Stratégie Education Non Formelle
Stratégie Education Non Formelle
Stratégie Education Non Formelle
AU SENEGAL
Synthèse
AJC3 (M. Abdoulaye FAYE), ANAFA (M.
Remerciements
MBODJ et M. Oumar SALL), ANBEP ( M. Alpha
Ibrahima NDIAYE), AUPEJ (M. Moussa DIOP),
CIFOP (M. Malèye DIAGNE), ECOLIERS DU
MONDE / AIDE ET ACTION (Nicolas Gibier
RAMBO), ENDA tiers-monde (M. Jacques
Nous tenons à remercier toutes les personnes BUGNICOURT, MM. Mamadou SARR et
et les structures qui ont accepté de nous Raphaël NDIAYE pour Coorcom, MM. Amadou
recevoir, avec qui nous avons longuement DIALLO et Oumar TANDIAN pour Ecopole, MM.
échangé et qui nous ont permis d’accéder aux Bachir KANOUTE et Pape BA pour Ecopop,
informations qu’elles détenaient. Sans elles, MM. Alassane FAYE et Pierre-Marie
cette étude n’aurait pas été possible. COULIBALY pour Jeunesse Action, Mme Anita
Lonis GREBONGO et M. Sileye G. SY pour
Nos remerciements vont particulièrement : Enda Sahel), FIOD (M. Gorgui FAYE ), NOSE
(Mme Khady DIOUF), TOSTAN (Mme Molly
A l’UNESCO pour la confiance accordée tout au MELCHING), Daaras de XELCOM (MM.
long de l’étude – et plus particulièrement à Mme Youssoupha DIOP, Lamine Diouf, Samba
Martine BOUSQUET, Mme Margaret ISRAËL- NDAW de Hizbou Tarquiyya).
SACHS et M. Marc GILMER ;
Aux autres personnes contactées, pour leur
A ENDA tiers-monde en général et à M. disponibilité: M. Iba Der THIAM (UCAD),
Emmanuel NDIONE en particulier qui nous ont Serigne Mor MBAYE (UCAD), M. DIAWARA
épaulé tout au long de cette étude ; (Banque Mondiale), M. Abdoulaye THIAM
(TOSTAN), Alioune DANFA (ADEF Afrique),
Aux personnes ressources rencontrées : Mme Djouma DIOUF (Association Religieuse Cité
Penda MBOW (UCAD), Mme VAN DER VINGT Sotiba Pikine).
et M. Robert RAMPIN (UNESCO / BREDA), M.
Souleymane Bachir DIAGNE (UCAD), M. Au groupe de jeunes chercheurs MERCATOR,
Serign Tacko NDAW (directeur de la DAEB), M. à Marthe NACHTMAN sr, Thérèse SAGNA,
Gorgui SOW et M. Amadou Khar GUEYE Virginie VAN HAEVERBEKE, Karim DAHOU
(Ecoliers du Monde / Aide et Action), M. Thierry pour leurs conseils et appuis.
de LOUSTAL (DEPEE), M. Tamsir SAMB
(INEADE), Mr Atoumane DIAGNE (Hizbou Cette étude est dédiée à tous les acteurs de
Tarquiyya) ; l’éducation au Sénégal. Elle se veut une
exhortation à la fédération des formes et des
Aux responsables, formateurs, apprenants, modèles éducatifs.
apprentis et parents des structures que nous
avons visitées : ACAPES (M. Seydou NDIAYE),
L’éducation non formelle
II au Sénégal
calendrier ;
Sigles
CES : Centre Enfance et Solidarité (ACAPES)
CEVA : Centre d’Entraînement à la Vie Active
CGDM: Comité de Gestion et de
et acronymes Développement de Montrolland
CITE : Classification Internationale Type de
l’Education
ACAP/JDS : Association Culturelle d’Aide à la CL : Centre de Lecture (Aide et Action)
Promotion Des Jeunes CNEA : Comité National d’Elimination de
ACAPES : Association Culturelle d’Aide à la l’Analphabétisme
Promotion Educative et Sociale CONGAD : Conseil des ONG d’Appui au
ACDI : Agence Canadienne de Développement Développement
International COORCOM : Coordination de la
ADEA : Association pour le Développement de Communication (équipe d’Enda)
l’Education en Afrique CPF : Centre Polyvalent de la Femme (CPF)
ADEF Afrique : Association pour le CREA : Centre de Recherche en Economie
Développement de l’Education et de la Appliquée (UCAD)
Formation en Afrique CRESP : Centre de Ressources pour
ADESAH : Association des Défenseurs de l’Emergence Sociale Participative
l'Environnement du Sahel (Linguère) CRS : Croix Rouge Sénégalaise
ADQ : Association de Développement de CTS : Comité Technique de Suivi (EDUCAL)
Quartier DAEB : Direction de l’Alphabétisation et de
ADY : Association pour le Développement de l’Education de Base (MEN)
Yoff DAS : Direction de l’Action Sociale
AEPCS : Association d’Entraide des DEPEE : Direction de l’Education Préscolaire et
Etablissements Préscolaires Catholiques du de l’Enseignement Elémentaire (MEN)
Sénégal DIOSIRHO : Diofior, Simal et Rho
AFCR : Association des Formations de Coin de DPE : Développement de la Petite Enfance
Rue DPRE : Direction de la Planification et de la
AFP : Agence Française de Presse Réforme de l’Education
AGETIP : Agence d’Exécution des Travaux ECB : Ecole Communautaire de Base
d’Intérêt Public ECIRES : Education pour une Citoyenneté
AJC 3 : Association des Jeunes de la Commune Responsable et Solidaire (EDUCAL)
III (Pikine) ECOPOP : Economie Populaire (équipe
ANAFA : Association Nationale pour d’Enda)
l’Alphabétisation et la Formation des Adultes EDEV GL : Education Environnementale
ANBEP : Association pour le Bien-Etre de la Globale (EDUCAL)
Population EDUCAL : Education Alternative
AOF : Afrique Occidentale Française EEDS : Eclaireuses et Eclaireurs du Sénégal
ASC : Association Sportive et Culturelle EF : Education Formelle
AUPEJ : Actions Utiles pour l’Enfance et la EGEF : Etats Généraux de l’Education et de la
Jeunesse (Tivaouane) Formation
BEP : Brevet d’Etudes Professionnelles EJT : Enfants et Jeunes Travailleurs
BIT : Bureau International du Travail ENDA tiers-monde : Environnement et
BM : Banque Mondiale Développement du Tiers Monde
BT : Brevet de Technicien ENEA : Ecole Nationale d’Economie Appliquée
CADTM : Comité pour l’Annulation de la Dette ENF : Education Non Formelle
du Tiers Monde ENS : Ecole Normale Supérieure
CAEM : Certificat d’Aptitude à l’Enseignement ENSEPT : Ecole Normale Supérieure
Moyen d’Enseignement Technique et Professionnelle
CAES : Certificat d’Aptitude à l’Enseignement ENSUT : Ecole Nationale Supérieure
Secondaire Universitaire de Technologie
CAF : Classe d’Alphabétisation Fonctionnelle EPT / EFA : Education Pour Tous / Education
CAMG : Centre Amadou M. Gaye de Bopp For All
CAP : Certificat d’Aptitude Professionnelle FASB : Fédération des Agriculteurs Sakhoum
V
non formelle 57
Introduction
inacceptable ?
1.1.2.2 Une définition par la négative suffit- Nous verrons que cette conception reste en
elle à définir ? grande partie « idéale ». Elle peut jouer un rôle
de paradigme pour certaines expériences
La notion d’éducation non formelle renferme d’éducation non formelle.
des entités éducatives très diversifiées, dont les
objectifs paraissent souvent contradictoires. 1.1.2.3 Quelles sont les limites de
Cela est particulièrement vrai de leur rapport au l’éducation non formelle ?
système formel : certaines d’entre elles se
positionnent comme compléments, d’autres A partir de la définition donnée plus haut, on
comme alternatives… D’autres encore peut tracer des limites théoriques entre les trois
construisent leur système éducatif sans se catégories d’éducation. L’éducation formelle se
référer, de près ou de loin, à l’école formelle. limiterait à l’enseignement de type scolaire,
L’éducation non formelle apparaît ainsi comme l’éducation non formelle aux autres entités
un patchwork dont les parties hétérogènes organisées d’éducation et de formation
seraient reliées entre elles par la non- (professionnelle, religieuse, socio-éducative,
appartenance au monde scolaire. etc.) et l’éducation informelle aux expériences
C’est certainement l’inconvénient des éducatives fortuites qu’offre l’existence (avec
définitions qui procèdent par négation : comme lieu d’apprentissage le quartier, la
l’éducation non formelle n’a pas de qualités maison…).
spécifiques clairement déterminées. Cela
explique peut-être l’émergence de concepts Dans la pratique, ce traçage théorique se trouve
« positifs » pour désigner les initiatives et les souvent relativisé :
entités éducatives se trouvant hors du champ
de l’éducation formelle : « éducation entre éducation informelle et non
alternative », « éducation populaire », formelle :
« éducation de base », « éducation globale »… Dans les ateliers artisanaux que nous avons
visité par exemple, la majorité des apprentis
Dans la perspective d’une définition positive, rencontrés ne se pensaient pas en situation
plusieurs caractéristiques essentielles, d’apprentissage. Est-ce à dire que la formation
communes à la plupart des expériences proposée dans ces ateliers relève de l’éducation
d’éducation non formelle peuvent être relevées : informelle ? Il existe pourtant bien des objectifs
des objectifs et des contenus directement pédagogiques, une pédagogie, des temps
liés aux besoins des apprenants et référencés à d’évaluation dans ces ateliers. En rappelant qu’il
leur environnement physique et socioculturel – y a dans tout processus éducatif une part
faisant de l’éducation non formelle un processus d’«informel » qui échappe à la programmation,
endogène et orienté vers la résolution de nous pourrions convenir que ces ateliers
problèmes ; artisanaux font partie des formes « les plus
des méthodes souples et actives permettant informelles » d’éducation non formelle.
d’entretenir la dynamique interne au processus A contrario, certaines entités mettent en œuvre
et d’engendrer un dilatement et une des programmes éducatifs d’une grande
complexification spontanés du champ rigueur, se rapprochant ou dépassant le degré
pédagogique. d’élaboration et de coercition des programmes
L’éducation non formelle se présente ainsi formels. Il s’agirait alors des formes « les plus
comme un champ éducatif cohérent, transversal formelles » d’éducation non formelle.
et évolutif. Elle est traversée par un mouvement
spiral ascendant – contrastant avec la forme entre éducation non formelle et
pyramidale de l’éducation formelle. Dans son formelle :
élan, l’éducation non formelle touche ainsi une Sans parler de la part informelle qui intervient
multitude de contenus, de secteurs ; recourt à nécessairement dans les relations
L’éducation non formelle
7
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal
garçons
de 2 groupes d’élèves ; dans les zones rurales, Louga
filles
la classe multigrade où un enseignant a sous Thies
de nouvelles catégories sous-rémunérées sont 0 20 000 40 000 60 000 80 000 100 000 120 000
Vu les caractéristiques et l’évolution du secteur éducatif au Sénégal, les principes qui servent de soubassement au
PDEF peuvent soulever quelques interrogations :
5. l’atteinte par tous des normes de performance les plus élevées (qualité)
La nouvelle école sénégalaise est ambitieuse. Elle souhaite, entres autres améliorer la qualité des normes de
performance. Cela passe forcément par d’autres contenus et méthodes, adaptés aux apprenants :
« enseignements-apprentissages et recherche-action efficaces », mais aussi un renforcement des programmes,
des compétences, de l’évaluation, etc…
Ce principe directeur ouvre la perspective d’une réforme profonde du système d’éducation et de formation
(programmes, méthode d’enseignement) au Sénégal. Il subsiste une question préalable et incontournable : quels
types d’éducation et de formation ? Pour quels objectifs ?
42 Point 5.2 du PDEF « rentabilisation des locaux et 43 « Les dispositions du PDEF institutionnalisent le
du personnel » : Renforcement du double-flux et du volontariat et précarisent la fonction enseignante »
multigrade dans les régions aux effectifs « réduits » déclare à l’AFP Mamadou Diop castro, secrétaire
(pour atteindre le ratio « normalisé » de 55 générale de l’UDEN. De son côté, la Banque
élève/enseignant par cohorte – soit 110 apprenants Mondiale, par un de ses experts Adrien Wespoor,
pour un enseignant) et connaissant peu ces modes estime que « la politique du volontariat marche très
de fonctionnement (pour arriver à 30 % des classes). bien » – dépêche AFP du vendredi 23 février 2001.
L’éducation non formelle
14 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
les agences de coopération bilatérales non formelle ? Une lecture plus approfondie des
et multilatérales relations institutionnelles permet d’avoir une
Les agences de coopération bilatérales et idée plus précise des acquis et des limites
multilatérales sont partie prenante du institutionnelles de l’éducation non formelle au
développement de l’éducation non formelle. Sénégal :
Leur participation est avant tout financière. Elle
se concrétise par leur soutien aux programmes une politique gouvernementale ouverte
nationaux coordonnés par l’Etat et aux et innovante
initiatives des ONG internationales et Un des acquis institutionnels fondamentaux
nationales. Certaines d’entre elles, parce réside dans les fondements de la politique
qu’elles sont spécialisées dans le domaine de gouvernementale en matière d’éducation non
l’éducation et de la formation (UNICEF, formelle. Plutôt que de reproduire une pâle
UNESCO) s’investissent également dans copie du système formel, les autorités
l’expérimentation en apportant un appui sénégalaises ont reconnu que l’éducation non
méthodologique et technique. formelle ne pouvait se développer dans le
carcan du centralisme et du monolithisme
les autorités administratives et d’Etat. Elle devait faire l’objet d’un partenariat
techniques relevant du Ministère de élargi et permettre l’expérimentation
l’Education Nationale d’approches et de formes éducatives
La création d’un Ministère délégué et d’une diversifiées.
Division de l’Alphabétisation et de l’Education
de Base dépendant du Ministère de l’Education C’est à partir de cette volonté d’ouverture et
Nationale marque la volonté politique de d’innovation que la Direction de
participer au développement de l’éducation non l’Alphabétisation et de l’Education de Base a
formelle et de maîtriser celui-ci par un suivi conçu la méthode du « faire-faire ». Celle-ci
continu et rapproché. L’Etat participe, à travers consiste, dans le cadre des programmes
son administration centrale et décentralisée, au nationaux précités, à responsabiliser les
financement partiel et à la coordination de associations et les ONG à travers des sous-
programmes nationaux essentiellement axés projets (de 5 à 40 classes d’alphabétisation) sur
sur l’alphabétisation. Il s’agit principalement du la base d’un contrat (garanties pédagogiques et
PAPA50 (Programme d’Appui aux Plans financières) et d’un manuel de procédures.
d’Action en matière d’éducation non formelle – Cette approche « audacieuse »51 s’est révélée
1997-2001) appuyé par l’ACDI, du PAPF (Projet opérationnelle. Elle a permis à la fois la
d’Alphabétisation Priorité Femmes) appuyé par reconnaissance et la valorisation des structures
la Banque Mondiale, du PADEN (Projet d’éducation non formelle, et l’instauration d’une
d’Alphabétisation des Elus et Notables locaux – politique basée sur la confiance et la
1998/2000) appuyé par la GTZ, du projet Alpha concertation - tant au niveau national que local.
Femmes de la GTZ, du Projet d’Education Non Il reste que cette approche n’est pas sans
Formelle pour le Développement (PENFD), limites. Elle a également participé à la création
appuyé par l’UNICEF, du PAIS (Projet d’un « marché du non-formel » avec pour
d’Alphabétisation Intensive au Sénégal). conséquence certaines déviances (création
artificielle de structures, concurrence…). Aussi
1.3.1.2 Les principales caractéristiques du les expériences, dont certaines sont
cadre institutionnel intéressantes et porteuses, restent-elle en
partie cloisonnées, faute de supports de
Cette grande diversité structurelle, première capitalisation et d’échange. Comme le
caractéristique du cadre institutionnel, soulignait Mamadou Sarr (ENS, Enda
constitue-t-elle un « frein » (évolution séparée et Coorcom), la politique gouvernementale devrait
déséquilibrée) ou un « moteur » (richesse et
dynamisme) au développement de l’éducation 51 Qualificatif utilisé par Anne Sylvain dans son
article d’octobre 1998, publié par le Monde
50 Ce programme est le plus complet : il touche Diplomatique : « Une audacieuse politique
différentes composantes de l’éducation non formelle. éducative ».
L’éducation non formelle
18 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
Aide et Action / Ecoliers du Monde est une association dont le siège est en France. Elle intervient dans une dizaine
de pays. Elle est implantée au Sénégal depuis 1988. Elle y emploie 80 personnes (animateurs, alphabétiseurs,
communicateurs pédagogues, administrateurs, évaluateurs entre autres spécialistes). Ces activités sont concentrées
dans deux zones : PRM (Pikine, Rufisque et Mbour) et la région de Kolda.
vente de fournitures et manuels scolaires (PVFS), projets productifs et générateurs de revenus, centres de
ressources documentaires.
L’amélioration de la qualité de l’enseignement a pour effet et indicateur principal la réduction des échecs scolaires.
Dans cette perspective, l’ONG a expérimenté des Centres d’Activités Socio-Educatives (CASE). Les CASE
fonctionnent durant les grandes vacances et comportent dans leurs programmes des cours complémentaires en
rapport avec les disciplines enseignées durant l’année scolaire. Les CASE font également appel aux compétences
de personnes-ressources extérieures à l’école pour initier les enfants et les jeunes à différentes activités manuelles
et culturelles.
Evaluation et perspectives
poursuivre son évolution positive. Après être internationales : réseau Siggil Jigéen spécialisé
passé du « faire seul » au « faire faire », elle en genre, la FONGS – Fédération des ONG
pourrait évoluer vers le « faire ensemble ». sénégalaises, orientée essentiellement vers les
problèmes du monde rural, le CONGAD –
les réseaux de l’éducation non formelle : Conseil des ONG d’Appui au Développement.
concurrence et/ou concertation ? Cette dernière structure, composée de 120
organisations nationales et internationales, a
L’impression qu’il se développe un « marché de développé un programme autour de trois
l’éducation non formelle » ne se limite pas à champs d’activités : l’animation scientifique et
certains effets de la politique gouvernementale. technique de réseaux de réflexion thématique
En s’imposant comme une priorité, l’éducation portant sur les questions de développement (un
non formelle fait l’objet d’enjeux financiers et de ces réseaux porte sur l’alphabétisation),
politiques de plus en plus importants54. Il ne l’information et la communication sur les
s’agit pas de fermer les yeux mais d’analyser et expériences des ONG intervenant au Sénégal,
de maîtriser les mécanismes qui se mettent le développement organisationnel à la base.
progressivement en place. D’autres organisations d’envergure facilitent la
Les différentes structures d’éducation non concertation entre les acteurs. C’est le cas
formelle fonctionnent pour la plupart sur la base d’Enda tiers-monde qui appuie la mise en
de projets à court terme financés de l’extérieur. réseau des petites structures d’éducation non
Cette précarité les oblige à mettre en œuvre des formelle au niveau local, national et régional55.
stratégies permettant de renouveler et, si cela Cette tendance à la concertation pourrait être
est possible, de développer leurs relations renforcée par la mise en œuvre du dispositif
institutionnelles verticales. Cette situation a institutionnel prévu dans le PDEF : le Conseil
pour conséquence l’isolement et le Supérieur de l’Education et de la Formation et
cloisonnement relatifs des expériences, chacun les entités de concertations décentralisées
étant tenté de valoriser au mieux ses acquis au associant l’ensemble des acteurs de l’éducation
sein des filières de décision et de financement. et de la formation.
Cela a également pour effet que certaines
structures non intégrées aux réseaux politiques la reproduction d’un certain
et financiers ne bénéficient d’aucun appui. « centralisme » et un développement
déséquilibré de l’éducation non formelle
Cette tendance préoccupante est en partie
L’analyse du cadre institutionnel montre
contrecarrée par l’existence d’espaces de
également que la grande majorité des
concertation et d’échange, qui favorisent les
structures d’éducation non formelle reconnues
partenariats et les solidarités horizontales. Il
par l’Etat ont leur siège à Dakar (78 %).
s’agit principalement :
L’ensemble des décisions politiques et
des entités mises en place par les autorités
financières étant prises à Dakar, elles sont
gouvernementales pour la définition, le suivi et
souvent contraintes –surtout pour les structures
l’évaluation des programmes nationaux : la
dont le « terrain » est très éloigné – d’avoir au
table de concertation de la DEPEE qui associe
moins une représentation - servant souvent de
des organisations nationales et internationales
siège administratif - dans la capitale et de
intervenant dans le formel et le non formel ; la
participer de cette manière à un certain
Coordination Nationale des Opérateurs en
« centralisme ».
Alphabétisation au Sénégal et le Comité
Cela provoque un déséquilibre entre les
National de Concertation et d’Appui Technique
structures qui disposent des moyens de
soutenus dans le cadre du PAPA ;
s’implanter à proximité des centres décisionnels
des collectifs d’ONG nationales et
et celles qui, dépourvues de ceux-ci , restent à
la périphérie. L’accès aux réseaux de relation,
54 D’après une étude de cas sur le Sénégal intitulée d’information et de communication joue un rôle
« l’évaluation des ONG : politiques et pratiques »,
réalisée en 1997 par Jean-Louis Viellajus (GRET,
Paris) l’éducation est le principal secteur d’activité 55 Voir pour plus de détails, les expériences des
des ONG affiliées au CONGAD, p.4 – équipes écopole (pp.66-70) et jeunesse action
http://www.valt.helsinki.fi/ids/ngo/appsen.htm (pp.70-73).
L’éducation non formelle
21
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal
REPARTITION GEOGRAPHIQUE
DES EXPERIENCES D’EDUCATION NON FORMELLE
essentiel dans l’intégration des filières politiques les régions urbanisées et peuplées bénéficient
et financières de l’éducation non formelle. Les de plus de programmes d’éducation non
associations de petite taille évoluant dans les formelle ;
zones marginalisées (zone rurale ou péri- par une implantation inégale des structures
urbaine) ont peu de contacts et donc peu de d’éducation non formelle ;
possibilités de se développer. par un accès limité aux ressources et aux
Un second déséquilibre est perceptible au moyens de communication dans certaines
niveau de l’implantation des programmes zones ;
d’éducation non formelle dans les différentes par la détermination dans le cadre du PAPA
régions du Sénégal. de zones d’intervention prioritaires (Kaolack,
Cela peut s’expliquer : Saint Louis, Tambacounda, Kolda, Ziguinchor).
par des concentrations humaines inégales :
L’éducation non formelle
22 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
Créée en 1972, l’Association Culturelle d’Aide à la Promotion Educative et Sociale (ACAPES) est une ONG
nationale reconnue par l’Etat. Elle intervient en milieu urbain et péri-urbain dans les quartiers défavorisés et en
milieu rural dans les régions de Saint Louis, Ziguinchor, Tambacounda, Kolda, Kaolack et Thiès.
Le programme quinquennal de l’ACAPES, actuellement en cours, se fonde sur une analyse critique de la situation
socio-économique du Sénégal. Celle-ci se caractérise par une urbanisation accélérée et devenue en partie
incontrôlée. Ce processus se traduit par de fortes inégalités tant entre ville et campagne, qu’à l’intérieur des villes.
Vingt années ont suffi pour faire de Dakar, une ville « au bord de l’implosion » : cohabitation de cités modernes et
de bidonvilles, insuffisance des infrastructures, insécurité croissante, chômage endémique…
Pour faire face à cette crise économique profonde et à la massification de la pauvreté qu’elle provoque, les
sénégalais ont commencé à s’organiser dans les quartiers, dans les villages. L’ACAPES s’inscrit dans ce
mouvement social autonome en appuyant les stratégies de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Cet engagement se traduit par trois axes stratégiques majeurs :
Par un projet pédagogique de promotion d’une éducation globale pour l’insertion et la participation des jeunes
à la vie sociale ;
Par un projet de développement économique dont l’objectif est de développer les échanges - particulièrement
entre villes et zones rurales ;
Par un projet de citoyenneté basée sur la responsabilisation et l’autonomisation des structures associatives de
base comme cadre de concertation, de résistance et de proposition face aux défis liés à la démocratisation
nationale et à la mondialisation.
L’ACAPES construit ses objectifs et contenus pédagogiques à partir de trois champs d’intervention distincts : le
préscolaire (CES), l’entraide scolaire (SES) et la formation professionnelle (CPF).
L’ACAPES anime également dans les quartiers et communautés villageoises des sessions d’alphabétisation (15
mois, 9 h/sem) intégrant des thématiques fonctionnelles (gestion, santé, environnement, hygiène) et des activités
socio-éducatives (théâtre, conférence, projection de film, séminaire-atelier)
En 28 années d’existence, l’ACAPES aura permis à plus de 10 000 jeunes déscolarisés de reprendre le chemin de
l’école, répondant ainsi de manière satisfaisante à l’objectif premier de l’association et constituant un des ponts les
plus solides entre éducation non formelle et formelle.
Depuis 1972, la situation socioéconomique et éducative du Sénégal n’a cessé d’évoluer au (le plus souvent de
manière négative), confirmant la nécessité de l’objectif premier et aussi révélant de nouvelles préoccupations.
L’ACAPES a su être à l’écoute de ces changements et adapter son organisation, ses objectifs et ses contenus de
formation en conséquence.
Cette démarche évolutive se trouve concrétisée dans la mise en oeuvre d’un nouveau programme prévu pour une
durée de 5 ans (1999-2003). Celui-ci a déjà permis d’atteindre des résultats à conforter :
l’intégration de la stratégie d’« éducation globale » dans le cursus d’entraide scolaire, et la promotion de
recherches et d’innovations pédagogiques pour la mise en œuvre d’un programme alternatif du même type ;
la formation et la (ré)insertion scolaire ou professionnelle effective de 450 jeunes déscolarisés.
L’insertion scolaire et professionnelle reste la préoccupation majeure de l’ACAPES. Plusieurs facteurs limitants,
comme la non-reconnaissance officielle des diplômes du CPF et l’absence de programmes spécifiques d’appui et
d’accompagnement des sortants du SES et du CPF, constituent les défis que doit relever actuellement l’ACAPES.
Il s’agit là d’une des principales innovations Dans le même sens – et bien avant que l’Etat
expérimentées par différentes ONG d’envergure décide d’intervenir dans ce secteur –, les
(ADEF Afrique, Plan International, Aide et associations et ONG intervenant au Sénégal ont
Action, Tostan, World Vision) en partenariat développé des programmes d’éducation et de
avec l’Etat sénégalais. Les écoles formation en dehors de tout système pré-établi.
communautaires de base s’adressent, aux Ces initiatives ont conduit à l’expérimentation de
enfants et jeunes non-scolarisés de 9 à 14 ans, différents types de contenus et de méthodes.
en leur proposant un cursus de 4 ans. L’objectif Certaines constantes peuvent cependant être
est de prendre en charge annuellement 5% de dégagées.
ce public marginalisé. Leurs modes de
fonctionnement et d’apprentissage font de ces L’objectif commun est l’intégration sociale
structures une alternative à l’école formelle. et professionnelle des publics marginalisés
(enfants et jeunes en situation difficile, adultes
analphabètes – les femmes en particulier).
Eléments d’analyse
des écoles communautaires de base
Extrait du « Répertoire des partenaires de l’éducation intervenant dans l’école de base », MEN-DEPEE, PEES,
Dakar, janvier 2000, fiche Aide et Action, p.4
Créée en 1990, L’association nationale pour l’alphabétisation et la formation des adultes (ANAFA) est une ONG
nationale reconnue par l’Etat qui intervient dans cinq régions du Sénégal : Saint Louis, Dakar, Thiès, Louga, Kaolack.
Depuis sa création, l’ANAFA intervient en zone rurale et péri-
urbaine dans la région de Louga. Celle-ci se caractérise par de
forts taux d’analphabétisme, des indicateurs de développement
particulièrement faibles et le nombre réduit – par rapport à
certaines régions du Sénégal – des structures d’appui au
développement. Les activités de l’ANAFA se sont développées
durant la décennie passée dans trois départements, 11
arrondissements et 30 communautés rurales.
Grandes orientations
Depuis sa création en 1985, l’équipe Jeunesse Action appuie les initiatives des enfants et jeunes travailleurs (EJT)
et des associations de développement de quartier (ADQ) : renforcement de leur auto-organisation, concrétisation
de leurs droits, facilitation de leur mise en réseau et de leur communication avec les décideurs, formation et
éducation de base. Elle anime, en collaboration avec ces associations et d’autres institutions d’appui, un large
réseau qui s’étend aujourd’hui à 44 villes de 16 pays africains. Au Sénégal, l’équipe Jeunesse Action appuie
directement ou indirectement des activités d’éducation alternative dans 5 villes (Dakar, Ziguinchor, Saint-Louis,
Fatick, Thiès et Tambacounda).
L'objectif majeur des ADQ est de répondre à leur manière et suivant leur moyens aux problèmes auxquels leur
quartier se trouve confronté : santé, éducation, chômage, insécurité…Une des constantes de ces ADQ est la
volonté de prendre en charge l’éducation et/ou la formation des enfants et jeunes, exclus du système éducatif.
Malgré des ressources très limitées, elles parviennent à mettre sur pied des espaces d’apprentissage. En 1992, les
ADQ partenaires de Jeunesse Action représentés par leurs facilitateurs ont décidé de se regrouper pour constituer
le collectif « Education Alternative ». Ce collectif permet le traitement commun des questions pédagogiques, le
développement d’activités transversales et d’une communication concertée sur le statut de « facilitateur », la
capitalisation et l’échange d’expériences.
Parce qu’elles tentent de répondre à une grande diversité de besoins éducatifs, les activités, initiées par les ADQ
et appuyées par Jeunesse Action, revêtent des formes multiples et s’adressent à des apprenants aux origines et
aux profils divers :
- enfants et jeunes travailleurs : alphabétisation, formation professionnelle, sensibilisation ;
- enfants-mendiants (talibé en zone urbaine) : collaboration avec les marabouts, alphabétisation, activités sportives
et culturelles ;
- enfants déscolarisés : remise à niveau en vue de leur réintégration scolaire ;
- enfants victimes du double flux : renforcement pédagogique en rapport avec leurs activités scolaires.
Il ne s’agit pas de faire table rase de cette diversité, mais au contraire de partir des attentes et des besoins des
apprenants pour construire les programmes éducatifs.
Chaque groupe construit un programme spécifique au cours d’un processus impliquant les apprenants et le
facilitateur. L’ensemble des modalités (qu’elles soient pédagogiques ou pratiques) fait l’objet de concertation. Le
programme ainsi défini n’est achevé que lorsque « les jeunes savent ce qu’ils voulaient savoir ». L’adéquation entre
les contenus éducatifs et les besoins exprimés féconde la diversité de situations prévalant au départ, garantissant
du même coup la richesse de l’expérimentation et des échanges d’expériences.
Une des particularités du programme animé par Enda Jeunesse Action et un de ses acquis fondamentaux est
d’avoir initié un réseau de recherche-action et d’échange au niveau continental :
Dès 1993, des alphabétisateurs du Bénin et du Mali participaient à la première session de formation des
facilitateurs. A partir de l’application à l’alphabétisation de la démarche participative de recherche action, les
L’éducation non formelle
29
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal
participants à cette session sont parvenus à un changement de paradigme qui a été capital tout au long de
l’expérimentation. Le modèle du maître seul détenteur du savoir et du pouvoir a volé en éclats. Il a été affirmé que
les animateurs urbains devaient se muer en facilitateurs et partir des expériences et des attentes des enfants et des
jeunes en difficulté pour construire des programmes d’éducation et de formation adaptés et porteurs de
changements sociaux profonds.
Les contacts avec d’autres pays africains se sont poursuivis et développés. Avec l’appui de l’Unesco, ils ont
abouti en 1996 à l’organisation d’une rencontre régionale sur le thème de l’alphabétisation des enfants et jeunes en
situation difficile en milieu urbain. La trentaine de participants originaires d’Afrique de l’Ouest, de l’Est, du Centre et
de Madagascar a discuté et décidé un ensemble de formations modulaires, des sites d’expérimentation, une
organisation sous forme de « pôles », regroupant les pays d’une même zone. A l’intérieur de chaque pôle, l’objectif
était l’instauration de contacts réguliers entre les composantes, la mutualisation des ressources, la participation de
l’ensemble des composantes aux différents ateliers locaux de formation.
Après plusieurs années de pratique, ces différents pôles ont posé la nécessité d’une capitalisation des
initiatives et expériences.
Deux rencontres ont été organisées dans ce sens : une première à Thiès, en juillet 2000 durant laquelle les termes
d’une capitalisation ont été définis ; une deuxième à Rufisque en février 2001 pour la rédaction définitive d’un
ouvrage dont la parution est prévue en 2002.
Au-delà de la rédaction d’un ouvrage, il est ressorti comme une nécessité la conception et la diffusion d’outils
méthodologiques – sous forme de programmes – destinés aux acteurs engagés dans le champ de l’éducation des
enfants et jeunes en difficulté. La rencontre de Rufisque a permis de planifier au niveau de chaque pays et de
chaque pôle, cette activité.
particulièrement des modèles coraniques) et à sans grands effets positifs sur la société…
une certaine évolution de leurs contenus et Seule la mendicité pratiquée par certains talibé
méthodes. (apprenants) retient l’attention. Il faut dire que
Comptant parmi les formes d’éducation les plus dans un contexte international où
anciennes au Sénégal, les écoles coraniques l’enseignement laïque est la norme, l’éducation
ou Daara ont longtemps évolué en opposition religieuse effraie plus qu’elle n’attire.
au système éducatif formel, héritage de l’école Lors de la présente étude, nous avons pu
française. percevoir que les Daara avaient un impact
Il existe au Sénégal une grande diversité de massif autant en milieu urbain qu’en milieu rural
Daara. Celles-ci dépendent le plus souvent des et que certaines d’entre elles constituaient des
confréries religieuses61, dont les principales alternatives viables à la crise de l’école formelle.
sont la Mouriddiya et la Tidianiyya. Les objectifs, Les Daara se construisent autour de
contenus et méthodes d’apprentissage se conceptions de la société et de projets
construisent suivant la philosophie propre à la politiques radicalement différents de ceux de
confrérie et aux courants internes à celle-ci. l’école formelle. Le profil recherché est très
Les Daara sont considérées par la plupart des éloigné de celui du fonctionnaire ou de
décideurs comme marginales, désorganisées, « l’administré » que tente de produire l’école
officielle. La formation se réalise à travers des
61 Khadim Mbacké, islamologue, chercheur à l’IFAN cursus qui intègrent l’alphabétisation en arabe
(Institut Fondamental d’Afrique Noire) définit ainsi la et en langue nationale (l’alphabet arabe sert de
confrérie : « La confrérie est un regroupement de base à la transcription), l’enseignement du
musulmans se réclamant d’un guide commun, Coran et des valeurs qui lui sont liées, la
pratiquant les mêmes wirds et dhikr en conformité
formation professionnelle – accompagnée
des enseignements caractéristiques d’une tariqua
ou voie marquant le cheminement de la progression souvent d’un soutien à l’intégration
spirituelle de l’individu sur l’itinéraire mystique du socioprofessionnelle. Il s’agit pour les Daara de
soufisme.(…) Les confréries doivent leur succès à former des hommes et des femmes qui
leur ouverture aux traditions africaines, à leur connaissent et pratiquent leur religion,
souplesse, à leur tolérance et surtout au charisme de participent à la vie sociale et économique par
leurs fondateurs et propagateurs au Sénégal. Elles
l’exercice d’activités génératrices de revenus et
exercent une influence non négligeable sur tous les
aspects de la vie économique, sociale, culturelle et soient capables en retour de solidarité au sein
politique. Leur audience est si profonde qu’elles sont de la communauté religieuse – dont la confrérie
devenues les moyens les plus sûrs et les plus constitue au Sénégal l’entité principale.
rapides de mobiliser ce que l’ancien Président La plupart des talibé sont à la sortie de leur
Léopold S. Senghor appelait "le pays réel". » in formation armés – moralement et
http :www.refer.sn/sngal_ct/tur/islam/confre.htm
L’éducation non formelle
30 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
matériellement – pour la vie active. Ces écoles reproduction collective des valeurs
coraniques – et plus particulièrement les Daara socioculturelles rattachées à chacun de ces
mourides – ont fait la preuve de leur efficacité. groupes. Cette orientation détermine les
Restant très discrètes, elles vivent en marge du contenus. Différents d’un groupe à l’autre, ils
système formel. Elles n’ont pas ou peu de touchent essentiellement aux valeurs
rapport avec lui. spirituelles et éthiques, aux pratiques sociales,
Lors de nos entretiens avec les responsables de aux connaissances et compétences techniques
Daara, tous ont refusé de définir leur système – liés au statut individuel socioprofessionnel.
d’éducation comme « non formel », leurs Les savoirs et pratiques sont communiqués
objectifs, leur organisation, leurs méthodes, et dans le cadre :
surtout leurs résultats étant, à leurs yeux, au d’échanges de proximité interindividuels
moins aussi valables que ceux de l’école verticaux (d’un père à son fils) ou horizontaux (à
formelle. En outre, ce serait pour eux une l’intérieur d’une même classe d’âge) ;
manière tacite de reconnaître à « l’Ecole de de périodes intensives et continues
l’Etat » une position de « centre » qui les d’initiation collective regroupant l’ensemble
relègue à la « périphérie », alors que selon eux, d’une même classe d’âge.
ils sont les véritables porteurs des aspirations La communication – qualifiée souvent
culturelles et spirituelles des nationaux. d’ésotérique – des savoirs est conditionnée par
Nous tenons à souligner que le modèle alternatif un ensemble de critères exclusifs :
que constitue l’éducation arabo-islamique est l’appartenance à un groupe socioculturel donné
en constante évolution au Sénégal. Dans sa (élargie à l’ethnie pour l’initiation, restreint à la
présentation de l’Islam au Sénégal, Khadim caste pour la formation professionnelle), le sexe
Mbacké, chercheur à l’IFAN, insiste sur (les entités et les contenus éducatifs varient
l’apparition de nouveaux courants : Ramu, selon le genre), l’âge (à chaque classe d’âge
Hizbou Tarquiyya – créé par des étudiants correspondent des entités et des contenus
mourides - et le mouvement Al-Moushtarshidina éducatifs spécifiques63).
Wal-Moushtarshidati rattaché à la Tidianiyya. L’éducation et la formation ne sont pas
Les deux derniers sont particulièrement actifs séparées des pratiques sociales. A chaque
dans le domaine de l’éducation et de la statut socioprofessionnel correspond un type
formation62. précis de formation, dispensée à travers la
production et les échanges sociaux.
1.3.2.1.3 Les modèles « traditionnels » Il faut retenir qu’au Sénégal – comme dans les
autres pays sahéliens –, les contenus de
Les deux formes éducatives dominantes de ces l’éducation dite « traditionnelle » ne sont pas
modèles sont l’initiation traditionnelle et la ethnocentrés. Ils permettent un apprentissage
formation professionnelle telles qu’elles sont des relations complexes qui lient les entités
pratiquées par les différents groupes patronymiques à l’intérieur et à l’extérieur du
socioculturels du Sénégal. groupe d’origine. A travers le kal (cousinage à
L’objectif de ces modèles éducatifs est la plaisanterie en wolof) et le kafante (échanges
de plaisanterie dans la même langue), l’individu
62 Moustapha Sy, le responsable moral de la
est en contact avec des réalités sociales et
Moushtarshidina Wal-Moushtarshidati, décrivait ainsi culturelles diversifiées. A travers ces pratiques,
le programme de formation culturelle et spirituelle
il apprend très tôt à développer et à entretenir
proposé aux membres du mouvement : « Nous
avons élaboré un programme comprenant des des rapports équilibrés et tolérants avec les
séries de causeries, d’exposés-débats sur des autres composantes socioculturelles. Véritable
thèmes divers allant du culte aux problèmes de ciment des sociétés sahéliennes, ces relations
société les plus divers. Des questions comme interculturelles constituent un acquis à
l’excision, l’engagement politique de la femme préserver64.
musulmane, etc. Et avec des supports audiovisuels,
nous essayons d’apporter le maximum d’éclairage
en interrogeant les différentes écoles et courants de 63 Dans la culture bamanan par exemple, l’homme
pensée, avant de leur opposer le point de vue de n’est « total » et accompli que lorsqu’il est passé par
l’Islam ». (interview parue dans le quotidien Wal les six sociétés initiatiques et qu’il atteint donc l’âge
Fadjri n° 1456 du 22/11/1997, citée par Khadim approximatif de 55 ans.
Mbacké, op cit) 64 Nous pensons cependant que le « formaliser » à
L’éducation non formelle
31
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal
L’atelier NOSE (Nouvelle Sérigraphie) est une entreprise familiale, non reconnue par l’Etat. Elle est située à Pikine,
proche banlieue de Dakar marquée par un taux d’échec
scolaire important et de fortes inégalités sociales.
L’évolution de NOSE est directement lié au destin d’une
famille. Suite à la disparition tragique en 1996 de son
frère, créateur de l’atelier de sérigraphie, l’actuelle
responsable se retrouve seul soutien de famille. Elle
décide alors de reprendre l’atelier et d’y apporter sa
touche personnelle. Couturière de formation, elle
diversifie les activités (en y intégrant la confection de
vêtements) et prend l’initiative de former les jeunes du
quartier. En mars 2000, la responsable décide
d’agrandir l’atelier pour les besoins de la formation.
NOSE propose une formation à la sérigraphie ou à la
couture aux jeunes déscolarisés et sans qualification
du quartier. Son principal objectif est l’insertion
socioprofessionnelle de ces jeunes. Les objectifs à long
terme sont de créer une PME et des ateliers décentralisés - qui permettraient l’intégration des jeunes formés – et/ou
d’obtenir le statut légal d’institut de formation.
Bien que de création récente, l’atelier NOSE a d’ores et déjà permis la formation de quatre jeunes, dont trois
continuent à travailler dans l’atelier avec le statut de salarié.
En accueillant 20 jeunes déscolarisés issus du quartier, l’atelier peut être aujourd’hui considéré comme un petit
centre de formation. En permettant à ces apprenants d’acquérir le plus souvent gratuitement une compétence
technique, d‘exercer une activité génératrice de revenus et de bénéficier d’informations-conseils par rapport à leur
vécu, l’atelier contribue à sa manière à la lutte contre la pauvreté.
L’atelier NOSE est une structure de petite taille. C’est ce qui explique en partie sa souplesse, son efficacité. Si
jusqu’à présent les jeunes formés ont pu trouver une place dans la structure, il reste que les 20 jeunes en cours de
formation ne pourront tous s’intégrer de la sorte.
L’atelier NOSE va bientôt se trouver à la croisée des chemins, obligé de faire des choix essentiels entre production
et formation. La responsable de l’atelier est consciente des enjeux et perçoit déjà les termes de l’équation qui se
pose à elle : soit se spécialiser dans la formation, obtenir un statut légal et des références qui permettent aux
personnes formées d’intégrer le marché du travail; soit développer la production pour absorber l’ensemble des
jeunes formés. Peut-être, construira-t-elle une réponse plus originale et respectueuse de l’équilibre entre production
et formation ?
L’éducation non formelle
32 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
La vallée du DIOSIRHO est depuis longtemps confrontée à une salinisation progressive des terres cultivables. La
disparition de la mangrove et la remontée de l’eau de mer ont fini par rendre la zone complètement aride.
Conscientes de leur responsabilité dans cet état de fait, les populations ont pris le problème à bras le corps et ont
uni leurs efforts pour la réhabilitation de leur écosystème et de la biodiversité. Suite à une série d’études, la
première activité a consisté à réunir les habitants d’une vingtaine de villages (dont certains avaient des rapports
conflictuels) autour de la construction de 2 digues antisel et de 2 digues de retenue d’eau pluviale. Cette réalisation
a permis la désalanisation et la valorisation de 1 600 hectares de terres en riziculture et en pâturage. Ces digues
d’une longueur totale 5 200 mètres servent également de pistes de production et permettent le désenclavement des
villages.
Pour répondre aux besoins de formation, la fédération a mis en œuvre un programme de formation et d’éducation
populaire qui a trait à l’environnement, à la citoyenneté et au renforcement des capacités.
En plus des programmes classiques d’alphabétisation, la FIOD a mis à contribution les ressources humaines du
terroir pour traduire en langue nationale la totalité des textes de loi sur la décentralisation au Sénégal.
Avec l’appui de ses principaux partenaires (Catholic Relief Service, Enda Coorcom65) et à travers de nombreux
séminaires et ateliers, la FIOD propose aux femmes, membres des GIE de la fédération, une formation continue
dans les domaines du compostage, du maraîchage, de la riziculture et de la préservation des ressources
environnementales.
ouverts sont très rares, ces systèmes de valeurs formelle ne parviennent à combler66.
sont engagés dans des rapports de Certaines fonctions éducatives fondamentales -
concurrence, chaque modèle éducatif relatives à la construction de l’identité
bénéficiant du positionnement politique du individuelle et collective, à l’apprentissage des
système qu’il représente. règles sociales et des valeurs culturelles – ne
sont plus assurées, participant à une
Au Sénégal, le système républicain et laïque déstructuration des entités socioculturelles. De
reste dominant. L’Etat et les
«partenaires au développement»
(agences de coopération, ONG, etc.)
appuient essentiellement les modèles
éducatifs (formels ou non formels) qui
participent à ce système de valeur.
Leurs relations avec les autres
modèles sont dominées par
l’indifférence (active ou passive ?).
Les modèles coraniques sont
parvenus à se maintenir et à se
développer, sans l’aide de l’Etat,
grâce au soutien des communautés
musulmanes extérieures (aide
provenant des pays arabo-
musulmans) et nationales (solidarité
confrérique).
La nouvelle politique officielle en direction de la petite enfance pourra s’appuyer sur un ensemble d’expériences non
formelles intéressantes bien que limitées d’un point de vue quantitatif.
Total
davantage les cultures locales 50
Garçons
(préalphabétisation en langues nationales, jeux TBS 40
Filles
et contes traditionnels79), la nutrition et la santé. 30
pas accès à l'école, faute de moyens et Professionnelle, à la fin du cycle moyen avec
d'informations, et parce que l'enfant représente l’enseignement secondaire technique, à la fin du
souvent une force de travail dont la famille ne cycle secondaire avec les écoles supérieures
peut se passer ; de formation technique et professionnelle82 ;
les enfants des classes défavorisées Graphique 7 : Evolution des effectifs de
(artisans, ouvriers, commerçants habitant dans l’enseignement secondaire technique
les quartiers urbains périphériques) ont un
accès limité à l'école ; lorsqu’ils sont scolarisés, 6000
la plupart sont victimes du système à double- Garçons
flux. Faute de moyens et d'encadrement, ils 5000 Filles
connaissent un taux d'échec scolaire élevé ;
les enfants des classes moyennes 4000
(fonctionnaires, cadres moyens) ont accès à 3000
l'école, avec un taux d'échec scolaire moyen. Ils
parviennent le plus souvent au second cycle, 2000
avec des chances réduites d'insertion dans la
1000
vie active ;
les enfants des classes supérieures (hauts 0
fonctionnaires, cadres supérieurs, professions
95/96 96/97 97/98 98/99 99/00
libérales) ont accès aux écoles privées
réservées à l'élite. Ils poursuivent le plus une évolution négative : l’enseignement
souvent leurs études après le second cycle technique et professionnel est le seul sous-
dans les universités occidentales. secteur de l’éducation à avoir connu une
évolution négative durant la décennie
1.3.3.1.3 L’enseignement technique et 1990/2000 avec une baisse moyenne annuelle
professionnel : le « talon d’Achille » du de 2% : « On constate que, malgré la priorité
système formel sénégalais accordée à l’enseignement technique et à la
formation professionnelle dans les objectifs de
Le secteur de l’enseignement technique et politique éducative de l’Etat, ce sous-secteur ne
professionnel est une des priorités du cesse de voir ses ressources décliner en terme
Programme Décennal de l’Education et de la tant absolu que relatif. Celles-ci sont en effet
tombées de 8,3 milliards de
francs CFA en 1992 à 7,3
milliards en 1996, soit une
chute de 12,2% en valeur
absolue et un recul de la part
du sous-secteur dans les
dépenses d’éducation de
10,1% à 7,6% »83.
Le centre international de formation professionnelle (CIFOP) est une institution privée laïque de formation
professionnelle, à vocation sociale. Elle est située à Mboro sur Mer, ville de petite taille, à 100 km au Nord de Dakar .
Le CIFOP est implanté dans la forêt classée de Mboro, confiée en 1982 par l’Etat sénégalais aux Eclaireuses et
Eclaireurs du Sénégal (EEDS), suite à leurs efforts de reboisement et d’entretien des forêts. En partenariat avec les
Guides et Scouts du Luxembourg, les EEDS entreprennent les premiers travaux de construction du centre en 1987.
Après plusieurs chantiers bénévoles regroupant près d’un millier de jeunes sénégalais et luxembourgeois, le CIFOP
voit le jour. L’ensemble des sections fonctionnent depuis 1991.
S’inspirant de la « méthode scoute », la démarche pédagogique vise à promouvoir l’apprentissage par l’action, la
vie en petits groupes, l’auto-éducation progressive et la co-gestion. Cela se traduit concrètement de la sorte :
- l’apprentissage en situation réelle que permet le développement d’activités productrices pour l’autofinancement
partiel de la structure : répondre aux exigences d’une commande (qualité, délais, …), faire une étude de marché,
négocier avec le client… ;
- l’intervention de personnes-ressources d’origine et de profil différents (artisan, ingénieur, professeur).
A la fin de leur formation, les jeunes doivent être capables de concevoir eux-mêmes un projet professionnel soit en
rapport avec une entreprise, soit dans la perspective d’une activité autonome.
Les conditions de vie du centre (le repas de midi et l’hébergement sont pris en charge par le CIFOP) font également
que les apprenants doivent développer entre
eux une solidarité agissante pour subvenir à
leurs autres besoins.
En 10 ans, le CIFOP a formé ainsi plus de 1 000 apprenants. Ces derniers sont aujourd’hui pour la plupart intégrés
soit dans les entreprises dites « modernes », soit dans l’économie populaire.
La principale réussite du CIFOP est d’avoir mis en place un système de formation parmi les plus efficaces au
Sénégal. Les responsables du CIFOP sont conscients de ce fait. Pour eux, leur système est deux fois plus rapide
que celui du formel : « Là où l’Etat met deux ans pour former quatre personnes, nous en mettons un ». Même si
cela reste difficile à vérifier dans ces termes, on peut tout de même affirmer que les sortants du CIFOP sont au
moins aussi compétents et efficaces que ceux qui ont suivi une formation du même type dans le système formel.
Les résultats en terme de qualité et d’intégration socioprofessionnelle, la dimension sociale du centre et ses efforts
d’autofinancement devraient faire de lui un exemple à appuyer et à démultiplier dans d’autres régions du Sénégal.
Dans son mémoire de fin d’étude85, Cheikh 1.3.3.2.1 Un partenariat entre l’Etat et la
Moussa DIOP aborde dans ce sens en société civile contre l’analphabétisme
soulignant que la principale innovation à
apporter est d’installer la formation Comme nous l’avons vu dans l’analyse
professionnelle à tous les niveaux et de rendre historique, la décennie 1990/2000 a été
le système éducatif capable d’asseoir des marquée par une ouverture de la politique
passerelles qui favorisent l’articulation entre éducative de l’Etat à l’éducation non formelle.
l’enseignement général et la formation Concrètement, cette réorientation s’est traduite :
professionnelle.
En définitive, le système éducatif formel au par la mise en œuvre de programmes
Sénégal connaît un double échec. D’une part, il concertés de financement et d’appui,
est très peu efficace tant du point de vue de coordonnés par la Direction de l’Alphabétisation
l’accès (taux de scolarisation faible, déperdition et de l’Education de Base (DAEB) et exécutés
scolaire importante) que de la qualité (taux de par des opérateurs issus de la société civile
maîtrise des objectifs pédagogiques très (ONG, association) suivant les modalités de
faibles). D’autre part, il tient les enfants et les manuels de procédures ;
jeunes loin de la vie réelle, limitant ainsi leurs
chances de pouvoir s’intégrer plus tard. Cette par la responsabilisation des entités
situation est très inquiétante. Le système administratives déconcentrées (Inspection
fonctionne à l’envers. Il semble que plus la d’Académie et Inspection Départementale de
scolarité est longue, plus les possibilités l’Education Nationale – IDEN) dans le choix des
d’intégration socioprofessionnelle se réduisent opérateurs, le suivi et l’évaluation des
ou se complefixient. programmes d’éducation non formelle.
70000,00
200000,00
60000,00 Niveau 1
150000,00
Niveau 2
50000,00
Post Alpha
100000,00
40000,00
50000,00 30000,00
- 20000,00
93/94 94/95 95/96 96/97 97/98 98/99 99/00
10000,00
-
PAPF PAPA Prog GTZ PAIS Autres
85 DIOP, Cheikh Moussa – La formation prog
professionnelle, une réponse à la déperdition
scolaire au Sénégal : l’expérience du centre national
des cours professionnels industriels - ENTSS, 2000.
L’éducation non formelle
42 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
alphabètes les 3 premières années) par et proposer aux élèves déscolarisés ou non-
l’amélioration « de la qualité et de la pertinence scolarisés une formation de base ?
de l’offre d’éducation non formelle » Les ECB proposent une éducation de base
(fonctionnalité assurée par une démarche de en langues nationales et en français de courte
recherche-action, matériels didactiques, durée (4 ans). Quelle qualification auront les
formation de formateurs) et le renforcement du sortants des ECB ? Dans quelles filières
partenariat engagé (suivi, gestion, éducatives, formatives ou socioprofessionnelles
communication). pourront-ils s’intégrer ? Comment ne pas
L’extension et le renforcement des écoles reproduire une des principales lacunes du
communautaires de base (ECB) devraient système formel : l’inadéquation entre formation
parallèlement permettre d’atteindre en et emploi, l’absence consécutive de débouchés
2008/2009 la scolarisation universelle, comme et de motivation ?
le projètent en tout cas le CREA92 et de la
DAEB (voir graphiques ci-après). D’une manière générale, il ressort également
Graphique 10 : projection concernant l’évolution des écoles des entretiens que nous avons eus avec le
communautiares de base (ECB) directeur de la DAEB, Serigna Tacko Ndaw, et
250 000
un des responsables d’Aide et Action, Gorgui
Sow, deux éléments critiques : la désuétude du
200 000 manuel de procédure et la nécessaire révision
des approches en cours.
150 000
Graphique 11 : projection concernant l’évolution
100 000 du nombre d’enfants non-scolarisés
50 000 700000
Effectifs
0 600000
pertinent pour justifier une telle extension ? 2000/01 2002/03 2004/05 2006/07 2008/09
TOSTAN est une ONG internationale qui a son siège à Thiès, à 70 km à l’Est de Dakar. Créée en 1991, elle est
reconnue par l’Etat sénégalais. Elle intervient en zone urbaine et rurale et son action a déjà touché neuf régions
du Sénégal - sur un total de dix.
Grandes orientations
Système de formation
parvient à atteindre le maximum de personnes avec le minimum de moyens. Chaque apprenant adopte une ou
plusieurs personnes de son village, le même principe est appliqué entre villages.
un programme de conscientisation et d'éveil de 4 modules destiné aux adultes et adolescents, axé sur
le renforcement des capacités.
Dénommé également village empowerment programme (VEP), ce
programme développe 4 thèmes principaux et s'étend sur dix (10)
mois. Au départ, TOSTAN se lance en 1994 dans un projet avec
l’Américan Jewish World Service, visant à contribuer à la diminution
du taux de morbidité et de mortalité infantile et féminine au Sénégal.
Une recherche participative est lancée pour identifier les préoccupations
des femmes en la matière. Le constat de base est celui d'un manque
de congruence entre les centres d’intérêt des femmes en matière de
bien-être physique et mental; et les priorités que se donne le
gouvernement du Sénégal dans ce domaine.
Il est ainsi apparu à l’équipe de TOSTAN que pour une plus grande
efficacité de son action sur la santé maternelle et infantile, il était
impératif d’aborder des thèmes aussi importants que l’information sur
les périodes de menstrues, la ménopause, l’excision, l’avortement, les
relations avec les services de santé, les violences envers les
femmes... Bien que certains de ces thèmes soient considérés en
milieu traditionnel comme des sujets tabous (la sexualité et l’excision
notamment), TOSTAN en a fait l’ossature de son programme de
conscientisation et d'éveil, cela grâce à une forte capacité de
négociation et à l’implication des populations.
Une série d’évaluations internes et externes a établi l’expertise de TOSTAN dans la mise en œuvre de
programmes d’éducation et de développement, et le haut degré de maîtrise des modules enseignés par les
apprenants. En terme de renforcement des capacités, Il faut retenir que par une démarche cohérente associant
les populations et intégrant leurs valeurs traditionnelles, TOSTAN a facilité, à travers l’information et la
responsabilisation, des transformations sociales tangibles, durables et efficaces.
L’éducation non formelle
48 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
"A l'occasion de toutes les situations vécues, des apprentissages techniques, sociaux, culturels et politiques sont
possibles". C'est fondamentalement dans cette hypothèse centrale que réside l'originalité de la démarche
EDUCAL. Elle consiste à utiliser des "situations vécues comme situations éducatives". En mettant en réseau
diverses situations éducatives, EDUCAL compte aboutir à une construction de sens communs fédérateurs de
projets de sociétés et de systèmes éducatifs alternatifs
L'éducation, pour apporter les possibilités de prise en charge individuelle et de transformation sociale désirées, se
doit d'être d'abord une démarche de responsabilisation et de confiance dans les capacités des acteurs. Elle ne
saurait être conçue comme un ensemble de ressources apportées et gérées par des experts "techniciens". Il n'y
a pas de « technicien de la vie ». Un comité technique de suivi (CTS) réunissant les responsables des différentes
composantes a été mis sur pied et joue le rôle d’organe de coordination, de régulation et de gestion des conflits.
Selon le coordonnateur d’Enda Sahel et Afrique de l’Ouest, cette instance peut être considérée comme une
composante à part entière du programme éducatif ; en ce sens qu’il constitue un forum pouvant être un lieu
d’apprentissage de la gestion et du management.
Les composantes d'EDUCAL (au nombre de six) regroupent pour la plupart des entités organisées dans le cadre
d'associations, espaces d'éclosion de la créativité sociale. Chacune des composantes articule son action autour
d'une hypothèse de base qui n'est qu'une déclinaison du principe directeur suivant : "Pour mieux lutter contre la
pauvreté, il faut que les populations se réapproprient leur éducation en participant aux processus de décision, à
l'élaboration des contenus et à leur mise en œuvre".
98 Notamment par l'entremise de l'ADY (Association touche directement une douzaine d'associations et
pour le Développement de Yoff), où la composante de groupements et a des effets induits sur la
ECIRES intervient dans l'encadrement de l'union population de Yoff en général (soit près de 30 000
locale des pêcheurs ainsi que des structures de personnes).
micro-crédits de la commune de Yoff. Son action
L’éducation non formelle
50 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
Ces Daara échappent ainsi à tout contrôle99, précaires100. D’ailleurs le plus souvent, les
qu’il soit religieux, étatique ou familial. Cela talibé qui vivent cette situation en tant
explique en partie les dérives possibles, l’une qu’apprentissage, demandent de la nourriture et
d’entre elles étant le recours abusif à la non de l’argent.
mendicité.
Cette question reste cependant relativement Une étude menée par la Direction de l’Action
complexe. On accuse souvent, sans Sociale (DAS) et l’UNICEF en 1993 montre bien
discernement, les écoles coraniques de que le phénomène est circonscrit aux talibé
pousser les enfants à la mendicité. Il est vrai d’origine rurale, migrants en ville.
que la demande d’aumône n’est pas exclue de
l’enseignement religieux. Cependant, elle ne La massification de la pauvreté en milieu urbain,
constitue qu’une étape de l’apprentissage dont l’absence de contrôle et le possible recours à la
l’objectif n’est pas de faire vivre le marabout et mendicité se combinent et favorisent la
sa famille, mais d’apprendre au talibé à rester
humble et à vivre dans des conditions des besoins réels - Quelles perspectives pour les
« Daara » à Dakar ? – ENTSS, 1997
100 Lorsque l’aumône est pratiquée comme
99 Pour répondre à cette situation, El Hadj Cheikh apprentissage, elle est l’occasion également pour le
talibé d’être en contact avec une grande diversité de
Tidiane Mbengue, étudiant à l’ENTSS, proposait en
réalités et de personnes – et autant de situations
1997 : la revalorisation des « Daara » par un statut
d’apprentissage. De nombreux talibés tissent
approprié, des organes de contrôle et de suivi, des
progressivement des relations fortes avec des
programmes appropriés ; leur réhabilitation par une
familles entières et font ainsi l’apprentissage d’une
dotation de moyens, après une évaluation précises
solidarité sociale forte et « informelle ».
L’éducation non formelle
51
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal
Faut-il le rappeler, l’école coranique a pour objectif de faire de l’apprenant un bon musulman, maîtrisant
parfaitement le Coran, instruit des pratiques culturelles et cultuelles de
l’Islam. Mais son rôle ne se réduit pas à cela. Elle doit permettre à l’apprenant
de vivre en harmonie avec les siens et d’exercer une activité utile à la société.
Cela est particulièrement le cas chez les Mourides, pour qui le travail revêt
une importance toute particulière.
A travers les textes et les réalisations de son fondateur, Cheikh Ahmadou
Bamba Mbacké et de son principal disciple Cheikh Ibra Fall, la Mouridiya
s’est développé à partir d’une philosophie du travail101 profondément
enracinée.
L’étude menée par Fatoumata SOW sur les logiques de travail chez les
mourides montre bien les fondements idéologiques de la « sanctification par
le travail » et ses conséquences sur la régulation et la sécurisation de la
société mouride. D’après elle, trois logiques sont à l’œuvre dans la notion de
travail chez les mourides : l’acquisition d’un savoir spirituel (al amal), la
nécessité du travail physique (al kasbou), la solidarité avec la communauté
(al khidmat)102. Cheikh A. Bamba Mbacké
C’est pour former les jeunes mourides à cette triptyque que Serigne Saliou
Fondateur du Mouridisme
Mbacké, Khalife Général des Mourides, créa dans les années 1990,
plusieurs Daara à Xelcom, et demanda à ses disciples d’y envoyer leurs
enfants.
Xelcom, mot composé wolof qui signifie «l’intelligence au service de l’économie», était une forêt classée d’une
superficie de 70 milles hectares. Serigne Saliou Mbacké, lorsqu’il accéda au Khalifat mouride en 1989, activa une
vielle demande de ses prédécesseurs, pour obtenir un bail de l’Etat sur ce domaine, ce qui lui fut accordé.
Aujourd’hui Xelcom constitue un vaste projet agro-silvo-pastoral contenant 15 Daara. Chaque Daara constitue une
unité économique de production organisée de façon autonome.
Les Daara bénéficient d’infrastructures modernes (constructions en dur et en étage, agriculture mécanisée, hôpital,
eau courante et électrification…) contrastant avec les conditions de vie du monde rural environnant.
La gratuité des Daara est un des principes de Xelcom. Tout ce qui est nécessaire à leur fonctionnement est pris en
charge par le Khalife Général. Il s’agit d’une redistribution interne à la Mouridiya, les moyens du Khalife provenant
des contributions des fidèles. Ce projet est à tout point de vue titanesque : 15 écoles / unités de production
autonomes, 15 000 apprenants, 360 mille tonnes de céréales par an, 3 millions de francs cfa de médicaments par
mois, une production annuelle d’arachide de 4 milliard de francs cfa…
mode de recrutement
C’est sur propre initiative des parents que les apprenants sont envoyés aux Daara. Ils sont confiés au Khalife, qui
les ventile dans l’une des 15 Daara se trouvant à Xelcom ainsi que dans les Daara créées antérieurement (Gott,
Diappandal, Laghem). L’âge de recrutement des apprenants se situe entre 5 et 7 ans. Il arrive cependant que des
enfants soient recrutés au-delà de cette tranche d’âge.
méthodes d’apprentissage
Les apprentissages comprennent trois niveaux distincts :
- les connaissances religieuses basées sur la mémorisation du Coran ;
101 Le sociologue Malick Ndiaye voit dans la l’influence du facteur religieux mouride dans le
Mouridiya une éthique du travail comparable (du développement économique du Sénégal » in -
point de vue de l’impact en tout cas) à celle contenue Penser le développement – Dakar, 1997, UCAD,
dans le protestantisme et décrite par le sociologue Goethe Institut, pp.83-114.
allemand Max Weber – Voir l’articlce « L’éthique 102 SOW, Fatoumata – Les logiques de travail chez
protestante et nous. Ckeikh Ahmadou Bamba et les mourides – Mémoire de DEA, Paris I (UFR 07),
l’éthique économique des religions universelles de 1998, 67 pages.
Max Weber : l’exemple des Moodu Moodu ou
L’éducation non formelle
52 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
- les connaissances instrumentales qui permettent à l’apprenant de maîtriser les pratiques culturelles et cultuelles
de la religion musulmane comme la prière, les comportements moraux et sociaux recommandés ;
- les connaissances dites étrangères ; il s’agit des sciences et techniques enseignées à partir du Coran et qui
peuvent être approfondies par l’apprenant dans le cadre d’une spécialisation (géographie, astronomie,
mathématiques, histoire, etc.).
Les méthodes actives d’apprentissage sont appliquées depuis très longtemps dans les Daara, qu’il s’agisse de
l’enseignement mutuel, de l’experiential learning, ou de la théorie des grands groupes. Chaque groupe
d’apprenants (environ 50) est placé sous la responsabilité d’un maître. Par ailleurs, les grands talibés aident les plus
jeunes dans leur apprentissage.
Il faut remarquer que l’organisation des enseignements n’est pas verticale, tout en apprenant le Coran, le talibé
s’initie aux connaissances instrumentales, étrangères et à l’apprentissage d’un métier.
Malgré un cadre idéologique a priori rigide, on constate une approche pédagogique peu dogmatique et ouverte aux
technologies nouvelles. Lors de notre enquête à Xelcom, la formation des apprenants aux nouveaux métiers a été
abordée, avec un grand optimisme, par les responsables de Daara. Le processus est à son commencement et
toutes les nouvelles technologies nécessaires au développement du Sénégal seront bientôt enseignées dans les
Daara de Xelcom.
Actuellement, les talibés apprennent les techniques horticoles modernes. Ils sont également initiés à la maintenance
mécanique, à la gestion financière et administrative, ainsi qu’à d’autres domaines liés à leur vie quotidienne.
Que deviennent les sortants des Daara ? Les prépare-t-on à une vie sociale et professionnelle active ? Rencontrent-
ils les mêmes difficultés d’intégration que les sortants des circuits dits formels ?
La voie d’intégration la plus fréquente est celle de l’économie dite informelle ou populaire. Les sortants des Daara
s’intègrent facilement dans ce tissu économique souple, le plus souvent grâce au jeu des solidarités sociales et
religieuses. Le dynamisme de l'économie populaire, qui en fait aujourd'hui un modèle alternatif de développement,
est directement liée aux capacités d'adaptation et d’entraide des acteurs, à leur esprit d'entreprise, à leur sens des
affaires. Des organisations comme l'UNACOIS (Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal), le
Regroupement des Transporteurs du Sénégal, très puissants aujourd'hui, sont constituées majoritairement de
sortants des Daara, n'ayant pour la plupart jamais fréquenté l'école officielle. Aujourd’hui, alors que le système
formel ne remplit plus son rôle de promotion sociale, ces hommes sont des exemples de réussite. Ils sont les
tenants de la culture de la "débrouillardise", débrouillardise qui leur permet d'acquérir les connaissances ou
compétences nécessaires à leur épanouissement professionnel et social103.
préparation à la vie active. depuis vingt ans une forte expansion. Celle-ci
Les écoles coraniques rurales sont souvent de est en partie liée aux systèmes
vieilles institutions – pouvant avoir plus d’un d’apprentissages qu’elle a mis en place.
siècle d’existence - rattachées aux centres
religieux des grandes confréries. Les
apprenants qui en sortent, bénéficient des
réseaux de solidarité de la confrérie.
réussissent à s’intégrer) au Sénégal, il n’existe plus personne n’est là pour les animer et elles
pas de données précises le concernant. disparaissent dans l’indifférence générale. »112
Longtemps considérée comme un sympôme de Les mécanismes décrits par Pierre Erny valent
« sous-développement », l’économie populaire pour le Sénégal où la disparition des systèmes
commence à intéresser les intellectuels et les d’éducation traditionnelle est bien avancée.
décideurs. La créativité et la souplesse qui lui Cela signifie-t-il que toutes les formes
sont sous-jacentes, révèlent un potentiel encore d’éducation rattachées aux différents groupes
largement sous-estimé. Quelques organisations socioculturels aient également disparu ?
dont le CIFOP et Enda tiers-monde, tentent de L’urbanisation ainsi que l’influence grandissante
valoriser celui-ci dans le domaine de la de l’Occident et de l’Islam ont grandement
formation. affecté les structures et les valeurs
socioculturelles d’origine. On aurait cependant
1.3.3.2.5 Une disparition inéluctable des tort de penser que celles-ci se soient
formes « traditionnelles » d’éducation ? « effondrées subitement ». Certes, elles ont
perdu de leur cohérence, de leur « pureté »,
En 1987, dans son ouvrage L’enfant et son mais elles ont aussi altéré en retour les modèles
milieu en Afrique noire, Pierre Erny, occidentaux et islamiques113. N’est-ce pas là,
psychologue et ethnologue, analysait ainsi la en fin de compte, un des effets de tout « choc
disparition progressive des systèmes interculturel » ? L’éducation « traditionnelle »
d’éducation « traditionnelle » : « Parmi les prend ainsi des formes plus diffuses, plus
différents éléments du système d’éducation, les diluées. Elle intervient par exemple dans les
institutions semblent être les plus fragiles. On formes, les méthodes et les contenus
les présente classiquement comme le d’apprentissage utilisés pour la formation aux
couronnement de l’éducation coutumière, métiers de l’économie populaire.
opinion qui ne se révèle pas toujours exacte : Une des pratiques initiatiques courantes au
mais dans la mesure où elles doivent assurer Sénégal reste par exemple le retrait des jeunes
une certaine synthèse, il est indéniable qu’elles circoncis issus d’une même classe d’âge. La
subissent, dans leur fonction, le contrecoup de circoncision marque le passage de
toute transformation. Dans un premier temps l’insouciance de la petite enfance au statut de
elles apparaissent souvent comme le haut lieu jeune homme responsable. Pour cette raison,
et le symbole de la résistance aux influences elle est accompagnée de l’apprentissage des
modernes et surtout au christianisme111. Puis valeurs sociales et morales liées à ce nouveau
subitement, elles s’effondrent d’elles-mêmes. statut. Elle est également rattachée à l’Islam.
L’école prend aux yeux des jeunes et des Une des scènes du livre autobiographique
parents une importance accrue et dépouille les d’Amadou Hampâté Ba en rappelle la portée
vieux de leur prestige de dépositaires ultimes de symbolique : « Quand j’eus atteint l’âge de sept
la connaissance. Le savoir technique l’emporte ans, un soir, après le dîner, mon père m’appela.
sur leur sagesse, l’écrit sur la parole. Le
calendrier scolaire rend les enfants moins 112 Erny, P. – L’enfant et son milieu en Afrique noire
disponibles ; les jeunes gens quittent le pays ; – Paris, L’Harmattan, 1987, p. 274
les classes d’âge se dépeuplent ; les brimades 113 La société sénégalaise urbaine est sans
habituelles aux camps de brousse ne conteste une synthèse de ces trois grandes
correspondent plus au goût du jour et ne sont influences socioculturelles (traditions ouest-
africaines, islam confrérique et modernité
plus acceptées. Même si personne ne combat
occidentale). Il est de plus en plus difficile de les
ouvertement les institutions initiatiques, elles séparer tant elles sont liées, délayées. Chacune de
s’anémient cependant du fait que leurs supports ces composantes agissant simultanément comme
sociologiques s’effondrent peu à peu. Un jour facteur d’équilibre : les traditions ouest-africaines
composent le socle identitaire et le tissu relationnel :
matrice sociale, l’islam confrérique est facteur à la
111 Pour les pays sahéliens comme le Sénégal, elles fois de spiritualité partagée, de stabilité sociale et de
incarnent dans une certaine mesure également la dynamisme économique : effet dynamique, la
résistance à l’Islam ; la plupart des sociétés modernité occidentale représente le lien avec
initiatiques ayant disparues dans les milieux l’évolution actuelle du monde, permettant d’être en
fortement islamisés. phase avec les avancées technologiques : elle a
surtout une fonction instrumentale.
L’éducation non formelle
55
Hypothèses pour une analyse globale et critique au Sénégal
L’histoire de l’Ecopole est directement lié au quartier Xadim Rasul, bidonville situé à proximité du centre de Dakar.
Après plusieurs années de lutte, ce quartier « spontané » a pu être sauvé des bulldozers et restructuré suivant un
plan d’aménagement et de développement concerté. Cette expérience, associant
les habitants du quartier, les autorités administratives et Enda, a servi de
première pierre à l’édification de l’Ecopole. Installée dans une usine désaffectée
à l’entrée du quartier Xadim Rasul, l’Ecopole s’est progressivement construite
autour de programmes d’appui aux groupes populaires de la région de Dakar.
Conçu comme un outil multifonctionnel, l’Ecopole a pour principal objectif la
reconnaissance et la valorisation des initiatives populaires – en premier lieu
économiques, mais aussi éducatives, sociales, culturelles ou environnementales.
Les initiatives populaires de formation du fait de leur position marginale évoluent dans un espace libre de tout
« dogme » pédagogique. La précarité matérielle et financière que connaissent ces structures ne doit pas être un
frein à leur créativité. Au contraire, celles-ci doivent pouvoir imaginer des méthodes et des outils adaptés à la fois
au profil de leurs apprenants, à leur environnement et à leurs moyens. C’est dans ce sens qu’a été créé un espace
de créativité pédagogique, impliquant des acteurs des initiatives populaires de formation et des personnes-
ressources (pédagogue, assistants sociaux, médecins, animateurs…).
Plusieurs outils ont ainsi été conçus et expérimentés durant le programme. Parmi les plus innovants, citons le jeu
des 7 bâtonnets (photo) qui propose un apprentissage du calcul à partir de l’usage du boulier chinois et de la
calculatrice, l’abécédaire « lire et écrire ensemble » qui combinent français et langues nationales, le jeu de rôle du
car rapide et du cycliste, l’édition de bandes dessinées éducatives
sur différents thèmes liés au développement et à l’environnement.
A travers la conception et la réalisation d’outils et de matériels didactiques, le programme a montré qu’il était
possible de construire, à partir d’expériences d’éducation non formelle, une ingénierie pédagogique variée et
dynamique. Ces réalisations sont essentielles à la fois comme supports d’apprentissage et comme témoignages de
l’identité propre aux structures d’éducation non formelle.
L’éducation non formelle
56 au Sénégal Hypothèses pour une analyse globale et critique
Il me dit : « Cette nuit va être celle de la mort de cependant le plus souvent informelles :
ta petite enfance. Jusqu’ici ta petite enfance apprentissage de la langue et de la culture
t’offrait une liberté totale. Elle t’accordait des maternelles et/ou paternelles ; échanges
droits sans t’imposer aucun devoir, pas même informels et ludiques, découverte de soi et de
celui de servir et d’adorer Dieu. A partir de cette l’autre au sein des classes d’âge ; relations
nuit, tu entres dans ta grande enfance. Tu seras privilégiées avec les grands-parents ; séjours
tenu à certains devoirs, à commencer par celui réguliers dans le milieu d’origine ; etc…
d’aller à l’école coranique. Tu vas apprendre à Il est remarquable que les systèmes éducatifs
lire et à retenir par cœur les textes du livre formels et non-formels valorisent aussi peu un
sacré, le Coran, que l’on appelle aussi Mère des potentiel éducatif aussi riche en contenus et en
livres114. » méthodologies.
Les formes d’éducation « traditionnelles » restent
Centre de
50 formateurs issus des mêmes
formation Programme
profes.
structures119 : majoritairement des hommes
d’alpha
13 % 20 %
(76%), avec une ancienneté dans leur
profession de 8 ans en moyenne ;
115 La distinction entre apprenants et apprentis est
liée à la nature de la formation suivie : la notion
d’« apprenti » est circonscrite à la formation aux 117 Initiatives Populaires d'Education : il s'agit de
métiers de l’économie populaire, celle d’apprenant petites structures, appelées également « formation
prend en considération les autres formes de coin de rue » (FCR), initiées par les associations
d’éducation non formelle. en milieu urbain et péri-urbain. A Dakar, elles sont
116 Parmi les 131 apprenants/apprentis rencontrés,
pour la plupart soutenus par ENDA tiers-monde à
107 ont répondu à un questionnaire (entretien travers ses différentes équipes (Ecopole, Graf,
individuel) et 24 ont été interviewés lors de focus Jeuda, etc.)
group. Les résultats statistiques concernent les 118 CAMG BOPP et CIFOP : structures de formation
entretiens individuels (107) ; les données des groupes plus ou moins structurées, provenant d'initiatives du
cibles ont fait l'objet d'un traitement par analyse de mouvement associatif; elles relèvent du non formel,
contenu et sont intégrés à la synthèse pour bien qu'elles soient proches du formel.
approfondir et/ou vérifier certaines tendances ou 119 dont 22 en entretien individuel et 28 en groupes
conclusions apparues lors de l'analyse quantitative. cibles (7 groupes cibles de 4 formateurs).
L’éducation non formelle
58 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle
Graphique 14 : ancienneté dans la structure et dans la Les entretiens que nous avons eus avec ces
profession (formateur) différents acteurs font ressortir certains points
de vue essentiels sur les qualités et les limites
16
de l’éducation non formelle.
14 Structure
Ces regards croisés sont le plus souvent sans
12 Profession
complaisance. Ils sont la preuve qu’une analyse
10
critique est à l’œuvre.
8
rarement le résultat de l'action d'une institution. choisissent les apprentissages non formels
Par ailleurs, si on croise les variables "sexe" et parce que pour l'heure, c'est dans ce secteur
"origine de la décision", on se rend compte que que l’adéquation entre emploi et formation est la
les garçons subissent plus l'influence des plus probable.
proches dans la décision. Tandis que pour le Un autre facteur prégnant qui ne s’oppose pas
reste, la structure des réponses est presque mais s’ajoute et renforce les deux premiers,
identique : les filles ne sont pas plus influencées est , comme nous l’avons évoqué, la pression
par leur mère ou par leur père que les garçons. des parents. Leur motivation est double. D’une
L'échec scolaire est le facteur déterminant du part, l’éducation non formelle a des
choix de l'apprentissage dans des structures conséquences socio-économiques directes (la
Tableau 2 : facteurs de motivation dominant dans mise en apprentissage permet par exemple de
la décision (parents) produire de petits revenus et services). D’autre
Facteur de motivation Fréquence part et cela semble être le principal motif des
Echec scolaire 27 parents, elle permet de mettre un terme au
Souci de lui trouver une désoeuvrement de leurs enfants et aux risques
qualification 8 qui lui sont liés (délinquance, drogue,
Intérêt ou prédisposition 5 prostitution, prison, etc.).
Inadaptation dans l’enseignement
formel 0
Absence de structure scolaire dans
2.1.2 De fortes attentes envers
le secteur 3 l’éducation non formelle
Impossibilité de supporter les frais
de scolarité dans l’éducation Si l’éducation non formelle apparaît dans
formelle 6 plusieurs cas plus comme un « pis-aller » qu’un
Ineficacité de l’école formelle 0 véritable choix, les différents acteurs s’attendent
Autre 2
51
pourtant à y trouver l'essentiel, c’est à dire
TOTAL
l’insertion scolaire ou professionnelle, et la
non formelles. En agrégeant les données reconnaissance sociale…
recueillies auprès des différents acteurs, il s’agit Tableau 3 : attentes des parents par rapport à
d’un point de vue largement dominant. Chez les l’apprentissage de leur enfant
parents (52%) comme chez les apprenants Types d’attente Taux
(31%) et les anciens apprentis (35%), on Métier 52%
retrouve le poids de ce facteur (40% pour Occupation 18%
l’ensemble). Aussi, l'existence de Diplôme professionnel 16%
prédispositions ou d'un intérêt particulier pour Maîtrise de la lecture et de
ce type de formation motive-t-il peu l’entrée en l’écriture 10%
Eviter la délinquance 4%
apprentissage.
TOTAL 100%
L’éducation non formelle serait-elle alors un pis-
aller ? Les concernés auraient-ils Tableau 4 : attentes des apprenants
majoritairement fait le choix de l’éducation non par rapport à la formation
formelle si une offre éducative formelle Types d’attente Taux
accessible et diversifiée leur avait laissé la Avoir une qualification 33%
possibilité de poursuivre leur scolarité sous la Insertion socioprofessionnelle 29%
forme d’un enseignement technique et Réinsertion dans l’école formelle 22%
professionnel ? Perfectionnement des
connaissances 5%
La structure des réponses des apprenants et
Sans réponse 11%
apprentis (en cours – 34% ou en fin de TOTAL 100%
formation – 39%) montre que la plupart d’entre
eux recherchent dans l’éducation non formelle En ce qui concerne leurs attentes vis-à-vis de la
une formation qualifiante qu'ils ne pensent pas formation qu'ils embrassent, les apprenants
trouver dans le système formel dont la recherchent principalement une qualification
réputation est de produire des diplômés (33%) qui leur ouvre les portes de l'insertion
chômeurs, n'ayant qu'un bagage théorique et professionnelle (29%)120. Les parents
"intellectuel". Au delà d'un manque d’efficience
ou d'accessibilité de l'école formelle, certains 120 Soit en tout 62 % pour ces deux items.
L’éducation non formelle
60 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle
également s'attendent à ce que leur enfant Les ateliers artisanaux restent, dans les
puisse trouver dans ces structures un métier représentations, des milieux typiquement
(52%), et mettent peu l’accent sur la possibilité masculins, même si les jeunes filles
d’obtenir un diplôme. commencent timidement à investir cet espace
de formation (sur les 29 anciens apprentis des
2.1.3 L'éducation non formelle est-elle ateliers artisanaux, seule une était une jeune
ouverte à tous ? fille).
Par contre, les jeunes filles sont majoritaires
Aussi bien en termes d'âge, d'appartenance dans les structures qui proposent des
socioculturelle que de niveau d'instruction, les formations comme la couture, la broderie, la
principaux acteurs de l’éducation non formelle poupeterie, ou le "crochet plastique" (fabrication
(formateurs, apprentis et apprenants ) ont des artisanale de poupées ou de sacs à partir de
profils très diversifiés. tissus ou de sachets plastiques recyclés). Le
Graphique 16 : courbe des âges (appernants / apprentis) constat est le même que
pour les métiers
16
masculins – très peu
14
d’hommes participent à
12 ce type de formation.
10 Il faut remarquer
8 également que la plupart
6 des programmes
4 d'alphabétisation des
2 adultes s’adressent en
0 priorité aux femmes
7 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33 35 37 39 41 43 45 adultes. C’est par
âges exemple le cas pour la
totalité des apprenants
La courbe des âges ci-dessus montre que les interrogés dans le cadre du programme de
programmes d’éducation non formelle au socio-alphabétisation mené par ENDA GRAF et
Sénégal s’adressent en priorité aux jeunes. de celui d'alphabétisation fonctionnelle de
Mais ils ne se limitent pas à cette classe d’âge l’ANAFA à Louga.
et touchent des personnes de tout âge. Si la Graphique 17 : répartition par niveau scolaire
moyenne d'âge pour le recrutement des (apprenants)
apprentis dans les ateliers artisanaux tourne
autour de 12 ans, on retrouve des apprenants
50
ayant jusqu'à 46 ans dans les programmes
d’alphabétisation. Le concept d'une éducation
qui s'étend tout au long de la vie prend ici une 22 20
14
forme concrète.
1 S
Tableau 5 : répartition par sexe sans élementaire moyen secondaire supérieur
(anciens apprenants / apprentis)
Sexe Taux
Si les différents niveaux scolaires sont
Masculin 34 représentés, on note que la majorité des
Féminin 15 apprentis et des apprenants ont eu une
TOTAL 49
expérience brève de l’école formelle,
circonscrite à l’enseignement élémentaire.
Les expériences d'éducation non formelle que Il faut, là aussi, tenir compte de la nature des
nous avons étudiées, reçoivent des hommes structures où les enquêtes ont été réalisées. En
comme des femmes, avec au final une très effet, la plupart des occurrences « secondaire »
faible prépondérance masculine (51% sont liées à des structures plus ou moins
d’hommes contre 49% de femmes). Ces chiffres « formalisées », qui s’inspirent du système
globaux cachent certaines disparités notables officiel dans leur organisation et leur programme
selon le type de structure et/ou de formation. et qui mènent à des formes de certification
L’éducation non formelle
61
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal
reconnues et/ou organisées par l’Etat (CAP, cependant pas partagé par les apprenants des
BEP, Baccalauréat, etc.). programmes d’alphabétisation ainsi que par
En retirant les données issues de ces ceux des structures permettant de se présenter
structures, la prépondérance de l’occurrence aux examens et concours avec le statut de
« élémentaire » apparaît encore plus nettement. candidat libre, qui se disent dans l’ensemble
Cette tendance est encore plus forte concernant satisfaits. A contrario, les apprenants en
« les formes les plus informelles de l'éducation alphabétisation relèvent ne pas souvent
non formelle » et particulièrement les structures disposer de débouchés ou de qualification
de formation proches de l'économie populaire… suffisante après leur formation.
La variable "niveau scolaire" est donc à On notera également que les questions liées à
rapporter aux types de structures ou l’évaluation, aux débouchés et à la certification
d’expérience d'éducation non formelle. restent souvent sans réponse. Etant en cours
de formation, les apprentis et les apprenants
2.1.4 Appréciation de la formation par les n’ont vraisemblablement pas encore d’idées
apprentis et les apprenants précises sur ces aspects – liés à la fin ou après
la formation. On peut également supposer que
Les apprentis et les apprenants jugent ces questions ne sont pas suffisamment prises
majoritairement que le niveau auquel ils en compte par les responsables de la formation.
parviennent est satisfaisant et apprécient très
positivement leur formation : 83 % disent avoir 2.1.5 Un modèle qui s'adapte aux
une complète satisfaction. besoins des apprentis et des apprenants
Dans le détail, les apprenants et les apprentis
se montrent largement satisfaits du temps de Les apprenants et les apprentis qui ont eu à
formation, de l'encadrement et surtout des fréquenter l'école formelle gardent en général
méthodes ; par contre, ils sont assez réservés un bon souvenir de ce passage. Ce sont les
concernant l'évaluation et regrettent difficultés économiques et le caractère
l'insuffisance en nombre et en qualité des outils systématiquement sélectif de l'école formelle
pédagogiques, tout comme l'exiguïté et qui les ont obligés à la quitter et à se rapprocher
l’inadaptation des espaces de formation. des expériences d'éducation non formelle.
Ils jugent également que les débouchés en Ils sont pourtant nombreux à relever, pour
terme d’intégration socio-professionnelle sont expliquer leur large satisfaction par rapport à
assez limités, et sont largement insatisfaits de l’éducation non formelle que celle-ci leur offre
l’absence de certification (reconnaissance un cadre mieux adapté à leurs besoins, à leurs
officielle) de la formation. Ce dernier point n’est aspirations et à leurs contraintes. Ils se
déclarent surtout sensibles à la
Graphique 18 : niveau de satisfaction par rapport aux domaines de
liberté de conception, à
formation (apprenants/apprentis)
l'approche pratique, à la
compréhension et à la
reconnaissance /
progression plus faciles, à la
certification
relation pédagogique basée sur
débouchés une éducation à la vie, sur le
savoir-faire et sur une bonne
formes d'évalutaion maîtrise du métier, aux méthodes
(écoute et concertation), à la
outils didactiques disponibilité et à l'exemplarité des
formateurs.
méthodes L’éducation non formelle semble
également adaptée aux
encadrement
préoccupations des parents :
les charges financières sont
temps de formation
réduites ou inexistantes (pour les
ateliers artisanaux, mais aussi
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
l'Ecopole et le CIFOP qui offrent
Bien Moyen Faible Sans réponse
non seulement une formation
L’éducation non formelle
62 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle
C’est connu, l’école formelle sénégalaise connaît un certain nombre de limites. Parmi elles, l’orientation trop
théorique des enseignements, la focalisation du système sur la filière d’enseignement général. Ainsi, on peut
comprendre pourquoi selon les formateurs interrogés, l’un des principaux avantages de l’éducation non formelle,
soit le primat des compétences. Ils jugent que les enseignements y sont très pratiques, qu’ils mettent l’accent sur
le savoir-faire et le savoir-être. L’éducation non formelle permet l’acquisition de bases solides en termes de
qualification et facilite ainsi l’insertion dans la vie active.
L’éducation non formelle présente comme autre atout de favoriser le développement personnel. Plus et mieux que
le système formel, elle permet aux apprenants de devenir autonomes, à travers un renforcement concret de leurs
capacités et une préparation active à leurs futures responsabilités. Ainsi en est-il du CIFOP (section couture) où,
selon les formateurs, les jeunes filles sont préparées à « être des responsables de famille » ; ou encore de
l’ACAPES où les formateurs relèvent positivement « la formation additionnelle qui vise à socialiser les élèves » et
qui fait que « l’élève devient un vecteur de développement, un animateur endogène dans les quartiers partenaires ».
Les contenus d’enseignement ne sont donc pas « décentrés par rapport aux problèmes, contraintes et défis du
milieu ; ils sont au contraire confrontés et adaptés à ces derniers pour améliorer les systèmes d’action dans les
communautés bénéficiaires ».
Ainsi, l’une des caractéristiques majeures de l’éducation non formelle serait d’aller au-delà de la simple scolarisation
et de doter les individus et les groupes de compétences pour la vie. Elle chercherait directement à favoriser des
changements de comportement, pour une amélioration à court et moyen terme de la qualité de vie des bénéficiaires.
Ainsi, les formateurs rencontrés ont mis en exergue les résultats ou les avantages suivants :
l’accroissement de la propreté individuelle et de l’hygiène dans le village ;
la diminution de certaines maladies ;
la fréquentation plus assidue des structures de santé en cas de grossesse ;
la meilleure organisation des activités journalières (femmes) ;
la maîtrise de la lecture, de l’écriture, du calcul et la gestion par les apprenants de leurs propres affaires.
L’éducation non formelle se déploierait donc comme une véritable « école du développement ». La liaison des
activités de formation et d’éducation avec d’autres orientées contre la pauvreté produirait de nouvelles formes de
solidarité ainsi que l’organisation socio-économique des personnes et des groupes.
Dès lors, certains formateurs sont sensibles à des aspects comme :
la circulation des biens et des devises ;
la création de caisses d’épargne et de tontines (entraide avec prêt tournant) ;
l’acquisition de matériels destinés à la location, dont les bénéfices servent à supporter certaines dépenses du
programme et à faire face à certaines charges sociales, etc.
Globalement, on retiendra que l’éducation non formelle séduit les formateurs et les enseignants parce qu’elle met
en œuvre un modèle alternatif souple et adapté.
Ce modèle se caractérise selon eux par :
« la polyvalence » ;
« une formation gratuite », « moins formelle et formaliste que l’éducation publique » ;
la « flexibilité des expériences » et leur « facilité d’adaptation » ;
la participation des communautés, l’engagement des parents et l’appui des personnes ressources et des gens
du quartier ;
des modalités très adaptées pour les personnes âgées et les mères de famille ;
une plus grande accessibilité, davantage de « proximité » et un large et profond « partage entre les acteurs » ;
Tous ces aspects mis en commun permettent d’atteindre, selon la plupart des formateurs, de « meilleures
performances en terme de résultats » que le système formel.
gratuite mais qui prennent également en charge l’encadrement est meilleur (proximité) et
une partie de la pension des apprenants) et la les formateurs plus disponibles.
formation permet même parfois de dégager L’adaptabilité et le caractère « polyforme » de
quelques revenus et avantages pratiques ; l’éducation non formelle qui permet à un grand
les jeunes acquièrent plus facilement une nombre de s’y retrouver apparaît également
qualification et un emploi ; lorsqu’on s’intéresse à la question de la durée
un niveau scolaire préalable n’est souvent de la formation.
pas nécessaire et le système de formation n'est
pas sélectif ; Il faut tenir en considération que les quatorze
L’éducation non formelle
63
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal
apprenants qui ont eu un an ou moins de Le fait que les patrons dans les ateliers
formation relèvent tous des programmes artisanaux ne veuillent pas "libérer" leurs
d'alphabétisation dont la durée est en général apprentis, même lorsque que ceux-ci ont
de douze à dix huit mois. maîtrisé les différentes étapes de
Si l’on ne prend pas en compte ces apprenants, l'apprentissage, cela parce que ces derniers
on obtient un groupe plus leur servent en même temps
cohérent dans sa composition, de main d'œuvre. Pour
où la durée moyenne de la certains, cela implique une
formation est de six ans. prolongation de la durée de
Si l’on considère les résultats l'apprentissage qui relève
des entretiens avec les alors du bon vouloir du
apprenants et les apprentis en patron. Relevons à ce
cours de formation, la durée propos que des conflits
de la formation, hormis naissent de plus en plus
certaines structures assez entre les patrons et leurs
proches du formel dans leur apprentis lorsque ces
organisation (CIFOP, derniers estiment qu'ils ont la
ACAPES) semble également maîtrise nécessaire du
assez longue et le plus métier et "exigent" alors
souvent non formalisée. qu'on leur remette le fameux
On peut tenir en considération "certificat" pour aller s'établir
ici : à leur propre compte ou
La souplesse de l’éducation non formelle qui rechercher un emploi auprès des PME de la
tient compte du rythme d’apprentissage de place.
chaque individu ; Malgré tout, dans la plupart des expériences
Le manque de structuration des apprentissages d’éducation non formelle, c'est le système de
et de précision des programmes, d’où une formation qui s'adapte à la personne et non le
évaluation assez subjective - qui dépend pour contraire. L'éducation non formelle n'a pas un
les ateliers artisanaux du patron ; caractère sélectif. Cela se répercute sur les
Le fait que la plupart débutent leur formation modes d'évaluation et les mécanismes de
assez jeunes (en moyenne 9-10 ans, mais progression, à l'exemple du Centre de l'ANBEP
assez souvent 6-7 ans) ; où selon le mot du responsable : "il est possible
Les apprenants et apprentis ont été interrogés sur le souvenir (positif ou négatif) qu’ils ont gardé de l’école et sur
les raisons qui fondent leur appréciation. 72% d'entre eux disent garder un bon souvenir de l’école formelle. Les
raisons évoquées peuvent être classées de la manière suivante :
aspects instrumentaux
La plupart des apprentis et apprenants mettent l’accent sur l’apport de l’éducation formelle en terme de
connaissances instrumentales, utiles à leur formation actuelle.
aspects éducatifs
D'autres mettent l’accent sur un apport de l‘école par rapport à l’éducation de la personne à la vie (éveil, ouverture
d'esprit, éducation, savoir vivre).
aspects sociaux
Pour certains, l’école leur a fourni l’occasion de développer des liens sociaux : relations amicales, camaraderie,
etc…
aspects personnels
- ces aspects sont positifs chez ceux qui gardent un souvenir nostalgique liée à la joie et à la fierté ressenties
à l’occasion de bons résultats,
- ils sont négatifs pour d’autres qui y ont vécu une expérience démoralisante ou même traumatisante :
« démotivation et perte de repères », « maître méchant », « absence de motivation », « châtiments corporels », etc.
L’éducation non formelle
64 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle
qu’on redouble ; mais il ne saurait y avoir et des moyens pédagogiques mais aussi sur
d’exclus car c’est avant tout une école l’inadaptation de ceux-ci.
communautaire qui vise justement à récupérer Les conditions d’exercice entraînent également
et à intégrer ceux qui sont déjà marginalisés". toutes sortes de difficultés. C’est d’abord le
cadre, jugé le plus souvent « peu adéquat ». On
2.1.6 Des problèmes pédagogiques… relève beaucoup de problèmes d’espace et
quelquefois l’inadéquation du cadre par rapport
Ces problèmes sont, selon les formateurs, aux activités qui s’y tiennent.
souvent liés au profil des apprenants. En effet, Mais ce qui pose surtout problème, c’est
les structures relevant de l’éducation non l’organisation. De l’avis de certains,
formelle s’adressent à des publics particuliers, « l’enseignement n’est pas bien structuré », « la
caractérisés le plus souvent par un faible niveau formation n’est le plus souvent pas planifiée».
scolaire. Ils sont le plus souvent peu ou pas Cela donne une certaine souplesse mais
alphabétisés, exclus très tôt des structures complexifie aussi les tâches d’enseignement -
d’éducation formelle. La souplesse des apprentissage. De même, pour certaines
structures en termes d’organisation et de mode expériences, le manque de moyens fait que la
de recrutement fait que les apprenants ont durée de formation est jugée insuffisante.
souvent des niveaux scolaires très différents. Les formateurs relèvent enfin un certain nombre
Les formateurs connaissent d’énormes de problèmes liés à leur propre profil ou statut :
problèmes à gérer cette spécificité propre à le manque de formation des enseignants et
l’éducation non formelle. encadreurs ; le problème de disponibilité
Une des difficultés soulignées par les (lorsque les « encadreurs » sont bénévoles et
formateurs est l’attitude parfois négative des doivent faire face à d’autres charges sociales) ;
apprenants vis-à-vis de l’approche pédagogique l’insuffisance du nombre de formateurs.
utilisée, lorsque celle-ci leur paraît trop
formaliste ou s’éloigne de leurs habitudes 2.1.7 … et des limites objectives freinent
culturelles. Pour s’adapter aux apprenants, les le développement et l'expansion de
formateurs mettent en œuvre des démarches l'éducation non formelle
pédagogiques innovantes. De même, celles-ci ne
sont pas toujours bien comprises par les Durant les entretiens que nous avons eus avec
apprenants. les acteurs de l’éducation non formelle, chacun
Il arrive que certaines spécificités des a insisté sur les limites que connaît ce secteur
bénéficiaires posent problème. C’est par au Sénégal :
exemple le cas de la section couture du CIFOP
qui accueille des filles en internat et où les Apprentis et apprenants
« encadreurs » disent déployer beaucoup La principale limite ressentie par les apprenants
d’efforts pour un suivi comportemental et et les apprentis est le manque d'outils et de
disciplinaire strict. De leur côté, les matériels de formation, surtout dans les ateliers
« facilitateurs » en alphabétisation de l’ANAFA artisanaux. D'autres limites ont également été
Louga sont confrontés à un manque d’assiduité relevées :
(irrégularité, retard, etc.) : les femmes la mauvaise organisation de l'atelier ;
bénéficiaires, mères de famille, sont le plus le manque d'efficacité des pratiques
souvent occupées aux travaux domestiques ou pédagogiques et l’inadéquation du système
champêtres. Les aspects liés au niveau scolaire d'évaluation ;
et à la spécificité des apprenants de l’éducation les mauvais traitements (cela a été
non formelle font que les formateurs particulièrement souligné par les jeunes
connaissent également certaines difficultés à apprentis des ateliers artisanaux)
communiquer : « problème de réceptivité », l’absence de pré-requis (lire et écrire,
« barrière de la langue », etc… calculer, etc.) chez les apprenants ;
l’exiguïté de l’espace ;
Le deuxième type de problème rencontré, et l’un un volume horaire faible ;
des plus aigus, est lié au matériel et aux l’absence de certification ou de
supports. Les formateurs insistent tous sur le reconnaissance des compétences à la sortie et
manque de matériel, l’insuffisance des supports la limitation consécutive des débouchés.
L’éducation non formelle
65
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal
2.2 Résultats des expériences en artisanaux (18) et de l'Ecopole (8) ont le projet
terme d’insertion professionnelle de s’installer et de travailler à leur propre
et d’intégration scolaire compte. Ce qui confirme le rapprochement déjà
fait entre ces deux types de structure. Ce projet
A partir des entretiens que nous avons eus avec motive également les apprenants qui se
ces différents acteurs, il est possible d’avoir une trouvent dans les centres d'enseignement
idée plus précise des résultats et de l’impact de technique féminin (couture, crochet, etc.)
ces expériences d’éducation non formelle en comme NOSE ou le Centre de Couture Benn
terme d’insertion socioprofessionnelle et de Barak.
réintégration scolaire. Ce n’est pas le cas pour les apprenants de
l'ACAPES et du CIFOP. Pour l’ACAPES, cela se
2.2.1. Projets et stratégies des comprend. Cette structure a pour principale
apprenants et des apprentis vocation de « récupérer » des apprenants ayant
connu une interruption de leur scolarité et de les
Quels sont les projets des apprenants et des préparer à réintégrer l'école formelle par le biais
apprentis, engagés dans des expériences des examens nationaux (BFEM, BAC). Par
d’éducation non formelle, une fois qu'ils auront contre, le CIFOP est une structure de formation
terminé leur formation ? professionnelle et prépare normalement ses
apprenants à une insertion directe dans le
Tableau 6 : projet après formation des apprenants monde du travail. Les apprenants du CIFOP
et des apprentis s'attendent donc plus à être recrutés dans des
Projet Taux entreprises modernes qu'ils ne sont enclins à
M’installer et travailler à mon s'installer à leur propre compte. Cela peut être
propre compte 42% expliqué par le fait que les apprenants du
Chercher du travail 19% CIFOP ont, par rapport aux apprentis, des
Suivre une autre formation 16%
Retourner à l’école formelle 8%
ateliers artisanaux proches de l'économie non
Je ne sais pas 1% formelle, une meilleure reconnaissance de leurs
Autre 4% compétences (diplômes d'état et diplôme
Sans réponse 10% d'école).
TOTAL 100%
C’est dans les structures de formation qui sont
proches de l’économie populaire que l’on
La plupart des apprentis et des apprenants
retrouve le plus de jeunes motivés pour
souhaitent devenir autonomes en s'installant à
s’installer à leur propre compte à la fin de leur
leur propre compte, probablement en créant
formation, et ainsi plus portés à une certaine
une petite structure artisanale.
autonomie et à la “débrouillardise”. Ils sont
d’autant plus éloignés des sphères de
Le tableau ci-dessus donne une idée des
l’économie dite formelle qu’ils n’ont pas de
tendances en ce qui concerne les projets des
diplômes reconnus par les entreprises
apprenants à la fin de leur formation, mais il
modernes. Mais les difficultés à disposer des
serait utile d'en faire une lecture différentielle en
moyens nécessaires à l’autonomisation font
fonction des structures d'origine et donc de la
que ce projet d’autonomie ne se réalise que sur
nature et des conditions de la formation.
le long terme.
2.2.1.1 Des projets d'insertion fortement liés
à la nature des structures fréquentées et du Le projet de "Chercher du travail sur le
type de formation marché" se retrouve justement dans les
projections d'apprenants de structures comme
Pour mieux caractériser les projets des le CIFOP, le CAMG de BOPP et l'ACAPES (qui
apprenants et des apprentis en rapport avec offre également des formations similaires à
leur contexte de formation, nous avons effectué celles des centres d'enseignement féminin en
un croisement dynamique entre le type de projet couture mais aussi en santé communautaire).
et la structure de formation.
Le projet de "retourner à l’école (EF)", nulle
Les deux tiers des apprentis des ateliers part envisagé dans les ateliers artisanaux,
L’éducation non formelle
67
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal
intéresse surtout les apprenants des écoles père ou un proche parent, soit l'appui de la
communautaires ou IPE (7) ; les résultats structure (TOSTAN, ACAPES) ou du patron.
enregistrés pour l’ACAPES (1) restent très Pour ce dernier aspect, il s’agit surtout des
faibles ; apprentis des ateliers artisanaux, ce qui n’est
pas sans rapport avec une pratique naguère
En effet, les apprenants de l'ACAPES (6) bien établie par laquelle le patron, lorsqu’il
sont plus enclins à vouloir "suivre une autre « libère » l’apprenti, lui remet en même temps
formation". Après avoir obtenu leur diplôme, ces une caisse à outils pour qu’il puisse se mettre à
apprenants sont plutôt intéressés par des son propre compte.
formations professionnelles courtes (genre
DUT). On note quelques projets dans ce sens D’autres (11%) développent des stratégies plus
au niveau des ateliers artisanaux (3) et chez les autonomes : achat progressif d’outils, collecte
apprenants de TOSTAN (3), dans les IPE (1). de fonds ou examens pour ceux qui veulent
continuer des études à l’université ou dans les
2.2.1.2 Des stratégie(s) de mise en œuvre instituts supérieurs de formation professionnelle
encore floues du supérieur.
Un certain nombre d’apprenants (9%)
pensent qu'il s'agit surtout d'être sérieux
et persévérant dans l'apprentissage afin
de maîtriser son métier. D’autres (7%)
enfin pensent y parvenir à travers un
certain nombre de démarches
administratives (demande d’emploi et de
stage) devant aboutir à un recrutement
direct.
2.2.2.1 résultats des ateliers artisanaux en Les résultats sont manifestement corrélés à
terme de capacités l'ancienneté. Au niveau des ateliers artisanaux,
la moyenne d'ancienneté est de 3 ans pour les
Chaque performance implique que soit déjà sujets qui atteignent le sixième niveau de
assise celle qui la précède; ainsi, l'apprenti qui capacité, alors qu’elle est de 1 an pour ceux qui
répond "je peux fabriquer un ouvrage tout seul" déclarent être au premier niveau.
répond en même temps "je peux assister le Il arrive que des apprentis, malgré un temps
patron pour fabriquer un ouvrage"; "je peux d’apprentissage court, parviennent à des
assister le patron pour réparer un ouvrage", etc. niveaux élevés de capacité. Dans ce cas, il faut
Aussi, y a-t-il lieu d'affiner ces premiers résultats tenir compte de la nature de la formation, en
par un cumul décroissant des taux par particulier de la "nature de l'ouvrage à réaliser".
catégorie. C'est le cas par exemple des apprentis de
l’Ecopole. Huit d’entre eux atteignent le sixième
Tableau 8 : résultats des apprentissages en
termes de capacité (atelier artisanaux)
niveau de capacité, avec une durée moyenne
Types d’attente Taux
de formation d’un an. Cela s'explique par le fait
qu'ils réalisent, sur la base de produits
Je peux assister un patron dans la
récupérés (sachets plastiques, bouts de tissus),
réparation d’un ouvrage 36%
Je peux réparer un ouvrage seul 12% des ouvrages assez simples en terme de
Je peux assister un patron dans la technologie (crochet sur plastique, "poupeterie",
fabrication d’un ouvrage 20% etc.).
Je peux fabriquer un ouvrage seul 12%
Je peux assister un patron dans la 2.2.2.2 résultats des programmes
conception et la fabrication d’un
d'alphabétisation en terme de capacités
ouvrage 4%
Je peux concevoir et fabriquer un
ouvrage seul 16% A ce niveau, on recense évidemment d'autres
TOTAL 100% types de capacités au terme des
apprentissages. D'abord ce qui revient le plus
La forme du graphique fait bien apparaître fréquemment, ce sont les connaissances et
l'évolution des acquis en fonction des niveaux compétences instrumentales : lecture, écriture
d'apprentissages. Les capacités correspondant et calcul.
aux compétences les plus complexes sont
évidemment les moins représentées. On peut Elles sont le plus souvent mises en relation
présager qu’elles dépendent des qualités des avec des compétences fonctionnelles pour
différents apprentis / apprenants, mais aussi et lesquelles ces capacités servent de base :
surtout du temps d'apprentissage. Il y a gérer une boutique, transformer des fruits
également lieu de s’interroger sur le rapport et des légumes, faire du commerce et de
entre les compétences acquises et l'ancienneté l'élevage ;
dans la formation. mettre sur pied un groupement ;
Graphique 21 : résultats en terme de capacité des apprenants / faire du reboisement, résoudre les
apprentis problèmes d'environnement, agir dans
le quartier, sensibiliser les autres ;
connaître ses droits et devoirs et
Assister une réparation pouvoir sensibiliser les autres à ce
Réparation autonome sujet ;
Assiter une fabrication
Les apprentissages ont également un
Fabrication autonome
impact sur la vie quotidienne et le
Assister une conception
développement personnel de l'individu
Conception autonome si on en croit la fréquence des
0 5 10 15 20 25 réponses du type: ouverture d'esprit,
savoir-vivre, savoir se comporter,
autonomie, etc.
L’éducation non formelle
70 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle
Le parcours des anciens apprentis permet de On peut retenir que l'éducation non formelle
dégager quelques hypothèses quant aux tend à absorber ses propres produits. Les
possibilités réelles d’insertion des jeunes en sortants ne restent pas inactifs. Au terme de leur
situation d’apprentissage dans les ateliers formation, ils poursuivent leurs activités dans
artisanaux. leur domaine de compétence. Mais le plus
souvent, il ne s'agit en fait que d'une
2.2.3.1 Une insertion apparemment facile… "occupation" et le chemin est long et plein
d'embûches avant de parvenir à un exercice
Si on s'intéresse aux anciens apprentis, autonome et rentable de leur métier.
certaines données, à défaut d'une étude de flux Pour la plupart, ils ne connaissent pas de
plus exhaustive, renseignent sur les difficultés à s'insérer dans le tissu
perspectives d'insertion socioprofessionnelle de socioprofessionnel, puisqu'ils sont presque tous
cette catégorie. Aucun d’entre eux n’est resté soit recrutés par le patron d'atelier qui les a
oisif après sa formation. Chacun a pu trouver un formés, soit recommandés à un autre patron.
créneau dans lequel s'insérer. Par contre, les difficultés sont nombreuses
La grande majorité des anciens apprentis (84%) lorsqu’il s’agit de s'installer à son propre
se sont insérés dans des ateliers artisanaux, la compte, au lieu d'être simplement "exploités"
plupart comme assistants, certains à leur propre par les "patrons" comme c'est souvent le cas.
compte. D'où le fait apparemment contradictoire que la
Tableau 9 : principales activités depuis la fin de plupart des anciens appentis qui répondent
l’apprentissage (anciens apprentis) négativement à la question « Avez-vous eu des
Types d’attente Taux difficultés d’insertion ? » se prononcent tout de
Travail dans une entreprise même sur la nature de celles-ci – étant sous-
“moderne” 9% entendues qu’il s’agit en fait de la nature des
Travail chez le patron qui m’a difficultés qui ne leur ont pas permis de réaliser
formé 36% leur projet d’atelier autonome.
Travail chez un autre patron 34%
Je me suis installé à mon compte 13% Tableau 10 : principale motivation à l’entrée en
Rien du tout 0% formation (anciens apprentis)
Une formation complémentaire 3% Types d’attente Taux
Autre (une occupation plus Créer mon propre atelier 40%
conforme à ma vocation) 5% Travailler comme employé dans un
atelier artisanal 8%
On remarque cependant, qu'ils sont Travailler dans une entreprise
généralement loin d'avoir atteint le but qui les moderne 14%
Ne pas rester oisif 27%
motivait à l’entrée en formation. Dans l’optique
Autre 11%
de subvenir à leurs besoins socio-économiques,
leur principale motivation était de s’établir à leur Ainsi, c’est surtout l’absence de matériel (outils
propre compte en créant un atelier. Ils sont de travail, machines, etc.) et de finances pour
seulement 13% à y être parvenu (Tableau 9) un premier investissement (local, électricité,
alors que 71% sont encore assistants soit avec etc.) qui empêchent les anciens apprentis
le patron qui les a formés, soit avec un autre). d’atteindre leur objectif d’autonomie. Cela
Une minorité d’entre eux s’intègrent dans les d'autant plus que durant leurs apprentissages,
entreprises modernes ou effectuent une ils ne reçoivent pas de subsides conséquents
formation complémentaire. de la part de leurs patrons. Il est rare également
Concernant les apprenants des programmes qu’ils aient une culture d’épargne et de
d'alphabétisation fonctionnelle, la presque planification de leurs projets d’avenir…
totalité déclare n'avoir eu aucune activité depuis Parmi les difficultés citées, apparaissent
la fin de leur formation. Ils attendraient toujours également l’absence de reconnaissance
les financements promis comme mesure officielle des compétences acquises et les
d'accompagnement au moment de la formation. contraintes administratives ; ce qui fait que la
L’éducation non formelle
71
Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle au Sénégal
Une minorité d’entre eux a probablement le Les parents non plus ne semblent pas habitués
même objectif, mais compte s'y prendre à prendre des dispositions pour préparer ou
autrement, notamment par l'émigration que faciliter l'insertion de leur enfant à la fin de la
certains préparent en épargnant la plupart de formation. Leur principale préoccupation est
leurs gains. D’autres entendent mettre l'accent qu’il puisse avoir une qualification. Chez
d'abord sur le perfectionnement de leur certains, il s’agit simplement d'éviter l'oisiveté
formation ou attendent tranquillement de ou la délinquance .
reprendre une affaire familiale (héritage).
Les anciens apprenants du programme Le tiers des parents rencontrés déclarent
d'alphabétisation fonctionnelle d’Aide et Action / penser à un certain nombre de dispositions pour
Ecoliers du Monde ont développé une stratégie faciliter l’insertion de leur enfant en formation,
différente en optant pour le regroupement en mais le détail de ce "projet" reste souvent assez
GIE. Ce type de structure leur permettra à la fois vague :
d’avoir accès au crédit et à des formations appui matériel, financier ou logistique (5) ;
qualifiantes. En attendant une reconnaissance
officielle et un appui financier, ils cotisent pour 121 Il s'agit principalement des anciens apprenants
permettre à l'un d'entre eux de participer à une des programmes d'alphabétisation (11 sur 14) et
formation complémentaire en teinture, à charge des anciens apprentis des ateliers artisanaux (14
sur 24).
pour ce dernier d'initier les autres membres à la 122 Ceux qui sont intéressés se réfèrent à la
fin de son apprentissage. nécessité du perfectionnement professionnel,
l'utilité de certaines connaissances instrumentales
Globalement, les anciens apprentis et (pour savoir faire des devis, factures, etc.) et
apprenants n’intègrent pas, dans leurs l'intérêt de l'échange d'expérience pour un chef
stratégies de développement, une formation d'atelier.
L’éducation non formelle
72 au Sénégal Le point de vue des acteurs de l’éducation non formelle
permet à l’éducation non formelle de « coller » 3.1.2 les faiblesses de l’éducation non
aux composantes sociales constituant son formelle
public et aux problèmes auxquels elles sont
confrontées. L’éducation non formelle se L’expansion de l’éducation non formelle et son
construit en relation directe avec les efficience sociopolitique restent cependant
dynamiques de développement. Elle participe à assez faibles – vu les potentialités de ce
l’élaboration et à la mise en œuvre de stratégies secteur. L’éducation non formelle fait face à des
de lutte contre la pauvreté. obstacles et à des limites de premier ordre :
L’impact de l’éducation non formelle sur les
conditions de vie permet en retour de renforcer a. une volonté politique circonscrite et
les processus endogènes de lutte contre la ambiguë
pauvreté. Les problèmes de développement ne
sont plus perçus uniquement comme les La volonté politique de l’Etat et des
conséquences de politiques de prédation organisations d’appui demeure limitée et
extérieure. Les entités individuelles et ambiguë. D’une part, elle ne prend pas en
collectives, en accédant davantage aux savoirs compte l’ensemble des formes d’éducation non
et aux compétences, parviennent également à formelle. Les modèles coraniques et
une compréhension plus fine des mécanismes traditionnels restent fortement marginalisés,
produisant leur propre pauvreté, de leur part de ainsi que les initiatives populaires d’éducation et
responsabilité dans ce processus et des de formation liées à l’économie populaire et aux
possibilités de résister et d’enrayer cette associations locales. D’autre part, le système
paupérisation. On assiste à une sorte de formel et ses nombreux dysfonctionnements ne
révolution « copernicienne » qui, portée par une sont pas remis en cause par le développement
réappropriation des fonctions d’éducation et de d’expériences éducatives plus adaptées aux
formation – gage de créativité sociale, besoins des publics marginalisés et aux réalités
technique, politique et culturelle -, se traduit par socioéconomiques. L’éducation non formelle est
une reconfiguration sociale et politique. davantage conçue comme un moyen éphémère
limité à certains publics pour atteindre les
e. modélisation partielle des démarches et objectifs de scolarisation et d’alphabétisation
des supports pédagogiques universelles. Il existe très peu de ponts entre le
système formel et l’éducation non formelle
Après plus d’une décennie d’expérimentation, concernant les approches méthodologiques et
de nombreux programmes d’éducation non pédagogiques.
formelle sont parvenus à un niveau de
maturation qui leur permet de modéliser leurs b. un secteur à deux vitesses ?
démarches et leurs supports pédagogiques.
C’est particulièrement le cas des ONG Cette politique a pour conséquence le
nationales et internationales dont la production morcellement, le cloisonnement et la
méthodologique et didactique est devenue hiérarchisation des expériences d’éducation
conséquente – avec une prise en compte non formelle. En fonction de leur intégration
accrue des langues nationales : modules de dans les filières financières et politiques, les
formation de TOSTAN ; journaux, manuels structures d’éducation non formelle ont plus ou
d’ADEF Afrique et d’Aide et Action ; ouvrages moins accès aux informations et aux ressources
méthodologiques et outils pédagogiques nécessaires à leurs activités. Cela provoque
d’ENDA TM, etc. des déséquilibres importants entre structures. Il
se construit ainsi un système à double vitesse
avec une première catégorie d’entités dont les
objectifs et les contenus éducatifs
correspondent à la « norme » éducative
dominante (modèles « modernes ») et qui
disposent d’une reconnaissance et de moyens
institutionnels importants – il s’agit
principalement des ONG internationales et
nationales ; une seconde catégorie d’entités qui
L’éducation non formelle
75
Conclusions et recommandations au Sénégal
par leur petite taille ou par leur projet éducatif, n’est pas possible de changer la société en
ne sont pas considérées par les décideurs travaillant seulement dans la marge et en
comme porteuses ou pertinentes. Les laissant en place les rapports entre acteurs,
structures de formation « informelle », les notamment entre "centre" et "périphérie".
entités coraniques et traditionnelles ne Malgré leur proximité avec les bénéficiaires et
bénéficient souvent d’aucun appui matériel l'utilisation de méthodes actives et
et/ou méthodologique. participatives, la plupart des expériences
innovantes et alternatives voient leurs "produits"
c. limites en termes de moyens et de qualité se heurter, au final, sur un monde et une
organisation sociopolitique qui ne prennent pas
Ces déséquilibres se traduisent par des limites en charge leurs besoins et leurs aspirations.
importantes en termes de moyens et de qualité. Leurs "connaissances" et leurs "compétences"
A ce niveau, trois points retiennent ne sont ni reconnues ni valorisées, devenant du
particulièrement notre attention : l’accès même coup "inutiles".
restreint et l’inadaptation des formations des
formateurs (reproduction de la prévalence e. des résultats et des impacts difficiles à
intellectualiste, absence de support didactique), évaluer
l’insuffisance du matériel didactique et
pédagogique, la faible valorisation des acteurs, Il reste que les résultats et les impacts de
en particulier du personnel souvent bénévole ou l’éducation non formelle restent très difficiles à
volontaire. évaluer. La partialité des données quantitatives,
Même si certaines initiatives sont en cours pour l’absence d’analyse qualitative portent préjudice
remédier partiellement à ces lacunes (il s’agit en à ce secteur, en laissant certaines de ses
particulier du Programme de Formation de composantes dans l’anonymat.
Formateurs pour l’Enseignement de Base), Les nombreuses spécificités de l’éducation non
elles s’adressent surtout aux structures formelle doivent faire l’objet d’un système de
reconnues de la 1ère catégorie. Les entités capitalisation, de suivi et d’évaluation
marginalisées sont contraintes de développer spécifique. La présente étude montre l’ampleur
des stratégies de survie qui affectent de la tâche. Dans la perspective d’une
négativement la qualité de la formation (recours régénération, d’une reconstruction et d’une
à la mendicité, réduction des temps de harmonisation de l’éducation au Sénégal, elle
formation au profit de la production), lorsqu’elles paraît cependant inévitable.
ne disparaissent pas purement et simplement
comme les systèmes initiatiques.
Comme nous l’avons vu au cours la présente La diversité qui caractérise l’éducation non
étude, il existe au Sénégal plusieurs entités de formelle implique l’élaboration d‘un cadre
concertation regroupant des acteurs de méthodologique souple et adaptable qui
l’éducation non formelle. Il s’agit permette la prise en compte de l’ensemble des
principalement : formes éducatives qui lui sont rattachées. Pour
de la coordination nationale des opérateurs cela, quelques critères de suivi et d’évaluation
en alphabétisation et du comité national de communs pourraient être retenus (voir encadré
concertation et d’appui technique soutenus par à la page suivante). Ceux-ci seraient ensuite
la DAEB – qui permettent avec l’appui des spécifiés suivant la forme précise de
services de la DAEB de produire un annuaire l’expérience d’éducation non formelle
statistique annuel et des rapports d’évaluation ; considérée.
de la table de concertation de la DEPEE Pour répondre à l’ensemble de ces critères mais
qui associe des organisations nationales et aussi pour que cet exercice serve avant tout, les
internationales intervenant dans le formel et le expériences d’éducation non formelle, il est
non formel – parmi les produits de capitalisation essentiel qu’il soit mené directement par les
de cette entité à noter la confection d’un concernés (responsable, formateurs,
répertoire détaillant certaines expériences apprenants, parents et autres membres de la
d’éducation formelle et non formelle ; communauté) sous forme d’auto-évaluation
du réseau thématique sur l’alphabétisation collective. Les données ainsi recueillies
mis en place par le CONGAD et d’autres pourront directement être réinvesties dans
collectifs nationaux d’ONG (FONGS, Siggil l’action. Cependant pour faciliter et compléter ce
Jigéen) ; processus, un appui méthodologique devra être
des réseaux d’associations locales apporté aux différentes communautés
appuyés par certaines ONG (ENDA tiers- éducatives :
monde, ACAPES) – et la publication connexe de personne ressource issue du centre de
plusieurs ouvrages de capitalisation129 ; ressources éducationnelles régional (CRER)
des syndicats regroupant les acteurs de pouvant conseiller, apporter un regard extérieur
l’économie populaire ; et chercher à compléter les informations
des confréries religieuses auxquelles sont recueillies lors de l’auto-évaluation,
rattachés des réseaux d’écoles coraniques ; guide de capitalisation et d’évaluation avec
des outils appropriés en langues nationales130
Ces différentes entités sont toutes et une combinaison d’approches et de
fonctionnelles, cependant leur couverture méthodes pour obtenir des données
institutionnelle est partielle. De ce fait, les bases quantitatives et qualitatives,
de données existantes sont incomplètes. Aussi un suivi régulier des décisions collectives
se focalisent-elles soit sur des indicateurs prises lors de l’auto-évaluation.
quantitatifs (DAEB), soit sur la réflexion et le Les différentes données recueillies à échéance
partage d’expériences (CONGAD, DEPEE, régulière dans une région (tous les ans par
ENDA). exemple) seront ensuite traitées et analysées
Il s’agit de s’appuyer sur cet existant pour de manière globale par les CREL. Cette
synthèse fera ensuite l’objet d’une restitution
aux différentes entités et d’une publication
129 Entre autres : « Enfants en recherche et en nationale.
action : une alternative africaine d’animation C’est sur la base de ces évaluations que
urbaine » publié par Enda Jeunesse Action ;
« L’avenir des terroirs : ressource humaine » et
« Diobass : les paysans et leurs terroirs » publié par 130 On aura compris qu’il ne s’agit pas de reproduire
Enda Graf ; « Apprendre autrement. Réflexions et les critères ci-dessus, mais d’en partir pour
expériences » publié par Enda Procape. concevoir des outils accessibles et intéressants.
L’éducation non formelle
80 au Sénégal Conclusions et recommandations
Proposition de critères
pour la collecte de données, le suivi et l’évaluation de l’éducation non formelle
I. Cadre institutionnel
1.1 Descriptif : nom, date, responsable, coordonnées, type d’organisation, reconnaissance légale,
nombre de membres, localisation
1.2 Origine et évolution structurelle
1.3 Domaines d’intervention
1.4 Grandes orientations : développement, éducation et formation, communication et valorisation
III. Pédagogie
3.1 Objectifs et contenus pédagogiques : analyse par champs d’apprentissage (connaissances,
compétences, attitudes, méthodes, description et analyse des programmes si possible (niveau, durée,
contenus, modes d’évaluation, certification, méthodes de remédiation, taux de réussite)
3.2 Approches et outils pédagogiques : modalité d’élaboration des objectifs et des contenus
pédagogiques (rapport avec le formel et participation des apprenants) ;méthodes d’enseignement et
d’apprentissage utilisées ; nature, nombre et état des outils et supports didactiques utilisés.
3.3 Innovations pédagogiques.
3.4 système d’évaluation et de capitalisation (enseignements-apprentissages, l’expérience dans son
ensemble) : procédés, supports et outils, produits.
pourront être également élaborés et mis en niveau local ; ce comité sera appuyé par une
œuvre des programmes d’appui concertés et équipe technique compétente composée de
adaptés aux réalités des différentes deux spécialistes de l’éducation (statisticien,
composantes de l’éducation non formelle. pédagogue-évaluateur), rattachée au centre
régional de ressources éducationnelles ;
3.2.3 Cadre opérationnel Au niveau central : un comité had hoc
émanation du Conseil Supérieur de l’Education
Certains principes directeurs pourraient être et de la Formation, appuyé par une équipe
retenus pour que ce système de capitalisation, pluridisciplinaire autonome131 chargée de la
de suivi et d’évaluation devienne opérationnel : formation et du suivi des centres de ressources
éducationnelles régionaux, de l’analyse et de la
3.2.3.1 Une mise en place progressive et capitalisation des données, de l’élaboration et
concertée : de la diffusion de rapports, d’outils
d’accompagnement …
Sa mise en place pourrait se faire à travers
quatre grandes phases opérationnelles : 3.2.3.3 une politique de communication
Première phase : élaboration d’une interne et externe performante
méthodologie par les entités « fédératrices » de
l’éducation non formelle (DAEB, DEPEE, Il est essentiel que le système de capitalisation,
FONGS, Siggil Jigéen, CONGAD, ENDA tiers de suivi et d’évaluation s‘appuie sur un réseau
monde, syndicats, autorités religieuses et de communication opérationnel et performant :
traditionnelles…) sous l’égide de l’Unesco ; le renforcement et la valorisation des moyens
Deuxième phase : concertation élargie et de communication existants : nouvelles
décentralisée pour la validation du schéma technologies de l’information et de la
institutionnel et des outils de collecte et de suivi communication (page web, conférence
proposés ; électronique entre acteurs de l’ENF,…),
Troisième phase : stabilisation et structuration utilisation des médias populaires pour la
(création des centres de ressources diffusion et la restitution des données
éducationnelles décentralisées) ; capitalisées ;
Quatrième phase : suivi et évaluation locale, des mécanismes de feed-back et de partage
régionale et nationale. avec le système formel : animation et
publication régulière de supports d’échange
3.2.3.2 un schéma institutionnel associant d’expériences et de débats (TV, radio, presse
concertation et professionnalisme : écrite, page web, …) ; restitution aux entités
fédératrices des acteurs de l’éducation non
On peut prévoir un schéma institutionnel formelle des résultats et analyses, ateliers
s’appuyant sur les entités de concertation d’échange et de formation entre acteurs du
prévues par le PDEF, appuyées au niveau formel et du non formel, appui méthodologique
régional et national par des équipes techniques à des projets liant formel-non formel.
performantes :
Au niveau décentralisé (région) : élection au 3.2.3.4 une logique de programme appuyée
sein des CRCS d’un comité ad hoc pour le suivi collectivement (Etat, agence de coopération,
et l’évaluation de l’éducation non formelle au ONG)
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