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LES CRISES ECONOMIQUES ET FINANCIERES DE 1990 A
2008. SOMMAIRE Introduction. I/ Les cycles économiques II/ Les crises financières A. Caractéristiques B. Formes 1. Crises bancaires 2. Crises boursières Crises de change
III/ Exemples de crises financières
A. La crise asiatique B. La crise turque C. Autres crises D. La crise des « subprimes » C. IV/ Enseignements et propositions Conclusion: La stabilité financière comme bien public mondial
I. LES CYCLES ECONOMIQUES
L’économie évolue de manière cyclique. Les phases d’expansion et de croissance succèdent à des phases de récession et de crise. On distingue plusieurs types de cycles: 1. les cycles « Juglar » du nom de Clément Juglar (1862), médecin français qui a mis en évidence des cycles d’une durée de 9 à 10 ans. 2. Les cycles « Kitchin » du nom du statisticien J. Kitchin (1922) qui a mis en évidence des cycles dits «mineurs» d’une durée approximative de 40 mois (3 ans et 4 mois environ) qui seraient en quelque sorte inscrits à l’intérieur des cycles Juglar. 3. Les cycles « Kondratiev » du nom de l’économiste russe qui au début des années 1920 a mis en évidence des cycles longs dans les économies développées d’une longueur approximative comprise entre 50 et 60 ans. Aujourd’hui on a quasiment abandonné cette classification des cycles en fonction de leur durée pour adopter la définition du NBER (National Bureau of Economic Research) à la suite des travaux de A.Burns et W.C Mitchell (1946): «Les cycles économiques sont un type de fluctuations qui affectent l’activité économique générale des pays dans lesquels la production est essentiellement le fait d’entreprises privées: un cycle est constitué d’expansions qui se produisent à peu près au même moment dans les nombreuses branches de l’activité économique, expansions qui sont suivies par des récessions, des contractions et des reprises qui affectent elles aussi l’ensemble des activités économiques, les reprises débouchant sur la phase d’expansion du cycle suivant: cette suite de phases n’est pas parfaitement périodique mais seulement récurrente; la durée des cycles des affaires est comprise entre un et dix ou douze ans; ils ne sont pas divisibles en cycles plus courts de même type dont l’amplitude serait à peu près semblable à la leur». La durée et l’amplitude des cycles sont divisées en 4 phases : expansion, récession, contraction et reprise. Les phases basses du cycle ne sont pas caractérisées par une décroissance du niveau absolu de l’activité mais par un taux de croissance particulièrement faible. Le revenu national dans les pays développés n’a décru que très rarement d’une année sur l’autre. Une telle décroissance ne s’est produite en France qu’en 1973,1993 et probablement 2013. On définit donc généralement le cycle comme des phases par rapport à une tendance de la croissance, d’où la nécessité d’extraire le trend des séries. Le NBER définit une « récession dans la croissance » comme une « phase récurrente de croissance lente dans la production totale, le revenu, l’emploi et l’activité durant habituellement un an ou davantage ». Ce type de phase peut contenir une récession précédée par un ralentissement. les séries économiques sont beaucoup moins ordonnées, beaucoup moins régulières que ne le supposent les théories des fluctuations endogènes. La majeure partie des travaux en macroéconomie appliquée traitant des fluctuations économiques à l’heure actuelle se base sur une vision exogène des cycles, c’est-à- dire que les chocs sont propagés à travers le système et ainsi engendrent des fluctuations. La Théorie des Cycles Réels (TCR) ou Real Business Cycle (RBC) qui se développe au début des années 80 ne fait jouer aucun rôle à la monnaie dans la dynamique du cycle économique. Les perturbations réelles que subit l’économie à partir de chocs exogènes d’offre dus à des catastrophes naturelles ou à des évènements politiques, mais surtout à des découvertes technologiques qui créent des chocs de productivité, sont seuls à l’origine des fluctuations de la production, de l’emploi et des prix. Cette position théorique s’oppose au point de vue keynésien qui souligne les effets de la monnaie dans le cycle. Elle nie l’existence d’un chômage involontaire et réaffirme le dogme néo- classique de neutralité de la monnaie: les phénomènes monétaires n’ont pas d’effets réels. Cependant, depuis les années 90, les «Nouveaux keynésiens» ont développé des modèles visant à expliquer les rigidités de certaines grandeurs monétaires. Les effets de politiques économiques peuvent donc être réhabilités. La théorie actuelle emprunte le cadre d’analyse de la TCR, mais admet que les chocs d’offre ne sont pas suffisants pour rendre compte de toutes les fluctuations. Ils introduisent donc des rigidités et des imperfections de marché dans la TCR, pour aboutir à des Modèles d’Equilibre Général Intertemporels Stochastiques qui se substituent aux modèles de type IS-LM que nous avons évoqués la dernière fois. La grande majorité des macroéconomistes appliqués partagent la même approche analytique générale basée sur la distinction entre impulsion et propagation. Néanmoins, de nouvelles approches endogènes se réfèrent à la non linéarité et développent des « théories du chaos ». II. LES CRISES FINANCIERES A. LES CARACTERISTIQUES DES CRISES FINANCIERES l’instabilité financière se manifeste par des mouvements importants et parfois brutaux des variables financières, notamment les cours boursiers et les taux de change. Elle prend la forme de phases haussières (les booms) ou baissières (les dépressions). Dans ces phases, les variables tendent à s’éloigner d’une manière significative et durable de leur valeur d’équilibre fondamental. Les crises financières désignent des perturbations sur les marchés bancaires et financiers qui conduisent au « risque systémique ». On peut parler de crise financière lorsque l’une au moins des trois fonctions clés du système financier est mise en danger. Ce sont : l’allocation du crédit et des capitaux, la circulation des moyens de paiement et l’évaluation des actifs financiers. Les phénomènes d'instabilité et de crises financières ne sont pas nouveaux. Dans son livre « Histoire mondiale de la spéculation financière de 1700 à nos jours » (1989), Charles Kindleberger montre que les crises financières sont un éternel recommencement depuis que la finance a commencé s’organiser dans le monde (autour des pays tels que la Hollande, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France) Les formes que prend l’instabilité financière se transforment au cours de l’évolution du capitalisme. Aux XVIIè et XVIIIè siècles: elles concernent la crise de la dette des souverains, la spéculation sur le commerce des bulbes de tulipes à Amsterdam puis les actions de la Compagnie des Indes. Aux XIXè siècle, elles s’étendent aux Bourses de valeurs et prennent également la forme de faillites bancaires (crise de la Baring anglaise en 1890) Le XXe siècle et le début du XXIe connaissent les trois formes principales de crises financières : les crises bancaires, les krachs boursiers et les crises de change.
B. LES DIFFERENTES FORMES DE
CRISE FINANCIERES 1.LES CRISES BANCAIRES Elles sont aujourd’hui au cœur des crises financières. On distingue trois types de crises bancaires: a) La panique bancaire (« bank run ») A la suite d’une défaillance d’une banque qui peut être due au fait que tous les déposants se précipitent aux guichets pour retirer leurs avoirs. La faillite de cette banque , selon son poids, peut s’étendre aux autres banques et à tout le système de financement par le crédit « credit crunch » et par là à l’économie toute entière. L’Etat intervient alors pour sauver les banques trop grosses (« too big to fail ») b) Les crises de spéculation bancaire. Elles touchent toutes les banques en même temps car elles ont toutes pris des risques excessifs et se retrouvent toutes fragilisées à la suite d’un retournement de conjoncture ou de changement imprévu de politique monétaire. Leur structure de bilan se détériore, les crédits impayés augmentent, leur liquidité diminue. Elles sont alors contraintes de réduire leurs concours à l’économie en restreignant l’octroi de crédits alors même que les emprunteurs (entreprises et ménages) sont tout à fait solvables, ce qui contribue à les fragiliser davantage. Pour éviter les faillites en chaîne, la Banque centrale intervient pour injecter de la liquidité. c)Les crises de cycle financier Dans la phase d’euphorie générale, les entreprises et les ménages s’endettent excessivement, soit dans des opérations d’investissement risquées, soit en alimentant une bulle immobilière, ou encore pour spéculer sur les marchés financiers, l’euphorie générale augmentant les appétences pour le risque. La probabilité de défaut des banques trop laxistes augmente et un retournement de conjoncture, ou un événement politique ou social quelconque conduit à une réévaluation générale du risque provoquant la crise bancaire et le resserrement du crédit, jusqu’à ce que la confiance revienne et que le cycle financier reparte à la hausse. 2. Les crises boursières a) Les krachs boursiers. Ils se manifestent par une chute brutale du cours des actions sur une place financière et se propagent à toutes les autres places financières par un effet de contagion mimétique. Le modèle de krach boursier inégalé par son ampleur et ses conséquences économiques et sociales est la crise de 1929 qui a débuté par le fameux « jeudi noir » qui a vu s’effondrer le cours de toutes les valeurs sur la place financière de New-York à la bourse de Wall street. Les graves crises boursières du 20° siècle sont celles de 1916, 1937 et 1973. b) La première grande crise financière du 21° siècle. Elle éclate aux Etats-Unis en mars 2000. En un peu plus de deux ans les cours des actions à Wall Street baissent de 42,5 %. La crise boursière française quant à elle a été encore plus grave, marquée par une baisse des cours de 56,66%, trois ans après le début de la crise. (février 2003). Cependant cette crise boursière présente la particularité par rapport aux grandes crises du 20° siècle d’être plus lente et plus continue dans son déroulement. Ce qui empêche en effet des phénomènes de panique massive caractéristiques des crises boursières du 20° siècle, c’est désormais le contexte nouveau des politiques macroéconomiques et du système financier libéralisé qui évite un effondrement brutale des cours: politiques budgétaires expansives, soutien au marché immobilier, comportements prudentiels des banques et des gestionnaires collectifs de l’épargne (les investisseurs institutionnels notamment). La contrepartie est le caractère incertain de la fin de la crise boursière. 3.Les crises de change Les années 1990 ont été marquées par une succession de crises de change d'une grande violence dans les économies en voie de développement récemment intégrées à la finance internationale. Au Mexique, en 1994, puis, en 1997, en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie, aux Philippines et en Corée, au Brésil en 1999 et en Argentine en 2001, les marchés des changes ont été pris de panique et le cours des monnaies nationales a brusquement chuté, les capitaux financiers ont inversé leur mouvement et fui ces économies dans lesquelles, peu avant, ils affluaient encore en masse, l'activité économique s'est effondrée. Les économies les plus gravement touchées ont vu un grand nombre de leurs entreprises faire faillite et leur système bancaire s'écrouler. a) Le contexte empirique de la réflexion théorique sur les crises de change Les développements théoriques de la littérature relative aux crises de change conduisent à distinguer trois types de modèles. Les modèles théoriques de première génération se sont développés en réponse aux crises de change ayant touché les pays d'Amérique latine au début des années quatre-vingt. Ils tentent, en règle générale, de repérer les situations de déséquilibres macroéconomiques qui rendent inévitable l'abandon de l'objectif de change fixe par les autorités monétaires. Partant de ces modèles, de nombreuses approches empiriques se sont développées, validant l'influence des fondamentaux dans le déclenchement des crises de change. Dans les modèles de deuxième génération, l'évolution des fondamentaux peut être cohérente avec le régime de change, mais la parité peut être abandonnée car les autorités se basent, rationnellement, sur d'autres variables que les seules réserves de change. Les agents privés auront alors tendance à intégrer dans leurs anticipations le fait que la politique des autorités n'est pas linéaire, mais qu'elle répond à la conjoncture économique au sens large. Dans ce cadre, c'est la soudaine dégradation des anticipations du marché qui provoque la crise, validant ainsi les anticipations des agents. Les crises de troisième génération apparaissent avec la crise asiatique de 1997. Ces modèles combinent des séquences de crises déjà spécifiées dans les deux générations précédentes. Cette inflexion touche la nature des chocs ou des déséquilibres susceptibles d'enclencher une attaque spéculative tout en privilégiant l'imperfection sur les marchés financiers et la fragilité des systèmes bancaires plutôt que les distorsions macroéconomiques. En particulier, ces modèles apportent un éclairage supplémentaire à la compréhension des crises financières à travers la notion de "crises jumelles". Cette notion marque un déplacement de l'analyse vers la sphère bancaire tout en soulignant la place qu'occupent les mouvements internationaux de capitaux dans les entrées excessives de capitaux et le déroulement des crises. La particularité des modèles de troisième génération consiste, dés lors, à analyser une dynamique d'instabilité financière sur la base des problèmes de liquidités et d'imperfection de l'information. Les crises financières sont souvent associées à des crises de balance de paiements, mais pas automatiquement. Un pays dont l’économie et le système financier sont complètements fermés peut être en proie à une crise financière, mais l’absence de transactions en devises lui évitera une crise de la balance des paiements. De nos jours, les deux types de crises surviennent souvent d’une façon concomitante. C’est en partie parce qu’une crise financière pousse les investisseurs nationaux et étrangers à sortir leur argent du pays. Si le pays ne possède pas suffisamment de réserves pour couvrir ces sorties de fonds et d’autres obligations comme le service de la dette, une crise de balance de paiement peut se produire. Le retrait de capitaux internationaux peut aggraver les difficultés des entreprises et des banques, incapables de reconduire les anciens prêts ou d’obtenir de nouveaux financements. Ces facteurs peuvent avoir pour effet d’exacerber une crise préexistante ou de plonger un système financier affaibli dans un état de crise. Cependant, de nombreux auteurs pensent que les mouvements de capitaux ne peuvent conduire à eux seuls à une crise financière. Au coeur des crises financières de la dernière décennie du siècle dernier, la crise asiatique a été marquée par les comportements spéculatifs des investisseurs internationaux, ainsi que par des brusques revirements de leurs anticipations. Cela a conduit à un enchaînement violent de crashs qui a commencé par l'effondrement du Baht thaïlandais en juillet 1997. L'Indonésie (août 1997), les Philippines (août 1997), la Malaisie (août 1997) et Singapour (septembre 1997) ont ensuite été affectés successivement par la crise. Au début du mois d’octobre de la même année, des pressions spéculatives ont ébranlé Taiwan, menaçant alors de se propager vers Hong-Kong et la Corée du sud. Effectivement, Hong-Kong était en crise à la fin du mois d’octobre 1997 et le won coréen se dépréciait de plus de 25 % en novembre 1997. Cependant, les faits stylisés des crises financières des années quatrevingt-dix (particulièrement la crise asiatique) et récemment la crise financière de 2008 montrent la diversité des facteurs déclencheurs des crises financières et la complexité de ces derniers en matière de modélisation. Les économistes ont créé, à partir de divers critères, un certain nombre de modèles qui tentent d’aider les responsables publics à prévoir les crises à venir, mais ils n'ont obtenu jusqu'à présent que des résultats mitigés. Des tests effectués sur quatre modèles empiriques créés pour l'essentiel avant la crise asiatique ont montré que le meilleur d'entre eux était capable de prévoir la moitié des crises «à l'intérieur de l'échantillon» et un tiers des crises «en-dehors de l'échantillon». Les fausses alertes étaient nombreuses : dans plus de la moitié des cas où tous ces modèles prévoyaient l'arrivée d'une crise, aucune crise ne s'est produite. Les modèles ont également mis en lumière les variables qui sont les déterminants les plus importants des crises. Toutes les approches testées démontrent que la probabilité d'une crise monétaire augmente lorsque le taux de change réel est surévalué relativement à la tendance, et lorsque la croissance du crédit intérieur et le ratio de la masse monétaire M2 par rapport aux réserves sont élevés. Les amples déficits extérieurs courants et les pertes de réserves accroissent la probabilité d'une crise dans les modèles qui intègrent ces variables. On constate également que des ratios élevés de dette à court terme par rapport aux réserves conduisent à une probabilité accrue de crise. En économie et en finance, le comportement des agents diffère suivant que l'on se trouve en période d'expansion ou de récession. La consommation des ménages est sensible à l'activité économique. Il en est de même de l'investissement des entreprises. Les investissements des entreprises vont ainsi être sensibles aux variations de certains indices économiques. De même les marchés vont réagir différemment en période de crise, entraînant une augmentation de la volatilité des prix des actifs. b) Les modèles théoriques de crise de change. i. Les modèles de crise de balance de paiements ou d’attaque spéculative. Krugman (1979) définit une crise de balance de paiements lorsqu'un gouvernement, ayant initialement opté pour un régime de change fixe, n'est plus capable de maintenir la fixité de sa devise. Il définit une telle crise comme « une situation où un pays perd progressivement ses réserves de change » et où les spéculateurs attaquent la monnaie, généralement avant que ces réserves soient épuisées, ce qui a pour conséquence de réduire effectivement leur montant à zéro. Pour Krugman, l'aptitude du gouvernement à financer le déficit budgétaire en puisant sur les réserves en devises est déterminée par la volonté des investisseurs de détenir encore de la monnaie nationale. La crise est donc contrainte par la psychologie des investisseurs spéculateurs pour lesquels une attaque sur les réserves en devises représente un moyen de modifier la composition de leurs portefeuilles en réduisant la part investie dans la monnaie nationale au profit de la monnaie étrangère, du fait de la différence de rémunération. C'est en déclenchant la ruée sur les réserves de change que les investisseurs réalisent leurs profits : ils vendent la monnaie nationale contre les réserves à la parité fixe. Par conséquent, ils attaquent la monnaie avant la disparition des réserves, de façon anticipée, et forcent ainsi la transition vers un taux de change flottant. Après l'attaque, les investisseurs possèdent des réserves en devises mieux rémunérées qu'ils revendent immédiatement au taux de change flottant, soit à un prix supérieur, d'où la réalisation de leur profit. L'attaque entraîne une dépréciation de la monnaie qui ouvre des perspectives prévisibles de profit pour les investisseurs rationnels. ii) Les modèles des anticipations auto réalisatrices. Il s’agit d’un processus au cours duquel une prévision exerce une influence sur les événements actuels et détermine les conditions de sa propre réalisation dans l'avenir (effet Œdipe). Les crises de change sont alors susceptibles de se produire indépendamment de l'évolution des grandeurs économiques fondamentales. Si les analyses précédentes mettent l’accent sur le rôle joué par le déclin des réserves de change comme cause de l'effondrement de régimes de change fixes, ces modèles insistent sur le fait que l'abandon de la parité peut être dû à d'autres variables fondamentales de l'économie. Ces modèles considèrent qu’il existe plusieurs équilibres pour des conditions de marché identiques et ce sont les seules anticipations auto réalisatrices des spéculateurs qui décident de la réalisation de l'un d'entre eux. Une économie peut donc être initialement dans un équilibre constant avec un régime de change fixe mais un changement soudain des anticipations peut générer l'effondrement du système. Ce sont les spéculateurs qui prennent l'initiative de l'attaque et les gouvernements qui décident de la dévaluation: ceci permet d'établir le caractère auto réalisateur des crises. Autrement dit, les anticipations des agents sur le maintien du régime de change dépendent de leurs anticipations sur la réaction du gouvernement face à leurs pressions, réactions guidées par l'intensité de la spéculation et ses conséquences sur la crédibilité du gouvernement. De ce fait, même un régime de change soutenable et compatible avec les autres politiques du gouvernement peut être attaqué et modifié. On assiste souvent à une «guerre d'usure» entre le gouvernement et les spéculateurs. Le gouvernement tente de résister aux assauts des spéculateurs en augmentant le taux d'intérêt, ce qui rend plus rémunérateurs les placements en monnaie nationale et participe au maintien du régime de change fixe. Néanmoins, une telle politique a un coût pour le gouvernement, et comme les spéculateurs en sont conscients, ils renforceront leurs attaques. Le gouvernement du pays dont la monnaie est attaquée peut procéder à des dévaluations surprises. Mais de tels actes sont déstabilisants pour l’économie et coûteux en termes d'inflation et de chômage. A ce coût s'ajoute un coût spécifique en termes de crédibilité du gouvernement qui peut conduire à la fuite des capitaux du pays. Dans ce type de modèles, la causalité ne joue plus dans un seul sens - exclusivement des fondamentaux vers les anticipations du marché - mais elle fonctionne dans les deux sens. Les anticipations de dévaluation dépendent de la réaction du gouvernement qui dépend également du coût d’ajustement des fondamentaux. En d'autres termes, les fondamentaux peuvent être à l’origine d'une crise mais en un sens beaucoup plus faible que celui suggéré par les modèles d'attaques spéculatives. Même lorsque les fondamentaux sont bons ou ne varient pas, la crise peut toujours se produire. Ces modèles analysent bien les raisons qui poussent le gouvernement à renoncer à la défense de la parité mais ne peuvent expliquer les raisons qui poussent les spéculateurs sur un marché des changes, à se coordonner pour attaquer telle ou telle monnaie. iii) les modèles de type microéconomique. On s’intéresse ici à la nature des chocs ou des déséquilibres susceptibles d'enclencher une attaque spéculative. On privilégie désormais l'imperfection de l'information sur les marchés financiers et la fragilité des systèmes bancaires, plutôt que les distorsions macro-économiques. Le mécanisme est le suivant : si les prix domestiques sont rigides, une dépréciation de la monnaie conduit à une augmentation de la dette des entreprises en devises et par la suite à une baisse de leurs profits, ce qui réduit la capacité d'endettement des firmes, ceci entraîne la baisse de l'investissement et de la production et par la suite réduit la demande de la monnaie nationale et entraîne la dépréciation de cette dernière. Appliqué au contexte asiatique de 1997, cette approche permet de justifier le choix d'une politique monétaire restrictive pour contrer les effets de la crise de change. III) Analyse de quelques exemples de crise financières récentes. A) La crise financière asiatique de 1997 On observe un processus similaire à celui de la crise mexicaine de 1994, avec notamment : •un ancrage fixe au dollar de la plupart des monnaies de la région qui donne l’illusion d’une garantie de change ; •un système bancaire fragile, fortement endetté à court terme en devises, indifférent au risque de change et engagé dans des opérations de spéculation immobilières et boursières. Les banques empruntent à court terme en devises pour prêter à long terme en monnaie locale avec des garanties sur des immeubles et des actions surévalués. L’afflux de capitaux étrangers est alimenté par la politique monétaire expansive que mène la banque centrale japonaise pour lutter contre la déflation. Le gouvernement thaïlandais annonce en 1997 qu’il ne dévaluera pas le Baht, ce qui provoque une spéculation intense et le conduit le 2 juillet 1997 à laisser flotter sa monnaie. Toutes les économies asiatiques de la région sont alors touchées Les crises de change se prolongent en crises bancaires. Les pays émergents sont touchés les uns après les autres: le Brésil en 1997-1998 la Russie en 1998 qui se retrouve en situation de défaut sur les GKO et provoque la faillite du Hedge Fund Long term capital Management (LTCM). Les capitaux internationaux fuient tous les pays émergents (flight to quality) par effet de contagion systémique. B) La crise Turque de 2000 Elle éclata le 20 novembre 2000 et se produisit alors même que le gouvernement turc avait engagé un plan de stabilisation ambitieux dès la fin 1999 pour ramener son taux d’inflation qui était de 65% en moyenne annuelle à 25% en 2000 et à moins de 10% en 2002. Pour ce faire la Turquie avait adoptée un régime de change d’ancrage au dollar destiné à faire baisser les anticipations inflationnistes. On a assisté alors à un afflux massif de capitaux extérieurs qui spéculaient à la baisse des taux d’intérêt en achetant massivement des emprunts d’Etat financés au jour le jour en Livre turques et pire encore en dollar. Comme au Mexique en 1994 mais à une vitesse trois fois supérieure, la compétitivité de la Turquie a fléchi, ce qui a contribué à détériorer sa balance des paiements. Il s’en est suivi un mouvement de panique sur le marché des taux d’intérêt où les banques essayaient en toute hâte de liquider leurs positions. En un mois les taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat turcs à moyen terme sont passés de 40% à 110%. Le risque accru de faillite des banques contribua encore plus alors à assécher le marché monétaire. Les crédits en devises ne sont pas renouvelés. Le FMI a accordé un prêt d’urgence qui se révélera insuffisant. Le gouvernement est alors contraint de laisser flotter la Livre turque qui se déprécie de 50% par rapport au dollar. Un deuxième programme d’aide beaucoup plus important sera alors mis en place sous l’égide des Etats-Unis. C) Autres crises Crise boursière de 2001-2002. Elle survient au cœur même de la « nouvelle économie » avec l’éclatement de la bulle internet dans un contexte de surinvestissement dans les télécoms et de surendettement des ménages et des entreprises. • Crise monétaire et bancaire aux Etats-Unis après l’attentat du 11 septembre 2001. • Crise en Argentine en novembre 2001 de défaut sur sa dette internationale. • Crise au Brésil sur le marché obligataire brésilien en 2002 (approche des élections qui prédisent la victoire de Lula) . Le Réal perd la moitié de sa valeur par rapport au dollar et malgré un concours important du FMI de 30 milliards de dollars, la crise perdurera jusqu’à ce que le Président Lula nouvellement élu donne des signes clairs qu’il honorerait tous les engagements financiers du Brésil. Crise des « Subprimes » en 2007-2009. Crise bancaire qui dégénère en crise boursière en octobre 2008. • Crise de la dette publique grecque qui commence en 2009 et s’accélère en 2010 marquée par un fort endettement public (120% du PIB) et un déficit budgétaire avoué qui passe de 6% du PIB à 15,4%. Manque de transparence des autorités grecques. • Crise de l’Espagne en 2010 qui découle en partie d’une bulle immobilière mais surtout d’un effet de contagion et de fuite des capitaux à la suite de la dégradation de la note de la dette publique espagnole. • Crise du Portugal et de l’Irlande. Crise de la dette publique et plans de rigueur salariale et de diminution des dépenses publiques. • Crise Chypriote en 2013. D) L’exemple de la crise de subprime •La crise financière de 2007-2008 a son origine dans une crise immobilière qui s’est transformée en crise bancaire et financière. •Formidable accélération des innovations financières avec notamment la titrisation et les « subprimes ». La gestion des risques financiers est devenue de plus en plus opaque. •Perte de confiance généralisée: la rentabilité des fonds de placements se révèle illusoire car elle reposait sur des crédits bancaires risqués et des modèles mathématiques fragiles. Des pans entiers du système financier contemporain tels que les fonds de placement les hedge funds sont contestés. Cela a diminué la valeur boursière de ce secteur, puis celle des banques. Celles-ci ont diminué fortement leurs crédits à l’économie, ce qui pénalise la consommation des ménages et l’investissement productif des entreprises et génère du chômage. Cet impact récessif sur l’économie réelle agit négativement sur les anticipations financières et fait chuter plus encore les bourses et les valeurs bancaires et financières. La crise des subprimes a engendré des politiques nationales en ordre dispersé tant au niveau des plans de sauvetage des banques et du secteur financier qu’aux niveaux des politiques industrielles, sociales et macroéconomiques. La mise en place de solutions inadéquates de sortie de la crise des subprimes tant au niveau des plans de sauvetage des banques qu’au niveau des politiques macroéconomiques pour relancer la croissance par des hausses improductives de dépenses publiques ont mis en place toutes les conditions d’une crise de la dette publique des Etats des pays développés tels que les Etats-Unis et l’Europe.
IV) Quels enseignements et quels
propositions ?
Les analyses économétriques des crises
financières récentes montrent: • Une procyclicité de l’évaluation du risque qui joue un rôle central dans l’apparition de nombreuses crises bancaires et du régime de change. •La plupart des crises financières sont précédées d’un boom du crédit. •L’expansion du crédit n’engendre une crise bancaire que dans la mesure où elle entre en concordance avec certaines conditions macroéconomiques du cycle des affaires qui concernent le taux d’intérêt, le taux de croissance, l’inflation, qui jouent comme autant de chocs exogènes du cycle financier. • L’organisation des systèmes financiers propre à chaque pays joue un rôle dans la fréquence, l’amplitude et l’accélération des crises financières. Par exemple le système bancaire américain est lui contracyclique. • Les travaux empiriques montrent que les flux de capitaux suivent le cycle économique: ils affluent au cours de la phase de croissance et refluent au moment du retournement du cycle. Il en est de même le plus souvent du crédit bancaire. • De ce fait l’intégration dans la mondialisation financière (libéralisation financière externe) tout comme la libéralisation financière interne (libéralisation du système bancaire et développement des marchés financiers) a accentué l’amplitude et le fréquence des crises financières sous la forme de crises jumelles (bancaires et de change). •Les crises jumelles résultent d’une crainte conjuguée des acteurs de la finance (les marché financiers) d’une dévaluation et d’une perte de valeur des actifs nets des agents nationaux bancaires et non bancaires. •Cette double défiance commence par une révision des anticipations de change qui provoque l’enchaînement des deux types de crises (cf. les crises asiatiques et des pays émergents. • La crainte d’une dévaluation monétaire fait craindre une incapacité des banques à rembourser leur dette internationale et précipite la crise bancaire. En effet dans la finance mondialisée et globalisée les banques prêtent en monnaie nationale à partir des flux d’entrée de capitaux internationaux sous forme d’emprunt notamment. Or les projets financés par le crédit bancaire même s’ils se révèlent rentables ne sont pas remboursés en monnaie internationale mais en monnaie nationale. D’où la menace et le risque de défaut de paiement de la dette bancaire internationale qui s’aggrave avec le risque de dévaluation qui accroît automatiquement le coût de remboursement de cette dette en devise internationale. • Il en est de même en ce qui concerne le lien entre l’entrée de capitaux internationaux et le développement de la base monétaire. De ce fait la dette publique contractée auprès de résidents étrangers fait affluer des capitaux dans le pays qui alimentent le gonflement de l’offre de monnaie et l’augmentation du crédit bancaire. Dès lors que la défiance s’installe sur la capacité de remboursement de la dette publique internationale lorsqu’elle dépasse un certain seuil, les flux de capitaux internationaux s’arrêtent et refluent, ce qui réduit automatiquement le crédit bancaire aux entreprises domestiques (cas typique de la crise argentine). • Tous les actifs sont liés entre eux à travers leurs prix en monnaie et les arbitrages que font les agents entre ces différents types d’actifs. Il n’est pas étonnant alors que la crise financière du fait qu’elle touche à la monnaie dans ses fonctions essentielles (réserve des valeurs, unité de compte, moyen d’échange) soit en lien avec le cycle économique réel et la nature du régime de croissance. • Il est donc insuffisant de vouloir résoudre les crises financières uniquement par des mesures microprudentielles imposées aux banques ou à d’autres acteurs de la finance sous forme de principes éthiques. • Il convient aussi de s’intéresser à la sphère réelle, au cycle économique réel, au régime de croissance et aux politiques macroéconomiques qui devraient elles aussi relever de principes cette fois macro-prudentiels en termes de risques sociaux notamment (chômage, inflation), mais aussi en termes de politique de change, de politique budgétaire et monétaire, du rôle de la banque centrale, de l’architecture du système financier, etc. • Les mécanismes de la concurrence et des « forces de rappel du marché » jouent très imparfaitement dans le domaine de la finance tant du point de vue microéconomique (rationalité et comportement des acteurs privés et publics) que sur le plan macroéconomique en termes d’équilibre, d’équilibration ou de régulation. • Sur le plan microéconomique. Incertitude, comportements mimétiques, asymétrie d’information, jeu particulier de la loi de l’offre et de la demande sur le prix des actifs financiers, etc. conduisent à une multiplication des phénomènes d’aléa de moralité, de sélection adverse, de procyclicité, de prises de risques excessifs, etc. •Sur le plan macroéconomique. Soit du fait des politiques macroéconomiques des Etats ou/et des organisations internationales (BM, FMI, BRI, BEI, etc.), soit en raison des effets de composition des comportements agrégés des acteurs de la finance internationale, les flux financiers ne circulent pas selon la norme des marchés concurrentiels. •En particulier concernant l’allocation de l’épargne à l’échelle mondiale (les capitaux ne sont pas alloués aux projets les plus rentables en se dirigeant par exemple vers les pays en développement où le temps de rendement du capital est plus élevé que dans les pays développés). •Caractère procyclique du crédit bancaire et des flux de capitaux qui conduisent à des phénomènes périodiques de bulles financières. •L’hypothèse des anticipations rationnelles ne s’applique pas aux marchés des biens réels et encore moins aux marchés financiers. Il est remarquable de constater l’absence d’anticipation un tant soit peu rationnelle sur les marchés financiers en dépit de l’existence d’acteurs qui devrait pourtant être en mesure de s’appuyer sur le bon modèle financier. Les agences de notation elles-mêmes pourtant les mieux placées pour disposer du meilleur niveau d’information ont été totalement incapables de prévoir la moindre crise et ont tendance à être procycliques. •Les acteurs de la finance sont non seulement myopes mais n’ont au surplus aucune mémoire courte ou longue. Ils ne retiennent aucune leçon du passé. EN GUISE DE CONCLUSION •La notion de bien public mondial. Les crises financières ont une composante systémique qui provoque des externalités négatives tant au niveau des EtatsNations qu’au niveau mondial. De ce fait la stabilité financière devient un bien public national et mondial. Le jeu décentralisé des acteurs de la finance sur des marchés supposés concurrentiels ne parvient pas à réaliser spontanément la stabilité financière. Il devient donc nécessaire de recourir à l’intervention de l’Etat mais comment et à quel niveau ? •La question se complique dès lors que la stabilité économique et financière internationale au même titre que le réchauffement climatique par exemple est assimilée à un bien public mondial (BPM) qui repose non seulement sur l’hypothèse classique de défaillance du marché face au bien public mais également sur l’hypothèse de défaillance des Etats-Nations pour la production et le financement d’un BPM (extension du concept de passager clandestin). • Cependant dès lors qu’il n’existe pas de gouvernement centralisé de la planète susceptible de contraindre tous les Etats à contribuer au financement d’un BPM, on est renvoyé en dehors du champ de la science économique proprement dite, à des analyses géo- politiques qui traitent des rapports entre Etats en termes de conflits ou de coopération. • La très grande majorité des économistes, des organisations internationales et des Etats-nations conviennent de la nécessité d’un contrôle, voire d’une régulation supra étatique de la finance internationale notamment. • La stabilité financière en tant que BPM pourrait être traitée en termes de coûts et d’avantages, d’incitation (selon le principe du pollueur-payeur par exemple) de dédommagement, d’allocation efficace des ressources à l’échelle planétaire ou de plusieurs pays. • La négociation entre les Etats du partage du coût des mesures destinées à surmonter une crise financière fait apparaître les asymétries dans les rapports de pouvoir entre les Etats qui ne peuvent être surmontées que par le recours à une instance supra-nationale neutre et impartiale capable de faire prévaloir l’intérêt général de la planète et de surmonter les intérêts particuliers des Etats. • Comment faire entendre la voix des citoyens et des sociétés civiles autrement que par le biais des Etats et de la représentation plus ou moins démocratique selon les systèmes politiques en vigueur ? • Dans la perspective en émergence d’une gouvernance mondiale, il serait plus facile pour des citoyens de s’exprimer et de faire entendre leur point de vue vis-à-vis des BPM s’ils appartiennent à une grande puissance avec un régime politique démocratique (rôle des partis politiques, des syndicats, des associations…) • En dépit de son caractère flou et parfois idéologique le concept de BPM peut redonner du sens au débat collectif sur les questions financières internationales et re- légitimer l’action publique supra- nationale (instances européennes par exemple). MERCI DE VOTRE ATTENTION