour ce faire, ils essaient de faire en sorte que
l'enseignement d'une langue étrangère soit calqué sur celui du français qui a lui-
même pour modèle l'enseignement du latin. En conséquence beaucoup de cours
d'anglais, d'allemand ou d'espagnol vont être enseignés à la manière d'une langue
morte (latin particulièrement).
C'est avec un dictionnaire et une grammaire que l'élève apprend le latin.
L'objectif est d'arriver le plus rapidement possible à traduire et à commenter des «
grands textes » reconnus de la littérature latine. Parallèlement l'élève doit pouvoir
imiter les auteurs latins et écrire en latin à la manière de Cicéron, Horace et de
quelques autres « grands auteurs » qui sont devenus des modèles scolaires.
L'utilisation exclusive de la grammaire et du dictionnaire pour l'apprentissage du latin
ainsi que les objectifs assignés à l'enseignement du latin sont transposés à
l'apprentissage et à l'enseignement des langues étrangères.

ACTIVITÉ 5

• Prenez connaissance de l'instruction du 18 septembre 1840 [extrait n°2 ]

• Après lecture de cette instruction, vous écrirez précisément, dans un premier


texte, tout ce qui vous semble représenter un enseignement calqué sur celui
du latin et de ce fait inapproprié à l'enseignement d'une langue vivante. Vous
justifierez votre position.
Vous écrirez, dans un deuxième texte, tout ce qui vous semble approprié à
l'enseignement d'une langue vivante. Vous justifierez votre position.

Commentaire de l’instruction du 18 septembre 1840


A la lecture de l’instruction donnée dans l’extrait n°2 on constate que
l’apprentissage de la langue étrangère se réduit surtout à celui de la grammaire qui
trouve une application soit dans des exercices de version (pour vérifier la
compréhension) soit dans des exercices de thème (pour appliquer les nouvelles
règles apprises). La phase initiale (environ deux ans) de l’apprentissage se réduit à
une connaissance, apparentée à de la virtuosité, des structures linguistiques, des
règles de fonctionnement de la langue (expliquer les idiotismes, pénétrer le génie de

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la langue). Il n’est à aucun moment question de donner les moyens à l’élève d’être
en mesure de comprendre un partenaire ou un texte ni de se faire comprendre à
l’oral ou à l’écrit. Aucun savoir-faire ne figure parmi les objectifs
d’apprentissage. Le but final est en fait de donner à l’élève un savoir sur
l’histoire de la littérature du pays dont il étudie la langue. Cette histoire de la
littérature pourra être agrémentée d’échantillons représentatifs afin que l’élève en ait
quelques exemples concrets. Il faut noter que le prestige des langues anciennes est
si grand à cette époque que les traductions proposées au titre d’exercices de
vérification des connaissances de la grammaire (de la L.E.) se font par l’intermédiaire
d’un auteur de l’Antiquité latine ou grecque (pour l’anglais, on pourrait prendre la
traduction de Virgile par Dryden, et celle de l’Iliade par Pope ; pour l’allemand, la
traduction d’Homère par Voss, celle des Commentaires de César par Wagner).
Apprendre une langue étrangère c’est au bout du compte en connaître sa
littérature, laquelle ne pourra jamais être surpassée par celle des auteurs
anciens.

Les objectifs d’enseignement pour le français L.M.


deviennent des objectifs d’enseignement pour les
langues vivantes :
Parallèlement à la forte influence jouée par l’enseignement du latin sur celui
des langues vivantes, l’enseignement du français comme langue maternelle exerce
lui aussi une grande puissance d’attraction sur l’enseignement des langues
étrangères. Des objectifs propres à l’enseignement du français à des francophones
sont transférés dans l’enseignement des langues étrangères aux élèves français.
Avant de recenser les objectifs d’enseignement du français à des francophones, il
faut d’abord comprendre comment historiquement ces objectifs ont été mis en place.
Rapide historique : Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le français a commencé à
devenir une discipline jugée digne d’être enseignée. Auparavant, seul le latin était la
langue d’enseignement (au Moyen-Âge), puis petit à petit il est devenu une langue
enseignée dans la mesure où il était de moins en moins parlé. En devenant langue
enseignée, ce n’est plus le latin du Moyen-Âge qui a été enseigné mais le latin
classique dont la syntaxe et le vocabulaire étaient très éloignés du latin du Moyen-

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Âge. Il fallut alors faire un gros effort d’enseignement et d’apprentissage de la


grammaire du latin classique.
Lorsque le français commença à s’imposer comme langue d’enseignement ce
fut sur le modèle du latin. Pour cette raison, l’accent fut mis sur l’enseignement et
l’apprentissage de la grammaire et très vite on arriva à poser comme objectifs
d’enseignement la connaissance des règles de grammaire que l’on validait par
rapport à des usages considérés comme recommandables. Bien évidemment ces
usages recommandables (dorénavant « bon usage ») s’opposaient à d’autres qui
étaient critiquables. Ainsi s’instaura et se pérennisa un enseignement du « Bon
usage » (c’est encore le titre de la grammaire de référence du français actuel —
cf. Bibliographie) qui consistait à faire apprendre à l’élève une quantité de
règles et leurs variations. Connaître le français c’était connaître surtout toutes les
subtilités des usages reconnus qui devenaient alors des règles. (Puren : 24-29)
Concrètement il s’agit d’un enseignement théorique de la grammaire au cours
duquel on enseigne les exceptions (c’est-à-dire les usages aberrants mais
socialement considérés comme recommandables) dans le fonctionnement de la
langue plutôt que le fonctionnement lui-même. Voici à titre d’illustration un exemple
extrait d’un ouvrage destiné à l’enseignement, paru pour la première fois en 1917 et
qui eut un gros succès (14e édition en 1950) :
“L’usage permet de dire : ‘les vieilles gens sont soupçonneux’; ou bien ‘les vieilles
gens sont soupçonneuses’. Mais cette double construction n’est possible que quand
le pluriel ‘gens’ est immédiatement précédé d’un adjectif qualificatif comportant pour
le féminin une forme distincte de celle du masculin. Partout ailleurs, le masculin est
de rigueur. On dira donc bien ‘toutes les vieilles gens’ ou ‘tous les vieilles gens’. Mais
on devra dire au masculin seulement : ‘tous les honnêtes gens’.”
Calvet J., Chompret C. (1917) : Grammaire française, cours supérieur, Paris, J. de Gigord.
Cette règle est maintenant abandonnée pour la simple raison que
l’enseignement du français a évolué et que l’on accorde moins d’importance aux
connaissances grammaticales. En conséquence beaucoup moins de temps est
réservé à l’enseignement de la grammaire qui subit, dans ces conditions, un
processus de simplification des règles. Cependant la grammaire française conserve
des traces de ces pratiques d’enseignement. L’exemple suivant exprime des règles
aberrantes qui sont toujours en vigueur.
L’adverbe « tout » :.
“Tout est adverbe et invariable quand il signifie “entièrement, tout à fait”. Il se place devant

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un adjectif ou une locution adjective, un superlatif relatif, un adverbe, un participe ou une


locution adverbiale, une préposition ou une locution prépositionnelle, un gérondif :
La ville tout entière — Les grands hommes ne meurent pas tout entiers — Elles sont tout de
blanc vêtues —ranger avec les tout plus grands ” [Grévisse : 1964 : 394 - § 457]

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NB - Tout, adverbe varie en genre et en nombre devant un mot féminin commençant par
une consonne ou un h aspiré :
La flamme est toute pâle — Elles toutes honteuses —Toutes raisonnables qu’elles sont —

NB2- Devant un adjectif féminin commençant par une semi-voyelle, par exemple : oisive,
ointe, ordinairement tout reste invariable — mains tout oisives — peau tout huileuse — mais
comme une semi-voyelle est aussi une semi-consonne, il ne serait pas déraisonnable de
faire varier tout : — mains toutes oisives — peau toute huileuse —.” [Grévisse : 1964 : 395 -
§ 457]
L’exemple de l’adverbe tout pourrait être complété par d’autres (cf. l’accord du
participe passé des verbes pronominaux) qui représentent sous une forme résiduelle
une pratique d’enseignement actuellement en très forte régression. Vous
comprenez alors que les objectifs du cours de français à des francophones
depuis la fin du XIXe siècle jusque dans les années cinquante voire soixante
(du XXe siècle) pouvaient être ramenés à l’apprentissage du “bon usage”,
c’est-à-dire à l’usage des écrivains reconnus par l’école. Maîtriser le “bon
usage” c’était maîtriser le plus grand nombre de variations possibles par
rapport à une règle simple du type l’adverbe est invariable.
Ces objectifs ont été importés dans l’enseignement des L.E. car le français
comme L.M. était une discipline importante et prestigieuse (presque égale au latin).
Aussi les élèves de L.E. ont-ils dû apprendre quantité de règles et de variantes à la
règle. Essayer de chercher à comprendre ou à se faire comprendre en L.E. était
considéré comme un objectif tout à fait secondaire qui était réservé à tous ceux qui
ne pouvaient pas accéder à la connaissance approfondie et à la maîtrise des règles
de la grammaire. Vous pouvez constater cette orientation dans l’exemple qui
correspond à l’extrait n°3 .

ACTIVITÉ 6

• Lisez la règle de l’extrait n°3 et expliquez-la avec vos propres mots.


• Voici ci-dessous un très court dialogue que vous choisissez comme premier

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échantillon de langue que vous proposez à vos apprenants de français :

- Bonjour !
- Bonjour !
- Comment allez-vous ?
- ça va et vous ?

• Comment le traitez-vous ? Essayez de proposer une séquence


d’enseignement pour cet échantillon initial.

Vos propositions sont à mettre sur le forum et à discuter ensemble avec les
collègues.

Conclusion :
En France, l’enseignement des L.E. a eu beaucoup de peine à s’introduire
dans l’enseignement classique, c’est-à-dire dans les bonnes sections. Les cadres
responsables de l’enseignement des L.E. ainsi que les enseignants ont trouvé des
modèles dans les disciplines considérées comme parentes (ce sont également des
langues : latin, grec et français) et comme références (le latin, le grec et le français
sont les disciplines qui comptent sérieusement pour une formation réussie). Pour ces
raisons, les objectifs d’enseignement et d’apprentissage des L.E. sont calqués sur
ceux du français L.M. et du latin. L’élève doit connaître et stocker une très grande
quantité de règles de grammaire et même maîtriser les variantes des règles afin
d’acquérir ce qui est appelé en français le “bon usage” et qui correspond à une
variété de la langue que seuls les publics longtemps scolarisés ont eu le temps
d’apprendre. Ce “bon usage” est établi par rapport aux usages particuliers que des
écrivains reconnus officiellement ont pratiqués. L’objectif terminal est l’accès à la
littérature validée par l’institution scolaire. Pendant longtemps seuls quelques
écrivains ont été jugés dignes d’une étude ; ainsi des générations entières ont dû
coûte que coûte étudier Shakespeare pour l’anglais, Goethe pour l’allemand,
Cervantès pour l’espagnol, Molière pour le français, Dante pour l’italien.
Ce type d’enseignement se fait sans manuel, il n’y a pas d’échantillon de
langue choisi ou construit. Les manuels restent la grammaire et le dictionnaire. On a

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un enseignement précoce de la littérature qui se fait souvent sous forme d’une


traduction littérale.
Très vite cet enseignement a été critiqué et des courants ont essayé
d’imposer un enseignement plus concret et plus directement lié à un objectif de
communication ; l’enseignement à l’ancienne a toutefois réussi à s’imposer très
longtemps encore (jusqu’à la moitié du XXe siècle) dans les sections de
l’enseignement classique.

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