Stratégie Education Non Formelle

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L’EDUCATION NON FORMELLE

AU SENEGAL

description, évaluation et perspectives

Alioune DIOUF – Moussa MBAYE – Yann NACHTMAN

Dakar, mars 2001

Synthèse
AJC3 (M. Abdoulaye FAYE), ANAFA (M.

Remerciements
MBODJ et M. Oumar SALL), ANBEP ( M. Alpha
Ibrahima NDIAYE), AUPEJ (M. Moussa DIOP),
CIFOP (M. Malèye DIAGNE), ECOLIERS DU
MONDE / AIDE ET ACTION (Nicolas Gibier
RAMBO), ENDA tiers-monde (M. Jacques
Nous tenons à remercier toutes les personnes BUGNICOURT, MM. Mamadou SARR et
et les structures qui ont accepté de nous Raphaël NDIAYE pour Coorcom, MM. Amadou
recevoir, avec qui nous avons longuement DIALLO et Oumar TANDIAN pour Ecopole, MM.
échangé et qui nous ont permis d’accéder aux Bachir KANOUTE et Pape BA pour Ecopop,
informations qu’elles détenaient. Sans elles, MM. Alassane FAYE et Pierre-Marie
cette étude n’aurait pas été possible. COULIBALY pour Jeunesse Action, Mme Anita
Lonis GREBONGO et M. Sileye G. SY pour
Nos remerciements vont particulièrement : Enda Sahel), FIOD (M. Gorgui FAYE ), NOSE
(Mme Khady DIOUF), TOSTAN (Mme Molly
A l’UNESCO pour la confiance accordée tout au MELCHING), Daaras de XELCOM (MM.
long de l’étude – et plus particulièrement à Mme Youssoupha DIOP, Lamine Diouf, Samba
Martine BOUSQUET, Mme Margaret ISRAËL- NDAW de Hizbou Tarquiyya).
SACHS et M. Marc GILMER ;
Aux autres personnes contactées, pour leur
A ENDA tiers-monde en général et à M. disponibilité: M. Iba Der THIAM (UCAD),
Emmanuel NDIONE en particulier qui nous ont Serigne Mor MBAYE (UCAD), M. DIAWARA
épaulé tout au long de cette étude ; (Banque Mondiale), M. Abdoulaye THIAM
(TOSTAN), Alioune DANFA (ADEF Afrique),
Aux personnes ressources rencontrées : Mme Djouma DIOUF (Association Religieuse Cité
Penda MBOW (UCAD), Mme VAN DER VINGT Sotiba Pikine).
et M. Robert RAMPIN (UNESCO / BREDA), M.
Souleymane Bachir DIAGNE (UCAD), M. Au groupe de jeunes chercheurs MERCATOR,
Serign Tacko NDAW (directeur de la DAEB), M. à Marthe NACHTMAN sr, Thérèse SAGNA,
Gorgui SOW et M. Amadou Khar GUEYE Virginie VAN HAEVERBEKE, Karim DAHOU
(Ecoliers du Monde / Aide et Action), M. Thierry pour leurs conseils et appuis.
de LOUSTAL (DEPEE), M. Tamsir SAMB
(INEADE), Mr Atoumane DIAGNE (Hizbou Cette étude est dédiée à tous les acteurs de
Tarquiyya) ; l’éducation au Sénégal. Elle se veut une
exhortation à la fédération des formes et des
Aux responsables, formateurs, apprenants, modèles éducatifs.
apprentis et parents des structures que nous
avons visitées : ACAPES (M. Seydou NDIAYE),
L’éducation non formelle
II au Sénégal

calendrier ;

Avant propos Phase II : décembre 2000 – janvier 2001


Š Entretien avec les principaux acteurs de
l’éducation non formelle au Sénégal (ONG,
association, directions nationales et régionales
de l’enseignement en charge de l’éducation non
Cette étude a été réalisé dans le cadre du suivi formelle) ;
du Forum Mondial sur l’Education pour Tous par Š Enquêtes sur le terrain : visite de huit
une équipe de chercheurs et de praticiens de programmes d’éducation non formelle, entretien
l’éducation : et enquête auprès des formateurs, apprenants,
- le collectif « Mercator » regroupant quatre parents, habitants du quartier et autres
jeunes chercheurs : Malick DIOP, Ibrahima intervenants ;
GUEYE, Mamadou NDIAYE et Ibrahima Š Recherche et analyse bibliographique ;
NIANG ;
- l’appui pour les recherches concernant Phase III : Février – mars 2001
l’enseignement coranique d’un jeune chercheur, Š Analyse des documents et des données
travaillant à ENDA tiers-monde, Papa Gora recueillies ;
NDIAYE ; Š Rédaction du premier brouillon comprenant
- l’illustrateur El Hadj Sidy NDIAYE ; des propositions de graphiques, de tableaux et
- un collectif de trois chercheurs / praticiens : d’illustrations ;
Alioune DIOUF (psychologue conseiller, Š Discussion du brouillon avec l’Unesco et les
responsable de la division d’orientation scolaire organismes partenaires ;
et professionnelle (DOSP) de l’IDEN de
Rufisque) ; Moussa MBAYE (psychologue- Phase IV : Avril - Juin 2001
conseiller, sociologue, collaborateur d’ENDA Š Complément d’enquête et de visite,
tiers-monde pour les Dialogues Politiques / finalisation du brouillon et des illustrations sur la
Education), Yann NACHTMAN (chercheur- base des commentaires de l’Unesco et des
consultant, responsable de l’étude). partenaires de l’étude ;
Š Réalisation de la maquette de la publication.
Déroulement de l’étude
Limites de l’étude
La présente étude s’est déroulé de fin novembre
2000 à fin mai 2001, suivant la progression Les principales limites sont liées au peu de
suivante : temps et de moyens prévus pour la réalisation
de la présente étude. Lors de l’élaboration des
Phase I : Fin novembre 2000 termes de référence, nous avions sous-estimé
Š Revue de la documentation disponible et le secteur de l’éducation non formelle. Nous-
prise de contact avec les principaux acteurs de
l’éducation non formelle au Sénégal
objectifs d’éducation et de formation, historique,
Š Concertation et planification des activités de programmes et contenus, formation des enseignants,
recherche : élaboration d’une méthodologie effectifs, résultats, ressources, capacité d’autonomie,
(définition d’indicateurs, type d’enquête, système d’évaluation et de capitalisation, analyse des
échantillon…), des outils d’évaluation1 et d’un procédés pédagogiques et de leur caractère innovant
en rapport avec le profil des apprenants et les objectifs
pédagogiques visés, … ;
1 Au cours de cette première phase, les outils suivants Š Guide d’entretien destiné aux personnes
ont été élaborés et expérimentés : ressources : profil, rapport à l’éducation non formelle,
Š Grille d’analyse bibliographique : références réflexions sur l’éducation non formelle : définition, statut
bibliographiques complètes, objectifs, méthodologie, et rôle de l’ENF, expérience pertinentes,
analyse et synthèse en rapport avec les objectifs de recommandations en rapport avec les objectifs de
l’étude ; l’étude ;
Š Fiche d’expérience détaillée des programmes Š Questionnaire et guide d’entretien pour les acteurs
d’éducation non formelle : type d’organisation et de l’éducation non formelle (formateurs,
contexte institutionnel – incluant les rapports avec les apprenants/apprentis, parents, communauté et
systèmes de formation et d’information extérieurs - , décideurs locaux).
III

mêmes victimes du cloisonnement des formelle. Il existe très peu de données


expériences, nous ne pensions pas faire face à quantitatives et qualitatives concernant
un champ de recherche aussi vaste, aussi certaines formes éducatives (éducation
diversifié et aussi complexe. Au cours de nos coranique et traditionnelle, formation aux
recherches, nous avons découvert chaque jour métiers de l’économie populaire). Il était difficile
que l’éducation non formelle s’étendait et se dans un laps de temps aussi court de combler
ramifiait davantage, chaque porte ouverte un tel déficit.
donnant sur une multitude d’autres portes.
En fin de compte, la présente étude doit être
Au terme de l’étude, certains déséquilibres sont considérée comme un ensemble d’hypothèses
apparents : à discuter et à vérifier. Elle constitue un premier
Š les points de vue de certains acteurs essai d’analyse et d’évaluation globale de la
apparaissent peu (agences de coopération diversité éducative au Sénégal. Certains points
bilatérales et multilatérales, partis politiques et pourront être nuancés, précisés, ou rectifiés.
syndicats, confréries religieuses, tenants de L’essentiel pour nous est de participer au débat
l’éducation traditionnelle),
sur l’éducation au Sénégal et d’apporter notre
Š des expériences importantes et innovantes pierre à la construction d’un système éducatif
ne figurent pas dans leur globalité,
intégrateur qui puisse prendre en charge toute
Š les données de l’analyse globale sont pour la richesse éducative propre au Sénégal et
la plupart issues de l’analyse bibliographique…
porter, en s’appuyant sur ce potentiel, les
aspirations de toutes les composantes sociales
Certaines de ces faiblesses sont également
et culturelles de ce pays.
liées aux limites des systèmes d’information et
de communication portant sur l’éducation non
au Sénégal
IV

Sigles
CES : Centre Enfance et Solidarité (ACAPES)
CEVA : Centre d’Entraînement à la Vie Active
CGDM: Comité de Gestion et de
et acronymes Développement de Montrolland
CITE : Classification Internationale Type de
l’Education
ACAP/JDS : Association Culturelle d’Aide à la CL : Centre de Lecture (Aide et Action)
Promotion Des Jeunes CNEA : Comité National d’Elimination de
ACAPES : Association Culturelle d’Aide à la l’Analphabétisme
Promotion Educative et Sociale CONGAD : Conseil des ONG d’Appui au
ACDI : Agence Canadienne de Développement Développement
International COORCOM : Coordination de la
ADEA : Association pour le Développement de Communication (équipe d’Enda)
l’Education en Afrique CPF : Centre Polyvalent de la Femme (CPF)
ADEF Afrique : Association pour le CREA : Centre de Recherche en Economie
Développement de l’Education et de la Appliquée (UCAD)
Formation en Afrique CRESP : Centre de Ressources pour
ADESAH : Association des Défenseurs de l’Emergence Sociale Participative
l'Environnement du Sahel (Linguère) CRS : Croix Rouge Sénégalaise
ADQ : Association de Développement de CTS : Comité Technique de Suivi (EDUCAL)
Quartier DAEB : Direction de l’Alphabétisation et de
ADY : Association pour le Développement de l’Education de Base (MEN)
Yoff DAS : Direction de l’Action Sociale
AEPCS : Association d’Entraide des DEPEE : Direction de l’Education Préscolaire et
Etablissements Préscolaires Catholiques du de l’Enseignement Elémentaire (MEN)
Sénégal DIOSIRHO : Diofior, Simal et Rho
AFCR : Association des Formations de Coin de DPE : Développement de la Petite Enfance
Rue DPRE : Direction de la Planification et de la
AFP : Agence Française de Presse Réforme de l’Education
AGETIP : Agence d’Exécution des Travaux ECB : Ecole Communautaire de Base
d’Intérêt Public ECIRES : Education pour une Citoyenneté
AJC 3 : Association des Jeunes de la Commune Responsable et Solidaire (EDUCAL)
III (Pikine) ECOPOP : Economie Populaire (équipe
ANAFA : Association Nationale pour d’Enda)
l’Alphabétisation et la Formation des Adultes EDEV GL : Education Environnementale
ANBEP : Association pour le Bien-Etre de la Globale (EDUCAL)
Population EDUCAL : Education Alternative
AOF : Afrique Occidentale Française EEDS : Eclaireuses et Eclaireurs du Sénégal
ASC : Association Sportive et Culturelle EF : Education Formelle
AUPEJ : Actions Utiles pour l’Enfance et la EGEF : Etats Généraux de l’Education et de la
Jeunesse (Tivaouane) Formation
BEP : Brevet d’Etudes Professionnelles EJT : Enfants et Jeunes Travailleurs
BIT : Bureau International du Travail ENDA tiers-monde : Environnement et
BM : Banque Mondiale Développement du Tiers Monde
BT : Brevet de Technicien ENEA : Ecole Nationale d’Economie Appliquée
CADTM : Comité pour l’Annulation de la Dette ENF : Education Non Formelle
du Tiers Monde ENS : Ecole Normale Supérieure
CAEM : Certificat d’Aptitude à l’Enseignement ENSEPT : Ecole Normale Supérieure
Moyen d’Enseignement Technique et Professionnelle
CAES : Certificat d’Aptitude à l’Enseignement ENSUT : Ecole Nationale Supérieure
Secondaire Universitaire de Technologie
CAF : Classe d’Alphabétisation Fonctionnelle EPT / EFA : Education Pour Tous / Education
CAMG : Centre Amadou M. Gaye de Bopp For All
CAP : Certificat d’Aptitude Professionnelle FASB : Fédération des Agriculteurs Sakhoum
V

Bambouck de Koungheul PAPF : Projet d’Alphabétisation Priorité Femme


FCR : Formation de Coin de Rue PDEF : Plan Décennal de l’Education et de la
FEE : Femmes – Enfants – Environnement Formation
(Fatick) PED : Pays En Développement
FIOD : Fédération Intervillageoise des PEES : Partenariat pour l’Efficacité de l’Ecole
Organisations pour un Développement durable Sénégalaise
FONGS : Fédération des ONG Sénégalaises PENFD : Projet d’Education Non Formelle pour
GEEP : Groupe pour l’Etude et l’Education sur le Développement
la Population PFIE : Programme de Formation et
GIE : Groupement d’Intérêt Economique d’Information sur l’Environnement
GRAF : Groupes Recherche Action Formative PNA / EPT : Plan National d’Action / Education
(ENDA) Pour Tous
GRET : Groupe de Recherche et PNB : Produit National Brut
d’Enseignement Technologique PRDE : Plan Régional de Développement de
GTZ : Gesellschaft für Zusammenarbeit l’Education
(Société de Coopération Allemande) RAF : Recherche Action Formation
HLM : Habitat à Loyer Modéré RAP : Réseau d’Apprentissage Populaire
IA : Inspection d’Académie (EDUCAL)
ICAE : Conseil International pour l’Education RUP : Relais pour le Développement Urbain
des Adultes Participé (équipe d’Enda)
IDEN : Inspection Départementale de SCOFI : Scolarisation des Filles
l’Education Nationale SENELEC : Sénégalaise d’Electricité
IFAN : Institut Fondamentale d’Afrique Noire SES : Service d’Entraide Scolaire (ACAPES)
(UCAD) SUDES : Syndicat Unique et Démocratique des
INEADE : Institut Nationale d’Etude et d’Action Enseignants Sénégalais
pour le Développement de l’Education SYPROS : Syndicat des Professeurs du
IPE : Initiative Populaire d’Education Sénégal
IPF : Initiative Populaire de Formation TRIDE : Tribune des Enfants
JEUDA : Jeunesse Action (ENDA) UCAD : Université Cheikh Anta Diop
MEN : Ministère de l’Education Nationale UNACOIS : Union Nationale des Commerçants
NOSE : Nouvelle Sérigraphie (Pikine) et Industriels du Sénégal
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information UNESCO : Organisation des Nations Unies
et de la Communication pour l’Education, la Science et la Culture
ONG : Organisation Non Gouvernementale UNICEF : Fond des Nations-Unies pour
PAALAE : Association Panafricaine de l’Enfance
l’Education et de la Formation UNTS : Union Nationale des Travailleurs
PADEN : Projet d’Alphabétisation des Elus et Sénégalais
Notables locaux VAF : Valorisation des Apprentissages des
PAIS : Programme d’Alphabétisation Intensive Femmes (EDUCAL)
au Sénégal VAM : Valorisation des Acteurs Marginalisés
PAPA : Programme d’Appui au Plan d’Action (EDUCAL)
L’éducation non formelle
VI au Sénégal

non formelle 57

Sommaire 2.1 Regards croisés sur l’éducation non


formelle 57
2.1.1 L’éducation non formelle : un choix
forcé ? 58
2.1.2 De fortes attentes envers l’éducation non
Remerciements I formelle 59
Avant-propos II 2.1.3 L’éducation non formelle, est-elle ouverte
Liste des acronymes et des sigles IV à tous ? 61
2.1.4 Appréciation de la formation par les
apprentis et les apprenants 61
Introduction 1 2.1.5 Des modèles qui s’adaptent à leurs
besoins 61
I. Hypothèses pour une analyse globale 4 2.1.6 Des problèmes pédagogiques…
et critique 2.1.7 … et des limites objectives freinent le 64
développement et l’expansion de l’éducation 64
1.1 La définition de l’éducation non 4 non formelle
formelle dans le contexte du Sénégal
1.1.1 Quelle distinction entre éducation 2.2 Résultats des expériences d’éducation
formelle, non formelle et informelle ? 4 non formelle étudiées en terme d’insertion 66
1.1.2 L’éducation formelle, non formelle et professionnelle et d’intégration scolaire
informelle dans le contexte du Sénégal 6 2.2.1 Projets et stratégies des apprenants et
des apprentis 66
1.2 Evolution historique du secteur 2.2.2 Résultats des apprentissages en terme
éducatif au Sénégal 8 de capacités 68
1.2.1 Les systèmes éducatifs de la période 2.2.3 Une insertion « naturelle » dans
précoloniale 8 l’économie populaire ? 70
1.2.2 La période coloniale marquée par la
confrontation entre l’école française et l’école 9 III. Conclusions et recommandations
coranique 73
1.2.3 De l’école de l’indépendance aux états 3.1 Evaluation globale et propositions pour
généraux de l’éducation 10 le renforcement de l’éducation non 73
1.2.4 La seconde crise du système formel : formelle
« l’école de la dette » 11 3.1.1 Les forces de l’éducation non
1.2.5 Le développement de l’éducation non formelle 73
formelle (1990 – 2000) 14 3.1.2 Les faiblesses de l’éducation non
formelle 74
1.3 Analyse et éléments d’évaluation de 3.1.3 Propositions pour un renforcement et
l’éducation non formelle au Sénégal 16 une extension de l’éducation non formelle 76
1.3.1 Un cadre institutionnel complexe et
déséquilibré 16 3.2 Propositions pour la collecte de
1.3.2 Objectifs, contenus et méthodes de données, le suivi et l’évaluation de 79
l’éducation non formelle au Sénégal 22 l’éducation non formelle au Sénégal
1.3.3 Les réponses de l’éducation non formelle 3.2.1 Analyse sommaire de l’existant
aux lacunes du système formel 34 3.2.2 Cadre méthodologique 79
3.2.3 Cadre opérationnel 79
81
Bibliographie
II. Le point de vue des acteurs de l’éducation 83
L’éducation non formelle
au Sénégal 1

Quelles réponses à une situation restant

Introduction
inacceptable ?

Malgré quelques avancées jugées inégales et


lentes, l’éducation pour tous, telle qu’énoncée et
visée par la déclaration de Jomtien, reste un
La présente étude s’inscrit dans le cadre du échec. Comme le montrent les données
suivi du Forum Mondial de Dakar. Elle a pour suivantes, la situation reste inacceptable 3.
objectifs de mieux comprendre les réalités de ◆ l’éducation préscolaire touche moins d’un
l’éducation non formelle dans un pays d’Afrique tiers des 800 millions d’enfants de moins de 6
de l’Ouest, le Sénégal, et de proposer à partir ans ;
de l’expérience de ce pays, un cadre ◆ 113 millions d’enfants sont non-scolarisés
méthodologique et pratique pour le suivi, la (dont 60% de filles) ;
capitalisation et l’évaluation de ce secteur ◆ on compte au moins 880 millions
particulier de l’éducation. d’analphabètes (dont une majorité de femmes).
A partir du bilan de la décennie, le cadre de
I. Le forum mondial de Dakar Dakar définit 6 objectifs et 12 stratégies sur la
base de quatre grands principes :
Dix ans après Jomtien ◆ l’éducation universelle et continue (de la
petite enfance à l’âge adulte),
Les 28 et 29 avril 2000, les principaux décideurs ◆ des services de qualité diversifiés, adaptés,
et acteurs de l’éducation se sont retrouvés à égaux par le statut et équitables,
Dakar pour le forum mondial « Education ◆ l’éducation de base gratuite, obligatoire
For All / Education pour tous ». Les et de qualité ;
objectifs de cette rencontre étaient à la ◆ la transparence de la gestion et
fois d’évaluer le chemin parcouru l’élargissement du partenariat
durant la décennie, en référence à la éducatif4, pour compléter le rôle de
conférence de Jomtien de 1990, et de l’Etat.
déterminer, à partir des principales
avancées et des leçons tirées, un
cadre d’action pour les quinze années Comme le montrent plusieurs objectifs
à venir. (3, 4, 6) du cadre d’action de Dakar,
Le processus, qui a conduit au Forum l’éducation non formelle est
mondial de Dakar, a donné lieu à un considérée comme un secteur clé pour
important travail de collecte de atteindre les objectifs d’éducation pour
données, d’analyse et de réflexion tous. Dans certains pays, comme le Sénégal,
prospective, tant au niveau national que sous- elle est devenue une priorité autant pour l’Etat,
régional et international. que pour la société civile. A l’image du rhizome,
Cette préparation du forum s’est traduite par : elle se développe de manière séparée et prend
- l’évaluation de la décennie écoulée (bilan souvent des formes radicalement différentes.
pour 183 pays ; 14 études thématiques, enquête
sur la qualité de l’apprentissage dans 30 pays,
études de cas…) ;
- l’élaboration de programmes d’action
régionaux (Afrique subsaharienne, Asie et
Pacifique, Pays arabes, Amérique latine, 3 Les expressions employées dans le Commentaire
Europe et Amérique du Nord) 2. élargi sur le Cadre d’Action de Dakar sont sans
équivoque : « insulte à la dignité humaine », « déni
du droit à l’éducation », obstacle majeur « sur la voie
de l’élimination de la pauvreté et de la réalisation
d’un développement durable » (page 2).
4 l’Etat reste cependant le principal responsable et a
2 Commentaire élargi sur le Cadre d’Action de Dakar « le devoir d’assurer à tous les citoyens les moyens
- Comité de rédaction du Forum mondial sur de satisfaire leurs besoins éducatifs
l’éducation, Paris, 23 mai 2000, page 1. fondamentaux. »
L’éducation non formelle
2 au Sénégal

Résumé du Cadre d’Action de Dakar

I. Les principales avancées


Š augmentation des effectifs de l’enseignement primaire (+ 82 millions dont 44 de filles),
Š taux net de scolarisation supérieur à 80% pour la majorité des PED,
Š vers un équilibrage des rapports de genre (mis à part en Afrique subsaharienne),
Š « croissance modeste » du préscolaire (limitée aux zones urbaines),
Š développement progressif de l’éducation non formelle et de la formation qualifiante,
Š taux général d’alphabétisation : 85 % pour les hommes, 74% pour les femmes.

II. Les leçons


Š une forte corrélation entre la faible scolarisation, le manque d’efficacité et la paupérisation ;
Š la progression vers l’EPT conditionnée par la combinaison des facteurs suivants : la volonté politique, les
partenariats avec la société civile et le soutien des organismes de financement ;
Š une meilleure connaissance des facteurs influant positivement sur les systèmes scolaires : efficacité des
éducateurs ; matériels didactiques appropriés ; association des technologies (anciennes et nouvelles) ; pré-
alphabétisation en langue locale ; apport décisif de la communauté ; contribution du préscolaire à la réussite
scolaire ; établissement de liens entre éducation, santé, nutrition, environnement…

III. Les défis et les chances à saisir


Š certains pays ont des difficultés à définir « le sens, l’objet et le contenu de l’éducation de base », à évaluer tous
les aspects de l’éducation (surtout ceux qualitatifs et informels) ;
Š le concept de l’EPT doit être global et intégrateur : approches formelles et non formelles, prise en compte des
plus défavorisés (enfants et jeunes travailleurs, nomades, minorités, victimes de guerre, handicapés et malades…) ;
Š l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne sont, en raison de leurs faibles résultats durant la décennie passée,
des espaces d’intervention prioritaire ;
Š tous les acteurs doivent faire preuve d’une volonté politique ferme se traduisant par la mise à disposition de
« moyens adéquats, équitables et durables » ;
Š l’EPT doit s’appuyer sur les processus démocratiques et le développement participatif et à son tour les
renforcer;
Š la mondialisation est à la fois une opportunité à saisir (interdépendance, communication, mobilité du capital) et
un risque de marginalisation pour les plus pauvres (émergence d’un marché du savoir) ;
Š les systèmes éducatifs doivent réagir rapidement et expressément en participant pleinement à la lutte contre
le VIH/ Sida et à la prévention des conflits, qui constituent deux menaces majeures pour l’EPT.

IV. Les six objectifs majeurs


1. développer et améliorer sous tous leurs aspects la protection et l’éducation de la petit enfance et notamment des
enfants les plus vulnérables et les plus défavorisés ;
2. faire en sorte que d’ici 2015 tous les enfants, en particulier les filles, les enfants en difficulté et ceux qui
appartiennent à des minorités ethniques, aient la possibilité d’accéder à un enseignement primaire obligatoire,
gratuit, de qualité, et de le suivre jusqu’à son terme ;
3. répondre aux besoins éducatifs de tous les jeunes et de tous les adultes en assurant un accès équitable à des
programmes adéquats ayant pour objet l’acquisition de connaissances et de compétences nécessaires dans la vie courante ;
4. améliorer de 50% le niveau d’alphabétisation des adultes, et notamment des femmes, d’ici 2 015, et assurer à
tous les adultes un accès équitable aux programmes d’éducation de base et d’éducation permanente ;
5. éliminer les disparités entre les sexes dans l’enseignement primaire et secondaire d’ici à 2005 et instaurer
l’égalité dans ce domaine en 2015 en veillant notamment à assurer aux filles un accès équitable et sans restriction
à une éducation de base de qualité avec les mêmes chances de réussite ;
6. améliorer sous tous ces aspects la qualité de l’éducation dans un souci d’excellence de façon à obtenir pour tous
des résultats d’apprentissage reconnus et quantifiables – notamment en ce qui concerne la lecture, l’écriture, le
calcul et les compétences indispensables dans la vie courante.

V. Douze stratégies dépassant le cadre formel


Les 12 stratégies développées se basent sur une « approche diversifiée qui dépasse de loin le cadre des systèmes
formels d’éducation :
1. engagement politique et plans nationaux 7. lutte contre le sida
2. articulation à la lutte contre la pauvreté 8. partenariat et environnement propices à l’apprentissage
3. implication active de la société civile 9. image et compétence des enseignants
4. systèmes de gestion et de gouvernance partagés 10. technologies de l’information et de la communication
5. appui aux systèmes des pays en crise 11. suivi systématique (national, rég., intern.)
6. combat contre les discriminations 12. utilisation des mécanismes existants
L’éducation non formelle
au Sénégal
3

II. Encore une étude… pourquoi proposons, à travers la présente étude, un


faire ? cadre général qui définisse et caractérise
l’éducation non formelle au Sénégal, dans son
L’éducation non formelle au Sénégal : un évolution historique et ses formes actuelles.
secteur porteur et éclaté Bien qu’intéressant et porteur, le
développement de l’éducation non formelle au
On peut considérer que l’éducation non formelle Sénégal semble hétérogène, inégal et difficile à
a toujours existé, sous une forme ou une autre, évaluer. Quels sont les objectifs, contenus,
au Sénégal5. Elle a cependant connu, depuis outils et méthodologies des programmes
deux décennies, un essor particulier, en rapport d’éducation non formelle ? Quel est leur impact
direct avec la crise de l’école formelle6. sur le niveau de vie et l’intégration socio-
Permettant une offre éducative souple et économique des apprenants ? Qui sont ces
adaptée, les programmes d’éducation non apprenants ? Combien sont-ils ? Quels sont les
formelle se sont multipliés. L’Etat s’est inscrit systèmes de suivi et d’évaluation mis en place ?
dans cette dynamique et a encouragé le Quelles sont les expériences les plus
développement de l’éducation non formelle à intéressantes (pertinence, adaptabilité,
travers différents programmes d’appui. rentabilité et durabilité) ?
Dans le Plan Décennal de l’Education et de la Il s’agira de confronter ainsi le cadre proposé
Formation (PDEF) couvrant la période 2000- aux formes concrètes d’éducation non formelle
2010, l’Etat sénégalais prévoit de poursuivre sa et aux points de vue des acteurs. Au-delà de sa
politique de libéralisation (vers le privé et le caractérisation, il s’agira de saisir la substance
monde associatif), de décentralisation et de et le dynamisme de l’éducation non formelle.
diversification de l’offre éducative. Parmi les Nous tenterons ainsi d’analyser et d’évaluer
stratégies préconisées, l’éducation non formelle l’éducation non formelle.
est présentée comme un domaine d’intervention
à part entière. Il reste qu’une partie importante A partir de ces analyses, nous formulerons des
de l’éducation non formelle échappe au contrôle recommandations pratiques. Celles-ci porteront
institutionnel de l’Etat. sur le renforcement et l’extension de l’éducation
non formelle et sur l’établissement de
Un secteur qui reste à interroger de mécanismes et d’indicateurs permettant la
manière globale et systématique collecte de données, le suivi et l’évaluation de
ce secteur. La diversité des programmes
L’éducation non formelle a fait l’objet de d’éducation non formelle au Sénégal paraît être
nombreuses études au Sénégal. A notre un cadre favorable pour élaborer et
connaissance, toutes développent une expérimenter une méthodologie et des outils
approche parcellaire, sectorielle. Nous dans ce sens.

5 Voir l’analyse des formes historiques (1.2).


6 Cette crise affecte à la fois les modèles
(particulièrement celui du fonctionnariat qui n’a plus
cours dans le Sénégal actuel), et les motivations
(cela se lit autant au niveau des apprenants que des
enseignants à travers le cycle des grèves et des
violence scolaires - qui ont endeuillé encore
récemment le Sénégal) – voir point 1.3.3.1.
L’éducation non formelle
4 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

diversité des processus d’éducation. Elles ont


1ère partie : toutes trois trait à la forme :
hypothèses pour une analyse
globale et critique ™ L’éducation formelle
La Classification Internationale Type de
Le Sénégal se caractérise par une coexistence l’Education (CITE) définit ainsi l’enseignement
déjà ancienne de systèmes éducatifs aussi formel : « Enseignement dispensé dans le
différents dans leurs fondements et principes système des écoles, des collèges, des
que dans leurs formes. universités et des autres établissements
Au-delà de la définition d’un cadre conceptuel et éducatifs formels. Ils constituent normalement
de sa confrontation au contexte sénégalais, une une « échelle » continue d’enseignement à plein
étude de l’éducation non formelle au Sénégal temps destiné aux enfants et aux jeunes,
nécessite la catégorisation de ces différents commençant, en général entre cinq et sept ans
systèmes et une analyse critique de leurs et se poursuivant jusqu’à vingt ou vingt-cinq
rapports. ans… »10
Appelée également « scolaire », l’éducation
1.1 La définition de l’éducation non formelle a pour cadre une organisation
formelle dans le contexte du nationale relevant du domaine de l’Etat. Elle est
Sénégal dispensée dans des institutions dûment
mandatées (écoles), par des professionnels
1.1.1 Quelle distinction entre éducation (formés et rémunérés par l’Etat), selon un
formelle, non formelle et informelle ? processus pédagogique prédéterminé
(objectifs, contenus, méthodes et outils). Les
Dans une étude intitulée «Articulation de principales caractéristiques de l’éducation
l’éducation formelle et non formelle – formelle sont :
implications pour la formation des Š l’unicité et la normativité : l’éducation
7
enseignants» , Ali Hamadache donne une formelle est prédéfinie dans un cadre législatif,
définition synthétique de l’éducation non applicable pour tous sur l’ensemble du territoire
formelle. Il situe tout d’abord l’émergence de ce national ;
concept aux années 60-70. Celle-ci résulterait Š la hiérarchisation des enseignements (en
de la réflexion critique sur les résultats de programmes et en cycles) et des entités
l’école et de la remise en question de son éducatives (suivant une organisation verticale) ;
monopole par le développement de l’éducation Š la cohérence et la permanence des
permanente : « l’école n’est plus considérée enseignements à travers des programmes et
comme le seul lieu d’enseignement et ne peut des cycles allant du préscolaire à
plus prétendre assumer seule les fonctions l’enseignement supérieur ;
éducatives de la société »8. Ainsi, la notion Š le paradigme d’une éducation gratuite,
d’éducation ne se réduit plus au point de vue égalitaire, globale et universelle : l’éducation
restrictif de l’institution scolaire. Elle se « dilate » formelle s’adresse à tous les citoyens
et s’ouvre aux formes non scolaires. Elle « scolarisables », elle est censée leur offrir des
englobe « tout ce qui tend à provoquer un chances égales de réussite et d’intégration
changement dans les attitudes et les sociale à travers un enseignement prenant en
comportements des individus, étant donné que compte les besoins essentiels d’éducation et de
pour opérer ce changement, ceux-ci doivent formation.
acquérir des connaissances, des compétences
et des attitudes nouvelles. »9 ™ L’éducation non formelle
Cet élargissement commande une redéfinition La définition généralement acceptée de
du champ de l’éducation. Ainsi trois catégories l’éducation non formelle est celle donnée en
sont identifiées pour rendre compte de la 1973 par Coombs et ses collaborateurs. Elle
englobe « toute activité éducative organisée en
7 UNESCO, ED-93/WS/16, 46 pages dehors du système d’éducation formel établi et
8 Idem p.9
9 Idem p.10 10 CITE, 1997, UNESCO, p.41.
L’éducation non formelle
5
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

destinée à servir des clientèles et à atteindre ™ L’éducation informelle


des objectifs d’instruction identifiables. »11 L’éducation informelle désigne pour sa part les
L’éducation non formelle est ainsi définie pratiques éducatives et formatrices non
négativement par rapport à l’éducation formelle. structurées. Elle est indissociable de l’activité
Elle s’en distinguerait : sociale, culturelle et économique de chacun.
Š par sa non-appartenance au système Elle est diffuse, non organisée et permanente.
éducatif officiel : éducation « extra-scolaire » ; Elle constitue également un « réservoir »
Š par la spécificité du public et des objectifs d’apprentissages dans lequel peuvent puiser les
visés : « éducation spécialisée ». systèmes formels et non formels d’éducation.
Elle engloberait donc toutes les initiatives
organisées hors du système éducatif qui 1.1.2 L’éducation formelle, non formelle
répondent aux besoins d’éducation et de et informelle dans le contexte du
formation de groupes spécifiques et qui pour Sénégal
cela mettent en œuvre un ensemble cohérent
(programme) d’enseignements-apprentissages. Appliquée au contexte du Sénégal, cette
La définition de la CITE permet d’avoir une idée délimitation du champ éducatif en trois
des différentes formes d’éducation non catégories distinctes prête à discussions. Une
formelle : « L’enseignement non formel peut première confrontation aux réalités éducatives
donc être dispensé tant à l’intérieur qu’à sénégalaises permet de dégager quelques axes
l’extérieur d’établissements éducatifs et de réflexion.
s’adresser à des personnes de tout âge. Selon
les spécificités du pays concerné, cet 1.1.2.1 L’école, seul modèle « formel » ?
enseignement peut englober des programmes
d’alphabétisation des adultes, d’éducation de L’école formelle n’est pas acceptée par tous
base d’enfants non-scolarisés, d’acquisition de comme la « norme » éducative. Comme nous le
compétences utiles à la vie ordinaire et verrons, l’école sénégalaise, inspirée du modèle
professionnelle, et de culture générale. français, n’est pas la première forme
d’institution éducative. Avant elle et jusqu’à
présent, des systèmes éducatifs défendent les
mêmes caractéristiques et prétentions que
l’école formelle : celles d’une éducation
normée, universelle ou
« universalisable ». La crise profonde
que connaît l’école sénégalaise et
l’autorité de l’Etat en général,
depuis plus de deux
décennies, participe à cette
remise en question. Plusieurs
des personnes rencontrées –
dans les écoles coraniques
(Daara13) en particulier -
considèrent leur système
“L’éducation non formelle apparaît ainsi comme un patchwork” éducatif tout aussi
« formel » et efficace que
Les programmes d’enseignement non formel ne celui géré par le MEN. Ils refusent de ce fait
suivent pas nécessairement le système avec fermeté le catalogage « non formel »14.
d’«échelle» et peuvent être de durée Ce refus illustre la cohabitation au Sénégal de
12
variable » .
13 On désignera les écoles coraniques par
l’expression wolof « Daara » que nous emploierons
toujours au féminin, même si le masculin s’applique
également à ce mot.
11 Cité par Ali Hamadache, p.11 14 Voir l’encadré consacré aux Daara de Xelcom,
12 CITE, 1997, UNESCO, p.41. page 51-52.
L’éducation non formelle
6 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

modèles et de systèmes éducatifs à vocation diverses stratégies et méthodes. A travers son


universelle, exclusifs, engagés dans des mouvement, se construit une approche
rapports frontaux et évoluant de manière holistique de l’éducation, de la société et du
séparée. développement.

1.1.2.2 Une définition par la négative suffit- Nous verrons que cette conception reste en
elle à définir ? grande partie « idéale ». Elle peut jouer un rôle
de paradigme pour certaines expériences
La notion d’éducation non formelle renferme d’éducation non formelle.
des entités éducatives très diversifiées, dont les
objectifs paraissent souvent contradictoires. 1.1.2.3 Quelles sont les limites de
Cela est particulièrement vrai de leur rapport au l’éducation non formelle ?
système formel : certaines d’entre elles se
positionnent comme compléments, d’autres A partir de la définition donnée plus haut, on
comme alternatives… D’autres encore peut tracer des limites théoriques entre les trois
construisent leur système éducatif sans se catégories d’éducation. L’éducation formelle se
référer, de près ou de loin, à l’école formelle. limiterait à l’enseignement de type scolaire,
L’éducation non formelle apparaît ainsi comme l’éducation non formelle aux autres entités
un patchwork dont les parties hétérogènes organisées d’éducation et de formation
seraient reliées entre elles par la non- (professionnelle, religieuse, socio-éducative,
appartenance au monde scolaire. etc.) et l’éducation informelle aux expériences
C’est certainement l’inconvénient des éducatives fortuites qu’offre l’existence (avec
définitions qui procèdent par négation : comme lieu d’apprentissage le quartier, la
l’éducation non formelle n’a pas de qualités maison…).
spécifiques clairement déterminées. Cela
explique peut-être l’émergence de concepts Dans la pratique, ce traçage théorique se trouve
« positifs » pour désigner les initiatives et les souvent relativisé :
entités éducatives se trouvant hors du champ
de l’éducation formelle : « éducation ™ entre éducation informelle et non
alternative », « éducation populaire », formelle :
« éducation de base », « éducation globale »… Dans les ateliers artisanaux que nous avons
visité par exemple, la majorité des apprentis
Dans la perspective d’une définition positive, rencontrés ne se pensaient pas en situation
plusieurs caractéristiques essentielles, d’apprentissage. Est-ce à dire que la formation
communes à la plupart des expériences proposée dans ces ateliers relève de l’éducation
d’éducation non formelle peuvent être relevées : informelle ? Il existe pourtant bien des objectifs
Š des objectifs et des contenus directement pédagogiques, une pédagogie, des temps
liés aux besoins des apprenants et référencés à d’évaluation dans ces ateliers. En rappelant qu’il
leur environnement physique et socioculturel – y a dans tout processus éducatif une part
faisant de l’éducation non formelle un processus d’«informel » qui échappe à la programmation,
endogène et orienté vers la résolution de nous pourrions convenir que ces ateliers
problèmes ; artisanaux font partie des formes « les plus
Š des méthodes souples et actives permettant informelles » d’éducation non formelle.
d’entretenir la dynamique interne au processus A contrario, certaines entités mettent en œuvre
et d’engendrer un dilatement et une des programmes éducatifs d’une grande
complexification spontanés du champ rigueur, se rapprochant ou dépassant le degré
pédagogique. d’élaboration et de coercition des programmes
L’éducation non formelle se présente ainsi formels. Il s’agirait alors des formes « les plus
comme un champ éducatif cohérent, transversal formelles » d’éducation non formelle.
et évolutif. Elle est traversée par un mouvement
spiral ascendant – contrastant avec la forme ™ entre éducation non formelle et
pyramidale de l’éducation formelle. Dans son formelle :
élan, l’éducation non formelle touche ainsi une Sans parler de la part informelle qui intervient
multitude de contenus, de secteurs ; recourt à nécessairement dans les relations
L’éducation non formelle
7
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

pédagogiques en milieu scolaire, certaines les différentes "formes" s'interpénètrent et


écoles servent de cadre à des
activités éducatives dont les
objectifs et les contenus diffèrent
du programme officiel. Ne s’agit-il
pas d’incursion du «non-formel»
dans le «formel» ?
C’est particulièrement le cas au
Sénégal où des efforts ont été
accomplis pour ouvrir davantage
l’institution scolaire à son
environnement direct . 15
Depuis le début des années 1990,
l’Etat est également de plus en plus
présent et actif dans le secteur de
l’éducation non formelle. A travers
certaines formes éducatives (écoles L’éducation, une
communautaires de base, classes question de forme ?
d’alphabétisation fonctionnelle), une
partie de l’éducation non formelle
tend à s’institutionnaliser.
Un des enjeux des années à venir est le qu’elles empruntent les caractéristiques des
rapprochement de ces deux grandes formes unes ou des autres. Lorsque par contre cette
d’éducation. Un des objectifs de cette étude est notion de "forme" donne au type d'éducation
d’identifier les ponts existants entre éducation qualifié de "formel", une "noblesse" ou une
formelle et non formelle et d’esquisser en légitimité que les autres n'ont pas, elle n'est
conséquence des propositions pour leur souvent que la traduction d'une idéologie qui
renforcement et leur multiplication. En quels vise l’accaparement de cette "res publica" qu'est
termes peuvent-elles se nourrir l’une de l’autre ? l'éducation (le monopole de la définition et de la
Pourquoi ne pas arriver à des formes souples et gestion des ressources éducatives - le marché
fédérées d’éducation ? du savoir - étant détenu par un groupe se
La notion de "forme" utilisée pour la définition réclamant de l'Etat et qui, sociologiquement,
des diverses expériences éducatives est correspond à une classe sociale ayant ses
souvent inutile. Son opérationalité est très intérêts propres).
réduite. On se rend compte dans la réalité que

15 Avec par exemple, les cellules école-milieu, des


programmes d’éducation environnementale en
milieu scolaire (programme de formation et
d’information sur l’environnement (PFIE), projet « un
espoir dans le désert » - Enda, Croix Rouge
Sénégalaise).
L’éducation non formelle
8 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

1.2 Evolution historique du secteur entretiennent des relations d’interdépendance »19.


éducatif au Sénégal Dans la société wolof20, cette stratification se
traduit par une division sociale du travail autour
L’évolution historique du Sénégal est marquée du binôme Geer (groupe supérieur, pratiquant
par une succession d’organisations sociales et exclusivement l’agriculture) / Nyenyo (groupe
de systèmes de valeurs différents, tantôt inférieur composé de sous-castes, spécialisées
dominants, tantôt dominés, finissant à terme par dans les métiers artisanaux).
coexister pacifiquement. Un bref détour par Pour garantir sa reproduction, cette
l’histoire permet de mieux comprendre organisation sociale spécifique établit deux
l’émergence et l’évolution des différents systèmes éducatifs complémentaires :
systèmes éducatifs qui se sont développés au Š la formation professionnelle individualisée
Sénégal. permettant une transmission filiale des
connaissances, des compétences et des
1.2.1 Les systèmes éducatifs de la aptitudes liées au statut social et professionnel ;
période précoloniale Š l’initiation collective21 aux valeurs sociales
et culturelles à travers des entités éducatives
Durant la période précoloniale, la plupart des spécifiques fondées sur la classe d’âge et la
groupes culturels occupant l’espace division sexuelle.
sénégambien étaient organisés suivant deux Une des caractéristiques de ce type
types de stratification qui souvent cohabitaient : d’organisation sociale est de se référer
le système des castes se traduisant par une exclusivement au statut socioprofessionnel.
division sociale du travail et celui des ordres lié Cela garantit une certaine indépendance vis à
au pouvoir monarchique16. Si les formes vis du pouvoir politique et donc une
éducatives relatives au second type de reproduction spontanée de l’organisation.
stratification ont disparu, ce n’est pas le cas du Même si avec l’urbanisation de ces trente
premier. La période précoloniale est également dernières années, d’autres catégories et formes
marquée à partir du XIème siècle par l’influence d’organisation socioprofessionnelle22 sont
grandissante de l’Islam au nord puis au centre apparues remettant en cause les fondements
du Sénégal. de la stratification sous forme de castes, ce
système et les formes éducatives qui lui sont
1.2.1.1 Le système des castes et les formes
éducatives qui lui sont liées 20 Groupe culturel majoritaire au Sénégal.
21 Cette forme d’éducation existait également au
La stratification de la société en castes est sein des sociétés horizontales précitées.
22 L’industrialisation et les transformations
l’organisation dominante dans l’espace sahélien
socioéconomiques qu’elle implique ont profondément
précolonial17. Elle est définie par Abdoulaye
affecté le système des castes : « On constate la
Bara Diop18 comme un ensemble de « groupes réduction, la disparition même de branches
caractérisés par l’hérédité, l’endogamie, la artisanales devant le développement de l’industrie. Il
profession et hiérarchiquement ordonnés, qui n’y a plus de tisserands wolof, aussi bien en milieu
rural qu’en ville ; les cordonniers sont sérieusement
menacés jusque dans la fabrication des chaussures
16 Pour en savoir plus, se reporter aux ouvrages traditionnelles, dont les modèles (babouches,
suivants : Abdoulaye Bara Diop : « La société sandales), repris et améliorés par les manufactures,
wolof », Majhmout Diop : « Histoire des classes sont vendus sur les marchés ruraux. Les forgerons
sociales en Afrique occidentale », Pathé Diagne : qui résistaient le mieux sont touchés, eux aussi, par
« Pouvoir politique traditionnel en Afrique de la mécanisation de l’agriculture pour laquelle ils
l’Ouest », Boubacar Barry : « Le royaume du Walo. travaillent principalement. La plupart des artisans
Le Sénégal avant la conquête ». traditionnels sont obligés soit de se limiter aux
17 Au Sénégal, seuls certains groupes serer (région cultures soit de se reconvertir à d’autres activités,
de Joal Fadiouth) et joola connaissent une souvent en émigrant dans les centres semi-urbains
organisation sociale horizontale. ou urbains. » in La société wolof. Tradition et
18 Sociologue, professeur à l’Université Cheikh Anta changement – Karthala, Paris, 1981, p. 100.
Diop, auteur de nombreux travaux sur la société 23 Une étude récente d’Enda tiers monde montre par
wolof. exemple qu’environ 30 % des musiciens dakarois ont
19 Diop, Abdoulaye Bara – La société wolof. Tradition pour origine sociale la sous-caste des gewel (griots) –
et changement – Karthala, Paris, 1981, p. 34. « En avant la musique ! », Dakar, Enda, 2000.
L’éducation non formelle
9
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

liées23, se sont partiellement maintenus. fonder en 1895 l’Afrique occidentale française


(AOF). Faidherbe, le principal artisan de cette
1.2.1.2 L’émergence des écoles coraniques mainmise française sur l’Afrique de l’Ouest
et la conquête coloniale lança, pour consolider cette pacification si
durement obtenue, une vaste politique
Dès les premières heures de l’introduction de d’endoctrinement. Il créa pour ce faire l’Ecole
l’Islam au Sénégal (royaume du Tekrur à partir des Otages destinée aux fils des chefs
du XIème siècle), les nouveaux convertis ont traditionnels ouest-africains. La résistance
appris le Coran, les pratiques culturelles et idéologique s’organisa alors autour de deux
cultuelles liées à la religion musulmane. Cet leaders religieux musulmans El Hadj Malick Sy,
enseignement fut d’abord mutualiste, d’un guide spirituel de la Tidianiyya et Cheikh
marabout à un groupe de néo-musulmans – Ahmadou Bamba Mbacké, fondateur de la
expliquant la progression assez lente de l’Islam Mouriddiya.
au Sénégal jusqu’au XVIIème siècle –, avant
d’être formalisé par des écoles coraniques ou 1.2.2 La période coloniale marquée par la
Daara (écoles de Pire en 1603 et de Kokki vers confrontation entre l’école française et
1700). l’école coranique
L’Islam connut son véritable développement au
Sénégal à partir du XIXème siècle avec La forte implantation des écoles coraniques fut
l’apparition de plusieurs confréries religieuses. perçue par l’autorité coloniale comme une
C’est également à cette période que la entrave à l’implantation et à l’expansion de
domination française s’affirma24 et que la l’école française27. C’est pourquoi elles furent
première école de type occidentale fut fondée. combattues ouvertement et furent l’objet de
A l’époque coloniale, l’éducation « se limitait à plusieurs mesures visant à les limiter et à les
l’instruction -qui selon Albert Sarrault contrôler :
(gouverneur français au Sénégal)- devait Š le 22 juin 1857, le Gouverneur Faidherbe,
améliorer la valeur de la production »25. par arrêté, soumettait l’ouverture des écoles
D’autres écoles pour filles sont fondées par la coraniques à une autorisation préalable délivrée
Mère Anne Marie Javouhey à Saint Louis et à par lui-même, avec des conditions
Gorée. Leur principale orientation est astreignantes, pour les maîtres et le
l’éducation religieuse catholique. recrutement des élèves ;
La conquête coloniale fût très âpre. Elle dura un Š le 9 mars 1896, un autre arrêté renforçait le
demi-siècle, rencontrant de multiples foyers de contrôle des écoles coraniques par une
résistance. Mais l’opposition militaire26 finit par réglementation de leurs conditions d’ouverture,
s’estomper et totalement disparaître. La de leur fonctionnement et des sanctions qu’elles
domination s’étendit vers l’Est et permit de encouraient. Dans l’article 10 de l’arrêté, il était
précisé que les maîtres devaient exiger de leurs
24 Du XVème au début du XIXème siècle, plusieurs talibé pour leur admission un certificat prouvant
puissances européennes (portugais, anglais, qu’ils suivaient parallèlement les cours d’une
hollandais et français) se disputèrent les comptoirs
commerciaux du Sénégal. Cette concurrence prit fin 27 Comme le constate le Dr Mamadou Ndiaye:« ce
avec le traité de Paris, signé le 30 mai 1814. Il n’est pas seulement l’arabe en tant que langue qui
octroyait à la France les villes de Saint Louis, Gorée préoccupait le pouvoir colonial, mais aussi, et
et Rufisque. C’est à partir de ce traité que la France surtout, en sa qualité de langue véhiculant une
décida, sous l’impulsion de Faidherbe, d’étendre ses religion, l’Islam, qui a sa propre manière de
possessions au Sénégal puis à l’Afrique occidentale. concevoir la société, ses obligations et ses
25 étude CADTM
interdictions ; et qui a aussi mis sur pied le statut des
26 Les figures les plus célèbres de la résistance à la
non-musulmans notamment les gens du livre. Il
conquête française sont El Hadj Omar Tall (leader fallait donc lutter autant pour réduire le nombre des
religieux et politique, fondateur de la Tidianiyya au écoles coraniques du Sénégal, que pour limiter
Sénégal, qui s’opposa durant six ans à la l’expansion de l’Islam, défavoriser son impact sur la
progression française à l’Est du Sénégal) et Lat Dior société sénégalaise ». C’est ce que confirme
(damel du Cayor, qui après avoir été chassé de son d’ailleurs en 1924 le Gouverneur Général Carde en
trône par les Français, le reprit en 1878 et se disant dans une circulaire que « l’école joue un rôle
défendit sans relâche jusqu’à la bataille de Dékhelé éducatif, et dans cet ordre d’idées, politique et
en 1886 au cours de laquelle il fut tué). éducation se confondent ».
L’éducation non formelle
10 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

école française. culturelles du Sénégal. Engagée dans une


Cette guerre idéologique ouverte entre le logique de confrontation, elle est restée ainsi
pouvoir colonial et les leaders religieux totalement déconnectée. Jamais elle n’a eu
musulmans tourna progressivement à recours aux cultures locales et aux médiums
l’avantage du premier. Pour briser les réticences fondamentaux que constituaient les langues
des « indigènes » hostiles à l’école française28, nationales30. Cet héritage idéologique a
l’administration mit en œuvre des stratégies malheureusement continué à peser sur l’école
plus « douces » : introduction de la langue sénégalaise postcoloniale.
arabe comme matière d’enseignement à l’école
française, en 1886 pour le secondaire et en 1.2.3 De l’école de l’indépendance aux
1893 pour le primaire, organisation de pôle états généraux de l’éducation31
d’attraction (Medersa à Saint-Louis, école
franco-mouride de Diourbel, Daara de Malika). Dès son accession à la souveraineté nationale,
Cependant, cette tendance n’infléchissait en le Sénégal a affirmé la laïcité de son Etat et de
rien la pression qu’exerçait l’administration son système éducatif32. La priorité est donnée à
coloniale sur les écoles coraniques et sur l’Islam
30 Notons cependant que la première école
en général, considérée comme force de
française fût une belle exception à cette règle. Sont
résistance culturelle29.
donnés une idée précise des fondements et des
Le début des années 1920 marqua le succès du enjeux idéologiques et politiques qui, deux siècles
pouvoir colonial dans son entreprise. Celle-ci fut plus tard, paralysent encore l’école sénégalaise.
facilitée par la fonction de promotion sociale et Cette école est créée par Jean Dard à Saint Louis en
de reproduction des élites locales que jouait 1817. Jean Dard voulait introduire l'enseignement en
l’école française. Dès lors, l’ouverture des langue nationale comme propédeutique à
l'apprentissage du français. Il s'était en effet rendu
écoles coraniques ne fut plus soumise aux
compte des difficultés énormes à enseigner une
multiples et contraignantes conditions passées. langue étrangère en oblitérant complètement
L’enseignement coranique se diversifia, à partir l’environnement culturel et en particulier langagier.
des années 1950, avec l’émergence d’un Les "notables" de Saint Louis eux avaient des visées
nouveau type d’entité éducative, celui des "assimilationnistes" et exigeaient d'avoir pour leurs
écoles arabes. Celles-ci adoptaient des aspects enfants le même programme que celui des écoles
françaises. La maîtrise de la langue française et des
du modèle dominant : tables-bancs, tableaux
"manières" occidentales assuraient en effet une
noirs, récréation. Le programme proximité avec le pouvoir colonial et les milieux
d’enseignement en vigueur dans les écoles d'affaires, ce qui renforçait leur posture politique en
coraniques subit des modifications tant au tant que groupe intermédiaire et nouvelle
niveau des méthodes que celui des contenus. bourgeoisie locale. Dans son ouvrage consacrée à
On peut retenir de cette confrontation que l’alphabétisation au Sénégal, Manuel Prinz présente
les méthodes avant-gardistes de Jean Dard
l’école française, dont la principale fonction était
(enseignement mutuel inspirée des anglais Bell et
de servir les intérêts de la colonie, ne s’est Lancaster), leur portée pédagogique et politique. Le
jamais ouverte aux réalités sociales et fondateur de la première école française au Sénégal
s’était trompé d’époque. Les mots de Giudicelli à son
28 Cette dimension est le thème central de l’œuvre sujet sont aujourd’hui insoutenables d’ignorance :
de Cheikh Hamidou Kane, « L’Aventure ambiguë ». « La seconde cause de cette désertion, c’est que le
Les propos de la Grande Royale traduisent tout sieur Dard, pour s’instruire lui-même de la langue du
l’embarras des Diallobé face à l’école française : pays (jargon informe), au lieu de la langue française,
« L’école où je pousse nos enfants tuera en eux ce fait apprendre et continuellement parler ouolof à ses
qu’aujourd’hui nous aimons et conservons avec élèves». Dès le début, ce sont les perspectives
soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même politiques – au sens large – qui ont présidé aussi
mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendront de bien à l’implantation qu’à l’acceptation ou au refus de
l’école, il en est qui ne nous reconnaîtrons pas. Ce l’école publique. Il est dommage que l’expérience de
que je propose c’est que nous acceptions de mourir Jean dard n’est jamais été revisitée.
en nos enfants et que les étrangers qui nous ont 31 Pour cette partie, notre principale référence est
défaits prennent en eux toute la place que nous l’étude réalisée par le Comité d’Annulation de la
aurons laissée libre. » in L’Aventure ambiguë – Dette du Tiers Monde : « Une éducation sous
Edition 10/18, Paris, juillet 1961, p. 57 ajustement II – L’école de la dette. L’exemple du
29 Une des illustrations de cette politique de Sénégal » - , 12 pages.
répression fut la déportation de Cheikh Ahmadou 32 Cette notion de laïcité est restée très tolérante vis
Bamba Mbacké au Gabon. à vis de l’ensemble des confessions.
L’éducation non formelle
11
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

l’éducation élémentaire avec pour objectif de l’Education et de la Formation (EGEF).


d’atteindre la scolarisation universelle en 1980. Tenus fin 1981, les EGEF réunissent toutes les
De 1961 à 1968, le système formel est composantes du pays. Ils permettent une
relativement stable33 et les effectifs progressent évaluation du système éducatif et la définition
rapidement (avec une moyenne de 9,9% par du profil de l’école nouvelle. Les conclusions de
an). l’EGEF peuvent être résumées en 4 points
En mai 1968, l’école sénégalaise est en essentiels :
première ligne du mouvement social animé par Š la ré-appropriation sociale de l’école à
l’Union Nationale des Travailleurs Sénégalais travers le paradigme d’une société auto-
(UNTS). Elle connaîtra plus d’une décennie de centrée, juste et démocratique, se traduisant
grèves cycliques au cours desquelles le par un enseignement polyvalent et
mouvement syndical construira une volonté de polytechnique obligatoire de 10 ans basé sur le
réforme du système éducatif : adéquation des décloisonnement élémentaire/ secondaire,
contenus à la société réelle, démocratisation de école/production, débouchant sur la formation
l’enseignement, ajustement des bourses et du professionnelle et l’éducation supérieure ;
budget de l’éducation au coût de la vie. Le Š l’affirmation d’une éducation reflétant la
SUDES (Syndicat Unique et Démocratique des diversité culturelle et sociale du Sénégal et
Enseignants du Sénégal) et le gouvernement l’ouverture sur le monde par l’intégration des
sénégalais de l’époque s’engagent dans un langues nationales comme support de
bras de fer qui débouche en 1979-1980 sur une formation, et l’étude des civilisations africaines
des plus graves crises qu’ait connue l’école et des autres continents ;
sénégalaise34. Celle-ci prend fin avec le départ Š l’orientation de l’enseignement supérieur
du Président Senghor et la convocation par son vers le développement national, et la promotion
successeur Abdou Diouf35, des Etats Généraux scientifique et technique ;
Š l’augmentation en conséquence des
L’enseignement arabo-islamique a ainsi été promu
dépenses allouées à l’éducation, la conception
par l’Etat sénégalais, dès les premières heures de
son indépendance. Cette politique s’est traduite au d’un plan de financement de soutien à la
plan interne par l’introduction de l’enseignement de réforme (évalué à 600 milliards de fcfa) et la
la langue arabe dans le cycle primaire et par la mise en place d’un fonds national de l’éducation
création du collège franco-arabe. Au plan externe, alimenté par la fiscalité, les contributions de
elle a permis l’envoi d’élèves boursiers dans les pays l’Etat et des entreprises, la production de biens
arabes pour leur formation pédagogique. Les Etats
et de services par les nouvelles entités
Généraux de l’Education et de la Formation tenus
en 1982 ont permis aux autorités religieuses scolaires.
présentes d’exprimer la nécessité d’introduire
l’enseignement religieux dans le système éducatif et 1.2.4 La seconde crise du système
d’accorder à la langue arabe une plus grande formel : « l’école de la dette »36
importance. Lors de ces assises, la commission n°2
chargée de la « politique générale de l’Education »,
Ce projet concerté d’école nouvelle sénégalaise
a fini par donner à l’arabe le statut de langue
étrangère vivante. En ce qui concerne ne survivra cependant pas aux plans
l’enseignement religieux, la commission a affirmé la d’ajustement structurel, dictés dès le début des
nécessité de lui faire une place dans le nouveau années 1980, par les institutions de Bretton
système éducatif conformément aux principes Woods. La récession économique et le fort
arrêtés par les Etats Généraux. endettement de l’Etat sénégalais obligent une
33 Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette
réduction maximale des dépenses et la mise en
stabilité et cette progression. Elles sont liées
principalement à une croissance annuelle régulière
du PNB, à la part importante du PNB allouée à situation de crispation sociale ingérable qui se
l’éducation (2,4%), à une politique de soutien des cristallise autour de la contestation du Parti
élèves et étudiants (bourses, internat, demi- Socialiste (parti unique devenu majoritaire) et de la
pension,…), à une adéquation relative entre crise scolaire. Il cède à ces revendications en
formation et emploi,… proposant la légalisation des partis (ouverture
34 Grève générale, boycott des examens, rétention
démocratique qui restera jusqu’à son départ en 2000
de notes, manifestations, etc… et répression du très contrôlée) et la tenue des Etats Généraux de
pouvoir (coupures de salaire, suspension, l’Education et de la Formation qui ne seront jamais
mutation,….) suivis d’effets.
35 Abdou Diouf trouve à son arrivée au pouvoir une 36 Cette expression est empruntée au CADTM.
L’éducation non formelle
12 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

œuvre de stratégies d’une grande austérité : universitaire invalidée de 199340).


Š les acquis sociaux des élèves (internat,
demi-pension) disparaissent ; Graphique 1 : effectifs des classes à double-flux
par région et par sexe en 1996/97
Š le caractère sélectif du système éducatif
est maintenu et renforcé37 ; Effectif des classes à double flux
Š de nouveaux types de classe font leur par région et par sexe en 1996/97
apparition pour maximiser les ressources :
dans les zones péri-urbaines et urbaines à
forte concentration humaine, la classe à double Kolda

flux où un enseignant s’occupe par alternance Fatick

garçons
de 2 groupes d’élèves ; dans les zones rurales, Louga
filles
la classe multigrade où un enseignant a sous Thies

sa responsabilité plusieurs niveaux ; Kaolack

Š les subventions destinées au cycle Tambacounda

moyen, secondaire et universitaire diminuent, Saint-Louis

avec en contrepartie l’augmentation des frais Diourbel

d’inscription pour les élèves et les étudiants38 ; Ziguinchor

Š les salaires des enseignants sont gelés, Dakar

de nouvelles catégories sous-rémunérées sont 0 20 000 40 000 60 000 80 000 100 000 120 000

instituées et encouragées (vacataires,


volontaires de l’éducation à partir de 199539). Cette crise est aggravée par l'orientation
"théorique" de l'école sénégalaise. Mis à part
Cette politique au rabais plonge le système quelques écoles de formation professionnelle,
formel dans une crise sans précédent, se la connexion entre l'école et le monde du travail
traduisant par un cycle prolongé de grèves n'est pas effective.
scolaires et universitaires (avec comme points
culminants, l’année blanche de 1988 et l’année Une insertion professionnelle aléatoire, des
cursus longs (16 ans pour une maîtrise, 14 ans
37 En 1996, les taux de réussite aux examens et
pour un diplôme de technicien supérieur), une
concours de passage étaient en fin de cycle sélection forte et soutenue (de l’école
élémentaire de 25 %, au terme du cycle moyen de 50
élémentaire à l’université), ainsi que des risques
% et de 42,79% pour le baccalauréat – à cela
s’ajoutent les taux d’abandon qui affectent les trois de perturbation (grèves, année blanche), tout
cycles (sources MEN Sénégal) ; en 1996, le nombre cela décourage le plus grand nombre des
d’étudiants pour 10 000 habitants était de 255 au élèves et des étudiants. La crise des
Sénégal – contre 1 454 pour l’Egypte, 481 pour le motivations ne fait que confirmer et aggraver la
Congo, 58 pour le Niger (données Unesco, rapport crise du système scolaire et exclure les plus
mondiale de l’éducation 2000, p. 160).
38 D’après le CADTM, « La logique de privatisation pauvres.
totale de l’enseignement supérieur constitue le fil
conducteur des propositions de réformes élaborées En réponse à cette situation, le gouvernement
par la Banque Mondiale » ; concernant sénégalais élabore en 1998/1999 un
l’enseignement élémentaire, l’objectif serait de programme décennal de l’éducation et de la
reproduire « la vieille école de Jules Ferry : savoir formation, avec pour objectif principal la
lire, compter, écrire et calculer, ce qui permet de
scolarisation universelle en 2010.
réduire les dépenses publiques d’enseignement »,
p.6, op cit. Ce programme soutenu par les principaux
39 Les volontaires de l’éducation perçoivent une partenaires de coopération bilatérale et
indemnité égale au tiers de celle des enseignants multilatérale reconduit les stratégies initiées lors
titulaires. des plans d’ajustement structurel
40 Ces deux années coïncident avec la réélection
(généralisation du recrutement de « volontaires
contestée du candidat du Parti Socialiste à la tête de
l’Etat. Il serait intéressant de confronter les
41 Point 5.3 du PDEF « recrutement et affectation
économies réalisées par les plans d’ajustement
structurel au coût réel de ces deux années (des des maîtres ». Répartition des 2 000 enseignants
dizaines de milliers d’élèves et d’étudiants se recrutés par an : 1200 volontaires, 700 instituteurs
trouvant contraints de mettre un terme à leur ordinaires ou contractuels, 100 par les écoles
formation). privées ou municipales.
L’éducation non formelle
13
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Quelques interrogations sur les principes directeurs du PDEF

Vu les caractéristiques et l’évolution du secteur éducatif au Sénégal, les principes qui servent de soubassement au
PDEF peuvent soulever quelques interrogations :

1. la libéralisation de l’offre éducative


L’objectif visé est la multiplication des structures éducatives autonomes (de type privé ou associatif). Même si leur
gestion et leur mode de fonctionnement n’intéressent pas directement l’Etat, elles doivent se conformer aux
différentes législations qui régissent le système formel.
Quelles garanties pour que la libéralisation ne se traduise pas à terme, par la démission de l’Etat ? Ces nouvelles
structures éducatives recevront-elles des subventions de l’Etat ? La généralisation de l’offre privée ne risque-t-elle
pas d’amener une contradiction avec le principe directeur 4 « éducation de qualité pour tous » ?

2. une participation et un partenariat efficace et bien coordonné


Dans le prolongement du premier principe directeur, il s’agit ici de mettre en cohérence et en synergie les différentes
initiatives éducatives qui vont naître de la libéralisation.
En quoi résidera l’efficacité et la bonne coordination du partenariat ? Des rapports équilibrés entre l’Etat et des
organisations associatives ou privées fortes, ou bien l’exercice de l’autorité publique sur des initiatives faibles et
éparpillées ?

3. la décentralisation et la déconcentration renforcée


Le PDEF a pour cadre et principe directeur la décentralisation, l’éducation faisant partie des pouvoirs transférés aux
collectivités locales.
Pour que la décentralisation devienne effective, certaines conditions doivent cependant être réunies : autonomie
réelle de décision et de mise en oeuvre, ressources matérielles, financières et humaines suffisantes, expertise
locale, gestion transparente.

4. une éducation de qualité pour tous (égalité et équité)


Sans conteste, il s’agit d’un des principaux objectifs du PDEF. Certaines pistes à approfondir figurent dans le
document de référence : discrimination positive (selon quels critères précis ?), prise en compte de la dimension
genre, diversification des programmes…

5. l’atteinte par tous des normes de performance les plus élevées (qualité)
La nouvelle école sénégalaise est ambitieuse. Elle souhaite, entres autres améliorer la qualité des normes de
performance. Cela passe forcément par d’autres contenus et méthodes, adaptés aux apprenants :
« enseignements-apprentissages et recherche-action efficaces », mais aussi un renforcement des programmes,
des compétences, de l’évaluation, etc…
Ce principe directeur ouvre la perspective d’une réforme profonde du système d’éducation et de formation
(programmes, méthode d’enseignement) au Sénégal. Il subsiste une question préalable et incontournable : quels
types d’éducation et de formation ? Pour quels objectifs ?

6. la gestion transparente et efficace


Selon le document de référence, seul l’Etat par sa « chaîne hiérarchique » peut assurer la transparence et
l’efficacité de la gestion.
N’est-ce pas retomber dans les pièges que le PDEF comptait déjouer ?

contractuels »41 et des classes multigrades et à menacent de faire grève. L’intersyndicale


double flux42). Début 2001, alors que dénonce en particulier la tendance à la
l’application du PDEF commence timidement, privatisation (qui devrait toucher plus
trois syndicats - l’UDEN (union démocratique particulièrement l’enseignement supérieur et
des enseignants), le SUDES et le SYPROS marginaliser davantage les plus démunis) et la
(Syndicat des Professeurs du Sénégal) - généralisation du volontariat43.
contestent certaines dispositions du PDEF et

42 Point 5.2 du PDEF « rentabilisation des locaux et 43 « Les dispositions du PDEF institutionnalisent le
du personnel » : Renforcement du double-flux et du volontariat et précarisent la fonction enseignante »
multigrade dans les régions aux effectifs « réduits » déclare à l’AFP Mamadou Diop castro, secrétaire
(pour atteindre le ratio « normalisé » de 55 générale de l’UDEN. De son côté, la Banque
élève/enseignant par cohorte – soit 110 apprenants Mondiale, par un de ses experts Adrien Wespoor,
pour un enseignant) et connaissant peu ces modes estime que « la politique du volontariat marche très
de fonctionnement (pour arriver à 30 % des classes). bien » – dépêche AFP du vendredi 23 février 2001.
L’éducation non formelle
14 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

1.2.5 Le développement de l’éducation expériences d’éducation non formelle. Les


non-formelle plans d’ajustement structurel ont poussé le
système formel dans l’impasse. Même si
1.2.5.1 Des formes éducatives marginalisées quelques espoirs persistent, il ne peut à lui seul
- parce que trop rigide et coûteux – absorber
La crise que traverse le système formel depuis l’ensemble de la demande éducative. En plus, le
1968 a servi de terreau à d’autres initiatives système formel n’est pas conçu pour répondre à
éducatives qui, de leur première position l’ensemble des objectifs d’éducation pour tous.
marginale, s’affirment de plus en plus comme des Ceux-ci impliquent une ouverture de l’offre
alternatives aux limites rencontrées par l’éducation éducative aux jeunes et aux adultes pour la
formelle. plupart analphabètes.
A l’initiative d’une société civile naissante,
certaines expériences d’éducation non
formelle ont débuté dès les années 1970 en
réaction à la première crise du système
éducatif sénégalais. A ces formes s’ajoutent
les systèmes d’éducation et de formation
rattachés aux confréries musulmanes et aux
différentes organisations socioculturelles du
Sénégal. Malgré la domination de l’école
formelle, ces formes éducatives se sont
maintenues. La formation liée au système
des castes et les systèmes collectifs
d’initiation traditionnelle ont toutefois été
grandement fragilisés par la déstructuration
socioculturelle, conséquence d’une forte
urbanisation. En ce qui concerne l’éducation
coranique, la tendance est au renouveau.
Les confréries musulmanes (la Mouridiyya
en particulier) ont connu depuis
l’indépendance du Sénégal une forte
expansion. Comme le montre l’expérience de Une série de concertations - réunissant les
Xelcom44, celle-ci s’est traduite par la autorités administratives et politiques, les
multiplication des Daara, la diversification et le organismes internationaux d’appui et de
renforcement de leurs apprentissages. financement, les ONG et les associations - a
lieu de 1991 à 1996 : cadre d’action pour
1.2.5.2 L’éducation non formelle pour sortir l’éducation pour tous au Sénégal en juin 1991 à
de l’impasse du formel ? Saly Portudal, colloque de Kolda sur
l’alphabétisation, colloque de Saint Louis en
Jusqu’à la fin des années 1980, les expériences 1996. Ces rencontres débouchent sur
d’éducation hors du système formel restent l’élaboration de plans d’actions dont la mise en
limitées. Peu ou pas reconnues, elles œuvre est confiée au Ministère délégué chargé
s’engagent le plus souvent dans des de l’Education de Base et des Langues
expérimentations à travers des projets Nationales.
« micro », circonscrits à un « site », à un Cette politique d’ouverture et de concertation
« groupe-cible » et à une durée d’exécution45. prend une forme stable par la création d’un
Suite au recensement de 1988 qui révèle que comité national d’élimination de
68,9% des sénégalais sont analphabètes et aux l’analphabétisme (CNEA), représenté au niveau
engagements pris lors de la conférence de local et devant impliquer toutes les
Jomtien, le contexte national et international
devient plus favorable à un développement des au vocabulaire militaire : cible, stratégie, impact, … On
peut se demander maintenant quels ont été les
44 Voir point 2.1.10.
résultats et la portée de ces opérations « coup de
45 Cette approche « projet » emprunte le plus souvent
poing » ou « commando ».
L’éducation non formelle
15
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

composantes de la société civile. Š la constitution d’une coalition nationale de la


Volonté politique de promouvoir d’autres société civile pour l’EPT au Sénégal (avril 2001)
expériences éducatives ou réorientation répondant à une des recommandations du
stratégique éphémère ? L’Etat sénégalais séminaire de Bamako (novembre-décembre
soutient toutes les initiatives qui touchent à 200) et regroupant les principales ONG et
l’éducation de base non formelle : soit en OSC46 actives dans le domaine de l’éducation
facilitant leur reconnaissance légale, soit en les et de la formation ;
responsabilisant à travers des programmes Š l’élaboration et la validation d’un Plan
nationaux d’appui à l’éducation non formelle. National d’Action pour l’Education Pour Tous
(avril 2001), complétant le PDEF sur la base du
1.2.5.3 Une évolution favorable du
contexte socio-politique

Le développement des initiatives non


formelles est également facilité par
l’évolution du contexte socio-politique
national marqué par :
Š Une contestation de plus en plus forte
du système de Parti Etat qui domine le
Sénégal depuis son indépendance et des
modèles qui lui sont liés (fonctionnariat,
centralisme, clientélisme financier et
politique, monolithisme idéologique – dont
l’école formelle est l’un des outils) – celle-ci a
abouti en mars 2000 à la première alternance Cadre d’Action du Forum Mondial sur
politique au Sénégal ; l’Education Pour Tous de Dakar47.
Š Un processus de décentralisation, qui se Cette évolution historique complexe des
met difficilement en place à partir de 1993 et systèmes d’éducation au Sénégal explique en
implique à moyen terme pour les collectivités grande partie la diversité des expériences
locales de nouvelles responsabilités (dont la d’éducation non formelle. Elle permet
prise en charge de l’éducation de base) ; également de percevoir le rôle ambigu de
Š Une société civile de plus en plus facilitation/appropriation joué par l’Etat et les
expérimentée et organisée dont le rôle de enjeux qui se trament derrière ce
complément de l’Etat dans les secteurs sociaux positionnement. Cette implication croissante
est devenu incontestable et indispensable. dans l’éducation non formelle signifie-t-elle la
poursuite du monopole de l’éducation par
La période, durant laquelle s’est déroulée la l’Etat ? En quoi l’éducation non formelle mise en
présente étude, a confirmée ces tendances. œuvre par l’Etat n’est-elle pas
Elle a été marquée en particulier par deux « institutionnalisée » ? Quelle différence alors
évènements majeurs, bases possibles d’une avec l’éducation formelle ? Une différence de
réforme profonde et concertée du secteur de statut ? de projet ? de niveau ?
l’éducation :

46 Organisation de la Société Civile


47 On pourra regretter que l’élaboration de ce
PNA/EPT est surtou été un travail d’expert et que la
Société Civile y ait été que trop peu associée.
L’éducation non formelle
16 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

1.3 Analyse et évaluation de grande cohérence organisationnelle et


l’éducation non formelle au pédagogique.
Sénégal
™ les ONG nationales ou régionales
Durant la décennie 1990-2000, l’éducation non La fin des années 198048 a été marquée par
formelle s’est développée tous azimuts au l’émergence de nombreuses structures non
Sénégal. Quelles sont les principales gouvernementales à vocation nationale ou
caractéristiques de ce secteur de l’éducation ? régionale. Intervenant dans une ou plusieurs
Qui en sont les acteurs ? Quels sont les régions du pays, ces entités sont souvent
objectifs, les contenus et les méthodes mis en appuyées par les agences de coopération, par
oeuvre? Dans quels domaines s’est-il les organismes internationaux et/ou par l’Etat
particulièrement développé ? dans le cadre des programmes nationaux
d’alphabétisation – elles interviennent alors
1.3.1 Un cadre institutionnel comme « opérateurs ». D’après nos données49,
complexe et déséquilibré les ONG nationales et régionales intervenant
dans le domaine de l’éducation non formelle
1.3.1.1 Typologie des principaux acteurs de seraient au moins une centaine.
l’éducation non formelle
™ les ONG internationales
L’éducation non formelle se développe au Une vingtaine d’ONG internationales développent
Sénégal dans un cadre institutionnel complexe également des programmes d’éducation non
et éclaté. Les structures qui le composent, sont formelle au Sénégal. A part Enda tiers-monde, elles
de taille et de niveau organisationnel très sont toutes originaires d’Europe ou d’Amérique du
différents. Une première typologie peut être Nord. Disposant de moyens conséquents, elles
proposée en fonction de ces deux critères : appuient les initiatives locales et les ONG
nationales (équipement, formation, renforcement
™ les structures locales organisationnel et institutionnel) dans
Disposant de moyens matériels et financiers l’expérimentation de formes alternatives
très réduits, ces entités privées ou associatives d’éducation et de formation.
se spécialisent dans un domaine d’activité.
Graphique 2 : type d’intervention des ONG et
Leur champ d’intervention se réduit le plus
organismes d’appui à l’ENF
souvent à un quartier ou à un village : g pp
Š les ateliers artisanaux relevant de
Financement
l’économie populaire : sous la responsabilité
d’un « patron », les enfants et jeunes Opinion
déscolarisés ou non-scolarisés peuvent y
apprendre un métier ; la formation proposée est Appui
essentiellement « informelle » et pratique, les
Service
apprentissages étant mêlés aux activités de
production ;
0 20 40 60 80 100 120
Š les associations de développement de
quartier et les associations sportives et
culturelles : implantées dans la grande majorité
des quartiers urbains et des communes rurales,
ces associations de petite taille développent des
activités d’éducation non formelle en fonction de
la demande locale, des moyens à disposition et
48 Selon les données dont nous disposons, la
des partenariats avec des structures d’appui ;
moyenne d’âge des ONG nationales est de 13 ans.
Š les Daara ou école coranique : leur taille et 49 Répertoire des ONG et associations intervenant
leur niveau d’organisation n’est pas uniforme ; dans l’éducation non formelle au Sénégal constitué
en milieu urbain elles sont en général peu à partir des bases de données de la Fondation
structurées et de taille réduite ; alors qu’en Friedrich Ebert, de la DEPEE-MEN, de la DPE
milieu rural, elles accueillent des dizaines de (Développement de la Petite Enfance), d’Enda tiers-
milliers d’apprenants et font preuve d’une monde et de nos recherches propres.
L’éducation non formelle
17
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

™ les agences de coopération bilatérales non formelle ? Une lecture plus approfondie des
et multilatérales relations institutionnelles permet d’avoir une
Les agences de coopération bilatérales et idée plus précise des acquis et des limites
multilatérales sont partie prenante du institutionnelles de l’éducation non formelle au
développement de l’éducation non formelle. Sénégal :
Leur participation est avant tout financière. Elle
se concrétise par leur soutien aux programmes ™ une politique gouvernementale ouverte
nationaux coordonnés par l’Etat et aux et innovante
initiatives des ONG internationales et Un des acquis institutionnels fondamentaux
nationales. Certaines d’entre elles, parce réside dans les fondements de la politique
qu’elles sont spécialisées dans le domaine de gouvernementale en matière d’éducation non
l’éducation et de la formation (UNICEF, formelle. Plutôt que de reproduire une pâle
UNESCO) s’investissent également dans copie du système formel, les autorités
l’expérimentation en apportant un appui sénégalaises ont reconnu que l’éducation non
méthodologique et technique. formelle ne pouvait se développer dans le
carcan du centralisme et du monolithisme
™ les autorités administratives et d’Etat. Elle devait faire l’objet d’un partenariat
techniques relevant du Ministère de élargi et permettre l’expérimentation
l’Education Nationale d’approches et de formes éducatives
La création d’un Ministère délégué et d’une diversifiées.
Division de l’Alphabétisation et de l’Education
de Base dépendant du Ministère de l’Education C’est à partir de cette volonté d’ouverture et
Nationale marque la volonté politique de d’innovation que la Direction de
participer au développement de l’éducation non l’Alphabétisation et de l’Education de Base a
formelle et de maîtriser celui-ci par un suivi conçu la méthode du « faire-faire ». Celle-ci
continu et rapproché. L’Etat participe, à travers consiste, dans le cadre des programmes
son administration centrale et décentralisée, au nationaux précités, à responsabiliser les
financement partiel et à la coordination de associations et les ONG à travers des sous-
programmes nationaux essentiellement axés projets (de 5 à 40 classes d’alphabétisation) sur
sur l’alphabétisation. Il s’agit principalement du la base d’un contrat (garanties pédagogiques et
PAPA50 (Programme d’Appui aux Plans financières) et d’un manuel de procédures.
d’Action en matière d’éducation non formelle – Cette approche « audacieuse »51 s’est révélée
1997-2001) appuyé par l’ACDI, du PAPF (Projet opérationnelle. Elle a permis à la fois la
d’Alphabétisation Priorité Femmes) appuyé par reconnaissance et la valorisation des structures
la Banque Mondiale, du PADEN (Projet d’éducation non formelle, et l’instauration d’une
d’Alphabétisation des Elus et Notables locaux – politique basée sur la confiance et la
1998/2000) appuyé par la GTZ, du projet Alpha concertation - tant au niveau national que local.
Femmes de la GTZ, du Projet d’Education Non Il reste que cette approche n’est pas sans
Formelle pour le Développement (PENFD), limites. Elle a également participé à la création
appuyé par l’UNICEF, du PAIS (Projet d’un « marché du non-formel » avec pour
d’Alphabétisation Intensive au Sénégal). conséquence certaines déviances (création
artificielle de structures, concurrence…). Aussi
1.3.1.2 Les principales caractéristiques du les expériences, dont certaines sont
cadre institutionnel intéressantes et porteuses, restent-elle en
partie cloisonnées, faute de supports de
Cette grande diversité structurelle, première capitalisation et d’échange. Comme le
caractéristique du cadre institutionnel, soulignait Mamadou Sarr (ENS, Enda
constitue-t-elle un « frein » (évolution séparée et Coorcom), la politique gouvernementale devrait
déséquilibrée) ou un « moteur » (richesse et
dynamisme) au développement de l’éducation 51 Qualificatif utilisé par Anne Sylvain dans son
article d’octobre 1998, publié par le Monde
50 Ce programme est le plus complet : il touche Diplomatique : « Une audacieuse politique
différentes composantes de l’éducation non formelle. éducative ».
L’éducation non formelle
18 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

« Du formel au non-formel : il n’y a qu’un pas »


L’expérience d’Aide et Action / Ecoliers du Monde au Sénégal

Aide et Action / Ecoliers du Monde est une association dont le siège est en France. Elle intervient dans une dizaine
de pays. Elle est implantée au Sénégal depuis 1988. Elle y emploie 80 personnes (animateurs, alphabétiseurs,
communicateurs pédagogues, administrateurs, évaluateurs entre autres spécialistes). Ces activités sont concentrées
dans deux zones : PRM (Pikine, Rufisque et Mbour) et la région de Kolda.

™ Evolution et grandes orientations de la structure


A sa naissance, au début des années 1980, les activités d’Aide et Action se limitent à la collecte de fonds pour une
ONG anglo-saxonne (Action Aid). A partir de 1985, Aide et Action initie des programmes financés sur fonds propres.
Les projets sont surtout centrés sur les infrastructures, les équipements et sur la mise à disposition de matériel
pédagogique adéquat. Ainsi, l’association acquiert une solide réputation d’équipementier et de maître d’œuvre dans
la construction de classes.
Durant la décennie 1990-2000, les activités d’Aide et Action connaissent une première évolution importante.
L’association décide de moins construire et de travailler davantage aux aspects qualitatifs. De nos jours, Aide et
Action / Ecoliers du Monde a fini de renforcer et de consolider cette orientation. L’association est devenue par le
cumul d’expériences, un partenaire reconnu en matière d’élaboration de contenus et d’amélioration de la qualité de
l’enseignement. Elle apporte un appui important aux IDEN dans l’encadrement et la formation permanente du
personnel enseignant. Elle met de plus en plus l’accent sur les partenariats pour la production et la diffusion à
grande échelle des innovations pédagogiques.

™ Contenus et résultats du programme au Sénégal

Š faciliter l’accès à l’éducation


L’objectif majeur à travers cet axe d’intervention est
de favoriser l’expression et la prise en charge de la
demande éducative. Cela ne saurait se faire sans
une action sur les facteurs limitant l’accès à
l’éducation d’une part, et en direction des exclus du
système éducatif d’autre part. Pour mieux cerner la
question de l’accessibilité de l’éducation, Aide et
Action / Ecoliers du Monde a accompagné son
action d’études sur le coût de l’éducation au
Sénégal et sur les capacités des familles à faire
face aux frais de scolarisation de leurs enfants.
Les réalisations concrètes d’Aide et Action /
Ecoliers du Monde ont largement participé à
renforcer l’accès à l’éducation dans les deux zones
d’intervention de l’ONG : construction et équipement de 413 salles de classe ; rénovation de 152 autres ; 10 572
tables-bancs, réalisations de puits (157), de bassins d’eau (58), de blocs d’hygiène (96) et de bibliothèques (13).

Š améliorer la qualité de l’enseignement dans le système éducatif formel


Pour y parvenir, Aide et Action / Ecoliers du Monde s’est fixé un ensemble d’objectifs opérationnels : assurer le bon
fonctionnement de l’école, améliorer les performances du système éducatif, revaloriser le métier d’éducateur, ouvrir
l’école au milieu, agir au niveau institutionnel régional, assurer de bonnes conditions d’apprentissage.
La réalisation de ces objectifs appelle nécessairement une participation effective aussi bien des populations que
des autorités centrales et déconcentrées. Les premières doivent pouvoir s’impliquer davantage et être
responsabilisées dans la gestion du système éducatif. Les secondes doivent leur offrir un appui institutionnel et
opérationnel pour qu’elles deviennent véritablement partie prenante. Aide et Action / Ecolier du Monde s’est
beaucoup investi pour susciter cet appui. C’est ainsi qu’en collaboration avec les IDEN, elle a initié des activités de
formation et de sensibilisation en direction des maîtres, des directeurs et des organisations communautaires pour
susciter « une autre façon de gérer l’école en l’ouvrant davantage au milieu »52. A terme, cette nouvelle vision
devrait déboucher sur la réalisation d’un « contrat d’actions éducatives entre l’école et le milieu afin de résoudre de
manière efficace et pertinente les problèmes identifiés en rapport avec les missions de l’école53 ».
En dehors des acteurs directs du système formel, les acteurs à la « périphérie » du système (parents, coopératives,
cellule école-milieu…) sont également des partenaires de l’ONG. Ces derniers ont pu élaborer et mettre en œuvre,
avec l’appui d’Aide et Action / Ecoliers du Monde, plusieurs « plans d’action qualité » : cours de soutien, points de

52 Inspecteur Départemental de Rufisque I (collaborateur d’Aide et Action /Ecolier du Monde).


53 Rapport d’activité 1999 d’Aide et Action, p. 22, Dakar.
L’éducation non formelle
19
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

vente de fournitures et manuels scolaires (PVFS), projets productifs et générateurs de revenus, centres de
ressources documentaires.
L’amélioration de la qualité de l’enseignement a pour effet et indicateur principal la réduction des échecs scolaires.
Dans cette perspective, l’ONG a expérimenté des Centres d’Activités Socio-Educatives (CASE). Les CASE
fonctionnent durant les grandes vacances et comportent dans leurs programmes des cours complémentaires en
rapport avec les disciplines enseignées durant l’année scolaire. Les CASE font également appel aux compétences
de personnes-ressources extérieures à l’école pour initier les enfants et les jeunes à différentes activités manuelles
et culturelles.

Š diversifier l’offre éducative


Cet axe d’intervention concerne les enfants et les jeunes non scolarisés, déscolarisés, ou connaissant des
problèmes sociaux graves. Il s’agit de leur proposer des alternatives adaptées et accessibles. Aide et Action /
Ecoliers du Monde s’est particulièrement investi dans l’expérimentation des écoles communautaires de base. Ce
modèle, à la lisière du système éducatif formel et censé palier les limites de ce dernier, a bénéficié de l’appui de
l’ONG tant au niveau de sa conception, de sa mise en œuvre que de sa supervision. Aide et Action / Ecoliers du
Monde a, pour ce faire, mis en place une équipe locale de suivi et d’évaluation du modèle des ECB, qui travaille en
étroite collaboration avec les services du Ministère de l’Education Nationale, notamment la DAEB.

Š renforcer les capacités des communautés


Ce dernier axe d’intervention est bien entendu à rattacher aux trois autres. L’accessibilité, la qualité et la
diversification de l’offre éducative ne peut être effective sans une implication active des communautés. Réunir les
composantes sociales et développer des entités partenariales à la base pour construire une volonté commune, mais
aussi agir pour une amélioration des conditions de vie, tels sont les principaux objectifs du programme « alpha-
école ».
Celui-ci repose sur l’idée originale que la classe d’alphabétisation doit être intégrée à l’école. Cette intégration est
aussi bien physique que fonctionnelle. Les cours ont lieu dans l’enceinte de l’école et les auditeurs bénéficient des
services de l’école (PVFS, bibliothèque scolaire, etc…). Les auditeurs étant souvent des parents d’élève, les cours
d’alphabétisation sont des occasions pour renforcer leur mobilisation autour de la scolarisation des enfants et des
cellules école-milieu. Loin de faire de l’alphabétisation un apprentissage en marge de l’école, le concept « alpha-
école » permet d’enrichir et d’élargir le rôle de l’école officielle en en faisant un centre de ressources locales.
L’« alpha-école » devrait s’élargir aux adolescents déscolarisés et insérer dans les programmes une « qualification
professionnelle minimale », faisant ainsi de
l’alphabétisation « une école de la deuxième chance ».

™ Evaluation et perspectives

Au moment où nous réalisions cette étude, Aide et Action


s’apprêtait à célébrer son 20ème anniversaire. Ces
préparatifs étaient mis à profit pour amorcer une réflexion
critique sur le bilan de l’ONG et asseoir une vision
prospective. Même si cette réflexion est toujours en
cours, on peut d’ores et déjà anticiper certaines de ses
conclusions :

Š une mue symbolique


Aide et Action change de nom et de logo. Après avoir mené des études sur la manière dont était perçu le nom « Aide
et Action », les responsables de l’ONG se sont rendus compte que cette appellation faisait que la mission de l’ONG
était « parfois incomprise et souvent confondue ». Pour ses raisons, il a été décidé de la changer par « Ecoliers du
monde ». Ce nouveau nom a l’avantage de camper, dès son évocation, le champ d’intervention de l’ONG, et son
« capital sympathie est très fort ».

Š la valorisation de l’expertise locale


Aide et Action / Ecoliers du Monde a choisi de promouvoir davantage les cadres africains dont l’expertise est avérée
en matière d’éducation. Pour ce qui est du Sénégal, les responsables français seront remplacés dès 2001 par des
experts locaux.

Š la multiplication des partenariats


Aide et Action / Ecoliers du Monde compte également favoriser le multi-partenariat avec des structures locales
émergeantes dans le cadre de programmes souples et proches du terrain. Dans cette optique, en plus de ses
partenaires traditionnels, l’ONG se rapproche des organisations travaillant dans des domaines complémentaires à
l’éducation (santé, développement rural, hydraulique, micro-crédit, etc…). Aide et Action / Ecoliers du Monde milite en
faveur d’un élargissement des projets d’école. L’objectif est d’en faire des projets locaux, mobilisant tous les partenaires
possibles aussi bien dans le diagnostic des problèmes que dans l’élaboration et l’exécution des programmes.
L’éducation non formelle
20 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

poursuivre son évolution positive. Après être internationales : réseau Siggil Jigéen spécialisé
passé du « faire seul » au « faire faire », elle en genre, la FONGS – Fédération des ONG
pourrait évoluer vers le « faire ensemble ». sénégalaises, orientée essentiellement vers les
problèmes du monde rural, le CONGAD –
™ les réseaux de l’éducation non formelle : Conseil des ONG d’Appui au Développement.
concurrence et/ou concertation ? Cette dernière structure, composée de 120
organisations nationales et internationales, a
L’impression qu’il se développe un « marché de développé un programme autour de trois
l’éducation non formelle » ne se limite pas à champs d’activités : l’animation scientifique et
certains effets de la politique gouvernementale. technique de réseaux de réflexion thématique
En s’imposant comme une priorité, l’éducation portant sur les questions de développement (un
non formelle fait l’objet d’enjeux financiers et de ces réseaux porte sur l’alphabétisation),
politiques de plus en plus importants54. Il ne l’information et la communication sur les
s’agit pas de fermer les yeux mais d’analyser et expériences des ONG intervenant au Sénégal,
de maîtriser les mécanismes qui se mettent le développement organisationnel à la base.
progressivement en place. D’autres organisations d’envergure facilitent la
Les différentes structures d’éducation non concertation entre les acteurs. C’est le cas
formelle fonctionnent pour la plupart sur la base d’Enda tiers-monde qui appuie la mise en
de projets à court terme financés de l’extérieur. réseau des petites structures d’éducation non
Cette précarité les oblige à mettre en œuvre des formelle au niveau local, national et régional55.
stratégies permettant de renouveler et, si cela Cette tendance à la concertation pourrait être
est possible, de développer leurs relations renforcée par la mise en œuvre du dispositif
institutionnelles verticales. Cette situation a institutionnel prévu dans le PDEF : le Conseil
pour conséquence l’isolement et le Supérieur de l’Education et de la Formation et
cloisonnement relatifs des expériences, chacun les entités de concertations décentralisées
étant tenté de valoriser au mieux ses acquis au associant l’ensemble des acteurs de l’éducation
sein des filières de décision et de financement. et de la formation.
Cela a également pour effet que certaines
structures non intégrées aux réseaux politiques ™ la reproduction d’un certain
et financiers ne bénéficient d’aucun appui. « centralisme » et un développement
déséquilibré de l’éducation non formelle
Cette tendance préoccupante est en partie
L’analyse du cadre institutionnel montre
contrecarrée par l’existence d’espaces de
également que la grande majorité des
concertation et d’échange, qui favorisent les
structures d’éducation non formelle reconnues
partenariats et les solidarités horizontales. Il
par l’Etat ont leur siège à Dakar (78 %).
s’agit principalement :
L’ensemble des décisions politiques et
Š des entités mises en place par les autorités
financières étant prises à Dakar, elles sont
gouvernementales pour la définition, le suivi et
souvent contraintes –surtout pour les structures
l’évaluation des programmes nationaux : la
dont le « terrain » est très éloigné – d’avoir au
table de concertation de la DEPEE qui associe
moins une représentation - servant souvent de
des organisations nationales et internationales
siège administratif - dans la capitale et de
intervenant dans le formel et le non formel ; la
participer de cette manière à un certain
Coordination Nationale des Opérateurs en
« centralisme ».
Alphabétisation au Sénégal et le Comité
Cela provoque un déséquilibre entre les
National de Concertation et d’Appui Technique
structures qui disposent des moyens de
soutenus dans le cadre du PAPA ;
s’implanter à proximité des centres décisionnels
Š des collectifs d’ONG nationales et
et celles qui, dépourvues de ceux-ci , restent à
la périphérie. L’accès aux réseaux de relation,
54 D’après une étude de cas sur le Sénégal intitulée d’information et de communication joue un rôle
« l’évaluation des ONG : politiques et pratiques »,
réalisée en 1997 par Jean-Louis Viellajus (GRET,
Paris) l’éducation est le principal secteur d’activité 55 Voir pour plus de détails, les expériences des
des ONG affiliées au CONGAD, p.4 – équipes écopole (pp.66-70) et jeunesse action
http://www.valt.helsinki.fi/ids/ngo/appsen.htm (pp.70-73).
L’éducation non formelle
21
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

REPARTITION GEOGRAPHIQUE
DES EXPERIENCES D’EDUCATION NON FORMELLE

essentiel dans l’intégration des filières politiques les régions urbanisées et peuplées bénéficient
et financières de l’éducation non formelle. Les de plus de programmes d’éducation non
associations de petite taille évoluant dans les formelle ;
zones marginalisées (zone rurale ou péri- Š par une implantation inégale des structures
urbaine) ont peu de contacts et donc peu de d’éducation non formelle ;
possibilités de se développer. Š par un accès limité aux ressources et aux
Un second déséquilibre est perceptible au moyens de communication dans certaines
niveau de l’implantation des programmes zones ;
d’éducation non formelle dans les différentes Š par la détermination dans le cadre du PAPA
régions du Sénégal. de zones d’intervention prioritaires (Kaolack,
Cela peut s’expliquer : Saint Louis, Tambacounda, Kolda, Ziguinchor).
Š par des concentrations humaines inégales :
L’éducation non formelle
22 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

1.3.2 Objectifs, contenus et méthodes disposent généralement de moyens très réduits.


de l’éducation non formelle au Certains programmes (ACAPES, Enda tiers-
Sénégal monde, CIFOP, CEVA56) les appuyant leur
permettent cependant d’inscrire leurs activités
La pluralité qui caractérise les formes dans la durée et de faire évoluer leurs contenus
institutionnelles et organisationnelles se et méthodes.
retrouve également au niveau des objectifs, des Ainsi, bien que proche du modèle formel, ces
contenus et des méthodes. Les initiatives initiatives ont tendance à s’en démarquer de
d’éducation non formelle se déploient à partir de plus en plus par :
projets et de modèles éducatifs différents. Quels Š l’introduction d’objectifs et de contenus
sont ces différents modèles ? Quelles relations relatifs à la citoyenneté, à l’environnement et à
entretiennent-ils ? la santé ;
Š des méthodes plus souples et plus actives :
1.3.2.1 Typologie des modèles d’éducation enseignement individualisé, apprentissage
non formelle mutuel, intervention de personnes-ressources
issues du milieu, activités extra-muros,
1.3.2.1.1 Les modèles « modernes » formation prétechnique, stages dans les unités
de production locales…
Plusieurs modèles d’éducation non formelle Š la construction de cadres d’échange, de
reconnaissent les limites de l’école formelle concertation et de décision entre structures du
sans remettre en cause les valeurs même type, permettant l’émergence d’une
fondamentales (liées à la laïcité et aux valeurs identité propre.
républicaines) qui en sont constitutives.
1.3.2.1.1.2 Les modèles alternatifs
1.3.2.1.1.1 Les modèles inspirés du
« formel » Une seconde tendance de l’éducation non
formelle est l’expérimentation de systèmes
De nombreuses initiatives d’éducation non alternatifs d’éducation et de formation. Plusieurs
formelle se sont constituées en réponse aux initiatives ont été initiées dans ce sens. Il s’agit
dysfonctionnements de l’« école formelle ». Une principalement :
partie d’entre elles ont reproduit, au moins
partiellement, les contenus et méthodes du
système formel, avec comme objectifs :
Š de préparer la scolarité des jeunes enfants 56 Voir l’étude de SENE, Mbaye – Etude évaluative
par la mise en œuvre de programme préscolaire
d’une expérience de formation non formelle : le
proche de celui du formel ; cours d’entraînement à la vie active (CEVA) du
Š d’appuyer les enfants en difficulté scolaire centre de Bopp - ENTSS, 1989.
(en particulier les élèves des classes à double- Cette étude tente une évaluation des activités du
flux) par des cours réguliers ; CEVA depuis sa création. Le CEVA est un centre de
Š de faciliter l’intégration ou la réintégration formation professionnelle non formelle, créé par le
centre de Bopp (appelé actuellement centre Amadou
dans le système scolaire des enfants et jeunes
M. Gaye) pour dispenser aux jeunes déscolarisés
déscolarisés ou non scolarisés par des cours de une formation qualifiante. Il y existe plusieurs
(re)mise à niveau basés sur les programmes sections : électro-mécanique, bâtiment, photo,
formels ; reliure-imprimerie, céramique.
Š de participer à l’intégration socio- Les principaux partenaires du CEVA sont les chefs
professionnelle des jeunes en échec scolaire d’entreprises, l’APE, l’association des anciens
(ASAC).
par la mise en œuvre de programmes de
Situation après formation : emploi salarié 64,7 %,
formation technique partageant les objectifs et activité personnelle 15,7%, chômage 9,8 %, autres
les contenus de l’enseignement technique et de (intégration de nouvelles filières)
la formation professionnelle formels. Motivation au début de la formation : recherche
Les entités qui mettent en œuvre ce type de d’emploi 78,4 %, parents 9,8 %, autres 11,77 %
programmes sont souvent de petites structures Depuis sa création, 450 ouvriers qualifiés formés
dans les différentes sections précitées. 80 % ont pu
éducatives de quartier animées par des
trouver un emploi, salarié ou non.
étudiants ou diplômés au chômage. Elles
L’éducation non formelle
23
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

ACAPES ou "L'école pour et avec la communauté"

Créée en 1972, l’Association Culturelle d’Aide à la Promotion Educative et Sociale (ACAPES) est une ONG
nationale reconnue par l’Etat. Elle intervient en milieu urbain et péri-urbain dans les quartiers défavorisés et en
milieu rural dans les régions de Saint Louis, Ziguinchor, Tambacounda, Kolda, Kaolack et Thiès.

™ Origine et évolution de la structure

L’origine de l’ACAPES remonte à la première crise scolaire qu’ait


connu le Sénégal en 1968. A l’initiative du Père Pineau, de
nationalité dominicaine, le Centre Lebret de Dakar propose aux
jeunes exclus du système formel des cours d’entraînement et de
rattrapage. Soupçonné de contestation au régime, le Révérend Père
est obligé de quitter le Sénégal en 1972. Des jeunes formés au
Centre Lebret décident de créer une première structure, l’ACAP/JDS
(association culturelle d’aide à la promotion des jeunes déshérités).
Quelque mois plus tard, elle devient, suite à un élargissement du
champ d’intervention, l’ACAPES. Progressivement reconnue par
l’Etat, l’ACAPES s’engage à partir de 1980 dans une dynamique
nouvelle qui articule pédagogie et développement, et se concrétise
par la création d’une « coopérative intégrée de consommation et de
production ».
A partir de 1994, la structure connaît une seconde évolution
importante. Par la mise en place de « collectifs de quartier », structures de concertation et de gestion regroupant
les associations à la base des quartiers partenaires, et l’ouverture de son Conseil d’Administration aux bénéficiaires
des programmes, l’ACAPES fait l’apprentissage du développement concerté et de la gouvernance locale.

™ Grandes orientations et domaines d’intervention

Le programme quinquennal de l’ACAPES, actuellement en cours, se fonde sur une analyse critique de la situation
socio-économique du Sénégal. Celle-ci se caractérise par une urbanisation accélérée et devenue en partie
incontrôlée. Ce processus se traduit par de fortes inégalités tant entre ville et campagne, qu’à l’intérieur des villes.
Vingt années ont suffi pour faire de Dakar, une ville « au bord de l’implosion » : cohabitation de cités modernes et
de bidonvilles, insuffisance des infrastructures, insécurité croissante, chômage endémique…
Pour faire face à cette crise économique profonde et à la massification de la pauvreté qu’elle provoque, les
sénégalais ont commencé à s’organiser dans les quartiers, dans les villages. L’ACAPES s’inscrit dans ce
mouvement social autonome en appuyant les stratégies de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Cet engagement se traduit par trois axes stratégiques majeurs :
Š Par un projet pédagogique de promotion d’une éducation globale pour l’insertion et la participation des jeunes
à la vie sociale ;
Š Par un projet de développement économique dont l’objectif est de développer les échanges - particulièrement
entre villes et zones rurales ;
Š Par un projet de citoyenneté basée sur la responsabilisation et l’autonomisation des structures associatives de
base comme cadre de concertation, de résistance et de proposition face aux défis liés à la démocratisation
nationale et à la mondialisation.

™ Caractéristiques de la démarche pédagogique

L’ACAPES construit ses objectifs et contenus pédagogiques à partir de trois champs d’intervention distincts : le
préscolaire (CES), l’entraide scolaire (SES) et la formation professionnelle (CPF).

Š le Service d’Entraide Scolaire (SES) :


Cet instrument d’éducation et de formation est le plus ancien – et le plus connu - de l’ACAPES. Fonctionnel depuis
1972, le SES permet la réintégration annuelle dans le système formel de plus de 800 élèves. Ses capacités
actuelles sont de 1 800 apprenants répartis de la 6ème à la terminale.
Les contenus, méthodes et outils pédagogiques qui servent de support à cette réinsertion massive dans le système
formel ne se limitent pas au « bachotage ». Touchant les trois niveaux classiques de connaissance (savoir, savoir-
faire et savoir-être), ils complètent les programmes et les contenus officiels par des compétences et des
connaissances liées aux thèmes spécifiques d’une éducation dite « globale »
L’éducation non formelle
24 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

Š le Centre Enfance Solidarité (CES) :


En 1995, l’expérience d’un centre aéré et de deux programmes dans les quartiers partenaires de l’ACAPES montrait
que la non-prise en charge des enfants en bas âge était, pour les femmes, une des principales entraves au
développement de leurs activités formatives et économiques. Après une expérimentation d’une année, l’ACAPES
décide de créer un centre d’éducation destiné aux jeunes enfants des femmes impliquées dans les programmes de
la structure.
Parallèlement à cette démarche, le CES participe à la démocratisation de l’accès au savoir par un enseignement
préscolaire mêlant activités d’éveil, pré-alphabétisation et apprentissage de la vie en société.
Une des principales innovations du CES est aussi d’expérimenter une méthode participative de santé de la
reproduction, centrée sur la nutrition et la couverture médicale de l’enfant. Chaque femme formée au CPF en
Santé/Nutrition est chargée, en relation avec les familles, du suivi nutritionnel et médical de cinq enfants du CES.

Š le Centre Polyvalent de la Femme (CPF) :


Cette seconde entité offre, depuis 1989, à 160 jeunes filles et femmes un enseignement technique et qualifiant dans
trois filières : la santé, l’éducation sociale et la coupe / couture. Dans ce domaine également, les activités de
l’ACAPES ne se limitent pas aux questions techniques.
Les activités et contenus de formation du CPF concernent également : l’appui aux activités génératrices de revenus,
la promotion de nouvelles solidarités en milieu urbain, la protection de la femme et de l’enfant.

L’ACAPES anime également dans les quartiers et communautés villageoises des sessions d’alphabétisation (15
mois, 9 h/sem) intégrant des thématiques fonctionnelles (gestion, santé, environnement, hygiène) et des activités
socio-éducatives (théâtre, conférence, projection de film, séminaire-atelier)

™ Evaluation des résultats et perspectives

En 28 années d’existence, l’ACAPES aura permis à plus de 10 000 jeunes déscolarisés de reprendre le chemin de
l’école, répondant ainsi de manière satisfaisante à l’objectif premier de l’association et constituant un des ponts les
plus solides entre éducation non formelle et formelle.
Depuis 1972, la situation socioéconomique et éducative du Sénégal n’a cessé d’évoluer au (le plus souvent de
manière négative), confirmant la nécessité de l’objectif premier et aussi révélant de nouvelles préoccupations.
L’ACAPES a su être à l’écoute de ces changements et adapter son organisation, ses objectifs et ses contenus de
formation en conséquence.
Cette démarche évolutive se trouve concrétisée dans la mise en oeuvre d’un nouveau programme prévu pour une
durée de 5 ans (1999-2003). Celui-ci a déjà permis d’atteindre des résultats à conforter :
Š l’intégration de la stratégie d’« éducation globale » dans le cursus d’entraide scolaire, et la promotion de
recherches et d’innovations pédagogiques pour la mise en œuvre d’un programme alternatif du même type ;
Š la formation et la (ré)insertion scolaire ou professionnelle effective de 450 jeunes déscolarisés.
L’insertion scolaire et professionnelle reste la préoccupation majeure de l’ACAPES. Plusieurs facteurs limitants,
comme la non-reconnaissance officielle des diplômes du CPF et l’absence de programmes spécifiques d’appui et
d’accompagnement des sortants du SES et du CPF, constituent les défis que doit relever actuellement l’ACAPES.

1.3.2.1.1.2.1 Des systèmes éducatifs publics adultes analphabètes (avec comme


alternatifs expérimentés dans le cadre des « cibles » prioritaires les femmes et, dans une
programmes nationaux d’éducation non moindre mesure, les élus locaux) des zones
formelle rurales. Elle se déroule généralement sous
forme de deux sessions intensives de 5 mois
L’objectif de ces programmes nationaux est de chacune et porte essentiellement sur
proposer aux publics marginalisés (adultes l’acquisition de la lecture, de l’écriture et du
analphabètes et jeunes déscolarisés et non- calcul en langues nationales, avec l’intégration
scolarisés) une éducation de base en langues de contenus portant sur le développement et la
nationales, suivant des contenus et des citoyenneté.
méthodologies adaptés à leurs réalités
culturelles, sociales et économiques. ™ la post-alphabétisation :
Ces programmes se développent dans trois
domaines d’activités : Pour accompagner et renforcer les efforts
d’alphabétisation, ces programmes appuient
™ l’alphabétisation fonctionnelle : également la création d’environnements lettrés
en langues nationales par l’édition de supports
Cette activité s’adresse essentiellement aux écrits (presse, romans, etc…). En 1999, la
L’éducation non formelle
25
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

production d’ouvrages de post-alphabétisation


était de 304 titres pour 185 auteurs57. 1.3.2.1.1.2.2 Des programmes alternatifs
d’éducation et de formation initiés par les
™ les écoles communautaires de base associations et ONG intervenant au Sénégal

Il s’agit là d’une des principales innovations Dans le même sens – et bien avant que l’Etat
expérimentées par différentes ONG d’envergure décide d’intervenir dans ce secteur –, les
(ADEF Afrique, Plan International, Aide et associations et ONG intervenant au Sénégal ont
Action, Tostan, World Vision) en partenariat développé des programmes d’éducation et de
avec l’Etat sénégalais. Les écoles formation en dehors de tout système pré-établi.
communautaires de base s’adressent, aux Ces initiatives ont conduit à l’expérimentation de
enfants et jeunes non-scolarisés de 9 à 14 ans, différents types de contenus et de méthodes.
en leur proposant un cursus de 4 ans. L’objectif Certaines constantes peuvent cependant être
est de prendre en charge annuellement 5% de dégagées.
ce public marginalisé. Leurs modes de
fonctionnement et d’apprentissage font de ces Š L’objectif commun est l’intégration sociale
structures une alternative à l’école formelle. et professionnelle des publics marginalisés
(enfants et jeunes en situation difficile, adultes
analphabètes – les femmes en particulier).

Eléments d’analyse
des écoles communautaires de base

« Le modèle ECB se veut notamment, par rapport au cursus


formel classique :
Š moins coûteux :
~l’enseignant est un volontaire qui, à terme, devra être pris
en charge par la communauté ;
~il développe un cycle élémentaire de 4 ans au lieu de 6 ans
pour le cycle élémentaire du système formel.
Š plus pertinent :
~des apprentissages en langues nationales avec
introduction du français écrit à partir de la troisième année.
L’enfant apprend à maîtriser des enseignements fondamentaux et les caractères latins dans sa langue maternelle ;
~ l’enseignement tire son contenu du milieu et est orienté vers la résolution des problèmes de la communauté. Il
vise à former des enfants qui resteront intellectuellement en harmonie avec leur milieu ;
~ une alternance théorie/pratique, avec la promotion d’activités pratiques exploitées pédagogiquement ;
~ le modèle prévoit la mise en place par l’enseignant de cours d’alphabétisation des adultes.
Š productif :
L’ECB développe son projet productif susceptible de lui procurer les moyens de son fonctionnement, à côté des
considérations pédagogiques.
communautaire :
L’ECB est l’affaire de la communauté qui la gère au moyen de structures de gestion désignées par les villageois.
Š compatible avec le système formel :
A la fin des 4 ans, les élèves sont admis à se présenter au Certificat de Fin d’Etudes Elémentaires et à l’entrée en
6ème, de sorte que les ECB sont bien complémentaires, et non concurrentes, aux écoles formelles. »

Extrait du « Répertoire des partenaires de l’éducation intervenant dans l’école de base », MEN-DEPEE, PEES,
Dakar, janvier 2000, fiche Aide et Action, p.4

57 « Etude prospective / Bilan de l’éducation en


Afrique / ADEA – Informations complémentaires
relatives aux cas du Sénégal à la suite du séminaire-
atelier de Cotonou du 28 juin au 2 juillet 1999 »,
MEN, Cabinet du Ministre délégué chargé de
l’Education de Base et des Langues nationales, p.8
L’éducation non formelle
26 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

L'ANAFA à Louga : le changement social par une formation souple

Créée en 1990, L’association nationale pour l’alphabétisation et la formation des adultes (ANAFA) est une ONG
nationale reconnue par l’Etat qui intervient dans cinq régions du Sénégal : Saint Louis, Dakar, Thiès, Louga, Kaolack.
Depuis sa création, l’ANAFA intervient en zone rurale et péri-
urbaine dans la région de Louga. Celle-ci se caractérise par de
forts taux d’analphabétisme, des indicateurs de développement
particulièrement faibles et le nombre réduit – par rapport à
certaines régions du Sénégal – des structures d’appui au
développement. Les activités de l’ANAFA se sont développées
durant la décennie passée dans trois départements, 11
arrondissements et 30 communautés rurales.

™ Grandes orientations

Š Engagement contre la pauvreté


L’engagement de l’ANAFA s’inscrit dans le cadre de la lutte
contre la pauvreté menée par la société civile sénégalaise.
Dans la perspective d’une concrétisation des droits individuels
et collectifs « au savoir, à l’avoir et au pouvoir », l’ANAFA se
donne pour objectifs de « contribuer au développement solidaire et durable des populations sénégalaises les plus
déshéritées par le biais de l’alphabétisation, de la formation et de la sensibilisation et de participer ainsi aux efforts
pour promouvoir des changements positifs ». Cela implique concrètement une mise en synergie des activités
d’éducation et de formation avec celles de développement socio-économiques (santé, environnement, citoyenneté,
activités génératrices de revenus, renforcement organisationnel et institutionnel).

Š Une stratégie d’intervention basée sur l’autonomie et la démarche partenariale


Cet objectif se traduit par une grande autonomie des sections régionales de la structure. Celles-ci doivent pouvoir
rester attentives et ouvertes aux changements qui s’esquissent au niveau local. Cette souplesse institutionnelle
permet à l’ANAFA Louga de développer des programmes d’action diversifiés tant au niveau des structures
partenaires, que des zones géographiques et des activités réalisées. Ainsi en 10 ans, l’ANAFA Louga s’est investi
dans 13 programmes d’alphabétisation et de formation professionnelle.

Caractéristiques de la démarche pédagogique

Š Alphabétisation, formation et changement social


La démarche pédagogique de l’ANAFA est directement liée au profil des publics marginalisés, impliqués dans les
programmes mis en œuvre. A la fois condition et moteur de changements sociaux profonds, l’alphabétisation
fonctionnelle est posée comme une activité préalable. Dès le départ orientée vers les besoins et les attentes des
apprenants, l’alphabétisation sert également de support à la sensibilisation et à l’initiation technique, avant de se
muer totalement en formation. Elle vient alors en appui aux activités sociales et économiques initiées par les
communautés rurales et les groupements féminins partenaires : santé maternelle et infantile, assainissement et
protection de l’environnement, droits civiques, génération de revenus, renforcement des structures paysannes. Ce
cheminement garantit l’adéquation de l’alphabétisation et de la formation avec les attentes des adultes impliqués.
Il a pour effet, par la démarche réflexive et critique qu’il implique, de donner aux changements sociaux un
enracinement en profondeur.

Š Une stratégie de valorisation et de communication sociale


Les objectifs et la démarche de l’ANAFA ont pour condition de réussite une communication sociale franche et
constante. L’élaboration et la conduite des programmes d’alphabétisation et de formation dans les communautés
rurales partenaires ont pour principe la concertation et la continuité. Lors d’une assemblée générale regroupant
l’ensemble des acteurs (chef de village, notables, femmes…), les objectifs et les activités sont négociés et
contractualisés par un engagement écrit des villageois.
A travers une démarche intégrée liant formation et production, ces adultes ont pu intensifier et diversifier leurs
sources de revenus, et ainsi améliorer leurs conditions de vie. Pour pérenniser ces transformations sociales, le
développement de micro-projets socio-économiques a été accompagné par la mise en place d’équipements
(moulins à mil, boutiques, banques céréalières, décortiqueuses…) et par le renforcement des structures villageoises
de décision et de suivi (organisations paysannes, caisse d’épargne et de crédit auto-gérées,…). On soulignera
également l’impact de la formation à la citoyenneté sur le renforcement de la démocratie. Dans une zone marquée
par une réelle désaffection pour la chose politique, celle-ci s’est traduite dernièrement par la mobilisation des
villageois lors des dernières élections présidentielles.
L’éducation non formelle
27
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Š L’éducation et la formation sont conçues démarche de recherche-action-formation60 : ce


comme des moyens pour parvenir à cette fin. triptyque lie l’analyse critique aux activités de
Les programmes éducatifs sont contenus dans développement et à la formation ; la répétition
un projet plus large de développement. Cela de la démarche produit une dynamique de
explique que, comme le montre le graphique ci- développement intégrant les nouveaux acquis,
dessous58, les ONG intervenant dans s’adaptant aux besoins et aux problèmes que
l’éducation non formelle s’investissent suscitent les transformations sociales
également –en liaison avec leurs programmes obtenues ;
d’éducation et de formation – dans d’autres - cette approche implique une démarche
secteurs de développement. Les partenariale associant des acteurs
apprentissages sont en général construits de institutionnels de niveau différent : le schéma
manière progressive en fonction des besoins de « classique » implique une agence de
formation révélés au cours des activités de coopération (appui financier), une ONG
développement connexes. nationale ou internationale (appui
méthodologique et technique) et des structures
Graphique 3 : principaux secteurs d’activité des
locales (mise en œuvre) avec comme objectif
ONG intervenant dans l’ENF
opérationnel l’« autonomisation » progressive
DH des structures locales par des stratégies d’appui
et de renforcement organisationnel.
Com La diversité des situations, des besoins et des
Dinst profils institutionnels amène les acteurs de ces
programmes à élaborer et à expérimenter des
Santé
systèmes spécifiques, avec pour effet un
EJD développement séparé des expériences.
DL
1.3.2.1.2 Les modèles coraniques
PF
EDB A côté des expériences d’éducation non
formelle expérimentées par l’Etat et les
0 20 40 60 80 structures associatives, il existe d’autres
modèles éducatifs se référant aux systèmes de
Š Cette liaison éducation-développement valeurs religieux et socioculturels. Malgré la
n’est pas sans conséquence sur les méthodes domination idéologique et politique de l’école
et les outils pédagogiques expérimentés. On formelle, ces modèles se sont maintenus au
retiendra principalement que : Sénégal. La crise du modèle officiel participe à
- l’apprenant est au centre du processus un renouveau de ces modèles éducatifs (plus
éducatif : les programmes d’éducation et de
formation sont définis à partir des besoins 60 Cette démarche a particulièrement été
individuels et collectifs et visent une transformation expérimentée par Enda tiers-monde depuis 1972.
des conditions de vie des apprenants – dans L’équipe GRAF (Groupes de Recherche Action
Formatives) a produit plusieurs ouvrages
certaines expériences59, les apprenants
méthodologiques la détaillant et l’illustrant. La RAF
définissent eux-mêmes les objectifs, les est ainsi défini par Antoine de Ravignan : « Le
contenus et les critères d’évaluation des postulat de départ est qu’il appartient aux
apprentissages ; populations d’analyser leurs situations (recherche)
- le processus éducatif s’inscrit dans une et de mettre en œuvre les moyens de résoudre les
problèmes identifiés (action). Ces processus sont
pour les populations l’occasion d’un apprentissage
58 Abréviations utilisées dans le graphique : EDB –
(formation) où les analyses de départ, les projets
éducation de base ; PF – promotion féminine – DL – peuvent être corrigés en cours de route, en fonction
développement local ; EJD – enfants et jeunes en des échecs ou de l’apparition de nouveaux
situation difficile ; Dinst – développement problèmes. Pour Enda, cette approche est une des
institutionnel – Com – communication ; DH – droits conditions de réussite d’un projet de
de l’homme développement », in Créative Afrique, l’art de la
59 Voir l’expérience d’Enda Jeunesse Action (pp.28-
débrouille – Unesco, série innovations jeunesse n°1,
29). Paris, 1998, p.52
L’éducation non formelle
28 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

Enda Jeunesse Action : les apprenants au centre du processus pédagogique

Depuis sa création en 1985, l’équipe Jeunesse Action appuie les initiatives des enfants et jeunes travailleurs (EJT)
et des associations de développement de quartier (ADQ) : renforcement de leur auto-organisation, concrétisation
de leurs droits, facilitation de leur mise en réseau et de leur communication avec les décideurs, formation et
éducation de base. Elle anime, en collaboration avec ces associations et d’autres institutions d’appui, un large
réseau qui s’étend aujourd’hui à 44 villes de 16 pays africains. Au Sénégal, l’équipe Jeunesse Action appuie
directement ou indirectement des activités d’éducation alternative dans 5 villes (Dakar, Ziguinchor, Saint-Louis,
Fatick, Thiès et Tambacounda).

™ Appui à la création du collectif « Education Alternative »

L'objectif majeur des ADQ est de répondre à leur manière et suivant leur moyens aux problèmes auxquels leur
quartier se trouve confronté : santé, éducation, chômage, insécurité…Une des constantes de ces ADQ est la
volonté de prendre en charge l’éducation et/ou la formation des enfants et jeunes, exclus du système éducatif.
Malgré des ressources très limitées, elles parviennent à mettre sur pied des espaces d’apprentissage. En 1992, les
ADQ partenaires de Jeunesse Action représentés par leurs facilitateurs ont décidé de se regrouper pour constituer
le collectif « Education Alternative ». Ce collectif permet le traitement commun des questions pédagogiques, le
développement d’activités transversales et d’une communication concertée sur le statut de « facilitateur », la
capitalisation et l’échange d’expériences.

™ Sous le signe de la diversité

Parce qu’elles tentent de répondre à une grande diversité de besoins éducatifs, les activités, initiées par les ADQ
et appuyées par Jeunesse Action, revêtent des formes multiples et s’adressent à des apprenants aux origines et
aux profils divers :
- enfants et jeunes travailleurs : alphabétisation, formation professionnelle, sensibilisation ;
- enfants-mendiants (talibé en zone urbaine) : collaboration avec les marabouts, alphabétisation, activités sportives
et culturelles ;
- enfants déscolarisés : remise à niveau en vue de leur réintégration scolaire ;
- enfants victimes du double flux : renforcement pédagogique en rapport avec leurs activités scolaires.

™ Un processus pédagogique partagé

Il ne s’agit pas de faire table rase de cette diversité, mais au contraire de partir des attentes et des besoins des
apprenants pour construire les programmes éducatifs.
Chaque groupe construit un programme spécifique au cours d’un processus impliquant les apprenants et le
facilitateur. L’ensemble des modalités (qu’elles soient pédagogiques ou pratiques) fait l’objet de concertation. Le
programme ainsi défini n’est achevé que lorsque « les jeunes savent ce qu’ils voulaient savoir ». L’adéquation entre
les contenus éducatifs et les besoins exprimés féconde la diversité de situations prévalant au départ, garantissant
du même coup la richesse de l’expérimentation et des échanges d’expériences.

Š Une évaluation continue et participative


Les activités des ADQ font l’objet d’un suivi permanent et rapproché. Plusieurs formes d’évaluation permettent aux
espaces d’éducation une évolution dynamique :
l’évaluation des apprentissages :
Elle se déroule en concertation avec les apprenants. Déjà dans la négociation du programme, les modalités
d’évaluation sont définis selon les thèmes retenus (pratique, tests…) ;
l’évaluation des espaces éducatifs s’opère à trois niveaux :
L’espace pédagogique lui-même : Un facilitateur extérieur assiste aux activités éducatives et donne son point de
vue à ses collègues.
Le Collectif « Education Alternative »: les problèmes les plus cruciaux sont posés lors des « rencontres
pédagogiques », le groupe tente d’y apporter des réponses dans un cadre d’apprentissage mutuel.
Les sessions communes de formation : Certaines questions pédagogiques jugées essentielles font l’objet de
sessions de formation spécifique (gestion d’une classe multigrade, suivi scolaire…)

™ Une dynamique de recherche-action au niveau continental

Une des particularités du programme animé par Enda Jeunesse Action et un de ses acquis fondamentaux est
d’avoir initié un réseau de recherche-action et d’échange au niveau continental :
Š Dès 1993, des alphabétisateurs du Bénin et du Mali participaient à la première session de formation des
facilitateurs. A partir de l’application à l’alphabétisation de la démarche participative de recherche action, les
L’éducation non formelle
29
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

participants à cette session sont parvenus à un changement de paradigme qui a été capital tout au long de
l’expérimentation. Le modèle du maître seul détenteur du savoir et du pouvoir a volé en éclats. Il a été affirmé que
les animateurs urbains devaient se muer en facilitateurs et partir des expériences et des attentes des enfants et des
jeunes en difficulté pour construire des programmes d’éducation et de formation adaptés et porteurs de
changements sociaux profonds.
Š Les contacts avec d’autres pays africains se sont poursuivis et développés. Avec l’appui de l’Unesco, ils ont
abouti en 1996 à l’organisation d’une rencontre régionale sur le thème de l’alphabétisation des enfants et jeunes en
situation difficile en milieu urbain. La trentaine de participants originaires d’Afrique de l’Ouest, de l’Est, du Centre et
de Madagascar a discuté et décidé un ensemble de formations modulaires, des sites d’expérimentation, une
organisation sous forme de « pôles », regroupant les pays d’une même zone. A l’intérieur de chaque pôle, l’objectif
était l’instauration de contacts réguliers entre les composantes, la mutualisation des ressources, la participation de
l’ensemble des composantes aux différents ateliers locaux de formation.
Š Après plusieurs années de pratique, ces différents pôles ont posé la nécessité d’une capitalisation des
initiatives et expériences.
Deux rencontres ont été organisées dans ce sens : une première à Thiès, en juillet 2000 durant laquelle les termes
d’une capitalisation ont été définis ; une deuxième à Rufisque en février 2001 pour la rédaction définitive d’un
ouvrage dont la parution est prévue en 2002.
Au-delà de la rédaction d’un ouvrage, il est ressorti comme une nécessité la conception et la diffusion d’outils
méthodologiques – sous forme de programmes – destinés aux acteurs engagés dans le champ de l’éducation des
enfants et jeunes en difficulté. La rencontre de Rufisque a permis de planifier au niveau de chaque pays et de
chaque pôle, cette activité.

particulièrement des modèles coraniques) et à sans grands effets positifs sur la société…
une certaine évolution de leurs contenus et Seule la mendicité pratiquée par certains talibé
méthodes. (apprenants) retient l’attention. Il faut dire que
Comptant parmi les formes d’éducation les plus dans un contexte international où
anciennes au Sénégal, les écoles coraniques l’enseignement laïque est la norme, l’éducation
ou Daara ont longtemps évolué en opposition religieuse effraie plus qu’elle n’attire.
au système éducatif formel, héritage de l’école Lors de la présente étude, nous avons pu
française. percevoir que les Daara avaient un impact
Il existe au Sénégal une grande diversité de massif autant en milieu urbain qu’en milieu rural
Daara. Celles-ci dépendent le plus souvent des et que certaines d’entre elles constituaient des
confréries religieuses61, dont les principales alternatives viables à la crise de l’école formelle.
sont la Mouriddiya et la Tidianiyya. Les objectifs, Les Daara se construisent autour de
contenus et méthodes d’apprentissage se conceptions de la société et de projets
construisent suivant la philosophie propre à la politiques radicalement différents de ceux de
confrérie et aux courants internes à celle-ci. l’école formelle. Le profil recherché est très
Les Daara sont considérées par la plupart des éloigné de celui du fonctionnaire ou de
décideurs comme marginales, désorganisées, « l’administré » que tente de produire l’école
officielle. La formation se réalise à travers des
61 Khadim Mbacké, islamologue, chercheur à l’IFAN cursus qui intègrent l’alphabétisation en arabe
(Institut Fondamental d’Afrique Noire) définit ainsi la et en langue nationale (l’alphabet arabe sert de
confrérie : « La confrérie est un regroupement de base à la transcription), l’enseignement du
musulmans se réclamant d’un guide commun, Coran et des valeurs qui lui sont liées, la
pratiquant les mêmes wirds et dhikr en conformité
formation professionnelle – accompagnée
des enseignements caractéristiques d’une tariqua
ou voie marquant le cheminement de la progression souvent d’un soutien à l’intégration
spirituelle de l’individu sur l’itinéraire mystique du socioprofessionnelle. Il s’agit pour les Daara de
soufisme.(…) Les confréries doivent leur succès à former des hommes et des femmes qui
leur ouverture aux traditions africaines, à leur connaissent et pratiquent leur religion,
souplesse, à leur tolérance et surtout au charisme de participent à la vie sociale et économique par
leurs fondateurs et propagateurs au Sénégal. Elles
l’exercice d’activités génératrices de revenus et
exercent une influence non négligeable sur tous les
aspects de la vie économique, sociale, culturelle et soient capables en retour de solidarité au sein
politique. Leur audience est si profonde qu’elles sont de la communauté religieuse – dont la confrérie
devenues les moyens les plus sûrs et les plus constitue au Sénégal l’entité principale.
rapides de mobiliser ce que l’ancien Président La plupart des talibé sont à la sortie de leur
Léopold S. Senghor appelait "le pays réel". » in formation armés – moralement et
http :www.refer.sn/sngal_ct/tur/islam/confre.htm
L’éducation non formelle
30 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

matériellement – pour la vie active. Ces écoles reproduction collective des valeurs
coraniques – et plus particulièrement les Daara socioculturelles rattachées à chacun de ces
mourides – ont fait la preuve de leur efficacité. groupes. Cette orientation détermine les
Restant très discrètes, elles vivent en marge du contenus. Différents d’un groupe à l’autre, ils
système formel. Elles n’ont pas ou peu de touchent essentiellement aux valeurs
rapport avec lui. spirituelles et éthiques, aux pratiques sociales,
Lors de nos entretiens avec les responsables de aux connaissances et compétences techniques
Daara, tous ont refusé de définir leur système – liés au statut individuel socioprofessionnel.
d’éducation comme « non formel », leurs Les savoirs et pratiques sont communiqués
objectifs, leur organisation, leurs méthodes, et dans le cadre :
surtout leurs résultats étant, à leurs yeux, au Š d’échanges de proximité interindividuels
moins aussi valables que ceux de l’école verticaux (d’un père à son fils) ou horizontaux (à
formelle. En outre, ce serait pour eux une l’intérieur d’une même classe d’âge) ;
manière tacite de reconnaître à « l’Ecole de Š de périodes intensives et continues
l’Etat » une position de « centre » qui les d’initiation collective regroupant l’ensemble
relègue à la « périphérie », alors que selon eux, d’une même classe d’âge.
ils sont les véritables porteurs des aspirations La communication – qualifiée souvent
culturelles et spirituelles des nationaux. d’ésotérique – des savoirs est conditionnée par
Nous tenons à souligner que le modèle alternatif un ensemble de critères exclusifs :
que constitue l’éducation arabo-islamique est l’appartenance à un groupe socioculturel donné
en constante évolution au Sénégal. Dans sa (élargie à l’ethnie pour l’initiation, restreint à la
présentation de l’Islam au Sénégal, Khadim caste pour la formation professionnelle), le sexe
Mbacké, chercheur à l’IFAN, insiste sur (les entités et les contenus éducatifs varient
l’apparition de nouveaux courants : Ramu, selon le genre), l’âge (à chaque classe d’âge
Hizbou Tarquiyya – créé par des étudiants correspondent des entités et des contenus
mourides - et le mouvement Al-Moushtarshidina éducatifs spécifiques63).
Wal-Moushtarshidati rattaché à la Tidianiyya. L’éducation et la formation ne sont pas
Les deux derniers sont particulièrement actifs séparées des pratiques sociales. A chaque
dans le domaine de l’éducation et de la statut socioprofessionnel correspond un type
formation62. précis de formation, dispensée à travers la
production et les échanges sociaux.
1.3.2.1.3 Les modèles « traditionnels » Il faut retenir qu’au Sénégal – comme dans les
autres pays sahéliens –, les contenus de
Les deux formes éducatives dominantes de ces l’éducation dite « traditionnelle » ne sont pas
modèles sont l’initiation traditionnelle et la ethnocentrés. Ils permettent un apprentissage
formation professionnelle telles qu’elles sont des relations complexes qui lient les entités
pratiquées par les différents groupes patronymiques à l’intérieur et à l’extérieur du
socioculturels du Sénégal. groupe d’origine. A travers le kal (cousinage à
L’objectif de ces modèles éducatifs est la plaisanterie en wolof) et le kafante (échanges
de plaisanterie dans la même langue), l’individu
62 Moustapha Sy, le responsable moral de la
est en contact avec des réalités sociales et
Moushtarshidina Wal-Moushtarshidati, décrivait ainsi culturelles diversifiées. A travers ces pratiques,
le programme de formation culturelle et spirituelle
il apprend très tôt à développer et à entretenir
proposé aux membres du mouvement : « Nous
avons élaboré un programme comprenant des des rapports équilibrés et tolérants avec les
séries de causeries, d’exposés-débats sur des autres composantes socioculturelles. Véritable
thèmes divers allant du culte aux problèmes de ciment des sociétés sahéliennes, ces relations
société les plus divers. Des questions comme interculturelles constituent un acquis à
l’excision, l’engagement politique de la femme préserver64.
musulmane, etc. Et avec des supports audiovisuels,
nous essayons d’apporter le maximum d’éclairage
en interrogeant les différentes écoles et courants de 63 Dans la culture bamanan par exemple, l’homme
pensée, avant de leur opposer le point de vue de n’est « total » et accompli que lorsqu’il est passé par
l’Islam ». (interview parue dans le quotidien Wal les six sociétés initiatiques et qu’il atteint donc l’âge
Fadjri n° 1456 du 22/11/1997, citée par Khadim approximatif de 55 ans.
Mbacké, op cit) 64 Nous pensons cependant que le « formaliser » à
L’éducation non formelle
31
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Nouvelle Sérigraphie (NOSE)

L’atelier NOSE (Nouvelle Sérigraphie) est une entreprise familiale, non reconnue par l’Etat. Elle est située à Pikine,
proche banlieue de Dakar marquée par un taux d’échec
scolaire important et de fortes inégalités sociales.
L’évolution de NOSE est directement lié au destin d’une
famille. Suite à la disparition tragique en 1996 de son
frère, créateur de l’atelier de sérigraphie, l’actuelle
responsable se retrouve seul soutien de famille. Elle
décide alors de reprendre l’atelier et d’y apporter sa
touche personnelle. Couturière de formation, elle
diversifie les activités (en y intégrant la confection de
vêtements) et prend l’initiative de former les jeunes du
quartier. En mars 2000, la responsable décide
d’agrandir l’atelier pour les besoins de la formation.
NOSE propose une formation à la sérigraphie ou à la
couture aux jeunes déscolarisés et sans qualification
du quartier. Son principal objectif est l’insertion
socioprofessionnelle de ces jeunes. Les objectifs à long
terme sont de créer une PME et des ateliers décentralisés - qui permettraient l’intégration des jeunes formés – et/ou
d’obtenir le statut légal d’institut de formation.

™ Caractéristiques de la démarche pédagogique

Š Une relation pédagogique basée sur la proximité sociale


Les relations entre la responsable et les apprenants – dont la majorité sont des jeunes filles – sont basées sur des
rapports sociaux de proximité (qui sont ceux de la famille, du voisinage). Ceux-ci impliquent une grande écoute et
une recherche concertée de solutions, avec la famille, en cas de problème. La responsable est considérée
comme une « grande sœur » capable d’attention et de conseil. NOSE est aussi un espace de communication
sociale où les jeunes filles sont conseillées et « initiées » aux normes morales et sociales ;

Š Un processus pédagogique basé sur l’expérimentation et la mise en situation


Les objectifs et les contenus pédagogiques sont négociés au fur et à mesure avec les apprenants par la
responsable et le formateur. L’organisation des apprentissages, même si elle ne correspond pas à un cursus
prédéfini, suit une logique interne en rapport avec le domaine enseigné. Les différents contenus de formation sont
également actualisés suivant l’évolution technique des modes de fabrication et des habitudes vestimentaires. Pour
ce faire, la responsable crée elle-même des modèles spécifiques pour la formation.
Sa méthode est basée sur l’expérimentation et la mise en situation qu’offre la demande de la clientèle. Après avoir
expliqué le processus de production en langue nationale (wolof), les apprentis réalisent le modèle. Suite à une
évaluation collective, les faiblesses de chacun sont identifiées et le processus repris à son début jusqu’à
assimilation complète par l’apprenti. L’évaluation est ainsi individualisée, spontanée et permanente. L’apprenti est
soutenu jusqu’à ce qu’il arrive au niveau de formation visé.

™ Evaluation des résultats et perspectives

Bien que de création récente, l’atelier NOSE a d’ores et déjà permis la formation de quatre jeunes, dont trois
continuent à travailler dans l’atelier avec le statut de salarié.
En accueillant 20 jeunes déscolarisés issus du quartier, l’atelier peut être aujourd’hui considéré comme un petit
centre de formation. En permettant à ces apprenants d’acquérir le plus souvent gratuitement une compétence
technique, d‘exercer une activité génératrice de revenus et de bénéficier d’informations-conseils par rapport à leur
vécu, l’atelier contribue à sa manière à la lutte contre la pauvreté.
L’atelier NOSE est une structure de petite taille. C’est ce qui explique en partie sa souplesse, son efficacité. Si
jusqu’à présent les jeunes formés ont pu trouver une place dans la structure, il reste que les 20 jeunes en cours de
formation ne pourront tous s’intégrer de la sorte.
L’atelier NOSE va bientôt se trouver à la croisée des chemins, obligé de faire des choix essentiels entre production
et formation. La responsable de l’atelier est consciente des enjeux et perçoit déjà les termes de l’équation qui se
pose à elle : soit se spécialiser dans la formation, obtenir un statut légal et des références qui permettent aux
personnes formées d’intégrer le marché du travail; soit développer la production pour absorber l’ensemble des
jeunes formés. Peut-être, construira-t-elle une réponse plus originale et respectueuse de l’équilibre entre production
et formation ?
L’éducation non formelle
32 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

La FIOD ou l’éducation non formelle au service d’un projet de développement local


La Fédération Intervillageoise des Organisations pour un Développement durable (FIOD) est un collectif regroupant
plus de 200 GIE et associations. Ses activités couvrent la vallée se situant entre les villages de Diofior, Simal et Rho
(vallée DIOSIRHO), dans la zone du Sine (centre-ouest du Sénégal). Elle est la traduction d’une volonté des
villageois de prendre leur destin économique, social et culturel en main. FIOD est également un mot seereer (langue
du milieu) qui signifie « faire par soi-même »

™ contexte d’intervention et activités de la FIOD

La vallée du DIOSIRHO est depuis longtemps confrontée à une salinisation progressive des terres cultivables. La
disparition de la mangrove et la remontée de l’eau de mer ont fini par rendre la zone complètement aride.
Conscientes de leur responsabilité dans cet état de fait, les populations ont pris le problème à bras le corps et ont
uni leurs efforts pour la réhabilitation de leur écosystème et de la biodiversité. Suite à une série d’études, la
première activité a consisté à réunir les habitants d’une vingtaine de villages (dont certains avaient des rapports
conflictuels) autour de la construction de 2 digues antisel et de 2 digues de retenue d’eau pluviale. Cette réalisation
a permis la désalanisation et la valorisation de 1 600 hectares de terres en riziculture et en pâturage. Ces digues
d’une longueur totale 5 200 mètres servent également de pistes de production et permettent le désenclavement des
villages.

™ lien entre formation et développement

Pour répondre aux besoins de formation, la fédération a mis en œuvre un programme de formation et d’éducation
populaire qui a trait à l’environnement, à la citoyenneté et au renforcement des capacités.
En plus des programmes classiques d’alphabétisation, la FIOD a mis à contribution les ressources humaines du
terroir pour traduire en langue nationale la totalité des textes de loi sur la décentralisation au Sénégal.
Avec l’appui de ses principaux partenaires (Catholic Relief Service, Enda Coorcom65) et à travers de nombreux
séminaires et ateliers, la FIOD propose aux femmes, membres des GIE de la fédération, une formation continue
dans les domaines du compostage, du maraîchage, de la riziculture et de la préservation des ressources
environnementales.

™ évaluation des résultats et perspectives

La FIOD se heurte à deux problèmes majeurs :


La multiplicité des ONG intervenant dans sa zone d’implantation en matière d’alphabétisation ;
La démotivation progressive des apprenants dès lors que les programmes qui leur sont proposés ne sont pas
accompagnés d’activités génératrices de revenus immédiats.
La solution résiderait selon le président du comité local de développement de Diofior en la création d’un centre
polyvalent de formation et de renforcement des capacités des populations, avec des modules de formation
directement articulés aux opportunités de développement qu’offre l’aménagement de la vallée.
D’un point de vue méthodologique, l’équipe d’ENDA Coorcom souligne que l’expérience de Diofior a révélé que
l’éducation pouvait être posée comme l’aboutissement d’une première démarche. Ici, la transformation de
l’environnement combinée à une communication adaptée (conférence en seerer sur l’environnement avec comme
« porte d’entrée » le rapport incantatoire à la nature) a permis de déterminer des besoins d’éducation et de
construire progressivement des enseignements apprentissages en rapport avec ceux-ci.

1.3.2.2 Analyse critique des rapports entre ™ Tolérance et indifférence


modèles d’éducation non formelle
Existe-t-il des rapports de domination entre ces
Dans la perspective d’une bonne modèles d’éducation non formelle ? Le secteur
compréhension et d’un renforcement de de l’éducation non formelle s’organise-t-il de
l’éducation non formelle, il est important de manière hiérarchique, certaines formes étant
caractériser les rapports qu’entretiennent les plus valorisées que d’autres ?
différents modèles qui lui sont rattachés. Comme nous l’avons vu, les modèles
d’éducation non formelle se réfèrent
principalement à trois systèmes de valeurs
l’intérieur d’un programme scolaire aurait tendance à
(républicain et laïque, islamique et confrérique,
lui enlever sa spontanéité et finirait par en faire un
référent socioculturel statique, « fossilisé ». socioculturel et initiatique). Leurs rapports sont
65 Coordination de la Communication, entités en partie déterminés par ces grandes
d’ENDA tiers-monde. différences idéologiques. Même si les conflits
L’éducation non formelle
33
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

ouverts sont très rares, ces systèmes de valeurs formelle ne parviennent à combler66.
sont engagés dans des rapports de Certaines fonctions éducatives fondamentales -
concurrence, chaque modèle éducatif relatives à la construction de l’identité
bénéficiant du positionnement politique du individuelle et collective, à l’apprentissage des
système qu’il représente. règles sociales et des valeurs culturelles – ne
sont plus assurées, participant à une
Au Sénégal, le système républicain et laïque déstructuration des entités socioculturelles. De
reste dominant. L’Etat et les
«partenaires au développement»
(agences de coopération, ONG, etc.)
appuient essentiellement les modèles
éducatifs (formels ou non formels) qui
participent à ce système de valeur.
Leurs relations avec les autres
modèles sont dominées par
l’indifférence (active ou passive ?).
Les modèles coraniques sont
parvenus à se maintenir et à se
développer, sans l’aide de l’Etat,
grâce au soutien des communautés
musulmanes extérieures (aide
provenant des pays arabo-
musulmans) et nationales (solidarité
confrérique).

™ Marginalisation des modèles même le système de formation par filiation


« traditionnels »
rattaché aux castes ne semble pas digne
d’intérêt.
Par contre, la faible reconnaissance des
modèles « traditionnels » d’éducation et de
Il reste qu’il participe encore grandement à
formation et l’absence de politique d’appui se
l’intégration socioprofessionnelle des jeunes en
sont traduites par leur disparition progressive–
milieu rural comme en milieu urbain. Sa
c’est particulièrement le cas de l’initiation qui
disparition progressive n’arrangera rien aux
n’intéressera bientôt plus que les ethnologues
données du problème.
et les historiens.
Même si l’organisation sous forme de castes est
Nous pensons que ces modèles éducatifs font
profondément inégalitaire, elle ne tolère pas
l’objet d’une double méprise. Tout d’abord, on
l’inactivité et propose à chacun une formation et
refuse à ces systèmes toute capacité
une activité professionnelle. Cela ne pourrait-il
d’adaptabilité. On s’en débarrasse en les
pas constituer une force pour le développement
rangeant dans la catégorie des « rites
traditionnels » à qui on colle l’étiquette
66 Pierre Erny, dans son ouvrage L’enfant et son
« pratiques archaïques et révolues ». Les
milieu en Afrique noire, donne une vue synthétique
pratiques dites « traditionnelles » n’auraient- et détaillée de la pédagogie initiatique. Il insiste sur
elles jamais évoluées ? Ou bien leur évolution son caractère complexe et symbolique (quasi-
aurait-elle tout à coup été stoppée ? Les ineffable), ainsi que sur son rôle profondément
systèmes populaires d’épargne et de crédit, le structurant : « Mettant fin à la dualité sexuelle,
dynamisme de l’économie populaire urbaine – physique et psychique, les initiations constituent la
tous basés sur des formes d’organisation voie par excellence qui conduit à l’unité intérieure.
S’adressant particulièrement aux garçons, elles
« traditionnelle » – prouvent le contraire. cherchent à dégager leur personnalité de
La seconde méprise est que la disparition l’inconscience infantine et de l’emprise de la Magma
progressive (qu’elle soit volontaire ou non) de Mater ; en les engageant à lutter contre la peur, la
ces formes d’éducation et de formation laisse fatigue, la faim et la douleur, elles développent leur
derrière elle un vide immense que ni l’école conscience du moi. Quant aux fillettes, elles leur font
formelle, ni les autres formes d’éducation non toucher du doigt les mystères de leur être et de leur
destin de femme». L’Harmattan, Paris, 1987, p.246
L’éducation non formelle
34 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

de la formation professionnelle au Sénégal ?67 1.3.3 Les réponses de l’éducation non


formelle aux lacunes du système
™ Un fort cloisonnement interne et formel
externe ?
L’émergence d’initiatives d’éducation non
Cette indifférence (souvent réciproque) a pour
formelle est essentiellement motivée par les
conséquence un fort cloisonnement entre
lacunes du système formel. Celles-ci font que le
modèles non formels. Même si certaines
secteur de l’éducation au Sénégal connaît des
initiatives tentent de les rapprocher68,
espaces d’intervention déficitaires ou « vides ».
l’évolution des systèmes d’éducation et de
Des secteurs éducatifs (préscolaire, éducation
formation est le plus souvent séparée.
permanente) sont laissés en friches. D’autres
On retrouve cette tendance à l’intérieur des
comme les cycles d’enseignement général, la
différents modèles éducatifs. Celle-ci est en
formation technique et professionnelle sont
partie liée à la situation institutionnelle décrite
marqués par un déficit de l’offre et par une forte
précédemment. D’autres causes participent à
sélection. L’éducation non formelle occupe en
ce cloisonnement. Il s’agit principalement de
partie ces espaces avec des résultats difficiles à
limites objectives (accès au réseaux de
apprécier.
communication et aux médias, faible
valorisation des produits de Graphique 4 : Champs éducationnels « disponibles »
l’éducation non formelles, etc…) et pour l’éducation non formelle au Sénégal 69
subjectives (barrières linguistiques et
socioculturelles, esprit
« confrérique », etc…), et d’un déficit Adultes

de volonté politique des acteurs eux- Universitaire


mêmes. Chacun tend à s’enfermer
dans sa démarche, convaincu d’être Secondaire
sur le bon chemin. En fin de compte,
Moyen
la richesse de l’éducation non
formelle se dilue dans la multiplicité Elémentaire
cloisonnée des formes éducatives.
Pluralité d’efforts « bigarrés » dont Préscolaire
l’impact reste très difficile à estimer. 0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00% 60,00% 70,00% 80,00% 90,00% 100,00%

Formel Champs éducationnel libre

1.3.3.1 La situation de l’éducation formelle


au Sénégal

1.3.3.1.1 La petite enfance : une nouvelle


priorité « officielle »

Ce secteur de l’éducation était considéré


comme non prioritaire69 jusqu’au changement
de régime politique, intervenu en mars 2000.
67 Mme Penda Mbow, historienne, a insisté sur le Cela explique le faible niveau de
fait que dans les familles dites « castées », il était préscolarisation : en 1998/99, seuls 12,8% des
rare de voir des jeunes gens sans occupation
professionnelle.
68 Intégration de l’enseignement coranique comme 69 Rapport national du Sénégal, Education pour
support de formation (santé, environnement) – voir à tous, bilan de l’an 2 000 – Pape Momar Sow, 2000,
ce titre l’expérience intéressante de l’équipe d’Enda p. 4. L’éducation préscolaire est intégrée au système
Edev (éducation environnementale) et la publication formel en 1971 (loi d’orientation n°71-36). Il est
de versets coraniques sur la santé ; stage de divisé en trois types de structures : les écoles
formation dans les ateliers artisanaux par le CIFOP, maternelles publiques, les jardins d’enfants et les
etc… garderies qui relèvent du privé.
L’éducation non formelle
35
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

enfants entrant en première année de République nouvellement élu, Maître Abdoulaye


l’enseignement élémentaire avaient une Wade, annonçait une réorientation de la
expérience préscolaire. La grande majorité de politique nationale dans ce domaine : « L’idée
ces enfants sont d’origine urbaine (95 %). La de base du système éducatif que j’ai proposé
plupart des structures préscolaires relèvent du est qu’il part de la maternelle à l’université…
privé (69% pour l’ensemble du Sénégal, 86% N’eût été la contrainte des moyens, j’aurais créé
pour la capitale, Dakar) et s’adressent à un un Ministère du Préscolaire mais j’ai dû me
public privilégié.70 contenter de créer à la Présidence une Mission
Lors du forum de Dakar, le Président de la du Préscolaire que j’ai confiée à une institutrice,

Expériences d’éducation non formelle en direction de la petite enfance71

La nouvelle politique officielle en direction de la petite enfance pourra s’appuyer sur un ensemble d’expériences non
formelles intéressantes bien que limitées d’un point de vue quantitatif.

L’expérimentation de modèles alternatifs de type formel :


A travers des programmes et des structures spécifiques, plusieurs modèles d’éducation préscolaire intégrant la
santé, la nutrition, les langues nationales, l’éducation religieuse et impliquant les communautés ont été
expérimentés récemment au Sénégal. Elles ont permis d’élargir l’accès au préscolaire des enfants de condition
modeste. Il s’agit principalement :
Š des « centres d’éveil communautaires de la petite enfance » conçus par la DEPEE72 et mis en œuvre par Plan
International dans 5 régions du Sénégal ;
Š des « garderies éducatives et sanitaires » ouvertes dans le cadre du PAGPF73 - au nombre de 152, elles sont
implantées dans tout le Sénégal;
Š des « unités satellites » mises en place en partenariat avec la Mairie de Dakar par l’ORT/SEN dans trois
communes de la région de Dakar74 ;
Š des « garderies d’enfants non formelles » animées par des comités de gestion locaux sous l’égide de
l’AEPCS75 ;
Š le « centre d’accueil » expérimental réalisé par l’UNICEF avec la participation de la communauté de Pout
(région de Thiès).
Au total, on peut estimer qu’au moins 5 000 enfants de 3 à 6 ans sont pris en charge par ces modèles alternatifs.

Le développement des garderies et des activités préscolaires de quartier :


Les ONG nationales et les associations de quartier développent également des programmes éducatifs en direction
de la petite enfance. Ceux-ci se distinguent plus nettement du modèle formel en mettant en œuvre des approches
plus souples et innovantes.
A part les expériences de l’ACAPES et d’Enda tiers-monde, le programme « images pour le préscolaire » mis en
œuvre par l’association CRESP76 de Yoff est particulièrement original et intéressant. Il s’agit de proposer aux
familles qui n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants dans les structures préscolaires, d’initier elles-mêmes un
ensemble d’activités éducatives basées sur un jeu d’images et de mots en wolof et en français. Hebdomadairement,
l’activité fait l’objet d’une évaluation collective à laquelle participent les enfants et les parents « professeurs »77.
Il n’existe pas d’indicateurs quantitatifs précis concernant ces initiatives. On peut cependant estimer – par défaut –
en tenant compte des expériences d’Enda tiers-monde et d’ACAPES que dans la région de Dakar, plus de 200
structures associatives locales accueillent quotidiennement une trentaine d’enfants (soit un total de 6 000 enfants).

70 Données tirées du Rapport national du Sénégal, 73 Programme d’Appui aux Groupements de


Education pour tous, bilan de l’an 2 000 – Pape Promotion Féminine
Momar Sow, 2000, pp.22-23. 74 Une des spécificités de ces « unités satellites »
71 Une partie des données est tirée du site très est de faire le lien entre le préscolaire et les activités
complet du groupe de travail DPE (Développement de promotion féminines.
de la Petite Enfance), qui associe le Ministère de 75 L’association d’entraide des établissements
l’Education Nationale, le Ministère de la Famille, de préscolaires catholiques du Sénégal
l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale, le 76 Centre de Ressources pour l’Emergence Sociale
Ministère de la Santé, l’AGETIP, la Banque et Participative.
Mondiale, l’UNICEF. 77 Pour plus de détails, voir la page web :
72 La Direction de l’Enseignement Préscolaire et de http://www.siup.sn/dpesenegal/cresp.htm
l’Enseignement Elémentaire, MEN.
L’éducation non formelle
36 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

mère de famille, avec la conviction qu’elle aura


une dimension et un impact insoupçonnés sur 1.3.3.1.2 Enseignement élémentaire :
notre développement. »78 avancées quantitatives, rendements faibles

Depuis ce discours, la situation a sensiblement ™ Augmentation du nombre d’enfants


évolué puisqu’un Ministère chargé de la petite scolarisés
enfance a été créé. Il est chargé de développer
une nouvelle approche s’adressant aux enfants L’enseignement élémentaire a été, durant la
de 0 à 6 ans et combinant éducation, santé et décennie 1990-2000, une des priorités du
nutrition.
Graphique 5 : Evolution du Taux Brut
de Scolarité (TBS) par genre
Le développement du sous-secteur de la petite
enfance est pour plusieurs raisons essentiel :
Il s’agit tout d’abord de réformer en profondeur 80

l’approche et les programmes de 70

l’enseignement préscolaire en y intégrant 60

Total
davantage les cultures locales 50
Garçons
(préalphabétisation en langues nationales, jeux TBS 40
Filles
et contes traditionnels79), la nutrition et la santé. 30

Les nouveaux programmes destinés à la petite 20

enfance (0-6 ans) auront également pour 10

principe la valorisation des ressources locales 0


91/92 92/93 93/94 94/95 95/96 96/97 97/98 98/99
et l’implication des communautés permettant années
ainsi une ré-appropriation de la fonction
éducative ;
Il est démontré que l’éducation préscolaire a gouvernement sénégalais.
des répercussions importantes sur le bon Un des principaux objectifs de ce secteur était
déroulement de la scolarité – de plus comme le l’amélioration de l’accès à l’éducation
soulignait, M. Boukar Diouf, Inspecteur élémentaire. Dans le cadre d’action pour
d’Académie de la région de Thiès80 l’accueil des l’éducation pour tous, élaboré en 1991, la
enfants de 2 à 5 ans permettrait une scolarisation universelle au Sénégal était
démocratisation de l’éducation de base par des prévue pour 2015, avec les objectifs
campagnes intégrées d’inscription à l’école intermédiaires suivants : 65% de taux brut de
élémentaire ; scolarisation (TBS) en 1995, 75 % en 2000.
Le développement de ce sous-secteur devrait à Malgré une progression nette (voir le graphique
terme avoir un impact non négligeable sur la ci-dessus), l’objectif de 2000 est encore loin
santé, la nutrition des enfants et donc sur leurs Graphique 6 : Evolution du Taux Brut
capacités à étudier ainsi que sur les activités de Scolarité (TBS) par région
des mères, qui pourront ainsi une partie de la
journée vaquer en toute sérénité à leurs Kolda
occupations. Fatick
Louga
Thiès
TBS1998/99
78 Forum Mondial sur l’éducation - Allocution de son Kaolack
TBS1990/91
excellence Maître Abdoulaye Wade, Président de la Tambacounda
République du Sénégal - pp.4-5. Saint Louis
79 Voir le détail des supports pédagogiques de type
Diourbel
traditionnel dans l’étude réalisée par la DPE
(Développement de la petite enfance) portant sur la Ziguinchor
situation et les possibilités de développement de la Dakar
petite enfance au Sénégal http://www.siup.sn
/siup.sn/dpesenegal/rapport__a.htm 0 20 40 60 80 100 120
80 Rencontré en juin 2000 lors d’une mission de
prospection sur l’éducation avec la coopération du d’être atteint.
Grand-Duché de Luxembourg. La question de l’accès concerne surtout les
L’éducation non formelle
37
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

publics marginalisés. Au Sénégal, il s’agit récentes sont également très inquiétantes


principalement des jeunes filles et des enfants puisqu’elles montrent que seulement 48% des
issus des zones rurales éloignées et des zones élèves atteignent la 5ème année d’étude (CM1).
périurbaines défavorisées.
Même si les résultats restent à élargir et à
consolider, le programme « scolarisation des ™ Un système à plusieurs vitesses
filles » (SCOFI), lancé lors du Forum de Fatick
en 1995, a permis de réduire l’écart entre Comme nous l’avons vu, la politique du
garçons et filles.81 gouvernement sénégalais en matière
Les disparités entre régions restent, par contre, d’enseignement élémentaire, a consisté à
très importantes, même si certaines régions, augmenter les effectifs en réduisant au
comme Tambacounda et Kolda, ont connu, maximum les coûts – avec pour principale
durant la décennie, une nette amélioration. conséquence une dégradation du temps et de la
qualité d’enseignement.
™ Des rendements très faibles Cette limitation des ressources combinée à une
instabilité sociale et politique ont profondément
Les recherches de la division évaluation de affecté la qualité de l’enseignement. Les
l’INEADE ont clairement montré que la conditions sont réunies pour que les élèves
principale limite de l’école formelle était son défavorisés soient marginalisés dès le cycle
faible rendement. Le chef de cette division, élémentaire : effectif pléthorique, absence de
M. Tamsir Samb nous a présenté comme suit suivi et d’encadrement (en particulier pour les
les résultats de ces recherches. L’hypothèse de enfants des quartiers urbains défavorisés,
départ était qu’un enfant scolarisé durant quatre victimes du double-flux), manque de matériel
années (c’est à dire jusqu’au CE2) était à didactique et pédagogique, non recours aux
l’abri de l’analphabétisme de retour. Il s’est
avéré au regard du degré de maîtrise des
objectifs de formation que cela n’était pas
le cas au Sénégal. Pour que la maîtrise
d’une formation soit satisfaisante, la
norme est qu’au moins 80% des objectifs
soient assimilés par 80% des apprenants.
En ciblant exclusivement les classes de
CE2, les évaluateurs se sont rendus
compte que seuls 0,2% des apprenants
ont acquis ce degré de maîtrise. Cela
signifie concrètement que sur 100
apprenants sénégalais du CE2,
pratiquement aucun ne maîtrise les
objectifs de formation. Si l’on se réfère au
degré de maîtrise minimum (50% des
objectifs), seuls 32 % des apprenants sont
en voie de maîtrise.
Dans le cadre du SYNERS (Système
Nationale d’Evaluation des Rendements
Double flux :avantages et inconvénients
Scolaires), l’analyse du CP au CM2 a
donné un niveau de maîtrise de 15%. La norme langues nationales et aux cultures locales, forte
établie de maîtrise s’inverse malheureusement sélection en fin de cycle, débouchés limités hors
au Sénégal : 85% des apprenants ne maîtrisent du système formel…
pas 80% des objectifs. Les données les plus Un système exclusif à quatre vitesses s’est mis
progressivement en place, l'insertion dans le
système éducatif et la réussite scolaire
81 « en effet, l’indice de parité filles/garçons est passée
dépendant directement du milieu d'origine :
de 0,72 à 0,81 » in Rapport national du Sénégal, Š les enfants des classes les plus pauvres
Education pour tous, bilan de l’an 2 000 – Pape Momar
(petits vendeurs, travailleurs saisonniers) n'ont
Sow, 2000, p. 4.
L’éducation non formelle
38 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

pas accès à l'école, faute de moyens et Professionnelle, à la fin du cycle moyen avec
d'informations, et parce que l'enfant représente l’enseignement secondaire technique, à la fin du
souvent une force de travail dont la famille ne cycle secondaire avec les écoles supérieures
peut se passer ; de formation technique et professionnelle82 ;
Š les enfants des classes défavorisées Graphique 7 : Evolution des effectifs de
(artisans, ouvriers, commerçants habitant dans l’enseignement secondaire technique
les quartiers urbains périphériques) ont un
accès limité à l'école ; lorsqu’ils sont scolarisés, 6000
la plupart sont victimes du système à double- Garçons
flux. Faute de moyens et d'encadrement, ils 5000 Filles
connaissent un taux d'échec scolaire élevé ;
Š les enfants des classes moyennes 4000
(fonctionnaires, cadres moyens) ont accès à 3000
l'école, avec un taux d'échec scolaire moyen. Ils
parviennent le plus souvent au second cycle, 2000
avec des chances réduites d'insertion dans la
1000
vie active ;
Š les enfants des classes supérieures (hauts 0
fonctionnaires, cadres supérieurs, professions
95/96 96/97 97/98 98/99 99/00
libérales) ont accès aux écoles privées
réservées à l'élite. Ils poursuivent le plus Š une évolution négative : l’enseignement
souvent leurs études après le second cycle technique et professionnel est le seul sous-
dans les universités occidentales. secteur de l’éducation à avoir connu une
évolution négative durant la décennie
1.3.3.1.3 L’enseignement technique et 1990/2000 avec une baisse moyenne annuelle
professionnel : le « talon d’Achille » du de 2% : « On constate que, malgré la priorité
système formel sénégalais accordée à l’enseignement technique et à la
formation professionnelle dans les objectifs de
Le secteur de l’enseignement technique et politique éducative de l’Etat, ce sous-secteur ne
professionnel est une des priorités du cesse de voir ses ressources décliner en terme
Programme Décennal de l’Education et de la tant absolu que relatif. Celles-ci sont en effet
tombées de 8,3 milliards de
francs CFA en 1992 à 7,3
milliards en 1996, soit une
chute de 12,2% en valeur
absolue et un recul de la part
du sous-secteur dans les
dépenses d’éducation de
10,1% à 7,6% »83.

Š une forte inadéquation


offre / demande : malgré une
forte demande - surtout en fin
de cycle élémentaire où
environ 75% des élèves sont
exclus de l’enseignement
général - les capacités
Formation. Qualifié de « peu maîtrisé », il peut d’accueil de ces structures sont très limitées. On
être considéré comme le talon d’Achille du peut estimer qu’elles n’absorbent pas plus de
système formel sénégalais.
Il se caractérise essentiellement par : 82 ENSEPT, ENSUT, ENTSS, ENEA, etc…
Š trois niveaux d’intervention : à la fin du 83 in Rapport national du Sénégal, Education pour
cycle élémentaire avec les Centres Régionaux tous, bilan de l’an 2 000 – Pape Momar Sow, 2000,
et Départementaux de Formation p. 5.
L’éducation non formelle
39
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Le CIFOP: "Comme si on était en entreprise"

Le centre international de formation professionnelle (CIFOP) est une institution privée laïque de formation
professionnelle, à vocation sociale. Elle est située à Mboro sur Mer, ville de petite taille, à 100 km au Nord de Dakar .
Le CIFOP est implanté dans la forêt classée de Mboro, confiée en 1982 par l’Etat sénégalais aux Eclaireuses et
Eclaireurs du Sénégal (EEDS), suite à leurs efforts de reboisement et d’entretien des forêts. En partenariat avec les
Guides et Scouts du Luxembourg, les EEDS entreprennent les premiers travaux de construction du centre en 1987.
Après plusieurs chantiers bénévoles regroupant près d’un millier de jeunes sénégalais et luxembourgeois, le CIFOP
voit le jour. L’ensemble des sections fonctionnent depuis 1991.

™ Grandes orientations et domaines d’intervention


Š La promotion des jeunes :
L’objectif premier du CIFOP est de contribuer à l’intégration socioprofessionnelle des jeunes. Constatant le manque
de main d’œuvre qualifiée au Sénégal, les responsables du CIFOP ont cherché à revaloriser le travail manuel auprès
des jeunes n’ayant pu accéder au second cycle.
Cela s’est traduit concrètement par des ateliers de
formation professionnelle dans les secteurs primaire
et secondaire : menuiserie, mécanique,
chaudronnerie, agriculture, bâtiment, couture. Une
des particularités du CIFOP est d’avoir favorisé
l’accès des filles à ces métiers réservés
habituellement aux hommes - la couture mise à part
bien entendu.
Ces activités de formation sont résolument orientées
vers la vie active : stages en atelier ou en entreprise,
production commercialisable pour l’autofinancement,
projets d’entreprise en fin de formation.
La formation est également de plus en plus ouverte
aux apprentis, souvent non-scolarisés, aux stagiaires
venant du privé et à des auditeurs issus du
mouvement scout. Cette évolution a impliqué la
diversification des niveaux de formation. Le CIFOP
favorise également les échanges culturels entre jeunes du Sénégal et d’autres pays, dans le cadre du mouvement
international scout.

Š Le développement communautaire de la zone des Niayes :


Le CIFOP a également pour objectif de soutenir les initiatives de développement local de la zone de Niayes. Cela
se traduit principalement dans trois domaines : la santé, l’environnement et la production agricole, l’éducation
et l’appui aux groupes de base

™ Caractéristiques de la démarche pédagogique

S’inspirant de la « méthode scoute », la démarche pédagogique vise à promouvoir l’apprentissage par l’action, la
vie en petits groupes, l’auto-éducation progressive et la co-gestion. Cela se traduit concrètement de la sorte :

Š Elaboration des programmes de formation


Le CIFOP vise à former des jeunes qui puissent être opérationnels avant même leur sortie. Les modules mis en
œuvre par le centre respectent la charpente du programme officiel. Les responsables techniques prennent
cependant l’initiative d’ajouter ce qui est jugé utile pour atteindre les objectifs pédagogiques. Ces compléments se
font sur la base d’enquêtes au niveau des entreprises (pour connaître leurs besoins réels) et d’une confrontation
avec les programmes d’autres pays.
Une autre caractéristique des programmes de formation du CIFOP est la pluridisciplinarité. Les apprenants de la
section « bâtiment » ou « agriculture » doivent être à l’aise dans tous les corps de métier touchant au domaine de
formation. Ainsi la formation agricole comprend par exemple le maraîchage, la floriculture, l’arboriculture, l’élevage
et la foresterie.

Š « Comme si on était en entreprise »


Le CIFOP a également pour ambition de faire vivre aux jeunes formés des conditions de travail comparables à
celles de l’entreprise.
Cela se traduit par :
- des volumes horaires (47 heures par semaine) et des rythmes de travail réguliers ;
- des temps de stage en entreprise : 45 jours/an pour les 2 premières années, 4 à 5 mois en fin de formation ;
L’éducation non formelle
40 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

- l’apprentissage en situation réelle que permet le développement d’activités productrices pour l’autofinancement
partiel de la structure : répondre aux exigences d’une commande (qualité, délais, …), faire une étude de marché,
négocier avec le client… ;
- l’intervention de personnes-ressources d’origine et de profil différents (artisan, ingénieur, professeur).
A la fin de leur formation, les jeunes doivent être capables de concevoir eux-mêmes un projet professionnel soit en
rapport avec une entreprise, soit dans la perspective d’une activité autonome.
Les conditions de vie du centre (le repas de midi et l’hébergement sont pris en charge par le CIFOP) font également
que les apprenants doivent développer entre
eux une solidarité agissante pour subvenir à
leurs autres besoins.

ŠUn centre ouvert sur son environnement


Le CIFOP n’est pas une structure autarcique,
fermée sur elle-même. Il propose aux
populations environnantes une diversité
d’activités et de services. Au cours des années,
plusieurs partenariats se sont ainsi
développés : avec les paysans pour la
prévention des problèmes environnementaux ;
avec les femmes pour l’alphabétisation et la
sensibilisation (particulièrement dans le
domaine de la santé), avec les entreprises
locales pour la formation complémentaire des
apprentis qui en sont issus et la mise en
situation des apprenants du centre.
Ces échanges multiples ont permis à la fois de diversifier l’offre de formation, en la rendant accessible aux
populations environnantes, et d’offrir aux jeunes en formation des situations concrètes d’apprentissage.

En 10 ans, le CIFOP a formé ainsi plus de 1 000 apprenants. Ces derniers sont aujourd’hui pour la plupart intégrés
soit dans les entreprises dites « modernes », soit dans l’économie populaire.
La principale réussite du CIFOP est d’avoir mis en place un système de formation parmi les plus efficaces au
Sénégal. Les responsables du CIFOP sont conscients de ce fait. Pour eux, leur système est deux fois plus rapide
que celui du formel : « Là où l’Etat met deux ans pour former quatre personnes, nous en mettons un ». Même si
cela reste difficile à vérifier dans ces termes, on peut tout de même affirmer que les sortants du CIFOP sont au
moins aussi compétents et efficaces que ceux qui ont suivi une formation du même type dans le système formel.
Les résultats en terme de qualité et d’intégration socioprofessionnelle, la dimension sociale du centre et ses efforts
d’autofinancement devraient faire de lui un exemple à appuyer et à démultiplier dans d’autres régions du Sénégal.

5% de ces jeunes déscolarisés. entreprise et de l’apprentissage dans les


L’évolution négative des ressources allouées à ateliers artisanaux, par la réhabilitation des
ce sous-secteur a même tendance à limiter structures existantes et la diversification des
l’offre déjà réduite, comme le prouve l’évolution filières ;
des effectifs dans le secondaire technique. Š la réorientation d’une grande partie des
élèves accédant à l’enseignement moyen vers
Š des équipements et des programmes la formation professionnelle84 ;
surannés : la faiblesse des ressources joue Š l’amélioration de la qualité par
également sur la qualité des enseignements- l’actualisation des contenus de formation liés
apprentissages. Les moyens pédagogiques aux filières existantes et l’intégration de
(programmes, manuels) et techniques (outils nouvelles filières jugées porteuses (NTIC,
de production) datent souvent de plus de deux graphisme, recyclage, etc…). L’objectif principal
décennies. Ils ne permettent pas une formation est de parvenir à une adéquation formation /
adaptée aux réalités économiques et emploi.
technologiques.

84 Certaines questions restent cependant sans


Le PDEF présente des réformes en profondeur
réponse à la lecture du PDEF : Quels critères pour
de ce sous-secteur. Il s’agit essentiellement : l’orientation ? Quel cursus en fonction de quels
Š l’amélioration de l’accès à ce sous-secteur débouchés ? Quelle préparation à la formation
par le développement de la formation en professionnelle dans l’élémentaire ? Quelles
structures d’accueil ?
L’éducation non formelle
41
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Dans son mémoire de fin d’étude85, Cheikh 1.3.3.2.1 Un partenariat entre l’Etat et la
Moussa DIOP aborde dans ce sens en société civile contre l’analphabétisme
soulignant que la principale innovation à
apporter est d’installer la formation Comme nous l’avons vu dans l’analyse
professionnelle à tous les niveaux et de rendre historique, la décennie 1990/2000 a été
le système éducatif capable d’asseoir des marquée par une ouverture de la politique
passerelles qui favorisent l’articulation entre éducative de l’Etat à l’éducation non formelle.
l’enseignement général et la formation Concrètement, cette réorientation s’est traduite :
professionnelle.
En définitive, le système éducatif formel au Š par la mise en œuvre de programmes
Sénégal connaît un double échec. D’une part, il concertés de financement et d’appui,
est très peu efficace tant du point de vue de coordonnés par la Direction de l’Alphabétisation
l’accès (taux de scolarisation faible, déperdition et de l’Education de Base (DAEB) et exécutés
scolaire importante) que de la qualité (taux de par des opérateurs issus de la société civile
maîtrise des objectifs pédagogiques très (ONG, association) suivant les modalités de
faibles). D’autre part, il tient les enfants et les manuels de procédures ;
jeunes loin de la vie réelle, limitant ainsi leurs
chances de pouvoir s’intégrer plus tard. Cette Š par la responsabilisation des entités
situation est très inquiétante. Le système administratives déconcentrées (Inspection
fonctionne à l’envers. Il semble que plus la d’Académie et Inspection Départementale de
scolarité est longue, plus les possibilités l’Education Nationale – IDEN) dans le choix des
d’intégration socioprofessionnelle se réduisent opérateurs, le suivi et l’évaluation des
ou se complefixient. programmes d’éducation non formelle.

1.3.3.2. Estimation des résultats de Les principaux objectifs opérationnels visés à


l’éducation non formelle par type travers ces programmes sont l’éradication
d’intervention progressive de l’analphabétisme par une
réduction annuelle de 5%, et l’amélioration de la
En raison des forts taux de non-scolarisation et qualité et de la pertinence des activités
de déscolarisation au Sénégal, des initiatives éducatives non formelles.
non formelles diversifiées interviennent en aval, A travers ses services chargés de la statistique
en amont et en complément du système formel et de l’évaluation, la DAEB procède à un suivi
pour élargir l’accès des plus défavorisés à minutieux de ces programmes nationaux. Elle
l’éducation de base. publie chaque année un annuaire statistique
détaillé et procède à des évaluations
Graphique 8 : progression des effectifs des
programmes d’alphabétisation Graphique 9 : répartition des effectifs par programme
d alphabétisation
250000,00 et par niveau

70000,00
200000,00

60000,00 Niveau 1
150000,00
Niveau 2
50000,00
Post Alpha
100000,00
40000,00

50000,00 30000,00

- 20000,00
93/94 94/95 95/96 96/97 97/98 98/99 99/00
10000,00

-
PAPF PAPA Prog GTZ PAIS Autres
85 DIOP, Cheikh Moussa – La formation prog
professionnelle, une réponse à la déperdition
scolaire au Sénégal : l’expérience du centre national
des cours professionnels industriels - ENTSS, 2000.
L’éducation non formelle
42 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

régulières86. à celle des programmes sous tutelle de l’Etat.


Elle est passée entre 1995 et 2000, de 49% à
Les données publiées par la DAEB permettent 10 %. La DAEB explique ainsi cette évolution :
d’avoir une idée assez précise des résultats « les raisons tiennent à la disponibilité des
obtenus dans le cadre des programmes ressources financières auprès des projets de
nationaux d’éducation de base non formelle : l’Etat qui, de plus en plus, appuient les
opérateurs dans la recherche des ressources
Š Depuis le recensement de 1988, le taux pour l’alphabétisation »91.
d’analphabétisme, qui était de 68,9%, n’a cessé
de diminuer. Il était estimé en 1999 à 48,9%87. Š Les programmes nationaux d’alphabétisation
Les dernières statistiques de la DAEB montrent touchent l’ensemble des régions du Sénégal de
que ce recul s’est poursuivi en 2000 : en manière équitable – à part les régions de Kolda
touchant 209 916 bénéficiaires, les et de Ziguinchor qui ont connu en 1999/2000
programmes d’alphabétisation ont connu une des périodes de forte instabilité politique,
progression de 13,5 % par rapport à 1998/1999, amenant la fermeture de nombreuses classes
permettant de se rapprocher de l’objectif de d’alpha-bétisation – et tiennent compte des
réduction annuelle de 5 %. Le PAPF et le PAPA spécificités linguistiques régionales.
mobilisent à eux seuls 80,4 % des effectifs.
L’intensification88 et l’extension de ces deux Š Même si les indicateurs qualitatifs sont peu
programmes expliquent la forte hausse des nombreux pour juger de l’impact de ces
effectifs en 1999/2000. programmes nationaux, l’évaluation comparée
des projets d’alphabétisation insiste sur la
Š Les programmes nationaux touchent en faiblesse des résultats concernant l’écriture et le
priorité : calcul. Cela explique peut-être l’écart important
- à travers les classes d’alphabétisation entre niveaux d’alphabétisation (voir graphique
fonctionnelle, les femmes analphabètes ou peu ci-dessus). Même si les indicateurs quantitatifs
alphabétisées (90,2 % des effectifs du PAPF et sont proches de l’objectif d’une réduction
87,8% du PAPA89 , alors que l’objectif de départ annuelle de 5% du taux d’analphabétisme, le
était de 75%) ; nombre effectif de néo-alphabètes est encore
- à travers 30490 classes alternatives rattachées nettement en-deçà.
aux écoles communautaires de base, les La même évaluation souligne cependant
adolescents de 9 à 14 ans exclus du système l’importance des acquisitions fonctionnelles
scolaire formel, avec des effectifs approchant dans le domaine de l’hygiène et de la santé.
10 000 apprenants par an.
Š Il faut également prendre en compte les
Š La part des programmes d’alphabétisation efforts réalisés pour l’amélioration qualitative
autonomes est de moins en mois importante par des programmes en cours. Celle-ci se traduit
rapport essentiellement par l’expérimentation de
différentes approches : programme intégré
86 A noter l’évaluation comparative réalisée par la d’éducation des adultes de 24 mois (PAPF),
division de l’évaluation et deux consultants sessions d’alphabétisation fonctionnelle de 6 et
(statisticien, pédagogue) publiée en juillet 1999 sous de 10 mois (PAPA), approche « ciblée et
le titre : « Etude comparative de projets qualitative » des projets appuyés par la GTZ
d’alphabétisation fonctionnelle » (PAPF, PAPA, (PADEN et Alpha Femme), différents modèles
PAIS2, PADEN, Alpha Femme, PGCRN)
87 Rapport national du Sénégal, Education pour d’écoles communautaires de base.
tous, bilan de l’an 2 000 – Pape Momar Sow, 2000,
p. 4. Le PDEF prévoit le renforcement de cette
88 En 1999/2000, l’offre du PAPA était politique de réduction de l’analphabétisme
particulièrement forte : 144 requêtes retenues pour (avec un taux de ponction progressif de 5,6% à
1800 classes. 28 % et une moyenne de 128 000 néo-
89 « Etude comparative de projets d’alphabétisation
fonctionnelle » (PAPF, PAPA, PAIS2, PADEN, Alpha
Femme, PGCRN), p.12 91 DAEB : « Statistiques en matière
90 1/3 de ces classes sont animées directement par d’alphabétisation 1999/2000 » - septembre 2000,
des ONG, les 2/3 restant sont intégrés au PAPA. Dakar, p.2.
L’éducation non formelle
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal
43

alphabètes les 3 premières années) par et proposer aux élèves déscolarisés ou non-
l’amélioration « de la qualité et de la pertinence scolarisés une formation de base ?
de l’offre d’éducation non formelle » Š Les ECB proposent une éducation de base
(fonctionnalité assurée par une démarche de en langues nationales et en français de courte
recherche-action, matériels didactiques, durée (4 ans). Quelle qualification auront les
formation de formateurs) et le renforcement du sortants des ECB ? Dans quelles filières
partenariat engagé (suivi, gestion, éducatives, formatives ou socioprofessionnelles
communication). pourront-ils s’intégrer ? Comment ne pas
L’extension et le renforcement des écoles reproduire une des principales lacunes du
communautaires de base (ECB) devraient système formel : l’inadéquation entre formation
parallèlement permettre d’atteindre en et emploi, l’absence consécutive de débouchés
2008/2009 la scolarisation universelle, comme et de motivation ?
le projètent en tout cas le CREA92 et de la
DAEB (voir graphiques ci-après). D’une manière générale, il ressort également
Graphique 10 : projection concernant l’évolution des écoles des entretiens que nous avons eus avec le
communautiares de base (ECB) directeur de la DAEB, Serigna Tacko Ndaw, et
250 000
un des responsables d’Aide et Action, Gorgui
Sow, deux éléments critiques : la désuétude du
200 000 manuel de procédure et la nécessaire révision
des approches en cours.
150 000
Graphique 11 : projection concernant l’évolution
100 000 du nombre d’enfants non-scolarisés

50 000 700000
Effectifs
0 600000

2000/01 2002/03 2004/05 2006/07 2008/09


500000
Années
400000
an 1 an 2 an 3 an 4 total
300000
Cette généralisation des écoles
communautaires de base n’est pas sans 200000
soulever des interrogations importantes :
100000
Š Sur quelles bases objectives le modèle93
des ECB a-t-il été jugé suffisamment efficace et 0

pertinent pour justifier une telle extension ? 2000/01 2002/03 2004/05 2006/07 2008/09

Š D’après les projections proposées, la durée


de vie des ECB devraient se réduire à 10 ans. Sur le premier point, Gorgui Sow pense que
Les ECB apparaissent ainsi comme un l’actuel manuel de procédure, inspiré du modèle
raccourci permettant d’effacer, avec peu de de l’AGETIP, n’est pas adéquat. Il a été
moyens et en un temps record, les lacunes confectionné suivant les modèles en cours dans
actuelles du système formel. Avec des objectifs le domaine des travaux publics et ne tient pas
et des effectifs similaires à ceux de l’école compte des spécificités de l’éducation. Il a
« formelle », les ECB ne seront-elles pas contribué à la « marchandisation » du secteur
perçues comme une école « bis », une école de l’alphabétisation. Sans être spécialistes de
des exclus ? l’éducation, certaines personnes parce qu’elles
Š Que va devenir cette expérience ? maîtrisent la procédure de montage des projet
Disparaître, apporter aux écoles formelles de se sont faites «spécialistes en alphabétisation».
nouveaux contenus et méthodes, se poursuivre Du coup, l’atteinte des objectifs quantitatifs pour
rentabiliser leur projet et continuer à bénéficier
92 Centre de Recherche en Economie Appliquée. de financements a pris rapidement le pas sur le
93 Une question connexe est « quel modèle souci de dispenser des prestations de qualité.
d’ECB ? », plusieurs formes ayant été
expérimentées.
L’éducation non formelle
44 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

La solution selon Gorgui Sow serait : certaines des personnes rencontrées95,


Š soit d’être plus regardant et plus exigeant l’alphabétisation ne doit pas se limiter à des
sur le profil des opérateurs en alphabétisation acquisitions de base (lecture, écriture, calcul) ;
de sorte à transformer leur tendance elle doit permettre de développer des
« alimentariste » ; compétences fonctionnelles permettant le
Š soit de former au niveau décentralisé renforcement des communautés dans la
(IDEN) du personnel pour suivre et coordonner production, la gestion des ressources, le
les activités des opérateurs en tenant compte plaidoyer, etc… ;
aussi bien des indicateurs qualitatifs que Š la nécessité de compléter l’alphabétisation
quantitatifs lors des évaluations. en langues nationales, par l’accès à la langue
Serigne Tacko NDAW, directeur de la DAEB, officielle et aux langues internationales (anglais,
n’est pas loin de penser la même chose lorsqu’il espagnol, arabe) : l’expérimentation des ECB a
nous a informé qu’un nouveau manuel de révélé cette nécessité. Mme Penda Mbow
procédure tenant compte de ces observations (historienne) insiste sur ce point en soulignant
est en cours d’élaboration. Une première que le fait de limiter l’alphabétisation aux
tentative a déjà eu lieu pour l’expérimentation langues nationales était une nouvelle façon de
des programmes intégrés d’éducation des marginaliser les femmes, « cibles » prioritaires
adultes dans le cadre du PAPF. Ce manuel a été des programmes nationaux.
conçu pour expérimenter une nouvelle stratégie Certaines initiatives intéressantes sont en cours
qui consiste à amener les opérateurs à préparer pour répondre à ces lacunes importantes :
des requêtes plus complètes et plus intégrées Š intégration dans les ECB de
au regard des objectifs d’alphabétisation. Sur le l’apprentissage du français (avec par exemple
second point (la révision des approches) et à les expériences d’ADEF, d’Aide et Action /
peu près pour les mêmes raisons, le directeur
de la DAEB défend le recours à des
« approches-programme » en remplacement
des « approches-projets » du moment. Cela
permettrait selon lui un meilleur ancrage dans la
durée.

Les programmes d’alphabétisation se heurtent


également à deux autres difficultés majeures
liées en grande partie au statut des langues
nationales :
Š la faiblesse des activités de post-
alphabétisation94 et des champs d’application
en langues nationales : comme l’ont souligné

94 Pour ceux qui seraient encore pessimistes quant


au développement d’une littérature en langues
nationales, suivent les propos de Boubacar Boris
Diop (romancier sénégalais) à ce sujet : « Pendant
longtemps, j’ai été assez réservé sur la question des
littératures en langues nationales. Je pensais qu’il
n’y aurait pas de public pour ces textes. C’était en
fait un point de vue typiquement citadin. Au Mali, les années, le monde noir était un bloc homogène, les
ouvrages publiés en Bambara par les éditions Le romans du Nigérian Chinua Achebe ou du
Figuier partent plus vite que les texte en français. Camerounais Mongo Betti, presque
Les livres sont lus et commentés en milieu rural, ce systématiquement traduits, jouaient des frontières.
qui est une véritable révolution. Notre littérature Aujourd’hui, chacun écrit à l’échelle de son pays. Il
francophone est très jeune et, à l’échelle d’une n’existe plus à proprement parler, une littérature de
histoire littéraire s’étendant sur plusieurs siècles, on la diaspora noire. », propos reccueillis par Doudou
peut la considérer comme une simple littérature de Sarr Niang et Habib Demba Fall, extraits du Soleil, in
transition. En attendant, elle va continuer à exister Courrier International, n°540, 8-14 mars 2001, p. 43.
avec un public dont la composition et les attentes 95 Gorgui Sow (Aide et Action), Souleymane Bachir
évoluent très vite. Vous savez, il y a quelques Diagne (UCAD), Tamsir Samb (INEADE).
L’éducation non formelle
45
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Ecoliers du Monde, etc…), Certaines grandes tendances peuvent


Š création d’environnement lettré (exemple cependant être dégagées :
des centres de lecture d’Aide et Action / Ecoliers
du Monde) Š la dominante formation-alphabétisation :
Š publication d’ouvrages de post- L’alphabétisation et la formation représentent la
alphabétisation en langues nationales moitié du volume d’activité des ONG nationales
(important travail éditorial de certaines et internationales intervenant dans l’éducation
organisations : Aide et Action, ADEF, Enda tiers- non formelle. Comme nous l’avons vu
monde96). précédemment, elles sont souvent liées ;
l’alphabétisation étant posée comme un
1.3.3.2.2 Un engagement associatif préalable à l’acquisition de savoirs et de
multiforme pour l’éducation et la formation compétences techniques.
permanente Il existe cependant un écart important entre ces
domaines d’activités. Il est principalement
Graphique 12 : activités des ONG intervenant dans l’éducation dû à la forte implication de l’Etat dans le
non formelle
domaine de l’alphabétisation et au fait que
Appui
la formation englobe souvent des activités
Education
Préscolaire
organisationnel d’alphabétisation. Les activités spécifiques
5%
alternative 4% de formation sont orientées pour moitié
8% Formation
Appui au
vers les adultes et les femmes, les jeunes
31%
système formel ne bénéficiant que de 8% de ces
9% programmes.
Sensibilisation
11% Alphabétisation
Appui méthod et 18%
Š des cadres partenariaux intégrateurs :
matériel La plupart des programmes d’éducation
14%
non formelle se construisent à partir de
partenariats impliquant les organisations
Certaines expériences (ACAPES, Enda tiers- d’appui (agences de coopération bilatérale et
monde, TOSTAN…) prouvent l’engagement des multilatérale, ONG nationales et internationales)
structures non gouvernementales et leur et les structures associatives ou privées locales.
participation au renforcement des secteurs de Cette structuration explique l’importance des
l’éducation et de la formation sont relativement activités d’appui méthodologique, matériel et
anciens – remontant aux premières crises du organisationnel. Ces cadres partenariaux
système formel. Les interventions gouver- permettent, par une mise en réseau des
nementales s’appuient d’ailleurs en grande acteurs, l’extension et le partage des
partie sur cet engagement. Il reste que la expériences. Les expériences non
majorité de ces initiatives se développent en gouvernementales ont ainsi tendance à passer
dehors des programmes coordonnés par la du micro au macro. Cette progression est
DAEB. Bien que la plupart des structures également facilitée par l’appui des programmes
engagées dans l’éducation non formelle rendent nationaux qui permettent une expérimentation à
publics les résultats de leurs programmes, il est grande échelle de certaines approches.
difficile d’estimer de manière générale leur
contribution et l’impact de leurs activités. La Š appui méthodologique et production de
répartition de leurs activités le prouvent : les supports didactiques d’accompagnement :
ONG nationales et internationales interviennent Un des résultats appréciables des expériences
à des niveaux et dans des secteurs d’une non gouvernementales d’éducation non
grande diversité. formelle est le développement d’une ingénierie
pédagogique non formelle. De la nécessité
96 Il s’agit particulièrement de la coédition de contes d’élaborer des cadres méthodologiques de
bilingues en collaboration avec l’IFAN (disponibles référence ont germé des démarches
en wolof, pulaar et sereer), du livre d’images pédagogiques innovantes, combinant toutes
universelles en wolof et en pulaar, d’un projet de sortes de méthodologies, d’outils et de
manuel de physique en pulaar, d’un abécédaire
supports. Après une longue phase
utilisant des langues du Sénégal et le français.
d’expérimentation, celles-ci arrivent à
L’éducation non formelle
46 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

Education, culture et droits humains : l’expérience de TOSTAN

TOSTAN est une ONG internationale qui a son siège à Thiès, à 70 km à l’Est de Dakar. Créée en 1991, elle est
reconnue par l’Etat sénégalais. Elle intervient en zone urbaine et rurale et son action a déjà touché neuf régions
du Sénégal - sur un total de dix.

™ Origine et évolution de la structure

En 1976, une éducatrice américaine ayant fréquenté l’Université de


Dakar et un animateur culturel sénégalais spécialiste des traditions
orales mettent sur pied le centre de ressources Demb ak Tey (« hier et
aujourd’hui » en wolof). Ce centre a pour vocation de faciliter l’accès
des enfants sénégalais aux livres, au théâtre, aux marionnettes, aux
jeux et autres activités artistiques directement inspirées des traditions
africaines, le tout en langue nationale wolof. Le succès des activités du
centre conforte les responsables dans l’idée que l’utilisation des
cultures traditionnelles est une excellente porte d’entrée pour le
développement d’activités éducatives. Ils élaborent alors un programme
expérimental de quatre modules en langues nationales entre 1987 et
1988, complété par l’expérimentation de deux autres modules entre
1988 et 1991. La création de ce programmes innovateur et les activités
de développement qui l’accompagnent finissent par convaincre de
l’opérationnalité du programme et de la nécessité de l’inscrire dans la
durée. Le programme «Demb ak tey» change de statut en devenant en
février 1991 l’ONG TOSTAN.

™ Grandes orientations

Š l’être humain dans toutes ses dimensions


La philosophie et l’action de TOSTAN sont centrées sur l’être humain, ce qu’il est , ce qu’il pense, ce qu’il vit, ce
qu’il sent et ressent, et ce à quoi il aspire. L’être humain dans toutes ses dimensions, en se basant sur son identité
culturelle. Il suffit de l’informer correctement et de le responsabiliser pour qu’il prenne en charge son propre destin,
où qu’il se trouve et quelles que soient ses conditions d’existence.

Š Une phrase-clé : sañ sañi doomu aadama (droits humains)


TOSTAN a fait de l’éducation aux droits humains le fondement de tout son programme d'éducation. Il s'agit de
promouvoir une société où tous les droits humains sont connus, appliqués et respectés par tous avec à terme
l’émergence de villes, de villages où le respect et la défense des droits humains sont effectifs. Ainsi, comme un
leitmotiv, une phrase wolof revient sans cesse dans les propos des formateurs et des facilitateurs : la notion de
sañ sañi doomu aadama qui signifie « droits humains ».
Toutefois, ce vocable n’est jamais utilisé au sens de droit que l’on revendique de façon violente. L’idée de TOSTAN
est de permettre, au moyen du dialogue et de la concertation, comme cela se faisait sous l’arbre à palabre dans
le contexte traditionnel, l’éclosion de décisions consensuelles, nourries par une information partagée et un éveil
mutuel des consciences. Dans un tel espace d’échanges (celui du penc – place publique / espace démocratique
en wolof), la notion de « lutte » s’efface au profit de celle d’« engagement » et le développement devient une action
commune autour de problèmes communs.

™ Système de formation

Š La participation : clef de voûte du système


TOSTAN a bâti son système de formation à partir du principe de participation. En effet, les apprenants sont au
début, au centre et à la fin des interventions de TOSTAN. Ainsi, la rémunération des facilitateurs, qui interviennent
directement à la base, est sous l’entière responsabilité des comités villageois de gestion, même si ces derniers
tirent la plupart de leurs ressources des financements de l’ONG. Autre exemple, les populations elles-mêmes et
en fonction de leurs contraintes de travail, choisissent les temps de formation. Le rôle du facilitateur et le règlement
intérieur pour le fonctionnement de la classe d’alphabétisation sont définis par les participants eux-mêmes.

Š Une pratique pédagogique novatrice


- par une démultiplication efficace des acquis…
Le chiffre de 200 000 personnes touchées par les programmes de TOSTAN en 2001 peut paraître surréaliste au
vu des résultats d’autres ONG et programmes. Grâce à un système de démultiplication des acquis, TOSTAN
L’éducation non formelle
47
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

parvient à atteindre le maximum de personnes avec le minimum de moyens. Chaque apprenant adopte une ou
plusieurs personnes de son village, le même principe est appliqué entre villages.

Š … et un recours constant aux valeurs traditionnelles


TOSTAN intervient le plus souvent en milieu rural, dans des terroirs où les valeurs socioculturelles traditionnelles
sont fortement enracinées. Les formateurs et les facilitateurs ne viennent pas avec l'idée de faire table rase mais
essaient de valoriser au mieux l’existant.
Cette préoccupation de TOSTAN à déployer ses activités à partir du
contexte culturel traditionnel local trouve une application concrète
dans les pratiques pédagogiques. Des outils tels que la chanson, le
conte, la danse, la représentation théâtrale occupent une place
centrale dans le dispositif pédagogique de l’ONG.

™ Les contenus de formation

Appuyée par l’UNICEF et le gouvernement sénégalais, TOSTAN a


élaboré des modules de formation validé par la DAEB :

Š un programme d'éducation de base pour adultes (10


modules) et pour adolescents (6 modules)
A travers ces deux programmes, TOSTAN cherche à responsabiliser
les villageois et à assurer, au sein des communautés, un égal accès
à l’information et aux ressources. Les questions relatives aux droits
humains, la responsabilité individuelle et collective constituent la
base et se retrouvent de façon transversale dans tous les modules.
Par ailleurs, les programmes d'éducation de base offrent
simultanément une formation en lecture, en écriture et en calcul, et
mettent en place un processus d’acquisition de « connaissances qui permettent d’accéder au développement »,
en insistant sur la méthodologie de résolution des problèmes (identification, analyse, étude de solutions adaptées,
planification, exécution de la solution). Les modules du programme d’éducation de base de TOSTAN portent sur
les thèmes de l’eau, de la santé, de l’hygiène, de l’environnement, de la démocratie et de l’exode rural qui sont les
principaux problèmes auxquels sont confrontés les populations.

Š un programme de conscientisation et d'éveil de 4 modules destiné aux adultes et adolescents, axé sur
le renforcement des capacités.
Dénommé également village empowerment programme (VEP), ce
programme développe 4 thèmes principaux et s'étend sur dix (10)
mois. Au départ, TOSTAN se lance en 1994 dans un projet avec
l’Américan Jewish World Service, visant à contribuer à la diminution
du taux de morbidité et de mortalité infantile et féminine au Sénégal.
Une recherche participative est lancée pour identifier les préoccupations
des femmes en la matière. Le constat de base est celui d'un manque
de congruence entre les centres d’intérêt des femmes en matière de
bien-être physique et mental; et les priorités que se donne le
gouvernement du Sénégal dans ce domaine.
Il est ainsi apparu à l’équipe de TOSTAN que pour une plus grande
efficacité de son action sur la santé maternelle et infantile, il était
impératif d’aborder des thèmes aussi importants que l’information sur
les périodes de menstrues, la ménopause, l’excision, l’avortement, les
relations avec les services de santé, les violences envers les
femmes... Bien que certains de ces thèmes soient considérés en
milieu traditionnel comme des sujets tabous (la sexualité et l’excision
notamment), TOSTAN en a fait l’ossature de son programme de
conscientisation et d'éveil, cela grâce à une forte capacité de
négociation et à l’implication des populations.

Une série d’évaluations internes et externes a établi l’expertise de TOSTAN dans la mise en œuvre de
programmes d’éducation et de développement, et le haut degré de maîtrise des modules enseignés par les
apprenants. En terme de renforcement des capacités, Il faut retenir que par une démarche cohérente associant
les populations et intégrant leurs valeurs traditionnelles, TOSTAN a facilité, à travers l’information et la
responsabilisation, des transformations sociales tangibles, durables et efficaces.
L’éducation non formelle
48 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

maturation et sont pour la plupart capitalisées médicaments génériques, utilisation rationnelle


sous forme d’ouvrages. Comment valoriser cet des plantes médicinales, etc…
existant ? Ces dynamiques locales de développement,
parce qu’elles sont naissantes et qu’elles font
Š de l’impact en terme de transformations souvent face à des résistances, doivent encore
sociales97 : être renforcées pour devenir totalement
Le changement d’échelle des expériences pérennes et autonomes. Leur mise en réseau
d’éducation non formelle a un impact en terme doit également se poursuivre pour qu’elles
de transformations sociales. Même s’il n’est pas puissent se nourrir et se fortifier entre elles.
directement quantifiable, celui-ci prend des
formes identifiables. 1.3.3.2.3 L’alternative des écoles coraniques
On assiste tout d’abord à l’émergence d’une rurales et urbaines
citoyenneté partagée et active. L’accès aux
savoirs et aux compétences a permis à des Il n’existe pas de statistiques fiables pour
publics jusqu’alors marginalisés de renforcer déterminer le nombre exact des écoles
leurs capacités en termes de production, de coraniques et leurs effectifs, pour apprécier la
communication et d’organisation. Des densité du réseau de l’éducation religieuse
groupements associatifs ou privés composés traditionnelle, son implantation géographique,
essentiellement de jeunes et de femmes se sont ses résultats ou ses moyens.
constitués localement en zone rurale et urbaine. Il est certain qu’une enquête exhaustive
En réduisant les écarts entre genre et permettrait d’apprécier à sa juste valeur le poids
génération, ils sont les principaux moteurs de la de l’éducation coranique au Sénégal.
démocratisation et de la décentralisation au Néanmoins, on peut proposer une typologie qui
niveau local. Leur implication dans la gestion rende compte de la diversité de ces structures
des ressources et des secteurs sociaux fait et de leurs rôles éducatifs.
d’eux des entités opérationnelles
incontournables dans les prises de décision, 1.3.3.2.3.1 Les écoles coraniques en milieu
impliquant les collectivités locales. urbain

Les programmes d’éducation et de formation L’apparition d’écoles coraniques en milieu


permettent de développer à partir de ces urbain est un phénomène relativement récent,
groupes une expertise locale touchant directement lié à l’exode rural des années 60-
l’ensemble des domaines de développement et 70.
impliquant à plus ou moins long terme une Le plus souvent, la création d’une école
amélioration des conditions de vie. C’est, par coranique en milieu urbain n’obéit à aucune
exemple le cas dans le domaine de la santé. règle précise. Il s’agit d’initiatives individuelles
Les programmes de formation et de ou collectives isolées, qui échappent au
sensibilisation ont permis la généralisation de contrôle des grandes confréries religieuses. En
pratiques positives (fréquentation des structures ville, il existe deux types d’écoles coraniques :
de santé, vaccination, meilleure hygiène
corporelle, renoncement à l’excision, ™ les Daara d’origine rurale
comportements sexuels responsables,
prévention du paludisme, etc.) et le recul Il s’agit d’écoles coraniques ouvertes par des
consécutif des problèmes de santé publique. Ils marabouts venus des zones rurales, qui
ont également facilité la prise en charge s’installent en ville avec leurs talibé. Ces talibé
médicale des plus défavorisés : création de ont été le plus souvent confiés au marabout par
mutuelles et de cases de santé, diffusion de leurs parents, qui eux sont restés dans leur
milieu d’origine.

97 Plusieurs études ont été produites sur ce thème


par l’ENTSS. La plupart insiste sur l’impact de
l’éducation non formelle en terme d’autonomie et
d’expertise locale. Les principales difficultés ont trait
au suivi (post-alphabétisation) et à la durabilité des
projets.
L’éducation non formelle
49
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Education alternative (Enda Sahel et Afrique de l’Ouest) :


les communautés donnent un sens à l'acte éducatif
Le programme d'éducation alternative dénommé également EDUCAL est né d'une série de recherches- actions
menées par Enda- Sahel et Afrique de l’Ouest en collaboration avec d'autres équipes d’ENDA sur les pratiques
éducatives. L’objectif était d'expérimenter puis de promouvoir des systèmes d’éducation simples et adaptés pour
lutter contre la pauvreté. Dans cette optique, le levier principal à actionner s'est trouvé être l'éducation alternative
dans le sens où elle permet une réappropriation de la fonction éducative par les populations.
EDUCAL a ainsi vu le jour en 1999, se donnant comme objectif la "démarginalisation" des populations les plus
défavorisées du Sénégal. Parmi elles, on compte des jeunes urbains non-scolarisés ou "déscolarisés", des migrants
ruraux, des femmes des quartiers populaires, des artisans, des jeunes travailleurs de l'économie populaire et des
paysans dont le point commun est de lutter contre l'exclusion sociale qui les caractérise de fait.

™ EDUCAL : une mise en réseau de situations éducatives très variées

"A l'occasion de toutes les situations vécues, des apprentissages techniques, sociaux, culturels et politiques sont
possibles". C'est fondamentalement dans cette hypothèse centrale que réside l'originalité de la démarche
EDUCAL. Elle consiste à utiliser des "situations vécues comme situations éducatives". En mettant en réseau
diverses situations éducatives, EDUCAL compte aboutir à une construction de sens communs fédérateurs de
projets de sociétés et de systèmes éducatifs alternatifs

™ Une administration de la diversité éducative sous forme de réseau

L'éducation, pour apporter les possibilités de prise en charge individuelle et de transformation sociale désirées, se
doit d'être d'abord une démarche de responsabilisation et de confiance dans les capacités des acteurs. Elle ne
saurait être conçue comme un ensemble de ressources apportées et gérées par des experts "techniciens". Il n'y
a pas de « technicien de la vie ». Un comité technique de suivi (CTS) réunissant les responsables des différentes
composantes a été mis sur pied et joue le rôle d’organe de coordination, de régulation et de gestion des conflits.
Selon le coordonnateur d’Enda Sahel et Afrique de l’Ouest, cette instance peut être considérée comme une
composante à part entière du programme éducatif ; en ce sens qu’il constitue un forum pouvant être un lieu
d’apprentissage de la gestion et du management.

™ Les composantes du programme EDUCAL et leurs activités

Les composantes d'EDUCAL (au nombre de six) regroupent pour la plupart des entités organisées dans le cadre
d'associations, espaces d'éclosion de la créativité sociale. Chacune des composantes articule son action autour
d'une hypothèse de base qui n'est qu'une déclinaison du principe directeur suivant : "Pour mieux lutter contre la
pauvreté, il faut que les populations se réapproprient leur éducation en participant aux processus de décision, à
l'élaboration des contenus et à leur mise en œuvre".

Š Le réseau d'apprentissage populaire (RAP)


Animé par des collectifs de femmes, le réseau expérimente l’alternative des apprentissages populaires. Ces
derniers associent l’apprentissage des langues et du calcul aux autres apprentissages nécessaires à la promotion
des femmes. Chaque entité élabore et planifie son propre programme en fonction de ses besoins. A ce jour, le RAP
a touché directement 20 groupements féminins (soit 3000 femmes) et a des effets induits sur 70 autres
groupements, notamment dans le domaine de l'alphabétisation.

Š L'éducation pour une citoyenneté responsable et solidaire (ECIRES)


C'est un espace d'apprentissage de la régulation collective dans les communes et les communautés rurales. Cette
composante travaille autour de l'idée que la reconfiguration des relations entre acteurs n'est possible que comme
résultante de concertations entre toutes les initiatives et groupes agissant dans des terroirs donnés. Ce faisant,
ENDA Sahel a expérimenté l'appui à la mise en place de Comités de Développement local (CDL) pour une
reconfiguration des relations entre acteurs. Les CDL sont des espaces de concertation à l'échelle de la commune
ou de la communauté rurale. La vingtaine d'expériences menées à ce jour à travers EDUCAL98 et d'autres
programmes démontre que les CDL sont devenus des lieux d'apprentissage de la gouvernance plurielle et

98 Notamment par l'entremise de l'ADY (Association touche directement une douzaine d'associations et
pour le Développement de Yoff), où la composante de groupements et a des effets induits sur la
ECIRES intervient dans l'encadrement de l'union population de Yoff en général (soit près de 30 000
locale des pêcheurs ainsi que des structures de personnes).
micro-crédits de la commune de Yoff. Son action
L’éducation non formelle
50 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

démocratique et des outils de planification participative et démocratique du développement local.


L'apprentissage de la régulation collective est également un axe privilégié au travers de cette éducation à la
citoyenneté. Ici, on s'appuiera sur l'exemple du programme impulsé par ENDA Sahel à Fandène (région de Thiès)
: il s'agit d'une expérimentation originale sur le management institutionnel où une organisation paysanne se
transforme progressivement en espace d'action et de mise en cohérence d'une diversité d'acteurs locaux; les
conflits entre ces acteurs (relatifs surtout à la gestion des ressources) sont utilisés et valorisés à travers des
démarches de médiation et d'intermédiation qui débouchent sur la production endogène de règles et de normes.

Š La valorisation des acteurs marginalisés (VAM)


Cette composante relie différents groupes socioprofessionnels engagés dans la lutte pour la reconnaissance
sociale. Ce sont des coxeurs, artisans, jeunes travailleurs, pensionnaires des centres d'éducation spécialisée et
autres petits vendeurs dont les activités économiques ne garantissent pas une intégration socioéconomique
correcte. L'hypothèse de base de la VAM est que les petits métiers exercés par cette frange de la population
peuvent être valorisés à travers des réseaux d'échange et de solidarité, contribuant à leur reconnaissance sociale.
Il s'agit alors d’aider les acteurs marginalisés à faire une analyse adéquate de leur situation, de les accompagner
dans leurs initiatives propres et au besoin leur dispenser une formation professionnelle dans le but d'améliorer leurs
revenus. La VAM déploie des efforts considérables dans le domaine de la communication en vue du changement
social. Les bénéficiaires directs sont estimés à 11 570.

Š La valorisation de l'apprentissage des femmes (VAF)


L'hypothèse est que l'identification d’apprentissages au cours d'échanges portant sur le vécu des acteurs et des
responsables locaux, favorise la construction d'identités plus autonomes, permettant en particulier aux femmes de
s'affirmer socialement. La VAF intervient dans les domaines de l'éducation environnementale en milieu rural, et
appuie les populations rurales dans des secteurs comme l'agriculture, l'élevage, l'épargne-crédit, la santé, etc. Dans
les zones de Mont-Rolland (Thiès), Linguère (Louga) et Koungheul (Kaolack), ses activités touchent directement
510 personnes (personnel de caisses de crédit-épargne et élus locaux formés et appuyés) et par ses effets induits
33 000 (adhérentes des différentes caisses de crédits-épargne).

Š Les initiatives populaires d'éducation (IPE)


Elles rassemblent des individus ou des groupes ayant initié des espaces de formation et d'éducation dans les
quartiers défavorisés. Les objectifs visés sont, à partir de la mise en réseau de ces initiatives, de favoriser une
analyse critique du modèle éducatif dominant, de valoriser les compétences populaires et de développer des
initiatives d'éducation alternative. Les programmes de soutien aux IPE animés par Ecopole et Graf touchent environ
1 000 appreneurs (enseignants dans les IPE, bénévoles pour la plupart) et près de 20 000 personnes (apprenants
et habitants des quartiers en question). Les IPE regroupent 27 écoles privées et 52 formations de coins de rue.

Ces Daara échappent ainsi à tout contrôle99, précaires100. D’ailleurs le plus souvent, les
qu’il soit religieux, étatique ou familial. Cela talibé qui vivent cette situation en tant
explique en partie les dérives possibles, l’une qu’apprentissage, demandent de la nourriture et
d’entre elles étant le recours abusif à la non de l’argent.
mendicité.
Cette question reste cependant relativement Une étude menée par la Direction de l’Action
complexe. On accuse souvent, sans Sociale (DAS) et l’UNICEF en 1993 montre bien
discernement, les écoles coraniques de que le phénomène est circonscrit aux talibé
pousser les enfants à la mendicité. Il est vrai d’origine rurale, migrants en ville.
que la demande d’aumône n’est pas exclue de
l’enseignement religieux. Cependant, elle ne La massification de la pauvreté en milieu urbain,
constitue qu’une étape de l’apprentissage dont l’absence de contrôle et le possible recours à la
l’objectif n’est pas de faire vivre le marabout et mendicité se combinent et favorisent la
sa famille, mais d’apprendre au talibé à rester
humble et à vivre dans des conditions des besoins réels - Quelles perspectives pour les
« Daara » à Dakar ? – ENTSS, 1997
100 Lorsque l’aumône est pratiquée comme

99 Pour répondre à cette situation, El Hadj Cheikh apprentissage, elle est l’occasion également pour le
talibé d’être en contact avec une grande diversité de
Tidiane Mbengue, étudiant à l’ENTSS, proposait en
réalités et de personnes – et autant de situations
1997 : la revalorisation des « Daara » par un statut
d’apprentissage. De nombreux talibés tissent
approprié, des organes de contrôle et de suivi, des
progressivement des relations fortes avec des
programmes appropriés ; leur réhabilitation par une
familles entières et font ainsi l’apprentissage d’une
dotation de moyens, après une évaluation précises
solidarité sociale forte et « informelle ».
L’éducation non formelle
51
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Les Daara du domaine de Xelcom ou "l'éducation au travail"

™ Les fondements spirituels des Daara de Xelcom

Faut-il le rappeler, l’école coranique a pour objectif de faire de l’apprenant un bon musulman, maîtrisant
parfaitement le Coran, instruit des pratiques culturelles et cultuelles de
l’Islam. Mais son rôle ne se réduit pas à cela. Elle doit permettre à l’apprenant
de vivre en harmonie avec les siens et d’exercer une activité utile à la société.
Cela est particulièrement le cas chez les Mourides, pour qui le travail revêt
une importance toute particulière.
A travers les textes et les réalisations de son fondateur, Cheikh Ahmadou
Bamba Mbacké et de son principal disciple Cheikh Ibra Fall, la Mouridiya
s’est développé à partir d’une philosophie du travail101 profondément
enracinée.
L’étude menée par Fatoumata SOW sur les logiques de travail chez les
mourides montre bien les fondements idéologiques de la « sanctification par
le travail » et ses conséquences sur la régulation et la sécurisation de la
société mouride. D’après elle, trois logiques sont à l’œuvre dans la notion de
travail chez les mourides : l’acquisition d’un savoir spirituel (al amal), la
nécessité du travail physique (al kasbou), la solidarité avec la communauté
(al khidmat)102. Cheikh A. Bamba Mbacké
C’est pour former les jeunes mourides à cette triptyque que Serigne Saliou
Fondateur du Mouridisme
Mbacké, Khalife Général des Mourides, créa dans les années 1990,
plusieurs Daara à Xelcom, et demanda à ses disciples d’y envoyer leurs
enfants.

™ Un projet éducatif d’envergure

Xelcom, mot composé wolof qui signifie «l’intelligence au service de l’économie», était une forêt classée d’une
superficie de 70 milles hectares. Serigne Saliou Mbacké, lorsqu’il accéda au Khalifat mouride en 1989, activa une
vielle demande de ses prédécesseurs, pour obtenir un bail de l’Etat sur ce domaine, ce qui lui fut accordé.
Aujourd’hui Xelcom constitue un vaste projet agro-silvo-pastoral contenant 15 Daara. Chaque Daara constitue une
unité économique de production organisée de façon autonome.
Les Daara bénéficient d’infrastructures modernes (constructions en dur et en étage, agriculture mécanisée, hôpital,
eau courante et électrification…) contrastant avec les conditions de vie du monde rural environnant.
La gratuité des Daara est un des principes de Xelcom. Tout ce qui est nécessaire à leur fonctionnement est pris en
charge par le Khalife Général. Il s’agit d’une redistribution interne à la Mouridiya, les moyens du Khalife provenant
des contributions des fidèles. Ce projet est à tout point de vue titanesque : 15 écoles / unités de production
autonomes, 15 000 apprenants, 360 mille tonnes de céréales par an, 3 millions de francs cfa de médicaments par
mois, une production annuelle d’arachide de 4 milliard de francs cfa…

™ Organisation pédagogique et sociale des Daara

Š mode de recrutement
C’est sur propre initiative des parents que les apprenants sont envoyés aux Daara. Ils sont confiés au Khalife, qui
les ventile dans l’une des 15 Daara se trouvant à Xelcom ainsi que dans les Daara créées antérieurement (Gott,
Diappandal, Laghem). L’âge de recrutement des apprenants se situe entre 5 et 7 ans. Il arrive cependant que des
enfants soient recrutés au-delà de cette tranche d’âge.

Š méthodes d’apprentissage
Les apprentissages comprennent trois niveaux distincts :
- les connaissances religieuses basées sur la mémorisation du Coran ;

101 Le sociologue Malick Ndiaye voit dans la l’influence du facteur religieux mouride dans le
Mouridiya une éthique du travail comparable (du développement économique du Sénégal » in -
point de vue de l’impact en tout cas) à celle contenue Penser le développement – Dakar, 1997, UCAD,
dans le protestantisme et décrite par le sociologue Goethe Institut, pp.83-114.
allemand Max Weber – Voir l’articlce « L’éthique 102 SOW, Fatoumata – Les logiques de travail chez
protestante et nous. Ckeikh Ahmadou Bamba et les mourides – Mémoire de DEA, Paris I (UFR 07),
l’éthique économique des religions universelles de 1998, 67 pages.
Max Weber : l’exemple des Moodu Moodu ou
L’éducation non formelle
52 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

- les connaissances instrumentales qui permettent à l’apprenant de maîtriser les pratiques culturelles et cultuelles
de la religion musulmane comme la prière, les comportements moraux et sociaux recommandés ;
- les connaissances dites étrangères ; il s’agit des sciences et techniques enseignées à partir du Coran et qui
peuvent être approfondies par l’apprenant dans le cadre d’une spécialisation (géographie, astronomie,
mathématiques, histoire, etc.).
Les méthodes actives d’apprentissage sont appliquées depuis très longtemps dans les Daara, qu’il s’agisse de
l’enseignement mutuel, de l’experiential learning, ou de la théorie des grands groupes. Chaque groupe
d’apprenants (environ 50) est placé sous la responsabilité d’un maître. Par ailleurs, les grands talibés aident les plus
jeunes dans leur apprentissage.
Il faut remarquer que l’organisation des enseignements n’est pas verticale, tout en apprenant le Coran, le talibé
s’initie aux connaissances instrumentales, étrangères et à l’apprentissage d’un métier.
Malgré un cadre idéologique a priori rigide, on constate une approche pédagogique peu dogmatique et ouverte aux
technologies nouvelles. Lors de notre enquête à Xelcom, la formation des apprenants aux nouveaux métiers a été
abordée, avec un grand optimisme, par les responsables de Daara. Le processus est à son commencement et
toutes les nouvelles technologies nécessaires au développement du Sénégal seront bientôt enseignées dans les
Daara de Xelcom.
Actuellement, les talibés apprennent les techniques horticoles modernes. Ils sont également initiés à la maintenance
mécanique, à la gestion financière et administrative, ainsi qu’à d’autres domaines liés à leur vie quotidienne.

™ Organisation pédagogique et sociale des Daara

Que deviennent les sortants des Daara ? Les prépare-t-on à une vie sociale et professionnelle active ? Rencontrent-
ils les mêmes difficultés d’intégration que les sortants des circuits dits formels ?
La voie d’intégration la plus fréquente est celle de l’économie dite informelle ou populaire. Les sortants des Daara
s’intègrent facilement dans ce tissu économique souple, le plus souvent grâce au jeu des solidarités sociales et
religieuses. Le dynamisme de l'économie populaire, qui en fait aujourd'hui un modèle alternatif de développement,
est directement liée aux capacités d'adaptation et d’entraide des acteurs, à leur esprit d'entreprise, à leur sens des
affaires. Des organisations comme l'UNACOIS (Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal), le
Regroupement des Transporteurs du Sénégal, très puissants aujourd'hui, sont constituées majoritairement de
sortants des Daara, n'ayant pour la plupart jamais fréquenté l'école officielle. Aujourd’hui, alors que le système
formel ne remplit plus son rôle de promotion sociale, ces hommes sont des exemples de réussite. Ils sont les
tenants de la culture de la "débrouillardise", débrouillardise qui leur permet d'acquérir les connaissances ou
compétences nécessaires à leur épanouissement professionnel et social103.

généralisation de cette dérive, en désaccord Coran est parcellaire et discontinu, interrompu


avec les fondements de l’enseignement ou ralenti par les activités scolaires.
religieux104. A côté des écoles coraniques, il existe des
écoles dites « franco-arabes », pour qui la
™ les Daara de quartier priorité n’est pas la mémorisation du Coran,
mais la maîtrise de l’alphabet, de la grammaire
Au détour d’une rue, il n’est pas rare de voir un et du vocabulaire arabe. Leur statut est reconnu
groupe d’enfants à même le sol, planche à la par l’Etat et fait l’objet d’une politique
main, récitant à tue-tête la fatiha105, sous le particulière.
regard attentif d’un vieux lettré du quartier.
Ces Daara accueillent les enfants du quartier 1.3.3.2.3.2 Les écoles coraniques en milieu
soit avant qu’ils soient scolarisés et jouent alors rural
aussi le rôle de garderie, soit pendant les
périodes de vacances. Elles ont donc des Les écoles coraniques en milieu rural
effectifs très instables. L’apprentissage du conservent le cachet traditionnel de
l’enseignement coranique, dont la mission
103 En fonction des besoins de leurs activités, ils essentielle est l’apprentissage du Coran.
peuvent apprendre de façon informelle des langues
En général, les pôles d’excellence de
étrangères (le français, l'anglais, l'espagnol…), des
techniques de communication ou de vente … l’enseignement coranique se trouvent en milieu
104 Mamadou NDIAYE montre bien dans son étude rural, loin des activités mondaines.
de la mendicité infantile que ce phénomène n’a Le régime d’internat garantit un meilleur
aucun fondement religieux ou historique. Il surgit encadrement des apprenants (talibé) et une
suite à la transposition du rapport d’origine rurale éducation à la « vie achevée », comprenant
serign/talibé en milieu urbain.
105 Premier verset du Coran. aussi bien l’enseignement coranique qu’une
L’éducation non formelle
53
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

préparation à la vie active. depuis vingt ans une forte expansion. Celle-ci
Les écoles coraniques rurales sont souvent de est en partie liée aux systèmes
vieilles institutions – pouvant avoir plus d’un d’apprentissages qu’elle a mis en place.
siècle d’existence - rattachées aux centres
religieux des grandes confréries. Les
apprenants qui en sortent, bénéficient des
réseaux de solidarité de la confrérie.

1.3.3.2.4 La formation pratique aux métiers


de l’économie populaire

A Dakar comme dans le reste du Sénégal,


l’offre en matière de formation est fournie en
grande partie par l’économie populaire. Ce
secteur est constitué de « milliers de micro-
entreprises familiales »106 dont les activités ne
sont pas reconnues par l’Etat. Grâce à des
coûts d’investissement très réduits107, à la
petite taille et à la mobilité de ses entités, Ils se caractérisent par :
l’économie populaire s’adapte facilement à Š la grande diversité de l’offre : l’économie
l’évolution de la demande économique populaire intervient dans tous les domaines de
lorsqu’elle ne la devance pas108. l’économie (agriculture, industrie, artisanat et
Alors que le secteur économique « moderne » service) et offre une gamme correspondante de
n’absorbe qu’une infime partie de la demande formations ;
d’emploi109 ; l’économie populaire connaît Š une ouverture à tous les types de profil :
l’intégration des apprentis dans une unité de
106 L’économie populaire face au défi de la pauvreté production ne se fait pas en fonction du niveau
– Philippe Engelhard, Enda, document de travail, d’éducation ou de formation de départ ; le plus
Dakar, p. 1. souvent ce sont les relations sociales
107 D’après le BIT, « le coût d’un poste de travail au
préexistantes110 qui entrent en jeu ;
Sénégal est 50 fois plus élevé dans le secteur
Š une intégration sociale et professionnelle
moderne que dans l’économie populaire » (rapport
1992) in Enda op cit. progressive : la formation aux métiers de
108 Philipppe Engelhard résume ainsi ce qui fait l’économie populaire se déroule à travers les
l’efficacité sociale de l’économie populaire : « Elle activités de production des ateliers et autres
constitue une économie d’improvisation (elle fait feu entités de ce secteur. Au fur et à mesure que
de tout bois), de vigilance (elle détecte les nouveaux l’apprenti développe ses compétences, il
besoins) et de proximité (elle évite les déplacements
devient autonome techniquement et s’intègre au
coûteux) ». in Enda op cit.
109 « Le marché de l’emploi sénégalais a connu, en tissu socioéconomique ;
1991, un taux de chômage de 29% et une demande Bien que ce type de formation soit le plus
d’emploi qui augmente à un rythme beaucoup plus courant, le plus diversifié et dans un certain
rapide que celui de l’offre. Dans le secteur moderne, sens le plus efficace (la plupart des apprentis
public comme privé, on constate des baisses
sensibles sur le marché de l’emploi urbain
accentuées par l’exode rural. Pendant ce temps, le de 58 à 77% de l’emploi total (BIT, Dakar, 1996).
secteur informel enregistrait un taux de croissance Finalement, pendant la même période, les emplois
annuel de 4,3% entre 1980 et 1991. Le nombre de l’économie populaire ont plus que doublé, tandis
d’emplois de ce secteur est estimé en 1991 à que ceux de l’économie moderne ont diminué de
638 000 dont 45 % dans la région de Dakar (…) Au 2%. » in Enda op cit.
Sénégal, la production du secteur informel 110 On soulignera à ce niveau que certains métiers
représenterait 50 à 55 % du PNB (Rapport du de l’économie populaire continuent à se transmettre
Ministère sénégalais du plan, 1996). Cette selon les modalités propres aux castes (hérédité du
production interviendrait pour 52 % dans la statut professionnel, apprentissage par filiation
production intérieure brute totale, dont 95% dans directe ou indirecte) ; C’est par exemple le cas pour
l’agriculture, 35% dans l’industrie et 50% dans les la majorité des artisans qui travaillent le fer et dont
services (BIT, Dakar, 1996). L’emploi dans le secteur l’appartenance est la caste des forgerons (tëgg en
informel urbain y est passé en dix ans (1980-1990) wolof).
L’éducation non formelle
54 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

réussissent à s’intégrer) au Sénégal, il n’existe plus personne n’est là pour les animer et elles
pas de données précises le concernant. disparaissent dans l’indifférence générale. »112
Longtemps considérée comme un sympôme de Les mécanismes décrits par Pierre Erny valent
« sous-développement », l’économie populaire pour le Sénégal où la disparition des systèmes
commence à intéresser les intellectuels et les d’éducation traditionnelle est bien avancée.
décideurs. La créativité et la souplesse qui lui Cela signifie-t-il que toutes les formes
sont sous-jacentes, révèlent un potentiel encore d’éducation rattachées aux différents groupes
largement sous-estimé. Quelques organisations socioculturels aient également disparu ?
dont le CIFOP et Enda tiers-monde, tentent de L’urbanisation ainsi que l’influence grandissante
valoriser celui-ci dans le domaine de la de l’Occident et de l’Islam ont grandement
formation. affecté les structures et les valeurs
socioculturelles d’origine. On aurait cependant
1.3.3.2.5 Une disparition inéluctable des tort de penser que celles-ci se soient
formes « traditionnelles » d’éducation ? « effondrées subitement ». Certes, elles ont
perdu de leur cohérence, de leur « pureté »,
En 1987, dans son ouvrage L’enfant et son mais elles ont aussi altéré en retour les modèles
milieu en Afrique noire, Pierre Erny, occidentaux et islamiques113. N’est-ce pas là,
psychologue et ethnologue, analysait ainsi la en fin de compte, un des effets de tout « choc
disparition progressive des systèmes interculturel » ? L’éducation « traditionnelle »
d’éducation « traditionnelle » : « Parmi les prend ainsi des formes plus diffuses, plus
différents éléments du système d’éducation, les diluées. Elle intervient par exemple dans les
institutions semblent être les plus fragiles. On formes, les méthodes et les contenus
les présente classiquement comme le d’apprentissage utilisés pour la formation aux
couronnement de l’éducation coutumière, métiers de l’économie populaire.
opinion qui ne se révèle pas toujours exacte : Une des pratiques initiatiques courantes au
mais dans la mesure où elles doivent assurer Sénégal reste par exemple le retrait des jeunes
une certaine synthèse, il est indéniable qu’elles circoncis issus d’une même classe d’âge. La
subissent, dans leur fonction, le contrecoup de circoncision marque le passage de
toute transformation. Dans un premier temps l’insouciance de la petite enfance au statut de
elles apparaissent souvent comme le haut lieu jeune homme responsable. Pour cette raison,
et le symbole de la résistance aux influences elle est accompagnée de l’apprentissage des
modernes et surtout au christianisme111. Puis valeurs sociales et morales liées à ce nouveau
subitement, elles s’effondrent d’elles-mêmes. statut. Elle est également rattachée à l’Islam.
L’école prend aux yeux des jeunes et des Une des scènes du livre autobiographique
parents une importance accrue et dépouille les d’Amadou Hampâté Ba en rappelle la portée
vieux de leur prestige de dépositaires ultimes de symbolique : « Quand j’eus atteint l’âge de sept
la connaissance. Le savoir technique l’emporte ans, un soir, après le dîner, mon père m’appela.
sur leur sagesse, l’écrit sur la parole. Le
calendrier scolaire rend les enfants moins 112 Erny, P. – L’enfant et son milieu en Afrique noire
disponibles ; les jeunes gens quittent le pays ; – Paris, L’Harmattan, 1987, p. 274
les classes d’âge se dépeuplent ; les brimades 113 La société sénégalaise urbaine est sans
habituelles aux camps de brousse ne conteste une synthèse de ces trois grandes
correspondent plus au goût du jour et ne sont influences socioculturelles (traditions ouest-
africaines, islam confrérique et modernité
plus acceptées. Même si personne ne combat
occidentale). Il est de plus en plus difficile de les
ouvertement les institutions initiatiques, elles séparer tant elles sont liées, délayées. Chacune de
s’anémient cependant du fait que leurs supports ces composantes agissant simultanément comme
sociologiques s’effondrent peu à peu. Un jour facteur d’équilibre : les traditions ouest-africaines
composent le socle identitaire et le tissu relationnel :
matrice sociale, l’islam confrérique est facteur à la
111 Pour les pays sahéliens comme le Sénégal, elles fois de spiritualité partagée, de stabilité sociale et de
incarnent dans une certaine mesure également la dynamisme économique : effet dynamique, la
résistance à l’Islam ; la plupart des sociétés modernité occidentale représente le lien avec
initiatiques ayant disparues dans les milieux l’évolution actuelle du monde, permettant d’être en
fortement islamisés. phase avec les avancées technologiques : elle a
surtout une fonction instrumentale.
L’éducation non formelle
55
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal

Ecopole ouest Africaine : l’appui aux initiatives populaires de formation

™ Un destin lié au quartier Xadim Rasul

L’histoire de l’Ecopole est directement lié au quartier Xadim Rasul, bidonville situé à proximité du centre de Dakar.
Après plusieurs années de lutte, ce quartier « spontané » a pu être sauvé des bulldozers et restructuré suivant un
plan d’aménagement et de développement concerté. Cette expérience, associant
les habitants du quartier, les autorités administratives et Enda, a servi de
première pierre à l’édification de l’Ecopole. Installée dans une usine désaffectée
à l’entrée du quartier Xadim Rasul, l’Ecopole s’est progressivement construite
autour de programmes d’appui aux groupes populaires de la région de Dakar.
Conçu comme un outil multifonctionnel, l’Ecopole a pour principal objectif la
reconnaissance et la valorisation des initiatives populaires – en premier lieu
économiques, mais aussi éducatives, sociales, culturelles ou environnementales.

™ Des réponses populaires à l’exclusion scolaire

Dans les premiers quartiers partenaires de l’Ecopole, l’expérience montra très


rapidement qu’un des mécanismes d’aggravation de la pauvreté était l’exclusion
des plus défavorisés du système éducatif formel (accès limité, taux d’échec
scolaire très fort), et que le quartier, à travers son organisation et ses ressources
propres, trouvait des réponses à cette situation en créant des structures
d’éducation et de formation, animées par des volontaires, pour la plupart
diplômés au chômage. Malgré un potentiel de créativité sociale et éducative,
celles-ci évoluaient le plus souvent sans moyen, de manière anonyme et isolée. A partir de ces constats, un
programme fut élaboré et mis en œuvre, en partenariat avec l’Unesco, afin d’appuyer trois types d’initiatives
populaires de formation de la région de Dakar : les associations sportives et culturelles à travers un sous-
programme spécifique d’éducation à la citoyenneté, les formations de coin de rue (FCR) et les ateliers de formation
pré-techniques installés au sein même de l’Ecopole.

™ Création d’un espace d’expérimentation pédagogique

Les initiatives populaires de formation du fait de leur position marginale évoluent dans un espace libre de tout
« dogme » pédagogique. La précarité matérielle et financière que connaissent ces structures ne doit pas être un
frein à leur créativité. Au contraire, celles-ci doivent pouvoir imaginer des méthodes et des outils adaptés à la fois
au profil de leurs apprenants, à leur environnement et à leurs moyens. C’est dans ce sens qu’a été créé un espace
de créativité pédagogique, impliquant des acteurs des initiatives populaires de formation et des personnes-
ressources (pédagogue, assistants sociaux, médecins, animateurs…).
Plusieurs outils ont ainsi été conçus et expérimentés durant le programme. Parmi les plus innovants, citons le jeu
des 7 bâtonnets (photo) qui propose un apprentissage du calcul à partir de l’usage du boulier chinois et de la
calculatrice, l’abécédaire « lire et écrire ensemble » qui combinent français et langues nationales, le jeu de rôle du
car rapide et du cycliste, l’édition de bandes dessinées éducatives
sur différents thèmes liés au développement et à l’environnement.

™ Formation technique et intégration socio-


professionnelle

Le programme appuie également les ateliers de formation aux


métiers de la récupération et du recyclage, implantés au sein de
l’Ecopole.
L’insertion socioprofessionnelle de ces jeunes en fin
d’apprentissage peut prendre plusieurs formes :
Šla création de micro-entreprise – c’est le cas d’une dizaine de
jeunes filles qui se sont organisées pour travailler à leur compte ;
Š l’intégration dans des ateliers artisanaux (menuiserie, mallettes,…) ;
Š la démultiplication et la délocalisation de la formation – certaines jeunes filles maîtrisant parfaitement les
techniques deviennent à leur tour formatrices.

A travers la conception et la réalisation d’outils et de matériels didactiques, le programme a montré qu’il était
possible de construire, à partir d’expériences d’éducation non formelle, une ingénierie pédagogique variée et
dynamique. Ces réalisations sont essentielles à la fois comme supports d’apprentissage et comme témoignages de
l’identité propre aux structures d’éducation non formelle.
L’éducation non formelle
56 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique

Il me dit : « Cette nuit va être celle de la mort de cependant le plus souvent informelles :
ta petite enfance. Jusqu’ici ta petite enfance apprentissage de la langue et de la culture
t’offrait une liberté totale. Elle t’accordait des maternelles et/ou paternelles ; échanges
droits sans t’imposer aucun devoir, pas même informels et ludiques, découverte de soi et de
celui de servir et d’adorer Dieu. A partir de cette l’autre au sein des classes d’âge ; relations
nuit, tu entres dans ta grande enfance. Tu seras privilégiées avec les grands-parents ; séjours
tenu à certains devoirs, à commencer par celui réguliers dans le milieu d’origine ; etc…
d’aller à l’école coranique. Tu vas apprendre à Il est remarquable que les systèmes éducatifs
lire et à retenir par cœur les textes du livre formels et non-formels valorisent aussi peu un
sacré, le Coran, que l’on appelle aussi Mère des potentiel éducatif aussi riche en contenus et en
livres114. » méthodologies.
Les formes d’éducation « traditionnelles » restent

114 Un des enseignements majeurs de l’œuvre et de


la vie d’Amadou Hampâthé Ba est que les systèmes
d’éducation traditionnelle, islamique et occidentale
peuvent cohabiter et se compléter. Ils finissent par
produire ce que lui-même incarnait parfaitement,
l’« homme synthétique » ouest-africain.
L’éducation non formelle
57
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

d’éducation non formelle116. On sait qu'en


2ème partie : termes de profil d’apprenant et de formateur, de
le point de vue des acteurs mode de recrutement, d'organisation et
de l’éducation non formelle d'évaluation, les ateliers de l'Ecopole sont
proches des ateliers artisanaux.
Tableau 1 : répartition des apprenants-apprentis
2.1 Regards croisés sur l’éducation selon la nature de la formation
non formelle Nature de la formation Fréquence

En complément de ce descriptif, il était Agronomie 1


Alphabétisation 25
important de pouvoir apprécier les points de vue Artisanat d’art 9
des différents acteurs de ces expériences Bâtiment 7
d’éducation non formelle. Pour restituer - au Couture 17
moins partiellement - la diversité de l’éducation Electricité 3
non formelle, nous avons eu des entretiens Enseignement général 8
avec des personnes appartenant à 12 Froid 3
Mécanique 7
structures (ACAPES, AJC3, ANAFA, ANBEP, Menuiserie 12
ateliers artisanaux, Benn Barak, CAMG BOPP, Santé 3
CIFOP, ENDA Ecopole, ENDA Graf, NOSE, Tapisserie 1
TOSTAN) : Tôlerie 2
Š 131 apprenants et apprentis115 issus de 12 Sans Réponse 9
structures. Les ressemblances de nature, de TOTAL 107
méthode et d'objectif permettent de regrouper Il est également possible de regrouper AJC3,
ces différentes entités en cinq grandes formes ANBEP et TRIDE sous la notion commune de
Graphique 13 : répartition des apprenants / IPE117, de rapprocher les centres de formation
apprentis par structure professionnelle que sont le CAMG BOPP et le
CIFOP118 et les centres d’enseignement
Centre d’ens.
féminin (NOSE, Benn Barak). Les entités GRAF,
Initiatives féminin
7% TOSTAN et ANAFA, pour leur part, développent
populaires
d’éducation des programmes comparables dans le domaine
11 % Ateliers de l’alphabétisation des adultes. Enfin,
artisanaux l’ACAPES, par la diversité de ses activités
36 %
Acapes (petite enfance, entraide scolaire et formation
(mixte) professionnelle, alphabétisation), peut être
13 %
considérée comme une structure mixte.

Centre de
Š 50 formateurs issus des mêmes
formation Programme
profes.
structures119 : majoritairement des hommes
d’alpha
13 % 20 %
(76%), avec une ancienneté dans leur
profession de 8 ans en moyenne ;
115 La distinction entre apprenants et apprentis est
liée à la nature de la formation suivie : la notion
d’« apprenti » est circonscrite à la formation aux 117 Initiatives Populaires d'Education : il s'agit de
métiers de l’économie populaire, celle d’apprenant petites structures, appelées également « formation
prend en considération les autres formes de coin de rue » (FCR), initiées par les associations
d’éducation non formelle. en milieu urbain et péri-urbain. A Dakar, elles sont
116 Parmi les 131 apprenants/apprentis rencontrés,
pour la plupart soutenus par ENDA tiers-monde à
107 ont répondu à un questionnaire (entretien travers ses différentes équipes (Ecopole, Graf,
individuel) et 24 ont été interviewés lors de focus Jeuda, etc.)
group. Les résultats statistiques concernent les 118 CAMG BOPP et CIFOP : structures de formation
entretiens individuels (107) ; les données des groupes plus ou moins structurées, provenant d'initiatives du
cibles ont fait l'objet d'un traitement par analyse de mouvement associatif; elles relèvent du non formel,
contenu et sont intégrés à la synthèse pour bien qu'elles soient proches du formel.
approfondir et/ou vérifier certaines tendances ou 119 dont 22 en entretien individuel et 28 en groupes
conclusions apparues lors de l'analyse quantitative. cibles (7 groupes cibles de 4 formateurs).
L’éducation non formelle
58 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

Graphique 14 : ancienneté dans la structure et dans la Les entretiens que nous avons eus avec ces
profession (formateur) différents acteurs font ressortir certains points
de vue essentiels sur les qualités et les limites
16
de l’éducation non formelle.
14 Structure
Ces regards croisés sont le plus souvent sans
12 Profession
complaisance. Ils sont la preuve qu’une analyse
10
critique est à l’œuvre.
8

6 2.1.1. L'éducation non formelle : un choix


4 "forcé" ?
2

0 L’entrée en apprentissage dans les structures


1-3 4-6 7-9 10-12 13-15 16-18 19-21 22-24 d’éducation non formelle se fait certainement
ans ans ans ans ans ans ans ans
sur des bases et selon des modalités différentes
de celles du système formel. S’agit-il vraiment
Graphique 15 : niveau d’enseignement général
d’un « choix » au sens où on aurait deux ou
des formateurs
plusieurs possibilités ? L’éducation non formelle
est-elle une destination « naturelle » pour les
apprenants et les apprentis qui s’y engagent ?
BFEM
Si c’est le cas est-ce parce qu’elle s’adapte le
Bac mieux à leur profil ou bien parce qu’elle est la
seule solution qui se présente ? Quelles sont les
Bac + 1 facteurs à l’origine du choix de l’éducation non
formelle ? Quelle sont les modalités et les
Bac + 2
principaux acteurs du processus de décision ?
Bac + 3 Quelles attentes et perspectives accompagnent
ou orientent ce choix ?
Bac + 4
Pour les parents, la décision de faire entrer leur
0 2 4 6 8
enfant dans une structure d’éducation non
Š 51 parents d’apprenants ou d’apprentis. formelle découle de leur propre choix et non de
Avec une moyenne d’âge de 45 ans, celui de l’enfant. De manière contradictoire, une
approximativement la moitié de ce part importante des apprentis et
groupe est constitué de femmes. Une des apprenants (42%), affirment
part importante des parents est sans être eux-mêmes à l'origine de ce
emploi (44%) ou à la retraite (8%). Les choix. 39% d’entre eux
autres exercent les "petits métiers" de reconnaissent tout de même
l'économie populaire (vendeur l’influence des parents.
ambulant, petit commerce) ou sont
artisans (mécanicien, tailleur, etc.). Ces résultats nuancent la
Près de 95% des parents interrogés perception des parents et montre
appartiennent aux catégories que les apprenants, en dehors
socioprofessionnelles les plus des pressions externes, sont
défavorisées. préoccupés par leur devenir et
perçoivent l’apprentissage
Š 49 anciens apprentis / apprenants : comme une solution à leur
avec une moyenne d’âge de 25 ans, la insertion socioprofessionnelle. Si
plupart (27) ont été formés dans des les proches (oncles, amis,
ateliers artisanaux. Les autres ont responsables du quartier) jouent
participé à des programmes encore un rôle appréciable (aussi
d'alphabétisation fonctionnelle (Aide et bien chez les parents - 22% des
Action) ou sont passés par un centre réponses - que chez les
de formation professionnelle (6). apprenants - 15%), on constate
que le placement en apprentissage est
L’éducation non formelle
59
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

rarement le résultat de l'action d'une institution. choisissent les apprentissages non formels
Par ailleurs, si on croise les variables "sexe" et parce que pour l'heure, c'est dans ce secteur
"origine de la décision", on se rend compte que que l’adéquation entre emploi et formation est la
les garçons subissent plus l'influence des plus probable.
proches dans la décision. Tandis que pour le Un autre facteur prégnant qui ne s’oppose pas
reste, la structure des réponses est presque mais s’ajoute et renforce les deux premiers,
identique : les filles ne sont pas plus influencées est , comme nous l’avons évoqué, la pression
par leur mère ou par leur père que les garçons. des parents. Leur motivation est double. D’une
L'échec scolaire est le facteur déterminant du part, l’éducation non formelle a des
choix de l'apprentissage dans des structures conséquences socio-économiques directes (la
Tableau 2 : facteurs de motivation dominant dans mise en apprentissage permet par exemple de
la décision (parents) produire de petits revenus et services). D’autre
Facteur de motivation Fréquence part et cela semble être le principal motif des
Echec scolaire 27 parents, elle permet de mettre un terme au
Souci de lui trouver une désoeuvrement de leurs enfants et aux risques
qualification 8 qui lui sont liés (délinquance, drogue,
Intérêt ou prédisposition 5 prostitution, prison, etc.).
Inadaptation dans l’enseignement
formel 0
Absence de structure scolaire dans
2.1.2 De fortes attentes envers
le secteur 3 l’éducation non formelle
Impossibilité de supporter les frais
de scolarité dans l’éducation Si l’éducation non formelle apparaît dans
formelle 6 plusieurs cas plus comme un « pis-aller » qu’un
Ineficacité de l’école formelle 0 véritable choix, les différents acteurs s’attendent
Autre 2
51
pourtant à y trouver l'essentiel, c’est à dire
TOTAL
l’insertion scolaire ou professionnelle, et la
non formelles. En agrégeant les données reconnaissance sociale…
recueillies auprès des différents acteurs, il s’agit Tableau 3 : attentes des parents par rapport à
d’un point de vue largement dominant. Chez les l’apprentissage de leur enfant
parents (52%) comme chez les apprenants Types d’attente Taux
(31%) et les anciens apprentis (35%), on Métier 52%
retrouve le poids de ce facteur (40% pour Occupation 18%
l’ensemble). Aussi, l'existence de Diplôme professionnel 16%
prédispositions ou d'un intérêt particulier pour Maîtrise de la lecture et de
ce type de formation motive-t-il peu l’entrée en l’écriture 10%
Eviter la délinquance 4%
apprentissage.
TOTAL 100%
L’éducation non formelle serait-elle alors un pis-
aller ? Les concernés auraient-ils Tableau 4 : attentes des apprenants
majoritairement fait le choix de l’éducation non par rapport à la formation
formelle si une offre éducative formelle Types d’attente Taux
accessible et diversifiée leur avait laissé la Avoir une qualification 33%
possibilité de poursuivre leur scolarité sous la Insertion socioprofessionnelle 29%
forme d’un enseignement technique et Réinsertion dans l’école formelle 22%
professionnel ? Perfectionnement des
connaissances 5%
La structure des réponses des apprenants et
Sans réponse 11%
apprentis (en cours – 34% ou en fin de TOTAL 100%
formation – 39%) montre que la plupart d’entre
eux recherchent dans l’éducation non formelle En ce qui concerne leurs attentes vis-à-vis de la
une formation qualifiante qu'ils ne pensent pas formation qu'ils embrassent, les apprenants
trouver dans le système formel dont la recherchent principalement une qualification
réputation est de produire des diplômés (33%) qui leur ouvre les portes de l'insertion
chômeurs, n'ayant qu'un bagage théorique et professionnelle (29%)120. Les parents
"intellectuel". Au delà d'un manque d’efficience
ou d'accessibilité de l'école formelle, certains 120 Soit en tout 62 % pour ces deux items.
L’éducation non formelle
60 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

également s'attendent à ce que leur enfant Les ateliers artisanaux restent, dans les
puisse trouver dans ces structures un métier représentations, des milieux typiquement
(52%), et mettent peu l’accent sur la possibilité masculins, même si les jeunes filles
d’obtenir un diplôme. commencent timidement à investir cet espace
de formation (sur les 29 anciens apprentis des
2.1.3 L'éducation non formelle est-elle ateliers artisanaux, seule une était une jeune
ouverte à tous ? fille).
Par contre, les jeunes filles sont majoritaires
Aussi bien en termes d'âge, d'appartenance dans les structures qui proposent des
socioculturelle que de niveau d'instruction, les formations comme la couture, la broderie, la
principaux acteurs de l’éducation non formelle poupeterie, ou le "crochet plastique" (fabrication
(formateurs, apprentis et apprenants ) ont des artisanale de poupées ou de sacs à partir de
profils très diversifiés. tissus ou de sachets plastiques recyclés). Le
Graphique 16 : courbe des âges (appernants / apprentis) constat est le même que
pour les métiers
16
masculins – très peu
14
d’hommes participent à
12 ce type de formation.
10 Il faut remarquer
8 également que la plupart
6 des programmes
4 d'alphabétisation des
2 adultes s’adressent en
0 priorité aux femmes
7 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33 35 37 39 41 43 45 adultes. C’est par
âges exemple le cas pour la
totalité des apprenants
La courbe des âges ci-dessus montre que les interrogés dans le cadre du programme de
programmes d’éducation non formelle au socio-alphabétisation mené par ENDA GRAF et
Sénégal s’adressent en priorité aux jeunes. de celui d'alphabétisation fonctionnelle de
Mais ils ne se limitent pas à cette classe d’âge l’ANAFA à Louga.
et touchent des personnes de tout âge. Si la Graphique 17 : répartition par niveau scolaire
moyenne d'âge pour le recrutement des (apprenants)
apprentis dans les ateliers artisanaux tourne
autour de 12 ans, on retrouve des apprenants
50
ayant jusqu'à 46 ans dans les programmes
d’alphabétisation. Le concept d'une éducation
qui s'étend tout au long de la vie prend ici une 22 20
14
forme concrète.
1 S
Tableau 5 : répartition par sexe sans élementaire moyen secondaire supérieur
(anciens apprenants / apprentis)
Sexe Taux
Si les différents niveaux scolaires sont
Masculin 34 représentés, on note que la majorité des
Féminin 15 apprentis et des apprenants ont eu une
TOTAL 49
expérience brève de l’école formelle,
circonscrite à l’enseignement élémentaire.
Les expériences d'éducation non formelle que Il faut, là aussi, tenir compte de la nature des
nous avons étudiées, reçoivent des hommes structures où les enquêtes ont été réalisées. En
comme des femmes, avec au final une très effet, la plupart des occurrences « secondaire »
faible prépondérance masculine (51% sont liées à des structures plus ou moins
d’hommes contre 49% de femmes). Ces chiffres « formalisées », qui s’inspirent du système
globaux cachent certaines disparités notables officiel dans leur organisation et leur programme
selon le type de structure et/ou de formation. et qui mènent à des formes de certification
L’éducation non formelle
61
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

reconnues et/ou organisées par l’Etat (CAP, cependant pas partagé par les apprenants des
BEP, Baccalauréat, etc.). programmes d’alphabétisation ainsi que par
En retirant les données issues de ces ceux des structures permettant de se présenter
structures, la prépondérance de l’occurrence aux examens et concours avec le statut de
« élémentaire » apparaît encore plus nettement. candidat libre, qui se disent dans l’ensemble
Cette tendance est encore plus forte concernant satisfaits. A contrario, les apprenants en
« les formes les plus informelles de l'éducation alphabétisation relèvent ne pas souvent
non formelle » et particulièrement les structures disposer de débouchés ou de qualification
de formation proches de l'économie populaire… suffisante après leur formation.
La variable "niveau scolaire" est donc à On notera également que les questions liées à
rapporter aux types de structures ou l’évaluation, aux débouchés et à la certification
d’expérience d'éducation non formelle. restent souvent sans réponse. Etant en cours
de formation, les apprentis et les apprenants
2.1.4 Appréciation de la formation par les n’ont vraisemblablement pas encore d’idées
apprentis et les apprenants précises sur ces aspects – liés à la fin ou après
la formation. On peut également supposer que
Les apprentis et les apprenants jugent ces questions ne sont pas suffisamment prises
majoritairement que le niveau auquel ils en compte par les responsables de la formation.
parviennent est satisfaisant et apprécient très
positivement leur formation : 83 % disent avoir 2.1.5 Un modèle qui s'adapte aux
une complète satisfaction. besoins des apprentis et des apprenants
Dans le détail, les apprenants et les apprentis
se montrent largement satisfaits du temps de Les apprenants et les apprentis qui ont eu à
formation, de l'encadrement et surtout des fréquenter l'école formelle gardent en général
méthodes ; par contre, ils sont assez réservés un bon souvenir de ce passage. Ce sont les
concernant l'évaluation et regrettent difficultés économiques et le caractère
l'insuffisance en nombre et en qualité des outils systématiquement sélectif de l'école formelle
pédagogiques, tout comme l'exiguïté et qui les ont obligés à la quitter et à se rapprocher
l’inadaptation des espaces de formation. des expériences d'éducation non formelle.
Ils jugent également que les débouchés en Ils sont pourtant nombreux à relever, pour
terme d’intégration socio-professionnelle sont expliquer leur large satisfaction par rapport à
assez limités, et sont largement insatisfaits de l’éducation non formelle que celle-ci leur offre
l’absence de certification (reconnaissance un cadre mieux adapté à leurs besoins, à leurs
officielle) de la formation. Ce dernier point n’est aspirations et à leurs contraintes. Ils se
déclarent surtout sensibles à la
Graphique 18 : niveau de satisfaction par rapport aux domaines de
liberté de conception, à
formation (apprenants/apprentis)
l'approche pratique, à la
compréhension et à la
reconnaissance /
progression plus faciles, à la
certification
relation pédagogique basée sur
débouchés une éducation à la vie, sur le
savoir-faire et sur une bonne
formes d'évalutaion maîtrise du métier, aux méthodes
(écoute et concertation), à la
outils didactiques disponibilité et à l'exemplarité des
formateurs.
méthodes L’éducation non formelle semble
également adaptée aux
encadrement
préoccupations des parents :
Š les charges financières sont
temps de formation
réduites ou inexistantes (pour les
ateliers artisanaux, mais aussi
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
l'Ecopole et le CIFOP qui offrent
Bien Moyen Faible Sans réponse
non seulement une formation
L’éducation non formelle
62 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

Le point de vue des formateurs

C’est connu, l’école formelle sénégalaise connaît un certain nombre de limites. Parmi elles, l’orientation trop
théorique des enseignements, la focalisation du système sur la filière d’enseignement général. Ainsi, on peut
comprendre pourquoi selon les formateurs interrogés, l’un des principaux avantages de l’éducation non formelle,
soit le primat des compétences. Ils jugent que les enseignements y sont très pratiques, qu’ils mettent l’accent sur
le savoir-faire et le savoir-être. L’éducation non formelle permet l’acquisition de bases solides en termes de
qualification et facilite ainsi l’insertion dans la vie active.

L’éducation non formelle présente comme autre atout de favoriser le développement personnel. Plus et mieux que
le système formel, elle permet aux apprenants de devenir autonomes, à travers un renforcement concret de leurs
capacités et une préparation active à leurs futures responsabilités. Ainsi en est-il du CIFOP (section couture) où,
selon les formateurs, les jeunes filles sont préparées à « être des responsables de famille » ; ou encore de
l’ACAPES où les formateurs relèvent positivement « la formation additionnelle qui vise à socialiser les élèves » et
qui fait que « l’élève devient un vecteur de développement, un animateur endogène dans les quartiers partenaires ».
Les contenus d’enseignement ne sont donc pas « décentrés par rapport aux problèmes, contraintes et défis du
milieu ; ils sont au contraire confrontés et adaptés à ces derniers pour améliorer les systèmes d’action dans les
communautés bénéficiaires ».

Ainsi, l’une des caractéristiques majeures de l’éducation non formelle serait d’aller au-delà de la simple scolarisation
et de doter les individus et les groupes de compétences pour la vie. Elle chercherait directement à favoriser des
changements de comportement, pour une amélioration à court et moyen terme de la qualité de vie des bénéficiaires.
Ainsi, les formateurs rencontrés ont mis en exergue les résultats ou les avantages suivants :
Š l’accroissement de la propreté individuelle et de l’hygiène dans le village ;
Š la diminution de certaines maladies ;
Š la fréquentation plus assidue des structures de santé en cas de grossesse ;
Š la meilleure organisation des activités journalières (femmes) ;
Š la maîtrise de la lecture, de l’écriture, du calcul et la gestion par les apprenants de leurs propres affaires.

L’éducation non formelle se déploierait donc comme une véritable « école du développement ». La liaison des
activités de formation et d’éducation avec d’autres orientées contre la pauvreté produirait de nouvelles formes de
solidarité ainsi que l’organisation socio-économique des personnes et des groupes.
Dès lors, certains formateurs sont sensibles à des aspects comme :
Š la circulation des biens et des devises ;
Š la création de caisses d’épargne et de tontines (entraide avec prêt tournant) ;
Š l’acquisition de matériels destinés à la location, dont les bénéfices servent à supporter certaines dépenses du
programme et à faire face à certaines charges sociales, etc.

Globalement, on retiendra que l’éducation non formelle séduit les formateurs et les enseignants parce qu’elle met
en œuvre un modèle alternatif souple et adapté.
Ce modèle se caractérise selon eux par :
Š « la polyvalence » ;
Š « une formation gratuite », « moins formelle et formaliste que l’éducation publique » ;
Š la « flexibilité des expériences » et leur « facilité d’adaptation » ;
Š la participation des communautés, l’engagement des parents et l’appui des personnes ressources et des gens
du quartier ;
Š des modalités très adaptées pour les personnes âgées et les mères de famille ;
Š une plus grande accessibilité, davantage de « proximité » et un large et profond « partage entre les acteurs » ;
Tous ces aspects mis en commun permettent d’atteindre, selon la plupart des formateurs, de « meilleures
performances en terme de résultats » que le système formel.

gratuite mais qui prennent également en charge Š l’encadrement est meilleur (proximité) et
une partie de la pension des apprenants) et la les formateurs plus disponibles.
formation permet même parfois de dégager L’adaptabilité et le caractère « polyforme » de
quelques revenus et avantages pratiques ; l’éducation non formelle qui permet à un grand
Š les jeunes acquièrent plus facilement une nombre de s’y retrouver apparaît également
qualification et un emploi ; lorsqu’on s’intéresse à la question de la durée
Š un niveau scolaire préalable n’est souvent de la formation.
pas nécessaire et le système de formation n'est
pas sélectif ; Il faut tenir en considération que les quatorze
L’éducation non formelle
63
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

apprenants qui ont eu un an ou moins de Le fait que les patrons dans les ateliers
formation relèvent tous des programmes artisanaux ne veuillent pas "libérer" leurs
d'alphabétisation dont la durée est en général apprentis, même lorsque que ceux-ci ont
de douze à dix huit mois. maîtrisé les différentes étapes de
Si l’on ne prend pas en compte ces apprenants, l'apprentissage, cela parce que ces derniers
on obtient un groupe plus leur servent en même temps
cohérent dans sa composition, de main d'œuvre. Pour
où la durée moyenne de la certains, cela implique une
formation est de six ans. prolongation de la durée de
Si l’on considère les résultats l'apprentissage qui relève
des entretiens avec les alors du bon vouloir du
apprenants et les apprentis en patron. Relevons à ce
cours de formation, la durée propos que des conflits
de la formation, hormis naissent de plus en plus
certaines structures assez entre les patrons et leurs
proches du formel dans leur apprentis lorsque ces
organisation (CIFOP, derniers estiment qu'ils ont la
ACAPES) semble également maîtrise nécessaire du
assez longue et le plus métier et "exigent" alors
souvent non formalisée. qu'on leur remette le fameux
On peut tenir en considération "certificat" pour aller s'établir
ici : à leur propre compte ou
La souplesse de l’éducation non formelle qui rechercher un emploi auprès des PME de la
tient compte du rythme d’apprentissage de place.
chaque individu ; Malgré tout, dans la plupart des expériences
Le manque de structuration des apprentissages d’éducation non formelle, c'est le système de
et de précision des programmes, d’où une formation qui s'adapte à la personne et non le
évaluation assez subjective - qui dépend pour contraire. L'éducation non formelle n'a pas un
les ateliers artisanaux du patron ; caractère sélectif. Cela se répercute sur les
Le fait que la plupart débutent leur formation modes d'évaluation et les mécanismes de
assez jeunes (en moyenne 9-10 ans, mais progression, à l'exemple du Centre de l'ANBEP
assez souvent 6-7 ans) ; où selon le mot du responsable : "il est possible

Vécu de l’école formelle par les apprenants

Les apprenants et apprentis ont été interrogés sur le souvenir (positif ou négatif) qu’ils ont gardé de l’école et sur
les raisons qui fondent leur appréciation. 72% d'entre eux disent garder un bon souvenir de l’école formelle. Les
raisons évoquées peuvent être classées de la manière suivante :

™ aspects instrumentaux
La plupart des apprentis et apprenants mettent l’accent sur l’apport de l’éducation formelle en terme de
connaissances instrumentales, utiles à leur formation actuelle.

™ aspects éducatifs
D'autres mettent l’accent sur un apport de l‘école par rapport à l’éducation de la personne à la vie (éveil, ouverture
d'esprit, éducation, savoir vivre).

™ aspects sociaux
Pour certains, l’école leur a fourni l’occasion de développer des liens sociaux : relations amicales, camaraderie,
etc…

™ aspects personnels
- ces aspects sont positifs chez ceux qui gardent un souvenir nostalgique liée à la joie et à la fierté ressenties
à l’occasion de bons résultats,
- ils sont négatifs pour d’autres qui y ont vécu une expérience démoralisante ou même traumatisante :
« démotivation et perte de repères », « maître méchant », « absence de motivation », « châtiments corporels », etc.
L’éducation non formelle
64 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

qu’on redouble ; mais il ne saurait y avoir et des moyens pédagogiques mais aussi sur
d’exclus car c’est avant tout une école l’inadaptation de ceux-ci.
communautaire qui vise justement à récupérer Les conditions d’exercice entraînent également
et à intégrer ceux qui sont déjà marginalisés". toutes sortes de difficultés. C’est d’abord le
cadre, jugé le plus souvent « peu adéquat ». On
2.1.6 Des problèmes pédagogiques… relève beaucoup de problèmes d’espace et
quelquefois l’inadéquation du cadre par rapport
Ces problèmes sont, selon les formateurs, aux activités qui s’y tiennent.
souvent liés au profil des apprenants. En effet, Mais ce qui pose surtout problème, c’est
les structures relevant de l’éducation non l’organisation. De l’avis de certains,
formelle s’adressent à des publics particuliers, « l’enseignement n’est pas bien structuré », « la
caractérisés le plus souvent par un faible niveau formation n’est le plus souvent pas planifiée».
scolaire. Ils sont le plus souvent peu ou pas Cela donne une certaine souplesse mais
alphabétisés, exclus très tôt des structures complexifie aussi les tâches d’enseignement -
d’éducation formelle. La souplesse des apprentissage. De même, pour certaines
structures en termes d’organisation et de mode expériences, le manque de moyens fait que la
de recrutement fait que les apprenants ont durée de formation est jugée insuffisante.
souvent des niveaux scolaires très différents. Les formateurs relèvent enfin un certain nombre
Les formateurs connaissent d’énormes de problèmes liés à leur propre profil ou statut :
problèmes à gérer cette spécificité propre à le manque de formation des enseignants et
l’éducation non formelle. encadreurs ; le problème de disponibilité
Une des difficultés soulignées par les (lorsque les « encadreurs » sont bénévoles et
formateurs est l’attitude parfois négative des doivent faire face à d’autres charges sociales) ;
apprenants vis-à-vis de l’approche pédagogique l’insuffisance du nombre de formateurs.
utilisée, lorsque celle-ci leur paraît trop
formaliste ou s’éloigne de leurs habitudes 2.1.7 … et des limites objectives freinent
culturelles. Pour s’adapter aux apprenants, les le développement et l'expansion de
formateurs mettent en œuvre des démarches l'éducation non formelle
pédagogiques innovantes. De même, celles-ci ne
sont pas toujours bien comprises par les Durant les entretiens que nous avons eus avec
apprenants. les acteurs de l’éducation non formelle, chacun
Il arrive que certaines spécificités des a insisté sur les limites que connaît ce secteur
bénéficiaires posent problème. C’est par au Sénégal :
exemple le cas de la section couture du CIFOP
qui accueille des filles en internat et où les ™ Apprentis et apprenants
« encadreurs » disent déployer beaucoup La principale limite ressentie par les apprenants
d’efforts pour un suivi comportemental et et les apprentis est le manque d'outils et de
disciplinaire strict. De leur côté, les matériels de formation, surtout dans les ateliers
« facilitateurs » en alphabétisation de l’ANAFA artisanaux. D'autres limites ont également été
Louga sont confrontés à un manque d’assiduité relevées :
(irrégularité, retard, etc.) : les femmes Š la mauvaise organisation de l'atelier ;
bénéficiaires, mères de famille, sont le plus Š le manque d'efficacité des pratiques
souvent occupées aux travaux domestiques ou pédagogiques et l’inadéquation du système
champêtres. Les aspects liés au niveau scolaire d'évaluation ;
et à la spécificité des apprenants de l’éducation Š les mauvais traitements (cela a été
non formelle font que les formateurs particulièrement souligné par les jeunes
connaissent également certaines difficultés à apprentis des ateliers artisanaux)
communiquer : « problème de réceptivité », Š l’absence de pré-requis (lire et écrire,
« barrière de la langue », etc… calculer, etc.) chez les apprenants ;
Š l’exiguïté de l’espace ;
Le deuxième type de problème rencontré, et l’un Š un volume horaire faible ;
des plus aigus, est lié au matériel et aux Š l’absence de certification ou de
supports. Les formateurs insistent tous sur le reconnaissance des compétences à la sortie et
manque de matériel, l’insuffisance des supports la limitation consécutive des débouchés.
L’éducation non formelle
65
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

™ Anciens apprenants peut difficilement s’émanciper et rayonner au-


Les anciens apprenants en alphabétisation delà des réseaux de l’économie populaire.
identifient, comme la principale limite de Même lorsque les compétences sont avérées,
l’éducation non formelle, le manque de suivi et elles ne peuvent donner lieu à une valorisation
d’accompagnement après la formation. Cela a sociale ou professionnelle dans la sphère de
pour principale conséquence de produire, pour l’économie « moderne ». Il leur manque la
la plupart d’entre eux, un analphabétisme de certification de l’Etat. Ainsi, certains apprenants
retour. sortant des structures d’éducation non formelle
Chez les autres anciens apprenants et connaissent d’énormes difficultés pour s’insérer
apprentis (ateliers artisanaux et centres de dans le secteur privé. Etant considérés « sans
formation pratique), le manque d'outils de travail diplôme », ils sont utilisés pour des emplois
et la cherté du matériel reviennent comme une « sous-qualifiés ». De même, ceux qui
litanie lorsqu'on les interroge sur les entraves à maîtrisent les langues nationales s’intègrent
leur insertion socio-professionelle. D’autres difficilement dans un monde où le français
limites sont également évoquées : « domine » les rapports socio-professionnels.
Š les risques d'accident du travail et les Il s’y ajoute certaines faiblesses intrinsèques
mauvaises conditions d'apprentissage ; aux programmes ou aux initiatives d’éducation
Š le manque de moyens et la difficulté à et de formation non formelle. Le « suivi
ouvrir son propre atelier ; disparate» ou inexistant, l’« absence de fond de
Š la saturation du marché de l’emploi. réinsertion » participent à « l’absence de
perspectives pour l’après formation ».
™ Parents
Malgré leur satisfaction globale, ils restent très Les expériences d’éducation non formelle
critiques envers l’éducation non formelle et procèdent le plus souvent des principes d’équité
relèvent comme principales faiblesses : et de solidarité sociale. Leur grande souplesse
Š le manque d’organisation ; et leur ouverture aux plus défavorisés font que
Š le manque de matériels et d'outils ; souvent les moyens existants sont largement
Š l’inexistence d’appui pour se perfectionner ; en-deçà des besoins réels. Cette insuffisance
L’absence de certification (diplôme reconnu) ; de moyens se traduit par :
Š la dureté des conditions de travail et ● des difficultés dans la prise en charge des
d'apprentissage ; formateurs (salaires) et donc de motivation à
Š la recherche du profit et les impératifs de long terme des acteurs (conditions d’exercice et
production qui dominent les aspects besoins sociaux) ;
pédagogiques ; ● des espaces et locaux inadaptés ;
Š le manque de suivi planifié et organisé des ● une durée de formation souvent écourtée ;
enfants. ● des moyens de mise en œuvre limités
(matériel et supports didactiques).
™ Formateurs
Malgré ses apports et l’implication des différents Enfin, une dernière caractéristique a été
acteurs sociaux, l’éducation non formelle reste largement citée comme limite de l’éducation non
le plus souvent « royalement » ignorée par formelle, il s’agit du déficit de formation du
l’Etat. La principale limite évoquée ici par les personnel d’encadrement. La qualité s’en
formateurs est liée au manque de ressent dans beaucoup de cas où il s’agit plus
reconnaissance et de valorisation des produits d’occuper les enfants que de les éduquer.
de l’éducation non formelle :
Š absence de reconnaissance des diplômes
délivrés ;
Š absence de reconnaissance officielle des
structures qui rend malaisée une insertion ou
une réintégration dans l’éducation formelle -
pour les établissements qui se donnent cette
finalité bien entendu.

Dans ces conditions, l’éducation non formelle


L’éducation non formelle
66 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

2.2 Résultats des expériences en artisanaux (18) et de l'Ecopole (8) ont le projet
terme d’insertion professionnelle de s’installer et de travailler à leur propre
et d’intégration scolaire compte. Ce qui confirme le rapprochement déjà
fait entre ces deux types de structure. Ce projet
A partir des entretiens que nous avons eus avec motive également les apprenants qui se
ces différents acteurs, il est possible d’avoir une trouvent dans les centres d'enseignement
idée plus précise des résultats et de l’impact de technique féminin (couture, crochet, etc.)
ces expériences d’éducation non formelle en comme NOSE ou le Centre de Couture Benn
terme d’insertion socioprofessionnelle et de Barak.
réintégration scolaire. Ce n’est pas le cas pour les apprenants de
l'ACAPES et du CIFOP. Pour l’ACAPES, cela se
2.2.1. Projets et stratégies des comprend. Cette structure a pour principale
apprenants et des apprentis vocation de « récupérer » des apprenants ayant
connu une interruption de leur scolarité et de les
Quels sont les projets des apprenants et des préparer à réintégrer l'école formelle par le biais
apprentis, engagés dans des expériences des examens nationaux (BFEM, BAC). Par
d’éducation non formelle, une fois qu'ils auront contre, le CIFOP est une structure de formation
terminé leur formation ? professionnelle et prépare normalement ses
apprenants à une insertion directe dans le
Tableau 6 : projet après formation des apprenants monde du travail. Les apprenants du CIFOP
et des apprentis s'attendent donc plus à être recrutés dans des
Projet Taux entreprises modernes qu'ils ne sont enclins à
M’installer et travailler à mon s'installer à leur propre compte. Cela peut être
propre compte 42% expliqué par le fait que les apprenants du
Chercher du travail 19% CIFOP ont, par rapport aux apprentis, des
Suivre une autre formation 16%
Retourner à l’école formelle 8%
ateliers artisanaux proches de l'économie non
Je ne sais pas 1% formelle, une meilleure reconnaissance de leurs
Autre 4% compétences (diplômes d'état et diplôme
Sans réponse 10% d'école).
TOTAL 100%
C’est dans les structures de formation qui sont
proches de l’économie populaire que l’on
La plupart des apprentis et des apprenants
retrouve le plus de jeunes motivés pour
souhaitent devenir autonomes en s'installant à
s’installer à leur propre compte à la fin de leur
leur propre compte, probablement en créant
formation, et ainsi plus portés à une certaine
une petite structure artisanale.
autonomie et à la “débrouillardise”. Ils sont
d’autant plus éloignés des sphères de
Le tableau ci-dessus donne une idée des
l’économie dite formelle qu’ils n’ont pas de
tendances en ce qui concerne les projets des
diplômes reconnus par les entreprises
apprenants à la fin de leur formation, mais il
modernes. Mais les difficultés à disposer des
serait utile d'en faire une lecture différentielle en
moyens nécessaires à l’autonomisation font
fonction des structures d'origine et donc de la
que ce projet d’autonomie ne se réalise que sur
nature et des conditions de la formation.
le long terme.
2.2.1.1 Des projets d'insertion fortement liés
à la nature des structures fréquentées et du Š Le projet de "Chercher du travail sur le
type de formation marché" se retrouve justement dans les
projections d'apprenants de structures comme
Pour mieux caractériser les projets des le CIFOP, le CAMG de BOPP et l'ACAPES (qui
apprenants et des apprentis en rapport avec offre également des formations similaires à
leur contexte de formation, nous avons effectué celles des centres d'enseignement féminin en
un croisement dynamique entre le type de projet couture mais aussi en santé communautaire).
et la structure de formation.
Š Le projet de "retourner à l’école (EF)", nulle
Š Les deux tiers des apprentis des ateliers part envisagé dans les ateliers artisanaux,
L’éducation non formelle
67
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

intéresse surtout les apprenants des écoles père ou un proche parent, soit l'appui de la
communautaires ou IPE (7) ; les résultats structure (TOSTAN, ACAPES) ou du patron.
enregistrés pour l’ACAPES (1) restent très Pour ce dernier aspect, il s’agit surtout des
faibles ; apprentis des ateliers artisanaux, ce qui n’est
pas sans rapport avec une pratique naguère
Š En effet, les apprenants de l'ACAPES (6) bien établie par laquelle le patron, lorsqu’il
sont plus enclins à vouloir "suivre une autre « libère » l’apprenti, lui remet en même temps
formation". Après avoir obtenu leur diplôme, ces une caisse à outils pour qu’il puisse se mettre à
apprenants sont plutôt intéressés par des son propre compte.
formations professionnelles courtes (genre
DUT). On note quelques projets dans ce sens D’autres (11%) développent des stratégies plus
au niveau des ateliers artisanaux (3) et chez les autonomes : achat progressif d’outils, collecte
apprenants de TOSTAN (3), dans les IPE (1). de fonds ou examens pour ceux qui veulent
continuer des études à l’université ou dans les
2.2.1.2 Des stratégie(s) de mise en œuvre instituts supérieurs de formation professionnelle
encore floues du supérieur.
Un certain nombre d’apprenants (9%)
pensent qu'il s'agit surtout d'être sérieux
et persévérant dans l'apprentissage afin
de maîtriser son métier. D’autres (7%)
enfin pensent y parvenir à travers un
certain nombre de démarches
administratives (demande d’emploi et de
stage) devant aboutir à un recrutement
direct.

2.2.1.3 L'intégration ou la réintégration


scolaire est-elle à l'ordre du jour ?

Les apprenants et apprentis ont-ils envie


d'intégrer ou de réintégrer le système
éducatif formel? Le cas échéant ce vœu
a-t-il des chances de se réaliser ? Les
passerelles entre les divers espaces
d'éducation existent-elles ? Sont-elles
connues et accessibles ?
"Avez-vous envie d'aller ou de retourner
à l'école ?" Les réponses à cette question sont
Si les vœux sont assez clairement formulés, la majoritairement négatives. A ce niveau
question de "comment y parvenir", elle, laisse également, il est intéressant d'examiner d'un
percer un certain attentisme ou fatalisme de la peu plus près les réponses, notamment en
part des apprenants et des apprentis. tenant compte du profil des différents types
d'apprenants.
Si on regroupe les réponses « je n’ai pas Tableau 7 : motivation pour un retour dans le
encore pensé à ça » (12) et les nombreux sytème formel
« sans réponse » (49), on peut conclure que la Avez-vous envie d’aller ou de Taux
majorité d’entre eux (57%) n’ont pas une idée retourner à l’école ?
claire des moyens à mettre en œuvre pour Oui 38%
transformer leur projet en réalité. Certains Non 62%
TOTAL 100%
également préfèrent s’en tenir à la « volonté
divine ». En effet les réponses des apprentis (ateliers
artisanaux) peuvent-elles être analysées au
Certains apprenants (14%) comptent également même niveau que celles des apprenants du
sur le soutien d’un tiers pour y parvenir : soit le CIFOP ou des adultes participants aux
L’éducation non formelle
68 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

programmes d'alphabétisation ? formel est une solution inadéquate pour elles,


En croisant les données ci-dessus avec les cinq vu leur profil et plus particulièrement leur
grands types d’éducation non formelle moyenne d’âge.
identifiés, nous obtenons les résultats suivants :
Le nombre d’apprenants et d’apprentis qui n’ont 2.2.1.4 La contrainte de l’âge, principale
entrave à la (ré)intégration scolaire…
Graphique 19 : avez-vous envie de retourner à l’école ?
réponse par rapport au type de formation (apprenants/apprentis)
La principale entrave est l’âge avancé
des apprenants et des apprentis.
Alphabétisation des adultes L'éducation devrait être davantage
Enseignement technique féminin conçue comme un processus qui dure
Formationprofessionnelle
toute la vie et les politiques officielles
gagneraient à prendre cet aspect en
IPE
compte.
Atelier artisanaux Les quelques solutions esquissées par
le Ministère de l’Education Nationale,
0% 20% 40% 60% 80% 100%
notamment les écoles communautaires
Oui Non de base et les programmes
d'alphabétisation, ne semblent pas
pas le projet de réintégrer le système formel est bénéficier du même statut ou du même
le plus important en valeur absolue (25) dans traitement que les autres aspects du système
les ateliers artisanaux et à l'Ecopole. En effet, officiel (surtout en terme de certification, de
ces derniers estiment que leur apprentissage
actuel les dotera de toutes les compétences Graphique 20 : entraves à la (ré)intégration
nécessaires pour subvenir à leurs besoins. du système scolaire
On pourrait penser a priori que l'école formelle Manque de
Absence de
n’a aucun intérêt pour eux. Cependant un moyens
structures
nombre conséquent d’entre eux (13) affirme financiers
adéquates
avoir envie d’y retourner. Cela peut être lié au 6%
14%
fait que la plupart des apprentis concernés ont
Age trop
eu à fréquenter l'école élémentaire, et qu’en avancé
majorité, ils déclarent en garder un bon 53%
souvenir. Ils pensent également que Besoin non
l'enseignement de type général qui y est ressenti
27%
dispensé serait important pour leur permettre de
maîtriser certaines notions utiles en situation reconnaissance et de valorisation des
professionnelle (calculs liés à la mesure, coupe, apprentissages).
etc.). Cela leur permettrait également d'être
davantage éveillés (culture générale). 2.2.2 Résultats des apprentissages en
Néanmoins, presque tous affirment en même terme de capacités
temps qu'il leur sera impossible de réintégrer le
système formel. Les entretiens que nous avons eus avec les
Les taux enregistrés au niveau des femmes jeunes en situation d’apprentissage ont
adultes du programme de socio-alphabétisation également permis d’avoir une idée plus précise
(Enda GRAF) sont également révélateurs. des résultats de leur formation en terme de
Presque toutes répondent par la négative (19 capacités techniques et professionnelles.
sur 22). D’une part, les apprentissages sont
fonctionnels et liés au développement d'activités Les catégories appliquées ici conviennent
économiques ; d'où la conscience que les surtout aux apprentis des ateliers artisanaux et
compétences acquises dans le cadre du à ceux qui sont dans les centres de formation
programme peuvent leur servir à renforcer et à professionnelle. Les réponses des apprenants
améliorer les projets qu'elles mènent au niveau en alphabétisation seront donc traitées à part.
de leurs groupements. D’autre part, et surtout,
l’intégration ou la réintégration du système
L’éducation non formelle
69
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

2.2.2.1 résultats des ateliers artisanaux en Les résultats sont manifestement corrélés à
terme de capacités l'ancienneté. Au niveau des ateliers artisanaux,
la moyenne d'ancienneté est de 3 ans pour les
Chaque performance implique que soit déjà sujets qui atteignent le sixième niveau de
assise celle qui la précède; ainsi, l'apprenti qui capacité, alors qu’elle est de 1 an pour ceux qui
répond "je peux fabriquer un ouvrage tout seul" déclarent être au premier niveau.
répond en même temps "je peux assister le Il arrive que des apprentis, malgré un temps
patron pour fabriquer un ouvrage"; "je peux d’apprentissage court, parviennent à des
assister le patron pour réparer un ouvrage", etc. niveaux élevés de capacité. Dans ce cas, il faut
Aussi, y a-t-il lieu d'affiner ces premiers résultats tenir compte de la nature de la formation, en
par un cumul décroissant des taux par particulier de la "nature de l'ouvrage à réaliser".
catégorie. C'est le cas par exemple des apprentis de
l’Ecopole. Huit d’entre eux atteignent le sixième
Tableau 8 : résultats des apprentissages en
termes de capacité (atelier artisanaux)
niveau de capacité, avec une durée moyenne
Types d’attente Taux
de formation d’un an. Cela s'explique par le fait
qu'ils réalisent, sur la base de produits
Je peux assister un patron dans la
récupérés (sachets plastiques, bouts de tissus),
réparation d’un ouvrage 36%
Je peux réparer un ouvrage seul 12% des ouvrages assez simples en terme de
Je peux assister un patron dans la technologie (crochet sur plastique, "poupeterie",
fabrication d’un ouvrage 20% etc.).
Je peux fabriquer un ouvrage seul 12%
Je peux assister un patron dans la 2.2.2.2 résultats des programmes
conception et la fabrication d’un
d'alphabétisation en terme de capacités
ouvrage 4%
Je peux concevoir et fabriquer un
ouvrage seul 16% A ce niveau, on recense évidemment d'autres
TOTAL 100% types de capacités au terme des
apprentissages. D'abord ce qui revient le plus
La forme du graphique fait bien apparaître fréquemment, ce sont les connaissances et
l'évolution des acquis en fonction des niveaux compétences instrumentales : lecture, écriture
d'apprentissages. Les capacités correspondant et calcul.
aux compétences les plus complexes sont
évidemment les moins représentées. On peut Elles sont le plus souvent mises en relation
présager qu’elles dépendent des qualités des avec des compétences fonctionnelles pour
différents apprentis / apprenants, mais aussi et lesquelles ces capacités servent de base :
surtout du temps d'apprentissage. Il y a Š gérer une boutique, transformer des fruits
également lieu de s’interroger sur le rapport et des légumes, faire du commerce et de
entre les compétences acquises et l'ancienneté l'élevage ;
dans la formation. Š mettre sur pied un groupement ;
Graphique 21 : résultats en terme de capacité des apprenants / Š faire du reboisement, résoudre les
apprentis problèmes d'environnement, agir dans
le quartier, sensibiliser les autres ;
Š connaître ses droits et devoirs et
Assister une réparation pouvoir sensibiliser les autres à ce
Réparation autonome sujet ;
Assiter une fabrication
Les apprentissages ont également un
Fabrication autonome
impact sur la vie quotidienne et le
Assister une conception
développement personnel de l'individu
Conception autonome si on en croit la fréquence des
0 5 10 15 20 25 réponses du type: ouverture d'esprit,
savoir-vivre, savoir se comporter,
autonomie, etc.
L’éducation non formelle
70 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

2.2.3. Une insertion "naturelle" dans 2.2.3.2 Difficultés d’insertion socio-


l'économie populaire ? professionnelle

Le parcours des anciens apprentis permet de On peut retenir que l'éducation non formelle
dégager quelques hypothèses quant aux tend à absorber ses propres produits. Les
possibilités réelles d’insertion des jeunes en sortants ne restent pas inactifs. Au terme de leur
situation d’apprentissage dans les ateliers formation, ils poursuivent leurs activités dans
artisanaux. leur domaine de compétence. Mais le plus
souvent, il ne s'agit en fait que d'une
2.2.3.1 Une insertion apparemment facile… "occupation" et le chemin est long et plein
d'embûches avant de parvenir à un exercice
Si on s'intéresse aux anciens apprentis, autonome et rentable de leur métier.
certaines données, à défaut d'une étude de flux Pour la plupart, ils ne connaissent pas de
plus exhaustive, renseignent sur les difficultés à s'insérer dans le tissu
perspectives d'insertion socioprofessionnelle de socioprofessionnel, puisqu'ils sont presque tous
cette catégorie. Aucun d’entre eux n’est resté soit recrutés par le patron d'atelier qui les a
oisif après sa formation. Chacun a pu trouver un formés, soit recommandés à un autre patron.
créneau dans lequel s'insérer. Par contre, les difficultés sont nombreuses
La grande majorité des anciens apprentis (84%) lorsqu’il s’agit de s'installer à son propre
se sont insérés dans des ateliers artisanaux, la compte, au lieu d'être simplement "exploités"
plupart comme assistants, certains à leur propre par les "patrons" comme c'est souvent le cas.
compte. D'où le fait apparemment contradictoire que la
Tableau 9 : principales activités depuis la fin de plupart des anciens appentis qui répondent
l’apprentissage (anciens apprentis) négativement à la question « Avez-vous eu des
Types d’attente Taux difficultés d’insertion ? » se prononcent tout de
Travail dans une entreprise même sur la nature de celles-ci – étant sous-
“moderne” 9% entendues qu’il s’agit en fait de la nature des
Travail chez le patron qui m’a difficultés qui ne leur ont pas permis de réaliser
formé 36% leur projet d’atelier autonome.
Travail chez un autre patron 34%
Je me suis installé à mon compte 13% Tableau 10 : principale motivation à l’entrée en
Rien du tout 0% formation (anciens apprentis)
Une formation complémentaire 3% Types d’attente Taux
Autre (une occupation plus Créer mon propre atelier 40%
conforme à ma vocation) 5% Travailler comme employé dans un
atelier artisanal 8%
On remarque cependant, qu'ils sont Travailler dans une entreprise
généralement loin d'avoir atteint le but qui les moderne 14%
Ne pas rester oisif 27%
motivait à l’entrée en formation. Dans l’optique
Autre 11%
de subvenir à leurs besoins socio-économiques,
leur principale motivation était de s’établir à leur Ainsi, c’est surtout l’absence de matériel (outils
propre compte en créant un atelier. Ils sont de travail, machines, etc.) et de finances pour
seulement 13% à y être parvenu (Tableau 9) un premier investissement (local, électricité,
alors que 71% sont encore assistants soit avec etc.) qui empêchent les anciens apprentis
le patron qui les a formés, soit avec un autre). d’atteindre leur objectif d’autonomie. Cela
Une minorité d’entre eux s’intègrent dans les d'autant plus que durant leurs apprentissages,
entreprises modernes ou effectuent une ils ne reçoivent pas de subsides conséquents
formation complémentaire. de la part de leurs patrons. Il est rare également
Concernant les apprenants des programmes qu’ils aient une culture d’épargne et de
d'alphabétisation fonctionnelle, la presque planification de leurs projets d’avenir…
totalité déclare n'avoir eu aucune activité depuis Parmi les difficultés citées, apparaissent
la fin de leur formation. Ils attendraient toujours également l’absence de reconnaissance
les financements promis comme mesure officielle des compétences acquises et les
d'accompagnement au moment de la formation. contraintes administratives ; ce qui fait que la
L’éducation non formelle
71
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal

plupart d’entre eux n’envisagent également pas complémentaire. Pour eux121, le


de travailler dans une entreprise « moderne ». perfectionnement se fera avec l'expérience122…
Les principales raisons évoquées sont les
Tableau 11 : difficultés d’insertion à la fin de
l’apprentissage (anciens apprentis) suivantes : l'absence de besoin ressenti, le
Avez-vous eu des difficultés Taux manque à gagner et les pertes de temps que
d’insertion ? cela occasionne. Un certain nombre d’entre eux
Oui 38% répondent "je ne sais pas", en général parce
Non 55% que c'est une perspective à laquelle ils n’avaient
Sans réponse 3% pas pensé.
Comme pour les apprentis et les apprenants en
cours de formation, les stratégies à développer
2.2.3.3 Comment envisagent-ils leur avenir à pour atteindre les objectifs professionnels ne
court et moyen terme ? sont pas très clairement formulées. Il n'y a pas
de plan de carrière proprement dit : les
Pour la plupart des anciens apprentis intéressés comptent surtout se "débrouiller".
interrogés, le principal objectif est de parvenir à Certains restent pendant 5 à 10 ans assistants,
l'autonomie le plus rapidement possible, en jouant les seconds rôles ; ou alors, ils gèrent
résolvant l’équation des moyens nécessaires à effectivement l'atelier, tandis que le "patron" se
cela. limite à jouer un rôle de "propriétaire", donnant
des directives et encaissant les bénéfices
Tableau 12 : nature des difficultés rencontrées réalisés…
(anciens apprentis)
difficulté fréquence Tableau 13 : motivation pour une formation
Moyens (matériels, financiers) 13 complémentaire
Patron (exploitation) 2 perspective de formation fréquence
Clientèle 1 complémentaire
Filières et structures 4 Oui 17
Manque d’appui 5 Non 25
Sans objet 21 Je ne sais pas 7
Sans réponse 3

Une minorité d’entre eux a probablement le Les parents non plus ne semblent pas habitués
même objectif, mais compte s'y prendre à prendre des dispositions pour préparer ou
autrement, notamment par l'émigration que faciliter l'insertion de leur enfant à la fin de la
certains préparent en épargnant la plupart de formation. Leur principale préoccupation est
leurs gains. D’autres entendent mettre l'accent qu’il puisse avoir une qualification. Chez
d'abord sur le perfectionnement de leur certains, il s’agit simplement d'éviter l'oisiveté
formation ou attendent tranquillement de ou la délinquance .
reprendre une affaire familiale (héritage).
Les anciens apprenants du programme Le tiers des parents rencontrés déclarent
d'alphabétisation fonctionnelle d’Aide et Action / penser à un certain nombre de dispositions pour
Ecoliers du Monde ont développé une stratégie faciliter l’insertion de leur enfant en formation,
différente en optant pour le regroupement en mais le détail de ce "projet" reste souvent assez
GIE. Ce type de structure leur permettra à la fois vague :
d’avoir accès au crédit et à des formations Š appui matériel, financier ou logistique (5) ;
qualifiantes. En attendant une reconnaissance
officielle et un appui financier, ils cotisent pour 121 Il s'agit principalement des anciens apprenants
permettre à l'un d'entre eux de participer à une des programmes d'alphabétisation (11 sur 14) et
formation complémentaire en teinture, à charge des anciens apprentis des ateliers artisanaux (14
sur 24).
pour ce dernier d'initier les autres membres à la 122 Ceux qui sont intéressés se réfèrent à la
fin de son apprentissage. nécessité du perfectionnement professionnel,
l'utilité de certaines connaissances instrumentales
Globalement, les anciens apprentis et (pour savoir faire des devis, factures, etc.) et
apprenants n’intègrent pas, dans leurs l'intérêt de l'échange d'expérience pour un chef
stratégies de développement, une formation d'atelier.
L’éducation non formelle
72 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle

Š réintégration de structure d’éducation éducatifs et la vie. Il s’agit d’expériences qui


formelle ou formation qualifiante (4) ; touchent en plein cœur le sens même que les
Š démarches pour son insertion dans un personnes impliquées donnent à leur vie, à son
atelier ou une entreprise (4) ; orientation et à ses finalités.
Š préparation pour assurer la relève de Au-delà des tentatives d’analyse, on se retrouve
l’atelier familial (2) ; face à des données difficiles à quantifier, à
Š soutien, conseils, encadrement (1) ; mesurer ou à capitaliser en terme d’impact. Car
Š études à l'étranger (1). si « impact » il y a, il s’agit de résultats globaux,
Près de la moitié par contre avouent qu'ils n'ont qui doivent autant aux programmes initiés qu’au
pris aucune disposition en ce sens, pour l'une dynamisme même des acteurs, à la manière
des raisons suivantes : dont ils s’approprient les actions et les
Š « manque de moyens » (7) ; prolongent dans d’autres domaines de leur
Š « je n’y ai jamais pensé » (7) ; existence, sans qu’on puisse de façon absolue
Š « je ne sais pas quoi faire » (7) ; suivre à la trace les cheminements en terme de
Š « je m'en remets à la volonté divine ou à la variables, de facteurs et de déterminisme strict.
chance » (3) ; La plupart des apprenants mettent en avant des
Š « je compte sur l’aide de mon patron » (1). acquis comme la confiance en soi, l’éveil, la
solidarité, autant d’éléments dont on ne peut
Tableau 14 : projet d’insertion à la fin de enfermer les trajectoires et les manifestations
l’apprentissage (parents) dans des analyses statistiques qui
réponse fréquence appauvrissent ce qui n’existe que dans
Oui 18 l’intensité et l’immanence. Comme cet
Non 25 apprenant du Village Empowerment Program
Sans réponse 8
(VEP) de TOSTAN qui évalue l’impact de la
TOTAL 51
formation (fondée sur les droits humains) en ces
termes « En tous cas, je sais que maintenant, il
Au total, il apparaît que l’éducation non formelle sera difficile de me tromper sur les choses de la
offre un certain nombre de solutions et regorge vie ». Quelle autre « éducation » serait plus
de ressources éducatives. La principale valeur utile ?
qui la traverse est la liaison entre les actes
L’éducation non formelle
73
Conclusions et recommandations au Sénégal

certaines orientations peuvent faire l’objet de


3ème partie : discussions, cela constitue un acquis
conclusions essentiel123.
et recommandations b. la diversité des expériences : richesse et
dynamisme de l’éducation non formelle
Un ensemble d’hypothèses, à approfondir pour
le renforcement de l’éducation non formelle, L’éducation non formelle au Sénégal tente
ressort de l’évaluation de ces expériences et de d’apporter des réponses aux nombreux besoins
l’analyse globale de ce secteur. Pour mieux d’éducation et de formation, en s’adressant à
connaître et maîtriser celui-ci, il faudra des publics de tous âges (de la petite enfance à
parallèlement réfléchir aux modalités d’un l’âge adulte) et de toutes catégories
système de capitalisation, de suivi et (scolarisés/déscolarisés/non-scolarisés,
d’évaluation qui lui sera consacré. urbains/ruraux, hommes/femmes, etc…). Elle
procède également de différents modèles
éducatifs.
3.1 Evaluation globale et propositions Cette grande diversité de situations, d’acteurs,
pour le renforcement de l’éducation d’objectifs et de paradigmes en fait un secteur
non formelle éducatif riche et dynamique.

Les propositions pour un renforcement de c. le primat des méthodes actives et


l’éducation non formelle doivent partir d’une participatives
évaluation critique des principales forces et
faiblesses de ce secteur. L’analyse de différentes expériences
d’éducation non formelle montre que la richesse
3.1.1 les forces de l’éducation non de celle-ci est en grande partie liée à la nature
formelle des méthodes mises en œuvre. Une des
tendances de l’éducation non formelle est de se
L’expansion récente de l’éducation non formelle construire progressivement en relation avec les
au Sénégal est la preuve que celle-ci est un besoins et le profil des publics concernés. Cette
secteur dynamique et porteur, pouvant grande souplesse permet l’expérimentation de
contribuer aux objectifs d’éducation pour tous, méthodes pédagogiques actives et
ainsi qu’à la démocratisation et à la participatives. La relation pédagogique verticale
décentralisation de la société sénégalaise. Ses qui caractérise le système formel (savoir maître
principales forces sont, à notre avis, les élève) et dont l’objectif principal est
suivantes : d’« imprimer » à l’élève un ensemble de
connaissances et d’attitudes, est renversé à
a. une volonté politique affirmée et partagée l’horizontal : l’apprenant détermine avec la
personne ressource un ensemble d’objectifs et
Sur la base d’une analyse critique du système de contenus pédagogiques devant faire l’objet
formel et de l’identification de ses principales d’une appropriation collective complète.
limites, les acteurs de l’éducation au Sénégal se
sont engagés dans la recherche d’alternatives à d. Le renforcement des processus
travers différentes expériences d’éducation non endogènes et réappropriation des fonctions
formelle. Le développement de celle-ci part d’éducation et de formation
d’une volonté politique effective – elle se traduit
par des programmes d’actions concrets – et Cette configuration de la relation pédagogique
combinée – elle associe les autorités
administratives et les entités de la société civile.
123 Elle correspond à la 1ère stratégie du Cadre
Toutes les personnes rencontrées au cours de
l’étude sont unanimes sur ce point. Les objectifs d’Action de Dakar : « Susciter, aux niveaux national
et international, un puissant engagement politique
opérationnels décrits dans le PDEF concernant
en faveur de l’éducation pour tous, définir des plans
l’éducation non formelle supposent que d’action nationaux et augmenter significativement
l’engagement de l’Etat se poursuivra. Même si les investissements dans l’éducation de base. »
L’éducation non formelle
74 au Sénégal Conclusions et recommandations

permet à l’éducation non formelle de « coller » 3.1.2 les faiblesses de l’éducation non
aux composantes sociales constituant son formelle
public et aux problèmes auxquels elles sont
confrontées. L’éducation non formelle se L’expansion de l’éducation non formelle et son
construit en relation directe avec les efficience sociopolitique restent cependant
dynamiques de développement. Elle participe à assez faibles – vu les potentialités de ce
l’élaboration et à la mise en œuvre de stratégies secteur. L’éducation non formelle fait face à des
de lutte contre la pauvreté. obstacles et à des limites de premier ordre :
L’impact de l’éducation non formelle sur les
conditions de vie permet en retour de renforcer a. une volonté politique circonscrite et
les processus endogènes de lutte contre la ambiguë
pauvreté. Les problèmes de développement ne
sont plus perçus uniquement comme les La volonté politique de l’Etat et des
conséquences de politiques de prédation organisations d’appui demeure limitée et
extérieure. Les entités individuelles et ambiguë. D’une part, elle ne prend pas en
collectives, en accédant davantage aux savoirs compte l’ensemble des formes d’éducation non
et aux compétences, parviennent également à formelle. Les modèles coraniques et
une compréhension plus fine des mécanismes traditionnels restent fortement marginalisés,
produisant leur propre pauvreté, de leur part de ainsi que les initiatives populaires d’éducation et
responsabilité dans ce processus et des de formation liées à l’économie populaire et aux
possibilités de résister et d’enrayer cette associations locales. D’autre part, le système
paupérisation. On assiste à une sorte de formel et ses nombreux dysfonctionnements ne
révolution « copernicienne » qui, portée par une sont pas remis en cause par le développement
réappropriation des fonctions d’éducation et de d’expériences éducatives plus adaptées aux
formation – gage de créativité sociale, besoins des publics marginalisés et aux réalités
technique, politique et culturelle -, se traduit par socioéconomiques. L’éducation non formelle est
une reconfiguration sociale et politique. davantage conçue comme un moyen éphémère
limité à certains publics pour atteindre les
e. modélisation partielle des démarches et objectifs de scolarisation et d’alphabétisation
des supports pédagogiques universelles. Il existe très peu de ponts entre le
système formel et l’éducation non formelle
Après plus d’une décennie d’expérimentation, concernant les approches méthodologiques et
de nombreux programmes d’éducation non pédagogiques.
formelle sont parvenus à un niveau de
maturation qui leur permet de modéliser leurs b. un secteur à deux vitesses ?
démarches et leurs supports pédagogiques.
C’est particulièrement le cas des ONG Cette politique a pour conséquence le
nationales et internationales dont la production morcellement, le cloisonnement et la
méthodologique et didactique est devenue hiérarchisation des expériences d’éducation
conséquente – avec une prise en compte non formelle. En fonction de leur intégration
accrue des langues nationales : modules de dans les filières financières et politiques, les
formation de TOSTAN ; journaux, manuels structures d’éducation non formelle ont plus ou
d’ADEF Afrique et d’Aide et Action ; ouvrages moins accès aux informations et aux ressources
méthodologiques et outils pédagogiques nécessaires à leurs activités. Cela provoque
d’ENDA TM, etc. des déséquilibres importants entre structures. Il
se construit ainsi un système à double vitesse
avec une première catégorie d’entités dont les
objectifs et les contenus éducatifs
correspondent à la « norme » éducative
dominante (modèles « modernes ») et qui
disposent d’une reconnaissance et de moyens
institutionnels importants – il s’agit
principalement des ONG internationales et
nationales ; une seconde catégorie d’entités qui
L’éducation non formelle
75
Conclusions et recommandations au Sénégal

par leur petite taille ou par leur projet éducatif, n’est pas possible de changer la société en
ne sont pas considérées par les décideurs travaillant seulement dans la marge et en
comme porteuses ou pertinentes. Les laissant en place les rapports entre acteurs,
structures de formation « informelle », les notamment entre "centre" et "périphérie".
entités coraniques et traditionnelles ne Malgré leur proximité avec les bénéficiaires et
bénéficient souvent d’aucun appui matériel l'utilisation de méthodes actives et
et/ou méthodologique. participatives, la plupart des expériences
innovantes et alternatives voient leurs "produits"
c. limites en termes de moyens et de qualité se heurter, au final, sur un monde et une
organisation sociopolitique qui ne prennent pas
Ces déséquilibres se traduisent par des limites en charge leurs besoins et leurs aspirations.
importantes en termes de moyens et de qualité. Leurs "connaissances" et leurs "compétences"
A ce niveau, trois points retiennent ne sont ni reconnues ni valorisées, devenant du
particulièrement notre attention : l’accès même coup "inutiles".
restreint et l’inadaptation des formations des
formateurs (reproduction de la prévalence e. des résultats et des impacts difficiles à
intellectualiste, absence de support didactique), évaluer
l’insuffisance du matériel didactique et
pédagogique, la faible valorisation des acteurs, Il reste que les résultats et les impacts de
en particulier du personnel souvent bénévole ou l’éducation non formelle restent très difficiles à
volontaire. évaluer. La partialité des données quantitatives,
Même si certaines initiatives sont en cours pour l’absence d’analyse qualitative portent préjudice
remédier partiellement à ces lacunes (il s’agit en à ce secteur, en laissant certaines de ses
particulier du Programme de Formation de composantes dans l’anonymat.
Formateurs pour l’Enseignement de Base), Les nombreuses spécificités de l’éducation non
elles s’adressent surtout aux structures formelle doivent faire l’objet d’un système de
reconnues de la 1ère catégorie. Les entités capitalisation, de suivi et d’évaluation
marginalisées sont contraintes de développer spécifique. La présente étude montre l’ampleur
des stratégies de survie qui affectent de la tâche. Dans la perspective d’une
négativement la qualité de la formation (recours régénération, d’une reconstruction et d’une
à la mendicité, réduction des temps de harmonisation de l’éducation au Sénégal, elle
formation au profit de la production), lorsqu’elles paraît cependant inévitable.
ne disparaissent pas purement et simplement
comme les systèmes initiatiques.

d. efficacité réduite en termes de rendement


et d’impact socioéconomique

A contrario, les expériences qui sont reconnues


par l’Etat et les organisations d’appui, semblent
connaître une efficacité réduite en termes de
rendement (exemple des résultats dans le
domaine de l’alphabétisation) et d’impact
socioéconomique. Selon les personnes
ressources que nous avons rencontrées, cela
est lié à la fois aux limites des compétences
techniques des opérateurs qui souvent n’ont
pas été formés dans ce sens et au fait que le
champ de la post-alphabétisation soit encore
peu investi – les néo-alphabètes trouvant peu
de champ d’application pratique pour leurs
nouvelles connaissances.
On peut proposer une lecture plus « politique »
du faible impact de l’éducation non formelle. Il
L’éducation non formelle
76 au Sénégal Conclusions et recommandations

3.1.3 propositions pour un renforcement b. élargissement et redéfinition de cadres


et une extension de l’éducation non partenariaux au niveau local et central
formelle au Sénégal
L’identification de ces structures locales doit
La reconnaissance et le développement de être accompagnée de leur intégration dans les
l’éducation non formelle au Sénégal sont entités de concertation locales (CDCS et
relativement récents. Il s’agit d’un secteur en CRCS) et centrale (CSEF) prévues par le PDEF.
construction. Cela explique en partie les Pour ce faire, les différentes structures
faiblesses identifiées. Il faut dire également que pourraient renforcer leur organisation
l’expansion de ce secteur est en rapport direct horizontale par la création de collectifs locaux et
avec les limites du système formel. La plupart nationaux. Ces collectifs pourraient refléter la
des programmes se sont construits en relation diversité de l’éducation non formelle et
avec l’école formelle – essayant pour ainsi dire fonctionner comme des pôles ouverts et inter-
de « colmater les nombreuses brèches », sans reliés. Ces derniers mandateraient un ou deux
se référer à l’héritage des formes éducatives représentants au sein des entités de
coraniques et traditionnelles. Cependant, c’est à concertation. Cette participation aux instances
tort que l’on exclurait ces dernières. de décision est essentielle si l’on prend en
Sur la base des différents entretiens que nous compte les compétences des collectivités
avons eus avec les acteurs de l’éducation locales en matière d’éducation – celles-ci sont
formelle, nous avons pu élaborer un ensemble dans la plupart des cas restées jusqu’à présent
de propositions pratiques pour le renforcement inefficientes, faute de moyens et de contenus.
et l’extension de l’éducation non formelle au Un des rôles possibles de ces entités de
Sénégal : concertation locales seraient de nourrir les
cadres institutionnels de « matière » et de
a. identification, reconnaissance et « sens ».
valorisation des structures locales Il existe déjà des entités qui fédèrent des
d’éducation non formelle structures éducatives du même type :
association des formations de coin de rue et
Un travail préalable consiste à mieux identifier, collectif « éducation alternative » pour le milieu
reconnaître et valoriser les différentes associatif, responsables des confréries
expériences d’éducation non formelle. Si les religieuses pour les Daara, syndicats pour les
orientations et les actions des structures ateliers de formation aux métiers de l’économie
d’envergure internationale et nationale sont populaire, etc. Cet existant pourrait servir de
« visibles » et « lisibles », ce n’est pas le cas de base à une mise en réseau les impliquant
toutes les structures locales, qu’elles soient davantage dans les prises de décisions
associatives (ADQ, ASC), privées (ateliers de concernant l’éducation.
formation), coraniques (Daara) ou Ce renforcement organisationnel permettrait de
traditionnelles (sociétés initiatiques). consolider les identités éducatives et de créer
Il s’agirait d’approfondir la présente étude en des ponts entre celles-ci. Les différentes formes
établissant un répertoire exhaustif et évolutif de d’éducation ne sont pas exclusives, bien au
ces initiatives. Cette recherche pourrait être contraire.
confiée à une entité autonome d’appui au
secteur de l’éducation non formelle, qui serait c. appui à la modélisation et à la
une émanation du partenariat entre l’Etat et la démultiplication des expériences
société civile. Celle-ci servirait également de
trait d’union : d’une part entre les différentes Indubitablement, l’éducation non formelle ne se
entités d’éducation non formelle, d’autre part nourrit pas suffisamment d’elle-même. Le
entre l’éducation non formelle et le système décloisonnement des expériences passe
formel. Nous reviendrons plus tard sur les également par un appui spécifique (sous la
modalités institutionnelles et techniques d’une forme d’un programme national) à la
telle entité. modélisation et à la démultiplication des acquis
(organisationnels, méthodologiques,
pédagogiques, …).
L’éducation non formelle
77
Conclusions et recommandations au Sénégal

Le programme en question prendrait en charge d’activités et de programmes communs, accès


la conception, l’expérimentation, la validation, la aux systèmes d’information et de
production et la diffusion de supports communication.
méthodologiques, de matériels didactiques et Ces centres de ressources décentralisés
d’outils pédagogiques adaptés, émanant des pourraient être implantés dans chaque région
différentes expériences d’éducation non du Sénégal. Gérés conjointement par la société
formelle. Les produits de l’éducation non civile et l’administration décentralisée du MEN
formelle déjà existants pourraient constituer un (IA ou IDEN), ils disposeraient d’une grande
corpus de départ. Une fois identifiés, ils autonomie d’action, de réflexion et de
pourraient être expérimentés par une entité communication. Leur efficacité dépendrait en
neutre et compétente – l’INEADE associé à un partie de leurs moyens logistiques (NTIC,
collectif d’ONG par exemple. Selon les résultats véhicule) et de leurs ressources humaines
obtenus, ils seraient validés (à travers une (chercheurs et praticiens de l’éducation).
labelisation « éducation pour tous »), édités et
diffusés aux entités intéressées (système formel e. renforcement des relations entre
compris). éducation formelle et non formelle…

d. renforcement de l’appui aux structures Le système formel ne peut continuer à tourner


locales par la création de centres de sur lui-même. Il est impératif qu’il s’ouvre à
ressources éducationnelles décentralisées d’autres formes éducatives. Le potentiel qui
peut être dégagé de l’éducation non formelle,
Cette modélisation des acquis de l’éducation doit alimenter l’école « formelle » en contenus,
non formelle doit être accompagnée sur le en méthodes et en débouchés. Il s’agit à notre
terrain par la mise en place de centres de avis d’opérer plusieurs changements
ressources ouverts à l’ensemble des structures significatifs dans les relations formel-non
locales. Ces centres auraient pour principales formel :
fonctions : le renforcement du partenariat entre les écoles
la formation de formateurs suivant des modules formelles et les autres structures éducatives :
spécifiques et pertinents, expérimentés et formations et recherches-actions pédagogiques
labellisés suivant la démarche précédemment communes124 par la mise en place de cercles de
exposée ; réflexion pédagogique; diffusion des supports
la mise en œuvre de programmes décentralisés didactiques issus des deux secteurs; alternance
d’appui méthodologique et matériel : diffusion systématique des temps de formation formelle
de supports didactiques et pédagogiques et non formelle. Dans cette perspective, il paraît
adaptés au profil des structures ; renforcement indispensable de réfléchir à une systématisation
organisationnel (reconnaissance légale, des rapports formel – non formel dans le cadre
recherche de financement, mise en relation des du système à double-flux. Un partenariat entre
structures) ; appui à l’élaboration, la mise en les écoles formelles des zones urbaines et péri-
œuvre et l’évaluation des enseignements- urbaines – particulièrement affectées par le
apprentissages ; double-flux - avec les structures associatives,
élaboration et mise en œuvre de programmes privées et religieuses permettraient de répondre
de formation complets s’appuyant sur les de manière plus satisfaisante aux besoins
structures éducatives existantes ; proposant éducatifs des enfants les plus défavorisés et
aux apprenants et aux apprentis des cursus d’expérimenter une approche pédagogique
diversifiés intégrant formation professionnelle, originale alternant l’enseignement formel
enseignement traditionnel et/ou religieux, classique intra-muros et les apprentissages
alphabétisation en langues nationales et en non-formels extra-muros. Le système de
français ; développant des stratégies concrètes double-flux, au lieu de réduire comme c’est le
d’intégration socioprofessionnelle en rapport
avec les unités de production locales et 124 Soulignons qu’un programme de formation
l’Agence Nationale Pour l’Emploi récemment commun aux enseignants du formel et du non formel
créée ; vient d’être initié dans ce sens : PEEB (programme
la liaison avec les autres entités d’éducation non de formation d’enseignants pour l’éducation de
formelle et le système formel : élaboration base).
L’éducation non formelle
78 au Sénégal Conclusions et recommandations

cas actuellement les chances de réussite en compte la complexité et les problèmes de la


scolaire et sociale, ouvrirait d’autres société sénégalaise126.
perspectives de formation et d’insertion. Les Il est impératif d’aller dans le sens d'une
acquis institutionnels et méthodologiques de politique intégratrice et donc d’un
certains programmes d’éducation non formelle décloisonnement par rapport aux barrières de
(ACAPES, ENDA, ECB…) pourraient servir de "forme"127. Les acteurs de l’éducation au
base à une telle expérimentation. Sénégal doivent sortir du schéma réducteur
intégration des acquis de l’éducation non « formel-non formel ».
formelle (plus particulièrement dans les L’enjeu est de taille. L’école « formelle » se
domaines de la petite enfance et de la formation présente de moins en moins comme l’avenir. Le
professionnelle) : dignité éducative125 de système formel est en cours de
l’alphabétisation en langues nationales, "marginalisation" par les acteurs réels de
apprentissages basés sur la valorisation des l'économie et de la société. Pour éviter que
compétences et des savoirs locaux, méthodes l'évolution sociale aille dans le sens d'une
d’apprentissage actives et participatives, liaison disqualification de fait de cette école par les
entre apprentissages et stratégies de lutte populations128, il faudrait que la diversité cesse
contre la pauvreté, de produire la « cacophonie » éducative
reconnaissance légale des formations non actuelle, qui joue en dernière instance contre
formelles jugées pertinentes par un système de l'unité nationale. Une synthèse est à produire;
certification ayant des équivalences dans le cela demande que l'Etat joue un autre rôle, celui
formel et reflétant les compétences particulières de fédérateur des productions sociales en
à l’éducation non formelle (maîtrise des langues matière d'éducation – et non de concurrent et
nationales, techniques de fabrication liées aux d'opérateur face à ses citoyens.
métiers de l’économie populaire, connaissance Ce nouveau rôle implique un respect vis-à-vis
et pratique des enseignements religieux et de toutes les "formes" d'éducation et d'une
traditionnels, etc…). Cet aspect est essentiel valorisation de leur diversité. L’Etat doit
pour valoriser l’expertise propre à l’éducation conserver ses fonctions régaliennes : contrôler
non formelle, pour faciliter l’intégration des les initiatives, garantir la qualité des
enfants, des jeunes et des adultes formés dans enseignements-apprentissages.... Mais la
le système formel (soit comme apprenants, soit première d’entre elles reste la production d’un
comme personnes ressources) et dans le tissu système éducatif – et non simplement scolaire –
socioéconomique « moderne » et « populaire ». qui fasse la synthèse des expérimentations
sociales dans une vision large de ce qu'est
f. … en vue de construire un système l'éducation et qui porte un projet de société
éducatif synthétique reflétant les aspirations communes.

Il s’agit en fin de compte de mieux connaître et


d’organiser le secteur de l’éducation non
formelle, pour que sa diversité et son
dynamisme (reflet des multiples composantes
du Sénégal) alimentent le système formel. Il est
possible à partir des relations formel-non formel, 126 Cela implique, comme le souligne Penda Mbow,
de produire progressivement un système la construction d’un modèle de référence l’homo
synthétique - entre les modèles éducatifs - et senegalensis qui reflète l’essence
fédéré - entre les formes éducatives – multidimensionnelle et les aspirations du peuple
sénégalais.
d’éducation et de formation qui puisse prendre
127 Une étude réalisée dans le département de
Rufisque par Enda tiers-monde sur l’éducation à la
125 Cette expression est empruntée à Souleymane
citoyenneté et le partenariat éducatif montre bien
combien l'école formelle gagnerait à s'ouvrir et à
Bachir Diagne pour qui une des questions partager avec les expériences de la société civile, à
éducatives essentielles est le problème du double associer plus directement les populations dans la
langage dans l’enseignement. Comment parvenir gestion de l'éducation…
rapidement à la reconnaissance des langues 128 C'est déjà le cas dans les Daara du type de
nationales tout en préservant l’accès à une langue Xelcom qui se modernisent et prennent de plus en
universelle ? plus d'importance.
L’éducation non formelle
79
Conclusions et recommandations au Sénégal

3.2 Propositions pour la collecte de construire un système de capitalisation, de suivi


données, le suivi et l’évaluation de et d’évaluation qui prenne en compte toutes les
l’éducation non formelle au Sénégal composantes de l’éducation non formelle.

3.2.1 Analyse sommaire de l’existant 3.2.2 Cadre méthodologique

Comme nous l’avons vu au cours la présente La diversité qui caractérise l’éducation non
étude, il existe au Sénégal plusieurs entités de formelle implique l’élaboration d‘un cadre
concertation regroupant des acteurs de méthodologique souple et adaptable qui
l’éducation non formelle. Il s’agit permette la prise en compte de l’ensemble des
principalement : formes éducatives qui lui sont rattachées. Pour
Š de la coordination nationale des opérateurs cela, quelques critères de suivi et d’évaluation
en alphabétisation et du comité national de communs pourraient être retenus (voir encadré
concertation et d’appui technique soutenus par à la page suivante). Ceux-ci seraient ensuite
la DAEB – qui permettent avec l’appui des spécifiés suivant la forme précise de
services de la DAEB de produire un annuaire l’expérience d’éducation non formelle
statistique annuel et des rapports d’évaluation ; considérée.
Š de la table de concertation de la DEPEE Pour répondre à l’ensemble de ces critères mais
qui associe des organisations nationales et aussi pour que cet exercice serve avant tout, les
internationales intervenant dans le formel et le expériences d’éducation non formelle, il est
non formel – parmi les produits de capitalisation essentiel qu’il soit mené directement par les
de cette entité à noter la confection d’un concernés (responsable, formateurs,
répertoire détaillant certaines expériences apprenants, parents et autres membres de la
d’éducation formelle et non formelle ; communauté) sous forme d’auto-évaluation
Š du réseau thématique sur l’alphabétisation collective. Les données ainsi recueillies
mis en place par le CONGAD et d’autres pourront directement être réinvesties dans
collectifs nationaux d’ONG (FONGS, Siggil l’action. Cependant pour faciliter et compléter ce
Jigéen) ; processus, un appui méthodologique devra être
Š des réseaux d’associations locales apporté aux différentes communautés
appuyés par certaines ONG (ENDA tiers- éducatives :
monde, ACAPES) – et la publication connexe de Š personne ressource issue du centre de
plusieurs ouvrages de capitalisation129 ; ressources éducationnelles régional (CRER)
des syndicats regroupant les acteurs de pouvant conseiller, apporter un regard extérieur
l’économie populaire ; et chercher à compléter les informations
Š des confréries religieuses auxquelles sont recueillies lors de l’auto-évaluation,
rattachés des réseaux d’écoles coraniques ; Š guide de capitalisation et d’évaluation avec
des outils appropriés en langues nationales130
Ces différentes entités sont toutes et une combinaison d’approches et de
fonctionnelles, cependant leur couverture méthodes pour obtenir des données
institutionnelle est partielle. De ce fait, les bases quantitatives et qualitatives,
de données existantes sont incomplètes. Aussi Š un suivi régulier des décisions collectives
se focalisent-elles soit sur des indicateurs prises lors de l’auto-évaluation.
quantitatifs (DAEB), soit sur la réflexion et le Les différentes données recueillies à échéance
partage d’expériences (CONGAD, DEPEE, régulière dans une région (tous les ans par
ENDA). exemple) seront ensuite traitées et analysées
Il s’agit de s’appuyer sur cet existant pour de manière globale par les CREL. Cette
synthèse fera ensuite l’objet d’une restitution
aux différentes entités et d’une publication
129 Entre autres : « Enfants en recherche et en nationale.
action : une alternative africaine d’animation C’est sur la base de ces évaluations que
urbaine » publié par Enda Jeunesse Action ;
« L’avenir des terroirs : ressource humaine » et
« Diobass : les paysans et leurs terroirs » publié par 130 On aura compris qu’il ne s’agit pas de reproduire
Enda Graf ; « Apprendre autrement. Réflexions et les critères ci-dessus, mais d’en partir pour
expériences » publié par Enda Procape. concevoir des outils accessibles et intéressants.
L’éducation non formelle
80 au Sénégal Conclusions et recommandations

Proposition de critères
pour la collecte de données, le suivi et l’évaluation de l’éducation non formelle

I. Cadre institutionnel
1.1 Descriptif : nom, date, responsable, coordonnées, type d’organisation, reconnaissance légale,
nombre de membres, localisation
1.2 Origine et évolution structurelle
1.3 Domaines d’intervention
1.4 Grandes orientations : développement, éducation et formation, communication et valorisation

II. Descriptif de l’expérience


2.1 Contexte d’intervention (situation socioéconomique et éducative)
2.2 Objectifs : quantitatifs, qualitatifs
2.3 Type d’activité : éducation religieuse, éducation traditionnelle, formation technique et professionnelle,
alphabétisation, petite enfance, entraide scolaire, activités socio-éducatives (préciser par type d’activité :
nature, volume horaire, nombre d’intervenants, profil des intervenants, nombre d’apprenants, ratio
fille/garçon)
2.4 profil des apprenants : âge moyen, niveau de scolarité et de formation, origine sociale, situation vis
à vis du système formel, confrontation profil d’entrée / profil de sortie, nombre de formés, taux moyen de
réussite avec distinction G/F) ;
2.5 Résultats : nature et analyse des résultats (réintégration scolaire – nombre, taux moyen, ratio G/F,
niveau, etc.), insertion professionnelle – nombre, taux moyen, rapport formation/emploi, modalités
d’insertion, nature du métier), écarts objectifs / résultats
2.6 Difficultés et obstacles : description, analyse et propositions de remédiation

III. Pédagogie
3.1 Objectifs et contenus pédagogiques : analyse par champs d’apprentissage (connaissances,
compétences, attitudes, méthodes, description et analyse des programmes si possible (niveau, durée,
contenus, modes d’évaluation, certification, méthodes de remédiation, taux de réussite)
3.2 Approches et outils pédagogiques : modalité d’élaboration des objectifs et des contenus
pédagogiques (rapport avec le formel et participation des apprenants) ;méthodes d’enseignement et
d’apprentissage utilisées ; nature, nombre et état des outils et supports didactiques utilisés.
3.3 Innovations pédagogiques.
3.4 système d’évaluation et de capitalisation (enseignements-apprentissages, l’expérience dans son
ensemble) : procédés, supports et outils, produits.

IV. Ressources et organisation


4.1 Ressources :
4.1.1 personnel (nombre, statut, type et niveau de formation, formation pédagogique spécifique, autres
activités professionnelles, modes de recrutement, analyse quantitative et qualitative par rapport aux
besoins
4.1.2 ressources matérielles : infrastructure , équipement, analyse quantitative et qualitative par rapport
aux besoins
4.1.3 ressources financières : budget annuel, répartition budgétaire (personnel, frais de fonctionnement,
activités pédagogiques, autres), origine des ressources (frais d’inscription, subventions, production,
autres), analyse quantitative et qualitative par rapport aux besoins
4.2 organisation et gestion
4.2.1 mode organisationnel : organigramme, procédures de gestion administrative et financière
4.2.2 cadre partenarial : implication de la communauté (définition et mise en œuvre, gestion et prise de
décision, financement et appui matériel), rapports institutionnels
4.2.3 durabilité et autonomie : analyse des acquis, blocages et perspectives en terme d’autonomie
matérielle et financière / institutionnelle et organisationnelle / pédagogique et méthodologique
4.2.4 rapports au système formel : analyse des acquis, des blocages, des possibilités d’échange

V. Impacts de l’expérience d’éducation non formelle sur le développement


Analyse et évaluation des objectifs et des enseignements-appentissages par rapport à leur portée, à leur
adéquation au contexte et aux besoins d’éducation et de formation et leur impact en terme de
transformations sociales (économie, environnement, citoyenneté)
L’éducation non formelle
81
Conclusions et recommandations au Sénégal

pourront être également élaborés et mis en niveau local ; ce comité sera appuyé par une
œuvre des programmes d’appui concertés et équipe technique compétente composée de
adaptés aux réalités des différentes deux spécialistes de l’éducation (statisticien,
composantes de l’éducation non formelle. pédagogue-évaluateur), rattachée au centre
régional de ressources éducationnelles ;
3.2.3 Cadre opérationnel Au niveau central : un comité had hoc
émanation du Conseil Supérieur de l’Education
Certains principes directeurs pourraient être et de la Formation, appuyé par une équipe
retenus pour que ce système de capitalisation, pluridisciplinaire autonome131 chargée de la
de suivi et d’évaluation devienne opérationnel : formation et du suivi des centres de ressources
éducationnelles régionaux, de l’analyse et de la
3.2.3.1 Une mise en place progressive et capitalisation des données, de l’élaboration et
concertée : de la diffusion de rapports, d’outils
d’accompagnement …
Sa mise en place pourrait se faire à travers
quatre grandes phases opérationnelles : 3.2.3.3 une politique de communication
Première phase : élaboration d’une interne et externe performante
méthodologie par les entités « fédératrices » de
l’éducation non formelle (DAEB, DEPEE, Il est essentiel que le système de capitalisation,
FONGS, Siggil Jigéen, CONGAD, ENDA tiers de suivi et d’évaluation s‘appuie sur un réseau
monde, syndicats, autorités religieuses et de communication opérationnel et performant :
traditionnelles…) sous l’égide de l’Unesco ; le renforcement et la valorisation des moyens
Deuxième phase : concertation élargie et de communication existants : nouvelles
décentralisée pour la validation du schéma technologies de l’information et de la
institutionnel et des outils de collecte et de suivi communication (page web, conférence
proposés ; électronique entre acteurs de l’ENF,…),
Troisième phase : stabilisation et structuration utilisation des médias populaires pour la
(création des centres de ressources diffusion et la restitution des données
éducationnelles décentralisées) ; capitalisées ;
Quatrième phase : suivi et évaluation locale, des mécanismes de feed-back et de partage
régionale et nationale. avec le système formel : animation et
publication régulière de supports d’échange
3.2.3.2 un schéma institutionnel associant d’expériences et de débats (TV, radio, presse
concertation et professionnalisme : écrite, page web, …) ; restitution aux entités
fédératrices des acteurs de l’éducation non
On peut prévoir un schéma institutionnel formelle des résultats et analyses, ateliers
s’appuyant sur les entités de concertation d’échange et de formation entre acteurs du
prévues par le PDEF, appuyées au niveau formel et du non formel, appui méthodologique
régional et national par des équipes techniques à des projets liant formel-non formel.
performantes :
Au niveau décentralisé (région) : élection au 3.2.3.4 une logique de programme appuyée
sein des CRCS d’un comité ad hoc pour le suivi collectivement (Etat, agence de coopération,
et l’évaluation de l’éducation non formelle au ONG)

131 Les profils suivants pourraient être retenus :


La capitalisation, le suivi et l’évaluation doivent
être intégrés à l’élaboration de programmes
statisticiens, psychosociologues, pédagogues
spécialisés dans l’évaluation et l’élaboration d’outils nationaux d’actions, tenant compte de la grande
pédagogiques, communicateurs spécialisés dans diversité de l’éducation non formelle (modèles,
l’édition et les NTIC. Les éléments de cette entité contextes, etc…), particulièrement au niveau
seront recrutées par le CSEF sur la base de leurs local, et de la problématique formel-non formel.
compétences et de leurs expériences. Une des Dans le cadre des politiques mises en place, le
orientations pour le recrutement pourrait être qu’ils
PDEF notamment, il est prévu une large place
reflètent la diversité qui caractérise l’éducation non
formelle au Sénégal : culture, confession, âge et au partenariat entre les différents acteurs du
genre diversifiés… formel et du non-formel. Cependant les plans
L’éducation non formelle
82 au Sénégal Conclusions et recommandations

d'actions tout comme leur financement, se


limitent à des aspects techniques. Vu le poids
du passé et des pesanteurs idéologiques,
psychologiques et sociopolitiques, il est
essentiel, pour que ce partenariat réussisse,
qu'il soit nourri et animé de façon régulière et
continu. Pour favoriser l'apprentissage de
nouveaux rôles et de nouvelles postures chez
les différents acteurs (Etat, ONG, bailleurs,
bénéficiaires, etc.) les programmes d’appui à
l’éducation non formelle doivent impérativement
intégrer cette donne. Le renforcement du
partenariat éducatif est un élément clé pour une
mise en œuvre adéquate du PDEF et l'atteinte
des objectifs d'Education Pour Tous au Sénégal.
L’éducation non formelle
83
Bibliographie au Sénégal

l’évaluation dans les campagnes


d’alphabétisation – Document de séminaire de
Bibliographie perfectionnement Maradi, 1982, ENS ;

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Pradesh en Inde – Paris, Juillet 2000, 7 pages ; Policy Studies, Florida State University –
Sept/Octobre 1998 – 8 pages in ;
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DEVELOPPEMENT DE L’EDUCATION EN 14. ERNY, P. – L’enfant et son milieu en Afrique
AFRIQUE (ADEA) – Etude prospective / Bilan noire – Paris, L’Harmattan, 1987, 310 pages ;
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défavorisés : quelques expériences en Afrique 16. FLORIDA STATE UNIVERSITY – Stratégies
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analyse de la littérature et des importants
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activités socio-éducatives à la réinsertion et à la 1998 – 3 pages in ;
resocialisation des enfants en situation difficile :
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juillet 1990 ; l’éducation formelle et non formelle :
implications pour la formation des
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documentaire, Enda, centre de documentation, 19. JOMMO Berewa – Guide pour des études
décembre 1993 ; de cas sur la dimension « genre » dans le cadre
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L’éducation non formelle
84 au Sénégal Bibliographie

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non-formelle comme un processus contre la situation et tendance - Unesco, 1997 ;
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