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La question religieuse dans les écoles publiques

élémentaires et la modernisation des ”daara” : enjeux et


réalités. Quel modèle et quelle(s) vision(s) de la laicité
au Sénégal ?
Albert Kory Dione

To cite this version:


Albert Kory Dione. La question religieuse dans les écoles publiques élémentaires et la modernisation
des ”daara” : enjeux et réalités. Quel modèle et quelle(s) vision(s) de la laicité au Sénégal ?. Education.
Normandie Université, 2018. Français. �NNT : 2018NORMR147�. �tel-02115458�

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THESE

Pour obtenir le diplôme de doctorat

Spécialité Sciences de l’Education

Préparée au sein de l’université de Rouen Normandie

LA QUESTION RELIGIEUSE DANS LES ECOLES PUBLIQUES


ELEMENTAIRES ET LA MODERNISATION DES "DAARA" :
ENJEUX ET REALITES.
QUEL MODELE ET QUELLE(S) VISION(S) DE LA LAÏCITE AU
SENEGAL ?

Présentée et soutenue par


Albert Kory DIONE

Thèse soutenue publiquement le 19 décembre 2018


devant le jury composé de
Professeur, Université Cheikh Anta
Monsieur Amadou FALL Rapporteur
DIOP de DAKAR, SENEGAL
Monsieur Jean François Professeur, ESPE de LILLE - Nord
Rapporteur
GOUBET de France, Université d’ARTOIS
Professeur émérite, Université de
Monsieur Pierre KAHN Examinateur
CAEN NORMANDIE
Maître de Conférences, ESPE de
Madame Louise FERTE LILLE - Nord de France, Université Examinatrice
d’ARTOIS
Professeur, Université de ROUEN
Monsieur Hubert VINCENT Directeur de thèse
NORMANDIE

Thèse dirigée par Hubert VINCENT, laboratoire CIRNEF


THESE

LA QUESTION RELIGIEUSE DANS LES ECOLES PUBLIQUES


ELEMENTAIRES ET LA MODERNISATION DES "DAARA" :
ENJEUX ET REALITES.
QUEL MODELE ET QUELLE(S) VISION(S) DE LA LAÏCITE AU
SENEGAL ?

THE QUETION OF RELIGION IN STATE-FUNDED PRIMARY


SCHOOLS AND THE MODERNISATION OF KORANIC SCHOOLS :
THE ISSUES AND CHALLENGES.
WHAT SYSTEM AND VISIONS ARE IN PLACE FOR LAICITY IN
SENEGAL ?

Présentée par
Albert Kory DIONE

Mots clés : Laïcité - Education religieuse - Ecole publique - Modernisation des daara
Laicity - Religious education - State schools - Modernisation of daara
A MA CHERE EPOUSE

GINETTE MARGUERITE MARIE

ET A MES ENFANTS

EDOUARDA MARIE MADELEINE ODETTE

CELINE MARIE IRENE

Pour la qualité de votre attente, de votre courage, de votre espérance, de votre


soutien, de votre confiance, de votre amour pendant ce temps d’exil nécessaire,
loin de vous, pendant lequel de nombreux événements familiaux ont été vécus à
distance…
Merci à Hubert VINCENT, mon directeur de thèse, pour sa confiance, son soutien,
et la qualité de ses remarques et conseils. Son accompagnement pendant ces cinq
années, depuis le Master de Recherche en Sciences de l’Education (MARSE) à la
fin de la thèse, m’a permis de relever le pari auquel je m’étais lancé. La
bienveillance, le respect, la considération, l’attention, la disponibilité et la patience
ont rythmé cette période de directoire. Qu’il me soit donc permis de lui rendre un
vibrant hommage. Ma reconnaissance va également aux membres du laboratoire
CIRNEF (Centre Interdisciplinaire de Recherche Normand en Education et
Formation), professeurs et étudiants, pour les échanges, la collaboration et les
partages divers.

Merci particulièrement à toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre,
ont permis la concrétisation de ce projet de thèse. Je pense à :

- Marianig Viaouet, responsable de la formation à distance à Rouen ;


- Nathalie Chandes, Nathalie Maheut, Françoise Lejard, Mélanie Roch ;
- La communauté des sœurs de notre Dame de Rouen et des prêtres de
Rouen : Alexandre Joly, Robert de Prémare, Christophe Potel ;

Mon séjour en France, placé sous le signe de la Providence, a été marqué par de
nombreuses et belles rencontres d’où ont jailli des amitiés sincères ; mes
remerciements vont à :

- Céline et à toute la famille Chanoine de Louviers en Normandie ;


- Line Deschamps de Maisdon Sur Sèvre ;
- Aux familles Maheut, Guilleux, Roy, Douillard, Picaud…
- Toute la famille éducative du Cours Saint Jean Paul II de Saint Lumine de
Clisson (membres du Bureau, enseignants, parents et élèves).

Merci à Eve Marie, Dominique et Véronique pour leur amitié sincère, à tous les amis
de la Normandie, de la Bretagne, des pays de Loire, du Sénégal…

Merci à ma famille et à mon épouse qui ont toujours été là et qui ont permis la
réalisation de ce travail de recherche. Je leur suis reconnaissant de leur soutien
indéfectible et leur témoigne de mon affection et de mon attachement. Désormais,
une nouvelle étape de la vie s’ouvre à nous.
RESUME
Suite aux recommandations internationales et dans le but d’atteindre une
scolarisation universelle au niveau du primaire, l’Etat du Sénégal, depuis la rentrée
scolaire 2002-2003, a entrepris une réforme de son système éducatif. Celle-ci
comprend : l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles élémentaires
publiques, la création d’écoles franco-arabes publiques, la modernisation des
"daara" et l’expérimentation des cours en langues locales dans des écoles
publiques élémentaires. La prise en compte de la religion dans l’éducation des
enfants, à travers le système éducatif, répondait ainsi à une forte demande, maintes
fois renouvelée, de la part des communautés religieuses et d’une frange importante
de la population sénégalaise. Cette demande a été exprimée, d’une façon formelle,
lors des Etats Généraux de l’Education et de la Formation tenus en 1981 (EGEF).

Certains aspects de ces innovations entreprises par l’Etat au lendemain de la


première alternance politique du pays interrogent le modèle de laïcité en vigueur au
Sénégal. La problématique de la présente thèse s’enracine dans les polémiques
récurrentes et le "conflit d’interprétation" dont la laïcité fait l’objet depuis
l’indépendance jusqu’au début des années 2002 avec ces réformes.

Pour aborder la question de recherche, deux objectifs ont été fixés : examiner les
effets de l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques
élémentaires et du projet de la modernisation des "daara", analyser le modèle
et les différentes visions de la laïcité au Sénégal. Il s’agit donc de diagnostiquer
les enjeux et les réalités de ces deux innovations et nous servir d’elles comme cadre
observatoire d’étude du modèle et des différents types de laïcité au Sénégal. Dans
cette optique, nous avons choisi comme méthodologie l’étude documentaire,
l’entretien semi-directif et l’analyse de discours.

1
PREAMBULE
La question religieuse en général et en particulier, les relations existantes entre les
différentes confessions ont toujours été au centre de mes préoccupations
individuelles et communautaires, familiales et éducatives. Tous les sujets qui se
rapportent à la religion ne m'ont jamais laissé indifférent. J'ai toujours manifesté un
grand intérêt à tout ce qui a trait à elle, ainsi qu’à toutes les religions. Aussi, les liens
entre la religion et l’école ont occupé une place importante dans ma situation
d’enseignant-éducateur engagé et pratiquant dans une religion – le christianisme -
avec une liberté de conscience dans un pays laïque à majorité musulmane. Il est
vrai que la mission première de l’école s’inscrit dans la formation des enfants et des
jeunes pour façonner en eux une identité qui correspond au modèle de citoyen voulu
par la société. Et donc à travers cette finalité, la place de la religion dans le système
scolaire est déterminée suivant les régimes politiques et les types de sociétés. Quoi
qu’il en soit et quelques soient les bases de l’organisation politique, il semble
toutefois important de mettre en avant une éducation qui favorise la coexistence
entre la diversité des expressions culturelles (UNESCO, 2005, art. 4) et qui invite
au dialogue pour une société pacifique.

Animé de cette conviction, mon cursus universitaire a été marqué par des choix de
réflexion autour de différents thèmes s’inscrivant dans cette logique. Par exemple,
la question du dialogue interreligieux, plus précisément, islamo-chrétien à l’école
m’a intéressé à plus d’un titre. En effet, le Sénégal a une longue tradition d'échange
et de partage entre les différentes sensibilités religieuses. Le dialogue interreligieux
y occupe une place très importante. L’éducation au dialogue islamo-chrétien est
donc au cœur de mon engagement éducatif dans les milieux scolaires ; un choix de
vie ; une manière d’être solidaire avec les jeunes qui me sont confiés et qui sont
menacés par diverses formes de déviance et de risque. L’éducation proposée aux

2
jeunes doit être complète et continue et prendre en compte tous les aspects de la
personne humaine. Elle doit toucher le domaine intellectuel, moral, physique, voire
même spirituel dans certains cas et contextes. La thématique des représentations
socioculturelles que les élèves se font par rapport à leur religion mais surtout par
rapport aux religions différentes de la leur rejoint les questions générales touchant
la religion, posées partout dans le monde.

Si l’on considère les différents types de société, les religions et les formes
d’éducation, il semble que les situations ont été et restent très variées. Toutefois,
les relations entre ces trois réalités sont déterminantes dans la mesure où elles
orientent et façonnent le modèle d’individu ou de citoyen en devenir. Avec
l’avènement de la modernité, on assiste en occident à l’autodétermination du sujet
et à la valorisation de l’individualisme. La question laïque apparaît ici en filigrane et
l’émergence du sujet au niveau social a conduit à la relégation de la religion dans
la sphère intime. Cependant, dans d’autres contextes, les religions sont encore
porteuses de sens et participent au maintien d’une cohésion sociale, même s’il
semble important de souligner que ces situations ne sont pas figées.

Ces différents éléments exposés ci-dessus constituent en réalité la principale


motivation qui m’a poussé à m’intéresser à étudier le cas du Sénégal, caractérisé
par une certaine diversité religieuse et laissant apparaître l’existence de diverses
formes d’éducation et des relations historiques et variées entre les différentes
familles religieuses et les structures en charge de l’éducation. Au fond, plusieurs
études générales traitant de ces relations ont nourri ma réflexion. De même, toutes
les questions liées à l’apparition du principe de laïcité et sa traduction dans des
contextes nationaux divers ont depuis une dizaine d’années attiré mon attention et
éveillé ma curiosité.

Pour ces raisons évoquées, la présente thèse se veut être à la fois un travail original,
impliqué et distancié pour examiner la problématique de l’éducation religieuse et
décrire la situation singulière du Sénégal en matière de laïcité.

3
ACRONYMES
BID : Banque Islamique de Développement

BREDA : Bureau Régional de l’Unesco à Dakar

CAPE : Cellule d’Appui et de Protection des Enfants

CDM : Curriculum des "Daara" Modernes

CEB : Curriculum de l’Education de Base

CE1 : Cours Elémentaire première année (Etape 2, niveau 1)

CE2 : Cours Elémentaire deuxième année (Etape 2, niveau 2)

CEC : Congrégation pour l’Education Catholique

CFEE : Certificat de Fin d’Etudes Elémentaires

CI : Cours d’Initiation (Etape 1, niveau 1)

CM1 : Cours Moyen première année (Etape 3, niveau 1)

CM2 : Cours Moyen deuxième année (Etape 3, niveau 2)

CNAECS : Collectif National des Associations des Ecoles Coraniques du Sénégal

CNREF : Commission National de Recherche en Education et en Formation

CONFEMEN : Conférence des Ministres de l’Education Nationale

CP : Cours Préparatoire (Etape 1, niveau 2)

DEA : Division de l’Enseignement Arabe

DPRE : Direction pour la Planification et la Réforme de l’Education

EPT : Education Pour Tous

ETR : Equipe Technique Régionale

EVF : Education à la Vie Familiale

4
EGEF : Etats Généraux de l’Education et de la Formation

FASTEF : Faculté des Sciences et Technologie de l’Education et de la Formation

FMI : Fond Monétaire International

LHP : Livret horaires et Programmes

IA : Inspection d’Académie

IEF : Inspection d’Education et de Formation

IIPE: International Institute for Educational Planning

INEADE : Institut National d’Etude et d’Action pour le Développement de l’Education

ODD : Objectifs pour le Développement Durable

OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement

ONG : Organisation Non Gouvernementale


PACEB : Projet d’Appui au Curriculum de l’Education de Base
PAPA : Programme d’Amélioration du projet d’Appui
PAQUEEB : Programme d’Amélioration de la Qualité et de l’Equité de l’Education
de Base

PAQUET-EF : Programme d’Amélioration de la qualité, de l’Equité et de la


Transparence de l’Education et de la Formation

PARRER : Partenariat pour le Retrait et la Réinsertion des Enfants de la Rue

PDEF : Programme de Développement de l’Education et de la Formation

PDRH : Projet de Développement des Ressources Humaines

PNDEF : Plan National de Développement de l’Education et de la Formation

PSDD : Plan Stratégique de Développement des "Daara"

TBS : Taux Brut de Scolarisation

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour Education, la Science et la Culture

5
INTRODUCTION
GENERALE

LA QUESTION RELIGIEUSE DANS LES ECOLES PUBLIQUES ELEMENTAIRES ET


LE PROJET DE MODERNISATION DES "DAARA" : ENJEUX ET REALITES.

QUEL MODELE ET QUELLE(S) VISION(S) DE LA LAICITE AU SENEGAL ?

N.B : Le terme "daara", veut dire « demeure, maison ». De par son étymologie, il
viendrait des mots arabes "Al-dâ’ira" signifiant cercle, rappelant la disposition
circulaire des apprenants et du verbe "daara", faisant allusion aux déplacements du
maître coranique. Traditionnellement, au Sénégal, le terme "daara" désigne une
institution éducative islamique qui prend en charge des élèves dès le bas âge jusqu’à
la majorité pour la mémorisation du coran et une éducation de base. Le mot peut
aussi faire référence à un groupement ou une association islamique rassemblant un
certain nombre d’adhérents qui poursuivent des buts éducatifs, économiques,
environnementaux, caritatifs, etc. Dans tous les documents officiels et par
conséquent dans notre thèse, il sera utilisé pour désigner une forme d’écoles
coraniques. Il reste toujours invariable et est utilisé au masculin.

6
L’éducation tient une place considérable et a une importance capitale dans toutes
les sociétés. C’est la clé du développement. C’est par elle que les familles, les
communautés et de façon générale les sociétés transmettent aux jeunes
générations leurs traditions, leurs valeurs, leurs manières de faire, leur idéal de vie.
Quelle que soit l’époque, de l’antiquité à nos jours, et quelle que soit la forme,
l’éducation a toujours existé. Aujourd’hui, à côté de la famille et des diverses
associations, l’école est un lieu d’instruction et d’éducation. Considérée comme la
deuxième instance de socialisation après la structure familiale, elle se donne la
mission de faire grandir humainement les élèves qui lui sont confiés, de susciter
leur éveil et de préparer leur insertion sociale et professionnelle. Elle se positionne
en tant qu’institution facilitatrice du passage des jeunes vers le monde adulte. En
définitive, l’école cherche à répondre aux besoins et aux attentes de la société en
connectant le jeune à son milieu de vie avant de lui permettre de s’ouvrir aux autres.
Vue sous cet angle, la grande diversité des cultures et des sociétés à travers le
monde entraine également une variété de systèmes éducatifs dont les finalités
prennent des formes différentes selon les pays, les époques, le contexte socio-
économique, le régime en place, etc. Au Sénégal, au lendemain de l’indépendance,
l’idée d’une nécessité d’adapter l’école aux réalités sociales a été réaffirmée par les
autorités étatiques comme un objectif prioritaire s’inscrivant dans celui du
développement projeté pour le pays. Sous ce rapport, le système éducatif
sénégalais, marqué par l’histoire coloniale dans son organisation et tout en
s'inspirant d'une théorie de l'éducation, s’enracine dans la vie sociale, impliquant
des changements idéologiques, politiques, donc une finalité qui oriente l’action
éducative. C’est ainsi que, depuis 1960, la nation sénégalaise s’est attelée au
développement de son système éducatif avec notamment dans le secteur formel la
multiplication des structures d’enseignement du cycle fondamental. Malgré la
volonté affichée des autorités politiques à travers les différentes réformes
entreprises, une crise au niveau scolaire gangrène l’Education Nationale entraînant
la convocation des Assises de l’éducation et de la formation en 1981. Ce que
confirmeThiam Habib (1981), premier ministre d’alors dans son discours introductif
de ces EGEF : « Le sentiment général est que notre école est en crise, qu’elle n’est
pas adaptée à nos besoins, qu’elle s’achemine, si elle n’y est pas déjà parvenue
vers une impasse, une situation de blocage, donc de rupture… » (Cf le Pédagogue,
1981, n°9, p. 17).

7
Les Etats Généraux de 1981 ont eu le mérite d’orienter la politique éducative vers
une Ecole nouvelle, nationale, démocratique, populaire et laïque intégrant les
réalités socioculturelles sans oublier la dimension religieuse, un aspect non
négligeable au Sénégal. Il convient ici de le souligner, encore dans beaucoup de
sociétés à travers le monde, le modèle et les structures religieux continuent de se
développer : le religieux fait partie intégrante de l’organisation sociale, voire même
politique. La religion garde toute sa légitimité dans la mesure où elle continue
d’informer et de justifier toutes les conduites. Elle reste donc fondamentalement
dans ces cas précis, « un mode de structuration de l'espace humain-social, une
manière d'être des sociétés ». Gauchet (2004, p. 250). Ce n’est plus le cas des
sociétés occidentales où un grand bouleversement marqué par des révoltes et des
révolutions a vu le jour à la fin du 18 ème siècle1. Dans la plupart des pays européens,
un passage de l’hétéronomie à l’autonomie religieuse s’est opéré. Cette refondation
de l’organisation sociétale occidentale a entraîné considérablement la modification
du statut de la religion. Ainsi, « la nouveauté de l'histoire occidentale moderne, c'est
l'apparition d'une société qui entreprend de s'organiser en dehors de cette
dépendance religieuse ». (Gauchet, 2004, p. 216). Certains domaines comme la
politique, l’art, l’éducation ou le droit ont pris leur autonomie progressivement par
rapport à elle. C’est la séparation des pouvoirs, la laïcisation de l’école, la
privatisation de la religion. (Baubérot, 1999, 2004). Le passage impose de nouveaux
processus à mettre en place par les penseurs sociaux et les décideurs politiques.
Les élèves sont considérés comme responsables de leur propre destin, sujets et
acteurs de leur propre vie. Les rapports sociaux impliquent de nouvelles exigences
qui pèsent sur les sujets. L'école comme institution de la modernité fonctionne par
arrangements. Vue comme doctrine de combat au départ, la question laïque est
interprétée comme neutralité religieuse et neutralité politique. Une distinction est
faite entre ce qui appartient à la sphère individuelle, intime et ce qui relève de la
sphère publique, commune.

1
Précisons cependant que même si les révoltes et révolutions de la fin du 18ème siècle ont été
déterminantes dans ce processus de « changement par rapport à la religion », celles-ci ont
commencé bien avant : avec la révolution religieuse (l’avènement du protestantisme) dès la première
moitié du 16ème siècle, les révolutions politiques du 17ème siècle et scientifiques… Cf. Gauchet (1998,
pp 42-43).

8
Contrairement à l’Occident, certaines sociétés africaines sont encore caractérisées
par une organisation sociale qui accorde une place importante à la religion.
L’Afrique Subsaharienne par exemple, composée de cultures et de sociétés
plurielles, est marquée par la complexité d’un environnement religieux.
L’importance grandissante des religions est un fait avéré ; les communautés et
associations religieuses sont actives dans les domaines de l’éducation, la santé,
l’économie, l’offre d’emploi, voire même la vie politique. Ce qui rejoint l’affirmation
de Mbembe (1988) : « le champ religieux représente en Afrique un horizon
inéliminable et donc incontournable dans l’analyse et la compréhension des
sociétés actuelles » (p. 18). D’après lui : « le religieux participe d’une dimension
constitutive de la vie. Il importe de le prendre autant au sérieux que les autres
déterminants qui structurent de manière ouverte la vie présente et future des
Africains » (p. 18). Pour le cas du Sénégal qui nous intéresse, Villalon (1995), à
travers son étude, est parvenu à la conclusion que les différentes confréries
musulmanes présentes dans le pays jouent un rôle de médiation entre l’Etat et la
société. En réalité, ce sont tous les guides religieux qui bénéficient d’une grande
notoriété, d’une influence considérable et qui détiennent un rôle social reconnu et
accepté. Les différentes communautés religieuses ont acquis une certaine légitimité
poussant les pouvoirs publics à nouer des liens et à entretenir avec elles des
rapports étroits dans le but d’atteindre la majorité de la population sénégalaise se
réclamant de leur appartenance. Ce qui, d’une certaine manière, semble justifier, à
partir de l’année scolaire 2002/2003, la prise de la décision d’introduire l’éducation
religieuse dans les programmes du cycle primaire de l’école publique, la mise en
place des écoles franco-arabes publiques et quelques années plus tard, le
lancement du projet de modernisation des "daara"2. Ces différentes innovations,
intervenues au lendemain de la Conférence Mondiale sur l’Education Pour Tous
(EPT) organisée à Jomtien en Thaïlande en 1990 et suite au Forum de Dakar en
2000, s’inscrivent également dans un désir d’atteindre l’objectif de la scolarisation
universelle au niveau du primaire soutenu par des organismes internationaux
comme la Banque Mondiale, Unesco, Unicef, le Programme des Nations Unies pour

2
Daara, (mot arabe, qui veut dire « maison », a été introduit dans la langue et l’ethnie wolof pour
signifier le lieu d’instruction et d’éducation islamique) désigne, au Sénégal, une forme d’école
coranique. Il sera toujours, dans cette thèse, employé au singulier, comme d’ailleurs dans tous les
documents officiels du ministère de l’Education National.

9
le développement… C’est dans ce sens qu’au début des années 2000, les autorités
étatiques ont orienté la politique éducative vers une éducation de base contrôlée à
travers la réorganisation du système éducatif. La scolarisation dans le long terme
des individus devient une priorité (UNESCO, 1990, 2000) dans l’espoir de les rendre
instruits, autonomes et de façonner en eux une identité citoyenne. Cette vision
politique conduit également l’Etat sénégalais à envisager l’institutionnalisation et
l’intégration des "daara" dans le système éducatif : projet ambitieux, complexe et
urgent. Ce contexte aux enjeux multiples et divergents ainsi que les différents
aspects de cette réforme constituent en définitive le cadre de la problématique de
notre recherche qui se fixe comme objet d’examiner les effets de la réforme de 2002
du système éducatif sénégalais. Comment est organisée concrètement l’éducation
religieuse dans les écoles publiques ? Où en est-on avec le projet de modernisation
des "daara" et avec l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles
publiques ?

Aussi, dans le fond, l’introduction de l’éducation religieuse dans le public a rallumé


le débat sur la laïcité, lancé depuis les débuts de la jeune république sénégalaise
et toujours d’actualité. En quoi cette ouverture de l’école à la religion interroge-t-elle
par rapport au caractère laïque de l’Etat sénégalais ? Quelles lectures et
interprétations de la laïcité permet-elle de dégager ? Autrement dit, quelles sont les
conséquences des effets de la réforme du système éducatif sur la laïcité au
Sénégal ? La remet – elle en question, ou bien en dessine – t – elle une autre
version ? Ce qui nous amène donc à revisiter le modèle de laïcité privilégié au
Sénégal et les autres représentations de ce principe d’organisation politique qui
s’affrontent dans l’espace public. Quelles sont les diverses configurations de la
laïcité qui se sont construites au pays de la "Téranga"3 et suivant les moments
historiques ? Enfin, quels aménagements ont été nécessaires dans le but de
préserver la paix sociale et de permettre le vivre ensemble ? Telles sont les
questions auxquelles notre thèse s’intéresse et tente d’explorer. Toutes ces
interrogations soulevées nous interpellent donc. Afin de dégager les différentes

3
Le pays de la "Téranga" est une appellation souvent donné au Sénégal à cause de son hospitalité
légendaire, à tel point que dans le domaine du tourisme, par exemple, il est fréquent de l’entendre
en parlant du Sénégal. D’ailleurs, l’équipe du Sénégal s’appelle officiellement : "les lions de la
Téranga".

10
visions de la laïcité sénégalaise, il importe de revenir sur l’historique des débats liés
au principe de laïcité. Depuis quelques années, les différents débats soulevés par
rapport à cette question replacent la laïcité au centre des problèmes contemporains
au Sénégal sur le plan social et scolaire, politique et juridique à un tel point qu’il
semble nécessaire, voire urgent, de s’interroger sur la conception que les
sénégalais ont de ce principe et sur sa pertinence dans cette société où la religion
a droit de cité. Est-elle pour autant en danger au Sénégal ? Est-ce que les rapports
entre politique et religion qui sous-tendent et justifient ces réformes entreprises, la
remettent en cause ?

Ainsi, la première partie de notre recherche est composée de quatre chapitres et


est intitulée cadre descriptif et état des lieux. Elle présente et décrit d’abord le
Sénégal, ensuite le système éducatif sénégalais, puis l’enseignement religieux et
les rapports entre le temporel et le spirituel pour mieux comprendre le contexte de
la recherche. La construction de la problématique constitue le quatrième et dernier
chapitre de cette première partie. Il présente les objectifs et les hypothèses. La
deuxième partie de la recherche, constituée de trois chapitres et dénommée : Cadre
théorique et méthodologique, est centrée sur la clarification et la conceptualisation
du principe de laïcité. Elle éclaire également sur la méthodologie utilisée. En effet,
afin de bien saisir l’articulation au Sénégal des principes fondamentaux
interdépendants de la laïcité, pour comprendre comment elle s’est construite et
définir les différents types de laïcité, notre étude a fait appel à l’analyse de discours,
l’étude documentaire et l’entretien semi-directif. Il s’agit à partir de l’étude des effets
de la réforme de 2002 de comprendre les différents aménagements constitutionnels
par rapport au principe de laïcité qui ont été réalisés. Enfin, la troisième partie,
articulée autour de deux grands chapitres et portant le titre de : Cadre d’analyse et
interprétation des résultats de la recherche, rend compte de ce à quoi la recherche
a permis d’aboutir à partir de la méthodologie utilisée. Elle constitue aussi le cadre
d'étude résumant ce travail de recherche qui a pour objectif de faire ressortir le
modèle et les diverses visions de la laïcité au Sénégal. Notre travail de thèse sera
clôturé par une conclusion générale présentant aussi les limites et les perspectives
de la recherche.

11
PREMIERE PARTIE :

CADRE DESCRIPTIF
-
ETAT DES LIEUX

12
INTRODUCTION 1

L’éducation vise l’émancipation de la personne dans toutes ses dimensions ;


qu’elles soient sociales, morales, intellectuelles, physiques, voire spirituelles.
Aujourd’hui, à côté de la famille et des diverses associations, l’école est considérée
comme un lieu d’instruction – dans ce sens où elle transmet des connaissances aux
élèves - et d’éducation. Elle a pour mission de former les élèves, de les rendre
autonomes et de façonner en eux une identité citoyenne. Dans ce cadre, toute
politique éducative oriente les finalités et les objectifs de l’école vers le
développement personnel d’une part et d’autre part, vers un développement
national en lien avec les aspirations de la société. Au Sénégal, la politique en
matière d’éducation est marquée par une série de réformes. Celle de 2002 du
système éducatif peut être perçue comme un désir de refonder l’école laïque
républicaine pour qu’elle réponde davantage aux besoins et aux réalités de la
société. Dans cette optique, la question de la laïcité trouve toute son importance à
travers les débats qu'elle suscite. Aussi, la situation géo-politico-religieuse très
complexe, qui accorde une première place dans les différents médias nationaux et
internationaux à des sujets en rapport à cette thématique, fait qu'aujourd'hui parler
de laïcité est très difficile car c’est une notion qui est entourée d'une très grande
sensibilité. Elle suscite donc méfiance et crispation. D'une société à l'autre, les
réalités qu'elle recouvre diffèrent et dépendent d'une multitude de facteurs
historiques, philosophiques, politiques et conjoncturels, mais également d'une réelle
volonté de tolérance et de coexistence pacifique à tous les niveaux et de la part de
tous les acteurs. Comment s’est instauré de façon juridique et politique le principe
de laïcité ? Quelles sont les différentes configurations laïques établies au Sénégal ?
Dans ce pays marqué par des rapports historiques entre le pouvoir temporel et
spirituel, où les communautés religieuses ont un poids considérable reconnu et
admis, où également l’expression du religieux au quotidien et ses manifestations
dans la sphère publique restent visibles, quelles sont les différentes options en
matière de laïcité ? Notre cadre descriptif présente donc le Sénégal et son système
éducatif, l’enseignement religieux au Sénégal, les rapports entre le temporel et le
spirituel. Il définit aussi la problématique de la recherche.

13
CHAPITRE 1
LA PRESENTATION GENERALE DU SENEGAL

Aussi longtemps que nous puissions remonter dans le temps jusqu’à la période
antique, nous trouvons toujours l’homme organisé socialement. Il pense, il change,
il évolue. Il entre en relation avec ses semblables selon ses convictions et son degré
d’ouverture. Pour certains aussi, la vie sociale est organisée en rapport avec les
croyances religieuses qu’elles soient en une religion révélée monothéiste, en une
religion polythéiste ou encore en une religion dite traditionnelle. Dans ce cas de
figure, sa conduite humaine cherche à s’orienter selon les Écritures saintes, le
dogme de foi, la doctrine, les pratiques et les rites de sa religion, la tradition reçue
de ses devanciers... Le spirituel influe sur lui et l’aide à s’organiser pour vivre en
harmonie avec les autres. Ces principes que l’homme se donne dirigent son action
et forment un système idéologique qui est variable selon les périodes, les types de
sociétés et les cultures. Le Sénégal ne déroge pas à cette règle. Situé en Afrique
occidental, il est souvent décrit comme un pays marqué à la fois par une diversité
ethnique et une pluralité religieuse. Cependant, « aucune corrélation ne peut être
établie entre les particularités ethniques et les options confessionnelles. » (Samb,
2005, p. 134). Cette diversité religieuse est vécue, non pas comme une difficulté,
mais une richesse. La religion occupe une place centrale dans la société
sénégalaise. Toutefois, dans ce pays, comment cohabitent les croyances
religieuses avec la laïcité de l’Etat ? Quels rapports existent-ils entre le pouvoir
politique et le pouvoir spirituel ? Ce premier chapitre de notre thèse présente le
Sénégal dans son ensemble et les rapports entre le temporel et le spirituel.

14
1- 1 PRESENTATION DU SENEGAL

Présenter le Sénégal revient à procéder à sa description d’une part physique et


d’autre part politique. La première partie localise le pays dans le monde, le situe
dans le continent, le décrit et explique le relief, le climat, le territoire, les saisons, le
réseau hydrographique, etc. La deuxième partie de cette présentation étudie les
groupements humains au niveau démographique, des mœurs et de l’organisation
de l’Etat.

1- 1- 1 La présentation physique du Sénégal

Positionné dans la zone intertropicale entre le pôle nord et l’équateur et compris


entre les 12ème et 16ème degrés de latitude nord et les 11ème 30 et le 17ème 32 degrés
de longitude ouest, le Sénégal est situé à l’extrême ouest du continent africain dans
la partie soudano-sahélienne de l’Afrique occidentale. Cette situation géographique
présente de nombreux avantages pour le pays. Grâce à sa façade maritime, il est
une porte ouverte pour les marchés européens et pour l’Amérique. Ses pays
limitrophes sont : la Mauritanie au nord, le Mali à l’est, la Guinée Conakry et la
Guinée Bissau au sud. La Gambie constitue une enclave de 10 300 km² le long du
fleuve du même nom. A l’ouest, le pays est bordé par l’océan Atlantique sur une
longueur de 700 km. Le Sénégal a une superficie de 196 722 km². Dans l’ensemble,
le territoire est dominé par un relief plat ; les altitudes dépassent rarement 200
mètres. Deux saisons caractérisent son climat : une saison sèche qui dure presque
neuf mois d’octobre à juin et une saison des pluies d’environ trois mois de juillet à
septembre. Les températures les plus élevées sont enregistrées à l’est du pays
dans la région de Tambacounda. Les volumes de précipitations les plus importantes
sont prélevés au sud, en Casamance. Cette région, naturelle, australe, est en effet
le domaine de la forêt guinéenne ; contrairement au centre-ouest et au nord qui sont
respectivement le domaine de la savane arborée et herbacée et de la steppe à
épines. Les principaux cours d’eaux qui forment le réseau hydrographique du pays
sont le fleuve Sénégal avec 1700 km de long, le fleuve Gambie d’une longueur de
750 km, le fleuve Casamance long de 300 km et le Sine et le Saloum qui sont de

15
véritables bras de mer salés. Le fleuve Sénégal constitue au nord-est du pays une
frontière naturelle entre ces pays limitrophes. Il représente aussi une zone de
contact et d’échanges économiques, culturels et donc religieux.

1- 1- 2 La présentation politique

La division administrative, l’organisation constitutionnelle, les données


démographiques, l’organisation sociale et religieuse, les religions révélées
constituent les différents points à aborder dans cette présentation politique.

1- 1- 2- 1 La division administrative

La République du Sénégal a connu beaucoup de réformes territoriales. Aujourd’hui,


l’organisation administrative, territoriale et locale du pays est fixée par le décret du
10 septembre 2008 qui détermine le ressort territorial et le chef-lieu de chaque
région et des départements et par la loi n° 2013 - 10 du 28 décembre 2013 portant
Code général des collectivités locales. L’ensemble du territoire est organisé en
circonscriptions administratives et en collectivités locales. Ainsi le Sénégal compte
cent quatre-vingt-deux (182) circonscriptions administratives – réparties en
quatorze (14) régions, quarante-cinq (45) départements et cent vingt-trois (123)
arrondissements – et cinq cent cinquante-sept (557) collectivités locales formées
par quarante-six (46) communes d’arrondissements, cent vingt-six (126) communes
de villes et trois cent quatre-vingt-cinq (385) communautés rurales. Les 14 régions
administratives sont : Dakar, Thiès, Saint-Louis, Matam, Louga, Diourbel, Kaolack,
Fatick, Kaffrine, Kédougou, Tambacounda, Kolda, Ziguinchor et Sédhiou.
Cependant, elles sont inégalement peuplées.

16
1- 1- 2- 2 L’organisation constitutionnelle

L’histoire de la nation sénégalaise est marquée par l’adoption de plusieurs


Constitutions qui structurent le système politique du pays. L’évolution de
l’organisation constitutionnelle au Sénégal est caractérisée par des actes de
continuité et des actes de ruptures. « Mais la trame de fond – d’après Madior Fall
(2009) – demeure la continuité corrigée par des innovations accompagnant
l’alternance des textes constitutionnels » (p. 11). De la période allant de 1959, veille
de l’indépendance du pays, jusqu’au début des années 2000, la loi fondamentale
de la République du Sénégal a été modifiée à plusieurs reprises.

Le Sénégal a adopté son premier document intitulé Constitution le 24 janvier 1959. La


première Constitution de la République du Sénégal est restée en vigueur jusqu’à
l’indépendance en 1960. A cette date, la loi n° 60 – 045 du 26 août 1960 portant révision de
la Constitution de la République constitue la deuxième Constitution en vigueur jusqu’en
décembre 1962. Après une transition politique de quelques mois, la loi n° 63 – 32 du 7 mars
1963 portant de la Constitution de la République inaugure une nouvelle ère constitutionnelle
qui prend fin le 22 janvier 2001, date de l’adoption de la Constitution actuellement en vigueur .

(Madir Fall, 2009, p. 11).

Il ne s’agit pas ici d’étudier l’histoire de l’évolution constitutionnelle du Sénégal, mais


de revisiter les options en matière de laïcité mises en place par les autorités
étatiques et les raisons de ces dernières. En effet au lendemain des indépendances,
le Sénégal cherche à se positionner comme un Etat moderne qui donne une place
importante aux différentes cultures et à toutes les religions pour s’enrichir de leurs
expériences. Senghor, élu président de la République, y contribue beaucoup avec
les valeurs de la Négritude qu'il développe (Senghor 1962 - 1963). Il milite et
s'engage pour l'émergence des valeurs négro-africaines à travers la Négritude qu'il
définit comme « l'ensemble des valeurs de civilisation du monde noir telles qu'elles
s'expriment dans la vie et dans les œuvres des Noirs. Ceci n’est qu’une volonté de
se réaliser soi-même et de s’épanouir. » (Senghor, 1977). Pour Senghor, au-delà
de ces valeurs culturelles qu'il prône, il est aussi essentiel d'arriver à bâtir une unité

17
nationale garantie par des principes comme la démocratie et la laïcité. Ces deux
principes mettent en avant les libertés individuelles et de conscience ainsi que
l’égalité entre tous les citoyens qui sont nécessaires pour l'émergence d'un État
laïque moderne. Ainsi dans le souci de préserver la liberté de conscience, les
libertés individuelles et l’égalité, mais surtout dans le but de maintenir et de garantir
la cohabitation harmonieuse entre les différentes communautés religieuses, la
laïcité a été bien inscrite dans la première loi fondamentale du Sénégal de 1959 qui
pose ses fondements idéologiques et juridiques. Ce que reconnaît d’ailleurs Ismaïla
Mador Fall : « Le Sénégal s’est ainsi doté de sa première Constitution. Bien que
rarement invoquée, cette Constitution pose les bases juridiques, idéologiques et
politiques de l’Etat sénégalais » (p. 20). En son article premier, elle stipule que « le
Sénégal est un État souverain, indivisible, laïque, démocratique et social ». Dans
cette optique, au lendemain de l’indépendance du pays, intervenue en 1960, les
autorités étatiques ont opté pour la constitutionnalisation du principe de laïcité. La
laïcité a été érigée comme la première valeur cardinale de la jeune République
sénégalaise qui a vu son organisation politique calquée sur le modèle français
marqué par la séparation des pouvoirs. Les différentes lois successives qui ont
permis d’aboutir à la séparation des pouvoirs entre l’Eglise et l’Etat en France, ont
servi de cadre pour la formation progressive du principe de laïcité qui s’est ensuite
imposé comme un mode d’organisation politique reposant sur quatre fondements.
Il s’agit de la séparation et de la neutralité de l’Etat, de la liberté de conscience et
de l’égalité entre tous les citoyens ainsi qu’entre toutes les religions. Dans le
Préambule de la Constitution sénégalaise, il est affirmé que « la construction
nationale repose sur la liberté individuelle et le respect de la personne humaine,
sources de créativité 4». A cet effet, l’Etat a la responsabilité de défendre l’égalité de
tous les individus devant la loi et de protéger les libertés individuelles, qu’elles soient
philosophiques, politiques ou religieuses. Ainsi, par la Constitution, la neutralité de
l’Etat, des services publics, des collectivités locales… par rapport à toutes les
religions est proclamée. Il veille à ce qu’aucun groupe religieux ou confrérique ne
domine ou n’impose une manière unique de penser ou de vivre. Dans un pays
laïque, l’autonomie de l’Etat par rapport au pouvoir religieux et une certaine
impartialité dans l’organisation politique vis-à-vis des différentes familles religieuses

4
Cf. Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001.

18
s’avèrent incontournables. Au Sénégal, la puissance politique ne déclare pas
publiquement et hautement une opinion religieuse au détriment d’une autre. Aussi,
par la neutralité, l’Etat s’impose une certaine forme de restriction dans le seul but
de respecter la liberté et l’égalité en matière de droits de tous les groupes
confessionnels et ainsi, permettre à chacun d’entre eux de s’exprimer. L’Etat est
donc neutre à l’égard de toutes les familles religieuses. « Toutefois, elle, [la
République sénégalaise], n’ignore pas le fait religieux. Au contraire, elle reconnaît
et valorise la réalité humaine du sentiment religieux » (Samb, 2005, p. 138). L’article
premier de la Constitution déclare que la République « respecte toutes les
croyances » (al. 1).

Aussi, dans la Constitution sénégalaise, il est clairement exprimé un attachement


sans faille à des valeurs fondamentales telles que le caractère sacré de la personne
humaine (article 6, al.1), la préservation de la liberté de la personne humaine (article
6, al. 4), l’égalité de tous les individus (article 7, al. 1), quelle que soit leur
appartenance religieuse, ethnique et raciale, la protection et l’éducation des enfants
et des jeunes, « la liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la
religion, sous réserve de l’ordre public, sont garanties à tous ». Par ces dispositions,
l’Etat du Sénégal s’engage résolument à poursuivre comme finalités la liberté de
conscience et l’égalité en droits de tous les individus et la non-discrimination en
instaurant le principe de laïcité. C’est la raison pour laquelle l’article 3 de la
Constitution interdit aux partis politiques de s’identifier « à une race, à une ethnie, à
un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une région » (al. 1).
Egalement, « tout acte de discrimination raciale, ethnique ou religieuse » (article 4)
et, « toute ségrégation dans le travail en raison des origines, des opinions et des
croyances » (article 10, al. 1) sont interdits. Aussi, « sur le plan législatif et
réglementaire, une série de dispositions particulières dans les domaines du Droit
social, du Droit de l’Education, du Droit pénal tendent à sauvegarder jalousement la
liberté de conscience et de culte » (Samb, 2005, p. 139) et, l’égalité entre tous les
citoyens. Cependant, dans le respect des principes de liberté de conscience et
d’égalité entre tous les individus, la réglementation sénégalaise prévoit des
dérogations. Par l’exemple, le Code de la famille au Sénégal, s’agissant du droit
des successions, offre la possibilité à des sénégalais de confession musulmane de

19
se voir appliquer le droit islamique (charia) d’une part s’ils en expriment oralement
ou par écrit, de leur vivant, le désir et d’autre part s’ils n’ont pas accompli des actes
incompatibles avec les principes liés à la dévolution successorale musulmane.
Malgré qu’il s’agisse d’un pays laïque, tout musulman a le choix entre le régime de
droit commun laïque et celui de droit successoral islamique. Pour Samb (2005) :

L’article 571 du Code de la famille, loin de violer la laïcité de l’Etat, montre, au contraire, que
le législateur est parfaitement conscient de l’impact de la sociologie religieuse au Sénégal,
et qu’il est désireux d’éviter tout glissement vers ce qu’on pourrait appeler un laïcisme militant
et doctrinaire. Cette disposition n’est d’ailleurs en aucun cas applicable à une personne
d’une autre confession ni à une personne sans confession. (p. 125).

Ce régime dérogatoire par rapport au droit commun laïque sénégalais en matière


de succession peut être vu comme un aménagement juridique et politique dans un
contexte typiquement sénégalais.

En définitive, avec la période postcoloniale au Sénégal, la laïcité est vue et


présentée comme un principe unificateur de la société marquée par une diversité
culturelle. C'est un idéal qui a toujours été considéré comme un facteur d'unité dans
la construction de la République sénégalaise. Pour garantir la paix et la coexistence
pacifique entre les citoyens, la laïcité a été constitutionnalisée par les autorités
étatiques. Le président Senghor y a joué un grand rôle en influençant le comité
chargé du projet constitutionnel. Dans ces premières années de souveraineté
nationale, ce fut là un test grandeur nature pour l'élite politique par rapport à
l'influence des guides religieux et à leur opposition à l’adoption de la première
Constitution du Sénégal.

1- 1- 2- 3 Les données démographiques

Les différentes statistiques disponibles en matière de démographie montrent que la


population du Sénégal a plus que doublé en 25 ans. En effet au recensement de
1988, celle-ci s’élevait à 6 896 000 d’habitants. Et en 2013, l’Agence Nationale de
la Statistique et de la Démographie (ANSD) a effectué un grand recensement,
dénommé Recensement Général de la Population et de l’Habitat, de l’Agriculture et

20
de l’Elevage (RGPHHAE 2013) ; selon le rapport définitif publié en 2014, la
population du Sénégal est estimée à 13 508 715 d’habitants. (ANSD, 2014, p. 61).
Cependant la densité moyenne est de 64 habitants / km². La population est donc
inégalement répartie sur le territoire national et est composée de plusieurs ethnies 5.
Les principales ethnies sont : "wolof" (43%), "al pular" (24%), "sérère" (15%),
"malinké" (5%), "diola" (4%), les minorités ethniques telles que : "bassari",
"cognagui", "mandjack", "mankagne" etc. (8%), européens et libanais (1%). La
population sénégalaise, d’après la direction de la statistique et des prévisions (DSP)
est composée de 95% de musulmans, 4% de chrétiens et 1% de religions
traditionnelles. La répartition de la population par religion montre ainsi que le
Sénégal est à majorité musulman. Les chrétiens et ceux qui pratiquent les religions
dites traditionnelles constituent des minorités. C’est une société très diversifiée dans
son ensemble, à la fois multiconfessionnelle et multiethnique. Les différentes
religions se retrouvent dans toutes les ethnies du pays même si certaines sont
islamisées quasiment à 100%. C’est le cas des wolofs6 et des toucouleurs7, aussi
appelés les "al pular". L’islam constitue donc la principale religion des sénégalais.
« Plus de 10 siècles de diffusion d’un islam qui, tout en restant ancré dans les
traditions sunnites les plus orthodoxes, emprunte ses traits caractéristiques aux
cultures locales. » (Gervasoni et Gueye, 2005). Si au Sénégal, l’islam confrérique
est monté rapidement en puissance, il semble que les raisons soient liées en partie
à la fois à la disparition des royaumes sénégambiens et à la conquête coloniale
française. En effet, force est de constater que l’avènement de la plupart des
confréries au Sénégal telles que la Tidiania, le Mouridisme, les layènnes…, situé au
19ème siècle, coïncide avec la chute des monarchies occasionnée par la conquête
coloniale. Le début de celle-ci est représenté au Sénégal par la fondation de la ville
de Dakar en 1857. D’autres événements comme la mise en place de l’Afrique
Occidental Française (AOF) en 1895 et le choix de Dakar en 1902 comme capitale
de l’AOF constituent des moments forts de la conquête coloniale au Sénégal. Face

5
Le nom de chaque ethnie correspond aussi à la langue parlée par les membres de celle-ci.
Cependant, l’ethnie "al pular" est un regroupement de plusieurs sous-groupes avec des variances
linguistiques. Dans l’ethnie "al pular", on retrouve les peuls et les toucouleurs.
6
Jones, 1980, souligne l’échec des tentatives portugaises d’implanter le christianisme en milieu
wolof au 16ème siècle (Cité par Samb, 2005, p. 134). Les wolofs représentent l’ethnie majoritaire,
devant les al pular et les sérères.
7
Au Sénégal, la pénétration de l’islam a commencé par le nord et l’est, deux parties du pays
occupées en général par l’ethnie al pular. D’après Bâ (1977, p. 16), Ils furent les premiers islamisés
en Afrique de l’Ouest dès le 11ème siècle.

21
à cette domination française et après l’échec de la résistance armée menée par les
royaumes précoloniaux, les confréries islamiques, sous la houlette de leur
fondateur, constituent pour les populations autochtones un moyen de lutte et de
résistance face aux autorités coloniales. L’influence qu’avaient les rois est passée
aux mains des marabouts porteurs du flambeau de ces confréries émergeantes.
Dès lors, elles ne cessent de gagner du terrain et proportionnellement, le pouvoir
religieux détenu par les guides religieux prend de plus en plus de l’importance.

1- 1- 3 L’organisation sociale et religieuse avant la colonisation

L’aspect multiculturel n’empêche pas également que par apport au sacré, beaucoup
de similitudes se retrouvent dans les différentes ethnies. La société sénégalaise est
marquée aujourd'hui par un très fort brassage ethnique, religieux et linguistique. Ce
n'était pas le cas il y a soixante-dix, voire cent ans en arrière. En effet, contrairement
à la division administrative actuelle, le Sénégal précolonial était organisé
administrativement en royaumes. Et chaque royaume était caractérisé par le fait
qu'il faisait référence à une ethnie bien déterminée. Ainsi, l'on retrouve dans les
royaumes du "Walo", du "Djolof" et sur la presqu'Île du Cap Vert, situés
respectivement au nord, au centre-est et à l'extrême ouest du pays, l'ethnie "lébou"
qui a donné naissance à l'ethnie "wolof" (les membres de cette ethnie sont les plus
nombreux en termes de représentativité). La deuxième ethnie sur le plan
représentatif est le "al pular" qui occupe le royaume du "Fouta Toro", au nord-est
du pays, le long du fleuve Sénégal. Les royaumes du centre-ouest du pays, c'est-
à-dire le "Cayor", le "Baol", le "Sine" et le "Saloum", qui correspondent
respectivement aux régions administratives de Thiès, Diourbel, Fatick et Kaolack,
constituant le "Bassin arachidier", sont le domaine de l'ethnie "séreer", la troisième
ethnie majoritaire. Au sud du pays, dans les royaumes de la "Casamance" se
retrouvent des ethnies minoritaires, telles que le "diola", le "sonincké", le
"malincké"... Et enfin, le sud-est, correspondant aux royaumes du "Boundou", est
occupé par d'autres ethnies minoritaires, à savoir : le "bassari", le "cognagui", etc.
Dans chaque royaume, l'organisation sociale était si bien hiérarchisée qu'il n’y avait
aucune difficulté majeure dans la transmission de la tradition d'une génération à

22
l'autre. Dans toutes ces micros sociétés traditionnelles sénégalaises, l'héritage
spirituel et culturel est transmis de génération en génération par le moyen des
contes, des mythes, des rites... Par la tradition orale, cet héritage est dévoilé dans
des lieux d'initiation comme les bois-sacrés, des foyers d'éducation traditionnelle,
des sanctuaires animistes... Les rites d'initiation comme rites de passage et les rites
de guérison rythmaient alors la vie sociale et spirituelle de ces différentes
microsociétés ethniques qui composent la société traditionnelle sénégalaise.

Ainsi, avant même l'arrivée des religions révélées, le Sénégal a toujours été en
contact avec le spirituel à travers des religions dites traditionnelles ou des croyances
animistes. Il faut noter que ce terme "animisme" apparaît depuis le 18 ème siècle dans
le vocabulaire français ; l'Église en a fait usage pour désigner toutes ces religions
surtout pratiquées en Afrique noire qui ne sont pas "révélées". Pour le Père Henri
Gravrand (1970), religieux membre de la congrégation du Saint-Esprit et
ethnologue : « l'animisme est une vision du monde en vertu de laquelle, on croit à
l'existence dans les êtres ou les forces de la nature, ainsi qu'à la présence d'esprits
capables d'intervention dans la vie des hommes » (p. 100). Dans la pensée de
l'homme noir, les ancêtres jouent le rôle de médiateur dans la relation avec l'Être
transcendant. "Les morts qui ne sont pas morts" comme le déclame l’écrivain-poète
sénégalais, Birago Diop. En général, le sacré et le profane se combinent d'une
manière inextricable dans la société traditionnelle sénégalaise et le spirituel a
toujours été au cœur de toutes les activités sociales. Ce constat a orienté surement
l’une des conclusions du Colloque du 2ème Festival Mondial des Arts Négro-Africains
tenu à Lagos en 1977 qui stipule que : « Les civilisations africaines sont des
civilisations spirituelles ». Cette affirmation trouve son sens dans chacune des
ethnies du Sénégal. L’héritage spirituel "séreer" (une des ethnies du pays) par
exemple, est riche de moments très forts d'initiations et de mythes qui conditionnent
sa pensée religieuse. Dans le royaume du "Sine", sur les rives de la vallée du Sine
(cours d'eau qui le traverse et est envahi par la mer à cause de la sécheresse), dès
la naissance, l'individu devait accomplir une série de rites. Il s'agit des "Rites du
premier jour", destinés à donner une terre, une appartenance ethnique au nouveau-
né; les "Rites du huitième jour", intégrant le bébé dans sa famille avec l'attribution
d'un prénom et du nom de famille (celui du père) et "des nombreux rites d’initiations

23
», qui durent toute la vie pour l'homme et la femme. A côté de ses rites, toujours
dans l'exemple de l'ethnie "séreer", il y a également des mythes qui sont perpétués
d'âge en âge pour faire revivre l'histoire des héros fondateurs de la lutte contre les
puissances du mal pour l'enracinement durable de la communauté sur les bords du
"Sine". Ce sont des pactes établis entre la Divinité et les hommes par l’intermédiaire
des ancêtres. Nous pensons au Mythe du "Pacte primordial dans la vallée du Sine"
(dans la région de Fatick) qui raconte l'histoire de Mendis Ndiaye, l'un des ancêtres
des "séreers", qui avait conclu un pacte avec "la Puissance transcendante" (et à
travers lui, c'est toute sa descendance). Ces mythes et rites qui existent dans toutes
les micros-sociétés sénégalaises, permettent de maintenir vivant l'héritage spirituel
même si cette spiritualité ne se limite pas seulement aux mythes et aux rites. Pour
le Révérend Père Henri Gravrand (1982), ethnologue qui a étudié et vécu à
l'intérieur de l’ethnie "séreer", les prières personnelles dans la vie quotidienne et les
sacrifices aux lieux de culte officiels étaient des moyens d'expression de cette
spiritualité. Bien avant l'arrivée donc des religions révélées, en l'occurrence, l'islam
et le christianisme, il existait de nombreuses formules de prières qui établissaient
un lien entre les hommes et la divinité et avaient des valeurs religieuses et
humanistes. D'après Gravrand H. (1982) : « Les sacrifices ont pour but de renforcer
le lien existant entre les entités spirituelles et les hommes, dans toutes les
circonstances de la vie. Les populations qui ont le mieux conservé leur héritage
spirituel sont celles qui possédaient un rituel sacrificiel très pratique et concernant
les personnes de toute condition ». ("Éthiopiques", n°31).

Aujourd’hui encore, la transmission de ces croyances traditionnelles est assurée


par chaque ethnie à travers des cérémonies ponctuelles qui marquent le passage
des étapes de la vie de l’individu et rythment les périodes importantes de l’année.
Ainsi dit, le sacré et la religion occupent toujours une place importante dans la cité.
L'éducation est pensée en rapport avec la religion ou plus exactement avec les
croyances et la vie sociétale. Aujourd’hui, ces trois entités, à savoir : l'éducation, la
religion et la société entretiennent donc des relations dans ce qu'on peut appeler le
"triangle culturel" où chacune essaie de se positionner par rapport aux deux autres.
Il est pratiquement difficile de penser la société ou même l'Éducation sans les
valeurs issues de la religion. Dans ce contexte, elle est un moteur puissant qui a
une influence et une place centrale dans la vie des sénégalais.

24
Cette réalité n'est pas propre au Sénégal. C'est un constat que l'on peut aussi faire
dans beaucoup de pays africains, surtout en Afrique noire. Et c'est dans ce sens
que Mbiti (1972) dans son étude soutenait que :

La religion est l'épine dorsale de la vie africaine et que l'athéisme est un non-sens dans
l'Afrique traditionnelle (...) Il [l'homme africain] n'a pas attendu les livres révélés pour acquérir
la conviction de l'existence d'une force, d'une puissance qui est source des existences et
motrice des actions et mouvements des Êtres. Par conséquent, il est donc normal qu'elle
soit la référence, le support de toutes les pratiques humaines. (p. 265).

1- 1- 4 Les religions révélées

La pénétration à des époques et dans des contextes différents de l'islam d'une part
et du christianisme de l'autre marque au Sénégal l’avènement des religions révélées
ou du Livre. L'islam est arrivé au Sénégal au 11ème siècle par le contact avec le
monde arabe. Quant au christianisme, il a fait son apparition dans le pays au 15 ème
siècle. Son implantation a coïncidé avec l’arrivée des premiers colons sur l’île de
Gorée. Dès lors c’était le début d’une concurrence entre ces deux religions pour
convertir les autochtones qui étaient adeptes des religions traditionnelles. Ce
passage des religions traditionnelles aux religions révélées s'est fait sans conflits
majeurs, même si, çà et là, il y a eu quelques mouvements de résistance et une
méfiance envers ces nouveaux cultes venus d'ailleurs. Mais, ce qui mérite d'être
souligné c'est que malgré cette conversion, les religions traditionnelles ont laissé
une marque indélébile dans la conscience des sénégalais. L'omniprésence de la
religion dans tous les domaines de vie reste vive. Aujourd'hui encore, malgré la crise
des valeurs, cela se vérifie ; les sénégalais attachent une grande importance aux
religions.

Ces constats majeurs ont poussé le professeur Moustapha Tamba (1995), à


s'interroger sur les représentations que les sénégalais se font de la religion et les
rapports entre l’islam et le christianisme, « deux religions étrangères qui se sont
implantées au Sénégal à des époques différentes. La première introduite par les
Berbères depuis le 11ème siècle est pratiquée par la majorité des sénégalais tandis

25
que la deuxième introduite au Sénégal par les missionnaires portugais et français à
partir de 15ème siècle, a acquis droit de cité même si elle compte aujourd’hui
beaucoup moins d’adeptes que la première. Le problème fondamental qui se pose
à ces religions étrangères est celui de leur convenance ou de leur adaptation à la
mentalité et au milieu sénégalais » (p. 29). Il diagnostique les influences réciproques
que chacune d’elles a sur l’autre. Il soutient, en effet que les sénégalais mêmes
expatriés, au même titre que beaucoup d’africains, gardaient un rapport particulier
avec le sacré. Pour Tamba (1995), en effet : « la religion a pénétré si intimement
tous les domaines de la vie qu’il n’est pas facile ni même parfois possible de l’isoler.
Si l’on prive le sénégalais de religion, on le prive de nourriture, donc de la vie » (p.
381). Ce qui signifie que la religion a une grande influence au Sénégal sur la
formation des mentalités. C'est un état de fait qui est remarquable dans la vie de
tous les jours, dans tous les domaines de la vie, que ce soit dans le champ politique,
économique, et même dans le champ de l’éducation. En un mot, cette influence se
fait ressentir dans tous les aspects du quotidien. Cette analyse de Tamba sur les
sénégalais expatriés rejoint les affirmations de Delafosse (1927) qui disait qu’« en
Afrique noire, aucune institution n'existe, que ce soit dans le domaine social ou dans
le domaine politique, juridique, voire même en matière économique qui ne repose
sur un concept religieux ou qui n'ait la religion pour pierre angulaire. Ces peuples
dont on a parfois nié qu'ils avaient une religion, sont en réalité les plus religieux de
la terre » (p. 60). Certes, replacé dans son contexte colonial, ce discours paraît
aujourd’hui dépassé. Mais une chose est sûre : sa teneur est toujours d'actualité. Il
faut encore compter avec la religion en Afrique. Cet état de fait ne serait-il pas une
des raisons qui ont poussé Eloi Messi Metogo (2013) à titrer son livre : "Dieu peut-
il mourir en Afrique ?"

A la fin du 19ème siècle, le constat est que la physionomie sur le plan religieux a
changé. L’islam devint la religion majoritaire des sénégalais. « Mais il s’agit d’un
islam qui, sans perdre sa substance originelle et ses dogmes fondamentaux, s’est
profondément africanisé 8 pour donner naissance à un syncrétisme». (Samb, 2005,
p.132). Certains auteurs comme Triminghan (1961) n’hésitent pas à soutenir la

8
L’islam s’est adapté en Afrique. Ne pouvant pas supprimer certaines pratiques ancestrales, comme
les gri-gris, il les a « islamisés ». Cf. Bâ (1962, p. 111). Egalement, ne pouvant pas s’attaquer au
culte des ancêtres, l’islam l’a renforcé par le culte des saints.

26
thèse selon laquelle : « l’islam et les cultures africaines se sont influencés
réciproquement. En se répandant parmi les africains, l’islam s’adapte à leur
conception de la vie et à leurs coutumes, puis à son tour, modifie ces dernières »
(Cité par Samb, 2005, p. 133). Ainsi, d’un islam dit "de cours royal", l’islam est
devenu une religion de masse et de type confrérique.

L’islam s’est, au fil des siècles, affirmé en se massifiant et en se répandant dans la majeure
partie du pays. Et cette montée en puissance, l’islam la devait à l’action patiente, mais
déterminante, d’une catégorie sociale locale dont les membres, désignés du terme de
marabouts, devinrent, suivis en cela par leurs descendants, les spécialistes de
l’enseignement et de la diffusion de cette religion, non seulement au Sénégal, mais aussi
dans la quasi-totalité de l’Afrique soudano-sahélienne où, de nos jours encore, leur influence
demeure forte dans les divers domaines de la vie sociale. (Mané, 2012, p. 3)

En résumé, de par sa position stratégique, se trouvant dans une zone intermédiaire


d’une part, du nord au sud, entre ce vaste Sahara et la sous-région caractérisée par
le domaine des forêts denses, et d’autre part, de l’ouest à l’est, entre la côte
Atlantique et l’intérieur des terres du continent, le Sénégal présente de multiples
atouts et est considéré comme un pays riche en expérience religieuse, voire
culturelle. Aujourd’hui, avec une population9 composée de 95% de musulmans et
de 4% de chrétiens et 1% pratiquant les religions traditionnelles, il est un pays laïque
où cohabitent, sur une superficie d’environ 200 000 km², principalement ces deux
religions, l’islam et le christianisme, qui essaient d'instaurer un dialogue et en même
temps de marquer leur présence dans tous les domaines de la vie, l'école n'étant
donc pas exclue. Les différentes familles religieuses exercent une certaine influence
sur l’ensemble des structures sociales, économiques, voire même politiques.

9
Source : statistiques mondiales 2012.

27
1- 2 FAMILLES RELIGIEUSES AU SENEGAL

Le pouvoir spirituel ou religieux est détenu dans le pays par les guides religieux des
différentes religions pratiquées. Il s’agit principalement de la religion musulmane,
de la religion chrétienne et des religions traditionnelles encore existantes au
Sénégal. Chacune de ces religions est marquée par une forme spécifique
d’hiérarchisation qui fait qu’il y a au sommet un ou des chef(s) spirituels appelé(s)
guide(s) religieux.

1- 2- 1 Le christianisme et les guides religieux catholiques

La religion chrétienne10 s’est implantée au Sénégal dès le 15 ème siècle avec l’arrivée
des premiers colons européens. Suivant le mouvement de la colonisation, elle est
partie des zones côtières vers l’intérieur du pays en ciblant les "diolas" au sud, les
"sérères" au centre-ouest, deux ethnies où l’islam a eu du mal au début à gagner
du terrain à cause du poids des traditions, et un peu plus tard les minorités ethniques
du sud-est comme les "bassaris". La figure emblématique de l’Eglise catholique au
Sénégal reste incontestablement celle de l’Archevêque Cardinal Hyacinthe
Thiandoum, premier prêtre sénégalais à porter ce titre de cardinal. « Il symbolise à
lui seul la bonne entente entre musulmans et chrétiens au Sénégal ». (Boubacar
Kanté, cité par Fondation Konrad Adenauer, 2005, p. 31). Cette affirmation, sortie
de la bouche d’un musulman, témoigne de sa grandeur et du rôle qu’il n’a cessé de
jouer pour que vive le dialogue islamo-chrétien au Sénégal. Ordonné prêtre en 1949
par Monseigneur Lefebvre alors vicaire apostolique de Dakar, il est nommé à la tête
de l’Eglise du Sénégal le 20 mai 1962. Entre temps, dans les années 50, il a obtenu
un doctorat en théologie à l’université pontificale de Rome. Le 24 mai 1974, le Pape
Paul VI l’éleva au rang de cardinal. Le cardinal Hyacinthe Thiandoum a été aussi
membre du Conseil pontifical pour les communications sociales ainsi que de la

10
Au Sénégal, la religion chrétienne est principalement constituée de catholiques même si la
communauté évangélique d’action apostolique (CEVAA) s’est implantée progressivement dans le
pays et commence à être visible. Nombreux sont ceux qui ne font pas la distinction entre ces églises
et l’Eglise catholique. Cette confusion peut être due au fait que toutes ces églises protestantes,
luthériennes et réformées ont une présence beaucoup plus ressente que celle de l’Eglise catholique
dans le pays et du fait que, me semble-t-il, la hiérarchisation est moins marquée et moins visible
chez elles qu’elle l’est dans le catholicisme. Pour beaucoup de Sénégalais, la religion chrétienne
rime avec le catholicisme. Dans cette partie de notre thèse, il sera question que des guides religieux
catholiques.

28
Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.
En tant que président de la Conférence épiscopale de la sous-région ouest africaine
de pays d’expression française, par son charisme, il contribua à faire entendre la
voix de l’Eglise. Ses qualités humaines, celles de grand orateur et de fin
communicateur, lui permirent d’avoir une certaine notoriété à travers tout le pays.

Aujourd’hui, la présence chrétienne se fait sentir dans tout le pays malgré le fait
que la religion chrétienne soit minoritaire. Elle est enracinée et bien visible dans
chaque région du Sénégal à travers les cathédrales, les églises, les structures
socio-caritatives telles que les écoles de confessions chrétiennes, les hôpitaux, la
Caritas, la promotion des femmes, etc. En 2016, l’Eglise du Sénégal compte sept
diocèses11 que sont Dakar, Thiès, Saint Louis, Ziguinchor, Tambacounda, Kaolack
et Kolda. Ainsi, chaque diocèse est administré par un évêque nommé par le Pape
depuis Rome. L’ensemble de ces évêques – avec quelques autres des pays
limitrophes – sont constitués en une Conférence épiscopale, organe chargé, en
définitive, d’organiser la vie de l’église catholique dans cette partie de l’Afrique
subsaharienne de pays d’expression française. Chaque évêque est responsable
d’une commission épiscopale chargée d’un domaine bien précis. Il faut aussi noter
qu’à la démission du Cardinal Thiandoum, (parce qu’ayant atteint l’âge canonique
à cet effet), c’est l’évêque de Kaolack, Monseigneur Adrien Sarr qui lui succéda à la
tête de l’archidiocèse de Dakar de 2000 à 2014. Nommé à son tour cardinal par le
Pape Benoît XVI, il est vu comme le représentant légal de l’Eglise du Sénégal
devant, par exemple, les autorités politiques. Depuis 2014, Monseigneur Benjamin
Ndiaye est l’archevêque de l’archidiocèse de Dakar en remplacement de
Monseigneur cardinal Sarr, admis à faire valoir ses droits à la retraire. Monseigneur
Benjamin Ndiaye a été intronisé le 21 février 2015. Cette présentation a pour but de
montrer que ces guides religieux catholiques, (évêques et prêtres), malgré le fait
que la religion chrétienne soit minoritaire, par leur charisme et ce qu’ils représentent,
sont souvent consultés et écoutés. Ils ont une grande responsabilité au niveau de
la société sénégalaise.

11
Les sept Eglises diocésaines portent le nom des chefs-lieux de régions mais ne correspondent
pas forcément à la division administrative territoriale. Par exemple, le diocèse de Dakar regroupe les
régions administratives de Dakar, de Fatick et même une partie de la région de Thiès.

29
1- 2- 2 Les religions traditionnelles et les chefs coutumiers

Il n’est pas rare d’entendre, sur fond de plaisanterie, que la population sénégalaise
est composée de 95% de musulmans et de 5% de chrétiens mais aussi de 100%
d’animistes. Cette affirmation en dit long sur le rapport à la religion au Sénégal.
Avant l’arrivée de l’islam et du christianisme, existaient déjà les religions
traditionnelles ; aujourd’hui encore, certains sénégalais, même s’ils sont adeptes
des religions révélées, ont gardé au fond d’eux- mêmes quelques pratiques pouvant
être attribuées à celles-ci. A côté donc de ceux qui sont adeptes convaincus de ces
religions traditionnelles, il est fréquent, au Sénégal, de voir certains musulmans ou
catholiques, face à des difficultés relevant de la santé ou simplement de la
souffrance, se tourner vers celles-ci. Ce qui fait dire à Pisani 12 : « (…) voilà que
viennent de l’extérieur des systèmes de croyance, le musulman et le chrétien, qui,
loin d’exalter la vision héritée, prétendent se substituer à elle – (à la Cosmogonie
diola) – au risque de tout détruire. Sans jamais y parvenir pourtant car, aux heures
graves, le diola, oubliant l’acquis retrouve les pratiques et les lumières d’antan »
(cité par Diatta, dans Fondation Konrad Adenauer, 2005, p. 89). Ce qui est dit ici
pour l’ethnie "diola" est valable aussi pour les autres ethnies du pays. Par exemple,
dans les ethnies "wolof", "sérère", "bassari", "sonincké", etc., les religions dites
traditionnelles ont aussi survécu face à l’arrivée des religions du livre. Et dans
chacune d’entre elles, le statut de guide coutumier est reconnu. Chez les "diolas"
de la Casamance, il est même exalté. Le roi, dans la religion traditionnelle diola
représente l’autorité religieuse et morale en même temps. Il n’est pas choisi au
hasard. Il possède un pouvoir mystique qui fait qu’il joue le rôle d’intermédiaire entre
Dieu et les hommes. Le roi assure un rôle de protection à toute la population de la
forêt où il a érigé son palais. Cette forêt royale lui sert aussi de lieu de culte. D’après
un proche du roi d’Oussouye13, « la forêt est le plus grand lieu de culte. C’est là que
le roi reçoit les offrandes et les malades pour des soins, donne des bénédictions à
ceux qui le désirent. Seuls les initiés peuvent accéder à ce lieu sacré » (p. 131). La
renommée du roi fétiche, identifiable à cause de son accoutrement rouge tenant à

12
Pisani, dans préface de François Georges Barbier-Wiesser (1994), Comprendre la Casamance,
chronique d’une intégration contrastée, Karthala, Paris, p. 11.
13
Oussouye est un chef-lieu de département de la région sud, Ziguinchor. Il est à 70 de Ziguinchor.
C’est seulement dans cette partie du pays où on peut parler de forêt.

30
la main un balai mystique dépasse les frontières de la Casamance, cette région sud
du Sénégal frontalière de la Gambie, la Guinée Bissau et de la Guinée Conakry.

1- 2- 3 Les confréries et guides religieux musulmans

L’islam est introduit au Sénégal vers la fin du 10 ème et le début du 11ème siècle. La
pénétration s’est d’abord faite par le nord et l’est du pays. Aujourd’hui, il représente
la principale religion de la majorité des sénégalais. L’islam pratiqué au Sénégal est
un "islam soufi" ou "confrérique" 14. Le "soufisme" se définit comme étant la branche
de l’islam mystique et marquée par une certaine spiritualité élevée. Il se caractérise
par une quête de Dieu qui peut aller, pour l’adepte de cette forme d’islam, jusqu’à
qu’à se dissoudre dans son amour infini. « Le soufi est amoureux de Dieu (Haqq)
et pour prouver son amour, comme les amoureux figuratifs, il est continuellement
occupé par le souvenir de son Bien Aimé qui est Dieu.»15 (Cité par Girard, 2008 p.
4). Cette branche de l’islam est réputée comme donnant une importance capitale à
la théorie et aux dogmes, mais aussi à leur pratique. L’islam soufi est aussi marqué
par la récitation de la litanie des noms et qualificatifs de Dieu, des temps de
méditations jumelés aux prières, qui font parties des piliers de l’islam. La recherche
d’une certaine ascèse et du mystique pour atteindre un degré de spiritualité sous la
direction d’un maître le caractérise également. Ce maître qui, au Sénégal, prend le
titre de marabout16 met en place une voie soufie nommée confrérie. Dès lors chaque
marabout rassemble autour de lui des adeptes qui le suivent parce que se
retrouvant dans son enseignement et sa qualité de vie marquée par un certain
charisme et spiritualité à laquelle ils aspirent. Ainsi, l’islam sénégalais n’aura pas un
représentant mais un guide pour chaque confrérie. Les principales confréries sont
la "Tidiania"17, le "Mouridisme", la "Quaddria", la confrérie "Layène", etc.

14
Pendant la colonisation, s’est développé au Sénégal et dans le Soudan un islam militant, qui
cependant, petit à petit à laisser place à l’islam soufi, appelé aussi confrérique. Cf. Diop A., B.,
(1981), La société wolof. Les systèmes d’inégalités et de domination, Paris, Karthala), Magassouba
(1985), L’islam au Sénégal. Demain les Mollahs ? Paris, Karthala, 219 p.
15
Cette citation est tirée du site Web « le journal soufi » : http://www.journalsoufi.com.
16
Même si le terme peut renvoyer à plusieurs sens : guérisseur, charlatan, voyant africain, voire
sorcier, dans cette thèse, le marabout (ou serigne) désigne un guide religieux musulman, un iman,
un ascète ou un sage musulman qui jouit d’un prestige de sainteté et a des disciples. Dans les
confréries, le titre de marabout est hierarchisé et le grade le plus élévé est celui de khalife général.
17
La confrérie des "Niassène" fondée par Hadji Ibrahima Niasse et la confrérie crée par El Hadji
Omar Tall, sont considérées comme des branches de la "Tidiania".

31
1- 2- 3- 1 La confrérie "Tidiane" ou la "Tidiania"

La confrérie "Tidiania" a été fondée en Algérie à la fin du 18éme siècle par Ahmed
Tidjane18 à Ain-Mahdi. Il a été reconnu comme un maître spécialiste de la charia
après ses études coraniques. Sa doctrine est fondée sur le texte sacré (coran) et la
Sunna19. L’accent est aussi mis sur les cinq piliers de l’islam mais également sur un
ensemble de rituels. « Les acteurs principaux de ce cheminement, Cheick Maulaud
Val, un érudit maure et Abd Al Karim, un savant peul du Fouta Djallon, initièrent El
Hadji Omar au soufisme vers 1820 ». (Gassama Fatou20, cité dans Fondation
Konrad Adenauer, 2005, p. 31). La confrérie "Tidiania" est ensuite implantée dans
beaucoup de pays de l’Afrique Noire comme au Nigéria, au Ghana, au Niger, au
Tchad, en Mauritanie. Au Sénégal, « après El Hadji Omar Tall, plusieurs familles
représentèrent la tariqa, soit par une présence discrète, soit de façon visible. (…)
Mais deux familles émergèrent : il s’agit de la famille Niasse de Kaoloack et la famille
Sy de Tivaoune dont l’ancêtre, El Hadji Malick Sy, fut à l’origine de la vulgarisation
de la tariqa. » (pp. 31-32). Né en 1855, il est considéré comme le "père spirituel" de
la confrérie "Tidiania". Après sa formation coranique auprès de maîtres renommés,
il se rendit à la Mecque où il revint avec le titre de "Khalifa". Ses disciples viennent
de tous les coins pour profiter de son enseignement de qualité. Le fief de la
"Tidiania" au Sénégal, la ville de Tivaouane, dans la région de Thiès, est considérée
comme une "université populaire". Qualifié de "rassembleur", sa réputation était
telle qu’au sortir de cette formation, ses étudiants devenaient à leur tour des maîtres
et pouvaient ouvrir leur propre école coranique. Les "daara" typiques de la confrérie
se multiplièrent à travers le pays. En 1902, il instaura le "Maouloud" commémorant
la naissance du prophète appelé "Gamou" au Sénégal. A sa disparition en 1922,
son premier fils étant mort pendant la grande guerre, à Salonique, en Grèce, c’est
son second fils, El Hadji Babacar Sy, qui devint khalife de la confrérie jusqu’en 1957.
Le troisième fils d’El Hadji Malick Sy succèda à son frère mais son règne ne dura

18
Certains l’appellent aussi Muhammad Ibn Mukhtar Al Tidjani.
19
La sunna est liée à la tradition du Prophète. Elle peut être définie comme une voie ou un ensemble
de pratiques inspirées de la vie du prophète. Il s’agit de toutes les pratiques de ce dernier : les
paroles, les gestes, les caractéristiques de sa personne, tout ce qu’il a approuvé ou non. Toutes ces
pratiques ont été recueillies par les érudits dans ce qu’on appelle "hadith".
20
Cf. La thèse de doctorat de Fatou Gassama, soutenue à l’université de Lille 3 sur le thème :
« L’immigration sénégalaise en France de 1914 à 1993. Etude de l’implantation et du rôle des
confréries musulmanes sénégalaises ».

32
que trois jours. Les portes du "Khalifa" s’ouvrirent alors au quatrième fils du père
spirituel de la "Tidiania", El hadji Abdoul Aziz Sy Dabakh. Il régna pendant quarante
ans jusqu’en 1997. Il marqua de son empreinte la confrérie et l’ensemble de la
population sénégalaise de tout bord. A partir de 1997, le khalife général est Serigne
Mansour Sy. D’autres familles de renommées internationales telles que la famille
de Abdoulaye Niasse (1840-1922) dans la région du Saloum, actuelle région de
Kaolack où il s’installa à partir de 1910, représentent aussi la confrérie "Tidiania". Il
étendit la religion musulmane dans cette partie du Sénégal. Grâce à lui, cette
branche de la confrérie "Tidiane", à savoir les "Niassène", est connue en dehors du
territoire sénégalais. « Son succès est dû à la vision moderniste de ce dernier – (de
Abdoulaye Niasse) – qui prôna une meilleure éducation des femmes, la création
d’écoles et la généralisation de l’instruction qu’elle soit scientifique ou initiatique ».
(Gassama Fatou, cité dans Fondation Konrad Adenauer, 2005, p. 32).

1- 2- 3- 2 La confrérie Mouride21 de Cheikh Ahmadou Bamba

Le "Mouridisme" est le nom donné à la doctrine fondée au Sénégal par Mouhamad


ben Mouhamad ben Habîballâh (1853 – 1927), plus connu sous l’appellation de
Cheikh Ahmadou Bamba, ou de Serigne Touba (qui signifie le marabout de la ville
de Touba22), encore de Khadîm - Rasûli - (a) llâhi23. Il est né à Mbacké, une localité
qui porte le nom de sa famille du fait qu’elle a été fondée par son grand-père ; elle
est située dans l’actuelle région de Diourbel, au centre du pays. La famille Mbacké
est connue pour son goût très élevé de la prière et la « haute culture et l’orthodoxie
stricte dans l’assimilation des valeurs culturelles islamiques. »24 Elle, la famille
Mbacké, a fait de cette localité un lieu réputé pour sa spiritualité. Le père de Cheikh
Ahmadou Bamba, Mouhammad Mbacké, appelé Momar Anta Saly Mbacké, fut un
maître coranique qui enseignait le texte sacré ainsi que les sciences religieuses.
Pour toutes ces raisons, la famille Mbacké bénéficiait d’une certaine notoriété
jumelée à une influence particulière dans le domaine spirituel. Après avoir appris le

21
Mûrîd, en arabe, signifie : "disciple – postulant à l’initiation mystique".
22
Cheikh Ahmadou Bamba, d’après la tradition, a choisi cet endroit comme le lieu de son ermitage :
il y était attiré par un grand arbre où il effectuait ses médiations, situé sur un plateau où est construite
aujourd’hui la grande coupole de l’actuelle mosquée de Touba ; ce nom en arabe signifie "Bonheur".
23
Serviteur de l’envoyé de Dieu.
24
Source : HizbutTarqiyyah. http://www.htcom.sn.

33
coran et s’être perfectionné dans le domaine spirituel, Cheikh Ahmadou Bamba
s’installa auprès de son père en tant qu’enseignant. Par ses écrits, il excella dans
l’art de rendre beaucoup plus accessibles les textes religieux. Il a écrit de nombreux
livres sur les rituels essentiels de l’islam et sur la méditation. Il fut attiré par la vie
mystique et ascétique. Très tôt, il mit sur pied un cheminement spirituel pour aider
ses disciples à trouver le salut. A cet effet, il l’annonce en ces termes :

Ce n’est point une confrérie que j’ai fondée. J’ai plutôt trouvé que la voie qu’avaient
scrupuleusement suivie le prophète et ses compagnons était presque entièrement flétrie. Je
l’ai défrichée le plus proprement et rénovée dans toute son originalité et j’ai adressé ensuite
la vocation qui suit : "Tout pèlerin qui désire partir peut venir. Voici la voie réhabilité". 25

Par cette proclamation, le "Mouridisme" venait d’être fondé. Ces affirmations


expliquent que pour les "mourides" – les aspirants – ce cheminement proposé par
Cheikh Ahmadou Bamba n’est pas considéré comme une confrérie mais "l’islam
réhabilité". Pour eux, « c’est clairement un ensemble de pratiques cultuelles et des
règles de conduites basées sur l’amour et l’imitation du Prophète (PSL) et dont la
finalité est le perfectionnement spirituel ». (Cité par Abidou Mbaye, dans Fondation
Konrad Adenauer, 2005, p. 23). Ses enseignements avaient un tel succès que sa
renommée se répandit dans tout le pays, voire même en dehors. Les foules, de tous
les horizons, accouraient vers lui à tel point que pour les colons français, il
représenta une menace pour leur politique. Dès lors, c’était le début d’une longue
lutte entre Cheikh Ahmadou Bamba et les autorités coloniales. Il appela ses
disciples à résister de manière pacifique sans armes en montrant un
désintéressement par rapport à la politique et au pouvoir colonial et en suivant un
cheminement spirituel. Ce qui lui valut l’exil forcé au Gabon pendant 7 ans. A son
retour en 1902, il fut encore exilé en Mauritanie en 1903. « En 1910, les autorités
françaises décidèrent finalement de collaborer avec lui sur la culture d’arachide et
son mouvement pris alors une ampleur sans cesse grandissante au Sénégal et en
Gambie. Les français acceptèrent notamment la construction de la grande mosquée
de Touba où il est inhumé… » (Girard, 2008, p. 8) en juillet 1927. Pour ses nombreux
disciples à travers le monde, il est considéré comme un Saint Martyr. Aujourd’hui,

25
Ces paroles attribuées au Cheikh, sont citées par Abidou Mbaye, "le Mouridisme ou l’islam
réhabilité", dans Fondation Konrad Adenauer, 2005, p. 23.

34
la confrérie "Mouride" est l’une des deux seules confréries véritablement
autochtones si l’on considère le fait qu’elle soit fondée par un sénégalais. Le fief du
"Mouridisme" est la ville de Touba, ville considérée "Sainte" par les disciples du
Cheikh. A Touba, se trouve la plus grande mosquée d’Afrique au sud du Sahara. Si
le "Mouridisme" est connu à travers le monde, c’est aussi grâce, en effet, au
pèlerinage organisé dans cette ville de Touba chaque année et qui draine des
milliers de personnes. Il commémore le départ à l’exil de Cheikh Ahmadou Bamba
en 1895 au Gabon. Le rayonnement du "Mouridisme" est également lié à
l’importance accordée au travail qui fait que, économiquement, il est bien implanté
dans le pays, en Afrique, dans les grandes villes européennes et aux Etats-Unis. La
participation au développement économique du Sénégal n’est plus à démontrer.
Sous ce rapport, le "Mouridisme" représente aussi une force religieuse, sociale,
économique, voire même politique. Le principe de la soumission – appelé "Jébbëlu"
en langue "wolof"26 - permet à tous les disciples de contribuer au développement
économique de la confrérie. Cette importance de la soumission dans l’islam
réhabilité par Cheikh Ahmadou Bamba est aussi soulignée par Coulon (1981): « (…)
Jébbëlu, mot wolof dérivé d’un verbe signifiant : se livrer, se rendre, s’offrir, se
dévouer. Toute personne voulant devenir membre de la confrérie doit y procéder.
(…) A la mort du marabout le jébbëlu est rompu. Il doit être réitéré. En général, le
fidèle s’adresse à un parent du défunt, le plus souvent à son fils » (p. 82). Après la
mort de Cheikh Ahmadou Bamba, le "Khalifa" est assuré par ses fils et petits-fils.
Au total, huit (8) khalifes généraux se sont succédés à la tête de la confrérie :
Serigne Mouhadou Moustapha Mbacké, "le pionnier", (khalife de 1927 à 1945), El
Hadji Falilou Mbacké, "le politique", (de 1945 à 1968), Serigne Abdou Lahat
Mbacké, "le bâtisseur", (de 1968 à 1989), Serigne Abdoul Khadre Mbacké, "l’iman
des imams", (de 1989 à 1990), Serigne Saliou Mbacké, "le khalife-paysan", (de
1990 à 2007), Cheikh Mouhammadou Lamine Bara Mbacké, qui ouvre le Khalifa
aux petits-fils, (de 2007 à 2010), Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, (de 2010 à 2018)
et Serigne Mountakha Mbacké, l’actuel khalife général depuis janvier 2018. Chaque
khalife général a marqué de son empreinte la confrérie par son engagement et son
souci de continuer l’œuvre commencée par leur père et grand-père, Serigne Touba.
Beaucoup d’entre eux aussi se sont évertués à renforcer les liens avec les autres

26
Langue parlée par les membres de l’ethnie qui porte le même nom, qui aujourd’hui sont les plus
nombreux en termes de représentativité. Aussi, le mouridisme est très marqué par la culture wolof.

35
confréries et religions présentes dans le pays. Comme guides religieux, « de la
deuxième confrérie en nombre de personnes, mais de loin la plus influente confrérie
soufie d’Afrique subsaharienne » (Girard, 2008, p. 7), ils détiennent un pouvoir non
négligeable dans la société sénégalaise.

1- 2- 3- 3 La confrérie "Layène"27

Fondée par Libasse Thiaw, appelé Limamou laye, c’est-à-dire, l’imam choisi par
Dieu, la confrérie "Layène" est la deuxième seule confrérie qui a une origine
sénégalaise. Il serait né vers 1843 dans le village de Yoff, village de lébou (membre
de l’ethnie wolof), qui aujourd’hui est une commune de l’arrondissement de Dakar.
Les villages lébou, du fait qu’ils se situent tout près de l’océan Atlantique, sont
habités par des pêcheurs qui ont su garder leurs coutumes dans leur organisation
sociale. Comme Cheikh Ahmadou Bamba, Limamou Laye, surnommé le "Mahdi" ou
le "Bien guidé » suscita la méfiance du colonisateur. Ses rapports avec le pouvoir
colonial furent difficiles ; ce qui lui valut des représailles. Il se distingua par la qualité
de ses prêches et se définissait comme l’envoyé de Dieu. Ce qui explique peut-être
le fait que c’est la seule confrérie qui vénère Issa (Jésus). Il prônait dans ceux-ci
également l’égalité hommes et femmes par rapport à la prière. Pour ses disciples,
il n’est pas mort, mais a disparu mystérieusement. Cependant, l’événement central
de la confrérie "Layène" reste l’appel de Limamou Laye à ses disciples à le suivre.
Cet appel est commémoré chaque année par des milliers de personnes, de toutes
les catégories sociales confondues, venues se rassembler sur la place de Yoff et
vêtues de blanc. Limamou Laye invita ses disciples « à plus de sincérité et de pureté
dans les prières, et à continuer d’observer les rites musulmans d’ablutions, de
prières, de justice sociale, d’aumône, etc. » (Girard, 2008, p. 11). Après sa
disparition, c’est son fils Seydina Issa Rouhou Laye (de 1909 à 1949) qui lui succéda
et qui permit à la confrérie d’avoir des bases solides. Quatre autres l’ont suivi :
Seydina Madione Lahi (de 1949 à 1971), Seydina Issa Lahi II (de 1971 à 1987),
Mame Alassane Lahi (de 1987 à 2001) et l’actuel khalife du "Mahdi", Chérif
Abdoulahi et son porte-parole est Chérif Ousseynou Lahi, aîné des petits-fils,
considéré comme un guide exceptionnel. Les khalifes du "Mahdi" sont choisis selon

27
Cf. Le site de la communauté Layène : http://www.layene.sn.

36
le droit d’aînesse, selon leur intégrité morale et une droiture sans faille. Pour les
membres de la confrérie "Layène", les khalifes du "Mahdi" sont des modèles et des
exemples à suivre.

1- 2- 3- 4 La confrérie "Qadiriya"

La "Qadiriya" est une confrérie soufie fondée à Bagdad, en Irak, par Cheikh Moulay
Abd al Qadir al-Djilani vers 1160. A sa mort vers 1166, ses disciples répandirent
cette doctrine au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie. C’est du Maroc
principalement que la confrérie atteignit l’Afrique subsaharienne. Elle est arrivée au
Sénégal par la Mauritanie au 18 ème siècle grâce à des familles maures nomades
dont leur ancêtre remonte aux "Kounta" originaire de Tombouctou. « Les "Kounta"
sont une confédération, à la fois maraboutique et guerrière, très forte, très riche et
très ramifiée, dont on retrouve les fractions de l’Aïr à l’océan Atlantique (Hodh,
Sahel, Sahara, Mauritanie) ».28 La renommée des "Kounta", sur le plan spirituel,
dépasse les frontières subsahariennes. D’après Mbaye R., (2003), ce furent les
descendants des "Kounta" qui répandirent la confrérie "Qadiriya" au Sénégal où
actuellement, "Ndiassane", au nord-ouest du pays, dans la région de Thiès, et
"Ngourane", dans la région de Louga, constituent les deux principaux foyers
religieux. Fondée en 1883 par Cheikh Bou Mouhammed Kounta, Ndiassane,
capitale de la "Qadiriya", est un grand centre islamique reconnu. A sa mort en 1914,
se succédèrent à la tête de la confrérie, Cheikh Al Békaye (de 1914 à 1929), Cheikh
Sidy Lamine Kounta (de 1929 à 1975), Cheikh Mouhammed Kounta (de 1975 à
1977), Cheikh Sidy Yakhya Kounta (de 1977 à 1987). L’actuel khalife général de la
confrérie est Cheikh Bou Mouhammed Kounta. Aujourd’hui, l’influence de la
confrérie a beaucoup diminué malgré son ancienneté.

28
Bachir Kounta, cité dans Fondation Konrad Adenauer, 2005, p. 45.

37
1- 2- 3- 5 Le poids des confréries et des marabouts au Sénégal

Aujourd’hui au Sénégal, l’islam soufi est très présent. Il est actif à travers les
principales confréries qui le composent et différentes associations musulmanes qui
se développent dans la société et qui sont rattachées à celles-ci. La grande majorité
de ces musulmans sont liés, soit par adhésion simple, soit par soumission totale, à
un guide religieux ou marabout de l’une de ces confréries. Ce qui donne à celles-ci
un pouvoir et un rôle à la fois moral, spirituel et historique très important. Les
principales confréries les plus représentées sont, d’après les chiffres de la direction
de la statistique et des prévisions (DSP), la "Tidiania" 49%, le "Mouridisme" 33%, la
"Qadiriya" 7%, les "Layènes" 5% et les autres confréries 4%. (Dumont et Kanté,
2009). L’organisation interne de chaque confrérie fait apparaître à la tête de celle-
ci un Khalife général et tous les marabouts de cette confrérie lui font vœu
d’obéissance. Ce que soulignait déjà Coulon (2003). « La plupart des marabouts
sont issus des lignages fondateurs des grandes confréries ou branches
confrériques, puisque la fonction maraboutique et le charisme (baraka) qui lui est
associé se transmettent au sein de la famille. Tous les chefs religieux d’une même
confrérie sont théoriquement sous l’autorité d’un khalife général… » (p. 2). Ces
confréries constituent des « régulateurs sociaux mais aussi politiques, et leur rôle
dans la géopolitique interne du pays s’est accru depuis l’indépendance. » (p. 123).
La confrérie mouride « est de loin la plus importante et la plus influente confrérie
soufie d’Afrique subsaharienne. » (Girard, 2008, p. 7). Elle est économiquement et
politiquement très puissante dans le pays et sa force est visible dans tous les
secteurs de la société. Beaucoup de membres de la classe politique sénégalaise se
réclament de cette confrérie ; ce qui n’est pas à négliger dans les rapports entre
l’Etat et la confrérie.

Au Sénégal, pays à forte majorité musulmane, les confréries entretiennent un rapport


spécifique avec l’Etat. La confrérie des mourides, par son fonctionnement et son mode
d’organisation, vit, depuis sa création, dans un système d’échange de services avec les
autorités. Cette situation a été favorisée par l’attachement des populations aux marabouts,
qui détiennent un fort pouvoir de décision sur leurs fidèles. L’Etat du Sénégal s’est fondé en
les utilisant pour renforcer sa légitimité et, en retour, leur octroie des avantages.
(Gervasoni O. et Guèye C., dans Gomes-Perez, 2005, p. 621).

38
En définitive, le travail sur le pouvoir spirituel au Sénégal révèle l’existence de
plusieurs familles religieuses. Chacune d’entre-elles s’est construite une renommée
dans le temps et dans l’espace comme une sorte de legs reçu de son fondateur ou
pour d’autres de leurs devanciers. Cette logique permet de mieux comprendre le
rôle qu’elles ont joué et continuent à assurer dans la construction de l’identité
nationale sénégalaise. Cela est d’autant plus vrai quand il s’agit des différentes
confréries. Le "Jebbëlu" – soumission – à un guide religieux est fait dans certains
cas parce que ce dernier est de la lignée directe du fondateur. Même si chaque
guide religieux à son propre charisme, il s’inscrit dans la continuité de l’œuvre et du
message du "Père-fondateur" de la confrérie. Aujourd’hui donc, l’influence que les
guides religieux ont dans la société en générale et sur les autorités politiques, civiles
et militaires en particulier, trouve sa justification dans cette logique qui définit,
encadre et oriente les rapports entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel.

1- 2- 4 L'influence des chefs religieux au Sénégal

Les relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir politique ne datent pas


d’aujourd’hui. C’est une longue histoire qui lie ces deux pouvoirs. Depuis la période
coloniale, en passant par le temps des indépendances, jusqu’à l’époque
contemporaine, les guides religieux ont marqué de leur empreinte la vie politique
sénégalaise. Ce caractère, à la fois historique, mais aussi évolutif montre la
complexité des rapports entre le spirituel et le temporel au Sénégal. La place
réservée aux chefs religieux dans l’actualité nationale, qu’elle soit par les journaux,
la télévision ou la radio, révèle l’important de ces derniers. En quoi consiste leur
influence sur le pouvoir politique ? Quels rapports entretiennent-ils avec les
autorités étatiques ? Il nous semble pertinent de considérer quatre périodes
importantes dans les rapports entre ces deux pouvoirs, à savoir : pendant la
colonisation, les indépendances, la période des "ndiguël", et l’avènement de la
première alternance politique au Sénégal.

39
1- 2- 4- 1 Le pouvoir maraboutique pendant la colonisation

Pendant la conquête coloniale du Sénégal, les français ont d’abord adopté une
politique de méfiance vis-à-vis de la religion musulmane et des marabouts.
Rapidement, ils s’aperçurent que ces guides religieux, en particulier El Hadji Malick
Sy de la confrérie "Tidiania" et Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du "Mouridisme",
ne constituaient pas, en tant que tel, une menace contre leurs intérêts. « Ces deux
chefs n’ont en réalité jamais cherché à renverser le système établi par les colons,
mais plutôt (…) se sont appliqués à demeurer à part et à s’organiser en
microsociétés hors du pouvoir temporel tenu par les français. » (Girard, 2008, p.
12). Ainsi, leur influence sur la population s’accroît grâce à leur capacité de
mobilisation des foules. Le pouvoir colonial ne pouvant pas contrôler tous le
territoire sénégalais, les zones rurales étaient alors gérées par les marabouts
chargés d’organiser la vie sociale. Il faut rappeler que l'islam s’est implanté au
Sénégal bien avant l'arrivée du christianisme et donc du colonisateur. Il « a revêtu
un caractère politique puisqu’il s’est imposé comme le recours des populations à
l’acculturation occidentale » (Brossier 2004, p. 18). L'islam est ainsi devenu comme
une forme de résistance pacifique – et parfois armée – des populations sous la
houlette des guides religieux face à la conquête coloniale et au désir d'assimilation.
« L’islam devient dès lors synonyme de rempart pour la protection des valeurs
traditionnelles » (Idem.). Ainsi, face à la menace étrangère, les chefs religieux ont
consolidé leur autorité vis-à-vis des membres de leur communauté en appelant à la
révolte et à la résistance contre l'envahisseur. De plus, pendant la période coloniale,
en plus de leur mission de guides spirituels, les chefs religieux musulmans ont été
des "administrateurs de communautés". Dans ce contexte donc, il était très difficile
pour les colons de ne pas compter sur eux pour asseoir leur domination étant donné
que la colonisation allait de pair avec l'exploitation des richesses agricoles. Les
guides religieux ont été pendant longtemps donc des intermédiaires entre les
autorités coloniales et les autochtones dans les cantons et les villages pour
préserver leurs intérêts. Ils ont joué le rôle d'interlocuteurs auprès de leurs disciples.
Cette mission a été facilitée par la forte influence qu'ils ont eue sur ces derniers à
travers le "ndiggël" qui peut se traduire par une "recommandation religieuse"29. De

29
Devant une situation donnée ou un événement, les disciples attendent de leur guide religieux un

40
ce fait, leur autorité n'avait rien à voir avec celle des chefs indigènes. Ils avaient
beaucoup plus de mainmise sur leurs disciples que ces derniers et par conséquent,
étaient plus écoutés. Une situation d'ailleurs que les colonisateurs vont exploiter en
faisant de ces chefs religieux de véritables partenaires incontournables. Cette
autorité des guides religieux est même reconnue et légitimée par l'administration
coloniale française dans sa stratégie de conquête. Pour Diop M., C. et Diouf M.
(2003), « Les marabouts jouèrent le rôle d’auxiliaires en se présentant comme une
courroie de transmission des décisions des autorités coloniales » (p. 30). Aux yeux
des français, par moments, les marabouts se présentent comme des facilitateurs et
des relais auprès des paysans qui a leur tour aussi peuvent compter sur eux pour
une médiation devant ces mêmes autorités coloniales quand il s'agit d'obtenir des
délais de paiement ou des aides pour leurs semences. Il est clair que les chefs
religieux ont su jouer sur ces tableaux suivant leurs intérêts : tantôt ils ont été des
collaborateurs des autorités coloniales pour les aider à maintenir la paix et la
stabilité nécessaire dans le cadre de leur domination et de l'exploitation des
ressources du pays telles que la culture de l’arachide, tantôt ils se sont opposés à
la puissance coloniale pour refuser l'expansion territoriale et l'assimilation par la
diffusion de la culture française. En résumé l’influence que les guides religieux
musulmans exerçaient sur la population et les rapports qui les liaient aux autorités
coloniales peuvent se résumer dans cette affirmation de Coulon (1981). « Les
marabouts avaient la haute autorité sur la grande partie de la population et
jouissaient partout d’un grand prestige moral et social. Les autorités coloniales
quant à elles, dominaient l’appareil d’Etat. Les uns contrôlaient donc le centre, les
autres la périphérie. »

1- 2- 4- 2 L’influence des guides religieux après les indépendances

L’indépendance du Sénégal intervenue en 1960 n’a pas véritablement modifié,


contrairement ce qui était possible d’imaginer, les rapports entre le spirituel et le
temporel. Les relations entre les chefs religieux et l'élite sénégalaise qui a pris les
destinées du pays témoignent de cette réalité. L’influence du pouvoir religieux sur
le pouvoir politique, démontrée pendant la période coloniale, se confirme par le

éclairage et une orientation sous forme de prescription ou d'ordonnance...

41
soutien que les chefs religieux en particuliers musulmans apportent aux premiers
hommes politiques sénégalais. Ce soutien se concrétise le plus souvent à la veille
des élections. Il faut noter que c’était déjà le cas en 1914 avec le premier député
noir, Blaise Diagne, qui a eu le soutien du khalife général de la confrérie "Mouride".
Aussi, cette influence était frappante avec l'exemple de Léopold Sédar Senghor.
D'après Magassouba (1985), cette influence des marabouts encore présente ne
date pas d'aujourd'hui. Senghor de confession catholique qui, au début de son
entrée dans la scène politique, dans les années 1950, « perpétue la tradition
coloniale d’appui du politique sur ces médiateurs religieux, comme facteur de
pénétration de la société, ceux-ci étant respectés et suivis par la majorité de la
population paysanne. C’est grâce à cette alliance qu’il réussit à battre Lamine
Guèye en 1951, et devient le premier Président du Sénégal indépendant en 1960.
(Brossier 2004, p. 18). Il faut rappeler que lors des premières élections législatives
de 1951, Senghor et Lamine Guèye, « les deux adversaires et leurs formations vont
s'efforcer dès lors d'occuper le champ religieux qui n'avait jamais fait l'objet de
pareilles sollicitations, même de la part de l'administration coloniale. » (Magassouba
1985, p. 85). Il est vrai qu'au départ, le fait que Senghor soit un catholique était pour
lui un désavantage. Coulon (1976) note qu’il est « (...) présenté comme l'homme
d'Église, l'apôtre du cléricalisme » (p. 446). Mais face à lui, il y avait Lamine Guèye,
décrit comme un musulman non pratiquant qui utilise la religion pour arriver à ses
fins et « contrairement à toutes les prescriptions du coran, s'est marié devant l'État
Civil avec une femme catholique, qui a reconnu comme héritière une fille catholique
qu'il a adoptée, qui ne va jamais à la mosquée... » [Diop A., la condition humaine n°
74, cité par Magassouba (1985), p. 90]. Coulon (1976) ajoute, en effet, que si
Senghor est élu premier président de la République du Sénégal, c'est parce que
véritablement « d'abord il sut, beaucoup mieux que Lamine Guèye [...] se pencher
avec attention sur les problèmes ruraux auxquels les marabouts, en tant que grands
cultivateurs, étaient sensibles. » (p. 449). Magassouba (1985) parle d'esprit de
tolérance qui a toujours prévalu au Sénégal et de ce fait, épargne sa vie politique
marquée par l'influence des guides religieux de sauvageries que connaissent
certains États du Tiers-Monde dont ceux de l'Afrique. En réalité, le pouvoir politique
a souvent courtisé les guides religieux. À cause de leur influence donc sur les
adeptes de leur communauté religieuse ou plus précisément de leur confrérie, les
chefs religieux musulmans sont précieux pour les leaders politiques qui cherchent

42
à se faire bonne presse aux yeux de ces derniers. Si certains hommes politiques
vont jusqu'à leur donner des fonctions au sein de l'appareil gouvernemental, c'est
en réalité parce qu'ils ont un apport considérable pour eux. Léopold Sédar Senghor
avait des rapports privilégiés avec le troisième khalife général des mourides, Cheikh
Fallou Mbacké. Il avait fait de lui son allié et en contrepartie, il devait lui apporter
son aide à la construction de la grande mosquée de Touba, chef-lieu du
"Mouridisme". Même si Senghor a défendu une certaine distanciation entre l’Etat et
les différentes familles religieuses, force est de reconnaître qu’il entretenait des
relations étroites avec les guides religieux en général basées sur un système
d’échange de services. Ce qui fait dire à Gervasoni et Gueye (2005) : « l’Etat
sénégalais s’est fondé en les – (les marabouts) – utilisant pour renforcer sa
légitimité et, en retour, leur octroie des avantages » (p. 621, dans Gomez-Perez M.,
2005). Les marabouts, par le "ndiguël", apportaient leur soutien aux autorités
étatiques sénégalais. Ce soutien constitue l’une des raisons qui ont permis au parti
socialiste de rester au pouvoir de l’indépendance du pays jusqu’en 2000. Il faut
souligner également que l'intervention des responsables religieux concerne aussi
les responsables de l'église catholique même si cette intervention est souvent plus
discrète et ne consistait pas à un appel à voter pour tel ou tel autre candidat 30. Feu
Cardinal Hyacinthe Thiandoum a toujours été très écouté pour tout ce qui concerne
les problèmes que vivent les sénégalais au quotidien et son successeur, le Cardinal
Théodore Adrien Sarr, également intervient très fréquemment comme par exemple
pour ‘‘un apaisement des relations entre la presse et le pouvoir. Dans l’émission
"Grand jury" d'une radio privée, Le secrétaire général de la LD/MPT 31, le professeur
Abdoulaye Bathily, magnifiait l'initiative du Cardinal et son engagement à œuvrer
pour la réconciliation du pouvoir et de la presse au Sénégal. Dans la même lancée,
le professeur exprime son incompréhension face au silence des chefs musulmans.
D'après lui, « Comment l’on peut comprendre, face aux agressions de toutes sortes,
aux pillages de nos ressources par le pouvoir en place, que ceux qui dirigent le pays
au plan moral, ne réagissent pas. » (Cité par Sow Sidibé, 1991) . Ces propos
démontrent l'importance et la place des chefs religieux dans l'espace politique mais
révèlent que pendant les périodes de tensions politico-sociales, leurs réactions sont
accueillies et appréciées. Ils jouent également le rôle de médiateurs.

30
Mise à part, l’unique fois où, feu Cardinal Thiandoum a appelé à voter pour Moustapha Niass.
31
Parti politique sénégalais créé par le professeur Bathily.

43
1- 2- 4- 3 La période des "ndiguël" électoraux 32

La sécheresse qu’a connue le pays dans les années 1970 et la crise économique
qui en est suivie en 1973 ont eu des conséquences terribles sur la société
sénégalaise. Dans le domaine de l’agriculture, ce fut la fin de la monoculture
arachidière. Cette situation marque un tournant décisif dans les rapports entre
pouvoir politique et spirituel. Elle entraîne également beaucoup de difficultés dans
le monde rural. Les paysans connurent des périodes difficiles qui ont poussé la
population des zones rurales, en particulier la jeunesse, à l’exode. Ce fut alors la
ruée vers les grandes villes à la recherche de travail. Pour les marabouts
également, l’heure était venue de se tourner vers d’autres activités génératrices de
revenus. Et pour garder leur influence sur cette population rurale migrante vers les
villes, les marabouts vont proposer à leurs adeptes des solutions face à la crise.
« Pour cela, les confréries ont mis sur pied des cercles associatifs capables d’offrir
aux nouveaux arrivants en ville, souvent seuls, loin de leur famille, de leur ethnie et
de leur village, des réseaux de sociabilité, d’entraide et d’identité, tout en leur
donnant les moyens de maintenir un lien tangible avec le pays d’origine » (Girard
L., 2008, p. 15). Le secteur commercial devient ainsi pour ces marabouts un nouvel
espace qui leur permet de garder toute leur légitimité vis-à-vis de leurs disciples en
leur proposant des fonds de départ. Aujourd’hui, la plupart des centres commerciaux
appartiennent à des familles membres de ces confréries et en particulier de la
confrérie mouride. Il faut rappeler que le système mouride est basé sur la relation
marabout – "talibé" (disciple) et par conséquent, « … le marabout mouride est par
définition en droit de recevoir une partie du fruit du travail de son talibé : c’est même
ce qui marque en qualité d’intercesseur nécessaire entre Dieu et celui-ci » (Copans
J. 1971, p. 11).

Ce système de relation entre le marabout et son disciple très marqué dans la


confrérie mouride fait que celle-ci est la plus influente et économiquement la plus
puissante des confréries du Sénégal. Ce système qui perdure encore aujourd’hui
renforce le pouvoir maraboutique, son influence au sein de la population et fait de
lui un puissant acteur religieux, économique et politique. Avec l’arrivée au pouvoir

32
Le "Ndiguël" pendant les élections présidentielles consistait pour certains marabouts à donner des
consignes de vote à leurs disciples.

44
d’Abdou Diouf, le marabout comme acteur politique est officialisé. Les marabouts,
par le phénomène du "ndiguël", détiennent un pouvoir réel dans le jeu politique.
Depuis, en effet, les années 1980, le champ politique au Sénégal a fait l’expérience
de la force du "ndiguël". Ce dernier a permis au Président Abdou Diouf d’être réélu
lors des élections de 1988. Qui ne se rappelle pas au Sénégal de la célèbre phrase
de khalife général des mourides à la veille de ces élections présidentielles : « Celui
qui ne votera pas pour Abdou Diouf aura trahit Cheikh Ahmadou Bamba ». La suite
tout le monde la connaît : Abdou Diouf remporte les élections présidentielles même
si l’opposition estime qu’il y a eu des fraudes. Ce qui entraîne d’ailleurs des troubles
qui vont occasionner la mise en place de l’état d’urgence. Pour Magassouba
(1985) :

Le soutien des grands marabouts, notamment "tidjanes", "mourides" et khadres", au chef de


l’État vaudra à celui-ci de remporter largement les élections présidentielles avec 83,55 %
des voix contre seulement 14,6 % à son principal adversaire Me Abdoulaye Wade, qui criera
à la fraude. Si le parti du président, le P.S., fait moins bien que son leader - "seulement"
79,92% - aux législatives, c’est parce que, diront certains observateurs, les marabouts ne
s’étaient pas ouvertement prononcés pour les candidats du parti au pouvoir et n’avaient
donné aucune consigne de vote. (p. 146)

L’influence des guides religieux pendant les élections depuis la période


postcoloniale se concrétise et se renforce ainsi avec l’arrivée d’Abdou Diouf dans
les années 1980.

Cependant, il faut noter que vers la fin des années 1990, la force du "ndiguël"
commence à perdre pied dans le pays. Des chercheurs sénégalais se sont
intéressés au "ndiguël" et en ont fait un objet d’enquête. Monjib M. (1998) a analysé
le « comportement électoral, politique et socialisation confrérique au Sénégal » (p.
53). Il est parti d’une enquête menée en 1996 par le GERCOP dans la région de
Saint Louis. Le GERCOP signifie "Groupe d’Etudes et de Recherches
Constitutionnelles et Politiques. Il réunit des enseignants et des chercheurs de la
faculté des sciences politiques de l’université Gaston Berger de Saint-Louis du
Sénégal. Le GERCOP, sous la direction du doyen Babacar Kanté, a mené une
enquête dans la plus vaste région du Sénégal, Saint-Louis, « Il s’agissait, entre
autres, de déterminer le caractère décisif ou non des variables explicatives du vote,

45
telles que la catégorie sociale de l’électeur et son identification à un groupe religieux
ou ethnique. » (Monjib M., 1998, p. 54). L’enquête avait pour objectif d’examiner si
oui ou non des facteurs tels que la catégorie sociale et l’appartenance confrérique
ou ethnique avaient une influence sur le vote des électeurs. Plusieurs dizaines
d’enquêteurs se sont mobilisés à cet effet. L’échantillon choisi était composé de
3000 électeurs inscrits sur les listes et ayant effectivement participé aux élections
présidentielles et/ou législatives de 1993. Les données quantitatives recueillies en
août 1996 ont été complétées par d’autres provenant d’une enquête qualitative
effectuée pendant les élections municipales saint-louisiennes de 1996. L’auteur de
cette enquête a aussi utilisé le matériel de propagande des partis et coalitions en
liste lors des élections de 1993 et 1996 mais aussi les articles de presse. Cette
enquête a visé principalement les membres des confréries "Tidiane" et "Mouride"
qui sont les plus représentatives au niveau national et dans la région du Nord (Saint-
Louis). Aussi, le facteur ethnique a été pris en considération même si dans la région
de Saint-Louis, les tidianes sont en grande partie de l’ethnie al pular et les mourides
quant à eux sont de l’ethnie wolof. Pour étudier le comportement des électeurs en
tenant compte de leur appartenance confrérique et de certains facteurs culturels et
sociologiques, l’approche comparative a été choisie pour répondre aux questions
suivantes :

- Comment et dans quelles proportions le facteur confessionnel agit-il au niveau de l’institution


électorale ?
- Les motifs du choix électoral diffèrent-ils selon l’appartenance confrérique du citoyen et pour
quelles raisons ? quels seraient les soubassements de telles différences ?
- Quels sont les facteurs qui favorisent ou qui limitent l’impact électoral de cette variable ?
- Le talibé mouride ou tidjane se comporte-il, le jour du vote, en tant que citoyen ayant des
attaches politiques et partisanes précises ou, avant, en disciple respectueux des consignes
de son guide ? (Monjib M., 1988, p. 54).

Ces réponses issues de l’enquête ont permis, par exemple, concernant l’avis du
guide religieux comme facteur déterminant du vote, d’obtenir les tableaux
suivants33 :

33
Cf. Enquête menée en 1996 par le GERCOP dans la région de Saint Louis.

46
% par rapport à chaque variable
Origines Tidjane Mouride Halpular Wolof
1. Par affiliation confrérique
Oui et origine ethnique 26,4 41,6 22,8 34,4

% par rapport à chaque variable


Sans Primai Secon- Alphabé Alphabéti- Alphabé
instruc -re daire -tisation sation en -tisation
Niveaux -tion en arabe langues en
nationales français

2. Par niveau d’instruction


Oui et langue d’alphabétisation 29,4 24,2 12,7 30,1 19,9 17,9

% par rapport à chaque variable


Sans Petits Agricul- Artisans et Cadres et Elèves et
emploi entre- teurs et ouvriers professions étudiants
Catégories preneurs pêcheurs libérales

3. Par catégorie
Oui socioprofessionnelle 29,4 24,2 12,7 30,1 19,9 17,9

Considérant l’origine confrérique des électeurs, il semble que 41,6 % des mourides
interrogés affirment que l’avis de leur marabout a été déterminant lors de leur vote
aux élections présidentielles. Ce qui représente un pourcentage important. Par
contre, seulement, 26,4 % des membres de la confrérie "Tidjane" ont répondu par
l’affirmation à cette même question contre 73,6 %. D’après Monjib M. (1998), la
différence de comportement entre les électeurs tidianes et mourides s’explique
selon plusieurs critères. Le premier est « le caractère polyarchique du
fonctionnement de la confrérie tidjane 34 et la nature libérale de l’engagement du
disciple tidjane qui ne ressemble que de très loin à "l’embrigadement" militant du
talibé mouride. » (Monjib M., 1998, p. 54). En d’autres termes la fragmentation de
la confrérie "Tidjane", contrairement à la confrérie fondée par Ahmadou Bamba, fait
que le "ndiguël", même s’il y est pratiqué, a moins d’ampleur que dans le

34
« Pluralité et autonomie des familles et pluralité des centres de décisions au sein de chaque
famille » Idem. p. 55.

47
"Mouridisme". Aussi, ces deux confréries majoritaires dans le pays ont des
idéologies de fonctionnement différentes. Leur vision aussi du marabout n’est pas
la même. Chez les tidianes, le marabout, même s’il est un homme de grande piété,
peut se tromper. Le Père-Spirituel, El Hadji Malick écrira d’ailleurs en parlant des
marabouts que : « On dirait qu’ils n’ont pas lu le coran où Dieu proclame plus d’une
fois que seul Lui peut guider dans le droit chemin… ». Dans "Kifaya", cité par Mbaye
R.35 (1976, p. 380). Chez les mourides, Cheikh Ahmadou Bamba bénéficie d’un
immense prestige, mais aussi tous les khalifes généraux issus de la lignée directe
du fondateur. « La soumission de beaucoup de talibé mourides aux instructions et
au consignes, y compris électorales, de leur guide religieux trouve son explication
non seulement dans l’acte du "djebello" » mais dans la doctrine même ‘Ahmadou
Bamba. » Monjib M. (1998, p. 56). Dans ses poèmes mystiques, appelé "Khassaïd"
et chantés par les disciples mourides en longueur de journée, Cheikh Ahmadou
Bamba affirme :

« La vérité est dans l’amour pour son cheikh ;


Et partout, dans l’obéissance à ses instructions (…),
Il faut également renoncer à son libre-arbitre,
Car la pensée du cheikh est irréfutable » (Par Monjib M.,1998, p. 56).

Cette strophe résume toute l’idéologie du mouridisme et le système qui lie le disciple
à son marabout. « Les "Khassaïd" de Bamba forment, avec le Coran et la Sunna
prophétique, le corpus sacré de la voie mouride, d’où l’efficacité politique et
électorale de l’intervention des membres du clergé de cette confrérie. » (Monjib M.
(1998, p. 57). L’importance de ces "Khassaïd" est telle chez les mourides que lors
des élections municipales de 1996, les disciples de Cheikh Abdoulaye Dièye,
candidat et marabouts mourides, les utilisaient comme des slogans pendant la
campagne électorale. Un autre critère explicatif de cette différence de
comportement entre les membres des deux confréries est sans aucun doute le
développement du sentiment de communauté isolée chez les mourides, né depuis
la période coloniale marquée par une longue persécution du fondateur du
mouridisme par les autorités françaises. Le deuxième tableau montre que le

35
Dans sa thèse de troisième cycle, à la faculté des lettres de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

48
comportement de l’électeur qui appartient à une confrérie peut dépendre de son
niveau d’instruction de la langue d’alphabétisation. Les électeurs sans instruction et
ceux qui suivent un programme d’alphabétisation en langue arabe tiennent plus
compte de l’avis de leur marabout lors de ces élections. Il en est de même des
chômeurs et des petits entrepreneurs si l’on tient compte de la variable catégorie
socioprofessionnelle. Cela peut s’expliquer par la crise économique que connaît le
pays et qui renforce le système marabout-talibé qui rime avec « protection-
soumission ». Les "talibés" sans emploi « et les petits entrepreneurs (qui trouvent
souvent un emploi par le biais du réseau maraboutique), mourides et tidjanes
confondus, qui sont plus susceptibles de voter selon l’avis de leur guide religieux ».
Monjib M. (1998, p. 58). Leur espoir est fondé sur leur guide religieux qui leur
apporte ce soutien qu’ils n’obtiennent pas du côté de l’Etat. Saint Louis étant l’une
des régions où l’émigration économique est très développée, les marabouts
interviennent beaucoup pour aider leurs talibés qui veulent tenter l’aventure
européenne à obtenir des visas. Ce qui indéniablement, renforce l’influence des
marabouts auprès de cette population. D’après l’enquête menée par le GERCOP,
la catégorie sociale qui tient le moins compte du "ndiguël" ou des consignes de vote
des marabouts sont les élèves et étudiants. Cette catégorie « se distingue par un
niveau d’instruction supérieur à la moyenne de la masse des électeurs » (Idem., p.
28). 8,9 % seulement des enquêtés élèves et étudiants électeurs ont tenu compte
de l’avis de leur guide religieux. La catégorie socioprofessionnelle qui suit par
rapport à la faiblesse de ceux qui respectent les consignes de vote de leur guide
est celle des cadres et professions libérales. 12 % tiennent compte de l’avis de leur
marabout. « L’école36, en tant qu’instance de socialisation, demeure l’une des rares
institutions modernes qui échappent à l’emprise idéologico-politique de la société
maraboutique. » (Monjib M., 1998, pp. 58-59). Bien entendu, cette distanciation est
uniquement liée au phénomène des "ndiguël" électoraux car chez les fervents
"talibés", mourides comme tijianes, figurent beaucoup de jeunes – élèves et
étudiants – et des cadres libéraux.

36
Ici, il s’agit bien de l’école classique publique, de l’école officielle, l’école Républicaine…

49
En résumé, la vie politique au Sénégal est marquée, des indépendances à la fin des
années quatre-vingt-dix, par des "ndiguël" électoraux. Cependant, le dernier grand
"ndiguël" officiel remonte à 1988. Depuis cette date, la conjoncture économique et
sociale fait que les khalifes généraux des différentes confréries sont très prudents
par rapport aux consignes de vote. Ce sont désormais les "marabouts secondaires"
qui prononcent des "sous-ndiguël".

1- 2- 4- 4 Le pouvoir religieux et l’alternance politique

L’alternance politique intervenue en 2000 marque un changement dans les rapports


entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Malgré le "ndiguël" de certains
marabouts37, le parti démocratique Sénégal accède au pouvoir en mettant fin à
quarante années de règne du parti socialiste. Déjà, en 1983, après la réélection de
Abdou Diouf, les rapports entre Abdoulaye Wade, leader du parti démocratique
sénégalais et les chefs religieux étaient très tendus dans la mesure où ce dernier
pense que sa défaite est liée à l'implication de ces guides religieux.

Le leader du P.D.S., que l’attitude des marabouts gênait plus que tout autre dans la mesure
où il était le principal adversaire de Diouf, devait se montrer le plus féroce dans ses critiques
sans pour autant attaquer, bille en tête, les "maîtres" de Touba et Tivaouane. Il avait laissé
ce soin à certains de ses lieutenants qui conseillèrent aux chefs religieux du pays de
s’occuper davantage de leur peau de mouton et de leur chapelet que de politique.

Magassouba (1985, p.141).

Les relations tendues entre les guides religieux, surtout musulmans et Abdoulaye
Wade se concrétisent aux élections présidentielles de 1988 et dans les années
1990. Il faut rappeler que l'arrivée au pouvoir de Maître Abdoulaye Wade en 2000
s'est faite contre la volonté de certains chefs religieux qui ouvertement souhaitaient
la réélection du président sortant Abdou Diouf. Ce fut le cas Serigne Cheikh Tidiane
Sy Al Makhtoum appartenant à la confrérie "Tidiane" qui a choisi le jour de la plus
importante fête musulmane, l’Aïr El Kébîr pour exprimer son soutien au président
sortant. Une déclaration qui prend l’allure d’un acte officiel et qui est transmise à

37
Le khalife général des mourides choisit de ne pas donner de consignes de vote. Sa neutralité
explique-t-elle la nouvelle définition des rapports entre les autorités étatiques et le mouridisme au
lendemain de la victoire du parti démocratique, parti fortement "mouridisé"…

50
travers les ondes de la télévision nationale sénégalaise (RTS) toute la journée. Le
khalife général des mourides quant à lui décide de s’abstenir. Point de "ndiguël" du
représentant officiel ne proviendra de la capitale du "Mouridisme" lors de ces
élections présidentielles de 2000 même si certains marabouts mourides apportent
leur soutien à Abdou Diouf. Face à des critiques de plus en plus vives de la part de
certains membres de la société civile par rapport aux "ndiguël" des guides religieux,
et aussi face à la situation difficile que connaît le Sénégal sur tous les plans :
économique, social et politique, les principaux guides religieux commencent à avoir
du mal à donner des consignes de vote. « Les khalifes généraux s’abstiennent alors
de tout soutien clair au président Abdou Diouf afin d’éviter les critiques du peuple
sénégalais. En revanche, de nombreux petits marabouts se jetèrent tête baissée
dans l’arène politique essayant de retirer quelque avantage de ces élections. »
(Girard L., 2008, p. 18). A l’issue de ces élections, maître Abdoulaye Wade est élu
président de la République du Sénégal. Le fait de ne pas être soutenu officiellement
par certains guides religieux ne l'a pas empêché, dès son élection en 2000, de se
rendre à Touba (le fief de la confrérie mouride à laquelle se réclame le président
Wade) pour remercier son marabout38 pour ses prières qui lui ont permis d'accéder
au pouvoir. « Son appartenance à la confrérie des mourides lui confère un prestige
symbolique au sein des fidèles qui voient dans son accession au pouvoir, la
concrétisation de leurs aspirations politiques. » (Gervasoni O. et Gueye C., 2005,
p. 621). Ce que le nouveau président va souvent utiliser pour se maintenir au
pouvoir et assurer sa légitimité. Il n’hésitera pas à poser des actes forts pour
réaffirmer cette appartenance au mouridisme et par conséquent sa soumission
totale à son guide religieux malgré le fait qu’il soit président de la République. Il
semble que les rapports entre les deux pouvoirs évoluent et qu’une nouvelle donne
vient en définir les contours. « Le rapport entre Etat et confrérie oscille entre une
volonté de renforcement du pouvoir symbolique du président et des tentatives
mourides de récupérer la symbolique politique. » (Gervasoni O. et Gueye C., 2005,
p. 621). Cette stratégie qui se concrétise par de multiples actions et des liens très
étroits entre la présidence et le lieu-saint du mouridisme, la ville de Touba, entraîne
un certain malaise au niveau des autres confréries et les minorités religieuses non
musulmanes. Aux lendemains de la première alternance politique qu’a connue le

38
Le président n'a jamais caché son appartenance à la confrérie du "Mouridisme".

51
Sénégal, l’évolution des rapports entre le président et sa confrérie crée un malaise.
Malgré des tentatives de la part de la plus haute autorité de se tourner vers les
autres familles religieuses, les rapports restent tendus. D'après Brossier (2004), le
chef de l'État n'a pas entériné le projet de réforme du code de la famille 39. Dès lors
pour ce dernier, il était important de poser des actes pour regagner la confiance de
la majorité des électeurs. Le chef de l’État cherchait un rapprochement avec les
guides religieux et espérait compter sur leur collaboration.

1- 3 DIALOGUE INTERRELIGIEUX, UNE TRADITION AU SENEGAL

Les musulmans, les chrétiens ainsi que les membres des autres confessions vivent
en harmonie dans ce pays depuis plus de cinq (05) siècles. Le Sénégal est l’un des
pays en Afrique où il n’y a pas de guerre de religion.

Les Sénégalais de tous bords vivent dans une parfaite communion, ceci est visible par
exemple lors des fêtes religieuses auxquelles les fidèles des autres religions sont toujours
associés d’une manière ou d’une autre. Durant toute son histoire, le Sénégal a été un vivier
de personnes et de groupes qui ne cherchent qu’à réaliser, à vivre et à conserver cet esprit
de communion et de cohabitation harmonieuse et conviviale, cet esprit d’échange et
d’inspiration mutuelles. Cependant, le Sénégal n’est pas une île dans les mouvances du
temps, et il n’est pas exclu que certaines tendances néfastes, existantes sous d’autres cieux,
prennent pied au Sénégal. (Gehrold S., dans Fondation Konrad Adenauer 2009,

23-24 juin).

Le concept de « vivre ensemble » y est une réalité. Ces acquis sont le fruit d’un long
processus entamé par des associations et des personnes telles que les guides
religieux qui ont marqué l’histoire du pays dans la recherche de la paix et de la
stabilité sociale. Dans le contexte donc singulier du Sénégal, malgré les différences
et les diversités sur le plan social et religieux, plusieurs facteurs sont de nature à
favoriser le dialogue interreligieux et ainsi contribuer au maintien de la paix sociale
et au vivre ensemble. Ils ont contribué à l'instauration d'un dialogue interreligieux au
Sénégal, surtout entre les deux religions révélées, à savoir l'islam et le
christianisme. Parmi ces facteurs, il y a la parentalité, les références aux textes

39
Cf. Sous la direction de Tarik Dahou, in Sénégal 2000 – 2004 : l’alternance et ses contradictions.

52
saints, la responsabilité et l'engagement de l'élite, le rôle et l’apport des associations
et mouvements de jeunesse, etc.

1- 3- 1 La parentalité mixte

Le facteur naturel de dialogue entre les différentes religions au Sénégal est sans
doute la parentalité. Certaines familles sénégalaises sont constituées de
musulmans, de catholiques, voire même de membres de la religion traditionnelle.
Avec la pénétration de l’Islam au 11ème siècle et l’arrivée du christianisme au
15ème siècle (Tamba M., 1995), beaucoup de familles sont devenues mixtes. La
cohabitation religieuse, mais plus précisément la mixité au niveau de la religion de
ces familles constitue aujourd'hui une véritable chance pour le pays dans le cadre
de la prévention des conflits à caractère religieux. Ce constat est reconnu par S. E.
Monsieur Moustapha Cissé, Ancien ambassadeur dans les pays arabes. Pour lui,
au Sénégal, « nous vivons en tant que musulmans, en tant que chrétiens dans une
parfaite convivialité. Dans certaines familles sénégalaises, on retrouve aussi bien
des chrétiens que des musulmans »40. L'unité autour de la famille a autant
d’importance que l'appartenance religieuse ; ce qui entraîne de facto dans les
familles sénégalaises une coexistence pacifique ou une tolérance légitime. Cela se
vérifie de façon impressionnante pendant les cérémonies religieuses où les
différences sont tolérées et comprises. Ou encore, par le fait de l’existence de
cimetières mixtes pour musulmans et chrétiens dans certaines communes du
Sénégal comme à Ziguinchor, dans la région de la Casamance, au sud du Sénégal
et à Joal-Fadiouth, localité située sur la petite côte, à l’ouest. C'est une richesse qui
doit être à tout prix conservée et transmise aux générations à venir pour qu’il y ait
une harmonie au sein de la population malgré la différence ethnique, religieuse et
dans un sens beaucoup plus global, culturelle.

40
Propos recueillis par l'Agence de Presse Sénégalaise (A. P. S.) sur le site : http://aps.sn

53
1- 3- 2 Les références dans les textes sacrés

Il est possible à partir des différentes religions de trouver des références qui
appellent au dialogue, au respect de l’autre, à l'amour. Pour le Doyen de la Faculté
des Lettres et Sciences Humaines de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le
Professeur Saliou Ndiaye (2009) :

L’amour du prochain est érigé en règle d’or dans le code moral de toutes les religions. Le
christianisme (cf. Mt 7, 12) enseigne ceci : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent
pour vous, faites-le-vous-même pour eux ». Nous retrouvons les mêmes enseignements
dans les deux autres religions révélées que sont le Judaïsme et l’Islam, (…) dans le Talmud,
Shabbat 31a., proclame: « Ce qui est odieux pour toi, ne le fais pas à tes compagnons: telle
est la loi, tout le reste est un commentaire ». L’Islam nous apprend : « Aucun de vous n'est
un croyant s'il n'aime pas son frère comme lui-même ». L’Hindouisme professe, dans le
Mahabharata 5.15.17. « Ne fais pas aux autres ce qui te causerait de la douleur si cela t'était
fait ». Le Bouddhisme, dans l’Ulhasnagar 5,18, enseigne la même chose « Ne blesse pas
les autres d'une façon qui puisse se retourner contre toi ». Les Religions traditionnelles
africaines, elles aussi, ne sont pas en reste sur les autres. Jugez-en vous-même par ce que
dit ce proverbe rwandais « Ce que tu donnes (ou fais) aux autres, cela te sera donné (ou
fait) à toi. (Ndiaye S., dans Fondation Konrad Adenauer 2009, 23-24 juin).

Dans ces textes sacrés, les références qui mettent les religions en dialogue entre
elles ne manquent pas mais aussi il faut l'élargir vers « les différentes formes d’une
interprétation athée ou non religieuse de la personne humaine et de l’histoire,
confrontées aux mêmes questions de sens. L’exigence du dialogue interreligieux
dans son acception la plus large de rencontre entre sujets et communautés porteurs
de visions différentes est considérée aujourd’hui comme essentielle également par
les États et la société civile. » (CEC, 2013, p. 6). Dans leurs messages, les autorités
religieuses sénégalaises donc privilégient le dialogue entre leurs fidèles et les
adeptes des autres religions. Ils invitent ces derniers à vivre et à s'engager par
rapport à la paix, l’entente, le respect, la concorde et l’entre-aide. Il est aussi vrai
que dans ces textes saints existent des références qui, si elles sont mal
interprétées, marquent une différence nette ou peuvent séparer, voire diviser.

54
1- 3- 3 La responsabilité et l'engagement des élites

Au Sénégal, l'engagement des chefs religieux, qu'ils soient musulmans ou


chrétiens, est visible et remarqué concernant la recherche et la préservation d'une
paix durable. Ils ont montré la voie au politique et au reste de la population. Les
leaders religieux entretiennent de solides rapports entre eux. Souvent, ils se
réunissent pour réagir par rapport à telle ou telle autre situation. Le troisième Khalife
général de la confrérie "Tidiane", feu Abdoul Aziz Sy et feu Monseigneur Hyacinthe
Thiandoum sont les pionniers de cette amitié. C’est ce qui explique qu’entre la
famille Sy, famille maraboutique musulmane et l’Église Catholique, il y a toujours eu
un respect mutuel. Et que cette amitié se traduit par l’envoi d’une forte délégation
de part et d’autre lors des fêtes religieuses ou des événements importants tels que
le jubilé du Cardinal Hyacinthe Thiandoum ou la venue du pape Jean Paul II au
Sénégal. Aussi, la famille d’El Hadji Omar TALL, autre famille maraboutique très
influente au Sénégal, n’est pas en reste. Si au niveau des chefs religieux
musulmans et chrétiens, la réalité du dialogue et la volonté de le maintenir sont
souvent démontrées, du côté des politiques, l'engagement varie suivant les
hommes. Léopold Sédar Senghor, président du Sénégal de l'indépendance
jusqu'en 1980 a aussi mis en avant ce dialogue et collaboré avec les guides
religieux. Il – Senghor – « ne cessait de parlait et de magnifier le droit à la différence.
De confession catholique, il présida, de 1960 à 1980 aux destinés d’un Sénégal à
forte majorité musulmane. Il (…) Il était d’ailleurs soutenu par les chefs religieux
musulmans dans leurs diversités et singularités. » (Sidy Dieng, dans Dialogue
interreligieux V, 2013, p. 71). Certes au Sénégal, il y a une coexistence entre les
diverses religions et les nombreuses ethnies qui composent la société, mais la
question qui mérite d'être posée est comment se fait-il qu'avec une population de
95% de musulmans le premier Président élu de la République soit un chrétien
pendant vingt ans? N'est-ce pas là un signe d'une cohabitation ou d'une certaine
forme de tolérance ? Aussi, durant tout le temps qu'il est resté à la tête de l'État du
Sénégal, Léopold Sédar Senghor a eu comme meilleurs alliés les leaders religieux
musulmans. Il faut noter d'ailleurs qu'auparavant, le colonisateur avait aussi compris
l’influence de ces leaders avec lesquels il s'est tantôt allié tantôt opposé pour arriver
à installer sa domination.

55
1- 3- 4 L’engagement des partenaires et des associations

Dans la recherche de la paix et le maintien de la coexistence pacifique au Sénégal,


les associations, les mouvements de jeunesse, les ONG et les organismes
internationaux ont contribué et continuent de s'impliquer pour la préservation des
acquis et la recherche de solutions durables par une sensibilisation de la population
à travers des colloques, des financements de projets de développement, des
publications de revues, telles que : « LES CAHIERS DE L’ALTERNANCE », une
revue trimestrielle d’études et de réflexions sur des thèmes d’actualité ou sur les
préoccupations du continent africain. C’est un recueil d’articles de journalistes,
écrivains, chercheurs et universitaires… Cette revue est en partenariat avec la
fondation Konrad Adenauer et le centre d’Études des Sciences et Techniques de
l’Information. Son numéro 09 de décembre 2005 porte le titre de : "les religions au
Sénégal". La première partie intitulée : ISLAM ET CHRISTIANISME AU SENEGAL :
TRAJECTOIRES, ORGANISATION ET FIGURES EMBLEMATIQUES, présente les
différentes religions au Sénégal en insistant sur leur implantation, leur cohabitation,
leur évolution et leur contribution dans la société surtout dans le domaine éducatif.
Dans la deuxième partie intitulée : RELIGIONS, ETAT ET SOCIETES AU
SENEGAL : LAÏCITE ET DIALOGUE ISLAMO-CHRETIEN, sont développés des
thèmes tels que "les chefs religieux montrent la voie", "El Hadji Seydou Nourou
TALL, un précurseur du dialogue islamo-chrétien", "les sources du dialogue
chrétien", "le Coran et la Sunna, sources du dialogue", "le dialogue de la vie",
"chrétiens et musulmans en communion", "un dialogue au quotidien", "Chrétiens
dans le Fouta musulman, une cohabitation harmonieuse avec les autochtones
musulmans", "Ziguinchor (reportage), une symphonie religieuse harmonieuse", "Le
monastère de Keur Moussa, un exemple d’évangélisation et de
cohabitation", "L’école au service du dialogue interreligieux", "Familles mixtes
chrétiennes et musulmanes, le dialogue, un sacerdoce",… Autant d'articles qui, à
partir de simplement leur titre, aident à illustrer la réalité du dialogue interreligieux
au Sénégal. À travers la parution de dossiers sur le dialogue interreligieux et
l'organisation de colloque comme celui du 23-24 juin 2009, ces associations ou ces
fondations comme de la fondation Konrad Adenauer essaient de sensibiliser les
populations sur l'importance du dialogue. « Depuis quelques années, à la Fondation
Konrad Adenauer, un groupe de réflexion – le comité scientifique « Plaidoyer pour

56
le dialogue interreligieux" s’engage à promouvoir et à développer le dialogue
interreligieux au Sénégal et dans la sous-région. Pour l’édition 2013, ce comité
scientifique propose le thème "religion, éducation et citoyenneté", … organisé, les
5 et 6 novembre 2013… » (p. 3 du même document).

En définitive, le dialogue interreligieux s'est construit au Sénégal depuis longtemps.


Certaines conditions comme le lien de parenté, l'éclairage des textes sacrés,
l’engagement des leaders religieux et politiques et le rôle de la société civile
permettent de le pérenniser pour la coexistence des diversités ethniques et
culturelles. Le problème du Sénégal n’est donc pas de créer un cadre de dialogue
mais de maintenir ce qui existe, de le renforcer pour une meilleure connaissance
des religions et la découverte de l’originalité et des points positifs de chacune d’elles
mais aussi et surtout d’éduquer les générations à venir dans ce sens au moment
où, depuis quelques décennies, une véritable crise secoue le monde.

1- 4 CONCLUSION

Le Sénégal, pays multiconfessionnel et multiethnique, est un cas spécifique dans la


mesure où, historiquement, politiquement et religieusement, les rapports entre l’Etat
et les autorités spirituelles sont marqués de mouvements d’instabilité, d’ambigüité
et en même temps d’échange, de partenariat, d’utilité réciproque. Sous ce rapport
donc, il est difficile pour la politique d’ignorer la religion ou de ne pas compter sur
elle vue son importance et la place que lui accorde les sénégalais, et
réciproquement. En 1956, P., H. Simon défendait l'idée que :

Tant que des milliers de citoyens] restent attachés à un culte, demandent les bénédictions
du prêtre pour leurs morts et sa présence à leurs fêtes, l’État ne peut pas faire comme si la
religion n’existait pas ; le préfet ne peut pas tourner le dos à l’évêque, la commune ne peut
pas empêcher de sonner les cloches de Pâques, le président de la République ne peut pas
renoncer à l’usage de reconnaître le nonce du pape, comme doyen du corps diplomatique.
(Cité par A. Sow Sidibé 1991)

57
Pour l'auteur, ce constat s'applique aussi au Sénégal où la religion est très présente.
Et par conséquent, le processus de laïcisation implique ici de la part de l’État la prise
en compte des croyances et des convictions de chacun. En général, la relation entre
la religion et le politique s'oriente vers l’intérêt public de la nation. L'État
subventionne les constructions des lieux de cultes, apporte son soutien aux familles
religieuses lors des événements comme les pèlerinages annuels et salarie l'imam
de la Grande Mosquée. Le Professeur Makhtar Diouf (2000) soutient que l’État au
Sénégal est un « État qui entretient un rapport étroit avec toutes les communautés
religieuses, subventionne l’enseignement privé catholique, octroie salaire et
avantage en nature à l’Imam de la Grande Mosquée de Dakar, accorde son aide
financière à toutes les grandes manifestations religieuses et s’y fait représenter,
organise les pèlerinages en lieu saint, etc. » (cité par Brossier. M., 2004, p. 28).
Cet état de fait a été conclu grâce à un compromis entre les autorités étatiques
sénégalais et les guides religieux. Cependant, ce compromis n’enlève en rien
l’influence et la place qu’occupent les différentes religions, en particulier les
confréries musulmanes majoritaires, au Sénégal. Et comme le souligne Monjib M.,
(1998), « La mystique confrérique demeure, dans une société aussi peu sécularisée
que la sénégalaise, une instance rectrice de premier ordre ; d’où l’efficacité de
l’interventionnisme électoral du clergé maraboutique » (p. 61). L’Etat entretient donc
avec ces confréries des rapports qui leur confèrent une certaine légitimité. En
définitive, il n’y a donc pas de querelle de légitimité au Sénégal, ce qui est le fond
de la laïcité française. La religion au Sénégal est présentée comme un vecteur
d'orientation vers la socialisation que même l'affirmation d'une laïcité en tant que
principe d'organisation et de fonctionnement de la République ne saurait ignorer. La
religion et la spiritualité font partie et ont joué un rôle dans la construction des
sociétés africaines. À ce titre, d’après Mbembé (1988, pp. 18-19), le religieux doit
être pris au sérieux autant que :

Les autres déterminants qui structurent d’une manière ouverte le présent et futur des
africains. Il ne tient pas seulement de l’imaginaire religieux de métaphoriser les rapports de
force et de domination ou de sublimer les aspirations sociales dans des mythes ou des
thématisassions utopiques. De par son impact sur les changements historiques, le champ
religieux et symbolique d’une société mérite d’être analysé en considération de son exacte
importance dans la structuration de ladite société.

58
CHAPITRE 2
LE SYSTEME EDUCATIF SENEGALAIS

La grande variété des cultures et des sociétés entraîne indéniablement l’existence


de systèmes éducatifs divers. Cette différence est donc liée au type de pays et à la
politique éducative mise en place. Le système éducatif sénégalais, tout en
s'inspirant d'une théorie de l'éducation et ayant un héritage colonial, plonge ses
racines dans la vie sociale, impliquant des orientations politiques, idéologiques,
donc une finalité qui dirige l’action éducative. Pour mieux comprendre ce qui se joue
actuellement dans le système éducatif sénégalais et pour mieux situer le sens des
différentes réformes entreprises dans l’école publique sénégalaise par les autorités
et les décideurs de l’éducation au lendemain de l’alternance politique intervenue en
2000, revenir sur certains éléments de l’histoire de l’école au Sénégal avant,
pendant et après la colonisation, semble nécessaire. Ce chapitre n’a donc pas pour
vocation de s’appesantir sur les différentes structures et sur l’organisation du
système éducatif sénégalais en décrivant les différents cycles et niveaux
d’enseignement avec leurs objectifs respectifs. Il sera surtout question d’essayer
d’établir des liens historiques entre d’une part l’école publique au Sénégal et
l’enseignement religieux et d’autre part, de rassembler les différents éléments
importants de la vie de l’école sénégalaise qui ont conduit d’une certaine manière à
la réforme consistant à introduire l’éducation religieuse à l’école publique.

Ces deux objectifs, nous semble-t-il, impliquent également de se tourner vers le


système d’écoles coraniques communément appelées "daara" pour mieux
comprendre sous un autre angle les motivations qui ont poussé les autorités
étatiques à vouloir intégrer celles-ci dans le système éducatif formel et à
entreprendre leur modernisation, une stratégie de contrôle et de gestion. Il est
important de rappeler que l’apparition des "daara" s’est faite en même temps que
l’introduction de l’islam au Sénégal.

59
2- 1 ORGANISATION DU SYSTEME EDUCATIF SENEGALAIS

Le système éducatif sénégalais est composé de deux secteurs : le secteur formel


et le secteur non formel. Le secteur formel concerne plusieurs niveaux et types
d’enseignement. Le secteur non formel, quant à lui, comprend l’alphabétisation, les
écoles communautaires de base et les « écoles de 3ème type ». Ce dernier type
regroupe « les autres formes d’écoles hors normes, dont celles de la rue,
organisées par des organismes non-formels et non-standardisés et que le système
doit s’efforcer d’accompagner à défaut de les capturer »41. Il existe donc une
diversité de dispositifs d’enseignement et de formation dans le système éducatif
sénégalais qui, selon leur spécificité et leurs caractéristiques, permettent d’élaborer
une classification des écoles.

2- 1- 1 Les services et divisions du Ministère de l’Education Nationale

Le ministère de l’Education Nationale du Sénégal est constitué de deux grands


pôles dans son organisation. Il est composé d’une part d’un ensemble de Directions
dites "Directions traditionnelles" et d’autre part de divers services et divisions. Les
onze Directions traditionnelles sont la Direction de l’Enseignement préscolaire
(DEPS), la Direction de l’Enseignement Elémentaire (DEE), la Direction de
l’Enseignement Moyen Secondaire Général (DEMSG), la Direction de
l’Administration Générale et de l’Equipement (DAGE), la Direction de la Planification
et de la Réforme de l’Education (DPRE), la Direction des Equipements Scolaires
(DEQS), la Direction de la formation et de la Communication (DFC), la Direction des
Ressources Humaines (DRH), la Direction de l’Alphabétisation et des Langues
Nationales (DALN), la Direction des Examens et Concours (DEXCO), la Direction
de la Construction Scolaire (DCS). Différents services et Divisions sont rattachés
soit au Secrétariat soit au Cabinet du Ministre 42.

41
Cf. Le site du Ministère de l’Education : http://www.education.gouv.sn/formations/index.html.
42
Cf. Organigramme du Ministère de l’Education Nationale du Sénégal.

60
Les différents services rattachés à la Direction du Cabinet du Ministère sont :

 Inspection générale de l’Education nationale ;


 Inspection interne ;
 Inspections d’Académie ;
 Inspection des "daara" modernes ;
 Centre national d’Orientation scolaire et professionnelle ;
 Centre national de Documentation scientifique et technique.
 Unité de Coordination des Projets d’Education ;
 Division des Affaires juridiques, des Liaisons et de la Documentation ;
 Division de l’Enseignement privé ;
 Division de l’Enseignement arabe ;
 Division des Sports et des Activités de jeunesse ;
 Division du Contrôle médical scolaire ;
 Division de la Promotion des Technologies de l’Information et de la
Communication ;
 Division de la Radio – Télévision scolaire.

Cabinet du Secrétaire d’Etat à l’Alphabétisation et à la Promotion des


langues nationales

Secrétariat général et services rattachés :

 Cellule de passation des marchés publics ;


 Cellule des Etudes et de la Planification ;
 Bureau de la Communication et de la Documentation ;
 Bureau du Courrier commun.

Autres administrations :

 Institut national d’Etude et d’Action pour le Développement de l’Education


(INEADE) ;
 Secrétariat général permanent de la Commission nationale pour
l’UNESCO ;
 Ecoles de Formation d’Instituteurs (EFI) ;
 Institut national d’Education et de Formation des jeunes Aveugles
(INEFJA) ;

Etablissement public :

 Institut Islamique de Dakar.

61
2- 1- 2 L’organigramme du Ministère de l’Education Nationale 43

43
Cf. Le site du Ministère de l’Education Nationale du Sénégal : http://www.education.gouv.sn/

62
2- 2 DESCRIPTION DU CYCLE FONDAMENTAL DU SYSTEME EDUCATIF 44

Le système éducatif sénégalais est subdivisé en différents cycles principaux


d’enseignement. Il s’agit de l’éducation préscolaire, l’enseignement élémentaire,
l’enseignement moyen, l’enseignement secondaire général, l’enseignement
technique et la formation professionnelle et l’enseignement supérieur. La présente
description ne se limite qu’au cycle fondamental concerné par les différentes
innovations entreprises par le gouvernement. La structuration du système éducatif
a été réorganisée par la Loi d’Orientation N° 91-22 du 16 février 1991 en définissant:
« un cycle fondamental subdivisé en une éducation préscolaire et un enseignement
polyvalent unique, comprenant successivement un enseignement élémentaire et un
enseignement moyen, à l’issu duquel l’élève est muni des éléments essentiels pour
son adaptation ultérieure à la vie professionnelle. Il accède le cas échéant au cycle
secondaire et professionnel » (article 9).

2- 2- 1 L’éducation préscolaire

Le réseau des structures de prise en charge de la Petite Enfance au Sénégal est


composé des cases des tout-petits, des écoles maternelles, des garderies, des
classes préscolaires à l'élémentaire et des cases communautaires. Il accueille les
enfants jusqu’à 5 ans et est composé en général d’une petite section, d’une
moyenne section et d’une grande section. D’après le Rapport Nationale sur la
Situation de l’Education en 2015, la répartition des structures par type de la Petite
Enfance en 2015 est presque similaire à celle de 2014. Passé de 2823 à 2993
structures, soit une augmentation de 170 structures, ce réseau est constitué de
34,78% d’écoles maternelles, de 24,99% de garderies, de 22,55% de cases des
Tout-petits, de 9,89% de classes préscolaires à l’élémentaire et de 7,78% de cases
communautaires.

44
Les données et les tableaux qui ont permis de réaliser la description du système éducatif
proviennent du Rapport National sur la Situation de l’Education en 2015 ; ceux concernant l’année
2016 ont été ajoutés après et proviennent du Rapport de 2016.

63
Il faut noter qu’en 2016, le réseau a connu un accroissement de 5,3% ; de 2015 à
2016, il est passé de 2993 à 3152 structures. 153 écoles maternelles, 728 garderies,
677 cases des tout-petits, 337 classes préscolaires à l’élémentaire et 280 cases
communautaires ont été dénombrées.

Figure N°1 : Évolution des structures par type au niveau national entre 2014
et 2015
2014 2015 Évolution des
structures
Structures entre
Nombre % Nombre %
2013­2014

Case Communautaire 259 9,17% 233 7,78% ­10%

Case des Tout Petits 663 23,49% 675 22,55% 2%

Classe préscolaire à l'élémentaire 237 8,40% 296 9,89% 25%

Ecole Maternelle 962 34,08% 1041 34,78% 8%

Garderie 702 24,87% 748 24,99% 7%

Sénégal 2823 100,00% 2993 100,00% 6%


Source : RNSE 2015

Figure N°2 : Répartition des structures par type en 2015

Source : RNSE 2015

64
La carte scolaire du réseau du préscolaire montre une large concentration de ses
structures vers l’ouest du pays ; ce qui correspond aux zones où la densité de la
population est plus élevée.

Figure N°3 : Répartition des structures préscolaires à travers le Sénégal

Source : RNSE 2015

Par rapport à l’évolution des structures de prise en charge de la Petite Enfance


selon le statut, il faut noter que 44,90% du réseau préscolaire est représenté par
des établissements privés contre 55,1% pour le public. Entre donc 2007 où le privé
détenait 51,3% des structures de prise en charge de la Petite Enfance et 2015, il a
été noté une baisse de 6,4%. Plus de la moitié des structures du réseau de la Petite
Enfance sont gérés par les pouvoirs publics. Ce phénomène s’explique par la
politique éducative du Sénégal qui, ces dernières années, s’est beaucoup focalisée
sur l’accès aux structures d’éducation. Aussi, au niveau des effectifs d’élèves
fréquentant les structures préscolaires, une augmentation a été notée : de 78 812

65
enfants en 2005, on est passé à 208 520 à 2015. Un taux d’accroissement moyen
annuel de 10,22% a été enregistré au préscolaire.

Figure N°4 : Évolution de la part du Privé entre 2007 et 2015

Figure N°5 : Accroissement des effectifs entre 2005 et 2015

Source : RNSE 2015

Entre 2015 et 2016, un accroissement de 7,7% des effectifs du réseau des


structures de la Petite enfance a été noté. En 2016, 224 617 enfants fréquentaient
les établissements préscolaires.

66
2- 2- 2 L’enseignement élémentaire

L’enseignement élémentaire au Sénégal est structuré en trois étapes comprenant


chacune deux niveaux45. La demande potentielle d’éducation concernant l’enseignement
élémentaire est constituée par la population d’enfants âgés de 6 à 11 ans et était évaluée
à 2 231 483 enfants au dernier recensement général de la population, de l’habitat, de
l’agriculture et de l’élevage de 2013 (RGPHAE). Entre 2004 et 2015, le nombre d’écoles
fonctionnelles est passé de 6060 écoles à 9549, soit un accroissement global de 57,54%.
En 2015, 85,20% de ces écoles étaient publiques contre 14,80% non publiques. En 2016,
l’accroissement se poursuit et le nombre d’écoles fonctionnelles est passé à 9827. Entre
2015 et 2016, il a été noté une augmentation du nombre d’écoles élémentaires
fonctionnelles dans toutes les régions sauf celle de Kaolack où aucune nouvelle création
n’a été enregistrée.

Figure N°6 : Evolution du nombre d’écoles entre 2004 et 2015

Source : RNSE 2015

45
Etape I : niveau1- Cours d’Initiation (C.I), niveau 2- Cours Préparatoire (C.P) ; Etape II : niveau 1- Cours
élémentaire première année (C.E1), niveau 2- Cours élémentaire deuxième année (C.E2) ; Etape III : niveau
1- Cours Moyen première année (C.M1), niveau 2- Cours Moyen deuxième année (C.M2)

67
Cet accroissement général du nombre d’écoles élémentaires s’explique par l’adoption de
plusieurs stratégies visant l’accès à l’éducation en vue de réaliser la scolarisation
universelle en 2015. L’Etat du Sénégal a mis en place une politique de diversification de
l’offre éducative dans le but de satisfaire la demande des communautés. « C’est dans ce
sens qu’une attention particulière a été accordée aux structures dispensant, outre le
programme d’enseignement en français, un enseignement en arabe, voire religieux.
L’examen de la composition du réseau scolaire, entre 2003 et 2015, révèle des efforts
d’adaptation de la carte scolaire au contexte socioculturel. Cet effort se traduit
principalement par le développement des écoles franco-arabes publiques… » (RNSE
2015).

Le réseau d’Enseignement Elémentaire est constitué d’établissements publics et non


publics. Le public est composé des écoles publiques classiques représentant 96,00% des
structures en 2015 et des écoles publiques franco-arabes avec un taux faible de 4,00%.
Dans certaines Inspections Académiques (IA) comme celles de Dakar, Pikine-
Guédiawaye, Rufisque et Kédougou, ces écoles franco-arabes sont presque inexistantes.
En 2015, 14,78% des structures du réseau d’Enseignement Elémentaire sont
représentées par le non public réparties comme suit : Privé laïc (55,78%), Privé Franco-
arabe (30,19%), Privé catholique (9,92%), Communautaire/Associatif (2,69%) et Privé
Protestant (1,42%). La part du non privé représente 15,3% du réseau d’écoles
élémentaires en 2016, soit une légère hausse. Selon le Rapport National sur la Situation
de l’Education en 2016, les 9827 structures d’écoles élémentaires au Sénégal sont
réparties comme suit :

 Publique classique : 7976


 Privé laïc : 821
 Privé franco-arabe : 482
 Publique franco-arabe : 349
 Privé catholique : 140
 Associative : 26
 Privé protestant : 24
 Communautaire : 9

68
Figure N°7 : Répartition du nombre d’école selon le statut

Source : RNSE 2015

Les effectifs du réseau des structures d’Enseignement Elémentaire ont connu des
augmentations régulières entre 2005 et 2015. Les évolutions des effectifs scolaires les
plus importantes ont été notées au cours des années 2004, 2005, 2007 et 2014. « Cette
situation est due, en partie à une couverture plus exhaustive de la campagne statistique,
mais surtout au fait que la période 2003 et 2004 coïncident avec la première phase du
PDEF qui avait pour objectif l’élargissement de l’Accès. » (RNSE, 2015). Entre 2015 et
2016, les effectifs du réseau des structures d’enseignement élémentaire sont passés de
1 929 030 à 2 014 230, soit un accroissement de 4,4%.

Avec la politique de scolarisation des filles, il a été noté régulièrement, de 2004 à 2015,
une augmentation des effectifs concernant ce genre. A partir de 2008, ces effectifs ont
atteint la barre des 50% et depuis, ils n’ont cessé d’augmenter jusqu’en 2015 où ils ont
été estimés à 51,70% des effectifs scolaires du réseau des structures de l’Enseignement
Elémentaire. Cette augmentation se poursuit en 2016 : la part des filles représente 51,9%
de l’effectif scolaire total du réseau.

69
Figure N°8 : Évolution des effectifs scolaires entre 2004 et 2015

Source : RNSE 2015

Figure N°9 : Evolution de la part des filles dans les effectifs de 2004 à 2015

Source : RNSE 2015

70
Dans l’Enseignement élémentaire, l’intensité de la scolarisation est déterminée à partir du
Taux Brut de Scolarisation (TBS). Ce TBS est le résultat du rapport entre les effectifs
inscrits et la population en âge scolaire. Cet indicateur, calibré à partir de 2014 sur la
population d’élèves âgés de 6 – 11 ans pour le sous-cycle élémentaire, détermine la
capacité du système éducatif à accueillir les enfants scolarisables. Le constat est
cependant que d’une région à l’autre, il y a une disparité de scolarisation. Aussi, toujours
au niveau de l’Elémentaire, le TBS a baissé de 2,4 points entre 2014 et 2015 : Il est passé
de 86,80% à 84,40%. En 2016, le TBS a connu une légère hausse de 1,7%. Il est passé
à 86,10%. Cependant, une variance de ce taux brut de scolarisation selon le sexe a été
noté : les filles enregistrent un TBS de 92,1% contre 80,4% pour les garçons.

Cet important taux des filles qui au passage est supérieur à la moyenne nationale, peut
s’expliquer par la politique menée par les autorités étatiques en faveur de la scolarisation
des filles depuis plus d’une quinzaine d’années maintenant. Aussi, semble-t-il que la
baisse du TBS chez les garçons qui est plus accentuée dans les régions à faible taux
comme Kaffrine, Diourbel, Louga, Matam, Tambacounda et Kaolack pourrait être justifiée
par des facteurs socioculturels tels que la religion. Ces zones, très islamisées, restent
encore plus ou moins réfractaires au système classique malgré les évolutions notées au
niveau de l’accès. Aussi, dans ces zones, les écoles coraniques, communément appelées
"daara", trouvent encore auprès des populations une grande légitimité.

71
Figure N° 10 : Disparités régionales de scolarisation à l’élémentaire 2015

Source : RNSE 2015

2- 2- 3 L’enseignement Moyen

L’enseignement moyen au Sénégal est structuré en quatre niveaux : sixième (6 ème),


cinquième (5 ème), quatrième (4 ème) et troisième (3ème). La demande potentielle concernant
cet enseignement moyen est représentée par la tranche d’âge de la population globale
âgée de 12 à 15 ans. Pour l’année scolaire 2014-2015 cette dite population s’élevait à
1 301 057 dont 48,57% de sexe féminin. Cependant d’une région à l’autre, il a été noté
une disparité par rapport aux effectifs globaux : les régions de Dakar (246 219), de Thiès
(176 838) et de Diourbel (144 746) ont en effet enregistré les effectifs les plus élevés.

72
Figure N° 11 : Répartition de la demande potentielle en 2014

Régions 12 ans 13 ans 14 ans 15 ans 12-15 ans


Total Filles Total Filles Total Filles Total Filles Total Filles
Dakar 62533 51,02% 61634 51,23% 61088 51,34% 60964 51,47% 246219 51,26%
Diourbel 38178 49,53% 36760 49,79% 35486 50,06% 34322 50,34% 144746 49,92%
Fatick 20534 47,60% 19961 47,50% 19334 47,49% 18652 47,56% 78481 47,54%
Kaffrine 14768 48,26% 14021 48,23% 13393 48,29% 12861 48,44% 55043 48,30%
Kaolack 26521 47,44% 25754 47,42% 24964 47,49% 24148 47,66% 101387 47,50%
Kédougou 3773 48,00% 3638 47,83% 3520 47,70% 3417 47,64% 14348 47,80%
Kolda 18044 47,99% 17368 47,97% 16739 48,02% 16144 48,14% 68295 48,03%
Louga 23284 46,84% 22697 46,82% 22081 46,91% 21436 47,11% 89498 46,92%
Matam 15542 47,17% 15035 47,09% 14536 47,11% 14041 47,24% 59154 47,15%
Saint-Louis 12467 47,02% 12012 46,89% 11581 46,84% 11167 46,86% 47227 46,91%
Sédhiou 23675 48,32% 23094 48,34% 22494 48,40% 21879 48,49% 91142 48,38%
Tambacounda 18123 47,83% 17434 47,80% 16813 47,83% 16246 47,94% 68616 47,85%
Thiès 45727 47,93% 44757 47,93% 43723 47,98% 42631 48,08% 176838 47,98%
Ziguinchor 15231 46,78% 15179 46,60% 14984 46,48% 14669 46,42% 60063 46,57%
Sénégal 338400 48,47% 329344 48,51% 320736 48,59% 312577 48,73% 1301057 48,57%
Source : RNSE 2015

Par rapport au réseau d’établissements du Cycle Moyen, entre 2010 (1168


établissements) et 2015 (1860 établissements), il a été constaté une nette progression en
nombre. Une évolution en densité dans l’augmentation générale des écoles abritant un
premier cycle du Secondaire, soit un taux d’accroissement moyen annuel de 9,75% a été
notée en milieu rural avec un peu plus de 396 établissements, mais aussi dans les villes
avec 296 établissements supplémentaires. Cette évolution s’explique par la création de
plusieurs collèges de proximité dans le cadre du Programme Décennal de l’Education et
de la Formation. Elle se justifie aussi par le fait que dans certaines académies, comme
celles de Matam, Kaffrine, Kolda et Kédougou, toutes les écoles du sous-cycle moyen
abritant le premier cycle du secondaire sont des établissements publics en zone rurale.

73
Figure N°12 : Evolution du nombre d’établissements abritant le premier cycle du
Secondaire en 2015

Zone Rurale Urbaine Ensemble


Statut Privé Public Total Privé Public Total Privé Public Total
Année 2010 26 444 470 393 305 698 419 749 1168
Année 2011 76 495 571 385 417 802 461 912 1373
Année 2012 37 655 692 443 407 850 480 1062 1542
Année 2013 50 712 762 508 390 898 558 1102 1660
Année 2014 63 743 806 555 414 969 618 1157 1775
Année 2015 122 744 866 559 435 994 681 1179 1860
Ecart 2015- 2010 96 300 396 166 130 296 262 430 692
Source : RNSE 2015

Au Sénégal, le taux de transition CM2-Sixième est l’indicateur déterminant l’accès à


l’Enseignement moyen. Ce taux de transition est la proportion d’élèves de CM2 en fin de
sous-cycle élémentaire de l’année scolaire précédente qui arrivent en classe de sixième
dans les établissements d’enseignement moyen l’année suivante. Ce taux a connu une
nette progression entre les années scolaires 2003/2004 et 2013/2014. De 46,3%, il est
passé à 86,60%, soit un accroissement estimé à 40,3 % en une dizaine années et un
TAMA de 6,5%. Il faut également souligner que durant toute cette période le taux de
transition CM2-Sixième des garçons a toujours été supérieur à celui des filles. Aussi, a-t-
il été constatée une grande disparité au niveau des différentes académies.

Figure N°13 : Evolution du taux de transition CM2-6ème de 2003 à 2014

Source : RNSE 2015

74
Concernant les effectifs dans l’Enseignement Moyen, là encore, une évolution de 186138
à 531805 élèves a été notée entre 2000 et 2010. Ce qui représente un taux
d’accroissement moyen annuel de 11,1%. Cette augmentation dans les effectifs a atteint
en 2015 : 779 301 élèves, soit un TAMA de 7,94% en cinq ans. Elle s’explique d’une part
par le flux croissant des élèves en fin de CM2 arrivant en sixième et d’autre part par
l’accroissement du réseau d’établissements moyens du fait de l’augmentation de la
création de collèges de proximité à travers tout le pays et la multiplication des écoles
privées.

Figure N° 14 : Evolution de la part du Privé dans les effectifs inscrits au Moyen


de 2008 à 2015

Source : RNSE 2015

En définitive, l’organisation et la description du système éducatif révèlent des avancées


considérables en matière d’amélioration de l’accès et de la gestion de l’éducation ; il a été
noté dans l’ensemble d’après le rapport National du système éducatif de 2015 la
multiplication des structures du cycle fondamental, l’augmentation du taux brut de
scolarisation, la hausse des effectifs, etc. Ces acquis réalisés doivent permettre à l’école
sénégalaise, deuxième instance de socialisation après la maison familiale, de jouer
pleinement sa mission préparatoire à l’insertion sociale des jeunes. D’où la nécessité de
l’adapter aux réalités sociales du pays.

75
2- 3 ECOLE PUBLIQUE FORMELLE SENEGALAISE

Ce point relate l’aspect historique de l’école formelle sénégalaise pour mieux comprendre
et situer les différentes réformes en vigueur.

2- 3- 1 La distinction entre école formelle et école non-formelle

Dans le langage courant au Sénégal, le terme d’école "formelle" a comme synonymes


simplifiés, l’école "française" ou l’école "moderne". Toutes ces trois expressions renvoient
à l’école héritée de la colonisation (Charlier, 2004). Concernant le secteur formel, plusieurs
niveaux et types d’établissements d’enseignement le composent. Au Sénégal, l’éducation
formelle fait référence aux différents niveaux de l’organisation institutionnelle allant de la
maternelle à l’université. Il s’agit de l’éducation préscolaire, de l’enseignement
élémentaire, de l’enseignement moyen et secondaire général, de l’enseignement
technique et de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur. C’est
l’éducation organisée et régulée par l’Etat. A chaque niveau, il y a, à côté de
l’enseignement public, un enseignement privé (composé de l’Enseignement Catholique et
de l’Enseignement Privé Laïc). Le secteur formel se caractérise par des programmes
précis avec des objectifs bien définis et des systèmes d’évaluation explicites. Le secteur
non formel quant à lui comprend l’alphabétisation, les écoles communautaires de base et
les « écoles de 3ème type ». Ce secteur reste très diversifié et difficile à organiser en raison
de son caractère justement non formel. Cette dernière notion renvoie à des activités
éducatives qui sont organisées en dehors du système formel (Coombs et Al., 1973), qui
lui, est organisé entièrement par l’Etat, bien structuré et les programmes sont définis au
niveau du Ministère de l’Education Nationale qui organise les examens de fin d’études de
chaque cycle pour vérifier si les élèves ont maîtrisé les contenus d’enseignement. Le
secteur non formel inclut aussi la multitude de programmes basés sur le système de
volontariat. Il attire beaucoup d’adultes. Cependant, il peut aussi intéresser les jeunes et
les enfants dans certains domaines comme l’éducation religieuse, les leçons de musique
ou encore les cours de langue dispensés aux étrangers. En général, quatre critères
majeurs peuvent être déterminants et permettre ainsi de faire une distinction entre ces
notions : de "formelle" et "non formelle" : « L’existence d'institution nationale (système

76
scolaire et universitaire) ; l'existence de structures organisées (scolaires ou autres : ONG,
associations, périscolaire, sanitaires, populaires, professionnelles, etc.) ; l'identification
d'un public cible particulier (classe d'âge, population spécifique) ; l'objectif d'éducation
avec une intentionnalité lisible (connaissances attendues, programme, reconnaissance
des acquis) ». (Gasse, 2007).

2- 3- 2 L’école sénégalaise pendant la colonisation 46

Le système d'enseignement formel du Sénégal est né de l'école coloniale, école voulue


par le colonisateur pour répondre aux besoins de la Métropole. La naissance de
l'enseignement au Sénégal remonte donc au 7 mars 1817, date de la création de la
première école par Jean DARD à Saint-Louis après une décision prise en août 1816 par
le Ministre des Colonies d'entamer au Sénégal un enseignement selon la méthode « Bell
et Lancaster »47. L'école mutuelle de Jean Dard a essayé d'intégrer le wolof ou de
combiner le couple "wolof-français"48, mais rapidement, le français s'impose comme
langue d'enseignement. Ce choix se justifie par le fait que pour le général Charton, les
colonies d’Afrique Noire « n’ont pas, comme en Indochine ou en Algérie, une langue de
civilisation, inspiratrice de culture et d’éducation. L’Afrique Noire est un chaos linguistique.
» (Léon A., 1991, p. 277).

46
L’historique de l’école sénégalaise a été élaboré à partir des travaux Sall N (1996) et des archives des
pères spiritains, conservées dans leur maison provinciale à Dakar-Fann, Sénégal.
47
Gaucher, Joseph (1968). Les débuts de l'enseignement en Afrique Francophone. Jean Dard et l'école
mutuelle de Saint-Louis du Sénégal. Paris : Le Livre Africain 1968, cf. p. 8. D'après GAUCHER (p. 7) :
"l'enseignement mutuel, qui avait l'ambition de permettre à une école tout entière de s'instruire elle-même
sous la surveillance d'un seul maître, s'inscrit dans le courant pédagogique français dont il fut une étape et
qu'il a marqué d'une certaine empreinte. Ce procédé pédagogique est à vrai dire d'un usage fort ancien...
En 1688, Charles Demia, qui se consacre à l'éducation des enfants pauvres dans la seconde moitié du XVII
siècle, décrit cette technique pédagogique dans ses "Règlements pour l'école de la ville et diocèse de Lyon"
et introduit dans les classes ce que l'on appellera plus tard "l'enseignement mutuel". En 1747, c'est
l'instituteur Herbault qui, dans son école de l'Hospice de la Pitié, à Paris, faubourg Victor, applique sans
encore le nommer ainsi, l'enseignement mutuel. Dans cette école, plus de cent élèves étaient tenus par les
élèves de la première, seule classe dans laquelle l'enseignement était donné exclusivement par l'instituteur
Herbault lui-même. Cette classe était composée des élèves tous issus des classes inférieures. Mais c'est
en 1815 que l'enseignement mutuel est officiellement introduit en France et qu'il provoque tout de suite des
prises de position passionnées. On le critique et on le loue." (Cité par Sall N., 1996).
48
Op. cit., pp. 54-73. (L’essai d'adaptation de Jean Dard, ses travaux linguistiques et la publication des
dictionnaires Wolof-Français Bambara).

77
2- 3- 2- 1 L'apport des missionnaires dans l’expansion de l'école

L'administration coloniale fait appel en 1819 aux sœurs de Saint Joseph de Cluny pour
leur confier la première école de filles noires et mulâtresses, école réorganisée en 1822
avec l’arrivée de Mère Anne Marie Javouhey. Après le départ de Jean DARD en 1820, (qui
reviendra en 1831 avant sa mort) d'autres instituteurs, souvent des militaires, prendront le
relais jusqu'en 1841, date à laquelle, « pour remédier à la dégradation de l’enseignement
donné par l’École Mutuelle, les notables de Saint-Louis et le Gouverneur estimèrent que
l’enseignement devait être confié à des religieux et ils en firent part au Ministre de la
Marine. Celui-ci se mit en relation avec M. de La Mennais, Supérieur Général des Frères
de l’Instruction Chrétienne dits Frères de Ploërmel » (Doria-Husser M. et Lauthure H.,
1981, p. 23).

La même année, les frères de Ploërmel arrivent à Saint Louis où ils prennent en charge
l’enseignement primaire. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les écoles sont pratiquement
confiées aux seuls missionnaires. Par ailleurs, les pères du Saint Cœur de Marie arrivent
à Gorée en juillet 1845 et dès septembre, demandent au "Roi" de Dakar, Souleymane,
l’autorisation de s’installer dans le territoire pour ouvrir une école. L’école a été ouverte
dès 1847. À leur tour, les Pères du Saint-Esprit s’installent en 1846 dans un petit village
appelé Ndakarou ; ils comprennent aussitôt la nécessité de l’instruction et s’empressent
de rassembler de jeunes garçons pour leur donner une éducation scolaire. Le 11 janvier
1848, les premières sœurs de l’Immaculée Conception débarquèrent à Gorée. Au lieu de
rester à Gorée, elles mettent immédiatement pied sur le continent, à Dakar et ouvrent un
centre de santé et une école de village. Cette école débute modestement et prend
progressivement de l’extension au point de devenir école communautaire en 1891. En
1833, les sœurs ouvrent une école à Rufisque. Dès lors, l’enseignement suit le
mouvement missionnaire et reste aux mains de l'Église.

78
2- 3- 2- 2 L’Abbé David Boilat, missionnaire et initiateur de collège

Né d’un père français appartenant à la marine et d’une mère métisse (signare), Marie
Moutet, le 20 avril 1814 à Saint Louis du Sénégal, David Boilat, orphelin très jeune, a été
pris en charge par l’Eglise. Après ses études primaires, il fait partie d’un groupe d’une
vingtaine de jeunes envoyés en France, au séminaire, à Bailleur-sur-Thérain dans l’Oise,
en 1827 par la Mère Anne Marie Javouhey. Rentré au Sénégal en 1843, après sa formation
religieuse dans plusieurs séminaires en France et après avoir été ordonné prêtre en 1840
en même temps que deux autres Sénégalais partis avec lui, Moussa et Fridoil (les autres
n’ayant pas pu finir leur formation pour cause de maladie et étant revenus avant la fin de
celle-ci ou étant décédés), Boilat soumet au gouverneur Bouët-Willaumez des
propositions concrètes pour la création d’un collège d’enseignement secondaire. Il
convainc ce dernier qui le nomme proviseur de cet établissement et inspecteur de
l’instruction publique du Sénégal et dépendances (Boilat, 1984, p. 228). Boilat se consacre
à l’instruction et à l’éducation des enfants sénégalais à travers ce collège. Il exerce ces
deux fonctions avec sérieux et compétence (Mouralis, 1995, p. 820). Il est aussi intéressé
par les coutumes et la culture des diverses ethnies du pays. (Boilat 1853 ; 1858).

Les autres congrégations chargées de l’enseignement primaire à cette époque – les


Frères de Ploërmel et les Pères du Saint –Esprit – s’opposent farouchement à l’existence
de ce collège d’enseignement secondaire général sous prétexte que ce n’est pas un
besoin pour la population. Après le départ de l’Abbé Boilat, nommé provisoirement Préfet
apostolique, le collège sera aboli et le conseil de gouvernement décida « de faire le choix
de trois élèves dans les plus capables pour les envoyer terminer leur éducation en
France » (Boilat, 1984, p. 277). En définitif, ce collège d’enseignement secondaire n’aura
vécu que six ans, de 1843 à 1849. L’Abbé David Boilat quitte le Sénégal et s’installe
définitivement en France où il publie les Esquisses sénégalaises en 1853 et la Grammaire
Wolof en 1858, ouvrage qui lui permettra de remporter le prix Volney destiné à
récompenser un travail de linguistique (Bouquillon et Cornevi, 1981, pp. 67-84). Il meurt
en 1901 à Nantouillet en France.

79
2- 3- 2- 3 Rapport entre Faidherbe et les musulmans: "l'École des Otages"

L’année 1854 marque dans l'histoire du Sénégal l'arrivée de Louis Faidherbe comme
Gouverneur de la Colonie et son souhait de doter les musulmans d'une école. Ce fut alors
les bases de l'enseignement laïc. Mais, ce dernier ayant d'autres préoccupations surtout
d'ordre militaire, il faudra attendre 1857 pour voir la création de la première école laïque,
école que Faidherbe lui-même appellera: "l'École des Otages"49 du fait qu'elle a été créée
suite à la résistance des musulmans à envoyer leurs enfants dans les autres écoles tenues
par les religieux. Cette résistance s'expliquait par le fait que l'implantation des écoles allait
de pair avec la conquête coloniale et l'arrivée des missionnaires pour l'évangélisation. Les
musulmans voyaient donc derrière ce projet d'instruction une volonté cachée de convertir
leurs enfants. Selon l’historien Suret-Canale (1977), ce refus est à l'origine de la création
de l'enseignement laïc. Il dit : « l’enseignement laïc fut introduit par Faidherbe au Sénégal
en 1854, dans le but d’attirer les musulmans, majoritaires à Saint-Louis et qui
généralement refusaient de confier leurs enfants aux prêtres. Dans le même but politique,
il créait alors l’École des Otages, destinée à former les fils des chefs vassaux ou soumis
dans l’esprit favorable à la France. Après dix-huit ans d’existence (1854-1872), elle fut
supprimée pour raisons budgétaires » (p. 464).

En somme, les débuts de l'enseignement au Sénégal ne furent pas faciles ; il y avait


beaucoup d’hésitations. En réalité il n’y aura une organisation véritable du système
scolaire colonial qu'à partir du XXème siècle. Ce qui nous intéresse ici, c'est de montrer
que l’introduction de l’enseignement au Sénégal remonte à une époque où il n’était pas
facile de distinguer l’enseignement public de l'enseignement privé, mais aussi, de
souligner qu’une partie de la population n’acceptait pas cette école coloniale du fait qu'elle
était souvent entre les mains des religieux catholiques et du fait également que
l'enseignement était au service du système colonial. La raison se trouve dans ces propos
de Delafosse : «Il nous faut des intermédiaires, appartenant aux milieux indigènes par

49
Cf. Doria-Husser M., et Lauture H. (1981, p. 37). "Que faut-il entendre par otages ? En fait, c'étaient des
jeunes gens confiés par des chefs de pays amis ou conquis pour recevoir une éducation française et ils
étaient considérés comme une preuve d'accord loyal entre les deux parties". L'École des Fils de Chefs et
Interprètes ou École des Otages (1856-1871, 1892-1903) créée par Faidherbe Gouverneur de la Colonie
du Sénégal avait entre autres objectifs : "(...) Il faut, autant que possible, qu'ils (ces enfants) nous prennent
en affection et que leur instruction soit poussée plus vite qu'elle ne peut l'être dans une école où il y a un
grand nombre d'élèves et où, n'étant pas chrétiens, ils sont vus avec défaveur (...). Lettre du Gouverneur
Faidherbe au Ministre, n° 23 janvier 1856. (Citée par Sall N, 1991).

80
leurs origines et au milieu européen par leur éducation, pour faire comprendre aux gens
du pays et pour leur faire adopter cette civilisation étrangère pour laquelle ils manifestent,
sans qu’on leur en puisse tenir rigueur, un misonéisme bien difficile à vaincre»50. Ce rejet
ou cette néophobie vis-à-vis de l’école française et du système colonial en général peut
avoir comme cause le fait que la grande majorité de la population était déjà en contact
avec l’islam avant l’arrivée des européens et que pour celle-ci, l’un des moyens d’assurer
aux jeunes enfants une formation solide en dehors du bois-sacré restait à cette époque
l’école coranique. Les familles musulmanes avec l’aide des maîtres coraniques
s’opposent à la politique des missionnaires et retiennent les enfants dans les écoles
coraniques (Sow, 2004, p. 4). D’après Fall A. (2002), « les musulmans, largement
majoritaires, avaient leur propre système d’éducation. Ce qui peut se comprendre au
regard de l’importance que les hadiths (versets) attribuent à l’éducation… » (p. 49).

2- 3- 3 L’école sénégalaise post coloniale en quête de repère

A partir de 1960, trois périodes peuvent être considérées dans la vie de l’école de la
République du Sénégal indépendant : la première période, de 1960 à 1980, où l’école a
été dans cette mouvance de la continuité malgré la volonté de mettre en place un système
éducatif adapté aux réalités sénégalaises ; la deuxième période qui a pour point de départ
les Etats Généraux de l’Education et de la Formation jusqu’aux années 2000 ; et la
troisième période qui commence à l’an 2000 avec les innovations introduites par le
gouvernement de l’alternance.

2- 3- 3- 1 Première période : de 1960 à 1980

Cette première période est marquée par une volonté d’adapter le système éducatif aux
réalités socioculturelles sénégalaises. « Après l’indépendance du Sénégal, les
responsables sénégalais réaffirmèrent la nécessité d’adapter l’école aux réalités du pays,
considérant qu’elle a plus été conçue en vue de la sélection d’une élite que de la promotion
générale de la population… » (Fall A. 2002, p. 243).

50
Delafosse, Maurice. Bulletin de l’Enseignement en AOF, n° 33 juin 1927.

81
Dans les années soixante, le Sénégal hérite de ce système scolaire colonial. Malgré ce
désir de rupture porté par un président panafricaniste – Senghor qui prône des valeurs de
la Négritude -, le Sénégal a du mal à se détacher de la politique éducative mise en place
par la métropole. De par le fait qu’il soit l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale
française, il a bénéficié d’un certain nombre de privilèges et d’avantages. D’après Sylla
(1992) : « le Sénégal était doté, par l’ancienne puissance colonisatrice, d’un système
d’éducation moderne, ancien et couvrant l’ensemble du territoire national » (p. 382) avec
des structures éducatives assez fonctionnelles, un système de pensionnat dans certains
cas, un système de bourses pour aider les élèves, etc. Dans la première décennie après
les indépendances, ces conditions ont participé à mettre en place un climat favorable pour
les études. Seulement, cette école était dans une dynamique de continuité. Les objectifs,
les programmes, voire même les contenus d’enseignement étaient les mêmes que ceux
définis par les autorités coloniales. Il n’y avait pas de grands changements constatés. Le
système éducatif était calqué sur le modèle colonial et par conséquent, il n’y avait pas des
orientations ni des finalités clairement définies (Sylla, 1992). Pour Villalon et Bodian
(2012), l’école sénégalaise post coloniale « était loin de refléter les réalités endogènes du
pays » (p. 17). Il faut noter d’ailleurs qu’au lendemain des indépendances, beaucoup de
constitutions de pays de l’Afrique occidentale reprenaient pratiquement le texte français.
La Constitution Sénégalaise de mars 1963 n’échappait pas à cette règle.

Consciente que beaucoup de pays africains nouvellement indépendants ont du mal à


adapter leur système éducatif à leurs réalités locales, l’Organisation de l’Unité Africaine
(O.U.A) avec l’aide de l’UNESCO convoqua la première conférence régionale des
Ministres de l’Education en 1961 à Addis-Abeba en Éthiopie. Les recommandations de
cette conférence furent traduites au Sénégal par la création de collèges d’enseignement
général (CEG) dans les capitales régionales et départementales et par le recrutement
d’enseignants moniteurs. Si ces deux décisions ont permis de faire des efforts dans le
domaine de l’accès aux structures d’enseignement primaire et de relever le taux de
scolarisation (Sylla, 1992), elles n’ont pas par conséquent éradiqué les difficultés
auxquelles était confrontée l’école sénégalaise post coloniale. Cette école héritée de
l’école coloniale avait du mal à répondre aux besoins de la communauté. Elles
rencontraient également d’autres problèmes liés aux langues d’enseignement, aux
déperditions scolaires telles que les abandons, les échecs et les redoublements, le refus

82
de certains parents d’y envoyer leurs enfants préférant les mettre à l’école coranique,
l’insuffisance de la qualification des enseignants du secteur élémentaire et de leur suivi,
l’inadaptation et l’inadéquation de l’école comme structure au contexte socio-économique
et culturel... Les manifestations et les mouvements syndicaux qui ont pris naissance en
Occident et à travers le monde à partir de mai et juin 1968 ont eu des répercutions jusqu’au
Sénégal. L’école n’est pas un « sanctuaire » à l’abri de la crise qui secoue le monde. Au
contraire, celle-ci s’y répercute. Cette crise a secoué le système éducatif
sénégalais qu’elle n’a pas épargné. Ses orientations fondamentales ont été remises en
cause par le mouvement syndical. La réforme du système éducatif s’est imposé (Sylla,
1992). Il a donc fallu donc "adapter le système éducatif à l'objectif de développement
projeté pour le pays". (Dia M., 1961, pp. 82-84.), sans oublier la culture. C’est dans cette
recherche de solutions que le 3 juin 1971, la loi N° 71-36 portant orientation de l’Education
Nationale a vu le jour. D’après Villalon et Bodian (2012), cette loi d’orientation de
l’Education Nationale marqua une première timide rupture avec la conception de l’école
qui, dans les colonies, n’était qu’une copie conforme de l’école française, tant par ses
programmes que par ses méthodes. Cette volonté de rupture est visible à travers l’article
1er de cette loi d’orientation :

L'Education Nationale, au sens de la présente loi, tend : - à élever le niveau culturel de la population ;
- à former des hommes et des femmes libres, capables de créer les conditions de leur
épanouissement à tous les niveaux, de contribuer au développement de la science et de la
technique et d'apporter des solutions efficaces aux problèmes de développement national. Elle vise
à préparer les conditions d'un développement intégral, assumé par la nation toute entière. Sa
mission constante est de maintenir l'ensemble de la nation dans le courant du progrès
contemporain.

Malgré ces différents efforts de vouloir réformer le système éducatif, le constat est que la
politique éducative prônée par les autorités n’arrivait pas à s’adapter aux réalités du pays.
Avec la crise économique des années 1970 la situation s’aggrave. Dès lors, le Syndicat
Unique et Démocratique des Enseignants du Sénégal (SUDES) s’engage dans un
mouvement de contestation qui l’oppose aux autorités étatiques et débouche sur une
grave crise de l’Ecole sénégalaise (Villalon et Bodian, 2012, p. 18). C'est dans ce contexte
de crise que se justifient les Etats Généraux de l’Education et de la Formation.

83
2- 3- 3- 2 Deuxièmes périodes : de 1980 à 2000

La deuxième période de l’histoire du système éducatif sénégalais postcolonial est


marquée par une série de réformes pour le stabiliser. L’ancien premier ministre Abdou
Diouf succède à Léopold Sédar Senghor à la présidence de la République du Sénégal en
1981. Suite au profond malaise ressenti par l'ensemble des acteurs de l'Éducation (élèves,
parents d'élèves et enseignants) qui a traversé l'école sénégalaise et pour trouver des
solutions à ces problèmes, le nouveau président convoque les États Généraux de
l'Éducation et de la Formation (EGEF) en 1981. Ces assises de l'Education ont orienté
vers de nouvelles missions du système éducatif : le souhait était donc que l'école
sénégalaise soit "une école nationale et démocratique, au service du peuple ; une école
ouverte sur le milieu, intégrant à la fois l’apprentissage des langues nationales et le travail
productif pour mieux sécuriser l’enfant en l’enracinant d’abord dans sa culture nationale;
une école laïque et tolérante, intégrant l’éducation religieuse ; une école visant chez
l’enfant le développement du savoir (connaissances), du savoir–faire (aptitudes et
compétences) et du savoir-être (attitudes), pour garantir l’épanouissement de l’enfant
dans un monde en perpétuelle mutation". (Conclusions des EGEF). Une Commission
nationale de réforme de l’Education et de Formation fut constituée pour réfléchir pendant
trois ans (1981 – 1984) sur les moyens à mobiliser pour opérationnaliser ces conclusions.
Malgré une politique d’ajustement structurel, la crise économique que traversait le pays
n’a pas pu permettre la mise en œuvre des conclusions de cette commission. Le budget
de l’Education Nationale souffre de ces contraintes économiques (Villalon et Bodian,
2012) et par conséquent ne peut mettre en application ces conclusions.

Les propositions élaborées, si on les prend toutes ensemble et selon la manière dont elles
s’articulent les unes aux autres, tracent le cadre désirable en matière d’éducation et décrivent les
exigences d’une école à bien des égards, idéale. Or, toutes ces propositions ne sont pas réalisables
en même temps, ni au même rythme : il convient d’établir des priorités et, à l’intérieur, de définir une
hiérarchie dans l’urgence, en prenant en compte des critères en quelque sorte internes aux
nécessités de l’éducation, en mesurant également les solutions envisageables aux moyens dont
nous pouvons disposer. Il n’existe pas de réforme, et cela dans n’importe quel domaine, qui ne doive
impérativement tenir compte des coûts qu’elle entraîne. Quelles que soient les intentions
généreuses qui la sous-tendent, une réforme soulève inévitablement les problèmes liés aux
conditions concrètes de son inscription dans le réel. C’est bien d’ailleurs au regard de cette
considération que l’on distingue les vœux pieux qui se condamnent à en rester au niveau du

84
discours, de la volonté de transformer efficacement le monde. L’école que nous avons à transformer
pour l’adapter toujours davantage à notre réalité socioculturelle, pour en ouvrir toujours plus
largement l’accès à nos enfants, pour la mettre toujours plus au service de notre peuple, cette école
n’échappe pas aux contraintes de la conjoncture nationale et internationale. Nous devons lui
consacrer tous les moyens possibles, car l’enjeu représenté par l’éducation de nos enfants n’est
autre que l’avenir même du Sénégal ; mais ces moyens ont des limites objectives qu’il est illusoire
de penser pouvoir indéfiniment reculer, sans rompre les grands équilibres, sur quoi reposent le
fonctionnement de l’Etat et le développement du pays. Le gouvernement est décidé à mettre tout
en œuvre pour construire une école réellement nouvelle, nationale, démocratique et populaire et
pour introduire, dans notre système éducatif, les changements que le pays souhaite ardemment ;
cette volonté inébranlable, dont personne ne peut douter, agira en s’entourant de toutes les
garanties de mesure, d’équilibre, de bon sens sans lesquelles aucune œuvre durable ne peut voir
le jour. (Le Président de la République, cité par Ndaw A. Nd., 1984, p. 78).

A travers ce discours de la plus haute autorité du pays, il est clair que dans les conclusions
des E.G.E.F il y avait une grande part d’utopie et donc c’était difficilement réalisable, du
moins dans le court terme. Le problème économique est considéré par le chef de l’Etat
comme un obstacle à la réalisation de ces objectifs ambitieux leur préférant dans l’urgence
une stratégie réaliste et réalisable. Vu cette volonté de changement malgré la conjoncture
économique difficile, des innovations ont été introduites dans le système éducatif. Pour
faire face à une augmentation de la population en âge d’être scolarisée et parallèlement
au manque d’enseignants et de locaux dû à la crise financière, les autorités
gouvernementales ont introduit au Sénégal le système des classes à double flux. Il s’agit
d’une innovation pédagogique qui consistait à confier à un enseignant deux cohortes de
55 élèves, soit l’équivalent de deux classes, évoluant en alternance dans un local unique
(Sylla, 1992, p. 416). Il faut cependant rappeler que ces classes à double flux étaient
ouvertes dans les zones urbaines du fait de la forte demande de scolarisation. Dans les
zones rurales, par contre, c’était le système de classes multigrades qui était appliqué. Il
s’agissait de confier à un seul maître la charge de deux cours de niveaux différents. Le
nombre d’élèves par cours était cependant réduit. D’autres innovations pédagogiques
comme le choix de manuels scolaires adaptés aux réalités socio-culturelles ou encore
l’ouverture d’écoles pilotes symbolisant l’expression visible de la réforme de l’éducation
vont voir le jour au Sénégal. Aussi, force est de constater que la situation du système
éducatif sera très préoccupante jusqu’au début des années 1990. Les problèmes du
système éducatif pouvaient se lire à travers la faiblesse du taux brut de scolarisation et de

85
celui de la réussite à l’examen d’entrée en sixième. A cela s’ajoutent des classes
pléthoriques, des disparités régionales et entre garçons et filles, un taux d’abandon élevé,
etc. L’école sénégalaise traversait véritablement une crise (Sylla, 1992, p. 398) comme
d’ailleurs celles de beaucoup de pays subsahariens ; ce qui ne laisse pas la communauté
internationale indifférente ni insensible. La Conférence Mondiale, tenue à Jomtien en
Thaïlande en 1990, traduisait la volonté d’une Education Pour Tous en l’an 2000 avec
l’objectif d’éradiquer l’analphabétisme de la planète. Pour cela, l’accent a été mis
essentiellement sur la démocratisation de l’accès à l’éducation de base, l’amélioration de
la qualité des apprentissages et une gestion des systèmes éducatifs avec beaucoup plus
d’efficacité. Pour offrir une éducation de base à tous les enfants du monde en 2000, cent
cinquante-cinq pays et cent cinquante organismes ont ratifié la convention de Jomtien.
(UNESCO, 1990). Pour beaucoup d’Etats, notamment africains, et d’organismes
internationaux, l’objectif est centré sur l’accès à une éducation universelle pour les deux
décennies suivantes. Au lendemain de cette conférence, toujours dans cette dynamique
de changement, la loi d’orientation n° 91-22 est votée et mise en exécution le 16 février
1991. Elle marque un tournant décisif dans le système éducatif sénégalais. Elle a le mérite
de vouloir imprimer un changement et de définir un nouvel organigramme de l’école avec
des objectifs clairement assignés à chaque composante du système éducatif sans perdre
de vue le profil du type d’homme que l’école veut former. Aussi, dans le but de réorganiser
le système éducatif et de relever le Taux Brut de Scolarisation (TBS) la Banque mondiale
a financé à partir de 1994 un vaste programme de réformes structurelles. Avec le Projet
de Développement des Ressources Humaines (PDRH2), il a été lancé un programme de
construction de salles de classe, de scolarisation des filles (SCOFI) et de recrutement des
volontaires de l’éducation. Le défi dans le secteur de l’éducation, était donc d’étendre la
carte scolaire pour ainsi atteindre un TBS avoisinant les 65% d’ici 1998.

Le système éducatif sénégalais aborde, aujourd’hui, un tournant décisif. Avec un faible taux de
scolarisation (58 %), un rendement interne faible et une forte demande d’éducation qui résulte d’une
croissance démographique importante (3 %), notre système d’éducation et de formation a besoin
d’un financement conséquent pour se développer de manière durable. Le projet de développement
des ressources humaines (PDRH 2) répond à cette préoccupation : environ 92 millions de dollars
seront investis en faveur de l’École sénégalaise, sur une période de cinq années (1994/1998). Au
terme de la mise en place de ce vaste programme, le taux de scolarisation devra passer à 65 % et
la fréquentation des filles sera notablement augmentée. Par ailleurs, l’efficacité interne du système
sera améliorée au cours de ces cinq années. (Comité de pilotage du PDRH, 1993, p. 1).

86
A la fin des années 1990 et le début des années 2000, il semble que la priorité dans le
domaine éducatif soit mise sur l’accès : il s’agissait d’offrir à tous les enfants, sans
distinction aucune, les possibilités d’aller à l’école.

2- 3- 3- 3 Troisième période : de 2000 à nos jours…

La question de la qualité de l’enseignement sera préoccupante au Sénégal. Au début des


années 2000, les stratégies en matière d’éducation orientées vers la recherche de cette
qualité seront au cœur la politique éducative menée par le gouvernement de l’alternance.
Il faut rappeler que l'arrivée au pouvoir de Maître Abdoulaye Wade en 2000 coïncide avec
une période de changement souhaité par le peuple sénégalais après quarante ans (40)
de régime socialiste. L’espoir pour cette population à majorité musulmane était de voir au
niveau de la société des changements dans beaucoup de domaines tels que l’économie,
la santé, l’éducation, pour ne citer que ceux-là. Cette alternance ("SOPI" en wolof est aussi
le nom du parti du président) se traduit dans le domaine de l'éducation par la volonté
d'introduire l'éducation religieuse à l'école publique, républicaine et laïque, une doléance
d'une grande partie de la population. Beaucoup d'innovations majeures ont été apportées
au système éducatif. Le Forum mondial de Dakar pour l’EPT, tenu en 2000, a été
l’occasion de renouveler les objectifs par rapport à la question de l’accès à l’éducation. Le
cadre d’action de Dakar oriente aussi sa vision vers la qualité et le souhait d’un
achèvement de la scolarité pour tous : « Faire en sorte que d’ici 2015 tous les enfants,
notamment les filles, les enfants en difficulté et ceux appartenant à des minorités
ethniques, aient la possibilité d’accéder à un enseignement primaire obligatoire et gratuit
de qualité et de le suivre jusqu’à son terme » (Unesco, 2000, p. 17). Il faut dire qu’au
niveau international, l’éducation des enfants est considérée comme l’un des objectifs
stratégiques pour éradiquer la pauvreté et atteindre le développement souhaité. D’ailleurs,
parmi les huit objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD 51), plan approuvé par
les pays du monde et les grandes institutions de développement, figure en deuxième
position : « l’accès à une éducation primaire pour tous ». Avec les objectifs d'Éducation
Pour Tous (EPT) et suite aux conférences sur l'éducation tenue à Jomtien en Thaïlande

51
La réalisation des OMD, lancée en 2000, tire à sa fin et l’année 2016 marque l’inauguration officiel du
programme de développement durable à l’horizon 2030. Pendant les 15 prochaines années, les pays
membres de l’ONU se sont fixés 17 ODD.

87
en 1990 et à Dakar au Sénégal en 2000, l'enjeu pour les autorités étatiques était
d'atteindre la scolarisation universelle et pour cela il s'est avéré nécessaire de créer une
rupture par rapport à l'orientation de l'Éducation Nationale en prenant en compte tous ces
enfants qui n'étaient pas scolarisés dans le formel. Une série de réformes a donc vu le
jour sous l’alternance politique au Sénégal.

2- 3- 4 Les programmes et projets traduisant la politique éducative

Les finalités, les principes généraux et les structures de l’éducation nationale au Sénégal
sont définis à travers la loi d’orientation. Pour les atteindre, les décideurs de l’éducation,
à savoir, les autorités ministérielles, académiques et scolaires, avec l’appui de partenaires
internationaux, ont mis en place des programmes dont les deux principaux sont le PDEF
et le PAQUET ainsi que des projets parmi lesquels le projet « Éducation de Qualité Pour
Tous ».

2- 3- 4- 1 Le Plan Décennal et le projet « Éducation de Qualité Pour Tous »

Pour atteindre l'objectif de la scolarisation universelle, et avec l'appui de partenaires


internationaux, un Plan Décennal de l'Éducation et de la Formation dénommé Programme
de Développement de l'Éducation et de la Formation (PDEF) a vu le jour en 2001,
accordant la priorité à l’enseignement élémentaire avec trois objectifs majeurs :
l’élargissement de l’accès à l’éducation notamment au niveau de l’élémentaire,
l’amélioration de la qualité des enseignements, l’amélioration de la gestion du système
éducatif. L’objectif de la composante « ACCES » est d’élargir la couverture et d’assurer
l’équité de l’éducation. L’objectif de la composante « GESTION » est de moderniser et de
renforcer la gestion du secteur éducatif. La deuxième phase du PDEF se fixe, entre autres
objectifs, le défi de la valorisation des systèmes d’enseignement-apprentissage et
l’amélioration des rendements du système éducatif. L’accent est mis sur la QUALITE. La
question de l’amélioration de la qualité dans le contexte scolaire doit passer par
l’amélioration du taux d’achèvement dans le cycle élémentaire, l’amélioration des
conditions d’enseignement et d’apprentissage, le renforcement du système de pilotage, la
promotion d’une stratégie de formation initiale et continue des enseignants... Le PDEF
reste donc l'une des plus grandes réformes mises en œuvre au Sénégal dans le domaine

88
de l'éducation dans le but de transformer le système éducatif en vue de le rendre plus
performant. Il s’agit en définitive, comme l’a rappelé le ministre de l’éducation, « d’articuler
l’ambition de la scolarisation universelle à celle du développement d’une société
économiquement forte, socialement structurée et culturellement épanouie »52. C'est dans
ce sens qu'en 2002 une proposition de modification de la loi d'orientation n° 91-22 du 30
janvier 1991 a été introduite mais elle ne sera effective qu'en 2004 avec la réforme. Pour
les autorités de l’alternance, il était nécessaire d'aller plus loin en modifiant et en
complétant des articles de la loi d'orientation de l'Éducation Nationale. Des innovations
ont été concrétisées dans le but d'augmenter le taux de scolarisation. Sur
recommandation des instances internationales à s’orienter vers une scolarisation
universelle, des mesures ont été introduites dans le système éducatif sénégalais : les
élèves-talibés qui fréquentent les "daara" seront désormais considérés comme scolarisés,
l’éducation religieuse est introduite dans les programmes du primaire, essentiellement
celui de la religion musulmane, cent cinquante écoles primaires ont été choisies comme
écoles-pilotes pour lancer l’expérimentation des cours en langues locales dès 2002/2003
(Charlier, 2004). Aussi, il est question d’un vaste programme lancé par l’Etat du Sénégal
avec l’appui de partenaires internationaux consistant à construire des écoles franco-
arabes publiques et à s’attaquer à la modernisation des "daara" en vue de leur intégration
dans le système éducatif. Les organismes internationaux soutiennent et accompagnent
cette réforme. C'est dans ce cadre que, s'appuyant sur la loi d'Orientation de l'Éducation
n° 91-22 du 30 janvier 1991 et sur la "Lettre de Politique Générale du secteur
Éducation/Formation" couvrant la période de 2000 à 2017, le projet «Éducation de Qualité
Pour Tous » a été lancé.53 Ainsi, pour atteindre le pari de la scolarisation universelle, la
gestion des “daara” au Sénégal et l'intégration de l'éducation religieuse dans le système
éducatif sont présentées comme un enjeu majeur. En conséquence, le statut de certains
"daara" est appelé à changer. Ils sont intégrés dans le système éducatif et tous les enfants
qui y reçoivent une éducation religieuse sont considérés comme scolarisés.

En somme, par rapport aux volets « Accès à l’éducation » et « amélioration de la Gestion »


des succès considérables ont été notés. Cependant, du point de vue de « l’amélioration
de la qualité des enseignements », beaucoup de faiblesses et d’insuffisances – en rapport

52
Ministère de l'Éducation National (2000) « Rapport national sur la situation de l’éducation ».
53
Ministère de l'Education (mai 2006). Programme de Développement de l’Eéducation et de Formation
(PDEF) : Projet Éducation de Qualité pour Tous phase 2 (PEQT 2), Rapport final.

89
avec la faible qualité des enseignements / apprentissages dispensée à tous les niveaux,
l’inadaptation et l’insuffisance de l’offre d’éducation, le pilotage pédagogique et la gestion
administrative inappropriés – ont été relevées. Ces constats identifiés et la recherche
urgente de solutions à ces manquements ont conduit à la mise en place d’un nouveau
programme en 2013, appelé PAQUET.

2- 3- 4- 2 Le PAQUET

Le Gouvernement du Sénégal, par ses autorités ministérielles et académiques, appuyé


par des organismes partenaires, s’est engagé à renforcer les acquis significatifs réalisés
par rapport à l’élargissement de l’accès à l’éducation, l’amélioration de la qualité des
apprentissages et de l’efficacité de la gouvernance scolaire à travers la mise en place d’un
nouveau programme dénommé : "Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Equité et
de la Transparence dans le secteur de l’Education et de la Formation" (PAQUET-EF). Ce
programme ambitionne aussi de rectifier les insuffisances et les dysfonctionnements
relevés pendant l’exécution du PDEF. D’après le MEN :

Dans cette perspective, il s’agira de mettre en place un système d’éducation et de formation en


phase avec les exigences du développement durable, plus engagé dans la prise en charge des
exclus et qui repose sur une gouvernance inclusive, une responsabilisation plus accrue des
collectivités locales et des acteurs à la base. Cette nouvelle vision du développement de l’éducation
et de la formation doit se traduire par le relèvement substantiel du niveau de scolarisation,
l’amélioration des performances scolaires et de l’efficacité interne et externe du système éducatif,
une plus grande équité dans l’accès aux services éducatifs et une meilleure gouvernance scolaire. 54

En effet, le PAQUET-EF pour la période de 2013 – 2025 a été rédigé par une équipe pluri-
ministérielle en charge de l’éducation au Sénégal. Il s’agit du Ministère de l’Education
Nationale, du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, du Ministère de
la Femme et de l’Enfant et de l’Entrepreneuriat féminin et du Ministre de la Formation
professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Artisanat. La planification de ce nouveau
programme a été réalisée grâce à l’accompagnement d’un consultant national qui avait
pour mission d’aider les membres de l’équipe de rédaction et tous les fonctionnaires de
l’Etat en service dans les structures déconcentrées de l’Education dans le

54
Cf. La préface du Rapport National de la situation de l’Education au Sénégal (RNSE, 2015)

90
perfectionnement des compétences, la mise en œuvre et le déroulement du plan d’action.
Dans sa phase d’élaboration, il a été question, après l’identification des problèmes clés
liés à l’accès, à la qualité et à la gestion du secteur de l’Education et de la Formation, de
mettre en place un modèle logique et un Cadre de Mesure de Rendement (CMR) à travers
une approche de Gestion Axée sur les Résultats (GAR) et qui a comme référence la
nouvelle lettre de Politique sectorielle de l’Education et de la Formation couvrant la période
de 2012 – 2025. A travers celle-ci, l’Etat du Sénégal poursuit comme but le réajustement
des options éducatives tout en approfondissant et en consolidant les acquis de la décennie
précédente. Cette politique éducative sénégalaise vise donc à intégrer tous les objectifs
poursuivis par le gouvernement en lien avec l’Education Pour Tous (EPT), le
développement économique et social, les objectifs du Millénaire pour le développement.
En définitive, si le programme et les stratégies de mise en œuvre sont revus, les finalités
restent les mêmes ; à savoir la réalisation de la scolarisation universelle au niveau du
primaire, la scolarisation massive des filles pour rétablir l’équilibre entre les filles et les
garçons par rapport à l’accès aux structures éducatives et à leur maintien dans ce système
éducatif, la formation professionnelle qualifiante des jeunes et des adultes et enfin la
réduction de la pauvreté. Ainsi, ce nouveau programme couvrant la période 2013- 2025
devient le cadre d’opérationnalisation de la nouvelle vision de la politique éducative du
Sénégal, c’est-à-dire : « un système d’Education et de Formation équitable, efficace,
efficient, conforme aux exigences du développement économique et social, plus engagé
dans la prise en charge des exclus, et fondé sur une gouvernance inclusive, une
responsabilité plus accrue des Collectivités locales et des acteurs à la base. » (MEN,
2013, p. 26). Il semble donc que l’Etat du Sénégal ait axé la priorité sur le développement
durable, sur l’Education et sur la formation. Il ambitionne de mettre à travers ce
programme une école équitable qui a le souci de veiller à l’égalité des chances tout en
corrigeant les disparités dans l’offre d’éducation. Pour la période 2013-2025 le PAQUET-
EF vise « l’acceptabilité par les populations de l’orientation de l’éducation et de la
formation, l’accessibilité des offres d’éducation et de formation pour toutes les personnes,
l’adaptabilité du système aux différents besoins et contextes des apprenants, la dotation
adéquate en ressources en réponse aux besoins réels » (Men, 2013, p. 26). En définitive,
il cible la gestion du système éducatif centrée sur les résultats, dresse les orientations
politiques du Sénégal en matière d’Education et de formation pour l’horizon 2025. Il permet
de suivre périodiquement les progrès réalisés, les résultats obtenus et les défis à relever.

91
2- 4 CONCLUSION

Ce chapitre a essayé de montrer que l’école sénégalaise marquée – dans son


organisation, sa langue d’enseignement, ses contenus et ses critères de sélection – par
l’histoire coloniale, affiche une réelle volonté de s’adapter aux réalités sociales du pays.
Les différentes réformes entreprises par les autorités étatiques ont permis d’être en phase
avec la deuxième priorité des objectifs du millénaire pour le développement : « Assurer
l’Education primaire pour tous ». Au cours de la dernière décennie, le Sénégal a noté l’une
des progressions les plus élevée de son taux de scolarisation même s’il est variable en
fonction des régions. L’une des raisons à cette nette croissance du TBS serait-elle liée à
la réforme de son système éducatif notamment à l’introduction de l’éducation religieuse à
l’école, à la création d’école franco-arabes publiques et à la volonté de modernisation des
"daara" ? Cette réforme a aussi permis de récupérer un nombre important d’enfants qui
avant était laissé en rade par le système éducatif. Cependant, l’augmentation du TBS ne
doit pas masquer les difficultés de l’école sénégalaise à savoir une forte progression du
secteur privé et le choix de certains parents d’élèves d’écoles alternatives
confessionnelles telles que les écoles coraniques traditionnelles ou modernisées.

92
CHAPITRE 3 : L’EDUCATION RELIGIEUSE
AU SENEGAL

Au niveau social, pour certains, le religieux est porteur de sens quels que soient les
aspects de la vie pris en considération. Au Sénégal, elle demeure une institution
importante. Les guides religieux ont acquis une certaine légitimité dans ce pays poussant
ainsi les autorités politiques à nouer des liens avec eux dans le but d’atteindre la majorité
de la population se réclamant de leur obédience. Cette forte influence justifie d’une
certaine manière l’introduction de l’éducation religieuse dans l’école publique laïque.
Derrière le vocable « éducation religieuse », il faut comprendre un enseignement selon
les convictions d’une religion, c’est-à-dire le dogme ("Vérité de foi contenue dans la
révélation"), la doctrine ("affirmations faisant connaître l’objet de la foi") et l’apprentissage
des pratiques religieuses et des rites liés à la religion. Au Sénégal, elle est d’abord donnée
dans les familles et dans les communautés religieuses, mosquées et associations
musulmanes ou paroisses et communautés ecclésiales de base (CEB), ensuite dans les
écoles telles que les écoles coraniques ou "daara", les instituts islamiques, les écoles
privées franco-arabes, les écoles catholiques, protestantes et certaines écoles privées
laïques55 et depuis 2002, dans les écoles publiques élémentaires. Nous ciblons
particulièrement, dans le cadre de cette recherche, les manifestations de l’éducation
religieuse dans ces dernières structures citées ci-dessus. Les religions traditions au
Sénégal étant transmises de génération en génération suivant d’autres modes et
structures d’éducation lors de cérémonies particulières tel que le "bois-sacré", cette
éducation religieuse concerne donc principalement les deux religions du livre, l’islam et le
christianisme. Ainsi, évoquer ce type d’éducation revient à considérer d’une part
l’enseignement arabo-islamique56 dans sa globalité et d’autre part le catéchisme pour la
religion chrétienne.

55
L’adjectif "laïques" ne fait pas directement référence à la laïcité. Ici, il est utilisé pour désigner les écoles
privées appartenant à des particuliers sénégalais et pour les distinguer les écoles publiques et des écoles
privées confessionnelles, telles que les écoles catholiques, les instituts islamiques…
56
Au Sénégal, le terme arabo-islamique est souvent utilisé pour désigner l’enseignement religieux
islamique ; toutefois, il convient ici de préciser que tous les arabes ne sont pas des adeptes de la religion
islamique et pareillement, tous les musulmans ou adeptes de l’islam ne sont pas des arabes.

93
3- 1 ENSEIGNEMENT ARABO-ISLAMIQUE 57

L’éducation religieuse islamique occupe une place importante dans la formation intégrale
du jeune musulman au Sénégal. L’islamisation du pays entre le 9 ème et le 11ème siècle a
permis en même temps l’introduction de la langue arabe au Sénégal et la création d’écoles
coraniques, appelées "daara" au Sénégal, chargées de l’enseignement arabo-islamique.
Il s’agit d’enseigner la mémorisation du coran et les textes sacrés, le dogme et les
pratiques religieuses de l’islam, sans oublier la grammaire arabe58 et les éléments de
jurisprudence musulmane. Après l’accession à l’indépendance, deux grands moments
peuvent être distingués par rapport à cet enseignement : la période de 1960 jusqu’au
début des années 2000 marquée par sa prise en charge par des associations et
mouvements islamiques aux côtés des marabouts, des confréries musulmanes, et la
période après 2000 coïncidant avec les réformes éducatives dans ce domaine.

3- 1- 1 L’enseignement arabo-islamique avant la colonisation

L’enseignement islamique a été introduit au Sénégal avec l’apparition de l’islam au 11 ème


siècle (Ware, 2009). Ce système d’écoles coraniques, appelé "daara", est une vieille
tradition au Sénégal (Villalon et Bodian, 2012). Les premières écoles coraniques au
Sénégal sont apparues au Nord du pays, précisément au "Fouta", en milieu "al Pular",
première région à être en contact avec l’islam. « Circonscrit en ses débuts sur les bords
du Fleuve Sénégal et longtemps pratiquée par une certaine élite urbaine et royale, cette
religion va très vite connaître un essor avec la multiplication des cadres d’apprentissage
du coran et des Sciences islamiques » (Villalon et Bodian, 2012, p. 9). Dès le 14ème siècle,
des navigateurs et explorateurs européens soulignent la présence d’arabes dans
plusieurs localités du pays où de nombreux enfants "muhamédiens" apprennent le coran.
(BREDA N°10, 1995).

57
Ce sous chapitre est une synthèse de plusieurs publications sur l’enseignement coranique en Afrique
subsaharienne en général et particulièrement au Sénégal.
58
Au Sénégal, la mémorisation du coran nécessite impérativement aussi l’apprentissage de la langue arabe,
langue dans laquelle le coran a été écrit. Dans ce sens, l’arabe est un médium indispensable pour
l’enseignement coranique.

94
3- 1- 1- 1 Les écoles coraniques, polysémie de termes

Apparues au Sénégal bien avant l’époque coloniale, les écoles coraniques se sont
développées parallèlement et en marge du système scolaire même si aujourd’hui
beaucoup d’initiatives de la part des autorités étatiques ont vu le jour dans le cadre de leur
prise en charge à travers les réformes éducatives et dans le but de leur intégration dans
le système éducatif. Le terme « école » est indéniablement lié à celui
de « apprentissage ». Sous ce rapport alors il peut être parfaitement associé au qualificatif
« coranique » dans la mesure où il renvoie à l’étude du coran et des sciences islamiques :
la structure de langue arabe, l’écriture, la lecture, la théologie musulmane, la charia ou le
droit musulman, etc. Il faut aussi reconnaître que la notion même d’école n’est pas toujours
adéquate : le terme "école coranique" renverrait à une définition souple et décentralisée
du mot "école" (Gandolfi, 2003, p. 263). L’école coranique est caractérisée en général par
l’absence de structure organisant l’enseignement. Il n’y a pas non plus de lien direct entre
les différentes écoles. Chaque maître coranique gère comme il l’entend son "école". « Une
école s’éteint avec le maître qui l’anime. Une autre renaîtra peut-être, ailleurs, dans
plusieurs années sans aucune liaison avec la première » (LIPE, 1984, p. 58). Cependant,
ces maîtres coraniques étaient des « hommes du livre, ceux qui connaissent le mieux le
coran et ses préceptes et pour cela ils jouissent d’une grande considération : ils sont parmi
ceux qui ont la responsabilité de la bonne marche de la société [...]. Ils sont dépositaires
de son immuabilité et garantissent qu’il n’y a pas de déviations contraires aux
ordonnances du coran » (Perregaux 1987, p. 48). Le concept d’"école coranique" est
assez complexe et renvoie à des réalités différentes. Il se rapproche souvent de plusieurs
autres termes comme "medersa", "école franco-arabe", "daara" (terme employé au
Sénégal) etc… même si une certaine distinction peut être établie entre eux. Ali
Hamadache (2005), pour montrer la différence entre les concepts de medersa et école
coranique, cite (Khayar, 1976, p. 77) :

La medersa est mieux organisée et structurée que l'école coranique qui se réfère à une tradition
immuable dans tous les domaines. Elle ne s'adresse qu'aux citadins et concurrence l'école publique
là où les deux écoles existent. A l'origine elle concernait les jeunes hommes à partir de 25 ans, mais
après, avec le progrès de l'enseignement de l'arabe, elle devient l'équivalent de l'école primaire et
secondaire publique.

95
Les écoles franco-arabes se rapprochent davantage des écoles classiques par leurs
structures, leur organisation administrative, matérielle et pédagogique. Par ses
caractéristiques, cette forme d’établissement se distingue des écoles coraniques
classiques, peu structurées et sans grande organisation administrative, avec du matériel
didactique rudimentaire et une pédagogie basée sur des méthodes archaïques. Ainsi, les
termes pour désigner ces écoles coraniques ou instituts islamiques varient d’un milieu à
un autre. En Libye, c'est la "Zawia", en Mauritanie la "mahadra", en Somalie le "dox", au
Yémen le "milama", au Maroc le "Msid", en Égypte le "kuttab", au Sénégal le "Daara"…
Pour le cas du Sénégal, le terme de "daara" sera le plus souvent utilisé pour désigner ces
écoles coraniques qu’elles soient de type moderne ou traditionnel. Cette diversité et cette
variété dans les termes augmentent les difficultés à comprendre l’organisation des
enseignements et le fonctionnement de ces écoles islamiques. Ce qui rend leur intégration
dans le système scolaire plus complexe et difficile. Aussi, Delval (1980, p. 9) soulignait
d’autres difficultés liées au fait qu’en Afrique Subsaharienne, l’enseignement islamique
n’avait pas bénéficié de beaucoup d’études, surtout en Afrique francophone. A part
certains écrivains comme Kane (1962), dans son livre "L’aventure ambiguë", qui relate les
exigences de la vie dans une école coranique en insistant sur les aspects pédagogiques,
didactiques et socioculturels, en réalité, ce n’est que depuis quelques années que des
chercheurs s’intéressent ou orientent leur travaux (Cissé, 1992 ; Charlier., 2002, Gandolfi
2003, D’Aoust 2012…) sur les écoles coraniques ou encore les "Médersas". Ces études
étant à l’état embryonnaire, l’enseignement islamique est considéré comme inexploré
(Lange, 1988, p. 200). « Tout aussi négligé que le savoir traditionnel, le savoir coranique
ne bénéficie nullement de l’intérêt exclusif porté à la scolarisation [...] Et le nombre de
spécialistes à pouvoir en parler est faible » Santerre et al (1982, pp. 23-29). Toutefois, ces
propos sont à relativiser aujourd’hui. Aussi, il faut dire que ces écoles coraniques ne se
sont pas développées dans la partie la plus méridionale de l’Afrique occidentale et la
région équatoriale (Lange, 1998). D’après Delval (1980) :

Les grands courants d’islamisation en Afrique noire qui, du 11 ème au 13ème siècle, propagèrent la
religion du Prophète dans les pays au Sud du Sahara, du Sénégal au Niger, à travers les grands
empires noirs : Ghana, Mali, Sonrhaï ou Gao, n’atteignirent jamais les régions bordant le golfe du
Bénin. (p. 15).

96
3- 1- 1- 2 Les grands centres éducatifs

Cette propagation de l’islam en Afrique subsaharienne a entraîné l’existence et le


développement de grands centres éducatifs réputés favorisant l’extension de la culture
arabo musulmane. Parmi ces foyers d’enseignement islamique il y avait l’université
coranique de Tombouctou au Mali qui s’est développé autour de la Mosquée du même
nom. Au 15ème et au 16ème s siècle, la ville de Tombouctou était considérée comme la
principale capitale intellectuelle et spirituelle. Tombouctou était un centre de propagation
de l’islam en Afrique ; une ville florissante où se partage et se propage le savoir. (Djian,
2012). « Au XVIe siècle, Tombouctou n'avait pas sa pareille parmi les villes du pays des
Noirs pour la solidité des institutions, les libertés politiques, la pureté des mœurs, la
sécurité des personnes et des biens, la compassion envers des étrangers, la courtoisie à
l'égard des étudiants et des hommes de science » (Octave). Tombouctou fut détruit par
l’armée marocaine vers la fin du 16 ème siècle. Ces grands centres arabo-musulmans
disparurent tous avant la conquête coloniale. Il ne restait plus que les écoles coraniques,
qui étaient de très faible niveau scolaire (Désalmand, 1983, pp. 58-59) par rapport à ces
universités coraniques comme Tombouctou. Concernant le cas du Sénégal, certains, pour
retracer l’histoire de l’école, partent souvent de l’époque coloniale, la réduisant ainsi à
l’école héritée de la colonisation, c’est-à-dire à celle du modèle français ; alors qu’avant
l’implantation française au Sénégal existait déjà des écoles coraniques. Bien avant donc
la colonisation, l’écriture arabe était utilisée comme moyen de communication et de
diffusion du savoir, principalement religieux. Séne H., (1982), dans sa thèse de Lettres
Modernes à l’université de Bordeaux l’affirme en ces termes :

L’école par le biais de l’enseignement coranique existait en tant qu’institution éducative


parallèlement aux structures éducationnelles traditionnelles et ce avant la colonisation européenne
; de ce fait, certaines couches de la population autochtone étaient capables d’utiliser l’écriture et le
livre de langue arabe, longtemps avant l’introduction de l’école française, et ceci pour des besoins
d’enseignement, d’étude, d’édification ou pour certaines d’entre elles comme moyen de
communication sociale. (Séne H., 1982, p.135-136).

97
3- 1- 2 L’enseignement arabo-islamique pendant la colonisation

L’enseignement arabo-islamique s’est développé au Sénégal en suivant ce mouvement


d’islamisation. Effectivement, entre le 14 ème et le 15ème siècle, aux côtés de ces arabes
enseignants, apparurent des autochtones, qui à leur tour et de façon continue, ont pris en
charge l’enseignement islamique dans le pays. Avec une population majoritairement
musulmane, cet enseignement a trouvé un terrain propice à son expansion et s’est vite
développé au fil des années.

3- 1- 2- 1 L’expansion de l’enseignement islamique

Rapidement l’influence de la culture arabo musulmane s’est propagée dans la société


sénégalaise. Comme le souligne Robinson et Triand (1997), cet islam d’abord royal et
réservé à une élite va se propager dans le bas peuple avec l’aide des leaders religieux
autochtones tels que El Hajj Umar Tall ou encore le Sheikh Ma-al Ainin, le Sheikh Sidi al
Mukhtar al-Kunta, l’imam Nasr-al Din, et Maba Diakhou Ba. Ces derniers font partie des
premiers pensionnaires des écoles coraniques au Sénégal tels que l’université de Pire
fondée en 160359 et le daara de Coki créé vers 1700. L’ouverture à la langue coranique a
donné naissance à un environnement socioculturel fortement islamisé. Malgré
l’importance de la langue arabe aux yeux des sénégalais, à majorité musulmane, elle n’est
pas considérée comme une langue nationale (Cf. Constitution 2002). Le coran étant écrit
en arabe, par conséquent aussi l’arabe a le statut de langue de religion (Kiba, 1997 ;
D’Aoust, 2012). Il faut noter qu’en effet, pendant plus d’un siècle, au Sénégal, les
arabisants ont revendiqué une place pour la langue arabe et le statut d’être considérés
comme alphabétisés. Ce fut le cas dès le 08 septembre 1832 quand cette doléance est
portée au Conseil privé de la colonie à Saint-Louis.

59
D’après Villalon et Bodian (2012), cette école a été détruite en 1869 sur l’ordre du Gouverneur Faidherbe.
Elle a formé les leaders musulmans – El Hadj Omar Tall, Malick Sy du Bonduc, Souleymane Baal, théoricien
de la révolution Torore, Abdel Kader Kane, premier Almamy du Fouta et Maba Diakhou Ba, Almamy du Rip
– souvent cités pour leur hostilité à la France coloniale.

98
3- 1- 2- 2 Les tentatives de contrôle de l’enseignement religieux

Le pouvoir colonial a mené une rude guerre contre l’enseignement arabo-islamique et les
écoles coraniques. « Avec la colonisation et durant la période dite de pacification, l’école
coranique va traverser des moments très difficiles, alternant des périodes d’accalmie à
une répression multiforme, destinée à affaiblir une action et des hommes parfois
considérés comme subversifs, toujours comme des freins à l’expansion et au
développement de la domination française. » (BREDA, 1995, p. 6). L’arrivée de Faidherbe
comme Gouverneur de la Colonie Sénégal60 et dépendances accentue cette répression.
Il entreprend une offensive dans le seul but de contrer l’action des maîtres coraniques qu’il
voulait obliger à se rallier à la cause de la colonisation au risque de subir la répression.
L’arrêté du 22 juin 1857 qu’il prit à l’encontre de ces écoles coraniques illustre bien cela.
« Les maîtres d’écoles musulmanes seront obligés de conduire ou d’envoyer, tous les
jours, à la classe du soir (soit celle de l’école laïque, soit celle des frères) tous les élèves
de 12 ans et au-dessus » (Article 5). Cet article 5 de l’arrêté du 22 juin 1857 avait le mérite
de mettre en place ou de lancer le début de l’initiation d’un enseignement franco-arabe au
Sénégal. Mais, ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que l’ambition de cet arrêté était
autre : son préambule et le premier article permettent de mieux comprendre ses objectifs :

Nous, Gouverneur du Sénégal et dépendances,


Vu l’arrêté du 22 juin 1857 par les écoles musulmanes ;
Considérant que le but de l’administration de la colonie, en régularisant par ledit arrêté l’institution
des écoles musulmanes a été de chercher à assimiler les enfants indigènes ;
Que ce but n’a pas été atteint jusqu’ici, par suite de l’indifférence apportée par les maîtres d’écoles ;
Attendu que le moyen le plus efficace d’arriver à ce résultat paraît être d’exiger désormais que ces
maîtres habituent les enfants à comprendre et à parler la langue française ;
Attendu qu’il convient dans ce but d’astreindre certaines conditions aux individus qui demanderont
à tenir des écoles arabes ;
Sur la proposition du directeur de l’intérieur,
Le conseil d’administration entendu,
Avons arrêté et arrêtons
Article 1er : Nul ne pourra, à l’avenir, obtenir une autorisation de tenir une école musulmane si, en
conformité à la prescription de l’arrêté du 22 juin 1857 précitée, il n’habite Saint Louis depuis sept

60
Louis Faidherbe a été nommé gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 puis de 1863 à 1865.

99
années, et s’il ne produit un certificat de bonne vie et mœurs du maire de la ville, et ne justifie savoir
parler le français devant un jury d’examen composé du chef du 2ème bureau de la direction de
l’intérieur, du Maire de la ville,
Et du cadi, chef de la religion musulmane.
L’autorisation sera retirée si le titulaire en devient indigne.

Cette décision du Gouverneur Faidherbe avait comme ambition la limitation et le contrôle


des écoles coraniques ; cela impliquait donc l’élimination des maîtres coraniques qui
refusaient de respecter cet arrêté. Comme le souligne Ndiaye M. (1985), « En imposant
le certificat de bonne vie et mœurs … l’autorité coloniale, visait à éliminer les marabouts
qui seraient hostiles à sa politique et qui pourraient constituer un frein à l’expansion de
ses idées et de sa langue » (p. 142). Cette ordonnance a provoqué la fermeture de
plusieurs écoles coraniques qui ne respectaient pas ces conditions fixées par l’arrêté du
22 juin 1857. Il s’ensuit beaucoup de mécontentement de la part de la population qui voyait
dans cette décision de l’administration coloniale française une sorte d’ingérence dans leur
vie religieuse (p. 123). Toutefois, ces réactions seront vaines et le 1 er octobre de cette
même année, un autre arrêté limita le nombre de marabouts-enseignants et le nombre
d’élèves par école coranique à 250 ; sans oublier que les plus âgés sont obligés de
s’inscrire aux cours du soir dans une école enseignant le français. Malgré toutes ces
interdictions, les autorités coloniales ne sont pas arrivées à éliminer les écoles coraniques
ni à empêcher l’influence de la culture arabo-musulmane au sein de la population. Le
contrôle de ces écoles et l’application des arrêtés devenaient difficiles pour elles.
Nombreux étaient les maîtres coraniques qui tenaient des écoles sans avoir l’autorisation
et même ceux qui l’avaient ne respectaient pas toujours à la lettre les différents articles de
ces arrêtés (pp. 157-158). Ces efforts de la part du gouverneur de la colonie ayant échoué,
d’autres arrêtés ont suivi jusqu’au début du 20ème siècle. Entre 1857 et 1906, les autorités
coloniales françaises ont pris plusieurs arrêtés pour tenter de stopper l’expansion des
écoles coloniales. (Cf. Bulletin administratif du Sénégal entre 1857 et 1908). Par exemple,
en 189661, l’administration coloniale avait décidé que pour ouvrir une école coranique, le
maître devrait subir un examen en langue arabe et qu’il devrait aussi tenir un registre en
français. Chaque trimestre, le maître coranique avait l’obligation d’envoyer le double du
registre au Ministère de l’intérieur. En plus, ces écoles coraniques n’avaient plus de droit

61
Arrêté n° 123 : Arrêté portant réorganisation des écoles musulmanes, Bulletin administratif du Sénégal
1896, 9 mai 1896.

100
de recevoir des enfants âgés entre six et quinze ans pendant les heures scolaires
correspondant à celles de l’école publique. Par ailleurs, il était exigé de ces maîtres
l’obtention par tous leurs élèves d’un certificat de fréquentation d’une école française.
Ceux qui ne respecteraient pas ces décisions étaient passibles d’une amende, voire
même d’une peine de prison (Article 11 de l’arrêté de 1896, p. 228). Dans les années
1900, l’administration coloniale a adopté une nouvelle stratégie pour attirer les populations
musulmanes vers ses écoles et faire la promotion de la langue française. Les autorités
coloniales ont donc changé d’approche. Elles ont coopéré avec les maîtres coraniques et
subventionné ceux d’entre eux qui ont accepté de consacrer deux heures par jour à
l’enseignement du français comme le stipule l’article 1 er de l’arrêté du 12 juin 190662.
Auparavant, d’autres mesures allant dans le sens d’apaiser les tensions ont été prises ;
c’est le cas de l’arrêté du 23 novembre 1883 qui stipulait que nul ne peut être nommé
instituteur "s’il ne sait parler et écrire l’arabe" (Article 3). Même si l’apparition de
l’enseignement coranique au Sénégal va de pair avec la pénétration de l’islam, il faudra
attendre 1903 pour que l’enseignement de l’arabe devienne officiel ; en effet, ce n’est qu’à
partir du 24 novembre 1903 que par un arrêté général le Gouverneur Camille Guy autorise
et organise cet enseignement dans les écoles coraniques et aussi dans les écoles
élémentaires des quatre communes, à savoir Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée. (Loi-
cadre de 1903, art. 4).

3- 1- 2- 3 La Médersa de Saint-Louis

Au début du 20ème siècle, le système des Médersas est employé par l’administration
coloniale comme moyen de politique culturelle dans de nombreuses colonies. Au Sénégal,
toujours dans la même lancée de limiter l’expansion de l’islam, la Médersa de Saint-Louis
a été créée en 1908. Elle avait l’ambition d’être un lieu de transfert culturel entre l’école
française et l’école coranique (Pondopoulo, 2007). Les buts de la médersa de Saint-Louis
pouvaient se résumer en ces termes du Gouverneur Général de l’A.O. F (Afrique
Occidentale Française) : « lutter avantageusement contre le prosélytisme des marabouts
et relever l’enseignement de l’arabe, aujourd’hui très avili. Il convenait de former un corps

62
Arrêté n° 254 relatif à la subvention des maîtres arabes : Bulletin administratif du Sénégal 1906, 12 juin
1906, pp. 607-08.

101
de marabouts officiels »63. L’administration coloniale était animée d’une volonté de
prendre le contrôle de la situation par rapport à l’instruction des enfants. D’après Ndiaye
M. (1985), les deux premières années de scolarisation dans la Médersa, les élèves avaient
dix (10) heures de cours de français et neuf (9) heures d’arabe par semaine. La troisième
et quatrième année, le nombre d’heures était respectivement de dix (10) et six (6) heures.
Le but donc était de remplacer progressivement les textes religieux par des textes
littéraires (p. 181). Les autorités cherchaient à laïciser l’enseignement musulman (Idem.,
172). Dans cette école, elles ont privilégié les enfants provenant des familles les plus
importantes et influentes. Mais, à l’intérieur du pays, les populations continuaient à
envoyer leurs enfants dans les écoles coraniques traditionnelles. Pendant cette période
de domination coloniale, malgré la création à Saint-Louis de la Médersa, le modèle d’école
coranique de type traditionnel, appelé "daara", était le plus répandu à travers le pays et il
était difficile pour les autorités coloniales de les dénombrer. Paul Maty (1914), responsable
du Service des Affaires Musulmanes de l’époque (1912-1921), soulignait justement que
le nombre exact des écoles coraniques étaient bien plus élevé que ce qui était déclaré
officiellement ; pour lui, ces écoles étaient des entreprises fonctionnant au domicile du
marabout et proliférant dans les quartiers. (Pondopoulo, 2007, p. 64). Ne pouvant pas
supprimer ni gérer ces multiples écoles coraniques, l’administration coloniale a
abandonné ce projet. Une rupture a été notée avec le décret du 14 février 1922
réglementant l’enseignement confessionnel. L’arrêté d’application publié le 22 septembre
1922 stipulait que les écoles coraniques et les écoles catéchistiques ne sont plus
considérées comme des établissements d’enseignement et par conséquent, elles
perdaient de ce fait les subventions qui leur étaient régulièrement allouées. Les écoles
coraniques n’avaient plus le droit d’enseigner autre chose que le coran et la religion 64.
Elles étaient alors livrées à elles-mêmes et l’administration coloniale ne s’intéressait plus
qu’aux écoles du système formel, c’est-à-dire aux écoles qui enseignaient le français. En
réalité, les écoles dites formelles étaient celles qui étaient sous leur autorité et qui
dépendaient de la métropole. Celles où les autorités coloniales pouvaient décider des
programmes, des contenus, des finalités et objectifs visés. A cette époque, ceux-ci étaient
de permettre la diffusion du christianisme, de favoriser l'expansion de la culture et de la

63
Arrêté n° 68 : créant la Médersa de Saint-Louis ou Ecole d’enseignement supérieur musulman, Bulletin
administratif du Sénégal 1908, 15 janvier 1908, pp. 98-99.
64
Cf. Arrêté N° 2541 relatif la suppression des écoles confessionnelles comme faisant parties des
établissements d’enseignement, Bulletin administratif du Sénégal 1922, 22 septembre 1922.

102
langue française, de former les cadres subalternes pour l'administration et les
entreprises... Avec l'accession à l'indépendance, il s’agissait de remplacer cette école,
comme le dit Sylla (1992), par « une École nouvelle, nationale et sénégalaise,
démocratique et populaire, laïque mais intégrant les dimensions spécifiques de notre
réalité socioculturelle, notamment sa dimension religieuse ». (p. 387). Les écoles
coraniques ou "daara" qui représentaient pour la population musulmane un moyen de
s’opposer au colonisateur, à son projet de christianisation et d’expansion du français, ne
faisaient pas parties du système formel. Elles s’échappaient à leur contrôle et avaient leur
propre organisation. Ces écoles, contrairement à celles qui enseignaient le français,
étaient sous la tutelle d’un marabout ou d’un guide religieux et avaient une organisation à
part. Leur objectif premier était la mémorisation du coran comme le reconnaît Fall A.
(2002). D’après lui, « cette forme d’enseignement était assez répandue. Ainsi que l’indique
son appellation, l’école coranique avait pour objectif principal l’enseignement du Coran, la
matière fondamentale dont découlent toutes les sciences arabo-islamiques. La
mémorisation du coran précédait toute autre acquisition. » (p. 49).

3- 1- 3 L’enseignement arabo-islamique après la colonisation

Cette période est marquée par le développement et l’expansion de l’enseignement arabo-


islamique dans tout le pays et par la prise de plusieurs mesures de la part des autorités
étatiques dans le souci d’une meilleure organisation et de contrôle de celui-ci.

3- 1- 3- 1 Le développement des "daara" en charge de cet enseignement

A partir des années 60, pendant la période postcoloniale, les "daara villageois" ont peu à
peu été remplacés par des "daara urbains". En effet, force est de constater qu’au moment
des indépendants, sur l’ensemble du territoire sénégalais, le système de "daara" villageois
était le modèle le plus répandu. Ces "daara" étaient des lieux où les enfants et les jeunes
pouvaient recevoir une éducation religieuse que "les écoles françaises" n’intégraient pas
dans leur curriculum. La fin des années 1970 coïncidait au Sénégal avec des périodes de
sécheresses entrainant l’exode rural. Certaines populations ont dû quitter leur village et
se sont établies dans les grandes villes où les conditions de vies étaient meilleures. C’est

103
dans ce contexte qu’il faut situer le déplacement de nombreux "daara villageois" vers les
capitales régionales ou départementales impliquant de nouvelles formes d’organisation et
d’adaptation. Les marabouts, responsables de ces nouveaux "daara urbains" ont fini par
intégrer la mendicité dans leur programme de formation des jeunes pour pallier au manque
de ressources et au soutien dont ils disposaient dans leurs villages d’origine. Les élèves
ou "talibés" furent obligé de mendier leur nourriture et de quoi faire fonctionner la structure.
En 2007, d’après une étude menée à Dakar et dans ses différentes banlieues, par
l’UNICEF, l’Organisation internationale du Travail et la Banque mondiale, a montré que
90% des enfants mendiant étaient des talibés, c’est-à-dire, des enfants qui sont
pensionnaires de ces « daara urbains »65. Pour Ali Hamadache66, les causes de la
mendicité sont liées à l'abandon des pratiques d'activité économique agricole ou
artisanale. Cette mendicité est un phénomène social spécifique des talibés répandu dans
bon nombre de pays du Sahel, notamment au Sénégal où il a pris une ampleur
considérable. Aussi, après les indépendances, même avec l’exode rural, les marabouts
ne restaient en ville que pendant la saison sèche. A l’approche de l’hivernage, ils
retournaient au village pour cultiver la terre. D’après le Professeur Ndiaye (2007) :

Avec le temps, les marabouts ont commencé à rester dans les villes toute l’année – ils ont pesé le
pour et le contre et pensé qu’il était plus favorable de rester à Dakar. Certains marabouts sont
devenus plus à l’aise à Dakar – il y avait du café, du riz, du poisson, de l’eau potable. Pourquoi
rentrer au village, où ils devaient travailler la terre pendant de longues heures, alors [qu’en ville] un
enfant ramène chaque jour de l’argent, du sucre et du riz ? En conséquence, certains marabouts
ont réduit les heures passées à étudier le coran, puisque plus l’enfant reste au daara, à apprendre,
moins il a d’opportunités de ramener de l’argent. Plus il passe de temps hors du daara, plus le
marabout maximise l’argent que les talibés lui apportent.

Cette situation décrite par Ndiaye (2007) résume tout à fait le sentiment "d’anarchie" qui
entoure ce sous-secteur informel de l’enseignement religieux malgré les nombreuses
tentatives des guides religieux, mouvements et associations islamiques de mieux
l’organiser. L’Etat du Sénégal, par l’octroi de subvention à certaines écoles franco-arabes
et par la création par un arrêté ministériel en 1986 d’une commission pour la

65
UNICEF, OIT et Banque mondiale, Enfants mendiants dans la région de Dakar, novembre 2007, p. 37.
66
Cité par Stefania Gandolfi (2003). Cahiers d'études africaines, pp. 169-170, 2003. Mis en ligne le 21
décembre 2006.

104
réorganisation de cet enseignement et l’unification des diplômes dans ce secteur de
l’enseignement de l’arabe, apporte son aide, sa contribution à l’effort d’éducation entrepris
par les guides religieux tout en essayant petit à petit de s’introduire dans la gestion et la
pris en charge de l’enseignement religieux.

3- 1- 3- 2 Le développement des écoles privées franco-arabes

Les écoles franco-arabes, comme leur nom l’indique, sont des structures où
l’enseignement est bilingue, à la fois en français et en arabe. Ces deux langues cohabitent
dans ces écoles de façon équilibrée. Déjà, pendant la période coloniale, l’existence de
l’enseignement français/arabe a été notée par exemple, à travers l’école des "fils de chefs"
et dans les médersas selon le modèle que l’on retrouvait dans les colonies françaises du
Nord de l’Afrique. Il faut dire, suite à la communication du Ministre de l’éducation, que « la
première Médersa dans la colonie fut fondée à Saint-Louis en 1908, et celle de Dakar en
1937. Faidherbe67 a voulu concilier l’intérêt de la mission civilisatrice de la France avec les
besoins spécifiques des populations intéressées » (MEN, 2002, séminaire d’introduction
de l’éducation religieuse). Ces deux langues ont cohabité au Sénégal, d’après Bouche
(1975, p. 994), dans le moyen secondaire et le supérieur depuis l’époque coloniale et à
partir de 1960 dans les écoles privées au niveau de l’élémentaire. Force est de reconnaître
que le véritable développement des écoles franco-arabes s’est réalisé après la période de
l’accession à l’indépendance avec une ouverture à la fois à la transmission des savoirs
islamiques (Gandolfi, 2003) et au développement des connaissances scientifiques et
profanes (Charlier, 2002). Cependant, la politique du président Senghor de recruter
massivement, sur la base d’une présentation d’une demande de l’intéressé, des
enseignants arabes à partir des années 1970, a favorisé la multiplication des structures
franco-arabes.

67
Faidherbe fut gouverneur de l’Afrique Occidentale Française.

105
Des mesures en vue de l’intégration dans la fonction publique des enseignants arabes
prises par Abdou Diouf, premier ministre d’alors, ont donné à ces derniers un certain
nombre de droits reconnus par le code du travail 68. Et en 1977, un décret les intégrant
dans les corps enseignants de la fonction publique a été promulgué par le premier
ministre. Au même moment, à l’Ecole Normale Supérieure, un département de la formation
en langue arabe a été ouvert. Aujourd’hui encore, la FASTEF, ex ENS, continue de former
des enseignants arabes ainsi que les inspecteurs en charge de la langue arabe. « Dès
1980, le statut de l’arabe a changé et est devenu langue de formation pédagogique des
arabisants à côté de la langue française. » (Dramé, 2003, p.52). Il semble donc que dans
les années 70 et 80, le secteur de l’éducation soit le principal grenier d’embauche de ces
arabophones avec la prolifération d’écoles arabes, d’écoles franco-arabes et instituts
islamiques.

3- 1- 3- 3 L’enseignement arabo-islamique aujourd’hui

A la suite des Etats Généraux de l’Education et de la Formation, la question de la gestion


des écoles coraniques et de la prise en charge de ces enfants fréquentant ces dites écoles
figurait dans les préoccupations que la commission technique devrait traiter. Pour trouver
des solutions à la crise que traversait l’école sénégalaise, des recommandations allant
dans le sens de moderniser ces structures coraniques, qui relevées du non-formel, ont
été faites. Aussi, il était question d’introduire l’enseignement religieux dans l’école
formelle, c’est-à-dire l’école publique républicaine. Cependant, il faudra attendre le début
des années 2000, coïncidant avec la première alternance politique au Sénégal, pour que
ce projet de réforme de l’Education Nationale voit le jour. Les décideurs au plan politique
et éducatif ont donc lancé le projet de modernisation des "daara" dans le but d’améliorer
les conditions de vie des "talibés". Aujourd’hui, il existe plusieurs types de "daara". Le
modèle ancien, appelé "daara villageois", existe encore en zone rurale. Ce type d’école
coranique a gardé son caractère traditionnel basé sur la mémorisation du coran. Et les
"talibés" alternent l’apprentissage du coran avec les travaux champêtres. Le deuxième
type, appelé "daaras urbains", est une institution récente qui a vu le jour au cours des
années 70 avec la sécheresse. Celle-ci a entraîné l’exode rurale. Une troisième catégorie

68
Cf. arrêtés n° 3100 du 2 avril 1974 et n° 5209 du 4 juin 1974.

106
de "daara" est appelée "daara saisonnier". Ce système a pratiquement disparu. Il était
basé sur deux temps et deux lieux. Le "daara" se déplaçait de la ville à la campagne
suivant les deux saisons qui existent au Sénégal. Depuis les années 2000, avec
l’alternance politique, est apparu un autre type de "daara" appelé "daara moderne". Dans
ce dernier type, les "talibés" apprennent en plus du coran et des sciences religieuses, le
français, les mathématiques et certaines matières enseignées dans les écoles formelles.
A travers ce tableau réalisé par le professeur Ndiaye (2007), les différents types d’écoles
coraniques y sont clairement identifiés :

Ce type de "daara" existe dans presque tous les villages


sénégalais et perpétue généralement la manière traditionnelle
d’apprendre le Coran par cœur. Dans de nombreux daaras
villageois, les enfants vivent à la maison avec leur famille et
"Daara villageois"
fréquentent l’école publique le matin, le daara dans l’après-midi,
ou inversement. Les enfants qui résident dans le daara aident
le marabout pendant les récoltes et s’occupent également
d’autres tâches comme d’aller chercher le bois et l’eau.

A quasiment disparu aujourd’hui, en particulier à Dakar. Les


marabouts et les "talibés" vivent en ville pendant la saison
sèche, les "talibés" étant généralement obligés de mendier de
"Daara saisonnier"
l’argent. Pendant la saison des pluies, les marabouts rentrent
au village pour préparer les récoltes, souvent accompagnés par
les "talibés" qui les aident dans les champs.

Fréquemment dirigés par des imams et liés à des mosquées,


ces "daara" accueillent en toute grande majorité des enfants qui
"Daara urbain" vivent avec leur famille dans le quartier. La plupart de ces
dans lequel ne enfants fréquentent également l’école publique. Ils ne pratiquent
résident que peu généralement pas la mendicité.
ou pas de talibés

107
La plupart des "daara" que l’on trouve dans les villes sont de ce
type. Ils accueillent des enfants souvent originaires de régions
"Daara urbain", rurales du Sénégal et de Guinée-Bissau, qui vivent avec un
dans lequel marabout et suivent son enseignement. Arguant du prétexte
résident des que la mendicité est essentielle au fonctionnement du daara et
"talibés" inculque l’humilité, de nombreux marabouts forcent leurs talibés
à mendier pendant de longues heures dans les rues. Les heures
consacrées à l’éducation coranique varient considérablement.

Bien qu’encore peu nombreux, ces daara enseignent des


matières autres que le Coran et l’arabe, notamment le français
et certaines matières enseignées dans les écoles publiques.
"Daara moderne" Les élèves ne mendient généralement pas d’argent, les "daara
moderne" étant souvent financés par le biais des frais
d’inscription ou par les autorités religieuses, l’État, l’aide
étrangère ou les agences d’aide humanitaire.

A travers le vocable "daara moderne", il faut comprendre une implication de l’Etat du


Sénégal et/ou de partenaires étrangers dans le but de l’amélioration des conditions
d’apprentissage, des contenus d’enseignement, des conditions de formation des maîtres
et du cadre de vie, c’est-à-dire la mise en place des structures pour veiller à la propreté,
à l’hygiène et au suivi médical des élèves. Cependant, il semble que ce type de "daara"
existait déjà au Sénégal avant ce projet lancé par le gouvernement du Sénégal. Déjà,
quelques décennies en arrière, certaines communautés religieuses s’étaient lancées dans
la mise en place de "daara modernes". Aussi, depuis la mise en route de la réforme en
octobre 2002, avec l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques
élémentaires, la création d’écoles franco-arabes publiques et la modernisation des
"daara", des structures coraniques ont bénéficié de l’appui de l’Etat dans ce domaine.

108
3- 1- 3- 4 La création des écoles publiques franco-arabes

La réforme de 2002 a permis l’ouverture, dans de nombreuses localités comme Kaffrine,


Diourbel, Louga, Kaolack… où le taux brut de scolarisation était faible, des premières
écoles publiques franco-arabes. Cette initiative entre dans le cadre de la politique de
diversification de l’offre éducative engagée par l’Etat du Sénégal pour atteindre l’objectif
de la scolarisation universelle. En 2006, le nombre d’écoles publiques franco-arabes était
de 62. Aujourd’hui (Cf. RNSE, 2016), il existe, à travers le pays, 334 écoles publiques
franco-arabes ; ce qui représente 4,2% des structures publiques élémentaires.
Cependant, il faut également souligner qu’à côté de ces écoles publiques, existent
d’autres structures privées qui se développent considérablement. Toujours, d’après le
RNSE (2016), le nombre d’écoles privées franco-arabes est de 482. Ainsi, dans la part
des écoles non publiques, elles représentent 32,1%. La spécificité de ces écoles franco-
arabes réside dans le fait qu’elles sont bilingues : le programme d’études est constitué de
50% d’enseignement arabe et d’éducation religieuse et de 50% d’enseignement en
français. Ces créations d’écoles publiques franco-arabes ont favorisé considérablement
l’augmentation du nombre d’enseignants arabes. Il arrive que dans certaines de ces dites
écoles, les enseignants en charge de la partie arabe, comme ceux responsables de
l’enseignement du français gèrent souvent trois niveaux d’enseignement (CI/CP ;
CE1/CE2 ; CM1/CM2) et leur temps est divisé en deux, par niveau. Donc le
fonctionnement et l’organisation dans les écoles franco-arabes diffèrent de ceux des
écoles publiques classiques mais l’éducation religieuse y est aussi dispensée. Cependant,
lors de différents entretiens avec des inspecteurs d’éducation et de formation et à travers
l’observation directe sur le terrain, le constat est que certaines zones sont confrontées,
depuis la création de ces écoles publiques franco-arabes à un manque d’enseignants en
langue arabe. Vue la forte demande, les enseignants arabes sont souvent affectés dans
des écoles publiques où il y a en général six (6) classes ou plus.

109
En somme, avec ce vaste programme de diversification de l’offre d’éducation, il semble
qu’on s’achemine progressivement vers un développement des structures islamiques
dans leur ensemble. Cependant, pour revenir à notre comparaison de départ, il semble
qu’en général, les écoles coraniques ne sont pas aussi organisées et structurées que les
médersas. Souvent dans les médersas, on retrouve dans le programme d’enseignement
à la fois les sciences religieuses et l’arabe littéraire. « La médersa est un lieu aménagé
constitué de plusieurs classes de niveaux différents avec un matériel didactique moderne
(tables, bancs, tableaux…). L’enseignement relève à la fois de l’oralité et de l’écriture »
(Meunier, 1995, p. 621). Au Sénégal, le "daara" de Coki pourrait être comparé à ces
médersas par son envergure et son organisation. Enfin, les ambitions de l’Etat du Sénégal,
au fil des années, sont la structuration de toutes ces écoles islamiques, dont les "daara"
et leur intégration dans le système éducatif.

3- 1- 3- 5 L’exemple du "daara" de COKI69

Aujourd’hui, même si au Sénégal, les écoles coraniques n’ont pas la même réputation
internationale que les grandes écoles islamiques comme l’université du Caire ou celle de
Tombouctou, il existe des centres coraniques (le "daara" de Pire ou de Coki) qui ont
rayonné jusqu’au-delà des frontières du pays et qui ont une envergure sous-régionale.
Créé en 1939, le "daara" de Coki, situé au nord-ouest du Sénégal, dans la région de
Louga, de par son envergure, le nombre de ses pensionnaires, sa réputation et sa
célébrité, est de loin l’école coranique la plus importante au Sénégal. Cette école regroupe
plus de 3000 talibés (élèves) de tous âges qui viennent de toutes les régions du pays et
de la sous-région ; ils y reçoivent une formation coranique accompagnée de pratiques de
la religion islamique et un apprentissage de la langue arabe. Ce "daara" est comparable
à un grand établissement d’enseignement à l’image de certains grands lycées de la
capitale avec plusieurs bâtiments à étages dont certains sont utilisés comme des salles
de classe et les autres servant de dortoirs. Il a joué un rôle de premier plan dans
l’enseignement arabo-islamique au Sénégal.

69
Dans certains ouvrages, le nom de cette école est écrit avec un "k" : « Koki ».

110
En résumé, ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a une diversification de l’offre d’éducation
concernant l’enseignement arabo-islamique. Les structures sont diverses et variées. Les
élèves (appelés "talibés"), dans beaucoup d’écoles coraniques, possèdent des
planchettes de bois sur lesquelles sont inscrits quelques sourates ou versets du Coran
qu’ils répètent à voix haute (Launay et Ware, 2009, p. 127) et la pédagogie repose sur
l’oralité même si, aujourd’hui, avec les innovations en cours – telles que la modernisation
des "daara" et la création d’écoles publiques franco-arabes – l’Etat vise à mettre en place
des liens avec le système classique. Toutefois, l’enseignement religieux islamique, délivré
dans tous les différents types de "daara" et structures telles que les écoles franco-arabes,
comme hier, continue aujourd’hui à assurer aux jeunes enfants, dès le bas âge, c’est-à-
dire aux environs de cinq ans jusqu’à la majorité, et quelle que soit leur origine sociale,
une formation spirituelle fondée sur la mémorisation des versets du coran, l’apprentissage
des sciences islamiques et les valeurs portées par la religion musulmane. L'assimilation
ou la mémorisation du coran se fait dans une salle annexe reliée à une mosquée et qui
peut être utilisée pour la méditation mystique: « le Khalwa ».

3- 2 ENSEIGNEMENT RELIGIEUX CATHOLIQUE 70

Enseigner la religion catholique dans les écoles se justifie et fait partie de la mission
d’évangélisation de l’Eglise qui chercher à offrir aux enfants et aux jeunes la révélation
divine, moyen qui leur permet de découvrir les vérités ultimes sur l’existence et sur
l’histoire du Salut. « Les motivations de l’Eglise sont limpides ; il s’agit d’orienter
l’éducation des enfants en fonction de ses souhaits, pour satisfaire à la mission qu’elle
s’est attribuée, à savoir l’évangélisation de la population. Selon le Vatican, l’école doit
proposer un cours de religion pour que chaque élève ait la possibilité d’accéder au
message catholique ». (Cf. Congrégation pour l’éducation catholique, 2007). Ce sous-
chapitre présente d’abord, de façon succincte, l’historique et la mission de l’école
catholique au Sénégal, ensuite l’état des lieux de l’enseignement religieux catholique et
enfin de ses programmes en lien avec le cycle élémentaire.

70
Dans cette partie consacrée à l’éducation religieuse chrétienne, nous n’abordons pas la catéchèse dans
les écoles protestantes ou évangéliques ; ce choix de ne traiter que l’enseignement religieux catholique
trouve sa justification dans le fait que ces écoles confessionnelles protestantes sont récentes au Sénégal et
que l’histoire de l’école sénégalaise en ses débuts a été intimement liée à la mission d’évangélisation de
l’Eglise catholique romaine.

111
3- 2- 1 Histoire et mission de l’école catholique 71

L’école catholique participe au Sénégal à l’effort d’éducation des enfants et des jeunes
depuis la première moitié du 19 ème siècle et cela coïncide avec les débuts de
l’enseignement. Elle est apparue dans le pays en même temps que l’arrivée des colons
français et des premiers missionnaires. D’ailleurs à cette époque, il était difficile de
distinguer l’enseignement catholique de l’enseignement public étant donné que beaucoup
d’écoles officielles étaient confiées à des communautés religieuses catholiques par
l’administration coloniale après la première école ouverte à Saint-Louis en 1817 par Jean
Dard. C’était le cas des sœurs de Saint Joseph de Cluny qui sont arrivées en 1819 à Saint-
Louis pour prendre en charge l’école des filles noires et des frères de Ploërmel, en 1841
pour la gestion de l’enseignement primaire. Pratiquement, jusqu’au milieu du 19 ème siècle,
toutes les écoles coloniales officielles étaient aux mains des congrégations religieuses
missionnaires. Après les lois laïques de Ferry en France entrainant aussi le départ des
religieux des écoles dans les colonies et quelques années plus tard la levée de
l’interdiction d’enseigner faite à ces derniers, au Sénégal, « l’enseignement privé
confessionnel reprend son essor, mais il se confine dans les vieux centres de la
chrétienté»72. Il connaîtra une grande expansion à travers le pays après la deuxième
guerre mondiale, surtout à partir de 1950. Aujourd’hui, l’enseignement catholique compte
près de 300 établissements pour à peu près 100 000 élèves73. Les écoles catholiques
sont de type confessionnel et participe à la mission de l’Eglise au Sénégal. A cet effet,
elles intègrent de façon légitime l’enseignement religieux dans leurs programmes.
Toutefois, elles sont aussi reconnues comme service d’utilité publique par les autorités
étatiques à travers le décret n°2009-1469 du 30 décembre 2009. « Les écoles catholiques
sont donc à la fois liées à l’Eglise catholique et inscrites à l’intérieur de notre société, pas
seulement pour y exercer des fonctions de suppléance, et encore moins de concurrence,
mais pour y manifester concrètement la fécondité de la foi » (Mgr Dagens C., 2007, p. 6).

71
Depuis quelques décennies, au Sénégal, l’enseignement privé catholique est devenu simplement
l’enseignement catholique et la structure chargée de gérer et de piloter l’ensemble de ces écoles est l’Office
National de l’Enseignement Catholique (O.N.E.S).
72
Cf. la législation scolaire de l’archidiocèse de Dakar, Sénégal. (p. 21).
73
Les statistiques pour l’année 20012-2013 étaient : 295 établissements ; 2391 salles de cours ; 99071
élèves dont 47913 garçons et 51158 filles ; 26030 élèves catholiques et 73041 élèves musulmans, soit
respectivement, 26,27% contre 73,73%. (Cf. l’Office National de l’Enseignement, Catholique du Sénégal :
ONECS)

112
La mission de l’Eglise catholique est à placer aussi dans un contexte mondial marqué par
un pluralisme culturel, et à ce titre, elle – l’Eglise – présente la pensée chrétienne comme
une possibilité de choix à côté des nombreuses autres formes de conception de la vie. Et
d’après l’Abbé Léon Diouf74 :

L’Ecole est un lieu privilégié pour assurer cette présence de la pensée chrétienne en milieu
culturellement pluraliste. L’Eglise préconise cependant le pluralisme scolaire, c’est-à-dire la
coexistence et si possible la coopération de systèmes scolaires variés, permettant cependant aux
jeunes de se former des critères de jugement basés sur une saine conception du monde, comme
de se préparer à participer activement à la construction de leur société. C’est dans cette perspective
que l’EPC revendique sa place dans l’organisation scolaire des nations. Avec cette alternative que
constitue l’EPC, l’Eglise contribue à promouvoir la liberté de l’enseignement et, par-là, à soutenir et
garantir la liberté de conscience et le droit des parents à choisir l’école qui réponde le mieux à leurs
vues éducatives (GEM, 8). (Cf. EC, pp. 10-15).

3- 2- 2 L’enseignement religieux dans les écoles catholiques

L’enseignement religieux occupe une place capitale dans l’Eglise catholique. C’est à
travers lui que celle-ci transmet aux jeunes l’essentiel de son message doctrinal. L’école
catholique, à sa manière, participe de façon consciente à cette mission importante pour
faire grandir spirituellement les enfants et les jeunes qui lui sont confiés. « Cet
enseignement constitue en effet l’élément fondamental de l’action éducative qui doit
amener l’élève à des choix faits en connaissance de cause et à transposer dans la vie.
Comme tel, il va au-delà de la simple adhésion intellectuelle à la vérité religieuse
chrétienne pour viser l’adhésion de tout l’être à la personne de Jésus-Christ. » 75
L’enseignement religieux se fait principalement à travers la catéchèse dans les écoles
catholiques même si le pourcentage d’élèves musulmans 76 y est nettement supérieur. Il
apporte une certaine spécificité à celles-ci sans quoi elles seraient des écoles comme
toutes autres écoles. Aussi, il est justifié par la loi d’orientation de l’éducation nationale.
Dans le respect de la liberté religieuse, l’article 5 stipule que : « (…) Par ailleurs,

74
Abbé Léon Diouf est le vicaire épiscopal chargé du secrétariat épiscopal de pastorale sociale et religieuse.
Cf. Contribution au Séminaire sur l’introduction de l’Enseignement Religieux dans les Ecoles Publiques et
Privées du Sénégal Contribution de l’Enseignement Privé Catholique (EPC). (2002, pp. 5-6).
75
Cf. Contribution au Séminaire sur l’introduction de l’Enseignement Religieux dans les Ecoles Publiques et
Privées du Sénégal Contribution de l’Enseignement Privé Catholique (2002, p. 9).
76
Pendant les cours de catéchèse, les élèves musulmans bénéficient de cours de morale.

113
l’Education Nationale, sur la base des mêmes principes de Laïcité de l’Etat, est favorable
aux établissements privés susceptibles de dispenser un enseignement religieux. » Cette
loi donne donc une liberté et une garantie aux établissements privés confessionnels ou
non d’inclure ce type d’enseignement dans leur programme. C’est ainsi que dans toutes
les écoles catholiques, il est prévu une séance d’une heure hebdomadaire de catéchèse
dispensée par les enseignants avec la possibilité d’une intervention des prêtres de la
paroisse d’où dépende chacune d’elles ; une manière de située la spécificité de ces écoles
dans le cadre d’une mission globale d’Eglise.

3- 3- 3 Le programme d’enseignement religieux dans les écoles catholiques77

Les élèves catholiques, tout au long de leur cursus scolaire, sont appelés à suivre un
programme de catéchèse qui répond aux objectifs généraux assignés à toute éducation
religieuse catholique. Ceux-ci sont traduits, pour chaque étape, en objectifs annuels puis
trimestriels. En tant que formation intégrante, la catéchèse ne laisse aucun aspect de la
vie chrétienne. D’après l’abbé Léon Diouf, elle « favorise la connaissance de la foi,
l’éducation liturgique, la formation morale, l’éducation à la vie communautaire et l’initiation
à la mission ». (Idem). Le tableau suivant présente le programme de l’enseignement
religieux dans les écoles catholiques.

77
Le tableau résumant ce programme provient du document relatif à la contribution de l’Enseignement
Catholique au séminaire sur l’introduction de l’enseignement religieux ; contribution faite par le vicaire
épiscopal chargé du secrétariat épiscopal de la pastorale sociale et religieuse de l’Archidiocèse de Dakar.

114
Etape / Thème Objectif annuel Objectifs trimestriels

Comprendre le don de 1er : prendre conscience de l’existence de


Dieu.
Préscolaire Dieu aux hommes à
2ème : manifester notre amour pour Dieu
travers ce qui nous dans notre entourage.
DIS-MOI TON NOM
arrive. 3ème :vivre la fraternité en Christ avec tous
… les hommes.

Chercher à faire naître


1er : comprendre les rapports entre Dieu et
chez l’enfant les hommes.
l’admiration et l’action 2ème : découvrir la mission de Jésus.
Cours d’initiation
de grâce, tout en 3ème : participer au message d’amour de
LAISSEZ VENIR A essayant de remédier Jésus pour la communauté.
MOI LES PETITS … aux défaillances de
l’éducation dans les
familles.

1er : développer cette idée : nous


connaissons Dieu par Jésus
Chercher à faire
ème
comprendre le rôle 2 : faire aller sans cesse de nous à
Cours préparatoire Jésus et de Jésus à nous. En regardant
essentiel du Christ
Jésus, nous savons comment vivre en
JESUS, TU NOUS dans notre vie chrétien, comment faire la joie du Père.
CONDUIS VERS chrétienne. Il est le ème
3 : initier les enfants à la liturgie. Cette
DIEU, NOTRE «visage» du Père, c’est initiation prépare les deux années
PERE. lui qui nous fait suivantes (CE1 et CE2) qui sont des
connaître le Père. années «sacramentelles».

1er : l’enfant doit être habitué à rencontrer


le Christ dans sa vie de tous les jours à la
Cours élémentaire Initier à la rencontre manière d’un ami à qui l’on peut se confier

1ère année sacramentelle de et sur lequel on peut compter.


Jésus par la confession 2ème : chercher à faire comprendre aux
JESUS, TU M’INVITES
et la communion enfants que le péché est un refus de cette
amitié avec Jésus. Il est un « non » opposé
au Seigneur.

3ème : célébration eucharistique.

115
Rencontre de l’enfant 1er : développer l’idée que nous trouverons
avec Jésus. Grandir mieux Jésus si nous le cherchons
ensemble.
dans la communauté
Cours élémentaire 2ème : présenter systématiquement le
chrétienne, y prendre
ème
2 année Baptême et le sacrement de Pénitence.
sa place, grâce aux
JESUS, TU NOUS FAIS 3ème : suggérer l’idée d’un monde nouveau
sacrements : baptême,
VIVRE à construire ensemble avec Jésus.
réconciliation et
eucharistie.

1er : découvrir la relation d’amour de Dieu


pour les hommes.
Cours Moyen 1ère
2ème : comprendre la mission de Jésus
année
Connaître le
projet comme certitude du salut que Dieu nous
SEIGNEUR JESUS, d’amour et de salut de donne.
TU NOUS Dieu pour les hommes 3ème : participer au prolongement de la
RASSEMBLES EN mission du Christ en tant que membre de
l’Eglise.
EGLISE

1er : rencontre approfondie avec Jésus-


Christ vivant parmi nous aujourd’hui.
Membre de la
2ème : indiquer aux enfants comment vivre
Cours Moyen 2 ème Communauté
«au nom de Jésus-Christ » dans sa famille,
année chrétienne, l’enfant doit dans son travail, dans son pays, dans
maintenant l’Eglise.
JESUS-CHRIST, TU
approfondir sa foi 3ème : préparer les enfants à la
ES VIVANT
personnelle. confirmation. Le trimestre est tout entier
consacré à l’Esprit Saint.

Ce programme du cycle élémentaire en catéchèse est suivi dans toutes les écoles
catholiques du Sénégal et en fait sa singularité et sa spécificité. D’après l’abbé Léon
Diouf (2002): « C’est également dans la perspective de cette spécificité, assumée par
l’Eglise Catholique elle-même auprès des enfants dont ses membres lui confient
l’éducation religieuse, qu’il faut situer l’introduction de l’enseignement religieux catholique
dans les Ecoles publiques et privées non confessionnelles »78. Cependant, si dans les

78
Cf. Contribution de l’enseignement catholique au séminaire sur l’introduction de l’Enseignement Religieux
dans les Ecoles Publiques et Privées du Sénégal. (2002, p. 9).

116
écoles confessionnelles catholiques au niveau du cycle élémentaire cet enseignement est
assuré normalement, force est de constater qu’avec la réforme de 2002 introduisant
l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires, il a du mal à être mis en
place. Les raisons des difficultés à appliquer l’innovation par rapport à la religion
catholique sont à rechercher sur le terrain.

3- 3 CONCLUSION

Les chapitres 1 et 2 montrent que l’école au Sénégal n’est pas une, mais diverse et
complexe avec des niveaux et types de cursus variés. Dans chaque forme que prend cette
école, les rapports à la religion sont extrêmement différents. Au lendemain des
indépendances, le système éducatif sénégalais était calqué sur le modèle français. Malgré
sa modernité due à l’héritage colonial et à certaines conditions favorables pour les études,
il s’est vite confronté à des problèmes liés au fait qu’il ne répondait pas aux réalités du
pays et aux besoins de certaines communautés. Ce qui justifie en 1981, la convocation
des Etas Généraux de l’Education et de la Formation. Ces assises préconisent de
nouvelles missions au système éducatif comme la prise en compte dans les curricula de
l’enseignement religieux jusque-là laissé aux communautés religieuses elles-mêmes. Ce
que réalisera le gouvernement de la première alternance politique. « L’éducation
religieuse, tant pour le chrétien que pour le musulman, renforce les valeurs spirituelles qui
sont à la base de toute société. Tout citoyen formé selon ses convictions religieuses est
une richesse spirituelle et un crédit pour toute la société » (CMCA n° 19) 79. Au Sénégal,
les "daara" ont pour objectif premier de mémoriser le Coran et de « favoriser
l’épanouissement spirituel des enfants » (Charlier, 2004, p. 46). La pédagogie dans ces
écoles coraniques s’est bâtie sur un modèle d’éducation globale qui prend en compte la
personne humaine dans toutes ses dimensions spirituelles et humaines. Certaines valeurs
comme l’humilité, la discrétion, le courage, la politesse, l’esprit d’équipe sont mises en
avant dans la formation du jeune élève ou "talibé". Plusieurs figures emblématiques
sénégalaises ont été formées dans ces "daara". De l’université de Pire, fondée en 1603
par Khaly Amar Fall sont sortis de grands savants et guides religieux tels que El Hadji

79
Cf. La coexistence entre musulmans et chrétiens dans le monde arabe (CMCA) Lettre Pastorale du
Conseil des Patriarches Catholiques d’Orient, de Noël 1994. in D.C. n° 2113, du 2 avril 1995, pp. 320-336,
cité dans : Contribution de l’enseignement catholique au séminaire sur l’introduction de l’Enseignement
Religieux dans les Ecoles Publiques et Privées du Sénégal. (2002, p. 6).

117
Malick Sy du Bonduc, El Hadji Omar Foutiyou Tall grand marabout et résistant pacifique
à la domination coloniale, fondateur de la confrérie "Tidjiania" au Sénégal. Pour atteindre
le projet de scolarisation universelle au cycle élémentaire, l’état du Sénégal a mis en place
à partir de l’année 2002/2003 des écoles franco-arabes publiques et a pris l’engagement
d’entreprendre la modernisation de ces "daara". Ce qui permet une diversification de l’offre
éducative et par la même occasion la réalisation de l’objectif de la scolarisation universelle.
Aussi, il a été question d’introduire dans l’école publique l’éducation religieuse. Plus d’une
quinzaine années après la mise en place de cette réforme, il serait intéressant de s’arrêter
et d’évaluer ce projet. Car, en définitive, ce qui est en jeu, c’est bien l’éducation des enfants
sénégalais. Et celle-ci tient une place considérable dans toutes les sociétés en général et
celle sénégalaise en particulier. Elle est la clé d’un développement. « Il va de soi – écrit
Jean Piaget dans Psychologie et Pédagogie – que c’est à la société de fixer les buts de
l’éducation qu’elle fournit aux générations montantes ». (Piaget, 1988). C’est par elle que
les sociétés transmettent aux jeunes générations leurs traditions, leurs valeurs, leurs
manières de faire, leur idéal de vie…Émile Durkheim (1958-1917) dans : « Durkheim E.
(1922). Éducation et Sociologie » définit l'éducation comme étant « l'action exercée par
les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a
pour objet de susciter chez l'enfant un certain nombre d'états physiques, intellectuels et
moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu social
auquel il est particulièrement destiné. » (p.10). Si, de l’Antiquité à nos jours, et quelle que
soit sa forme, l’éducation a toujours existé, ici l'accent est mis sur la cohésion sociale. La
finalité première de l'éducation est donc une insertion sociale, c'est-à-dire l'intégration de
l'individu dans son groupe d'appartenance sociétale, dans sa culture propre... Pour se
faire, le rôle de l’école est capital. Sous ce rapport, la prise en compte de la question de
l’intégration des "daara" dans le système éducatif sénégalais et l’introduction de
l’éducation religieuse dans l’école publique présentent autant d’intérêt qu’aujourd’hui, ils
alimentent considérablement le débat social sur la place et l’importance de la religion. D’où
toute l’importance que nous portons à cette recherche.

118
CHAPITRE 4
LA PROBLEMATIQUE GENERALE DE LA
RECHERCHE

D’un pays à l’autre, les facteurs d’émergence, l’application et les manifestations du


principe de laïcité peuvent varier. Au Sénégal, ce principe d’organisation politique a été
institutionnalisé au lendemain de l’indépendance. Dans la constitution, il est affirmé que «
La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant
la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race, de sexe, de religion. Elle
respecte toutes les croyances ». Si ce choix s’est inscrit dans la mouvance de celle des
Etats modernes, sa nécessité rend – elle compte de la situation socioculturelle
sénégalaise ? Manifestement pour certains, sa pertinence dans un Etat où la religion
occupe une place fondamentale pose problème. Qu’est-ce qui explique cet attachement
douloureux à ce principe ? Pourquoi une telle persistance de ce refus au fil du temps ?
Avec l'alternance politique intervenue en 2000 au Sénégal coïncidant avec l'arrivée au
pouvoir du parti démocratique sénégalais, une rupture dans les politiques de réforme
visant une orientation vers la satisfaction de la demande sociale a été notée. Certains
aspects de la réforme de 2002 du système éducatif vont même enrichir les argumentaires
sur la question de la laïcité liée à l’histoire du pays. L’introduction de l’éducation religieuse
dans l’école républicaine laïque à partir de l’année scolaire 2002/2003 par la modification
le 15 décembre 2004 de la loi d'orientation de l'éducation nationale et les tentatives de
modernisation des "daara", s’inscrivant dans le cadre de cette réforme ont ranimé les
débats sur le modèle de laïcité en vigueur au Sénégal. L’entrée de la religion à l’école
laïque soulève donc de nombreuses interrogations. Comment se fait cet enseignement
religieux dans les écoles publiques ? En quoi peut-il renseigner sur le modèle de laïcité ?
Quelles sont les différentes représentations ou visions de la laïcité au Sénégal ? Autant
d’interrogations constituant des sujets passionnants et qui font l’objet d’une attention toute
particulière de la communauté des chercheurs.

119
4- 1- CONTEXTE DE LA RECHERCHE

Une situation nationale et historique marquée par une tradition de contestations et


d’interprétations différentes du principe de laïcité dans ses fondements d’une part et
d’autre part l’application de la réforme de 2002 du système éducatif sénégalais suite aux
recommandations internationales (UNESCO, 1990, 2000 ; OMD, 200O) constituent le
contexte général de notre recherche. La problématique de la présente thèse s’enracine
donc dans les polémiques récurrentes et le "conflit d’interprétation" dont la laïcité fait l’objet
depuis l’indépendance du Sénégal jusqu’au début des années 2002 avec l’introduction de
l’éducation religieuse et les difficultés d’adoption du projet de loi sur la modernisation des
"daara".

4- 1- 2 L’extériorité du principe de laïcité au Sénégal ?

Par « extériorité de la laïcité », il faut comprendre ceci : ce principe de laïcité ou certains


de ses éléments de base qui le caractérisent ne sont pas en adéquation avec les réalités
socioculturelles sénégalaises. En d’autres termes, la genèse des relations entre les
autorités étatiques et les guides religieux, marquée par l’affirmation d’un certain nombre
de prérogatives de ces derniers en matière politique et sociale, semble dicter à
l’organisation de l’Etat une direction que l’institutionnalisation de la laïcité ne saurait
modifier. En effet, la laïcité a été choisie, au lendemain des indépendances, par plusieurs
pays africains et surtout par les anciennes colonies françaises, comme principe
d’organisation politique. Ainsi, elle figure dans la plupart des constitutions de ces pays.
C’est le cas du Sénégal qui a accédé à son indépendance en 1960. Cette mention de la
laïcité – comme d'ailleurs beaucoup d'articles des lois au Sénégal – s'inspire du droit
français, précisément de l'article 2 de la Constitution de 1958 qui stipule que « La France
est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant
la loi de tous les citoyens, sans distinction de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances ». Vue sous cet angle, la laïcité au Sénégal peut être perçue comme un héritage
français. Cette disposition constitutionnelle qui consacre la laïcité comme une option
héritée de la France est un choix des autorités étatiques pour assurer l’égalité de tous les
citoyens devant la loi. Mais à la différence de la France, au Sénégal, le religieux a encore
une grande influence sur la politique et cette affirmation constitutionnelle de la laïcité n'a

120
pas modifié ce schéma historico-culturel. Il est encore porteur de sens et de lien. La
religion au Sénégal se positionne comme une institution fédératrice et créatrice de
cohésion sociale. La diversité religieuse, une richesse pour le pays, participe à la
construction d’une communauté nationale où les individus, unis par des liens culturels et
politiques, décident de vivre ensemble en bonne harmonie. Dans cette collectivité sociale,
les guides religieux ont acquis une légitimité, poussant ainsi les autorités politiques à
nouer des liens étroits avec eux. Véritables régulateurs sociaux, ils participent à la
construction d’une identité nationale en s’investissant dans les domaines de l’économie,
de la politique, de l’éducation qui restent marqués par une empreinte religieuse.
(Gervasoni O. et Gueye C., 2005) .... L’histoire du Sénégal, riche en échanges entre l’Etat
et les différentes confessions religieuses, témoigne d’une véritable participation des
guides religieux à la formation morale des citoyens.

En brossant cette histoire du Sénégal indépendant, il apparaît que la question de la laïcité


est bien présente. Elle a été choisie comme régime d’organisation politique. Cependant,
elle n’entend pas remettre en cause les liens entre les guides religieux et les autorités
politiques. Habituellement, la laïcité est résumée au seul principe de séparation des
pouvoirs entre l’Etat et les religions. Ce qui ne représente pas une finalité des régimes
laïques. Baubérot et Milot, dans l’introduction de leur livre : Laïcités sans frontières (2011),
définissent le concept de laïcité, dans le prolongement de leurs écrits antérieurs
(Baubérot, 1990, 2004, et Milot, 2002, 2008), « par ses visées, en l’occurrence l’égalité et
la liberté de conscience, et par les moyens qui en garantissent le déploiement, la neutralité
et la séparation » (p.5). Au Sénégal, le degré de neutralité et de séparation est tel que des
relations très étroites entre l’Etat et les différentes familles religieuses sont possibles,
admises et tolérées. Le contexte historique et les traditions sénégalaises ont fait que les
guides religieux se sont toujours intéressés et ont pris position dans l’organisation politique
de la République. La laïcité, idée dynamique, est une notion marquée par sa complexité
et par le fait qu’elle soit soumise à de nombreuses interprétations qui divisent les gens par
rapport à sa signification et son contenu. Le choix des autorités étatiques en matière de
laïcité dans l’organisation constitutionnelle de l’Etat sénégalais et les réactions qui vont
s’ensuivre, notamment l’opposition de certains marabouts à ce projet nous poussent dès
à présent à formuler l’hypothèse selon laquelle :

121
soit la laïcité fut un principe purement exporté de l’extérieur, au nom d’une certaine
idée de modernité, soit elle aura forcément un sens bien différent vu la différence
des situations historiques entre la France et le Sénégal.

4- 1- 2 La laïcité : objet d’un conflit d’interprétation au Sénégal

L’Etat du Sénégal est garant de l’unité nationale et du respect de l’autonomie de chaque


personne. Cependant, depuis qu’elle a été inscrite dans la loi fondamentale de la
République sénégalaise, la laïcité n’a cessé d’être un enjeu de lutte. Aussi, sur le fond et
dans son application quotidienne, le principe de la laïcité, comme elle se traduit au
Sénégal, peut apparaître différente de sa ou ses conception(s) française(s). Elle revêt
donc un caractère particulier, équivoque, qui en fait l’objet de multiples interprétations.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer, il nous semble, ce phénomène au Sénégal parmi
lesquels : le contenu de la laïcité, son caractère non-consensuel, l’idée d’une privatisation
de la religion, etc.

4- 1- 2- 1 Le contenu de la laïcité

Le non-dit du contenu de la laïcité peut donner lieu à des interprétations différentes. Le


principe de la laïcité qui a donc été consacré dans la législation par la loi 63-22 du 7 mars
1963 est considéré comme principe d'organisation et de fonctionnement de la Nation. La
Constitution sénégalaise de 1963 en son article premier précisera davantage ce principe
de façon beaucoup plus explicite en ces termes : « La République du Sénégal est laïque,
démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans
distinction d'origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Elle figure aussi dans toutes les Constitutions qui vont suivre dont celle du 22 janvier 2001
qui est actuellement en vigueur. En effet, la Constitution de la République du Sénégal du
22 janvier 2001 affirme en son titre I que « la République du Sénégal est laïque,
démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans
distinction d'origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances »
(art.1). Dans cette même Constitution, il est dit que « tout acte de discrimination raciale,
ethnique ou religieuse, de même que toute propagande régionaliste pouvant porter

122
atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat ou à l'intégrité du territoire de la République sont
punis par la loi. » (Art.5). Aussi, au Titre II concernant les libertés publiques et celles de la
personne humaine…, par rapport aux religions et aux communautés religieuses, l’article
24 stipule : « La liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou cultuelles,
la profession d'éducateur religieux sont garanties à tous sous réserve de l'ordre public.
Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave.
Elles sont dégagées de la tutelle de l'Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d'une
manière autonome ». En réalité, les références liées à la laïcité dans le texte de la loi
fondamentale ou les articles qui renvoient aux quatre éléments de base de celle-ci ne
permettent pas d’en définir les contours et de déterminer sa véritable forme réelle. Le
principe de séparation des pouvoirs n’y est pas clairement exprimé. Samb (2005, p. 148)
défend le fait que les dispositions par rapport à la laïcité dans la loi fondamentale ne
renseignement pas sur le contenu de celle-ci.

Quoiqu’il en soit, l’idée d’un modèle proprement sénégalais de la laïcité ne peut pas être
exclue. Ce qui vient conforter la thèse selon laquelle la laïcité n’est pas une exception
française. Baubérot et Milot (2011) souligne le fait que, hors de France, Guy Haarscher a
été parmi les premiers écrivains « à théoriser la laïcité en la dégageant du seul contexte
française… » (p. 11). D’après ces auteurs :

Haarscher distingue les processus historiques d’émergence de la laïcité des principes


philosophiques et théoriques qui permettent de la définir et de la justifier. Il admet que « la laïcisation
de la société s’est d’abord manifestée comme un problème de politique religieuse », mais ce qui
« historiquement, en particulier en France, a constitué l’adversaire essentiel des laïques perd, sur
le plan théorique, son statut privilégié » (1996, p. 118). La laïcité ne saurait donc se limiter au cas
français et c’est ce qu’illustre également des travaux menés par des autreurs de divers pays :
Roberto P. Blancarte (2000) pour le Mexique, Jean-Pierre Bastian (2001) pour l’Amérique latine,
Micheline Milot (2002) pour le Canada et le Québec ou Thomas Berns (2006) pour la Belgique.
Chaque laïcité s’est d’ailleurs construite en effectuant des emprunts à d’autres pays. (Baubérot

et Milot, 2011, p. 11).

Si l’on prend en compte que la laïcité n’est pas une spécificité française (Baubérot, 2007,
2011), qu’il y a plusieurs modèles (Baubérot, 2015) et qu’aussi « selon les Etats, le
contenu peut varier, parfois dans des proportions assez larges » (Nauroi, 1990, cité par

123
Samb, 2005), il semble cependant que la laïcité, partout, poursuit comme but la liberté de
conscience et l’égalité en droit des individus. Et que pour atteindre ces finalités, deux
moyens sont nécessaires, à savoir : la séparation entre le pouvoir politique et le
pouvoir spirituel et la neutralité de l’Etat. Ces quatre éléments constituent donc le
fondement même de la laïcité. En effet, Baubérot, pour comprendre le sens des
événements et des discours et les contextes dans lesquels ils se produisent, prenant du
recul par rapport aux stéréotypes dominants de la société (française) en particulier et
partant des idéauxtypes de Max Weber, contredit l’existence d’un modèle unique de laïcité
française. Il soutient plutôt qu’il existe des représentations différentes de la laïcité. Il utilise
ces quatre éléments80 pour distinguer les laïcités françaises. Il s’agit de : « la liberté de
conscience (et de ses divers rapports avec la liberté religieuse), l’égalité (plus ou moins
forte) des droits sans condition, la séparation et la neutralité (et les diverses manières de
les envisager) » (Baubérot, 2015, p. 18). Ces quatre éléments vont constituer des
catégories pour comprendre les différentes visions par rapport à la laïcité. Jean Baubérot
préfère, à la place de modèle unique de laïcité française, employer le terme de « laïcité
dominante ». Car il s’agit, en définitive, d’un rapport de force. L’utilisation des idéaux-types
a permis à l’auteur de mettre l’accent sur les évolutions historiques de ces différentes
représentations de la laïcité en France. Au moment de la loi de séparation de 1905,
Baubérot repère quatre visions types de la laïcité qu’il nomme « laïcités historiques ». La
première : « la laïcité antireligieuse », caractérisée par une intervention de l’État contre la
religion ; la deuxième : « la laïcité gallicane », née à partir de la politique religieuse des
souverains français qui est liée à la religion catholique ; toutes deux, sont des laïcités qui
furent vaincues en 1905 et qui, aujourd’hui, sont devenues fortes. Deux autres laïcités,
appelées : « les laïcités séparatistes », l’une stricte et l’autre inclusive, vont insister sur le
caractère de neutralité de l’État et sur le caractère laïque de la législation. Elles étaient
victorieuses en 1905 et dominées aujourd’hui.

Ces « deux laïcités séparatistes se distinguent des autres types de laïcités par leur attention portée
à la législation laïque. Elles insistent, toutes les deux, de façon précise, sur la séparation de 1905
et la neutralité de la puissance publique qu’elle instaure, dans une dialectique liberté-non officialité
(…) De même la liberté de conscience et la non-discrimination sont dues à l’individu-citoyen dans

80
Cette étude du cas spécifique français fait suite à celle qui a menait avec la canadienne Micheline Milot
dans Laïcités sans frontières (2011). Cf, la partie de notre thèse : construction du modèle d’analyse.

124
le premier cas, peuvent intégrer une dimension collective dans le second, plus souple sur les
conditions concrètes de leur réalisation. (Baubérot, 2015, p. 85)

A côté de ces « laïcités historiques », l’auteur développe trois autres types de laïcité qu’il
appelle « les nouvelles laïcités » (p. 87). Il s’agit de : « la laïcité ouverte » qui est le
cinquième type de laïcité selon Baubérot. La laïcité ouverte prône la défense des
croyances contre l’athéisme. D’après l’auteur, l’expression « la laïcité ouverte » était
utilisée par Paul Ricœur, « fervent laïque depuis sa jeunesse » (p. 90), pour se démarquer
des laïques gallicans qui étaient partisans du monopole de l’Etat sur l’enseignement.
« Parler de laïcité ouverte chez Paul Ricœur signifie nationaliser les écoles privées sans
les étatiser » (p. 90). Le sixième type de laïcité introduit par Baubérot est « la laïcité
identitaire » à qui il donne des synonymes comme la « laïcité républicaine » ou encore la
« laïcité anti-immigrés ». Elle – d’après l’auteur – fait une différenciation entre les religions
de souche et les religions venues d’ailleurs surtout par le phénomène de l’immigration. La
laïcité identitaire « favorise l’inégalité entre citoyens suivant leur religion et privilégie, par
l’invocation des racines, le catholicisme, perçu comme un phénomène culturel qui lui
semble constituer un élément important de l’identité nationale » (p. 118). Enfin, le
septième type de laïcité est « la laïcité concordataire ». Dans cette vision de la laïcité, les
cultes sont reconnus et la laïcisation de l’école publique n’est pas imposée. C’est le cas
du régime de l’Alsace-Moselle81 et des collectivités d’outre-mer où la loi de séparation de
1905 n’est pas appliquée. Il s’ensuit « des limitations de la liberté de conscience – et – de
l’égalité des citoyens, et un faible degré de séparation et de neutralité » (Baubérot, 2015,
p. 130).

Pour revenir à notre analyse, il faut noter que, suivant les Etats et les modèles, la
séparation entre le politique et la religion est plus ou moins nette. En France, depuis la
Révolution de 1789 coïncidant avec la chute du catholicisme, la logique du principe du
confinement de la religion dans la sphère privée est de rigueur. D’ailleurs la loi du 09
décembre 1905 est intitulée « Séparation des Eglises et de l’Etat ». La République

81
L’Alsace-Moselle est régie par un « droit local » différent du reste de la métropole qui spécifie notamment
un type de rapport différent entre l’État et la religion. En Alsace-Moselle, les lois de 1882 (laïcisant l’école
publique) et de 1905 (séparation des Églises et de l’État) ne s’appliquent pas. Ce qui était au départ un
système transitoire est finalement demeuré pour des raisons historiques une exception nationale.

125
française : « ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Par contre, d’après
Samb (2005, p. 148) :

La laïcité telle qu’elle se pratique au Sénégal est une laïcité accommodante pour reprendre le terme
de Flowers (1990). Sous cette forme, il n’est pas indispensable que la séparation entre la religion et
l’autorité civile soit absolue. Tant que le gouvernement n’accorde pas un traitement préférentiel à
une religion particulière, tant qu’il ne soutient pas un groupe religieux spécifique à l’exclusion de
tous les autres, il n’y a rien de mal à ce qu’existent des relations de coopération entre les religions
et le gouvernement [qui] peut apporter une aide à des institutions religieuses dans la mesure où
cette aide est répartie équitablement, sans discrimination ni traitement préférentiel. Le
gouvernement peut se montrer obligeant à l’égard des besoins des personnes et des institutions
religieuses.

Il est clair au vu de ce qui se passe au Sénégal que la séparation entre le religieux et le


politique n’est pas stricte. Pour preuve, il suffit de jeter un regard sur les liens qui unissent
les hommes politiques sénégalais aux chefs religieux pour se rendre compte de la
souplesse de la frontière qui sépare le temporel du spirituel. Aussi, les rapports entre les
autorités étatiques et les chefs religieux rythment au quotidien la vie politico-sociale et sont
marqués par un certain intérêt réciproque si l’on se réfère à l’histoire. L’influence des
guides religieux, surtout des marabouts musulmans, et l’implication de certains dans la
politique sont des faits attestés. Ils ont eu à jouer au cours de l’histoire du Sénégal des
rôles qui ont un caractère politique et par conséquent se sont impliqués dans le domaine
temporel. « Les marabouts ont toujours pris position sur les problèmes politiques
majeurs… » (Samb, 2005, p. 140). Leur influence et leur implication dans la vie politique
ont imposé une certaine fragilité à la séparation des pouvoirs. Cette situation a entrainé
une certaine accommodation au principe de laïcité. Toutefois, pour Giovasoni O. et Gueye
C. (2005, p. 631) : « La participation des marabouts dans la vie politique n’est pas contraire
aux principes de la laïcité ». Quoiqu’il en soit, Ndiaye A. S. (2002) pense que : « Si donc
la laïcité est inscrite dans la Constitution et est à considérer comme un socle sur lequel
est bâti l’Etat, il importe néanmoins et sans cesse d’en décanter le contenu… » (Dans
Coumba-Diop, p. 609). Il soutient l’idée que l’ambiguïté de la laïcité réside dans la
compréhension que les gens se font par rapport aux relations qui unissent ces deux
pouvoirs que sont le pouvoir politique et le pouvoir spirituel. Il faut le dire, l’accession à

126
l’indépendance n’a pas freiné la co-intervention des religieux dans la politique et
réciproquement. Le pouvoir des guides religieux des principales confréries musulmanes82
s’est d’ailleurs accru sur le plan politique et économique. Aussi, les hommes politiques
sénégalais, qu’ils soient du pouvoir en place ou candidats à ce poste, ont continué à faire
appel à ces chefs religieux pour gagner leur confiance et celle de leurs disciples. Pour
preuve, rappelons que pendant que Senghor était au pouvoir, les "ndiguël"83 prononcés
par les leaders religieux l’ont d’une certaine manière maintenu au pouvoir jusqu’ à sa
démission en 1980. En contrepartie, il accordait aux différentes confréries des avantages
certains, surtout sur le plan économique. Actuellement, même si en général les guides
religieux ne prononcent plus de "ndiguël" ouvertement, les hommes politiques continuent
de s’assurer des votes de ceux qui se réclament de leur spiritualité en promettant
médiatiquement de l’aide et en rendant des visites télévisées à ces leaders.

Il semble que le modèle proprement sénégalais de la laïcité mettrait l’accent sur le


pluralisme religieux. Force est de reconnaître que la pluralité religieuse et la gestion des
différences peuvent être considérées comme des défis pour le vivre ensemble dans toute
société multiculturelle. Par multiculturalisme, d’après la thèse de Fred Constant (Le
multiculturalisme, Paris, Flammarion, 2000), il faut comprendre deux aspects : l’un
sociologique ou factuel et l’autre politique :

La première est d’ordre phénoménologique et indique, de façon descriptive, la diversité des cultures,
des religions, des langues, des traditions qui coexistent dans une même société. (…) La seconde
(…) désigne les dispositifs institutionnels mis en place pour la gestion des identités ethnoculturelles,
les réponses aux questions du vivre ensemble que soulève la diversité culturelle. C’est par rapport
à cette seconde signification que l’on peut distinguer globalement deux types de réponses pour ce
qui concerne l’éducation : une approche multiculturelle et une approche dite laïque . Mbonda

(2016, pp. 2-3).

82
Il faut souligner que les guides religieux des autres confessions religieuses ne sont pas en reste dans ce
jeu.
83
"Ndiguël"est un terme en langue wolof qui peut se traduit par un édit religieux donné par les califes (guides
ou marabouts) des différentes confréries musulmanes.

127
L’école, suivant les types de sociétés, s’inscrit dans l’une de ces deux approches. Dans le
deuxième cas, il s’agit de mettre en place une éducation laïque et libérale. Et dans le cas
d’une approche multiculturelle, par contre l’école « doit être un lieu où se discutent au
même titre que les théories scientifiques, les différentes formes de vie morale des
groupes » (Mbonda, 2016, p. 6). Poursuivant son analyse et considérant la laïcité et le
vivre ensemble, Mbonda voit dans le multiculturalisme un troisième aspect qui serait
contextuel. L’école en Afrique est un lieu de « convivialité ethnique ». Par conséquent la
priorité dans la transmission des valeurs dans une société, du moins en Afrique, doit être
accordée aux jeunes à travers l’éducation. Aussi, s’agissant de la laïcité en terre africaine
et du rapport entre le temporel et le spirituel, deux modèles d’organisation ont été mis en
place : « une forme radicale, d’inspiration marxiste, et une forme ouverte, compatible avec
la place de la religion dans l’espace public et éducatif. » (p.13). Suivant la forme, le rapport
à la religion n’est pas le même. Dans l’idéologie marxiste, la laïcité s’apparente à une
forme de lutte contre la religion. Dans le second cas, correspondant au modèle de la
plupart des pays subsahariens tels que le Mali, la Guinée, la Gambie, le Niger, le Sénégal,
etc., les rapports entre le temporel et le spirituel y sont complexes. La religion musulmane
est majoritaire dans ces pays ci-dessus. Et donc la force sociale de l’islam peut jouer dans
les rapports de force surtout si l’on sait que, comme souligne Mbonda (2016), « certains
courants de l’Islam sont porteurs d’un projet politique ». (p. 14). En ce qui concerne le cas
du Sénégal, les rapports entre le temporel et le spirituel sont marqués de différentes sortes
d’arrangements réciproques. L’Etat sénégalais reconnaît les différentes communautés
religieuses et finance les cultes. Il leur apporte aide et assistance surtout lors des grands
événements annuels de chaque famille religieuse sans distinction. D’après Samb (2005),
la République du Sénégal est libre et impartiale par rapport aux différentes religions.
« Toutefois, elle n’ignore pas le fait religieux. Au contraire, elle reconnaît et valorise la
réalité humaine du sentiment religieux dans la mesure où, l’article premier, alinéa 1 ad
finem, "elle respecte toutes les croyances" » (p. 138). Les différentes communautés
religieuses et les institutions qui en dépendent sont reconnues dans la constitution
sénégalaise (art. 17) comme des moyens d’éducation. Elles ont donc le droit de se
développer sans entrave et de réclamer leur indépendance ; ce que garantit l’article 19 de
la présente constitution. Ainsi sur le plan institutionnel, des mesures ont été prises dans
le cadre justement de cette reconnaissance de l’importance de la religion.

128
L’article premier de la constitution affirme d’abord que la "République du Sénégal est
laïque" avant même d’évoquer son caractère "démocratique" et "social". D’où toute
l’importance accordée à ce principe. L’article insiste ensuite sur l’égalité de tous devant la
loi. La laïcité de l’Etat permet de lutter contre les discriminations de tout ordre, qu’elle soit
raciale, basée sur le sexe ou religieuse. « Ce principe constitutionnel trouve son
fondement éthique dans deux valeurs originaires : l’égalité naturelle des hommes et leur
caractère originel d’êtres libres ». (Samb, 2005, p. 115). Pour cette raison également, la
Constitution du Sénégal garantit toutes les libertés fondamentales des individus. Dans son
préambule, il est fait mention du respect et de la garantie des libertés individuelles, qu’elles
soient religieuses ou philosophiques. Elle garantit aussi la liberté d’expression, la liberté
d’opinion et également « la liberté de la conscience, la profession et la pratique libre de la
religion ». Ainsi, semble-t-il, la laïcité sénégalaise peut être comprise comme le respect
des différentes convictions de chaque citoyen. Le Sénégal est marqué par une diversité
des sensibilités et croyances. Pour cette raison, l’Etat ne doit privilégier aucune religion et
n’en professe aucune, même pas celle de la majorité des citoyens, à savoir l’islam. Sa
mission fondamentale définie dans la Constitution est de favoriser l’épanouissement de
toutes les sensibilités de façon équitable et totalement libre. Par conséquent, il n’a pas
vocation d’empêcher les communautés religieuses de se développer ou de s’exprimer. La
laïcité de l’Etat n’est donc pas antireligieuse ; ce qui serait d’ailleurs contradictoire étant
donné que l’Etat prône le respect de toutes les croyances et la liberté religieuse. Pour
Samb (2005), la République laïque « est seulement areligieuse dans la mesure où elle ne
repose pas sur des bases religieuses mais séculières. Elle se fonde sur la tolérance
comme vertu cardinale d’une vie communautaire stable et pacifique » (p. 117). Abdou
Diouf, président de la République du Sénégal de 1981 à 2000, abonde dans le même
sens. Pour lui, « la laïcité est tout à fait conforme aux vertus de tolérance, de dialogue, de
convivialité de notre peuple, à son génie » (Cité par Samb, 2005, p. 118). En définitive, la
laïcité est un principe d’équilibre qui permet aux différentes sensibilités religieuses de se
respecter et de partager les mêmes espaces communs. La République laïque
sénégalaise, à travers sa constitution, a fait le choix d’un modèle qui permet au
temporel et au spirituel de collaborer. « La conception de la laïcité, développée par le
législateur, n’est guère agressive, ni même à vrai dire militante. Plutôt modérée, elle a
aménagé institutionnellement, pour les communautés religieuses, une place
théoriquement égale à celle de l’Etat dans un domaine stratégique comme l’éducation de

129
la jeunesse. » (Samb, 2005, p.128). Ce qui une fois de plus démontre que les religions au
Sénégal ont une certaine autonomie reconnue et acceptée qui fait qu’elles ont toujours
été présentes dans tous les domaines sociaux, économiques, culturels et politiques. Leur
place et leur influence sur la société sont des réalités avec lesquelles il faut faire. D’où une
certaine acclimatation de la laïcité au Sénégal sans qu’elle ne perde sa substance, sa
raison d’être, à savoir ses principes fondamentaux.

4- 1- 2- 2 Le caractère non-consensuel de la laïcité au Sénégal

Il paraît clair que le processus de laïcisation entamé au Sénégal en même temps que
l’avènement de l’indépendance du pays s’est effectué, malgré le fait avéré que ces
principes laïques y soient instaurés par le contact avec l’Occident, dans un contexte bien
sénégalais marqué par une diversité religieuses et ethnique. Les controverses, les
amalgames, les tensions entre les différents groupes sociaux ou communautés peuvent
être notés au quotidien. Depuis que la laïcité est inscrite dans la Constitution sénégalaise,
elle n’a cessé d’être source de divergence entre les différentes couches de la population.
Les débats autour du concept de la laïcité sont marqués au Sénégal par le manque de
consensus qui, à notre avis, constitue un autre facteur du conflit d’interprétation lié à ce
principe d’organisation politique. En effet, si pour certains, elle est considérée comme la
garantie d’une stabilité politique et la préservation d’une paix durable dans le pays, pour
d’autres, à l’inverse, la laïcité incarne l’image d’un néocolonialisme français dont il faut
s’affranchir impérativement.

Pour les autorités étatiques, la laïcité est vue comme le fondement de la République dans
lequel l’Etat puise toute sa substance. Dès les débuts de la mise en place des bases de
la République sénégalaise, elle apparaît comme un idéal pour la quête et le maintien de
l’unité nationale, l’égalité de tous les citoyens et la garantie des libertés individuelles tout
en sauvegardant la diversité religieuse, l’une des caractéristiques du pays. Pour Samb
(1988, p. 22) : « En vue d’assurer la coexistence harmonieuse et pacifique de sa
population multiethnique et multiconfessionnelle, la Constitution sénégalaise du 7 mars
1963 garantit toutes les libertés philosophiques et religieuses, la liberté religieuse en
premier lieu, sur la base d’une organisation laïque du fondement juridique de l’Etat ».

130
(Reprise dans Samb, 2005, p. 138) La laïcité a donc pour ambition d’être un cadre
juridique qui permet aux individus, quelle que soit leur appartenance religieuse, de vivre
ensemble tout en étant libres par rapport à leur croyance. Cependant, même si la liberté
de conscience, c’est-à-dire la liberté de croire, de ne pas croire, de changer de religion ou
même de ne pas se prononcer sur sa croyance, est protégée par la loi fondamentale de
la République laïque, il faut le reconnaître, d’une certaine manière, ce discours libéral par
rapport à la religion est difficilement acceptable par les communautés religieuses, voire
même la société en général. En réalité, dans la conscience collective sénégalaise, le
phénomène de l’apostasie qui consiste à changer de religion et celui de l’athéisme
signifiant le rejet de toute transcendance, sont considérés comme étant des déviations
contre nature ou des variantes contraires aux prescriptions religieuses. Dans certains
milieux traditionalistes ou religieux, l’apostasie est même considérée comme un délit ou
une faute grave qui peut conduire l’être humain à la déchéance. De ce fait, l’individu qui
change de religion, même si juridiquement il est libre de le faire, peut se voir exclure de
sa communauté, voire même de sa famille naturelle, être mis en quarantaine et perdre
toute sa dignité humaine parce que, en définitive, il s’est coupé lui-même de la voie de la
« vérité ». Cette condamnation de l’apostasie, par exemple dans la religion musulmane,
serait née, d’après Mustafa Akyol (2011), dans l’islam post-coranique pour des raisons
politiques. L’individu qui changeait de religion était considéré comme un traître coupable
de rejoindre le camp adverse. Akyol souligne que dans les empires islamiques, l’apostat
était considéré comme quelqu’un dont les idées étaient dangereuses pour l’ordre public
et par conséquent pour le pouvoir. Au Sénégal, dans le cas même où l’apostasie est
tolérée, il faut noter que tout un programme d’accompagnement, un apostolat, est mis en
place et proposé, en toute liberté, à l’individu concerné pour l’aider à reconnaître qu’il s’est
trompé, à demander pardon et à pouvoir revenir dans sa communauté de base. Et dans
ce cas précis, une cérémonie d’accueil, de profession de foi et de demande de pardon est
organisée. Cette démarche est observable dans certaines communautés chrétiennes. Ces
manières de faire, bien que le pays soit dans un régime laïque, trouve leur fondement
dans le fait que la société sénégalaise est encore « sous le prisme » du rapport à Dieu :
les repères à la religion font encore sens commun et il n’y a pas la perte d’emprise du
religieux sur la vie quotidienne comme dans certaines sociétés occidentales ; les différents
aspects et domaines de la société sont organisés en tenant compte de la religion. Les
communautés religieuses continuent concrètement à prendre en charge certaines

131
questions sociales et économiques. Il faut dire que l’histoire, par exemple, des rapports
séculaires et la symbiose entre l’islam et les traditions locales, ont poussé certains
sénégalais à considérer « la construction de l’Etat laïque (…) comme un épiphénomène
porté par l’épisode colonial, voire – et c’est bien le sens de la démarche marginale de ceux
qui, au printemps 2003, ont proposé l’application de la charia par tous les tribunaux
nationaux – comme une aberration à corriger dès que possible » (Charlier, 2004, p. 96).
Ces propos de Charlier renforcent l’idée d’une extériorité du principe de laïcité au Sénégal.
D’ailleurs, son adoption et son maintien peuvent en effet surprendre dans un pays où la
population est à 95 % musulmane et où les différentes confréries islamiques ont une
grande influence et occupent une place importante dans l’organisation sociale et politique.

Le déséquilibre entre les chrétiens, représentant la minorité religieuse avec moins de 5%


et dont se réclame le premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar
Senghor, et les musulmans, constituant la majorité de la population, sera utilisé par le
camp anti-laïque pour exprimer leur opposition face à la laïcité. En effet, après la
constitutionnalisation de la laïcité par le pouvoir en place, certains hommes politiques se
sont soulevés contre cette décision. C'est le cas de Mamadou Dia, président de
l’assemblée nationale, de confession musulmane, et ses partisans, opposants naturels du
parti socialiste, qui l'accusent de vouloir "occidentaliser" la nation avec leurs idées
complètement empruntées à la culture et au droit français. À travers leur journal "Andë
Sopi » (qui se traduit par "S’unir pour changer"), mensuel édité par ce groupe marxiste, ils
invitent la population à rejeter cette laïcité et tout ce qui ne correspond pas à nos réalités.
Pour Mamadou Dia, « devant les stratégies sournoises qui tendent à occidentaliser
toujours un peu plus le Sénégal, il ne nous reste plus qu’à organiser notre profond refus,
dans le domaine de l’Islam particulièrement84». Malgré donc sa consécration
constitutionnelle, le principe de laïcité n’est pas consensuel au Sénégal. Il n’est pas
reconnu par tous et est souvent remis en cause par une partie de la population. Certains
islamologues caractérisés par leur rigueur et leur traditionalisme défendent l’idée selon
laquelle : « l’islam peut envisager la ou les solutions aux problèmes que pose l’humanité
au devenir. » (Gomez-Pérez, 1997, p. 292). La laïcité est vue par une partie de la
population, proche de ce courant traditionnaliste, comme un système d’organisation

84
Cf. le mensuel "AndëSopi", n°4, octobre 1977.

132
politique hérité de l’ancien colonisateur français et par conséquent inadapté et incohérent
par rapport à la culture locale. Ce courant traditionnaliste voit la laïcité comme une
inscription dans la continuité de l’administration coloniale et par conséquent milite sans
cesse en faveur de son retrait de la loi fondamentale du Sénégal. Depuis sa première
apparition dans la constitution sénégalaise, et bien avant même, un camp anti-laïque s’est
peu à peu constitué. Le concept de laïcité, comme principe républicain brandi par le
gouvernement dans les années 1960, n’est pas bien reçu par tout le monde. Et il est même
combattu par certains guides religieux qui ne cachent pas leur militantisme en faveur
d’autres formes d’organisation politique qui ont pour fondement la religion. Les années
1970, coïncidant avec l'émergence d'une démocratie, sont aussi marquées par une crise
sans précédent au Sénégal. Sous ce rapport, les religions sont perçues comme moyen
d'apaisement des cœurs et d'espoir en des lendemains meilleurs. Elles gagnent du terrain
dans la société sénégalaise. Ainsi, aux yeux des ennemis de la laïcité, celle-ci est la cause
de tous les problèmes et entraîne une perte de nos valeurs. Les autorités politiques sont
très inquiètes face à la montée du nationalisme et du "prosélytisme islamique". Sous le
régime d’Abou Diouf, deuxième président de la République indépendante du Sénégal
après Senghor, les divergences par rapport à la laïcité s’intensifient. « Deux courants de
pensée distincts virent le jour à cette époque : celui des défenseurs de la laïcité et celui
des partisans d’un parti islamique, regroupant les responsables des associations
islamiques des années 1950. Certains réclament même un référendum sur la question de
la laïcité. » (Samson, 2005, p. 220). Cependant, il faut souligner que tous les marabouts
et guides religieux musulmans, en particulier ceux des grandes confréries, ne sont pas
tous contre le principe de laïcité. Au contraire, beaucoup de ces leaders musulmans ont
soutenu le président Senghor dans l’organisation politique de la jeune République
sénégalaise. Dans le cas du Sénégal, contrairement à ce qui s’est passé en Algérie avec
le mouvement nationaliste d’inspiration arabo-islamique qui a permis à ce pays d’accéder
à l’indépendance, « les élites nationalistes ont conduit le peuple musulman à
l’indépendance dans une dynamique de symbiose islam-laïcité sans s’inspirer
essentiellement de l’islam » (Samb, 2005, p. 158). Ce que reconnaitra également
Mamadou Dia, opposant naturel au président Senghor : « Les conditions historiques de
l’islamisation sénégalaise ont fait de l’islam sénégalais un protégé et un allié de l’Etat
laïque colonial et il porte encore aujourd’hui la marque de ce destin » (Dia, 1980, cité par
Samb, 2005, p. 158).

133
Les oppositions, les luttes et les divergences autour du principe de laïcité ont en réalité
traversé toutes les périodes de l’histoire politique du pays à tel point qu’elles se sont
imprimées dans la conscience des gens. Profitant de la présence de plusieurs
représentants de pays islamiques à Dakar, le gouvernement par le biais de son premier
ministre, Abdou Diouf, (qui succédera à Senghor comme président de la République en
1981) tente de préciser les valeurs qui ont toujours été mises en avant dans la société tout
en exprimant ses craintes et peurs : « Le Sénégal fidèle aux idéaux de tolérance et de
fraternité entre les hommes, ne peut manquer de s’inquiéter lorsque, sous quelques motifs
que ce soient, un groupe de populations cherche à dominer ou à éliminer un autre, au
nom d’une intolérance religieuse aujourd’hui dépassée »85. Le retrait du principe de laïcité
de la constitution, proposé par des associations islamiques, sonne comme une menace
pour les autorités étatiques86 comme l’affirme toujours le Président Abdou Diouf :

Il est une menace qui pèse sur notre démocratie : c’est la confusion et l’amalgame qui veulent saper
notre attachement à la laïcité. Or la laïcité est l’un des acquis fondamentaux de notre peuple. La
laïcité est une option irrésistible de notre démocratie. Elle est inscrite dans le Titre 1er, article 1er de
notre constitution (…) La laïcité ne signifie ni hostilité, ni indifférence, ni même ignorance des
communautés religieuses nationales. Au contraire, cette laïcité signifie que l’Etat reconnaissant
les différentes communautés religieuses dans leur autonomie et surtout dans leur rôle
d’éducation et de formation des populations, leur assure une liberté de développement et les aide à
vivre leur vie religieuse comme il les aide à vivre leur vie culturelle au Sénégal (…) On ne saurait
mettre en question sous quelque prétexte que ce soit cette nation sénégalaise unie et indivisible.

(Discours publié dans le Journal le Soleil, le 2, 3, 4 janvier 1987, Cité par Gomez-
Pérez, 2005, p. 220).

A travers ce discours, le président Abdou Diouf revendique un modèle de laïcité propre au


Sénégal. Ces propos traduisent l'extrême urgence pour le pouvoir en place de consolider
ce principe pour protéger les minorités religieuses mais surtout pour favoriser l'égalité de
toutes les croyances par rapport à la loi et permettre l'expression des libertés individuelles.
La confusion dont il est question est la principale cause du manque de consensus par
rapport à la laïcité.

85
Discours d'ouverture de la 9ème session ministérielle de la Conférence islamique prononcé en avril 1978.
86
Cette affirmation a été valable de l’indépendance jusqu’au début des années 2000, coïncidant avec
l’alternance politique au Sénégal. Il faut se rappeler aussi que le Président Wade a eu, lui-même, à
proposer d’enlever le terme « laïcité » du texte constitutionnel.

134
Encore en 2016, au moment où l’idée de référendum a été agitée par le président de la
République dans le cadre de sa promesse de réduction de son mandat de 7 à 5 ans, le
camp anti-laïque a remis sur la table des négociations la proposition de retrait du point
dans la Constitution concernant la laïcité. Cette revendication a eu le mérite de
réactualiser le débat sur la problématique posée par la laïcité dans le paysage
sociopolitique. Avec le projet de référendum, proposant une clause d’intangibilité de la
laïcité dans la Constitution, c’est toute la question sur le contenu de la laïcité qui resurgit
dans la scène politique. L’intangibilité de la laïcité proposée ne saurait être acceptée par
le camp anti-laïque qui s’est toujours opposé à ce principe jugé non conforme aux valeurs
culturelles et éthiques sénégalaises.

En somme, la question laïque au Sénégal est source de polémique. Le manque de


consensus véritable est lié à l’idéologie sur laquelle est fondée la République. Ses
défenseurs militent pour que celle-ci soit « laïque, démocratique et sociale ». Pour ceux
qui s’y opposent, les bases de la République ne sauraient ignorer le facteur religieux ou
le confiner dans une sphère strictement privée. Il apparaît ainsi que la laïcité est un
principe qui a été adopté au Sénégal mais ne fait pas l'unanimité. Elle n'est pas bien reçue
par tous. Elle a donc des ennemis. Ces divergences sur la question de la laïcité au
Sénégal vont mettre à jour deux camps qui s'opposent : d'une part, ceux qui défendent la
laïcité, c'est-à-dire ceux qui pensent qu'il a été nécessaire de l'institutionnaliser pour
permettre une coexistence pacifique entre les diversités religieuses et d'autre part ceux
qui la décrient ou ceux qui soutiennent qu'elle ne correspond pas aux réalités du pays.
Mais quelle que soit d'ailleurs la position des uns et des autres, une chose est sûre, le
modèle de laïcité en vigueur au Sénégal, fruit d’un rapport de force entre ces différentes
visions, présente des particularités. Les contextes de son émergence sont spécifiques.

135
4- 1- 2- 3 L’impossibilité d’une privatisation stricte de la religion

Avec une population majoritairement composée de musulmans (95%), de chrétiens (4%)


et de religions traditionnelles (1%), le Sénégal est un pays où les religions et les croyances
ancestrales occupent une place centrale dans la vie quotidienne. Ce qui dans un certain
sens imprime à la forme de laïcité un caractère particulier. La référence aux religions se
retrouve dans tous les domaines : social, politique, économique, culturelle, éducatif, etc.
A tous les niveaux de référence, le spirituel et le temporel sont difficilement dissociables.
Au niveau politique, il suffit juste de prendre comme exemple la formule actuelle de
prestation de serment du président de la République retenue pour son investiture. « Si
l’Etat du Sénégal reconnaît toujours comme principe fondamental la laïcité du pays, tout
nouveau président de l’Etat devra à présent prêter serment sur Dieu. La pluralité des
religions n’est pas remise en cause mais le serment remet en question ce concept de
laïcité tel qu’il était conçu au Sénégal depuis 1983… » (Gervasoni O. et Gueye C., 2005,
p. 633). La référence à la religion au cours de l’installation de la plus haute institution de
la République réaffirme et interroge sur la forme de laïcité au Sénégal qui apparaît comme
une sorte de compromis ou d’adaptation de ce principe dans un pays où les différentes
familles religieuses constituent une force non négligeable qu’il faut prendre en compte.

Un détour historique en France permet de constater que le principe de laïcité s’est affirmé
dans la négation de l’acceptation de la domination d’une communauté religieuse sur les
autres entités de la République et dans la stricte séparation des pouvoirs, c’est-à-dire de
l’Eglise et de l’Etat. Une telle séparation a impliqué la dissociation de la sphère publique
et de la sphère privée. Les rapports et les limites de ces deux espaces ont évolué dans le
temps. Aujourd’hui, même si la distinction entre "privé" et "public" apparaît simple, cela
n’enlève en rien la complexité de ces deux notions appliquées à des espaces. Le concept
de privé renvoie à ce qui est réservé à des particuliers, à certains et par conséquent fermé
ou restreint à ceux qui n’en font pas partie, aux autres. Par contre, le concept de public
fait référence à ce qui est ouvert et accessible à tout le monde. En quelque sorte, leur
opposition fait penser à la distinction du dedans et du dehors. « Cette opposition occupe
une place centrale dans le système philosophique de Jürgen Habermas qui distingue deux
sphères jouissant d’une autonomie relative : la sphère privée et la sphère publique. Pour

136
lui, la sphère privée est soumise à la règle de compromis, alors que la sphère publique
est soumise à celle du consensus fondé sur la raison. » (Blanc et Causer, 2005, p. 8). Un
éclairage important pour bien distinguer privé de public malgré les difficultés réelles pour
l’établissement d’une limite entre les deux et la complexité de leur lien ou rapport.
« Habermas a bien perçu ces difficultés ; cette frontière est historiquement déterminée et
elle est mouvante » (p. 8). Au sens propre, l’"espace privé" fait penser à l’espace intime à
l’individu, à la famille ou à un ensemble d’individus comme une communauté religieuse et
l’"espace public" fait penser aux lieux communs à tous. En ce sens, le domicile familial et
les lieux de cultes87 peuvent être considérés comme espace privé, tandis que les espaces
verts dans les quartiers sont des espaces publics. Aujourd’hui encore, dans beaucoup de
pays démocratiques l’espace public est subdivisé en deux :

- D’un côté, l’espace public en tant que tel qui est dit politique est d’affirmation
citoyenne pour la prise en charge des biens publics et la défense de l’intérêt
nationale. D’où la notion de « service public » apparue le 08 février 1873. En
France, la charte de la laïcité dans les services publics réaffirme le « devoir de
stricte neutralité » de tout agent public.
- De l’autre un espace dénommé civil ou sociétal qui renvoie aux lieux que les
citoyens fréquentent régulièrement et où ils peuvent se regrouper librement dans
le respect de l’ordre public.

La distinction entre espace sociétal et les services publics permet de comprendre ce qui
se joue à travers ces trois espaces distincts énumérés et identifiés par Khaldi (2015) :

L’espace public est constitué par les institutions publiques : écoles, hôpitaux, tribunaux, casernes,
prisons… L’espace civil représente, dans les sociétés humaines, l’ensemble des espaces de
passage et de rassemblement à l’usage de tous. Soit il n’appartient à personne (en droit par ex.),
soit il relève du domaine civil : la rue, les transports, les commerces. L’espace privé est l’espace
intime : le domicile, les lieux de culte. Khaldi (2015, p. 47).

87
Sauf, bien sûr les Eglises, qui après la Révolution française sont passées aux mains de l’Etat et par
conséquent, de manière légale, sont considérées comme patrimoines nationaux.

137
A partir de ces précisions, la question qui mérite d’être élucidée est la suivante : « l’espace
public peut-il être neutre ? ». En tout cas, même si la réponse est complexe et mérite
réflexion, dans le cas du Sénégal, l’exclusion de la religion de l’espace public aux deux
sens distingués est difficile ou n’est pas envisageable compte tenu des revendications
identitaires sous-tendues par des fondements historiques et idéologiques. Comme nous
l’avons vu, la laïcité au Sénégal ne prétend pas exclure les religions de l’espace
sociétal, voire même public au premier sens du terme. Son histoire n’est pas liée à la
recherche d’un apaisement d’un conflit entre les religions ou à la recherche d’un
affranchissement, d’une séparation du pouvoir politique sous le monopole d’une religion
qui imposerait à tous une manière unique de voir, de penser ou d’agir. Dans ce sens, la
trajectoire de la laïcité n’est pas de se durcir contre les religions. L’idée d’interdiction des
pratiques religieuses sur l’espace public n’a jamais été une préoccupation de la laïcité.
Toutefois, les opposants de la laïcité lui reprochent son désir de vouloir cantonner le
religieux dans la sphère privée. Cette polémique concernant la place des signes religieux
dans la sphère publique confirme l’urgence et la nécessité de subdiviser celle-ci en deux
espaces distincts : l’un politique et l’autre civil.

En définitive, la présentation du Sénégal a montré qu’effectivement, dans les grandes


périodes de l’histoire du pays, ni les différentes communautés religieuses, ni la religion
n’ont été reléguées dans la sphère privée, ni séparées de la sphère publique, voire même
de la politique ; beaucoup d’auteurs ont mené des recherches dans ce sens au Sénégal 88,
« pays où l’islam confrérique a toujours été étroitement lié, d’une manière plus ou moins
implicite, à la gestion politique… » (Samson F., 2005, p.345). En prenant en considération
également le développement des mouvements réformistes en Afrique, Loimeier dans
Gomez-Perez (2005, pp. 29-30) fait une distinction entre les pays d’islamisation ancienne
et ceux d’islamisation plus récente ; il établit aussi une différenciation entre les régions à
majorité musulmane et les régions où ils sont minoritaires ; et enfin il distingue les régions
où la tradition soufie revêt une importance capitale et les autres où elle n’a pas une grande
influence. Et dans tous les cas de figure, le Sénégal est classé dans le premier groupe
cité. Ce qui démontre l’ancrage sociologique qu’a pris la religion musulmane dans ce pays.
Il faut rappeler qu’à partir du 20 ème siècle en Afrique, on assistait à l’apparition et au

88
Marty (1917), Coulon (1981), O’Brien (1971), Guèye (2005), etc.

138
développement des mouvements réformistes musulmans. L’émergence des sociétés
africaines a été marquée, sur le plan social, religieux et politique, par l’influence de ces
mouvements réformistes musulmans en lien avec ceux de la Umma, des pays comme
l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Libye, l’Iran… Si aujourd’hui, la pensée réformiste s’est
développée au Sénégal, c’est grâce à Cheikh Touré (né 1925) et aussi à la mise en place
en 1953 de l’Union culturelle musulmane (U.C.M). Mais, « en réalité, le réformisme
musulman sénégalais est beaucoup plus ancien et a commencé à se développer en milieu
du 19ème siècle. Après 1848, un mouvement des droits civils musulmans commençait
d’émerger dans le contexte de la formation des quatre communes 89 au Sénégal, et de
s’engager pour la reconnaissance des normes, des rites et des conventions sociales
musulmanes distinctives, en particulier du droit personnel musulman. » (Jonhson G.,
1971, cité par Lomeier R., 2005, dans Gomez-Perez, p. 31). Ce mouvement réformiste
musulman sénégalais s’était propagé grâce aux intellectuels de l’époque qui occupaient
le plus souvent le rôle d’interprète et érudits musulmans. Au Sénégal, les mouvements
réformistes musulmans « critiquaient aussi la laïcité de l’Etat colonial comme postcolonial.
Ils concentraient tous leurs efforts sur le développement de l’éducation musulmane
moderne. » (Loimeier, 2005 dans Gomez-Perez, p. 29). Aujourd’hui encore, ces mêmes
critiques sont formulées par certaines associations religieuses. Elles continuent à
réclamer une réforme des droits civils pour que ces derniers soient inspirés des normes
islamiques. Cependant, parallèlement à ces mouvements réformistes, ils sont nombreux
ceux qui parmi la population sénégalaise, musulmans comme chrétiens, continuent à
soutenir la nécessité irréversible d’une organisation politique basée sur le principe de
laïcité.

Pour l’instant, ce qu’il faut donc retenir, c’est ceci : au Sénégal, l'expression des
convictions n’est pas limitée à l’espace privé. Les guides religieux ont une légitimité à se
prononcer sur les questions et intérêts communs. Toutefois et comme nous l’avons vu à
plusieurs reprises, le principe de laïcité, même s’il peut être contesté par certains, semble
avoir aussi une grande légitimité. Le modèle de laïcité que nous cherchons à analyser se
tient là.

89
Pendant l’occupation coloniale, les habitants des quatre communes du Sénégal, à savoir, Dakar,
Rufisque, Gorée et Saint-Louis, étaient considérés citoyens français.

139
Avant d’aller plus en avant dans l’examen d’un modèle proprement sénégalais, on peut
au moins dire, me semble-t-il, que la frontière entre espace privé et espace public est
complexe et difficile à délimiter. Le lien étroit entre les religions et les individus qui rythme
et encadre l’organisation sociétale permet de défendre l’affirmation d’une forme
particulière de la laïcité. Il faut reconnaître qu’une place de choix est réservée à ce principe
dans les différents textes officiels. La proclamation de la laïcité constitutionnelle est dès le
début des indépendances vue comme un pacte de cohabitation entre les différentes
religions. Elle s’est rapidement acclimatée aux réalités sénégalaises se nourrissant des
rapports entre le temporel et le spirituel malgré toutes les difficultés qu’elle a eu à et
continue de traverser.

Cependant, la forme de laïcité au Sénégal est-elle une laïcité figée ou au contraire, est-
elle une laïcité dynamique, c'est-à-dire appelée à évoluer et à prendre en compte la réalité
spécifique de la société ? Comment le principe de laïcité est-il traduit et vécu dans
l’espace scolaire ? Comment la laïcité cohabite-elle avec l’éducation religieuse dans
l’école publique ? Quelle place occupent les minorités autochtones chrétiennes et quels
rapports entretiennent-elles avec la majorité ? La place occupée par les religions au
Sénégal permet-elle l’application de la laïcité affirmée dans la constitution ? Toutes ces
interrogations trouvent leur intérêt dans notre recherche d’un « autre » ou spécifique
modèle de laïcité. D’une certaine manière, elles alimentent aussi le débat sur la question
laïque qui a pris une grande ampleur dans le pays depuis les indépendances et
aujourd’hui, continue d’intéresser d’une façon toute particulière la classe politique et la
société en générale.

4- 1- 3 Le débat sur la laïcité au Sénégal

Nous l’aurons compris, le débat sur la laïcité au Sénégal est toujours d’actualité et n’est
toujours pas réglé et c’est en cherchant à comprendre ce débat que nous entrerons plus
en avant dans l’examen du « modèle de laïcité sénégalais ».

140
Il est d’autant plus vif qu’il n’a été au début de l’indépendance au moment où la jeune
nation sénégalaise se constituait et mettait en place ses institutions. Plus de quarante ans
maintenant que les discussions sur la laïcité affirmée dans la Constitution sont présentes
et occupent même une place de choix parmi les différents thèmes les plus médiatisés au
Sénégal à tel point qu’il est légitime de se demander s’il a vraiment été bien posé et réglé
« parce qu’il a y constamment des mouvements de va-et-vient sur cette question » comme
le souligne le professeur Mamadou Diouf 90 ? A travers la séparation entre espace privé et
espace public par rapport à la religion d’une part et d’autre part, la proposition de réforme
sur le code de la famille, la laïcité devient, au pays de la "Téranga"91, source de polémique
et d’amalgames.

4- 1- 3- 1 Le débat sur la laïcité dans l’espace public92

Cette affirmation peut se justifier en prenant exemple simplement sur la référence à Dieu
mentionnée ou pas dans la Constitution sénégalaise. La référence à Dieu a été laissée
par le premier président de la République du Sénégal dans la Constitution. En 1976, elle
disparaît du serment que prononce le Président de la République lors de la cérémonie
d’investiture. Elle réapparaît en 2001 dans la Constitution sous le régime de la première
alternance politique. Toute cette gymnastique trouve son fondement dans les débats
autour de la laïcité et les pressions exercées par certaines familles religieuses très
influentes dans le pays. Le débat sur la laïcité atteindra son paroxysme au lendemain de
la première alternance politique, quand il s’est agi pour Abdoulaye Wade, nouvellement
élu Président de la République, de supprimer le mot "laïcité" de la Constitution sous
prétexte qu’au Sénégal musulmans et chrétiens cohabitent harmonieusement et que les
sénégalais dans leur ensemble sont croyants. Ce qui à ses yeux et à ceux qui défendent
cette position est suffisant pour garantir et contrôler le pluralisme religieux et la liberté

90
Lors de la cérémonie de présentation du livre intitulé : Les régimes politiques au Sénégal de l’indépendant
à l’alternance politique, 1960 – 2008. Cf. www.leral.net/La-laicite-a-la-senegalaise. Mamadou Diouf est
historien sénégalais, directeur de l’institut d’études africaines à Columbia University aux Etats-Unis.
91
La Téranga, en wolof, signifie l’hospitalité. Et le Sénégal s’est souvent appelé pays de la Téranga à cause
de l’hospitalité réservée aux étrangers.
92
Peuvent être considérées comme des espaces publics, toutes les institutions publiques comme les
hôpitaux, préfectures, tribunaux, casernes, gendarmeries, prisons, le palais présidentiel, écoles publiques,
etc. En opposition aux espaces privés constitués par les domiciles, les lieux de culte. Cependant, les rues,
les commerces, les transports seront classés dans les espaces civils, c’est-à-dire les espaces où tous les
citoyens fréquentent et où se rassemblent ; donc, qui appartiennent à tous.

141
religieuse. Pour certains aussi, enlever le terme laïcité de la Constitution, étrangère à la
culture sénégalaise et assimilée à l’occident, particulièrement à la France, est une manière
de la décoloniser. Cette position sur la laïcité rejoint celle du « courant islamiste 93 – qui –
représente des organisations et groupes d’individus influencés par la révolution iranienne,
qui militent pour l’avènement d’une société islamique régie par la charia » (Mbaye M.,
2000, cité dans Fondation Konrad Adenauer, 2005, p. 53).

Le débat autour de la laïcité a été alimenté aussi par les nombreux déplacements du chef
de l’Etat vers la ville de Touba pour rendre visite à son guide spirituel, notamment au
lendemain de son accession au pouvoir. Le fait que la plus haute institution de la
République, c'est-à-dire le chef de l'État, affiche ouvertement son appartenance à une
confrérie, rende visite à son guide spirituel dans son fief à Touba, ville considérée comme
"Sainte" par les adeptes du "Mouridisme", sollicite ses prières et lui fait allégeance sont
des signes significatifs rendant le débat autour du principe de laïcité plus vifs. Pour Cécile
Sow, représentante de "Jeune Afrique" à Dakar : " le débat sur les relations entre le pouvoir
et les familles religieuses, s'il n'est pas récent, a trouvé une nouvelle vigueur au cours des
dernières années" (Cf. Jeune Afrique, 2007) en la personne du chef de l’Etat. L'affirmation
d'une appartenance religieuse de la plus haute institution de la République et les
nombreux actes posés par ce dernier notamment concernant ses relations avec le chef
spirituel de la confrérie à laquelle il appartient remettent-ils en cause la neutralité de l'État
par rapport au pouvoir religieux ? La réponse fait débat au Sénégal. Il en est de même de
l'autorité que détiennent les guides religieux vis-à-vis de leurs adeptes. Autrement dit, les
hommes politiques comme le président de la République doivent-ils afficher leur
appartenance religieuse ou faire allégeance à leur guide religieux ? Là aussi, les avis sont
partagés. Sarr (2007), par rapport à la visite d'Abdoulaye Wade à son Marabout, après sa
victoire aux élections présidentielles de 2000, estime que : « Cela semble normal puisque
Wade s’est rendu à la ville sainte en tant que "talibé" (disciple) pour remercier le marabout

93
L’Etat du Sénégal reconnaît les associations religieuses qu’elles soient musulmanes ou de confession
chrétienne. Ces structures d’obédience musulmane ont des objectifs aussi variés que divers. Parmi les
associations musulmanes, d’après Babacar Samb, professeur au département d’Arabe, il peut être noté
l’existence de "courants islamiques rigoristes", de "courant réformiste" et de "courant confrérique". (Cité par
Les cahiers de l’alternance, n°09, les religions au Sénégal, déc. 2005)

142
d’avoir contribué, par ses prières, à son succès électoral. Il faut préciser que dans la
doctrine mouride le talibé doit une soumission absolue, une obéissance totale à son
marabout ou Serigne pour obtenir la grâce » (p. 287). Toutefois, le professeur Samb
(2005) met en garde et rappelle qu’« En tant qu’État laïque, la République du Sénégal ne
professe aucune option religieuse au détriment d’une autre et ne se met au service
d’aucune confession religieuse » (p. 138). Devant les multiples actes médiatisés
témoignant de l'appartenance religieuse d'Abdoulaye Wade, les réactions des intellectuels
et de la classe politique ne manquent pas. Toutefois, les collaborations entre l'État et les
chefs religieux sont souvent acceptées. La réaction de certains hommes politiques montre
que cette situation n'est pas nouvelle et ne surprend pas. Les relations entre les autorités
étatiques et les guides religieux ne datent pas d'aujourd'hui. Le professeur Iba Der Thiam
rappelle que : "Ce n'est pas la première fois qu'un président reçoit un guide religieux au
palais. Dans les années 1970, le défunt khalife des mourides Abdou Lahad Mbacké y avait
été accueilli par Léopold Sédar Senghor "94. Aussi, il ne faut pas oublier, d'après Brossier
(2004), que c'est grâce au soutien des guides religieux que Senghor, de profession
chrétienne, arrive à battre Lamine Gueye et devient le premier président de la République.
Son successeur également, Abdou Diouf, bénéficiera de la part des chefs musulmans de
ce même soutien. Ce que l'écrivain journaliste et analyste politique, Magassouba (1985),
reconnait. Pour lui, « Le soutien des grands marabouts, notamment "tidjanes", "mourides"
et khadres", au chef de l’État vaudra à celui-ci de remporter largement les élections
présidentielles avec 83,55 % des voix contre seulement 14,6 % à son principal adversaire
Me Abdoulaye Wade qui criera à la fraude. Si le parti du président, le P.S., fait moins bien
que son leader - "seulement" 79,92% - aux législatives, c’est parce que, diront certains
observateurs, les marabouts ne s’étaient pas ouvertement prononcés pour les candidats
du parti au pouvoir et n’avaient donné aucune consigne de vote » (p. 146).

Autre fait marquant l’actualité politico-religieuse : la transformation du palais de la


République, lors de la visite du guide religieux, khalife général de la confrérie "Mouride"
auquel appartient le chef de l'État, en un lieu de prière du soir, une sorte de mosquée en
plein air. Cet évènement a fait couler beaucoup d'encre. Les réactions se sont multipliées
par rapport à la neutralité de cet espace public représentant la plus haute institution de la
République. Mais l'historien et premier vice-président de l'Assemblée Nationale d'alors, le

94
Cf. Article : "La laïcité en danger ?", Jeune Aftique, 2007.

143
professeur Iba Der Thiam, martèle que ce n'est pas la première fois que cela arrive et que
c'est tout à fait normal. Ce qui n'est pas visiblement le point de vue unanime partagé par
tous. Plusieurs signes ou faits dans la société, en particulier dans l'environnement politico-
médiatique, sont considérés pour certains comme des menaces au principe de laïcité.

En somme, la présence du religieux dans l’espace public peut être interprétée comme un
facteur montrant que la laïcité n’est pas univoque. Cette situation est à prendre en compte
dans l’examen d’un « modèle de laïcité spécifiquement sénégalais » autant que les choix
concernant le code de la famille.

4- 1- 3- 2 Le débat sur le code de la Famille 95

En 1960, le Sénégal est indépendant. La laïcité est constitutionnalisée par la loi de 1963.
Cependant, le pays ne se dote d’un code de la famille qu’une dizaine d’années plus tard.
Il a été adopté par l‘Assemblée Nationale par la loi n°72-61 du 12 juin 1972. « Cette longue
période s’explique par la nécessité de réflexion autour de la rédaction d’un code, dont
l’enjeu est fondamental, en ce qu’il se propose d’organiser les rapports entre les différents
membres de la société au sein de la cellule familiale. » (Brossier, 2004, p. 32). Ce premier
code de la famille dont le pays se dote cherche à satisfaire toutes les composantes de la
nation en tentant de tenir compte du droit civil, du droit religieux, - plus particulièrement de
la charia (le droit musulman) – et du droit coutumier relatif aux traditions locales, tout en
étant en adéquation avec la Constitution. Le Ministre de la Justice de l’époque, Amadou
Clédor Sall, insiste sur la nécessité pour la jeune nation sénégalaise de se doter d’un code
de la famille. « Pourquoi un Code, alors qu’existent jusqu’ici des régimes et des
législations différentes pour toutes les communautés ? Statut islamisé, statut animiste,
statut chrétien. Nous aurions pu laisser les choses en l’état. Nous ne l’avons pas fait parce
qu’un code civil était nécessaire à la Nation. » (Cité par Brossier, 2004, p.32). Il marque
en effet l’unité entre tous les citoyens sénégalais malgré les différences ethniques et
confessionnelles. Riche de 854 articles, le code de la famille adopté en 1972 redonne à
la famille, première cellule de base, toute son importance. Il insiste sur certains principes
tels que l’égalité et l’autorité dans la famille. Et comme le souligne Brossier (2004, p. 32) :

95
Les recherches sur le code de la famille au Sénégal ont été menées principalement à partir des travaux
réalisés par Brossier (2004).

144
Le code affirme une conception ouverte du droit, dans ce sens où le législateur, à chaque fois qu’il
n‘a pu trouver de solutions uniformes s’appliquant à l’ensemble de la population, y a introduit une
option. Le texte regroupe donc, dans un même corpus, des articles valables pour l’ensemble de la
population, et d’autres correspondant aux convictions personnelles de chacun. D’aucuns parlent
d’un droit à la carte. Ce texte a sans doute contribué à une certaine pacification des relations
sociales dans le pays.

Malgré toutes ces précautions et réflexions menées pour éviter les polémiques autour de
ce premier code de la famille, le débat sur cette question n’a pas manqué. Depuis 1972,
date du vote de celui-ci, des discussions passionnantes ont rythmé au quotidien la société
sénégalaise. Il faut se rappeler qu’à la période de l’adoption du code de la famille et les
années qui ont suivi, certains guides religieux étaient opposés à ce projet. D’après ces
derniers, le texte du code de la famille est en décalage par rapport aux valeurs de l’islam.
Ils expriment ainsi leur désaccord avec le Président Senghor, initiateur du projet. Ce que
Coulon (1983, p. 134) confirme en ces termes : « quelques années plus tard, le climat se
détériora à nouveau entre le gouvernement et les marabouts, ceux-ci estimaient que le
code de la famille portait atteinte aux valeurs fondamentales de l’islam ». Ainsi, le débat
opposera principalement le camp des laïques à celui des marabouts et adeptes qui ont un
seul objectif, celui de la révision de ce premier code de la famille. Ces discussions
connaîtront des périodes d’excitation et des moments d’apaisement jusqu’à l’alternance
politique intervenue en 2000.

Avec les nouvelles autorités étatiques, l’ampleur du débat va s’amplifier. La question de la


réforme du code de la famille est de nouveau agitée par une partie de la communauté
musulmane. La lutte est menée par le comité islamique pour la réforme du code de la
famille au Sénégal (CIRCOFS). L’alternance politique au Sénégal sonne comme un signal
et l’occasion pour certains de faire valoir leurs revendications. Le CIRCOFS propose un
« code de salut personnel ». Cette proposition de réforme divise le pays. Les partisans de
la réforme et ceux qui sont contre celle-ci s’affrontent dans des débats passionnants. Le
comité islamique pour la réforme du code de la famille au Sénégal regroupe des chefs
religieux, le collectif des associations islamiques (CAIS) et des individus divers. Ce comité
s’est constitué en 1996 et son but a été de mettre sur pied un projet de réforme du code
de statut personnel. Le projet a été présenté à la presse sénégalaise le 12 octobre 2002
lors d’une conférence où il a été noté 29 représentants des familles confrériques

145
musulmanes les plus influentes et représentatives du pays. Ce qu’il faut souligner
également, c’est que le camp des laïques compte des partisans de tout bord, de toute
religion, musulmans comme catholiques. Parmi les opposants de ce projet, figurent donc
des défenseurs des droits de l’homme et des associations de femmes. Le camp des
laïques s’est formé naturellement de personnes qui avaient à cœur de ne pas accepter le
projet de réformes du code de la famille, qui d’après eux, est un danger pour l’unité du
pays, le principe du vivre ensemble mais surtout le pluralisme religieux marqué au Sénégal
par une cohabitation harmonieuse entre les différentes religions. Ce camp prône donc « le
maintien du code de la famille en vigueur pour sauvegarder la laïcité de l’Etat, mais aussi
l’équilibre qui fait du Sénégal une grande nation » (Brossier, 2004, p.86). Et pour mieux
s’organiser et se structurer, le camp laïque procède à la « création d’un collectif pour la
défense de la laïcité et de l’unité national au Sénégal –qui – permet de rallier autour d’un
même objectif divers réseaux ou collectifs déjà existants, en mobilisant la société dans sa
diversité sociale et professionnelle » (p. 86). Le camp laïque affiche clairement dans sa
déclaration d’intention ses ambitions de « préserver l’unité nationale, la laïcité et les acquis
démocratiques. (…) Il faut rappeler que l’actuel code de la famille prend déjà en charge
les différentes sensibilités sénégalaises notamment celles des musulmans en instituant
un système d’option entre droit moderne et droit musulman. » (p.87).

Dans ce débat mené autour du code de la famille au Sénégal, l’église catholique se fait
entendre également et exprime ses craintes de voir le recul du dialogue islamo-chrétien
pouvant entraîner des risques et des dangers dans le pays. Ce débat, en quelque sorte,
remet en questions des années d’entente, de collaboration, de dialogue entre les
différentes confessions religieuses et le fait que malgré des dogmes différents, chrétiens
et musulmans ont toujours vécu sous les mêmes lois régissant la société sénégalaise.
Ainsi, dans une lettre adressée au Président de la République par son représentant égal
Mgr Théodore Adrien Sarr, l’Eglise catholique du Sénégal a fait savoir ses craintes,
sachant qu’« il y a des signes qui sont des inquiétudes ». Aussi, les laïcs (ceux qui ne sont
pas ecclésiastique), représentant le peuple chrétien, ont tenu à donner leur point de vue
par le président de l’association « chrétienne laïque », Présence Chrétienne, Théodore
Ndiaye.

146
Le Code de la famille peut être amélioré. Maintenant, pour ceux qui veulent le remettre
fondamentalement en cause dans ce qu’on peut appeler la laïcité et le pluralisme religieux, nous ne
sommes pas d’accord. C’est un danger. Nous sommes des Sénégalais, divers et pluriels. Je ne sais
pas si vous êtes Toucouleur, Sérère, Diola ou Wolof, mais vous avez une grande part de la
sénégalité comme n’importe qui. Sur le plan ethnique, c’est la réalité ; au plan régional, c’est encore
la réalité ; sur le plan confessionnel, c’est toujours la réalité. Donc, un code qui changerait cet état
de chose, ne peut être que dangereux parce que c’est une menace pour l’unité nationale. Quand
on regarde ce qui se passe autour de nous dans la sous-région, nous n’avons pas le droit de passer
cette unité dans notre pays. Nous devons veiller à garder notre patrie .96

En résumé, le code civil adopté en 1972 permet à l’Etat d’avoir un contrôle sur les familles
et trouve son utilité dans le désir de construire une nation sénégalaise moderne et lui
permettre de se développer. Le projet de réforme de ce code s’inscrit dans une logique
qui veut que toutes les pratiques des musulmans découlent de la charia c’est-à-dire du
Coran ou de la Sunna (tradition du prophète). Ce débat autour du code de la famille a
permis de remettre sur la table la question le principe de laïcité constitutionalisé. Dans un
pays laïque et démocratique marqué par des lois et règlements qui définissent les
différentes institutions et régissent la vie politique et sociale, un code, une loi ou leur
modification est du ressort du gouvernement ou de l’assemblée nationale. Donner donc le
nom de loi au code du CIRCOFS semble être difficile. La pression sera donc sur la plus
haute autorité du pays qui a le pouvoir d’introduire une réforme de ce code de la famille.

Ces discussions vives et militantes sur la question de la laïcité ou du statut de la religion


au Sénégal vont se poursuivre à l’école avec les réformes introduisant l’enseignement
religieux à l’école publique et les tentatives de modernisation des "daara" ou écoles
coraniques évoquées par les autorités étatiques.

96
Les propos du président de l’association « chrétienne laïque » ont été recueillis lors d’un entretien
réalisé par Marie Brossier à Dakar, le 01/05/2004.

147
4- 1- 4 Les innovations dans le système éducatif

La loi d’orientation de l’Education nationale n° 71-36 du 3 juin 1971 stipule que : « L’égalité
des citoyens dans la diversité des origines et des croyances fait de la liberté et de la
tolérance les traits essentiels de l’Education nationale. Elle en fonde aussi la laïcité »
(article 3, al. 3). Elle a été abrogée et remplacée par la loi N°91-92 du 30 janvier 1991
d’Orientation de l’Education nationale. Celle-ci abonde aussi dans le même sens en son
article 4 qui affirme que : « L’Education nationale est laïque : elle respecte et garantit à
tous les niveaux la liberté de conscience des citoyens ». Il semble donc que ces
aménagements juridiques correspondent au contexte sociologique et culturel dont il faut
tenir compte dans l’organisation du système éducatif. Dans la quête d’une garantie de ces
finalités (la liberté de conscience et l’égalité), des dispositions sont nécessaires du côté
de l’Etat. A partir de l’année scolaire 2002/2003, les autorités étatiques sénégalaises ont
entrepris différentes innovations importantes dans le système éducatif dans le but
d’augmenter le taux de scolarisation et d’atteindre ainsi la scolarisation universelle. Il
s’agissait désormais de prendre en compte les élèves qui sont inscrits dans les "daara" ;
jusque-là le taux brut de scolarisation ne prenait en compte que les élèves inscrits dans
les établissements de l’enseignement formel. Il a aussi été question de la création d’écoles
publiques franco-arabes et d’un lancement d’un programme de modernisation des
"daara". Le point focal de cette réforme a incontestablement été l’introduction de
l’éducation religieuse dans les programmes du cycle fondamental, plus précisément dans
les établissements préscolaires et élémentaires publiques. Enfin, l’enseignement des
langues nationales a également été proposé en expérimentation dans cent cinquante
(150) écoles élémentaires après les expériences ratées de 1978 et de 1981. Ces
innovations ont suscité des débats.

4- 1- 4- 1 Le débat sur la religion à l’école publique

Même si ces différentes réformes se justifient par l'engagement de l'État du Sénégal à


œuvrer pour une scolarisation universelle et à un niveau local, par le fait qu'elles soient
en phase avec les préoccupations d'une majorité de la population de confession
musulmane et chrétienne, il n'en demeure pas moins qu'au niveau des Sénégalais les avis

148
sont partagés sur la question. Et ces réformes viennent tout simplement intensifier le débat
sur le régime de laïcité au Sénégal et mettre en évidence l’existence au Sénégal de
représentations et visions divergentes de celle-ci qui se positionnent les unes par rapport
aux autres dans un perpétuel rapport de force évolutif et qui implique probablement des
mutations profondes.

En parallèle donc de ces arguments justifiant la pertinence de la réforme, d'autres sont de


nature à s'interroger sur les dangers que peut entraîner l'introduction de l'enseignement
religieux à l'école publique. Ces réformes ne sont pas perçues de la même manière par
les Sénégalais par rapport au caractère laïque de la nation. Pour certains, ces mesures
ne sont pas en contradiction avec la notion de laïcité de la nation sénégalaise réaffirmée
dans la nouvelle constitution datant du 22 janvier 2001 (Il faut noter qu'il n'y a pas de
changement par rapport à celle de 1963) en son article premier:

La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de
tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les
croyances. La langue officielle de la République du Sénégal est le Français. Les langues nationales
sont le Diola, le Malinké, le Pular, le Sérère, le Soninké, le Wolof et toute autre langue nationale qui
sera codifiée. (Cf. Article 1 de la Constitution).

Pour le Groupe de Réflexions sur l'Éducation au Sénégal (GRES) : ‘’Une grande partie de
la population sénégalaise reste réticente à l’école dite française. L’école incarne beaucoup
moins qu’avant les valeurs sociales et citoyennes. Les Sénégalais ont perdu foi dans le
sens de l’école comme ascenseur social’’97. Pour favoriser la cohésion nationale et
permettre le développement du pays, le groupe appelle à une réorganisation du système
scolaire. Ces réformes vont dans ce sens et sont soutenues par une bonne partie de la
population. Toutefois, à travers cette volonté politique, certains acteurs politiques ou
intellectuels sénégalais n'ont pas manqué d'exprimer leur méfiance par rapport à cette
réforme. C'est le cas de Souleymane Gomis, professeur de sociologie à l'université Cheikh
Anta Diop de Dakar. Dans son étude intitulée : "L'école au service du dialogue
interreligieux" (2007), il revient sur la réforme, s'interroge sur sa pertinence et émet des
réserves :

97
Cf. Rapport du Groupe de Réflexions sur l'Éducation au Sénégal. (Document remis à la presse).

149
L’État dans son souci de vouloir satisfaire la vieille revendication ou doléance de la communauté
musulmane majoritaire et qui est d’introduire l’enseignement coranique dans l’école de la république
ne remet-il pas ici en cause le principe même de laïcité ? Le système éducatif d’une nation est certes
à l’image de celle-ci ; cependant doit-on sur la base des considérations religieuses, ethniques ou de
genre renoncer aux valeurs de liberté, d’égalité, de justice et de fraternité qu’incarne l’école de
manière générale ? Si l’on sait que la religion en général et celle musulmane en particulier réfute
l’esprit critique au profit de l’obéissance et de la soumission, pourquoi alors inculquer à nos enfants
des valeurs les handicapant dans un monde aujourd’hui compétitif et cruel ? L’introduction de
l’enseignement religieux à l’école publique laïque en est à sa phase test depuis 2002. Certes, il est
trop tôt pour faire une évaluation de cette innovation, mais il urge, selon des acteurs sociaux, de se
pencher sur sa pertinence. Si des adeptes de l’Islam se félicitent de l’enseignement de la religion à
l’école publique, la communauté catholique, quant à elle, veille plutôt au principe de subsidiarité
parce que « l’autorité n’a rien à faire dans ce que les communautés peuvent régler par elles-mêmes
». Mais que pourra bien donner la cohabitation entre le spirituel qui est synonyme de soumission et
l’esprit critique que cultive l’école française? (Gomis 2007, p. 207).

Pour le professeur Gomis (2007) du département de sociologie de l'Université Cheikh Anta


Diop de Dakar, l’introduction de l'enseignement religieux dans la sphère scolaire et plus
précisément dans l'école républicaine est une menace. « L’école devient ainsi un outil, un
enjeu de lutte entre les différents groupes sociaux surtout religieux car chacun cherchant
à se l’approprier afin de marquer de ses empreintes la formation des citoyens en
introduisant les spécificités dans les curricula » (p. 205). La complexité des rapports entre
école et religion le pousse à s’interroger en ces termes : « Quelles sont les représentations
que les enfants pratiquant les enseignements d’une confession peuvent avoir des autres
enfants adeptes d’une autre confession ? Imaginez, dans un établissement où l’on
apprend aux enfants comment gérer le bois sacré, comment prier chez les chrétiens ou
chez les musulmans ? Est-ce que l’on n’enregistrera pas des scènes de moqueries dans
les jeux des enfants ou des représentations méprisantes que les enfants peuvent avoir les
uns vis-à-vis des autres ? » (p. 213). Tout ceci le motive à s’engager pour une école
républicaine et laïque qui laisse le soin aux communautés religieuses elles-mêmes de
s'occuper de cet enseignement. Il tire sur la sonnette d’alarme comme une sorte de mise
en garde nécessaire pour préserver la liberté de conscience, la justice et la paix dans un
état de droit. Il estime qu'il est tôt de porter un jugement de valeur sur ces mesures étant
donné que leur mise en application vient juste de s'effectuer. D’après Jean Charles
Charlier, du Groupe de Recherche sociologie Action Sens (GRESAS) des Facultés
Universitaires Catholiques de Mons, dans Éducation et sociétés :

150
En introduisant l’enseignement religieux à l’école, le législateur ne fait que prendre acte de situations
de fait. Sur le site de [certains] établissements scolaires officiels, des lieux de prière ont été
aménagés, dans certains cas, une mosquée a été construite sur le territoire de l’école. Le rythme
scolaire s’est ajusté aux prescriptions coraniques parce que des élèves, soutenus par les marabouts
et les parents, l’ont imposé et que nul n’a pu ou voulu leur résister. L’école laïque a fermé les yeux
sur cette entrée du religieux qui ne lui posait problème que quand des confréries s’affrontaient dans
son enceinte. (Charlier, 2002).

Cette situation soulève des débats et les argumentaires sur la question ne manquent pas.
L'avis d'élites politiques, intellectuelles, sociales, culturelles et religieuses se multiplient à
travers les journaux et les médias audio-visuels.

L’introduction de l’enseignement religieux dans l’école officielle n’a été conciliée avec la laïcité de
l’État qu’en en redéfinissant le contenu. Le 31 juillet 2002, au Congrès de l’Association des imams
et oulémas, le président Wade a affirmé la neutralité de l’État que sa laïcité place “à égale distance
de l’islam et du christianisme”. Cette conception aux antipodes de la tradition française s’est
rapidement imposée comme la doctrine des autorités qui ont pu affirmer que “moyennant le respect
de la laïcité, nous avons commencé à introduire cet enseignement qui permettra […] à l’élève d’avoir
ses humanités religieuses” [Badji et Marone 2002]. Dans tous les cas, l’État semble ne vouloir se
situer que par rapport à l’islam et au christianisme, les deux seules religions à être impliquées dans
l’organisation de l’enseignement, ce qui disqualifie de fait les autres religions, y compris celles qui
appartiennent à la tradition locale. (Charlier 2002).

Les adeptes des communautés minoritaires sont également inquiets par rapport à ces
réformes. Celles-ci ne faisaient pas l’unanimité au sein de l’Eglise catholique. Pour
certaines voix influentes comme celle du directeur de la Caritas national du Sénégal
d’alors, « la communauté de l’Eglise n’a pas besoin de cela » (Cité par Camara et Al.,
2007, p. 269) - en parlant de la réforme introduisant l’enseignement religieux à l’école -. Il
dénonce l’immixtion de la part des autorités publiques « dans ce que les communautés
peuvent régler elles-mêmes » (p. 270). Parallèlement à cette position, il faut dire que
l’Eglise catholique du Sénégal (y compris les responsables de l’Enseignement catholique),
de manière officielle, semble plutôt être ouverte au projet d’introduire l’enseignement
religieux dans l’école de la République. Cependant, malgré son accord de principe, elle a
tenu à soulever indirectement un certain nombre de conditions indispensables à
respecter :

151
Nous nous sommes sentis interpellés, principalement par l’article 5, d’une part, dans son alinéa 1er
portant reconnaissance et organisation de l’enseignement religieux dans les établissements publics,
et d’autre part, dans son alinéa 2…Nous donnons notre accord de principe à cette reconnaissance
et organisation de l’enseignement religieux… Nous tenons aussi à souligner que notre accord de
principe est en parfaite conformité avec la constitution de la République, spécialement en ses
articles1, 2, 22.3, 24… (Cf. Constitution du Sénégal). Nous faisons remarquer enfin que cet accord
de principe a été formulé dès 1981, par les évêques du Sénégal, lors de la 2ème session de la
Conférence épiscopale.98

En effet, il semble utile de rappeler que ce projet d’introduction de l’enseignement religieux


dans l’école publique date des Etats Généraux de l’Education et de la Formation et que
déjà en 1981, la Conférence épiscopale (regroupant l’ensemble des évêques du Sénégal,
de la Mauritanie, du Cap-Vert et de la Guinée Bissau) était favorable à ce projet. Mais
l’Eglise de la sous-région, par la voix de cette Conférence avait émis un certain nombre
de conditions parmi lesquelles :

- que l’enseignement religieux puisse avoir la même valeur que les autres disciplines, pour que les
enfants sentent la nécessité de l’apprendre ;
- que les parents se concertent avec la direction des établissements, pour étudier les modalités
d’organisation de cet enseignement ;
- que les enseignants, comme les directeurs, veillent à ce que l’enseignement religieux soit dispensé
dans le respect de la liberté de conscience et le respect de toutes les croyances ;
- que cet enseignement cherche si possible, la compréhension entre les enfants.99

L’Eglise, par les évêques, attire aussi l’attention des autorités sur les risques de dérapage
possibles dont le plus à craindre serait la remise en cause des droits garantis par la
Constitution sénégalaise à tout citoyen. En parallèle à cette sensibilisation, ils estiment
que :

98
Par le porte-parole de l’Enseignement Catholique au Sénégal, cf. « Contribution de l’Enseignement
Catholique au séminaire introduisant l’enseignement religieux dans les établissements scolaires publics »,
dans République du Sénégal, Ministère de l’Education Nationale, Séminaire sur l’introduction de l’Education
religieux et la création d’écoles franco-arabes dans le système éducatif sénégalais, communications,
fascicule n°1, Août 2002, p. 71.
99
Idem, p. 72.

152
Personne ne gagne dans la maltraitance des droits de l’homme. Qui pratique, en la matière, la raison
du plus fort se rabaisse à « vaincre sans avoir raison » selon la vérité si bien formulée par notre
compatriote Cheikh Hamidou Kane. Nous n’échappons à un tel risque que par la concertation entre
tous les partenaires de l’introduction de la religion à l’école. Cette concertation passe par la
recherche en commun des modalités pratiques d’application et par l’entente dans la mise en œuvre
de ces modalités.100

Cette mise en garde des évêques sonne comme une invitation au dialogue et à la
communication entre toutes les forces vives intéressées dans la réalisation de ce projet
d’introduction de la religion à l’école publique. Aussi, ils appellent tous les acteurs de
l’école – dont les guides religieux – à réfléchir ensemble sur la faisabilité du projet.
Toutefois, ils reconnaissent que la responsabilité de l’organisation et de l’application de
cette réforme incombe aux autorités étatiques et à travers eux, au Ministère de l’Education
nationale. Pour plus d’équité, les évêques suggèrent aussi aux décideurs de l’Education
au Sénégal de fixer le quota horaire hebdomadaire alloué à l’enseignement religieux dans
les écoles publiques en fonction de chaque cycle. De leur avis également, la mobilisation
des ressources financières et matérielles relève de la responsabilité de l’Etat. Cependant,
ils suggèrent à l’Etat de laisser à chaque communauté religieuse la charge « de définir le
contenu de l’enseignement et aussi de mandater l’enseignant chargé de le délivrer »101.
La Conférence épiscopale est donc restée optimiste par rapport au projet d’introduction
de l’enseignement religieux au Sénégal, pays laïque marqué par une tradition de dialogue
interreligieux et de coexistence pacifique entre les différentes communautés. Enfin, les
évêques ont rappelé qu’au Sénégal :

La coexistence entre chrétiens et musulmans mondialement connue. C’est un Sénégal membre de


l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) et qui a longtemps présidé aux destinées de cet
organisme mondial, qui a réservé au Pape Jean-Paul II en 1992, des visites africaines les plus
brillantes et les plus significatives de la volonté de dialogue entre Islam et Christianisme. Ce
caractère de notre pays est lié à notre éducation. Que nous soyons musulmans ou chrétiens, notre
éducation sénégalaise est faite de reconnaissance et de respect mutuels que viennent intégrer
l’Islam et le Christianisme. "Teranga" (sens de l’accueil) et "Jom" (sens de la dignité personnelle),
vertus caractéristiques de cette éducation, traduisent cette reconnaissance d’autrui et le respect qui

100
Cf. « Contribution de l’Enseignement Catholique au séminaire introduisant l’enseignement religieux
dans les établissements scolaires publics », p. 73.
101
Idem, p. 73.

153
l’accompagnent (…). C’est là un héritage précieux, dans une Afrique dont les conflits inhérents à
toute vie sociale se nourrissent trop facilement de passion éthique et religieuse 102.

Ainsi, la mesure visant à introduire l'enseignement religieux à l'école publique a mis en


opposition deux camps : d'un côté, ceux qui sont favorables à ce projet et d'un autre ceux
qui se sont montrés méfiants et ont émis des réserves ou des précautions à prendre avant
l’application d’un tel projet. Dans cette catégorie, figurent notamment les différentes
communautés religieuses qui, même si, dans leur ensemble, elles ont toujours soutenu
l’idée d’intégrer l’éducation religieuse dans la sphère scolaire, se sont montrées plus ou
moins sceptiques. L’Eglise du Sénégal, par le biais des représentants de l’Enseignement
catholique, malgré le fait qu’elle soit réceptive au projet de loi modifiant et complétant la
loi d’Orientation de l’Education Nationale, par rapport à l’introduction de l’enseignement
religieux, a eu à suggérer aux autorités étatiques un certain nombre de conditions –
énumérées plus haut – à remplir. Du côté de la communauté musulmane, cette réforme
semble être approuvée, même si, là également, il est noté une certaine méfiance et
prudence dans l’accueil du projet de loi qui est perçu – semble-il – comme une tentative
de contrôle de la part des autorités publiques des différents dispositifs traditionnels
d’éducation et de formation. Ce que souligne Fall A. (2012) : « En ce qui les concerne, les
confréries traditionnelles étaient plutôt réservées. IL est permis de supposer qu’elles se
méfiaient d’une réforme qu’elles ne contrôlaient pas. » (p. 468). En définitive, malgré des
réticences notées çà et là par rapport à cette réforme et malgré le fait qu’elle a relancé le
débat passionnant sur la question de la laïcité, force est de reconnaître qu’un consensus
a été trouvé ; ce qui a, en définitive, permis d’introduire l’éducation religieuse dans les
programmes de l’école républicaine. Aussi, il semble que le projet de modernisation des
"daara" ait révélé des intérêts divergents.

102
Cf. « Contribution de l’Enseignement Catholique au séminaire introduisant l’enseignement religieux
dans les établissements scolaires publics », p. 74.

154
4- 1- 4- 2 La problématique de la modernisation des "daara"

La réforme du système éducatif sénégalais entrepris au lendemain de la première


alternance politique dans le pays prévoyait des mesures visant la modernisation des
"daara", établissement d’éducation islamique où les enfants, dès le bas âge jusqu’à leur
majorité, apprennent à lire et à écrire l’arabe, mémorisent le coran, et reçoivent une
éducation religieuse fondée sur des principes fondamentaux de la religion musulmane. Le
projet de modernisation de ces "daara" s’inscrit dans une logique de diversification de
l’offre éducative; en plus des objectifs traditionnels fixés dans ces "daara", le projet vise
l’intégration des compétences de base définies dans le cycle fondamental et l’amélioration
de l’environnement hygiénique et sanitaire de ces structures pour favoriser les
enseignements / apprentissages de qualité. La Lettre de politique sectorielle de 2009
stipule, à cet effet :

La modernisation des daara se poursuivra pour assurer aux apprenants des écoles coraniques une
éducation religieuse adéquate et les doter des compétences de base visées dans le cycle
fondamental. Elle intervient en complémentarité avec le secteur classique dans le cadre de la
diversification de l’offre éducative et de la réalisation de l’objectif d’une scolarisation universelle de
10 ans. (...) La politique de modernisation des daara devra permettre l’insertion socioprofessionnelle
de certains talibés d’une part, et d’autre part la mise en place de passerelles pour l’intégration de
ceux d’entre eux présentant des aptitudes pour le circuit franco-arabe formel ou classique. (R.S.,

2009).

La finalité de la politique éducative du Sénégal en faveur des "daara", telle qu’elle est
exprimée dans la Lettre de 2009 soutenue par plusieurs acteurs de l’éducation, reste
l’intégration de ces derniers dans le système éducatif. A cet effet, en 2010, avec la création
de l’Inspection des "daara", l’objectif des autorités a été de palier au « vide juridique »
concernant la gestion de ces dites écoles. Dans le but donc d’inclure les "daara" dans le
système éducatif, une équipe technique dont la mission était de rédiger un projet de loi
portant statut du "daara", dirigée par l’Inspection des "daara" et composée de techniciens
de l’éducation nationale comme des professeurs de la FASTEF, de la Fédération des

155
maîtres coraniques et de l’Association des imams et oulémas du Sénégal, ainsi que de
députés de l’Assemblée Nationale surtout des régions de Diourbel, Thiès, Kaolack103, a
été mise en place. Aussi, après son élaboration, et dans le cadre de sa phase de
sensibilisation et de communication, le ministère de l’Education a entamé, en novembre
2014, des visites des différentes communautés religieuses pour la présentation du projet
de loi104. Il faut dire que, pendant cette phase de présentation officiellement, le projet de
loi portant statut du "daara" a été accueilli favorablement par la majorité de ces acteurs
religieux qui ont approuvé la volonté de l’Etat.

Dans la même lancée, aussi, au début du mois d’août 2015, précisément le 06, s’est tenu
un Conseil présidentiel sur les conclusions des Assises de l’Education et de la Formation ;
à l’issu duquel, onze (11) décisions présidentielles ont été retenues visant trois (03)
orientations fondamentales pour et au service d’un Sénégal Emergent. Il s’agit d’une école
pour tous, d’une école de qualité, et d’une école viable, stable et pacifiée. D’après le Chef
de l’Etat, Macky Sall, ces différentes concertations nationales ont été initiées « pour
engager la refondation consensuelle de notre système éducatif en vue d’améliorer ses
performances et d’asseoir son rayonnement international ». En effet, force est de
reconnaître qu’« en dépit d’une longue tradition académique et d’importantes ressources
investies, (…) notre système éducatif est caractérisé, depuis plusieurs décennies, par une
instabilité – chronique – et des performances mitigées »105. Parmi les onze décisions à
mettre en œuvre, figurent en quatrième position : « Développer l’enseignement arabo-
islamique et l’articuler au système éducatif ». L’atteinte de cet objectif passe – comme
l’a rappelé le Chef de l’Etat à l’ensemble du gouvernement – par « l’exécution diligente du
Projet d’Appui et de modernisation des "daara" (PAMOD) dont la première phase concerne
la réalisation de 64 "daara" modernes » (Idem.). Aujourd’hui, malgré ce désir d’espérance

103
Le choix de ces régions se justifie, me semble-t-il, du fait qu’elles concentrent un nombre très élevé de
daara et aussi du fait que les grandes familles religieuses islamiques s’y trouvent : le fief de la confrérie
mouride se trouve à Touba dans la région de Diourbel, celui de la confrérie Tidjiane, à Tivaoune dans la
région de Thiès et la maison-mère de la confrérie Niassène est à Médina-Baye dans la région de Kaolack.
104
Le ministre et sa délégation ont rendu visite au Khalife Général de Thiénaba, Cheikh Ahmed Tidiane Seck,
porte-parole et représentant du Khalife Général des Tidianes ; à Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine, à
Tivaouane ; à Cheikh Bou Mouhamed Kouta, Khalife Général de Ndiassane…(Cf.Ministre de l’Education :
http://serignembayethiam.org/contenu/visites-aux-chefsreligieux-à-propos-des-textes-sur-les-daara.
105
Cf. Rapport final du Conseil présidentiel sur les conclusions des Assises de l’Education et de la
Formation : « 11 décisions présidentielles pour une école au service du Sénégal Emergent ».
http://www.gouv.sn.

156
et d’unité qui peut être perçu dans ce message du Président – « l’avenir de l’Ecole
interpelle la Nation. C’est ensemble que nous construirons l’Ecole de la République et de
la Réussite. » (Idem.) – et dans l’invitation que ce dernier a adressée à toute la
communauté éducative, « en vue de bâtir un consensus national, à même d’assurer le
succès de la refondation du modèle éducatif sénégalais. » (Idem.).

Il faut cependant noter que depuis la mise en application de ces innovations de 2002,
l’Etat du Sénégal a du mal à faire passer à l’Assemblée Nationale le projet de loi portant
statut du "daara". Le souhait de l’Etat du Sénégal d’entreprendre la modernisation des
"daara", c’est-à-dire de revoir et de mieux organiser le fonctionnement et l’enseignement
dans ces dites institutions, a soulevé de multiples réactions dans la société et notamment
de la part des acteurs de ce système d’éducation. Le ministre de l'Education, Sérigne
Mbaye Thiam, dans son rapport présentatif du projet de loi portant statut du "daara" et par
conséquent fixant les conditions d'ouverture et de contrôle des "daara", s’appuyant sur le
constat général d’une « absence d'un cadre d'harmonisation et de coordination de
multiples actions spontanées, menées de manière éparse, sans situation de référence et
dans des conditions d'apprentissage souvent précaires », a réaffirmé la nécessité de
changer et d’améliorer le mode de fonctionnement des "daara". En quelque sorte, il est
question pour les autorités que les "daara", institutions traditionnelles de formation et
d’éducation islamique, s’inscrivent dans une mouvance de modernité et entrent dans une
dynamique plus ou moins formelle sous le contrôle de l’Etat qui a en charge d’orienter la
politique éducative dans le pays. Il a également été constaté «une absence de formation
pédagogique initiale et continue des maîtres coraniques, une absence de programmes et
de médium d'enseignement harmonisés, des insuffisances dans la planification et la
gestion des activités pédagogiques, mais aussi le manque de fonctionnalité de leurs
locaux, respectant rarement les normes d'hygiène et de salubrité»106. Ce diagnostic sur la
situation des "daara" et l’ambition de procéder à leur modernisation sont perçus
différemment dans la société.

106
Cf. Rapport de présentation du projet de loi portant statut du daara.

157
Le texte du projet de loi tel qu’il a été libellé paraît controversé. Cependant, dans son
esprit, il a été salué par une grande majorité des Sénégalais dans la mesure où son objectif
– semble-t-il – est de rétablir l’égalité et l’équité par rapport aux différentes offres
d’éducation mais également, dans le cadre d’une éducation inclusive, de créer des
passerelles entre les "daara" et l’école publique formelle. Aussi, faut-il souligner que
toutes les associations qui œuvrent pour la sauvegarde des droits humains et par
conséquent, luttent contre le phénomène de la mendicité de ces élèves-talibés fréquentant
ces "daara", ont salué cette initiative du gouvernement du Sénégal. Aujourd’hui, force est
de reconnaître que les "daara", en tant que dispositifs traditionnels de formation et
premières formes d’écoles apparues au Sénégal bien avant l’époque coloniale continuent
d’être des moyens d’éducation et des institutions de socialisation qui accueillent beaucoup
d’enfants et de jeunes. Ce qui constitue un pourcentage important d’enfants auxquels
l’Etat a l’obligation d’apporter une assistance et une offre d’éducation même si la loi
fondamentale de la République du Sénégal reconnaît les communautés religieuses
comme moyen d’éducation aux côtés de l’Etat. Ainsi dans sa recherche de solution par
rapport au problème de la mendicité des enfants-talibés et dans sa volonté de mieux
organiser l’enseignement coranique, l’Etat du Sénégal se retrouve dans une situation
délicate et se voit en opposition face à certains acteurs des "daara".

En réalité, la volonté de procéder à la modernisation des "daara" est née du temps où le


parti socialiste était encore au pouvoir. Mais, face au rejet par certains guides religieux
tels que le khalife général de la confrérie Tidiane, Abdoul Aziz Sy Dabakh, le projet de
réforme a été rangé dans les tiroirs et aux oubliettes. Après la première alternance
politique, il a connu une évolution et a été remis à jour par les autorités étatiques libérales.
Le projet de loi ainsi libellé aujourd’hui prévoit, entre autres mesures, une limitation de la
scolarité dans les "daara" à une durée de huit (08) ans subdivisés en trois étapes : une
première étape consacrée à la mémorisation du Coran d’une durée de trois ans ; une
deuxième étape incluant mémorisation du Coran et programme des classes de Cours
d’Initiation (CI), de Cours préparatoire (CP) et de Cours élémentaire-première année
(CE1) d’une durée de deux ans ; et une troisième étape d’une durée de trois ans, pendant
lesquels les élèves-talibés seraient amenés à prendre connaissance des programmes des
classes de Cours élémentaire deuxième année (CE2), de Cours moyen première année

158
(CM1) et de Cours moyen deuxième année (CM2) de l’enseignement formel. Dans ce
projet de réforme il est aussi prévu à la fin de ces huit (08) ans une certification de
l’apprentissage du coran.

Même si dans l’ensemble, l’amélioration des conditions d’étude et de vie des enfants
fréquentant ces "daara" est vivement souhaitée, le projet de loi sur leur modernisation n’a
pas reçu un accueil favorable de la part de tous acteurs de ces dits "daara". En effet, il a
suscité un débat complexe et a divisé les autorités étatiques et principalement les
associations de maîtres coraniques qui ne l’ont pas bien accueilli. Certains imans, à la
suite des pionniers des plus influentes confréries musulmanes du pays ont exprimé au
départ leur refus par rapport au projet de loi et ont interpellé les autorités étatiques sur les
risques. Ils ne souhaitaient pas que les "daara" se transforment en écoles franco-arabes
ou soient organisés suivant le modèle français. Ce qui fait que, par exemple, dans la
capitale du mouridisme, Touba, où il a été noté une concentration très importante de
"daara", le projet de loi a été rejeté. En effet, le 26 décembre 2014, la Ligue des écoles
coraniques de Touba s’est opposée au projet de loi à travers une conférence de presse
où l’un de ses porte-paroles martelait : « Nous ne voulons pas de ce décret qui vise à tuer
les daara ».107

Egalement, le bureau exécutif de la Fédération nationale des associations d’écoles


coraniques du Sénégal l’a rejeté et à la place a proposé un document de référence qui
prendrait en charge les différents aspects du "daara". Ce rejet s’explique par le fait que le
bureau n’a pas été impliqué dans l’élaboration du projet de loi dans la mesure où leurs
amendements n’ont pas été pris en compte dans le document final. Il a également
dénoncé la démarche utilisée à cet effet. Aussi pour Cheikh Tahirou Tall, président de la
fédération des maîtres coraniques, le présent texte de loi sur la modernisation des "daara"
n’a pas tenu compte de leur mission principale qui constitue l’essence même de ces
derniers. D’après lui : « L’école coranique a une mission claire et précise : c’est
d’inculquer aux enfants un enseignement religieux basé sur nos valeurs et réalités

107
Cf « la Ligue des écoles coraniques de Touba jette le décret à la poubelle », le 26 décembre 2014 (Modou
Guèye, porte-parole) : http://www.senseplus.com/article/la-ligue-des-ecoles-coraniques-de-touba-jette-le-
decret-la-poubelle, consulté 25 janvier 2015.

159
sociales. C’est ça l’essence. On ne peut pas y toucher. Mais quant aux formes et autres
aspects, on peut en discuter »108. S’agissant de la formation des enseignants dans les
"daara", il a souligné, en effet, que la fédération avait entrepris, avec l’aide un institut
international, de former 45 maîtres coraniques dans le seul but d’améliorer leurs conditions
d’enseignement et la pédagogie utilisée. D’après le président de la fédération, les "daara"
sont « dans une dynamique d’amélioration, mais pas n’importe comment » (Idem.). Ainsi
donc, la position de la fédération est que « le daara peut être modernisé, mais qu’il garde
sa mission ».

En définitive, certains acteurs des "daara" pensent que les raisons qui ont motivé la
réforme ainsi le projet de loi portant sur leur modernisation ne sont pas claires. Derrière
cette volonté du gouvernement de répondre aux sollicitations des communautés
religieuses et à cette vieille doléance des Etats Généraux de l’Education et de la Formation
en introduisant l’enseignement religieux à l’école de la République et cette ambition
d’apporter son aide et son soutien aux "daara", il faudrait voir toute une politique éducative
cherchant à contrôler ces institutions traditionnelles de formation ; ce qui, aux yeux d’une
frange de ces acteurs des "daara", peut être perçu comme la fin d’une mission religieuse
et sociale ce qu’ils ne sont pas prêts à accepter. La position des imans et des maîtres de
"daara" est que l’inclusion, la fusion des écoles coraniques dans le système officiel, doit
se faire selon des règles bien établies respectant l’essence même de ces derniers. En
attendant, les divergences de position entre les autorités politiques et les imans et maîtres
coraniques ont entraîné le blocage du vote du projet de loi visant la modernisation des
"daara". Ce que confirmait le ministre-conseiller, Pape Abdou Cissé, face aux imans qui
ne lui ont pas caché leur désaccord contre le texte du projet de loi présenté. D’après le
représentant du gouvernement : « Désormais le projet de loi est soumis à l’appréciation
des imams et des acteurs de l’éducation coranique pour leur permettre de faire des
propositions »109. Jusqu’en fin 2017, ce projet de loi n’a pas encore été voté mais les
différentes parties impliquées seraient parvenues à des accords et ententes.

108
Projet de loi portant statut du daara, par Mamadou Lô, cf.http://www.seneplus.com/article/projet-de-loi-
portant-statut-des-daara, consulté en 25 janvier 2015.
109
Cf. Le site de l’Actu des Médias : http://www.presafrik.com/ads/108079.

160
L’élaboration de ce projet de loi a révélé des relations tendues entre l’Etat et les maîtres
coraniques. Aussi, comme le soutiennent Lewandowski et Niane (2013), les différents
débats portant sur le projet de « modernisation des "daara" » ont entraîné le
déclenchement d’un système de négociation entre tous les acteurs de ces dites structures.
D’après ces auteurs, « la modernisation des "daara" dévoile plusieurs intérêts et
stratégies. Aux cadres et experts de bailleurs de fonds occidentaux, elle permet de
proposer des pistes d’accroissement des taux de scolarisation, de réduire le nombre
d’enfants des rues, de favoriser l’ouverture de structures privées et d’alimenter le
paradigme “du capital humain” » (p. 510). A travers leur article, Lewandowski et Niane
(2013) soulignent toute la complexité et les enjeux divers autour de cette question des
"daara".

En résumé, ce qu’il faut retenir, c’est ceci : les divergences d’interprétation et les manques
d’entente autour de la laïcité sont récurrents au Sénégal ; ils ont accompagné tout le
développement de la jeune nation de 1960 à nos jours. Depuis les indépendances, ils ont
rythmé la vie des Sénégalais. En un mot, ces différentes catégories de débat sur la
question laïque soulèvent le problème de la place de la religion dans la société en général
et par rapport au pouvoir politique à tel point qu’en 2001, des discussions vives autour du
projet de la Constitution proposé par le Président de la République, Abdoulaye Wade, ont
été notées dans le paysage médiatique, politique et social où il avait été question de
supprimer le terme de laïcité du texte constitutionnel. D’autres oppositions tout aussi vives
entre certains guides religieux – musulmans soutenus par une partie de leurs adeptes –
et la société civile autour de la réforme du code de la famille ont aussi attiré l’attention de
plusieurs observateurs. Aujourd'hui, cette situation ainsi que le contexte général du
Sénégal marqué par l'omniprésence de la religion dans toutes les sphères de la société
suscitent des interrogations sur le modèle de laïcité en vigueur ou sur la forme adéquate
qu’elle doit revêtir en prenant en considération les facteurs historiques et culturels propres
au pays. Quel est le degré de séparation entre l'État et les religions ? La privatisation de
la religion jusque-là respectée dans l’espace scolaire a été levée par la série de mesures
entreprises au lendemain de l’alternance politique de 2000. L’école au Sénégal est un
service public proclamé dans la Constitution. La loi fondamentale et la loi d’orientation de
l’Education Nationale affirment que le droit à l’éducation incombe à l’Etat. Il a comme

161
mission d’assurer l’enseignement de tous les enfants en âge d’être scolarisés même s’il
reconnaît et ouvre cette mission aux communautés religieuses qui peuvent apporter leur
soutien. La finalité de l’école publique laïque est donc de s’occuper de l’instruction, de
l’éducation afin de permettre l’émancipation des élèves dans la société sénégalaise.
Conscient de son devoir envers les populations, l’Etat, depuis octobre 2002, a introduit
une série d’innovations110 dans le système éducatif. Ces mesures ne remettent pas en
cause le caractère laïque de l’Etat. D’après Charliers (2002, p. 96) : elles « indiquent une
même intention politique de resserrer les dispositifs éducatifs au plus près des
préoccupations et des intérêts des populations… » et peuvent être interpréteés de deux
manières. La première est liée aux prescriptions des organisations financières
internationales qui accordent une importance capitale à l’éducation de base. Par
conséquent, pour la réalisation de la scolarisation universelle, l’introduction de la religion
et l’enseignement des langues locales deviennent de facto incontournables. La deuxième
raison expliquant ces innovations et liée à la première est à chercher dans l’idéologie
développée par l’islam au Sénégal par rapport à la laïcité de l’Etat comme héritage
colonial ; selon sa vision cela ne répondant pas aux valeurs traditionnelles sénégalaises
et qu’il faut nécessairement redéfinir. Ces innovations :

(…) marquent aussi un glissement de référence, une évolution dans la conception de l’Etat et des
fondements de sa légitimité. Elles annulent de facto le compromis politique établi en faveur de sa
laïcité au profit d’une doctrine politique, plus anglo-saxonne que française, qui admet l’affirmation
de signes religieux explicites dans les institutions publiques. Les promoteurs de ces réformes ont
volontairement nié le caractère absolu des caractéristiques qui différenciaient l’école officielle des
dispositifs traditionnels de socialisation. (Charlier, 2002, p. 96)

Une chose est sûre : ces innovations de 2002 remettent à jour le rapport de force toujours
évolutif entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel au Sénégal. Par conséquent, notre
objet de recherche sera axé sur l’examen des effets de ces mesures prises au niveau
politique et éducationnel. En réalité, la volonté d’introduire l’éducation religieuse dans
l’école publique laïque et l’ambition de procéder à la modernisation des "daara" de la part
des pouvoirs publics dans les pays à forte majorité musulmane, peuvent être perçues sous

110
Cf. le chapitre sur l’école sénégalaise.

162
un autre angle, d’après Mbonda (2016, pp. 14-15) comme des stratégies de contrôle ou
des formes de coopération face à la force sociale que représente l’islam au sud du Sahara.

(…) Comme le montre Eloi Messi Metogo : « L’État recourt à des stratégies plus subtiles : contrôle
des pèlerinages, des écoles coraniques et des nouvelles écoles musulmanes privées ; organisation
de l’enseignement islamique de manière à l’intégrer à l’enseignement officiel ; construction de
mosquées; tentative de bureaucratisation de la religion par la création d’associations musulmanes
officielles. Les gouvernements se posent en protecteurs et même en promoteurs de l’Islam dans
leurs pays pour canaliser les relations musulmanes internationales au profit de l’État. Les membres
des associations musulmanes officielles sont chargés des missions diplomatiques dans les pays
musulmans et attirent les pétrodollars arabes. » (Op. cit., p. 16, cité par Mbonda, 2016, p.

15).

Quoi qu’il en soit, l’influence des religions est attestée et reconnue par le pouvoir temporel
qui n’hésite pas à faire appel à elles dans le cadre de la résolution des crises sociales,
voire politiques d’une importance capitale et de nature délicate comme les problèmes liés
aux élections présidentielles. Dans ces situations et configurations, de quel modèle de
laïcité s’agit-il alors ? Qu’en est-il de l’universalité du principe ? Le contexte socioculturel
et les particularités sénégalaises mettent-ils à distance cette universalité de la laïcité ou
viennent-ils confirmer l’existence d’un modèle propre sénégalais ?

163
4- 2 CONSTRUCTION DE LA PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE

En partant de ces différents problèmes soulevés par rapport au principe de la laïcité au


Sénégal, à savoir la question des divergences d’interprétation et les catégories de débats
qu’il a suscitées dans les différentes sphères de la société, et plus précisément, en
s’appuyant sur les innovations de 2002 dans le système éducatif, il s’agit maintenant de
passer à la formulation de la question qui nous interpelle, des objectifs assignés à la
recherche et des hypothèses qui en découlent.

4- 2- 1 La question de la recherche

Toute la première partie de la recherche a montré la spécificité du Sénégal marquée par


un contexte où le pouvoir politique n’entend pas se passer du religieux qui a acquis une
grande influence dans la société et qu’il place au service des intérêts de la nation. Dès les
débuts donc de la souveraineté politique, l’affirmation d’une séparation stricte des deux
sphères – à laquelle n’a pas contribué le rôle primordial et intransigeant du pouvoir
maraboutique et des guides religieux dans les affaires de la cité – ne s’est jamais
positionnée comme l’élément central de l’idéal laïque. Aussi, l’urgence d’une distinction
nette entre espace privé et public par rapport au religieux n’a pas non plus été considérée
comme nécessaire dans l’affirmation du principe de laïcité qui, dès l’origine, a favorisé la
garantie du pluralisme et du vivre ensemble pour une paix sociale durable entre les
différentes communautés. Ainsi, les rapports entre le temporel et le spirituel d’une part et
d’autre part, le manque de rigidité de la frontière entre la sphère privée et publique
impriment à la laïcité au Sénégal un caractère particulier. Sous ce rapport, force est de
constater qu’aujourd’hui, la délicate délimitation de cette frontière et le difficile partage
strict d’un côté l’Etat et ses institutions et de l’autre les communautés religieuses et les
structures dépendant d’elles s’invitent dans le monde scolaire avec les innovations de
2002. Si l’on sait que l’instruction et l’éducation relèvent d’abord de la responsabilité de
l’Etat qui est garant de l’unité nationale et de l’intérêt général de la nation, quelles
implications peuvent avoir les mesures visant l’introduction de l’éducation religieuse dans
l’école publique laïque et la modernisation et l’intégration des "daara" dans le système
éducatif sénégalais ? Il est clair que la présente réforme témoigne des ambitions de l’Etat
du Sénégal de prendre en charge ses prérogatives en matière d’enseignement : comment

164
alors concilier ce fait avec la mission de ces communautés religieuses en ce qui concerne
l’éducation et l’instruction dans ce domaine ? Autrement dit, quelle est la nature du régime
de collaboration entre le pouvoir étatique et les différentes communautés par rapport à
l’enseignement religieux ? Qu’en est-il des minorités religieuses ? Ainsi, l’objet de notre
recherche consiste à examiner si et comment les innovations de 2002, particulièrement :
l’introduction de l’éducation religieuse111 et le projet de modernisation des "daara",
modifient d’une certaine manière la conception sénégalaise même de la laïcité ou en
dessinent un autre et nouveau rapport du social à l’Etat. Il sera question de voir comment
la politique éducative de l’État laïque sénégalais destinée à traiter des aspects
institutionnels de l'éducation, prend en charge les préoccupations religieuses des
citoyens. Autrement dit, quels aménagements ont-ils été nécessaires par rapport à la prise
en charge du volet religieux dans les finalités et les objectifs d'éducation sans que cela ne
remette en cause l'aspect laïque des institutions ? Et concrètement, dans les écoles
publiques, comment se fait cet enseignement religieux ? Dans un État de droit, un État
laïque et républicain, comment accorder une place à la religion à l’école ? Aussi, quelles
perspectives faut-il voir dans le projet de loi visant la modernisation des "daara" ? Quelles
précautions prendre pour préserver le vivre ensemble et permettre un pacte de
cohabitation harmonieuse qui favorise une tolérance religieuse tout en respectant la
liberté de conscience et l’égalité entre tous ? Toutes ces innovations remettent-elles en
question la laïcité ou tout simplement en dessinent-elles une autre version qui vient
témoigner de la forme du régime laïque favorisée par le Sénégal présentement, à une
époque où les autorités étatiques tentent de cerner les tensions nées des différentes
catégories de débats sociaux en lien avec la question de la laïcité et de la place et du rôle
de la religion dans les divers endroits de son expression ? En somme, quelle (s) forme (s)
de laïcité se sont construites au Sénégal à partir des divers facteurs culturels et religieux ?
Dans le contexte sénégalais, par rapport à l'influence de la religion et des guides religieux,
et en tenant compte des divers aménagements, mais également, des tensions entre les
différentes forces sociales, il serait intéressant de diagnostiquer les types de laïcité.
L’examen des mesures entreprises dans le système éducatif sénégalais semble donc en
définitive être un bon observatoire pour bien analyser le modèle proprement sénégalais
du principe de laïcité et l’identification des différentes représentations ou visions que les

111
Il s’agit uniquement de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires classiques. Le cas
des écoles publiques franco-arabes faisant partie de ces innovations n’a pas été pris en compte dans le
cadre de la présente recherche.

165
sénégalais ont de cette notion dynamique. En effet, selon les contextes géopolitiques, les
époques, les situations, les traditions, etc., il est possible de noter des évolutions, voire
même des mutations par rapport au principe de laïcité. La laïcité comme expression d’un
instrument de cohésion constitue-t-elle un enjeu social et politique capital et très fort dans
cet État démocratique pluriel avec des minorités ethniques et religieuses ? Toute cette
série d’interrogations en rapport à la question du vivre-ensemble et de la laïcité rejoint les
préoccupations dominantes et actuelles dans les débats politiques et universitaires en
Afrique ; illustrées par la publication du livre : "L’Afrique des laïcités", publié en 2014 par
l’Institut de la Recherche pour le Développement (L’IRD) aux Editions Tombouctou, à partir
du colloque tenu au Mali en 2010, comme le soulignait Ernest-Marie Mbonda en 2016 112.

En somme, en présentant le contexte dans lequel s’inscrit cette recherche, en invoquant


les différents débats inhérents à la laïcité à partir des indépendances jusqu’au début des
années 2000 d’une part et d’autre part les innovations dans les lois scolaires de 2002, la
position du problème de la recherche a été ainsi esquissée et définie : la laïcité ne va pas
de soi ; elle est source de polémique et d’interprétation multiple. Depuis quelques années,
les différents débats soulevés par rapport à cette question la replacent au centre des
problèmes contemporains au Sénégal sur le plan social et scolaire, politique et juridique
à tel point qu’il semble nécessaire, voire urgent d’interroger cette notion. Les
arrangements entre l’Etat et les différentes confessions concernant l’enseignement
religieux dans les écoles publiques élémentaires et l’ambition affichée d’une
modernisation des "daara" redynamisent et réactualisent les interprétations en la matière.
Ainsi la question de notre recherche peut se formuler de la façon suivante :

En quoi les rapports entre les communautés religieuses et l’Etat d’une part et d’autre
part, les réalités et les enjeux de l’organisation des cours de religion dans les écoles
publiques élémentaires et le projet de modernisation des "daara" dessinent-ils les
contours du régime de laïcité sénégalaise et de ses différentes visions divergentes et
interdépendantes ?

112
Lors de sa communication au colloque du Laboratoire Civiic, Université de Rouen, 10 juin 2016 sur le
thème : « Les défis de l’éducation à la citoyenneté et au vivre-ensemble dans un contexte multiculturel.
Perspectives africaines.

166
4- 2- 2 Les objectifs de la recherche

Dans le cadre de la présente recherche, deux objectifs principaux ont été fixés : l’examen
des effets de la réforme de 2002 et la typologie du régime et des différentes visions de la
laïcité au Sénégal. Celle-là s’inscrit dans l’histoire singulière de la laïcité au Sénégal et
des rapports entre les autorités politiques et les guides religieux. Cette thèse cherche
aussi à diagnostiquer les relations complexes entre le pouvoir politique et le pouvoir
religieux en lien, de toute évidence, avec la question de la laïcité. Notre travail va donc
s’orienter d’une part vers l’examen des innovations intervenues dans le système éducatif
à partir de l’année scolaire 2002/2003 dont l’introduction de l’enseignement religieux dans
l’école publique et la modernisation des "daara" et d’autre part vers l’analyse de
l’apparition, de l’évolution et des manifestations du principe de laïcité dans la société
sénégalaise pour en identifier ses différentes visions qui se sont construites au fil du
temps. Sous ce rapport, deux objectifs ont été retenus pour cette recherche :

4- 2- 2- 1 Examiner les effets de la réforme de 2002

Le premier objectif de notre recherche est d’examiner si et comment les effets de la


réforme de 2002 portant sur le système éducation, notamment l’introduction de cet
enseignement religieux, le projet création d’écoles franco-arabes et la modernisation des
"daara", modifient d’une certaine manière la conception même de la laïcité ou dessinent
un autre et nouveau rapport du social à l’Etat. Il est ici question, à travers l’analyse
documentaire et une enquête semi-directive sur le terrain, c’est-à-dire dans les écoles
élémentaires publiques du Sénégal, de diagnostiquer ce qui se fait en matière
d’enseignement religieux, de le soumettre à une vérification par rapport aux principes
fondamentaux de la laïcité, surtout à ses finalités qui sont la liberté de conscience et
l’égalité entre tous. L’objectif est donc d’évaluer l’intégration de l’enseignement religieux
dans les programmes scolaires, de déterminer sa valeur par rapport aux autres disciplines,
son intérêt pour les élèves, son organisation pratique. Il s’agit aussi de voir en quoi la
politique éducative de l’Etat à travers le projet de modernisation des "daara" a des
répercutions ou apporte un éclairage sur le modèle proprement sénégalais de laïcité. En
définitive, ce premier objectif nous oriente vers un travail de diagnostic, c’est-à-dire un état
des lieux et une évaluation comme démarche méthodologique dans la recherche

167
d’éléments clés et pertinents par rapport à notre objet. En tant que pratique, l’évaluation
remonte au début de l’éducation. Elle n’intéresse pas d’ailleurs seulement l’éducation. Si
l’individu s’organise, survit et continue de vivre ensemble avec ses semblables, c’est en
partie grâce à sa capacité d’évaluer. Pour Pelletier L (1971) : « L'évaluation devient un
phénomène de recherche complexe, qui n'obéit plus à une méthodologie uniforme, qu'il
suffit d'apprendre et de perfectionner. Elle devient multiforme, suivant les situations, les
objets à évaluer, les agents d'évaluation. Le contrôle des processus méthodologiques
propres à l'évaluation devient plus difficile. Tout le monde fait de l'évaluation et de bien
des manières. » (p. 13). Cependant, toute évaluation est une anticipation parce qu’elle
éclaire sur la décision qui doit être prise. Partant de ce constat, il nous semble pertinent
de souligner le fait que l’évaluation est un jugement de valeur, à partir d’informations
recueillies, ensuite analysées et interprétées, pour la prise de la meilleure décision
concernant un sujet bien déterminé. Il s’agit de porter un jugement sur une situation, sur
quelqu’un ou sur un objet, ce qui fait référence forcément à une norme qui a été définie
avant. Il s’agit donc d’emblée de préciser que cet objectif de notre recherche n’a pas
l’ambition de faire une évaluation complète à grande échelle de l’application de la réforme
concernant l’introduction de l’enseignement religieux dans l’école publique et la
modernisation des "daara". Celle-ci serait trop vaste et dépasserait nos compétences. En
toute logique, c’est à l’administration centrale, au ministère de l’éducation nationale, que
revient la tâche de définir les objectifs de la politique éducative, de répartir les moyens
nécessaires à la réalisation des programmes et d’évaluer leur réussite par rapport aux
finalités visées. Ce qui nécessite un dispositif d'évaluation qui, à chaque échelon, permet
d'apprécier la pertinence des objectifs définis à l’avance, l'adéquation des moyens
mobilisés et enfin la qualité des résultats obtenus. Aussi, au niveau national, fut mise en
place une Direction chargée d’évaluer les politiques conduites par le ministère. Dans le
système éducatif, en général, l’évaluation se présente comme une problématique majeure
et complexe. Pour une meilleure connaissance de ce dernier, la pratique des évaluations
bilan s'adressent aux autorités académiques et étatiques mais aussi à tout le monde. En
tant que chercheur, notre ambition se limite à examiner les effets d’une partie de la réforme
et en tirer des conclusions. Cet objectif vise aussi à impliquer tous les acteurs de l’école
pour qu’ils comprennent les enjeux et les défis, à savoir : où en est-on par rapport à
l’introduction de la religion dans le système formel publique ? Notre travail de recherche
traduit l’engagement qui nous anime : à savoir le désir d’apporter un regard synoptique

168
sur l'école sénégalaise ; cette thèse se veut être un levier du changement, une contribution
participative aux innovations en cours dans notre système éducatif et enfin un support
invitant à la réflexion pour toute la communauté éducative dans le seul but d’améliorer
véritablement la qualité et l’équité de l’éducation de base.

4- 2- 2- 2 Analyser le modèle et les différents types de laïcités au Sénégal

La réalisation du premier objectif de cette recherche et la prise en compte de tous les


éléments descriptifs développés dans cette première partie seront déterminantes dans
l’étude de la laïcité comme elle se traduit au Sénégal. Cette étude s’appuiera sur une
méthode de comparaison et de confrontation avec les différents modèles ou formes de
laïcité apparus dans d’autres pays. L’approche comparative permettra d’analyser la place
réservée à la religion dans les institutions publiques et dans la société civile, les
aménagements politiques et enfin leur traduction dans le domaine juridique. En effet, il va
de soi que d’un pays à l’autre, les configurations par rapport au principe de laïcité sont
relativement différentes. Le contexte historique, les réalités sociales et des arrangements
juridico-institutionnels ont partout imprimé une certaine marque permettant
progressivement au pouvoir temporel et au pouvoir spirituel de s’autonomiser de façon
réciproque. D’après, Baubérot et Milot, (2011, p. 82) :

Les éléments de laïcité apparaissent, selon des modalités diverses, dans toute société qui doit
négocier ses rapports sociaux marqués par des intérêts ou des conceptions morales ou religieuses
plurielles. Explicitement ou implicitement, l’Etat est amené à prendre position par rapport aux Eglises
dominantes [ou communautés religieuses] qui entendent régir la vie sociale, morale, voire politique,
aux groupes minoritaires préoccupés d’assurer le maintien de leurs traditions et aux revendications
collectives ou individuelles concernant l’expression publique de la liberté de conscience. La
laïcisation est ainsi inévitablement exposée à « des tensions explicites entre différentes forces
sociales (religieuses, culturelles, politiques, voire militaires) qui peuvent prendre l’aspect d’un conflit
ouvert. » (Baubérot, 1994, p. 12).

Ainsi pour analyser les types de laïcité, il s’avère nécessaire de prendre en compte les
principes fondamentaux qui d’une certaine manière sont interdépendants et s’articulent
aussi entre eux. L’agencement de ces quatre éléments – « la liberté de conscience (et
de ses divers rapports avec la liberté religieuse, l’égalité (plus ou moins forte) des droits
sans condition, la séparation et la neutralité (et des diverses manières de les

169
envisager) » (Baubérot, 2015, p. 18) – qui constituent les bases du principe de laïcité,
connaîtra une certaine singularité suivant les pays et les types de société. Car en
définitive, l’apparition de l’Etat moderne et de son développement va de pair avec
l’émergence d’un idéal laïque comme le soutient Barbier (1995, p. 11-14, cité par Baubérot
et Milot, 2011, 84). La question ne sera plus de voir si oui ou non le principe de laïcité est
appliqué dans les états de droits - ce qui parait évident étant donné qu’ils sont en général
laïques (voir Haarscher, 1996, cité par Baubérot et Milot, 2011, 84) - mais plutôt
d’examiner les différents aménagements instaurés, variant selon chaque état, pour
comprendre et analyser le modèle propre et les types de laïcité qui émergent dans le pays.
Pour cela donc, il est indispensable de prendre en compte ces quatre principes
fondamentaux de la laïcité. Pour le cas du Sénégal, l’étude des différentes visions de
laïcité qui s’affrontent dans un rapport de force en perpétuelle quête de repositionnement
constituant le deuxième objectif de notre recherche se fera à partir de l’examen des effets
de la réforme de 2002 et de l’analyse et de l’interprétation des documents officiels et du
discours recueillis des différents acteurs politico-religieux et membres de la société civile
interviewés. Il s’agit donc pour nous, en tant que chercheurs, d’examiner comment ces
éléments constitutifs du principe de laïcité sont « revendiqués politiquement, acceptés
socialement, formalisés juridiquement et culturellement intériorisés » (Idem.).

4- 2- 3 La formulation et la présentation des hypothèses de recherche

Les objectifs de cette thèse – Examiner les effets de la réforme de 2002 d’abord et
ensuite analyser le modèle et les différents types de laïcité construits au Sénégal
identifier le modèle et les différentes visions de laïcité sénégalaise – donnent lieu à
la détermination de trois hypothèses.

4- 2- 3- 1 Les innovations de 2002, observatoire de la forme de laïcité

Notre conception de la laïcité rejoint celle qui veut qu’elle soit une idée dynamique,
un mode d’organisation politique qui a pour finalité la protection de la liberté de
conscience et l’égalité entre tous les citoyens. Elle met donc en jeu ses principes
normatifs avec des aménagements politiques et institutionnels et des arrangements
divers. Aussi l’apparition des principes fondamentaux de la laïcité, leur enracinement

170
et leur application se font suivant les sociétés et un certain nombre de paramètres
propres à chacune d’elles. A partir du processus historique singulier au Sénégal et
des conceptions philosophiques particulières établissant d’une part des liens entre
politique et religion et d’autre part accordant une place importante aux mythes et
croyances, il semble logique de soutenir l’idée qu’il existe dans ce pays un modèle
de laïcité qui peut dans ses aspects être différent des autres modèles existants avec
ses caractéristiques propres ou plusieurs visions de celle-ci qui se sont construites
dans le temps. Ces différentes considérations, confortées par l’analyse des
catégories de débats soulevés dans les différentes sphères de la société sénégalaise
notamment scolaire, ont montré que le principe de laïcité, dans ses différentes
représentations dans le contexte du Sénégal où la tolérance religieuse est un acquis,
est différent de ses manifestations françaises où, instauré en partie pour mettre fin à
la guerre des religions, à la monarchie de droit divin et à l’influence du catholicisme,
est porteur d’objectifs d’émancipation de l’individu vis-à-vis d’une ou des religions.
Au Sénégal, les mesures prises en 2002 par les autorités étatiques traduisent tant
soit peu la forme de laïcité à laquelle le Sénégal a opté. En effet, l’école publique
laïque sénégalaise est le lieu par excellence d’éducation et d’intégration où tous les
enfants et les jeunes se retrouvent sans distinction aucune ni discrimination ; elle est
ouverte à toutes et à tous, quelles que soient les origines et appartenances sociales,
ethniques et religieuses. D’ailleurs, au Sénégal, l’école s’est toujours présentée
comme un enjeu capital entre l’Etat et les différentes communautés musulmanes. De
l’indépendance à aujourd’hui et au fur et à mesure qu’augmentent les besoins de
scolarisation, sa place et son rôle dans la société se sont de plus en plus renforcés
malgré la crise et les maux qui la gangrènent. Depuis les états généraux de
l’éducation et de la formation, les sénégalais de tout bord, et en première ligne : les
communautés religieuses, ne cessent de réclamer de la part de l’Etat des réformes
traduisant son adaptation aux réalités socioculturelles du pays. Cette vieille doléance
se voit petit à petit concrétiser aujourd’hui avec la série de mesures entamée à
l’ouverture de l’année scolaire 2002/2003. Ainsi, toutes ces considérations
permettent de soutenir l’hypothèse suivante :

171
Hypothèse 1 :

Les innovations de 2002 dans le système éducatif sénégalais, parmi


lesquelles l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques
élémentaires et le projet de modernisation des daara, témoignent du modèle
propre de laïcité et précisent les contours de celui-ci qui,
vraisemblablement, laisse place à l’affirmation des signes et symboles
religieux dans les différentes institutions de l’Etat et dans la société civile.

La formulation de la première hypothèse laisse entrevoir un sens de la laïcité orienté


vers une conception politique et sociale impliquant un certain nombre de principes
de base dont le rapport à la religion. La recherche va donc s’appuyer sur trois
paradigmes : l’un de type descriptif, l’autre de type compréhensif et le troisième de
type comparatif. D’abord, dans un cadre descriptif, il sera question d’identifier, tout
en prenant en compte la dimension historique de la laïcité au Sénégal, les éléments
capitaux, indispensables pour cerner le modèle proprement sénégalais et les
différentes représentations de celui-ci. Aussi, pour comprendre la mise en œuvre du
principe de laïcité dans le contexte sénégalais, il est impératif de prendre en compte
les enjeux sociaux et de voir comment s’y articulent les quatre principes de base
dans le temps. Car en définitive, « chaque principe ne connaît pas la même étendue
ni la même interprétation d’une situation nationale à l’autre. La conception qui
prévaut relativement à l’un de ces principes a des conséquences sur les autres,
puisqu’ils sont interdépendants. Il n’existe pas de réalité absolue ni essentialiste de
la laïcité. » (Baubérot et Milot, 2011, p. 87). Nous soutenons la thèse selon laquelle
au Sénégal, selon les groupes confrériques ou religieux, selon les individus, les
représentations ou les visions de la laïcité varient et sont différentes. Même si un
modèle sénégalais singulier dominant peut-être envisagé, il n’est pas exclu au sein
de la population l’existance de diverses représentations de la laïcité. Ainsi, pour
distinguer les différents types de laïcité, il sera nécessaire d’examiner les principes
de base qui permettent en général de définir ou de cerner le modèle de laïcité. Pour
étudier et décrire les représentations de la laïcité au Sénégal, il sera question
d’utiliser les quatre éléments suivants. Il s’agit de : « la liberté de conscience (et de
ses divers rapports avec la liberté religieuse, l’égalité (plus ou moins forte) des droits

172
sans condition, la séparation et la neutralité (et des diverses manières de les
envisager.) » (Baubérot, 2015, p. 18). Ces quatre éléments vont constituer des
catégories pour comprendre les différentes visions qu’ont les Sénégalais par rapport
à la laïcité. Notre travail consistera donc à cerner les représentations des personnes,
les significations qu’elles attribuent à la laïcité et les rationalités construites par les
différents acteurs à partir des interactions verbales. Le principe de laïcité n’est pas
une exception française ; il existe d’autres modèles de laïcité dans le monde
(Baubérot, 2007) ; d’autre part, au sein même d’un pays comme la France, il n’existe
pas de « modèle français » unique mais au contraire plusieurs représentations
divergentes qui se positionnent les unes par rapport aux autres dans un contexte
évolutif de domination. (Baubérot, 2015). Aussi, au Sénégal certains courants
considèrent le principe de laïcité qui a été constitutionnalisé pour permettre aux
religions de s’entendre dans l’espace public commun, comme une idéologie
occidentale étrangère et non pertinente dans une société sénégalaise globalement
religieuse. Pourtant, parallèlement à cette position, nombreux sont aussi ceux qui
soutiennent l’idée d’une organisation politique basée sur le principe de laïcité.
Partant donc de toutes ces considérations et en réponse à la problématique soulevée
par cette recherche, les quatre éléments ci-dessus cités sont à « évaluer, mesurer,
comparer… » (p. 17). Enfin, l’utilisation d’une approche comparative s’avère alors
nécessaire dans ce cas précis. En lien avec les quatre catégories ou principes de
base de la laïcité et de la situation évoquée par rapport à l’école publique, il semble
alors nécessaire de formuler d’autres hypothèses.

4- 2- 3- 2 La coopération, identité du régime de séparation des pouvoirs au


Sénégal

La politique et la religion sont des termes conceptuellement opposés dans leurs principes
de base. Le premier est l’entité par laquelle la société tient ensemble. De ce fait, elle
représente la totalité des individus membres de la même collectivité nationale. Pour Caillé
(2009), la politique est « ce par quoi une société se rapporte à elle-même et s’institue dans
sa singularité historique et spatio-temporelle » (p. 126). Le second, quant à lui, est l’entité
par laquelle certains hommes lient leur existence sur terre à un au-delà qui les dépasse.
Elle fait donc référence au lien social continu dépassant les limites de ces relations

173
interpersonnelles et se situant au-delà de celles-ci, comme le souligne Caillé (2009) de la
relation moi-autrui, « mais aussi bien, pourrait-on montrer dans le schéma superposable,
au-delà de la mort et de la vie » (p. 79). Malgré cette opposition, la politique et la religion
constituent deux pouvoirs au sein d’une même société qui peuvent coexister selon
différents modes : la distanciation réciproque, la coopération, la fusion entraînant
effacement ou disparition de l’un ou de l’autre, etc… Aussi leurs relations peuvent être
évolutives et s’inscrivent dans un contexte dynamique. Dans l’élaboration et la mise en
œuvre des régimes de laïcité, il est apparu nécessaire de prendre en compte les rapports
entre la politique et la religion. Ainsi, pour arriver aux finalités visées dans les différentes
formes de laïcité qui sont la liberté de conscience et l’égalité entre tous, la séparation du
pouvoir temporel ou politique et du pouvoir spirituel ou religieux d’une part et d’autre part
la neutralité de la puissance politique, c’est-à-dire l’impartialité de l’Etat à l’égard des
religions, sont considérées comme les moyens nécessaires et interdépendants. La
recherche d’une indépendance de l’Etat entraîne aussi une dissociation entre la politique
et la religion. Cependant cette autonomie de la puissance publique s’acquiert aussi par
une séparation des pouvoirs qui peut être différente d’un contexte social à l’autre, d’un
pays à un autre. Notre cadre descriptif a montré qu’au Sénégal des relations très étroites
existent entre les différentes communautés religieuses et le pouvoir politique. Ainsi, c’est
donc la voie de la coopération entre la politique et les religions qui s’est imposée au fil du
temps et de l’évolution de la nation. La religion est un élément capital qui participe à la
construction sociale. Les autorités étatiques n’hésitent pas à attribuer des responsabilités
et des prérogatives à des guides ou aux communautés religieuses. Villalon (1995) a même
montré que les confréries musulmanes soufies exercent au Sénégal un rôle de médiation
entre l’Etat et la société. Cet état de fait est aussi valable pour les chefs religieux des
minorités religieuses. Cette situation singulière nous autorise à engager l’hypothèse
suivante :

Hypothèse 2 :

Les rapports historiques, complexes, multiformes, voire ambigus, entre


l’autorité politique et les chefs religieux empêchent au Sénégal l’application
d’une laïcité qui suppose une séparation stricte des pouvoirs et par
conséquent aussi une neutralité absolue.

174
4- 2- 3- 3 Le multiculturalisme, cadre de jouissance des finalités de la laïcité

Nous l’avons souligné : les moyens – séparation des pouvoirs et neutralité de l’Etat – sont
nécessaires pour garantir l’égalité et la liberté de conscience. Ce qu’il faut savoir, c’est
qu’à des périodes antérieures à l’apparition et à l’affirmation du principe de laïcité, comme
le souligne Baubérot et Milot (2011, pp 76-77) :

Le problème posé par différents auteurs, que ce soit Locke, Bayle, Voltaire, le pasteur Roger
Williams ou Thomas Jefferson (pour ne nommer que ceux-là), concerne directement les conditions
politiques qui rendent possible une cohabitation pacifique entre des groupes d’individus dont la
conception de la vérité est différente. Autrement dit, il s’agissait d’identifier la cause principale des
persécutions et des affrontements sociaux continus où les religions étaient impliquées, et d’imaginer
une solution pour mettre fin aux effets délétères sur le vivre-ensemble que ces tourments
occasionnent – qui vont de l’assimilation à l’élimination de ceux qui ne croient pas comme l’impose
la religion dominante. (…) – entre les différents groupes sociaux et entre l’Etat et chacun d’eux .

Aujourd’hui, dans les régimes de laïcité constituant le mode d’organisation politique, l’Etat
veille sur l’égalité entre tous les membres et cherche à protéger la liberté de croire ou de
ne pas croire ou encore la liberté de ne pas se prononcer sur sa croyance. La description
générale du Sénégal a permis de montrer que c’est un pays stable marqué par une
diversité culturelle. Il est souvent décrit comme une société multiconfessionnelle et
multiethnique. Les convictions philosophiques, ethniques et religieuses sont protégées par
le droit et la loi. Aussi, au quotidien, les Sénégalais font l’expérience de la tolérance et
d’une cohabitation harmonieuse. D’où la formulation de notre troisième hypothèse :

Hypothèse 3 : Le multiculturalisme incarné par la cohabitation pacifique entre


les différentes confessions religieuses et témoignant d’un réel désir de vivre-
ensemble de la part des Sénégalais se traduit par la jouissance de la liberté
de conscience et par l’égalité morale de tous les citoyens.

175
En somme, la vérification de ces trois hypothèses permettra de cerner
indéniablement les différentes visions qu’ont les Sénégalais et ainsi définir les
contours du modèle de laïcité propre au Sénégal. Elle permettra aussi de jeter un
regard comparatif avec les différents régimes laïques.

4- 3 CONCLUSION

Pour certains, la cohésion nationale passe par la laïcité, qui est une condition nécessaire
du vivre-ensemble et de l'émancipation; elle est aussi liée à la réglementation du rapport
entre la politique et la religion. Au Sénégal, cette cohésion nationale est symbolisée depuis
toujours par le dialogue interreligieux qui est une réalité vécue entre les différentes
religions, principalement l'islam et le christianisme. Toutefois, depuis un certain temps, à
partir de l’indépendance du pays jusqu’au début des années 2000, les discussions autour
du statut de la religion dans la société, des rapports entre le pouvoir politique et religieux,
de la place de la laïcité dans la Constitution sénégalaise, du code de la famille, etc., ont
montré que la laïcité fait l’objet d’un conflit d’interprétation. Aussi, la réforme dans le
système éducatif à partir des années 2002 a constitué un cadre d’étude pour cette
recherche. Trois mesures prises par le gouvernement du Sénégal au lendemain de la
première alternance politique qu’a connu le pays, à savoir : l’introduction de
l’enseignement religieux dans le système officiel, la création des écoles franco-arabes
publiques et la modernisation et la prise en charge des écoles coraniques, lui permettent
de répondre à une demande longtemps ignorée des pouvoirs précédents d'une partie de
la population restée sur une position de rejet de l'école française, héritée de l'école
coloniale d’une part et d’autre part, d'atteindre la scolarisation universelle et ainsi d'être en
phase avec les partenaires internationaux qui soutiennent le programme d'Éducation Pour
Tous. Notre constat à cet égard s’est porté sur le fait que, suite à la demande pressante
de la part de la majorité religieuse des sénégalais, la série de choix politiques apporte des
éléments importants qui permettent de comprendre qu’en réalité la forme de laïcité au
Sénégal, différente de sa traduction française, met un accent particulier sur le
multiculturalisme. Dans le système républicain sénégalais, la laïcité est le socle
fondamental sur lequel l’Etat repose. Cette option de l’ériger en principe de base de la
République sénégalaise découle de la volonté des autorités étatiques de veiller à la
possibilité de faire coexister dans le respect et l’égalité des droits plusieurs religions, en

176
d’autres termes de respecter le pluralisme religieux et de préserver l’unité nationale et la
démocratie. La laïcité « est à la fois le fondement et l’une des exigences majeures de la
démocratie politique et institutionnelle. Il ne peut y avoir de démocratie en tant que régime
politique sans la laïcité » (Samb, 2005, p. 113). Si cette affirmation du professeur Samb
constitue une ligne de conduite de la plupart des sociétés modernes d’aujourd’hui, force
est de constater que cela se traduit différemment selon les contextes. S’il est admis qu’il
n’existe pas une acceptation figée définitivement et qu’elle est une idée dynamique, la
problématique actuellement posée au Sénégal par la laïcité mérite réflexion et, nous
semble-t-il, son contenu repensé ou décanté, au moins pour deux raisons comme le
souligne Momar Coumba Diop (2002) :

Tout d’abord, dans un certain milieu musulman, le terme revêt une connotation péjorative qui renvoie
à une situation où la foi est évacuée, où la morale n’est plus observée, où tout milite contre Dieu, ce
qui est inacceptable et même doit être combattu. Ensuite, du moment que notre Etat a hérité, à sa
naissance, du laïcisme du colonisateur, on a tendance à penser l’un pour l’autre. » (p. 609).

Même si ses origines et significations sont en quelque sorte en lien avec l'histoire de la
France jusqu'à la loi de 1905 qui a permis son instauration, son évolution, ses fondements
et ses enjeux actuels dans le contexte national sénégalais marqué par une diversité
culturelle sont à prendre en compte. Aussi, aujourd’hui, la laïcité constitue un champ
d’intérêt en histoire, en philosophie, en sciences politiques, en droit, sans oublier en
sciences humaines. Bref, la question laïque est abordée sous plusieurs angles et de
nouvelles pistes de réflexion la concernant viennent fréquemment enrichir le débat. Cette
diversité d’approche ouvre donc de nombreuses perspectives mais n’enlève en rien sa
complexité, les amalgames et les manipulations dont elle est victime.

177
CONCLUSION 1

La laïcité continue donc de soulever une grande polémique liée aux divergences de
représentation des uns et des autres s’appuyant sur la problématique des relations entre
le religieux et le politique au Sénégal. Notre travail de recherche nous pousse donc à nous
intéresser et à explorer ce principe d’organisation politique qu’est la "laïcité" : un mot qui
est sur toutes les lèvres, un terme qui est d'actualité. Pour preuve il suffit d'ouvrir une page
de journal ou d'allumer la télévision ou encore de capter une station de radio pour s'en
rendre compte. Aujourd’hui elle est même remise en cause par certains du fait des
confusions et des divergences dans les prises de position qu’elle a engendrées. Depuis
un certain nombre d’années, la question laïque n’a cessé de monter en puissance jusqu’à
atteindre un point de sensibilisation tel que présentement dans les débats publics elle
occupe l’une des premières places des sujets traités dans certains pays. Elle est en effet
au-devant de la scène comme d'ailleurs toutes les questions qui ont un rapport plus ou
moins direct avec la religion. Bref, c'est en général la place de la religion qui interroge.
Dans l'actualité géopolitique, qu'elle soit locale ou mondiale, il y a un retentissement de la
question religieuse à travers des débats houleux, des manifestations identitaires très
engagées... C'est donc dans ce contexte problématique où la question religieuse en
général et celle de la laïcité en particulier est présente, que s'inscrit notre recherche. Zarka
(2012), dans son éditorial au numéro 52 de la revue "Cités" résume toutes ces
interrogations sur la question en ces termes:

La laïcité est-elle une notion périmée, marquée par le conflit entre cléricaux et anticléricaux en
France, à une époque où la religion était en train de perdre les derniers restes de son empire sur la
société et les mœurs ? À l'inverse, est-elle une notion dont la vigueur s'avère chaque jour plus
actuelle à un moment où la religion fait retour et où les sociétés ont besoin de redéfinir un modèle
de coexistence dans un contexte pluriculturel ? Autre façon de poser ces questions: la laïcité est-
elle confinée plus ou moins aux dimensions de l'Hexagone, ce dont témoignerait le fait que le terme
ne trouve pas d'équivalent dans la plupart des autres langues que le français, en tout cas pas dans
le même sens, ou est-elle en mesure de présenter un modèle susceptible de s'étendre à l'ensemble
des sociétés démocratiques à une époque où le monde se reconfigure? (p. 3).

178
Zarka (2012) identifie ainsi la problématique posée par cette notion : la laïcité est-elle à
être considérée comme combats d’hier ? Et/ou doit-elle être comprise comme une
nécessité avec des enjeux contemporains ? L'auteur pour répondre à ces interrogations
choisit d'analyser les éléments qui font office d'opposition à la laïcité. Il en voit deux. D'un
côté les fondamentalistes religieux, c'est-à-dire ceux qui soutiennent que la société doit
être réglée selon la vison qu'ils se font de la religion et de l'autre côté ceux qui utilisent le
principe de laïcité pour combattre la religion ou plus précisément une religion donnée.
Apporter des réponses à ces interrogations nous poussent également à affirmer que la
notion de laïcité n'est pas une "exception française" et suivant les régimes politiques ou
simplement selon les pays il y a différentes manières d’appliquer la laïcité ou de la vivre.
Quoiqu'il en soit, le constat est que ces dernières années l'application du principe de la
laïcité est devenue problématique dans un contexte caractérisé par des changements et
des modifications de la situation géopolitique. Les contextes sociaux, notamment au
Sénégal à la fin du 20ème siècle et au début des années 2000, restent marqués par des
débats très engagés autour de la question de la laïcité qui mérite d'être reconsidérée ou
réétudiée. Pays multiconfessionnel et multiethnique, le Sénégal se caractérise par un
ensemble d’éléments socio-culturels qui influent considérablement sur son organisation
politique. Cette pluralité marque donc sa singularité. Toutefois, qui dit pluralisme dit aussi
politique de tolérance. Alors qu’est-ce qui rend légitime de parler encore de laïcité alors
qu’on est dans un paradigme qui prend en compte la tolérance ? Cette réflexion s’organise
autour d’un cadre théorique et d’une méthodologie axée sur une triangulation de
techniques. Celles-ci, à savoir l’entretien semi-directif d’autorités académiques,
religieuses et des membres de la société civile dont les acteurs de l’école, l’étude
documentaire surtout de données institutionnelles et l’analyse de discours, nous serviront
de support pour analyser et interpréter le modèle et les différents types de laïcité au
Sénégal.

179
DEUXIEME PARTIE :

CADRE THEORIQUE
ET

METHODOLOGIQUE

180
INTRODUCTION 2

Selon le classement établi par Ahmet T. Kuru (2009, pp. 247-253) des régimes de relation
entre le pouvoir politique et les religions, basé sur des législations adoptées dans
différents secteurs de la vie sociale, « il y aurait soixante Etats à juridiction laïque mais
reconnaissant une religion établie (comme le Danemark ou la Grande-Bretagne), cent
vingt Etats à la fois laïques juridiquement et politiquement (dont la France et les Etats-
Unis), et cinq Etats laïques mais hostiles à certaines ou à toutes les religions (comme
Cuba ou la Corée du Nord). Enfin, il y aurait douze états religieux ou théocratiques (dont
l’Arabie Saoudite et le Vatican). » (Cité par Baubérot et Milot, 2011, p. 84). Ainsi, le
Sénégal est classé dans les cent vingt Etats laïques juridiquement et politiquement au
même titre que beaucoup d’autres pays de l’Afrique occidentale comme le Mali, la Côte
d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin, etc., de l’Asie comme le Japon, la Chine,
l’Inde, le Vietnam, etc., de l’Amérique latine comme le Mexique, l’Uruguay, la Bolivie, etc.
Mais, ce classement ne dit pas en définitive qu’est-ce que la laïcité ? Que faut-il comprend
quand il est question d’un Etat laïque ?

Cette deuxième partie a donc pour ambition de faire l’état des lieux concernant le concept
de laïcité, les diverses dispositions de nature à l’influencer ou à jouer un rôle dans la
détermination du modèle de laïcité et d’exposer la méthodologie choisie dans cette
recherche. Elle s’articule autour de trois chapitres. Ainsi, dans notre cadre théorique et
méthodologique, il s’agit d'étudier les différents aspects du concept de la laïcité qui
émergent et son évolution dans le temps. Notre méthodologique, quant à elle, s’appuie
sur l’analyse de discours, l’étude documentaire et l’entretien semi-directif. Aussi, il sera
question de définir le modèle d’analyse. Cette partie constitue ainsi, une charnière entre
la première partie où il a été question de présenter le cadre descriptif de la recherche et
la troisième partie qui a pour objectif de présenter et de procéder à l’analyse et à
l’interprétation des résultats issus des informations recueillies.

181
CHAPITRE 5
LA LAÏCITE : UN CONCEPT A GEOMETRIE
VARIABLE

Même si ses origines lointaines et profondes peuvent conduire à une époque bien
antérieure au siècle des Lumières, la laïcité est incontestablement liée à la séparation de
l’Eglise et de l’Etat qui, en France a été instaurée par la loi de 09 décembre 1905. Celle-
ci, dite « loi de séparation des Eglises et de l’Etat » qui a mis fin à des siècles de conflits
religieux, a fêté en 2015 ses 110 ans dans un contexte géopolitique difficile et marqué par
la critique virulente de la laïcité. A des époques très marquées de l'histoire, au fil des
siècles, de la Renaissance jusqu'à l'époque contemporaine, la question laïque a soulevé
et a suscité bien des tensions particulières et régulières dans sa définition et son
application. Depuis la loi de 1905 donc, elle est l’objet de controverses et a connu
beaucoup de crispations, des tensions, des représentations différentes, etc. Aujourd'hui
encore elle ressurgit au-devant de l’actualité et entraîne des enjeux, des réflexions et des
prises de position, de décisions importantes. Au niveau social et politique, la laïcité occupe
une place non négligeable dans les débats. Dans la conjoncture actuelle et en tenant
compte de l'importance accordée par les politiques et les médias au principe de laïcité, il
est intéressant de s'arrêter sur cette notion pour mieux comprendre ce qu'il en est
réellement et faire le point sur la question. En effet, la compréhension du concept de la
laïcité implique de prendre en compte plusieurs facteurs. Pour saisir donc ce que cette
notion recouvre, une prise en compte à la fois historique, conceptuelle et voire juridique
s'avère nécessaire. L'idée de laïcité en tant que concept et comme processus est chargée
d'histoire. Quelles significations revêt-elle ? Quels contextes ont favorisé son
émergence ? Qu'est-ce que la laïcité? Quelles sont ses bases juridiques ? Comment ce
principe peut-il permettre de penser et de mettre en place les conditions nécessaires à la
construction d’un idéal commun à tous dans un pays comme le Sénégal ? Voilà en
résumé, les interrogations auxquelles ce chapitre tente de répondre pour orienter notre
réflexion, à la suite de la première partie, vers le modèle proprement sénégalais de laïcité.

182
5- 1 ARCHEOLOGIE ET SIGNIFICATIONS DE LA LAÏCITE

La laïcité peut être considérée comme un concept moderne qui n’apparaît qu’à la fin du
XIXe siècle même si ses racines profondes sont à situer bien avant cette période.
Aujourd’hui, dans les Etats démocratiques, elle représente un principe fondamental de la
vie politique. Cependant, c’est un terme équivoque qui peut avoir plusieurs sources et
significations.

5- 1- 1 Étymologie et origine du mot laïcité

D’abord, il faut préciser que la laïcité comme mode d’organisation politique et juridique de
l’Etat et de ses institutions est un concept relativement récent. Par contre, le terme "laïc"
est d’usage ancien. Il est apparu bien avant même l’avènement du christianisme si l’on se
réfère à un des premiers papyri qui date de 120 avant Jésus-Christ. D’origine grecque, il
aurait comme première racine "laos" et "laïkos" qui, dans le vocabulaire grec, renvoient
au mot peuple et population. Le substantif "laos" (peuple), « est abondamment utilisé dans
la littérature grecque, depuis Homère, en passant par Hérodote ou Eschyle, jusqu’à un
auteur classique comme Platon » (Samb, 2005). L’adjectif "laïkos" qui n’apparaît que vers
la fin du 5ème siècle (Chantraine, 1956), signifie : du peuple, « ce qui appartient à la
population des campagnes, distinguée de l’administration officielle » (Jouguet, 1928, in
Samb, 2005, p. 17). Aujourd’hui, d’ailleurs, le mot "laïkos" se retrouve dans la désignation
de certains partis « populaires » grecs qui se réclament du peuple. Une deuxième source,
cette fois-ci latine, du mot laïcité est "laicus". En réalité, le mot "laicus", est une traduction
latine du grec "laïkos" et a comme signification : « ce qui appartient au peuple, à la plèbe
». Il est utilisé à partir de la fin du 1 er siècle dans la littérature de l’Eglise, au sein de l’église
pour désigner ceux qui n’étaient pas consacrés prêtres. Cette entrée dans le monde
chrétien, s’est fait, d’après Bobineau (2012) :

(…) avec la phrase laconique de l’Épître de Clément de Rome aux Corinthiens : « l’homme laïc est
lié par des préceptes laïcs ». Puis, après quasiment un siècle d’absence, à l’exception de traductions
grecques du Premier livre de Samuel (21, 5) et d’Ézéchiel (22, 26 ; 48, 15) chez Aquila (vers 120-

183
140), Symmaque et Théodotion (fin IIe siècle) où laikôv est utilisé dans un contexte cultuel pour
désigner des choses – et non des personnes –, le terme naît réellement comme nom technique
chez Clément d’Alexandrie (vers 150-vers 220) pour le monde grec, et Tertullien (vers 160-vers 220)
pour le monde latin. Il s’agit dès cette époque de distinguer le chrétien ordinaire (« laïc ») de la triade
évêque, presbytres et diacres qui constituent le clergé. Comme dans les papyri hellénistiques, laikôv
désigne une appartenance à la masse du peuple, par opposition à ceux qui les gouvernent. Entré
dans le vocabulaire ecclésiastique au IIIe siècle, transcrit après quelques hésitations en latin par
laicus et devenu courant dans l’Église, il finit par caractériser le monde profane et la vie civile (1690).
Cela étant, il faut attendre la fin du XIXe siècle (1873), dans un contexte de lutte idéologique, pour
que « laïc » signifie : « ce qui est indépendant de toute croyance religieuse ». C’est dans ce contexte
que s’inscrit le substantif « laïcité ». (pp. 50-51)

Aussi, le Dictionnaire Historique de l’Éducation Chrétienne d’Expression Française (2010)


souligne que : « Le terme laïc – du grec laïkos – le peuple – est en effet issu du droit
canonique, où il désigne quiconque n'est pas clerc, c'est-à-dire n'a été ni tonsuré, ni
ordonné ». (p. 438). Dans le même sens donc, le nom "laïc" est utilisé dans l’Eglise pour
désigner la foule immense des fidèles qui ne font pas partie du clergé. Cependant, ce qui
semble paradoxal c'est que c'est le même mot "laïc / laïque" qui est utilisé pour désigner
celui qui n'est pas clerc et également tout ce qui renvoie à une laïcité qui s'en est séparée.
De façon chronologique, l’adjectif "laïque" a précédé le mot "laïcité".

5- 1- 2 Évolution du sens du terme

L’étude sur l’origine de l’adjectif "laïque" et du mot "laïcité" a montré qu’ils viennent du
grec "laos" et "laïkos" qui désignent soit ce qui appartient au peuple, soit ce qui n’est pas
ecclésiastique. Ensuite, il a progressivement pris le sens de ce qui est indépendant de
l'influence de l'église ou de la religion. Il y a une évolution par rapport au premier sens.
L'origine de laïcité est donc liée au doublon "laïc / laïque". Il faut noter que l’adjectif laïque
apparaît au 12ème siècle pour la première fois et ensuite, il sera repris en 1487. Quant au
mot "laïcité", il n’apparaît qu’en 1871. Ce qui permet d’affirmer que, dans sa conception
contemporaine, le concept de "laïcité" est relativement récent par rapport à l’adjectif.
Ognier (1994), note une évolution du terme suite au conflit qui opposa les deux France :

184
Cependant, à la faveur du conflit idéologique entre l’Église catholique et les Républicains dont les
manifestations jalonnent tout le XIXème siècle en France, une mutation sémantique va affecter
l'ensemble lexical laïc/ laïque ; le substantif laïc garde sa signification originelle ; en revanche
l'adjectif laïque tend de plus en plus à désigner quelque chose ou quelqu'un qui est étranger à toute
confession ou doctrine religieuse. C'est avec ce sens précis qu’Edgard Quinet l'emploie dans des
expressions telles que « enseignement laïque », « instituteur laïque », dans l'Enseignement du
peuple (1849). De plus, cet adjectif sera de plus en plus fréquemment utilisé sous la forme
substantive pour désigner une personne qui ne se rattache – du moins extérieurement – à aucune
confession ou doctrine religieuse. (p. 73).

Dès lors, apparaît une sorte d’opposition dans l’ensemble lexical "laïc/ laïque". L’adjectif
"laïque" est donc de plus en plus utilisé pour marquer la distanciation d’avec la religion.

Le terrain est ainsi préparé pour l'apparition du mot laïcité qui désignera le principe défendu par les
Laïques partisans de l'indépendance de l’État et de ses institutions vis-à-vis des confessions
religieuses. La laïcité ouvre donc un nouvel espace théologique, politique et institutionnel. En 1871
Émile Littré enregistre ce néologisme et par la même occasion ses dérives sémantiques : laïcisation,
laïciser, dans le supplément de son dictionnaire. (Ognier 1994, p. 73).

Avec le débat général autour de la question de l’école dans les années 1800 qui aura
comme principale conséquence le vote des lois Ferry et Goblet, mais aussi et surtout la
loi de 1905 séparant les Eglises de l’Etat, se précisera davantage le sens du terme "laïcité"
comme principe sur lequel s’appuie l’organisation politique qui remplace progressivement
la catholicité.

En résumé, il faut noter qu’au cours de l’histoire, de son apparition jusqu’au temps
modernes, le contenu conceptuel du terme laïcité va beaucoup évoluer. Il se caractérise
par son aspect polysémique. Ce travail de recherche sur les racines du mot laïcité nous
permet de voir qu’il vient de "laïc / laïque. Pour conclure sur l'origine du mot laïcité, disons
que "laïc / laïque" permet de nommer celui qui appartient au peuple et celui qui, dans
l’église, n’est pas ordonné prêtre. Ce premier sens qui remonte au Moyen Âge s’oppose
au clerc. Le deuxième, beaucoup plus récent, s’oppose à tout ce qui est religieux et date
du 19ème siècle. C’est à ce dernier sens que renvoie le terme laïcité. Il serait intéressant
de revisiter le parcours qui a conduit à l'exclusion de l’Église de la sphère politique ou à la
séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.

185
5- 2 MARCHE VERS LA LAÏCITE

De la Révolution française avec l'émergence des mouvements d'idées jusqu'en 1905 avec
la loi de séparation de l’Église et de l’État représente une période importante vers
l’instauration du principe de laïcité. Retracer cette histoire permet de comprendre les
facteurs qui ont conduit à la naissance de la laïcité comme fondement Républicain. Ce
rappel ne prétend pas à l’exhaustivité mais il veut mettre en lumière un certain nombre
d'aspects essentiels de la laïcité.

5- 2- 1 Le commencement dans la pensée113

Le fait même des guerres de religion114 en occident a été à l’origine de la laïcité comme
principe politique. D’autres facteurs comme l’émergence des théories du contrat et la
philosophie des Lumières ont eu un rôle déterminant aussi dans son apparition.

5- 2- 1- 1 L’émergence de la pensée critique

En occident, à partir du 17ème siècle, la raison critique commence à questionner les


croyances religieuses. Ce siècle est souvent appelé d’ailleurs le siècle rationaliste avec
des auteurs tels que Descartes, Bacon, Hobbes, Spinoza, Locke (1632-1704) … qui l’ont
marqué par leur attachement à la raison, seul guide dans la recherche de la vérité. Ces
philosophes du 17ème siècle et d’autres comme Rousseau (1712-1778) sont considérés
comme des penseurs115 qui ont véritablement révolutionné la question de la souveraineté
politique. Il faut souligner que jusqu’à la période classique, la conception de l’association
politique en vigueur était fondée sur l’image du roi, représentant de Dieu sur la terre. On
lui attribuait des pouvoirs divins. Il avait la faculté de soigner ses sujets par le simple geste

113
Pour reprendre une expression utilisée par Catherine Kintzler dans sa construction philosophique du
concept de laïcité.
114
On appelle « guerres de religion » les guerres qui opposèrent catholiques et protestants de 1562 à 1598.
De nombreux crimes furent perpétrés de part et d’autres. Par exemple, en 1572, le 24 du mois d’août, lors
de la nuit de Saint Barthélemy, en France, la foule massacra près de 3000 protestants. Ces terribles
événements illustrent bien la situation d’intolérance qui a marqué le 16ème siècle en occident.
115
Les philosophes rationalistes ont à cœur une évidence démonstrative. Quant à Rousseau, philosophe
des Lumières, il est considéré par beaucoup d’observateurs comme théoricien original de l’organisation
politique, sociale et économique. Nous les avons cités entre autres à titre d’exemples.

186
de l’imposition des mains. Sous ce rapport donc, l’État était dans l’obligation d’être lié à la
religion chrétienne : et dans son royaume, le Roi, figure emblématique du Pape, est le
successeur de Saint Pierre et du Christ. Par conséquent, les volontés de Dieu passent par
lui et sa parole est infaillible. Avec l’émergence des théories du contrat, le fondement de
la souveraineté politique devient un pacte librement consenti entre les hommes pour vivre
ensemble. Il semble donc que c’est à cette période classique qu’a commencé l’émergence
de la pensée laïque. D’après Kintzler (2014) : La construction conceptuelle du principe de
laïcité qui « est pris ici principalement au sens d’un mode d’organisation de la coexistence
des libertés tel qu’il existe aujourd’hui dans la République française, (…) paraît dès la
pensée classique ». (p. 12). En effet, par rapport au commencement dans la pensée, dans
la formation de l’idée laïque, certains philosophes rationalistes ont joué un rôle important.
Descartes, par exemple, avec son écrit en français, le "Discours de la méthode" (1637), a
inauguré la philosophie moderne. Grâce à cet ouvrage majeur du philosophe français, la
signification du mot méthode s’est enrichie au 17e siècle et sera désormais associé à «
manière de faire » : il « pose la nécessité du doute sur les idées reçues. » (Samb, 2005,
p. 55). Spinoza, philosophe rationaliste aussi, avec ses ouvrages : l’"Ethique" (1661) et le
"Traité théologico-politique" (1670) s’est beaucoup inspiré des apports de Descartes.
Leurs écrits, à tous les deux, du point de vue de la position méthodologique, ont
considérablement contribué d’une certaine manière à l’accès aux vérités fondamentales
qui se fait indéniablement par la conscience individuelle. Ce qui est contraire aux
enseignements de la religion, en l’occurrence, le catholicisme à l’époque. D’après eux, la
pensée personnelle permet l’accès à la connaissance du monde. Ainsi :

Descartes et Spinoza ont ouvert la voie, et les esprits cultivés se posent comme « libres-penseurs ».
Le marquis de Saint-Evremond, maréchal de camp des armées du roi, qui devra s’exiler en
Angleterre après l’arrestation de son ami Fouquet, déclare : « Un honnête homme qui fait usage de
sa raison ne peut croire ce que la religion enseigne. » Cette réflexion est exemplaire de la mentalité
qui va devenir prépondérante au 18ème siècle. (Nouailhat, 2003, p. 310).

Cette philosophie rationaliste se retrouve aussi chez Locke pour qui le raisonnement est
la base de tout. Pour lui, l’esprit « doit tout apprendre, tout acquérir et se former
insensiblement, sans autre secours ni autre recours que sa propre expérience. L’art de
penser ne diffère en rien de l’art de vivre. » (Mallinson, dans Château, 1956, p. 26). Dans

187
la même dynamique, il « nous invite à chercher la vérité par l’esprit d’examen : il faut
penser par soi et jauger la capacité même de penser. » (p. 127). Cette conception de la
vie et de l’organisation de la souveraineté politique prônée par ces philosophes du 17 ème
siècle s’oppose, en fait, à celle de la religion basée sur la foi, la transcendance, la
métaphysique de l’âme, etc. Leurs idées sur une nouvelle façon de considérer
l’association politique vont leur attirer des ennuis par rapport au pouvoir religieux. Il faut
rappeler que pendant cette époque, certains auteurs dont le discours a été jugé contraire
au message de l’Eglise ont été contraints au silence ou à l’exil et leurs ouvrages interdits
de publication. Le milieu du 17ème siècle coïncide avec la condamnation de Galilée. Aussi,
il ne faut pas oublier que John Locke, à cause de ses idées politiques, a dû quitter
l’Angleterre pour s’exiler en Hollande de 1683 à 1685. Rousseau, à travers ses écrits
également, s’inscrit dans la continuité de ces rationalistes du 17 ème siècle et s’engage
dans la voie de l’organisation sociale et politique. Il a été beaucoup influencé par les idées
de Locke. Pour Rousseau, effectivement, « être libre, être raisonnable et être citoyen sont
des états qui vont de pair. C’est par le contrat social que l’homme gagne et sa liberté civile
et sa liberté morale (Contrat, I, 8) » (Château, 1956, p. 191). La question de la liberté
devient de plus en plus centrale et constitue la base de la vie en commun. La foi sur
laquelle était fondée la vie collective va de plus en plus céder la place à la raison. Cette
dernière doit être prise pour seul guide dans la recherche de la vérité. Ainsi, avec
l’autonomisation du sujet, la quête de la liberté de conscience et l’égalité entre tous, la
place de Dieu dans le fonctionnement de l’Etat est de plus en plus remise en cause. Les
différentes options religieuses sont acceptées et tolérées. Vue sous cet angle donc,
l’émergence des théories du contrat peut être classée dans les facteurs préparant et
conduisant à la formation de la pensée laïque qui au 18 ème siècle, sera davantage
peaufinée.

5- 2- 1- 2 La philosophie des Lumières

Au 18ème siècle, une grande confiance en la raison commence à s’installer chez les
individus grâce aux progrès accomplis dans les domaines techniques et scientifiques.
Ainsi, à l’époque des Lumières, l’idée qu’il existe d’autres formes de morales autre que
celle chrétienne va se développer progressivement. La dissociation en partie entre religion

188
et morale se met en place. Pour Baubérot et Milot (2011) « cette progressive séparation
est essentielle pour la construction d’un ordre public laïque ». Il faut rappeler que l’état de
l’Europe, dans la deuxième moitié du 18 ème siècle, est marqué par l’émergence de la
pensée libre et par l’importance grandissante qu’acquiert l’argent dans la structuration
sociale. Les banquiers et les philosophes vont donc jouer un rôle capital dans cette
nouvelle forme de penser et d’organisation des sociétés occidentales. Les premiers
s’occupent de la sécurité financière et du bien-être des populations. Ils mettent et de
l’ordre dans les finances publiques et un système d’intérêts directs. Quant aux seconds,
leur influence sur les individus se fait de plus en plus sentir. Les philosophes comme
Montesquieu, Diderot, d’Alembert, Voltaire, Rousseau…critiquent le christianisme et les
institutions de l’ancien régime. Cette période est aussi marquée par une situation
conflictuelle occasionnée par beaucoup d’injustices – inégalité en droits, intolérance
religieuse, privilèges de naissance, arbitraire de la part des autorités politiques, etc. – que
les Encyclopédistes vont dénoncer et combattre. L’Eglise et son clergé sont déclarés
ennemis de la pensée rationnelle. « Le christianisme en tant que religion révélée se trouve
attaqué de front en raison de son autoritarisme, de son intolérance rendue manifeste par
l’inquisition et du caractère irrationnel de ses dogmes. » (Nouailhat, 2003, p. 310).

Par ces philosophes des Lumières, de nouvelles idées vont se propager dans toute
l’Europe. Voltaire conseille les souverains à mettre leur autorité au service de la raison. Il
se positionne en défenseur de la tolérance116. Rousseau réclame la liberté de conscience.
Il dénonce les inégalités sociales. Ses critiques en vers la société l’amènent à condamner
l’ordre social établi et à plaider pour l’égalité et le principe de la souveraineté pour tous.
La liberté politique et des lois sur la législation sont brandit par Montesquieu. A travers
l’Esprit des lois et des Lettres persanes, il propose la mise en place d’un système
parlementaire. L’Encyclopédie, publiée sous la direction du mathématicien d’Alembert et
de Diderot, regroupant les écrits des philosophes par rapport à la politique et la religion,
constitue une "banque de données" pour tous les défenseurs des nouvelles idées.

116
Cf., procès du protestant Jean Calas. Le motif de condamnation supposé est le meurt de son fils.

189
En somme, pendant cette période importante dans le processus de mise en place de la
laïcité, l’omnipotence de l’Eglise a été combattue grâce à l’apport considérable des
philosophes. Par conséquent, ces derniers peuvent être considérés comme les
précurseurs de la "laïcité de combat", qui instaura une "morale laïque" contre toutes les
formes de morale religieuse. La tolérance et le respect des droits de chaque homme
constituent l’essentiel de la pensée de ce siècle des Lumières même si la pensée unique
et l’intolérance religieuse n’avaient pas disparues. Donc, « là encore, il ne s’agit pas de
penser une société laïque, mais de permettre que, dans certaines limites, les individus -
et non plus les groupes – puissent choisir leurs préférences spirituelles. Il s’agit donc de
tolérer, c’est-à-dire accepter que certains suivent d’autres voies même si les autorités
pensent qu’ils se trompent » (Miaille, 2015, p. 23).

De la Renaissance du 16ème siècle donc jusqu’au siècle des Lumières, l’idée d’une
séparation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, la pensée libre en matière de
culte et l’égalité entre tous sont réclamées et se mettent en place progressivement.
Toutefois, les origines directes de la laïcité sont à chercher dans la Révolution française.

5- 2- 2 Les actes de référence de la laïcité

Pour sortir définitivement de la pensée unique, du moins en ce qui concerne la France, la


Révolution constitue un point focal. Elle met fin au régime monarchique et à la religion
d’Etat. Aussi l’œuvre de Napoléon sera déterminant dans l’instauration de la laïcité.

5- 2- 2- 1 La Révolution française

Depuis le moyen Âge, le christianisme devient en occident la nouvelle civilisation qui se


développe et s’affermit. Aussi, en France, à cette époque, l’Eglise était très puissante et
avait beaucoup d’influence. Le christianisme, constituait pour le pouvoir royal le cadre
propice de l’organisation du régime féodal. Jusqu’au 18 ème siècle, siècle des Lumières, la
religion chrétienne était très impliquée dans la gestion des affaires du pouvoir
monarchique. La révolution aux Amériques prépara d’une certaine manière les esprits à
la contestation du régime monarchique donnant lieu à celle française. La situation avant

190
la révolution peut donc se résumer dans ce discours de Portalis - qui sous l'ordre de
Bonaparte devait mettre en place une nouvelle politique religieuse - [cité par Baubérot
(1990)]. Il dit qu'avant 1789, « le catholicisme avait toujours été la religion dominante ;
depuis plus d'un siècle, son culte était le seul dont l'exercice public fût autorisé ; les
institutions civiles et politiques étaient intimement liées avec les institutions religieuses ; le
clergé était le premier ordre de l’État (…), il exerçait un grand pouvoir » (p. 34). En d'autres
termes, la religion avait une place centrale dans la société et son influence se faisait sentir
sur tous les domaines. Baubérot ajoute que « l’Église catholique était alors une institution
englobante : de diverses manières, elle exerçait une influence ou un pouvoir sur d'autres
institutions qui, souvent, n'existaient qu'à l’état embryonnaire. État civil, assistance
médico-sociale, enseignement se trouvaient aux mains du clergé ou étroitement contrôlés
par lui » (p. 34). Pendant ce temps dit de pré-révolution, le constat est qu'il était très difficile
de considérer la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. L’Église y a occupé
une place très importante et influente ; le cadre social et institutionnel est fortement
marqué par le lien entre l’État et l’Église. Ainsi, le règne du roi en France, par exemple,
reposait sur des principes et fondements religieux. À cette époque, le roi est considéré
comme le "lieutenant de Dieu sur terre". Et lors de son sacre par l'archevêque de Reims,
après avoir reçu l'onction – comme le prêtre dans le catholicisme –, il est appelé à prêter
serment de défendre l’Église catholique et sa foi. Cet environnement religieux dans lequel
l’Etat français se retrouve est en réalité la cause de la Révolution. Comme le note
l’historien Michel Vovelle, repris par Dharréville (2013) : « la monarchie française
d’institution divine est le repoussoir qui a servi de point de départ à la Révolution
française » (p. 57).

Avec la révolution, se profile alors à l'horizon un changement, voire une rupture dans les
rapports entre le pouvoir religieux et les autres institutions. Une fin s'annonce : la religion
perd du pouvoir et elle est déstabilisée. Elle éclate lors de l’ouverture des états généraux
convoqués le 05 mai 1789 par Louis XVI à Versailles. « Alors que l’Assemblée
constituante délibérait sur les institutions, la Grand Peur, celle d’un complot aristocratique
qui balayait les campagnes, poussa les députés à proclamer et à définir l’abolition des
privilèges dans la fameuse nuit du 4 août » (Baubérot, 1990, p. 34). Quelques jours après

191
l’abolition des privilèges, l’assemblée constituante 117 procède au vote de qui deviendra la
célèbre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Cette dernière proclame la
souveraineté de la nation française et l’égalité de tous devant la loi. Ainsi, il est mis fin au
régime féodal. La révolution coïncidant donc avec la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen apporte un véritable changement. Il y a un renversement qui s'opère. L'article
3 de la déclaration stipule que : « le principe de toute souveraineté réside essentiellement
dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autonomie qui n'en émane
expressément. » C'est une véritable refondation du pouvoir qui aura des conséquences
énormes en France. Il y a une rupture complète avec l'ancien régime. La déclaration des
droits de l'homme et du citoyen affirme que « tous les hommes naissent et demeurent
libres en droits » (art., 1), une manière de rompre avec un passé où le roi avait l'autorité
de décider de cette liberté. Si les États Unis d'Amérique ont réussi à instaurer la liberté
religieuse tout en ayant une religion civile, selon Baubérot (2004), « la France
révolutionnaire et postrévolutionnaire ne pourra pas, malgré diverses tentatives, réaliser
cette coexistence, et, à travers de multiples tâtonnements, des conflits et des compromis,
elle inventera une solution différente : la laïcité » (p.144). D'après lui, « Schématiquement,
en effet, le pluralisme religieux américain permettait une dissociation entre la religion civile,
qui contribue à fonder la morale commune, et les diverses "religions positives",
essentiellement les multiples "dénominations" protestantes dont chacune n'avait plus (en
général) l'idée d'être une Église exclusive mais se voulait une manifestation particulière
(la meilleure selon ses membres) du christianisme » (p.144-145). Baubérot ajoute : « Pour
la France, la théorie de Rousseau s'avérait très paradoxale : l'exclusion de l'intolérance
(…) faisait partie des dogmes élémentaires de la religion civile. Appliquée, elle aurait
abouti concrètement à bannir une Église qui prétendait regrouper la totalité des Français
et à laquelle il semble bien que la masse du peuple restait effectivement attachée »
(p.145). Après de multiples tentatives d'écriture d'articles sur la religion pour les droits de
l'homme, et pour une véritable autonomie de la conscience (notamment au plan religieux)
suite aux empoignades des 22 et 23 août 1789, l'article 10 fut voté. Il affirme que « Nul ne
doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne
trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Cet article figure aujourd'hui encore dans la
déclaration des droits de l'homme et est le garant de la liberté de conscience. L'adoption

117
L’adjectif "Constituante" accompagne Assemblée du fait que lors de ces états généraux, tous les députés
jurèrent par le serment du "Jeu de paume" de ne pas se séparer avant d’avoir voté une constitution pour la
France.

192
de l'article 10 des droits de l'homme va aussi avoir comme conséquence la fin des
discriminations religieuses. Il a été donc accordé aux minorités juives et protestantes la
liberté de culte. D'autres mesures vont suivre comme le souligne Baubérot (2004), dans
"La laïcité à l'épreuve", avec le « transfert des registres d'état civil des prêtres aux
employés municipaux, l'instauration du mariage civil et de la possibilité du divorce (1792).
Ces mesures peuvent être qualifiées de laïcisantes. Il en est de même de la séparation
des Églises et de l’État, votée en 1795, mais dont l'application resta partielle. Laïcisation
et nouvelle religion civile peuvent néanmoins se trouver mêlées ; ainsi en est-il de
l'adoption d'un calendrier républicain. » (p.146). Bref, avec la proclamation de la liberté de
conscience et de culte, le catholicisme n’est plus considéré comme la religion d’Etat. C’est
la fin de la religion englobante.

En résumé, le principe de laïcité comme cadre juridique dans l’organisation politique de


l’Etat a été mis en place à partir de l’avènement de la Révolution française de 1789 avec
l’instauration de l’état civil. Il sera complété avec le vote des grandes lois laïcisatrices
pendant la Troisième République.

5- 2- 2- 2 L'œuvre de Napoléon et l'indépendance de l'école

Bonaparte, nommé premier consul après le coup d’Etat du 18 brumaire qui met fin au
Directoire118, est proclamé empereur sous le nom de Napoléon 1 er. Dès son arrivée au
pouvoir, il comprit que ses conquêtes et d’ailleurs la France aussi ne sauraient être
gouvernées sans le règlement de la question religieuse. Ce qu’il fit comprendre au Pape
Pie VII, nouvellement élu le 14 mars à Venise et au clergé de Milan dans son discours du
5 juin 1800. Et au début du 19 ème siècle donc, tout en maintenant des mesures
laïcisatrices comme l'état civil et l'obligation du mariage civil, il va passer un accord avec
Rome : c'est le concordat. « Il est mis fin à la séparation des Églises et de l'État par la
signature d'un concordat avec Rome (1801) et la création d'un système de "cultes
reconnus" (1802). » (Baubérot, 2004, p.146). La mise en place de ce régime concordataire

118
Le Directoire est l’appellation donnée au gouvernement composé de cinq directeurs qui formait le pouvoir
exécutif (Larevellière-Lépeaux, Rewbell, Carnot, Barras, Letourneur) et qui a régi la France du 27 octobre
1795 au 18 brumaire, cette date correspondant au 09 novembre 1799.

193
donc peut être considérée comme le résultat d’une négociation diplomatique aboutie entre
Bonaparte et Le Pape Pie VII. Cette convention a été signée directement entre la France
et Rome sans l’intermédiaire du collège des évêques français. Napoléon 1er reçut son
sacre dans la cathédrale à Paris le 02 décembre 1804 par le Pape Pie VII et non à Rome ;
une manière pour le nouvel empereur de montrer qu’il n’est nullement soumis à l’autorité
du Pape et, par conséquent, de l’Eglise catholique romaine. Avec ce concordat, le clergé
est donc nommé par Rome mais l'empereur avait son mot à dire. Et à partir de la signature
de ce pacte, les prêtres sont appelés, désormais, à prêter serment de fidélité à l’Etat. Aussi
la puissance étatique française leur assure un traitement convenable en compensation de
l’abandon de leurs biens. En France, le concordat a réglé le régime des cultes de 1801 à
1905. Ainsi, les cultes catholique, protestant, réformé, calviniste, le culte juif (plus tard)
sont reconnus. Cette situation entraîne un regain dans la pratique religieuse au 19ème
siècle. Par le système de concordat signé entre Napoléon 1 er et le Pape VII, successeur
de Pierre, par conséquent, chef et représentant de l’Eglise catholique, ces cultes reconnus
sont considérés comme ayant une mission de service public et l’Etat rémunère leurs
représentants (prêtres, pasteurs, etc.). Les prêtres vont être dans le domaine de
l'enseignement, dans la santé et dans le domaine des missions. Les écoles se
développent et en 1850, la loi Falloux, qui avait comme objectif de régler de façon définitive
les problèmes liés à l’enseignement, donne des avantages aux écoles catholiques. Elle a
été ainsi votée afin de rétablir le contrôle de l’Eglise catholique sur l’école française et
dans la perspective de combattre le camp républicain après la révolution de 1848.

Il faut dire qu’avec la nomination de Jules Ferry comme ministre de l’Instruction publique,
après la succession de Mac-Mahon par Jules Grévy en tant président de la République
en 1879, on assiste à l’affirmation des prérogatives de l’Etat en matière d’enseignement.
Ferry se fixe comme objectif d’interdire au clergé et aux congrégations religieuses la
possibilité d’intervention dans les écoles publiques et de veiller à ce que les enfants et les
jeunes fréquentant ces écoles puissent être initiés aux valeurs de la République. Le
constat dans les années 1880 est que c'est principalement au niveau de l'école que va
émerger d'abord les modalités de laïcisation. L’enseignement public est de ce fait le point
de départ de l’instauration du régime de laïcité même s’il faut reconnaître que la loi ne le
précise pas explicitement. Les premières réformes concernant la composition du Conseil
supérieur de l’Instruction publique et des conseils académiques légiféraient le 27 février

194
1880. Cette loi met fin au contrôle moral qu’exerçaient les responsables de l’Eglise sur les
programmes et le personnel de l’Instruction publique. Une seconde série de réformes
seront prises entre 1881 et 1886. Dans la dynamique du processus vers la laïcité
française, des mesures en vue d'une rupture vont être entamées, avec le vote des lois de
séparation de l'école et de l'église catholique. Ainsi, le 28 mars 1882, la loi scolaire précise
que l'enseignement primaire est laïque et obligatoire, mais prévoit une coupure
hebdomadaire le jeudi pour les activités du catéchisme. Elle stipule que: « L’État prend
toutes les dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté
des cultes et de l’instruction religieuse (…). Les écoles élémentaires publiques vaquent
un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner
s’ils le désirent à leurs enfants l’instruction religieuse en dehors des édifices scolaires » 119.
Le 30 octobre 1886 la loi Goblet prononce la laïcisation du personnel enseignant. Les
religieux enseignants doivent donc céder la place aux instituteurs laïques. Et enfin, le
troisième acte de la laïcisation est celle des programmes d’enseignement primaire avec
la mise en place de l'instruction morale civique et laïque. L’école publique n'a plus à
s’occuper de l'enseignement confessionnel.

En somme, le régime concordataire signé en 1801 a tenté de rétablir les relations entre
l’Eglise et l’Etat français. Napoléon 1er, par le concordat avec Rome, était animé du désir
de mettre fin à cette période sombre et cherchait à préserver « la paix des consciences ».
La signature de ce pacte a donné un second souffle à l’Eglise et une mission dans le
royaume qu’elle entendait préserver. Elle a aussi réinvesti l’enseignement public.
Cependant, le long de ce 19 ème siècle sera également marqué par l’affirmation des
prérogatives de l’Etat dans le domaine de l’Instruction. Ce qui implique de la part de la
puissance publique le renforcement du contrôle de l’Eglise et un peu plus tard, voire même
son exclusion dans les instances décisionnaires académiques et de l’enseignement
public ; ce que, de manière juridique, la loi de séparation de 1905 arrivera à instaurer
définitivement.

119
Repris dans le Code de l'Éducation du 15 juin 2000, Cf. L.141-2 et 141-3 (B.O. spécial n°7, 13/07/ 2000).

195
5- 2- 2- 3 La loi de séparation de 1905

La loi de séparation des pouvoirs fut adoptée le 09 décembre 1905. Son histoire est
marquée par les rapports difficiles entre l’Eglise catholique et la République. Il faut
rappeler que jusqu’ « en 1788, 130 000 ecclésiastiques possèdent un tiers de la fortune
de la France. Les cahiers de doléances dénoncent avec insistance ces privilèges du haut
clergé et réprouvent les bénéfices et les dîmes que celui-ci perçoit » (Khaldi, 2015, p. 27).
Ces doléances et revendications vont difficilement être acceptées par l’Eglise catholique
qui tient à garder son autorité et son pouvoir sur la société. Comme le souligne Miaille
(2015) : « Tout le 19ème siècle a vu cette église prôner des positions extrêmement
conservatrices, radicalement opposées aux revendications des libéraux puis aux
socialistes qui tentaient de préfigurer un régime politique démocratique » (p. 102). Cette
situation durcit la guerre entre les deux camps. Après l’échec d’une tentative de
restauration de la monarchie en 1873, et la victoire des Républicains aux élections de
1880, la Troisième République prend petit à petit ses marques. En 1905, c'est la fin du
concordat sauf pour l'Alsace-Moselle sous occupation allemande depuis 1871. La liberté
de conscience, le libre exercice des cultes, la privatisation de la religion sont affirmés dans
l'article 1er de la loi qui stipule que : « La République assure la liberté de conscience. Elle
garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt
de l’ordre public… ». Le législateur, par l’article premier de la présente loi de séparation
des Eglises et de l’Etat, précise les modifications opérées. Le sens du premier article ne
remet pas en cause l’affirmation des libertés religieuses comme il est donné de le
constater. Il définit la première finalité poursuivie par l’Etat : la préservation des libertés
individuelles. La séparation des pouvoirs n’est donc pas opposée aux libertés religieuses,
à savoir la liberté de conscience et la liberté de culte. « Ces deux libertés fondamentales
ainsi posées et hiérarchisées impliquent des obligations, non pour le citoyen attributaire
de droits, mais pour l’Etat, ses institutions et ses services publics » (Khaldi, 2015, p. 40).
L'article 2 souligne que la République « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun
culte ». L’article 2 vient mettre fin aux dispositions concordataires. La décision d’en finir
avec le système de reconnaissance des cultes et d’interdire leur financement s’inscrit dans
les moyens nécessaires à mettre en œuvre pour la recherche de ces libertés
fondamentales. Même si le terme laïcité n’est pas encore utilisé dans la loi de 1905, à
travers le vote des deux premiers articles, ses principes de base commencent à prendre

196
forme dans ce qu’il est permis d’appeler le rapport entre les finalités et les moyens. Aussi
pour Baubérot (2004) : « ces diverses dispositions concrétisent le refus d'une religion
civile: non seulement être adepte d'une religion ou être athée relève d'un choix
individuel, … mais la religion est privatisée: d'une part, il ne doit pas être demandé de
service public aux différents cultes; d'autre part, les services publics de l'État ne doivent
porter aucune marque de caractère religieux. » (p. 149). La séparation est donc
prononcée. Ferdinand Buisson, un des artisans de cette loi, dira en 1908 :

Pour l’éducation d’un enfant qui doit devenir homme, il est bon qu’il ait été tour à tour mis en contact
avec les strophes enflammées des prophètes d’Israël et avec les philosophes grecs, qu’il ait connu
et senti quelque chose de la cité antique. Il sera bon qu’on lui fasse connaître et sentir les plus belles
pages de l’Évangile, comme aussi celles de Marc-Aurèle, qu’il ait feuilleté comme Michelet toutes
les Bibles de l’humanité, qu’on lui fasse traverser, avec une chaude sympathie, toutes les formes de
civilisations qui se sont succédées" 120.

Pour lui, les œuvres, qu'elles soient grecques ou romaines, ont la même importance et
sont mis au même plan que les psaumes ou autres textes "bibliques". Institutionnellement,
la loi du 09 décembre 1905 est un pilier important de la laïcité en France. Mais comme le
souligne le Conseil d’Etat, dans son rapport du 5 février 2004, intitulé « Un siècle de
laïcité », « la loi du 09 décembre 1905 a défini le régime juridique des relations entre l’Etat
et les cultes sans référence explicite à la laïcité bien qu’elle en constitue la clé de voûte ».
Elle donne à chaque citoyen français le droit d’avoir des convictions religieuses, ou de ne
pas en avoir du tout et même d’en changer. Ce droit est garanti par l’article 1 de cette loi.
Après la Révolution française, des interdictions très fermes sont posées par les autorités.
Le refus du Saint Siège de reconnaître et d’appliquer le texte de la loi de 1905 a entraîné
des négociations entre les deux camps. Il faut souligner que l’assemblée législative
française va voter d’autres textes juridiques comme les lois de 1907 et 1908. L’objectif
pour la chambre des députés était d’éviter tout vide juridique qui pouvait faire naître des
troubles d’ordre public. Finalement, sur la base des dérogations prévues par la loi de 1905
par rapport aux associations culturelles, une solution sera trouvée aux négociations entre
le Vatican et l’Etat français en 1923 : "la constitution d’associations diocésaines".

120
Cf. Article publié dans Le petit Méridional le 2 février 1908 et repris dans La Foi laïque en 1912.

197
En définitive, chaque étape de cette longue marche vers la laïcité a été ratifiée par des
textes juridiques. Ainsi Concordat, Lois, Déclarations, Conventions ont été nécessaires
pour poser et marquer les fondements de la laïcité en France. Il faut rappeler que la France
est culturellement un pays de tradition où le droit occupe une place de choix. En effet,
héritées des romains, les rois faisaient souvent appel à des ressources juridiques pour
instaurer leur autorité et leur pouvoir. Comme le souligne Miaille (2015) : « Il n’est donc
pas étrange que la laïcité – comme d’autres dimensions du vivre ensemble – ait été
largement dépendante de formules juridiques » (p. 69). Les éclairages sur les fondements
du principe de laïcité font référence au droit. Retenons donc, à la suite de Emile Poulat
(Cité par Dharréville, 2013), que « la loi de 1905 achève une séparation déjà engagée par
ailleurs pour l’école, l’hôpital, l’état civil, les cimetières… » (p. 75). Et elle constitue la
référence de la laïcité de l’Etat après la Révolution en France. Cependant, à la suite de
Langlois (2005) : « Concluons par une affirmation qui n’est en rien paradoxale : la
Séparation ne fait pas la laïcité, simplement la laïcité, après 1905, se vit en régime de
Séparation. » (p. 20).

5- 2- 2- 4 L’exception de l’Alsace – Moselle

Le Concordat signé entre la France et la papauté en 1801 a permis d’établir le régime de


« cultes reconnus » qui sera en vigueur dans la métropole jusqu'au vote de la loi de 1905
sauf en Alsace et en Moselle qui étaient à cette période rattachées à l'Allemagne. Certains
départements de la France donc, tels que le Haut Rhin, le Bas Rhin et la Moselle resteront
sous le régime concordataire lors de leur réintégration en 1918 à la France. Aujourd’hui
encore, dans cette partie de la France, ce régime perdure. Par conséquent, les lois Ferry
et Goblet n’ont pas été appliquées du fait qu’ils étaient sous l’occupation allemande de
1870 à 1918. L’Alsace – Moselle n’a donc pas connu la laïcisation de l’école et de son
personnel enseignant, votée entre 1882 et 1886. Aussi, la loi dite loi de séparation des
Eglises et de l’Etat mise en vigueur à partir du 09 décembre 1905 ne la concerne pas. La
loi de 1905 ne s’applique donc pas dans les collectivités locales, les institutions et les
services publics de ces départements. Cette partie de la France est toujours régie par le
concordat signé le 18 juillet 1801 entre Rome, par le biais du Pape Pie VII, et Napoléon
Bonaparte au nom de la France ; et par la loi relative à l’organisation des cultes votée le
08 avril 1902. Ainsi, « dans ces trois départements, quatre cultes sont reconnus :

198
catholique, luthérien de la confession d’Augsbourg, réformé, israélite ». (Cf. Ligue de
l’Enseignement) Cependant, force est de reconnaître que ces quatre cultes n’ont pas le
même statut juridique même si le Conseil d’Etat du 27 août 1948 a reconnu en Alsace –
Moselle que « les ministres des cultes sont rétribués par l’Etat et ont droit à une retraite
mais ils n’ont pas qualité de fonctionnaires ni d’agents publics ». Il faut aussi noter que ce
droit particulier concernant uniquement l’Alsace – Moselle a été intégré, à titre transitoire,
dans le droit français par la loi du 17 octobre 1919 et ensuite de manière définitive par la
loi de 1er janvier 1924 suite à l’opposition de la part des populations concernées de l’essai
d’annulation de ce statut local. Cet acte législatif a été consolidé et sellé par les propos du
ministre de l’intérieur et des cultes, Pierre Joxe, le 12 septembre 1990 à Strasbourg : « ce
statut local était un acquis historique sur lequel il n’était pas question de revenir… Ainsi la
République laïque s’accommode maintenant, sans problème, de l’absence de séparation
sur le territoire national » (Cf. Boyer, 1993, cité par Nguyen et Samadi, 1994). Ce qui fait
que même redevenue française en 1918, et contrairement aux autres départements
métropolitains, Alsace – Moselle, par son droit public, accorde une place importante à
l’enseignement religieux. Même si l’enseignement est organisé selon les règles de droit
général, il faut souligner que dans ces départements, le droit local a permis de maintenir
la particularité de l’enseignement religieux à l’école rendu obligatoire au primaire et au
collège depuis l’ordonnance du 10 juillet 1873 et celle du 10 novembre 1887.

En guise de conclusion sur la longue marche vers la laïcité, il nous a paru important de
revenir sur les origines lointaines et directes de ce principe, d’évoquer les actes fondateurs
et les étapes du processus de laïcisation. Brosser quelques moments de l'histoire de la
France et de l’Europe, a permis de comprendre la relation qui a existé entre la religion et
l'État français mais aussi de montrer comment s'est historiquement mis en place un "camp
laïque" contre un "camp clérical" qui entraîna la scission de la France en deux. Sous ce
rapport, l’apparition de la laïcité est liée et a une relation étroite avec l'histoire de la France
marquée par les rapports entre l'Église et l'État. Cependant, son instauration comme
régime s’est faite de manière progressive dans le temps ; d’où l’idée de pacte de
laïcisation défendue par certains auteurs.

199
5- 2- 2- 5 La notion de seuil de laïcisation121

Selon Baubérot (1990) il n’existe pas de laïcité absolue, mais de multiples formes suivant
les contextes et les situations socioculturelles et politiques. D’après lui, un pacte laïque
permet de franchir un niveau dans l'expérimentation de la laïcité qu’il nomme seuil de
laïcisation et que s'il « permet encore aujourd'hui le vivre ensemble, c'est parce que la
situation qu'il instaure n'est véritablement satisfaisante pour personne » (p. 81). Partant
du caractère dynamique et évolutif de la laïcité, il distingue en réalité trois seuils. Le
premier seuil de laïcisation est le résultat de la révolution de 1789 et du recentrage de
Napoléon 1er. Il est intervenu à la suite du Concordat et des directives révolutionnaires
que l'auteur résume à travers ces caractéristiques en tension : « la fragmentation
institutionnelle – proposée par Portatis au nom de Bonaparte – la reconnaissance de
légitimité de la religion comme service public, (…) la pluralité des cultes reconnus » (pp.
44-45). Ce qui signifie que, premièrement, il est mis fin au système de "religion
englobante" et qu'il y a possibilité de développement et d'autonomie des autres institutions
de la société, autrement dit, la religion a sa propre sphère et l’État n'est plus dépendant
d'elle ; deuxièmement, la religion est reconnue comme ayant une utilité fonctionnelle
répondant aux besoins de la société et qu'elle a retrouvé une certaine légitimité morale;
troisièmement, il n'y a plus d'imposition d'un culte de la part de l’État mais reconnaissance
et égalité au point de vue juridique de tous les cultes. Cette dernière caractéristique, rend
possible la coexistence pacifique et renforce les liens sociaux. Ce pacte, permettant une
pacification de la situation déjà conflictuelle, essaie d'instaurer un équilibre des rapports
entre l’État et les différents cultes. Mais la réaction de l’Église, cherchant à reconquérir

121
Jean Baubérot, historien et sociologue, est l’auteur de cette notion de seuil de laïcisation. Il se positionne
comme un spécialiste incontournable sur la question de la laïcité dans le monde avec ses notions de
processus de laïcisation et de « pactes » de la laïcité. Ses nombreux écrits traduits en quatorze langues sur
ce sujet en témoignent. Il a une démarche critique vis-à-vis de la situation socio-politique actuelle où l'idéal
laïque est souvent remis en cause par des décisions politiques ou instrumentalisé dans le seul but d'une
discrimination de certaines minorités religieuses. De 1978 à 1990, il a occupé la chaire d'« Histoire et
sociologie du protestantisme». Aussi, professeur émérite de la chaire histoire et sociologie de la laïcité à
l’École pratique des hautes études (où il a été diplômé en 1967), Jean Baubérot a fondé le Groupe Sociétés,
Religions, Laïcités (GSRL-EPHE). Il est aussi utile de rappeler qu'il a été en 1997 et 1998 conseiller
technique de Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Ce double engagement
dévoile chez Jean Baubérot tout l'intérêt qu'il porte d'une part aux interrogations très complexes posées par
la laïcité, et d'une façon toute particulière à son expression dans la sphère scolaire. Sous ce rapport donc
ce n'est pas l'historien en tant que tel qui nous intéresse mais plutôt sa manière de concevoir la laïcité
aujourd'hui. En tant que "penseur de la laïcité", sa conception de cette notion, nous semble, peut permettre
d’analyser et décrypter les types de laïcité au Sénégal.

200
son privilège et entraînant de fait des tensions, a nécessité l'établissement d'un nouveau
pacte.

Le second seuil de laïcisation intervient à la suite des lois laïcisant l'école publique (1882-
1886) et permettant la séparation l’Église et l'État. C’est donc la loi de 1905 qui instaure
le deuxième pacte laïque suite aux combats anticléricaux. Ainsi, pour mettre en place un
programme de vie commune, il sera question d'une morale laïque basée sur les droits de
l'homme et du citoyen. La loi de séparation est un pacte qui avait l'ambition de mettre fin
aux tensions entre les deux camps. Comme pour le premier pacte, le deuxième va aussi
présenter des caractéristiques. Pour Baubérot (1990), ce deuxième seuil peut se
caractériser par : « la dissociation institutionnelle…, l'absence de légitimité…, la liberté de
conscience et de culte. » (p.95). En d'autres termes, la religion ne structure plus la société
et est reléguée au second plan par rapport à la santé et à l'école qui ont acquis plus
d'importance et sont obligatoires. Aussi, la religion a perdu sa reconnaissance sociale et
ne présente plus d'intérêt public. Par contre, au niveau individuel, la liberté de conscience
et de culte sont valorisées. « L’État reconnaît à chaque citoyen le libre choix et le libre
refus de la religion. » (Baubérot, 1990, p. 95). Par rapport au premier seuil de laïcisation,
il y a eu un avancement institutionnel que Baubérot (1990) va appeler « deuxième seuil
de laïcisation » et que d'autres nomment laïcité. En effet, avec la fragmentation
institutionnelle, la religion avait encore gardé une légitimité et était toujours considérée
comme une grande institution, alors que là, avec la dissociation institutionnelle, elle perd
cette place et cette légitimité. Aussi, dans le premier seuil, l'accent était porté sur le
pluralisme des cultes. L’État, d'une certaine manière protégeait les cultes. Dans le
deuxième seuil, cette protection est désormais dirigée vers les libertés individuelles, à
savoir, vers la liberté de conscience et de culte. Cette distinction aussi est significative et
révélatrice du débat actuel sur la laïcité qui donne lieu à deux camps qui s'opposent. D'un
côté ceux qui soutiennent que la laïcité comme séparation de pouvoir et neutralité est un
acquis et il n'y a plus de renégociation et de l'autre, ceux qui comme l'auteur, pensent il
faut reconsidérer la situation actuelle et qu'il y a nécessité d'accomplir des progrès pour
réussir le pari du vivre ensemble et de la coexistence.

201
Pour l'auteur, dans une démocratie, la laïcité doit être continuellement questionnée et son
idée est qu'elle doit être délibérative. Il parle d'une "nouvelle laïcité" qui oblige à
reconsidérer par exemple le rapport à l'islam en France. Et une telle éventualité implique
d'envisager un troisième seuil de laïcité qui prendrait en compte la diversité religieuse et
culturelle. Se dirige-t-on donc "vers un nouveau pacte laïque" ? Ne serait-il pas urgent,
d'après l'auteur, étant donné que « l'individu est de plus en plus un être pluri-identitaire –
et que – l'islam doit être compris comme une dimension de son identité, pas comme une
identité englobante » (Baubérot, 1990, p. 214), de lutter contre les préjugés et de
distinguer le confessionnel du culturel. L'individu a plusieurs identités et qu'il faut éviter de
tout ramener à l'identité religieuse. Pour l'auteur, souvent, la religion devient objet de
focalisation et un nouveau discours rend la stigmatisation facile par rapport à certaines
confessions religieuses. Ainsi, aujourd’hui, Baubérot pense d’ailleurs qu’un troisième seuil
de laïcisation s'est élaboré à partir de 1968 avec la contestation anti-institutionnelle de mai
68 jusqu’en 1989 coïncidant avec la chute du mur de Berlin et l’affaire du foulard122 en
France qui a relancé le débat et a été une occasion pour chaque camp de défendre sa
vision – ouverte, tolérante ou radicale – de la laïcité. La notion de seuil trouve son sens
dans cette volonté commune et toutes les initiations mises en place dans le but d’apaiser
ce climat conflictuel et de trouver de la part des autorités étatiques une sorte de
pacification de la situation.

122
Les faits de l’affaire dit « du foulard islamique » se sont déroulés au collège Gabriel Havez de Creil dans
le département de l’Oise le 18 septembre 1989. Trois élèves musulmanes sont exclues provisoirement des
cours par le proviseur du collège. Le motif de leur exclusion est le port du voile islamique, considéré par ce
dernier comme une atteinte à la neutralité de l’école publique en France et par conséquent à la laïcité. Suite
à un compromis trouvé entre l’inspecteur d’académie, le proviseur et les parents d’élèves avec la médiation
d’associations locales, l’exclusion a été levée le 09 octobre 1989 et les trois jeunes filles ont repris les cours.
Le compromis leur autorisait de garder leur foulard jusqu’au seuil de la classe et ensuite elles devraient
toutes l’ôter en franchissant celui-ci. Seulement, 10 jours plus tard, précisément le 19 octobre, unanimement,
elles remettent leur voile pendant les cours rompant ainsi l’accord établi. Elles se sont donc vues interdire
les cours. Cette affaire prend alors une autre tournure qui dépassait le cadre restreint du collège. Elle va
connaître une dimension médiatique internationale et sera au centre de nombreux débats polémiques
amenant les uns et les autres à se positionner. La voix du dialogue est préférée par les autorités françaises
et les termes du débat tournent autour de l’intégration des musulmans en France. En 2003, le débat ressurgit
sur la question du voile islamique en France avec l’exclusion de deux élèves du lycée Henri-Wallon
d’Aubervilliers (Seine Saint-Denis). La recherche de solution face aux inquiétudes occasionnées par
l’apparition du voile à l’école et dans l’espace public en général a conduit à la mise en place de la commission
Stati chargée de réfléchir sur l’application du principe de laïcité en France. Ce qui va aboutir à l’adoption de
la loi de mars 2004 portant interdiction des signes ostensibles à l’école découlant de la principale proposition
de cette commission.

202
En somme, la notion de "pacte laïque" est à considérer comme un palier à franchir vers la
réalisation de la laïcité dans sa dimension politique et sociale. Ce concept de pacte laïque
fait appel ou renvoie à deux situations : d'une part, au conflit entre les deux France et
d’autre part, à l'acceptation de concessions pour arrêter le combat qui déchire la société
sans pour autant que chacune des parties n'obtienne satisfaction totale. Ce concept de
pacte laïque a été critiqué par le philosophe Henri Pena-Ruiz. Dans son livre "La laïcité"
(2003), il exprime son désaccord avec Jean Baubérot par rapport à l'utilisation de l'idée
de pacte laïque que ce dernier a introduite en 1990. Pena-Ruiz, au chapitre "la laïcité en
débat : interprétations et controverses (exemples)", en prenant en compte la loi de
séparation des Églises et de l’État en 1905, estime qu'il n'est pas adéquat de parler de
pacte laïque dans la mesure où il n’y a pas eu de négociation avec l'Église. Pour lui, « Il
s'agit de savoir si la laïcité doit se renégocier en fonction des évolutions du paysage
religieux », ou s'il s'agit d'une « valeur principielle transcendant les différentes options
spirituelles et qui échappe à la relativisation » (Pena-Ruiz, 2003). Dans "Histoire de la
laïcité en France" (2005), Baubérot apporte une réponse à cette critique. Il souligne que «
la victoire maîtrisée des républicains a permis le passage d'une laïcité, bien exclusif d'une
"des deux France" en conflit, à une laïcité qui peut inclure les membres "des deux France".
C'est de cette transformation dont rend compte la notion de pacte laïque » (p.73). Aussi,
Jean Baubérot, en note de bas de page, insiste sur le fait qu'un Pacte laïque est une «
notion qui n'implique nullement que la séparation soit le résultat d'une négociation de
puissance à puissance ». Il soutient donc que la notion de "pacte" n'implique pas

forcément une négociation formelle. Ce qui renvoie au 3 e sens du Robert : « la capacité


de concevoir un avenir différent de l'horizon conflictuel qui borne le présent ; la volonté et
la possibilité politique d'agir autant selon cet avenir utopique qu'en fonction du conflit
présent et de se donner les moyens de parvenir à une (relative) pacification ». Il faut noter
que déjà, l'auteur a eu le soutien de Patrick Cabanel, dans son livre "Les mots de la laïcité"
(2004), qui trouve que la notion de "Pacte laïque" est historiquement pertinente. (pp. 77-
80). Notons que, même si les deux premiers pactes se sont construits lentement, ils ont
réussi à mettre en place une "pacification du vivre ensemble" en France. Aujourd’hui, il est
admis que la laïcité n’est pas une spécificité française. D’un pays à l’autre, les différentes
conceptions et perceptions de la laïcité varient même si les bases de celle-ci restent les
mêmes avec des degrés d’application différentes. Quels sont alors les fondements de la
laïcité ?

203
5- 3 PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA LAÏCITE

Les étapes vers la laïcité ont été identifiées à travers les liens historiques unissant l’Eglise
et le pouvoir temporel en France. Comme il a été rappelé : plusieurs facteurs ont contribué
à l’instauration du principe de laïcité. Aujourd’hui, malgré les débats, les polémiques, les
récupérations et les amalgames qui entourent cette notion de par sa complexité, quatre
éléments semblent en délimiter le champ d’application et constituent ainsi ses principes
fondamentaux. Il s’agit de la séparation des pouvoirs, de la neutralité de l’Etat, la liberté
de conscience et l’égalité entre tous les citoyens.

5- 3- 1 La Séparation des pouvoirs

Trois sortes de séparations ont été distinguées en France. La première séparation est
dite : "séparation de l’Eglise et de l’Etat Civil". Au moment de la Révolution, l’assemblée
législative a jugé nécessaire et urgent de procéder à la laïcisation de l’Etat Civil et du
mariage. C’était là pour les révolutionnaires une manière de marquer une rupture et de
poser symboliquement un transfert des responsabilités de l’Eglise à l’Etat. Avant donc le
vote de la loi de la laïcisation de l’état civil et du mariage le 20 septembre 1792, l’Eglise
catholique détenait les registres d’état civil, de mariage et d’enterrement. En quelque
sorte, les événements importants de la vie de l’individu, de sa naissance à sa mort, étaient
sous le contrôle du clergé. D’après Khaldi (2015), « L’assemblée législative amplifie son
œuvre de sécularisation et cherche à séparer droit civil et droit canon. La laïcisation de
l’état civil et du mariage civil, votée le 20 septembre 1792, répond à cette objectif » (p. 27).
La première séparation célèbre l’autonomie du citoyen par rapport aux ecclésiastiques et
le pouvoir de l’Etat français à avoir un droit de regard et de contrôle sur la vie de ses
citoyens. Il est important aussi de mentionner qu’avant même cette première séparation,
quelques mesures visant à mettre fin aux privilèges du clergé ont été déjà décrétées. Le
02 novembre 1789, la nation française s’est "accaparée" des biens de l’Eglise. En février
1790, les congrégations religieuses ont été supprimées et six mois après, plus
précisément le 12 juillet 1790, la Constitution Civil du Clergé a été votée par l’assemblée
législative.

204
La deuxième séparation concerne l’école et est dénommée : "Lois scolaires de la
Troisième République". Il a été mis fin au pouvoir sur l’école par les lois dites de "Ferry"
complétées par la loi dite "Loi Goblet". De 1881 à 1886, des lois concrétisant la séparation
de l’Eglise et de l’Ecole ont été votées. Le 16 juin 1881, la gratuité de l’enseignement
primaire a été rendue officielle dans les écoles publiques. Par la même occasion, a été
aussi votée la loi relative aux titres de capacité exigés pour l’enseignement primaire. La
gratuité a aussi permis de voter le 28 mars 1882 la loi sur l’enseignement primaire
obligatoire et laïque dans les établissements publics. Et enfin, la loi sur l’organisation
générale de l’enseignement primaire dite "Loi Goblet" a été adoptée le 30 octobre 1886.
A partir de ce moment, ne sera autorisé à enseigner dans les écoles publiques primaires
que le personnel laïque. L’instauration d’une école laïque entre 1881 et 1886 peut être
considérée comme une décision forte qui a marqué la séparation des pouvoirs. Emanciper
l’école a été capital dans la mesure où elle joue un rôle central.

La troisième séparation de l’Eglise et de l’Etat est intervenue en 1905. La séparation des


pouvoirs en France a été concrétisée et finalisée par la loi du 9 décembre 1905 composée
de 44 articles intitulée : "Séparation des Eglises et de l’Etat". Toutefois, il faut noter que
l’essentiel de cette loi se trouve dans les deux premiers articles. Ces deux articles
constituent le titre premier de la loi qui mentionne les « principes ». Article 1 er : « La
République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous
les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Article 2 : « La
République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à
partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des
budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à
l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrits aux dits budgets les dépenses
relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes
dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et
prisons… ». La séparation entre les Cultes et l’Etat est en effet l’une des bases juridiques
de la laïcité de la République française. Et les deux articles de la loi de 1905 la spécifient
clairement. Aussi, tous les autres articles qui vont suivre ont pour objectif de bien poser
les bases de la rupture entre l’Eglise catholique et l’Etat tout en créant les conditions d’une
paix définitive au niveau social. L’article 28, par exemple, du titre V intitulé « Police des

205
cultes », stipule : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème
religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à
l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières,
des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». L’article 30 peut être
cité également comme marquant la séparation des deux pouvoirs par rapport à
l’enseignement religieux dans les écoles publiques : « Conformément aux dispositions de
l’article 2 de la loi du 28 mars 1882 l’enseignement religieux ne peut être donné aux
enfants de six à treize ans dans les écoles publiques qu’en dehors des heures de classe ».

Ainsi, à partir de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 jusqu’à
loi de 1905, trois types de séparations ont vu le jour en France. Certes, force est de
reconnaître que parler de séparation des pouvoirs en France, renvoie automatiquement à
la loi de 1905. Mais, avant celle-ci, d’autres textes juridiques marquant la laïcisation de
certaines institutions importantes ont été votés en France et par conséquent peuvent être
considérés comme une forme de séparation des pouvoirs entre l’Eglise catholique et ces
institutions qui dépendent de l’Etat. Il nous a semblé donc qu’il est permis de parler en
France de trois séries de séparation avec l’Eglise catholique entre 1789 et 1905.
Aujourd’hui, il est juridiquement permis de dire que la loi de 1905 achève véritablement la
séparation des pouvoirs et est d’une certaine manière le berceau de la laïcité en France.
Cependant la séparation est une condition nécessaire mais pas suffisante pour la mise en
place d’un régime laïque. Elle est souvent considérée, à tort par certains, comme
résumant, à elle seule, la notion de laïcité. Même si, elle est l’une de ses bases du principe
de laïcité, il ne faudrait pas la considérer comme son aboutissement. D’après Baubérot et
Milot (2011), elle « ne constitue ni théoriquement ni historiquement l’élément central – et
encore moins unique – permettant d’identifier de manière satisfaisante tous les principes
qui donnent forme à un régime laïque. Au fil des processus d’émancipation des Etats par
rapport à la puissance religieuse, la séparation ne représente jamais la visée première de
l’organisation politique. » (p. 75). D’après eux, la séparation du temporel et du spirituel,
avec la neutralité de la puissance publique sont des moyens permettant de garantir les
finalités recherchées que sont : la liberté de conscience et l’égalité des citoyens.
L’autonomie du politique vis-à-vis de l’Eglise, en France, s’est faite progressivement.

206
5- 3- 2 La neutralité de l’Etat

La neutralité de l’Etat et de ses institutions publiques à l’égard des confessions et


convictions religieuses est aussi l’un des fondements de la laïcité. L’impartialité de la
puissance publique à l’égard des religions, au même titre que la séparation du politique et
du religieux, doit être considérée comme un moyen de garantie des finalités visées dans
un Etat laïque. D’après Baubérot et Milot (2011) : « Au fil des siècles, la séparation du
politique et du religieux et la neutralité de l’Etat, c’est-à-dire l’impartialité de la gouvernance
à l’égard des divers groupes convictionnels de la société civile, ont graduellement été
conçues comme les moyens nécessaires à l’établissement du régime de liberté » (p. 77).
Force est donc de constater qu’il est nécessaire que la puissance politique retrouve son
indépendance et ne dépende d’aucun système religieux d’une part et d’autre part, qu’elle
n’interfère pas d’une manière ou d’une autre dans ce qui concerne le domaine religieux,
c’est-à-dire les croyances. A travers la neutralité, l’Etat se fixe des obligations et des limites
par rapport aux religions et aussi à toute autre forme de pensée. Il est neutre dans
l’organisation interne des communautés religieuses tant que celles-ci respectent l’ordre
public. Cette neutralité, comme l’affirment Baubérot et Milot (2011), ne signifie pas de la
part de l’Etat « un simple abstentionnisme ». Il doit être attentif aux conséquences que
peuvent avoir les croyances dans les domaines politiques et civils, « quitte à adopter
parfois des mesures légales pour limiter certains comportements découlant de ces
convictions qui auraient un effet néfaste sur les droits des citoyens » (p. 79). Ces deux
auteurs insistent sur la notion d’impartialité de l’Etat à l’égard de toutes les convictions ;
principe affirmé dès 1791 dans le droit des Etats-Unis. « Le congrès ne pourra faire
aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice,
restreignant la liberté de parole ou de la presse, ou touchant au droit des citoyens de
s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le
redressement de leurs griefs123. » (Idem.).

123
Cf. le premier amendement du Bill of Rights (2ème partie), cité par Baubérot et Milot (2011).

207
En France, la laïcité constitutionnelle a été concrétisée par la Constitution du 27 octobre
1946, reprise par celle du 04 octobre 1958. Après la seconde guerre mondiale, des
dispositions relatives à la laïcité vont être introduites dans les textes constitutionnels de la
République française. Il faut dire que jusque-là, la laïcité était organisée par des lois. « La
France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure
l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.
Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise
l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives,
ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. » (Art. 1, Const. 1958). La
Constitution, comme l’ensemble des textes fondamentaux qui régissent la vie politique de
la République, garantit donc la laïcité ; d’où l’importance de la neutralité de l’Etat. Pour
Ferdinand Buisson, dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1880 –
1887), - article sur la "laïcité" - l’essence de l’Etat laïque se résume en ce qu’il est « neutre
entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception
théologique ». La neutralité de l’Etat par rapport aux religions et aux croyances
conditionne la séparation des pouvoirs. Il s’agit donc pour l’Etat de ne favoriser aucune
religion et par la même occasion de se refuser de prendre position dans les domaines qui
concernent la religion. Par l’article 2 de la loi du 09 décembre 1905, l’Etat affirme de façon
institutionnelle ne pas reconnaître les religions et se refuse de financer les cultes. « La
République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… » (Art. 2). Toutefois,
cette neutralité ne signifie pas de la part de l’Etat qu’il méconnaît les cultes existants au
sein même d’un territoire donné. Il s’agit également de la part de l’Etat de veiller à ce que
tous ses services publics ne fassent aucune discrimination de traitement entre les citoyens
selon leurs opinions d’ordre religieux.

En définitive, ces deux principes de base de la laïcité, à savoir, la séparation des pouvoirs
et la neutralité de l’Etat n’ont de sens qu’en vue de favoriser la liberté de conscience et
l’égalité entre tous les citoyens ; deux finalités poursuivies par un Etat laïque.

208
5- 3- 3 La liberté de conscience

La laïcité garantit à tous les citoyens la liberté de conscience. Elle assure à chacun le libre
exercice des cultes ou simplement le droit de changer ou la négation par rapport aux
cultes. « La liberté de conscience est la première des libertés à avoir bénéficié de la
reconnaissance et représente la condition préalable à toutes les autres libertés
modernes » (Casanova, 1994, dans Baubérot et Milot, 2011, p. 77). Celle-ci est
mentionnée dans divers textes juridiques. L’article 10 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789 stipule : « Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public
établi par la loi ». La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 dans son
article 18 insiste sur l’importance de la liberté de conscience en expliquant ses contours :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester
sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par
l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accompagnement des rites ». La Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950
abonde dans le même sens : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de
conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement
ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques,
l’accompagnement des rites… » (Art. 9, p.1) A la suite donc des lois laïques des années
1880 et de la loi de 1905 qui marque la séparation de l’Église et de l’État, et se référant à
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et au préambule de la Constitution de
1946 qui proclame que « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de
croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » , la France affirme dans sa
Constitution, qui date de 1958, qu'elle est une «République indivisible, laïque,
démocratique et sociale » et qu'elle « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » (Cf.
l'article 2 de la Constitution). Pour permettre à tous les citoyens de jouir de la liberté de
conscience, l’Etat se doit de refuser d’imposer toute forme de pensée favorisant certaines
croyances. Ce qui introduit inévitablement aussi la notion d’égalité entre tous, comme
fondement de la laïcité. D’une certaine manière, liberté de conscience et égalité des

209
citoyens sont liées. En effet, sans égalité de traitement de toutes les familles de pensée,
la liberté de conscience serait restreinte.

5- 3- 4 L’égalité entre tous

L’égalité de tous les citoyens devant la loi est une caractéristique de la laïcité. La notion
de citoyen prend ici tout son sens. « Tous les hommes naissent et demeurent libres et
égaux en droit ». C’est la souveraineté de chaque individu. Avec le concept de République,
l’épanouissement de l’individu en tant que citoyen reste et demeure le projet primordial.
Ce qui faisait dire à Clermont-Tonnerre (1789) : « Il faut refuser tout aux juifs comme nation
et accorder tout aux juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’Etat ni un corps
politique ni un ordre. Il faut qu’ils soient individuellement citoyens »124. Cependant, il ne
faut pas perdre de vue que le principe de la souveraineté de la République est :
"Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". Toute souveraineté
individuelle ne trouve du sens que dans la souveraineté de la nation. « Nul corps, nul
individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». L’égalité de toutes les
convictions est garantie par la constitution. Elle est même à considérer comme l’un des
éléments centraux du principe de laïcité, en tant que mode d’organisation politique.

L’égalité, la liberté de conscience, la séparation des pouvoirs et la neutralité de l’Etat


constituent donc les fondements de la laïcité. La volonté d'instaurer au niveau politique et
juridique une laïcité caractéristique d'un réel vouloir commun de vivre ensemble prend
forme à partir de ces quatre éléments essentiels. Cependant, comme fondement politique
et du lien social, le concept de laïcité, par sa complexité, a créé régulièrement des tensions
dans sa définition et son application. Il n’est pas évident de dégager une définition de la
pensée laïque. Même si aujourd’hui, à partir des fondements de la laïcité, il est possible
de cerner sa signification, il est relativement difficile de s’accorder de manière univoque
sur la définition de cette notion dynamique.

124
Discours du Comte Stanislas de Clermont-Tonnerre le 23 décembre 1789 à l’assemblée nationale.

210
5- 4 ESSAI(S) DE DEFINITION DE LA LAÏCITE

Petit à petit donc, dans ce contexte hostile marqué par des tensions et querelles entre les
deux camps, le mot "laïcité" a pris le sens d’une certaine manière d’être, de penser et
même d’agir qui s’oppose au cléricalisme qui est rien d’autre que la doctrine par laquelle
certains responsables religieux veulent imposer au reste de la société des règles de vie
inspirées du dogme et des pratiques de leur religion en essayant d’asseoir une certaine
forme de domination de leur croyance par le moyen du contrôle du pouvoir politique et des
institutions de la république. D’après Poulat (2008) : « Elle [la laïcité] a d’abord été une
idée, celle de quelques intellectuels dissidents : symboliquement, les philosophes contre
les théologiens. Elle a pris la forme d’un programme dont la réalisation exigeait un combat
sans ménagement. Elle est finalement devenue un régime, inscrit dans un droit en
évolution et une jurisprudence attentive aux situations. » (p. 11).

S’entendre sur le sens à donner à la laïcité peut paraître un exercice complexe ; ce qui,
d’une certaine manière à pousser Cornec J (1965) à affirmer que « la laïcité ne se définit
pas, elle se sent, elle se vit » (p. 494). D’autres, comme Lagarde G (1934), avaient déjà
soutenu qu’elle est « si difficile à définir » (cité par Lalouette, 2008/4, p. 1). Pour Gautherin
J. (1991): « Il n’y a pas une conception unique de la laïcité…» (p.109)125. Bref, si,
« l’histoire de la laïcité (…) – comme le note Michel Miaille – a été écrite et réécrite par
des historiens de métier » (2015, p. 16), si également il existe de nombreux « auteurs
notoires qui pourtant sont aux origines de la laïcité en France, notamment Ferdinand
Buisson » (Kintzler, 2014, p. 11), et si enfin aujourd’hui, de nombreux sociologues,
enseignants, philosophes, politiciens, juristes, journalistes, etc., se sont penchés sur la
question laïque, cela se justifie, d’une part par la place importante que ce principe a pris
au fur et à mesure dans la conscience citoyenne et d’autre part, du fait de sa complexité.
Sur le plan conceptuel, la construction de la laïcité s’est faite dans le temps, tout au long
d’un parcours qui a duré plus de deux siècles126. Aujourd’hui, sa définition est un enjeu de
divergences politiques et ses interprétations sont multiples. Ce qui fait dire à Baubérot
(2015) que beaucoup de gens invoquent la laïcité en y mettant des choses très différentes.

125
Les citations de ces trois auteurs ci-dessus, à savoir : Cornec J (1965), Lagarde G (1934) et Gautherin J.
(1991) ont été utilisées par Jaqueline Lalouette (2008/4), p 2.
126
Pour Catherine Kintzler, la construction conceptuelle apparaît même dès la période classique… (Voir
Kintzler, 2014, p. 12).

211
Cette divergence de point de vue par rapport à la laïcité ou plutôt les différentes
interprétations du concept de laïcité installe une certaine confusion dans les esprits à tel
point que « plus personne ne sache très bien en quoi elle consiste » (Picq, 2014, p. 14,
dans Baubérot, 2015, p. 13). Une clarification conceptuelle s’impose alors.

5- 4- 1 La laïcité, un cadre juridique

En règle générale, il n’y a pas de polémique sur le fait que la laïcité soit vue comme un
cadre juridique qui a été mis en place en France dès la Révolution de 1789 avec
l’instauration de l’état civil, complété ensuite avec le vote des lois laïcisatrices instaurées
par la Troisième République. Cependant, aujourd’hui, la conception française de la
laïcité127 est loin de faire unanimité et consensus dans les autres pays. Il suffit pour preuve
de suivre l’actualité géopolitique internationale pour en avoir un rapide aperçu ou
simplement de consulter les législations et les constitutions des autres pays du monde
pour s’en rendre compte. L’analyse du facteur juridique, même s’il n’est pas le seul, est
donc importante pour comprendre le concept et l’évolution de la laïcité dans un pays.
Nombreux sont les textes juridiques qui permettent de concrétiser et de mettre en œuvre
les différentes étapes et le processus de laïcité. Entre autres, il y a les textes
concordataires, les lois, les déclarations, les rapports et tous les autres textes de droit sur
la laïcité.

Fort de cela, il est permis de considérer la laïcité comme une disposition juridique qui
permet l’instauration de l’autorité. Elle permet de gouverner le peuple. C’est un principe
d’organisation de la société basé sur des textes juridiques parmi lesquels figurent les
textes à valeur constitutionnelle. Il s’agit : de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen du 26 août 1789 qui a été intégrée au préambule de la Constitution française du 4
octobre 1958. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que
leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (Art. 10) ; du préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946, repris par le préambule de la Constitution du 4
octobre 1958, et de celle-ci. Outre ces textes à valeur constitutionnelle, sont classés parmi
les textes juridiques, les textes législatifs comme à titre indicatif : la loi de 1905 qui est et

127
Baubérot (2015) défend qu’il n’existe pas un modèle français de laïcité » mais plutôt différentes
représentations selon les acteurs sociaux.

212
reste le texte de fondation de la laïcité en France ; la loi du 15 mars 2004 encadrant, en
application du principe de la laïcité, le port de signes ou tenues manifestant une
appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ; ou encore la loi de
2010, interdisant le port du voile intégral dans l’espace public en France. Et enfin les
circulaires et autres textes peuvent aussi être rangés dans le registre des textes juridiques.
Bref, il faut retenir que l’ensemble de ces textes n’a qu’un seul objectif, c’est de définir les
règles de vie commune. Khaldi (2015, p. 10) abonde dans le même sens. Il soutient que :

La laïcité est avant tout une règle juridique portée par la Constitution et par nombre de textes
afférents, en particulier, à l’école publique pour laquelle elle définit sa mission. En effet, l’école
publique, laïque, a la mission, fondamentale d’instruire et d’éduquer des citoyens, maîtres de leur
destin et capables d’autonomie de jugement pour leur émancipation… Elle a aussi la mission
d’élaborer la conscience d’une appartenance de la République et aux principes qui la fondent .

La laïcité, par ces textes, constitue un principe constitutionnel de la République. Depuis le


vote de la loi du 09 décembre 1905, elle est considérée, par exemple, en France, comme
« la référence idéologique du pacte social républicain… » (Bouchet, 1996, p.2). Les
citoyens sont ainsi protégés dans la pratique de leur religion pour ceux qui croient ou dans
leur indépendance face aux différentes formes de croyances religieuses. « La laïcité est
le cadre à partir duquel les différents choix spirituels peuvent exister et s’organiser »
(Khaldi, 2015, p. 24).

Aujourd’hui, nombreux sont donc les pays, à travers le monde, qui, par des textes
juridiques, ont institutionnalisé la laïcité. Au Sénégal, contrairement au processus de
laïcisation qu’a connu la France, « la laïcité a été adoptée comme un système
institutionnel d’organisation des rapports Etat / religion capable, à l’ère moderne, de
maintenir et de préserver une tradition sénégalaise séculaire de tolérance et de liberté
religieuse » (Samb, 1990, in Samb 2005, p.149). Dans la Constitution sénégalaise, il est
réaffirmé l’importance de certaines valeurs comme la liberté de la personne humaine,
l’égalité de tous, précisément des hommes et des femmes, le droit à l’éducation et à la
protection de la jeunesse, etc. La mise en place d’un système de sécurisation de ces
valeurs s’avère nécessaire pour la réalisation d’un commun vouloir de vivre ensemble.
Dans le cadre de la mise en place du principe de laïcité au Sénégal, en plus de son
expression juridique, Samb semble insister sur les exigences de la vie commune

213
fondement indispensable d’une société pluraliste. Certains facteurs comme les croyances
religieuses, l’héritage spirituel, les conceptions de la vie, unité et solidarité sans barrière
ethnique et religieuse, etc. Pour cela, l’Etat a le devoir de lutter contre les inégalités qui
peuvent exister au sein de la société. C’est dans ce sens que Djibril Samb (2005) réaffirme
avec force que :

L’égalité des hommes d’une même communauté, nationale et internationale, forgée par l’histoire et
le destin, doit être admise en même temps que la diversité de leurs ethnies ou de leurs religions,
facteurs d’une foisonnante richesse commune et d’une solidarité spirituelle pluridimensionnelle.
C’est pourquoi la Constitution tout en proclamant les droits fondamentaux de l’homme, interdit toute
identification des partis politiques « à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte,
à une langue ou à une région » (art. 3, al. 1), de même que « tout acte de discrimination raciale,
ethnique ou religieuse » (art. 4) et, enfin, toute ségrégation dans le travail en raison des origines,
des opinions et des croyances (art. 20, al. 1)… L’ensemble de la législation et de la réglementation
sénégalaise reste fidèle à cette doctrine constitutionnelle. (p. 123).

L’ensemble des textes juridiques sénégalais tente donc de concrétiser cette orientation
pour éviter toute forme de discrimination au sein de la population. Les différentes lois
d’Orientation de l’Education nationale aussi abondent dans le même sens. Le système
d’enseignement au Sénégal est fondé sur le principe de la laïcité. Cependant, depuis
l'accession à la souveraineté nationale avec l'adoption d'une laïcité constitutionnelle, le
débat sur la question laïque s'est posé dans la scène politique comme dans la société en
général (Cf. chapitre 4). En définitif, la formulation juridique de la laïcité au Sénégal ne
permet pas de cerner ses particularités. Son inscription dans la constitution ne suffit pas
pour en déterminer le modèle sur lequel est basée l’organisation politique de l’Etat
sénégalais.

5- 4- 2 La laïcité, comprise comme une question politique

La laïcité est considérée comme un principe politique. Elle renvoie à la nature de


l’organisation de l’Etat. D’après Haarscher (2005), elle « renvoie essentiellement à un
concept politique : l’Etat laïque (au sens le plus général du terme) ne privilégie aucune
confession, et plus généralement aucune conception de la vie bonne, tout en garantissant
la libre expression de chacune, dans certaines limites » (p. 4). Elle distingue le pouvoir

214
politique des pouvoirs religieux. C’est un système d’organisation de la cité qui rend
possible les libertés individuelles. Elle suppose donc une nette distinction entre l’Etat et la
société civile qui doit permettre d’aboutir à la création d’un Etat moderne, animé par la
recherche de l’intérêt général, et la mise en place d’une société où les droits individuels
de chacun sont protégés et respectés. Cette idée est défendue par Barbier dans son
article Esquisse d’une théorie de la laïcité.

La modernité politique consiste précisément dans cette séparation entre l’Etat et la société, entre la
sphère publique et le domaine privé. En effet, un Etat moderne est un Etat distinct de la société,
transcendant les intérêts particuliers des individus et se préoccupant uniquement de l’intérêt général
de la communauté politique. En même temps qu’apparaît un tel Etat, se constitue une société civile,
où les individus peuvent agir en toute liberté et où les intérêts particuliers ont leur place naturelle.
C’est cette séparation entre l’Etat et la société civile qui permet la distinction entre l’homme comme
individu et le citoyen, ainsi que l’apparition des droits de l’homme et du citoyen. (Barbier, dans

Nora, 1993, p. 75)

Barbier souligne ici la double appartenance de l’homme. D’une part, en tant que citoyen,
il est relié à la communauté politique symbolisée par l’Etat, et d’autre part, en tant
qu’individu, il est membre de façon légitime de la société civile. Chacune de ces
appartenances lui confère des droits reconnus dans la Déclaration des droits de l’Homme
et du citoyen du 26 août 1789. Aussi, force est de reconnaître que les droits liés à son
appartenance à la société civile, c’est-à-dire, les droits de l’homme, ne peuvent s’appliquer
que dans le cadre de la formation d’une société civile indépendante et bien séparée de
l’Etat. « En conséquence, les droits de l’homme, comme ceux du citoyen, ne peuvent
apparaître que dans les pays qui ont accédé à la modernité politique, c’est-à-dire qui ont
réalisé la séparation entre l’Etat et la société civile, de telle sorte, qu’existent une sphère
publique et un domaine privé » (Idem, p. 75). Pour Barbier, peu de pays sont parvenus à
la réalisation de la modernité politique ; parmi ces pays, deux se distinguent nettement : à
savoir les Etats Unis et la France. Pour ce dernier qui nous intéresse, la modernité
politique ne s’est réalisée qu’après « un long processus qui commence avec la Révolution
de 1789 et se poursuit tout le long du 19 ème siècle » (Barbier, dans Nora, 1993, p. 75).

215
La principale conséquence de la modernité politique en France, effectuée dans le temps
et la douleur (guerre des deux France), est l’apparition de la laïcité. Par conséquent, elle
est essentiellement un principe politique. D’après Pena-Ruiz :

La laïcité est un principe de droit politique. Elle met en jeu un idéal universaliste d’organisation de
la cité et le dispositif juridique qui en rend possible la réalisation concrète. Ce dispositif est celui de
la séparation, qui émancipe l’ensemble des institutions publiques, et tout d’abord l’Etat, des Eglises,
tout en libérant celles-ci de toute ingérence politique. Le mot laïcité, fait référence à l’unité du peuple,
en grec le laos, telle qu’elle se comprend dès lors qu’elle se fonde sur trois exigence, irréductible à
la seule liberté religieuse, qui n’en est qu’une version particulière, l’égalité de traitement de tous les
citoyens quelles que soient leurs convictions ou leurs opinions spirituelles, et la visée de l’intérêt
général, du bien commun à tous, comme seule raison d’être de l’Etat. Pour donner à ces trois valeurs
une garantie institutionnelle forte, la laïcité affranchit la sphère publique de toute emprise exercée
au nom d’une religion ou d’une idéologie particulière. Elle la préserve ainsi de tout morcellement
pluriconfessionnel ou communautariste, afin que tous les hommes puissent s’y retrouver.128

Henri Pena-Ruiz soutient une version stricte de la laïcité qui voit la réalisation de l’universel
dans la communauté politique nationale. En fin de compte et en tenant compte du travail
précédant sur la recherche de l’origine et la naissance du concept de laïcité mais
également sur le processus conduisant à l’apparition du principe de laïcité, il semble qu’il
soit principalement lié aussi à une question politique. Elle relève du domaine du politique.
Les fondements de la laïcité développés plus haut viennent confirmer cette théorie. La
séparation des pouvoirs, complétée par la neutralité de l’Etat, la garantie de la liberté de
conscience de la part de l’Etat qui se fixe cette obligation, l’égalité de tous les citoyens
qu’ils soient croyants ou non croyants, permettent d’affirmer que laïcité est à situer du côté
de l’Etat. Elle concerne le pouvoir politique et non la société même si les individus, en tant
que membres de la société, sont invités à respecter un certain nombre de dispositions.
C’est une prérogative de l’Etat qui s’inscrit dans une relation verticale entre l’autorité
politique et société civile. Dans l’édition de 1970 du petit Larousse, la laïcité est définie
comme étant un : « système qui exclut les Églises de l’exercice du pouvoir politique ou
administratif, et en particulier de l’organisation de l’enseignement public ». Cette définition
souligne, en France, l’importance de l’indépendance de l’appareil étatique vis-à-vis des
Eglises ou de façon beaucoup plus générale de toutes les religions. Ce qui est mis en
valeur ici, c’est la séparation de ces deux institutions. Pour compléter cette définition, la

128
Pena Ruiz, cité par Chalot dans le Figaro. Cf. mobile.agoravox.fr/actualites/societe.

216
laïcité est aussi souvent vue comme neutralité de l’Etat en matière religieuse. Cet aspect
de la "laïcité-neutralité" fait référence à la laïcité constitutionnelle et insiste – comme le
souligne Barbier, dans Nora (1993, p. 81) – sur le respect de la liberté religieuse. Pour lui,
l’évolution actuelle fait que la laïcité n’est plus définie en termes de séparation des Eglises
et de l’Etat, ni de neutralité de l’Etat à l’égard des religions, mais plus maintenant en termes
de liberté. Cette thèse se justifie actuellement. De plus en plus, et peut être à cause la
situation géopolitique de la France marquée par des tensions liées aux libertés
individuelles, le fondement de laïcité relatif à la liberté de conscience et à l’égalité entre
tous les citoyens est mis en avant pour tenter de définir ce concept de laïcité. Dans les
années 2000, les hommes politiques français définissaient la laïcité en insistant sur le fait
qu’elle garantit cette liberté de conscience.

La laïcité garantit la liberté de consciences. Elle protège la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle
assure à chacun la possibilité d’exprimer et de pratiquer sa foi, paisiblement, librement, sans
menace de se voir imposer d’autres convictions ou d’autres croyances. Elle permet à des femmes
et à des hommes venus de tous les horizons, de toutes les cultures, d’être protégés dans leurs
croyances par la République et ses institutions. Ouverte et généreuse, elle est le lieu privilégié de
la rencontre et de l’échange où chacun se retrouve pour apporter le meilleur à la communauté
nationale. C’est la neutralité de l’espace public qui permet la coexistence harmonieuse des
différentes religions129.

Ces deux exigences individuelles et collectives symbolisent l’équilibre nécessaire au


projet politique. La conception de la laïcité « à la française », s’appuyant sur des règles
juridiques et une organisation politique, insiste sur les libertés de la personne. Au moment
où en France l’antisémitisme et la haine des juifs montent en puissance, la recrudescence
du racisme gagne du terrain, certains lieux de culte sont saccagés…, ce discours du
président Chirac est axé sur le respect des libertés individuelles et des possibilités
qu’offrent la laïcité à des personnes de culture différentes de vivre ensemble. Il s'agit ici
de voir aujourd'hui l'évolution de la laïcité dans un contexte inévitablement différent avec
un pluralisme marqué par la diversité religieuse et culturelle. Cette situation soulève des
questions et des enjeux qui alimentent le débat et qui font que la laïcité est interpelée dans
ses principes fondamentaux.

129
Cf. Discours du 17 décembre 2003 du président de la République française, Jacques Chirac.

217
Quoi qu’il en soit, il semble évident, qu’au regard de tout ce qui vient d’être dit, l’Etat
français soit construit sur le modèle républicain laïque. Aussi, au regard de la place de la
religion au Sénégal et des critères mentionnés plus haut, il est clair que le modèle de
laïcité sénégalais s’oriente vers une conception différente du régime républicain de laïcité.
Avant de poursuivre notre analyse et de présenter d’autres régimes, il semble important
de procéder à une distinction entre sécularisation et laïcisation, deux processus de
référence. Ce travail paraît, en effet, indispensable au regard des nombreux contresens
qui entourent la notion de laïcité.

5- 4- 3 Laïcité et sécularisation

Laïcité et sécularisation, caractéristiques au départ des rapports entre Eglise(s) et Etat,


peuvent être unis par des liens divers et complexes. Cependant, même si ces deux
concepts se recoupent, ils ne décrivent pas les mêmes phénomènes. De par leur origine
étymologique, sécularisation et laïcisation ont un lien en commun avec le catholicisme.
D’une certaine manière, elles s’entrecroisent tout en évoquant des réalités différentes. Le
terme de laïcité est le plus souvent utilisé en France alors que dans les pays anglo-saxons,
c’est celui de sécularisation qui s’emploie généralement.

En France, avec toute la charge symbolique attachée à la séparation de l’Eglise et l’Etat de 1905, la
question de la laïcité comprise comme "séparation" structure nos représentations des rapports
Eglise(s)/Etat, et, plus globalement, de la place et du rôle de la religion dans la société. Mais c’est une
manière de voir française qui ne va pas de soi, notamment dans les pays protestants – les termes de
"laïcité", "laïque", "laïcisation" y sont d’ailleurs inconnus. (François Champion dans Nora
1993/5, p. 40).

L’affaiblissement ou la perte de vitesse du religieux, le processus qui a conduit à


l’émancipation de certaines sociétés occidentales revêt un caractère équivoque selon les
pays même si, çà et là, des ressemblances peuvent être notées entre certains d’entre –
eux. Dans certains pays anglo-saxons, comme le Danemark et l’Angleterre, où existe une
religion d’Etat, même si le terme de laïcité n’est pas employé, il faut noter cependant qu’ils
ne sont pas pour autant sous l’influence totale du religieux. D’après Willaime (1995, p. 96),
un pays comme le Danemark, avec le protestantisme comme religion d’Etat, est largement

218
sécularisé contrairement à la Turquie, pays laïque au niveau de sa constitution mais
aujourd’hui faiblement sécularisé. A partir de ces constats, quelle différence existe-t-il
entre les notions de sécularisation et de laïcisation ?

Définir la sécularisation est un exercice complexe du fait de la polysémie du terme.


Etymologiquement, la sécularisation, terme qui vient de séculier, signifie rendre au siècle
ou au monde. D’une manière simple et générale, la sécularisation consiste à faire passer
une personne ou un bien d’un état régulier à un état séculier, c’est-à-dire, au monde laïc,
profane. C’est ce qui est arrivé le 02 novembre 1789 quand l’assemblée constituante a
décidé de nationaliser les biens de l’Eglise en France. La gestion des affaires civiles est
passée de l’Eglise aux mains de séculiers, de civils qui ne cherchent qu’à défendre les
biens appartenant à la République qu’ils représentent. D’après Bouchet (1996),
désormais, dans l’organisation de la vie publique, les pouvoirs de décisions sont confiés
à des non-clercs (p. 4). Ce qui réduit ou limite considérablement le pouvoir social de
l’Eglise catholique. Il faut le souligner, du point de vue sémantique, il n’est pas facile de
faire une distinction entre ce qui vient d’être dit et le principe de laïcité en tant que
processus qui s’est historiquement et socialement construit dans le temps. Ce premier
sens, en effet, de la sécularisation, en Occident, consistant à un passage des biens de
l’Eglise dans le domaine étatique, réduit la portée de ce terme.

De l’avis d’Henri Pena-Ruiz, la sécularisation est une laïcisation inachevée, avec un fort
risque de laisser la place au « cléricalisme » à chaque fois que l’Etat procède à la
reconnaissance officielle de certaines confessions religieuses et donne la possibilité aux
Eglises de participer à l’exercice du pouvoir. (Pena-Ruiz, 2003, p. 23). Ce n’est pas l’avis
de certains théoriciens de la laïcité comme Baubérot. En réalité, il semble qu’il faut voir
dans le concept de sécularisation la perte d’influence des institutions religieuses. Pour
Baubérot et Mathieu (2002, p. 292), la sécularisation est à comprendre comme une
progressive et relative perte de pertinence du religieux s’effectuant principalement par le
jeu de la dynamique sociale. (Cité par Bobineau et Tank-storker, 2007, p. 42). Il apparaît
alors que les différents domaines de la société deviennent progressivement distincts.
Lenoir (2003), abonde dans le même sens, à la suite de P. Berger en invoquant la perte
d’influence des Eglises sur le plan institutionnel et culturel. La nationalisation des biens du
clergé va avec une privatisation du religieux. Il définit la sécularisation, comme un

219
« processus par lequel des secteurs de la société et de la culture sont soustraits à l’autorité
des institutions et des symboles religieux » (Lenoir, 2003, p. 28). Ce phénomène est
toutefois très complexe. La sécularisation renvoie donc à une certaine dynamique sociale
où la religion perd sa pertinence. Il semble donc qu’elle soit d’abord un constat : celui de
la perte d’influence de la religion, caractéristique des sociétés modernes.

Par contre, le processus de laïcisation, quant à lui, va plus loin que la sécularisation. Il
permet à l’Etat de procéder à une réorganisation et à un réaménagement des rapports
existant entre le pouvoir politique et les différentes religions. Ce qui est visé dans le
processus de laïcisation c’est impérativement l’autonomie de la pensé. Raison pour
laquelle, dans la mise en place en France du principe de laïcité, la liberté de conscience
est capitale et constitue l’un de ses fondements. La laïcisation fait donc référence au rôle
social et à la place de la religion dans les institutions publiques et définit les rapports entre
ce pouvoir spirituel et le pouvoir politique. D’après Micheline Milot (2002), sociologue
canadienne : « l’analyse sous le seul angle du processus de sécularisation met moins en
lumière les aménagements structurels, notamment juridiques, décidés par l’État et les
rapports de force entre groupes sociaux qui sont partie prenante à ces décisions ». Elle
soutient que la laïcisation « introduit dans le politique une mise à distance institutionnelle
de la religion dans la régulation globale de la société, notamment en contexte pluraliste.
Cette régulation se trouve traduite dans l’univers juridique. ». Aussi, « la laïcisation se
déroule rarement sans engendrer des rapports de force et susciter des débats politiques
puisqu’elle modifie le fonctionnement des institutions, tant religieuses que politiques. »
(Cité par Baubérot, 2007, p. 25). En d’autres termes, d’après Baubérot, la laïcisation
délimite le cadre de la sécularisation tout en l’enrichissant et la complétant. L’article 5 de
la Déclaration internationale sur la laïcité, rédigée par des universitaires de trente pays,
affirme qu’« un processus de laïcisation émerge quand l’État ne se trouve plus légitimé
par une religion ou une famille de pensée particulière et quand l’ensemble des citoyens
peuvent délibérer pacifiquement, en égalité des droits et de dignité, pour exercer leur
souveraineté dans l’exercice du pouvoir politique ». La laïcité y est définie comme «
l’harmonisation, dans diverses conjonctures sociohistoriques et géopolitiques » de trois
principes : « respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective,
autonomie du politique et de la société civile à l’égard des normes religieuses et
philosophiques particulières ; non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres

220
humains. » (Article 4). Elle insiste sur le fait que « des éléments de laïcité apparaissent
nécessairement dans toute société qui veut harmoniser des rapports sociaux marqués par
des intérêts et des conceptions morales ou religieuses plurielles » (Article 5), et, en
définitive, la laïcité n’est « l’apanage d’aucune culture, d’aucune nation, d’aucun continent.
Elle peut exister dans des conjonctures où le terme n’a pas été traditionnellement utilisé
», Article 7 (Cité par Baubérot, 2007, pp. 25-26).

Ainsi, pour traduire cette perte d’influence de la religion appelée : « sécularisation » en


termes d’organisation politique, la laïcité de l’Etat a été présentée comme l’une des
solutions possibles. Pour Foray (2008) : ce « n’est pas une raison suffisante pour
déprécier l’organisation politique d’une société qui ne l’est pas. » (p. 25). Même si la laïcité
est le produit typique issu de l’histoire de la République française, elle a été traduite dans
d’autres contextes et aujourd’hui, nombreux sont les Etats laïques ou simplement
séculiers. La conception de la laïcité « à la française » ne doit qu’être considérée comme
une « particularité appelée à évaluer ses forces et faiblesses, en se comparant avec
d’autres configurations politiques » (Idem.).

5- 4- 4 Des exemples de sécularisation ou de laïcisation

A travers le monde existe, en effet, dans la pratique, différentes traductions du principe de


laïcité. Ces dernières sont souvent même très éloignées les unes des autres. Les diverses
situation socio-historiques dans le monde ont permis de constater l’existence, en réalité,
de différences entre les démocraties par rapport à la place et au statut des religions ainsi
que des organisations et associations confessionnelles. Malgré ces divergences, il faut
noter qu’il peut avoir entre les différents Etats « des convergences de principes fondés sur
les Droits de l’homme, référés à des chartes, déclarations, ou conventions de portée
internationale ou régionale, garantis par le droit, invoqués couramment dans les débats
publics, et par conséquent légitimés par la conscience collective et la culture politique ».
(Martin, 2007). S’il est admis, en général, que les situations et les contextes varient en
fonction des peuples et des types de société ; il est aussi clair que des peuples de
traditions différentes peuvent être appelés à entreprendre des tentatives de dialogue dans
le cadre des coopérations sous-régionales ou régionales. Ces initiatives traduisent,

221
malgré les différences et les diversités qui caractérisent chaque société, leur commun
vouloir de vivre ensemble et de se reconnaître dans une sorte d’identité commune à un
espace géographique et/ou politique. Ces orientations n’enlèvent en rien donc les
spécificités de chaque Etat dans tel ou tel autre domaine. La question de la religion, par
exemple, n’est pas du tout traitée et n’a pas le même statut dans tous les pays. Aussi,
l’organisation des rapports avec le pouvoir spirituel ou les religions semble différente selon
les Etats en raison de la diversité des contextes historico-culturels, de l’influence des
religions et surtout des formes de laïcités qui se sont construites dans le temps. Il suffit de
jeter un coup d’œil rapide dans les différents textes constitutionnels pour se rendre compte
de cette diversité et de la singularité de chaque Etat. Dans la loi fondamentale de certains
Etats, apparaît des références liées à la religion alors que dans d’autres, elles sont
absentes. Les relations entre religions et Etat sont très diversifiées selon les pays et les
époques. Dans d’autres Etats, celles-ci sont très éloignées de ce qui est observé, par
exemple, en France actuellement. Pendant des siècles, en occident, la religion avait une
place fondamentale, importante, voire centrale dans la société. Et la vie était organisée
selon les normes de conduite inspirée par elle. Aujourd’hui, suivant les sociétés, les
rapports entre le politique et la religion sont distincts et singuliers. Aussi le processus
d’émancipation de ces dernières vis-à-vis de la religion s’est effectué différemment. Dans
les pays anglo-saxons et germaniques, il s’est fait selon une logique de sécularisation
alors dans d’autres, il est plutôt question de laïcisation. D’après Bobineau et Tank-Storper
(2007), le terme laïcité est un concept politique qui renvoie à la garantie de la liberté de
conscience et de la neutralité de l’Etat par rapport à toutes les confessions religieuses
alors que celui de sécularisation est plutôt tourné vers un processus socio-historique, « …
la progressive et relative perte de pertinence du religieux… » (p. 24). La situation en
France, au fil du temps, est marquée par une séparation très stricte entre la puissance
publique et les cultes. Au moment où, en Allemagne, c’est un système de collaboration
entre l’Etat et la religion qui s’est imposé. En réalité le cas de l’Allemagne, comme
d’ailleurs celui de nombreux pays européens, est différent de celui de France dans la
mesure où l’émancipation du pouvoir politique par rapport à la religion ne s’est pas inscrite
dans une logique conflictuelle. Ici, le point de départ est sans doute la Réforme protestante
menée par Luther. En Allemagne, la question qui s’est posée a été celle de la coexistence
du catholicisme et du protestantisme et non le problème du rôle du religieux dans la
gestion de l’Etat et de sa place au sein de la société. Il s’est agi donc de voir « comment

222
organiser l’exercice de la souveraineté politique tout en assurant la co-présence pacifique
de deux confessions dont aucune n’avait réussi à vaincre l’autre. De cela, est née la bi-
confessionnalité et la mise en place de formes de coopération entre les pouvoirs publics
et les Eglises » (p. 53). Dans la République fédérale allemande, la laïcité a pris une forme
"partenariale" ; c’est-à-dire, un régime « dans lequel les Eglises sont des formes sociales
institutionnalisées de plus en plus organisées qui ont encore du pouvoir dans la société
allemande » (Bobineau et Tank-Storper, 2007, p. 55). Selon ces deux auteurs, pour
comprendre cette vision "partenariale", il est nécessaire de tenir compte du phénomène
nazi et communiste, de l’histoire d’Allemagne, qui ont été farouchement opposés aux
religions et du fait que le catholicisme et le protestantisme ont tous les deux « pris part
dans le processus de dénazification et de reconstruction du pays. La référence religieuse
et chrétienne devient dès lors une source de légitimité face aux Alliés occidentaux »
(Idem). Cette légitimité des Eglises se traduit concrètement par la référence à Dieu dans
la constitution allemande du 23 mai 1949. Le préambule du texte constitutionnel stipule
que « conscient de sa responsabilité devant Dieu et les hommes, animé de la volonté de
servir la paix du monde en qualité de membre égal en droits dans une Europe unie, le
peuple allemand s’est donné la présente Loi fondamentale en vertu de son pouvoir
constituant ». (Cité par Bobineau et Tank-Storper (2007, p. 53). Les religions, ou plus
précisément le culte catholique et protestant, ont une influence reconnue et un rôle social.
Ce qui, en aucun cas, ne remet en cause l’autonomie de l’Etat et la garantie des libertés
individuelles et l’égalité de tous. Par conséquent, il n’y a pas d’Eglises établies, ni de
religion d’Etat même si ce dernier permet aux différentes institutions confessionnelles de
s’exprimer et d’intervenir dans la sphère publique à travers différents domaines dont celui
de l’école :

Sur le plan scolaire, l’instruction religieuse est une matière d’enseignement régulière dans les écoles
publiques ; elle est dispensée conformément aux principes des communautés religieuses, sans un
contrôle véritable de l’Etat. Concrètement, l’enseignement religieux est une matière obligatoire et
notée au même titre que les autres matières tout au long de la scolarité de l’élève jusqu’au
baccalauréat. Existant dans toutes les écoles, même publiques, l’assistance y est obligatoire pour
tous, même si, à partir de 14 ans, l’élève peut choisir entre un cours de religion et un cours d’éthique.
La prise en charge de cet enseignement dans les écoles publiques est assurée par les ministères
de l’Education, de la Science et de l’Art de chaque « land » (appelés encore « Kultusministerium »
ou ministre du culte) en lien avec les autorités religieuses. (Bobineau, 2005, cité dans

Bobineau et Tank-Storper 2007, p. 54).

223
La présence de l’Eglise dans la sphère scolaire et dans de multiples autres lieux
institutionnels témoigne de ce partenariat. Aussi, à travers de nombreuses activités
croisées telles que le prélèvement de l’impôt d’Eglise dans le domaine fiscal, la
coopération entre l’Etat allemand et les Eglises se traduit concrètement. La religion
continue encore d’avoir une place de choix dans la culture germanique. Cependant, il
convient de rappeler qu’il n’existe pas de religion d’Etat en Allemagne et que l’Etat a à peu
près la même considération pour tous les cultes traditionnels. Pour l’instant, il n’est pas
question d’une transformation dans le but d’intégrer les nouvelles religions. En définitive,
le cas de l’Allemagne présente une vision coopérative des relations entre l’Etat les
différentes institutions religieuses appelé régime "partenarial" (ou "Partnerschaft"). Entre
ces deux modèles – français et allemand –, il existe une diversité de formes de laïcité
développées dans les autres Etats, qu’ils soient de traditions latines ou anglo-saxons, du
continent européen, américain, africain ou asiatique. D’ailleurs ces deux auteurs –
Bobineau et Tank-Storper (2007) – préfèrent employer le terme d’« une palette des
laïcités, où plusieurs modèles dessinent des trajectoires politiques et religieuses
différenciées, chacune ayant sa singularité socio-historique. Ces modèles peuvent être
appréhendés comme autant de formulations sociales et de configurations politiques
opérant par compromis (temporaire) l’articulation du politique et du religieux » (p. 58).
Selon ces auteurs, ce compromis est appelé à tendre vers une évolution et une
transformation en raison de la configuration des rapports de forces, des stratégies et des
intérêts des uns et des autres. Quoi qu’il en soit, il semble important de souligner le fait
que si dans le monde francophone, et notamment en France, il est question de processus
de laïcisation, dans les pays anglo-saxons, c’est plutôt le terme de sécularisation qui est
employé.

La situation en Grande-Bretagne est particulièrement différente. En effet, si en Angleterre,


c’est l’Eglise anglicane qui y est établie et y a une certaine influence, dans d’autres pays
comme l’Ecosse par contre, c’est l’Eglise presbytérienne qui y détient des droits. En
Irlande et au Pays de Galles, depuis respectivement 1871 et 1920, il n’existe plus d’Eglise
établie. Par l’expression "Eglise établie" il faut comprendre qu’une institution religieuse
possède un certain nombre de droits reconnus et qu’elle est assujettie à des
responsabilités comme le souligne Champion (1993). Selon lui, en Angleterre :

224
Le souverain est chef de l’Eglise et officiellement « défenseur de la foi ». L’épiscopat anglican est
représenté à la Chambre des lords par vingt-six évêques ; les assemblées de l’Eglise font partie des
organes législatifs du pays ; les ministres anglicans ne sont pas seulement les ministres d’un culte
parmi d’autres : ce sont des magistrats. Cela s’accompagne d’une dépendance de l’Eglise par
rapport à l’Etat ; l’Eglise est sous contrôle parlementaire en ce qui concerne sa doctrine, son culte
et la nomination de son personnel dirigeant. Elle n’est néanmoins pas une Eglise d’Etat en ce sens
qu’elle n’est nullement, à l’instar du Danemark, un des départements de l’Etat . (Champion, 1993,

cité dans Baubérot, 1996, p. 67).

Ce qu’il faut souligner, c’est qu’avec la sécularisation, en Angleterre, s’est instaurée une
progressive transformation du statut d’"Eglise établie" de l’Eglise anglicane qui ne possède
pratiquement plus ou peu de privilèges officiels par rapport autres cultes chrétiens. Cette
situation a aussi permis de garantir la liberté religieuse. Il faut souligner également que
« la lutte pour la liberté religieuse, commencée dès le 17ème siècle et qui avait conduit à la
Loi sur la tolérance (1689), donnant une liberté partielle, mais néanmoins conséquente
pour l’époque, aux principales branches du non-conformisme protestant, n’a véritablement
repris qu’au 19ème siècle ». (Champion, 1993, cité dans Baubérot, 1996, p. 67). En effet,
ces protestants non-conformistes n’eurent l’autorisation de participer dans les instances
des municipalités qu’en 1828. Quant aux catholiques, il a fallu attendre l’année suivante
pour que la loi de leur émancipation soit votée et qu’ils deviennent véritablement des
citoyens. En définitive, avec les changements apportés au niveau institutionnel et juridique
qui permirent d’instaurer l’égalité de tous et de réaffirmer la liberté de conscience, la
question de la remise en cause du statut d’"Eglise établie" de l’Eglise anglicane n’était
plus vue comme un impératif. « Plutôt que de rompre ses attaches avec l’anglicanisme en
tant que religion établie, la société anglaise préfère en quelque sorte les distendre en
accordant progressivement de plus en plus de valeur religieuse et sociale à toutes les
confessions chrétiennes. » (Champion, 1993, cité dans Baubérot, 1996, p. 68). Dans la
sphère scolaire, une transformation progressive du système d’enseignement se met en
place avec la loi Forster qui, en 1870, privilégie la création d’écoles primaires sous la
tutelle de l’Etat. Elle permettait aussi aux établissements de type confessionnel de se
maintenir. Toujours dans la même dynamique de prise en compte de toutes les
confessions chrétiennes, l’Etat subventionne toutes les écoles confessionnelles. A partir
du milieu du 20ème siècle, comme le souligne Champion (1993), « avec l’Educational Act
de 1944, les écoles d’Etat sont devenues très largement prépondérantes, l’enseignement

225
étatique a assuré un programme d’éducation religieuse et une prière du matin à l’école
non confessionnelle (ou interconfessionnelle) » (p. 68). Il semble donc en Angleterre que
la sécularisation « s’est réalisée à travers un évidement du statut privilégié et du rôle
spécifique de l’anglicanisme » (Idem).

En résumé, dans le cas de l’Etat germanique, comme pour l’Angleterre, un régime de


coopération a été officialisé entre la puissance publique et les différentes forces
religieuses. En Allemagne, l’Etat s’appuie sur un système de partenariat avec une pluralité
de confessions religieuses. Ce qui renvoie à un régime pluraliste. En Angleterre, par
contre, même si l’achèvement de la dynamique d’émancipation du religieux a ouvert la
voie à un multi-confessionnalisme donnant place aux différentes confessions chrétiennes,
il semble que ce régime soit de type moniste dans la mesure où la coopération entre le
pouvoir politique et les forces religieuses laisse plus de responsabilités sociales et de
prérogatives à l’Église anglicane.

Cependant, à côté de ces deux modèles de sécularisation, beaucoup d’autres pays se


réclament de la laïcité. Mais comme le souligne Cadène (2015) :

Parmi les pays qui se revendiquent laïques : la Belgique, où a été instaurée « la laïcité organisée »,
assimilable à une conviction, ce que la laïcité française ne saurait être ; la Turquie, où la religion est
contrôlée par l’Etat alors qu’en France elle est séparée de l’Etat ; l’Inde, mais où l’Etat peut
reconnaître le droit basé sur la religion, ce qui est impossible en France ; le Brésil (à 88% chrétien)
et le Sénégal (à 94% musulman), mais où l’influence des religions sur les affaires de l’Etat reste très
forte ; ou encore le Mexique, dont le système se rapproche très nettement du français (p. 220).

Ces précisions permettent de mieux comprendre les enjeux actuels de la laïcité. En réalité,
selon les époques et en fonction des pays et des enjeux sociaux actuels, les principes de
base de la laïcité s’articulent de façon différente ; leur interprétation aussi se fait en lien
avec des caractéristiques qui se réfèrent à des contextes bien déterminés. D’un Etat à un
autre ou à l’intérieur même de chacun d’eux, existent des aménagements spécifiques de
ces éléments fondamentaux de la laïcité que sont la liberté de conscience, l’égalité entre
tous, la séparation des pouvoirs et la neutralité de la puissance publique. D’après
Baubérot et Mulot (2011) : « les différentes modulations dans la mise en œuvre des
principes de laïcité expliquent pourquoi les débats au sujet de cette réalité politique font

226
souvent référence à des qualificatifs tels que radicale, ouverte, stricte, républicaine,
intégrale, etc. » (p. 87). Ces deux auteurs estiment que ces expressions prouvent
simplement que « la laïcité apparaît selon des configurations différentes qui se trouvent
souvent en concurrence dans une même société… » (Idem.).

5- 4- 5 Les modèles de laïcité

Taylor et Maclure (2010), à travers leur livre : Laïcité et liberté de conscience, ramènent
tous les types de laïcité à deux modèles qui sont l’un, républicain et l’autre, libéral
pluraliste. Ces auteurs défendent l’idée selon laquelle le premier modèle, caractérisé par
une conception antireligieuse selon eux, serait obsolète par rapport à la configuration de
beaucoup d’Etats et par conséquent, qu’il faudrait mieux le remplacer par une forme
pluraliste qui prendrait en compte la question des diversités. Leur thèse cadre avec la
politique multiculturaliste développée actuellement au Québec.

Reprenant les thèses de Charles Taylor et Jocelyn Maclure (2010), Mbonda (2016),
rappelle que la notion de laïcité est une idée complexe du fait qu’elle s’agit d’un ensemble
de principes, de finalités et d’arrangements institutionnels qui découlent de l’articulation
de ses principes fondamentaux tels que la liberté de conscience et l’égalité entre tous.
Vue sous cet angle, la cohérence des différentes modulations de ces principes constitutifs
ne découle pas de soi et explique cette complexité. Toujours en est-il, Mbonda (2016)
insiste sur le fait que :

Les deux auteurs, [Taylor et Maclure], ramènent toutes les formes de laïcité à deux modèles ou
idéaux types : une laïcité républicaine et une laïcité libérale pluraliste. Dans le cadre du premier
modèle, l’État travaille à la relégation de la religion dans la sphère privée pour ne laisser émerger
qu’une identité civique commune, garante de l’égalité morale entre tous les individus. Le modèle
libéral-pluraliste en revanche essaie de trouver un équilibre entre la liberté de conscience et le
respect de l’égalité entre les sujets, en laissant que s’expriment les différences religieuses sur
l’espace public tant qu’elles ne compromettent pas les mêmes droits chez les autres et ne portent
pas atteinte à l’ordre public.

227
En fait, Taylor et Maclure (2010) défendent l’idée que si le principe de laïcité doit « (…)
aujourd’hui se comprendre dans le cadre plus large de la diversité des croyances et des
valeurs auxquelles adhèrent les citoyens » (p. 13), alors toutes les croyances et la religion
y compris doivent faire l’objet d’une protection juridique particulière. Ainsi, ils préconisent
l’abandon du régime républicain de laïcité qu’ils définissent par son caractère antireligieux
au profit d’une vision libérale pluraliste. Ces deux auteurs militent pour le remplacement
de la laïcité républicaine dans la mesure où elle soutiendrait « une conception séculière
englobante » (p. 33). Cette typologie de la laïcité : « en plus du respect de l’égalité morale
et de la liberté de conscience [vise] l’émancipation des individus et l’essor d’une identité
civique commune, ce qui exige une mise à distance des appartenances religieuses et leur
refoulement dans la sphère privée » (p.45). Par contre, la forme de laïcité libérale pluraliste
prendrait en compte la question de la diversité sociale, c’est-à-dire la variété des origines,
des opinions et des croyances dont celles religieuses. A l’opposé de la laïcité républicaine,
le régime libéral pluraliste soutient l’idée selon laquelle toutes les convictions
philosophiques et religieuses peuvent s’exprimer dans l’espace public dans le respect de
l’ordre public et dans la mesure où un groupe ne chercherait pas à transformer l’Etat en
une institution à caractère confessionnel. Ainsi, « il conviendrait d’après Jocelyn Maclure
et Charles Taylor d’approfondir l’idéal de tolérance entendu comme la possibilité sociale
de surmonter les différences d’opinions par le dialogue entre les personnes et les
différentes communautés, dialogue démocratique, vecteur de l’accès de tous à la liberté
d’expression. » (Grange, 2012, p. 168). La vision libérale pluraliste de la laïcité défendue
ici par les deux auteurs s’inscrit dans une approche multiculturelle de la politique au
Canada et plus particulièrement de celle québécoise où il est question d’un
accommodement raisonnable en lien avec les évolutions actuelles de la société marquée
par une diversité. Ce pluralisme culturel conçoit la notion d’Etat comme étant un cadre
non seulement pour tous les individus mais également pour les différents groupes
d’appartenances tels que la famille, l’ethnie et les diverses communautés religieuses, etc.
Aujourd’hui, le concept de pluralisme culturel est rebaptisé dans certains contextes, le
multiculturalisme130. Ce concept, d’après Mbonda (2016) possède au moins deux
significations : la première est sociologique et fait référence,

130
Voir : Le multiculturalisme au cœur – entretien avec Michael Walzer, dans Critique Internationale, N° 03,
printemps 1999, (pp. 55-63).

228
de façon descriptive, à la diversité des cultures, des religions, des langues, des traditions qui
coexistent dans une même société. De ce point de vue strictement phénoménologique, on peut dire
que tous les pays sont multiculturels, parce qu’aujourd’hui, on observe partout des formes plus ou
moins marquées de diversité ethnoculturelle ou religieuse, même dans les sociétés apparemment
homogènes. La seconde signification est d’ordre politique. Elle désigne les dispositifs institutionnels
mis en place pour la gestion des identités ethnoculturelles, les réponses aux questions du vivre
ensemble que soulève la diversité culturelle. (Mbonda, 2016).

Les Etats qui appliquent une politique multiculturelle envisagent les écoles comme des
lieux où les élèves peuvent apprendre, dans le respect des valeurs du pluralisme, à vivre
ensemble. Les réformes éducatives s’inscrivent dans cette logique et conçoivent
l’éducation comme un tout prenant en compte toutes les dimensions de l’individu. Selon
donc les pays, les types de société, les contextes nationaux, les réalités historiques, les
époques, voire même les aménagements constitutionnels, les Etats sont amenés à opter
pour une forme de laïcité plutôt que l’autre ; où à l’intérieur d’un même Etat à passer de
l’une à l’autre par des dispositions constitutionnelles et des arrangements institutionnels
soutenus par l’évolution normale de la société à une période bien définie de son histoire.
En ce qui concerne le Sénégal, dans la définition de la nature de l’Etat, il a choisi
délibérément un régime politique centré principalement sur des principes généraux dont
le premier énuméré dans la loi fondamentale est celui de la laïcité. Selon l’analyse de
Samb (2005), « elle [la laïcité] a aménagé institutionnellement, pour les communautés
religieuses, une place théoriquement égale à celle de l’Etat dans un domaine stratégique
comme l’éducation de la jeunesse. Enfin, les institutions et les communautés religieuses
ont une autonomie de pensée, d’organisation et d’action formellement garantie par la
Constitution. » (p. 128). Ainsi, la thèse de Taylor et Maclure (2010) justifie les nombreux
rapports qui lient le pouvoir temporel et spirituel dans beaucoup de pays subsahariens et
permet de soutenir l’idée que dans le cas spécifique du Sénégal, le modèle de laïcité tend
plutôt vers une version « libérale pluraliste » que vers celle d’« une laïcité républicaine ».

L’un des fondements du principe de laïcité est la séparation de l’Etat et de la religion. Il


implique aussi l’impartialité de celui-ci vis-à-vis de toutes confessions religieuses
présentes dans la société. Aux yeux de l’Etat, elles sont toutes égales. La laïcité donc
s’oppose à la reconnaissance ou à l’acceptation d’une religion d’Etat. Si au Sénégal, il
n’est pas noté l’existence de celle-ci, par contre, les communautés religieuses exercent

229
une influence certaine sur l’ensemble de la population et aussi les rapports entre le
temporel et le spirituel sont rythmés par une implication des guides religieux dans le débat
politique national. De la période coloniale jusqu’à l’époque contemporaine, les guides
confrériques musulmans, surtout, ont marqué de leur empreinte la vie sociale et politique.
Ce contexte particulier du Sénégal marqué par l’omniprésence de la religion a attiré
beaucoup de chercheurs. Les précurseurs de cette étude sur les marabouts et la politique
sont d’abord l’œuvre d’étrangers. Il s’agit de Marty (1917), Coulon (1971, 1981, 1983,
2003), Cruise- O’Brien (1982), Magassouba (1985), etc. Cette première vague d’auteurs
a cherché à analyser les rapports qu’entretiennent ces guides religieux avec le pouvoir
colonial d’une part et d’autre part, après les indépendances, avec les autorités étatiques,
et à montrer l’influence qu’ils ont su instaurer dans une société fortement islamisée. La fin
des années 1990 et le début des années 2000 seront marqués par l’émergence une vague
de chercheurs sénégalais s’intéressant à la question laïque et aux rapports complexes
entre le temporel et le spirituel. Le contexte mondial marqué par une remise en cause de
la laïcité aura des répercussions au Sénégal où l’an 2000 coïncide avec la première
alternance. Cette situation favorise une prolifération de contributions sur la laïcité et le
statut de la religion. A titre d’exemple, Monjeb (1998) étudie le facteur confessionnel dans
le comportement électoral, politique et social. Diouf Makhtar (2000) revient sur les rapports
entre l’Etat et la religion en lien avec la laïcité. Guèye Cheikh (2005) décrypte la
participation des marabouts dans la vie politique qui, d’après lui, « … n’est pas contraire
aux principes de laïcité » (p. 632). Diop Momar Coumba (2013) apporte un éclairage sur
la situation de la laïcité sous le régime de l’alternance politique. Les travaux de Samb 131
(2005) ont également contribué à apporter un éclairage à notre travail de recherche. Ses
écrits antérieurs témoignent de son engagement dans la voix de clarification du débat sur
la laïcité et la réalité sénégalaise, c’est-à-dire celle d’un Etat laïque avec une majorité
musulmane et des minorités religieuses. Ainsi en 1987, il apporte une contribution dans le
journal officiel, Le Soleil, 24-26 janv. p. 7 intitulé : « De la laïcité comme exigence de la
démocratie ». Aussi, dans la Revue Conscience et Liberté, il publie : « Les aspects
juridiques de la liberté religieuse au Sénégal (1988), n° 35, pp. 21-26 ; « Une majorité
musulmane et des minorités religieuses dans un Etat laïque : l’expérience sénégalaise »

131
Djibril Samb est professeur titulaire des universités de classe exceptionnelle et est membre de plusieurs
Académies françaises. Et depuis 2002, il est le secrétaire du Conseil de l’Ordre internationale des Palmes
académiques au CAMES (Conseil africain et malgache pour l’Enseignement supérieur. Au Sénégal, il se
positionne comme l’un des spécialistes de la question laïque, du statut de la religion dans la société et des
rapports interconfessionnels.

230
(1990), n°39, pp. 88-97. La revue, Conscience et Liberté (Berne), fait paraître : « Les
minorités religieuses dans les pays musulmans non-arabes » (1991), n° 41, p. 76-80.
Dans les années 2000, la polémique engendrée, d’un part, par les allégeances ouvertes
de la plus haute autorité, à savoir : le président de la République, à son guide religieux et
d’autre part, par le projet de révision constitutionnelle sur le code de la famille, est de
nature à créer des amalgames et incompréhensions par rapport à la laïcité. Djibril Samb,
à travers son livre, Comprendre la laïcité, publié en 2005, aux Nouvelles Editions Africaine
du Sénégal (NEAS), apporte sa contribution dans le but de lever toute équivoque par
rapport à cette notion. Grâce à des apports philosophiques, historiques et juridiques, il
revient sur l’archéologie, la signification, les origines et l’apparition du principe de laïcité.
Aussi, il éclaire l’opinion publique sur les rapports entre le temporel et le spirituel de
l’antiquité à la fin du moyen âge. Djibril Samb, à partir d’une série de chapitres, qui
résument un peu ses écrits antérieurs, analyse "l’acclimatation" de la laïcité dans ce pays
à majorité musulman, marqué par un pluralisme religieux où cohabitent harmonieusement
différentes religions. Dans ce livre donc, l’auteur nous livre ses points de vue sur
l’expérience sénégalaise en matière de laïcité : avec un caractère non-agressif, non
antireligieux, visant l’égalité de tous les citoyens et la protection de la liberté de
conscience. D’après Samb (2005) :

Le Sénégal vit ainsi sous le régime d’une laïcité modérée ignorant toute connotation antireligieux.
Ici, la laïcité n’est pas le résultat d’une longue lutte de la société civile contre une collusion
Etat/Eglise jalonnée, comme en Europe, de violentes collisions. Elle a été plutôt adoptée, à
l’avènement du Sénégal à la souveraineté internationale, comme système institutionnel
d’organisation des rapports Etat/religion capable, à l’ère moderne, de maintenir et de préserver une
tradition sénégalaise séculaire de tolérance et de liberté religieuse . (…) Mais, au regard de
l’expérience, il est établi que le maintien et la préservation de ce système laïque requièrent une
vigilance et une lucidité permanentes (p. 144).

Les recherches citées ci-dessus de ces différents auteurs analystes des rapports entre
religions et Etat au Sénégal et plus particulièrement Djibril Samb montrent toute la
spécificité de la situation du Sénégal en matière de laïcité. Et donc le modèle sénégalais
de laïcité, semble-t-il, serait différent de celui d’un régime républicain. Djibril Samb, par
cette affirmation parle « d’un régime de laïcité modéré » et appelle à la prudence compte
tenue des nombreuses agitations et des débats dont la laïcité fait l’objet. Cette position de

231
l’auteur de « comprendre la laïcité » (Samb, 2005) signifierait-elle que ce modèle
sénégalais tout en se caractérisant par une certaine particularité avec des forces et une
solidité avérée, présenterait également une fragilité liée à la nature même des relations
entre les guides religieux et les autorités étatiques ou au rapport qu’entretiennent les
sénégalais avec la religion.

En attendant de vérifier ce point de vue auprès de nos interlocuteurs à travers notre


enquête de terrain, il semble que le principe de laïcité, quelle que soit la forme qu’il prend
selon les Etats, est souvent présenté comme un moyen de vivre ensemble. En définitive,
la laïcité : choix éthique et aussi politique, traduit juridiquement, se fixe comme finalité de
permettre à toutes les différentes composantes de la société, malgré leurs différences
philosophiques, culturelles, religieuses, voire même ethniques, de s’entendre, de se
respecter et de vivre ensemble grâce à un engagement constructif et conscient de la
puissance publique. Dans ce contexte, un Etat comme le Sénégal, caractérisé par un
brassage très important de sa population du fait des échanges, l’heure est à l’unité
nationale prônée par certains hommes politiques. L’appel au vivre-ensemble se fait aussi
entendre. L’Etat a l’obligation de prendre en compte toutes les couches de la société pour
bâtir une unité nationale. Le concept du vivre-ensemble prend tout son sens. Il implique
l’inclusion sociale et l’ouverture. Le défi social est donc de construire des espaces de
rencontres et d’échanges sur la base du respect mutuel. Vivre ensemble ne consiste pas
simplement à cohabiter mais à être ensemble, avoir un avenir commun et des projets
communs, conditions nécessaires pour l’instauration de l’unité nationale. L’accent, ici, est
mis sur l’unité du pays, condition capitale qui permet de vivre ensemble ; chaque citoyen
donc est invité à œuvrer pour son accomplissement. La laïcité peut permettre de fonder
le vivre-ensemble. Pour poursuivre le débat autour de ces deux modèles de laïcité
distingués, à savoir : le régime républicain laïque et la conception pluraliste de la laïcité,
notre analyse s’oriente vers le lien entre laïcité et valeur(s).

232
5- 4- 6 Laïcité et valeur(s)

Dans l’actualité médiatique internationale, il est de plus en plus fréquent d’entendre


certaines personnes faire le lien entre laïcité et valeur(s). Beaucoup de prise de paroles
sur ce sujet ou de définitions concernant la laïcité commencent par ces termes : « la laïcité
est une valeur… », ou « … des valeurs ». Ces affirmations méritent d’être analysées. Il
s’agit ici d’expliciter la notion de valeur et de se demander si la laïcité peut réellement être
considérée comme une valeur. En d’autres termes, « il convient de poser la question de
savoir si et dans quelles limites la laïcité peut être considérée comme une valeur » (Kahn
P., 2007, p. 29).

Avant de réfléchir sur le lien qui les unit, il semble nécessaire d’élucider la notion de valeur.
« La valeur morale prend le plus souvent le sens d’un idéal à atteindre. (…) La valeur
exprime une réalité idéalisée. Elle évoque un vœu ou un désir à réaliser. » (Jeffey, 1999,
p. 129). Dans une acceptation large, comme Clément E., et al. (2000) le soutiennent, la
valeur renvoie à la : « qualité des choses, des personnes, des conduites, que leur
conformité à une norme ou leur proximité par rapport à un idéal rendent particulièrement
digne d'estime » (p. 460). En d'autres termes, la valeur donne du sens à l’existence. C'est,
ce à quoi nous tenons par-dessus tout et sans quoi, il n’y a plus de repère. Cependant,
d'après Houssaye (2008), « la valeur ne désigne donc pas seulement ce qui est, mais tout
autant sinon davantage, ce qui doit être » (p. 675). La valeur peut être considérée comme
un fait social, culturel, conforme à la raison et qui répond aux besoins fondamentaux de
la majorité des membres de la communauté. Elle permet de vivre en équilibre harmonieux
avec soi et les autres.

Aujourd’hui, la laïcité comme principe républicain s’invite dans tous les débats au sein de
certaines sociétés à tel point que beaucoup pensent qu’elle est plus populaire que leur
devise nationale. Toutefois la popularité de la laïcité n’obscure pas sa complexité et sa
problématique liées à une série de facteurs qui se sont conjugués au cours de ces
dernières décennies. Face à la montée de l’antisémitisme, du racisme, de la xénophobie
et de l’homophobie, la laïcité est interrogée dans ses fondements, voire même remise en
cause. Cependant même si les uns la critiquent et les autres la défendent, elle est en
général acceptée par les sociétés et reconnue comme garantissant les libertés

233
individuelles et les droits des citoyens. La diversité dans une population fait que certains
voient en la laïcité un moyen de vivre ensemble. C’est un idéal à atteindre, une volonté de
dépasser les différences et d’aspirer à un avenir meilleur. En tant que principe politique et
cadre juridique, elle aurait comme finalité d’apaiser les tensions. Avec la laïcité, il ne
devrait plus avoir ni exclusion, ni violence, ni haine de l’autre. Tout le monde devrait vivre
mieux et en parfaite entente. « Or qui dit mieux (vivre) dit valeur » (Reboul, 1992, p.1).
Alors, la laïcité serait-elle une valeur dans certains pays ?

La laïcité fait partie intégrante de nos valeurs. Elle est au cœur de notre identité, de notre identité
républicaine, de notre âme. Pourtant, elle est aujourd’hui attaquée de toutes parts, contestée,
critiquée. (…) Dans ce moment où les repères se brouillent, nous avons besoin de clarté, et donc
nous avons besoin de laïcité. Car pas d’unité, pas d’apaisement, pas de progrès sans laïcité ! (…)
La laïcité, c’est la réponse construite par la République pour respecter et dépasser nos
appartenances personnelles. Elle est un élément fondamental de la "construction du commun",
selon cette belle expression d’Abdennour BIDAR132

Prise sous cet angle, avec cet idéal commun de vivre ensemble, certains soutiennent donc
que la laïcité est une des valeurs de la République française. Cette position n’est pas
nouvelle. Pour Français Hollande, alors premier secrétaire du PS : « la laïcité c’est à la
fois des valeurs et un cadre juridique. La première des valeurs c’est de fonder le "vivre-
ensemble" dans la République, permettant à des citoyens, dans l’espace public, de
transcender la particularité de leurs choix spirituels. » (Cité par Khaldi, 2015, p. 22). Ce
point de vue n’est pas un cas isolé. Cette position est partagée par d’autres. Pour
Bergounioux (1995) par exemple : « la laïcité est aujourd’hui une valeur reconnue. La
laïcité est pourtant une valeur toujours discutée. Ces deux affirmations sont
simultanément vraies… » (p. 17). Même s’il est vrai que, de par son histoire, l’avènement
de la laïcité est lié indéniablement à la guerre des "deux France", et aussi qu’elle continue
à alimenter les débats, force est de reconnaître aujourd’hui que comme cadre juridique,
elle gère les rapports entre l’Etat et les différentes religions présentes dans la société
française. Il faut aussi noter que les débats concernant la laïcité, depuis un certain temps,
se sont beaucoup plus accentués au niveau de l’espace scolaire avec les questions liées
au "port du foulard islamique " par exemple intervenues en 1989.

132
Discours du président de la République Française, François Hollande, lors du prix de la laïcité le 26
octobre 2015.

234
En réalité, « le paysage religieux a profondément changé » (Bergounioux (1995, p.18). Et
par conséquent, la laïcité se trouve confrontée à de nouveaux défis. Comment alors
s’adapter à ce changement ? Comment tout en appliquant le principe de laïcité permettre
à tout le monde de vivre-ensemble ? Question complexe touchant à la fois la puissance
politique et les libertés individuelles. Certes, même si l’autonomie de l’individu est
considérée comme une valeur capitale, la laïcité suppose quatre principes essentiellement
liés entre eux. Il s’agit de la séparation des pouvoirs et de la neutralité de l’Etat d’une part,
et d’autre part, de l’application de la liberté de conscience et de l’égalité de tous les
citoyens en termes de droits. La laïcité ne saurait alors se limiter à un cadre juridique mais
est appelée à refuser l’exclusion d’une partie de la population et à prôner le "vivre-
ensemble" à l’école et dans la cité. Bergounioux (1995, p. 26) conclue son propos en ces
termes :

L’avenir de la laïcité (…) passe par le maintien de la tension interne qui l’anime. La laïcité doit
rapprocher les individus tout en les laissant libres. Elle est la garantie que la parole puisse être
donnée à tous, dans un ensemble commun qui ne peut pas reposer seulement sur l’acceptation de
la diversité. Elle ne doit pas être considérée comme un acquis mais, au sens propre, comme une
valeur qui, pour être vivante, doit être fondée sur une autorité acceptée.

Il semble ainsi que la laïcité doit être comprise comme une valeur positive qui émancipe
l’homme sans limiter ses libertés. « La laïcité est une valeur essentielle, avec le souci de
liberté de conscience et de l’égalité de tous les hommes, qu’ils soient croyants, athées ou
agnostiques. L’idéal laïque n’est pas un idéal négatif de ressentiment contre la religion… »
(Péna-Ruiz, 2003, cité par KHaldi 2015, p.23). Aujourd’hui, de nombreuses thèses ont
tendance à présenter la laïcité comme étant une valeur, voire même universelle. Pour
beaucoup de gens, se poser la question de savoir si la laïcité est une valeur, c’est
interroger en quelque sorte une affirmation qui relève de l’évidence.

Pierre Khan, par contre, est méfiant par rapport à cette évidence. Il essaie de construire
une analyse autour de la question suivante : « La laïcité est-elle seulement un principe
d’ordre juridique (constitutionnalo-juridique) ou une valeur de civilisation porteuse d’une
philosophie politique et morale enseignable comme telle à l’école, dans les cours
d’éducation civique ? » (2007, p. 29) La conclusion à laquelle il aboutit est plus ou moins
opposée à l’objectif que vise la ligue de l’enseignement mentionné dans un chapeau

235
introductif de la deuxième partie intitulée « faire vivre la laïcité aujourd’hui » de leur
fascicule. Le but poursuivi par la ligue de l’enseignement est « d’agir pour une laïcité qui
ne soit pas simplement un principe constitutionnel et un ensemble juridique, mais qui
constitue, en même temps, une valeur de civilisation portée par une philosophie politique
et une éthique du vivre ensemble » (p. 44, cité par Kahn P. (2007, p. 29). Pierre Kahn.,
pour deux raisons, émet des doutes quant au fait que la laïcité soit considérée comme
une valeur. D’abord, il estime que si la laïcité est une valeur alors « il faut pouvoir en définir
le contenu, ce que l’histoire des discours présentant la laïcité comme une valeur ne permet
guère de faire de façon précise et univoque » (p. 30). Autrement dit, de quelle valeur s’agit-
il, si effectivement elle en est une ? Au cours de l’histoire, la laïcité s’est identifiée à
différentes sortes de valeurs : à l’époque de Jules Ferry, elle était « associée à une
philosophie du progrès saluant l’avènement d’une science bienfaitrice spirituellement
aussi bien que matériellement133 » (p. 30). A la fin de la seconde guerre mondiale, la laïcité
était assimilée au patriotisme par le socialiste André Philip. Aujourd’hui, ces valeurs –
science et patriotisme – ne définissent plus la laïcité qui s’est alors tournée vers d’autres
en lien avec « l’individualisme démocratique et fait par exemple de l’égalité des hommes
et des femmes (…) un nouveau champ d’application pour les combats laïques à venir 134 ».
Deuxième raison de doute pour Kahn P., est que le risque est grand que la laïcité soit en
« conflit avec d’autres valeurs » si elle est considérée comme une « valeur
civilisationnelle », alors que justement c’était pour mettre fin au combat entre les deux
France et faire « coexister les libertés » que la loi de 1905 dite loi de séparation des
pouvoirs a été votée. (p.30). Pour lever les équivoques et répondre à la question si la
laïcité est une valeur morale ou principe juridique, Kahn P. (2007) s’appuie sur la pensée
de John Rawls développée dans son livre "Théorie de la justice" (1971/1987). Il soutient
que le sens de la laïcité peut être pensé à partir de la théorie de la justice. En effet, deux
thèses de Rawls peuvent aider à mener une réflexion sur la laïcité. La première consiste
à établir une différenciation entre le juste et le bien, en d’autres termes, entre le droit et la
morale. La deuxième thèse, liée indéniablement à la première, est qu’« il doit exister une
priorité du juste sur le bien » (p. 31). Pour Kahn P. (2007), la laïcité est à ranger du côté
de ce qui est juste et non de ce qui relève du bien. D’ailleurs, la thèse selon laquelle la

133
Cf. Marcellin Berthelot (1901) cité par Kahn P., (2007, p.30).
134
Ou mieux encore, c’est la liberté d’expression en lien avec les attaques terroristes sur le sol français,
précisément dans les années 2010 – 2015 qui se trouve être le nouveau champ d’application pour les
combats laïques.

236
laïcité, comme neutralité de l’Etat, est liée aux principes de justice est soutenue dans le
livre "Théorie de la justice". Le premier principe de justice, selon Rawls, est que « chaque
personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales
pour tous, compatibles avec un même système de libertés pour tous ». (Rawls 1971/1987,
p. 287, cité par Kahn, 2007, p.32). Ce principe donne une priorité et une légitimité à la
liberté d’un individu qui ne peut être limitée qu’à condition que son accroissement ou
son étendue ne devienne une menace pour les autres libertés. Cette règle s’applique
principalement à la liberté de conscience qui est l’équivalence de la liberté accordée à
tous de manière équitable et invite à la neutralité de l’Etat. La vision de la laïcité de Rawls
(1971/1987) peut se résumer en ces termes :

L’Etat ne peut favoriser aucune religion particulière. Il ne peut y avoir aucune pénalité, aucun
handicap à appartenir à une religion quelconque, ou au contraire, à ne pas en faire partie. La nation
d’Etat confessionnel est rejetée. Au lieu de cela, des associations particulières peuvent être
organisées comme leurs membres le désirent ; elles peuvent avoir leur propre vie interne, leur
propre discipline à condition que leurs membres aient réellement le choix de continuer à être affiliés
ou non (…). Etant donné les principes de justice, l’Etat doit être compris comme une association de
citoyens égaux. Il ne s’intéresse pas lui-même aux doctrines philosophiques et religieuses, mais
règlemente la poursuite, par les individus, de leurs intérêts moraux et spirituels d’après des principes
qu’eux-mêmes approuveraient dans une situation initiale d’égalité (p. 247, 248, cité par Kahn

P., 2007, p. 32).

Dans ce texte de Rawls, il semble apparaître la même philosophie qui a conduit à la


séparation des pouvoirs en France. Ce qu’il faut aussi retenir, c’est que les fondements
de laïcité, à savoir ici : la liberté de conscience, la neutralité de l’Etat et l’égalité de tous
les citoyens sont régis sur le mode de la justice reconnu par tous les individus. Et en
définitive, cette vision de la laïcité n’a nullement besoin d’une manière de pensée ou d’une
philosophie quelconque. En d’autres termes, d’après Rawls, ce régime de laïcité, pour
reprendre ici, une formulation de Milot (dans Baubérot, 2004), n’a besoin « d’aucune
doctrine métaphysique ni aucune théorie de la connaissance » (Rawls 1971/1987, p. 274,
cité par Kahn P., 2007, p. 32). Même si, dans cette conception de la laïcité, l’Etat permet
à chaque individu de mener librement ses projets personnels qu’ils soient philosophiques,
moraux ou même liés à ses croyances religieuses. La reconnaissance de la libre pensée
des individus par l’Etat n’est pas en contradiction avec sa neutralité. La liberté de pensée
des individus est liée d’une certaine manière à ce que chacun de ces individus estime être

237
bien. Se dégage donc, d’après Kahn, une différence entre la liberté de conscience et la
liberté de pensée ; la première relève de ce qui est juste, alors que la deuxième se situe
du côté de ce qui est bien. Ainsi, les préoccupations de Kahn P. (2007) peuvent être
synthétisées en ces termes :

Autant il est légitime de faire de la laïcité une valeur de justice, au sens rawlsien de l’expression,
autant il me semble beaucoup plus discutable d’en faire une valeur d’ordre éthique, porteuse d’une
conception du bien, d’une conception de la vie bonne. Ou plus exactement : c’est à la seule condition
d’être une conception du juste que la laïcité peut prétendre à l’universalité. Si on veut en faire en
plus, à la façon notamment de certains défenseurs aujourd’hui d’une certaine idée de la République
(Régis Debray, Catherine kintzler ou Alain Finkielkraut par exemple), une sorte d’idéal moral, un
projet de dissolution critique des préjugés, une visée normative d’émancipation intellectuelle ou de
transformation des comportements sociaux, on en fait, pour reprendre la formule de Rawls, une
métaphysique particulière, on la condamne donc à la relativité d’une conception de la vie bonne
parmi d’autres (p. 33).

Cette conception de la laïcité basée la vie bonne est défendue par les néo-républicains
français qui eux-mêmes, d’une certaine manière, dépendent « d’une représentation
"communautarienne" des principes du vivre ensemble » mais aussi par les philosophes
communautariens135 opposés à Rawls et au libéraux. Ils soutiennent donc – les néo-
républicains et philosophes communautariens – la théorie que la société ne doit pas
simplement être régie selon ce qui est juste mais également selon la vie bonne qui a
comme finalité de « fédérer la communauté des citoyens » (p. 33).

135
Cf. Kahn P. (2007, p. 34). Les philosophes communautariens soutiennent une laïcité morale ou
philosophique. Ils ont critiqué la conception rawlsienne. Pour eux, l’idée d’une priorité du juste sur le bien ne
peut pas être soutenue longtemps : « La théorie rawlsienne de la justice n’échapperait pas elle-même à une
conception du bien, ce qu’elle repose sur certaines intuitions morales minimales partagées, qu’il serait donc
légitime pour l’Etat de promouvoir : notamment qu’une société juste est préférable à une autre, que le
principe de la liberté égale pour tous vaut mieux que le principe inverse, que le respect de la pluralité des
conceptions du bien est lui-même un bien, etc. Cela a conduit à Rawls à admettre que le principe de la
priorité du droit sur la morale présuppose l’existence d’une conception du bien qu’il appelle "minimale" ou
"restreinte" et qu’il distingue des conceptions "substantielles" du bien. » (p.34).

238
En définitive, pour Kahn P. (2007), la laïcité ne doit pas chercher à imposer une
« conception du bien » (p. 31). Aussi, l’Etat n’a pas à se réclamer d’aucune philosophie ou
théorie, fut-elle de l’émancipation. « La seule philosophie de l’Etat laïque, c’est de n’en
avoir pas, et – (il tient) – que ceux qui voudraient voir leur philosophie de la laïcité être
celle de l’Etat se contredisent… » (p. 35). La réponse finale de Kahn P. est que « la laïcité
n’est pas une valeur morale au sens où elle n’a pas à être poursuivie pour elle-même
comme une fin. Elle est un moyen, et un moyen nécessaire, en vue d’une fin la liberté
égale pour tous » (p. 36).

En résumé, définir la laïcité reste complexe. Plusieurs approches sont possibles. La


dimension philosophique de la laïcité est fondée sur la notion de liberté, du droit de jouir
d'une liberté de penser qui n'est conditionnée par aucune autorité établie. Ce qui entraîne
aussi, au plan politique, et grâce à un cadre juridique élaboré, que la laïcité, dans sa
conception française, soit comprise comme neutralité de l’État par rapport aux croyances
religieuses. La neutralité de l’État par rapport aux différentes religions ne signifie plus une
certaine forme d'opposition à la religion. Ces deux dimensions (philosophique et politique)
font ressortir les valeurs cardinales de la laïcité – les droits de la personne, la liberté de
conscience, la neutralité de l'espace public – qui sont à préserver pour maintenir la
coexistence pacifique entre des individus de cultures religieuses différentes. Mais cette
neutralité confessionnelle de l’Etat et la séparation des pouvoirs suffisent-elles pour définir
la laïcité ? Il nous semble que les liens qui favorisent l’organisation de la vie en commun
et qui permettent de vivre ensemble dans une société marquée par sa diversité sociale
sont à considérer.

Si en France, la laïcité est souvent définie par son expression juridique et par conséquent,
mettant en avant des lois et des principes qui guident l’organisation politique, cela ne limite
pas sa conception et ne la réduit pas qu’au régime républicain. La pluralité des sociétés
modernes exige de concevoir d’autres formes de « conception du bien » …Alors,
aujourd’hui, la modernité politique ne pourrait-elle pas être envisagée avec la religion ?
Ce qui supposerait de concevoir une nouvelle interprétation de la laïcité qui donnerait une
place de choix au domaine spirituel. Telle est la thèse véhiculée par la conception libérale
pluraliste qui défend l’expression de la religion dans l’espace public. Ainsi, « il conviendrait
d’après Jocelyn Maclure et Charles Taylor d’approfondir l’idéal de tolérance entendu

239
comme la possibilité sociale de surmonter les différences d’opinions par le dialogue entre
les personnes et les différentes communautés, dialogue démocratique, vecteur de l’accès
de tous à la liberté d’expression. » (Grange, 2012/4, p. 168).

Le contenu conceptuel de la laïcité évolue avec l’histoire et suivant les pays, les processus
de laïcisation sont différents. La laïcité apparaît ainsi comme tout un programme de vie
mettant en avant la volonté de vivre ensemble. Cependant depuis une vingtaine d’années,
elle revient avec force au-devant de la scène géopolitique et fait l’objet de débats. « Les
uns la défendent vigoureusement sans voir les changements intervenus. Les autres la
relativisent et souhaitent son adaptation aux données nouvelles. Chacun conforte sa
position en faisant appel à l’histoire, au droit, à la sociologie ou à la philosophie. » (Barbier,
dans Nora, 1999, p.73). Dans sa conceptualisation plusieurs éléments sont à prendre en
considération pour bien cerner la question laïque actuellement. Si la laïcité s'est imposée
dans le combat qui a opposé les "deux France", elle est le principe de séparation de l’Etat
et de la religion. Elle implique l’impartialité de l’Etat vis-à-vis des confessions religieuses
qui sont par rapport à elle toutes égales. Elle s’oppose par essence à l’existence et à
l’acceptation d’une religion d’Etat. Fruit d'un long processus, la laïcité peut être comprise
comme neutralité par rapport aux croyances religieuses mais il est important de souligner
qu'elle n'est pas contre la religion ou les religions. Elle défend la liberté de conscience et
l’égalité entre tous. A ce titre, elle est une condition de possibilité du pluralisme dans la
société et le bien commun de tous. Elle est donc à considérer comme un principe de
coexistence pacifique et une règle juridique définie par la Constitution pour permettre le
vivre-ensemble. Ces précisions n’enlèvent en rien qu'elle soit une notion assez subtile et
difficile à saisir suscitant de nombreuses interrogations à son sujet. Comme le soutient
Kintzler (2014) : « Plusieurs questions et fausses questions laïques qui ont jalonné les
deux dernières décennies – doivent être – abordées comme autant de moments et même
de défis où la pensée est mise en demeure et où la théorie est mise à l’épreuve » (p. 8).

240
5- 5 LAÏCITE ET TOLERANCE

Une réflexion sur la laïcité implique aussi, il nous semble, d'aborder la question complexe
de la tolérance et de la coexistence. Quels liens existeraient-ils entre ces deux concepts ?
En effet, aujourd'hui, la conception la plus partagée de laïcité nécessite une prise en
compte de la tolérance et des diversités religieuses au sein d'un même territoire. Ces deux
notions, tolérance et coexistence, doivent non seulement aller de pair avec les libertés
religieuses mais plus encore avec la liberté de conscience qui renvoie à la liberté de croire
ou de ne pas croire ou encore le droit même de choisir de ne pas s'exprimer sur la question
de ses croyances et sans oublier la liberté de changer de religion ou de ne plus en avoir.
Il est question de revenir sur le concept de tolérance, de se demander de quelle tolérance
parle-t-on ? Et d’identifier les liens qu’elle peut avoir avec la laïcité. Pour cela, revisiter
l’histoire de l’idée de tolérance s’impose comme un impératif.

5- 5- 1 La tolérance : une notion, un idéal

Le concept de tolérance n’est pas facile à définir. Il est complexe, voire même flou et pas
toujours simple à cerner : si certains le considèrent comme une notion périmée ou
archaïque ou encore dépassée d’autres, au contraire, pensent que c’est une idée moderne
difficile à concrétiser, voire même impossible à appliquer, une sorte d’idéal difficile à
atteindre. Le mot vient du latin "tolerare" qui signifie "supporter", "porter", au sens de l’effort
qu’une personne peut fournir pour endurer des épreuves avec une certaine patience. Dans
le dictionnaire Robert, le mot tolérance a deux sens. Dans son acceptation la plus large,
la tolérance renvoie à la capacité à respecter ce que l'on désapprouve. La tolérance est
une vertu morale qui aujourd'hui est considérée comme un impératif social, politique, voire
juridique en vue du maintien de la paix et pour la coexistence pacifique entre les individus
et les peuples. Au niveau international, l'Organisation des Nations Unies et beaucoup
d'organismes internationaux qui dépendent d'elle lui accordent une importance capitale.
C'est ainsi que l'année1995 a été dédiée par l’O.N. U année de la tolérance.

241
5- 5- 2 Des libertés partielles à la reconnaissance positive

La notion de tolérance est liée historiquement à la religion. Elle a une origine doctrinale. Il
semble, en effet, que la tolérance religieuse ait été la première forme de tolérance qui s’est
développée. Sous ce rapport, elle peut alors être considérée comme le précurseur de
l’affirmation de la liberté de conscience. Il faut se rappeler que, suite aux guerres de
religions qui ont ravagé la France pendant plusieurs décennies – et l’Europe aussi au
16ème siècle – Henri IV, devenu roi de France, signa l’Edit de Nantes dit l’Edit de la
Tolérance pour rétablir la paix dans le royaume et mettre fin à la division qui régnait dans
la société sur le plan religieux. L’Edit de la Tolérance a donc permis d’établir une
coexistence pacifique entre les partisans des deux confessions chrétiennes, à savoir : les
catholiques et les protestants. Ces derniers, les protestants, ont obtenu du roi le droit de
vivre leurs convictions religieuses mais dans un cadre limité, restreint. L’article IX de l’Edit
de Nantes précise bien que le culte réformé n’est autorisé que dans certains lieux et villes
où les protestants étaient établis « en l’année 1596 et en l’année 1597… ». Malgré cette
autorisation, « aucun exercice de ladite religion en notre Cour et suite, ni pareillement en
nos terres et pays qui sont delà des monts, ni aussi en notre ville de Paris, ni à cinq lieues
de ladite ville » (art. XIV, Edit de Nantes, 1598) n’est permis. En outre, les protestants
doivent respecter et « observer les fêtes indictes en l’Eglise catholique, apostolique et
romaine… » (art. XX, Edit de Nantes, 1598). Ce qu’il faut retenir de cet Edit de Nantes
est : contrairement à ce que beaucoup pensent, l’Edit dit de la Tolérance promulgué le 13
avril 1598 n’est pas « l’annonce d’un Etat … laïque » (Miaille, 2015). Il ne s’agit pas de
célébrer l’égalité et le respect entre toutes les religions mais plutôt d’essayer de rétablir
un lien social. Ce document législatif signé par le roi Henri IV, rappelle clairement « que la
seule foi chrétienne reconnue reste le catholicisme et n’accorde quelques libertés de
conscience et de culte que de manière restrictive, dans l’attente que tous les sujets soient
redevenus catholiques » (Miaille, 2015, p. 31). La tolérance vis-à-vis des protestants avait
un caractère partiel, limité et temporaire. Et comme ce fut prévisible, l’Edit de Nantes sera
révoqué en 1685 par l’Edit de Fontainebleau signé par le Roi Louis XIV.

En somme, cette première conception de la tolérance a une portée politique ; l’Etat avait
l’obligation d’organiser la cohabitation entre les différentes communautés. Par l’Edit de
Nantes, il est affirmé qu’au Roi revenait la responsabilité de décider en matière de religion

242
et que la liberté de conscience n’était pas encore acquise. Dans ce contexte, la notion de
tolérance va aussi intéresser les philosophes et deux textes majeurs peuvent être
considérés comme des textes initiatiques ou précurseurs par rapport à la réflexion sur la
tolérance : il s’agit du livre de Pierre Bayle (1686), publié juste après l’Edit de
Fontainebleau, intitulé "Commentaire philosophique" (qui deviendra sous une autre édition
"De la tolérance") où l’auteur dénonce les contraintes religieuses et se positionne comme
un apôtre de la liberté de conscience. « La conscience étant de nature divine, il faut lui
être fidèle et adhérer aux opinions qu’en toute sincérité on croit vraies. Le devoir
d’obéissance de la conscience qui repose sur le devoir d’obéissance à Dieu fonde le droit
à la conscience religieuse ». (Estivalèzes, p. 93, dans Nesme, Loeffel, 2009). Le deuxième
texte est la "Lettre sur la tolérance" de John Locke publié en 1689. La "Lettre sur la
tolérance" représente historiquement donc l’une des premières théories de référence sur
ce sujet. Elle peut se résumer et se définir par l’expression : « Cessez de combattre ce
qu’on ne peut pas changer »136. La "Lettre sur la tolérance" de Locke J. (1689) peut être
située dans un contexte de crise où, en Angleterre137, beaucoup de protestants avaient
peur que le catholicisme s’impose. Dans sa lettre138, Locke propose une nouvelle vision
des rapports qui doivent lier "religion" et "gouvernement". Elle insiste particulièrement sur
la distinction de l'État et des Églises en s’appuyant sur les différences qui existent entre
ces deux institutions par rapport aux fins qu’elles poursuivent, qu’elles soient (ces fins)
spirituelles ou même temporelles et aussi les moyens mis en œuvre pour les atteindre.
Pour Locke (1689), il faut distinguer « ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui
appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l'un et
ceux de l'autre » (p. 19). L’argument soutenu par Locke est que seul le magistrat a la
charge du pouvoir temporel. Et ce pouvoir consiste, par la loi, à maintenir l’ordre public
pour assurer deux choses : le bien public et la paix civile. Il souligne également que,
concernant les intérêts spirituels des individus, le magistrat n'a pas le droit d’y intervenir
pour la simple et unique raison que, pour la quête de leur salut, ces derniers doivent se
sentir libres du choix de vie qui les convient. Toute personne est donc libre d’adhérer à la

136
Cf. John Locke (1689) Lettre sur la tolérance, Editions ressources.
137
La situation de l’Angleterre était critique : Le pays a été ravagé par les guerres de religion depuis
l’avènement d’Henri III ; mais également, au niveau du pouvoir, il faut noter successivement, l’émergence
de différentes convictions religieuses. Aussi, de 1685 à 1689, Jacques II, dernier roi Stuart, avait l’ambition,
contre la volonté du peuple, de ramener l’Angleterre au catholicisme. Cette lettre de Locke est donc une
réponse à ces multiples problèmes religieux.
138
La « Lettre sur la tolérance » était adressée à Philipp van Limborch, un ami proche de John Locke, qui
la publia sans son autorisation.

243
religion qu’elle veut et qui lui convient. Locke insiste aussi sur la liberté d’action de toutes
les communautés religieuses mais prévient qu’elles n'ont aucune légitimité s’agissant de
l'usage de la force et n'ont pas aussi le droit d'influencer ni d’intervenir dans les décisions
politiques. Si ces conditions sont respectées par ces communautés, le gouvernement a le
devoir d’être tolérant envers elles et par conséquent aussi, sa mission se résume à
protéger tous les citoyens afin qu’ils puissent bénéficier de leur droit de pratiquer leur
religion. Locke (1689) défend l’idée que la tolérance doit permettre de conjuguer la liberté
individuelle avec la paix civile. De ce fait, il est nécessaire donc d’y apporter quelques
réserves. Il dégage quatre cas de figure où il n’est pas possible d’appliquer la tolérance :

1. on ne peut tolérer aucun homme qui soit opposé à la société et aux bonnes mœurs
indispensables au maintien de la société civile ;
2. on ne peut tolérer que certains s'arrogent des privilèges particuliers, pour eux ou pour
leur secte, nuisibles à la société ;
3. on ne peut pas tolérer une Église soumise à une autorité différente de celle du
magistrat (par exemple, au pape) ;
4. enfin, on ne peut pas tolérer les athées, car leur absence de foi ôte selon Locke le
besoin de respecter les institutions du pays.

La tolérance que prône Locke est en effet à relativiser aujourd’hui dans la mesure où elle
exclut d’une part, les catholiques qui sont sous l’autorité de Rome et du Pape que Locke
considère comme un « autre prince » et d’autre part, les athées du fait que les
engagements qui régissent la société n’ont pas d’effets sur eux. D’après Locke (1689) : «
ceux qui nient l'existence d'un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses,
les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile,
ne sauraient engager un athée à tenir sa parole » (p. 81). Selon la tolérance prônée par
Locke, les athées ne sont pas admis dans l’association politique parce qu’ils ne rentrent
pas dans la logique de la cité fondée des principes qu’ils ne reconnaissent pas. Toutefois,
cette idéologie ou cette conception de la tolérance soulève un certain nombre de
questions : « peut-on parler de tolérance, si certains citoyens sont exclus ? » ; « comment
concevoir une tolérance religieuse si en effet, l’on ne considère pas ceux ou celles qui ont
choisi de se démarquer de la religion ? » ou encore, « l’exclusion ne réduit-elle pas même
l’idée de tolérance ? », « l’exclusion, respecte-t-elle les libertés individuelles ? », « quels

244
buts ultimes vise l’établissement de règles de vie commune ? »… Kintzler (2014, p. 14)
essaie d’apporter une explication à la position de Locke par rapport à l’exclusion des
athées :

Aux yeux de Locke, il n’est pas possible d’admettre l’incroyance (en l’occurrence sous la forme de
l’athéisme) dans l’association politique. (…) L’idée fondamentale est qu’on ne peut pas admettre les
incroyants dans l’association politique pour leur incapacité à former lien. Ils sont par définition déliés.
On peut rétablir ici un syllogisme caché. Toute association politique suppose un principe de liaison,
et comme le modèle de tout lien est le lien religieux, la conséquence tombe : il faut exclure les
athées comme non fiables. Le point de virulence est mis en évidence : c’est le rapport de
l’association politique avec la forme du lien qu’elle suppose. Locke retient d’elle que ce qui à ses
yeux interfère avec la question du politique : ce qui lui importe n’est pas le contenu de telle ou telle
incroyance, c’est sa forme en tant qu’elle a un rapport au lien politique. Or la forme de l’incroyance,
c’est le vide de lien.

Malgré cette justification, force est de reconnaître que la tolérance doit être élargie à tout
le monde ; elle doit s’étendre à ceux qui ne se réclament d’aucune religion ou croyance
religieuse et à ceux qui professent une religion différente de la nôtre. Cette tolérance
élargie implique la reconnaissance de la diversité. Cette conception de la tolérance qui
exalte la pluralité d’opinions est en effet prônée par Voltaire en 1734 dans les "Lettres
philosophiques". « Il combat également le fanatisme et l’intolérance 139, défend la tolérance
au nom de l’utilité publique, et en fait une vertu humaine, sociale et morale ; elle doit être
réciproque et ne plus induire de rapport de domination entre celui qui tolère et celui qui
est toléré » (Estivalèzes, p. 93, dans Nesme, Loeffel, 2009). N’est-ce pas là une réelle
évolution par rapport à la "tolérance partielle" octroyée aux protestants dans le royaume
de France ou à la tolérance défendue par Locke et qui exclut les catholiques et les
athées ? C’est déjà un premier jalon posé vers la reconnaissance des libertés
individuelles. Cette évolution de la notion de tolérance s’orienterait vers la reconnaissance
des droits individuels. Ainsi la tolérance peut alors se définir comme une « attitude
consistant à admettre chez autrui une manière de penser ou d’agir différente de celle qu’on
adopte soi-même » (Julie Saada-Gendron, 1999, p.12, cité par Estivalèzes, p. 94, dans
Nesme, Loeffel, 2009).

139
Cf. Le traité sur la Tolérance de Voltaire paru en 1763.

245
Aujourd’hui, la tolérance, comme notion morale, permet l’organisation de la société. Même
si elle a été théorisée dans un contexte où en Europe, se généralisaient les guerres civiles
dites guerres de religion140, et particulièrement en Angleterre où il était urgent de trouver
une solution politique aux problèmes religieux, le principe de tolérance a été développé
progressivement dans beaucoup de pays aux 17 ème et 18ème pour permettre le vivre
ensemble tout en mettant en place des règles dans la société. Avec la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, il est question, de plus en plus, d’égalité des droits.
Cependant, la question qui mérite d'être soulevée est : peut-on ou doit-on tout tolérer ?
Comte-Sponville (1995), dans "petit traité des grandes vertus", parlant de la tolérance, se
pose cette même question. Si pour lui la réponse est non, il note aussi que c'est un
questionnement complexe car quand les choses vont d'elles-mêmes, la tolérance n'est
plus nécessaire. D'après lui, la tolérance n'a de sens « qu'à défaut de connaissance » (p.
211). Et qu'elle n'est envisageable que par rapport à la question du jugement ou des
opinions, comme quand il s'agit de la croyance. « Tolérer, c'est accepter ce qu'on pourrait
condamner », dans ce sens « la tolérance ne vaut que contre soi et pour autrui » (p. 212).
Dans la tolérance, il y a l'idée de laisser faire ce qui n'est pas acceptable et que l'on peut
empêcher. C'est un renoncement de la part de celui qui tolère à combattre ou à punir. Pour
Comte-Sponville (1995), la tolérance universelle n'existe pas et est moralement et
politiquement condamnable. Ce qui rejoint ce que disait Jankélévitch (1986) pour qui la
tolérance « finirait par se nier elle-même » (p. 92, cité par Comte-Sponville, 1995) si l'on
cherche à la pousser à la limite. Il ne faut la considérer que dans certains cas, et comme
le dit Comte-Sponville, « qui sont ceux de sa propre sauvegarde et la préservation de ses
conditions de possibilité » (p. 213). La complexité de cette aventure fait que Popper (1979)
l'appelle "le paradoxe de la tolérance". Pour lui, « si l'on est d'une tolérance absolue, même
envers les intolérants, et qu'on ne défende pas la société tolérante contre leurs assauts,
les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance » (p. 222, dans Comte-Sponville,
1995). Ce paradoxe est en lien avec la situation de crise que connaît le monde, marquée
par des tensions et des conflits de tout genre. Parler donc de "tolérance universelle" ou
de "tolérance infinie" tue la tolérance elle-même.

140
En France, On appelle guerres de religion les guerres qui opposèrent catholiques et protestants de 1562
à 1598. Devenu roi, Henri IV signa en 1598, l’édit de Nantes qui mettait fin aux guerres de Religion.

246
Cependant, doit-on en rester là ? Doit-on seulement être juste avec ceux qui le sont avec
nous ? En effet, la vertu va plus loin que cela. Parlant de justice, John Rawls soutient l'idée
qu'il faut être guidé « par les principes de justice » (p. 256). Dans le même cadre, l'homme
tolérant doit être guidé par les principes de tolérance et par conséquent tolérer même les
intolérants. Toutefois, il est clair que cela ne signifie pas tout accepter ou tout tolérer au
risque de tuer la tolérance mais en même temps, il ne s'agit pas de ne pas être tolérant
dans les cas d'intolérance. Pour Comte-Sponville (1995), « une action intolérante, un
groupe intolérant, etc., doivent être interdits si, et seulement si, ils menacent effectivement
la liberté ou, en général, les conditions de possibilité de la tolérance. (p. 214).

5- 5- 3 Liens entre tolérance et laïcité

La laïcité est un cadre juridique, un mode d’organisation politique qui repose sur la
coexistence des libertés individuelles. Il a fallu du temps pour la mise en place de sa
construction. Au début de ce chapitre, il a été démontré que ses origines sont à rechercher
dans les guerres de religion et l’émergence des philosophies mettant en avant la pensée
critique qui les ont suivies. La mise en place de l’idéal laïque en France a dû se heurter
d’une certaine manière à un catholicisme voulant préserver ses acquis et son rôle au sein
de l’appareil étatique. Cette omnipotence de la religion catholique et les divers problèmes
qui la minent de l’intérieur sont d’ailleurs les causes des mouvements et révoltes
conduisant à l’avènement de la laïcité. De ce point de vue donc, il semble que la question
religieuse est à considérer comme étant au centre des perspectives laïques. Elle a aussi
fait émerger un mode d’organisation politique favorisant la tolérance bien avant la
construction de la laïcité. Ce qui fait dire à Kintzler (2014) que par rapport au
commencement dans la pensée et au point de vue des origines dans l’histoire, le concept
de tolérance est apparu avant et a préparé la laïcité. (p. 12). « Par tolérance, on entendra
principalement, non pas attitude ou modalité psychologique de relation entre les individus,
mais un mode d’organisation de la coexistence des libertés dans une association
politique » (Idem). Ainsi, la quête de reconnaissance des libertés religieuses dans l’ancien
régime, fussent-elles partielles, a conduit, d’une certaine manière, à la mise en place de
la tolérance prônée par les philosophes de l’époque de la pensée classique aux Lumières
et concrétisée souvent par des actes émanant de la royauté comme les Edits de Nantes
et de Versailles. Ces décisions ne remettaient pas en cause la religion d’Etat, mais

247
néanmoins, elles avaient le mérite d’accorder aux minorités religieuses des libertés.
Toutefois, celles-ci n’étaient que partielles et pouvaient à tout moment être révoquées ou
supprimées par l’autorité qui les avait octroyées. Aujourd’hui, l’idée la plus partagée est
que toute théorie sur la tolérance doit être fondée sur une liberté de conscience, sans
quoi, elle serait privée de son essence. Aussi, cette liberté de conscience et l’égalité de
tous les citoyens, constituent les finalités recherchées par tout régime laïque moderne. Ce
parallélisme entre les deux notions amène certains à se demander si la laïcité n’est pas
tolérance ? Dharréville (2013) nous livre son analyse :

Elle – [la laïcité] – est cela et plus que cela. Elle l’est en tant que refus de l’intolérance et du
fanatisme, en tant qu’affirmation de la liberté de conscience comme droit inaliénable. Mais elle est
plus que cela en tant que contestation d’un pouvoir qui continuerait de vouloir tenir son autorité
d’une puissance supérieure. Et qui octroierait des tolérances où il n’est que droits inaliénables à
reconnaître et promouvoir (p. 26).

Au fond, la laïcité comme disposition juridique et fondement de la construction politique


d’une communauté, c’est plus que la tolérance. Une République laïque donc repose sur
des bases séculières et réfute l’idée de l’existence d’une religion d’Etat. Aussi, elle peut
se fonder sur le principe de tolérance pour favoriser la coexistence des différences et la
protection des minorités.

5- 5- 4 La tolérance, valeur essentielle à cultiver

Aujourd’hui, la tolérance est l’une des valeurs essentielles à promouvoir dans une
démocratie. Elle permet la valorisation des différences et l’expression libre des droits
individuels. Elle prend aussi en compte la reconnaissance de la diversité des cultures. Ce
qui faisait dire à Lévi-Strauss (1987) que la tolérance est une :

Attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. La
diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous et devant nous. La seule exigence
que nous puissions faire valoir à son endroit (créatrice pour chaque individu des devoirs
correspondants) est qu’elle se réalise sous des formes dont chacun soit une contribution à la plus
grande générosité des autres. pp. 84-85, cité par Estivalèzes, p. 93, dans Nesme,

Loeffel, 2009).

248
Ce qui implique, en quelque sorte, une participation communautaire et de chaque
personne. Elle relève de la responsabilité communautaire. La tolérance est à considérer
comme une vertu qui permet aux différentes communautés d’arriver à cohabiter ensemble
dans le respect mutuel et la reconnaissance réciproque des droits de chacun. Elle est vue
par l'Organisation des Nations Unies « comme une attitude active animée par la
reconnaissance des droits universels de la personne humaine et des libertés
fondamentales d'autrui. La tolérance doit être pratiquée par les individus, les groupes et
les états »141. Ainsi, au niveau international, l'affirmation de la tolérance vise le respect
fondamental des droits de l'homme. Et elle doit se réaliser à différents niveaux. La
tolérance appelle un engagement de tous les états à œuvrer et à mettre en place une
politique qui la favorise. Au niveau des groupes sociaux et aussi dans les relations
interpersonnelles, elle doit être un principe déterminant qui permet aux libertés
individuelles de s'exprimer. Ainsi, au niveau de l’Unesco, la tolérance est « une condition
nécessaire à la paix et au progrès économique et social de tous les peuple ». Dans son
article premier de la Déclaration de principes sur la tolérance, l’Unesco la définit comme
étant :

Le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre


monde, de nos modes d’expression et de nos manières d’exprimer notre qualité d’êtres humains.
Elle est encouragée par la connaissance, l’ouverture d’esprit, la communication et la liberté de
pensée, de conscience et de croyance (…). Elle n’est pas seulement une obligation d’ordre éthique ;
elle est également une nécessité politique et juridique.

Si au niveau individuel et communautaire, un certain nombre de prédispositions sont


nécessaires à la valorisation de la tolérance, comme attitude positive dans la
reconnaissance de la diversité, au niveau politique et juridique sa prise en compte s’avère
être un critère fondamental. Avec la Déclaration du Millénaire en septembre 2000,
l'assemblée générale des nations unies a retenu six valeurs essentielles: la liberté,
l'égalité, la solidarité, la tolérance, le respect de la nature, le partage des responsabilités
(Nations Unies, 2000, 55ème session, point 6, p. 2), qui sont nécessaires et capitales pour
améliorer les relations internationales. Et dans cette lancée, la notion de tolérance
implique que : « Les êtres humains doivent se respecter mutuellement dans toute la

141
La Déclaration de principes sur la tolérance. (Article 1.2)

249
diversité de leurs croyances, de leurs cultures et de leurs langues. Les différences qui
existent au sein des sociétés et entre les sociétés ne devraient pas être redoutées ni
réprimées, mais vénérées en tant que bien précieux de l'humanité. Il faudrait promouvoir
une culture de paix et le dialogue entre toutes les civilisations ». Et l'année suivante, le 16
novembre 2001, le secrétaire général de l’O.N. U, Kofi Annan, dans la même perspective,
parlant de la tolérance, disait qu’elle est la « (...) clé de voûte des droits de l'homme, du
pluralisme et de la démocratie, elle implique l'ouverture, le dialogue, la connaissance et le
respect de l'autre. C'est une vertu qui rend la paix possible, et sans la paix, il ne saurait y
avoir ni progrès ni développement durable »142. Dans cette définition, apparaît toute
l'importance accordée à la tolérance. Elle est fondamentale pour la coexistence pacifique
entre les peuples. Un élément nouveau dans ces propos de Koffi Annan est le désir d'aller
à la découverte de l'autre dans sa différence. S'il est vrai que tout le monde peut s'accorder
dans cet idéal de la tolérance, il faut reconnaître qu'il ne va pas de soi. Dans la réalité, elle
est plus difficile à réaliser et il faut constater que la tolérance est perpétuellement
questionnée.

Certes, la tolérance est une notion philosophique, mais elle est aussi un principe qui
permet la coexistence pacifique dans une nation ou de façon beaucoup plus large entre
des peuples très différents comme l’affirme le philosophe américain Michaël Walzer.

5- 5- 5 Les cinq régimes de tolérance de Walzer

Walzer (1997/1998), dans "Traité sur la tolérance", défend l’idée que la tolérance est la
condition nécessaire d’une vie communautaire et collective. Elle peut être considérée
comme attitude et donc revêtir des formes multiples ou comme pratique qui se manifeste
de différentes manières. Il soutient que « la tolérance rend possible l'existence des
différences ; les différences rendent nécessaire l'exercice de la tolérance » (p. 10). Pour
lui, une pratique de la tolérance permet et favorise la coexistence pacifique « de groupes
humains relevant d'histoires, de cultures et d'identités différentes ». (p. 14). Dans cet
essai, il est encore réaffirmé qu'il n'y a pas d'universalité quand on parle de tolérance ou
de coexistence pacifique. L'auteur étudie les différentes situations dans lesquelles elle

142
Cf. Annan K. (2001). Journée internationale pour la tolérance, New York, Nations Unies.

250
s'applique et où il est possible d'avoir une coexistence. Il analyse donc les diverses formes
de tolérance en mettant l’accent sur la culture, la religion et les modes de vie.

5- 5- 5- 1 La tolérance, attitudes à cultiver

Walzer (1997/1998) dégage cinq attitudes de la tolérance comme vertu qui peuvent servir
de base à la fondation de régimes. (pp. 26 – 28). Il fait une typologie des formes possibles
de tolérance. D'après lui, dans des situations de pluralisme culturel, il est possible d'avoir
différentes attitudes de tolérance. Il parle de "la résignation" qui peut permettre l'obtention
de la paix. Cette attitude renvoie à la tolérance religieuse au 16 ème et 18ème siècle qui même
si elle n'est pas totalement volontaire, est déjà un premier pas sur l'échelle de la tolérance.
Ensuite viennent d'autres attitudes beaucoup plus positives. La deuxième attitude est
"l'indifférence", nécessaire dans la mesure où « il faut du tout pour faire un monde » (p.
26). Avec la troisième attitude qui est "l'acceptation stoïque", il est admis que chaque
personne a ses droits même si dans leur exercice cela peut nous déranger ou nous
déplaire. La quatrième attitude est "la curiosité" qui se manifeste par l'ouverture, le
dialogue, la connaissance et le respect vis-à-vis de l'autre. Et au sommet de l'échelle des
attitudes de la tolérance, il y a "l'enthousiasme" à adhérer à la différence « comme la
condition nécessaire du développement harmonieux de l'homme, et, par les choix qu'elle
offre aux individus, celle de leur autonomie véritable » (p. 27). Même si adhésion ne rime
pas forcément avec tolérance, ici, l'idée est qu'une personne peut être qualifiée de
tolérante dans la mesure où elle accepte à ses côtés d'autres personnes dont elle n'adopte
pas les opinions ou encore les pratiques et les croyances. Elle coexiste « avec une altérité
qui, pour sincère que soit leur assentiment à sa présence dans le monde, leur est et leur
demeure étrangère, lointaine et bizarre. » (p. 28). En définitive, chacune de ces attitudes
vise l'instauration d'une tolérance effective et solide qui aurait pour conséquence
"l'amélioration des relations interpersonnelles" pourvu que l'attitude elle-même soit bien
mise en place. Il semble aussi important de relever le fait que, dans la recherche d’une
mise en place durable de la coexistence pacifique entre différents groupes sociaux ou
simplement plusieurs individus, tout le monde n’est pas obligé de se positionner au même
niveau sur l’échelle des attitudes de tolérance car chaque degré de tolérance a ses
inconvénients et ses avantages.

251
5- 5- 5- 2 Les empires multinationaux

Dans les empires multinationaux comme la Perse, l'Égypte ptolémique ou la Rome, les
relations entre les différents groupes constitués en communautés autonomes sont gérées
par des bureaucrates impériaux. Les groupes à l'intérieur de l'empire sont obligés de
coexister. D'après Walzer (1997/1998), ces types de sociétés peuvent être considérés
comme des « régimes de tolérance, indépendamment de la tolérance que se manifestent
ou non les membres des différentes communautés les uns envers les autres. » (p. 31). Le
pouvoir impérial se fixe comme objectif de mettre en place un système pour maintenir la
stabilité et ainsi faire face aux différents facteurs qui peuvent diviser. Il crée un cadre
propice de "tolérance impériale", c'est-à-dire, une tolérance officielle qui est centrée sur le
régime impérial. Il n'existe pratiquement plus d'empires impériaux du fait que "le
gouvernement impérial" « n'a jamais été, un système libéral ou démocratique » (p. 31) qui
favorise ou prend en compte les besoins des minorités. Il cultive un enfermement par
rapport à ces communautés. Aujourd'hui, ces empires se sont écroulés et ont laissé
émerger « l'avènement de la souveraineté » (p. 36), la société internationale et l'État-
nation.

5- 5- 5- 3 La société internationale

Walzer (1997/1998) parle brièvement de la société internationale en soulignant la


faiblesse ou son "anomalie" du fait qu'elle n'est pas un régime interne. Elle est caractérisée
par le respect mutuel des différents États qui la composent. « La tolérance est une des
caractéristiques essentielles de la souveraineté, et constitue une raison importante de
vouloir y accéder » (p. 37). Chaque pays développe une tolérance vis-à-vis des autres
souverainetés issues de l'une des attitudes décrites plus haut. Il peut y avoir dans les
rapports entre les pays une « logique de réciprocité », une hostilité qui dénonce
l'intolérance. Il arrive que des dirigeants de ces pays soient « obligés de négocier avec les
tyrans et des assassins (...), amenés à servir les intérêts de pays dont la culture et la
religion dominantes s'accommodent entre autres de la cruauté, de l'oppression, de la
misogynie, du racisme, de l'esclavage ou de la torture. » (p. 38). Il n'y a pas une véritable
coexistence entre ces États. C'est une sorte de tolérance "formalisée".

252
5- 5- 5- 4 Les consociations

Au plan moral, les consociations peuvent être considérées comme semblables à un


certain degré aux empires. Dans ce système, il est mis en place une coexistence comme
dans l'empire impérial sans recourir à la centralisation et à la rigidité du pouvoir
bureaucratique. C'est le cas des États consociationnels comme la Belgique, la Suisse,
Chypre, le Liban, la Bosnie. Ici, contrairement à l'empire, les groupes « sont tenus à la
tolérance réciproque et à la mise en œuvre par eux-mêmes, et pour eux-mêmes, des
termes de leur coexistence » (Walzer 1997/1998, p. 41). Toutefois, la spécificité de ces
différents groupes est qu'il y a une proximité géographique. À partir des différences, des
accords ont été établis. Ils sont arrivés à mettre en place un système de gouvernement
avec une répartition des « charges officielles », « des quotas », des ressources etc. C'est
un compromis, une véritable coopération qui entraîne une sécurité pour les différentes
communautés.

5- 5- 5- 5 Les États-nations

L'État-nation est la forme la plus répandue aujourd'hui. Il n'y a pas forcément


d'homogénéité entre les différents groupes et la vie commune est organisée en fonction
de l'héritage culturel et religieux. Pour Walzer (1997/1998), « ce projet historique
détermine, dès lors, l'orientation de l'éducation nationale, les symboles et cérémonies de
la vie publique, l'organisation du calendrier officiel et le choix des jours fériés » (p. 44).
Contrairement aux empires multinationaux, l'État-nation n'est pas neutre. Ici, la volonté
des groupes est de s'ériger en État pour se renforcer au niveau territorial, économique,
politique... Aussi, les minorités y sont tolérées mais d'abord en tant que des individus
citoyens avant d'être considérées comme membres d'une minorité quelconque. Le respect
de la "sphère publique", condition d'une unité nationale, est un impératif à observer. « La
religion, la culture, et l'histoire » de chaque minorité font l'objet d'une tolérance et doivent
s'exprimer dans ce que Walzer appelle « l'espace collectif privé » (p. 45) même si au
niveau de l'État-nation, il y a une certaine prudence à observer qui peut aboutir à un projet
d'assimilation et de développement d'une identité nationale. Dans ces conditions, « la
politique de la langue » comme fondement de cette unité est vue comme moyen d'y arriver.

253
Toutefois, l'importance de certaines minorités, « celles qui bénéficient d'une assise
territoriale » (p. 47) peut être un frein à cette politique. Cela constitue aussi une forme de
tolérance. Les minorités, à travers la religion, trouvent le moyen de résister sous les
pressions d'une majorité. Ainsi, elles se trouvent moins menacées que les minorités
nationales.

5- 5- 5- 6 Les sociétés d'immigration

Par société d'immigration, il faut comprendre une société composée de différents groupes
qui, pour des raisons différentes, ont abandonné leur pays d'origine. Se retrouvant dans
cette société d'immigration, les différents groupes sont tenus de tolérer les autres car
aucun d'entre eux ne peut se prévaloir d’avoir plus de droits que les autres. L'État, dans
ces conditions de multiculturalisme, doit faire preuve « d'une parfaite impartialité à l'égard
des différentes cultures, et offrir, de manière égale, son soutien à tous les groupes. »
(Walzer 1997/1998, p. 47). Dans une société d'immigration, il peut exister aussi une forme
de tolérance qui tente d'établir une sorte de liaison entre « des critères culturels et
politiques ». Ce que l'auteur tente d'expliquer en utilisant le terme d’« identité "à trait
d'union" » (p. 55) et cite à cette occasion l'exemple du "latino-américain". Le but recherché,
est de préserver ces différences même si d'après l'auteur, « nous ignorons, aujourd’hui, à
quel point la différence sera demain... » (p. 55).

5- 5- 5- 7 Le cas complexe de la France

La France fait partie des cas complexes d'États difficiles à classer dans les régimes de
tolérance. Elle est un cas typique du fait qu'elle est à la fois un État-nation et une société
d'immigration à cause de son flux important d'immigrants. C'est l'une des premières
sociétés d'immigration au monde. D'après Walzer (1997/1998), le but recherché par ces
immigrants est de « trouver bien-être et soutien mutuel, dans un environnement politique
et culturel immédiatement et très fortement assimilateur de la France. » (p. 62). Toutefois,
cette mixité ne fait pas de la société française une "société pluraliste". Ce contraste trouve
son explication dans l'histoire même de la France qui a fait d'elle une République et par
conséquent, inspirée des idées de Rousseau, elle ne peut admettre « l'existence

254
d'associations secondaires fortement structurées » (p. 63). Chaque immigré, en tant
qu'individu considéré comme citoyen, peut faire valoir ses droits mais pas ceux de
s'organiser publiquement en tant que minorité. C'est le cas des juifs avec cette déclaration
de Clermont-Tonnerre : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout leur accorder
comme individus. »143 Mais avec l'arrivée en nombre considérable des immigrants
maghrébins, l'idéal républicain est opposé au multiculturalisme que ces derniers
revendiquent. Et la tolérance surtout religieuse sera souvent remise en cause.

Bref, nous retiendrons que si les empires impériaux ont disparu aujourd’hui, c’est en partie
parce qu’ils ne garantissaient pas aux citoyens les libertés individuelles même si, il faut le
reconnaître, la diversité des communautés était protégée. Ils ont été remplacés par les
nations modernes bâties sur un modèle séculier ou laïque qui à son tour fait l’objet de
débat du fait qu’il est écartelé entre ces deux exigences : autonomie, libertés et droits
individuels d’un côté et de l’autre, la vie commune. Ce que décrit si bien Walzer
(1997/1998) en ces termes :

Les deux projets de la politique moderne apparaissent ainsi entrer en compétition l’un avec l’autre:
faut-il accorder la préférence à l’émancipation de l’individu ou à l’engagement collectif? Il n’existe
aucun argument décisif en faveur de l’une ou l’autre proposition. Les situations de tension doivent
être traitées au cas par cas […]. La vieille conception de la différence, qui rattache les individus à
leur collectivité autonome ou souveraine, se heurtera à la résistance des individus dissidents et
ambivalents; mais, à l’inverse, toute conception de la différence qui ne prenait en compte que les
dissidents se heurtera aux hommes et femmes luttant encore pour s’approprier, mettre en pratique,
élaborer, réviser et transmettre une tradition religieuse ou culturelle commune. (p. 126-133).

Repenser la laïcité devient un impératif. Au fond, aujourd’hui, elle doit être capable de
prendre en compte les nouveaux brassages de populations de cultures différentes tout en
en permettant à celles-ci de garder leur identité. C’est là tout le pari du pluralisme.

En somme, une étude historique de la notion de tolérance a permis de se rendre compte


de son parcours et de son évolution. En effet, d’une conception limitative ou partielle de la
tolérance, il est question aujourd’hui de la reconnaissance de la diversité et de l’accueil
des différences. Ce travail de recherche sur la tolérance a permis également de montrer

143
Voir débat à l'Assemblée Législative en 1791 sur l'émancipation des juifs.

255
que la tolérance est à la fois une notion philosophique et une vertu qui implique
l’acceptation du droit de l’autre, l’une des conditions nécessaires de parvenir au vivre-
ensemble. Aussi, il semble, comme il a été démontré dans ce chapitre, que parler de la
tolérance implique d'aborder la question de la coexistence pacifique. Sur ce point, un
auteur comme Michael Walzer semble intéressant avec ses différentes formes ou attitudes
que revêt la tolérance qui renvoient chacune à un type de régime. Il a démontré, en effet,
que la tolérance ne signifie pas l’acceptation de toutes les théories ; et donc qu’elle a des
limites. Toutefois, elle met en jeu les rapports interpersonnels et interroge sur comment
dépasser les différences. D’où peut-être la possibilité de la considérer comme un principe
politique. Cependant, un idéal de coexistence doit-il être fondé sur la résignation ou
l'indifférence? Naturellement, nous serions tentés de répondre par la négation, mais
Walzer, lui, voit à travers ces attitudes un début sur l'échelle de la tolérance. Ce qui mérite
d’être retenu est que la tolérance, impliquant davantage un engagement individuel et
communautaire, exalte et rend possible le droit à la différence ; elle prône ainsi
l’individualisme démocratique. Ce qui la différencie de la laïcité qui renvoie à la nature de
l’Etat. Elle est une obligation et une attente de certains rôles de l’Etat à promouvoir les
libertés, l’égalité et les valeurs collectives.

5- 6 CONCLUSION

Il a fallu une très longue période à la France pour passer d’une situation où le catholicisme
était une religion englobante à l’avènement d’une République laïque. Ce passage a été
très lent et impliquant des conséquences énormes dans les choix politiques comme la
séparation du politique et du religieux. Cette séparation des pouvoirs intervenue
définitivement avec la loi de 1905 fonde la laïcité française comme dispositif de l’Etat
reposant sur trois principes indissociables que sont : la neutralité de l’Etat, la liberté de
conscience et l’égalité de tous les citoyens. La laïcité s’applique à l’autorité politique et
tout ce qui relève d’elle. C’est à l’Etat, en réalité, que revient le rôle de veiller à la distinction
entre ce qui relève du domaine public et du domaine privé. La laïcité est donc une
prérogative de l’Etat même si elle peut s’imposer aux citoyens. Aujourd’hui, elle reste une
idée complexe qui a du mal à faire l’unanimité autour elle. Dans beaucoup de pays, la
laïcité est à la fois un principe politique et un cadre juridique qui permet de vivre ensemble.
Aujourd’hui, certains auteurs comme Jean Baubérot soutiennent la thèse selon laquelle

256
un « modèle français de laïcité » unique n’existe pas. Il a également montré qu'il existe
dans le monde des laïcités issues d'histoires et de fondements philosophiques propres à
certaines sociétés. (Cf. Baubérot, 2007). Taylor et Maclure (2010) ramènent toutes ces
différentes traductions à deux formes de laïcicité : le régime républicain et la conception
libérale pluraliste.

En définitive, retracer un contexte historique et comprendre la richesse de la signification


des caractéristiques de la laïcité nous a semblé important pour comprendre la spécificité
sénégalaise en matière de laïcité. Pour nous aider dans cette entreprise, Jean Baubérot
présente un certain intérêt. Avec les notions de "processus de laïcisation" et de "pactes
laïques" mais aussi les critiques objectives qu’il émet par rapport à l'application de la laïcité
et le diagnostic des difficultés ou des problèmes liés à celle-ci qu'il dresse, il peut être utile
et servir de base pour une réflexion sur le modèle de laïcité au Sénégal. Certaines
caractéristiques par exemple des "pactes laïques" comme la reconnaissance de légitimité,
le pluralisme des cultes reconnus, pour le premier, et le deuxième pacte, la liberté de
conscience et de culte sont à considérer. En effet, il semble que voir la religion comme
utilité sociale, assurer une complète égalité de tous les cultes et des citoyens en matière
de croyance et permettre une pleine liberté de conscience sont nécessaires pour
construire une voie spécifique et incarner les valeurs communes. Les mesures de
tolérance qui ont permis la reconnaissance de la pluralité des confessions peuvent aussi
être intéressantes pour repenser le modèle sénégalais. Aussi, nous verrons, plus loin, que
la manière dont s’articulent les quatre éléments, constituant les fondements de la laïcité,
peut permettre d’utiliser celle-ci comme concept d’analyse. (Baubérot et Milot, 2011). Ainsi
donc, notre méthodologie, tout en s’appuyant sur différentes techniques comme l’étude
documentaire, l’analyse de discours et les entretiens semi-directifs, se donne comme
mission d’éclairer notre démarche d’interprétation de la réalité sénégalaise par rapport à
la question laïque.

257
CHAPITRE 6
LA METHODOLOGIE

La méthodologie renvoie à l’étude de la relation entre les critères des méthodes de travail
et les résultats attendus. C'est « la réflexion préalable sur la méthode qu'il convient de
mettre au point pour conduire une recherche » (Mucchielli 1996, p. 129). Dans ce sens,
une méthode scientifique permet d'analyser une situation donnée. Par recherche
scientifique, il faut entendre à la suite de Shevenell (1963) dans "Recherche et Thèses",
« une investigation critique et exhaustive poursuivie par un spécialiste sur un sujet bien
délimité aux frontières du savoir pour le vérifier, le corriger ou le compléter à la lumière de
principes fondamentaux » (p. 16). En sciences sociales, les méthodes qualitatives sont
utilisées comme des méthodes de recherche dans la mesure où elles permettent de
gagner en profondeur dans l'analyse. Elles s'inscrivent dans un paradigme descriptif et
compréhensif. Le chercheur peut faire appel à différentes techniques comme :
l'observation participative, les entretiens individuels, l’étude documentaire, l'analyse de
contenu, ou encore l'analyse de discours...

6- 1 CHOIX DE LA METHODOLOGIE

Après avoir dégagé la problématique de la recherche et procédé à la clarification


conceptuelle pour rendre compte des aspects théoriques de la laïcité, il est question à
présent d’exposer la méthodologie de recherche utilisée.

6- 1- 1 La justification du choix de la méthodologie

Notre recherche s’inscrit dans le domaine des sciences humaines et sociales en général,
et en particulier dans celui de l’éducation. Par conséquent, l’"Homme" dans sa globalité
est au centre de nos préoccupations avec ses relations complexes caractérisées par des
variables personnelles et un champ social déterminé. Ce champ social est difficilement
saisissable par les techniques d’observation du monde naturel. En définitive, un travail
d’interprétation permet de mieux l’appréhender. Raison pour laquelle : « la dimension

258
pratique et subjective est valorisée, l’intentionnalité des acteurs et la complexité de la
réalité sociale sont prises en considération… Les chercheurs en éducation conservent
toujours un grand souci de rendre compte de la réalité telle qu’elle est vécue par les
personnes observées » (Karsanti et Savoie-Zajc, 2011, p. 20-21).

6- 1- 2 L’approche qualitative

Dans notre recherche, l'approche qualitative a été retenue. Il s'agit pour nous de recueillir
des informations à partir d’un corpus documentaire constitué de textes variés et
d’entretiens semi-directifs qui nous permettent d’examiner les effets de la réforme et
d'analyser les catégories de débat et les argumentaires sur la question de la laïcité au
Sénégal. Nous cherchons à analyser le discours d'acteurs sénégalais sur la problématique
de la laïcité pour faire ressortir les signes et les différents sens que ces derniers lui
donnent. À travers les différentes catégories de débats soulevés par l'élite politique et
intellectuelle, il s'agit d'analyser les argumentaires dans ces discours pour trouver leurs
sens, en « dégageant les significations cachées » (Avanzini et Mougniotte, 2012, p. 59).
L’objectif final étant de procéder à une typologie du modèle et des visions de la laïcité au
Sénégal. Il sera question donc de voir comment les acteurs sénégalais, à savoir les
intellectuels, les acteurs de l’école et les guides religieux intègrent et se positionnent par
rapport aux valeurs cardinales de la laïcité et comment ils réagissent face à la réalité de
son application. Quel type de discours mettent-ils en avant en réaction aux différentes
mesures prises par les autorités étatiques allant dans ce sens ? Il y a-t-il une ligne de
tolérance par rapport au principe de la laïcité ou par rapport à l'une de ses caractéristiques
qui sont : la séparation des pouvoirs, la neutralité de l’État vis-à-vis des religions, le respect
de la liberté de conscience, l'égalité des différentes religions de la part de l’État ? Quels
sont les signes à travers le contexte social et politique qui peuvent aider à déceler le
modèle sénégalais et les différentes constructions possibles de la laïcité. Par signes ici,
nous entendons les éléments qui permettent de comprendre les articulations entre les
caractéristiques de la laïcité. A la suite de la partie théorique, il s'agit donc d'analyser les
points de vue des acteurs pour bien extraire les éléments spécifiques au cas du Sénégal.
Les textes choisis s'orientent vers les dispositions institutionnelles prises par rapport à
l'application du principe de laïcité. Ce travail nécessite donc comme le soutiennent
Pourtois et Desmet (1998) de distinguer classiquement la phase de recueil et la phase de

259
traitement de données (p. 4). Ce recueil de données doit s'appuyer sur l’entretien d’acteurs
sénégalais d’un côté et de l’autre, sur un corpus documentaire. Et pour saisir les
significations possibles tirées de ces entretiens et de ces textes, l'analyse et le traitement
des données exigent la mobilisation de différentes ressources d’intelligence. Dans cette
perspective, le choix est fait sur les techniques d'analyse de discours. En définitive, notre
méthodologie s’articule autour de trois techniques de recherche. Il s’agit de l’entretien
semi-directif, de l’étude documentaire et de l’analyse de discours.

6- 2 TRIANGULATION DE TECHNIQUES DE RECHERCHE

En sciences humaines, le chercheur est souvent confronté, comme le souligne Pourtois,


Desmet et Lahaye (1998), à « l’impossibilité d’être exhaustif » (p. 12) par rapport à la
validité de la recherche. Chaque technique présente des avantages et des limites. En
prenant en compte ces différents contraintes et les objectifs fixés, il nous a semblé plus
adéquat d’opter pour une triangulation des approches en faisant appel à plusieurs
techniques de recueil de données avec le seul but de « compenser le biais inhérent à
chacune d’entre elle » (Mucchielli, 1996, p. 261). La triangulation permet d’obtenir des
données de nature différente et les enrichis. Elle donne plus de pertinence aux différents
discours. La combinaison de ces trois méthodes de recherche choisies, à savoir : l’étude
documentaire, l’entretien semi-directif et l’analyse de discours donnera à notre examen de
la réforme du système éducatif et à notre interprétation de la situation sénégalaise en
matière de laïcité plus d’objectivité et de profondeur.

6- 2- 1 L’étude documentaire

L’étude documentaire est la méthodologie mise en place par l’élaboration d’une stratégie
de recherche pour trouver des documents susceptibles d’avoir un lien étroit avec un objet
de recherche. Sa finalité reste donc la production d’un travail universitaire caractérisé par
une richesse documentaire et aussi une certaine rigueur scientifique. L’ambition
d’apporter une certaine profondeur et d’étendre notre champ d’investigation afin qu’il soit
plus critique et exhaustif nous pousse à faire appel à une étude documentaire. Celle-ci est
composée de la mention d’un côté de données historiques et archivées et d’un autre, de
données institutionnelles et contemporaines.

260
6- 2- 1- 1 La documentation archivée

Le point de départ de notre recherche a été la consultation des dictionnaires et des


encyclopédies. Ce qui nous a permis de nous familiariser avec le vocabulaire concernant
la laïcité et ses principes fondamentaux de base. Ils nous ont ainsi permis de découvrir le
sens précis des concepts-clés, et d’établir des rapprochements ou des oppositions entre
eux et par conséquent éviter les confusions. Ces différentes bibliothèques et centres de
documentation ont donné l’occasion de consulter aussi diverses thèses et plusieurs
mémoires d’étudiants pendant la phase exploratoire de notre travail de recherche et qui
l’ont orienté vers plus de précision. La partie bibliographique de ces thèses et les
mémoires constitue indéniablement une ressource très importante qui peut aider et donner
des pistes de recherche. Les communications lors des différents colloques en rapport avec
la laïcité ont apporté des éclairages à notre recherche.

6- 2- 1- 2 La documentation officielle

Cette rubrique concerne l’ensemble des documents officiels édités par l’Etat, c’est-à-dire,
établis par les ministères et les institutions officielles. Il s’agit de rapports, discours,
documents de travail préparatoire aux séminaires, par exemple ministériels, lois,
constitutions, chartes, déclarations, conventions, etc., portant sur la thématique de la
laïcité et de l’introduction de l’enseignement religieux dans l’école publique au Sénégal. Il
s’agit donc, pour nous, dans le cadre de l’analyse du modèle et des différentes visions de
la laïcité au Sénégal, d’examiner des textes officiels pour comprendre le contexte, la réalité
et la spécificité sénégalaise. La construction de notre modèle d’analyse s’appuiera sur la
loi d’orientation de l’Education Nationale n° 91-22 du 16 février 1991, sur la loi n° 2004-
37, modifiant et complétant la loi d’orientation de l’Education Nationale n°91-22 du 16
février 1991, sur les documents de références sur le séminaire sur l’introduction de
l’enseignement religieux à l’école publique, sur les décrets portant création de "daara"
modernes au Sénégal, sur les différents outils mis en place dans le cadre du "testing" du
curriculum des "daara" modernes.

261
6- 2- 1- La constitution du corpus documentaire

Une classification des documents écrits en langue française peut être établie en tenant en
compte un certain nombre de critères. Dans ce cadre, il est possible de distinguer, au
moins, trois types de documents dans un corpus documentaire de sources écrites suivant
la nature de ces derniers (lois, rapports, thèses, témoignages, etc.), leur auteur (une
structure comme un Ministère, ou un individu), leurs contenus (instructions, directives,
programmes, etc.) leur portée (locale ou nationale), leurs destinations (dans un cadre privé
et restreint, ou ouvert à tout public), etc. Ainsi, il existe des documents de référence
émanant des autorités étatiques. Ils font référence et sont publiés dans le Bulletin – ou
Journal – Officiel. Il s’agit de l’ensemble des textes fondamentaux qui déterminent la
politique générale de la nation (Constitution), les lois organiques, les Institutions Officielles
(I.O), les lois d’orientation, les décrets, les arrêtés, les circulaires, etc. Le deuxième type
est constitué des documents d’appui, souvent commandés par l’administration. Ils se
présentent sous la forme d’avant-projet de lois, de documents préparatoires, de rapports
de synthèse, de commissions. Le troisième type, appelé documents de recherche, se
compose des différents ouvrages portant sur un point précis d’une recherche.

L'ensemble de ces innovations témoignent de l’intention et du désir de la part des pouvoirs


politiques d’harmoniser les dispositifs d’éducation avec les besoins, les attentes, les
préoccupations et les demandes des différentes communautés qui composent la société
sénégalaise. Même si d’autres raisons – plus profondes ou plus en phase avec des
prescriptions internationales – peuvent être invoquées, il ne faut pas perdre de vue que
ces mesures s’inscrivent dans une logique d’aménagements et d’arrangements entre les
autorités politiques et les différentes communautés d'une part et d'autre part, dans un
cadre beaucoup plus global, dans une perspective de mise en phase avec les réalités
socioculturelles du pays. Dans le cadre de ces réformes relatives à l’introduction de
l’éducation religieuse dans les écoles élémentaires publiques et la modernisation des
"daara" des documents de référence, des documents d’appui et des documents de
recherche ont vu le jour. Nos investigations sur le terrain ont permis de nous rendre
compte de l'existence de nombreux documents qui peuvent être rangés suivant une
classification qui obéit à trois ordres : le premier est constitué d’un ensemble de textes

262
officiels en vigueur avant ces réformes ; un deuxième classement où il peut être retrouvé
des projets de textes, des rapports, des comptes rendus de séminaire divers produits
pendant la phase de préparation et de mise en œuvre de ces réformes. En effet, par
rapport à ces dernières, au niveau du système éducatif, le ministère de l’Éducation a eu à
commander des documents préparatoires d’avant projets de lois qui ont servi de support
de travail aux différentes assises préparant leur mise en œuvre. Aussi, à l’issue de ces
rencontres, un rapport de synthèse a été présenté aux autorités étatiques chargées
d’entériner le projet de loi. Et un troisième ordre regroupe des documents officiels
modifiant les textes en vigueur et de nouvelles lois entérinant ces innovations.

Dans le cadre de la construction du corpus scientifique, il a d’abord été question


d’effectuer une recherche sur internet. Ce qui a permis de nous informer et de collecter
des documents intéressants utiles pour notre recherche. A partir des années 2000,
certains rapports produits ou commandés par Ministère de l’Education ont été disponibles
en ligne. Parmi lesquels figurent des documents stratégiques tels que le Programme
Décennal de l’Education et de la Formation (PDEF), et à partir de 2013, le Programme
d’Appui de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence de l’Education et de la Formation
(PAQUET-EF). Avec ces deux programmes décennaux, l’Etat du Sénégal a élaboré des
« Lettres politiques sectorielles » qui essaient, sur une courte période, de réajuster les
orientations. La prise de connaissance des Lettres sectorielles de l’éducation de 2005,
2009, 2012, 2013… ciblant des objectifs bien déterminés et constituant des instruments
de gestion efficaces dans le cadre de ces programmes décennaux par période de trois
ans généralement, a été aussi une occasion, pour nous, de nous imprégner de la vision
et de l’orientation de la politique éducative du Sénégal. Aussi, « la lettre politique
sectorielle permet de mettre en avant les engagements internationaux du Sénégal en
matière d’éducation. » (MEN, Paquet, 2013).

Cette recherche sur le Net nous a fait découvrir une multitude d’écrits et de colloques sur
la question religieuse à l’école publique au Sénégal. S’agissant des lois d’orientation,
rapports et documents officiels en lien avec l’éducation religieuse et le projet d’appui à la
modernisation, le Ministère de l’Education a été notre principale source d’information et
de collecte. Des rencontres avec des inspecteurs de l’éducation et de la formation ont

263
rapidement orienté notre recherche documentaire vers les services dudit ministère tels
que la division des affaires juridiques, des liaisons et de la documentation ou le service de
la planification. Ces deux services ont constitué une ressource importante de collecte de
données sur le sujet. Des personnes-ressources au niveau de la structure centrale de
l’éducation ont été d’une grande utilité. Aussi les multiples rendez-vous obtenus avec les
acteurs de l’éducation au Sénégal dans la phase exploratoire, entre juillet- août 2015 et
juillet-août 2016 ont également permis d’entrer en possession de nombreux documents
en lien avec notre thème de recherche. A partir donc de cette banque de données et
suivant leur importance en lien avec l’éducation religieuse dans les écoles élémentaires
publiques et le projet de modernisation des "daara", un recueil de documents a été
constitué dans le but de comprendre et de décrire les réalités institutionnelles liées à ces
deux innovations.

6- 2- 2 L'entretien

Notre enquête s’inscrit dans une logique de recherche méthodologique de collecte


d’informations portant sur les acteurs de l’école sénégalaise pour recueillir leurs points de
vue sur l’introduction de l’éducation religieuse et le projet de modernisation des daara. Le
recueil de ces informations prendra la forme d’entretien de face à face.

6- 2- 2- 1 L’entretien en recherche scientifique

En sciences humaines et sociales, par exemple, l’entretien est l’une des méthodes de
recueil de données les plus largement utilisées. Il est un instrument d’une part, de collecte
d’informations à partir des points de vue personnel des enquêtés en lien avec une
thématique particulier et d’autre part, de production de connaissances obéissant,
contrairement à d’autres catégories d’entretien, à des règles méthodologiques d’une
démarche scientifique. Il peut donc être considéré comme un recueil de données
utilisables directement ou simplement destinées à l’investigation scientifique. Le mot lui-
même correspond en anglais au terme "interview" intégré depuis bien longtemps dans le
vocabulaire de la presse française. Ainsi, tous les entretiens sont des interviews ; y
compris les entretiens de recherche. Il faut cependant souligner que généralement, le
terme « interview » est employé pour désigner la méthode alors que le terme entretien,

264
lui, désigne les différentes entrevues qui constituent cette méthode (Imbert, 2010, p. 23).
Ils ont la caractéristique commune de chercher à formaliser une prise d’information. «
L’entretien d’enquête vise à collecter une information précise, fiable, à des fins de
traitement statistiques ou scientifiques. C’est un type d’interview directive. Il est le
correspondant oral du questionnaire. L’enquêté répond aux questions précises qui lui sont
posées mais dans ce cas, les questions veulent dire ce qu’elles paraissent exprimer »
(Tessier G., 1993). Selon les finalités recherchées et la catégorie dans laquelle s’inscrit
une recherche, le choix de la technique peut varier. Ainsi, il existe différents types
d’entretien.

6- 2- 2- 3 Les différents types d'entretien

Des critères liés au degré d’ouverture ou encore de directivité vont, en définitive, permettre
d’identifier et d’établir une typologie des différents entretiens possibles dans le domaine
de la recherche scientifique. Ainsi, le type d’entretien varie selon que l’enquêteur va faire
appel à des questions précises, permettre à l’enquêté d’interpréter et lui donner la liberté
d’étayer son point de vue. Ces critères permettent donc de distinguer trois types
d’entretiens qui sont : l’entretien directif, l’entretien semi-directif et l’entretien non directif.
Chacun d’eux présente un certain nombre de caractéristiques qui le différencie des autres.
Ce premier type, appelé aussi entretien dirigé, s’apparente à l’enquête par le questionnaire
avec des questions « ouvertes » mais ici posées à l’oral. L’entretien directif est défini par
Ghiglione et Matalon (1991) comme étant « un ensemble de questions ouvertes,
standardisées et posées dans un ordre immuable à l’ensemble des enquêtés. Ces
questions supposent de leur part des réponses relativement courtes et précises, à des
questions non ambigües. » (p.79). La deuxième catégorie, nommé également entretien
semi-dirigé, se caractérise, au préalable, par l’élaboration d’un guide d'entretien composé
d’une consigne et des thèmes pouvant être abordés pendant l’interview. Moliner, Rateau,
Cohen-Scali (2002), abondant dans le même sens, soulignent le fait qu’il se caractérise
par « l’existence préalable d’un schéma ou guide d’entretien qui définit les thèmes
principaux à explorer et prévoit éventuellement certaines relances. La manière dont les
thèmes seront amenés au cours de l’entretien, dont ils seront formulés et l’ordre dans
lequel ils apparaîtront n’est pas fixée à l’avance. » (p.62). Ces derniers sont importants
dans ce type d’entretien dans la mesure où ils permettent d’obtenir les informations

265
nécessaires à la vérification des hypothèses de la recherche. Enfin, le dernier groupe,
appelé aussi entretien non dirigé ou libre, trouve un intérêt particulier. Il s’agit pour le
chercheur de mener ce type d’entretien dans le but de mieux structurer sa problématique
et définir ces hypothèses. Le tableau suivant permet de mieux visualiser les
caractéristiques de chaque type d’entretien.

Entretien dirigé Entretien semi-dirigé Entretien libre


(ou directif) (ou semi-directif) (ou non directif)
Discours non continu qui Discours par thèmes dont Discours continu
suit l’ordre des questions l’ordre peut être plus ou
posées moins bien déterminé
selon la réactivité de
l’interviewé
Questions préparées à Quelques points de repère Aucune question préparée
l’avance et posées dans un (passages obligés) pour à l’avance
ordre bien précis l’interviewer
Information partielle et Information de bonne Information de très bonne
réduite qualité, orientée vers le but qualité, mais pas
poursuivi nécessairement pertinente
Information recueillie Information recueillie dans Durée de recueil
rapidement un laps de temps d’informations non
ou très rapidement raisonnable prévisible

Inférence assez faible Inférence modérée Inférence exclusivement


fonction
du mode de recueil
D’après De Ketele et Roegiers (1996, p. 172), cité par Imbert (2010, p.23).

Compte tenu de ses caractéristiques propres, le choix a été porté sur l’entretien semi-
directif. Sa structuration par l’élaboration d’un guide d’entretien où figurent des thèmes et
des questions ouvertes nous paraît capitale pour obtenir des informations nécessaires.

266
6- 2- 2- 4 Le choix de l’entretien semi-directif

En lien avec les objectifs de cette recherche, il semble que l’utilisation de la technique
d’entretiens semi-directifs soit la plus indiquée pour recueillir le point de vue des acteurs
de l’école sur l’introduction de l’éducation religieuse à l’école élémentaire publique et le
projet de modernisation des "daara". L’entretien semi-directif a pour objectif de faire
ressortir les différentes représentations et significations possibles sur des thèmes bien
définis. En effet, c’est un instrument d’observation spécialement adapté pour « obtenir des
informations sur les perceptions, les états affectifs, les jugements, les opinions, les
représentations des individus, à partir de leur cadre personnel de référence et par rapport
à des situations actuelles » (Van Der Maren, 1996, p. 312). Nous sommes donc dans le
cas d’une approche qualitative visant à étudier la compréhension d’un phénomène ou
d’une situation et, à partir d’échantillons bien choisis, se caractérisant par une recherche
de significations en profondeur par la méthode d’analyse de contenu. Dans notre cas, il
s’agit d’examiner les réalités sur le terrain par rapport à la mise en place et la gestion de
la question religieuse en lien avec de ces deux innovations. Et dans un deuxième temps,
à partir des discours, recueillir des informations en lien avec notre cadre théorique et faire
une analyse de contenu afin de dégager les différentes visions de la laïcité. Notre
recherche a comme cadre le Sénégal et plus particulièrement les écoles élémentaires
publiques classiques et les "daara" sélectionnés en vue de tester le projet d’appui de
modernisation. Dans le cadre d’une enquête semi-directive, la préparation, l’élaboration
d’un guide et la passation de l’entretien peuvent être considérées comme des opérations
majeures et d’une extrême délicatesse. Leur réussite aura des conséquences très
importantes par rapport à la suite à donner de la recherche. Plusieurs ouvrages abordant
la question de la littérature méthodologique des entretiens semi-directifs préconisent
l’élaboration d’un guide d’entretien qui peut servir de support aux différents entretiens à
effectuer. Ce guide a été déterminant pour recueillir les informations sur le terrain afin
d’établir un lien avec notre travail théorique.

267
6- 2- 2- 4- 1 Le guide d’entretien

Le guide d’entretien, comme le souligne Kaufmann (1966, p. 44), est un guide souple qui
organise l’entretien à partir d’une grille de questions. Sa préparation requiert un effort
minutieux et demande de la part de l’enquêteur un travail préalable mettant en lien et en
articulation les objectifs de la recherche qui ont permis de déterminer les différentes
hypothèses avec les entretiens à passer. Le guide d’entretien est donc un outil qui sert à
interviewer d’une part, à bien effectuer un cadrage de thèmes à aborder et qui sont définis
préalablement et d’autre part, à déclencher, chez ce dernier, une dynamique de
conversation soutenue avec un fond plus riche. Sous ce rapport aussi, la formulation et
l’ordre des questions à aborder sont à adapter selon chaque enquêté et le type
d’information recherché. Une certaine liberté est laissée aux informateurs par rapport aux
différents thèmes de l’entretien à aborder tout en donnant aussi la possibilité au chercheur
de recentrer l’entretien dans le but de recueillir le maximum d’informations qui soient
pertinentes (Blanchet, 1991 ; Quivy et Campenhoudt, 2006).

 Les thèmes et sous-thèmes du guide d’entretiens

Dans le cadre de la présente recherche, la première étape a consisté à rédiger toutes les
questions qui nous venaient et à procéder à des tris et des éliminations par rapport aux
objectifs fixés dans la partie méthodologique. Ensuite, il a fallu faire des regroupements et
établir un classement des questions par thème à aborder. Cependant, la principale
difficulté a résidé dans le fait que les entretiens semi-directifs s’adressent à des publics
différents : il s’est agi d’interviewer, en effet, d’un côté les acteurs de l’école publique
classique et les responsables des "daara" pour s’enquérir des réalités par rapport à la
mise en œuvre des innovations et établir un bilan sur les modalités d’application de la
réforme suivant le secteur où ils appartiennent et de l’autre, les autorités étatiques,
religieuses, universitaires et académiques, la société civile, etc., sur des questions
beaucoup plus larges concernant la religion à l’école, les "daara" et le projet d’appui à la
modernisation, le principe de laïcité et ses différents aménagements internes propres au
Sénégal. Ce qui implique nécessairement l’élaboration d’un guide d’entretien complexe et
qui répond aux attentes de la recherche. Ainsi, après ce travail de classification obéissant

268
à une logique chronologique de cause à effet, il a été question d’établir une liste d’un
certain nombre de thèmes. Les différents thèmes suivants donc à aborder ont été retenus :
le contexte, la réforme proprement dite, le partenariat, le Bilan et le lien avec la laïcité.
Aussi, pour chaque thème ainsi défini, il a fallu fixer un certains nombres d’éléments
nécessaires et suffisants à rechercher ou visés pour pouvoir recueillir des informations sur
les thèmes ainsi sélectionnés. Le tableau suivant permet de visualiser l’ensemble des
thèmes et points retenus pour l’élaboration du guide d’entretien semi-directif :

Thèmes Eléments visés

Raisons justifiant cette


longue attente
Le contexte général de
la réforme Eléments déclencheurs de
la réforme

Réalité sur le terrain

La réforme Sens

Implication dans la mise en


œuvre
Les partenariats mis en
place Nouvelles formes de
collaboration

Attentes des parents


concernant la scolarisation
Le bilan de la réforme
Difficultés rencontrées

Modification des équilibres

Le principe de laïcité Modèle de laïcité

269
 L’élaboration du guide d’entretiens

La détermination au préalable d’un guide d’entretien est un élément capital sur lequel
s’appuie l'entretien semi-directif ; dans ce contexte, c’est l’une des conditions nécessaires
pour obtenir des informations sur les thèmes considérés comme importants dans le cadre
des hypothèses de la recherche. Ce guide d’entretien se caractérise, selon Moliner,
Rateau, Cohen-Scali (2002), par « l’existence préalable d’un schéma ou « guide
d’entretien » qui définit les thèmes principaux à explorer et prévoit éventuellement
certaines relances. La manière dont les thèmes seront amenés au cours de l’entretien,
dont ils seront formulés et l’ordre dans lequel ils apparaîtront n’est pas fixée à l’avance »
(p. 62). Le guide d’entretien de cette recherche a été élaboré autour de cinq grands
thèmes. Le premier, traite du contexte général de ces innovations. Et dans ce cadre, il
était question de faire ressortir les raisons de la longue attente par rapport à l’inclusion de
la religion dans la sphère scolaire – si l’on sait qu’elle a été l’une des fortes
recommandations depuis les états généraux de l’éducation – et de la formation et de
déterminer les éléments nouveaux dans le paysage sénégalais à l’origine de ces
innovations. La deuxième thématique se focalise sur ces deux éléments ciblés de la
réforme de 2OO2. Il s’est agi de se rendre compte des réalités sur le terrain par rapport à
l’introduction de l’éducation religieuse à l’école de la République et le projet d’appui aux
"daara" et voir quel sens donnent les interviewés à chacune de ces innovations. Le
troisième thème tourne autour la question du partenariat avec les différentes
communautés religieuses. D’abord, il était question de revenir sur leur implication dans la
mise en œuvre de l’inclusion de la religion à l’école et ensuite, de dégager les nouvelles
formes de collaborations développées dans ce sens. La quatrième thématique aborde le
bilan de ces innovations. Ici, il ne s’agit pas de faire une évaluation du processus, ce qui
dépasse nos compétences, mais de recueillir le point de vue des actes de l’école classique
et des "daara" sur leurs effets par rapport à la scolarisation et aux attentes des
communautés religieuses. Enfin, la dernière thématique concerne la laïcité. Ce cinquième
thème a été introduit dans une perspective d’établir un lien et d’apporter des compléments
d’information à notre cadre théorique qui a fait ressortir déjà des éléments-clés du modèle
de laïcité. Il s’agissait donc, d’abord d’examiner si ces innovations ont apporté des
modifications dans le lien entre école et religion d’une part et d’autre part, entre autorités
étatiques, académiques et autorités religieuses, et ensuite de voir si le concept d’un état

270
sénégalais laïque a été modifié, sinon, comment ces innovations en dessinent les
contours. L’élaboration du guide et la définition des différents thèmes à aborder se
justifient par une logique de recherche de congruence avec notre cadre théorique. Dans
le cadre, après avoir établi une liste d’un certain nombre de thèmes et d’éléments
recherchés sur lesquels les différents acteurs de l’école concernés par ces deux
innovations devront s’exprimer, le guide d’entretien suivant a été élaboré. Cependant, il
ne faut pas perdre de vue qu’un certain degré de liberté a été préservé dans l’exécution
et l’ordre dans lequel les questions ont être posées et même du point de vue de leur
formulation suivant les interviewés. Cela dans le seul but d’adapter chaque situation à la
personne interviewée et de lui permettre ainsi une production spontanée.

6- 2- 2- 4- 2 La démarche utilisée lors des entretiens

Dans une optique exploratoire liée à cette recherche, en juillet et août 2015, alors que nos
hypothèses de recherche n’étaient pas encore bien structurées, un entretien non-directif
a été effectué au Sénégal. Ainsi, l’objectif de ce premier terrain a été de permettre une
meilleure structuration de la problématique de la recherche et des hypothèses. Il s’est agi
de poser, de façon large, le thème de l’entretien; ce qui a permis aux quelques acteurs
ciblés d’aborder le sujet selon leurs propres représentations et les informations qu’ils
détiennent. Ces premiers entretiens ont été déterminants par rapport à la délimitation de
l’objet de recherche et à la formulation de la problématique, ainsi qu’à l’orientation que
devrait prendre les entretiens semi-structurés qui ont suivi. En effet, ce travail de
recherche a privilégié la technique d’entretien semi-directif utilisée lors de l’enquête
exploratoire effectuée sur le terrain au Sénégal en juillet et août 2017 en vue de compléter
le corpus scientifique réuni. Chaque entretien a duré en moyenne une demi-heure. Autant
que possible, il s’est agi de suivre les différents thèmes qui constituent notre guide
d’entretien. Cependant, suivant les entretiens et la réactivité de la personne interviewée,
l’ordre des questions a pu être varié. L’objectif était d’orienter le discours vers le but
poursuivi afin de recueillir des informations de bonne qualité. Pour cela, une mise en
confiance de notre interlocuteur, une attention soutenue et une écoute active ont guidé
nos entretiens.

271
6- 2- 3 L'analyse de discours

Parmi les techniques d'analyse qualitative, nous mettons l'accent aussi sur l'analyse de
discours. Terme qui est développé à partir des années 1960, l'analyse de discours est
aujourd'hui en vogue. C'est une approche méthodologique utilisée en sciences humaines
et sociales qui prend en compte non seulement le contenu du discours écrit ou oral mais
aussi le contexte dans lequel ce dernier a été produit. Sous ce rapport, le discours est un
moyen d'expression. La technique d'analyse de discours permet de saisir le sens qui est
contenu dans les textes. En exigeant une "véritable lecture", elle va plus en profondeur
par rapport à l'analyse de contenu comme le fait remarquer un observateur extérieur cité
par Dominique Maingueneau (1987, p. 6). En effet, pour Maingueneau (1987), « l'analyse
du discours vient ainsi apporter sa contribution aux herméneutiques contemporaines.
Comme tout herméneute il suppose qu'un sens doit être atteint et que ce sens est caché,
inaccessible sans une technique adaptée. » (p. 6). Cela signifie que les textes choisis et
les différents entretiens ont des sens cachés qu'il faut décoder, déchiffrer. Ce qui demande
un travail soutenu pour accéder à une certaine compréhension de ces derniers. Il faut
donc un rapport au texte pour le comprendre et l'interpréter et la première étape à franchir
est la détection de la question qu'il soulève qui permet de saisir son orientation et les
différentes interactions.

6- 2- 3- 1 La démarche méthodologique de l'analyse de discours

L’analyse de discours se fera selon trois dimensions imbriquées à savoir la dimension


sémantique, la dimension syntaxique et la dimension pragmatique.

- La dimension sémantique renvoie au sens des mots et du langage. Il s'agit


d’analyser le contenu des différents textes en les replaçant dans leur contexte et
en mettant l'accent sur les concepts-clés liés à l’éducation religieuse, au projet de
modernisation des "daara" et aux caractéristiques de la laïcité qui permettent de
dégager les différentes postures. En plus de la question de référence, nous nous
intéressons au sens et à la signification des discours.

272
- La dimension syntaxique renvoie à la forme. Les particularités morphosyntaxiques
peuvent nous aider dans la compréhension des textes sélectionnés et des discours
des personnes interrogées. La question suivante : "Comment et au moins de quels
matériaux les différents acteurs sénégalais parlent ?" sera explorée. Il s’agira
d’étudier la constitution des textes choisis et les particularités des différents
discours. Notre attention sera portée sur l’utilisation et la fréquence de certains
mots et expressions propres aux différentes innovations du vocabulaire laïque.
Interroger un discours sur comment il est fait, c'est donner l'occasion de faire
émerger ce qui n'est pas repérable.

- La dimension pragmatique renvoie à l’examen de la mise en œuvre pratique,


concrète de l’introduction de l’éducation religieuse et du projet de modernisation
des "daara". Il s’agira donc de privilégier les différents énoncés qui nous aideront à
atteindre nos objectifs de recherche. Pour cela, nous tenterons de repérer la
cohérence, l’efficacité, la régularité, la faisabilité et la véracité dans les discours des
acteurs de l’école et les guides religieux. Nous ne perdrons pas de vue qu'un
discours est interactif et qu'il n'y a pas d'énonciation sans interlocution.

Notre analyse se fera en deux temps et consistera à faire ressortir le sens des différents
textes d’une part et d’autre part, à réorganiser les éléments des entretiens réalisés par
catégorisation. Chaque texte de notre corpus documentaire sera présenté et replacé dans
son contexte d’édition. Ce qui nous permettra de mieux décrire ces différentes innovations
et de comprendre leurs enjeux. Ensuite, sur la base donc de notre cadre descriptif,
théorique et conceptuel, une analyse catégorielle des différents thèmes constitutifs de
notre guide d’entretien sera faite. Notre démarche s’articulera autour de différentes phases
dont le but est de réaliser des inférences à partir du corpus textuel et des discours des
acteurs de l’école interrogés.

- Première phase :
Il s’agit de prendre connaissance du corpus documentaire et des différents entretiens pour
en avoir une impression globale.

273
- Deuxième phase :
Le contenu des discours sera organisé et rangé dans des catégories pour examiner les
effets de ces deux innovations et ainsi leur donner sens. Ces catégories correspondent,
en définitive, à chaque thème du guide élaboré.

- Troisième phase :
C’est une phase descriptive. Il s’agira de décrire les similitudes et les différences dans les
discours. Le but final est de dégager l’avis de nos interlocuteurs sur la question de la mise
en place de l’éducation religieuse et le projet de modernisation des écoles coraniques au
Sénégal.

- Quatrième phase :
Cette dernière phase consiste à interpréter les données fournies par ces différents
discours à la lumière de notre problématique. Ce travail nous permettra au chapitre suivant
d’identifier le modèle et les différentes visions de la laïcité au Sénégal.

En résumé, procéder à une analyse de discours dans notre recherche revient à étudier
les différents discours à partir de ces trois dimensions. Toutefois, nous privilégions la
dimension sémantique du fait que notre étude vise à repenser le modèle de laïcité
sénégalaise à partir de l'analyse de différentes catégories de débats et des argumentaires
mis en avant par ces acteurs.

6- 2- 3- 2 L’argumentation dans le discours

Notre analyse de discours a pour ambition de décrire le fonctionnement des discours des
acteurs sénégalais par rapport à la réalité et aux enjeux de l’éducation religieuse et la
modernisation des "daara" d’une part et d’autre part, à la problématique de laïcité. Ce qui
implique que la dimension argumentaire doit être considérée. Qu'est-ce qu'alors une
argumentation ? D'après Breton (1996), « l'argumentation appartient à la famille des
actions humaines qui ont pour objectif de convaincre » (p. 3). Le discours de ces acteurs
tout en véhiculant une intention a besoin de convaincre l'auditoire du fait qu'il n'est pas un
énoncé absolu. La principale difficulté à laquelle l'argumentaire peut se confronter c'est la
divergence des points de vue, mais en même temps c'est ce qui fait sa raison d'être.

274
Devant un fait avéré, l'argumentation n'a plus sa place. Pour Meyer (2005), « Argumenter
consiste à trouver les moyens pour provoquer une unicité de réponse, une adhésion à sa
réponse auprès de l'interlocuteur, donc à supprimer l'alternative de leurs points de vue
originels, c'est-à-dire la question qui incarne ces alternatives » (p. 15). Il sera donc
question au cours de notre étude de présenter les différentes argumentations par rapport
aux débats sur la laïcité.

En définitive, notre analyse de discours à partir du corpus documentaire et des


informations recueillies lors de nos entretiens a pour ambition d’obéir à une approche
systématique et d’être objective. Son enjeu est d’accéder au sens caché des données.

6- 3 CONCLUSION

Notre recherche s’inscrit dans le cadre des méthodes qualitatives. Elle vise la
compréhension et le sens de la réforme de 2002 du système éducatif sénégalais.
L’examen de l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques
élémentaires et le projet de modernisation des "daara" nous permettra de parvenir à
déterminer le modèle propre et les différentes visions de la laïcité au Sénégal. Ainsi, après
avoir stabilisé la problématique et formulé les hypothèses dans un premier temps, il s’est
agi, dans un second temps, de définir une méthodologie de recherche. Le but de celle-ci
est de nous permettre de répondre à la question problématisée. Dès lors, le choix de la
technique de recherche adaptée s’est posé en termes de décision à prendre. Au regard
des objectifs fixés et des contraintes liées au contexte, une « approche par méthodes
multiples » appelé aussi triangulation a été décidée pour, au fond, nous assurer d’accéder
à une plus grande complexité de la particularité sénégalaise en termes de laïcité. En
définitive, la combinaison de ces trois types de techniques, à savoir, l’étude documentaire,
l’entretien semi-directif et l’analyse de discours permet de recueillir des données diverses.

275
CHAPITRE 7
LA CONSTRUCTION D’UN MODELE D’ANALYSE

Une fois la problématique de la recherche énoncée, les hypothèses formulées et la


méthodologie choisie, il est question maintenant de procéder à la construction d’un modèle
d’analyse. Le choix du modèle d’analyse obéit à plusieurs critères et est en fonction des
objectifs visés par le chercheur ; ce qui rend chaque recherche singulière et unique même
si elle s’inscrit dans un champ disciplinaire. Dans le cas de notre étude, le cadrage
théorique s’appuie sur l’articulation des hypothèses et l’utilisation de la notion d’idéaltype
pour nous permettre d’analyser les quatre principes fondamentaux de la laïcité et de
dégager le modèle et les types de laïcités au Sénégal. Il sera donc d’abord question
d’opérationnaliser notre cadre théorique. En partant des différentes hypothèses, nous
allons construire un modèle d’analyse, présenter les différentes hypothèses comme des
charnières dans l’élaboration de cette recherche, établissant des liens entre les
observations ou les informations recueillies et la réflexion théorique engagée. Nous nous
évertuerons à construire un lien entre les différentes hypothèses pour dégager une
structure d’ensemble à différents niveaux permettant toutefois de conceptualiser les
quatre facteurs. Ceux-ci aideront à illustrer les visions des individus. Les hypothèses vont
donc guider notre plan de recherche. Il s’agira ensuite, dans cette logique de typification
des comportements et des discours des différents acteurs, de clarifier notre posture
épistémologique. Et pour cela, notre cadre de réflexion se fixe comme base : la "méthode
idéaltypique", outil opérationnel pour établir des comparaisons.

276
7- 1 OPERATIONNALISATION DU CADRE THEORIQUE

L’enjeu majeur de cette recherche est de bien comprendre les manifestations de la laïcité
au Sénégal, et pour cela l’analyse de ces quatre principes de base, à savoir : la liberté
de conscience, l’égalité, la séparation et la neutralité s’avère capitale. De ce fait, les
principes de base de la laïcité, le concept de tolérance, le concept de dispositif,
d’idéaltype et les liens qui les unissent constituent notre cadre théorique cohérent. Aussi,
dans le cadre de cette recherche, la description, l’évaluation, la mesure et la comparaison
de ces quatre éléments, après celles de l’inclusion de la religion à l’école publique
sénégalaise, seront présentées comme des indicateurs pertinents pour valider ou invalider
chacune de nos trois hypothèses et par conséquent, proposer des réponses à notre
problématique en infirmant ou en confirmant l’hypothèse générale. Ce qui pourra
permettre de présenter une typologie des laïcités au Sénégal.

7- 1- 1 La modélisation des hypothèses de la recherche

Chaque hypothèse de la recherche constituera un niveau d’analyse à explorer pour tenter


d’identifier les différentes représentations de la laïcité des acteurs sociaux sénégalais et
le rapport de force qui en découle. Les relations qui se nouent à partir de ces différentes
visions doivent normalement permettre d’aboutir à « la définition socialement légitime de
« la » laïcité à un moment donné, celle à laquelle chaque acteur doit se référer, même
quand il la critique. » (Baubérot, 2015, p. 16). Est-ce le cas au Sénégal ? Quelle forme
dominante de laïcité émerge des discours et comportements des individus ou des
groupes ? Notre analyse du dispositif de laïcité au Sénégal se fera donc à partir de ces
quatre indicateurs utilisés déjà par Micheline Milot, sociologue canadienne pour évaluer la
laïcité québécoise. Ces indicateurs ont été repris et développés par Baubérot et Milot,
(2011), pour analyser les laïcités des différents pays. Ainsi, chacun de ces indicateurs
renvoie à un niveau qui correspond à nos hypothèses à vérifier dans notre recherche.

Hypothèse 1 : l’école publique : un observatoire du régime sénégalais de laïcité ;


Hypothèse 2 : la séparation des pouvoirs et la neutralité de l’Etat ;
Hypothèse 3 : la liberté de conscience et l’égalité en droit.

277
L’école publique sénégalaise, cadre d’analyse du régime de laïcité

H1
N 1: N2:
Séparation pouvoir religieux Neutralité de la
et pouvoir étatique puissance publique

H2 H2

Laïcité

H3 H3
N3: N4:
Liberté de conscience Egalité des citoyens
Liberté religieuse Non-discrimination

Figure : Modélisation des hypothèses de recherche

278
Si historiquement et socialement diverses représentations de la laïcité se sont construites
dans le temps, elles ont, cependant, des traits communs. Les différentes formes de laïcité
s’articulent autour de ces quatre principes que sont : la séparation des pouvoirs, la
neutralité de la puissance publique, la liberté de conscience et l’égalité par la non-
discrimination. Dans tout pays laïque, un aménagement sociopolitique s’effectue tout en
essayant, de façon plus ou moins harmonieuse, d’articuler ces quatre éléments qui
constituent fondamentalement les bases de la laïcité. Et en définitive, il semble que les
différentes formes de laïcité découlent de la manière dont ces quatre principes vont être
équilibrés. Ainsi, notre modèle d’analyse de la laïcité au Sénégal et de ses diverses
représentations va s’appuyer sur quatre niveaux renvoyant à chacun des principes de
base évoqués et correspondant aussi à nos deux dernières hypothèses à vérifier :

- le premier niveau renvoie à la séparation des pouvoirs : le pouvoir temporel et le


pouvoir spirituel ;
- le deuxième niveau fait référence à la neutralité de l’Etat et de ses différentes
institutions vis-à-vis de toutes convictions et les croyances religieuses ;
- le troisième niveau est lié à la garantie de la liberté de conscience et la libre pratique
de la religion ;
- le quatrième niveau se focalise sur l’égalité de tous les citoyens et la non –
discrimination de tout ordre.

Les troisième et quatrième niveaux font allusion aux principes relatifs à la garantie de la
liberté de conscience et la protection de l’égalité de tous les citoyens ; ils portent sur les
finalités poursuivies par la laïcité en tant qu’organisation politique. Le premier et le
deuxième niveau regroupent les principes de séparation du politique et du religieux et de
la neutralité de la puissance publique à l’égard de toutes les religions et croyances ; ils
concernent les moyens mis en œuvre pour la réalisation de ces finalités. Ainsi, dans le
cas du Sénégal, quelles configurations prend la laïcité ? Suivant les dispositions
géopolitiques, les coutumes et la conjoncture sociohistorique, comment ses quatre
principes sont-ils appréhendés par les individus et les groupes ? Et quelles sont les formes
de laïcité qui en découlent ? Aussi, l’école publique, ouverte à tous les jeunes sénégalais,
considérée comme une société en miniature, peut-elle être un cadre propice pour analyser
le modèle de laïcité ?

279
7- 1- 2 Vers la conceptualisation de ces principes de bases au Sénégal

Maurice Barbier, dans son livre : la laïcité (1995), entreprend une analyse de la situation
de la laïcité en France et à partir de la nouvelle configuration géopolitique et des mutations
sociales que connaît ce pays, il se donne comme objectif de repenser cette notion. Pour
lui, comme pour beaucoup d’observateurs et de penseurs de ce concept, la laïcité va avec
une séparation totale entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel et aussi une neutralité
stricte de la puissance publique par rapport aux religions. Il défend également l’idée que
la laïcité est une question politique qui est en lien avec la modernité. Barbier (1995, p.11-
14) affirme que la construction de l’Etat moderne est liée d’une manière intime à
l’émergence du principe de laïcité. Cependant, dans le contexte du Sénégal, ces principes
de séparation et de neutralité peuvent-ils être appliqués de manière si stricte. La société
sénégalaise, comme beaucoup de sociétés africaines modernes, est confrontée à un
double mouvement : d’un côté une accélération de la sécularisation se caractérisant par
un affranchissement progressif vis-à-vis du religieux, et de l’autre, une forte manifestation
des identités religieuses. Cette contradiction semble jouer un rôle dans la construction
sociale des visions de la laïcité dans la mesure où au niveau individuel, voire
communautaire le rapport à la sécularisation n’est pas le même, et par conséquent évolue
à un rythme très diversifié. Même si, aujourd’hui, il est admis que les états de droit sont
généralement laïques, d’un pays à l’autre, les dispositions juridiques et politiques seront
différentes et par conséquent, les manifestations de la laïcité ne sont pas pareilles. Ce
que, véritablement, Jean Baubérot et Micheline Milot ont fini de démontrer dans leur livre.
Pour eux :

[La laïcité, conjonction de quatre principes,] peut se décliner au singulier et au pluriel : au pluriel, car
suivant les traditions nationales et régionales, les conjonctures géopolitiques, les mutations sociales
dominantes, les périodes socio-historiques, différents types de laïcités s’avèrent plus ou moins
hégémoniques. La réalité empirique est infinie et mêle des ingrédients multiples. On peut aussi
conjuguer la laïcité au Singulier car, si diverses soient leurs formes, et les situations auxquelles elles
correspondent, les laïcités ont toutes en commun le fait d’articuler, de façon plus ou moins
harmonieuse, quatre principes. Deux portent sur les finalités : la garantie de la liberté de conscience,
l’égalité et la non-discrimination. Deux concernent les moyens : la séparation du politique et du
religieux, la neutralité de l’Etat à l’égard des diverses croyances. (Baubérot, Milot, 2011, p.

307).

280
A travers donc leur livre intitulé les laïcités sans frontières, (2011), Baubérot et Milot
établissent une différenciation entre la laïcité et les laïcités. Ainsi, le fait de l’existence
d’une pluralité de laïcités dans le monde ne doit pas être vu comme un frein qui
empêcherait que ce terme soit utilisé au singulier. La distinction des laïcités se fait donc
selon les quatre éléments représentant les principes fondamentaux sur lesquels repose
cette notion et répartis en des finalités à viser et des moyens permettant de les atteindre.
Et pour ces auteurs, la laïcité est inévitablement à préserver parce qu’en définitive, elle
seule est capable de rassembler ces différents éléments. Pour le cas du Sénégal qui nous
intéresse, l’analyse minutieuse des finalités et des moyens mobilisés représentent des
indicateurs pertinents pouvant nous permettre d’identifier la laïcité et les laïcités
sénégalaises pour reprendre l’expression de Bauborot et Milot, mais également
d’examiner si cette notion est vécue dans ce pays comme une exigence démocratique.

Pour le cas du Sénégal, par rapport aux moyens déployés, à savoir la séparation et la
neutralité, afin de permettre une garantie de la liberté de conscience et de l’égalité, des
aménagements ont été prévus. En somme, parallèlement à ces dispositions
constitutionnelles, la réalité du terrain à travers laquelle il sera possible d’étudier comment
ces quatre principes évoluent et l’articulation entre les finalités et les moyens, nous
permettra d’analyser de façon adéquate les représentations de la laïcité et ses enjeux
contemporains dans les différents contextes sociaux. A partir de ces configurations,
l’évolution des liens entre les différentes institutions religieuses et celles de l’Etat,
notamment l’école publique, en rapport avec le concept de laïcité et de tolérance sera à
repenser.

281
7- 1- 3 Mobilisation des concepts de laïcité et tolérance au Sénégal

Figure : configuration des liens entre les deux pouvoirs et les concepts mobilisés.

Il a été démontré tout au long de cette étude que la laïcité est un mode d’organisation au
niveau politique qui a comme finalité la protection de la liberté de conscience et la
préservation de l’égalité entre tous les citoyens. Par conséquent, le principe de laïcité
s’applique à l’Etat et à l’ensemble de ses institutions, aux autorités publiques et aux

282
différents agents publics. Le système laïque donc définit la nature de l’Etat. Dans le cas
du Sénégal, la Constitution affirme clairement dès son article premier le choix du régime :
« La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale ». Pour Samb (1990), au
Sénégal, « la laïcité a été adoptée comme un système institutionnel d’organisation des
rapports Etat/ religion capable, à l’ère moderne, de maintenir et de préserver une tradition
sénégalaise séculaire de tolérance et de liberté religieuse » (Cité dans Samb, 2005, p.
149). Contrairement à la France, où la laïcité a été instaurée pour mettre fin, au conflit
entre les deux-France, à la guerre des religions et à l’influence du catholicisme, au
Sénégal, elle a été institutionnalisée. Il n’a été fait mention d’aucun conflit à caractère
confessionnel dans l’histoire du pays. La réalité contemporaine du Sénégal sur le plan
social note une certaine entente entre les différentes communautés religieuses. La
tolérance se pratique à tous les niveaux. Aussi, par rapport à l’instauration du régime
laïque au Sénégal, il faut noter que la neutralité de l’Etat et la séparation du pouvoir
temporel et spirituel, n’empêchent pas l’existence de relations entre les autorités politiques
les guides religieux. Des aménagements seront donc pris dans tous les domaines pour
permettre la manifestation de cette forte vitalité religieuse. Au niveau de l’Ecole publique,
la laïcité a été proclamée et réaffirmée dans la loi fondamentale de la république. L’Ecole
publique rejet toute discrimination et garantit l’égalité entre les différentes communautés
religieuses. La nation lui confie la noble mission de faire partager aux enfants et aux jeunes
qui la fréquentent les valeurs de la République. L’intégration de la religion n’est pas alors
à exclure. D’ailleurs l’une des conclusions des Etats Généraux de l’Education et de la
formation au début des années 80 était justement la mise en place d’« une école laïque
et tolérante, intégrant l’éducation religieuse » (Cf. Conclusion des EGEF). « L’école
devient ainsi un outil, un enjeu de lutte entre les différents groupes sociaux surtout
religieux » (Gomis, 2007, p.205). Dans le respect de l’égalité et la garantie de la liberté de
conscience, des aménagements et une vigilance seront nécessaires pour que l’Ecole
publique reste laïque.

283
7- 2 LA METHODE D’IDEALTYPE

Le concept d’idéaltype a été introduit en sociologie par Max Weber. Il a ensuite été utilisé
dans l’organisation du travail. C’est un outil, une catégorie qui peut aider dans la
théorisation de certains phénomènes. Comme type abstrait, il a pour objectif de permettre
la construction d’un modèle social. Dans le cas du Sénégal, cette méthode peut être un
moyen opérationnel, utile pour analyser et dégager les types de laïcités construits dans le
temps.

7- 2- 1 La définition d’un idéaltype

De prime à bord, le terme idéaltype peut faire penser à la perfection, mais, en réalité, tel
n’est pas le cas. Il renvoie plutôt à cette idée : il s’agit, en effet, de dégager les grandes
lignes d’un modèle et non de viser à bâtir un type idoine. D’après Weber (1965) : « On
obtient un idéaltype en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en
enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on
trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on
ordonne selon les précédents points de vue unilatéralement, pour former un tableau de
pensée homogène. » (p. 181). Il s’agit donc de la prise en compte ou d’une sélection de
différents traits particuliers par rapport à un fait étudié et non de son observation unique.
Parmi ces traits particuliers, figure la subjectivité du chercheur. Il doit être compris en tant
que dispositif de connaissance, en tant que moyen de compréhension du sens des
expériences individuelles vécues. Dans cet ordre d’idée, l’idéaltype doit aider à mettre en
lien ces dernières avec l’organisation sociale suivant un contexte historique précis. C’est
une méthode particulière pour réaliser un "tableau de pensée homogène" qui peut servir
de guide. Baubérot et Milot (2011), à la suite de Weber (1965), définissent l’idéaltype
comme :

Un moyen de connaissance et non pas le but de celle-ci. Son élaboration se fait un peu à la manière
d’un portrait-robot, en accentuant volontairement les traits distinctifs d’un phénomène, traits parfois
diffus ou faiblement présents, parfois plus répandus dans les réalités historiques. Le travail du
chercheur consiste à établir des relations abstraites, mais logiquement possibles, entre ces
caractéristiques afin de déterminer dans quelle mesure la réalité empirique se rapproche ou
s’éloigne de ce « tableau » construit par le chercheur (Weber, 1965, p. 181). Il se n’agit donc ni de

284
« modèle » ni de descriptions historiques, mais plutôt de constructions abstraites, purement
logiques, qui permettent ensuite d’évaluer et de comparer des réalités empiriques. (p. 88).

L’idéaltype wébérien est décrit comme un cadre théorique et scientifique qui peut avoir
deux vertus pour la comparaison. D’une part, c’est un instrument qui sert à mesurer la
réalité et d’autre part, c’est aussi un instrument qui permet de fournir des explications aux
changements ou, au contraire, aux immobilismes. Il permet la compréhension des réalités
empiriques. Il faut souligner que la construction de l’idéaltype ou son élaboration obéit à
un certain mouvement de va-et-vient entre les réalités en question et la théorie. Et dans
cette logique, le rôle du chercheur – et en particulier sa personnalité, son expérience – est
déterminant. Il faut donc une présence réelle de ce dernier. Cependant, force est de
reconnaître que, malgré tout le caractère fonctionnel de cet outil, il peut aussi avoir des
limites. En effet, par rapport au choix des principales caractéristiques qui constituent des
éléments importants dans l’élaboration de l’idéaltype, aucune indication n’est fournie.
Dans son travail, le chercheur est appelé à explorer, ensuite rendre-compte et expliquer
ses présupposés. Il semble donc que cette démarche idéaltypique est à considérer du
point de vue méthodologique et non comme une finalité. Son élaboration ne constitue pas
la preuve de son efficacité ; c’est seulement, après avoir établi les rapprochements
nécessaires avec la réalité empirique de ce "tableau de pensée" qu’il sera permis de juger
de celle-ci. Ainsi, pour construire un idéaltype, il faut essayer d’apporter une certaine
logique et cohérence à un ensemble d’éléments mis en relations. L’idéaltype peut être
ainsi considéré, à partir du « tableau » proposé par Weber (1965), comme un support de
comparaison et de classement qui permet de mener une réflexion sur une situation.

7- 2- 2 L’utilisation de l’idéaltype dans l’analyse des types de laïcité 144

L’idéaltype sert à comprendre une réalité sociale qui a pour l’individu un sens orienté vers
autrui. Dans sa typologie de l’analyse de l’action sociale, Weber [1921], (1992) a identifié
quatre idéauxtypes que sont : le type traditionnel, le type affectuel ou affectif, le type
rationnel en valeur et le type rationnel en finalité (p. 55). En définissant ces derniers, son
objectif était de comprendre et de comparer des contextes sociaux différents et partant de
là, établir les grandes lignes constitutives des sociétés dites modernes. Ce procédé peut

144
Ici, il s’agit que la typologie des laïcités élaborée par Jean Baubérot et Micheline Milot (2011).

285
être utilisé dans le cas de la laïcité pour dégager le modèle et les types de laïcités dans
une même société et ainsi établir des comparaisons entre ladite société et différentes
autres. L’articulation des quatre principes fondamentaux de la laïcité entre eux permet
d’établir une typologie des laïcités. D’après Baubérot et Milot (2011), selon que l’un de ces
quatre principes de base, à savoir, la liberté de conscience, l’égalité, la séparation et
la neutralité, est plus mis en valeur dominante, il est possible de définir six (06) types de
laïcité « objectivement possibles » et qui, suivant les enjeux, l’époque, les acteurs et le
contexte politique et social peuvent interférer (p. 88).

Essentiellement comparatif, l’idéaltype nous permet de saisir les différences et les convergences,
par exemple, entre des éléments de la laïcité française, à la turque, à l’américaine, à l’italienne, à la
japonaise… et ce que le concept soit ou non socialement, juridiquement ou politiquement utilisé
comme tel. La typologie contribue à « désubstantiver » le concept et à l’extraire de toute velléité de
le constituer en « devoir être » (Weber, 1965, p. 183), tentation qui guette trop souvent tant le
chercheur que le politique ou le citoyen. Ensuite, elle permet de déconstruire des laïcités empiriques
en montrant que s’il peut exister, à certaines époques, dans chacune d’elles, une logique dominante
se rapprochant de tel ou tel type, il existe aussi des éléments qui s’apparentent plutôt à un autre
type. Chaque idéaltype est affaire de degré, car l’un ou l’autre des quatre principes de la laïcité peut
être atteint de manière plus ou moins importante et se voir amoindri selon les circonstances sociales
ou politiques. (Baubérot et Milot, 2011, pp. 88-89)

A partir donc de la mise en relation de ces quatre éléments, les deux auteurs en sont
arrivés à définir un type de laïcité dit séparatiste, un type de laïcité dit anticléricale, un type
de laïcité dit autoritaire, un type de laïcité dit de foi civique, un type de laïcité dit de
reconnaissance et un type de laïcité dit de collaboration.

7- 2- 2- 1 Laïcité séparatiste

La séparation du pouvoir politique et du pouvoir religieux est l’un des fondements sur
lesquels repose toute laïcité. Elle constitue un moyen pour la garantie des finalités que
poursuit le principe de laïcité : la liberté de conscience et l’égalité. Quand la séparation,
au lieu d’être vue comme un moyen, est considérée comme une fin en soi, et par
conséquent la principale caractéristique et la référence essentielle de la laïcité, nous
sommes dans un type de laïcité qui rend radicale et de façon systématique la coupure
entre l’espace public et l’espace privé. « Dans un type séparatiste de laïcité, la séparation

286
devient une norme "surdéterminante" dans l’interprétation conférée aux trois autres
principes. (…) Par exemple, la liberté de conscience peut être proclamée formellement
par l’Etat, mais son exercice être limité à la sphère privée, entendue comme le for intérieur
ou, tout au plus, le domaine de l’intimité, du foyer et du lieu de culte. » (Baubérot et Milot,
2011, p. 90). Cette forme de laïcité radicalise l’émancipation de l’espace public par rapport
aux manifestations religieuses : les personnes, dans ces lieux communs à la société, ne
peuvent pas non plus afficher l’expression du religieux, ni manifester de leur appartenance
religieuse. La norme dans ce type de laïcité est la distinction et la scission complète et
totale des deux sphères, privée et publique. « Rien de ce qui vaut dans le privé, où chacun
a le droit d’être ce qu’il veut religieusement, culturellement, etc., ne doit trouver un écho
ou une forme de présence publique. » (Renaut et Touraine, 2005, p. 39, cité dans Idem.).
D’après ces auteurs de la "laïcité sans frontière" (2011), ce type séparatiste est même
plus strict que les perspectives de Locke ou de Montesquieu sur la séparation entre les
deux pouvoirs, entre l’Etat et les Eglises. Cette forme de représentation de la laïcité prônée
dans le passé, en tout cas tout au début du combat laïque en France, réapparaît encore
aujourd’hui dans deux cas de figures. C’est le cas d’abord des pays – comme la Pologne,
la Russie et certaines nations de l’Amérique latine – où les autorités étatiques et sociales
cherchent à libérer et à émanciper l’Etat d’un ou des groupes confessionnels dominantes
dans le but d’imposer sa légitimité sur la souveraineté populaire. Dans ce premier cas
aussi, il peut être mentionné l’Iran et certains états de culture musulmane. « La conception
laïque de type séparatiste, même quand elle ne trouve pas d’inscription institutionnelle,
peut représenter un moment nécessaire dans le débat social, là où l’Etat demeure asservi
à la normativité religieuse. » (Baubérot et Milot, 2011, p. 93). Le deuxième cas est celui
des pays d’immigration importante – comme la France ou le Canada – où dans un contexte
de diversité, des citoyens militants adhérent au type séparatiste. « Toutefois, les membres
du groupe culturellement et historiquement majoritaire se montrent souvent les plus
enclins, dans les sociétés sécularisées, à adopter une conception séparatiste de la
laïcité… dans la mesure où elle s’appliquerait principalement aux religions minoritaires. »
(p. 94). Dans cette situation, les trois autres éléments sur lesquels est basée la laïcité sont
automatiquement affaiblis. En définitive, « si la laïcité de type séparatiste peut constituer
un moment émancipatoire certes radical mais nécessaire dans certains contextes, dans
d’autres elle peut devenir oppressive pour la liberté de conscience et l’égalité. » (p. 95).

287
7- 2- 2- 2 Laïcité autoritaire

La typologie de la laïcité mettant en avant le caractère autoritaire de la puissance publique


par rapport aux différents pouvoirs religieux existants dans le pays apparaît souvent dans
des contextes où les autorités politiques et voire même sociales considèrent certaines
communautés religieuses comme des menaces pour l’Etat. Pour sa stabilité et sa
légitimité donc, ce dernier va chercher à s’affranchir d’elles et à aller jusqu’à réduire leur
autonomie sous le prétexte de la sauvegarde des intérêts généraux et des valeurs
républicaines. Dans cette situation, « la séparation est péremptoire, la neutralité faible, car
l’Etat aura tendance à adopter une position de surveillance à l’égard de la religion et à
s’ingérer dans les affaires religieuses en limitant strictement les libertés expression, de
manifestation ou de revendication. » (Baubérot et Milot, 2011, p. 95). La principale
caractéristique donc du type autoritaire de laïcité est fondée sur le fait que le pouvoir de
la puissance étatique est renforcé et celui des religions, délimité. Malgré la limitation
imposée aux différents groupes religieux, la laïcité autoritaire, d’après ces deux auteurs,
peut paraître nécessaire pour le passage d’un régime où il existe une religion d’Etat à un
autre de type laïque. Dans les pays démocratiques aussi, elle peut attirer l’adhésion d’une
partie de la population qui voit la diversité croissante comme opposée « à la forme
dominante de sécularisation pour ce qui est des mœurs ou des attitudes distanciées à
l’égard de la religion. La référence à la neutralité dépasse alors l’impartialité étatique. Elle
résonne plutôt comme une exigence d’effacer toute trace d’affirmation ou d’affichage de
la différence religieuse, au nom de la neutralité de l’Etat. » (p. 97). L’Etat se donne
l’obligation d’être ferme et de préciser les normes que le religieux ne doit pas franchir dans
la sphère publique, surtout par rapport aux institutions étatiques. Les auteurs de la "laïcité
sans frontière" (2011) y voient une marque d’autoritarisme dans la mesure où, au nom du
conformisme, cela implique une demande de limitations des libertés d’expression. « Si
l’Etat répond à une telle requête, il renonce à sa neutralité parce qu’il stigmatise certaines
expressions du religieux plus que d’autres, surtout dans les contextes où les religions
dominantes ont connu une sécularisation interne. » (p. 98). Les expressions dans la
sphère publique des symboles religieux sont considérées par le pouvoir politique comme
ayant une signification politique. D’après Baubérot et Milot (2011) pour faire face aux
minorités religieuses, particulièrement l’islam, ce type autoritaire de laïcité fondé sur une
certaine régulation de la manifestation du religieux peut apparaître dans des démocraties

288
pluralistes. Dans ce cas de figure les principes fondamentaux de la laïcité, la séparation
et la liberté de consciences ne jouissent pas pleinement de leur statut, ils sont réduits.
« Certes, l’Etat refuse toute ingérence des confessions dans sa gouvernance, mais la
séparation n’est pas entière, car les religions ne sont pas véritablement autonomes par
rapport à l’Etat, qui intervient dans la gestion de leurs affaires internes. Surtout, les modes
d’expression de la liberté de conscience et de religion se voient délimités et même limités
par l’Etat, avec effets coercitifs. » (p. 99). Il faut souligner que le principe fondamental
d’égalité de toutes les croyances peut ne pas être affaibli si toutes les communautés
religieuses bénéficient d’un même traitement de la part de l’Etat.

7- 2- 2- 3 Laïcité anticléricale

L’anticléricalisme est né et s’est développé avec le rejet des privilèges octroyés au clergé
en Europe. Dans sa quête d’autonomie, la puissance politique a été amenée à s’opposer
au cléricalisme, à lutter contre la domination de la religion. Celle-ci est ou a été, dans
certains contextes, du moins en occident, pendant des siècles, la référence à
l’organisation politique de la société. Avec la montée, petit à petit, de l’anticléricalisme –
doctrine politique pour certains qui s’oppose à l’inclusion de la religion dans la gestion de
l’association politique – suivie des révolutions, la religion n’est plus considérée comme
une institution structurant la société globale. Ce que souligne Baubérot (1988) : « la
religion est devenue une affaire privée et les Eglises sont désormais des associations de
droit privé. Elles ne possèdent plus sociologiquement de caractère institutionnel »145. Il
s’est opéré une sorte de refoulement, de rejet général de tout ce que les Eglises avaient
structuré, jusque dans les dispositifs d’éducation. Et ce processus s’est fait dans un climat
conflictuel entre deux camps : le camp laïque, anticlérical et un autre fidèle à l’Eglise. Ce
qui a créé la situation ambivalente suivante : pendant longtemps, la laïcité a été
condamnée avec fermeté par les structures et les autorités de l’Eglise, et celle-ci a pris
aussi une tonalité anticléricale, voire même par moment antireligieuse. Cette ouverture
historique permet de souligner que l’anticléricalisme a souvent été défini par rapport et par
opposition au cléricalisme. D’après Baubérot et Milot (2011) :

145
Baubérot (1988). Le Protestantisme doit-il mourir ? Paris, Seuil.

289
L’anticléricalisme devient alors la modalité principale par laquelle la volonté de laïcisation tente de
s’exprimer, que ce soit dans la population ou, parfois, à travers l’instance politique. Comme les
clercs ont légitimé le pouvoir et les persécutions qui découlaient de la prétention à une vérité unique,
l’affranchissement politique par rapport à la confession dominante prend d’abord la voie de
l’opposition sans concession à l’instance ou aux figures qui l’incarnent. (Baubérot et Milot,

2011, p. 99).

Dans la construction d’un idéal laïque, la voie anticléricale a plus été empruntée dans les
pays de tradition catholique que dans les pays protestants du fait des ambitions politiques
de l’Eglise romaine d’organiser et de contrôler la société, et par conséquent, les étapes
de la vie de l’individu, de la naissance à la mort. Il faut noter également que ce type
anticlérical de laïcité a été observé en Amérique latine, comme l’ont souligné Da Costa
(2009) pour l’Uruguay et Blancarte (2009) dans le cas du Mexique. (Cités par Baubérot et
Milot, 2011, p. 101). Aussi, dans certains pays musulmans, la laïcité anticléricale peut
trouver des adeptes chez des groupes sociaux qui militent pour une réelle séparation entre
le temporel et le spirituel et refuser ainsi l’emprise et l’influence trop forte des guides
religieux sur les décideurs politiques concernant les choses de la cité. D’après les auteurs
de la "laïcité sans frontière" (2011) : « la logique anticléricale vise en fait les autorités
religieuses qui prétendent influer directement sur le pouvoir, ou indirectement grâce à
l’influence exercée sur les fidèles pour normer leur comportement ou leur agir politique.
En soi, elle n’a rien d’antireligieux puisqu’elle vise non la religion en tant que telle, mais
l’emprise qu’elle prétend exercer sur l’Etat, et, à travers lui, sur les lois et les
consciences. » (p. 102). Dans certains contextes où le cléricalisme s’est implanté de
façon solide, et où la laïcité anticléricale a eu du mal à réguler l’influence directe de la
religion sur la puissance publique ; celle-ci s’est quelquefois transformée en une logique
antireligieuse. Aujourd’hui, le type de laïcité anticléricale apparaît dans les sociétés civiles
au sein des nations démocratiques. Ce qui le différencie du type séparatiste est à
rechercher dans ses finalités. Les partisans de cette forme de laïcité, militent en faveur
d’une sphère publique où les expressions ou signes religieux n’ont point droit de cité. Pour
ces derniers, la sécularisation des différentes institutions au sein même de la société
implique de facto que la religion soit retranchée dans la sphère intime et individuelle ; faute
de quoi, ses différentes manifestations visibles seraient considérées comme une attaque
contre l’organisation politique de la cité et en particulier, contre les valeurs de la
République. Il apparaît donc, dans cet esprit, une certaine forme d’instrumentalisation de

290
la séparation des pouvoirs entraînant la montée d’un militantisme antireligieux orienté vers
les chefs ou guides religieux mais aussi vers tous les citoyens qui affichent – par des
signes ou symboles visibles – leur appartenance religieuse en public. Par conséquent, la
limitation des libertés individuelles par l’Etat (liberté d’expression, liberté religieuse, etc.),
affaiblit néanmoins la séparation des pouvoirs même celle-ci est affirmée. Aussi, le
principe fondamental fondé sur la neutralité de l’Etat peut être atteint par ces sentiments
antireligieux. Ce type de laïcité, dans une société marquée par la diversité, peut être
dangereux pour les minorités du fait qu’elles sont le plus souvent visées et qu’elles se
sentent opprimées et humiliées.

7- 2- 2- 4 Laïcité de foi civique

Dans la recherche d’intégration des différentes composantes de la société et du vivre-


ensemble, il arrive que d’autres valeurs soient articulées au principe de laïcité même si
elles ne sont pas tout à fait liées à l’idéal laïque, et en même temps, il n’est pas possible,
non plus, semble-t-il, de les séparer de lui. Ainsi, dans l’organisation politique de la société,
la mise en place du principe de laïcité s’inscrit dans un ensemble de valeurs de référence
sociale auxquelles s’identifie la République. Sous ce rapport, il est possible dans certaines
sociétés, de voir émerger un autre type de laïcité que Baubérot et Milot appellent « laïcité
de foi civique » (2011, p. 105). D’après ces auteurs, « si le partage de valeurs communes
au sein d’une société suppose un respect de l’idéal qu’une société a d’elle-même, (…) la
laïcité de foi civique comporte une exigence plus radicale à propos des conceptions de la
"vie bonne" qu’adoptent les citoyens et de la manière dont ils les expriment
publiquement. » (Idem.). La laïcité de foi civique implique une certaine logique
d’allégeance. Dans certaines sociétés, l’intégration de tous les individus dans la nation est
perçue comme une adhésion à un modèle culturel unique. Même si la République accepte
les différentes cultures d’origines, la tendance est d’en constituer une unicité culturelle.
Dans les sociétés modernes de type séculier, ou là où existe une religion majoritaire, il
peut arriver qu’une partie de la population exige l’effacement des différences, surtout
religieuses, au profil de ce qu’on pourrait appeler une unicité dominante, voire supérieure.
Les minorités religieuses peuvent être accusées de véhiculer d’autres valeurs non
reconnues et différentes de celles des autres citoyens du groupe majoritaire. Alors, pour
prouver leur allégeance à l’Etat, ils sont invités à réduire la visibilité de leur expression

291
religieuse sous prétexte de la préservation de l’unité nationale, du vouloir vivre ensemble.
« L’appartenance religieuse "autre", tout particulièrement quand elle se fait visible, peut
ainsi être soupçonnée d’affaiblir l’adhésion à la société politique. Il n’y a qu’un pas, vite
franchi, pour exiger que le croyant démontre qu’il peut "neutraliser" son appartenance
religieuse, la rendre vide de toute référence spécifique. » (p. 106). Pour Baubérot et Milot
(2011), cette attitude qui exige du religieux, autre que de la norme majoritaire un
effacement, se justifie par un sentiment d’inquiétude « quant à la nocivité présumée de la
religion sur le lien politique, même si les fondements réels de cette inquiétude restent
difficiles à démontrer » (Idem.). Dans ce type d’exigence de foi civique, l’expression trop
visible de la religion est perçue comme un facteur dérangeant, une cause d’aliénation et
de menace du fondement de cette volonté commune de vivre ensemble. La laïcité de foi
civique peut aussi dans certains cas, toujours d’après ces auteurs, interférer avec la
religion civile. Elles ont en commun certains mécanismes psychosociaux tels que : « la
quête de la loyauté et d’un lien social fort, voire un certain conformisme extérieur, l’appel
à une action politique mettant en sourdine les leviers juridiques dont disposent les citoyens
pour réclamer la reconnaissance de leur différence » (Baubérot et Milot, 2011, p. 108).
Toutefois, ce type de foi civique est différent de la religion civile du fait que cette dernière
est souvent assimilée à un critère national et une forte identité. Dans une logique de laïcité
de foi civique, la neutralité de l’Etat par rapport aux différentes confessions religieuses est
affaiblie. Cette faiblesse de neutralité est caractérisée par le fait que la puissance publique
impose à certains citoyens de modérer leur expression religieuse et en contrepartie exige
d’eux une adhésion sans faille aux valeurs civiques. Pour être considérés comme de "bons
citoyens", ils doivent alors renoncer à leur liberté d’expression religieuse. Ce type de laïcité
affaiblit donc aussi le principe fondamental de la liberté de conscience. Cependant, ces
deux penseurs soutiennent l’idée qu’un degré de laïcité de foi civique, même minimal, est
indispensable dans un Etat pour préserver son rôle d’arbitre vis-à-vis des différentes
communautés ou groupes. Toutefois, une vigilance en permanence est nécessaire de la
part des autorités étatiques pour éviter une forme de discrimination.

292
7- 2- 2- 5 Laïcité de reconnaissance

Le mot "autonomie" a comme signification étymologique : "la gestion de soi". Le contexte


actuel des Etats modernes démocratiques et pluralistes marqué par le rationalisme fait
que de plus en plus l’autonomie morale de chaque personne est reconnue et protégée. La
liberté de pensée, de conscience et même de croyance sont des principes reconnus par
les Nations Unies. La reconnaissance des droits de chaque individu garantit à ce dernier
sa dignité. Ce qui peut avoir des conséquences positives pour tous les citoyens par rapport
aux obligations de l’Etat. « La neutralité s’inscrit alors éthiquement en filiation directe avec
les droits de l’homme. La laïcité de reconnaissance accorde la primauté à la justice sociale
(Fraser, 2005) et au respect des choix individuels ». (Baubérot et Milot, 20011, p. 110).
Ce qui implique la reconnaissance des deux principes fondamentaux, à savoir la liberté
de conscience et l’égalité, considérés comme les finalités poursuivies par la laïcité. Le
Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, en 1966, en article 27
stipulait que « dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou
linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit
d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de
professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ». Ce type
de laïcité, reposant sur l’autonomie morale, vise l’expression libre des choix, qu’ils soient
moraux ou religieux, des citoyens, sans exception, même des minorités, dès l’instant qu’ils
ne portent pas atteinte à l’ordre public et respectent ceux des autres. La laïcité de
reconnaissance trouve ses fondements dans les principes développés par John Rawls
(1995). Dans sa théorie de la justice, l’autonomie du sujet y occupe une place centrale. Il
est capital que chaque personne ait la garantie et le droit de vivre selon sa conception
du "bien". Ce qui lui donne nécessairement une liberté réelle qui ne nuit pas à celle des
autres. La puissance publique, dans ces conditions, est appelée à protéger toutes
conceptions de vie tant qu’elles ne sont pas contraires aux droits de l’homme. « Placée
dans une tension entre droits individuels et droits collectifs, la laïcité de reconnaissance
est mise en œuvre parfois là où on ne l’attend pas. (…) – Elle – est propice à faire surgir
des conflits de valeurs et même des conflits de droit, notamment parce qu’elle accentue
la valeur du pluralisme. » (Baubérot et Milot, 2011, p. 113). Il est donc clair que les
désaccords ne peuvent pas manquer dans ce cas de figure. Toutefois, le rôle d’arbitre de
l’Etat doit permettre de décanter la situation.

293
7- 2- 2- 6 Laïcité de collaboration

Les deux principes fondamentaux, considérés comme moyens d’arriver aux finalités
visées dans le cas de la laïcité, sont la séparation des pouvoirs et la neutralité de la
puissance publique. Cependant, même si l’émancipation de l’Etat par rapport aux
confessions religieuses est attestée, celui-ci peut solliciter les autorités religieuses dans
des domaines bien précis. « Un Etat laïque peut consentir à octroyer des rôles ou des
privilèges institutionnels aux confessions ou à certaines familles de pensée » (Baubérot
et Milot, 2011, p. 113). Dans le type de laïcité de collaboration donc toutes les différentes
communautés religieuses ou familles philosophiques peuvent devenir des partenaires de
l’Etat pour le bien des populations. C’est le cas dans le domaine éthique, sanitaire,
éducatif, etc. Ce type de laïcité, fondée sur la liberté religieuse et leur expression dans
l’espace public, correspond aussi à l’expression "laïcité positive". Il existerait en réalité
différentes formes de collaborations entre l’Etat et les religions, « celles-ci constituant des
partenaires privilégiés d’un dialogue institutionnel » (Baubérot et Milot, 2011, p. 115).
Toutefois, le type collaboratif de laïcité peut affaiblir un de ses quatre éléments constitutifs.
Pour que l’égalité soit préservée, il faut que toutes les communautés présentes dans la
société bénéficient de la même considération et des mêmes traitements de faveur de la
part de l’Etat. Ce qui est concrètement difficile à réaliser vu le nombre important, en
général, de groupes de différentes sensibilités présents dans la société. Si à l’intérieur de
cette dernière, une sélection est établie en fonction d’un certain nombre de critères, le
principe fondamental d’égalité sera alors compromis. Aussi, dans le cas où des
communautés religieuses ont une influence sur la puissance étatique, le principe de base
de la séparation et de la neutralité sont affaiblis. Egalement, le principe fondamental lié à
la liberté de conscience peut être réduit « du fait que les autorités religieuses, partenaires
de l’Etat, sont davantage capables d’infléchir des décisions politiques ou des projets de
loi selon leurs propres normes confessionnelles, lesquelles ne sont partagées ni par tous
les membres d’une même confession ni par tous les citoyens. » (p. 116). Il semble donc,
malgré son caractère positif, que la laïcité de collaboration est à appliquer dans un
contexte où l’Etat, avec beaucoup de délicatesse, arrive à établir une égalité qui permet à
chaque force sociale de s’exprimer tout en respectant la liberté de conscience des autres.
Cependant, force est de reconnaître que cet exercice n’est pas facile dans la mesure où
rapidement, en raison des différences entre les groupes religieux ou philosophiques et du

294
statut accordé à chacun de ces derniers dans les diverses formes de collaboration
instituées, la puissance publique peut compromettre sa neutralité et aussi d’ailleurs mettre
à mal la séparation.

7- 2- 3 L’utilisation de l’idéaltype pour le cas du Sénégal

Comme l’ont démontré Baubérot et Milot (2011), plusieurs types de laïcités sont
objectivement susceptibles d’apparaître suivant les époques, les contextes, les acteurs et
les enjeux. Leur typologie fait ressorti six (06) formes de laïcité qui peuvent interférer les
unes par rapport aux autres. En définitive, il a été prouvé que plusieurs paramètres
peuvent amener les autorités étatiques ou même une partie de la société à s’identifier à
une forme quelconque de laïcité ou opter pour elle. Ainsi, suivant la société, le régime en
place, et d’autres facteurs empiriques et géopolitiques, différentes combinaisons sont
possibles. Pour le cas du Sénégal, quels types de laïcités sont identifiables ? En tenant
compte de la réalité propre de la société sénégalaise, suivant les périodes de son histoire,
les demandes des différentes forces sociales et religieuses, voire même philosophiques,
les diverses conceptions de la vie en lien avec certains grands principes de démocratie,
les régimes et sensibilités politiques, quelles formes de laïcités se sont construites dans
le temps ? Les six (06) types de laïcité répertoriés par Baubérot et Milot (2011) se
retrouvent-ils dans la typologie sénégalaise des laïcités ? Il s’agit, pour nous, d’analyser
les différentes situations complexes sénégalaises dans leur ensemble pour dégager les
régimes de laïcités et le modèle global dominant actuellement par rapport à la prise en
compte et la combinaison des quatre principes fondamentaux de la laïcité. Car comme le
soutiennent ces deux auteurs : « il n’existe pas une laïcité substantielle, intemporelle, pur
produit du ciel des idées, mais des enjeux politiques et sociétaux qui interpellent
continûment les aménagements des régimes de laïcité. » (p. 120). Il sera donc question
en définitive d’analyser les diverses accommodations du principe de laïcité dans la société
sénégalaise pour classer et comparer ses différentes visions en choisissant comme cadre
d’observation l’analyse de certains aspects de la réforme de 2002 dans le système
éducatif sénégalais.

295
7- 4 CONCLUSION

La construction de notre modèle d’analyse a été axée sur deux angles d’attaque. D’abord,
il a été question d’établir des liens de causes à effets entre les différentes hypothèses de
la recherche ; ce qui a conduit au schéma mettant en relations les quatre principes
fondamentaux de la laïcité qui sont classés, comme le préconisent Baubérot et Milot
(2011), en deux catégories : d’un côté, figurent les principes de séparation des pouvoirs
et de neutralité de la puissance publique considérés comme les moyens nécessaires pour
arriver, de l’autre, aux finalités, à savoir : la liberté de conscience et l’égalité entre tous les
citoyens. Dans cette optique d’établissement de liens entre les hypothèses, il a aussi été
question de considérer l’école publique sénégalaise comme un bon observatoire du
respect de ces finalités. Lieu de transmission des connaissances et des outils nécessaires
pour permettre aux jeunes d’exercer leur choix en toute liberté, elle est également par
définition le lieu de rencontre de toutes les cultures et des différentes sensibilités qui
composent la société. Par conséquent, examiner ce qui s’y fait en matière d’éducation
religieuse s’avère nécessaire pour analyser le modèle et les types de laïcités au Sénégal.
Ensuite, il s’est agi, dans un deuxième temps, de revenir sur la méthode d’idéaltype. Notre
modèle d’analyse s’est focalisé sur le concept d’idéaltype et la typologie élaborée par
Baubérot et Milot concernant les laïcités objectivement susceptibles d’apparaître suivant
différents facteurs à prendre en considération. Ces deux auteurs ont identifié six (06) types
qui s’interpénètrent étant donné que certains signes en lien avec les principes de base de
la laïcité se retrouvent chez l’un ou l’autre. A partir de cette trame de fond, il sera question
d’identifier, à travers diverses techniques de recueil de données, la forme du régime
sénégalais en terme de laïcité et les différents types qui se sont construits au cours du
temps.

296
CONCLUSION 2

En résumé, il apparaît dans cette deuxième partie que le Sénégal, malgré une forte
majorité musulmane, comme d’ailleurs c’est le cas dans beaucoup d’autres Etats de la
sous-région ouest africaine, est un pays laïque marqué par un pluralisme ethnico-
linguistique, culturel, religieux, etc. En effet, cette diversité a été déterminante dans
l’adoption, par voix constitutionnelle, d’un régime laïque pour permettre la coexistence de
toutes les différentes communautés et la protection des minorités ethniques et religieuses.
D’après Samb (2005) : « en vue d’assurer la coexistence harmonieuse et pacifique de sa
population multiethnique et multiconfessionnelle, la Constitution sénégalaise du 07 mars
1963 garantit toutes les libertés philosophiques et religieuses, la liberté religieuse en
premier lieu, sur la base d’une organisation laïque du fondement juridique de l’Etat » (p.
138). Les pouvoirs publics sénégalais, en légiférant ainsi, ont orienté et conduit le pays
dans la mouvance des Etats modernes. Comment en serait-il autrement, si comme
l’affirmait Barbier (1995, pp. 11-14) : « la formation de l’Etat moderne est intimement liée
à l’émergence de la laïcité ». (Baubérot et Milot, 2011, p. 84). Ainsi le Sénégal est un Etat
laïque politiquement et juridiquement. Cependant, l’hétérogénéité au niveau social,
marquée par une forte expression du religieux et la longue tradition des rapports
complexes entre le temporel et le spirituel, ponctuée de collaboration et d’entre-aide
mutuelle, fait que les autorités étatiques doivent composer avec les différentes sensibilités
par des aménagements divers. Ce qui peut justifier ainsi la création d’écoles franco-arabes
publiques, le lancement du projet de modernisation des "daara" et l’introduction de
l’éducation religieuse dans l’école publique sénégalaise et imprimer à la sphère de
l’éducation au Sénégal un caractère particulier. En définitive, cette partie a tenté de
montrer l’originalité du Sénégal en matière de pratique de la laïcité et la spécificité
singulière des rapports entre le temporel et le spirituel. Il semble donc, à partir de ce
contexte national et historique propre au pays, et en procédant à l’analyse et à
l’interprétation des données recueillies dans le cadre des innovations dans le système
éducatif, possible de parvenir peut-être à rendre explicite un modèle de laïcité propre au
Sénégal et de dégager les différentes visions que les acteurs de l’école ont de la laïcité.

297
TROISIEME PARTIE :

CADRE D’ANALYSE
ET

D’INTERPRETATION

DES RESULTATS DE LA

RECHERCHE

298
INTRODUCTION 3

Le cadre théorique et méthodologique de la recherche a été l’occasion d’exposer les


différents aspects conceptuels de la laïcité et des techniques de recueil de données à
utiliser. Il a permis aussi de présenter le modèle d’analyse qui a comme objectif de mettre
en relation les différents concepts étudiés dans cette thèse et les trois hypothèses
formulées dans la problématique de la recherche. Ainsi, après la construction d’un modèle
d’analyse et le choix d’une démarche méthodologique dynamique, la troisième partie de
cette thèse présente le processus qui a permis la collecte des données et procède à
l’analyse et à l’interprétation des résultats issus des informations recueillies.

Cette partie, même si elle est entièrement consacrée à l’analyse et à l’interprétation de


certains aspects de la réforme de 2002, ne perd pas de vue les hypothèses formulées
précédemment. Ainsi l’interprétation du discours des acteurs de l’école sur l’introduction
de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires et sur le projet de
modernisation des "daara" se fera à la lumière des hypothèses formulées ; par
conséquent, celle-ci devrait donc permettre leur confirmation ou leur infirmation.

En définitive, les innovations intervenues à partir de 2002 dans le système éducatif


sénégalais semblent constituer un indicateur précis permettant de déterminer le modèle
actuel de laïcité en vigueur et les différentes représentations de ce principe d’organisation
politique à travers les discours recueillis. L’examen des effets de l’inclusion de la religion
dans la sphère scolaire publique et le projet de modernisation des "daara" va être très
important pour cerner les contours du régime de laïcité en vigueur. La réalité sur le terrain
de l’application de certains éléments de cette reforme de 2002 en lien avec les enjeux
sociaux qui la sous-tendent, mais également, les éléments développés dans notre cadre
théorique constituent donc des matériaux de base à cette étude de la laïcité sénégalaise.

299
CHAPITRE 8

PRESENTATION, ANALYSE ET INTERPRETATION


DES DONNEES RECUEILLIES

Depuis les états généraux de l'éducation et de la formation de 1981, et au fil des décennies
qui ont suivi, il s'est agi de mettre en place une école nouvelle sénégalaise qui respecte
et s'inspire des réalités socioculturelles mais également, qui accueille l'ensemble d'une
classe d'âge appelée à rester dans le système jusqu'à, au moins la fin de la scolarité
obligatoire. Dans cette perspective, l'idée d'atteindre les objectifs d'une éducation primaire
universelle, soutenue par les recommandations des rencontres mondiales tenues en 1990
à Jometien en Thaïlande (UNESCO, 1990) et en 2000 à Dakar (UNESCO, 2000), devient
une priorité et a conduit à introduire une série de réformes146 dans le système éducatif
dont l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles élémentaires publiques et le
projet de modernisation des "daara". Pour examiner et analyser les effets de ces deux
innovations dans un premier temps, et ensuite, dans un second temps, interpréter les
résultats pour rendre compte des différentes visions de la laïcité au Sénégal, il a été retenu
de faire appel à différentes techniques de recueil d’informations. Ce chapitre donc aborde
et développe les aspects méthodologiques propres à la construction du corpus de
données. Il sera d’abord question de présenter les contextes de promulgation des textes
qui constituent le corpus documentaire et de décrire chacune de deux innovations,
ensuite, d’exposer les éléments de l’enquête semi-directive relatifs à leur mise en place et
enfin, d’analyser les avis des acteurs de l’école sénégalaise par rapport à celles-ci.

146
Le terme de « réforme » peut, en effet, recouvrir deux significations : il est souvent utilisé quand il s'agit
de nouveautés ou de changements institutionnels importants marqués par le vote d'une loi ou de sa
modification d'un part, et d'autre part, quand il est question des modifications administratives et
pédagogiques instaurées par des arrêtés, circulaires et note de service.

300
8- 1 PRESENTATION DES DONNEES DE LA RECHERCHE

Dans le but de recueillir des données relatives au besoin de notre recherche, deux types
de corpus textuels ont été retenus : l’étude documentaire et l’enquête de terrain. Le
premier est composé d’un ensemble de textes qui constitue des matériaux porteurs
d’information par rapport à l’inclusion de la religion dans les écoles publiques élémentaires
classiques et au projet de modernisation des "daara". Le deuxième est un ensemble de
productions verbales qui comportent des données utiles dans le même cadre et qui, après
retranscription intégrale, sont mis sous forme de texte discursif.

I- L'introduction de l'éducation religieuse dans les écoles publiques


élémentaires classiques
La loi d'orientation de l'Education Nationale n° 91-22 du 16 février 1991
La loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004 modifiant et complétant la loi d'orientation
ci-dessus
Les emplois du temps du curriculum de l'éducation de base
II- le projet de la modernisation des "daara"
Arrêté portant missions et organisation de l'inspection des "daara" le 10 juin 2009
L'accord-cadre pour la promotion des "daara" conclu le 1er décembre 2010
Loi portant statut du "daara" finalisé en décembre 2016 (sur le point d'être votée)
Le Contrat de performance pour le testing (CDP-Testing) : les outils du "testing" du
curriculum des "daara" modernes (2016)

La présentation des différents textes du corpus documentaire permet de mieux cerner leur
contexte d’apparition et de pouvoir procéder à la description de ces innovations. Une
démarche donc s'impose pour la présentation de chaque document. Il s'agira d'abord de
définir quelle est sa nature et son auteur, ensuite, faire référence au titre, dégager sa date
de parution ou de promulgation en le situant dans son contexte historique et enfin, le
présenter et faire ressortir son intérêt par rapport aux innovations à examiner.

301
8- 1- 1 Les textes en lien avec l’introduction de l’éducation religieuse

Par rapport à l’éducation religieuse dans les écoles élémentaires publiques au Sénégal
trois documents ont été réunis. Il s’agit de la loi d’orientation de l’Education Nationale n°
91-22 du 16 février 1991, la loi n°2004-37 du 15 décembre 2004 modifiant et complétant
la loi d'orientation citée précédemment et l’ensemble des emplois du temps du curriculum
de l’éducation de base.

8- 1- 1- 1 La loi d'orientation de l'Education Nationale n° 91-22 du 16-02-1991

La loi d’orientation de l’Education Nationale est un document officiel public, plus


précisément un texte de loi, qui a été promulguée par le Président de la République Abdou
Diouf et considérée comme une loi de l’État le 16 février 1991. Aujourd’hui, au Sénégal,
la loi d’orientation n° 91 – 22 du 16 février 1991 est la référence pour un examen de la
situation de l’école. Elle définit, comme son nom l’indique, les orientations en matière
d’éducation. Elle remplace ainsi la loi d'orientation de l'éducation nationale n° 71-36 du 03
juin 1971. Le contexte historique justifiant sa promulgation est à situer dans le
prolongement des assises nationales de l'éducation intervenues en 1981 au Sénégal. Sur
le plan national, en 1985, une Commission Nationale de Réforme de l’Éducation et de la
Formation (CNREF) a été mise en place dans le but de formaliser les conclusions des
états généraux de l'éducation et de la formation. Les propositions de ladite commission
ont été à la base de l'adoption de la loi d'orientation de l'éducation nationale N° 91-22 du
16 février 1991. Suite donc aux EGEF réunis à l'initiative du président de la République
en 1981, il a été question « d’une refonte radicale de notre système éducatif, dans la
perspective d’une nouvelle école plus conforme aux aspirations profondes du peuple
sénégalais, à la maîtrise des conditions scientifiques et techniques de notre
développement intégral, à la démocratie, à la justice sociale, à la paix, au progrès
humain».147 Ainsi, les orientations de la loi de 1971 se trouvent être inadéquates par
rapport aux grandes lignes de l'École Nouvelle et une autre loi d'orientation s'imposait
comme une nécessité. C'est dans ce cadre que le 16 février 1991, la loi d'orientation n°91.
22 a vu le jour tout en essayant de traduire les finalités d'une éducation nationale qui

147
Cf. Conclusions des États Généraux de l'Éducation et de la Formation du 28 au 31 janvier 1981.

302
répondent aux aspirations du peuple sénégalais. Dans l'exposé des motifs de cette loi, il
est clairement affirmé que :

L’Éducation voulue par le Sénégal est nationale, démocratique et populaire. Cette volonté se traduit
tout d’abord par l’option résolue en faveur d’une éducation généraliste, accueillant de plus en plus
d’enfants dans les structures formelles et s’ouvrant largement, par les structures non formelles, à
tous ceux qui n’ont pu fréquenter l’école ou qui ont dû la quitter à un moment quelconque de leur
cursus scolaire. (...) Par ailleurs, il s’agit pour l’École Nouvelle, sur la base des principes de laïcité
de l’État et selon les modalités définies par la loi, de favoriser l’émergence et la promotion
d’établissements privés susceptibles de dispenser un enseignement religieux tel qu’il réponde à
l’attente des parents et des élèves. (Cf. Exposé des motifs de la loi d'orientation n° 91.

22).

Elle modifie largement le fonctionnement du système éducatif sénégalais et redéfinit le


profil du nouveau type d'individu à promouvoir au Sénégal. Il s'agit donc de préparer les
conditions d'un développement intégral, assumé par la nation tout entière : le but de
l'éducation serait de former des hommes et des femmes capables de travailler
efficacement à la construction du pays. Dans cette logique, l'éducation porterait un intérêt
particulier aux problèmes économiques, sociaux et culturels du pays. (Cf. article, loi
d'orientation n° 91-22 du 16 février 1991). Il faut aussi noter qu’à la suite de l’Exposé des
motifs de cette nouvelle loi d’orientation n°91-22 du 16 février 1991, l’article 4 de cette
même loi d'orientation souligne ce caractère laïque du système éducatif. Il stipule que : «
L’Éducation nationale est laïque : elle respecte et garantit à tous les niveaux la liberté de
conscience des citoyens. Par ailleurs, l’Education Nationale, sur la base des principes de
laïcité de l’Etat, est favorable aux établissements privés susceptibles de dispenser un
enseignement religieux ». Cette possibilité faite aux écoles privées de dispenser un
enseignement religieux malgré le caractère laïque et démocratique du système éducatif
prôné par les autorités inaugure une politique d’ouverture mais aussi de contrôle du
secteur non formel. Des initiatives vont être prises dans le but de satisfaire la demande
croissante en matière d’éducation de la population à majorité musulmane. C’est dans ce
sens que la loi n°94-82 du 23 décembre 1994 sera votée. Elle définit le statut des
établissements d’enseignement privé et rend moins rigoureuse les formalités
administratives de leur ouverture. Ces mesures s’inscrivent dans une politique en faveur
de l’accès à l’éducation pour tous. L’offre d’éducation est donc libéralisée par le
gouvernement ; ce qui entraine une progression du taux brut de scolarisation qui passe à

303
63% en 1999 alors que jusqu’en 1993, il était qu’à 54,3%. Dans cette même lancée, en
1995, l’Etat du Sénégal s’engage dans une politique de recrutement de volontaires de
l’éducation et de contractuels (Barro, 2009) pour répondre à la forte demande éducative
de la population surtout dans les zones rurales très enclavées. En effet, le manque
d’enseignants a entrainé la mise en place de cette stratégie qui consistait à recruter des
volontaires qui n’avaient pas le niveau du baccalauréat. Et après seulement une formation
de six mois dans les écoles de Formation des Instituteurs (EFI), contrairement à celle des
enseignants de la fonction publique qui durait deux ans, ces volontaires intégraient le
système éducatif. Par cette mesure, la question du déficit des enseignants a pu être réglée
en partie. Beaucoup d’écoles se trouvant dans des zones enclavées ont reçu des
volontaires de l’éducation pour tenir les classes restées sans enseignants. Cependant, la
création de ce nouveau corps d’enseignants dans le système éducatif sénégalais soulève
d’autres questions liées à leur profil et à la qualité de leur enseignement. Le manque de
motivation chez beaucoup d’entre eux, lié la faiblesse de leur rémunération salariale
entraine aussi des mouvements de grève qui ont comme but la révision des termes de
leur contrat et la revalorisation de leur statut.

Aujourd’hui, cette loi d’orientation reste la référence au Sénégal en matière d’éducation


même si elle a été modifiée et complétée par la loi n° 2004-37. C’est à ce titre qu’il était
important pour nous de la présenter pour mieux comprendre le contexte d’apparition de la
loi n° 2004-37 qui reste l’acte majeur de l’introduction de l’éducation religieuse dans les
écoles élémentaires publiques.

8- 1- 1- 2 La loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004 modifiant et complétant la loi


d'orientation de l’Education Nationale

La loi modifiant et complétant la loi d’orientation de l’Education Nationale est aussi un


document officiel public. C'est un texte de loi exécuté comme loi d’État et promulgué par
le Président de la République Abdoulaye Wade à Dakar le 15 décembre 2004. Cette loi,
dite loi n° 2004-37, modifie et complète la loi d'orientation de l'éducation nationale n° 91-
22 du 16 février 1991 présentée ci-dessus. Il faut savoir que depuis le début des années
90, la politique d'ajustement structurel menée par le Front Monétaire International (FMI) a

304
eu des conséquences considérables en Afrique de l'ouest. Cette sous-région du continent
est marquée par une pauvreté qui n'a cessé d'augmenter au cours des vingt dernières
années. Selon le rapport de la Banque Mondiale, un quart des habitants de cette partie
de l'Afrique est touché par des crises politiques et des conflits armés. C'est dans ce
contexte qu'il faut situer l'aide apportée par les pays occidentaux et les organismes
internationaux dans le but de développer l'éducation de base de ces différents pays
concernés. Le Sénégal, s'alignant sur cette vision globale soutenue par la communauté
internationale, s'est engagé dans la voie de la réalisation de l’Éducation pour tous (E.P.T).
Dans cette perspective, beaucoup d’initiatives ont vu le jour. Cependant, les différents
acteurs de l'école se sont vite rendu compte que l'idée d'atteindre les objectifs d'une
éducation primaire universelle passait impérativement par une politique d'élargissement
de l'accès mais également par la diversification de l'offre d'éducation. Il est apparu
nécessaire d’inclure la religion dans le curriculum de l’école de base ; mais également,
l’idée de mener une politique stratégique pour la promotion des "daara" et leur intégration
dans le système éducatif est devenue une priorité. C’est dans ce sens que la loi
d’orientation de l’Éducation Nationale n° 91-22 du 16 février 1991 a été modifiée.

Le contexte de la modification de la loi d'Orientation intervient au lendemain du débat sur


le code de la famille au Sénégal qui prend une ampleur impressionnante suite à
l'alternance intervenue en 2000. Deux camps alors s'opposent: le camp des "laïques" et
le comité islamique pour la réforme du code de la famille au Sénégal. D'après Brossier
(2004), le chef de l'État du Sénégal n'a pas entériné le projet de réforme du code de la
famille. Dès lors pour ce dernier, il était important de poser des actes pour regagner la
confiance de la majorité des électeurs. Le chef de l’État nouvellement élu cherchait un
rapprochement avec les guides religieux et ainsi espérait compter sur leur collaboration.
Son objectif est de poser des actes concrets allant dans le sens de la demande sociale de
la majorité. Ainsi, une introduction de l'éducation religieuse à l'école publique se présente
alors comme un facteur important prouvant sa volonté et son engagement à œuvrer pour
une "Ecole Sénégalaise Nouvelle" qui prendrait en compte les aspects culturels et
religieux. D'un autre côté, il fallait également arriver à « une obligation scolaire de 6 à 16
ans ». L'idée est d'augmenter le taux brut de scolarisation (TBS) et pour cela les enfants
doivent suivre une scolarité de base de dix ans au minimum. La conséquence est que les
écoles publiques et privées « peuvent proposer une éducation religieuse optionnelle » (Cf.
Exposé des motifs de la loi modifiant et complétant la loi d'orientation de l'Education

305
Nationale n°91-22). Pour le pouvoir en place, c'est une manière de récupérer l'ensemble
de ces enfants qui ne fréquentent pas le système scolaire. Pour le Ministre de l'Éducation
Nationale, cette réforme permet également d'élargir l'accès à l'éducation qui est l'une des
trois phases du Plan Décennal de l'Éducation et de la Formation (P. D. E. F.) avec la
gestion et la qualité. Aussi, il soutient que « l’éducation et la formation doivent par ailleurs
servir de médium pour la lutte contre la mendicité, l’oisiveté et la maltraitance des enfants
» (MEN, 2002, fascicule n° 1, p.12). D’où l’orientation de la politique éducative de l’Etat en
faveur de l’inclusion et de l’équité.

Ainsi, la ressource fondamentale de notre corpus scientifique par rapport à l’introduction


de l’éducation religieuse reste la modification de la loi d’orientation. Les éléments justifiant
le contexte d’apparition de cette modification ont été résumés dans l'exposé des motifs de
la nouvelle loi n° 2004-37:

La loi d’orientation de l’Education nationale n° 91-22 du 16 février 1991 prévoit à son article 3 que
« l’Education nationale garantit aux citoyens la réalité du droit à l’éducation par la mise en place
d’un système de formation ».
Dans le cadre du « Programme décennal de l’Education et de la Formation » (PDEF), le Sénégal
avait décidé de scolariser la totalité des enfants âgés de 7 à 12 ans d’ici la fin de l’année 2010 pour
permettre à tous les enfants d’acquérir un savoir élémentaire de qualité.
Afin de traduire juridiquement cette grande ambition, il était nécessaire d’ajouter à la loi d’orientation
de l’Education nationale un article qui impose cette obligation.
Ce présent projet de loi va en fait plus loin que ce qui avait été prévu dans le cadre du PDEF
puisqu’il instaure une obligation scolaire de 6 à 16 ans. Les parents dont les enfants appartiennent
à cette tranche d’âge auront donc l’obligation d’inscrire leurs enfants à l’école publique ou privée et
de veiller à leur assiduité.
Afin de ne permettre aucune discrimination fondée sur la richesse, la scolarité obligatoire est
dispensée gratuitement dans les établissements publics d’enseignement.

Pour la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions, l’Etat s’engage à fournir progressivement à
l’Education nationale les moyens nécessaires à la scolarisation des enfants inscrits avant la fin de
l’année 2010. Par ailleurs, jusqu’à cette date, l’obligation d’inscrire à l’école les enfants de 6 à 16
ans ne s’applique que là où une offre de scolarisation existe au sein d’un établissement public
d’enseignement.

306
Pour faciliter cette scolarisation obligatoire de tous les enfants de 6 à 16 ans, le présent projet de
loi prévoit que les établissements publics et privés peuvent proposer une éducation religieuse
optionnelle. Cette offre se fait dans le respect du principe de laïcité de l’Etat et les parents sont
entièrement libres d’inscrire ou non leurs enfants à cet enseignement. Telle est l’économie du
présent projet de loi. (Cf. Exposé des motifs de la loi 2004-37).

Par la modification de la loi d’orientation, l’Etat cherche à atteindre ses objectifs de


scolarisation universelle. Cette loi n° 2004-37 est donc importante à plus d’un titre ; elle
apporte des éléments nouveaux dans le système éducatif sénégalais. Elle est le cadre
juridique qui sous-tend et encadre la possibilité offerte aux écoles élémentaires publiques
de proposer et d’organiser l’éducation religieuse en leur sein même. Par celle-ci, les
autorités étatiques espèrent redonner plus de crédibilité à l’école et orienter sa mission
vers les besoins et préoccupations de la société ; et ainsi, parvenir à relever le TBS au
niveau primaire. L’étape d’exploration de la loi n° 2004-37 modifiant et complétant la loi
d’orientation n° 91-22 du 16 février 1991 permet de cerner ce qu’elle a prévu en matière
d’obligation de scolarité et par rapport à l’éducation religieuse dans les écoles
élémentaires publiques. Cette nouvelle loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le
vendredi 3 décembre 2004 et est composée de trois articles :

Article premier. - Il est ajouté, après l’article 3 de la loi d’orientation de l’Education nationale n° 91-
22 du 16 février 1991, l’article suivant :
« Article 3 bis : La scolarité est obligatoire pour tous les enfants des deux sexes âgés de 6
ans à 16 ans.
L’Etat a l’obligation de maintenir, au sein du système scolaire, les enfants âgés de 6 à 16
ans.
La scolarité obligatoire est assurée gratuitement au sein des établissements publics
d’enseignement.
Il est fait obligation aux parents, dont les enfants atteignent l’âge de 6 ans, de les inscrire
dans une école publique ou privée. Les parents sont tenus de s’assurer de l’assiduité de
leurs enfants jusqu’à l’âge de 16 ans.
Tout enfant âgé de moins de 16 ans et n’ayant pu être maintenu dans l’enseignement
général, est orienté vers une structure de formation professionnelle ».

Art. 2. - L’article 4 de la loi d’orientation de l’Education nationale n° 91-22 du 16 février 1991 est
abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :

« Article 4. - L’Education nationale est laïque : elle respecte et garantit à tous les niveaux, la
liberté de conscience des citoyens.
Au sein des établissements publics et privés d’enseignement, dans le respect du principe
de laïcité de l’Etat, une éducation religieuse optionnelle peut être proposée. Les parents
choisissent librement d’inscrire ou non leurs enfants à cet enseignement ».

307
Art. 3. - Pour la mise en œuvre du dispositif de scolarisation obligatoire, défini à l’article premier de
la présente loi, l’Etat fournit progressivement à l’Education nationale les moyens nécessaires avant
la fin de l’année 2010.
Jusqu’à cette date, l’obligation faite aux parents, en application du premier alinéa de l’article 3 bis
de la loi d’orientation de l’Education nationale, ne s’applique que là où une offre de scolarisation
existe au sein d’un établissement public d’enseignement.

8- 1- 1- 3 Les emplois du temps curriculaires

L'ensemble des emplois du temps du curriculum de l'éducation de base, plus précisément


des écoles publiques élémentaires constitue le troisième texte à analyser. Ces emplois du
temps sont des documents officiels émanant du ministère de l'Education Nationale et
rédigés par une équipe de rédacteurs sous la direction du Secrétariat Technique
Permanent. Ils peuvent être considérés comme un outil pédagogique au service de la mise
en œuvre des programmes fixés par la réforme du curriculum de 2008. Dans ces emplois
du temps, sont structurés et organisés les différents domaines d'activités de l'école
élémentaire tout en assurant le respect du crédit horaire alloué à chaque champ
disciplinaire. Le contexte de leur élaboration s'inscrit dans l'histoire singulière de cette
tradition d'innovations et de changements intervenus dans le système éducatif. En effet,
le Sénégal, en matière d’éducation, a expérimenté plusieurs réformes. Ces différentes
réformes ont introduit trois types d’approches pédagogiques. Les réformes de 1962, 1972
et de 1979 ont permis de tester l'entrée par les contenus. L'approche par les objectifs a
été introduite dans les programmes en 1987. Et enfin, à partir de 2008, le Sénégal s’est
lancé dans la mise à l'essai de l'entrée par compétences. Aujourd’hui, cette approche est
utilisée dans l’ensemble des écoles primaires dans le cadre du nouveau curriculum.
(Sambe, 2006). Avec l’entrée par les compétences, un changement de curriculum s’est
imposé dans le but d’une meilleure réorganisation du système éducatif sénégalais visant
entre autre une bonne adaptation des contenus et méthodes d’enseignement
apprentissage en lien avec les réalités sociales, économiques et culturelles du pays. Dans
ce sens donc, la priorité a été mise sur l’éducation de base. La politique éducative de l’Etat
du Sénégal a été orientée ainsi vers le renforcement du système par le moyen du
programme décennal de l’éducation et de la formation qui a fixé les grands axes pour la
période allant de 2000 à 2010. Cependant, il faut noter que le Sénégal a démarré dès
1996 le processus de construction de ce nouveau curriculum de l’éducation de base qui
est centré sur l’entrée par les compétences et qui est appelé à remplacer le décret 79-

308
1165 du 20 décembre 1979 structurant les matières à enseigner à l’école élémentaire
sous forme de contenus. Aussi à partir des années 2000, dans le but d’arriver à dégager
une vision globale des activités à réaliser, un projet d'appui au curriculum de l'éducation
de base (PACEB) a été instauré. Dans le cadre donc de cette mise en œuvre du
Curriculum de l’éducation, plusieurs étapes ont été notées. La première phase, consacrée
à la construction du curriculum, s’est déroulée de 1996 à 2001. A partir de 2002, il a été
procédé à la réécriture du Livret Horaire et Programme (LHP). De 2003 à 2004, le Sénégal
est passé à la construction active et à partir de 2005, à la mise à l'essai des outils
améliorés par cette construction active. Pour clore ce processus, à partir du mois d’octobre
2009, il a été question de la généralisation du curriculum. (CONFEMEN, 2010).

En somme, ces innovations apportées dans les programmes de l’école de base trouvent
leur justification dans la volonté de l’Etat du Sénégal d’adapter son système éducation aux
exigences et mutations notées au niveau internationale et national. Après la réforme de
1979, le programme du décret 79-11 65 du 20 décembre 1979 a été le document de
référence pour les écoles de l’enseignement élémentaire. Les horaires et programmes de
1979 ont été à la base de la rédaction de tous les autres programmes qui vont leur donner
un contenu détaillé. Dans cette optique, pour améliorer la qualité des enseignements /
apprentissages, les programmes des classes pilotes rédigés en 1987 ont opté pour une
approche par les objectifs centrés sur l’opérationnalisation des objectifs d’apprentissage
que les élèves devraient être capables d’atteindre. Les limites de la pédagogie par les
objectifs ont été perçues chez les apprenants qui éprouvaient des difficultés à mobiliser
les connaissances acquises dans des situations concrètes de la vie. Ce constat pousse
les décideurs de l’éducation au Sénégal, après le lancement des programmes de «
progressions harmonisées » conçus en1990, à opter pour une entrée par les compétences
mise en œuvre à travers le curriculum de l’éducation de base (CEB). Ce dernier est
consigné dans des « livrets de compétences », des « supports didactiques » comme le
« cahier d’activités ou d’exercices » de l’élève pour toutes les disciplines, et dans des «
guides pédagogiques » où se trouvent les différents emplois du temps pour chaque étape
et niveau du cycle primaire. Ces différents documents ont été réalisés par une équipe de
rédaction dirigée par le Secrétariat Technique Permanent (STP). Toujours dans le cadre
de l'élaboration et de la construction du curriculum de l'éducation de base, il est important
de souligner qu'après le séminaire sur l’introduction de l’éducation religieuse et la création

309
d’écoles franco-arabes dans le système éducatif, ce dernier a été revisité afin d’y introduire
un crédit horaire hebdomadaire alloué à l’éducation religieuse, et par la même occasion
accroître celui de l’enseignement de la langue arabe (MEN, 2002, 17).

Ainsi, dans les emplois du temps du curriculum de l’éducation de base, les horaires ont
été rénovés. Une tranche horaire de deux (2) heures hebdomadaires a été allouée à
l’éducation religieuse dans les 29 heures de l’emploi du temps. L’horaire des cours d’arabe
est passé de d’une (1) heure à deux (2) heures.

8- 1- 2 Les textes en lien avec le projet de la modernisation des "daara"

L’Etat du Sénégal, à travers la Lettre de Politique sectorielle de 2009, s’engage dans un


projet de développement et d’intégration des "daara". Pour décrire le projet de
modernisation des "daara" un corpus documentaire a été réuni. Il s’agit de l’arrêté portant
missions et organisation de l’Inspection des "daara", l’accord-cadre pour la promotion des
"daara", la loi portant statut du "daara", et enfin les outils élaborés dans le cadre du
"testing" du curriculum des "daara" modernes.

8- 1- 2- 1 L’arrêté portant missions et organisation de l’Inspection des "daara"

Le premier texte choisi dans le cadre du projet de modernisation des "daara" est un
document officiel, un acte administratif, à portée générale, émanant du Ministre de
l’Enseignement préscolaire, de l’Elémentaire et du Moyen secondaire. Il porte le titre de :
« Arrêté portant missions et organisation de l’inspection des "daara" » et a été signé le 10
juin 2009 à Dakar par le Monsieur Kalidou Diallo, ministre de l’Education Nationale d’alors.
Le contexte de la prise de décision exécutoire de l’Arrêté portant missions et organisations
de l’inspection des "daara" s’inscrit dans la suite logique de l’application de la loi n° 2004-
37 modifiant et complétant la loi d’orientation de l’Education Nationale n° 91-22 du 16
février 1991. En effet, suite à l’ambition politique de l’Etat du Sénégal d’inclure et de
développer l’éducation religieuse dans le système éducatif – volonté politique réaffirmée
avec force dans le Programme d’Appui à la Qualité, à l’Equité et à la Transparence

310
(PAQUET 2013-2025) – il s’est avéré important, voire primordiale de donner une priorité
au sous-secteur des "daara", traditionnellement reconnu comme structure chargé de
dispenser ce type d’enseignement religieux. Il semble, en effet, que dans le cadre de la
diversification de l’offre dans le domaine de l’éducation et en vue de la réalisation de
l’objectif d’une scolarisation universelle au Sénégal, la politique en faveur des "daara"
vienne en appoint au secteur dit classique dans le système éducatif. Ainsi, la décision de
l’Etat de mener une politique éducative orientée vers la religion est la principale raison
justifiant la création en 2009 de l’Inspection des "daara" au niveau du ministère de
l’Education nationale. La mission principale de cette nouvelle institution scolaire
centralisée est de conduire et piloter la politique de l’Etat du Sénégal en faveur de la
modernisation comme le rappelle l’article premier du présent arrêté. « L’Inspection des
"daara" a pour mission, en collaboration avec les directions et services spécialisés, de
moderniser et d’intégrer les "daara" dans le système éducatif… ». Cette structure, étant
sous la tutelle du secrétaire général du Ministère de l’Education (voir organigramme MEN),
se veut aussi un espace ou cadre de dialogue entre les autorités étatiques et les différents
responsables et acteurs des "daara" tels que maîtres coraniques, le collectif et les diverses
associations, ainsi que les intervenants extérieurs tels que les organismes internationaux
et les ONG. Elle joue également un rôle d’accueil et de suivi d’exécution des différents
programmes d’action à l’attention des "daara". Dans ce sens donc, elle a mis en place un
Plan Stratégique de Développement des "Daara" (PSDD). L’Arrêt portant missions et
organisation de l’Inspection des "daara", s’appuyant entre autres sur la Constitution, la loi
n° 91-22 du 16 février 1991 portant Loi d’orientation de l’Education, modifié, le décret n°
86-877 du 19 juillet 1986 portant organisation du Ministère de l’Education, modifié, (…), le
décret n° 2008-1209 du 24 octobre 2008 portant nomination d’un inspecteur des "daara"
au Ministère de l’Education chargé de l’Enseignement préscolaire, de l’Elémentaire et du
Moyen, (…), est composé de trois (3) articles. Le premier, en outre de donner la mission
de l’Inspection des "daara", décline toutes les charges – au nombre de 16 – relevant de
ladite structure. L’article 2 fixe la composition de cette Inspection Générale des "daara".
Et enfin, le troisième article…

311
En somme l’arrêt portant missions et organisation de l’Inspection des "daara" est un acte
exécutoire marquant une importance dans le sens de la promotion et prise en charge des
"daara" au Sénégal en vue de leur intégration dans le système éducatif. La production des
autres documents traduit la volonté d’instaurer des dispositions réglementaires dans ce
sous-secteur et de juger le CDM avant sa généralisation.

8- 1- 2- 2 L’accord-cadre pour la promotion des "daara"

Le deuxième texte sélectionné par rapport à l’analyse du projet de modernisation des


"daara" est un accord-cadre intitulé : « accord-cadre pour la promotion des "daara" ». Il a
été conclu à Dakar, le 1er décembre 2010 entre le Gouvernement du Sénégal, représenté
par le Ministre de l’Enseignement Préscolaire, de l’Elémentaire et du Moyen Secondaire
et des Langues Nationales, et le Collectif National des Associations des Ecoles
Coraniques du Sénégal (CNAECS), représenté par son Coordonnateur National.

Le contexte justifiant la signature de l’accord-cadre pour la promotion des "daara" trouve


son fondement dans la politique éducative du Sénégal et ses ambitions d’atteindre
l’objectif d’une scolarisation universelle. En effet, à une période encore ressente, jusqu’en
2000, les "daara" étaient considérés comme un système parallèle au système éducatif. Ils
relevaient du non-formel, c’est-à-dire un système « dont les contenus ne sont pas définis
par l’autorité publique, qui ne vérifie pas davantage les aptitudes pédagogiques des
maîtres, ni ne mesure les compétences des apprenants » (Charlier, 2004, p.
99).L’éducation non formelle est définie dans le cadre du PDEF comme étant « tout ce qui
touche à l’alphabétisation et ses modèles alternatifs (ECB), à l’éducation qualifiante des
jeunes et des adultes par rapport aux apprentissages, aux écoles de troisième type et aux
"daara"» (PDEF, 2003, p. 115).

Cependant, étant considérés comme une offre éducative répondant à la demande sociale
et religieuse d’une grande majorité de la société, les "daara" drainent et continuent encore
d’accueillir un taux important d’enfants dans la tranche d’âge concernée par la
scolarisation universelle. Avec comme cadre d’action les documents stratégiques : le
PDEF, la lettre de Politique Générale de 2000 et surtout l’introduction de la lettre
sectorielle de 2005, l’Etat du Sénégal a lancé le projet de modernisation. « Les daara

312
seront modernisés à travers une réforme curriculaire qui intègrera l’introduction du
trilinguisme (français, arabe et langue nationale) et de la formation professionnelle. Dans
cette optique, il s’agira d'améliorer les conditions de vie et d’apprentissages des talibés ;
de préparer les apprenants à une insertion socioprofessionnelle ; et de créer des
passerelles permettant aux produits des daara modernes » (R S., 2005). La volonté de
moderniser les "daara" a été réaffirmée par la Lettre sectorielle de 2009 qui précise en ces
termes : « la modernisation des "daara" se poursuivra pour assurer aux apprenants des
écoles coraniques une éducation religieuse adéquate et les doter des compétences de
base visées dans le cycle fondamental. Elle intervient en complémentarité avec le secteur
classique dans le cadre de la diversification de l’offre éducative et de la réalisation de
l’objectif d’une scolarisation universelle de 10 ans (…) » (R S., 2009). La politique de
développement des "daara" et leur intégration sectorielle, a permis de mettre au jour les
rapports de force entre les autorités étatiques initiatrices du projet et les différents acteurs
des "daara". Ainsi, l’accord-cadre pour la promotion des "daara" s’inscrit dans la volonté
commune de tous les acteurs de rassembler les synergies et de minimiser les tensions et
permettre l’aboutissement du projet de modernisation et d’intégration de ces derniers.

Cet accord-cadre, après avoir défini ce qu’est un "daara", fixe les conditions d’ouverture,
d’enseignement, de reconnaissance et de contrôle administratif, financier et pédagogique
des "daara".

8- 1- 2- 3 Le projet de loi portant statut du "daara"

Le troisième texte choisi dans le cadre de l’examen des effets de la modernisation des
"daara" est le projet de loi portant statut du "daara" finalisé le 27 décembre 2016 à l’issu
d’une rencontre entre l’administration et les différents acteurs des "daara". Il a été remis
entre les mains du Président de la République et donc est en phase d’être envoyé à
l’Assemblée Nationale pour être voté. D’après certains acteurs de ce sous-secteur, toutes
les conditions sont réunies pour sa promulgation par la République du Sénégal.

Le contexte général justifiant l’apparition d’un tel projet de loi portant statut du "daara" est
à trouver dans la volonté du Sénégal de promouvoir une éducation inclusive et équitable

313
de qualité. En effet, l’engagement de l’Etat du Sénégal en faveur de l’Education Pour Tous
(EPT) et la promotion des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pour tous,
conformément à l’objectif de Développement durable n°4, a entrainé, au niveau national,
la multiplication des initiatives avec comme cadre d’action la modification de la loi
d’orientation de l’éducation nationale n° 91-22 du 16 février 1991 par la loi n° 2004-37 et
la production de documents et stratégiques tels que le Programme Décennal de
l’Education sans oublié les différentes lettres de politique Générale (2000, 2005, 2009,)
de l’éducation qui les ont accompagnés. Cependant, malgré la volonté des autorités
étatiques dans le cadre de la diversification de l’offre d’éducation et de l’élargissement de
l’accès, le TBS, jusqu’en 2009, est resté à 91,9% dans la tranche d’âge de 7 à 12 ans
selon le rapport de 2010 du PDEF. Il faut le dire, cette tranche d’âge 7 – 12 ans est la plus
représentée dans le sous-secteur des "daara". D’où donc une nécessité de mieux prendre
en charge ce sous-secteur. Ainsi :

Pour compléter cet arsenal juridique, l’Etat a élaboré une politique éducative qui prend en compte
le sous-secteur spécifique des "daara". Ainsi, la Lettre de politique sectorielle 2013 – 2025, dont la
vision est, entre autres, de mettre en place un système « plus engagé dans la prise en charge des
exclus », se fixe comme ambition d’ « institutionnaliser l’enseignement religieux dans les écoles et
de promouvoir une politique plus hardie de modernisation des "daara" avec un appui financier, des
infrastructures et des équipements adaptés, des curricula pertinents, la formation efficace des
acteurs, la protection nutritionnelle et sanitaire des enfants talibés, et l’instauration d’un système
d’équivalence et de passerelle avec le système classique ». De même, le Programme d’Amélioration
de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence dans le secteur de l’Education et de la Formation
(PAQUET 2013 – 2025), recommande de développer des modèles alternatifs de formation à travers,
entre autres stratégies, la modernisation des "daara". (Cf. Exposé des motifs).

La politique de modernisation est orientée vers la formalisation. Toutefois, malgré la clarté


de la vision et de la politique éducation et la volonté des différents acteurs, le projet de
modernisation des "daara" rencontre des obstacles tels que des interventions non
coordonnées, le manque de sécurité pour les élèves-talibés, de contrôle par rapport à la
prolifération des "daara", l’insuffisance des ressources face à un sous-secteur en réel
accroissement…« Dans un tel contexte, les initiatives institutionnelles entreprises,
notamment la création de l’Inspection des "daara" et à l’Accord-cadre entre le ministère
chargé de l’Education et les acteurs du sous-secteur, ne suffisent pas pour relever les
défis auxquels celui-ci est confronté. Dès lors, la mise en place d’un cadre législatif des

314
"daara" est devenue impérative… » (Cf. exposé des motifs). Les enjeux de ce projet de
loi sont multiples ; il a pour but de contribuer à :

- relever le taux de scolarisation, en intégrant dans le système éducatif des centaines de milliers
d’enfants qui en sont exclus ;
- répondre au défi de la qualité de l’offre éducative dans le sous-secteur en améliorant
l’environnement et le contenu pédagogique des enseignements, ainsi que la qualité des personnels
enseignant et de direction des "daara" ;
- améliorer la transparence et l’équité dans le financement et l’appui aux "daara" ;
- répondre à une demande d’édification d’un modèle unique de citoyen, sans distinction entre les
enfants issus du système éducatif classique et ceux formés dans les "daara" et offrir à tous des
opportunités d’accès aux savoirs, savoirs être et savoirs faire. (Idem.).

Le projet de loi portant statut du "daara" est structuré en sept (7) chapitres. Le premier
chapitre fixe les dispositions générales. Dans le deuxième chapitre, il est question de
l’ouverture, du personnel et des programmes des "daara". Le troisième, traite des appuis,
subventions et primes alloués aux "daara". Le quatrième aborde la délivrance des
diplômes et certificats. Le cinquième chapitre, quant à lui, prévoit la mise en place d’un
Conseil consultatif des "daara". Le sixième concerne les sanctions et pénalités. Ce projet
de loi portant statut du "daara" est bouclé par le septième chapitre concernant les
dispositions transitoires et finales.

8- 1- 2- 4 "Contrat de performance pour le testing (CDP-Testing)"

Le quatrième document choisi dans le cadre de l’analyse du projet de modernisation des


"daara" est un texte intitulé : "Contrat de performance pour le testing (CDP-
testing)"provenant de l’Inspection générale des "daara", produit sous la supervision du
Ministère de l’Education Nationale au courant de l’année 2016. Ce document fait parte
d’une compilation de textes dénommée : « les outils du "testing" du curriculum des
"daara" modernes ». Il s’agit, entre autres, de : "la circulaire ministérielle relative à la
gestion des fonds destinés à l’appui des plans d’actions des Equipes Techniques
Régionales (ETR) et des "daara testeurs" ; "les termes de références pour l’appui aux
"daara" testeurs et aux ETR" ; "le contrat de performance pour le testing (CDP-Testing)" ;
"le carnet de bord de l’enseignant" ; "les emplois du temps du "daara" moderne" ; "le

315
cahier de l’apprenant" ; "le tableau de gestion des fonds" et les différents "grilles" dans le
cadre de l’encadrement, du suivi et de la supervision de la mise en œuvre du testing.

La production des différents outils du testing du curriculum des "daara" modernes entre
dans le cadre de la promotion de ces structures et dont la finalité reste leur intégration
dans le système éducatif sénégalais. Comme il a été rappelé plusieurs fois, l’Etat du
Sénégal s’est engagé dans la réalisation de l’objectif d’une scolarisation universelle ; cet
engagement implique la diversification de l’offre éducative et la prise en charge de tous
les secteurs d’éducation. Dans cette optique, avec la réforme du système du système
éducatif de 2002, la modernisation des "daara" s’est présentée comme l’une des priorités
de la politique éducative du pays. Pour ce projet, il est apparu nécessaire de procéder au
testing du curriculum des "daara" modernes ; ce qui a conduit à la mise en place d’outils
permettant la réussite de cette phase test. Le contexte et la justification du testing ont été
repris dans le document intitulé "Termes de références pour l’appui aux "daara" testeurs
et aux ETR" en ces termes :

Depuis 2000, Le sous-secteur des daara bénéficie de plus en plus d’appui de la part des Partenaires
Techniques et Financiers (PTF) et de l’Etat, qui se traduit par un financement plus conséquent. Cet
engagement du Gouvernement entre dans le cadre de la diversification de l’offre éducative et de la
réalisation de l’objectif d’une scolarisation universelle de 10 ans. C’est dans ce cadre que s’inscrit
le Projet d’Appui à la Modernisation des Daara (PAMOD) qui vise, entre autres l’amélioration de la
qualité des enseignements et apprentissages dans les daara modernes.

Toutefois, si le choix est clair, sa mise en œuvre effective est parsemée d’obstacles. Il faut noter en
effet, que le curriculum des daara moderne (CDM) n’est pas encore stabilisé. C’est pourquoi, le
Ministère de l’Education nationale prévoit de procéder au testing dudit CDM dans les daara non
publics.

Mais la plupart des 10 daara testeurs choisis, ne disposent pas d’un cadre physique propice aux
enseignements et apprentissages. Les salles de classe prévues pour les daara non publics ainsi
que le bloc administratif ne sont pas encore construits. C’est pourquoi le testing se déroulera dans
le cadre originel caractérisé par la précarité. (Cf. Document : "termes de référence pour
l’appui aux ETR et aux daara testeurs").

En effet, dans la mise en œuvre effective de cette orientation de la politique éducative


envers cette couche d’enfants exclus du système éducatif des difficultés sont apparues.
Dans la concrétisation du concept de « daara moderne » sur le terrain, le déroulement et
l’utilisation des outils du curriculum des "daara" et ainsi que la gestion de ces "daara", il a
été noté une absence d’engagements clairs entre les différents acteurs impliqués. Aussi,
le statut privé de ces dites "daara" s’est révélé comme une limite à la mise en œuvre du

316
plan d’action piloté par le Ministère de l’Education Nationale, les Partenaires Techniques
et Financiers (PTF) et des Equipes Techniques Régionales (ETR). Ainsi dans le but de
pallier à tous ces obstacles, un contrat de performance entre l’administration et le "daara"
concerné a été mis en place. Le contrat de performance se situe dans la logique du plan
de la convention d’objectifs est composé, outre la désignation des parties prenantes, des
dispositions générales, de l’engagement du ministre de l’Education Nationale (signé par
son représentant sur le terrain), de l’engagement du "daara" et des dispositions
communes. Dans ce sens, le CDP-Testing est signé entre l’Inspection de l’Education et
de la Formation (IEF) de ladite localité où se trouve le "daara" concerné et ce dernier.

8- 1- 3 La description et mise en place de ces deux innovations

L’émergence et l’agencement de plusieurs facteurs géopolitiques ont favorisé


l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires et le
lancement du projet de modernisation des "daara". Après les conférences mondiales de
Jomtien en 1990 et Dakar en 2000, l’urgence d’une scolarisation universelle a été
réaffirmée et soutenue par les organisations internationales. Au niveau national,
l’alternance politique intervenue en 2000, le désir d’accroître le TBS, l’ambition de réaliser
un taux d’achèvement de 10 ans, le développement et l’attraction du modèle d’écoles
alternatives proposant une éducation religieuse parallèlement au système éducatif, le
souhait d’intégrer le modèle franco-arabe dans le système éducatif, la désir de déterminer
la place des "daara" dans le système éducatif, la volonté d’adapter l’offre éducative à la
demande avec introduction de cours en langues locales, le renouvellement continuel de
la demande formulée lors des EGEF peuvent être considérés comme des éléments
déclencheurs de la réforme de 2000. Aussi, les ateliers organisés en juillet 2000 qui ont
vu la participation de toutes les communautés religieuses aux côtés des décideurs de
l’éducation ont été déterminants pour étudier les modalités pratiques de chaque
innovation, pour engager la réforme (MEN, 2002).

En effet, c’est véritablement dans les locaux du Programme d'Appui au Plan d'Action
(PAPA) à Dakar que le démarrage du séminaire sur l'introduction de l'enseignement
religieux dans le système éducatif a été lancé en juillet 2002. A cette occasion, des pistes

317
de réflexion ont été dégagées pour permettre une bonne mise en œuvre cette innovation
dès la rentrée scolaire 2002/2003 dans les écoles publiques élémentaires. Toutes les
familles religieuses, le collectif des maîtres coraniques, les associations d’écoles
coraniques, les acteurs de l’école, etc., ont pris part à cette rencontre au côté des
membres du Comité scientifique et de l’équipe dirigée par le Ministre de l'Education.

Les différentes visites effectuées dans les structures académiques et le dépouillement du


corpus documentaire ont permis de comprendre, en réalité, l’organisation de l’éducation
religieuse. Au niveau centralisé, une Division de l’Enseignement Arabe (DEA) qui a pour
mission de promouvoir, d’impulser, d’orienter et aussi de coordonner l’enseignement de
l’arabe148 existait déjà et est rattachée au cabinet du Ministre de l’Education. Elle gère
aussi le personnel enseignant en langue arabe qui de huit (8) au moment de
l’indépendance, est passé en 2002 à 1500 enseignants. En 2009, l’effectif est passé à
4 784 au niveau de l’élémentaire publique. D’après le rapport d’évaluation diagnostique et
prospective de l’éducation de base au Sénégal de 2014, le personnel enseignant
arabophone à l’élémentaire était estimé à 5 395 pour l’année scolaire 2011/2012, et pour
7 801149 écoles. Aujourd’hui, les enseignants en langue arabe sont estimés à plus de 6
500. Ces maîtres arabes, en plus d’enseigner cette langue, sont chargés de dispenser les
cours d’éducation religieuse islamique. Il semble aussi, à travers nos entretiens, qu’au
Sénégal, l’enseignement de l’arabe ait toujours été associé à l’éducation religieuse
musulmane. Cette conception se justifie par le fait que l’arabe étant la langue de révélation
du coran, il fallait impérativement que les élèves puissent le lire et l’écrire pour envisager
des études religieuses islamiques. Cela justifierait donc le fait que souvent les acteurs de
cette éducation religieuse islamique aient eu un cursus arabe. Au niveau décentralisé, un
inspecteur arabe a été affecté dans chaque inspection d’académie et chaque inspection
d’éducation et de formation. Sa mission est de s’occuper de l’encadrement et de la
coordination des enseignements-apprentissages de l’arabe et de l’éducation religieuse,
mais aussi de faire le lien avec les "daara" dans le cadre des différentes initiatives mises
en place dans ce domaine. Par rapport au programme, les contenus d’enseignement ont
été définis à l’issu du séminaire introductif de 2002 qui a eu à déterminer pour l’éducation

148
L’arabe, au Sénégal, est enseigné dans tout le cycle fondamental, c’est-à-dire, au niveau de l’éducation
préscolaire, de l’élémentaire et du moyen. On le retrouve aussi dans le secondaire et même à l’université.
149
Ce chiffre provient du Rapport National de la Situation de l’Education de 2013.

318
religieuse islamique les quatre disciplines de base. La première discipline à enseigner est
la mémorisation du coran, livre de référence islamique comprenant 114 sourates (versets).
Ensuite, il y a la tradition du prophète, appelée "hadiths" ; un "hadith" renvoie à tout ce qui
se rapport au prophète Mahomet (psl), c’est-à-dire, ses paroles, ses actions, ses
acquiescements ou même ses traits caractéristiques. L’ensemble de ces informations
constitue la "sounna" et représente la deuxième source de législation dans la religion
musulmane, derrière le coran. La troisième discipline de l’éducation religieuse islamique
concerne la foi (dogme et doctrine) qui se traduit par "tawhid" ; et, enfin, le dernier volet
est constitué de l’histoire ou de la biographie du prophète Mahomet, appelé dans la langue
arabe "sira".

Pendant les rencontres du PAPA, un programme d’éducation religieuse chrétienne inspiré


de ce qui se fait dans les écoles catholiques a aussi été proposé par les représentants de
l’Eglise. Il vise comme objectifs généraux : la connaissance de la foi, l’éducation liturgique,
la formation morale, l’éducation à la vie communautaire, l’initiation à la mission. (Cf.
Contribution de l’Enseignement Privé Catholique au séminaire PAPA).

Dans l’exposé des motifs de la promulgation de la loi d’orientation modifiant et complétant


la loi n°9-2é du 16 février 1991, il est clair que pour les autorités étatiques l’objectif reste
l’atteinte de la scolarisation universelle et la réalisation d’un taux d’achèvement de dix (10)
ans. Et pour ce faire, « une éducation religieuse optionnelle » a été instaurée dans les
établissements publics. (Art. 2, loi n°2004-37). Aussi, l’examen des emplois du temps du
curriculum de l’éducation de base révèle qu’un crédit horaire de deux (2) heures
hebdomadaires a été alloué à l’éducation religieuse sur les 29 heures constituant
l’ensemble des enseignements / apprentissages. A cette tranche horaire assurée par le
maître d’arabe, il faut lui ajouter deux (2) autres heures destinées à l’enseignement de la
langue arabe.

319
Concernant les "daara", deux projets importants ont vu le jour. Les différents documents
sélectionnés dans le cadre du projet de modernisation des "daara" ont permis de relever
les changements apportés au sein de ces structures et le sens de cette innovation. Il faut
rappeler ici que le projet de modernisation des "daara" décidé lors du séminaire de juillet
2002 dans les locaux du PAPA est actuellement dans sa phase test en vue de sa
généralisation.

Dans le cadre de la politique de l’Etat du Sénégal en faveur des "daara" en lien avec la
réforme de 2002, deux programmes majeurs ont été lancés dont la finalité reste la
modernisation des "daara" en vue de leur intégration dans le système éducatif. Il s’agit du
« projet d’amélioration de la qualité et de l’équité de l’éducation de base en faveur des
"daara" » (PAQUEEB-"daara") et du projet d’appui à la modernisation des "daara"
(PAMOD) qui consiste à construire soixante-quatre "daara modernes" constitués de
trente-deux "daara" privés laissés aux mains de maîtres coraniques et trente-deux autres
qui seront publics. Le premier programme, à destination d’une centaine de "daara" à
travers le pays, reliée aux inspections d’académies suivantes : Fatick, Diourbel, Kaolack,
Kaffrine, Kolda, Tambacounda, Louga, Thiès et Matam., a été intégré dans celui du «
Projet d’amélioration de la qualité et de l’équité de l’éducation de base » (PAQEEB), lui-
même prenant sa source dans le vaste « Programme d’amélioration de la qualité, de
l’équité et de la transparence dans l’éducation » (PAQUET) pour la période 2013-2025.
(Cf. MEN, Paquet, 2013). Ce programme est cofinancé par l’Etat du Sénégal et par la
Banque mondiale et le partenariat mondial pour l’éducation. Le deuxième projet est
financé par la Banque Islamique de développement (BID). Dans le cadre de la promotion
de ces écoles coraniques, le Curriculum des "Daara" Modernes (CDM), élaboré depuis
2010, est actuellement (2016/2017) dans sa phase de test dans dix (10) "daara testeurs"
en vue de sa généralisation au niveau national. Des changements pédagogiques
considérables ont été apportés dans ces "daara" avec la mise en œuvre du CDM. Des
enseignements / apprentissages du français ont été introduits dans ces écoles
spécialisées dans la mémorisation du coran et les savoirs islamiques. Il a été introduit
dans ces "daara" des apprentissages en langue française tels que langue et
communication (autrefois appelé : expression orale), lecture, écriture, mathématiques...
Les moniteurs chargés de dispenser ces cours sont rémunérés par l’Etat à travers un

320
système de payement décentralisé et géré au niveau de chaque I.E.F dont dépend le
"daara" en question. Dans le cadre de la mise en œuvre du curriculum des "daara"
modernes, avec la rédaction et la mise en place d’un programme, l’Etat a apporté son aide
dans l’harmonisation de l’enseignement coranique.

L’Etat s’est également engagé à doter les "daara" de fournitures en manuels et outils
didactiques, à assurer la formation et l’encadrement des équipes pédagogiques (directeur,
maîtres coraniques, enseignants…). Au niveau des infrastructures et de la gestion, les
"daara" bénéficient d’une amélioration de leur environnement immédiat, de la construction
de salles de classe, d’un bloc administratif, de dortoirs et logement…, de l’installation de
sanitaires, d’une mise en place d’un comité de gestion, d’une aide financière, subvention
et rémunération des moniteurs… La signature d’un accord-cadre entre le Ministère de
l’Education et le "daara" et l’établissement d’une voie hiérarchique facilitent les échanges
dans ce cadre. Au niveau alimentaire et nutritionnel, il est prévu l’installation d’une cantine
scolaire et la dotation en denrées alimentaires. Aussi, par rapport au cursus scolaire des
apprenants fréquentant ces structures, il a été décidé une limitation de la scolarité dans
les "daara" modernes à une durée de huit (08) ans subdivisée en trois étapes. La première
étape, appelé étape d’initiation, d’une durée de trois ans, est consacrée exclusivement à
la mémorisation du Coran. Dans certains "daara", à partir de cette première étape, les
mécanismes de base en lecture et en écriture arabe sont installés. Les apprenants sont
initiés aux pratiques cultuelles et à certaines compétences de la vie courante. Le médium
d’enseignement retenu reste la langue du milieu. A la deuxième étape qui dure deux ans,
les élèves poursuivent la mémorisation du Coran. Le programme des classes de Cours
d’Initiation (CI), de Cours préparatoire (CP) et de Cours élémentaire-première année
(CE1) de l’enseignement formel sont inclus à partir dans le cursus. Le Français et l’arabe
sont intégrés comme langues d’enseignement à côté de la langue nationale. Les 2/3 du
contenu du coran doivent être mémorisés pour passer à la troisième étape qui dure trois
ans. Les programmes des classes de Cours élémentaire deuxième année (CE2), de Cours
moyen première année (CM1) et de Cours moyen deuxième année (CM2) du cycle
fondamental sont introduits dans les enseignements / apprentissages. Il est aussi prévu,
à la fin de ces huit (08) ans dans le cadre de la politique de développement intégré "daara",
une certification attestant que l’apprenant à mémoriser tous les versets du saint coran.

321
Les changements apportés au niveau de leur organisation et de leur fonctionnement
s’inscrivent dans le cadre de la scolarisation obligatoire de 10 ans prônée par la loi n°
2004-37 du 15 décembre 2004, modifiant et complétant la loi d’orientation n°91-22 du 16
février 1991 : « La scolarité est obligatoire pour tous les enfants des deux sexes âgés de
6 à 16 ans ». (Article 3 bis). Ces mesures visent la formalisation et le contrôle du sous-
secteur des "daara", leur intégration dans le système éducatif, le développement d’autres
modèles alternatifs de formation, la formation complète des apprenants dans le domaine
intellectuel, physique, spirituel, la création de passerelles des "daara" aux autres filières,
la possibilité d’offrir des chances de réussite et d’insertion aux apprenants, la correction
d’une absence de prise en charge…

En résumé la description de ces deux innovations permet de comprendre l’ambition des


politiques gouvernementales. Malgré des positions et des intérêts divergents exprimés
auparavant par rapport à celles-ci, un consensus a permis leur mise en place. Les
entretiens semi-directifs réalisés avec les acteurs de l’école sénégalaise ont donc eu pour
but de recueillir leurs avis sur l’inclusion de la religion dans la sphère scolaire et sur le
projet de modernisation des "daara" d’une part et d’autre part de dresser, quinze après,
un bilan.

8- 1- 4 La présentation des entretiens

Le guide d’entretien semi-directif a été élaboré dans le but de recueillir des informations
relatives à l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles élémentaires publiques
et au projet de modernisation des "daara" entrepris par l’Etat du Sénégal à travers la
réforme de 2002 de son système éducation. La production de discours permet de recueillir
les points de vue des acteurs de l’école et par la suite, d’examiner les effets de ces deux
innovations.

322
8- 1- 4- 1 La population visée et la constitution de l’échantillon

Avant la conduite de ces entretiens semi structurés, il a fallu donc, en toute évidence,
procéder à une identification des acteurs concernés et à la constitution d’un échantillon de
cette population. L’identification s’est d’abord faite par « tâtonnements », c’est-à-dire, dans
un cadre global, le choix des acteurs visés, même si leur profil était cerné dès les premiers
échanges avec notre directeur de thèse, n’était pas bien précis. C’est donc lors du séjour
de juillet et août 2015 au Sénégal, avec les rencontres avec des inspecteurs de l’éducation
et de la formation et à la suite de plusieurs rendez-vous au Ministère de l’Education et
notamment au bureau chargé du cycle élémentaire, au Département de l’Enseignement
Arabe (DEA) et à la Direction de la Planification et la Réforme (DPRE) assurant les liaisons
et échanges entre les acteurs du secteur éducatif (personnels, syndicats, organismes
intervenants dans le domaine de l’éducation, etc.) et le ministère de l’Education nationale
que progressivement la population a été déterminée. La présente thèse s’appuyant sur
les effets de ces deux innovations identifiées ci-dessus, la population visée est constituée
des différents groupes acteurs qui interviennent dans les "daara" ciblés en lien avec le
projet d’appui à cette modernisation et dans les écoles élémentaires publiques dans le
cadre de l’inclusion de la religion. Aussi, il semble que notre échantillon s’est davantage
constitué après le voyage en juillet et août de 2016 avec la découverte de l’existence d’une
Inspections Générale des "daara" et la visite de quelques Inspections d’Education et de
Formation (IEF) et d’écoles élémentaires publiques toujours dans le cadre d’échanges et
de discussions se rapportant à notre recherche. C’est ainsi que les différents groupes
suivants ont été constitués et ciblés pour des entretiens semi-directif. Il s’agit : des acteurs
de contrôle et académiques (inspecteurs d’éducation et de formations, inspecteurs en
langue arabes), acteurs d’écoles (directeurs d’écoles élémentaires publiques et
enseignants, parents-d’élèves) acteurs des "daara" (responsables des "daara" …),
acteurs religieux (islamologues, imans, théologiens, prêtres), acteurs universitaires
(chercheurs, professeurs).

323
Pour constituer l’échantillon dans le cadre de l’introduction de l’éducation religieuse dans
les écoles classiques publiques, l’indicateur essentiel, hormis l’accessibilité de la zone
d’enquête, a été le taux brut de scolarisation. Il est clair, comme il a été rappelé dans les
différents documents stratégiques de référence en lien avec ces innovations (cf. rapport
2010 du PDEF ; PAQUET, 2013 et les différentes lettres de politique générale, 2000, 2005,
2009, 2013), que l’objectif visé reste la réalisation d’une scolarisation universelle au
Sénégal. Dans ce sens, les zones, jadis réfractaires à l’école classique et où ce TBS est
le plus faible, constituent une priorité pour les autorités étatiques. D’après le RNSE (2016),
les cinq régions qui ont le TBS le plus faible restent : Kaffrine (48,70%), Diourbel (54,50%),
Louga (59,70%), Matam (73,10%) et Tambacounda150 (77,70%). Il nous a semblé donc
important de tenir compte de ce facteur dans la constitution de l’échantillon. Aussi, pour
des raisons de proximité et d’accessibilité, la région de Fatick (avec un TBS de 91,00%),
et les régions de Thiès et Dakar avec les plus forts TBS ont également été des terrains
d’enquête.

Le choix des "daara" retenus et des responsables à interviewer dans le cadre de notre
recherche a été orienté par la prise de connaissance des différents projets en faveur de
ces structures devenues un sous-secteur du système éducation. Il s’agit du projet PAMOD
et PAQUEEB. Ces projets, pilotés par l’Inspection des "daara", sont le nouveau cadre de
prise en charge de ces derniers au niveau du système éducatif. Dans le cadre de la
promotion de ces écoles coraniques, le curriculum des "daara" modernes qui a été élaboré
depuis 2010 est actuellement dans sa phase de test dans dix (10) "daara testeurs".
Pendant, notre enquête sur le terrain, en juillet et août 2017, trois (3) de ces 10 structures,
un (1) autre bénéficiant du PAQUEEB et la structure centrale nous ont permis de nous
rendre compte de l’état d’avancement du programme de testing et des réalités liées à
cette innovation majeure. En plus de l’entretien mené avec le responsable de l’inspection
générale des "daara" à Dakar, des enquêtes ont été réalisées dans les "daara" de : Patar-
Sine dans l’arrondissement de Niakhar, région de Fatick ; Serigne Mor Mbaye dans la

150
Dans ce cadre de cette thèse, le voyage à Tambacounda a été annulé à la dernière minute du fait que,
après prise de contact avec l’inspecteur d’académie, nous nous sommes rendu compte de l’impossibilité de
trouver l’inspecteur arabe sur place. Ce dernier était, en effet, à Dakar pour des raisons médicales. Nous
remercions au passage l’IA pour sa disponibilité et tous les efforts qu’il a fait pour nous mettre en rapport
avec l’inspecteur en charge des questions religieuses dans l’IA de Tambacounda. Cependant, avec les
difficultés de caler un rendez-vous malgré de multiples coups de fil et à cause de l’éloignement de la région,
nous n’y avons pas effectué d’entretien.

324
commune de Louga, région de Louga ; Nouroul Islam de Guéwoul dans le département
de Kébémer, région de Louga ; Thierno Hamidou Sall situé dans la ville de Matam. Dans
chacune de ces structures, un entretien avec le responsable ou directeur chargé des
études en relation avec les autorités académiques a été effectué ; ce qui a permis de se
rendre compte de la situation concrète du "daara" en lien avec le projet en vigueur.

Ainsi, les entretiens effectués peuvent être classés dans l’un des groupes d’appartenance
cité ci-dessus et ont été résumés dans le tableau ci-après. Il faut aussi souligner le fait
que certains interviewés pouvaient avoir une double casquette, comme celui d’iman et de
responsable de "daara".

Groupe Structure dont dépendant les personnes Nombre


d’appartenance interviewées d’entretiens
- Inspection d’académie (7)
Acteurs de contrôle et - Inspection d’éducation et de
13
administratif formation (5)
- Inspection des "daara" (1)
- Direction (6)
Acteurs de l’école
- Association des parents d’élèves (2) 9
élémentaire publique
- Corps enseignant (2)
- Responsable des "daara" (4)
Acteurs des "daara" 5
- Directeur des études (1)
- Imans (1)
Acteurs religieux 4
- Prêtres- Religieux (3)
- Faculté des sciences et technologie
Acteurs universitaires 3
de l’éducation et de la formation (3)

Ce tableau représente donc l’ensemble des acteurs constituant notre échantillon de base
dans le cadre de l’entretien semi directif qui est, comme le souligne Blanchet (1995), l’une
des techniques qualitatives les plus fréquemment utilisées dans la mesure où il permet,
en effet, d’orienter le discours des individus interrogés vers les différents thèmes définis

325
soigneusement au préalable par le chercheur et ainsi consignés dans un guide d’entretien.
Les informations recueillies à travers le discours des différents acteurs de l’école et des
"daara" constituent un corpus scientifique de données qui pourra être exploité. Ce qu’il ne
faut pas perdre de vue, à la suite de Pinson et Sala Pala (2008), c’est que, dans la «
perspective d’usage informatif et narratif de l’entretien, on considère que les propos et
informations recueillis constituent un "corpus", un "réseau documentaire" dont il faut
essayer de mettre au jour les contradictions et les consonances afin de parvenir à une
vision fiable des processus historiques participant à la construction de l’action publique »
(p.580). Dans cette optique, nos entretiens ont eu comme but de rassembler les
informations suffisantes auprès des acteurs de l’école d’une part, et d’autre part auprès
des responsables des "daara" et agents pilotant le projet de modernisation de ces derniers
afin de cerner les réalités et de comprendre les effets de cette réforme. Pour chacune de
ces deux innovations, il a fallu interviewer d’un côté, les acteurs académiques et de
contrôle, ainsi que les acteurs religieux et universitaires pour mieux s’imprégner des
raisons et de la mise en œuvre de l’innovation, mais également des différents programmes
d’action initiés dans ce sens ; et de l’autre, les acteurs de l’école élémentaire publique et
les acteurs des "daara" dans le but s’enquérir de la réalité effective de l’innovation sur le
terrain.

8- 1- 4- 2 Les conditions générales de conduite des entretiens

Dans le cadre de l’enquête réalisée au Sénégal en juillet et août 2017, la dimension


éthique du travail a eu une importance considérable. La neutralité et l’absence de
jugement ont été les principes conducteurs qui ont guidé notre posture de chercheur. Ce
qui, nous le souhaitons, a réellement aidé les différents acteurs ciblés à formuler leur point
de vue en toute liberté. Les principes généraux de conduite d’un entretien semi-directif ont
été respectés. Au début de chaque entretien, notre profil et situation professionnelle,
l’objet du projet de thèse et le but de la recherche ont été clairement présentés à chaque
interlocuteur afin d’instaurer un véritable climat de confiance qui, nous espérons, a su
limiter les contraintes et peurs liés à la réticence de certaines personnes à s’exprimer.
Aussi, dans cette même perspective, les différentes règles relevant de la déontologie et
les modalités de la restitution des résultats de la recherche ont été clairement exposées

326
aux différents acteurs interviewés dans l’unique objectif de les rassurer sur l’utilisation des
informations qu’ils ont bien voulu fournir dans le cadre de cette enquête. Malgré toutes
ces précautions, certaines personnes n’ont pas souhaité l’utilisation du dispositif
technique, à savoir le mégaphone pour l’enregistrement de l’entretien. Il a fallu dans ces
cas précis recueillir leurs discours par écrit. L’écoute et la prise de notes présentent des
risques dans la fiabilité à restituer fidèlement les informations. Aussi, d’autres difficultés
sont apparues pendant les enquêtes sur le terrain. En effet, la préparation des différents
entretiens et l’élaboration du guide ont, en toute évidence, été faites en langue française ;
cependant, au moment d’entamer l’entretien, certains acteurs interviewés ont souhaité
que celui-ci se fasse en langue wolof. Il a fallu donc s’adapter au fur et à mesure, et
traduire simultanément les questions du français au wolof151. Ce qui nous mettait dans une
situation peu confortable étant donné que cette langue n’est pas notre langue maternelle.
Dans une autre situation, l’intervention d’une troisième personne était nécessaire pour
permettre la traduction du wolof au peul. En dehors de ces désagréments, force est de
constater qu’en général les entretiens se sont bien déroulés dans l’ensemble. Partout où
nous nous rendu, un accueil chaleureux nous a été réservé. L’ouverture des différents
acteurs constituant cet échantillon a permis de collecter les informations nécessaires à
analyse des effets de ces deux innovations. Après, la passation des différents entretiens,
leur contenu a été transcrit intégralement. Il faut noter cependant, que ceux effectués en
langues wolof ont été transcrits de façon manuelle ; il s’agit, en gros, de l’ensemble des
entretiens passés avec les responsables ou chargés des études dans les "daara" et
notamment, quelques-uns de ceux effectués avec des inspecteurs arabes en charge du
volet enseignement religieux, écoles franco-arabes et "daara".

151
Le wolof est la langue de l’ethnie la plus représentative du pays ; qui plus est, c’est la langue de
communication, le plus souvent utilisé par la majorité des sénégalais dans le cadre des échanges
commerciaux, des discussions en public, dans les transports… Cependant, même si j’arrive à m’exprimer
en wolof, ce n’est pas ma langue maternelle.

327
8- 2 ANALYSE DES DONNEES RECUEILLIES

Les données recueillies, après leur présentation, vont faire l’objet d’un traitement
spécifique. Il s’agira d’analyser le contenu des discours avec comme objectif : la
description objective et systématique du contenu des différentes communications. Selon
Muchielli (1996), l’analyse de contenu renvoie à un « terme générique désignant
l’ensemble des méthodes d’analyse de documents le plus souvent textuels, permettant
d’expliciter le ou les sens qui y sont contenus et/ou les manières dont ils parviennent à
faire effet de sens » (p.80). Dans ce processus, plusieurs outils peuvent être utilisés et
organiser les données ainsi recueillies de différentes manières dans le but de rendre
observables des informations spécifiques qu’elles contiennent. La finalité est, en effet,
d’arriver à établir des liens entre ces informations observées et les éléments exposés dans
notre cadre théorique pour aboutir, en définitive, à une interprétation des résultats
permettant ainsi de ressortir le modèle et les différentes visions de la laïcité au Sénégal.
A cet effet, il s’agit de procéder à une analyse sémantique à partir du logiciel "Tropes"
d’une part et d’autre part de faire une analyse thématique catégorielle qui reste la plus
fréquente dans les recherches qualitatives. Ce que soutiennent Pourtois et Desmet (1997)
:

L’analyse par catégories est la technique la plus ancienne et la plus fréquemment utilisée. Il s’agit
d’opérations de découpage du texte en unités et de classification de ces dernières dans des
catégories. La catégorisation a pour but de condenser les données brutes pour en fournir une
représentation simplifiée. Il existe diverses techniques de catégorisation (les unités d’enregistrement
pouvant être le mot, le thème, le personnage, l’événement, etc.). L’analyse prenant le thème comme
unité est très souvent retenue car elle est rapide et efficace pour des discours directs et simples. Le
thème est l’unité, le « noyau de sens », qui se dégage du texte lorsqu’ont été choisies les catégories
sur la base d’une théorie permettant la lecture des informations. L’analyse thématique s’effectue le
plus souvent dans le cas d’études sur les opinions, les croyances, valeurs, motivations… (p. 201).

Ainsi dans cette logique organisationnelle, l’analyse de discours, à partir de ces deux types
de données : l’étude documentaire et les entretiens semi-directifs des acteurs des écoles
concernées, a pour objectif d’examiner les éléments de la réforme en lien avec
l’introduction de l’éducation religieuse et le projet de modernisation des "daara".

328
L’articulation de ces différentes techniques utilisées dans le cadre d’une recherche
qualitative permet d’identifier les écarts toujours possibles entre le choix ciblé, la volonté
ou l’intention exprimée dans les documents officiels et stratégiques et leur mise en œuvre
concrète sur le terrain.

8- 2- 1 L’analyse sémantique par "Tropes"

Comme il a été rappelé précédemment (Voir méthodologie), l’analyse de discours permet


de saisir le sens, le rapport entre les signes, les significations et les objets de référence.
Dans cette logique, le logiciel "Tropes" peut permettre d’effectuer un repérage de la
structure et de mettre en évidence les concepts clés liés à l’éducation religieuse et la
question de la modernisation des "daara". Il porte donc un intérêt tout particulier pour les
mots, leur forme, leur relation ainsi que leur sens. L’objectif d’utiliser ce logiciel, en effet,
réside dans le fait qu’il permet d’identifier les différentes propositions de textes qui
contiennent l’essentiel du sens et de pouvoir faire différentes représentations
graphiques152. Avec "Tropes", se présente la possibilité de mettre en évidence des
scénarios et d’analyser le vocabulaire utilisé.

8- 2- 1- 1 Le scénario de l’introduction de la religion à l’école

152
Cf. http://wwww.tropes.fr/

329
8- 2- 1- 2 Le scénario du projet concernant les "daara"

Dans les deux cas ci-dessus, les scénarios élaborés de façon automatique à partir de
l’ensemble des discours des acteurs de l’école et du projet de modernisation des "daara"
consistent en une association de mots les plus utilisés liés à des classes sémantiques. Ce
travail nous montre clairement les concepts clés utilisés fréquemment par les personnes
interrogées. Son objectif est de visualiser et d’avoir un aperçu sur leurs représentations
par rapport aux deux thématiques ciblées.

8- 2- 2 Les résultats de l’analyse thématique catégorielle

Notre analyse thématique des différents discours sera structurée en deux grandes parties
qui seront, à leur tour, développées en tenant compte des thèmes abordés pendant les
entretiens sur le terrain et préalablement définis dans le guide d’entretien. Les différents
entretiens ont été découpés en unité sémantique et un regroupement par rapport aux
différents thèmes a été opéré. Les acteurs de l’école ont eu à donner leurs avis sur les
cinq (5) thèmes suivants : les éléments justificatifs de l’innovation, l’innovation (le sens
et impacts, les réalités de l’introduction de l’éducation religieuse), le partenariat entre les
autorités politiques, académiques et les différentes communautés religieuses, le bilan et
les difficultés de la mise en œuvre de l’innovation et le principe de laïcité.

330
L’exploitation de ces cinq thématiques va permettre de dévoiler les contenus de ces
entretiens.

8- 2- 2- 1 Les données recueillies sur l’éducation religieuse

La question de l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques


élémentaires a été abordée avec pratiquement toutes les personnes interrogées. Les
différents acteurs de l’école et même certains responsables des "daara" ont eu à donner
leur point de vue sur cette innovation ou du moins sur une partie de celle-ci.

 Les éléments de justification

Les États généraux de l'Éducation et de la formation de 1981 avaient constaté un écart


entre l'offre officielle d'éducation et les attentes des sénégalais en ce qui concerne
l'éducation religieuse. Pour cela, une recommandation a été formulée quant à la nécessité
de l'introduction de l'éducation religieuse à l'école pour répondre à cette demande
plusieurs fois renouvelée sous les différents régimes en place. Ce n’est qu’avec la loi n°
2004-37 du 15 décembre 2004 modifiant et complétant la loi d'orientation de l'Éducation
Nationale que cette recommandation a été prise en compte par les autorités publiques ;
elle a ainsi mis fin à ce legs colonial qui pendant longtemps a soigneusement permis à
l’école républicaine de ne point intégrer tout enseignement religieux dans ses
programmes.

Les éléments justificatifs de cette longue attente ont été évoqués dans la plupart des
entretiens réalisés aussi bien avec les acteurs de l’école publique qu’avec les guides
religieux et les responsables des "daara". La longue attente se justifie, chez la plupart des
inspecteurs, par un manque de volonté politique de la part des autorités étatiques pendant
ces dernières vingt années comme l’atteste ces différents extraits de discours :

 Cette demande d’introduire l’éducation religieuse dans le système éducatif date depuis la période
coloniale ; après les indépendances, elle n’a cessé d’être renouvelée. Cette longue attente est donc
due à un manque de volonté politique. (Entretien n° 04 – Inspecteur Abdoul Aziz Ba,

IA de Matam).

331
 Je pense que cette longue attente peut être justifiée par deux raisons : d’abord, l’absence de
contexte national et international favorisant l’introduction de l’enseignement religieux ; ensuite,
l’absence de volonté politique, menant vers l’introduction de l’enseignement religieux dans les
écoles publiques au niveau du Sénégal. (Entretien n° 7 – Inspecteur Mamadou Diouf,

IA de Dakar).

 L’explication que je peux donner de cette situation est, je pense, qu’il y a eu un manque de volonté
politique de la part des autorités étatiques. Tous les gouvernements qui se sont succédés à la tête
de l’Etat avaient pris conscience de cette demande de la population mais jusqu’en 2OO2 elle n’a
pas été traduite en acte. (Entretien n° 9 – Inspecteur Ndioum, IEF de Thiès ville).

 La longue attente se justifie d’abord par le manque d’une volonté politique réelle qui a été l’élément
déterminant. S’il y avait cette volonté politique, la mise en œuvre de cette recommandation des
Etats Généraux serait appliquée depuis longtemps. Ensuite, vient l’absence d’une vision claire par
rapport à l’éducation religieuse ; il n’y avait pas un nombre suffisant d’enseignants en langue arabe
pour prendre en charge cette innovation. (Entretien n° 18, Babacar Samb, Inspection

des daara).

Il est également ressorti de certaines interviews avec des religieux, des parents d’élèves
et des directeurs d’écoles que les raisons de cette attente sont liées à un problème de
moyens et de financement à trouver par les autorités étatiques. Pour Monsieur Diallo,
directeur d’école publique dans l’académie de Fatick :

 Cette longue attente est due à un problème de moyen, de financement. L’Etat n’avait pas assez de
moyen pour prendre en charge cette éducation religieuse, pour engager les enseignements
capables de s’occuper de ces apprentissages. Une autre cause de cette longue attente est le
recrutement : ils n’étaient pas nombreux, les enseignants qualifiés pour dispenser les cours
d’éducation religieuse. C’est aussi lié, je pense, à la vision politique de nos gouvernants.
(Entretien n° 29).

Cet avis exprimé par ce directeur a aussi été soutenu par d’autres personnes interviewées.
D’après l’abbé Patrice Mor Faye, prêtre impliqué dans l’organisation de la catéchèse dans
le diocèse de Thiès :

332
 La principale raison de cette longue attente reste la même. C’est un problème de moyen. Déjà, l’Etat
a du mal à payer les enseignants dans les matières normales encore maintenant, lui demander de
prendre en charge les enseignants de religion n’est pas envisageable. Il faut être réaliste. En
attendant, comme solution, pour l’islam, les professeurs d’arabe dispensent les cours de religion.
On voit bien donc, que pour l’instant, l’Etat n’a pas trouvé les moyens de prendre correctement en
charge cette éducation religieuse. (Entretien n° 23).

Aussi d’autres raisons ont-elles été évoquées pendant ces entretiens. Pour certains, elle
est liée à un problème d’audace, pour d’autres, à l’élaboration d’une stratégie de réflexion,
à des recherches poussées pour une bonne mise en œuvre du projet, afin de prendre en
compte tous les aspects de la question. Toutefois, comme il a été souligné lors de certains
entretiens, cette prise en compte de la religion dans la sphère scolaire était inévitable. Les
différents extraits suivants illustrent ces positions :

 Personnellement, je pense que cette longue attente est liée à des questions organisationnelles. La
difficulté résidait dans le fait que le Sénégal soit un pays à majorité musulmane mais avec plusieurs
confréries qui ont quelques divergences dans la pratique de l’islam. Aussi, dans un pays laïque, il
fallait prendre le temps de voir comment organiser cet enseignement religieux, comment chrétiens
et musulmans pourraient partager cet espace scolaire et ce temps d’enseignement. (Entretien

n° 14 – Charles Ndione, directeur d’école publique, Thiès ville).

 L’école sénégalaise est un héritage de la colonisation ; elle a été calquée sur le modèle français.
Aussi, c’est une école qui ne prend pas beaucoup en compte les réalités socioculturelles du pays.
Cette longue attente est donc liée à un problème de moyens et de consensus. Il fallait, en effet,
trouver un terrain d’entente entre la société civile, les autorités politiques, les acteurs de l’école et
les guides religieux ; mais aussi fixer les modalités pour la mise en œuvre, tout en respectant les
principes de l’école, les normes et les exigences de l’éducation religieuse. Il fallait donc en discuter.
C’est ce qui fait qu’il a fallu attendre les années 2000 pour introduire cet enseignement de la religion.
(Entretien n° 17 – Omar Ndiaye, directeur d’école publique, Matam).

 Cette longue attente est due au fait que l’Etat du Sénégal était, pendant cette période, dans une
logique de réflexion, de calcul interminable ; mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’introduire la religion
dans l’école publique était une évidence à laquelle nous ne pouvions échapper. Au Sénégal,
l’enseignement de la religion a précédé celui du français ; avant même l’arrivée du colonisateur, la
langue arabe était le moyen utilisé pour la communication écrite et l’enseignement du coran. C’est
après que le français nous a été imposé. Le Président L. S. S. Senghor et son successeur Abdou
Diouf, même s’ils avaient peut-être ce désir, cependant, n’étaient pas tout à fait libres d’introduire la

333
religion à l’école publique à cause des pressions externes. Mais le Sénégal étant un pays de
croyants qui sont appelés à connaître leur religion par la voie de l’enseignement, il était inévitable
de procéder à ces innovations. (Entretien n°20 - Daara Serigne Mor Mbaye, Louga).

Le critère de la laïcité – ou plutôt la vision que les autorités politiques se faisaient de celle-
ci – a été également avancé par quelques acteurs interrogés comme étant la principale
raison qui a freiné l’introduction de l’éducation religieuse à l’école publique républicaine.
Pour l’inspecteur Mbaye, IEF de Mbour 2, par exemple, « cette longue attente peut se
justifier d’abord par le caractère laïque du Sénégal. C’était pour respecter cette laïcité
que pendant longtemps on a hésité à introduire l’éducation religieuse à l’école publique.
D’autant plus qu’il y a deux religions dominantes au Sénégal. » (Entretien n°3). Pour
d’autres personnes interviewées également, la conception que les autorités politiques
socialistes se faisaient de la laïcité ne permettaient pas une inclusion de la religion dans
la sphère scolaire publique. L’inspecteur arabe Dioum abonde dans ce sens : « Aussi,
l’autre élément de justification à cette longue attente est lié au principe de la laïcité ; il
est souvent rappelé dans la constitution du pays, que le Sénégal est un Etat laïque. Peut-
être que la compréhension, la conception que les gens avaient de la laïcité avant faisait
partie ce qui freinait cette introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques
élémentaires. » (Entretien n° 9).

S’agissant des éléments déclencheurs de l’introduction l’éducation religieuse à


l’école publique, l’inspecteur Dioum soutient : « Avec l’arrivée d’Abdoulaye Wade à la
tête de l’Etat, avec l’émergence d’une nouvelle vision de la laïcité positive, cela a
favorisé la mise en œuvre de cette recommandation de 1981 sans que ce principe
politique ne soit violé. » (Entretien n° 9). L’inspecteur Babacar Samb, responsable au
niveau national de la modernisation des "daara" en vue de leur intégration abonde dans
le même sens et donne plus de détails concernant les raisons de cette innovation :

Dans les années 2000, beaucoup d’éléments nouveaux et divers justifient la décision d’introduire la
religion à l’école au niveau du primaire ; parmi lesquels, il y a l’alternance politique. Les nouvelles
autorités étatiques ont montré un grand intérêt et désir d’introduire l’éducation religieuse dans le
système classique. La rencontre de PAPA a été un atelier majeur dans ce sens. C’est là où tous
les acteurs de l’école sénégalaise ont travaillé à la mise en œuvre de la réforme avec les trois
thèmes suivants : l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires, les écoles franco-
arabes et la modernisation des daara. Après ces ateliers de travail, des recommandations fortes

334
avaient porté des fruits. C’est ainsi qu’après, la loi d’orientation de l’éducation nationale a été
modifiée en faveur de l’éducation religieuse. (Entretien n°18).

L’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir a été souvent évoquée par nos interlocuteurs.
Lors de ces entretiens de terrain, d’autres éléments ont été notés par les acteurs
interviewés – directeurs d’école, inspecteurs, chercheurs, religieux, parents d’élèves –
comme éléments justifiant l’entrée de la religion à l’école. Il s’agit de l’alternance politique
intervenue en 2000, le développement d’écoles alternatives parallèlement au système
classique proposant une éducation religieuse. Ce modèle correspondait aux aspirations
d’une partie de la population. Le désir de relever le TBS et la réalisation de la scolarité
universelle au Sénégal ont été aussi déterminants d’après les acteurs de l’école. Les
quelques extraits d’entretiens cités ci-dessous illustrent ces propos :

 Les engagements du Sénégal pris en 2000 à l’issue du Forum international pour atteindre la
scolarisation universelle peuvent être considérés comme élément déclencheur de la réforme de
2002. Avec la mise en œuvre du PDEF, les trois composantes suivantes ont été proposées : l’accès,
la qualité et la gestion. Mais la construction massive d’écoles publiques n’a pas réglé les problèmes
liés à la scolarisation des enfants. De la politique d’accès, il fallait donc passer à une approche
basée sur la demande. Quel modèle d’école veulent les populations ? C’est ce qui a conduit aux
différentes innovations dont-on parle aujourd’hui. (Entretien n° 6- Inspecteur Sène, IEF

de Diourbel).

 Ce contexte international d’une scolarisation universelle réaffirmée à la rencontre de Dakar en 2000


a également coïncidé avec l’arrivée au pouvoir de Maître Abdoulaye Wade qui a mis en place un
système libéral remplaçant ainsi le système socialiste. Avec Abdoulaye Wade, l’Etat s’est
davantage rapproché des familles religieuses. (Entretien n° 31 – Inspecteur Nouah Sarr,

IA de Fatick).

 Ce qui a favorisé cette décision, c’est peut-être le fait que le taux brut de scolarisation ne cessait de
reculer par moments. Et quand on a opéré un diagnostic, on s’est rendu compte que quelque part,
dans certaines zones, c’est parce que les populations sont plus attachées à l’enseignement
religieux et aux "daara" qu’à l’école publique. Et c’est ça qui retenait les élèves pour qu’ils soient
scolarisés. C’est pour contourner cette difficulté que l’éducation religieuse a été introduite dans
l’école publique. (Entretien n°3 – Inspecteur Mbaye, IEF).

335
 Au Sénégal, deux systèmes d’éducation vont se développer parallèlement : un importé par la
colonisation et un autre largement adopté par une partie de la population qui est le système
traditionnel d’éducation arabo-islamique. (…) On a une population [ou une partie de la population]
qui rejette l’école française et ne se retrouve pas dans ce système classique et l’Etat veut
atteindre ses objectifs de scolarisation universelle. C’est dans cette perspective que les autorités
politiques, à partir de 2000, vont prêter une oreille attentive à cette population qui pense que l’enfant
doit d’abord faire son éducation religieuse au "daara" avant d’intégrer l’école classique. N’oublions
pas que l’éducation doit prendre en compte toutes les aspirations de la population. Cette ambition
de l’Etat de satisfaire cette demande d’éducation religieuse va faire que toutes ces innovations vont
être entreprises. Voilà un élément de contexte. (Entretien n°30 – Inspecteur Sèye, IEF

Fatick).

 Quand Wade est arrivé au pouvoir, il a constaté une prolifération d’écoles franco-arabes, des écoles
arabes traditionnelles et également même, de "daara" dits modernes. Il a compris que c’était une
doléance nationale. Il a aussi constaté que dans les pays de la sous-région, au Mali, Burkina, les
élèves de ces différentes structures étaient pris en compte dans le TBS. Fort de tout cela, le
Président a pris l’initiative de changer la loi et d’introduire l’éducation religieuse dans les écoles
classiques, de créer des écoles franco-arabes publiques et même de moderniser les "daara". Les
autorités se sont dit que les "daara" sont restés en rade du système depuis trop longtemps et par
conséquent, le gouvernement a essayé de leur apporter une aide et des soutiens mais avec comme
condition que les "daara" aillent vers la modernisation. Depuis cette date, on a constaté, quand vous
regardez les statistiques, que les "daara" et les écoles franco-arabes sont plus nombreux dans les
zones qui refusaient l’enseignement classique. Ces écoles se trouvaient à Louga, Matam, Diourbel,
Kaolack, Kolda et dans ces zones qui refusaient l’école française traditionnelle, le TBS était
tellement bas. (Entretien n°25 – Talla Mbengue, professeur à la FASTEF).

D’après l’inspecteur Seck, IEF de Koungueul : « il s’agissait d’ouvrir pour aller vers une
scolarisation universelle. Et pour cela, il fallait ratisser large et accueillir les enfants dont
les parents choisissaient l’école en fonction de l’éducation religieuse. » (Entretien n°2).
C’est ce qu’a réussi le gouvernement de l’alternance politique de 2000. Pour l’inspecteur
Nouah Sarr de l’IA de Fatick : « ce contexte international d’une scolarisation universelle
réaffirmée à la rencontre de Dakar en 2000 a également coïncidé avec l’arrivée au pouvoir
de Maître Abdoulaye Wade qui a mis en place un système libéral remplaçant ainsi le
système socialiste. Avec Abdoulaye Wade, l’Etat s’est davantage rapproché des familles
religieuses. (Entretien n° 31).

336
Les propos du professeur Khouma de la Fastef, résument bien ce premier thème de notre
guide d’entretien. Selon lui : « ce qui a empêché l’introduction de l’éducation religieuse,
c’est la position des socialistes sur la laïcité et ce qui l’a favorisée, ce sont les nouveaux
contextes de 2000 avec l’éducation pour tous et le fait que le TBS peinait à trouver un taux
assez raisonnable. Mais il y a surtout la touche de Maître Wade… » (Entretien n°26).

Il semble donc que l’introduction de l’éducation religieuse à l’école se justifie par plusieurs
éléments parmi lesquels figurent:

o L’alternance politique intervenue en 2000


o La vision de la laïcité accordant plus de place à l’expression de la religion
o Le désir d’accroître le TBS, d’atteindre une scolarisation universelle
o L’ambition de réaliser un taux d’achèvement de 10 ans
o Le développement et l’attraction du modèle d’écoles alternatives proposant une
éducation religieuse parallèlement au système éducatif
o Le souhait d’intégrer le modèle franco-arabe dans le système éducatif
o La volonté d’adapter l’offre éducative à la demande, avec introduction de cours en
langues locales
o Le renouvellement continuel de la demande formulée
o Les ateliers organisés en juillet 2000 pour étudier les modalités pratiques de
chaque innovation, pour engager la réforme.

337
 Sens et impacts de l’introduction de la religion à l’école publique

A partir de l’année scolaire 2002/2003, l’éducation religieuse a été introduite dans les
programmes de l’enseignement élémentaire. Cette enquête a révélé que cette innovation
peut avoir en définitive plusieurs impacts sociétaux. L’introduction de la religion dans la
sphère scolaire vise comme premier objectif officiel clair à booster le TBS, principalement
dans les zones réfractaires à l’école classique française et ainsi à mieux faire accepter
celle-ci au niveau de ces populations par une campagne accrue de sensibilisation. Et cette
réalité a été bien perçue par les acteurs de l’éducation qui ont été interrogés au cours de
ces entretiens, dont les inspecteurs d’éducation et de formation. D’après l’inspecteur
Nouah Sarr de l’IA de Fatick, le sens de l’introduction de l’éducation religieuse dans les
écoles publiques est à situer dans la recherche de solutions aux « problèmes de
scolarisation au Sénégal ; elle vise le relèvement du taux brut de scolarisation. »
(Entretien n° 31). L’inspecteur Mbaye note aussi que « l’impact visé par l’introduction de
l’éducation religieuse est de relever le taux de scolarisation, mais, aussi de permettre de
développer la religion dans la sphère scolaire. » (Entretien n° 3). Il semble donc que les
impacts de l’éducation religieuse dans la sphère scolaire vont au-delà du relèvement du
TBS au niveau national. Beaucoup d’acteurs de l’école se sont positionnés par rapport à
cette thèse.

L’introduction de la religion à l’école aurait un impact sur la formation personnelle des


élèves. Pour certains de ces acteurs interrogés, l’éducation religieuse vise à mettre les
élèves en contact avec le dogme et la doctrine de foi de leur religion, les pratiques
cultuelles et les rites. Elle cherche aussi à leur inculquer des valeurs qui leur permettent
de construire leur personnalité et de bien s’insérer dans la société. Elle vient donc
compéter de façon significative la formation des élèves et leur permettre de vivre
ensemble et de s’enrichir mutuellement. D’après l’inspecteur Ndiaga Diop, de l’IA de
Diourbel : « l’éducation religieuse a été intégrée dans le souci de compléter la formation
de l’élève qui était en quelque sorte biaisée. Toutes les dimensions doivent être prises en
compte dans le cadre de la formation. (…) Cette éducation religieuse vient combler ce
vide qui était là. L’objectif est de prendre en compte la religion dans l’éducation et de
répondre à la demande quels que soient le lieu et le parent. » (Entretien n° 1).

338
D’autres acteurs religieux, universitaires, scolaires et des parents d’élèves interrogés ont
souligné cette importance de la religion dans la formation des élèves sénégalais.

 L’école est un lieu, un temple de formation, un centre de formation intégrale de l’homme en matière
profane et pour le Sénégal qui est un pays de croyants, il y a aussi la formation en matière religieuse.
C’est le lieu où l’on façonne le profil du citoyen qui intègre ce volet religieux et c’est pourquoi il y a
un programme qui a été proposé et il devrait être reconnu par l’Etat et enseigné dans les écoles.
Tout en sachant qu’au niveau de chaque communauté, église ou mosquée, il y a une éducation
religieuse de base qui est donnée ; à travers l’école donc, l’Etat donne une formation globale qui
favorise la communication pacifique et la compréhension mutuelle. Il y a, effectivement, un lien entre
l’école et la religion. La religion doit aussi intégrer tous les espaces de la vie du croyant y compris
l’école mais tout ceci en respectant les principes de laïcité. Bien que le Sénégal soit à 95% de
musulmans, les chrétiens ont autant de droits que les musulmans à l’école dans les principes.
Maintenant, il faut faire en sorte que cet enseignement religieux dans l’école publique ne porte pas
atteinte au caractère laïque de la république et au principe d’égalité. (Entretien n° 23 – abbé

Patrice Mor Faye, diocèse de Thiès).

 La religion inculque des valeurs, et ces valeurs sont des valeurs sociétales et toute personne qui
croit à une religion ne peut pas ou ne doit pas faire une dichotomie entre son comportement à la
maison, dans la rue et à l’école : c’est le même individu. Les valeurs que nous incarnons doivent
apparaître partout où nous sommes : au marché, à la mosquée, à l’école, dans la rue, dans nos
relations avec les autres. (…) L’éducation religieuse est un vecteur qui permet à l’enfant de bien
connaître les notions de l’enseignement. Le développement du cerveau se fait en mémorisant le
coran. C’est un atout, un élément de plus pour permettre à l’enfant de maîtriser les autres
enseignements mais également lui permettre de vivre convenablement avec les autres. La religion,
si elle est bien articulée, n’exclut personne. C’est un facteur d’intégration, un élément constructif à
l’école. (Entretien n° 25 – Talla Mbengue, professeur à la FASTEF).

 La religion forme l’homme et tout ce qui est en congruence avec la formation de l’homme intéresse
la religion. Dans cette logique, l’éducation religieuse permet d’apprendre et de mémoriser le livre
saint de la religion, d’apprendre les savoirs qui permettent à celui qui pratique la religion de les
appliquer correctement, de pouvoir se corriger en cas d’erreur, de prendre connaissance des
principes à suivre tels qu’ils ont été révélés et enseignés. Son impact pour les enfants est d’être de
bons citoyens et aussi de leur permettre de comprendre leur religion, leur culture, de s’enraciner et

339
de profiter des savoirs religieux pour grandir. (Entretien n°28 – Saliou Gning, enseignant

et parent d’élève à Diourbel).

 La religion est liée à la culture, aux attitudes et aux modes de vie ; et l’école étant un lieu d’éducation,
d’apprentissage, tout ce qu’on y apprend peut nous servir à la maison, dans la vie. Par exemple, un
enfant qui apprend des versets du coran à l’école, cela peut l’aider plus tard à bien pratiquer sa
religion. En tant que parent, je n’ai pas le temps d’apprendre à mes enfants à mémoriser le coran
et certains aspects de la religion et donc, à travers cette introduction de l’éducation religieuse, l’école
m’aide à combler ce manque. C’est un plaisir pour moi de savoir que mon enfant apprend le coran,
la tradition du prophète, les pratiques de notre religion à l’école. (Entretien n° 29 – Madame

Diallo, parent-d’élève à Fatick).

Cette innovation donne donc un autre sens à la mission de l’école et au rôle de l’Etat.
Aussi à travers le discours des différents acteurs de l’école, il est ressorti que, dans un
pays comme le Sénégal, marqué par une diversité religieuse, ethnique et culturelle,
l’introduction de l’éducation religieuse pourrait dans une certaine mesure favoriser le
développement des échanges, de la compréhension entre les différentes sensibilités
composant l’école républicaine laïque et ainsi promouvoir le vivre ensemble dans la
sphère scolaire. La mission de l’école consisterait donc à rendre possible le dialogue des
cultures et des religions. Cependant, pour que cet impact soit pleinement réalisable, il est
nécessaire que cette éducation religieuse soit bien pensée et organisée, selon l’avis de
certains acteurs de l’école sénégalaise. Comme l’affirme l’inspecteur Ismaïla Ndiaye de
de l’IEF de Fatick : « l’éducation religieuse apporte un changement dans la construction
de la personne. Beaucoup pensent, en effet, que la crise que nous vivons au niveau de
l’école est liée à cette méconnaissance de la religion. » (Entretien n° 8). Aussi, pour
l’inspecteur Dioum de l’IEF Thiès ville, « l’impact sur les enfants ne peut qu’être positif.
Cette éducation religieuse apporte des changements dans le comportement des élèves :
elle peut permettre l’acceptation et la compréhension de l’autre. Elle favorise aussi le
dialogue entre les différentes religions à l’école. Il faut cependant, l’accompagner et
l’orienter, parce qu’elle peut jouer un grand rôle. » (Entretien n° 9). Cette vision de
l’introduction de la religion dans les écoles publiques a été aussi défendue chez les autres
acteurs de l’école. D’après Thierno Diallo, directeur d’école : « l’éducation religieuse peut
changer les comportements et participer à l’auto-formation des individus. Elle aide les

340
enfants à comprendre le vrai sens de la religion et cela leur permettra de mieux s’ouvrir
dans le cadre du dialogue interreligieux. » (Entretien n° 16).

En résumé, l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques est vue
comme un moyen de :

o Booster le TBS dans les zones réfractaires à l’école classique française


o Attirer les populations non satisfaites du modèle classique
o Compléter la formation des élèves
o Assurer la transmission religieuse
o Offrir aux élèves la possibilité d’avoir une initiation religieuse
o Inculquer ou renforcer les valeurs religieuses
o Favoriser le développement des échanges et la compréhension entre les
différentes sensibilités religieuses
o Rendre possible le dialogue des cultures

 La réalité de l’éducation religieuse sur le terrain

Les visites et entretiens menés à travers plusieurs localités du pays ont permis de recueillir
des informations sur les réalités à connaitre pour la mise en œuvre et l’organisation
concrète de l’éducation religieuse dans les établissements publics élémentaires. Dans
toutes les IA et IEF où nous nous sommes rendus, un entretien avec l’inspecteur arabe
en charge de ce volet a permis de faire le point sur la situation de l’éducation religieuse et
ainsi de se rendre compte des réalités propres à chaque zone. Le premier constat qui a
été fait à travers les entretiens effectués avec les différents inspecteurs d’éducation et de
formation et les directeurs d’école est le suivant : toutes les écoles publiques élémentaires
ne bénéficient pas de cette innovation. Pour le moment seule la religion musulmane est
prise en compte et seulement dans les écoles où sont affectés des maîtres arabes 153.

153
Les maîtres d’arabe, en plus d’enseigner cette langue, sont chargés de dispenser les cours d’éducation
religieuse islamique. Il semble aussi, à travers nos entretiens, qu’au Sénégal, l’enseignement de l’arabe ait

341
L’enseignement de la catéchèse n’a pas encore été intégré dans les programmes de
l’école publique élémentaire même si l’Eglise catholique a été conviée au séminaire
introductif et que des propositions ont été faites dans ce sens154. D’après le frère Pierre,
membre de l’équipe paroissiale de la catéchèse à la cathédrale Sainte Anne de Thiès :

Je crois qu’il n’y a aucun cours d’enseignement religieux catholique qui a été intégré dans les
horaires des écoles publiques. Même au niveau du moyen secondaire, nous profitons des
différentes pauses ou le soir, à la descente, ou encore, les samedis après-midi pour regrouper les
élèves catholiques pour leur dispenser des cours de catéchèse. Et dans ce cas, les élèves qui
viennent sont vraiment ceux qui en veulent. Le fait de prendre sur son temps personnel pour recevoir
une éducation religieuse relève de l’engagement. Au niveau du primaire, c’est une question qui nous
tient à cœur, mais pour l’instant, il n’y a pas encore d’engagement des paroisses. (Entretien

n°24).

En effet, les entretiens réalisés avec l’inspecteur en charge de l’éducation religieuse dans
l’IEF de Thiès ville et avec un directeur d’école de la même inspection ont confirmé cette
absence.

 La situation de l’éducation religieuse au niveau de Thiès ville est comparable à ce qui se passe au
niveau national. Pendant le séminaire PAPA, les deux religions, islam et christianisme, ont été
retenues concernant cette éducation religieuse. Mais pour l’instant, dans nos écoles publiques la
religion chrétienne n’est pas prise en compte ; mais il faut souligner qu’elle est enseignée dans les
écoles confessionnelles chrétiennes. S’agissant de la religion musulmane, elle est dispensée dans
les écoles publiques élémentaires par les maîtres arabes qui sont recruté selon le même mode que
ceux de l’enseignement classique, par voie de concours. Ils suivent une formation pendant une
année dans les centres régionaux de formation. Notre mission d’inspecteur en langue arabe est
d’encadrer et d’assurer la formation continue des enseignants en langue arabe et d’éducation
religieuse ; mais aussi de les accompagner dans leur travail. L’éducation religieuse prend en charge
le savoir, le savoir-être et le savoir-faire liés à la religion islamique. Les élèves apprennent le coran,

toujours été associé à l’éducation religieuse musulmane. Cette conception se justifie par le fait que l’arabe
étant la langue de révélation du coran, il fallait impérativement que les apprenants puissent le lire et l’écrire
pour envisager des études religieuses islamiques.
154
Cet aspect de la réalité de l’introduction de la religion à l’école publique sera présenté dans la thématique
bilan et précisément au niveau des difficultés.

342
hadits, la biographie du prophète, Sira. L’objectif de l’éducation religieuse est de permettre aux
élèves de mémoriser les versets du coran, de vivre leur religion, d’accepter les autres religions, de
savoir ce que la religion attend d’eux, d’établir une relation avec le prophète : c’est-à-dire le
connaître et l’imiter. (Entretien n°9).

 L’éducation religieuse comprend deux volets : il y a d’abord l’enseignement de la langue arabe,


comme médium d’apprentissage de la religion. En général, dans l’école comme partout ailleurs au
Sénégal, tous les élèves apprennent cette langue au même titre que la langue française ou anglaise.
Et le deuxième volet est l’éducation religieuse en tant que telle. Ce cours ne concerne que les élèves
musulmans. Nous avons douze classes et par conséquent, nous bénéficions de deux enseignants
arabes ; chacun d’entre eux s’occupe d’un cycle complet. L’objectif est d’inculquer aux élèves de
bonnes habitudes et des comportements qu’ils doivent avoir pour leur intégration dans la société ;
ce qui rejoint les objectifs de l’école en général : préparer l’enfant à la vie, à la vie réelle… C’est une
initiation ; le prolongement se fait à la maison. (Entretien n° 13).

Cette situation a été observée dans les autres circonscriptions du pays. Les entretiens
menés dans les différentes IEF ont effectivement révélé une absence de pris en compte
de la religion chrétienne et d’éducation religieuse islamique dans les écoles publiques qui
n’ont pas de maître d’arabe. Ainsi évoquer l’introduction de l’éducation religieuse dans les
écoles publiques élémentaires, revient à prendre en considération uniquement la religion
musulmane. Les différents entretiens menés ont aussi permis de se rendre compte, en
réalité, que l’éducation religieuse islamique est dispensée, au niveau de l’élémentaire,
dans les écoles publiques franco-arabes et dans les établissements publics classiques où
il y a un maître d’arabe, car ce sont ces mêmes enseignants qui assurent les cours
d’éducation religieuse. L’inspecteur Ismaïla Ndiaye chargé de l’encadrement dans
l’inspection d’éducation et de formation de Fatick le reconnaît :

 Faire la situation de l’éducation religieuse dans l’IEF est une tâche complexe dans la mesure où, en
tant qu’inspecteurs arabes, nous gérons des enseignants en langue arabe qui dispensent en même
temps les cours d’éducation religieuse. Ces deux volets sont indissociables. De manière générale,
la population souhaite le développement de cette éducation religieuse ; cependant, nous n’avons
pas suffisamment d’enseignants pour prendre en charge ce cours. Dans notre circonscription, nous
avons moins de cent enseignants en langue arabe et par conséquent, il y a malheureusement des
écoles qui ne bénéficient pas de maître arabe et où cette éducation religieuse ne sera pas

343
dispensée. Ici, il s’agit uniquement de l’éducation religieuse musulmane. Les matières enseignées
dans cette discipline sont pour la première étape : le coran, c’est-à-dire le Livre Saint de l’islam, les
hadiths (paroles du prophète) et les pratiques cultuelles (ablutions, prières...), à la deuxième étape,
il est ajouté, la vie du prophète Mahomet (psl), ce qu’on appelle, le Sira et à la troisième étape, on
intègre le Tawhid, c’est-à-dire le monothéisme. (Entretien n° 8).

Si l’on prend par exemple une académie comme celle de Diourbel, d’après le rapport
2016/2017, il y’a 107 maîtres d’arabe pour la petite enfance et 1043 pour l’élémentaire, ce
qui fait un total de 1150 enseignants arabes susceptibles d’assurer aussi les cours de
religion dans les écoles. Une autre inspection d’académie où, à cause du TBS faible, l’Etat
a misé sur le développement de l’éducation religieuse dans les écoles publiques, est celle
de Matam, frontalière avec la Mauritanie au nord-est. Cependant, dans cette académie,
toutes les écoles publiques ne bénéficient pas encore d’enseignants en langue arabe qui
seraient aussi appelés à dispenser les cours de religion. D’après les statistiques
2016/2017 de l’IA de Matam, sur 418 écoles publiques élémentaires, seulement 218 ont
un maître d’arabe, soit un peu plus de 52% de l’ensemble des écoles de cette
circonscription académique. D’après Omar Ndiaye, directeur d’une école publique
élémentaire dans l’académie de Matam155 : « …toutes les écoles ne bénéficient pas de
cette éducation religieuse. Seuls les établissements à 6 classes peuvent avoir un maître
d’arabe chargé de dispenser ce cours de religion. Nous faisons malheureusement partie
de celles où l’éducation religieuse n’est pas encore effective. » (Entretien n° 17).
L’inspecteur Mbaye, IEF de Mbour 2, dans l’académie de Thiès confirme l’insuffisance du
nombre d’enseignants en langue arabe et la difficulté de mettre en place une éducation
religieuse chrétienne.

 Dans toutes nos écoles où il y a un maître arabe, l’arabe et la religion musulmane sont enseignés.
Maintenant, il y a beaucoup d’écoles qui n’ont pas de maître d’arabe et donc où cette éducation
religieuse n’est pas enseignée ; nous avons un déficit d’enseignants. Nous recevons chaque année
un quota et essayons de répartir équitablement ces enseignants dans les écoles. Pour ce qui est

155
L’académie de Matam compte 418 écoles publiques élémentaires et ne dispose que de 218 enseignants
en langue arabe. Ces statistiques ont été fournies par le chargé de la Planification au niveau académique
en juillet 2017.

344
de l’éducation religieuse chrétienne, nous n’avons pas de personnes-ressources : c’est une difficulté
qui est là, nous ne savons pas comment la contourner. » (Entretien n°3).

Avec la création d’écoles publiques franco-arabes, les besoins en maîtres d’arabe sont
beaucoup plus importants. Cette réalité a été confirmée par l’inspecteur Arfang Seck, IEF
de Koungueul dans l’IA de Kaffrine. D’après lui :

 Nous avons à côté de l’école formelle, des écoles publiques franco-arabes qui sont ouvertes,
certainement pour répondre à la demande des parents, des populations et qui véritablement, au
niveau des ressources humaines doivent mobiliser plus d’enseignants. Si vous avez une école de
6 classes, il faut 12 enseignants, donc 6 en français et 6 en arabes. Et alternativement, ils entrent
dans les classes pour dispenser le même programme en français et en arabe. Ces écoles aident à
renforcer le volet de l’élargissement de l’accès à l’éducation. (Entretien n° 2).

Ainsi ces différents entretiens ont permis de dévoiler la réalité sur le terrain par rapport à
la mise en œuvre de l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques
élémentaires. Il est ressorti de cette enquête que toutes les écoles ne bénéficient pas
encore de cette innovation.

 Le partenariat entre l’Etat et les communautés religieuses

Les acteurs de l’école ont été interrogés sur la question du partenariat. Il s’agissait de
recueillir leurs avis sur les nouvelles formes de collaboration mises en place entre les
autorités politiques ou académiques et les familles religieuses dans le cadre de cette
innovation mais aussi de voir comment ces dernières ont été impliquées dans son
élaboration. Par rapport au premier axe, notre enquête sur le terrain a révélé que les avis
sont mitigés. Si pour certains, l’introduction de la religion à l’école publique n’a pas permis
de constater l’existence d’un nouveau partenariat formalisé, pour d’autres, elle a vraiment

345
été l’occasion de mettre à jour de nouvelles pistes dans le cadre des échanges entre les
autorités politiques et les guides religieux.

En effet, certains acteurs interrogés soutiennent que, dans le cadre de l’introduction de


l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires, il n’y a pas véritablement
eu de nouvelles formes de collaborations institutionnalisées ou autres que celles qui
existaient déjà. Voici quelques exemples qui illustrent cette position :

 A l’échelle départementale, certes, nous entretenons des rapports de bon voisinage et familiers
avec les communautés religieuses ; ces relations ne sont pas très formelles et nécessitent un cadre
de travail. Mais il est clair que dans les départements comme Koungueul, il existe des associations
de maîtres coraniques, de « borom daara », avec lesquelles nous travaillons. (Entretien n°2 –

Arfang Seck, IEF de Koungueul).

 En toute franchise, il n’y a pas de nouvelle forme de collaboration entre les familles religieuses et
nous. Il n’y a pas de relations… (Entretien n° 15 – El Hadji Alioune Thiam, directeur

d’école publique à Fatick).

 Avec les responsables, des rencontres ont été initiées, mais je ne sens pas qu’il ait eu de nouvelles
formes de collaboration. Les préoccupations ne sont pas les mêmes : l’Etat veut relever son TBS et
contrôler l’éducation de tous les enfants ; les responsables de "daara", eux, attendent un appui
matériel. Nous sommes sur deux logiques, des attentes différentes. (Entretien n° 5 –

Alassane Mbengue, Inspecteur à la retraite, Matam).

D’autres acteurs de l’école soulignent quelques nouvelles formes de collaboration ou le


renforcement des relations déjà existantes entre l’Etat et les différentes communautés
religieuses. Selon l’inspecteur Mamadou Diouf de l’IA de Dakar : « cette innovation a
permis de créer de nouvelles formes de collaboration entre le gouvernement et les

346
différentes familles religieuses. Par exemple, il semble qu'il y a un climat de confiance qui
commence à régner entre les deux autorités. Les communautés religieuses commencent
à avoir confiance dans les autorités politiques. » (Entretien n°7). L’inspecteur Dioum de
l’IEF de Thiès ville abonde dans le même sens. D’après lui : « cette innovation a participé
à renforcer et rendre plus fluide les relations entre nous et les différentes communautés
religieuses. Avant cette réforme, les religieux n’étaient pas très impliqués dans les
décisions concernant l’école. Aujourd’hui, on constate qu’ils sont associés aux différentes
concertations. Ils accompagnent et orientent l’Etat dans ses différents projets en cours. Ils
donnent aussi leurs avis et épaulent les autorités dans le but d’installer une paix durable
et de permettre une cohésion nationale. » (Entretien n°9). Sur le terrain aussi, des acteurs
de l’école ont soutenu cette position.

 L’école de la République s’ouvre au milieu. Il y des interactions et des interrelations avec ce qui se
fait dans la société. Il y a une bonne communication, une entente entre les deux milieux, entre l’école
et les communautés religieuses. Nous avons des élèves qui, pendant les vacances, sont dans les
"daara" pour suivre une d’éducation religieuse et dès que l’école ouvre ses portes, ils regagnent les
classes ; c’est une forme d’organisation. (Entretien n° 13, Thoumane Niang, directeur

d’école à Thiès).

 Ces innovations ont raffermi la collaboration entre les guides religieux et les autorités étatiques et
académiques. En tant que directeur, je recevais des imams qui me disaient que ce que vous faites
est magnifique : rendre visite aux "daara" et nous informer de ce qui se passe à l’école. Ces imams
n’hésitaient pas, le vendredi lors de leur prêche, à sensibiliser leurs fidèles à envoyer leurs enfants
à l’école. Et dans ma localité, nous voyons que cette attitude des imams avait des conséquences
positives. Les religieux ont un rôle considérable sur la marche de l’école ; ce sont des vecteurs
d’opinions. Donc, il y avait vraiment une bonne collaboration. Aussi, à chaque fois qu’il y avait des
campagnes de sensibilisation et de recrutement des nouveaux élèves, les autorités académiques
informaient et faisaient appel aux imams. Il y avait une symbiose. Au niveau des églises et des
mosquées, les informations étaient relayées. Les guides religieux sont devenus des relais pour la
démultiplication de l’information. L’Etat a réussi à ce niveau à engager tous les partenaires de l’école
dans ce projet. (Entretien n°11 – Barthélémy Ndong, directeur d’école à la

retraite).

347
S’agissant du deuxième point du partenariat, certains acteurs enquêtés ont souligné que
les différentes communautés religieuses ont été associées à l’élaboration et à la
préparation de la mise en œuvre du projet de réforme à travers la participation au
séminaire préparatoire tenu en juillet 2002 dans les locaux du PAPA.

 Avant l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles, oui, il y a eu un partenariat entre l’Etat
et les communautés religieuses. Des séminaires préparatoires ont été organisés pour s’accorder
sur les principes. L’Eglise, les responsables des écoles coraniques et les familles religieuses ont
été invités et ont participé à la préparation de la mise en œuvre de ces innovations. (Entretien

n° 8, Ismaîla Ndiaye, inspecteur arabe à Fatick).

 Les nouvelles autorités étatiques ont montré un grand intérêt et désir d’introduire l’éducation
religieuse dans le système classique. La rencontre de PAPA a été un atelier majeur dans ce sens.
Tous les acteurs de l’école sénégalaise, la ligue, les associations des maîtres coraniques et les
différentes familles religieuses ont travaillé à la mise en œuvre de la réforme avec les trois thèmes
suivants : l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires, les écoles publiques
franco-arabes et la modernisation des "daara". Après ces ateliers de travail, des recommandations
fortes avaient porté des fruits. C’est ainsi que par la suite, la loi d’orientation de l’éducation nationale
a été modifiée en faveur de l’introduction de l’éducation religieuse. (Entretien n°18 – Babacar

Samb, Inspection des Daara).

 Selon moi, les communautés religieuses ont participé à la préparation de cette innovation. Toutes
les religions étaient invitées : les musulmans étaient représentés par des tidjianes, les mourides, et
les autres confréries. L’église a été invitée par le biais de la commission nationale de catéchèse.
Nous avons exposé les contenus de chaque année scolaire à l’époque jusqu’à la seconde. Nous
avons aussi présenté nos brochures, nos livres… Et le nombre d’heures nécessaires pour la
catéchèse. Pour nous, il n’y avait pas de problème contrairement à nos confrères musulmans où on
a pu noter des différences au niveau confrérique. (Entretien n° 23 – Abbé Patrice Mor

Faye, diocèse de Thiès).

348
Il semble donc que ces innovations ont été un prétexte pour raffermir la collaboration
existante entre les autorités politiques, académiques et religieuses avec entre autres
initiatives :

o La participation de toutes les communautés religieuses aux ateliers préparatoires


pour engager la réforme ;
o La formalisation du partenariat ;
o Le raffermissement de la collaboration existante par :
 La fréquence des rencontres
 La sensibilisation
 L’installation d’un climat de confiance
 La réalisation d’actions communes
 La production coordonnée de documents stratégiques de travail
 L’échange et partage de visions, d’expériences en matière d’éducation
 La projection commune vers l’avenir…

 Le bilan de l’introduction de l’éducation religieuse

Les différents acteurs interviewés ont été amenés à dresser le bilan de l’introduction de
l’éducation religieuse dans les écoles publiques. En général, de la part des inspecteurs et
directeurs d’école, les avis convergent vers un bilan positif même si certains ont souligné
le fait qu’il soit tôt pour tirer des conclusions ou qu’il soit préférable d’attendre l’évaluation
des autorités compétentes par rapport à cette innovation.

 Je pense qu’il a eu un impact réel. Premièrement, il y a eu une sensibilisation beaucoup plus accrue :
ceux qui étaient réticents se sont rendu compte que l’école française n’était pas là pour déformer
les comportements comme ils le pensaient avant ; Il y a eu donc conscientisation. Deuxièmement,
même si pour l’instant un bilan officiel n’a pas été donné, ce qui est sûr, par rapport à l’attente de la
scolarisation, au niveau de Diourbel, et au niveau national, avec l’érection des écoles publiques
franco-arabes et l’introduction de l’éducation religieuse dans le classique, le TBS a été
considérablement boosté… (Entretien n°1 – Inspecteur Ndaga Diop, IA de Diourbel) .

349
 Par rapport au bilan de l'introduction de l'éducation religieuse, on attend l’évaluation de l’exécutif du
programme pour apprécier. Mais déjà, ce qui est perceptible, c'est qu'en réalité le taux brut de
scolarisation a bien augmenté. Il y a eu donc atteinte des objectifs en ce qui concerne la
scolarisation. (Entretien n° 7 – Inspecteur Mamadou Diouf, IA de Dakar).

 Quinze ans après l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques, il y a eu des
impacts positifs ; il est permis de dire qu’il y a satisfaction par rapport aux objectifs concernant le
TBS. D’ailleurs, d’après les propos même du Ministre de l’éducation, le constat est qu’entre le début
des années 2000 à maintenant, le TBS a été relevé considérablement ; il est passé de 60% à plus
de 90%. Les objectifs concernant la scolarisation ont été atteints. Dans beaucoup de régions,
l’introduction de l’éducation religieuse et la création d’écoles publiques franco-arabes ont permis
réellement de booster le TBS ; mais vous savez qu’une réforme ne peut pas régler d’un coup tous
les problèmes. Peut-être après la phase d’évaluation, les failles pourront-elles être relevées et des
solutions proposées. (Entretien n° 9 – Inspecteur Dioum, IEF Thiès ville).

 Personnellement, je pense que le bilan est positif. L’introduction de l’éducation religieuse a boosté
l’accès à l’école. Le taux de scolarisation a beaucoup augmenté. Le problème de l’école ne se situe
plus au niveau de l’accès, mais de la qualité. Beaucoup d’efforts doivent être faits à ce niveau. Dans
certaines zones où j’ai enseigné, les gens n’aimaient pas l’école française et les effectifs étaient très
réduits. Mais quand, j’y retourne aujourd’hui je constate que ces écoles sont remplies, les effectifs
ont augmenté. C‘est parce l’Etat a attiré les parents par l’éducation religieuse. La conception que
beaucoup avaient de l’école française était qu’elle n’était là que pour enseigner des habitudes
occidentales. Il reste quelques endroits à sensibiliser mais avec la modernisation des daara, je
pense que le problème sera résolu. Ça a aussi été une motivation pour les parents à envoyer leurs
enfants dans les établissements classiques. En ce qui concerne l’éducation religieuse, les parents
ont bien adhéré. Les échos que j’ai reçus sont très favorables. Les parents sont satisfaits. Ensuite,
les enfants qui rechignaient à suivre les cours d’arabe se sont intéressés au cours de religion et il
n’y avait plus d’école buissonnière. Ce sont les faits, en tout cas dans mon établissement. L’Etat a
fait de grands pas pendant ces dix ans, il reste à renforcer cet enseignement religieux ; mais ne
faudrait-il pas s’orienter vers une formule où il y aurait des maîtres d’éducation religieuse islamique
et catholique. Ça serait une justice sociale. (Entretien n°11 – Barthélémy Ndong,

directeur d’école à la retraite).

350
D’autres, s’appuyant sur les problèmes liés à la mise en place de cette innovation,
soutiennent difficilement que le bilan est positif. Toutefois, le sentiment général est que
l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires a participé
au relèvement du TBS et a satisfait en partie à l’attente des populations ; aussi, cela ne
doit-il masquer les difficultés liées à sa mise en œuvre. Pour ce qui est de l’éducation
religieuse islamique, nos différents interlocuteurs ont souligné le manque de manuels, de
contenus d’enseignement, d’enseignants en langue arabe et d’évaluation.

 Pour ce qui est du bilan de l’éducation religieuse, pour l’instant, il n’y a pas d’évaluation. Et vous
savez, normalement, c’est l’évaluation qui va déterminer la portée de cette innovation. En tant que
directeur aussi, il m’est difficile de voir l’état d’avancement des élèves dans ces deux disciplines. Si
nous avions des indicateurs d’évaluation ou de mesure de l’éducation religieuse, j’oserais dire que
les enfants sont à tel niveau et ainsi voir si l’Etat a atteint son objectif. Cependant, les parents
d’élèves sont satisfaits puisque leurs enfants qui ne fréquentent pas les écoles arabes et les écoles
coraniques ont la possibilité d’avoir une éducation religieuse. Rien que pour cela, je pense que le
bilan est positif. Je vous donne juste l’exemple des villages de Keur Momar Sarr : les parents
préféraient amener leurs enfants jusqu’à Saint Louis pour qu’ils apprennent le coran. Mais depuis
que l’éducation religieuse a été introduite dans nos écoles, il y a un grand changement ; les enfants
ne quittent plus leur village. (Entretien n°12 – Cheick T. Camara, directeur d’école à

Louga).

 Pour le moment, je ne peux pas dire que le bilan soit positif. L’Etat n’est pas allé au bout du projet.
Je sens une certaine peur. Il y a beaucoup d’écoles qui n’ont pas de maître d’arabe. L’enseignement
religieux doit être accessible à tous les élèves. Il y a aussi des problèmes de documentation, de
manuels et de moyens. Le programme a été fait à la va-vite. Je dirais que le bilan est positif, si, au
niveau des comportements, il y avait des changements visibles. Cependant, avec cette innovation,
les parents commencent à faire confiance à l’école où les enfants peuvent bénéficier de deux types
d’enseignement. (Entretien n°16 – Thierno Diallo, directeur d’école à Fatick).

Ces difficultés liées à l’évaluation et au suivi, aux manuels scolaires et à la documentation


et au manque d’enseignants pour prendre en charge ce cours ont été également perçues
par les responsables académiques au niveau départemental, en occurrence, les
inspecteurs d’éducation et de formation. D’après l’inspecteur Mbaye, IEF de Mbour 2 : « la

351
grande difficulté réside dans le fait qu’il y a un déficit d’enseignant pour dispenser cette
éducation religieuse. Il y’a des écoles à douze classe qui n’ont qu’un seul maître arabe
alors que le quota horaire par classe est de quatre heures, multiplier par douze, cela fait
48 heures ; un seul maître ne peut pas avoir 48 heures par semaine, ce qui fait que nous
sommes obligés de diminuer les heures. ». (Entretien n° 3). Au niveau de l’IEF de
Koungueul, dans l’IA de Kaffrine, l’inspecteur Arfang Seck reconnaît : « (…) sur le plan
des ressources humaines, en tant qu’IEF, j’aurais aimé disposer de suffisamment
d’enseignants arabe qui dispensent les cours d’éducation religieuse. Quand ils sont là,
nous n’avons pas besoin de faire de la médiatisation, ni d’organiser des caravanes de
sensibilisation. Ces enseignants nous demandent aussi de renforcer un peu leurs
documentations pour leur permettre de s’améliorer dans le cadre de leur formation
continue » (Entretien n° 2). Même son de cloche dans l’inspection d’académie de Matam
où, en plus du manque d’enseignants en langue arabe, cette circonscription doit faire face
à des demandes régulières de mutation à cause de l’enclavement et de l’éloignement de
la région. L’inspecteur Ba, secrétaire général de l’IA de Matam et responsable de
l’éducation religieuse, confirme cette réalité :

 La difficulté majeure notée est le départ des enseignants en langue arabe ; avec le mouvement
national d’affectation, ils ne restent pas dans la zone ; ils demandent à être mutés dans d’autres
académies. Nous nous retrouvons chaque année avec un taux très élevé de nouveaux
enseignants ; et dès qu’ils ont leur diplôme professionnel, ils nous quittent. (…) Au niveau national,
il y a aussi la difficulté d’intégrer le cours d’éducation religieuse dans les évaluations de fin de cycle.
Quand on parle d’éducation religieuse islamique, on ne peut pas laisser de côté les écoles franco-
arabes ; malheureusement, faute d’enseignants, ces types d’écoles ne sont pas nombreux encore.
Pour chaque classe franco-arabe, il faut un enseignant en français et en arabe. Les EFA demandent
beaucoup d’enseignants et le constat est qu’il n’y a pas beaucoup d’enseignants. (Entretien n°

4).

En ce qui concerne l’introduction de la catéchèse dans les écoles publiques élémentaires,


pendant les différents entretiens, nos interlocuteurs ont reconnu la difficulté d’organiser
cette éducation religieuse chrétienne. En général, les élèves concernés sont très
minoritaires et éparpillés dans les différentes classes. D’autre part, certains directeurs

352
d’école de confession chrétienne et même des responsables ou autorités religieuses
catholiques intervenant dans l’organisation de la catéchèse ont eu à reconnaître la
complexité de la question, même s’ils constatent avec désolation l’absence de la prise en
compte de la religion chrétienne dans le cadre de cette innovation.

 Pour l’enseignement arabe, tous les élèves de la classe pouvaient suivre les cours, mais dès
qu’arrivait le cours d’éducation religieuse, on demandait aux élèves catholiques de sortir des
classes. Il y avait problème. Quoi faire de ces élèves ? Dans mon école, la stratégie a varié suivant
les années. Il y a une année où j’avais sur 1000 élèves seulement 7 catholiques. Vous voyez le
rapport. Moi, personnellement, en tant que catholique, je prenais ces 7 élèves dans mon bureau
pour leur faire la catéchèse. Mais ce n’est pas dans mes prérogatives ; j’ai beaucoup d’autres
fonctions qui m’attendaient. J’ai parlé au curé de la paroisse en lui demandant de faire un
recensement de tous les élèves catholiques des écoles élémentaires publiques de la commune et
de savoir le nombre et au besoin les rassembler. Mais la pratique à fait que ce n’était pas possible.
Il y a tellement de classes ; il y a aussi le collège et le lycée. Les prêtres ne pouvaient pas faire le
travail. Finalement, ils ont dit que tout le monde vienne à la catéchèse le samedi à la paroisse. Nous
n’avions pas d’autre stratégie. Mais peut être qu’ailleurs, il y a eu une autre organisation. Cependant,
il faut être honnête et reconnaître qu’on a posé à tous les parents d’élèves, musulmans comme
catholiques, la question de savoir s’ils veulent que leur enfant suive les cours de religion à l’école et
la réponse a été unanimement oui. Tout le monde était d’accord. C’est au niveau de la pratique qu’il
y a eu un déséquilibre. (Entretien n° 11 – Barthélémy Ndong, Directeur d’école à la

retraite à Fatick).

 En tant qu’agent de l’éducation et appartenant à une autre confession religieuse, j’aurais aimé que,
dans le cadre de cette éducation religieuse dans un pays laïque, les autorités politiques et
académiques fassent tout pour que les élèves appartenant à la minorité chrétienne bénéficient d’un
enseignement religieux. Je constate avec désolation que pendant les cours de religion, les élèves
catholiques sont dehors. Même s’ils ne sont pas nombreux, je voudrais qu’ils sentent qu’ils font
partie du système et qu’ils soient traités comme les élèves musulmans. Il faut préserver l’égalité
entre les élèves. Cependant, je reconnais que c’est une question difficile. Dans mon établissement,
sur 650 élèves, le nombre de chrétiens ne dépasse pas 20. C’est une minorité qui existe et c’est ce
que je revendique. Il ne faut pas qu’ils soient confondus dans cette majorité. (Entretien n°14 –

Charles Ndione, Directeur d’école à Thiès).

353
 Concernant le partenariat, sur le plan des principes, le langage de l’Etat a été clair. Pour ce qui
concerne l’Eglise, l’Etat a dit que l’enseignement religieux dans les écoles publiques était
maintenant possible mais je n’ai pas les moyens de payer ces enseignements ; si vous avez des
enseignants, envoyez-les-moi. C’est prévu dans les grilles, dans les horaires. (…). Les évêques
disent aussi clairement que l’Eglise ne peut pas prendre en charge cet enseignement de la
catéchèse dans les écoles publiques élémentaires. Il faut donc aller dans le sens du volontariat.
Maintenant, au niveau des quartiers, il y a ce que l’on appelle le catéchisme de quartier. On enseigne
la catéchèse aux enfants. Au niveau du quartier et au niveau paroissial, cette catéchèse est gratuite.
(Entretien n°23 – Abbé Patrice Mor Faye).

 Le problème dans les écoles publiques est que les catholiques sont très minoritaires par rapport
aux musulmans. Aussi, le fait de vouloir organiser l’enseignement religieux en se basant sur des
classes me paraît quasiment impossible. Je vois qu’il faudrait trouver une autre organisation qui
permette de regrouper les enfants pour des heures de catéchèse. La collaboration dans le cadre
l’éducation religieuse entre l’Etat et l’Eglise doit être bien définie : le rôle du premier est de rendre
les choses possibles ; l’Etat doit favoriser un espace pour que les cours d’éducation religieuse soient
possibles, même si c’est très exigeant. Et le rôle de l’Eglise, c’est de s’y engager ; les prêtres,
responsables de la catéchèse ont un rôle à jouer pour rendre aussi possible cette éducation
religieuse chrétienne dans les écoles publiques élémentaires. La responsabilité de ce manque peut
donc aussi être mise du côté de l’Eglise. Il ne faut pas demander à l’Etat ce qui n’est pas son rôle.
(Entretien n° 24 – Frère Pierre, Thiès).

A travers le discours de ces différents acteurs interviewés, il est ressorti une réelle difficulté
d’introduire l’éducation religieuse chrétienne dans les écoles publiques élémentaires ;
ainsi, quinze ans après cette innovation, seule la religion musulmane est prise en compte.
Les raisons évoquées peuvent se résumer à un manque de moyens et de personnes-
ressources qualifiées pour dispenser ces cours, au pourcentage de chrétiens très faible
dans les effectifs des écoles publiques élémentaires et à une absence d’organisation
adéquate pour rendre possible cette éducation religieuse chrétienne…En attendant donc
de trouver une solution adéquate pour prendre en charge les élèves chrétiens dans les
établissements publics élémentaires, l’Eglise, par le biais de ses pasteurs, demande aux
élèves concernés de s’inscrire à la catéchèse paroissiale, voire même de quartier,
organisée dans beaucoup de zones au Sénégal le samedi, jour non ouvrable à l’école
élémentaire.

354
En somme le bilan dressé par les acteurs de l’école par rapport à l’introduction de
l’éducation religieuse à travers cette enquête de terrain a permis de constater :

o le relèvement du TBS ;
o la satisfaction partielle par rapport aux attentes des populations ;
o l’absence de l’éducation religieuse chrétienne ;
o la prise en compte seulement de la religion musulmane ;
o L’éducation religieuse islamique effective seulement dans les écoles avec maître(s)
arabe(s).

 Lien avec la laïcité

L’examen des effets de l’introduction de l’éducation religieuse a aussi amené les


personnes qui composent notre échantillon à donner leur avis sur la laïcité. Il s’est agi
pour ces derniers d’analyser en quoi cette innovation a modifié l’équilibre entre « école »
et « religion », l’équilibre entre « autorités politiques » et « autorités religieuses » dans un
premier temps, ensuite, dans un deuxième temps, de se prononcer sur le caractère laïque
de l’Etat. Par rapport au premier point, le discours de nos interlocuteurs varie d’une
personne à l’autre. Si pour certains, cet équilibre n’a pas été modifié, pour d’autres, il y a
véritablement eu un changement, voire une évolution dans la relation entre les guides
religieux spirituel et les autorités politiques. En revanche, en ce qui concerne le caractère
laïque de l’Etat, à l’unanimité, les personnes interrogées pensent qu’il n’a pas eu de
modification. Les discours sélectionnés illustrent les points de vue des différents acteurs
sur le lien qu’ils font entre cette innovation et la laïcité.

 Cette réforme ne modifie pas les équilibres. La laïcité sénégalaise n’est pas forcément pareille à ce
qui existe dans les autres pays. La conception que les sénégalais ont est que l’Etat n’est pas
religieux mais la population l’est très fortement. Chacun peut pratiquer sa religion en toute liberté.

355
Les différentes confessions religieuses vivent de manière harmonieuse et se respectent
mutuellement. (Entretien n°18 – Babacar Samb, Inspection des daara).

 Le Sénégal est un pays religieux ; de tout temps les différentes confessions se côtoient, visent les
mêmes buts et les rapports sont positifs. Cette réforme n’a pas modifié cela, au contraire, elle l’a
renforcé. En tant que directeur, je rendais visite au "daara" pour sensibiliser le responsable et grâce
à ça, des élèves de ce "daara" ont pu être intégrés à l’école publique. Les autorités académiques
aussi sont équidistantes sur cette question. (Entretien n° 11 – Barthélémy Ndong,

Directeur d’école à la retraite à Fatick).

 Ces innovations ont favorisé le dialogue entre l’école et la religion, entre autorités étatiques et
communautés religieuses, et le dialogue entre les différentes familles religieuses. Il y a eu une
concertation. Le séminaire qui a préparé l’intégration de la religion à l’école publique a permis aux
religieux de se rendre compte qu’ils sont religieux dans une société qui a ses lois ; et aussi à la
société de se rendre compte qu’elle a comme citoyens des croyants et donc qu’on ne peut pas faire
fi de la foi. Pour le bien et de l’Etat et du citoyen, il faut nécessairement un cadre de dialogue. Ce
séminaire était un moment d’échange intense. (Entretien n°23 – Abbé Patrice Mor Faye,

Diocèse de Thiès).

 Je crains que les innovations dont vous parlez déséquilibrent ces rapports. Vous savez, quand le
colon était là, il y avait un rapport de collaboration entre le pouvoir colonial et le pouvoir
maraboutique. La gestion de la cité revenait certes à l’administration coloniale mais puisqu’ils
avaient une approche sociologique, ils s’appuyaient sur les marabouts, les « serigne daara », pour
faire avancer les choses, quand bien même il y avait une réticence dans les relations au 19ème et à
la première moitié du 20ème siècle. Après les indépendances, le premier président de la République
a compris cela et a continué cette collaboration. Mais aujourd’hui, vous voyez, il y a une classe
politique qui est sortie de ce schéma politique et qui cherche à se positionner. Cette situation peut
fragiliser l’Etat ou déséquilibrer les rapports qui existaient déjà. L’Etat étant laïque, il doit
accompagner toutes les sensibilités, toute forme d’éducation mais ne doit pas reconsidérer cette
laïcité ou en tout cas, verser vers d’autres considérations partisanes, religieuses. (Entretien

n°26 – Seydou Khouma, professeur à la FASTEF).

 Oui, je sens qu’il y a une modification de cet équilibre. Il s’agit d’atteindre le but visé mais pour cela,
les différents pouvoirs doivent unir leurs forces. Dans le cadre de cette laïcité, il y a une modification :
j’aurais voulu que le catéchise soit enseigné à l’école pour préserver cet équilibre. Les élèves

356
chrétiens ont aussi besoin de bénéficier d’une éducation religieuse. (Entretien n° 13 –

Thouman Niang, Directeur d’école à Thiès).

 Par rapport à la modification de l’équilibre, je répondrai oui, et non. Oui, dans la mesure où
l’éducation religieuse ne prend pas en compte les spécificités confrériques des uns et des autres.
Elle prend en compte ce qui est global. Et d’un autre côté, avec les rencontres fréquentes dans le
cadre de la mise en œuvre de cette innovation et l’intégration de l’éducation religieuse dans les
curricula, il y a un rapprochement entre le pouvoir étatique politique et les guides religieux. Cela ne
change en rien la laïcité. (Entretien n°1 – Ndaga Diop, IA de Diourbel).

En résumé, à travers le discours des différents acteurs de l’école interviewés, il est permis
d’avancer que :

o les avis sont mitigés sur la modification de l’équilibre entre « école » et « religion »,
entre « autorités politiques » et « autorités religieuses » ;
o le caractère laïque de l’Etat sénégalais n’a pas été modifié ;
o il y a une accommodation du modèle de laïcité au Sénégal.

Il semble aussi se dégager du discours des acteurs interrogés différentes conceptions ou


visions de la laïcité qu’il s’agira d’analyser. En général, la perception des acteurs de l’école
par rapport au principe de laïcité oriente vers un modèle ouvert qui laisse place à
l’expression libre du religieux et favorise le vivre ensemble. Tous semblent s’accorder vers
l’existence d’un modèle de laïcité imbibé des réalités socio-culturelles et historiques du
pays156.

156
Ce point sera développé au chapitre suivant. (Cf. Chapitre 9).

357
8- 2- 2- 2 Les données recueillies sur le projet de modernisation des "daara"

Notre enquête de terrain a aussi porté sur le projet de modernisation des "daara", autre
innovation de la réforme du système éducatif de 2002. Les acteurs des "daara" sont
revenus sur le projet en faveur des "daara" et sur la mise en place du "testing" du CDM.

 Les changements apportés dans les "daara"

Nos entretiens avec les acteurs de ce sous-secteur ont permis de constater la réalité des
innovations mises en place. Certains "daara" ont bénéficié de l’appui de l’Etat du Sénégal
et de ses partenaires comme la Banque Islamique de Développement ou la Banque
Mondiale à travers ces projets PAMOD et PAQUEEB. L’inspecteur El Hadji Moussa Sène,
IEF de Diourbel justifie ces choix par le fait que l’Etat du Sénégal désire mettre en place
« (…) un système éducatif qui prend en compte tous les modèles ; c’est une démarche
holistique. Les "daara" constituent un système parallèle d’éducation que nous voulons
intégrer. Au niveau des "daara", des changements ont été apportés tout en respectant leur
orientation, avec le projet PAMOD et PAQUEEB. Ces projets vont apporter un appui
considérable aux "daara". » (Entretien n°6). C’est ce que confirme Babacar Samb de
l’Inspection des "daara", responsable au niveau national chargé de piloter cette politique
d’intégration. D’après lui :

Le PAMOD (projet de modernisation des "daara") et le PAQUEEB (projet d’amélioration de la qualité


et de l’équité de l’éducation de base) sont des instruments de la politique de l’Etat en faveur de la
modernisation des "daara". Le premier est le projet pilote financé par l’Etat du Sénégal et la banque
islamique de développement. 64 "daara" ont été ciblés : 32 non publics et 32 autres publics en
construction. Le deuxième est un projet de l’Etat du Sénégal financé par la Banque mondiale et le
partenariat mondial pour l’éducation. Cofinancé et coordonné par la Banque mondiale, le PAQUEEB
cible 100 "daara" reliés à 20 inspections d’Education et de Formation (I. E. F) dans les 9 inspections
d’académies suivantes : Fatick, Diourbel, Kaolack, Kaffrine, Kolda, Tambacounda, Louga, Thiès
et Matam. Le PAMOD est une vision globale de la modernisation des daara ; elle est complète ;
c’est une offre qui prend en charge l’éducation religieuse, la mémorisation du coran, l’enseignement

358
des mathématiques, de la langue française et de l’arabe ; bref, toutes les compétences enseignées
dans le cycle élémentaire ; tandis que le PAQUEEB est constitué de deux disciplines :
l’enseignement du français et des mathématiques, mais aussi du volet environnemental et de
l’amélioration des conditions de vie dans les "daara" (hygiène, alimentation et sanitaire).
(Entretien n° 18).

Ces programmes ont apporté des innovations au niveau pédagogique, environnemental,


infrastructurel, sanitaire et alimentaire. Dans le cadre du "testing", les différents
responsables de "daara" et acteurs de l’école interviewés sont revenus sur les
changements qui ont été apportés dans l’organisation et le fonctionnement de leur "daara".

 La modernisation des "daara" est à comprendre dans le sens de l’amélioration à la fois du cadre,
des conditions d’apprentissage et des méthodes. Il y a plusieurs niveaux à considérer par rapport
aux changements intervenus ; d’abord par rapport au volet gestion : l’Etat a formé les responsables
de "daara" à la gestion ; il y a aussi l’installation d’un comité de gestion qui inclut les parents. Sur le
plan pédagogique, un curriculum des "daara", construit sur le modèle de celui de l’élémentaire, avec
l’approche par les compétences, a été mis en œuvre. Une diversification de l’enseignement avec le
recrutement de moniteurs qui assurent des cours en français a été instaurée pour faciliter les
passerelles dans le système éducatif. L’Etat essaie également de formaliser les différents cycles et
de permettre aux apprenants des "daara" de passer au terme le CFEE élémentaire. Les
changements touchent aussi l’environnement immédiat du "daara" : il y a une amélioration des
conditions de vie, d’hygiène et sanitaires. En somme, il y a des changements pédagogiques, de
gouvernance du "daara", au niveau environnemental et institutionnel. (Entretien n°5 –

Inspecteur Alassane Mbengue, IA de Matam).

 Ce projet a apporté des changements liés au fonctionnement et à l’organisation du "daara".


Désormais, il y a une réelle communication entre le "daara" et les structures représentant l’Etat ;
des échanges ont été instaurés à travers les rapports transmis aux inspecteurs et les notes de
services que nous recevons comme informations et directives à suivre. Une voie hiérarchique a été
établie : nous dépendons de l’inspection d’éducation et de formation et donc les autorités
académiques sont nos supérieurs et par conséquent, il y a un certain nombre d’obligations à remplir.
Dans le cadre de ce projet aussi, il y a eu des changements au niveau pédagogique. L’enseignement
de la langue française a été introduit dans le "daara". Cependant, il faut reconnaître qu’avant même
la mise en place du projet, nous avions déjà commencé à nous intéresser à cette langue. L’Etat a
introduit l’enseignement des disciples comme le français, précisément, à travers langue et

359
communication, et les mathématiques. Et à cet effet, la formation et la prise en charge des
enseignants sont assurées par l’Etat qui intervient aussi pour améliorer l’environnement immédiat
du "daara" par un soutien au niveau alimentaire, sanitaire et par les fournitures scolaires.
(Entretien n°19 – Iman Abdoulaye Barry, Daara de Patar-Niakhar, IEF de
Fatick).

 (…) avec l’aide de l’Etat, un "daara" moderne se construit et à cet effet, une classe testing a été
mise sur pied avec l’intégration de l’enseignement du français et des mathématiques. L’Etat apporte
aussi son aide dans la rédaction et la mise en œuvre des programmes de l’enseignement coranique,
la prise en charge des enseignants et l’amélioration de l’environnement immédiat du "daara" à savoir
les conditions sanitaires et d’hygiène, l’installation d’une cantine… (Entretien n° 20 – Serigne

Mor Mbaye, Daara, IEF de Louga).

 (…) l’Etat nous a dotés d’intrants et a recruté des enseignants qui dispensent des cours de français
et de mathématiques ; à cela, il faut ajouter trois enseignants qui s’occupent de la mémorisation du
coran et deux de l’enseignement arabe. Nous avons le privilège de faire partie de ces "daara" testing
au niveau de l’académie de Louga. Le "daara" a aussi bénéficié d’une cantine scolaire. Egalement,
au niveau administratif, une collaboration avec les autorités académiques a été instaurée.
(Entretien n°21 – Cheikh Samb, Institut Nourou Islam de Guéwoul, IEF de
Kébémer, IA de Louga).

 L’essentiel des apprentissages étaient constitués de l’enseignement coranique avant l’arrivée du


projet. Il n’y avait pas d’organisation par tranche d’âge ; tous les apprenants étaient assis autour du
borom "daara" et s’activaient dans la mémorisation du coran. Depuis 2008, l’Etat apporte son aide
à notre "daara" et beaucoup de changements ont été notés. D’abord au niveau de l’organisation
pédagogique : d’un enseignement, nous sommes passés à une dizaine et chaque enseignant
s’occupe d’un groupe de 10 élèves ; ce qui facilite les apprentissages. Nous avons vu les bénéfices
de cette nouvelle organisation qui nous a été proposée par les autorités académiques. Au niveau
des programmes, l’enseignement du français et de la langue arabe ont aussi été introduits dans le
"daara". Les jeudis et vendredis sont réservés à ces nouveaux apprentissages. Pour ce qui est du
français, les élèves sont initiés à la communication orale, aux mathématiques et à l’écriture. A la
longue, cela va porter du fruit. En dehors de ces changements, l’Etat s’occupe aussi de la
rémunération des enseignants. Par contre, tout ce qui touche à l’environnement du "daara", la
cantine et le volet sanitaire, il y a des manquements ; nous n’avons pas reçu d’aide sur ce plan.
(Entretien n° 22 – Serigne Saliou Sall, Daara Thierno Amadou Wouro Sidy, IEF
de Matam).

360
Tous les responsables de "daara" interviewés ont en effet confirmé qu’à travers ce projet
de modernisation des "daara", dans le cadre du "testing", des changements ont été
apportés par l’Etat, soutenus par les bailleurs dans leur structure. Il s’agit donc par rapport
au volet pédagogique, des innovations dans l’organisation de la classe et dans la gestion
des apprenants, des enseignements / apprentissages en français tels que : langue et
communication, lecture, écriture, mathématiques, étude du milieu, vivre ensemble dans
son milieu… Les acteurs des "daara" ont reconnu qu’une limitation du cursus scolaire à 8
ans a aussi été décidée pour faciliter l’intégration des élèves dans d’autres filières
académiques ou professionnelles. Les entretiens avec des inspecteurs arabes ont aussi
confirmé la nouvelle organisation du cursus scolaire au niveau des "daara testeurs" :

 Avec le projet PAMOD, l’Etat essaie, avec l’appui de la Banque Islamique de Développement,
d’apporter son aide au "daara" (…). Le curriculum des "daara" a été mis en place dans 10 "daara"
testeurs. C’est le curriculum de l’éducation de base étalé sur huit (8) ans pendant lesquels l’enfant,
en plus de la mémorisation du coran, apprend le français et la langue arabe. Pour le PAQUEEB, il
s’agit de collaborer avec les responsables des "daara" en participant à l’amélioration des conditions
de vie ; et en contrepartie, des enseignements en français et les mathématiques sont introduits dans
les "daara". (Entretien n° 4 – Inspecteur Ba, IA de Matam).

 Le programme du CDM prévoit trois étapes. La première étape avec trois niveaux (1 ; 2 et 3)
pendant laquelle l’élève n’apprend que le coran. A la deuxième étape, constituée de deux niveaux,
tout en poursuivant la mémorisation du coran, il commence aussi l’apprentissage du français. Et à
la troisième étape d’une durée de trois ans, il consolide l’apprentissage du coran, apprend le français
et l’arabe pour se préparer au CFEE et à l’entrée en 6ème. Après 8 années, il est orienté dans les
écoles classiques ou poursuit sa formation islamique dans des collèges spéciaux. (Entretien n°

10 – Inspecteur Daouda Mbaye, IA de Louga).

En dehors du volet pédagogique, dans ces "daara testeurs", une attention toute
particulière a été accordée à la dimension environnementale, nutritionnelle, sanitaire,
spirituelle… Les responsables de "daara" interviewés ont ainsi souligné une amélioration
des conditions d’apprentissage et de vie des élèves. Dans cette perspective, ces "daara
testeurs" sont le lieu adéquat pour l’Etat du Sénégal pour entamer un vaste programme
de construction et d’équipement en infrastructures. Cela permettra la mise en place d’un

361
cadre d’apprentissage propice et conforme aux objectifs d’une éducation de qualité pour
tous. Les changements touchent également le volet réglementaire. Certains acteurs ont
insisté sur la convention de partenariat mise en place dans le cadre de la gestion et du
contrôle envisagée à travers le projet de modernisation. De nouvelles formes de
collaboration ont été instaurées entre les autorités étatiques, académiques et les
responsables de "daara". Parmi celles-ci, on note l’établissement d’une voie hiérarchique
permettant de faciliter les échanges de courriers, rapports et de favoriser un plan de travail
propice, Un accent particulier a aussi été mis sur l’encadrement des moniteurs et des
chargés des études, l’accompagnement des responsables de "daara" dans la gestion…

 Dans notre IEF, à côté des écoles classiques, il y a cinq "daara" qui bénéficient du financement du
projet PAQUEB. Dans ces "daara", l’emploi du temps prévoit un crédit horaire de huit heures pour
l’enseignement du français et des mathématiques pour les apprenants, les « talibés ». Ces
enseignements sont assurés par un moniteur sous la supervision d’un inspecteur qui le suit. Le
programme PAQUEB prévoit aussi un soutien alimentaire pour assurer le repas de ces talibés et un
soutien sanitaire avec la pharmacie et la prise en charge médicale. Le projet est en train de
construire des salles de classes. (…) A côté de ces "daara" PAQUEB, il y a également le projet de
modernisation des "daara". Ici, à Koungueul, nous avons deux "daara" qui bénéficient de l’appui du
PAMOD. Il y a une convention de partenariat qui est signée entre l’inspection et le « borom "daara"
» ; et ce dernier élabore un plan de travail annuel dans lequel il est clairement établi les différentes
activités qui doivent être menées telles que les activités pédagogiques que j’ai énumérées tantôt
avec un volume hebdomadaire de 8 heures, le volet alimentation, la santé, etc. Une fois le
partenariat signé, il reçoit un financement qui est envoyé par l’Etat sur la base des comptes qu’ils
ont au niveau local. L’inspection faisait des ordres de décaissements et de virements en faveur de
ces "daara" après s’être mis d’abord sur les activités à financer et les achats nécessaires. Le borom
"daara" doit, en retour déposer les pièces justificatives qui conditionnent le prochain décaissement.
Le payement des moniteurs s’effectue au niveau de l’inspection après vérification de l’effectivité des
cours. Jusque-là, tout se passe bien. Ces projets permettent de formaliser le secteur des "daara".
(Entretien n°2 – Inspecteur Arfang Seck, IEF de Koungueul).

 La politique éducative en faveur du "daara" exige de la prudence : le "daara" appartient au marabout


et l’Etat est là pour l’accompagner. On ne peut pas aider quelqu’un si on ne sait pas de quoi il est
capable ; ensuite, on les accompagne en identifiant les "daara", le nombre d’élèves, comment est
l’environnement du "daara", existence au moins des conditions minimales pour une bonne
éducation : avoir des sanitaires, des locaux décents, permettent aux enfants d’avoir le nécessaire
pour travailler : voilà en quoi consiste l’accompagnement du gouvernement. La mission de l’Etat est

362
d’améliorer les conditions des "daara" et de permettre une bonne insertion sociale, raison pour
laquelle, au niveau des "daara", il y a eu l’introduction de la langue française qui permet de
communiquer, les mathématiques pour leur utilité. L’objectif consistera, au fur et à mesure de
l’avancée du projet, de capitaliser ces aides et d’amener le « borom "daara" » et la population à voir
l’impact de ces actions pour l’acceptation progressive de l’intervention de l’Etat. Il faut donc évaluer
ensemble les acquis, voir l’impact et ensuite franchir d’autres paliers. C’est un domaine très
sensible, il faut il y aller, pas à pas. (Entretien n° 1 – Inspecteur Ndiaga Diop, IA de

Diourbel).

 Le sens des changements dans les "daara"

Le sens de ces changements intervenus dans le cadre du projet de modernisation des


"daara" a été évoqué pendant les entretiens. Il a été rappelé que l’Etat cherche, à travers
ces projets mis en place, à formaliser le secteur, à contrôler les "daara" et à les intégrer
dans le système éducatif. Son but est aussi de développer, à côté de l’école classique,
d’autres modèles alternatifs de formation correspondant au choix des parents. C’est ce
que les différents acteurs interrogés ont reconnu :

 Le projet de modernisation peut être considéré comme un processus de transformation qualitative


du daara. Le constat est là : une frange importante de la population opte pour la formation de leurs
enfants dans ces écoles coraniques ; aujourd’hui, 30% des enfants entre 7 et 12 ans sont hors du
système classique, et 90 à 95% de cet échantillon sont dans les "daara"; cette nouvelle offre s’inscrit
donc dans la politique de l’Etat du Sénégal visant à prendre en charge cette population cible. Ces
effectifs considérables au niveau des "daara" ont été aussi un des facteurs clés qui ont poussé le
gouvernement du Sénégal à se lancer dans ces différents projets. (Entretien n° 18 Babacar

Samb, Inspection des Daara).

 C’est dans le but d’une réinsertion du citoyen dans sa société. L’Etat investit dans les "daara" pour
que cette formation puisse au moins permettre aux talibés, apprenants qui fréquentent ces
structures, d’avoir une chance de bien s’intégrer dans le système social, notamment avec les
disciplines de français comme langue de communication et les mathématiques, avec les hautes
technologies d’aujourd’hui. Vu sous l’angle de l’Etat, c’est pour favoriser la cohésion, l’harmonie
sociale et l’intégration. Cela veut dire que pour l’Etat, il y a moins de problèmes à ce niveau pour
les chrétiens que pour les musulmans du fait que les écoles confessionnelles chrétiennes

363
permettaient déjà cette intégration sans difficulté contrairement aux "daara". Si l’on voit ainsi la
problématique, on tolère mieux cette politique de l’Etat en faveur des "daara". Aujourd’hui c’est tout
le pays qui a besoin de cela. Il faut qu’on fasse quelque chose pour les "daara" sinon nous aurons
une société à double vitesse et qui ne favorise pas une compilation harmonieuse. (Entretien n°

23 abbé Patrice Mor Faye).

A côté de ces objectifs formels visés par les autorités étatiques, (contrôle, formalisation,
prise en charge, réinsertion, intégration…), les acteurs de l’école perçoivent d’autres sens
à donner à cette innovation.

 Ces dernières années, l’Etat a manifesté une réelle volonté politique en faveur des "daara". L’objectif
visé était de corriger cette injustice historique ; l’Etat ne prenait en charge que les enfants qui
fréquentaient les écoles classiques et pas les autres. (Entretien n° 4 – Inspecteur Ba, IA

de Matam).

 Le sens de ces changements est que les Serigne "daara" seront beaucoup plus motivés du fait que
leurs enfants sont désormais considérés comme sénégalais. De tout le temps, ils disent que ces
derniers ne bénéficient pas de l’argent injecté dans l’éducation. Donc, s’ils sont pris en charge, déjà,
c’est une manière de leur dire que l’Etat s’intéresse à eux. L’autre élément, c’est tout au bénéfice
de ces élèves ; ces changements ne sont pas généralisés, mais partout où l’enseignement de la
lecture, du langage et des mathématiques ont été introduits dans les "daara", c’est un impact positif
pour les enfants. (Entretien n° 3 – Inspecteur Mbaye, IEF de Mbour 2).

 Vous savez, il y avait beaucoup d’élèves qui quittaient l’école. Il était difficile d’atteindre le TBS et le
taux d’achèvement. Les "daara" récupéraient tous ces enfants qui étaient abandonnés par le
système classique et leur offraient une éducation de base. Avec le projet de modernisation des
"daara", il y a un changement de vision, l’importance des "daara" est enfin reconnue ; ils forment les
enfants. Le rôle éducatif des "daara" est reconnu au même titre que celui de l’école classique. C’est
pourquoi l’Etat a senti le besoin d’appuyer ces "daara" et les doter de moyens. (Entretien n° 16

– Thierno Diallo, Directeur d’école à Fatick).

 Le premier sens est d’éradiquer cette injustice. Le fait donc d’apporter ces changements est pour
l’Etat une manière de s’acquitter de son devoir et de sa responsabilité vis-à-vis de l’éducation de
tous les enfants. Un autre sens a donné à ces changements est d’ordre utilitaire : l’apprentissage

364
de la langue française est important et nous en avons besoin pour communiquer au Sénégal vue
son statut de langue officielle ; le fait de ne pas pouvoir communiquer en français était un frein ou
handicap pour beaucoup d’apprenants qui terminaient leur scolarité dans les daara et devaient
s’insérer dans le monde du travail. (Entretien n° 20 – Daara Serigne mor Mbaye, IEF

de Louga).

Les différents entretiens menés ont donc permis de faire ressortir plusieurs autres
significations à apposer à ces changements. Il a été noté dans le discours des acteurs de
l’école que cette innovation en faveur des "daara" se justifie par le désir de compléter la
formation des apprenants dans le domaine intellectuel, physique, spirituel…, de corriger
l’injustice et d’offrir aux élèves fréquentant ces "daara" les mêmes chances de réussite et
d’insertion sociale. Il s’agit aussi d’un changement de vision, de reconnaitre les "daara",
de développer le modèle de "daara moderne"… Cependant, notre enquête de terrain par
rapport au projet de modernisation des "daara" a révélé des difficultés dans son exécution.
D’après l’inspecteur Diaga Diop de l’IA de Diourbel : « La difficulté majeure c’est en fait les
réticences. (…) Certains pensent que l’objectif est de transformer ces "daara" en écoles
françaises et c’est vraiment une contrainte majeure. Raison pour laquelle la sensibilisation
a été augmentée. Le blocage au niveau du vote du projet de loi portant statut des "daara"
est un problème de communication mais tout le monde est convaincu de la nécessité du
projet. » (Entretien n°1). Pour l’inspecteur Alassane Mbengue c’est « la question de
l’autonomie et celle de la représentativité [qui] sont à l’origine des blocages du vote du
projet de loi ; c’est un problème de positionnement par rapport au ministère qui crée un
conflit. » (Entretien n°5). L’existence de rapports de force entre acteurs des "daara" et
autorités académiques évoquée par l’inspecteur a été sentie à travers le discours de
Serigne Mor Mbaye, responsable de "daara" à Louga. Il pointe comme difficultés, entre
autres, l’organisation pédagogique :

Les difficultés liées au projet de modernisation du daara sont là mais néanmoins beaucoup de
rencontres avec les représentants de l’Etat sont organisées dans le seul but de les éradiquer ; vous
savez, si avant vous dispensiez un seul programme constitué de l’enseignement coranique d’une
durée de 4 à 5 ans, voire plus et que, par la suite, on y greffe un autre qui prolonge la durée du
cycle, cela peut entraîner des problèmes dans la mise en œuvre ou l’agencement des deux. Quoi
qu’il en soit, cela ne doit en aucun cas porter préjudice à l’enseignement du coran. Il arrive donc
qu’il y ait des oppositions pendant ces rencontres parce qu’en définitive, les horaires alloués au

365
coran et aux sciences religieuses ne peuvent pas être diminués. C’est un débat ; mais comme nous
sommes tous des intellectuels et des pédagogues, des solutions sont toujours envisageables.
(Entretien n°20).

L’autre point, au plan pédagogique, qui pourrait être source de difficulté est bien entendu
la question des choix méthodologiques et des modes de transmission. Pour la
mémorisation du coran, l’oralité (ou l’apprentissage par cœur) est utilisée, tandis que
l’école formelle prône une méthode basée sur l’écrit (ou l’analyse de l’écrit), avec la mise
en place d’une pédagogie axée sur les compétences favorisant l’accès à la connaissance.
Vraisemblablement, le conflit méthodologique entre ces deux approches, source de
problèmes pédagogiques majeurs, n’a pas été souligné comme difficulté de la mise en
place des innovations dans les "daara". D’ailleurs, le professeur Talla Mbengue,
islamologue et chercheur à la FASTEF, pense qu’en réalité les deux pédagogies peuvent
cohabitées. D’après lui, « la mémorisation du coran permet le développement du cerveau.
C’est un atout, un élément de plus pour permettre à l’enfant de maîtriser les autres
enseignements. » (Entretien n°25).

La généralisation du projet de modernisation à tous les "daara" au niveau national est


prévu avant la fin de l’année 2018. Elle fera suite à l’étude évaluative en cours menée par
un cabinet d’expert sollicité par l’Inspection des "daara", la structure chargée de piloter les
initiatives développées dans ce sous-secteur. En attendant, la perception des différents
acteurs de l’école sur cette innovation est positive dans l’ensemble. Les changements
apportés ont été salués par les acteurs de l’école interviewés et des réajustements ont été
effectués dans les "daara" par rapport à la mise en place du projet. Il semble aussi que
les blocages liés au vote du projet de loi portant statut du "daara" ont été levés. C’est ce
que reconnaissent certains des responsables de "daara" interrogés.

 Les difficultés par rapport au projet de loi sur la modernisation des "daara" sont derrière nous ;
l’étape actuelle est que tous les blocages ont été levés. Le projet de loi a été validé par l’ensemble
des acteurs, des parties prenantes : les imans, l’association des maîtres coraniques, la ligue, etc. il
sera remis au chef de l’Etat lors d’une cérémonie qui sera organisée à cet effet. Aujourd’hui, notre
stratégie est basée sur une démarche participative qui implique tous les acteurs des "daara" : la

366
ligue, la fédération des maîtres coraniques, les imans et les boorom "daara". Une bonne
communication et une bonne représentativité des associations ont été instaurées. (Entretien n°

18 – Babacar Mbaye, Inspection des Daara).

 Aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, les blocages concernant le vote du projet de loi portant statut
du "daara" sont presque levés. La dernière rencontre de Mbour entre l’Etat et le collectif a abouti
sur une entente. Peut-être actuellement, c’est la procédure qui est longue mais tous les différends
ont été levés. (Entretien n° 19 – Iman Abdoulaye Barry, Fatick).

En résumé, l’enquête semi-directive réalisée avec différents acteurs du monde éducatif a


été l’occasion de scruter la réalité de cette réforme de 2002, plus particulièrement
l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires et le projet
de modernisation des "daara". Le discours de nos interlocuteurs a permis de revenir sur
la mise en place de ces innovations, leur sens, les objectifs visés, le partenariat entre
autorités académiques ou étatiques et les familles religieuses ou responsables de
"daara" ; mais aussi de faire leur bilan. Il faut reconnaître que cette tâche de faire l’état
des lieux de l’introduction de la religion dans la sphère scolaire et du projet en faveur des
"daara", incombe aux structures officielles porteuses des initiatives dans ce sens. Les
acteurs de l’école ont aussi été amenés à faire le lien entre ces changements et les enjeux
de la laïcité. Enfin, les entretiens ont également constitué un moyen de confronter les
intentions déclarées par les autorités étatiques de manière officielle et la mise en œuvre
de la réforme sur le terrain.

367
8- 3 INTERPRETATION DES RESULTATS RECUEILLIS

Après la phase d’analyse, il s’agit maintenant de procéder à l’interprétation des résultats


recueillis lors de cette enquête et d’établir un lien entre ceux-ci et les éléments développés
dans la partie théorique de cette recherche.

8- 3- 1 L’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires

Cette innovation majeure a été institutionnalisée par la loi 2004-37 du 15 décembre 2004
modifiant et complétant la loi d’orientation de l’Education Nationale n° 91-22 du 16 février
1991. Il semble dès à présent important de souligner que le pays a pendant longtemps
porté la volonté d’établir un lien étroit entre l’école et le milieu. Celle-ci a été clairement
affirmée dans les finalités poursuivies par l’école au Sénégal. Ainsi, la politique éducative
tournée vers les attentes de la population et le besoin de donner aux enfants et aux jeunes
sénégalais une éducation conforme aux aspirations et réalités socio-culturelles a trouvé
sa place dans beaucoup de textes réglementaires et juridiques, dont celui de la loi
fondamentale de République. Toutes les constitutions du pays ont réaffirmé que cette
charge incombe précisément à l’Etat. Celle en vigueur actuellement, c’est-à-dire la loi
n°2001-03 du 22 janvier 2001, stipule que « l’Etat a le devoir et la charge de l’éducation
et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques. Tous les enfants, garçons et
filles, en tous lieux du territoire national, ont le droit d’accéder à l’école. Les institutions et
les communautés religieuses ou non religieuses sont également reconnues comme
moyens d’éducation. » (Article 22). Le texte, ainsi libellé, date de la constitution de 1963.
Aussi, à travers la loi n° 91-22 du 16 février 1991, dite loi d’orientation de l’Education
Nationale, l’insistance sur l’ouverture aux réalités locales est perçue comme un signal fort :
« L’Education Nationale, au sens de la présente loi, tend à promouvoir les valeurs dans
lesquelles la nation se reconnait. Elle est éducation pour la liberté, la démocratie pluraliste
et le respect des droits de l’homme ». (Art.-1).

368
Notre enquête sur le terrain est venue confirmer ce fait. Pour ce gouvernement de la
première alternance politique157 dans l'histoire du Sénégal indépendant, l'introduction de
l'éducation religieuse à l’école laïque et républicaine est une manière de répondre à une
demande sociale, au désir d'une partie de la population qui déplore que le système
éducatif du Sénégal soit calqué sur le modèle français. Ils considèrent qu’en définitive, ce
système ne permet pas aux jeunes de s’intégrer harmonieusement dans leur culture
d'appartenance sociétale. Il semble donc que le processus d’ancrage de l’école
sénégalaise dans les réalités socioculturelles du pays (proposé depuis les EGEF en 1981
et porté par la CNREF mise en place en 1985) se réalise avec l’objectif de scolarisation
universelle recherché de la part de l’Etat et soutenu par la communauté internationale.
C’est ce qu’a réaffirmé en 2002 le ministre de l’Éducation Nationale lors du séminaire sur
l’introduction de l’éducation religieuse dans le système éducatif en ces termes : « Notre
pays (Sénégal) est arrivé à un moment où l’évolution des mentalités exige un ajustement
de notre politique éducative sur les mutations socioculturelles. L’introduction de
l’éducation religieuse et la création d’écoles franco-arabe est un besoin réel et urgent»158.
Ces propos du plus haut responsable du système éducatif marquent un tournant dans
l'histoire et orientent de façon très claire la politique générale du gouvernement en matière
d’éducation. Pour Sy Seydou Madani, le président Wade :

Sonne le temps de la rupture (…) et opte en 2001 pour une constitution plus moderne mais aussi
plus nationaliste, octroyant au passage des pouvoirs très importants au président de la République.
Si la liberté de manifester est soulignée, si la laïcité de l’État sénégalais et de la société est rappelée,
si les Sénégalais de l’étranger entrent dans la constitution, avec Wade les valeurs propres au pays
sont aussi défendues, les langues nationales mises sur le même plan que la langue officielle, le
serment du président se déroule sous l’autorité divine. Le pays semble en phase avec le monde
mais, en même temps, à travers sa constitution, il se place (un peu trop ?) à l’avant-garde du combat
pour l’africanité du continent. (Cité par Lombard J., 2012, p. 313).

157
Le parti socialiste a gouverné le pays de l'indépendance (1960) à mars 2000, date à laquelle il y a eu
alternance politique qui a porté au pouvoir Maître Abdoulaye Wade du parti démocratique sénégalais
(PDS).
158
Ministère de l’éducation (Aout 2002). « Séminaire sur l’introduction de l’éducation religieuse et la création
d’écoles franco-arabes dans le système éducatif sénégalais », Communication, Fascicule N° 1, p.8.

369
L’introduction de la religion dans la sphère scolaire publique marque un changement
radical dans la politique éducative au Sénégal, même s’il faut reconnaître qu’il a fallu
attendre une vingtaine d’années avant de voir cette vieille doléance satisfaite. Avec cette
rupture, c’est toute la question de la laïcité, ou plus précisément du modèle de laïcité en
vigueur qui est interrogé. Le premier contact du pays avec ce principe d’organisation
politique a été à travers l’application des lois laïcisant l’école française. En effet, elles ont
eu des conséquences au Sénégal sous l’occupation française avec le départ du personnel
religieux des écoles. Au niveau de la métropole, les lois dites de Jules Ferry en 1881-1882
instaurent l'indépendance de l'école par rapport à la religion. Elles vont être complétées
en 1886 par la loi Goblet qui applique la laïcisation au personnel enseignant. Ainsi, les
religieux enseignants ont quitté les écoles en France et ont été remplacés par des
enseignants laïques. Dans certaines colonies, la loi de la rétroactivité a été respectée et
la laïcisation du personnel enseignant a été appliquée. Le Sénégal n’a pas échappé aux
conséquences de la laïcisation de l’école et du personnel enseignant en France. Ainsi, par
une circulaire, le ministre des colonies de l’époque, demanda au gouverneur Général de
l'Afrique Occidentale Française (AOF) de préparer les conditions de la mise en application
des lois Ferry et Goblet. La création des Cours Normaux pour la formation des instituteurs
laïques fut l'une de ces conditions. Toutes les congrégations enseignantes, entre autres
les sœurs de Saint Joseph de Cluny, les sœurs de l'Immaculée Conception, les frères de
Ploërmel, etc., vont quitter les établissements scolaires. Leur retour dans ces écoles ne
se fera qu’une vingtaine d’années plus tard. Ensuite, après les indépendances, la
constitutionnalisation du principe de laïcité marquera une autre étape de ce processus.
Depuis l'accession du pays à la souveraineté en 1960, les gouvernements qui se sont
succédé jusqu'en 2000 ont toujours cherché à protéger l'école républicaine de l'influence
religieuse par l'adoption de lois d'orientation de l’éducation qui ne laissaient pas
d’ouverture à l’introduction de l'éducation religieuse dans les écoles publiques. Cette
position historique n’est pas sans conséquences.

L'intransigeance des autorités politiques sur la laïcité de l’enseignement de l’État et la négligence


vis à vis de l’enseignement arabo-islamique a eu des effets négatifs sur le taux brut de scolarisation
(TBS). Celui-ci est resté très faible dans certaines régions où il s’est développé, depuis la période
coloniale, un vif sentiment de rejet de l’école classique et, inversement, un grand penchant pour les
écoles coraniques et des cadres informels d’éducation. (Brossier 2004, p. 235).

370
Il semble en effet, que certaines zones du pays sont restées très réfractaires à l’école
publique classique. La principale conséquence de cette situation a été que, dans ces
endroits précis, les parents ont plutôt fait confiance au système d’enseignement islamique
tel que le "daara" où leurs enfants bénéficiaient d’une éducation religieuse certaine. La
politique éducative de l’Etat à cette époque pourrait être considérée comme l’une des
causes du développement et de l’augmentation de façon exponentielle de ces écoles
arabo-islamiques partout dans le pays pour répondre à la demande d’une majorité de la
population. A travers cette enquête, il est donc ressorti que la conception de la laïcité
variait suivant les régimes politiques au pouvoir.

Par cette mesure, accompagnée de la création d'écoles publiques franco-arabes et


l’ambition d’une modernisation des "daara", l’objectif des autorités étatiques était de
récupérer les huit cent mille à un million de jeunes pensionnaires des écoles coraniques
et qui n’étaient pas pris en compte dans le taux brut de scolarisation (Charlier 2004, p.
53). Mais au-delà de cette rupture, c'est la problématique très complexe de la question de
la laïcité au Sénégal qui est interrogée. Cette réforme a instauré un débat dans la société
et les différents acteurs se sont positionnés suivant leur conception de la laïcité. Pour
Villalon et Bodian (2012) cette réforme a vu le jour du fait que ceux qui ont autrefois lutté
pour une introduction de l'enseignement religieux au Sénégal se sont maintenant
retrouvés dans les instances décisionnelles étatiques. A ce propos, ils citent le directeur
de la DEA, un des acteurs de cette réforme :

On a remarqué que le TBS chutait d’année en année. Pour cause, le système éducatif classique
n’avait jamais pris en compte les besoins des populations en matière d’éducation. Pire, tous ceux
qui ne sont pas dans le système éducatif traditionnel sont considérés comme des analphabètes.
Afin de résoudre le problème, il était donc nécessaire de créer un modèle qui soit à la croisée des
chemins entre le modèle éducatif classique et la demande éducative en enseignement religieux. La
réforme permet à l’État d’opérationnaliser les valeurs religieuses dans le système éducatif. Cela
permet de produire une éducation utile ancrée dans les valeurs morales et religieuses du pays.159

159
Recueilli lors d'un Entretien avec C. Mbow, Directeur de la Division de l’Enseignement Arabe (DEA),
Dakar, 19 octobre 2009. Cf. Villalon L., A. Et Bodian M. (2012, avril) Religion, demande sociale et
réformes éducatives au Sénégal.

371
Le gouvernement de l’alternance, en introduisant l’éducation religieuse dans l’école
publique, par des aménagements institutionnels, vient ainsi reconnaître le rôle social des
communautés religieuses dans la société en général et dans l’éducation des enfants en
particulier. Ce compromis lui confère également l’éducation religieuse jusque-là laissée au
bon soin de chaque famille religieuse. La présente réforme de l’école a au moins eu le
mérite de concrétiser enfin, près de vingt ans après, une vieille doléance faite par les
communautés religieuses pendant les assises de l’Education et de la Formation en 1981
convoquées par le Président de la République du Sénégal, Abdou Diouf, nouvellement
élu, pour faire face à la crise que traverse l’école. Cependant, la réalité sur le terrain
présente des particularités.

La perception générale des acteurs interrogés concernant le sens de l’introduction de


l’éducation religieuse à l’école publique élémentaire est dans l’ensemble très bonne.
L’importance de cette innovation pour les élèves a souvent été soutenue. Ce qu’il faut
savoir, c’est que la famille au Sénégal, comme partout ailleurs, a toujours été le cadre où
les enfants reçoivent les premiers rudiments de leur éducation ; c’est là qu’ils apprennent
à communiquer, à entrer en relation avec les autres, à connaître les bonnes manières,
etc. A ce fait, les parents restent les premiers responsables de l’éducation. Certaines
familles se présentent aussi comme le lieu où les enfants font la découverte de la foi. Dans
ces cas précis, la religion joue un grand rôle et occupe une place importante dans cette
éducation. Les premières tentatives d’enseignement religieux et d’apprentissage des
prières de base se font donc à la maison et ensuite, certains enfants ont l’occasion de
parfaire leur instruction religieuse au "daara", auprès d’un maître coranique, pour d’autres
au presbytère avec l’aide des prêtres et des catéchistes, et pour d’autres encore,
simplement, au niveau des écoles confessionnelles. Dans cette logique, il est clair que
c’est aux parents que revient la responsabilité de choisir une école conforme à leurs
principes moraux, voire religieuse. Il s’agirait donc de réconcilier l’école avec le milieu ou
de mieux l’ouvrir à celui-ci. En intégrant la religion à l’école, l’Etat ne fait que répondre à
la demande sociale des parents, à leur attente. Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est
que le but de toute éducation est de répondre aux besoins et aspirations de la population
en essayant de relier les enfants à leur culture à travers un système d’idées, de principes
et de valeurs. Aujourd’hui, il est admis que les différents systèmes éducatifs convergent

372
de plus en plus vers l’adoption d’un système de représentations qui cherche à refléter les
réalités sociales. Sous ce rapport, les transformations et les orientations des politiques
éducatives vues sous l’angle évolutif de la mission de l’Etat sont dirigées vers des
domaines autrefois exclus de leur champ d’action. C’est le cas, en ce qui concerne le
Sénégal, de l’introduction de l’éducation religieuse à l’école publique élémentaire.

Par rapport au partenariat, il est permis de dire qu’à travers les résultats de l’enquête
menée sur le terrain, que l’introduction de l’éducation religieuse a remis à jour et a renforcé
les relations existantes entre le politique et le religieux. Certains guides religieux ont
véritablement sensibilisé leurs fidèles et éveillé par rapport à l’importance de l’école
classique et de l’éducation religieuse. Les nouvelles formes de collaboration dévoilées par
cette enquête repositionnent les relations entre le spirituel et le politique dans une
dynamique fonctionnelle et évolutive. Elles ont aussi le mérite de montrer, d’une certaine
manière, que les guides religieux gardent toujours leur influence dans la société
sénégalaise et que les autorités étatiques continuent de faire appel à leur notoriété dans
le but d’atteindre les objectifs de leur politique en matière d’éducation.

Cette innovation présente donc des aspects positifs. Elle a répondu en grande partie aux
attentes concernant la scolarité et en partie à celles des populations et des communautés
religieuses. Cependant, beaucoup de difficultés ont été notées quant à l’exécution
concrète de cette innovation. L’organisation de l’éducation religieuse islamique a révélé
des manquements liés à l’insuffisance d’enseignants en langue arabe, de matériel, de
supports pour les élèves, et même dans certaines écoles, à l’absence de ce cours. En
effet, l’insuffisant de maîtres d’arabe est une réalité dans le système éducatif sénégalais,
du moins au primaire. De 1500, en 2002, l’effectif est passé, en 2009, à 4 784 au niveau
de l’élémentaire publique. D’après le rapport d’évaluation diagnostique et prospective de
l’éducation de base au Sénégal de 2014, le personnel enseignant arabophone à
l’élémentaire était estimé à 5 395 pour l’année scolaire 2011/2012, et pour 7 801160 écoles.
Malgré l’augmentation du nombre de maîtres d’arabe d’années en années, aujourd’hui

160
Ce chiffre provient du Rapport National de la Situation de l’Education de 2013.

373
encore, d’après notre enquête de terrain, nombreuses sont les écoles élémentaires
publiques où, à cause de ce déficit d’enseignants arabes, les cours de religion musulmane
ne sont pas assurés. Dans le but de préserver l’égalité entre tous les élèves, l’Etat est
appelé à rectifier le tir et à faire de telle sorte que dans tous les établissements publics
élémentaires du Sénégal, cette innovation soit appliquée. Cette suggestion doit aussi
prendre en compte les élèves chrétiens même s’ils sont minoritaires dans ces-dites
écoles. L’enquête sur le terrain a en effet montré que, quinze ans après la mise en place
de l’innovation, l’éducation religieuse chrétienne n’est toujours pas introduite dans les
écoles publiques élémentaires. Certains acteurs ont pointé du doigt les causes liées à ce
manquement. Les principales raisons évoquées sont le nombre très réduit des élèves
chrétiens, leur dispersion dans ces écoles, le manque de personnes-ressources capables
de dispenser ce cours ou la question de leur rémunération, le manque de local disponible
pour permettre l’organisation de la catéchèse…Dans cette logique, les évêques du
Sénégal, au terme de leur conférence épiscopale161, tenue à la suite de la 129ème édition
du pèlerinage marial de Popenguine, en juin 2017, au Sénégal, ont demandé à l’Etat
d’inclure l’enseignement de la catéchèse dans les écoles publiques, de prendre en charge
les indemnités des futurs catéchistes et aussi de mettre des locaux dans les écoles
publiques élémentaires pour permettre aux élèves chrétiens de recevoir les cours
d’éducation religieuse chrétienne en toute liberté. Il s’agit pour eux d'une « nécessité de
foi chrétienne » comme l’a rappelé l’évêque de Saint-Louis du Sénégal à l’issue de la
conférence de presse162. Cela rejoint la conception que l’Eglise se fait du rôle de l’école
dans la formation catholique des nouvelles générations. « L’éducation se présente
aujourd’hui comme une tâche complexe, vaste et urgente. La complexité d’aujourd’hui
risque de faire perdre l’essentiel, c'est-à-dire la formation de la personne humaine dans
son intégralité, en particulier en ce qui concerne la dimension religieuse et spirituelle. »
(CEC, 2009). Cependant, même si cette demande semble acceptable, elle n’enlève en
rien la complexité de l’organisation de l’éducation religieuse chrétienne. Sur le terrain, les
acteurs de l’école ont reconnu sa légitimité et ont montré, dans l’ensemble, une certaine
ouverture dans ce sens. Il reste donc à réfléchir sur la faisabilité de son intégration dans

161
La Conférence épiscopale du Sénégal regroupe l’ensemble des évêques du pays mais aussi, de la
Mauritanie, du Cap-vert et de la Guinée-Bissau.
162
Cf. La conférence de presse de deuxième session annuelle des évêques du Sénégal. Voir :
http://www.sen360.fr/education/enseignement-religieux-dans-les-ecoles-publiques-les-eveques-du-
senegal-veulent-l-039-introduction-de-la-catechese-787532.html, consulté le 04 septembre 2017.

374
les programmes de l’école publique élémentaire et la question de l’organisation concrète.
Ainsi malgré la complexité de son organisation, il revient aux autorités politiques et
académiques de créer les conditions de sa mise en œuvre en collaboration avec les
responsables de l’Eglise.

En somme, l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires,


présentée comme une innovation majeure dans le système éducatif afin d’atteindre
l’objectif de la scolarisation universelle et de répondre aux attentes de la population et des
communautés religieuses, a été saluée par beaucoup d’acteurs de l’école au Sénégal
même s’il a fallu une longue attente avant qu’elle ne soit prise en compte par la puissance
publique. Elle se présente, aujourd’hui, comme une utilité et pour les élèves et pour la
société sénégalaise ; elle participe et fait partie intégrante de la formation humaine. Cette
enquête a aussi montré que l’élaboration de cette innovation a été une occasion de
raffermir la collaboration entre les autorités politiques, académiques et religieuses.
Cependant, c’est une chose de s’entendre sur les principes concernant l’introduction de
la religion à l’école de la république mais une autre de réussir sa concrétisation, c’est-à-
dire sa mise en œuvre et son application. En effet, le bilan dressé à travers cette enquête
de terrain révèle des dysfonctionnements qui ne sauraient perdurer. Il convient donc pour
les autorités étatiques d’en tenir compte et de faire le nécessaire pour les éradiquer.

8- 3- 2 Le projet de modernisation des "daara"

Au Sénégal, la problématique des "daara" et la gestion des élèves qui fréquentent ces
structures ont souvent été au centre des préoccupations politiques. Des tentatives visant
à améliorer les conditions de vie et d’apprentissage des élèves-talibés ont été entreprises ;
beaucoup de projets ont vu le jour dans ce sens : EVF- daara, Lutte contre la traite et
les pires formes de travail des enfants, Trilinguisme et formation professionnelle
dans les "daara", pour ne citer que cela. L’engagement du Sénégal pour la réalisation
de l’EPT a poussé l’Etat à multiplier les initiatives en faveur des "daara". Le projet
concernant leur modernisation s’inscrit dans cette vision. Ila aussi été lancé lors du

375
séminaire organisé dans les locaux du Projet d’Appui au Plan d’Action (PAPA) en 2002 à
Dakar. Ce séminaire a été l’occasion de présenter ce projet, financé par la BID, comme
un enjeu politique majeur au lendemain de la première alternance. Il faut souligner que la
BID, principale financière de ce projet, à la suite du Forum de Dakar (2000) dans le cadre
de l’EPT, s’est engagée dans un vaste programme d’éducation bilingue dans plusieurs
pays de l’Afrique subsaharienne tels que le Niger en 2002 (Projet d’appui aux écoles
franco-arabes (PAEFAN) ; Projet d’appui à la rénovation des écoles coraniques et
Formation en caractères arabes), le Tchad en 2004 (Programme d’appui à l’enseignement
bilingue franco-arabe), la Gambie en 2012 à travers le projet « Bilingual Education
Support Project » (BESP), le Mali en 2015 (Projet d’appui à l’éducation bilingue de base
et Projet d’intégration des écoles coraniques) et le Burkina Faso en 2015 (Projet d’appui
à l’enseignement primaire bilingue franco-arabe (PREFA)). A travers ces différents projets,
la BID participe d’une certaine manière au développement de l’éducation arabo-islamique
dans la sous-région ouest-africaine. Le début des années 2000 marque un tournant décisif
en matière d’éducation dans ces pays subsahariens. Les mutations et orientations
éducatives ont eu des enjeux sociaux importants.

Au Sénégal, la BID s’est lancé dans l’exécution de la construction d’une centaine d’écoles
franco-arabes et dans la formation en caractères coraniques harmonisés, en plus du
PAMOD. La modernisation des "daara" entre dans une logique d’amélioration des
conditions générales d’apprentissage et de fonctionnement. « Les daara conservent
encore un mode d’organisation et d’apprentissage traditionnel. Il s’agira de contribuer à
l’amélioration de la qualité́ des apprentissages par une campagne d’information et de
sensibilisation ; il s’agira aussi de les réorganiser en daara modernes qui associeront
l’enseignement religieux, la langue française, une langue nationale et la formation
professionnelle » (R S, 2003, p 125). Cependant, notre enquête a révélé que ce projet a
connu des avancées timides. Beaucoup de facteurs sont liés à la complexité de ce sous-
secteur. Parmi ces facteurs citons le fait que les "daara" relèvent du domaine privé et
jusque-là étaient gérés de manière informelle, l’absence de textes réglementaires sur le
statut et le fonctionnement des "daara", le manque de maîtrise de la situation des "daara",
l’existence de nombreuses actions non concertées et entreprises par des structures ou
tutelles ministérielles différentes, etc. Cela explique que le projet a eu du mal à être
exécuté. A la suite du conseil présidentiel de 2007, dans le cadre du renforcement des

376
synergies et des complémentarités sur le terrain ou également dans le cadre global de la
politique de l’Etat visant la protection de l’enfant au Sénégal, le Partenariat pour le Retrait
et la Réinsertion des Enfants de la Rue (PARRER) et une Cellule d’Appui à la Protection
de l’Enfance (Arrêté n° 02131 du 12 mars 2008) ont été mis en place. Ces actions menées
en faveur des "daara" témoignent du désir des autorités politiques d’apporter une solution
à ce sous-secteur. En 2009, la volonté de diversifier l’offre éducative est réaffirmée dans
la Lettre de Politique Sectorielle précisant que : « la modernisation des "daara" se
poursuivra pour assurer aux apprenants des écoles coraniques une éducation religieuse
adéquate et les doter des compétences de base visées dans le cycle fondamental. Elle
intervient en complémentarité avec le secteur classique dans le cadre de la diversification
de l’offre éducative et de la réalisation de l’objectif d’une scolarisation universelle de 10
ans (…) ». Dans cette optique, le curriculum des "daara" a vu le jour en 2010. La création
de l’Inspection des "daara" peut être considérée comme la marque de l’officialisation de
ce projet. L’Etat s’est lancé dans la construction de "daara modernes" qui sont définis
comme « des institutions islamiques qui scolarisent des élèves âgés de 5 à 18 ans pour
la mémorisation du Coran, une éducation religieuse de qualité et l’acquisition essentielle
des compétences de base visées dans le cycle fondamental » (R. S., 2012, p. 4). Pour
apporter des rectifications dans la mise en œuvre du projet et de mieux s’engager dans la
voie de cette innovation, la Lettre de Politique Générale (2013 – 2025) a précisé
l’orientation en matière d’éducation voulue par le Sénégal en insistant sur : « un système
d’éducation et de formation, efficace et efficient, conforme aux exigences du
développement économique et social, plus engagé dans la prise en charge des exclus et
fondé sur une gouvernance inclusive, une responsabilité plus accrue des collectivités
locales et des acteurs à la base ». En d’autres termes, la politique de prise en charge de
tous les enfants fréquentant ces structures parallèles au système classique pousse l’Etat
du Sénégal à envisager et à mettre en place : « un sous-secteur réglementé, normé, et
des "daara" aux conditions améliorées à travers un processus de modernisation du cadre
physique, une gouvernance inclusive, des programmes de nutrition, de santé et
d’enseignement rénovés, avec des enseignants et des maîtres coraniques bien formés
qui assurent aux apprenants une éducation religieuse de qualité et les dotent des
compétences enseignées dans le cycle fondamental » (Cf. LPG, 2013-2025).

377
Ainsi, en 2013, avec le programme PAQUEB-"daara" en partenariat avec la Banque
mondiale et le projet d’appui à la modernisation des "daara", financé par la Banque
Islamique de Développement (BID) pour une durée de cinq (5) ans et d’un coût total de
dix (10) milliards de francs CFA, l’Etat, outre l’objectif de la scolarisation universelle,
cherche à diversifier l’offre d’éducation et à valoriser d’autres options à côté du système
classique. Le Chef de l’Etat dira, à cet effet, que « Le concept de "daara" moderne est
donc à appréhender au sens d’un renforcement des acquis en mémorisation du Saint
Coran et en maîtrise des sciences islamiques chez l’enfant en lui offrant des opportunités
d’accès aux autres savoirs scientifiques et compétences de base développés dans les
programmes scolaires. A ce titre, l’Etat renforcera les moyens des "daara", en termes de
ressources humaines, matérielles et financières, en vue d’atteindre nos objectifs pour une
éducation de meilleure qualité » (Cf. Discours officiel du Président Macky Sall, le 28
novembre 2013, à Sorano, Dakar). Dans la logique de la politique de l’Etat en faveur des
exclus du système, l’Inspection des "daara", chargée de concevoir le curriculum, de mettre
en œuvre la politique de modernisation et par conséquent, de piloter le Projet d’Appui à la
Modernisation des "daara" (PAMOD), s’est engagée dans un processus de "testing" d’un
échantillon de 10 "daara". Leur objectif est de mettre en œuvre et de tester ce curriculum
en vue d’améliorer ses différents outils. La phase de "testing" vise à proposer le CDM à
ces "daara testeurs", à collecter et analyser les résultats et avis des acteurs impliqués
pour déterminer les points forts des différents outils et au besoin procéder à une
amélioration de ces derniers avant de les généraliser. En outre, ces structures sont
appelées à être accompagnées aussi bien sur le point de vue de la « qualité » que de la
« gestion » par l’installation d’un dispositif de suivi pour la réussite de cette phase du
"testing". A travers ce projet, l’Etat associe les responsables de "daara", le collectif et les
associations de maîtres coraniques, les marabouts et guides religieux dans la réflexion et
la préparation de la généralisation de l’innovation. Les différentes formes de collaboration
mises en place témoignent en effet, de l’intérêt que les autorités publiques portent à leur
égard. L’implication des acteurs précités depuis le séminaire préparatoire de juillet 2002
dans la recherche de solutions pour atteindre les différents objectifs visés, dans
l’élaboration et la mise en œuvre de ce projet en faveur des "daara", en passant par leur
engagement et les actes posés dans ce sens, peut être interprétée comme un signe visible
démontrant leur influence, l’intérêt qu’ils ont toujours porté à l’éducation des enfants et des
jeunes au Sénégal. Les responsables de "daara", parmi lesquels figurent des imams et

378
des marabouts, constituent une force dans le pays, force avec laquelle il faut composer
pour la bonne marche de la société. L’évolution et l’exécution du projet d’appui à la
modernisation des "daara" a révélé une approche participative de l’Etat. La gestion de ces
structures appartenant à des guides religieux, à des marabouts ou à des intellectuels
musulmans ne saurait être basée sur une politique d’imposition. L’enquête a d’ailleurs
montré qu’à un moment donné les autorités politiques et académiques ont été obligées
d’utiliser la voie de la collaboration et de la discussion, pour permettre au projet de
connaître des avancées significatives. Dans ce sens, un véritable processus de
négociation a été instauré par la puissance politique. Celui-ci implique les bailleurs
internationaux, les religieux, le collectif et les associations des maîtres coraniques… Le
blocage du projet de loi portant statut du "daara" peut être interprété comme l’évolution du
rapport de force entre le pouvoir politique et les guides religieux. Les responsables de
"daara", acteurs incontournables, entendent jouer un rôle de premier ordre dans
l’exécution du projet tout en préservant l’objectif premier de leurs écoles, qui reste la
mémorisation du coran et la transmission des savoirs et du message islamique. Cette
finalité – à en croire certains acteurs des "daara" – n’est en aucun cas modifiable même
si, dans l’ensemble, ils sont ouverts à l’inclusion de programmes nouveaux et à une aide
conséquente de l’Etat. Au niveau pédagogique également la cohabitation de deux modes
de transmission risque d’accentuer ce rapport de force entre les maîtres coraniques et les
autorités académiques, politiques. L’enseignement au niveau des "daara" se fait d’une
manière généralement oral. Les élèves doivent apprendre par cœur et retenir de mémoire
les versets du coran et les textes sacrés. Cette aptitude intellectuelle a toujours été
privilégiée dans ces structures ; c’est une tradition immuable. Cependant, avec le projet
de modernisation des "daara", les élèves découvrent de nouvelles méthodes
d’apprentissage mises en place par le curriculum des "daara" modernes. Deux types
d’écoles donc s’affrontent dans le même espace physique. Reste à espérer que les
élèves-talibés en soient les principaux bénéficiaires dans ce pluralisme des modes de
transmission.

379
En résumé, le concept de "daara moderne" – même si ce principe de nouveau type de
"daara" existait bien avant grâce à des promoteurs indépendants – s’est propagé depuis
les années 2000 et fait aujourd’hui office de référence en termes d’écoles coraniques. En
quinze ans, il est passé d’une phase de contestation à celle d’une vision partagée par
l’ensemble des acteurs et des structures liées à ce sous-secteur du système éducatif
(Ministère de l’éducation – inspections – collectif et associations de maîtres coraniques…).
Cette enquête a montré que le "daara moderne" est à considérer comme une
transformation qualitative de son modèle traditionnel en vue de son intégration dans le
système. Il offre aussi la possibilité à ces élèves des opportunités d’ouverture au monde.
Dans cette logique, sa généralisation à l’ensemble des "daara" au niveau national ne peut
qu’être appréhendée comme une urgence, voire un impératif.

8- 4 CONCLUSION

La réforme, comme elle a été traduite, – du moins dans ces deux aspects étudiés :
l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires, la création
d’écoles franco-arabes et le projet de modernisation des "daara" –, a apporté des
changements significatifs. Elle marque une rupture dans le système éducatif qui a le
mérite de cadrer avec les réalités du pays. Il semble donc que l’Etat soit engagé dans une
politique inclusive d’éducation diversifiée offrant à toutes les sensibilités divers modèles
d’organisation de l’école correspondant à leur demande. Ces innovations ont ainsi permis
de revisiter les dimensions historiques, sociales et politiques de l’éducation religieuse au
Sénégal ; celle-ci s’étant frayée une place dans les programmes de l’école publique
élémentaire. Elles ont aussi mis à jour de nouvelles formes de collaboration entre l’Etat et
les différentes communautés religieuses. Cependant, la réforme de 2002 a montré, en
définitive, qu’il peut exister des différences entre la vision politique clairement définie et la
réalité sur le terrain. Les entretiens menés dans le cadre de cette enquête ont permis de
déceler des dysfonctionnements dans la mise en œuvre du dispositif d’éducation.
Néanmoins, tous les acteurs de l’école interrogés s’accordent sur l’importance d’une telle
réforme dans le système éducatif. Aujourd’hui, transmettre des savoirs et éduquer les
enfants selon les valeurs morales, sociales, culturelles, voire religieuses constitue une
nécessité dans un contexte marqué par des bouleversements profonds. Le rôle de l’école,

380
dans la continuité de celui de la famille, est de donner aux enfants une éducation complète,
qui, au Sénégal, ne saurait négliger ou laisser de côté la religion. De ce fait, considérée
comme miroir de la société, la sphère scolaire publique, lieu par excellence où se côtoient
les membres des différentes communautés religieuses, a décidé d’intégrer dans ses
curricula, une éducation religieuse et de prendre en charge la question des "daara". Ces
différentes innovations montent, en quelque sorte, que le religieux est encore porteur de
sens et de lien au Sénégal. L’avis des différentes communautés religieuses et d’une
frange importante de la population a été pris en compte par la puissance politique. Les
autorités étatiques chargés de piloter la réforme de 2002 se sont appuyées sur les
ressources de toutes les composantes religieuses, notamment leur expérience dans le
domaine éducatif pour mettre en œuvre les différentes innovations. Cet appui sur les
différentes stratégies développées par les familles et les confréries religieuses a poussé
l’Etat, en dehors de ces deux innovations, à se lancer dans la construction d’écoles
publiques franco-arabes, autre alternative complétant les mesures entreprises dans un
but inclusion et de diversification de l’offre. Villalon L. et Bodian M. se sont intéressés,
dans leur étude menée en 2012, aux différents aspects de la réforme de 2002 et ont
accordé une attention particulière à l’expansion des écoles franco-arabes publiques à
partir de 2002 à travers le pays:

(…) la réforme va au-delà de la simple introduction de l’enseignement arabo-islamique dans le


système classique et la modernisation des daara. Elle marque une transition qui inaugurerait ce
qu’on pourrait bien considérer comme la fin de l’école coloniale et la naissance d’une école nouvelle.
L’introduction de l’enseignement arabo-islamique dans le système éducatif soulève aussi des
interrogations sur le renouvellement des élites, l’avenir des institutions laïques et, dans le long
terme, la réorientation de l’axe de la coopération particulièrement avec les pays arabes. En un mot,
plus qu’une réforme, l’introduction de l’enseignement arabo-islamique dans le système classique et
la modernisation des daara est un véritable outil de changement social, avec cependant des
conséquences politiques et économiques qu’il conviendra de déterminer. (Villalon et Bodian

2012, p. 43).

381
Il semble donc que les aspects de cette réforme entraînent des conséquences d’une part
sur l’éducation et d’autre part sur l’organisation de la cité. Au regard de l’analyse de
contenu des discours des acteurs de l’éducation, on peut donc conclure que ces
différentes innovations s’inscrivent dans une suite logique du processus historico-culturel
propre à la société sénégalaise et ouvrent d’autres perspectives. Elles ont, semble-t-il, le
mérite de dévoiler la ou les traduction(s) pratiques de la laïcité au Sénégal. Dès lors, il
s’agit, dans ce dernier chapitre, au vu de ces principaux éléments recueillis dans les
différents discours des acteurs de l’école, de procéder à la typologie du modèle et des
visions de la laïcité en lien avec notre problématique. Cela permettra ainsi de confirmer
ou infirmer les hypothèses formulées.

382
CHAPITRE 9
LE REGIME ET LES VISONS DE LA LAÏCITE AU

SENEGAL
La problématique de la présente recherche a montré que la laïcité au Sénégal a souvent
été l’objet d’un « conflit d’interprétation ». Elle fait débat et n’est pas sans malentendu.
Toute la première partie de notre thèse a essayé, en insistant sur la longue histoire de la
laïcité, de dégager son véritable sens et ses fondements. Ce principe d’organisation
politique défini par le droit à travers des textes de loi vise en effet l’émancipation de
l’appareil étatique par rapport à la religion, à toute forme de pression ou de tutelle
quelconque ; ses finalités restent donc la liberté de conscience et l’égalité de tous les
citoyens. Vu sous cet angle, il a une dimension universelle que l’on retrouve dans le texte
de loi fondamental du Sénégal. Dans ce pays, le processus de laïcisation a été mis en
œuvre au lendemain des indépendances de façon institutionnelle ; dès la première
constitution, la laïcité a été juridiquement choisie comme attribut de la république pour
permettre le pluralisme de toutes les convictions religieuses et garantir le vivre-ensemble
même si parallèlement les différentes identités religieuses continuent de s’affirmer. L’Etat,
tout en assurant les libertés collectives et individuelles et en veillant sur elles, tente, tant
bien que mal, de maintenir des relations particulières et multiformes avec toutes les
familles religieuses par l’octroi d’avantages certains. Notre étude a montré, à travers
diverses accommodations, l’existence d’un modèle proprement sénégalais de laïcité, mais
aussi de plusieurs conceptions intellectuelles de ce principe. L’examen des effets de la
réforme de 2002 dans le système éducatif sénégalais est venu confirmer ces faits. Les
discours des différents acteurs de l’école sur l’introduction de l’éducation religieuse et le
projet de modernisation des "daara" vont aussi jouer un rôle important et permettre d’avoir
de la matière pour réaliser une classification des différentes configurations de la laïcité
suivant les groupes sociaux ou les individus, ainsi que les périodes historiques.

383
9- 1 LAÏCITE AU SENEGAL, UN MODELE EN PERPETUELLE ADAPTATION

Reconnue et considérée d’abord comme mode d’organisation politique et juridique des


différents services et institutions de l’Etat, la laïcité est devenue ensuite un principe
constitutionnel. Elle poursuit inévitablement partout, deux finalités que sont : la liberté de
conscience et l’égalité entre tous les citoyens. Aujourd’hui, dans le monde, ce principe
connaît parfois des interprétations aussi éloignées les unes des autres et se nourrit des
réalités spécifiques propres à chaque pays et soutenues par des facteurs historiques,
socioculturels, voire aussi géopolitiques. D’un contexte à l’autre donc, la laïcité n’est pas
tout à fait traduite de la même manière. Au Sénégal, elle s’est progressivement adaptée
à la situation locale marquée par l’affirmation visible des identités religieuses qui occupent
de plus en plus une place importante dans l’organisation de certaines institutions comme
l’école de la république. Ceci nous amène maintenant à discuter les résultats obtenus afin
de pouvoir confirmer ou infirmer nos trois hypothèses formulées. Rappelons la première
hypothèse de notre recherche :

Hypothèse 1 :

Les innovations de 2002 dans le système éducatif sénégalais, parmi


lesquelles l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles
publiques élémentaires et le projet de modernisation des daara,
témoignent du modèle propre de laïcité et précisent les contours de celui-
ci qui, vraisemblablement, laisse de plus en plus de place à l’affirmation
des signes et symboles religieux dans les différentes institutions de l’Etat
et dans la société civile.

384
9- 1- 1 L’inculturation progressive de la laïcité

La première partie de cette thèse, intitulée cadre théorique et méthodologique et


consacrée à la situation particulière du Sénégal, a clairement montré que malgré son
universalité certaine, dès son adoption comme principe de base sur lequel est fondé et
repose l’Etat, la laïcité est traduite différemment de sa ou ses version(s) française(s).Une
approche intellectuelle de la laïcité défend la possibilité d’une existence de diverses
conceptions soutenues par différents groupes sociaux (cf. Baubérot, 2015). Il faut dire
qu’en général, les gens reconnaissent qu’elle renvoie à l’indépendance de l’Etat vis-à-vis
de toute autre autorité qui pourrait empêcher son impartialité envers tous les individus qui
composent la nation. Cependant, ceci ne contredit pas la possibilité d’apparition de
particularités suivant les contextes nationaux. Il semble en effet que l’organisation des
relations entre l’Etat sénégalais et les différentes confessions religieuses soit en réalité
assez éloignée de ce qui a lieu en France, voire dans les autres Etats du monde qui se
définissent comme laïques, même si des similitudes peuvent être notées au niveau de la
sous-région subsaharienne, marquée par une très importante religiosité. D’un pays à
l’autre, la situation ou la traduction du principe de laïcité change ; entre le Sénégal, les
pays arabes, les puissances occidentales, etc., nous n’avons pas les mêmes réalités ;
nous sommes face à des contextes pluriels qui puisent leur fondement dans l’histoire et la
culture propre à chaque pays. Au Sénégal, les manifestations et les fêtes religieuses sont
célébrées avec beaucoup de ferveur et peuvent même influer sur l’organisation de la
marche de la République. L’Etat apporte son aide à toutes les communautés religieuses
et leur octroie des subventions et des avantages considérables, ce qui ne lui enlève pas
son rôle protecteur des droits naturels des individus et de gardien des libertés individuelles
et de l’égalité de tous devant la loi.

385
Il a également été révélé dans cette première partie, que l’accession à l’indépendance du
Sénégal n’a pas modifié les relations entre le spirituel et le temporel qui vont se poursuivre.
L’influence des familles religieuses sur la gestion des affaires publiques, après 1960, a
été très forte. Les guides religieux ont joué des rôles très importants au côté des hommes
politiques (Magasssouba, 1985, Brossier, 2004, Gervasoni et Guèye, 2005, etc.). Les
marabouts ont toujours été considérés comme des régulateurs sociaux, voire aussi des
défenseurs de l’intérêt du pays et des populations. Certains d’entre eux se sont même
appropriés la fonction d’acteurs politiques. Cette forte présence du religieux sur la scène
politique, l’influence des guides religieux, ainsi que le phénomène dit de la période des
consignes de vote, ont, un moment donné, rouvert le débat sur la laïcité afin de repenser
les relations entre le politique et le religieux. Jusqu’où la religion peut-elle être associée à
la gestion des affaires étatiques ? Le caractère laïque de l’Etat qui fonde les bases de
notre vie en société impliquerait-il une réinvention du fonctionnement de la société où la
religion a joué une place considérable ? Ces interrogations témoignent de l’apparition
d’une nouvelle conscience citoyenne, d’un changement d’enjeux, ainsi que d’une
fragmentation du lien social. Cependant, ce processus de négociation de l’organisation de
la vie publique et politique se heurte à une forte influence des religions sur les affaires de
l’Etat dans ce pays constitué à 94% de musulmans. Quoi qu’il en soit, au Sénégal, l’Etat
n’a pas pour vocation de protéger ses citoyens contre la religion qu’il reconnaît. La
constitution, en son article premier, stipule d’ailleurs que la laïcité « respecte toutes les
croyances ». L’application du principe de laïcité, au quotidien, laisse place à de
nombreuses accommodations. En définitive, il semble que, sans perdre sa substance
originelle, le principe de laïcité s’est acclimaté aux réalités sénégalaises pour reprendre
une expression de Samb (2005). Elle s’est donc enrichie et éclairée de la tradition
sénégalaise pour se forger une identité propre qui respecte la liberté et l’égalité, deux
piliers nécessaires à une bonne compréhension et conception de la vie ensemble dans
une communauté nationale. Et comme l’a rappelé Mbonda (2016), en Afrique, deux
modèles de laïcité se sont développés : « une forme radicale, d’inspiration marxiste, et
une forme ouverte, compatible avec la place de la religion dans l’espace public et
éducatif. » (p.13). Contrairement au premier modèle où la laïcité se définit comme une
forme de lutte contre la religion, le deuxième modèle accorde une ouverture à la religion
et prête une attention toute particulière à la diversité religieuse. Cela, sans aucun doute,
permet d’identifier la forme de laïcité qui s’est développée au Sénégal.

386
Toutes ces considérations spécifiques et les différents aménagements auxquels l’Etat a
dû faire face permettent de soutenir que la forme de la laïcité sénégalaise est tout à fait
compatible avec l’expression du religieux dans l’espace public. Elle accorde une nette
importance à la garantie du pluralisme.

Les religions, en quelque sorte, conservent une large influence au Sénégal où le principe
de laïcité a été constitutionnellement choisi comme mode d’organisation politique.
L’ensemble des institutions de la république répondent aux caractères d’un Etat laïque.
L’école publique comme institution de l’Etat est laïque et gratuite ; elle est ouverte à tous
les enfants sans distinction de race, ni de religion. Vue comme lieu de socialisation, elle
s’est développée après l’indépendance du pays. Cependant, l’aide internationale et les
liens qui unissent la jeune nation sénégalaise et l’ancienne métropole rendent son
système éducatif en partie, dépendant de l’extérieur. Ceci entraîne une certaine forme
scolaire imposée jusqu’au début des années 2000. Celle-ci ne laissait aucune place à la
possibilité d’introduire la religion dans ses programmes. Malgré la demande maintes fois
renouvelée de la part des communautés religieuses et d’une frange importance de la
population, suite aux états généraux de l’éducation et de la formation, tenus en 1981, la
religion a été écartée de l’école républicaine. Une nette distinction a été opérée entre
l’enseignement laïque, dispensé dans les écoles publiques et l’enseignement religieux qui,
du reste, était laissé aux bons soins des différentes communautés ou familles religieuses.
Ainsi, ce modèle d’école publique, même s’il a été accueilli et toléré, fut-il également rejeté
par certains groupes sociaux. Ceci a eu comme conséquence le développement d’écoles
communautaires, d’écoles non formelles, bref, d’un système parallèle où l’éducation
religieuse occupait une place centrale. Cette situation, nous l’avons montrée, a été une
des causes de la faiblesse du taux brut de scolarisation du Sénégal. Avec l’alternance
politique, les nouvelles autorités étatiques ont pris une série de mesures qui ont davantage
répondu à la demande sociale des populations et qui ont ainsi réadapté l’éducation au
modèle proprement sénégalais de la laïcité.

387
9- 1- 2 Les réajustements éducatifs de 2002

L’alternance politique qui a vu l’arrivée au pouvoir du parti démocratique sénégalais (PDS)


a redonné une certaine visibilité au religieux dans sa sphère politique. La place des guides
religieux en particulier et en général, la question des relations entre le politique et le
religieux ont été au cœur des débats sociétaux. Avec ce changement de régime politique,
un autre palier a été franchi dans la traduction du principe de laïcité au Sénégal. De
nouvelles formes d’interventions des acteurs religieux dans plusieurs domaines tels que
le champ économique ou politique, ont vu le jour. Les innovations de 2002 témoignent
ainsi de la volonté des autorités politiques de mettre en place une école nouvelle
commune répondant aux réalités socioculturelles. La réforme lancée par le gouvernement
de l’alternance constitue l’aboutissement d’un long processus d’unification des
programmes d’enseignement. Celui-ci a introduit l’éducation religieuse dans les écoles
publiques élémentaires et a aussi diversifié l’offre éducative, en créant des écoles
publiques franco-arabes et en lançant le projet de modernisation des "daara". Face à
l’insatisfaction d’une partie de la population concernant le fonctionnement de l’école et ses
curricula, des modifications institutionnelles ont été apportées ; elles ont permis l’inclusion
de la religion dans l’école laïque. Cette innovation participe à donner plus de clarté au
modèle de laïcité en vigueur au Sénégal tout en précisant ses contours. Cette idée est
d’ailleurs confirmée dans le rapport du MEN de 2002. D’après le ministre de l’éducation
d’alors : « notre projet sur l’introduction de l’éducation religieuse dans le système éducatif
suppose qu’on ait du concept de laïcité une approche positive. La laïcité ne saurait pour
nous, être considérée comme un concept qui met la religion et l’Etat dans une
ambivalence désuète. » (Cf. Men, 2002).

Il semble en effet que le principe de laïcité s’est inscrit dans une dynamique
d’inculturation ; il garde ses fondements tout en s’enrichissant des réalités sénégalaises.
Ndiaye M. (2012) utilise l’expression de « résilience de la laïcité », dans sa thèse de
doctorat, pour montrer l’attachement de la plupart des citoyens à ce principe d’organisation
politique, régulateur du vivre ensemble dans la communauté nationale. Son adaptation au
contexte historique, social et culturel ne peut que renforcer son acceptation. Il faut donc

388
voir derrière la réforme du système éducatif en 2002 toute une politique d’adaptation de
la laïcité marquant une rupture avec cette méfiance de l’inclusion de la religion dans la
sphère scolaire. D’après Villalon L. et Bodian M. (2015) : « Ce qui est vraiment frappant,
c’est qu’il n’y a quasiment pas de résistance à cette réforme au nom de la laïcité au
Sénégal. Il nous semble que ce fait marque une profonde évolution de la sociologie
politique du Sénégal par rapport aux premières décennies des indépendances. Le
Sénégal sous Macky Sall semblerait beaucoup plus ancré dans sa réalité socioreligieuse
que l’Etat hérité à l’indépendance » (pp 91-92). L’école laïque qui, des indépendances au
début des années 2002, résistait à l’introduction de la religion, cède sous la pression
continuelle et renouvelée des familles religieuses et d’une grande partie du peuple
sénégalais. Elle symbolise aussi, de ce fait, la réalité nationale en matière de laïcité ; elle
est un exemple saillant de ce qui se vit dans la société. L’enquête sur le terrain est venue
appuyer cette affirmation. D’après l’inspecteur Moustapha Mbaye, IEF de Mbour 2, « (…)
Si à un certain moment on a accepté d’introduire l’éducation religieuse, c’est pour tenir
compte des réalités sociales et satisfaire la demande des populations ; la laïcité n’est pas
remise en question par ces innovations. » (Entretien n° 3). L’inspecteur Alassane
Mbengue de l’IA de Matam abonde dans le même sens. Pour lui, « le principe d’un Etat
sénégalais laïque n’a pas été modifié. Au Sénégal, nous n’avons pas de problème avec
la laïcité. Si vous allez dans beaucoup de services publics, vous trouverez des
exemplaires du coran, de bible, des nattes pour prier, etc. Cela fait partie du vécu et ne
pose pas problème. » (Entretien n° 5). D’après l’inspecteur El Hadji Moussa Sène, IEF
de Diourbel : « le modèle de laïcité prôné au Sénégal est différent du modèle français. (…)
La tolérance fait qu’au Sénégal, nous avons une bonne cohabitation entre les différentes
confessions religieuses. Cette réalité est à prendre en compte. L’introduction de
l’éducation religieuse n’apporte pas une perturbation par rapport au principe de laïcité.
C’est dans le cours normal des choses. » (Entretien n° 6). Toutefois, l’inspecteur
Mamadou Diouf, responsable de l’éducation religieuse à l’IA de Dakar insiste sur la
nécessité d’être vigilant. Selon lui : « cette réforme, à mon avis, ne pourra pas modifier les
équilibres si elle est bien encadrée. Vous savez, de plus en plus, nous voyons émerger
dans plusieurs pays un modèle de laïcité dite positive. Et donc, à mon avis, le Sénégal est
en train d'adopter une laïcité positive. » (Entretien n° 7).

389
Au niveau des autres acteurs de l’école et également des religieux interviewés, les propos
vont dans le même sens. Ces innovations traduisent la conception que les sénégalais se
font de la laïcité. Pour le professeur Seydou Khouma : « la laïcité sénégalaise est positive
dans la mesure où elle n’empêche pas à l’Etat de s’occuper de la religion ou de l’éducation
religieuse. Mais l’Etat en tant que tel ne se fonde pas sur une religion quelconque, fut-elle
chrétienne ou musulmane. Cela, quand même, est une garantie que nous avons au
Sénégal ». D’après Serigne Saliou Sall, responsable de "daara" à Matam : « la laïcité,
comme on l’entend souvent, c’est une société où Dieu est absent. L’Etat est organisé de
telle sorte la religion est mise de côté. Cependant, dans un pays où les gens sont
profondément religieux et où vous avez une tradition de pratiques religieuses visibles,
comme le Sénégal, vous ne pouvez pas exclure la religion ». (Entretien n° 22). Cette
réalité fait dire à l’abbé Patrice Mor Faye du diocèse de Thiès, qu’« au Sénégal, on s’est
inspiré de la loi de 1905 en France mais qui a été différemment interprétée, pour
schématiser : d’abord comme l’Etat n’acceptant aucune religion et ensuite, comme l’Etat
acceptant toutes les religions de façon égale. (…) Nous sommes donc pour cette laïcité
qui vient favoriser la cohésion sociale et le respect de chaque citoyen dans ses
convictions. » (Entretien n° 23). Il semble en effet que la spécificité de la laïcité
sénégalaise s’est nourrie des réalités socioculturelles internes et propres au pays. Le frère
Pierre, responsable de la catéchèse à Thiès reconnaît cette originalité de la laïcité au
Sénégal, qui accorde des privilèges aux différentes familles religieuses, et que les
innovations de 2000 n’ont fait que préciser davantage :

A mon sens, il n’y pas eu modification de l’équilibre après l’introduction de l’éducation religieuse.
(…) Il y a plusieurs définitions et conceptions de la laïcité. Au Sénégal, le respect et la bienveillance
vis-à-vis des religions est un fait. La laïcité de l’état sénégalais est sénégalaise : l’Etat est ouvert
aux religions, à l’aspect religieux. Il le prend en compte. Au pèlerinage marial de Popenguine
organisé par et pour les catholiques, le premier ministre est là à la tête d’une importante délégation ;
ce même premier ministre va aussi à Touba et à Tivaoune, aux rendez-vous importants des
différentes confréries musulmanes. Il y a un soutien financier et matériel de la part des autorités
étatiques. Je crois que le religieux fait partie de la vie des sénégalais et qu’il est pris en compte par
l’Etat. Pour moi, c’est clair. (Entretien n° 24).

390
Notre étude dévoile ainsi, à travers le discours des acteurs de l’école, le prolongement
d’un processus de mise en place d’une laïcité proprement sénégalaise, entamé au
lendemain des indépendances et dont les innovations de 2002 dégagent une version
nationale. Celles-ci permettent donc d’afficher sa singularité et ses particularités par
rapport aux modèles traditionnels tels qu’ils sont traduits en France, en Grande Bretagne,
aux Etats Unis, etc. L’école se démarque ainsi petit à petit de son modèle occidental pour
mieux véhiculer les réalités sociales et culturelles particulières du Sénégal. C’est à ce titre
qu’il semble que la première hypothèse de la recherche peut être confirmée, à savoir que
l’école laïque, institution de l’Etat, reflète la forme de laïcité en vigueur. Les innovations de
2002 témoignent donc d’une forme libérale pluraliste de laïcité qui aménage une
place importante à la religion dans le fonctionnement de l’Etat et de ses institutions.

9- 2 LAÏCITE AU SENEGAL : COHABITATION DE DIFFERENTES VISIONS

Partout où la laïcité a été proclamée, sa concrétisation a laissé apparaître des éléments


spécifiques liés au contexte national. Ses quatre principes de base – la séparation des
pouvoirs, la neutralité de la puissance publique, la liberté de conscience, l’égalité de tous
– s’articulent de façon différente suivant les pays et le temps, et font ressortir différentes
visions de la laïcité au sein d’une même société. Notre recherche nous a donc amenés à
distinguer quatre types de laïcités au Sénégal : la laïcité « séparatiste inclusive », la
laïcité « cultuelle ou de proposition », la laïcité « égalitaire » et la laïcité « de non-
reconnaissance ».

9- 2- 1 La laïcité « séparatiste inclusive »

Elle est la forme de laïcité dominante incarnée par les différents régimes politiques qui se
sont succédés tout au long de l’histoire du Sénégal, des indépendances à l’époque
contemporaine. Cette vision de la laïcité tente de créer une certaine forme d’adaptation
entre la proclamation institutionnelle de ce principe d’organisation politique et les réalités
socioculturelles propres au pays. La séparation des pouvoirs, et par conséquent la

391
neutralité de l’Etat sont traduites de façon spécifique donnant un champ d’action important
à la religion, ou plus exactement aux différentes religions. Ainsi, le développement de cette
vision de la laïcité a-t-il pour objectif de confirmer ou d’infirmer la deuxième hypothèse de
notre recherche qui a été formulée ainsi :

Hypothèse n° 2 :Les rapports historiques, complexes, multiformes, voire


ambigus, entre l’autorité politique et les chefs religieux empêchent au Sénégal
l’application d’une laïcité qui suppose une séparation stricte des pouvoirs et
aussi par conséquent une neutralité absolue.

En France, la loi du 9 décembre 1905 dite loi de « Séparation des Eglises et de l’Etat »
s’est imposée comme la loi du compromis ratifiée après plus d’un siècle de luttes grâce,
notamment, à la détermination de certains députés comme Aristide Briand, Jean Jaurès,
Ferdinand Buisson… Elle sépare les organisations religieuses de la puissance publique
et remplace ainsi le concordat de 1801. De par son histoire, la séparation des différentes
institutions religieuses et de l’Etat est souvent considérée comme un élément important,
voire incontournable du principe de laïcité. C’est un moyen pour arriver aux finalités
poursuivies (Baubérot et Milot, 2011). En ce sens, elle constitue une caractéristique à
prendre en compte pour étudier la laïcité. A l’ère moderne, une place importante revient à
la séparation des religions et de l’Etat dans beaucoup de démocraties. A travers le cadre
théorique de notre recherche (Cf. Chapitre 5), nous avons montré qu’en France, la
révolution de 1789 a entraîné une rupture dans les rapports entre l’Eglise catholique et les
autres institutions de la République ; et que la situation conflictuelle entre les « deux
France » a conduit en 1905 au vote de la loi dite de « séparation des Eglises et de l’Etat ».
Il semble donc, dans ce cas précis, que la laïcité correspond d’abord à un cadre juridique
qui a été mis en place à partir de la Révolution Française, notamment avec l’instauration
de l’état civil, et complétée avec les lois laïcisantes de la Troisième République.
L’émergence du principe de laïcité en Occident est en quelque sorte liée à cette séparation
des deux pouvoirs. Mais suffit-elle pour résumer, à elle seule, la laïcité ? D’après Emile
Poulat (2003), « ce que nous appelons, pour faire court, la laïcité en est venu, dans
l’imaginaire français – laïque ou religieux –, à s’identifier et à se résumer à la loi du 9
décembre 1905, “concernant la séparation des Églises et de l’État”. À tort » (p. 12).

392
Manifestement donc, on établit communément une certaine connexion entre les deux
termes. De nombreux auteurs ont aussi eu à formuler des critiques à l’encontre de cette
tendance à définir le concept de laïcité par rapport à la séparation. Baubérot et Mulot
(2011) affirment que la laïcité, comme elle est traduite aux Etats-Unis et en France « …
consisterait, selon plusieurs auteurs critiques de ce type de régime, en un aménagement
des rapports entre l’Etat et les religions reposant essentiellement sur leur séparation
stricte. Plusieurs objections formulées à l’égard de la laïcité comme mode de régulation
de la diversité religieuse découlent bien souvent de cette assise conceptuelle posée au
départ, d’où une certaine circulation du raisonnement. » (p. 141). Il semble que, de
l’extérieur, le modèle dominant de laïcité en occident soit envisagé en référence qu’à la
séparation stricte.

Bajeev Bhargava affirme d’emblée que « dans une large mesure, la laïcité occidentale se définit
elle-même comme une doctrine universelle exigeant une stricte séparation (exclusion mutuelle) de
l’Eglise / la religion et de l’Etat, au nom de la liberté et de l’égalité des personnes » (Bhargava, 2009
b, p. 71). De la même manière, le politologue William E. Connolly (1999) associe explicitement la
conceptualisation de la laïcité à une « doctrine » (secular doctrine). Veit Bader soutient que la thèse
de la différenciation promeut une conception maximale de la séparation et néglige les divers types
de dépendance institutionnelle entre religions et politique (2007, p. 48). D’où la nécessité de redéfinir
sinon d’éliminer la conception de la laïcité de l’Etat basée sur une stricte séparation. (Baubérot et

Milot, 2011, p. 142).

La thèse selon laquelle que la laïcité s’identifie à la séparation stricte a été critiquée par
ces auteurs, spécialement le sociologue Veit Bader pour qui, il existerait un écart entre la
proclamation du principe de laïcité et la réalité concrète de sa mise en place. « Cet écart
légitimerait la critique selon laquelle la laïcité occidentale est un régime contestable
puisqu’elle ne s’applique qu’imparfaitement là où elle a pris racine. Il serait d’autant plus
inapproprié de penser appliquer ce modèle... dans des sociétés non occidentales.
(Bharagava, 1998, 2009 ; Stephan, 2000) ». (Baubérot et Milot, 2011, p. 143). Quoi qu’il
en soit, il semble que la notion de séparation soit vécue différemment d’un contexte
national à l’autre. En tout cas, pour ce qui est du Sénégal, cette recherche a montré que
le degré de séparation entre les religions et l’Etat est relatif ou du moins, qu’elle n’est pas
stricte. Toute la partie théorique de notre recherche s’est évertuée à faire ressortir cette

393
particularité contextuelle sénégalaise où de multiples arrangements et aménagements
ponctuent les rapports entre les familles religieuses et la puissance publique.
Vraisemblablement, une certaine liberté est accordée à toutes les confessions religieuses
et les croyances qui peuvent s’exprimer dans l’espace public, dans la limite du respect de
l’ordre public et des lois. La laïcité, dans le contexte sénégalais, est même apparue
comme protectrice des religions. L’Etat, de façon juridique, reconnaît aux communautés
religieuses le droit de se développer sans entrave (Cf. art 24, const. De 2001). Des
indépendances au début des années 2000, les rapports entre les hommes politiques et
les différentes familles religieuses du pays laissent apparaître la difficulté d’une séparation
stricte. Les guides religieux représentent une véritable force sociale. Leur implication dans
la vie sociale, économique, voire même politique est réelle. Ainsi, le principe fondamental
de la séparation entre les religions et l’Etat s’est fait sans rapport conflictuel, dans une
logique de considération, d’octroi d’aide, de subvention, parfois d’implication dans
certaines questions liées aux cultes ; il semble donc qu’au Sénégal s’est imposée une
séparation positive, comme l’affirmait le ministre de l’Education dans le rapport final du
séminaire préparatoire de l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques
élémentaires :

La séparation de la religion et de l’Etat doit être considérée comme une proclamation principielle,
devant être adaptée à notre contexte socioculturel. Moins qu’une séparation (religion-Etat)
péremptoire et ex nihilo, la religion doit se mouvoir dans l’Etat (compris au sens strict). L’Etat est et
restera laïque, ce qui signifie que l’Etat affiche une neutralité positive vis à vis des religions, l’Etat
reconnaît toutes les religions et garde par devers lui, la fonction régalienne de gérer le
développement des religions sans aucun parti pris. S’il est reconnu à chacun le droit de prêcher
pour sa paroisse, l’Etat a le devoir de transcender les obédiences sectorielles pour la prise en charge
effective des aspirations légitimes de tous, dans le respect des différences. (MEN, 2002).

A travers les propos du ministre de l’éducation, il apparaît clairement que la séparation de


la religion ou des religions et de l’Etat n’est pas stricte. L’institutionnalisation du principe
de laïcité ne remet en aucun cas en cause le rôle et la fonction de l’Etat laïque sénégalais
qui reconnaît toutes les religions et qui est au service de tous les citoyens quelle que soit
leur appartenance religieuse. De cette pseudo-séparation découle aussi une forme
positive de la neutralité de l’Etat et de ses différents services publics, un autre élément

394
fondamental de la laïcité. Si en France, la neutralité de l’Etat est affirmée dans la loi du 9
décembre 1905 en ces termes : « la république ne reconnaît, ne salarie ni ne
subventionne aucun culte », au Sénégal, l’Etat accorde une assistance multiforme aux
différentes familles religieuses du pays. En somme, la séparation des pouvoirs et la
neutralité de la puissance publique vis-à-vis des religions sont traduites différemment au
Sénégal.

Cette réalité sénégalaise a été confirmée lors de l’enquête sur le terrain, menée avec les
acteurs de l’école sénégalaise. Pour l’inspecteur Moustapha Mbaye, IEF de Mbour 2 :
« (…) Si à un certain moment on a accepté d’introduire l’éducation religieuse, c’est pour
tenir compte des réalités sociales et satisfaire la demande des populations ; la laïcité n’est
pas remise en question par ces innovations. » (Entretien n°2). Aussi, d’après l’inspecteur
Moussa Sène, IEF de Diourbel : « La réalité sociologique du moment ne permet pas de
fonder la laïcité que sur la séparation strique des pouvoirs. Les guides religieux constituent
une force dans le pays. » (Entretien n° 6). Cette influence du religieux dans la société
sénégalaise et notamment dans le domaine de la politique a également été soulignée par
l’inspecteur Ndiaga Diop de l’IA de Diourbel. Il voit, à travers la réforme de 2002, un
rapprochement entre l’Etat et les responsables religieux. Selon lui :

La mise en œuvre de cette innovation et l’intégration de l’éducation religieuse dans les curricula ont
permis un rapprochement entre le pouvoir étatique politique et les guides religieux. Cela n’est pas
un frein à la laïcité. Ce qu’il faut comprendre, et c’est une recommandation forte, c’est de ne pas
entrevoir le guide religieux comme quelqu’un qui est séparé de la politique. C’est ma conviction. Les
gens commencent d’ailleurs à comprendre cela avec la campagne électorale pour les législatives
qui est entrain de se dérouler présentement. Le guide religieux incarne une place spécifique dans
la société ; il n’est pas isolé ; il doit être politicien mais dans le bon sens du terme pour, en fait,
permettre l’intégration de la dimension religieuse de manière subtile dans la marche de la société.
Les isoler ne permet pas un bon développement. (Entretien n°1).

Le guide religieux, de par sa notoriété, est investi d’une mission spécifique : celle de
participer, à une certaine mesure, à l’organisation et à la gestion des affaires de la cité.
Qu’ils soient musulmans ou catholiques, ils sont écoutés par tous et leur voix est

395
prépondérante. Le caractère multiconfessionnel du Sénégal fait que l’Etat veille à la
garantie du pluralisme et à l’équilibre entre tous. Ceci pousse le frère Pierre, responsable
de la catéchèse à Thiès, à affirmer qu’au Sénégal : « l’équilibre essaie de tenir compte
des minorités. Le poids des guides religieux catholiques est énorme même s’il n’est pas
du même ordre que de celui des califes généraux des confréries musulmanes, mais ils
sont écoutés. » (Entretien n° 24).

En définitive, la forme que prend au Sénégal la séparation des religions et de l’Etat dépend
en grande partie des rapports de force idéologiques et politiques qui ont été instaurés au
sein de la société. Il semble qu’au Sénégal la séparation des pouvoirs peut être qualifiée
d’inclusive et ouverte. En fait, au regard de la nature des relations entre religion et politique
au Sénégal, il est légitime de soutenir la spécificité du régime de laïcité qui reste
imprégnée des réalités sociales. Aussi, les représentations que les différents acteurs de
l’école se font du régime politique de séparation des religions et de l’Etat, et les éléments
historiques développés dans notre cadre théorique par rapport à la question religieuse
permettent de soutenir cette thèse. La séparation est donc loin d’être stricte comme en
France et la neutralité n’est pas non plus absolue. Cela permet de confirmer la deuxième
hypothèse de notre recherche, à savoir qu’au Sénégal, les relations très étroites entre
les chefs religieux et les autorités politiques empêchent l’application d’une laïcité
qui suppose une séparation stricte des pouvoirs et par conséquent aussi une
neutralité absolue. C’est en ce sens que la première conception de la laïcité relevée est
dite « séparatiste inclusive ».

Les deux autres visions développées ci-dessous vont permet de confirmer ou d’infirmer la
troisième hypothèse formulée ainsi :

Hypothèse 3 : Le multiculturalisme incarné par la cohabitation pacifique entre


les différentes confessions religieuses et témoignant d’un réel désir de vivre-
ensemble de la part des sénégalais se traduit par la jouissance de la liberté de
conscience et par l’égalité morale de tous les citoyens.

396
9- 2- 2 La laïcité « cultuelle ou de proposition »

La laïcité « cultuelle ou de proposition » est la deuxième vision de la laïcité repérée au


Sénégal. Elle est incarnée par la majorité des Sénégalais. Cette conception de la laïcité
accorde davantage d’importance au respect de la liberté de conscience au sein de la
société et donc à la garantie de l’expression de la liberté religieuse pour tous les citoyens.
Les partisans de cette conception de la laïcité mettent en avant le respect de la liberté de
croire et de pratiquer sa religion sans en être inquiété.

A travers le cadre théorique de notre recherche, en effet, il a été rappelé que la liberté de
conscience est l’une des finalités poursuivies par la laïcité. En ce sens, elle demeure un
pilier essentiel et un des éléments de base de la laïcité. La Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789 proclame en son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour
ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre
public établi par la loi ». Comme principe fondamental, elle est reconnue et mentionnée
dans beaucoup de textes constitutionnels. Dans le préambule de la loi fondamentale
sénégalaise, il est stipulé que « la construction nationale repose sur la liberté individuelle
et le respect de la personne humaine, sources de créativité 163 ». La constitution de la
République du Sénégal garantit toutes les libertés à tous les citoyens, notamment « la
liberté de la conscience, la profession et la pratique libre de la religion » (Idem.). Ainsi
donc, l’institutionnalisation du principe de laïcité permet le libre exercice du culte par tous
et au niveau de l’espace public, l’expression de la foi par les différentes confessions
religieuses dans la limite du respect de l’ordre public encadré par la loi. A la puissance
publique revient donc la charge de promouvoir la question de la liberté religieuse partout.

La conception de la laïcité dite « cultuelle ou de proposition » a été largement défendue


par les acteurs de l’école interrogés à travers l’enquête sur le terrain, effectuée au
Sénégal. Le point de vue de certains inspecteurs de l’éducation, directeurs d’école,
parents d’élèves, guides religieux met l’accent sur l’importance de la liberté de conscience
et du respect de la liberté pour chacun de pratiquer sa religion. Pour l’inspecteur Ndiaga
Diop de l’IA de Diourbel : « la laïcité ici c’est le respect de chacun dans ses convictions

163
Cf. Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001.

397
dans ce qu’il est entrain de faire, de vivre sans pour autant qu’il y ait obstacle à un
brassage pour des intérêts qui sont communs, pour le développement de la
communauté. » (Entretien n°1). L’inspecteur Dioum, chargé de l’éducation religieuse à
l’IEF de Thiès-ville, abonde dans le même sens tout en soulignant le rôle de l’Etat dans la
garantie de l’expression libre de tous les cultes. Selon lui :

Au Sénégal, chaque citoyen peut pratiquer sa religion et vivre librement sa foi tout en respectant les
autres croyances. Le rôle de l’Etat est d’encadrer et de permettre l’expression de toutes ces formes
religieuses et du vivre ensemble. Le danger serait de vouloir s’appuyer sur ce qui se fait ailleurs ; il
faudrait plutôt partir de nos réalités et s’inspirer du mode de fonctionnement de la société. Avant
même que la laïcité ne soit institutionnalisée et ne figure dans la première constitution, c’est-à-dire,
un siècle en arrière, on retrouvait des musulmans et des chrétiens dans beaucoup de familles
sénégalaises et il y avait une entente parfaite et un respect mutuel. (Entretien n° 9).

La cohabitation harmonieuse entre les différentes confessions religieuses et le respect de


l’autre dans sa différence religieuse reviennent souvent dans le discours des acteurs de
l’école au Sénégal. Ces propos sélectionnés permettent d’étayer la thèse selon laquelle
que beaucoup de Sénégalais promeuvent la vision de la laïcité « cultuelle ou de
proposition » :

 La laïcité doit permettre à tout un chacun de pratiquer sa religion. Si elle était comprise dans ce
sens, il n’aurait pas de problème. Nous, au Sénégal, nous n’avons pas ce problème. On n’a jamais
entendu au Sénégal que les musulmans et les chrétiens s’entretuent à cause des motifs religieux.
Il y a un respect par rapport à la religion de l’autre et sa liberté de la pratiquer. (Inspecteur

Daouda Mbaye, chargé de l’éducation religieuse à l’IA de Louga, Entretien n°


10).
 En toute franchise, je ne connais pas la définition du mot laïcité ni ce qu’il englobe. Mais ce que je
peux dire, c’est que le Sénégal est un pays de religion et de croyants. La population est constituée
de musulmans et de chrétiens. Et ces deux confessions cohabitent et sont en paix. Il y a un respect
mutuel. Je pense que rien ne peut modifier ce dialogue qui a été instauré entre les Sénégalais de
tous bords. Je pense que la laïcité est respectée jusque-là où je vous parle. Il y a une certaine liberté
religieuse qui est garantie par l’Etat. Chacun peut vivre sa foi sans problème et cela n’empêche pas
qu’il y ait entente entre nous. (Entretien n°19, Imam Abdoulaye Barry, daara de Patar

Sine, dans l’IEF de Fatick).

398
 L’islam n’a rien négligé et a tout prévu. S’agissant des rapports interconfessionnels, il a donné des
recommandations sur la manière de se comporter vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas la même
religion que nous. Les rapports doivent être fluides et en bons termes. L’islam ne préconise pas la
violence. Il faut respecter chacun dans la pratique de sa religion. Au Sénégal, quoiqu’on dise, la
laïcité est respectée ; la liberté de conscience est accordée à tous, que l’on soit musulman ou d’une
autre confession. (Entretien n° 20, Serigne Mor Mbaye, daara de Louga).

 Ce qui est important c’est que nous sommes tous des Sénégalais et que chacun respecte l’autre
dans sa religion, dans ses convictions, ses habitudes et dans ses coutumes... Ce dialogue, c’est
quelque chose qui doit être pérennisé, encouragé. (…) Je pense que reconnaître la religion de
l’autre ne diminue en rien la nôtre et ne nous fait pas reculer, au contraire, cela nous valorise.
(Cheick Camara, directeur d’école à l’IEF de Louga, Entretien n° 12).

Dans le discours de ces acteurs de l’école émerge souvent la vision de la laïcité dite
« cultuelle ou de proposition » qui accorde la priorité à la liberté religieuse de tous les
citoyens. L’émergence de cette conception peut s’expliquer par l’importance accordée au
Sénégal au vivre ensemble et au pluralisme religieux. La vie sociale est le cadre idéal du
développement du sentiment d’appartenance à une collectivité commune où chacun peut
faire l’expérience de l’apprentissage de l’altérité. Comprise comme principal vecteur de la
construction au contact de l’autre, elle accorde une place centrale à la diversité religieuse
qui interpelle et invite au dialogue et au respect de l’autre différent de soi. Dans toute
relation humaine en général et en particulier, entre les individus qui pratiquent un culte
différent, le respect mutuel est un élément fondamental et nécessaire. Il semble donc, en
effet, qu’au Sénégal s’est construite une véritable relation de respect entre les différentes
religions qui se concrétise, jour après jour, dans l’apprentissage du vivre-ensemble à
travers le dialogue, la communication, les rapports de bon voisinage, le partage
multiformes (invitations officielles lors d’événements religieux, prières communes,
œcuméniques…).

Cette configuration sociale entraîne inévitablement le développement d’un sentiment


national fort d’appartenance à une même communauté. L’affirmation du principe de laïcité
tient aussi compte des différentes représentations que les individus se font de la vie en

399
commun. Ainsi, au Sénégal, encore une fois, l’Etat comme organisation politique gère les
relations entre les différentes confessions religieuses. Il accorde une attention toute
particulière au pluralisme et à l’épanouissement de toutes les familles religieuses. En
résumé, il est donc permis de défendre l’idée que la laïcité de proposition est une forme
de laïcité qui s’est développée au Sénégal. Sa caractéristique principale est de mettre en
avant la liberté de conscience, une des deux finalités poursuivies par la laïcité.
L’affirmation de la liberté de conscience entraîne aussi que toutes les croyances soient
traitées avec une certaine égalité, deuxième finalité de ce principe de laïcité.

9- 2- 3 La laïcité « égalitaire ou de reconnaissance »

La laïcité « égalitaire ou de reconnaissance » est une vision de la laïcité aussi défendu


par certains Sénégalais. Elle constitue le marqueur de la laïcité revendiqué par les
minorités et les individus sensibles à la question de l’égalité entre tous les citoyens. Cela
actualise les questions de la préservation de la diversité religieuse et de l’égalité entre
tous dans les sociétés caractérisées par le multiculturalisme.

Il est important de rappeler que tous les citoyens possèdent les mêmes droits et les
mêmes devoirs quelle que soit leur appartenance religieuse. La Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen d’août 1789, universellement reconnue, marque véritablement une
étape décisive dans l’affirmation et la reconnaissance de la liberté et de l’égalité comme
deux droits importants et inaliénables. Par conséquent, il semble logique que tous les pays
qui ont choisi le principe de laïcité comme mode d’organisation politique œuvrent pour la
garantie et le respect de ces deux éléments constitutifs des finalités poursuivies par l’idéal
laïque. Notre partie : « contexte de la recherche » (Cf. le point 4- 1), a rappelé l’impartialité
de l’Etat du Sénégal vis-à-vis de toutes les religions ; ce que la constitution sénégalaise
du 22 janvier 2001 dispose en son titre I : « la République du Sénégal est laïque,
démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans
distinction d'origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances »
(art.1). Cependant, pour préserver l’unité nationale, il a été jugé utile de préciser que «
tout acte de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, de même que toute propagande

400
régionaliste pouvant porter atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat ou à l'intégrité du
territoire de la République sont punis par la loi. » (Art.5). En effet, la dualité entre le respect
de l’égalité en vue de la préservation de la diversité religieuse et la sauvegarde de la
souveraineté nationale sur laquelle est fondée la puissance publique constitue un véritable
enjeu, voir une difficulté pour les autorités politiques. Cette problématique a conduit, dans
beaucoup d’Etats comme le Sénégal, à la mise en place d’une politique de
reconnaissance qui accorde une attention toute particulière aux minorités nationales 164.
Elle se traduit par la garantie de leurs droits et la reconnaissance de l’égalité de tous les
individus.

Notre enquête de terrain sur l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles
publiques élémentaires et le projet de modernisation des "daara" a permis d’obtenir des
points de vue qui s’inscrivent dans cette ligne de pensée. Certains propos de différents
acteurs de l’école s’orientent vers cette conception de la laïcité privilégiant l’égalité de tous
les citoyens par rapport à la politique éducative du gouvernement sénégalais. Dans leur
discours apparaissent souvent des termes en rapport avec l’égalité, l’équité ou encore
l’équilibre entre les différentes confessions religieuses. D’après l’abbé Patrice Mor Faye
du diocèse de Thiès : « (…) tous ce que l’Etat peut faire pour aider les citoyens à vivre
leur foi, il le fait dans l’égalité. Et de ce point de vue, - la laïcité - est une loi très bonne
pour le Sénégal ; cela nous permet d’éviter certaines dérives. » (Entretien n°23). Pour
Barthélémy Ndong, directeur d’école à la retraire : « La position de l’Etat par rapport à la
laïcité n’a pas changé. Le Sénégal reste un pays laïque et l’Etat traite tous les citoyens
sur un même pied d’égalité. Pour preuve, ce sont toutes les confessions qui bénéficient
d’une aide de l’Etat par rapport à la construction des mosquées, des églises. L’Etat
respecte les aspirations religieuses de tous. Pour moi, la laïcité est très élevée au Sénégal.
Cependant, il faut être vigilant par rapport à cet équilibre. » (Entretien n° 11). Cette
vigilance par rapport à l’impartialité et l’égalité à promouvoir entre les deux religions
principales poussent l’inspecteur Moustapha Mbaye, IEF de Mbour 2 à affirmer qu’« (…)
on devrait trouver le moyen d’introduire la catéchèse à l’école publique pour régler le
problème de l’équité et de l’égalité entre les deux religions, étant donné que nous avons

164
Selon le dictionnaire « Larousse » : l’expression « minorités nationales » renvoie à tout « groupe se
distinguant de la majorité de la population par ses particularités ethniques, sa religion, sa langue ou ses
traditions. »

401
aussi bien des élèves catholiques que des élèves musulmans. L’éducation religieuse au
Sénégal concerne l’islam et le christianisme. Ce que nous sommes entrain de vivre, je n’y
vois pas de problème, étant donné qu’il y a un dialogue permanent entre l’Etat et les
différentes communautés religieuses. (Entretien n° 3). Ces propos mettent en effet en
évidence la reconnaissance du droit d’égalité aux minorités religieuses. Même si le droit
de pratiquer son culte est garanti et reconnu à tous les citoyens, l’Etat doit aussi veiller à
la prise en compte de toutes les particularités pour préserver l’égalité. La laïcité devient le
cadre de la reconnaissance et de l’interaction de toutes les convictions religieuses. C’est
en cela que la conception dite « égalitaire ou de reconnaissance » trouve sens chez
certaines couches de la société sénégalaise qui cherchent à valoriser ce droit d’égalité
dans les différentes décisions concernant la vie collective.

En définitive, les visions de laïcité dite « cultuelle ou de proposition » et « égalitaire ou de


reconnaissance » mettent en avant les valeurs philosophiques et politiques parmi
lesquelles se distinguent celles des droits individuels, des libertés telles que la liberté de
consciences, de l’égalité, de la tolérance, du respect… ; en d’autres termes, un ensemble
de valeurs communes à promouvoir pour permettre le « vivre-ensemble ». Le contexte
national sénégalais, nous l’avons vu, à travers les textes institutionnels cités et les
discours des acteurs de l’école recueillis sur la laïcité, est favorable à l’expression de ces
deux finalités de la laïcité, à savoir la liberté de conscience et l’égalité entre tous les
citoyens quelle que soit leur appartenance religieuse. Elles constituent deux piliers
nécessaires qui ont favorisé la compréhension mutuelle et la conception du vivre
ensemble et donc la cohabitation harmonieuse entre tous. En somme, l’expression de la
liberté de conscience et le respect de l’égalité entre tous sont deux éléments constitutifs
et fondamentaux du modèle de laïcité libérale pluraliste. Celle-ci, accorde aussi une
importance capitale à la diversité sociale, principale caractéristique des sociétés
multiculturelles.

Cette réalité du Sénégal confirme notre troisième hypothèse de recherche : le multi-


confessionnalisme de la société sénégalaise, loin d’être vécu comme une source de
difficulté, s’appuie sur les principes de liberté et d’égalité des personnes pour promouvoir
le vivre-ensemble en privilégiant les idées de tolérance, de dialogue, de respect…Cette

402
manière accommodante de considérer l’organisation sociale et politique, caractérise la
forme de laïcité libérale pluraliste. Néanmoins, chez certains, le principe de laïcité est en
contradiction avec leur conception de la religion ; d’où cette quatrième vision de la laïcité
dite de « non-reconnaissance ».

9- 2- 4 La laïcité de non-reconnaissance ou absente

La vision de la laïcité dite « de non-reconnaissance » est véhiculée par une minorité de


sénégalais et par certaines organisations islamiques qui considèrent le droit musulman
comme la référence sur laquelle la société doit être régie. Pour ces derniers, la société ne
saurait être organisée en dehors des valeurs prônées par l’islam. Le professeur Ousmane
Ka de Columbia University, membre de « Associate Professor of international affairs »,
écrit dans sa préface du livre de Fabienne Samson (2005) : « le projet d’organiser la
société autour des valeurs de l’islam, que différents groupe réinterprètent à leur manière,
remonte à plusieurs siècles, même si ses manifestations et son enracinement doctrinal
diffèrent d’une période à l’autre, d’un contexte à l’autre. » (p. 7).

Il faut rappeler que pour certains, l’islam est à considérer à la fois comme une religion et
une loi apportant une réponse aux différentes interrogations auxquelles les fidèles
musulmans sont confrontés. Il est la source même du droit. En réalité, la religion islamique
s’est dotée d’un droit religieux qui dicte au fidèle musulman sa conduite. La loi islamique
par rapport aux différentes situations de vie peut accompagner l’individu de la naissance
jusqu’à la mort. Par conséquent, la principale source du droit musulman est la loi religieuse
appelée la « charia » qui veut dire : le chemin, la voie. Elle est fondée sur le coran et la
sunna (paroles et gestes du prophète) et est constituée d’un ensemble de règles
cultuelles, éthiques, juridiques… Pour les partisans de cette vision de la laïcité, le livre
saint, le coran, doit être la principale source d’inspiration s’agissant des règles de base et
des éléments constitutifs qui régissent l’appareil étatique et ses différents services.

403
La modernité a provoqué la remise en question des croyances, des vérités philosophiques
et politiques reconnues à une époque précise dans la société. Ainsi, la laïcité, avant d’être
considérée comme concept d’organisation politique, s’est-elle d’abord imposée comme un
état d’esprit, une idée nouvelle qui prend progressivement une distance vis-à-vis de la
religion. Aussi, malgré le passage d’une laïcité de combat à d’autres formes beaucoup
plus souples en occident, et dans d’autres contextes historiques et géopolitiques, des
régimes de coexistence tendant vers des régimes de coopérations se sont développés.
« (…), Dans un certain milieu musulman, le terme revêt le plus souvent une connotation
péjorative qui renvoie à une situation où la foi est évacuée, où la morale n’est plus
observée, où tout milite contre Dieu, ce qui est inacceptable et même doit être combattu. »
(Ndiaye A. S., 2002, dans M. C. Diop, p. 609). Le principe de laïcité, comprise, peut-être
à tort, comme une négation de la religion a entraîné, chez certains, son rejet et a
développé le sentiment d’une remise en cause de l’organisation politique. Il faut dire qu’au
Sénégal, la conception de laïcité de non-reconnaissance est portée par une minorité de
citoyens se réclamant d’associations musulmanes proches de "courants islamiques"
favorables à l’application de la charia. Comme il a été rappelé dans le chapitre 4 (Cf. p. ?),
le « courant islamiste représente des organisations et groupes d’individus influencés par
la révolution iranienne, qui militent pour l’avènement d’une société islamique régie par la
charia » (Mbaye M., 2000, cité par Les cahiers de l’alternance, n°09, les religions au
Sénégal, déc. 2005, p. 53). La question de la référence au droit islamique a aussi été
évoquée en abordant le droit de la famille à travers le contexte général de notre recherche.
Les causes liées à la situation mouvementée de la mise en place du Code de la famille au
Sénégal sont à recherche dans l’établissement d’un « pluralisme juridique » en la matière.
(Cf. Brossier, 2004 ; Sidibé, 1991). Au lendemain des indépendances, le contexte national
marqué par une volonté politique de permettre la coexistence des diversités religieuses et
ethniques, a poussé les autorités – plus précisément en 1972 – à instaurer un Code de la
famille unique pour tous ; ce qui sera à l’origine des premières tensions entre les autorités
politiques et les guides religieux musulmans. A partir des années 80, les revendications
de réforme du code réclamées par un courant islamique radical remettent à jour ces
divergences. En effet, dans le cadre du droit de la famille et de la gestion des questions
successorales, pour permettre aux individus de choisir l’offre qui répond le mieux à leurs
convictions et à leurs inspirations, l’Etat a mis à leur disposition différentes possibilités :
soit la référence au droit occidental, soit la référence au droit traditionnel qui renvoie à la

404
fois à la coutume, principalement de celle de l’ethnie wolof, et à la loi religieuse islamique.
D’après Brossier (2004) : « Le droit traditionnel correspond au droit coutumier et au droit
musulman tel qu’il est pratiqué au Sénégal. Le droit traditionnel est essentiellement
musulman, au regard de l’ancienneté de la pratique islamique au Sénégal. » (p. 83). Le
Code de famille au Sénégal a donc été élaboré à partir de plusieurs sources : coloniale-
occidentale, religieuse-islamique, et les coutumes ancestrales ; ce qui fait toute sa
complexité et rend difficile l’organisation politique et sociale. Cependant, force est de
constater que malgré le système des options, le Code de la famille, par son mode de
fonctionnement, accorde une primauté à la laïcisation du droit du statut personnel et
privilégie la modernisation du droit familial. Toutefois, la possibilité offerte à des
musulmans de se référer à la charia et d’être en conformité avec l’islam dans certains cas
précis comme le mariage, l’héritage…, renforce l’idée d’existence d’une vision de la laïcité
de non-reconnaissance, c’est-à-dire une conception de la société basée sur la charia et
non sur la laïcité comme mode d’organisation politique. Cette idée d’une conception
sociale et d’une organisation politique fondée sur le droit musulman est apparue dans le
discours de certains acteurs de l’école interviewés dans le cadre de l’enquête semi-
directive menée au Sénégal. Elle trouve d’ailleurs son fondement dans ces propos de
Serigne Mor Mbaye, responsable de "daara" à Louga : « L’islam n’a rien négligé et a tout
prévu… » (Entretien n°20) ; ou encore dans cette affirmation de Saliou Gning, enseignant
et parent d’élèves dans l’IEF de Diourbel : « c’est le système qui fait partie intégrante de
l’islam et non le contraire… » (Entretien n°28). Ce dernier soutient en effet que la laïcité
n’est pas en congruence avec notre culture et qu’en définitive, la société peut être
organisée selon d’autres bases. D’après lui :

Si on nous rappelle tout le temps que vous n’êtes pas là, à l’école, en tant que religieux, il y a un
problème. Pourquoi nous rappeler toujours que l’école est laïque, alors que nous ne sommes pas
des laïques ni des démocrates. En fait, nous avons endossé des termes qui nous font souffrir et qui
n’appartiennent pas à notre culture ; vous savez, les mots ne souffrent d’utilisation que là où ils ne
sont pas adaptés. La laïcité, c’est quoi ? C’est que la religion ne gère plus l’Etat ; l’Etat fonctionne
maintenant par des textes, des lois laïques. Quand, au Sénégal, toutes les libertés sont respectées :
la liberté d’expression, la liberté de culte à Dieu, la liberté de religion, la liberté de dire ce que nous
pensons… pourquoi parler de laïcité ? Nous amener la laïcité nous pousse à donner un autre sens
à celle-ci, à avoir une autre conception d’elle : pour beaucoup, la laïcité est devenue désormais
synonyme de l’anti-islam, l’anti-religion, de tout ce qui est contraire à la religion. Et ce régime

405
d’organisation, nous ne le voulons pas. L’islam est un projet de société, c’est un Etat, une religion
complète… Il englobe d’autres domaines autre que le spirituel : banque-assurance, commerce,
enseignement, le juridique, la gestion des affaires de la société, etc. (Entretien n°28).

En résumé, à travers cette étude, et plus particulièrement avec les différents points de vue
des acteurs de l’école interrogés dans le cadre de l’enquête semi directive menée au
Sénégal, il semble se dégager dans le contexte sénégalais quatre visions de la laïcité : la
laïcité « séparatiste inclusive », la laïcité « cultuelle ou de proposition », la laïcité
« égalitaire ou de reconnaissance » et la laïcité « de non-reconnaissance ».
Cependant, il s’avère important de ne pas perdre de vue que ces différentes conceptions
coexistent et sont en réalité interdépendantes.

9- 3 CONCLUSION

Ce chapitre a permis d’établir cette affirmation : depuis sa constitutionnalisation dans la


loi fondamentale, c’est-à-dire sa consécration législative, la laïcité est devenue la
référence capitale au Sénégal dans le cadre juridique et politique. Elle permet la garantie
de la liberté de conscience et de l’égalité de tous devant la loi grâce à la séparation des
pouvoirs et la neutralité de la puissance publique. C’est un principe d’organisation politique
qui rend possible la coexistence de toutes les diversités, qu’elles soient philosophiques,
religieuses, ethniques, etc. Dans ce sens, elle favorise le vivre-ensemble à travers la mise
en place d’un climat de tolérance qui permet le respect de toutes les convictions et des
croyances. La grande majorité des Sénégalais lui accorde une importance réelle dans la
mesure où elle est facteur d’unité et participe à la réalisation de la souveraineté nationale.
Aussi, semble-t-il la laïcité se soit « acclimatée » - pour reprendre une expression de
Samb Djibril (2005) – au contexte national et aux réalités socioculturelles locales. Grâce
à différents aménagements et arrangements institutionnels, une forme libérale pluraliste
s’est imposée dans ce pays marqué par le multiculturalisme. Celle-ci tend à préserver
aussi bien l’unité nationale que la diversité ; ce qui met en valeur les particularités de
toutes les communautés. Le respect des pratiques religieuses et la prise en compte des
différentes formes de représentations de la société en découlent.

406
CONCLUSION 3

La troisième partie de notre recherche intitulée : « cadre d’analyse et d’interprétation des


résultats de la recherche » a permis, dans un premier temps, d’examiner les effets de
quelques aspects de la réforme du système éducatif de 2002 – principalement
l’introduction de l’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires et le projet
de modernisation des "daara" – et dans un deuxième temps, de procéder à la typologie
de la laïcité au Sénégal. La description, à partir d’un corpus documentaire, de ces deux
innovations a permis de comprendre l’ambition des politiques gouvernementales. Malgré
des positions et des intérêts divergents exprimés auparavant, un consensus a permis leur
mise en place. Les entretiens semi-directifs réalisés avec les acteurs de l’école
sénégalaise ont donc d’une part recueilli leurs avis sur l’introduction de la religion dans la
sphère scolaire et sur le projet de modernisation des "daara" et d’autre part dressé, quinze
après, un bilan. Il semble donc que l’éducation religieuse représente pour les élèves un
atout important ; elle participe à leur formation humaine et en fait partie intégrante. Le bilan
dressé est globalement positif mais a révélé des dysfonctionnements qui ne sauraient
perdurer. Dans le but de préserver l’égalité entre tous les élèves, il est urgent que
l’introduction de l’éducation religieuse soit effective dans tous les établissements publics
élémentaires du Sénégal et que tous les élèves en bénéficient. L’enquête a aussi montré
qu’en quinze ans, le projet en faveur des "daara" est passé d’une phase de contestation
à celle d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs. En définitive, le concept de
"daara moderne" est à considérer comme une transformation qualitative de son modèle
traditionnel en vue de son intégration dans le système et afin d’offrir aux apprenants des
opportunités d’ouverture au monde. Sa généralisation à l’ensemble des "daara" ne peut
qu’être appréhendée comme une urgence, voire un impératif. Enfin, les données
mobilisées à travers notre cadre théorique et la prise en compte des résultats de la
recherche nous permettent d’avancer ces idées : le régime de laïcité sénégalaise
s’apparente à une forme libérale pluraliste et il existe différentes représentations de celle-
ci suivant les acteurs, le contexte, les enjeux…

407
CONCLUSION GENERALE
La situation particulière en matière de rapports entre les guides spirituels et les autorités
étatiques du Sénégal, pays laïque francophone, multiconfessionnel et multiethnique 165,
situé à l’extrême ouest du continent africain, dans la zone soudano-sahélienne, depuis
l’indépendance – ou même depuis l’époque coloniale devrions-nous dire – mais surtout
depuis le début des années 2000 ainsi que la thématique de l’éducation religieuse dans
les écoles publiques élémentaires nous ont amenés à discuter de la question de la laïcité
sénégalaise. La présente thèse a été l’occasion de revisiter le rôle et la place des religions
dans la société sénégalaise et de s’intéresser particulièrement à la relation entre école et
religion. La formulation de notre problématique de recherche était la suivante : « En quoi
les rapports entre les communautés religieuses et l’Etat d’une part et d’autre part
l’organisation des cours de religion dans les écoles publiques élémentaires et le projet de
modernisation des "daara" dessinent-ils les contours du régime de laïcité sénégalaise et
de ses différentes visions divergentes et interdépendantes ? ». Autrement dit, l’objectif
était de déterminer les différentes conceptions de la laïcité qui se sont construites à partir
de l’émergence de la nation sénégalaise et suivant le temps, le contexte historico-social
et politique, les arrangements et aménagements institutionnels, les individus, etc. L’étude
d’un tel objet sous l’angle des sciences de l’éducation a fait appel à une approche
descriptive, historique et comparative qui nous a amené à subdiviser notre travail en trois
grandes étapes. Dans cette perspective de recherche, il est d’abord apparu nécessaire
d’évoquer la réalité sénégalaise en matière de pratiques sociales religieuses et de
construction d’un idéal laïque. Ensuite, il a fallu revenir sur l’histoire du concept de laïcité
et définir les différentes techniques de recherche utilisées dans cette thèse. Enfin, nous
avons pu présenter les résultats recueillis et les principales conclusions auxquelles nous
sommes parvenues.

165
D’après la direction de la statistique et des prévisions (DSP), la population du Sénégal, estimée à 13 508
715 d’habitants en 2013 – aujourd’hui à plus de 15 millions –, est composée de 95% de musulmans, 4% de
chrétiens et 1% d’animistes. Les principales ethnies sont : "wolof" (43%), "al pular" (24%), "sérère" (15%),
"malinké" (5%), "Diola" (4%), les minorités ethniques telles que : "bassari", "cognagui", "mandjack",
"mankagne" etc. (8%), européens et libanais (1%). Données fournies par la direction de la statistique et des
prévisions (DSP), Cf. l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD, 2014, p. 61). NB :
il n’y pas pas de corrélation directe entre les ethnies et les sensibilités religieuses. (Samb, 2005).

408
En définitive, nous avons choisi de partir du modèle d’organisation sénégalais intégrant
les religions dans la vie sociale et en tenant compte des diversités d’une part et d’autre
part, de l’analyse de quelques aspects de la réforme de 2002 dans le système éducatif
sénégalais. Au fond, la réforme comme elle a été traduite a apporté des changements
significatifs. Il semble donc que l’Etat soit engagé dans une politique inclusive d’éducation
diversifiée offrant à toutes les sensibilités plusieurs modèles d’organisation de l’école
correspondant à leur demande. Le concept de "daara moderne" – même si ce nouveau
type de "daara" existait bien avant grâce à des promoteurs indépendants – s’est propagé
depuis les années 2000 et fait aujourd’hui, avec les écoles franco-arabes, office de
référence en termes d’écoles coraniques. Ces innovations ont ainsi permis de revisiter les
dimensions historiques, sociales et politiques de l’éducation religieuse au Sénégal ; celle-
ci s’étant frayé une place dans les programmes de l’école publique élémentaire. Elles ont
aussi mis à jour de nouvelles formes de collaboration entre l’Etat et les différentes
communautés religieuses. Cependant, elle a également révélé l’existence de divergences
entre la vision politique définie, les intentions proclamées et la réalité de sa concrétisation
sur le terrain. Les entretiens menés dans le cadre de cette enquête ont permis de déceler
des dysfonctionnements dans la mise en œuvre du dispositif d’éducation. Néanmoins,
tous les acteurs de l’école interrogés s’accordent sur l’importance d’une telle réforme dans
le système éducatif. Ces différentes innovations montrent, en quelque sorte, que le
religieux est encore porteur de sens et de lien au Sénégal. L’avis des différentes
communautés religieuses et d’une frange importante de la population a été pris en compte
par la puissance politique. Les autorités académiques chargées de piloter la réforme de
2002 se sont appuyées sur les ressources de toutes les composantes religieuses,
notamment leur expérience dans le domaine éducatif pour mettre en œuvre la réforme.
Cet appui sur les différentes stratégies développées par les familles et les confréries
religieuses a poussé l’Etat, en dehors de ces deux innovations, à se lancer également
dans la construction d’écoles publiques franco-arabes, autre alternative complétant les
mesures entreprises dans un but d’inclusion et de diversification de l’offre. Les deux
modèles, "daara" et école franco-arabe, traduisent une certaine volonté d’offrir différents
types de modèles d’écoles spécialisées dans l’enseignement arabo-islamique, du moins
au niveau élémentaire. L’école sénégalaise, sans rompre avec son héritage colonial,
ouvre la voie à d’autres modèles qui accordent une place de choix à l’éducation religieuse
dans les programmes éducatifs, dans la mesure où le contexte social reconnaît la religion

409
comme un dispositif de formation et de connaissance de soi et de l’autre. Cette recherche
d’une identité spécifiquement sénégalaise comme zone de brassage entre les coutumes
ancestrales, religieuses et les conséquences du contact avec le monde occidental imprime
une direction à la politique éducative de l’Etat. Cela a donc amené à repenser le rôle de
la religion dans la sphère scolaire et à organiser son intégration.

Toutefois, ce bouleversement a été possible grâce au régime de laïcité en vigueur


accordant une reconnaissance et une visibilité certaines aux religions dans la sphère
publique. Cette forme de laïcité, construite au fur et à mesure de l’évolution des mentalités
sénégalaises, avec ses différentes visions décelées, s’est démarquée de sa ou ses
versions occidentales, notamment françaises. Présentée de cette manière, cette
affirmation alimente la polémique sur la ou les laïcité(s). En d’autres termes, existe-t-il une
laïcité ou des laïcités ? Le but de cette interrogation n’a pas été d’abord de répondre par
oui ou non, mais de rechercher des pistes d’analyse du principe de laïcité par rapport à la
manière dont il a été traduit dans d’autres contextes historico-socio-géopolitiques. Au fond,
nos différentes recherches à ce propos ont permis de prendre conscience qu’il n’y a pas
opposition entre l’usage au singulier et au pluriel. A la suite de Baubérot et Milot (2011),
nous affirmons qu’ils « renvoient à des niveaux de logiques différents : la laïcité comme
concept d’analyse et les laïcités comme des configurations diverses selon les espaces
nationaux et les moments historiques. » (p. 8). En définitive, le principe de laïcité s’articule
autour de quatre éléments fondamentaux de base qui nous permettent d’analyser sa
traduction concrète dans un milieu donné et ses différents enjeux suivant les époques
considérées. Il s’agit d’une part de ses finalités : la liberté de conscience et l’égalité entre
tous et d’autre part de ses moyens nécessaires pour assurer celles-ci : la séparation des
pouvoirs et la neutralité de la puissance publique.

Ainsi, du point de vue intellectuel, il n’est pas possible de nier l’existence de plusieurs
conceptions différentes suivant les approches et les traductions nationales. Cette réalité
a donc orienté notre travail vers la détermination du régime de laïcité actuellement
dominant au Sénégal et la typologie de ses visions. La question des différentes
conceptions sénégalaises de la laïcité a donc été le fil conducteur de notre thèse. Le travail
de recherche effectué pendant ces quatre années a permis de distinguer quatre types de

410
laïcité qui s’entremêlent dans une forme libérale pluraliste dominante. Il s’agit de : la laïcité
« séparatiste inclusive », la laïcité « cultuelle ou de proposition », la laïcité
« égalitaire ou de reconnaissance » et la laïcité « non-reconnue ». Ces visions de la
laïcité identifiées dans nos enquêtes à travers les choix institutionnels et le discours des
acteurs de l’école interrogés restent donc à vérifier à grande échelle au sein de la
population. L’objectif sera de montrer que les résultats obtenus dans cette recherche ne
sont pas dus au hasard et qu’ils s’inscrivent dans la continuité des travaux réalisés par
d’autres chercheurs dans d’autres contextes nationaux et internationaux différents.

Dans cette perspective, pour le cas du Sénégal, notre travail de thèse peut être considéré
comme une étude exploratoire sur la typologie de la laïcité à la suite des travaux de Djibril
Samb (2005) sur la laïcité au Sénégal et s’appuyant sur ceux de Baubérot et Milot (2011)
axés sur les diverses configurations de la laïcité suivant les pays. Il s’inscrit dans le
prolongement de ces pistes de recherche. Sous ce rapport, il s’intègre à des travaux déjà
menés et peut être utile à d’autres. Notre ambition principale a été de pouvoir apporter
une humble contribution. En ce sens donc, nous espérons que cette recherche puisse
servir de point de départ d’échanges et de collaboration, voir même de base de travail
pour d’autres malgré les limites qui se sont imposées à nous.

411
BIBLIOGRAPHIE
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430
ANNEXES
1- Le guide d’entretien
2- La liste des entretiens
3- Loi d’orientation de l’Education nationale n°91-22 du 16 février 1991.
4- Loi n° 2004-37 du 15 Décembre 2004, modifiant et complétant la loi d’orientation
de l’Education nationale n°91-22 de 16 février 1991.
5- Les emplois du temps du curriculum de l’Education de Base.
6- Arrêté portant missions et organisation de l’inspection des daara
7- Accord-cadre pour la promotion des daara
8- Projet de loi portant statut du daara
9- Arrêté portant gestion des fonds destinés à l’appui des plans d’actions des Epiques
Techniques Régionales (ETR) et des daara testeurs
10- Contrat de performance pour le testing (CDP-Testing)
11- Grille d’analyse / évaluation des outils du CDM et du carnet de bord
12- Grille d’observation d’activités de classes en APC
13- Carnet de bord de l’enseignant
14- Emplois du temps des daara modernes

431
ANNEXE 1
GUIDE D’ENTRETIEN

Ce guide d’entretien semi-directif a pour objectif de recueillir des informations relatives à


la mise en place de la réforme du système éducatif sénégalais de 2002 à travers la
production de discours afin d’examiner ses effets. Son élaboration et la définition des
différents thèmes à aborder se justifient par une logique de recherche de congruence avec
notre cadre théorique. Il s’adresse donc aux autorités politiques et académiques, aux
directeurs et enseignants des écoles publiques, et enfin aux parents – d’élèves, guides
religieux et acteurs sociaux.

Dans le but d’atteindre une scolarisation universelle au niveau du primaire, objectif


entrainant indéniablement aussi de prendre en charge tous les enfants fréquentant les
daara, écoles coraniques, structure hors contrat où ces derniers n’étaient pas
comptabilisés dans le taux brut de scolarisation, l’Etat du Sénégal, depuis la rentrée
scolaire 2002-2003 entreprenait une réforme de son système éducatif visant, entre autres,
l’introduction de l’enseignement religieux dans les écoles élémentaires publiques, la
création d’écoles franco-arabes publiques, la modernisation des daara…La prise en
compte de la religion dans l’éducation des enfants et de la jeunesse, à travers le système
éducatif, répondait ainsi à une forte demande, mainte fois renouvelée, de la part des
communautés religieuses et d’une frange importante de la population sénégalaise. Nous
savons que cette demande a été exprimée, d’une façon formelle, lors des Etats Généraux
de l’Education et de la Formation tenus en 1981.

 Justifications des innovations

1.1 Pourquoi une si longue période (20 ans) d’attente avant que cette doléance ne
soit satisfaite ?

1.2 Quel(s) élément(s) nouveaux dans le contexte sénégalais justifie(nt) la décision


du gouvernement en 2002 ?

432
 La réforme : réalités et sens

La réforme de 2002 avait introduit des modifications au niveau de la loi d’orientation de


l’Education Nationale : l’article 4 stipule que : “L’Education Nationale est laïque : elle
respecte et garantit à tous les niveaux la liberté de conscience des citoyens. Au sein des
établissements publics et privés d’enseignement, dans le respect du principe de laïcité de
l’Etat, une éducation religieuse optionnelle peut être proposée. Les parents choisissent
librement d’inscrire ou non leurs enfants à cet enseignement”.

2.1 Quel(s) lien(s)y-a-t-il entre “Ecole” et “Religion”? En quoi est-il nécessaire ou


important d’inclure la religion dans l’école de la République? Quel est son impact
sur la scolarité des élèves de l’élémentaire?

2.2 Quelle est la situation ou comment est organisé l’Education religieuse dans
votre circonscription ou votre établissement ?

2.3 Quels moyens l’Etat s’est-il donné ?

Nous savons aussi que dans le cadre de cette réforme, des changements ont été apportés
dans la gestion et le mode de fonctionnement des daara qui, jusque-là, obéissaient à un
système informel organisé autour d’un seul marabout ou guide religieux responsable et
référent directe vis-à-vis des parents; l’Etat du Sénégal avec l’appui de la Banque
islamique de développement a mis sur pied un projet de modernisation des daara.

2.4 Au niveau de votre académie, quelle organisation a été mise en place en vue de
la gestion des daara ? Quel(s) changements ont été apportés dans les daara ?

2.5 Quel(s) sens donnez-vous à ces changements?

433
III- Le partenariat avec les communautés religieuses

3.1 Les communautés religieuses ont-elles jouées un rôle déterminant dans


l’intégration de la religion dans les écoles publiques ? Si oui, lequel ?

3.2 Quelles nouvelles formes de collaboration ont-elles été créées entre les
autorités académiques et politiques d’une part et, d’autre part les différentes
communautés religieuses dans le cadre de l’intégration de l’enseignement religieux
dans les écoles publiques ?

IV- Bilan sur l’introduction de l’éducation religieuse

4.1 Quinze ans après, l’introduction de l’éducation religieuse a-t-elle permis de


répondre aux attentes des communautés religieuses ?

4.2 Et aux attentes concernant la scolarisation ?

4.3 Quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain ?

V- Liens avec la laïcité

5.1 La réforme a-t-elle, selon vous, modifié les équilibres entre religion et Ecole ?
Entre autorités religieuses et scolaires et/ou politiques?

5.2 Si oui, en quel sens selon vous ?

5.3 Le principe d’un Etat sénégalais laïque vous semble-t-il avoir été modifié ?

5.4 Si oui, en quel sens et selon quelles raisons, si non, comment cette réforme
dessine-t-elle les contours ou le modèle de laïcité sénégalaise?

434
ANNEXE 2

Liste des entretiens réalisés

Noms Fonction Lieu Date Mode de recueil

M. Nouah Sarr IEF à l’IA de Fatick 10 et 12 juillet Enregistrement


Fatick 2017

M. Ibrahima Inspecteur Fatick 12 juillet 2017 Enregistrement


Sèye arabe à l’IA de
fatick

M. Ibrahima Inspecteur Fatick 13 juillet 2017 Enregistrement


Ismaïla Ndiaye arabe à l’IEF
de Fatick ville

Imam Responsable Patar-Sine 15 juillet 2017 Enregistrement


Abdoulaye de daara (Niakhar –
Barry Fatick)

M. Arfan Seck IEF de Koungueul 17 juillet 2017 Enregistrement


Koungueul

M. BA IA de Kaffrine Kaffrine 17 juillet 2017 Non prise de


note

M. Barthélémy Directeur Fatick 18 juillet 2017 Enregistrement


Ndong d’école
(retraite)

435
M. El Hadji Directeur Fatick 18 juillet 2017 Enregistrement
Alioune Thiam d’école

M. Ndiaga Diop IEF à l’IA de Diourbel 19 juillet 2017 Enregistrement


Diourbel

M. Toumane Directeur Thiès 20 juillet 2017 Enregistrement


Niang d’école

M. Mohamed Inspecteur Thiès 20 juillet 2017 Enregistrement


Dioum arabe

M. Charles Directeur Thiès 21 juillet 2017 Enregistrement


Ndione d’école

Frère Pierre Religieux Thiès 23 juillet 2017 Enregistrement

M. Cheikh Directeur Louga 24 juillet 2017 Enregistrement


Tidiane d’école
Camara

M. Daouda Inspecteur Louga 24 juillet 2017 Enregistrement


Mbaye arabe

Serigne Mor Responsable Louga 24 juillet 2017 Enregistrement


Mbaye de daara

Serigne Cheikh Responsable Guéwoul 24 juillet 2017 Enregistrement


Samb de daara (Kébémer –
Louga)

M. Abdoul Aziz IEF à l’IA de Matam 25 juillet 2017 Enregistrement


Alpha Ba Matam

436
M. Alassane Inspecteur Matam 25 juillet 2017 Enregistrement
Mbengue

Serigne Saliou Responsable Matam 25 juillet 2017 Enregistrement


Sall de daara

M. Oumar Directeur Louga 25 juillet 2017 Enregistrement


Ndiaye d’école
Directeur de
l’inspection des
M. Babacar Dakar 27 juillet 2017 Prise de note
daara
Samb
Inspecteur
arabe à l’IA de
M. Mamadou Dakar 28 juillet2017 Prise de note
Dakar
Diouf
Professeur à la
FASTEF (ex.
M. Talla Thiès 30 juillet2017 Enregistrement
Ecole Normale
Mbengue
de Dakar
Professeur à la
FASTEF (ex.
M. Seydou Dakar 1er aout2017 Enregistrement
Ecole Normale
Khouma
de Dakar

M. Mbaye IEF de Mbour 2 Mbour 2 août 2017 Enregistrement

Abbé Jean Curé de Mbour 3 août 2017 Enregistrement


Marie Ndour Paroisse

Abbé Patrice Prêtre du Thiès 4 août 2017 Enregistrement


Mor Faye diocèse de
Thiès

M. Moussa IEF de Diourbel Diourbel 8 août 2017 Enregistrement


Sène

437
M. Mahamadou Parent d’élève Diourbel 8 août 2017 Enregistrement

M. Saliou Enseignant Diourbel 8 août 2017 Enregistrement


Gningue

Mme Aïssatou Parent d’élèves Fatick 10 août 2017 Enregistrement


Bodian

M. Thierno Directeur Fatick 10 août 2017 Enregistrement


Diallo d’école

438
ANNEXE 3
LOI N° 91-22 DU 16 FEVRIER 1991 portant orientation de l’Education nationale,
modifiée
(JO n° 5401 –p. 107)
EXPOSE DES MOTIFS
La loi n° 71-36 du 3 juin 1971 portant orientation de l’Education nationale, a défini les
objectifs que le Sénégal libre assignait à l’éducation. Ces objectifs, résumés à l’article
premier, demeurent encore valables aujourd’hui. Comment, en effet, ne pas souscrire aux
affirmations selon laquelle l’Education nationale doit tendre: 1. « à élever le niveau culturel
de la nation » 2. « à former des hommes et des femmes libres, capables de créer les
conditions de leur épanouissement à tous les niveaux, de contribuer au développement
des sciences et de la technique et d’apporter des solutions efficaces aux problèmes du
développement national » ? Mais, si la volonté qui animait alors le législateur de faire de
l’Education nationale un instrument apte « à préparer les conditions d’un développement
intégral assumé par la nation toute entière» et dont la mission constante est de maintenir
l’ensemble de la nation dans le courant du progrès contemporain et a également animé
les responsables chargés de mettre en œuvre la politique éducative du pays, il faut
reconnaître que tous les espoirs dans la rénovation de notre système éducatif inaugurée
en 1971 n’ont pas été comblés. Malgré la croissance continue des effectifs, trop nombreux
sont les enfants qui ne peuvent bénéficier de l’instruction à laquelle ils ont droit; de ce
point de vue, l’enseignement moyen pratique qui devrait accueillir les élèves issus de
l’enseignement élémentaire non reçus dans les collèges est resté à un état pour ainsi dire
embryonnaire et ne répond pas, de très loin, à l’idée généreuse qui l’avait fait créer.
L’utilisation de nos langues nationales à l’école n’a pas dépassé le stade expérimental et
des différentes réformes des programmes n’ont pas supprimé le caractère à bien des
égards extraverti de notre enseignement. Enfin, la prééminence de la théorie sur la
pratique dans les contenus et les méthodes comme celle de la formation initiale sur la
formation continue, empêche notre système éducatif de répondre pleinement aux
exigences de notre développement. C’est ainsi que les états généraux de l’Education et
de la formation, réunis à l’initiative du Chef de l’Etat en janvier 1981, se sont fait l’écho
d’un profond malaise, pour ne pas dire d’une crise, traversant l’ensemble de notre école,
ressenti par tous les acteurs de l’éducation, élèves, parents et enseignants. Même si le
constat global d’échec dressé lors de ces journées mémorables a été durci, du fait même
de la déception éprouvée par beaucoup après dix années d’application de la loi de 1971,
et s’il faut nuancer le jugement négatif porté sur notre système éducatif, en portant en
particulier à son crédit le souci constant qui a été jusqu’à présent le sien de maintenir un
haut niveau des études et une grande qualité des formations dispensées, il n’en demeure
pas moins que, sous bien des aspects, notre école se trouve mal adaptée aux réalités
nationales dominées par les exigences du développement. Les Etats généraux de
l’Education et de la Formation concluaient à la nécessité « d’une refonte radicale de notre
système éducatif, dans la perspective d’une nouvelle école plus conforme aux aspirations
profondes du peuple sénégalais, à la maitrise des conditions scientifiques et techniques

439
de notre développement intégral, à la démocratie, à la justice sociale, à la paix, au progrès
humain ».
De la libre discussion menée au sein des Etats généraux, sont sorties des propositions de
réforme qui ont été unanimement adoptées par les participants, représentants de toutes
les couches et de toutes les tendances de la population. Approfondies et précisées au
cours des travaux de la Commission Nationale de Réforme de l’Education et de la
Formation, ces propositions ont été soumises au Président de la République et, pour la
plupart, retenues par le Gouvernement.
Les grandes lignes de l’Ecole nouvelle se trouvent donc tracées, et le cadre établi par la
loi d’orientation de 1971 se révèle désormais inadéquat, moins dans ses dispositions
générales que dans l’organisation qu’il retenait pour notre système éducatif. Par ailleurs,
la réflexion menée par la commission nationale de Réforme a permis de souligner
certaines lacunes du texte de 1971 ou fait ressortir la nécessité de préciser certaines
orientations. Une refonte de la loi d’orientation de l’Education nationale s’imposait donc.
Le présent projet de loi, rappelant et précisant les finalités de l’Education, définit le nouvel
organigramme de l’école en même temps qu’il assigne des objectifs particuliers à chacune
des composantes et des étapes du système éducatif, tant pour ce qui est du secteur formel
que du secteur informel. Les finalités les plus générales de l’Education nationale
consistent à en faire un instrument capable de préparer les conditions d’un développement
intégral, assumé par la nation toute entière, de promouvoir les valeurs dans lesquelles la
nation se reconnaît, d’élever le niveau culturel de l’ensemble de la population. C’est dire
que l’éducation voulue par le Sénégal est nationale, démocratique et populaire. Cette
volonté se traduit tout d’abord par l’option résolue en faveur d’une éducation généraliste
accueillant de plus en plus d’enfants dans les structures formelles et s’ouvrant largement,
par les structures non formelles, à tous ceux qui n’ont pu fréquenter l’école ou qui ont dû
la quitter à un moment quelconque de leur cursus scolaire. Il s’agit ensuite d’affirmer le
souci que doit avoir l’Ecole d’ancrer les enfants qui lui sont confiés dans les valeurs
culturelles et morales dans laquelle la nation trouve le fondement de son identité et de son
unité afin de prémunir contre les risques d’aliénation et leur faire prendre conscience de
toutes les richesses dont ils sont à la fois héritiers et promoteurs. Ces valeurs et ces
richesses sont celles du Sénégal ; ce sont aussi celles de l’Afrique toute entière, que
l’Ecole a pour mission de faire connaitre et aimer, en apportant ainsi sa contribution à la
construction de l’unité africaine. Par ailleurs, il s’agit pour l’Ecole nouvelle, sur la base des
principes de la laïcité de l’Etat et selon les modalités définies par la loi, de favoriser
l’émergence et la promotion d’établissements privés susceptibles de dispenser un
enseignement religieux tel qu’il réponde à l’attente des parents et des élèves. De même,
afin de tenir compte du milieu où l’enfant qui entre à l’école a grandi, de faciliter ses
premiers apprentissages et de prendre en charge notre culture au moyen de l’instrument
qui en permet le mieux l’expression, l’Ecole nouvelle, chargée d’assurer la maîtrise de la
langue officielle, assure la promotion de nos langues nationales. Par ailleurs, afin de
répondre aux défis posés par le développement, l’école nouvelle institue une liaison entre
l’école et la vie, la théorie et la pratique, l’enseignement et la production, elle vise à
favoriser l’intégration de l’élève dans la vie professionnelle à travers toute une série de
dispositifs qui vont de l’initiation aux techniques élémentaires pour les plus jeunes à la
découverte du monde de la production pour les plus âgés, elle se met au service de la

440
formation permanente et du perfectionnement professionnel de tous les acteurs
économiques. En ce sens vont les dispositions qui instituent un enseignement polyvalent
unique et qui repoussent au niveau de l’enseignement secondaire et professionnel la
différenciation entre différents types d’enseignements et différentes filières, entre
lesquelles des passerelles permettent d’ailleurs les passages nécessaires. Les objectifs
que voilà appellent, pour être atteints, une organisation telle qu’elle permette à tous de
recevoir l’éducation à laquelle ils peuvent prétendre, telle aussi qu’aucune des voies qu’ils
empruntent ne conduisent à une impasse scolaire ou professionnelle. Dans cette
perspective, l’éducation spéciale permet la réinsertion scolaire et sociale des jeunes
handicapés et participe ainsi à l’égalisation des chances que vise un système
démocratique d’enseignement. L’orientation scolaire et professionnelle enfin, dont
l’importance est désormais reconnue explicitement contribue, par l’évaluation globale de
l’élève qui lui échoit et l’éducation des choix qu’elle pratique, à renforcer la démocratisation
de notre école en favorisant l’épanouissement des potentialités de chacun. Le nouvel
organigramme de l’Ecole se présente donc comme suit : - un cycle fondamental, divisé en
une éducation préscolaire et un enseignement polyvalent, comprenant successivement
un enseignement élémentaire et un enseignement moyen ; - un cycle secondaire et
professionnel, subdivisé en un enseignement secondaire et une formation professionnelle
; - un enseignement supérieur. Les structures de l’éducation spéciale, celles de
l’orientation scolaire et professionnelle ainsi que les structures de l’éducation non formelle
s’articulent à tous les niveaux, au système proprement scolaire. Dans le souci de
cohérence et d’efficacité, la nécessité d’une coordination de toutes les structures et
actions d’éducation est explicitée, tant au niveau national qu’aux différents niveaux
décentralisés. Enfin, les exigences démocratiques conduisent à affirmer que la gestion de
l’Ecole requiert la participation active de tous les acteurs impliqués dans l’œuvre
d’éducation et de formation. Telles sont, en résumé, les grandes orientations que nous
nous proposons de donner à l’Ecole nouvelle, afin de renforcer son action au service du
développement et l’accord qu’elle doit entretenir avec la société dont elle a pour mission
de faire partager des idéaux, les règles et les lois, en même temps qu’elle doit contribuer
à l’améliorer dans le sens de toujours plus de justice, de dignité et de liberté. L’Assemblée
nationale a délibéré et adopté en sa séance du mercredi 30 janvier 1991, Le Président de
la République promulgue la loi dont la teneur suit :
TITRE PREMIER. DISPOSITIONS GENERALES
Article premier. L’Education nationale, au sens de la présente loi, tend : 1. à préparer les
conditions d’un développement intégral, assumé par la nation toute entière : elle a pour
but de former des hommes et des femmes capables de travailler efficacement à la
construction du pays; elle porte un intérêt particulier aux problèmes économiques sociaux
et culturels rencontrés par le Sénégal dans son effort de développement et elle garde un
souci constant de mettre les formations qu’elle dispense en relation avec ces problèmes
et leurs solutions. 2. à promouvoir les valeurs dans lesquelles la nation se reconnaît : elle
est éducation pour la liberté, la démocratie pluraliste et le respect des droits de l’homme,
développant le sens moral et civique de ceux qu’elle forme, elle vise à en faire des
hommes et des femmes dévoués au bien commun respectueux des lois et des règles de
la vie sociale et œuvrant à les améliorer dans le sens de la justice, de l’équité et du respect
mutuel.

441
3. à élever le niveau culturel de la population : elle permet aux hommes et aux femmes
qu’elle forme d’acquérir les connaissances nécessaires à leur insertion harmonieuse dans
la communauté et à leur participation active à la vie de la nation ; elle leur fournit un
instrument de réflexion, leur permettant d’exercer un jugement ; participant à l’avancée
des sciences et des techniques, elle maintient la nation dans le courant du progrès
contemporain.
Article 2. L’Education nationale contribue à faire acquérir la capacité de transformer le
milieu et la société et aide chacun à épanouir ses potentialités : 1. en assurant une
formation qui lie l’école à la vie, la théorie à la pratique, l’enseignement à la production,
conçue comme activité éducative devant contribuer au développement des facultés
intellectuelles et de l’habileté manuelle des enseignés, tout en les préparant à une
insertion harmonieuse dans la vie professionnelle ; 2. en adaptant ses contenus, objectifs
et méthodes aux besoins spécifiques des enseignés, en fonction des âges, des étapes de
l’enseignement, des filières les plus aptes à l’épanouissement optimal de leurs possibilités
; 3. en établissant, entre les différentes filières et les différents paliers de l’éducation, les
passerelles permettant la réorientation et les promotions souhaitées et jugées légitimes ;
4. en mettant en place une éducation spéciale qui prend en charge les victimes des
différends handicaps ou inadaptations pour réaliser leur intégration ou réinsertion
scolaires et sociales.
TITRE II: PRINCIPES GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE
Article 3. L’Education nationale est placée sous la responsabilité de l’Etat, qui garantit
aux citoyens la réalité du droit à l’éducation par la mise en place d’un système de
formation. Les collectivités locales et publiques contribuent à l’effort de l’Etat en matière
d’éducation. L’initiative privée, individuelle ou collective peut, dans les conditions définies
par la loi, concourir à l’œuvre d’éducation et de formation. L’Etat est garant de la qualité
de l’éducation et de la formation, ainsi que des titres décernés. Il contrôle les niveaux de
l’éducation et de la formation.
Article 3 bis: (Loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004) La scolarité est obligatoire pour
tous les enfants des deux sexes âgés de 6 ans à 16 ans. L’Etat a l’obligation de maintenir,
au sein du système scolaire, les enfants âgés de 6 à 16 ans. La scolarité obligatoire est
assurée gratuitement au sein des établissements publics d’enseignement. Il est fait
obligation aux parents, dont les enfants atteignent l’âge de 6 ans, de les inscrire dans une
école publique ou privée. Les parents sont tenus de s’assurer de l’assiduité de leur enfant
jusqu’à l’âge de 16 ans. Tout enfant, âgé de moins de 16 ans et n’ayant pu être maintenu
dans l’enseignement général, est orienté vers une structure de formation professionnelle.
Article 4. (Loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004) L’Education nationale est laïque : elle
respecte et garantit à tous les niveaux, la liberté de conscience des citoyens. Au sein des
établissements publics et privés d’enseignement, dans le respect du principe de laïcité de
l’Etat, une éducation religieuse optionnelle peut être proposée. Les parents choisissent
librement d’inscrire ou non leurs enfants à cet enseignement.
Article 5. L’Education nationale est démocratique. Elle donne à tous des chances égales
de réussite. Elle s’inspire du droit reconnu à tout être humain de recevoir l’instruction et la

442
formation correspondant à ses aptitudes sans discrimination de sexe, d’origine sociale, de
race, d’ethnie, de religion ou de nationalité.
Article 6. L’Education nationale est sénégalaise et africaine développant l’enseignement
des langues nationales, instruments privilégies pour donner aux enseignés un contact
vivant avec leur culture et les enraciner dans leur histoire, elle forme un Sénégalais
conscient de son appartenance et de son identité. Dispensant une connaissance
approfondie de l’histoire et des cultures africaines, dont elle met en valeur toutes les
richesses et sous les apports au patrimoine universel, l’Education nationale souligne les
solidarités du continent et cultive le sens de l’unité africaine. L’éducation nationale reflète
également l’appartenance du Sénégal à la communauté de culture des pays francophones
en même temps qu’elle est ouverte sur les valeurs de civilisation universelle et qu’elle
inscrit dans les grands courants du monde contemporain, par-là, elle développe l’esprit de
coopération et de paix entre les hommes.
Article 7. L’Education nationale est permanente et au service du peuple sénégalais : elle
vise l’éradication complète et définitive de l’analphabétisme, ainsi que le perfectionnement
professionnel et la promotion sociale de tous les citoyens, pour l’amélioration des
conditions d’existence et d’emploi et l’élévation de la productivité du travail.
TITRE IV : NIVEAUX, STRUCTURES ET OBJECTIFS GENERAUX DE L’EDUCATION.
Chapitre premier: Généralités
Article. 8. Le système scolaire et universitaire est organisé en différents cycles, fixés ainsi
qu’il suit, selon l’âge des enseignés et le type de formation recherchée : - un cycle
fondamental ; - un cycle secondaire et professionnel ; - un enseignement supérieur. La
durée des différents cycles et de leurs subdivisions est par fixée décret. Les structures de
l’orientation scolaire et professionnelle et de l’éducation spéciale sont organisées en tant
que parties intégrantes du système éducatif.
Chapitre 2. -Le cycle fondamental.
Article 9. Le cycle fondamental est subdivisé en une éducation préscolaire et un
enseignement polyvalent unique, comprenant successivement un enseignement
élémentaire et un enseignement moyen. A l’issue de ce cycle, l’élève est muni des
éléments essentiels pour son adaptation ultérieure à la vie professionnelle. Il accède, le
cas échéant, au cycle secondaire et professionnel.
Article 10. L’éducation préscolaire accueille les jeunes enfants qui n’ont pas atteint l’âge
de la scolarité dans l’enseignement polyvalent. L’objet de l’éducation préscolaire est : -
d’ancrer les enfants dans les langues et les valeurs culturelles nationales, en vue de
consolider leur identité et de les prémunir contre les risques d’aliénation culturelle; - de
favoriser le développement de leurs différentes aptitudes psychomotrices, intellectuelles
et sociales, pour leur permettre d’épanouir leur personnalité propre et de construire les
bases des apprentissages scolaires.
Article 11. L’enseignement élémentaire polyvalent a pour objet : - d’éveiller l’esprit de
l’enfant par des activités propres à permettre l’émergence et l’épanouissement de ses
potentialités intellectuelles d’observation, d’expérimentation et d’analyse notamment, ainsi

443
que de ses potentialités sensorielles motrices et affectives. - d’enraciner l’enfant dans la
culture et les valeurs nationales ; - de faire acquérir à l’enfant la maîtrise des éléments de
base de la pensée logique et mathématique, ainsi que celle des instruments de
l’expression et de la communication; - de revaloriser le travail manuel et d’initier l’enfant
aux techniques élémentaires impliquées dans les activités de production. - de veiller aux
intérêts et activités artistiques culturels, physiques et sportifs pour le plein épanouissement
de la personnalité de l’enfant ; - de contribuer, avec la famille notamment, à assurer
l’éducation sociale, morale et civique de l’enfant.
Article 12. L’enseignement moyen polyvalent a pour objet : - de parfaire le développement
chez l’élève des capacités d’observation, d’expérimentation, de recherche, d’action
pratique, de réflexion, d’explication, d’analyse, de synthèse, de jugement, d’invention et
de création ; - de renforcer la maîtrise de la pensée logique et mathématique de l’élève,
d’enrichir ses instruments d’expression et d’étendre ses capacités de communication ; -
d’effacer la hiérarchie entre activités théoriques et activités pratiques, de familiariser
l’élève avec les différents aspects du monde du travail et de l’initier aux activités
productives ; - d’approfondir l’intérêt et les dispositions de l’élève pour les activités
artistiques, culturelles, physiques et sportives ; - de contribuer à compléter l’éducation
sociale, morale et civique de l’élève.
Chapitre 3. Le cycle secondaire et professionnel
Article13. Le cycle secondaire et professionnel reçoit les élèves issus de l’enseignement
polyvalent qui désirent poursuivre leurs études et qui sont aptes à le faire. Il comporte un
enseignement secondaire et une formation professionnelle entre lesquels existent les
passerelles permettant les réorientations convenables. A l’issue du cycle secondaire et
professionnel, les élèves accèdent soit à l’activité professionnelle, soit à l’enseignement
supérieur.
Article 14. L’Enseignement secondaire, général ou technique, donne aux élèves les
connaissances et aptitudes nécessaires pour accès aux différentes filières de
l’enseignement supérieur, tout en enrichissant et approfondissant la formation acquise
antérieurement. Son objet est: - de donner aux élèves une formation solide dans les
disciplines fondamentales de la science, de la technique et de la culture. - de faire acquérir
aux élèves une maîtrise suffisante des méthodes de la recherche scientifique et technique
; - d’approfondir les connaissances qu’ont les élèves des processus de production; - de
familiariser les élèves avec les grandes œuvres de la culture nationale, de la culture
africaine, de la francophonie et de la culture universelle.
Article 15. La formation professionnelle dispensée dans des écoles professionnelles
moyennes ou en apprentissage, prépare à l’entrée dans la vie active en faisant acquérir
aux élèves les connaissances, aptitudes et compétences théoriques et pratiques
nécessaires à la maîtrise et à l’exercice d’un métier déterminé. Les formes, contenus et
objectifs de la formation professionnelle varient suivant les exigences propres aux
différents métiers et les structures où elle est dispensée sont modulées selon les besoins
et moyens nationaux.

444
Chapitre 4 : L’enseignement Supérieur
Article 16. L’enseignement supérieur vise à former les agents de développement dont le
Sénégal et l’Afrique ont besoin pour jouer un rôle significatif dans la création et le
développement de la pensée et de la science universelles. 1°il a pour mission: - de former
les personnels de haut niveau, scientifiquement et techniquement qualifiés, adaptés au
contexte africain et du monde contemporain, conscients de leur responsabilité vis à vis de
leurs peuples et capables de les servir avec dévouement; - de développer la recherche
dans toutes les disciplines de la science, de la technique et de la culture ; - de mobiliser
l’ensemble des ressources intellectuelles au service du développement économique et
culturel du Sénégal et de l’Afrique, et de participer à la solution des problèmes nationaux
et continentaux. 2° Il est ainsi chargé : - de faire acquérir aux étudiants les connaissances
et méthodes d’investigation les plus avancées dans toutes les disciplines de la science,
de la technique et de la culture et de les faire participer au développement des
connaissances et à la création de nouvelles méthodes d’investigation, en les adaptant aux
réalités et aux exigences nationales, et plus généralement africaines; - de mener des
actions de formation permanente et de recyclage ; - de travailler avec les praticiens en
vue de valoriser les savoirs traditionnels, de favoriser la circulation des connaissances et
des informations, de soutenir et coordonner les initiatives propres à contribuer au progrès
scientifique ou à accroitre la productivité du travail ; - d’élaborer, de critiquer et de diffuser
les nouvelles connaissances en se constituant comme lieu d’interaction et de coopération
entre le monde du travail et les centres de décisions économiques, administratifs et
scientifiques ;- d’étudier et d’élaborer les voies d’une stratégie de développement
endogène et autocentré en participant notamment à l’élaboration, l’application et
l’évaluation des plans nationaux, sous-régionaux et régionaux de développement ; -
d’instituer des modèles d’enseignement, de recherche et de formation qui lient la théorie
à la pratique dans le cadre de rapports équilibrés entre la réflexion et l’action; - de
promouvoir la formation d’une identité culturelle et d’une conscience nationales et
africaines en favorisant chez ceux qu’il forme la prise de conscience des problèmes liés à
l’histoire et au développement des sociétés africaines et de la solidarité des nations et des
économies du continent.
Chapitre5. : L’éducation permanente de base.
Article 17. L’éducation permanente de base, destinée à accueillir ceux qui n’ont pu
fréquenter ou qui ont dû quitter, à un moment ou à un autre, les structures proprement
scolaires, est organisée selon deux niveaux : 1° à un premier niveau, elle vise à satisfaire
les besoins en formation des communautés de base ; elle a pour objectifs : -
l’alphabétisation de masse ; - l’information et la formation initiales nécessaires à l’exercice
d’un métier ou d’une fonction sociale ; - l’initiation eux techniques de mise en valeur de
production, de gestion et de communication ; - l’éducation et la formation nécessaire à
l’amélioration des conditions d’existence (santé, alimentation, habitat) ; 2° à un second
niveau, par les écoles professionnelles, les cours du soir, les cours par correspondance,
l’éducation permanente vise le recyclage, le perfectionnement et l’élévation du niveau
culturel des citoyens dotés d’une formation professionnelle ; elle leur permet d’actualiser
et d’enrichir leurs connaissances et leur formation en vue de leur promotion sociale. Elle
joue en outre un rôle d’information et d’animation dans le processus d’adaptation des

445
profils d’emplois à l’évolution économique et de mise en place de solutions pratiques aux
problèmes posés par le développement économique et social.
Chapitre 6 : L’orientation scolaire.
Article 18. L’orientation scolaire et professionnelle, qu’il s’agisse des modalités
d’évaluation des procédures de passage d’une classe à l’autre ou d’un cycle à l’autre, des
examens et des concours, ou de l’orientation proprement dite entre les différentes filières,
formelles et non formelles, et vers l’éducation spéciale, se fonde, à tous les niveaux, sur
le souci permanent de doter chacun des possibilités les plus larges d’éducation, pour
l’épanouissement optimal de ses potentialités et de sa personnalité, et sur le respect
scrupuleux des exigences démocratiques d’équité et de transparence. Elle a pour objectifs
: - l’évaluation continue et globale de l’élève tout au long de sa scolarité; - la recherche de
solutions aux problèmes d’inadaptation ; - l’éclairage des choix, grâce à une large
information adaptée à tous les niveaux, sur les études et les professions accessibles ; - la
participation à l’évaluation objective du système éducatif.
Chapitre 7 : L’éducation spéciale
Article 19. L’éducation spéciale, partie intégrante du système éducatif, assure la prise en
charge médicale, psychologique et pédagogique des enfants présentant un handicap de
nature à entraver le déroulement normal de leur scolarité ou de leur formation. Son objet
est de dispenser aux jeunes handicapés une éducation adaptée à leurs besoins et à leurs
possibilités, en vue de leur assurer l’évolution la meilleure, soit par l’intégration dans les
structures scolaires ou de formations communes, soit par une préparation spéciale,
adaptée aux activités professionnelles qui leur sont accessibles.
TITRE V : ADMINISTRATION ET GESTION DE L’EDUCATION
Article 20. Les structures centrales chargées d’impulser, d’élaborer, d’organiser et de
suivre les actions d’éducation, de formation, d’enseignement et de recherche sont
coordonnées au niveau national. Aux différents niveaux décentralisés, des structures de
direction et d’administration sont chargées de coordonner, de contrôler et d’assurer la
cohérence et l’efficacité des structures et actions d’éducation, en liaison avec les autorités
administratives et les collectivités locales intéressées. Cette coordination, accompagnée
d’une évaluation régulière dans tous les secteurs et à tous les niveaux du système
éducatif, vise à garder à ce dernier la souplesse pour s’adapter constamment aux
exigences du développement.
Article21. La gestion des infrastructures, des moyens et des personnels de l’Education
nationale, est fondée sur les principes de démocratie, d’objectivité et de compétence. A
cet effet, des organes consultatifs sont institués pour que soient associés, dans les
domaines dont il à connaître, les partenaires de l’Education nationale, parents d’élèves,
enseignants, étudiants et élèves.
Article22. Les modalités d’application de la présente loi sont fixées par décret.

446
TITRE VI : DISPOSITIONS FINALES.
Article 23. Sont abrogées toutes les dispositions contraires à la présente loi et notamment
la loi d’orientation de l’Education nationale n° 71-36 du 3 juin 1971.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat.

Fait à Dakar, le 16 février 1991.

Abdou Diouf

447
ANNEXE 4

448
449
450
ANNEXE 5
EMPLOI DU TEMPS CI 1er TRIMESTRE

Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi


Communication Communication Communication Arts plastiques / arts Education physique
8h orale (30’) orale (30’) orale (30’) scéniques (30’) et sportive (30’)

Lecture / Lecture / Lecture / Communication


orale (30’) Lecture / acquisition
acquisition globale acquisition globale acquisition globale
globale (30’)
(30’) (30’) (30’)

Initiation
Vivre dans son Lecture/ acquisition
scientifique et Histoire (30’) Géographie (30’)
milieu (30’) globale (30’)
technologique (30’)

Initiation scientifique
Communication Communication Communication Education religieuse
et technologique
orale (30’) orale (30’) orale (30’) (30’)
(30’)

Lecture /
Education religieuse Communication
acquisition globale Arabe (30’) Vivre ensemble (30’)
(30’) orale (30’)
(30’)

11h Activités Activités Activités Activités de mesure Activités de résolution


numériques (30’) numériques (30’) géométriques (30’) (30’) de problèmes (30’)

11H – 11H 30: RECREATION

11H 30 graphisme (30’) graphisme (30’) Arabe (30’)


graphisme (30’) graphisme (30’)

Activités Activités Activités Activités de mesure Activités de résolution


numériques (30’) numériques (30’) géométriques (30’) (30’) de problèmes (30’)

Lecture / Lecture / Lecture / Lecture / acquisition Lecture / acquisition


acquisition globale acquisition globale acquisition globale globale (30’) globale (30’)
(30’) (30’) (30’)
13h
APRES – MIDI
Renforcement Renforcement
15h pédagogique (1h) pédagogique (1h)

Education religieuse Education religieuse


(30’) (30’)

17h Education musicale Poésie – Récitation


(30’) (30’)

451
CI A PARTIR DU 2ème TRIMESTRE (CI/CP)

Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi

Communication Communication Communication Arts plastiques / arts Education physique


8h orale (30’) orale (30’) orale (30’) scéniques (30’) et sportive (30’)

Communication
Lecture (30’) Lecture (30’) Lecture (30’) orale (30’) Lecture

Initiation
scientifique et Vivre dans son
Histoire (30’) Lecture (30’) Géographie (30’)
technologique milieu (30’)
(30’)

Initiation scientifique
Communication Communication Communication Education
et technologique
orale (30’) orale (30’) orale (30’) religieuse (30’)
(30’)

Education Communication Vivre ensemble


Lecture (30’) Arabe (30’)
religieuse (30’) orale (30’) (30’)
11h
Activités de
Activités Activités Activités Activités de mesure
résolution de
numériques (30’) numériques (30’) géométriques (30’) (30’)
problèmes (30’)

11H – 11H 30: RECREATION

11H 30 Production
Production Production d’écrits Production d’écrits Arabe (30’)
d’écrits (30’)
d’écrits (30’) (30’) (30’)

Activités de
Activités Activités Activités Activités de mesure
résolution de
numériques (30’) numériques (30’) géométriques (30’) (30’)
problèmes (30’)

13h
Lecture (30’) Lecture (30’) Lecture (30’) Ecriture (30’) Ecriture (30’)

APRES – MIDI
Renforcement
Renforcement
5h pédagogique
pédagogique (1h)
(1h)

Education Education religieuse


17h religieuse (30’) (30’)

Education Poésie – Récitation


musicale (30’) (30’)

452
Remarque :

1. Pour la communication orale, les moments de « présentation/acquisition », «


consolidation/ fixation », « exploitation/transfert » gardent toute leur place dans
l’emploi. Il faut juste savoir que, pour un OS donné, les 3 moments ne se feront pas
nécessairement le même jour.

2. Le Guide prévoit un OS par semaine. Cela permet au maître :

- d’une part, de traiter les contenus. Exemple, les contenus ci-dessus prévus dans le
premier palier doivent être exploités en 2ou 3 leçons, en fonction des spécificités
de la classe :

Verbe être au présent + prénom, Moi, mon nom, mon prénom, c’est… Verbe
s’appeler au présent + prénom, je m’appelle, Comment tu t’appelles ? Tu t’appelles
comment ? Comment t’appelles-tu ? Quel est ton nom ? Quel est ton prénom ?

- d’autre part, d’interroger plus d’élèves, de multiplier les situations d’apprentissage


et de faire les correctifs nécessaires.

453
EMPLOI DU TEMPS DEUXIEME ETAPE (CE1/CE2)
Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi

8h Communication Poésie Education Education Communication


orale («30) /récitation religieuse ( 30) physique et orale (30)
(«30) sportive (30)

Activités Activités de Activités Communication Résolution de


numériques (30) mesure (30) numériques orale («30) problèmes (30)
(30)

Communication Communication Communication Activités Communication


écrite (30) écrite (30) écrite(30) géométriques écrite (30)
Lecture grammaire vocabulaire (30) vocabulaire

Activités Activités de Lecture (30) Communication Résolution de


numériques (30) mesure (30) écrite (30) problèmes 30)
grammaire

Initiation Communication Communication Initiation


11h scientifique et écrite (30) écrite (30) scientifique et
Arabe (30)
technologique orthographe conjugaison technologique (30)
(30)

Arts plastiques Education Communication Vivre ensemble Education


(30) musicale (30) écrite (30) (30) religieuse (30)
conjugaison

RECREATION

11h30 Histoire (30) Vivre dans son Géographie (30) Activités Arts scéniques (30)
milieu (30) géométriques
(30)

Communication Communication Communication Education Communication


écrite (30) écrite (30) écrite (30) religieuse (30) écrite (30)
vocabulaire orthographe
Lecture

13h Communication Ecriture (30) Communication Arabe (30) Arabe (30)


écrite(30) écrite(30)

APRES MIDI

15h Remédiation Remédiation


1h30 (1h30)
17h
Arabe (30) Education
religieuse (30)

454
Emploi du temps troisième étape (CM1/ CM2)

Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi

8h – 11 h Vivre ensemble Etude de la langue Vivre dans son Education Education


30 mn 60 mn milieu30 mn musicale 30 mn Physique et
sportive 45 mn
Grammaire : 30 mn,
Orthographe : 30 mn

Etude de la Lecture 30 mn Etude de la langue Etude de la Etude de la


langue vocabulaire : 30 mn langue langue
conjugaison : 30 (dominante :
Vocabulaire : 30 Lecture : 30 mn
mn grammaire) 30
mn conjugaison :
orthographe : 30 mn
30 mn
mn

Communication Initiation scientifique Art plastique 30 mn Arabe 30 mn Communication


orale et écrite 45 mn
technologique30mn
30 mn
mn

Activités Education religieuse Activités Activités Activités de


numériques 60 60 mn numériques/mesure géométriques 60 résolution de
mn 60 mn mn problème 60 mn

11 h- 11h 30 mn RECREATION

11h30 – Histoire 45 mn Activités de mesure Géographie 45 mn Communication Arabe 30 mn


13 h 60 mn orale 30 mn

Géographie/
histoire 30mn

Lecture 45 mn Communication Lecture 45 mn Art scénique 30 Communication


écrite 30 mn mn écrite : 30 mn

Initiation
scientifique et
technologique
T30 mn

APRES MIDI

15h ­17h Arabe 30 mn Education


religieuse 60 mn

Poésie- récitation 30 Renforcement


mn Pédagogique 60
mn
Renforcement
pédagogique 60 mn

455
ANNEXE 6
REPUBLIQUE DU SENEGAL

Un Peuple — Un But - Une —UneFoi


Ministére de l’Enseignement préscolaire,
de l’Elémentaire et du Moyensecondaire
N°....................MEPEMS/SG/ID/DAJLD
Dakar, le...........................................

ARRETE/portant missions et organisation de


l’Inspection des « daara ».

Le Ministre de 1’Enseignement préscolaire,


de l’Elémentaire et du Moyen secondaire,

VU la Constitution;

VU la loi n° 91­22 du 16 février 1991 portant Loi d’orientation de l’Education


nationale, modifiée,
VU le décret n° 86­877 du 19 jui11et 198 6portant organisation du Ministère de l’Education,
modifié ;
VU le décret nO 96­1136 du 27 décembre 1996 portant transfert de compétences aux régions,
aux communes et aux communautés rurales en matière d’éducation, d’alphabétisation,
de promotion des langues nationales et de formation professionnelle ;
VU le décret n° 2002­652 du 02 juillet 2002 portant création, organisation et
fonctionnement des organes de gestion du Projet Décennal de l’Education et de la
Formation (PDEF);
VU le décret n O 2008­1209 du 24 octobre 2008 portant nomination d’un inspecteur des « daara »
au Ministère de l’Education charge de l’Enseignement préscolaire, de l’Elémentaire et du
Moyen;
VU le décret n° 2009­ 451 du 30 avril 2009 portant nomination du Premier Ministre ;
VU le décret nO2009­459 du 07 mai 2009 portant répartition des services de l’Etat et du
contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à
participation publique entre la Présidence de la République, la Primature et les
ministères ;
VU le décret n O2009­484 du 24 mai 2009 fixant la composition du Gouvernement,

456
ARRETE:

ARTICLE PREMIER: L’lnspection des « daara » a pour missions, en collaboration avec les directions et
services spécialisés, de moderniser et d’intégrer les daara dans le système éducatif.
Elle est chargée notamment :
de concevoir et mettre en œuvre la politique de modernisation des « daara » en matière de
projets d’investissement et de programmes ;
de mettre en œuvre la politique concernant 1’éducation religieuse en matière de programmes,
méthodes, structure, allocation de ressources et effectifs ;
de mettre en œuvre la politique concernant l’éducation religieuse en matière de programmes,
méthodes, structure, allocation de ressources et effectifs ;
de coordonner et appuyer les initiatives en matière d’éducation religieuse ; d’organiser
l’animation et le contrôle pédagogiques et administratifs des « daara » ;
d'exploiter les rapports de contrôle et d’animation pédagogiques en vue de déterminer toutes
les actions propres à promouvoir le fonctionnement des écoles coraniques ;
de mettre en place un cadre institutionnel d'intégration de toutes les activités en direction des
« daara » ;
de mener une évaluation pédagogique et institutionnelle des « daara » ; de
coordonner la formation des maitres pédagogiques ;
de développer un programme de communication et de partenariat national et international
autour des « daara » ;
de coordonner les actions entreprises en faveur des « daara » et en matière de formation de
personnels enseignants ;
de centraliser et diffuser la documentation ;
d’assurer une fonction de recherche/action sur les curricula ; d’assurer une
fonction de gestion éditoriale relative à la conception;
de coordonner la mise en œuvre de la formation professionnelle dans les « daara) › ;
de concevoir et mettre en œuvre un programme d’accompagnement et d’insertion des
enfants des « daara ».

457
Article 2 : L’lnspection des « daara » comprend:

une Division des Enseignements Apprentissages, de la Formation professionnelle et


de
la Vie scolaire ;
une Division de 1’Administration ;
une Division de la Communication et du Partenariat ;
une Division de la Planification ;

Article 3: Le présent arrêté prend effet pour compter de la date de signature et sera
enregistré, publié et communique partout où besoin sera.

458
ANNEXE 7

459
460
461
462
463
ANNEXE 8

464
465
466
467
468
469
470
471
472
ANNEXE 9

République du Sénégal
Un Peuple- Un But- Une Foi
+-+-+-+-
MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE
+-+-+-+-
INSPECTION D’ACADEMIE DE DIOURBEL
INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION DE BAMBEY

PROJET D’APPUI A LA MODERNISATION DES DAARA (PAMOD)

TESTING DU CURRICULUM DES DAARA MODERNES (CDM)

CONTRAT DE PERFORMANCE POUR LE TESTING


(CDP-TESTING)
ENTRE

L’INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION


DE ……………………………………….

Et

LE DAARA ………………………………………………………………….

N de Compte……………..................................................................

juillet 2017

473
Partie A

Préambule

I-Situation de référence du daara testeur

II-Engagements des parties

III-Procédures financières

IV-Dispositif de suivi-évaluation

V-Suite à donner au CDP-Testing en termes de décisions

VI- Signataires

474
PREAMBULE

Examen du contexte du testing

Pour remédier aux manquements, le Sénégal a défini une nouvelle vision dans la LPG 2013­2025
en ces termes : « un système d’éducation et de formation, efficace et efficient, conforme aux exigences
du développement économique et social, plus engagé dans la prise en charge des exclus et fondé sur
une gouvernance inclusive, une responsabilité plus accrue des Collectivités locales et des acteurs à la
base ». Pour une prise en charge de ces milliers d’enfants des daara exclus du système, il est possible
de reformuler cette vision de la façon suivante, pour une meilleure adaptation aux spécificités du sous­
secteur : «Un sous­secteur réglementé, normé, et des daara aux conditions améliorées à travers un
processus de modernisation du cadre physique, une gouvernance inclusive, des programmes de
nutrition, de santé et d’enseignement rénovés, avec des enseignants et des maîtres coraniques bien
formés qui assurent aux apprenants une éducation religieuse de qualité et les dotent des compétences
enseignées dans le cycle fondamental ».

De cette vision découleraient les orientations du gouvernement, qui s’articulent, entre autres,
autour des points suivants :

.« Stimuler à travers les autorités locales la demande d’éducation dans les zones à faible
scolarisation et adapter l’offre éducative aux demandes spécifiques (option culturelle/religieuse/exclus,
etc.) ;

.« Institutionnaliser l’enseignement religieux dans les écoles et promouvoir une politique plus
hardie de modernisation des daara avec un appui financier, des infrastructures et des équipements
adaptés, des curricula pertinents, la formation efficace des acteurs, la protection nutritionnelle et
sanitaire des enfants talibés, et l’instauration d’un système d’équivalence et de passerelle avec le
système classique » ;

.« Mettre en place un partenariat avec les Collectivités locales, une charte de soutien et de
régulation des options d’éducation communautaire définition des normes et standards pour autoriser
les daara, …)

Infrastructures

Les 5 salles de classe prévues pour les daara non publics ainsi que le bloc administratif ne sont pas
encore construits. Le testing se déroulera dans le cadre originel desdits daara caractérisé par la
précarité. La plupart des 10 daara testeurs, ne disposent pas d’un cadre physique propice aux
enseignements et apprentissages. Certains « borom daara » doivent trouver des locaux équipés en
tables bancs, tableaux, chaise et un bureau fonctionnels en vue d’un bon déroulement du testing.
Les matériels nécessaires et les fournitures seront achetés et mis à la disposition des daara par le
projet.

Social
La situation sociale de la plupart des 10 daara est marquée par une pauvreté quasi générale qui ne
permet pas une prise en charge intégrée des apprenants. Toutefois, le milieu urbain offre un visage

475
assez reluisant par rapport à la zone rurale et semi­urbaine. Dans tous les cas, la communauté tente
d’apporter tant soit peu une contribution, même dérisoire, pour la bonne marche du daara. Ce qui met
en selle la lancinante question de la mendicité à laquelle s’adonnent des apprenants des daara en
général. Pour éviter que ce probléme ne fasse échouer le testing, le projet a doté les daara de
nourriture et pris en charge les soins de santé et l’achat de médicamments.

Transformation
Les plans d’actions des daara testeurs visent à mettre ces derniers dans la perspective de pouvoir
porter le testing. Cela se traduira par une transformation sur les plans de l’organisation du daara avec
une formalisation de la première étape et la mise en place du premier niveau pour l’étape 2 et 3. Les
directeurs des daara concernés ont été chargés de trouver un cadre provisoire pouvant servir de salles
de classe et de direction, munies des équipements nécessaires.

Innovation
Les 10 daara testeurs mettront en œuvre pour la première fois un curriculum. Certains d’entre eux
n’ont jamais enseigné un programme avec des disciplines autres que le Coran et l’éducation religieuse.
L’Approche par les compétences (APC) à laquelle les maîtres coraniques et les enseignants ont été
formés constitue une innovation introduite par la modernisation des daara. De même, pour beaucoup
de directeurs il s’agit là d’une nouveauté que le daara s’apprête à embrasser. C’est aussi le cas pour la
majorité des apprenants. Tout ce monde sera au contact de nouveaux contenus, de nouveaux outils
et supports pédagogiques avec de nouvelles méthodes d’enseignement. En outre, un nouvel emploi
du temps sera exécuté pour la réalisation d’un quantum horaire.

Sur le plan administratif le directeur sera confronté à une façon tout à fait nouvelle de gérer le daara.
Il lui sera demandé de faire le suivi nécessaire, de gérer conformément aux normes établies et de
produire et de transmettre des rapports.

Environnement

L’environnement de la plupart des 10 daara testeurs est marqué par la présence d’autres
établissements scolaires classiques ou franco­arabe. Ces structures disposent d’enseignants et
directeurs expérimentés. Certaines de ces écoles pourraient avoir gardé du matériel pédagogique dont
ils ne font plus usage. Sous ce rapport, la collaboration entre daara et établissement pourrait être
envisagée. Ce qui aura comme effet de pallier au manque criard de manuels, de tables bancs, de
bureaux, etc.

Local

En ce qui concerne la communauté, notons que celle­ci ne participe pas suffisamment dans la vie du
daara faute d’informations. De ce fait, elle n’est pas au fait des innovations en cours dans le daara. Une
sensibilisation pourrait aider à amener la communauté à s’impliquer davantage pour le
développement et la réussite du testing. Les équipes techniques régionales (ETR) disposent de plans
d’actions pour la mise en œuvre du testing. Il est prévu de faire de la communication et de la
sensibilisation, du renforcement de capacités et du suivi rapproché des activités de classe, entre
autres.

L’analyse des éléments du contexte devrait permettre d’identifier des axes d’intervention ou
composantes pour un bon déroulement du testing. Il s’agit :

476
­de la mise en perspective des daara testeurs ;

L’état des lieux a permis d’identifier les besoins des daara testeurs pour se mettre dans les conditions
de supporter le testing. Les locaux fonctionnels, les fournitures, les effectifs, les enseignants sont les
éléments à mettre en place dans la plupart des daara testeurs.

­des conditions de vie des apprenants ;


Les daara sont dotés de ressources financières pour l’achat de nourriture devant satisfaire les besoins
alimentaires de 190 apprenants concernés par le testing.

­de la gestion administrative et pédagogique du testing dans les daara ;

Formés à la gestion pédagogique et administrative, les directeurs des daara ont pour tâche le suivi des
enseignants à travers des visites de classe pour les aider à s’acquitter de leur travail.

­des enseignants, apprenantset des apprentissages dans les daara/classe ;

L’Approche par les compétences (APC) et la pédagogie de l’intégration sont à mettre en œuvre par les
enseignants des daara. Ils ont pour responsabilité d’installer les compétences chez les apprenants en
plus de la mémorisation du Coran et de l’éducation religieuse. Les outils du curriculum et les supports
pédagogiques devraient faire l’objet d’une utilisation systématique dans les classes.

Tout cela revient à mettre le focus sur la pratique de classe, de façon générale c’est la maitrise du
curriculum des daara modernes (CDM) par l’enseignant ; est­ce qu’ils maitrisent le Guide ? l’APC ? la
Pédagogie de l’intégration ? L’évaluation selon la pédagogie de l’intégration ? Maîtrisent­ils les
supports pédagogiques ?

­des outils du CDM et des supports ;

Les outils du CDM sont écrits en Arabe et en Français. Ce qui est recherché c’est de savoir si ces outils
sont adapés (les élèves peuvent comprendre les enseignants), pertinents (sont­ils utiles pour les élèves
?) et maîtrisés par les enseignants, les directeurs et les inspecteurs.

­de la communication et sensibilisation des communautés autour du testing ;


Les communautés et les parents des apprenants sont les cibles pour la sensibilisation. Les ETR
devraient développer des activités telles que les fora, les émissions radios, les visites de proximité pour
communiquer sur le testing.

Pour améliorer la situation des daara et pour mieux les intégrer dans le système, l’Etat, appuyé par des partenaires
techniques et financiers, a pris l’initiative de leur venir en aide par un soutien financier et un accompagnement
technique. Le projet favorise l’initiative à la base à travers un pilotage réellement déconcentré.

Le présent contrat de performance pour le testing lie l’Inspection de l’Education et de la Formation (IEF) de ……………………et
le daara testeur…………. ……………pour la période de 2017 - 2018.

477
1. Situation de référence et résultats attendus du daara testeur

Les résultats attendus au niveau du daara sont présentés dans le tableau ci-dessous ;
Résultats Indicateurs Situation de
référence
2017 2017 2018
Niveau d’utilisation % d’enseignants ayant
des outils de suivi et utilisé régulièrement le
évaluation carnet de bord
Nombre de visites de
classe effectué par les
directeurs
Nombre de visites suivi-
d’encadrement effectué
par les Inspecteurs

Niveau de % d’apprenants de la 1ère


performance en étape mémorisant les
apprentissage du hizibs requis en CORAN
Coran (1ère étape)
Niveau de % d’apprenants
performance en maîtrisant les éléments
pratiques cultuelles de base des pratiques
(1ère étape) cultuelles.

Niveau de % d’apprenants du
performance en niveau 1 de la 2ère étape
apprentissage du ayant mémorisé les
Coran (2ère étape) hizibs requis en CORAN
Niveau de % d’apprenants du
performance en niveau 1 de la 2ère étape
Education religieuse maîtrisant les éléments
(2ère étape) de base de l’Education
religieuse
Niveau de % d’apprenants du
performance en niveau 1 de la 2ère étape
lecture en arabe (2ère ayant maîtrisé les
étape) compétences de base en
lecture en arabe
Niveau de % d’apprenants du
performance en niveau 1 de la 2ère étape
lecture en français ayant maîtrisé les
(2ère étape) compétences de base en
lecture en français
Niveau de % d’apprenants du
performance en niveau 1 de la 2ère étape
Mathématiques ayant maîtrisé les
(2ère étape) compétences de base en
Mathématiques

478
Résultats Indicateurs Situation de
référence
2017 2017 2018
Suivi sanitaire, % d’apprenants
nutritionnel et daarabénéficiant, de la
hygiénique cantine et des soins de
santé primaires
Effectif des Nombre d’apprenants
apprenants suivant le suivant le CDM 190
CDM

NB : l’effectif des apprenants suivant le CDM Correspond au nombre d’apprenants ciblé dans le testing

2. ENGAGEMENTS DES PARTIES

Le daara s’engage à :

En matière d’élaboration du Plan de Développement du daara

 Adopter une approche participative dans l’élaboration du plan d’action et s’assurer son appropriation par
l’ensemble des parties prenantes ;
 Mobiliser l’ensemble des parties prenantes dans la mise en œuvre du plan d’action en faveur de
l’amélioration du daara au plan académique et au plan infrastructurel, sanitaire et hygiénique.

En matière de pilotage

 Veiller au respect du quantum horaire ;


 Veiller à l’assiduité et à la ponctualité des enseignants ;
 Assurer la liaison entre le daara et l’IEF ;
 Veiller à l’utilisation des matériels, fournitures et équipements mis à la disposition des Ndongo daara ;
 Participer aux réunions d’information avec tous les acteurs sur le suivi des performances des Ndongo
daara ;

En matière d’encadrement

 Assurer le déparasitage, la supplémentation, les soins de santé primaires des Ndongo daara ;
 Assurer la propreté du daara ;
 Assurer une bonne gestion de la cantine du daara ;
 Organiser au moins une concertation mensuelle sur l’APC au sein de l’équipe pédagogique ;
 Former l’équipe pédagogique sur le mode d’utilisation de chaque manuel, guide pédagogique ou autre
outil de mise en œuvre du contrat ;
 Appuyer les équipes pédagogiques à l’exploitation des ressources des bibliothèques scolaires /coins de
lecture.
 Aider les enseignants à l’élaboration de la planification pédagogique et des fiches ;
 Aider les enseignants à l’utilisation des outils de suivi : remplissage, etc;
 Encadrer les enseignants en classe et apporter les remédiations nécessaires ;
 Organiser les sessions de partage et d'exploitation du carnet de bord ;
 Transmettre les informations à l’IEF ;
 Participer aux sessions de formation ;
 Participer à l’évaluation des résultats du testing.

479
L’IEF s’engage à:

 Mettre en œuvre un plan continue ;


 Former tous les enseignants au processus de planification, de suivi évaluation et de régulation des
progressions de tous les apprenants vers la maîtrise des compétences ;
 Former les enseignants sur les compétences de vie courante ;
 Répondre à la demande des daara en matière de formation et d’encadrement ;
 Intégrer les enseignants/daara dans les cellules d’animation pédagogique de la zone ;
 Impliquer de façon pertinente les enseignants/daara dans les regroupements pédagogiques ;
 Organiser des journées d’animation pédagogique mensuelles des enseignants/daara ;
 Concevoir et mettre en œuvre une stratégie globale de suivi-supervision, et d’encadrement des acteurs
pour contrôler l’exécution des programmes dans les daara, faire fonctionner un dispositif de gestion du
quantum horaire, contrôler la régularité des maîtres (régularité dans la présence aux activités obligatoires)
et contrôler l’exécution des tâches liées à la préparation, à la gestion, à l’organisation, à l’évaluation des
apprentissages et à la remédiation ;
 Participer à la création de la base de données ;
 Assurer le suivi / encadrement du testing;
 Recueillir et transmettre à l’I.A les informations provenant des daara testeur;
 Participer aux sessions de formation et aux espaces de régulation initiés par l’équipe
nationale ;
 Participer à l’évaluation des résultats du testing.

3. PROCEDURES FINANCIERES

Conformément à la lettre n° 00003002/MEN/SG/ID/Divp/bb, du 15 juin 2017, pour la phase du testing, la gestion


des fonds destinés à l’appui des plans d’actions des Equipes techniques régionales (ETR) et des daara testeurs,
est sous la responsabilité de l’Inspecteur d’Académie (IA). L’IA transmet au projet le rapport technique et
financier ainsi que toutes les pièces justificatives relatives à l’utilisation des 70 % du financement. Le virement
des 30 % restants dépendra de l’exécution correcte de cette disposition.
NB : Les procédures financières relevant de la responsabilité de l’IEF seront effectives dès la
généralisation du CDM en 2018.

4. DISPOSITIF DE SUIVI- EVALUATION

Un suivi régulier du CDP-testing est réalisé par l’IEF, l’ETR et le « Boroom daara » pour réguler la mise en œuvre
du testing et des engagements pris de part et d’autre et pour suivre l’évolution des performances planifiées.
Ce suivi s’effectue par le biais de réunions mensuelles de suivi, sanctionnées par des rapports faisant le point sur
les réussites, les difficultés constatées, et pistes de solution identifiées.
A la fin de chaque trimestre, un rapport départemental de suivi des contrats de performance, est déposé à L’IA
par l’IEF. De même, une réunion bilan trimestrielle fait le point sur le niveau de réalisation des objectifs, des
modifications à effectuer, des difficultés et réussites ainsi que des recommandations à formuler pour la réussite
du testing. Ces réunions bilan sont élargies aux communautés bénéficiaires et à toutes autres personnes
ressources capables de contribuer à l’atteinte des résultats visés.
Une évaluation du testing est faite par Equipe technique nationale (ETN) en collaboration avec l’ETR.

480
Pour le testing, des outils de suivi-supervision ont été élaborés et mis à la disposition des IEF et Borom Daara. Le
suivi et évaluation du testing doivent se faire en exploitant lesdits outils.
5. SUITE A DONNER AU CDP-TESTING EN TERMES DE DECISIONS

Le testing est une étape de la construction du CDM où les insuffisances et autres imperfections constatées en ce
qui concerne les outils, les supports pédagogiques, la pratique de classe des enseignants, leur maîtrise des
contenus, de l’APC, les réactions des apprenants, le comportement des directeurs, etc. devront être corrigés
pour passer à la généralisation. Les résultats aussi bien positifs que négatifs, seront autant d’enseignements
riches devant servir à améliorer les outils, les supports pédagogiques et les stratégies mises en œuvre dans la
pratique de classe. Sous ce rapport, le daara testeur apportera sa contribution à la consolidation du CDM,
condition nécessaire pour son implantation. Ainsi, dans le cadre la généralisation dudit CDM, le daara, sur la
base des outils améliorés, des leçons apprises et de nouvelles ressources financières, pourra relever le niveau
de la qualité des services dans des infrastructures de qualité en construction.

6. SIGNATAIRES

Ont signé à …………………, le …………

Pour l’IEF Pour le Daara

L’inspecteur chef de circonscription Le Boroom daara

481
Partie B
1. Situation du daara

2. Diagnostic de la qualité
2.1 Infrastructures et équipements
2.2 Manuels d’enseignement-apprentissage

2. Profil des acteurs


2.3.1. Le « boroom daara »
2.3.2. Les enseignants
2.3.3. Participation de la communauté
2.3.4 Dispositif d’encadrement
4. Principaux problèmes à résoudre dans le daara et leurs causes
5.Forces et faiblesses des interventions dans la qualité
6.Contraintes et opportunités à prendre en compte dans le contrat
7.Plan de travail annuel du daara
8.Les signataires

482
1. Situation du daara

 IDENTIFICATION DU DAARA :
 IA:
 IEF :
 DAARA TESTEUR
 CONTACT :
 COMMUNE DE
 STATUT DU SITE DU DAARA :
 ANCIENNETE DU DAARA :
 TAILLE DU DAARA :

EFFECTIFS
TOTAL
FILLES GARCONS
AVEC HANDICAP SANS HANDICAP AVEC SANS
HANDICAP HANDICAP

 Le personnel enseignant :

PERSONNEL
TOTAL
FEMMES HOMMES

2. DIAGNOSTIC DE LA QUALITE

2.1 INFRASTRUCTURES ET EQUIPEMENTS

DESIGNATION EXISTENCE NOMBRE ETAT


OUI NON BON ACCEPTABLE MAUVAIS

LOCAUX
TOILETTES
DORTOIRS
ROBINETS
ELECTRICITE

2..2 MANUELS D’ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE

Rubriques Nombre Observations


Livre de coran
Livre arabe
Livre de lecture en français
Livre de calcul en français

483
(Source : ………………, période……………………)

2.3 PROFIL DES ACTEURS

2.3.1. « Le Borom daara »


.
 2.3.2. Les enseignants

 2.3.3LA PARTICIPATION DE LA COMMUNAUTÉ :

 Existence CGD :
 Fonctionnement :

 2.3.4 DISPOSITIF D’ENCADREMENT :

Tableau 3
Niveau Type de formation initiale et
Rubriques Nombre académique continue reçue pour le métier Observations
d’enseignant
Enseignant en Coran
Enseignant en arabe
Enseignant en français
(lecture et calcul)
(Source :)
.

3. PRINCIPAUX PROBLEMES A RESOUDRE DANS LE DAARA ET LEURS CAUSES

N° PRINCIPAUX PROBLEMES CAUSES SOLUTIONS


1 .
2

3 .
4 .

484
4. FORCES ET FAIBLESSES DU DAARA :

FORCES FAIBLESSES

5. CONTRAINTES ET OPPORTUNITÉS À PRENDRE EN COMPTE DANS LE PLAN D’ACTION DU


DAARA :

CONTRAINTES OPPORTUNITES

485
6. Plan de travail annuel du daara (insérer le plan d’actions du daara testeurs/Cf. Termes de référence pour l’appui aux
plans d’actions des Equipe techniques régionales (ETR) et des daara testeurs)

Plan d’actions Daara de Matam (ex Kanel)


Axes d’intervention Activités Modalités Lieu Responsable Acteurs Moyens Echéance
impliqués

amélioration de Mise en place de 2 Construction et Kanel IA IEF 0 Fin avril 2016


l’environnement des hangars Réhabilitation
d’abris provisoires ETR
apprentissages du daara
Boorom Daara

Collectivité
locale

CGE-Daara

Equipement de 3 Prêt de tables Kanel IA IEF 0 Fin avril 2016


hangars bancs, de bureaux,
de chaises ETR

Réparation de Borom Daara


tables bancs Collectivité
Achat de nattes locale

Achat de tableau CGE-Daara


chevalet

Dotation en fourniture DRP Matam IA IEF 570 000 Octobre 2016


scolaires
Borom daara

486
Dotation en matériels DRP Matam IA IEF 105 000 octobre 2016
didactiques
Borom daara

Appui en vivres DRP Matam IA IEF 2 850 000 De novembre


2016 à juillet
Borom daara 2017

dotation du daara en Mettre à la disposition Appel à Daara de Kanel IA ETR, IEF, 0 Fin avril 2016
personnels enseignants du daara 02 maîtres candidature Borom daara
suffisant, qualifiés et d’arabe et 02 maîtres
motivés de français

Motivation des Paiement Daara de Kanel IA IEF, ETR, CGD, 3 780 000 De novembre
enseignants et maitres d’indemnité Borom daara 2016 à juillet
coraniques testeurs 2017

Motivation du Paiement Daara de Kanel IA IEF, ETR, CGD, 720 000 De novembre
directeur d’indemnité Borom daara 2016 à juillet
2017

Elaboration et Atelier de 02 jours Matam IA ETR, IEF, 0 octobre 2016


signature des contrats Borom daara
d’engagement
Enseignants

Elaboration et Atelier de 02 jours Matam IA ETR, IEF, 3 000 000 décembre


signature des contrats Borom daara 2016
de performances
Enseignants

renforcement des Recrutement de Annonces Environnement du Boorom daara CGD, ETR/ 0 Deuxième
effectifs du daara nouveaux apprenants daara quinzaine
avril 2016

487
aménagement d’une Aménagement d’un Emprunt Matam IA IA,IEF,ETR,CL, 0 Fin avril 2016
direction fonctionnelle espace de direction Borom daara,
dans le daara (bureau et chaise) Communauté

Dotation en DRP Matam IA IEF 50 000 octobre 2016


fournitures de bureau

Le suivi et Encadrement par le Visites de classe Daara de Kanel Borom daara Directeur 0 De novembre
l’encadrement directeur 2016 à juillet
2017

Total 11 075 000

Le présent Plan de Travail Annuel est arrêté à la somme……………………………………………………….mille francs CFA)

488
TABLEAU RECAPITULATIF DU BUDGET

ACTIVITES DEPENSE TOTALE

TOTAL GENERAL

Le présent Plan de Travail Annuel est arrêté à la somme de FRANCS CFA

489
7. SIGNATAIRES
Ont signé à Bambey, le …………

Pour l’IEF Pour le Daara

L’inspecteur chef de circonscription Le Boroom daara

490
ANNEXE 10

Arrêté portant gestion des fonds destinés à l’appui des plans d’actions

491
Annexe 11

République du Sénégal

Un Peuple – Un But – Une Foi

Ministère de l’Education nationale

Inspection des Daara

PROJET D’APPUI A LA MODERNISATION DES DAARA

(PAMOD)

Curriculum des Daara modernes (CDM)

TESTING

GRILLE D’ANALYSE/EVALUATION DES OUTILS DU CDM


ET DU CARNET DE BORD

Juillet 2017

492
Cette grille sera remplie à l’occasion d’un entretien d’explicitation et d’une analyse des documents de
classe dont le carnet de bord de l’enseignant.

IDENTIFICATION
IA :……………………………………………………………………………………………………………………
IEF :……………………………………................................................................................
Dénomination du daara :…………………………………………………………………………………
Etape :………………………………….….Niveau :…………………………………………………………
Classe :……………………..Effectif G : ……………. F :……………………………………………..
Lieu d’implantation :………………………………………………………………………………………
Enseignant (e) :………………………………………………………………………………………………
Date de la visite :……………………………………………………………………………………………

1. Livret de compétences

Domaines ITEMS OUI NON OBSERVATIONS


Langue et La formulation
communication des
compétences et
des paliers est
comprise.
Il y a cohérence
entre les paliers
et la
compétence.
Les objectifs et
les contenus
permettent de
développer les
paliers.
Mathématiques La formulation
des
compétences et
des paliers est
comprise.

493
Il y a cohérence
entre les paliers
et la
compétence.
Les objectifs et
les contenus
permettent de
développer les
paliers.
ESVS La formulation
des
compétences et
des paliers est
comprise.
Il y a cohérence
entre les paliers
et la
compétence.
Les objectifs et
les contenus
permettent de
développer les
paliers.

Observations générales :

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

494
2. Guide pédagogique

DOMAINES ITEMS OUI NON OBSERVATIONS


Langue et La planification
communication des activités
dans le temps
est réaliste.
La progression
des activités
est cohérente.
Les situations
d’intégration
sont
significatives.
Les situations
d’intégration
sont
suffisamment
complexes au
regard des
paliers et des
compétences.
Les barèmes de
notation sont
applicables.
Les
informations
didactiques
sont utiles.

495
Les démarches
proposées et
les illustrations
facilitent la
conduite des
apprentissages.
Les illustrations
sont utiles.
MATHEMATIQUES La planification
des activités
dans le temps
est réaliste.
La progression
des activités
est cohérente.
Les situations
d’intégration
sont
significatives.
Les situations
d’intégration
sont
suffisamment
complexes au
regard des
paliers et des
compétences.
Les barèmes de
notation sont
applicables.
Les
informations
didactiques
sont utiles.

496
Les démarches
proposées et
les illustrations
facilitent la
conduite des
apprentissages.
Les illustrations
sont utiles.
ESVS La planification
des activités
dans le temps
est réaliste.
La progression
des activités
est cohérente.
Les situations
d’intégration
sont
significatives.
Les situations
d’intégration
sont
suffisamment
complexes au
regard des
paliers et des
compétences.
Les barèmes de
notation sont
applicables.
Les
informations
didactiques
sont utiles.

497
Les démarches
proposées et
les illustrations
facilitent la
conduite des
apprentissages.
Les illustrations
sont utiles.

Observations générales :

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

3. Cahier d’activités/apprenant et autres supports

DOMAINES ITEMS OUI NON OBSERVATIONS


Langue et Les activités
Communication proposées
permettent la
consolidation et
l’évaluation des
apprentissages
ponctuels.
Les activités
proposées
permettent une
intégration
progressive des
acquis antérieurs.
Les écritures sont
lisibles.

498
Les
images/illustrations
sont nettes et
expressives.

MATHEMATIQUES Les activités


proposées
permettent la
consolidation et
l’évaluation des
apprentissages
ponctuels.
Les activités
proposées
permettent une
intégration
progressive des
acquis antérieurs.
Les écritures sont
lisibles.
Les
images/illustrations
sont nettes et
expressives.

ESVS Les activités


proposées
permettent la
consolidation et
l’évaluation des
apprentissages
ponctuels.

499
Les activités
proposées
permettent une
intégration
progressive des
acquis antérieurs.
Les écritures sont
lisibles.
Les
images/illustrations
sont nettes et
expressives.

Observations générales :

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

4. Carnet de bord

ITEMS OUI NON


Le carnet de bord est utilisé.
Le carnet de bord est correctement rempli (clair, lisible…).
Le carnet de bord donne des informations utiles.
Les solutions proposées sont pertinentes.
Le carnet de bord est bien tenu.

Observations :

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

500
ANNEXE 12
République du Sénégal

Un Peuple – Un But – Une Foi

Ministère de l’Education nationale

Inspection des Daara

PROJET D’APPUI A LA MODERNISATION DES DAARA

(PAMOD)

Curriculum des Daara modernes (CDM)

TESTING

GRILLE D’OBSERVATION D’ACTIVITES DE CLASSES EN


APC

Juillet 2017

501
IDENTIFICATION
IA :…………………………………………………………………………………………………..
IEF :……………………………………................................................................
Dénomination du daara :……………………………………..…………………..........
Etape :………………………………….….Niveau :………………………………………….
Classe :……………………..Effectif G : ……………. F :……………………………….
Lieu d’implantation :……………………………………………………………..............
Enseignant (e) :…………………………………………………………………………………
Date de la visite :………………………………………………………………………………
Activité observée : ………………………………………………………………………………………………….

ITEMS Eléments observés Oui Non Appréciations et propositions

I­ Préparation de la Il existe un affichage


classe réglementaire

Il existe une fiche de


préparation des
activités

502
La préparation est en
adéquation avec la
planification
(répartition) des
apprentissages
Le matériel et les
supports pédagogiques
sont disponibles (L C,
guide pédagogique,
supports
pédagogiques)
La démarche
envisagée( résolution
de problèmes,
clarification des valeurs
etc…) permet à l’élève
de participer à la
construction des
savoirs
Des techniques de
pédagogie active sont
envisagées pour
l’animation de la classe
(Enquête, interview,
élaboration
progressive,
brainstorming…..)
Les situations
didactiques et les
situations d’évaluation
sont en congruence
avec les objectifs
d’apprentissage

503
L’enseignant prend
d’autres initiatives

II­ Organisation de L’activité se déroule en


la classe intra muros

L’activité se déroule en
extra muros

Les apprenants sont


disposés de manière
traditionnelle
(classique, frontale)

Les apprenants sont


disposés en cercle ou
en demi­cercle

Les apprenants sont


disposés en ateliers de
travail

504
Les apprenants sont
disposés autrement

Dans l’activité il y a
alternance entre travail
individuel, travail de
groupes et travail
collectif

L’enseignant met les


apprenants en
situation
III­ Pratique d’apprentissage
pédagogique (situation problème
didactique)
A] Apprentissages
ponctuels

Les apprenants
s’approprient la tâche

Les apprenants
s’engagent dans des
activités de recherche

505
L’enseignant favorise la
relation pédagogique
horizontale

Le niveau de langue de
l’enseignant est adapté
au niveau des
apprenants

La gestion de l’espace
est appropriée

La gestion du temps
est appropriée

506
L’enseignant maîtrise
les contenus

Les moyens sont


utilisés à bon escient.

Des synthèses
(résumés, règles,
formules…) approprié
es sont tirées

L’enseignant évalue la
maîtrise des
apprentissages
ponctuels

B] Apprentissages Les apprenants sont


de mis en situation
l’intégration (acqui d’acquisition
sition,
consolidation,

507
évaluation,
remédiation)

Les apprenants sont


mis en situation de
consolidation

Les apprenants sont


mis en situation
d’évaluation de
l’apprentissage de
l’intégration

L’enseignant propose
des activités de
remédiation

508
Les apprenants sont
mis en situation
d’évaluation des
C)
paliers et/ou de la
Evaluation/remédi compétence
ation
(compétences,
paliers)

L’enseignant exploite
les productions pour
repérer les réussites et
les insuffisances

L’enseignant propose
des activités de
remédiation

509
ENTRETIEN AVEC L’ENSEIGNANT (résumé)
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

APPRECIATIONS GLOBALES DU SUPERVISEUR


………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Fait à :…………………..…le……………………..

L’Inspecteur

510
ANNEXE 13

République du Sénégal

Un Peuple – Un But – Une Foi

Ministère de l’Education nationale

Inspection des Daara

PROJET D’APPUI A LA MODERNISATION DES DAARA

(PAMOD)

Curriculum des Daara modernes(CDM)

TESTING

CARNET DE BORD DE L’ENSEIGNANT (E)

Juillet 2017

511
Carnet de bord de l’enseignant (e)

IDENTIFICATION
IA :…………………………………………………………………………………………………….
IEF :…………………………………….................................................................
Dénomination du daara :…………………………………………………………………..
Etape :………………………………….….Niveau :…………………………………………..
Classe :……………………..Effectif G : ……………. F :……………………………….
Lieu d’implantation :…………………………………………………………………………
Enseignant (e) :…………………………………………………………………………………

Note à l’utilisateur­trice

Le carnet de bord constitue un outil de consignation


d’observations majeures destiné à l’enseignant(e). Il est la
mémoire du testeur au niveau de la classe. Il devra le remplir
chaque semaine après des périodes significatives de mise en
œuvre et à la suite d’autoévaluation du parcours réalisé ou au
fur et à mesure qu’il rencontrera dans le testing des différents
intrants des motifs de satisfaction ou des difficultés
importantes.
Le carnet de bord devra toujours être disponible dans la classe.

N.B. Par souci de conservation il est recommandé d’utiliser un


cahier comportant les différents éléments du carnet de bord.

512
Carnet de bord de l’enseignant (e)
1. Exploitation du Livret de Compétences (L.C.)

Date Compétences Objectifs Contenus

Difficultés (page, Propositions Difficultés Propositions Difficultés (page, titre Propositions


titre et ligne, etc.) (page, titre et et ligne, etc.)
ligne, etc.)

513
Carnet de bord de l’enseignant (e)
2 Exploitation du guide

Date Planification Situations d’intégration Démarches et illustrations

Difficultés (page, Propositions Difficultés (page, Propositions Difficultés (page, titre Propositions
titre et ligne, etc.) titre et ligne, etc.) et ligne, etc.)

514
Carnet de bord de l’enseignant (e)
3.Pratique de classe (autoévaluation hebdomadaire)
3.1 Apprentissages ponctuels

Date Acquisition Consolidation Evaluation Remédiation

Difficultés Propositions Difficultés Propositions Difficultés (page, Propositions Difficultés (page, Propositions
(page, titre (page, titre et titre et ligne, titre et ligne, etc.)
et ligne, ligne, etc.) etc.)
etc.)

515
3.2 Apprentissage de l’intégration 166
Date Acquisition Consolidation Evaluation Remédiation

Difficultés Propositions Difficultés Propositions Difficultés Propositions Difficultés (page, titre Propositions
(page, titre (page, titre (page, titre et ligne, etc.)
et ligne, et ligne, et ligne,
etc.) etc.) etc.)

166
L’apprentissage de l’intégration comprend trois moments impliquant l’utilisation d’au moins trois SSI.

516
Carnet de bord de l’enseignant ( e )
4. Gestion du temps et de l’espace
Date Gestion du temps : Emploi du temps, Crédit horaire 167 Gestion de l’espace Modalités de travail(individuel, groupe,
collectif)

Difficultés Propositions Difficultés Propositions Difficultés Propositions

167
Il s’agit de se prononcer sur la succession des activités et la durée de chaque activité.

517
Carnet de bord de l’enseignant (e)

5. Renforcement de capacités

- Voici une liste indicative de thèmes de formation : évaluation ; remédiation ; démarches de pédagogie active ;
élaboration de SSI ; autres…
- Indique dans le tableau ci­dessous tes besoins de formation par ordre de priorité.

N° Thème

518
6 .Observations générales et recommandations
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………

519
ANNEXE 14

République du Sénégal
Un Peuple – Un But – Une Foi
Ministère de l’Education nationale
Inspection des Daara
INSPECTION D’ACADEMIE
DE………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION DE


……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

EMPLOI DU TEMPS DES DAARA MODERNES 168

ETAPE 1 (1ère Année, 1er trimestre)

Horaires Samedi Dimanche Lundi Mardi Mercredi

9h­10h Coran

10h­10h15 Pause

10h15­10h45 Ecriture

1045­11h45 Coran

11h45­12h Pause

168
Source « Normes et standards de qualité pour l’école coranique », juillet 2011

520
République du Sénégal
Un Peuple – Un But – Une Foi
Ministère de l’Education nationale
Inspection des Daara

INSPECTION D’ACADEMIE
DE………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION DE


……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

EMPLOI DU TEMPS DES DAARA MODERNES 169

ETAPE 1 (1ère Année, 2ième et 3ième trimestres, 2ième et 3ièmeannées)

Horaires Vendredi Samedi Dimanche Lundi Mardi Mercredi


9h­10h Coran EPS

10h­11h Pratiques Morale Pratiques Morale Pratiques


cultuelles cultuelles cultuelles

11h­11h45 Coran

11h45­ Pause
12h15

12h15­13h Coran

13h­15h Pause­déjeuner

15h­16h

16h­16h15 Pause

16h15­17h Mémorisation

169
Source « Normes et standards de qualité pour l’école coranique », juillet 2011

521
République du Sénégal
Un Peuple – Un But – Une Foi
Ministère de l’Education nationale
Inspection des Daara
INSPECTION D’ACADEMIE
DE……………………………………………………………………………………………………………………………………………………

INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION DE


………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

EMPLOI DU TEMPS DES DAARA MODERNES 170

ETAPE 2

Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi


8h­9h Coran

9h­10h Hadith Pratiques Tawhid (30mn) Arabe EPS


cultuelles
Sira (30mn)

10h­11h Français Arabe

11h­11h30 Pause

11h30­12h30 Coran

12h30­13h Histoire Géographie Initiation Vivre ensemble dans son milieu


scientifique

13h­15h Pause­déjeuner

15h­16h Arabe Activités Mesure Activités Résolution de


numériques géométriques problèmes

16h­16h15 Pause

16h15­17h Coran

170
Source « Normes et standards de qualité pour l’école coranique », juillet 2011

522
République du Sénégal
Un Peuple – Un But – Une Foi
Ministère de l’Education nationale
Inspection des Daara

INSPECTION D’ACADEMIE
DE………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION DE


……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

EMPLOI DU TEMPS DES DAARA MODERNES 171

ETAPE 3

Horaires Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi


8h­9h Coran

9h­10h Hadith Pratiques Tawhid Arabe EPS


cultuelles

10h­11h Français Arabe

11h­11h30 Pause

11h30­12h30 Activités Sira Français


numériques

12h30­13h Histoire Géographie Initiation Vivre ensemble dans son milieu


scientifique

13h­15h Pause­déjeuner

15h­16h Arabe Mesure Activités Mesure Résolution de


géométriques problèmes

16h­16h15 Pause

16h15­17h Arabe
Français

171
Source « Normes et standards de qualité pour l’école coranique », juillet 2011

523
République du Sénégal
Un Peuple – Un But – Une Foi
Ministère de l’Education nationale
Inspection des Daara

INSPECTION D’ACADEMIE
DE……………………………………………………………………………………………………………………………………………………

INSPECTION DE L’EDUCATION ET DE LA FORMATION DE


…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

QUANTUM HORAIRE DES DAARA DU PAMOD172

Domaines Sous­ Activités Quantum hebdomadaire


domaines

1er cycle 2ième


cycle
Etape 1 (An Etape 1 Etape 2
1, 1er (An 1
trimestre) suite et
An 2 et
3)

Disciplines Coran Lecture/écriture/ 12h30 16h30 13h45 5h


non
mémorisation
linguistiques
Education Tawhid 5h 3h 3h
religieuse
Hadith

Pratiques
cultuelles

CVC4 Santé, hygiène, 1h 1h 1h


environnement

Etude du milieu 2h30 2h30

Maths Maths 4h 5h

EPS 1h 1h 1h

Disciplines Communication Arabe 3h 6h


linguistiques

Français 4h 6h15

Récréation 3h45 3h45 3h45 3h45

172
Source « Normes et standards de qualité pour l’école coranique», juillet 2011

524
TABLE DES MATIERES
Résumé ........................................................................................................................ 1

Préambule................................................................................................................... 2

Acronymes .................................................................................................................. 4

Introduction générale ............................................................................................. 6

Partie I - Cadre descriptif et Etat des lieux ................................................ 12


Introduction 1........................................................................................................... 13
Chapitre I- La présentation générale du Sénégal ............................................... 14

1- 1- PRESENTATION DU SENEGAL ............................................................................ 15

1- 1- 1- La présentation physique du Sénégal ............................................................ 15

1- 1- 2- La présentation politique ................................................................................ 16

1- 1- 2- 1- La division administrative ....................................................................... 16

1- 1- 2- 2- L’organisation constitutionnelle ............................................................. 17

1- 1- 2- 3- Les données démographiques ............................................................... 20

1- 1- 3- L’organisation sociale et religieuse avant la colonisation ............................... 22

1- 1- 4- Les religions révélées..................................................................................... 25

1- 2- FAMILLES RELIGIEUSES AU SENEGAL .............................................................. 28

1- 2- 1- Le christianisme et les guides religieux catholiques ....................................... 28

1- 2- 2- Les religions traditionnelles et les chefs coutumiers ...................................... 30

1- 2- 3- Les confréries et guides religieux musulmans ................................................ 31

1- 2- 3- 1- La confrérie Tidiane ou la "Tidiania" ....................................................... 32

525
1- 2- 3- 2- La confrérie Mouride de Cheikh Ahmadou Bamba ................................ 33

1- 2- 3- 3- La confrérie "Layène"............................................................................ 36

1- 2- 3- 4- La confrérie "Qadiriya" .......................................................................... 37

1- 2- 3- 5- Le poids des confréries et des marabouts au Sénégal ......................... 38

1- 2- 4- L'influence des chefs religieux au Sénégal ...................................................... 39

1- 2- 4- 1- Le pouvoir maraboutique pendant la colonisation .................................... 40

1- 2- 4- 2- L’influence des guides religieux après les indépendances ...................... 41

1- 2- 4- 3- La période des "ndiguël" électoraux......................................................... 44

1- 2- 4- 4- Le pouvoir religieux et l’alternance politique ............................................ 50

1- 3- DIALOGUE INTERRELIGIEUX, UNE TRADITION AU SENEGAL ......................... 52

1- 3- 1- La parentalité mixte ........................................................................................ 53

1- 3- 2- Les références dans les textes sacrés ........................................................... 54

1- 3- 3- La responsabilité et l'engagement des élites .................................................. 55

1- 3- 4- L'engagement des partenaires et des associations........................................ 56

1- 4- CONCLUSION 1 ............................................................................................... 57

Chapitre II- Le système éducatif sénégalais ........................................................ 59

2- 1- ORGANISATION DU SYSTEME EDUCATIF SENEGALAIS .................................. 60

2- 1- 1- Les services et divisions du Ministère de l’Education Nationale..................... 60

2- 1- 2- L’organigramme du Ministère de l’Education Nationale ................................. 62

2- 2- DESCRIPTION DU CYCLE FONDAMENTAL DU SYSTEME EDUCATIF ............. 63

2- 2- 1- L’éducation préscolaire .................................................................................. 63

2- 2- 2- L’enseignement élémentaire .......................................................................... 67

2- 2- 3- L’enseignement Moyen ................................................................................... 72

526
2- 3- L’ECOLE PUBLIQUE FORMELLE SENEGALAISE ............................................... 76

2- 3- 1- La distinction entre école formelle et école non-formelle................................ 76

2- 3- 2- L’école sénégalaise pendant la colonisation .................................................. 77

2- 3- 2- 1- L'apport des missionnaires dans l’expansion de l'école ........................ 78

2- 3- 2- 2- L’Abbé David Boilat, missionnaire et initiateur de collège ..................... 79

2- 3- 2- 3- Rapport entre Faidherbe et les musulmans: ......................................... 80

2- 3- 3- L’école sénégalaise post coloniale en quête de repère .................................. 81

2- 3- 3- 1- Première période : de 1960 à 1980 ....................................................... 81

2- 3- 3- 2- Deuxième période : de 1980 à 2000 ...................................................... 84

2- 3- 3- 3- Troisième période : de 2000 à nos jours… ............................................ 87

2- 3- 4- Les programmes et projets traduisant la politique éducative.......................... 88

2- 3- 4- 1- Le plan décennal et le projet « Éducation de Qualité Pour Tous » ......... 88

2- 3- 4- 2- Le PAQUET ........................................................................................... 90

2- 4- CONCLUSION ....................................................................................................... 92

Chapitre III- L’enseignement religieux au Sénégal ............................................ 93

3- 1- ENSEIGNEMENT ARABO-ISLAMIQUE ................................................................. 94

3- 1- 1- L’enseignement arabo-islamique avant la colonisation ................................. 94

3- 1- 1- 1- Les écoles coraniques, polysémie de termes ........................................ 95

3- 1- 1- 2- Les grands centres éducatifs ................................................................. 97

3- 1- 2- L’enseignement arabo-islamique pendant la colonisation .............................. 98

3- 1- 2- 1- L’expansion de l’enseignement islamique ............................................. 98

3- 1- 2- 2- Les tentatives de contrôle de l’enseignement religieux ......................... 99

3- 1- 2- 3- La Médersa de Saint-Louis .................................................................. 101

3- 1- 3- L’enseignement arabo-islamique après la colonisation ................................ 103

3- 1- 3- 1- Le développement des "daara" en charge de cet enseignement ......... 103

527
3- 1- 3- 2- Le développement des écoles privées franco-arabes.......................... 105

3- 1- 3- 3- L’enseignement arabo-islamique aujourd’hui ....................................... 106

3- 1- 3- 4- La création d’écoles franco-arabes publiques...................................... 109

3- 1- 3- 5- L’exemple du daara de COKI ............................................................... 110

3- 2- ENSEIGNEMENT RELIGIEUX CATHOLIQUE ...................................................... 111

3- 2- 1- Histoire et mission de l’école catholique....................................................... 112

3- 2- 2- L’enseignement religieux dans les écoles catholiques ................................. 113

3- 2- 3- Le programme d’enseignement religieux dans les écoles catholiques ......... 114

3- 3- CONCLUSION ..................................................................................................... 117

Chapitre IV- La problématique générale de la recherche ............................... 119

4-1- CONTEXTE DE LA RECHERCHE ........................................................................ 120

4- 1- 1- L’extériorité du principe de laïcité au Sénégal ? ............................................ 120

4- 1- 2- La laïcité : objet d’un conflit d’interprétation au Sénégal ............................... 122

4- 1- 2- 1- Le contenu de la laïcité ......................................................................... 122

4- 1- 2- 2- Le caractère non-consensuel de la laïcité au Sénégal.......................... 130

4- 1- 2- 3- L’impossibilité d’une privatisation stricte de la religion .......................... 136

4- 1- 3- Le débat sur la laïcité au Sénégal ................................................................. 140

4- 1- 3- 1- Le débat sur la laïcité dans l’espace public........................................... 141

4- 1- 3- 2- Le débat sur le code de la famille ......................................................... 144

4- 1- 4- Les innovations de 2002 dans le système éducatif sénégalais ..................... 148

4- 1- 4- 1- Le débat sur la religion à l’école publique ............................................. 148

4- 1- 4- 2- La problématique de la modernisation des "daara"............................... 155

4- 2- CONSTRUCTION DE LA PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE ................... 164

4- 2- 1- La question de la recherche ......................................................................... 164

528
4- 2- 2- Les objectifs de la recherche........................................................................ 167

4- 2- 2- 1- Examiner les effets de la réforme de 2002 ............................................. 167

4- 2- 2- 2- Analyser le modèle et les types de laïcité construits au Sénégal ........... 169

4- 2- 3- La formulation et la présentation des hypothèses de recherche .................... 170

4- 2- 3- 1- Les innovations de 2002, observatoire de la forme de laïcité ................ 170

4- 2- 3- 2- La coopération, identité du régime de séparation des pouvoirs au


Sénégal .................................................................................................................... 173

4- 2- 3- 3- La multiculturalisme, cadre de jouissance des finalités de la laïcité au


Sénégal .................................................................................................................... 175

4- 3- CONCLUSION ..................................................................................................... 176

Conclusion 1 .......................................................................................................... 178

Partie II – Cadre Théorique et Méthodologique .................................. 180

Introduction 2......................................................................................................... 181


Chapitre V- La laïcité : un concept à géométrie variable ................................ 182

5- 1- ARCHEOLOGIE ET SIGNIFICATIONS DE LA LAÏCITE ....................................... 183

5- 1- 1- Étymologie et origine du mot laïcité ............................................................. 183

5- 1- 2- Évolution de la signification .......................................................................... 184

5- 2- MARCHE VERS LA LAÏCITE ............................................................................... 186

5- 2- 1- Le commencement dans la pensée ............................................................. 186

5- 2- 1- 1- L’émergence de la pensée critique ...................................................... 186

5- 2- 1- 2- La philosophie des Lumières ............................................................... 188

5- 2- 2- Les actes de référence de la laïcité .............................................................. 190

5- 2- 2- 1- La Révolution française........................................................................ 190

5- 2- 2- 2- L'œuvre de Napoléon et l'indépendance de l'école .............................. 193

529
5- 2- 2- 3- La loi de séparation de 1905 ................................................................ 196

5- 2- 2- 4- L’exception de l’Alsace – Moselle ........................................................ 198

5- 2- 2- 5- La notion de seuil de laïcisation ........................................................... 200

5- 3- PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA LAÏCITE .................................................. 204

5- 3- 1- La séparation des pouvoirs .......................................................................... 204

5- 3- 2- La neutralité de l’Etat.................................................................................... 207

5- 3- 3- La liberté de conscience............................................................................... 209

5- 3- 4- L’égalité entre tous ....................................................................................... 210

5- 4- ESSAI(S) DE DEFINITION DE LA LAÏCITE ......................................................... 211

5- 4- 1- La laïcité, un cadre juridique ........................................................................ 212

5- 4- 2- La laïcité comprise comme une question politique ....................................... 214

5- 4- 3- Laïcité et sécularisation ................................................................................ 218

5- 4- 4- Des exemples de sécularisation ou de laïcisation ........................................ 221

5- 4- 5- Les modèles de laïcité.................................................................................. 227

5- 4- 6- Laïcité et valeur (s) ....................................................................................... 233

5- 5- LAÏCITE ET TOLERANCE.................................................................................... 241

5- 5- 1- La tolérance : une notion, un idéal ............................................................... 241

5- 5- 2- Des libertés partielles à la reconnaissance positive ..................................... 242

5- 5- 3- Liens entre tolérance et laïcité ..................................................................... 247

5- 5- 4- La tolérance, valeur essentielle à cultiver ..................................................... 248

5- 5- 5- Les cinq régimes de tolérance de Walzer .................................................... 250

5- 5- 5- 1- La tolérance, attitudes à cultiver .......................................................... 251

5- 5- 5- 2- Les empires multinationaux ................................................................. 252

5- 5- 5- 3- La société internationale ...................................................................... 252

5- 5- 5- 4- Les consociations................................................................................. 253

530
5- 5- 5- 5- Les États-nations ................................................................................. 253

5- 5- 5- 6- Les sociétés d'immigration ................................................................... 254

5- 5- 5- 7- Le cas complexe de la France ............................................................. 254

5- 6- CONCLUSION ..................................................................................................... 256

Chapitre VI- La méthodologie ............................................................................... 258

6- 1- CHOIX DE LA METHODOLOGIE......................................................................... 258

6- 1- 1- La justification du choix de la méthodologie ................................................. 258

6- 1- 2- L'approche qualitative .................................................................................. 259

6- 2- TRIANGULATION DE TECHNIQUES DE RECHERCHE ..................................... 260

6- 2- 1- L’étude documentaire ................................................................................... 260

6- 2- 1- 1- La documentation archivée .................................................................. 261

6- 2- 1- 2- La documentation officielle ................................................................... 261

6- 2- 1- 3- La constitution du corpus documentaire............................................... 262

6- 2- 2- L'entretien..................................................................................................... 264

6- 2- 2- 1- L’entretien en recherche scientifique.................................................... 264

6- 2- 2- 2- Les différents types d'entretien ............................................................ 265

6- 2- 2- 3- Le choix de l’entretien semi-directif ...................................................... 267

6- 2- 2- 3- 1- Le guide d’entretien ..................................................................... 268

6- 2- 2- 3- 2- La démarche utilisée lors des entretiens ...................................... 271

6- 2- 3- L'analyse de discours ................................................................................... 272

6- 2- 3- 1- La démarche méthodologique de l'analyse de discours ....................... 272

6- 2- 3- 2- L'argumentation dans le discours ......................................................... 274

6- 3- CONCLUSION .................................................................................................... 275

Chapitre VII- La construction d’un modèle d’analyse ...................................... 276

7- 1- OPERATIONNALISATION DU CADRE THEORIQUE .......................................... 277

531
7- 1- 1- La modélisation des hypothèses de la recherche ....................................... 277

7- 1- 2- Vers la conceptualisation de ces principes de bases au Sénégal ................ 280

7- 1- 3- La mobilisation des concepts de laïcité et tolérance au Sénégal ................. 282

7- 2- METHODE D’IDEALTYPE .................................................................................... 284

7- 2- 1- La définition d’un idéaltype ........................................................................... 284

7- 2- 2- L’utilisation de l’idéaltype dans l’analyse des types de laïcité ...................... 285

7- 2- 2- 1- Laïcité séparatiste ................................................................................ 286

7- 2- 2- 2- Laïcité autoritaire.................................................................................. 288

7- 2- 2- 3- Laïcité anticléricale............................................................................... 289

7- 2- 2- 4- Laïcité de foi civique............................................................................. 291

7- 2- 2- 5- Laïcité de reconnaissance ................................................................... 293

7- 2- 2- 6- Laïcité de collaboration ........................................................................ 294

7- 2- 3- L’utilisation de l’idéaltype pour le cas du Sénégal ........................................ 295

7- 3- CONCLUSION ..................................................................................................... 296

Conclusion 2 .......................................................................................................... 297

Partie III- Cadre d’analyse et interprétation des résultats de la


recherche ................................................................................................................ 298

Introduction 3......................................................................................................... 299

Chapitre VIII- Présentation, analyse et interprétation des données


recueillies ................................................................................................................... 300

8- 1- PRESENTATION DES DONNEES DE LA RECHERCHE.................................... 301

8- 1- 1- Les textes en lien avec l’introduction de l’éducation religieuse…. ................ 302

8- 1- 1- 1- La loi d’orientation de l’Education Nationale…. .................................... 302

532
8- 1- 1- 2- La loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004 modifiant et complétant la loi
d'orientation de l’Education Nationale ........................................................................... 304

8- 1- 1- 3- Les emplois du temps curriculaires…. .................................................. 308

8- 1- 2- Les textes en lien avec le projet de la modernisation des "daara"................. 310

8- 1- 2- 1- L’arrêté portant missions et organisation de l’inspection des "daara"… . 310

8- 1- 2- 2- L’accord-cadre pour la promotion des "daara" ...................................... 312

8- 1- 2- 3- Le projet de loi portant statut du"daara" ................................................ 313

8- 1- 2- 4- Le contrat de performance pour le testing ............................................. 315

8- 1- 3- La description et la mise en place de ces deux innovations .......................... 317

8- 1- 4- La présentation des entretiens ...................................................................... 322

8- 1- 4- 1- La population visée et la constitution de l’échantillon ........................... 323

8- 1- 4- 2- Les conditions générales de conduite des entretiens........................... 326

8- 2- ANALYSE DES DONNEES RECUEILLIES.......................................................... 328

8- 2- 1- L’analyse sémantique par "Tropes" .............................................................. 329

8- 2- 1- 1- Le scénario de l’introduction de la religion à l’école ............................. 329

8- 2- 1- 2- Le scénario du projet concernant les "daara"....................................... 330

8- 2- 2- Les résultats de l’analyse thématique catégorielle ....................................... 330

8- 2- 2- 1- Les données recueillies sur l’éducation religieuse ............................... 231

8- 2- 2- 2- Les données recueillies sur le projet de modernisation des "daara" .... 358

8- 3- INTERPRETATION DES RESULTATS RECUEILLIS .......................................... 368

8- 3- 1- L’éducation religieuse dans les écoles publiques élémentaires ................... 368

8- 3- 2- Le projet de modernisation des "daara" ....................................................... 375

8- 4- CONCLUSION ..................................................................................................... 380

533
Chapitre IX- Le régime et les visions de la laïcité au Sénégal ...................... 383

9- 1- LAÏCITE AU SENEGAL, UN MODELE EN PERPETUELLE ADAPTATION ........ 384

9- 1- 1- L’inculturation progressive de la laïcité......................................................... 385

9- 1- 2- Les réajustements éducatifs de 2002 ........................................................... 388

9- 2- LAÏCITE AU SENEGAL : COHABITATION DE DIFFERENTES VISIONS ........... 391

9- 2- 1- La laïcité « séparatiste inclusive »................................................................ 391

9- 2- 2- La laïcité « cultuelle ou de proposition » ...................................................... 397

9- 2- 1- La laïcité « égalitaire ou de reconnaissance » ............................................. 400

9- 2- 2- La laïcité de non-reconnaissance ou absente .............................................. 403

9- 3- CONCLUSION ..................................................................................................... 406

Conclusion 3 .......................................................................................................... 407

Conclusion générale .......................................................................................... 408

Bibliographie .......................................................................................................... 412

Annexes ................................................................................................................... 431

Abstract (Résumé en anglais) ..................................................................... 536

534
ABSTRACT
Following international recommendations and with the aim of achieving universal
primary-level education, the Government of Senegal, has undertaken a reform of its
education system, starting in the school year 2002-2003.

This includes: the introduction of religious education in state-funded primary schools,


the creation of state-funded French-Arabic schools, the modernisation of daara Koranic
schools and experimenting with the teaching of local language in state-funded primary.

The consideration of religion in children's education through the education system is


responding to repeated, strong demand by religious communities and a large section of
the Senegalese population. This demand was formally expressed during the General
Review of Education and Training held in 1981.

Certain aspects of the reforms question the laicity model in use in Senegal - started as
soon as the government changed after general elections. The question of the present
dissertation is rooted in the recurring polemics and the dispute over interpretation of
laicity that occurred between independence (1960) and the beginning of 2002.

To address the research question, two objectives have been chosen: to examine the
effects of the introduction of religious education in state-funded primary schools and the
project of modernisation of Koranic schools, to analyse the model and different visions
of laicity in Senegal.

It is therefore a question of diagnosing the issues and challenges of the two reforms and
using them as a framework for observation research into the model and different types
of laicity in Senegal. Our methodology for this research is to use literature review, semi-
directive interviews and analysis of speeches.

535

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