Psychomotricité Entre Théorie Et Pratique
Psychomotricité Entre Théorie Et Pratique
Psychomotricité Entre Théorie Et Pratique
ENTRE THÉORIE
ET PRATIQUE
| Sous la direction de
| Catherine Potel
3° édition actualisée
+ EDITIONS IN PRESS +
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Kahle/Austin Foundation
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PSYCHOMOTRICITÉ :
ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Sous la direction
de Catherine Potel
3e édition actualisée
EDITIONS IN PRESS
12, rue du Texel - 75014 Paris
Tél. : 01 43 35 40 32
Fax : 01 43 21 05 00
www.inpress.fr
Maquette 3e édition :
FACOMPO
I. PERSPECTIVES THÉORIQUES
1. Psychomotricité : une motricité ludique en relation.....................…. 23
Fabien Joly
2. Psychomotricité et motricité psychique .….................................... 43
Albert Ciccone
3. Réflexions actuelles sur la spécificité du soin psychomoteur 51
Denise Liotard
4. De l'appropriation de concepts à l’individualisation
de la prise en charge en psychomotricité..…....................................... 65
Pascal Bourger
Isabelle Blanco
est psychomotricienne, diplômée d’État (DE) en 1984 de Paris VI, CHU Pitié-
Salpétrière. Depuis 1984, elle est psychomotricienne pour les services de PMI,
crèches, ASE. Elle est détachée depuis janvier 1999 à l’unité d’accueil mère-enfant
de Saint-Denis, service de pédopsychiatrie du professeur Coen. Formation continue
en pédopsychiatrie, de 1984 à 1992 : collaboration entre les équipes de PMI du 93,
l'Inserm, et le Laboratoire de psychopathologie de la famille (Bobigny) pour une
recherche-action-formation sur les interactions mère-enfant et la prévention de la
maltraitance. Publications : « Psychomotricité en PMI », en collaboration avec
C. Pesci, V. de Béarn, I. Devannes, Expansion scientifique française, 1991 ; «Réflexion
sur la construction du bilan psychomoteur des jeunes enfants », en collaboration
avec D. Dupoux-Turlan, M. Busquet, V. Loussert, Thérapie psychomotrice-SNUP-
Actes des journées annuelles de thérapie psychomotrice, Cahors, 1996.
Patrick Blossier
est psychomotricien, DE, diplômé en 1983 de la faculté Pitié-Salpêtrière à Paris. Il
a travaillé en IME et en MAS pendant dix ans, puis en libéral. Entré dans le service
de pédopsychiatrie du Pr D. Marcelli, au Centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers
(SUPEA) en 1993, il est enseignant vacataire à l’Institut régional du travail social de
Poitiers (IRTS), à l’école d’orthophonie du CHU de Poitiers et fait des vacations dans
le service de néonatalogie du CHU de Poitiers. Il est également formateur au sein du
CERF à Niort et à l’ISRP (École supérieure de rééducation psychomotrice à Paris).
Ses publications : en collaboration avec le Dr J.-L. Nouvel: Nouvel J.-L., Blossier P.,
« Psychomotricité et prévention auprès de deux jeunes enfants broncho-dysplasiques »,
in Entretiens de psychomotricité, Paris, ESF, 1994; en collaboration avec le
‘Pr D. Marcelli et A. Paget : Marcelli D., Paget A., Blossier P., « Les origines du travail
de pensée entre mère et bébé », in Psychiatrie de l’enfant et de l'adolescent, 39-T,
6 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Pascal Bourger
est psychomotricien diplômé d’État et cadre de santé ;formation complémentaire
en thérapie de groupe, relaxation et thérapie familiale psychanalytique. Activité
clinique : Psychomotricien en secteur de psychiatrie infanto-juvénile depuis douze
ans après huit ans d'expérience conjointe avec la psychiatrie adulte. Son exercice
professionnel se répartit entre un centre médico-psychologique, un hôpital de jour,
un centre d’accueil pour la santé des adolescents (CASA) et une unité d’hospitali-
sation pour adolescents. Activité de formation : Coordinateur de l’enseignement en
3e année d'étude de psychomotricité à l’IRSP, cours en IFSI et école de sage-femme,
enseignement de psychomotricité à l’université Saint Joseph de Berouth. Secrétaire
de l’ Association de recherche en psychiatrie et psychanalyse de l’enfant (ARPPE),
Secrétaire général adjoint de la Fédération Française des psychomotriciens (FFP),
Vice-Président du Forum Européen de la Psychomotricité (FEP).
Dorota Chadzynski
est psychomotricienne en hôpital de jour pour adolescents et en libéral à Paris. Dans
sa pratique, elle fait référence à l’approche corporelle des psychoses enseignée par
Georges Pous, psychanalyste et kinésithérapeute. Diplômée du DU Bilan sensori-moteur
André Bullinger, elle est formatrice en ce qui concerne cette approche et chargée de
cours à l'UFR Pitié- Salpêtrière. Psychologue clinicienne, graphothérapeute au
Groupement professionnel international des graphothérapeutes cliniciens (GPIGC).
Parmi ses publications : « De l’hydrothérapie avec l’adolescent psychotique », in
Pratiques en santé mentale Paris, Fédération d’aide à la santé mentale Croix Marine,
n° 4,nov. 1999, p. 22-25 ; « Enfant de pierre, enfant de chair », in Actes du XIVe Colloque
international de thérapie psychomotrice, Paris, 2001, p. 153-157 ; « L'hydrothérapie
d’une adolescente en hôpital de jour », in Évolutions psychomotrices, vol. 17,n° 69,
Paris, 2005, p. 133-139.
Albert Ciccone
est psychologue clinicien, psychanalyste, professeur de psychopathologie et de
psychologie clinique à l’université Lyon II. Après une formation initiale et une
pratique de psychomotricien, il a été enseignant pendant plusieurs années à l’École
de psychomotricité de Lyon (université Lyon I).
Ses principaux ouvrages : L'observation clinique, Paris, Dunod, 1998 ; La transmission
psychique inconsciente, Paris, Dunod, 1999 ;Naissance à la vie psychique, avec
M. Lhopital, Paris, Dunod, 2001 ; Psychanalyse du lien tyrannique, sous la direction
de A. Ciccone, Paris, Dunod, 2003 ; Le bébé et le temps, sous la direction de
A. Ciccone et D. Mellier, Paris, Dunod, 2007 ; Cliniques du sujet handicapé, sous
LES AUTEURS 7
Sylvie Gouel-Barbulesco
est psychomotricienne, diplômée d’État, en 1987, école de la Pitié-Salpétrière,
Paris VI, titulaire d’une maîtrise de psychologie clinique de Paris V, Sorbonne. Elle
est psychomotricienne titulaire à l’intersecteur de pédopsychiatrie du Centre hospi-
talier Sainte-Anne, Paris XIVe. Expérience diversifiée auprès de la petite enfance
(maternité, pédiatrie, néo-natologie, crèche et PMD) ; formations complémentaires
en relaxation (Wintrebert, Bergès, Orlic).
Fabien Joly
est psychologue clinicien, psychanalyste, psychomotricien et docteur en
Psychopathologie fondamentale et psychanalyse (université Paris vi Denis Diderot).
Coordinateur du Centre ressources autismes de Bourgogne (CHU Dijon).
Psychanalyste-psychothérapeute en libéral à Dijon et psychothérapeute au CAMPS
Acodège de Dijon. Membre titulaire (conseil scientifique) de la SFPEADA (Société
française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées),
membre de la CIPPA, président et membre fondateur de l’association Corps et
Psyché, membre du conseil scientifique de l'ANCRA, membre correspondant de
PREAUT, membre du conseil scientifique du CIRSAM et ancien vice-président et
membre fondateur du CERPP. Auteurs de nombreux ouvrages, articles et commu-
nications scientifiques (plus de 250 références).
Direction d'ouvrages : L'enfant hyperactif.… De quoi s'agit-il ? Pourquoi s’agitent-ils ?,
Paris, Éditions du Papyrus, 2008 ; Sa Majesté le Bébé, Ramonville-Saint-Agne,
Éditions Érès, 2007 ;avec B. Touati et M.C. Laznik, Langage, voix et parole dans
l'autisme, Paris, PUF, Le Fil rouge, 2007 ; L'hyperactivité en débat, Ramonville-Saint-
Agne, Éditions Érès, 2005 ;Jouer… Le jeu dans le développement, la pathologie et
la thérapeutique, Paris, Éditions In Press, 2003 ;L'angoisse dans l'autisme et les
états post-autistiques, Villeneuve-d’Ascq, Éditions du Septentrion, 1999.
Articles scientifiques ou chapitres d'ouvrages : « Le sens des thérapeutiques psycho-
motrices en psychiatrie de l’enfant », Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent
(rapport introductif), 2007, vol. 55, n° 2, p. 73-86 ; « Jouer seul, jouer en groupe.
interlocuteur transitionnel et travail du jouer », in J.-B. Chapelier, P. Privat et coll.:
Jouer en groupe, Toulouse, Érès, 2005 ;« Notre corps n’est rien sans le corps de
l’autre », Thérapie psychomotrice, 2003, n° 134, p. 40-58 ; « À propos du paradigme
autistique : apports de la psychomotricité », in F. Giromini et coll.: Corps et psychiatrie,
Paris, S.B. Publications, 2002 ; « Un jour, on jouera. “pour de jouer” ! Une séance
de jeu dans un groupe d'enfants psychotiques », Enfance et Psy, 2001,n° 15,p. 87-94;
« Le travail du jouer et ses déclinaisons (psychothérapies, psychodrame, psycho-
motricité) », Thérapie psychomotrice, 2000, n° 124, p. 4-41 ; « Apports cliniques et
théoriques des thérapeutiques psychomotrices à la compréhension et au traitement
de l’autisme infantile », Thérapie psychomotrice, 1998, n° 114-115, p. 74-93;
« Angoisses psychotiques et images du corps », Neuropsychiatr. enfant adolesc.,
1996, vol. 44, n° 11, p. 581-590 ; « Figures contemporaines et formes limites des
8 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Orianne Legrand
est psychomotricienne diplômée d’État depuis 2003. Elle a suivi ses études à l’Institut
supérieur de rééducation psychomotrice et de relaxation psychosomatique de Paris.
Elle est titulaire du diplôme universitaire Situations de handicap (approches neuro-
psychologique et clinique), délivré par l’université Paris VII Denis Diderot. Elle s’est
formée aux niveaux d'évolution motrice et a obtenu le Certificat de perfectionnement
en développement de l’enfant et en infirmité motrice cérébrale, à l’APETREIMC.
Pendant trois ans et demi, elle a exercé auprès d’enfants et d’adolescents polyhan-
dicapés. Aujourd’hui, elle travaille auprès d’enfants et d’adolescents en Centre
médico-psychopédagogique, à Aubervilliers. Elle continue l’accompagnement des
bébés et de leurs parents dans l’eau, débuté en 2004. Depuis 2007, elle propose la
formation Vivre l’eau aux étudiants de l’ISRP.
Denise Liotard
est psychomotricienne (École de Lyon) psychologue clinicienne et cadre de santé.
Elle exerce en hôpital gériatrique et dans différents organismes de formation. Elle
est chargée d'enseignement en psychomotricité, ITR Lyon I. Auteur de : Dessin et
psychomotricité chez la personne âgée, Masson, Paris, 1990 ; « La personne âgée :
du comportement à l’acte imaginé », in Abrégé de psychomotricité, Masson, 1993 ;
«“Le vilain petit canard” : entre somatique et psychisme, des passages mystérieux »
in Actes du XIIIe colloque SITP, Vernazobres-Greco, Paris, 1997.
Franck Pitteri
est psychomotricien DE, Institut supérieur de rééducation psychomotrice, Paris,
cadre de santé, titulaire d’une maîtrise de Gestion des établissements de soins et de
prévention. Il est psychomotricien en service de psychiatrie adulte, 17e secteur de
Versailles et 29e secteur de Paris. Il exerce en cabinet libéral à Paris, est coordinateur
pédagogique et Erasmus à l’ISRP, enseignant, formateur. Il participe à l'élaboration
d’un programme européen de formation en psychomotricité dans le cadre du Forum
européen de la psychomotricité. Approches spécifiques : relaxation, yoga, méthode
Vittoz.
Ses publications : « La relation tonus-émotion comme moyen de prise de conscience
de soi », Évolutions psychomotrices, n° 17, 1992:« Quelques indications pratiques
sur l’utilisation en psychomotricité de la respiration chez l’adulte », Évolutions
LES AUTEURS 9
Pascale Poirier
est psychomotricienne, diplômée de l’école de psychomotricité de Lyon (1982),
formée à différentes approches de la voix et du chant (Roy Art Theater, yoga et voix,
improvisations vocales). Elle exerce actuellement en centre médico-psychologique
(Saint-Cyr au Mont d’or 69) — prises en charge groupales ou individuelles auprès
d'enfants et d'adolescents —, et intervient en institution auprès d’adultes : animation
d’un groupe d'expression vocale à visée thérapeutique.
Chargée d'enseignement en psychomotricité ISTR, département Psychomotricité
Lyon I, formatrice dans le domaine de la médiation vocale à l’ISRP et auprès de
diverses associations de psychomotriciens.
Catherine Potel
est psychomotricienne, diplômée de l’École de psychomotricité de Lyon (1981).
Thérapeute en relaxation analytique (méthode Sapir), elle est membre de l’AREFFS
(Association de recherche, d’étude et de formation pour la fonction soignante). Elle
travaille actuellement en CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) à Paris, avec
des enfants et des adolescents, et en cabinet privé à Bagneux (92). Elle est fondatrice
et responsable de l'association Vivre l’eau. Elle enseigne à l’Institut supérieur de
rééducation psychomotrice et à l’Institut de formation en psychomotricité de la
Salpétrière. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Évolutions psycho-
motrices et de la revue Enfances et Psy. Elle a reçu le prix Sapir 2003.
Ses publications: Du trop de corps au pas de corps, en collaboration avec
Mme Descargues, Actes du congrès de psychomotricité, 1999 ;« Le cas Hubert »,
dans La question psychotique à l'adolescence, sous la direction de J.-J. Baranes,
Paris, Dunod, 1991 ;« Ne nous appelez plus bébés nageurs », Évolutions psycho-
motrices, 1999, n° 46; Le corps et l’eau : une médiation en psychomotricité,
Ramonville-Saint-Agne, Éditions Érès, 1999 ;« Avec la danse, à la recherche de son
image », Enfance et Psy, 1999, dossier n° 6, « Cultures et médiations » ; Les bébés
et les parents dans l'eau, coll. Mille et un bébés, Ramonville-Saint-Agne, Éditions
Érès, 2000 ;Psychomotricité. Entre théorie et pratique, sous la direction de C. Potel,
coll. Psycho, Paris, In Press, 2000 ; « Intérêt des groupes de psychomotricité pour
des adolescents en hôpital de jour », Le corps en jeu, coll. Psychomotricité, Solal,
10 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Marseille, 2002 ; Corps brûlant, corps adolescent. Des thérapies à médiation corpo-
relle pour les adolescents ?, coll. L’ailleurs du corps, Ramonville-Saint-Agne, Éditions.
Érès, 2006 ; « Je bouge, tu bouges, nous bougeons... Pan! t’es mort », Thérapie
psychomotrice et recherches. Controverses, 2006, n° 148 ; « Des thérapies à médiation
corporelle pour les adolescents. Un exemple: la relaxation », Neuropsychiatrie de
l'enfance et de l'adolescence, 2007 ; « Psychomotricité, reflet d’une société en chan-
gement », n° spécial de la revue CREAI Provence-Côte d'Azur et Corse. Dossier
« Les métiers de l’action sociale et médico-sociale : contributions à une réflexion »,
2007; Psychomotricité : un métier du présent et de l'avenir, à paraître chez Érès,
2008.
Jean-Paul Villion
est psychomotricien diplômé d’État depuis 1982. Il travaille au Centre de rééducation
fonctionnelle Pomponiana, à Hyères, auprès d’enfants en éveil de coma et d’adultes
atteints de maladies évolutives. Il exerce également sa profession en libéral. Il s’est
formé à l’éthologie auprès de B. Cyrulnick, à la faculté de Toulon. Spécialisé dans
le travail aquatique, il intervient comme formateur à Laforge-Formation et à
Adéquatis, ainsi que dans différentes structures professionnelles (École d’aide
médico-psychologique, Institut de formation des psychomotriciens). Il a collaboré
avec C. Potel à la Formation professionnelle continue sur les pratiques aquatiques
de l’ISRP, ainsi qu’à un cycle d'enseignement pratique à l’École de psychomotricité
de Naples.
Avant-propos à la troisième édition
10 ans après.
10 ans.
La psychomotricité est en plein essor dans une société en crise. Cela ne
peut que nous faire réfléchir. Retour au corps, retour à la sensorialité, retour
à l’essence du présent, retour à la vraie valeur de l’espace et du temps.
Retour aussi à une certaine forme de bon sens. Le corps, non pas oublié
mais dont le rôle a été minimisé dans les théorisations des 100 dernières
années sur l’humain, a retrouvé une place importante. Le corps dans ses trois
fonctions : corps réel, corps imaginaire, corps représenté.
On semble redécouvrir, à l’heure de la plus grande technologie, l’im-
portance et le rôle de la sensorialité dans les ancrages identitaires du sujet
humain. Cette redécouverte est sans doute suffisamment vitale pour que,
dans tous les secteurs médicaux et psychologiques, on assiste à une explo-
_sion de la demande de psychomotriciens.
12 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Catherine Potel
Le 10 juin 2010
Avant-propos à la deuxième édition
7 ans après.
7 ans après. Que s’est-il passé depuis la première édition de cet ouvrage
en 2000 ?
7 ans dans une vie c’est peu et c’est beaucoup. Pour un ouvrage, c’est
peu et c’est. beaucoup. Pendant 7 ans, il s’est passé des choses importantes
pour notre profession. Quelques points, en vrac:
— Augmentation des quotas dans les écoles.
— Mise en place de plusieurs D.U. (entre autres de recherche) en psycho-
motricité.
— Premières rencontres (enfin !) inter-écoles françaises de psychomotricité.
— Mise en place d’un master commun psychomotricité, orthophonie, kiné-
sithérapie, pour lequel Françoise Giromini et son équipe (Anne Gatecel,
Yolande Fradet Vallée, Agnès Servant) ont beaucoup œuvré.
— Développement de plus en plus important du champ d’exercice libéral.
— Créations de poste dans des secteurs de plus en plus variés, notamment
en gériatrie, en néonatalité, dans le domaine de l’adolescence, et dans les
services médicaux hospitaliers les plus variés.
— Nouvelles avancées dans l’articulation et la création des différentes
formations en psychomotricité au sein de l’Europe (programme Érasmus
entre autres). Pascal Bourger et Franck Pitteri sont depuis des années très
engagés dans ces actions européennes.
— Des techniques de bilan de plus en plus affinées, apportant aux jeunes
psychomotriciens de nouveaux outils d'évaluation et d’investigation psycho-
motrices spécifiques. On soulignera le développement d’une formation au
bilan sensorimoteur de André Bullinger (Dorota Chadzinski en est l’une des
formatrices référentes) ainsi que l’apport des travaux de Jean-Michel Albaret
et son équipe.
14 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Catherine Potel
Préface
JEAN-JOSÉ BARANES*
pas ne pas être frappé par la très grande cohérence qui lie ensemble des
pratiques extrêmement différentes les unes des autres, et dont le récit est fait
ici avec un grand bonheur d'écriture par des praticiens inégalement familiers
de l’écriture et de la publication. Les textes se déroulent à la lecture à la
manière d’un morceau de musique dont les échappées, les reprises, les tempi
ne font jamais dissonance, si par contre leur diversité ouvre sur celle du
champ de la psychomotricité aujourd’hui et sur une série d’harmoniques
nourrie de cette diversité même.
L’axe fort affirmé par les auteurs, ou plus exactement celui qui se dégage
pour le lecteur à travers ces contributions, est celui d’une spécificité du
champ de la psychomotricité, discipline de création assez récente et dont
la situation d’entre deux, entre le corps et la psyché, entre l’éducation corpo-
relle, l'expression par et dans le corps, et la thérapie trouvait quelquefois sa
résolution dans un activisme technologique défensif. Ici, rien de semblable,
rien qui ressemble non plus à la défense et illustration d’une école de pensée.
Bien au contraire, les auteurs de cet ouvrage collectif animé par Catherine
Potel nous montrent à travers le cheminement qui est le leur, fait d’inventions
et de bricolages, la fécondité potentielle de cette position d’intermédiaire, et
plus précisément de celle de médiateur ou passeur entre corps et psyché — on
sait le grand succès rencontré par le terme de médiation corporelle — dès lors
qu’elle se met au service de la symbolisation et de l’appropriation subjective,
par un sujet, de son corps et de son histoire. Et ceci dans des situations aussi
variées que de la néo-natalité, celle des réveils de comas, des adolescents
psychotiques ou états limites, pour ne pas parler des adultes en situation de
marginalité et de détresse corporelle et narcissique ou des personnes âgées.
Si j'ai pris le parti de brouiller un peu les cartes en introduisant cette
brève préface par l’exposé d’une courte séquence qui pourrait être celle
d’une psychothérapie d’enfant, c’est justement pour souligner les paradoxes
rencontrés par une pratique qui s’affirme clairement située dans le champ
du soin et de la relation, et qui nous montre dans cet ouvrage sa capacité à
forger les outils de sa théorisation, en demeurant délibérément dans l’écart
théorico-pratique — seule position féconde à mes yeux — à partir des apports
des disciplines voisines, et notamment de la psychanalyse. Anzieu, Winnicott,
pour ne citer que ceux-là, sont des psychanalystes qu’on trouvera souvent
cités ici. Mais loin d’être le lieu d’une application conceptuelle forcée qui
ne serait qu’un cache-misère, cet ouvrage nous montre la richesse d’une
expérience du corps, celle du psychomotricien, qui ouvre à de multiples
champs dont la psychopathologie contemporaine — et la psychanalyse
d’ailleurs — nous montrent l’importance, dans une société et une culture où
les ancrages symbolisants sont à refonder et à reforger de manière urgente.
Introduction
CATHERINE POTEL
Même si nous pensons que les créations et les ouvertures ne se font pas
assez rapidement, il est cependant important de pointer cette évolution.
Mais la constatation du développement et de la diversification du champ
de la psychomotricité nous fait nous poser la question de la spécificité du
psychomotricien. Se définit-elle par une formation de base dispensée par les
écoles, par un champ théorique unique, une technique-méthode de soin, une
certaine conception du corps et de son langage, ou bien encore par une façon
de théoriser des pratiques différentes certes mais complémentaires et surtout
adaptées aux patients ?
20 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
PERSPECTIVES THÉORIQUES
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Chacun connaît les formules originaires inscrites par nos maîtres sur « la
déclaration de naissance » de la psychomotricité comme pratique théra-
peutique para-psychiatrique.… Pour définir la spécificité du rejeton psycho-
motricité, il s'agirait d'appréhender le « corps-en-relation » selon le père
fondateur Julian de Ajuriaguerra [1] [2], d’évoquer une « motricité en relation »
selon les termes de Bernard Jolivet [13] [14], de mesurer ce qu’engage le
« fonctionnement des fonctions » pris dans la relation à l’autre selon Jean
Bergès [5] [6]...
On pourrait se demander s’il y a encore à revenir sur ces formules origi-
naires et identitaires — près d’un demi-siècle plus loin ! — et à bégayer mal
ce que tous ceux-là ont déjà dit mieux que je ne saurais le faire aujourd’hui,
pour appréhender une spécificité psychomotrice, qui selon toute vraisemblance
et au regard de son implantation dans le milieu sanitaire et médico-social
n’a plus guère à être défendue et encore moins recherchée. Et pourtant!
Pourtant, je prônerai ici que ce retour « emprunté » sur les traces de nos
maîtres n’est peut-être pas de trop aujourd’hui, et que derrière l’indéniable
implantation sociale d’un corps professionnel il existe encore un flou identi-
_ taire « adolescent » dans quoi la spécificité praxique de l’objet psychomoteur
peut se perdre et s’oublier ;d’autant plus que les praticiens de la discipline
psychomotrice méconnaissent trop souvent leurs origines et leur déclaration
de naissance.
24 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Qu'on ne se méprenne pas trop sur mon sentiment: il y a des apports majeurs
(c’est peu de le dire) des neuro-sciences et du cognitivisme ou d’autres
approches développementales, et un très grand sérieux dans les travaux de
J.-M. Albaret et de nombre de collègues plus « fondamentalistes » que moi
mon propos et mon inquiétude résident ailleurs. Je ne crois nullement qu’il
s’agit de psychomotricité dans ces perspectives hautement respectables et
qui intéresseront par ailleurs le développementaliste naturel qu’est le psycho-
motricien ! Je crois juste qu’en l’ignorant — ou plus grave en le sachant — à
vouloir tirer la psychomotricité de ce seul côté-là, s’ensuit (ou s’ensuivra
bientôt) un effet de dissolution et d’attaque en règle de la spécificité psycho-
motrice et plus loin du corps des psychomotriciens ! Et je ferais volontiers
remarquer que, partout où le rabattement du psychomoteur sur le neuromoteur
ou le cognitivo-développemental a œuvré, l’objet de la psychomotricité s’est
trouvé destitué et dissous : qu’on regarde la totale disparition des perspectives
psychomotrices au Canada alors qu’une authentique et importante école
représentait ce mouvement dans les années 70/80.
La véritable question est que l’un ne se rabat pas sur l’autre : le trouble
psychomoteur n’est en aucune manière un désordre neuromoteur du côté
d’un équipement défaillant et d’une fonction à redresser.
vue toujours un mauvais procès, un faux débat, qui ampute l’objet même de
leur nouage, et maltraite la richesse d’une identité plurielle et les invariants
d’une spécificité pourtant longuement mûrie…
Les thérapeutiques psychomorrices disent, selon moi, toujours — comme
le concept de psychomotricité lui-même — et quelle que soit l’accentuation
plus techniciste, plus directive ou plus relationnelle propre à chaque profes-
sionnel, la centration sur le symptôme ou ailleurs sur la globalité de l’êrre
psychomoteur :la mise en jeu ludique et dans la relation du corps et de ses
enjeux narcissiques et identificatoires, du corps dans sa globalité rela-
tionnelle et dans son lien à la vie psychique, comme dans l'exercice de ses
fonctions instrumentales et cognitives, dans son rapport au monde autant
affectif que cognitif et praxique, à la fois équipemental, intra-psychique
et nécessairement inter-subjectif!
L'option psychothérapeutique des pratiques de la psychomotricité a été
ouverte par Julian de Ajuriaguerra lui-même dès l’origine de la psychomo-
tricité. Et la dimension thérapeutique de ces praxis psychomotrices s’inscrit
dans une visée alors assez bien définie : l’importance de la mobilisation du
fond moteur dans l’expérience du corps-en-relation propre au dispositif
soignant de psychomotricité, permettant un remaniement de la personnalité,
une réassurance narcissique, un assouplissement des défenses, à travers une
dynamique identificatoire essentielle. « Le but n’est pas moteur, mais la possi-
bilité de sentir le corps comme objet total dans le mécanisme de la relation »,
disait Ajuriaguerra. À quoi nous rajouterons : le but n’est pas l’exercice exem-
plaire et performant de l’acte ou de la fonction, mais bien plus l’investissement
harmonieux d’un sujet fonctionnel, l’expérience ludique habitée d’un étre
psychomoteur. Si ces diverses pratiques thérapeutiques ne sont pas directement
interprétatives (dans le transfert et au sens psychanalytique du terme), si elles
sont appelées par une dysharmonie des fonctions, voire des troubles instru-
mentaux spécifiques, comme autant de points d’appel ; elles visent toujours
un remaniement global de cet être psychomoteur et in fine (dixit Ajuriaguerra
lui-même) sont: « de fait, des activités psychothérapiques au cours desquelles
les thérapeutes peuvent interpréter les vécus successifs et les changements
de relation avec autrui ou le monde extérieur sur le plan des résistances » [2].
Ces propos de Ajuriaguerra, souvent omis voire totalement oubliés, sont
pourtant assez clairs, voire saisissants de déterminisme !
4, En guise de conclusion
Le sens des thérapeutiques psychomotrices [15] c’est la juste mesure
| d’une perspective clinique et technique, voire d’un dispositif thérapeutique,
ou mieux encore d’une praxis. C’est même en cet endroit pratique, clinique
et technique, qu’est habituellement seulement assis le praticien de la psycho-
motricité. Venons-y en guise de conclusion!
36 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Je crois 2 que quelle que soit la diversité des techniques, des médiations,
des savoir-faire et des pratiques qui se revendiquent de « la » psychomotricité
(dans un étonnant singulier puisqu'il s’agit d’un authentique kaléidoscope),
il existe néanmoins quelques invariants génériques aux dispositifs thérapeu-
tiques de psychomotricité : une spécificité vraie de l’abord psychomoteur ; et,
se faisant, une spécificité de ses indications différentielles (positives et néga-
tives) qui se dégagent de la bonne compréhension de l’originalité de cet
abord psychomoteur.
Cette spécificité praxique de la psychomotricité ne réside pas comme on
l’a crue trop longtemps — en s’embourbant quelque peu dans des clivages
intra-professionnels — dans la mise en tension différentielle [avec la nécessité
induite de choisir son camp] entre:
a) d’une part, rééducation techniciste ciblée sur un symptôme à « redres-
ser », ou sur une lecture neuro-psycho-développementale des fonctions
psychomotrices à « entraîner », et
b) d’autre part, psychothérapie ludique et médiatisée utilisant, à la diffé-
rence de l’expérience de la cure analytique, la mise en jeu du corps, de
l'expression corporelle agie.
4.3. Jouer!
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
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CALZA A., CONTANT M. et coll., « Les troubles psychomoteurs et le thérapeute
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10. DIATKINE R., « Psychomotricité et psychiatrie de l’enfant », L'Information
Psychiatrique, 1971, 47/6.
PSYCHOMOTRICITÉ : UNE MOTRICITÉ LUDIQUE EN RELATION 41
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Psychomotricité
et motricité psychique
ALBERT CICCONE
prédisposition.….).
Le point de vue psychosomatique affirme, en général, le non-sens du Symp-
tôme corporel en tant que tel : si le corps est un instrument pour l’hystérique,
il est une victime pour le psychosomatique. Le trouble psychosomatique voit
un dysfonctionnement ou une maladie corporels réels déterminés en partie
par des éléments psychologiques. Certains psychosomaticiens ont cependant
mis en évidence la manière dont le symptôme psychosomatique lui-même
peut aussi avoir du sens, le corps étant conçu comme un véritable théâtre dans
lequel se joue un scénario qui souffre de ne pouvoir être symbolisé. On peut
dire, en effet, que l'événement corporel traduit une faillite dans le processus
de symbolisation. Mais s’il rend compte d’un échec de la symbolisation, il
est fondamental de souligner que l’événement corporel représente en même
temps une fentative de symbolisation. Le corps est lui-même le théâtre d’une
symbolisation en souffrance. Il est même une modalité première et primordiale
de symbolisation.
Après ces quelques brefs rappels concernant l’hystérie et la psychoso-
matique, je vais souligner les propos de Freud lorsqu'il décrit les fantasmes
hystériques et leurs rapports à la bisexualité. Freud conçoit la crise hysté-
rique comme dramatisant une scène à deux protagonistes. L'observation du
comportement de la patiente pendant la crise hystérique conduit Freud à la
formulation suivante : tout se passe comme si l’hystérique mettait en scène,
dans la crise, la situation d’un homme violentant une femme ; d’une main la
patiente arrache sa robe (en tant qu’homme), et de l’autre elle la retient serrée
contre elle (en tant que femme). Ces considérations introduisent les travaux
modernes dans lesquels le corps est conçu comme lieu de transit de la réalité
psychique, comme scène sur laquelle peut se déployer la conflictualité
psychique, autrement dit comme scène pour la symbolisation, et comme
cadre à la symbolisation.
J'ai parlé des conceptions psychosomatiques. On peut rappeler aussi, par
exemple, les travaux de Geneviève Haag qui mettent en lumière ce qu’elle
appelle l’«identification intracorporelle ». Ces termes décrivent le procédé
par lequel l’enfant, le bébé, rejoue dans son corps, à travers l’articulation
des différents segments de son corps, des interrelations qu’il a vécues avec
un ou des membres de son entourage. Par exemple, lorsqu'un bébé qui vient
d’être nourri et qui est tenu dans les bras maternels joue avec ses mains, se
-prend les mains l’une dans l’autre, entoure le pouce d’une main avec l’autre,
tout se passe comme s’il rejouait avec ses mains l’enveloppement maternel
sécurisant, contenant. Une main représente la mère, l’autre main ou le pouce
représentent le bébé porté, enveloppé. De même, lorsque le bébé écarte brus-
quement les bras ou les jambes au moment où la mère s'éloigne, tout se passe
46 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
comme si un côté du bébé représentait la mère qui part, et l’autre côté le bébé
abandonné, ou, lorsque les membres se rassemblent, le bébé qui tente de
retenir la mère.
Ces considérations résultent d’une observation fine et attentive du bébé,
de ses attitudes, de ses comportements, des interactions avec ses partenaires.
On peut ainsi signaler tout le courant actuel d’observation psychanalytique
du bébé selon la méthode d’Esther Bick.
Les observations fines réalisées dans ce contexte mettent en évidence la
manière dont les expériences corporelles, décrites dans leurs détails, fondent
les états émotionnels et psychiques naissants. Le courant interactionniste,
lui aussi actuel, visant l’observation des interactions précoces, s’attache aussi
à décoder les vécus subjectifs du bébé et de ses partenaires, à partir de leurs
corrélats comportementaux, interactifs. Bref, l’éthologie, la psychologie du
développement, ainsi que la psychanalyse, ont largement mis en évidence
et développé l’idée selon laquelle le corps — par la sensorialité, la motricité,
le comportement — traduit des événements subjectifs, des actes de pensée,
et l’idée selon laquelle l’expérience corporelle — sensorielle, motrice, compor-
tementale — est un préalable à l’émergence de la pensée.
dont Winnicott a défini le jeu, qu’il conçoit comme une thérapie en soi. Le
jeu, qui se déploie dans un espace dit «transitionnel » (ni dedans, ni dehors),
voit la réalité interne transiter par la réalité externe, pour se donner à repré-
senter, et pour se transformer avant d’être réintériorisée. L'acte de jeu est
ainsi un acte de symbolisation. L'enfant emprunte des fragments de réalité
externe pour extérioriser et vivre un échantillon de rêve potentiel. Par la mise
au-dehors, le jeu symbolise un événement du dedans.
Mais le jeu est aussi symboligène par ce qu’il permet comme intériori-
sation d'expériences de rencontre avec l’altérité, avec la réalité extérieure.
Par exemple : un enfant subit une visite médicale ; de retour chez lui, il joue
au docteur. Par le jeu, l’enfant atténue la dimension traumatique de l’expé-
rience et intériorise l’expérience. On peut dire que toute expérience de
rencontre avec une altérité, avec la réalité qui impose une altérité, est une
expérience traumatique. C’est un microtraumatisme qui blesse le narcis-
sisme. L'autre est toujours une blessure pour le soi, pour le narcissisme. Et
le jeu est une manière de fabriquer du soi à partir de cette expérience d’alté-
rité. Le jeu produit donc du narcissisme secondaire.
René Roussillon, à partir entre autres des conceptions de Winnicott, a très
bien démontré aussi la manière dont l’agir est symboligène, à travers sa
conception de la «symbolisation primaire». La symbolisation primaire est
une modalité d’appropriation des expériences, des éprouvés, par une activité
de liaison entre des traces mnésiques perceptives et des représentations de
chose (la symbolisation secondaire décrivant l’activité de liaison entre des
représentations de chose et des représentations de mot). La symbolisation
primaire se déploie chez l’enfant essentiellement dans le jeu (autoérotique
ou intersubjectif) et chez l’adulte dans le rêve. Le jeu est donc pour l’enfant
un moyen de symboliser, un moyen de représenter, et la représentation est
pour l’enfant un moyen d’agir : l’enfant représente (et joue) ce qu’il ne peut
pas être, ce qu’il ne peut pas agir en réalité.
L'acte n’est donc pas opposable à la pensée. Mais la question qui se pose
est celle de savoir comment l’acte est réalisé. Il y a des manières d’agir qui
produisent de la pensée, et des manières d’agir qui évitent la pensée : par
exemple, l’autoérotisme peut se transformer en autosensualité autistique qui
écrase toute forme de pensée. Il y a des manières d’agir qui sont un jeu, et
des manières d’agir qui empêchent le jeu : cela lorsque le jeu est envahi par
l'excitation pulsionnelle (Winnicott avait bien souligné combien l’excitation
_pulsionnelle constituait la plus grande menace pour le jeu et pour le moi).
La même remarque peut être faite pour la parole : la parole peut soutenir
une activité de symbolisation ou bien empêcher la symbolisation. La parole
peut construire des pensées, transmettre des pensées ;elle peut tout aussi
bien n’être qu’un acte visant à évacuer des non-pensées, à se débarrasser
48 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Conclusion
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«Le corps peut, par les seules lois de sa nature, beaucoup de choses qui causent
à son âme de l’étonnement… si le corps est inerte, l’âme est en même temps
privée d'aptitude à penser.»
Spinoza, L'Éthique.
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
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1. Introduction
3.1. Définition
les émotions qui s’en dégagent et le besoin ou non d'utiliser son propre corps
dans l’action. Il s’agit là d’interprétations psychomotrices représentées par
un commentaire du vécu et de l’éprouvé corporel, ainsi que des scénarios
imaginaires joués dans l’ici-maintenant.
par le consultant sont assez significatifs pour justifier une thérapie psycho-
motrice, le bilan servira à la mise en place de celle-ci:
Dans l’un ou l’autre des cas, nous considérons que le bilan psychomoteur
fait partie d’un tout thérapeutique avec son pouvoir de diagnostic et d’obser-
vation, qui permet d’avoir un avis global tout en s'intéressant à un point
particulier.
En fait le bilan est considéré comme une évaluation des potentialités qui
permettra de repérer le niveau d’évolution.
Ce qui nous paraît important pour l'indication de prise en charge en
psychomotricité, c’est d’une part la souffrance dans le domaine de la psycho-
motricité et d’autre part la difficulté à l’élaboration psychique qui pousse le
patient à l’expression par le passage à l’acte et à l’agi.
N'oublions pas que la décision d’un suivi en psychomotricité peut être
étayée par l’apport d’information d’autres bilans : psychologique, neurolo-
gique, ophtalmologique…
5, Conclusion
Nous pourrions. conclure en espérant que ces quelques lignes ne soient
pas ressenties comme l'expression d’une pratique stricte et définie mais
qu’elle puisse représenter pour de nombreux psychomotriciens un écho à leur
mode de travail. Que l’impression suscitée par cette lecture puisse proposer
des pistes de réflexions et d'élaboration. Favoriser l’évolution de la pratique
psychomotrice, c’est bien évidemment permettre à de nombreux patients de
‘bénéficier d’une prise en charge de plus en plus adaptée et individualisée à
leur problématique.
” Être interpellé et démuni en début de prise en charge est une attitude à
préserverà l’égard de notre pratique professionnelle. Et c'est le questionne-
80 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
BIBLIOGRAPHIE
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SECONDE PARTIE
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PATRICK BLOSSIER
1. Introduction
2.1. Le SUPEA
Le Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
(SUPEA), dirigé par le professeur Marcelli, fait partie de l’Intersecteur Nord
du département de la Vienne. Deux axes de travail y sont privilégiés.
La première vocation du service est d’être une structure de soins et de
prévention.
On y trouve toutes les consultations habituellement faites dans un CMP.
Entre autres, celles pour nourrissons et psychothérapies mère/enfant, groupes
«mère/bébé », consultations et psychothérapies pour enfants et adolescents,
groupes thérapeutiques, psychodrame.…
La psychomotricité s’inscrit dans ce cadre de consultations (du bébé à
l'adolescent), en individuel ou en groupe. Les enfants et les adolescents me
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 85
L'autre vocation est d’être tournée vers ce que l’on appelle la psychiatrie
de liaison avec :
— en collaboration avec le CHU, des consultations en service de maternité,
de réanimation pédiatrique, de néonatalogie, ou de pédiatrie;
- — une collaboration avec les services sociaux tels que la PMI (Protection
maternelle et infantile), l’ASE (Aide sociale à l’enfance), la justice, des inter-
ventions en crèches et haltes-garderies.… :
— l’existence d’un centre spécialisé de prévention et de lutte contre la
toxicomanie (ISATIS) avec la mise en place de permanences d’écoute dans
les collèges et lycées.
+ Les locaux
Le service se situe au sein du centre hospitalier universitaire. Avec la
modernisation du service, il y a quelques années, une réflexion a été entreprise
sur le cadre et les conditions d’hospitalisation des enfants. Cette restructuration
a permis de créer deux secteurs, l’un logistique (salle de réunions, réserve
* de matériels), l’autre d’hospitalisation comprenant douze chambres, une salle
technique et un sas d’entrée pour les parents.
86 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
3.1. La prématurité
Elle est définie par une naissance survenant avant 37 semaines d’amé-
norrhée (36 semaines révolues) ou un poids de naissance inférieur à 2,5 kg.
Il faut signaler qu’à l’heure actuelle la limite inférieure pour parler de
naissance a été fixée à un terme de 22 semaines ou un poids de 500 g.
(Poissonet, 1997). Selon une expertise de l'INSERM, 9000 enfants, consi-
dérés comme de grands prématurés, naissent chaque année avant 33 semaines
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 87
3.2. Marion
seule zone qui reste douloureuse semble être son pied droit et j’observe
souvent, à cet endroit, un mouvement de retrait. Hormis cette zone sensible,
elle semble apprécier le contact et se laisse manipuler avec plaisir.
La semaine suivante, je suis stupéfait des changements physiques de
Marion : elle a grossi, grandi, sa peau est beaucoup plus rosée. Sur le plan
médical, elle n’est plus ni intubée, ni gavée. Elle n’a plus besoin d’un apport
important en oxygène. L’interne me confirme que son alimentation par voie
orale se passe bien.
En début d’année, une étape importante est franchie : elle est transférée
en néonatalogie.
Le seul objectif désormais est la prise de poids et de permettre au système
pulmonaire de Marion de se développer et d’être suffisamment indépendant.
Quelques jours avant sa sortie je rencontre les parents et nous décidons de la
poursuite de la prise en charge à domicile. J’insiste sur l’importance de cette
pratique et sur la relation qu’ils ont avec leur fille, afin que chacun puisse
trouver ses repères, son rythme de vie après quatre longs mois de séparation.
préventive précoce par stimulations. Elles ont insisté sur les méfaits de l’iso-
lement social et sensoriel du bébé prématuré dont il devenait nécessaire
d’adoucir l’état d'abandon et le dénuement de son milieu.» (op. cit).
confirmant les craintes de ne pas être capables d’être des parents, et déve-
lopper un sentiment de culpabilité. C. Druon affirme que « dans tous les cas,
le bébé et sa famille vivent une épreuve. On se trouve dans une situation à
risque, pour les uns et les autres. Le risque majeur est celui du non établis-
sement d’un lien très précoce entre mère et bébé, parce qu’il y a eu rupture ».
(C. Druon, 1994)
Prévention des troubles du développement psychomoteur, maintien du
lien mère/enfant, dépistage des signes de souffrance psychique ou physique,
les arguments ne manquent donc pas pour faire intervenir un psychomotricien
en réanimation pédiatrique.
4. L'intervention psychomotrice
4.1. Indications
” Premier enfant d’un jeune couple, Maud est née à 39 semaines et 3 jours.
Très vite les difficultés commencent.
92 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Son coefficient d’APGAR est coté à 8 à une minute et n’est plus que de
1 à cinq minutes. Elle est alors réanimée, oxygénée au masque, intubée. .
Dans les premières 48 heures, on observe une amélioration rapide de son
état de santé. Sa détresse respiratoire s’améliore. Elle est extubée (on lui
retire sa canule). Elle va présenter de nombreuses désaturations en oxygène
secondaires à des apnées. Elle est réintubée en urgence. Ces événements se
répétant et des apnées profondes apparaissant en période de sommeil, elle
sera placée sous ventilation assistée au 8e jour de son hospitalisation.
Elle est alors dirigée vers un hôpital parisien pour examens
complémentaires. Un syndrome déjà suspecté va être confirmé. Il s’agit du
syndrome d’Ondine ou SHACC6. De retour dans le service, une trachéotomie
est pratiquée.
Lorsque les conditions de test sont plus favorables, Maud est âgée de
7 mois et 11 jours. ;
C’est dans le domaine des coordinations qu’elle se montre la moins perfor-
mante (QD ou quotient de développement de 73,8 pour un AD ou âge de
développement de 5 mois et 14 jours). Elle peut soulever par l’anse une tasse
retournée, enlever un cube de la table à sa vue. Par contre, elle ne peut encore
tenir deux cubes, l’un dans chaque main et regarder le troisième. La pince
n’est pas assez fine pour saisir une pastille en ratissant.
Au niveau postural, elle obtient un QD de 83, un AD de 6 mois 7 jours.
Allongée, elle se débarrasse de la serviette posée sur sa tête. Elle se soulève
jusqu’à la position assise si on exerce une traction sur ses avant-bras.
Ce n’est que deux mois plus tard que j’ai pu réellement entrer en relation
avec Mathilde et lui proposer les stimulations tactiles. L’interaction visuelle
est bonne et se maintient tout au long de la séance. Sur le plan moteur, une
hypotonie axiale rend toute mobilisation difficile.
J'apprends par une infirmière que ses parents bien qu’éloignés prennent
de ses nouvelles par téléphone régulièrement. Mais ils se montrent discrets
auprès de leur enfant, ce qui pose problème pour l’apprentissage des actes
indispensables qu’ils devront savoir effectuer si Mathilde rentre un jour
chez elle.
Lors d’une séance, à mon arrivée, Mathilde est très encombrée et cyano-
sée. À une simple palpation de son bras, elle réagit vivement comme si elle
ressentait une douleur très importante. Tout en lui parlant, et lui prenant la main,
elle réussit à s’apaiser et à s'endormir. Son visage retrouve une teinte plus rosée.
Son état respiratoire s’améliorant, Mathilde est enfin extubée. Cela semble
la transformer, sa motricité spontanée étant plus grande. De la main, elle
peut maintenant toucher sa tête, ses cheveux, son visage. Ces observations
sont confirmées par la puéricultrice référente de l’enfant. L'équipe trouve
Mathilde plus active, et initiatrice dans la relation. Son importante hypotonie
axiale persiste, elle ne parvient pas encore à tenir sa tête. Seule la manœuvre
de retournement est possible, et elle devient plus active et participante.
À l’âge de 5 mois, Mathilde sort de réanimation et sera transférée dans
le service de pédiatrie nourrissons. Elle y sera soignée pour une infection
respiratoire virale.
souffrir d’un érythème fessier. C’est pourquoi une nouvelle passation est
programmée quelques semaines plus tard.
Quels sont donc les bénéfices et les objectifs des stimulations tactiles ?
En tout premier lieu, c’est bien de la peau dont il s’agit de parler.
ral quotidien. L'apport calorique dans le groupe stimulé n’est pas différent
de celui du groupe témoin alors que le gain pondéral journalier est augmenté
de 47 %. De plus, les bébés sont éveillés et actifs durant de plus longues
périodes. Cette observation les a surpris car ils pensaient que les massages,
facilitant l’endormissement, augmentaient le temps de sommeil. Les bébés
massés montrent de meilleures performances aux items d’habituation, d’orien-
tation, d’activité motrice et de régulation de l’état d’éveil, à l'examen néo-
natal de Brazelton. Enfin, ils subissent une hospitalisation en moyenne d’une
durée inférieure de 6 jours à celle du groupe contrôle, ce qui représente une
économie de 3000 dollars par enfant (T. Field, 1994).
On a établi que, chez l’enfant, la stimulation cutanée précoce exerce une
influence tout à fait bénéfique sur le système immunologique en ayant des
conséquences importantes sur la résistance aux infections et autres maladies
(Im, 1992).
Plus récemment, T. Field, dans un article paru en 1995, et intitulé «Massage
therapy for infants and children », expose les résultats d’une étude encore
non publiée. Elle a comparé l’effet des massages et du bercement chez des
bébés nés à termes normaux, de mères adolescentes. Les bébés étudiés sont
âgés de 1 à 3 mois. L'analyse des effets immédiats est significative, en faveur
du massage qui augmente le temps d’éveil actif sur vingt-quatre heures,
abaisse quantitativement les cris du bébé. Ces bébés ont un taux salivaire de
cortisol plus bas pendant le massage probablement en relation avec un niveau
de stress inférieur. À long terme, les bébés massés ont pris plus de poids, ont
fait plus de progrès dans les domaines de la sociabilité, de l’émotionnalité,
de la capacité à s’auto-apaiser. Ils ont de meilleures capacités en interaction
face à face (Maggioli, 1998).
Sur le plan psychomoteur, les stimulations tactiles ont un effet bénéfique
sur la construction du schéma corporel et de l’image du corps. En effet, pour
ces enfants hospitalisés, l’image du corps et le schéma corporel sont direc-
tement sollicités d’autant que ces enfants subissent toute sorte d’agressions
(souvent indispensables et vitales). Par le toucher, ils peuvent découvrir des
sensations de plaisir et de bien-être restructurantes, permettant progressivement
une construction et une représentation unifiée du corps. En fait, «Masser le
corps d’un enfant, c’est s’en rapprocher tout en lui faisant sentir de la distance »
(P. Coutable, 1993).
L'investissement relationnel des infirmières et des puéricultrices, ainsi
que la présence parentale jouent ici un rôle complémentaire de premier plan.
«Dans notre propos, il ne s’agit donc pas de vouloir prétendre à une exclu-
sivité d'ordre professionnel, mais d’y assurer une grande qualité d'approche
dans la mesure où le travail avec les tout-petits est un véritable pari sur l’avenir.
D'ailleurs comment prétendre à cette exclusivité, alors que justement on
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 99
Le toucher doit être lent et appuyé, ce n’est pas une caresse. Le contact
n’est jamais interrompu pendant toute la durée de l’exercice, sauf si l’enfant
montre des signes de souffrance ou d’inconfort. Il est pratiqué deux fois par
semaine, et dure environ 15 minutes. Il sera complété dans certains cas de
mobilisations passives. Le sommeil est toujours respecté.
Les stimulations tactiles sont proposées aux parents. Il est important d’ex-
pliquer que cela n’a aucun caractère obligatoire. Très souvent, j’ai remarqué
que l’un des deux parents plutôt réticent au départ, pour de multiples raisons
(j'ai les mains moites, je pourrai lui faire mal, je n’aime pas le contact de
l’huile, c’est pas pour moi..….), sera aidé par l’autre qui, prenant beaucoup de
plaisir à le faire, incitera son compagnon à faire de même.
Lorsque ce sont les parents qui touchent leur enfant, leur toucher sur le
corps de l’enfant est peu commenté et souvent non interprété. Par contre, la
réponse de l’enfant l’est et cela de manière implicite ou explicite. Elle va donc
modifier au fur et à mesure leur manière d’entrer en contact et en relation
avec lui.
C’est pourquoi la première séance avec les parents sera capitale et souvent
conditionnera les séances suivantes.
Observations possibles au cours des séances :
— observation de la relation mère/enfant et leur mode de dialogue tonique
(quand les parents sont présents) ;
— mode de portage, attitudes, messages verbaux échangés ;
— réactions toniques, posturales, mode de communication, réactions tonico-
émotionnelles et sensori-motrices du bébé.
«Les analyses des compétences interactives des nourrissons et leur forme
d’attachement à leur mère peuvent manifester bien souvent des signes avant-
coureurs de développement pathologique et ceci d’autant plus que ces jeunes
enfants sont de par leur naissance soumis à des risques importants »
(Abecassis, 1997).
[ne faudrait pas croire que l’enfant est entièrement passif pendant le soin.
PRATIQUE PSYCHOMOTRICE EN SERVICE DE RÉANIMATION PÉDIATRIQUE 101
Bien au contraire, c’est lui qui dirige ! Si on sait l'écouter, c’est lui qui
permet ou non le soin et l’accessibilité à des zones de peau. Si le toucher ne
lui convient pas, ou s’il a mal, ou si tout simplement il est fatigué, c’est son
corps, ses pleurs, ses mimiques ou son état physiologique du moment qui y
réagit, par exemple par une diminution des saturations en oxygène et cela
se traduira et s’annoncera par les alarmes.
6. En forme de conclusion.
NOTES
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Intervention des psychomotriciens
en creche et en centre de protection
maternelle et infantile (PMI)
Originalité de la prévention précoce
une liberté de mouvements. Les adultes avaient alors une part d'intervention
active sur le corps de l’enfant. Ce fut le courant autour de «l’éveil du bébé »
(cf. Janine Levy et autres [1]).
Grâce aux innovations du Dr de Chambrun, cette volonté de «libérer les
bébés », de mieux les éveiller, aboutit à l’application de cette «gymnastique »
par des éducatrices et à la création des premiers postes en psychomotricité.
Ainsi, entre 1974 et 1982, six psychomotriciennes vacataires arrivèrent, ce
qui était exceptionnel à l’époque.
Pendant toute cette période la façon de penser l’accueil des enfants et
celui des parents, le profil de poste des auxiliaires de puériculture, des
éducatrices, la perception des besoins des enfants, évoluèrent considéra-
blement. Ce fut une révolution dans la manière de concevoir la place de
l’enfant.
Inspirées par ces travaux précurseurs, mandatées pour l’éveil des enfants
«bien portants », l'échange avec les équipes et la vie auprès des enfants firent
très vite évoluer notre profil de poste : éveil, observation, compréhension
des besoins moteurs, intellectuels, affectifs... nous avons peu à peu échangé
avec les équipes sur des enfants qui exprimaient des difficultés corporelles,
des difficultés de communication... un mal-être.
Notre évolution théorique s’est enrichie des travaux sur la « motricité
libérée » des enfants placés au sol, laissés libre d’évoluer dans les meilleures
conditions (vêtements confortables, pieds nus) (cf. E. Pickler [2] et
A. Grenier [3]).
Depuis les années 1980 se sont développés les travaux sur les interactions
précoces entre le bébé et ses différents partenaires, les subtilités de ces
moments d'échanges, l’ajustage et la synchronie, l’accordage dans les regards
et les émotions (travaux de M. Soule, S. Lebovici, D. Stern, B. Cramer..
et coll.).
Précédemment depuis les années 1940 se développaient les travaux sur
l’observation de l’enfant dans différentes situations en famille (E. Bick),
entre pairs. et ces méthodes d’observation devinrent de véritables outils
de travail pour les professionnels de la petite enfance. Quelques années plus
tard, la vidéo se développait mettant la technique au service de l’observation
et de la compréhension de phénomènes imperceptibles dans un vécu direct.
Notre arrivée en PMI se fit ainsi, à l’occasion d’une Recherche action
formation, menée conjointement par l'UFR de psychopathologie de la faculté
de Bobigny (S. Lebovici et coll.). L'objectif était de mieux comprendre et
prévenir les risques de maltraitance ou de négligence grave.
Nos outils principaux étaient : le travail en salle d’attente (cf. M. Soulé
et Coll. [4]), des grilles d’observation sur les interactions parents/enfants, la
visite à domicile et la prise en charge individuelle.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 107
2. Travail en crèche
Nous intervenons tant auprès des enfants que du personnel, aussi bien
dans des temps communs que séparés.
Nous participons au projet global du fonctionnement de la crèche :
2.6.1. Lucie
Lucie est une petite fille pour laquelle la crèche a interpellé l’équipe des
psychomotriciennes. Lucie « porte » une histoire familiale lourde, elle est la
troisième d’une fratrie de trois filles. La fille aînée est décédée de mort subite
à l’âge de 3 mois. Les raisons de ce décès ont été expliquées par une maladie
génétique dont les deux parents sont porteurs sains.
110 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
La deuxième fille est née un an et demi plus tard. Elle n’est pas porteuse
du gène, son développement s’est déroulé normalement, elle a fréquentéla
crèche. Lucie est née quatre ans plus tard, elle est hétérozygote et donc
porteuse saine de la maladie génétique.
Le développement psychomoteur et psychoaffectif de cette fillette a été
source d’inquiétudes dès son plus jeune âge. Elle a été l’objet de nombreuses
consultations médicales spécialisées et d’une surmédicalisation.
Le terme d’autisme a été évoqué à son égard par l’équipe de la crèche.
Lorsque je rencontre Lucie, pour la première fois, elle a 11 mois, elle est
dans la section des bébés. Elle me regarde de ses yeux bleus intenses, et me
sourit. Toutefois, dès que je veux la solliciter, Lucie refuse et ferme les yeux.
Elle présente un fond hypotonique, avec une répartition du tonus peu
harmonieuse.
Elle n’a pas acquis la position assise, mais lorsqu’on la met assise, elle
garde longtemps cette position et ne cherche pas à en changer. Elle attrape
les objets, qu’elle observe avec intérêt. La pince fine n’est pas acquise. Je note
un retard psychomoteur certain ainsi qu’un trouble de la communication.
Toutefois, elle semble être dans une période dynamique de progrès, base sur
laquelle je vais m’appuyer.
La famille a fait une démarche au CMPP voisin où elle est reçue par un
médecin psychiatre consultant, et où Lucie bénéficie d’une prise en charge
mère/enfant en psychomotricité une fois par semaine.
Je viendrais régulièrement rencontrer Lucie au sein de sa section de
crèche, afin de mener avec les auxiliaires qui s’en occupent et avec son
éducatrice de référence une observation de son comportement, et un soutien
de l’équipe.
À 14 mois, Lucie est plus tonique. Nous observons que la maman la porte
le visage tourné vers l’extérieur pour les premières fois.
Le retournement dos/ventre est acquis. Lucie se met debout. Elle bouge
très peu, refuse qu’on la touche ou que l’on s’approche trop près d’elle, sinon
elle pleure. Toutefois, elle peut se montrer très câline à d’autres moments.
Quelques stéréotypies apparaissent au niveau des mains.
Lors du repas, elle s’active, gazouille, saisit sa cuillère pour manger, dit
non de la tête.
Lucie fait ses premiers pas seule à 26 mois. Elle tord parfois ses pieds
par terre, ne voulant pas les poser entièrement en contact avec le sol. Elle
dit «maman», joue au «coucou», et profite mieux de la dynamique de la
crèche. Elle est bien acceptée des autres enfants.
Actuellement, elle a 3 ans, elle est dans la section des grands, elle a obtenu
une dérogation pour rester une année supplémentaire à la crèche (réunion
avec l’Instance de médiation et de recours).
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 111
2.6.2. Carole
Une demande de secteur arrive au groupe des psychomotriciennes. Une
directrice de crèche et son équipe signalent l’inquiétude qu’ils ont pour
Carole, 20 mois. Elle présente des gros troubles d’équilibre, une non-acqui-
sition de la marche, elle se tient debout et se déplace avec appui de façon
très prudente. Elle a peur d’être bousculée par les autres enfants.
112 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
3. Travail en PMI
C’est sur la base de ces réflexions théoriques que le travail s’est Organisé
sur le département de la Seine-Saint-Denis.
La double interrogation en psychomotricité du tout petit concerne à la
fois l’exploration de son développement neuro-moteur, l'harmonie de ce
développement et l’investissement libidinal du corps.
L'évaluation des compétences de l’enfant, ses possibilités sensorielles
motrices et relationnelles, l'évaluation de ses difficultés nous permettent
d’ajuster le projet de travail.
9.2.2. Vers un an
Vers un an, dans la continuité ou non des signes précédents :
Les retards psychomoteurs (station assise, station debout..….).
L’inhibition ou l’irritabilité.
3.3.1. La famille B
Je rencontre Madame B et ses deux jumelles de 3 ans à la demande de la
psychologue de la PMI qui effectue, depuis un an, un travail de psychothé-
rapie pour les deux enfants nées prématurément, présentant toutes deux des
troubles psychotiques. Une des deux est plus touchée.La mère est reçue
seule par la psychologue une fois toutes les trois semaines.
Nous mettons ainsi en place une prise en charge conjointe psycho-
logue/psychomotricité pour recevoir cette mère et ses enfants.
Madame B est une femme très attachante, coquette soignée, extrêmement
bavarde et envahissante dans sa parole, ne laissant pratiquement aucun champ
d’expression à qui que ce soit. Elle a un énorme besoin de s’exprimer face à
toutes les angoisses qu’elle ressent de l’évolution de ses enfants, de son vécu.
Madame B a mis énormément de temps (rendez-vous manqués dans diffé-
rentes institutions, fuite en avant) avant qu’une relation de confiance puisse
enfin se nouer à la PMI, qu’un travail thérapeutique s’engage. Au fil des
semaines, la confiance de Madame B à mon égard s’est installée.
Face à la logorrhée de cette femme, à ses angoisses et à sa demande de
soutien personnel qui augmentent, nous lui proposons un travail corporel,
puis un travail de relaxation psychomotrice afin de lui offrir :
116 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
3.3.2. Kamel
Kamel m'est adressé par le médecin de la PMI, il a alors 7 mois. Kamel
inquiète par son hypertonicité, un éveil permanent (il ne dort que par période
de 15 minutes), des troubles importants du sommeil, un état d’excitation. Il
est né à terme, bien-portant. C’est un premier enfant. À un mois et demi, il
est perçu comme très éveillé. Il a un traitement anti-reflux.
Quand je reçois la mère la première fois, et que nous nous installons tous
les trois sur le tapis, Kamel ne supporte pas d’être au sol (idem au domicile).
Il a constamment besoin d’être dans les bras de sa mère, érigé, explorant tout
du regard très vif, en alerte permanente, raide sur ses jambes, plutôt joyeux.
La mère se plaint d’être fatiguée car l’enfant la réveille deux à trois fois
par nuit pour téter le sein. Il a un rythme de nouveau-né, tête très souvent
dans la journée. Malgré les plaintes de la mère, je ressens chez elle et son
fils un grand bonheur à se retrouver ainsi jour et nuit. Il ne s’endort qu’au
sein et ne supporte pas quand sa mère tente de l’endormir seul dans son lit.
L appartement étant très petit, Kamel peut percevoir tous les déplacements
de sa mère.
118 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
3.4. Réflexions
Il se tisse des liens particuliers quand on reçoit un enfant avec sa mère,
ou une femme pour un travail corporel.
— La mère présente son enfant à une autre femme. Quand l’alliance théra-
peutique est faite, nous prenons une place symboliquement maternante.
La relation s'inscrit dans le transgénérationnel.
— En prenant soin du confort corporel de l’enfant, mais aussi de celui de la
mère, un double étayage se fait : celui de l’enfant, sollicité d’une autre
façon, sous le regard de sa mère. Nous l’invitons à découvrir ses capacités ;
celui de la mère, qui en ce lieu peut trouver le temps d’être proche de ses
ressentis, trouver le soutien pour les exprimer (pour elle-même et par
‘rapport à son enfant). De l’archaïque des sensations à la représentation,
une autre façon d’être elle-même et d’être avec son enfant se tisse, narcis-
siquement plus solide.
120 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
4, Travail de formation
4.1. Intra-muros
Nous organisons, quatre fois par an, une semaine de formation «intra-muros »
pour les personnels des crèches et des PMI. Bien que ces stages soient ouverts
à tous les corps professionnels, les auxiliaires et éducatrices de crèche sont
majoritaires.
Les stages se déroulent sur une semaine avec une introduction le vendredi
après-midi précédent, et pour certains stages une journée de rappel (2 à 3 mois
plus tard).
Nous sommes deux psychomotriciennes par journée et cinq sur la semaine.
Nous recevons une quinzaine de stagiaires.
Les thèmes abordés sont les suivants :
— la psychomotricité et le développement de l’enfant;
— le jeu et les activités ludiques au regard du développement psychomoteur ;
— l'observation de l’enfant et les signes d’alerte corporels et comporte-
mentaux.
Notre objectif est :
— d'enrichir la formation de base du personnel de crèche, à propos de ses
besoins fondamentaux;
— d’aménager la vie en collectivité;
— d’enrichir le travail d'observation au regard des communications non
verbales.
Nous tenons particulièrement, du fait de notre formation de psychomotri-
cienne, à solliciter les stagiaires sur le double registre de la réflexion théorique
et sur des mises en situations pratiques de jeux corporels, sensoriels, ludiques
et créatifs (dont de la relaxation), à leur niveau d’adulte.
Notre objectif, au travers de «ces pratiques », est de réveiller en elles des
sensations, un vécu, afin de développer une meilleure compréhension des
enfants, une véritable empathie pour les petits dont elles s’occupent.
ORIGINALITÉ DE LA PRÉVENTION PRÉCOCE 121
4.4, Détachement
5. Conclusion
Notre profil de poste sur le service des crèches et de Protection maternelle
et infantile offre une grande diversité d’actions et d’interventions, de
rencontres avec de nombreuses familles et différents milieux professionnels.
Le fil conducteur reste le développement de l’enfant et son bien-être.
Il est à souhaiter que ce que nous avons développé depuis une vingtaine
d’années en collaboration avec les services qui nous emploient puisse ouvrir
à la réflexion pour la création et le développement de postes en psychomotricité.
122 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
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Entretiens de Bichat.
Le toucher
Du corps touché aux jeux de l'imaginaire
CATHERINE POTEL
une grande subtilité, tant dans nos sensations, nos perceptions, que dans nos
attitudes corporelles.
Mais cette subtilité du dialogue corporel ne concerne pas que la relation
aux bébés. Toucher l’autre est dans tous les cas un acte toujours complexe,
qui engage profondément. Chacun ne rencontre-t-il pas dans sa pratique des
situations qui parfois le surprennent, le déconcertent, le mettent en difficulté
quand justement il lui faut toucher le corps de l’autre et quel que soit cet
autre ? Qu'est-ce qui entre alors en jeu ?
Quand Mélusine (8 ans) commence à pouvoir investir sans trop d’an-
goisse ma présence, c’est directement à mon corps qu’elle s’adresse, comme
si cette connaissance corporelle était nécessaire à la reconnaissance d’un
autre et d'elle-même différente de cet autre. Et c’est de ce corps à corps
parfois difficile à accepter — il ne le serait pas tant si Mélusine avait le corps
de l’image qu’elle a encore d’elle-même, un bébé — que naît une relation où
le jeu vient relayer le besoin de contact, où les mots viennent symboliser le
désir et l’inscrire dans un temps présent et passé : «Si j'étais encore un
bébé ! »
Ceux qui travaillent avec des enfants ou des adultes psychotiques, autistes,
ou ayant des handicaps associés, sont confrontés au problème que pose une
proximité corporelle souvent obligée qui semble entretenir un lien de dépen-
dance ou une régression, aux dépens d’un projet visant l’autonomie. Dans
ces pathologies lourdes, on retrouve cette indissociation du toucher-porter,
le portage physique (par exemple dans l’eau, pour la toilette.) faisant partie
intégrante de la relation soignant/soigné. Cela met à mal certaines équipes,
dans des frictions relatives à des projets qui ont du mal à s’harmoniser.
Certains sont plutôt favorables à accompagner la régression (au risque d’être
trop dans le nursing), d’autres œuvrent pour un projet plus volontariste (au
risque de techniques conditionnantes et parfois déshumanisantes). Certains
plaident pour l’impact d’une dynamique relationnelle, d’autres pour des atti-
tudes plus contraignantes et éducatives. Bref, les avis très partagés suscitent
les tensions et animent les débats !
Sans forcément s’arrêter à des pathologies aussi lourdes, sans doute beau-
coup partageront-ils avec moi cette idée que le toucher est toujours proche
d’un «portage», si on considère sa valeur thérapeutique symbolique et
symboligène. Toucher, c’est en quelque sorte « porter l’autre » vers une
connaissance ou une reconnaissance de lui-même en tant que sujet. Quand
un psychomotricien touche un patient, même s’il est très attentif à la tech-
nique, il ne peut ignorer cette charge symbolique inconsciente, émotionnelle,
qui est à l’œuvre. On peut se demander si un certain «surinvestissement »
de la technicité du toucher ne trahit pas l’angoisse devant la mobilisation de
l’archaïque que j’évoque ici.
126 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Les deux enfants dont je vais parler sont suivis dans un établissement
spécialisé (un EMP, externat médico-pédagogique 2) et souffrent de psychose
infantile. Malgré leur grande différence, dans un cas comme dans l’autre, on
constate la même difficulté à jouer, à se raconter, à s’exprimer. Le champ de
leur imaginaire est barré du fait même de leur difficulté à symboliser et à se
construire. Cette difficulté de représentation les enferme dans l’angoisse,
une angoisse souvent collée au corps qui a du mal à trouver une issue dans
des activités d’expression, dans le jeu. Pour eux, la médiation corporelle va
être d’autant plus importante que c’est leur corps qui parle une souffrance
indicible.
Dans le premier cas, le toucher est intégré à une technique précise (la
relaxation), médiatisé et codifié par le dispositif mis en place. L'enfant,
comme le thérapeute, le repère comme un temps particulier de la séance,
l’associant au plaisir et à la détente. Il est une aide à la prise de conscience
de l’intérieur et de l’extérieur du corps, des limites corporelles. Nous sommes
déjà dans un terrain d’échange et d’élaboration. (Il s’agit pour cet enfant
d’une fin de parcours institutionnel, après quatre ans de prise en charge.)
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 129
Je le saurai par la suite, cette chose terrible dont parle Grégoire est une
chose ronde qui le poursuit en proférant des injures, qui l’habite, le tourmente,
le persécute, l'empêche de penser.
130 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
La prise en charge :
Depuis son entrée à l’'EMP, j'ai souvent eu l’occasion de travailler avec
Grégoire, dans des médiations différentes en groupe. L’un des accrochages
relationnels entre lui et moi s’est fait à l’occasion du groupe piscine. Grégoire
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 131
était terrorisé par l’eau et, au bout de deux ans, a appris à maîtriser sa peur,
à trouver du plaisir dans l’eau, tant pour jouer, que pour apprendre à nager
et à plonger. Il est très fier de ses progrès. C’est une valorisation narcissique
importante pour lui.
La prise en charge en psychomotricité va évoluer vers un travail individuel
en relaxation étant donné la grande agitation de Grégoire et sa demande de
moments calmes. Cette agitation est-elle l’expression d’un état d’angoisse latent
qui trouve ainsi sa résolution illusoire ? Permet-elle à Grégoire d'échapper ainsi
au monde des pensées jugées trop «dangereuses » ? La perte de la maîtrise
de son corps dans des moments de débordement provoque-t-elle une angoisse
si intense que toute activité de représentation en est paralysée ?
Toujours est-il que Grégoire, dans ce cadre très contenant présentifié par
la salle et la relation duelle, sollicite ces moments de détente où il peut ne
plus bouger, «se reposer » comme il le dit lui-même. Malgré son plaisir à
être allongé, Grégoire est tendu et se plaint fréquemment de douleurs muscu-
laires. Son visage est crispé, il a du mal à fermer les yeux. Quand je mobilise
ses bras, ses jambes, 1l a tendance à anticiper le mouvement. Par contre un
sourire de bien-être apparaît à ce contact. Cette régression autorisée lui est
bénéfique. Après la relaxation, 1l est capable de traduire verbalement et de
manière assez fine ce qu’il a ressenti. Le contraste est frappant entre la mise
en mots de ses sensations corporelles d’une part, et la pauvreté de la repré-
sentation graphique d’autre part (dessin n° 1).
S’il ne refuse pas ce temps de dessin que je lui propose, il ne l’investit
pas pour autant. Aucune marque d’éléments affectifs, de ce vivant corporel
qu'il exprime dans ses mots. Un jour pourtant, il décide de ne plus dessiner
ses bonhommes les bras en l’air mais toutes ses tentatives se soldent par un
échec. Cette incapacité à réaliser ce qu’il désire le plonge dans un désarroi
proche de l’angoisse. La séance se termine et Grégoire, de retour en classe,
éclate en sanglots. Les pleurs ne cesseront qu’à l’heure du repas. Je suis
informée de sa grande détresse par son institutrice, et en reparle à Grégoire
la semaine suivante.
Moi : «Tu avais beaucoup de chagrin la dernière fois.
G : — Oui, j'arrive pas à faire les bras pas en l’air. Mon bonhomme, on dirait
un épouvantail. On dirait qu’il va s'envoler. C’est pas un oiseau pourtant !»
Dessin n° 1
Le dessin du bonhomme est schématique et immuable : un rond pour la tête
et cinq traits pour le corps et les membres. Aucun élément du visage, à part
les yeux, n’est représenté. Les extrémités du corps (jambes) vont chercher
la limite de la feuille. Seulement alors, peuvent être dessinés les pieds.
Dessin n° 2
Ici, Grégoire tente de se représenter allongé, en relaxation (tête sur le coussin
vert). Je suis dessinée à côté de lui. La tentative de différenciation par les deux
orientations différentes des corps (moi debout, lui allongé) échoue puisque
. mon personnage se retrouve, les pieds dans le ventre de celui qui est allongé.
Néanmoins ceci témoigne d’une véritable démarche dans la représentation.
Dessin n° 3
Le dessin se perd dans l’espace de la feuille. Cependant on peut remarquer
une plus juste proportion des segments corporels entre eux. Le triangle du
buste n’est toujours pas fermé et se prolonge encore une fois par les jambes
qui se terminent à la limite de la feuille.
134 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Monsieur Ridicule est un inventeur fou qui invente des choses ridicules pour
être plus grand et plus fort, comme par exemple un GROS crayon pour être bon
à l’école.
Critique par Grégoire de son héros : «II ferait mieux de faire de vraies inventions
intelligentes. Il est fou celui-là.»
Les dessins sont réalisés dans l’après-coup d’un jeu avec des personnages
que Grégoire a construits et qu’il anime comme des marionnettes. L'histoire
racontée est très longue et va de rebondissements en rebondissements. Sur
la feuille de papier, elle se réduit à quelques phrases et se transforme, mais
paradoxalement les personnages prennent une identité différenciée, ce qui
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE
135
Dessin n° 4
Ici on sent que Grégoire sent quelque chose d’un «plein corporel » mais
encore non limité. Il entoure de couleur les traits qui représentent bras et
jambes. Par contre, un rond fermé apparaît pour le ventre, ainsi que le sourire
du visage.
Dessin n° 5
Le personnage devient plus structuré et harmonieux. Grégoire cherche à
figurer les pieds. On voit particulièrement dans cette recherche difficile
combien il est question pour lui de ses limites corporelles. Le pied se prolonge
par une ligne horizontale, ce qui est un progrès puisqu'il n’a plus besoin de
la ligne inférieure de la feuille.
136 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Ce garçon qui ne pouvait arrêter son trait que lorsqu'il se heurtait aux
limites de la feuille — à l’image même de son agitation qui cesse quand il
rencontre l'épuisement corporel — montre l’évolution de son fonctionnement.
La discontinuité de la bande dessinée et le récit dans des scènes successives
sont rendus possibles par l'expérience de la continuité et des limites corporelles.
Autrement dit, les cadrages des dessins successifs viennent lorsque Grégoire
est plus assuré de son espace corporel propre et de son cadre interne.
Je terminerai par le grand plaisir de Grégoire à avoir pu dessiner le père
«Magnifique » (ce sont ses mots), chose non anodine quand on sait la place
de son père dans la famille, ainsi que son envie de montrer ce qu’il a pu
réaliser aux personnes de l’institution qui lui sont chères, notamment son
institutrice.
Commentaires
Ce parcours avec Grégoire, qui n’est que l’un des aspects de son évolution
dans le cadre intime d’une relation thérapeutique, montre le passage d’un
vécu sensoriel (par le toucher de la relaxation) à une représentation symbolique
(graphisme et récits inventés). Les éprouvés corporels, en s'exprimant et en
se médiatisant de différentes façons, ne restent pas dans la seule sphère du
corps mais sont matière à transformation dans la sphère de l’imaginaire et
du fantasme.
| Nous allons voir maintenant comment, chez une enfant beaucoup plus
régressée, ce passage est fortement compromis par des angoisses archaïques
corporelles de dévoration, de démantèlement, d’anéantisation. C’est alors le
sentiment même de l’identité et de l’existence qui est en péril.
138 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Dessin n° 6
Dessin n° 7
Dessin n° 9
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE
139
Dessin n° 11
Dessin n° 12 Dessin n° 13
La prise en charge :
Mélusine est une petite fille transparente, qui ne fait pas de bruit. Quand
elle parle, sa voix est chevrotante, souvent inaudible. Sa corporéité, c’est-à-
dire la manière dont elle investit son corps, montre une réelle souffrance. Elle
paraît vite apeurée. Tous ses mouvements sont ralentis, ses gestes tremblants.
Quand elle arrive dans la salle de psychomotricité, elle s’assoit sous l’ins-
trument de musique protégé par une couverture et voile son visage avec celle-
ci : « Je suis cachée. » Sa voix, habituellement monocorde, trahit une certaine
excitation qui laisse penser qu’il se passe quelque chose d’important pour
elle. Je saisis la perche qu’elle me tend et tente de jouer avec elle à cache-
cache. Mais Mélusine ne joue pas. Ce qui pourrait apparaître comme une
incitation à jouer va vite se révéler sans issue. Se cacher pour elle, c’est
couvrir Son visage et notamment ses yeux, avec ses mains ou avec un quel-
conque objet. Le reste de son corps ne compte pas. Dans ce jeu qu’elle semble
instaurer, 1l n’y a pas de réversibilité non plus. Si je prends l’initiative de me
cacher derrière la porte du placard, et si j’attends ses réactions en la sollicitant
pour venir me trouver, j'ai pour seule réponse le silence. Rien ne se passe,
sauf le temps. Je me risque à glisser un œil et vois Mélusine en grande contem-
plation devant mes pieds. Je n’existe plus pour elle, ou plus exactement je
me sens réduite à cette partie de mon corps restée visible. Il semblerait que
la permanence des objets et de la présence d’autrui n’est pas encore intégrée
chez cette petite fille de 8 ans.
Par contre, quand elle regarde mes pieds, j’allais dire «en mon absence »,
Mélusine ne cache plus ses yeux. Se pourrait-il que l’attraction du regard de
celui qui est en face et l’excitation produite soient si intenses et brûlantes
que, pour s’en défendre et ne plus s’y perdre, Mélusine n’ait d’autres moyens
que de se couper de lui ? Comme la main qui fait écran à un soleil trop fort ?
Les avis des uns et des autres, qui la connaissent dans d’autres situations,
divergent. Certains voient en elle une petite fille très inhibée, paniquée dans
une relation individuelle, d’autres partagent avec moi le même sentiment
d’étrangeté devant certaines de ses conduites et devant la forme particulière
de ses angoisses.
Ces questions m’entraînent bien au-delà de la simple question de la motri-
cité de Mélusine, cette motricité qu’elle investit d’ailleurs fort peu, comme
si elle n’avait jamais trouvé occasion de toucher, manipuler, découvrir l’espace
et sentir son corps. Son dos est voûté, ses yeux de porcelaine ne traduisent
” aucun sourire ni joie, sa posture préférée est un enroulement sur elle-même.
Son corps parle son repliement psychique. Tous les repères qu’elle semble
pourtant avoir quand il s’agit d’une connaissance à restituer en dehors d’un
contexte situationnel ne lui sont d’aucune utilité dans la relation à l’autre.
Comment créer du jeu avec Mélusine ?
142 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
érotisation que nous rencontrons souvent chez les enfants autistes. Faut-il
continuer? Dans ces moments de doute, que nous traversons souvent dans
ces prises en charge difficiles, la seule façon à mon avis de n’être pas piégés
par une relation trop fusionnelle est de pouvoir en parler. Mettre des mots
pour tenter de symboliser en nous-mêmes ce qui, chez l’enfant, se vit de
tellement régressif et d’archaïque, que ça l'empêche de grandir. C’est ce que
Je fais. Je parle beaucoup de Mélusine, dans l’équipe au cours de réunion de
synthèse, ou en dehors. Cela m'aide.
J'accepte ces contacts, cette chaleur qu’elle recherche, la berce, la tiens
contre moi. Mélusine va pouvoir alors dire son désir d’être un bébé. Peu de
temps après, elle commence à s’opposer. Elle qui auparavant terminait toutes
ses phrases par «oui, oui, moi aussi » va explorer le «Non». Non à la fin de
la séance qui déjà se termine, non au ballon proposé, non pour remettre ses
chaussures... Exactement comme un tout-petit pourrait le faire. J’entends
ce non comme un progrès, un début de décollement et de séparation.
L’agressivité pointe son nez également. Mélusine dit qu’elle veut me manger,
me couper en morceaux, m'attacher, m’aspirer, me mettre en prison. Et faire
des bêtises.
corporelle. Pour s’amuser des monstres qui font peur et dévorent, il faut
avoir un certain sentiment de sécurité intérieure. Et Mélusine est encore
loin de se vivre dans un corps unifié et solide et ses tentatives pour élaborer
ses terreurs s’accompagnent d’angoisses que je tente, par ma présence, de
calmer.
Ses jeux se diversifient. C’est elle qui va chercher dans le placard les
balles, le ballon, qu’elle peut maintenant lancer et attraper. Quand elle inaugure
une expérience motrice nouvelle, elle s’appuie souvent sur ce bébé éléphant,
qu’elle place à côté d’elle, qui a appris à marcher, à sauter. «II peut apprendre
maintenant, il est grand », me dira-t-elle. Il est comme un double, à la fois
elle et non elle. De même, elle joue à prendre ma place, ma chaise, tente
d’enfiler mon maillot de bain trouvé dans un panier sous mon bureau.
S’amorce dans ces nouvelles expériences une différenciation entre elle et
moi, entre mon corps et son corps. Mélusine commence à jouer et à faire
semblant, avec un plaisir évident.
Après cette phase d’ouverture, Mélusine retombe dans ces trous qui la
ferment à toute expression vivante. À la suite d’une période de vacances,
nous retrouvons une petite fille en retrait, souffrante. De nouveau, elle se
cache, sa voix est inaudible en début de séance. Il me faut chaque fois la
«ranimer psychiquement ». Un jour, son éducatrice me prévient que Mélusine
semble malade. Elle l’a trouvée dans les toilettes, du caca plein les mains et
sous les ongles. À son retour dans la classe, Mélusine s’est allongée sur le
tapis de la classe et est restée ainsi prostrée, sans réaction. Je prends Mélusine
fermement par la main. Dans ma salle, elle se love contre moi, prend mes
mains qu’elle plaque contre ses yeux, et j'entends une petite voix me dire
que c'était génial de jouer avec son pipi. Elle a joué avec ses fesses, elle s’est
grattée. Et puis B. l’a grondée, et elle a pleuré. Les séances suivantes, Mélusine
va beaucoup parler de B. qui la gronde, passant de l’évocation de son éduca-
trice à qui elle est très attachée, à maman qui la gronde aussi. Elle aimerait
rester à la maison avec sa sœur et maman, et puis elle n’a pas envie de lire,
n1 d’aller à l’école. Après ces moments de paroles rares, Mélusine peut aller
chercher un jeu.
Elle va ensuite être absente. Il s’est passé quelque chose de grave. Elle a
été hospitalisée pour constipation et menace d’occlusion. Ce symptôme
corporel n’est pas nouveau, montrant une fois de plus combien Mélusine,
dans cette peur d’aller aux toilettes qu’elle tente de vaincre en se retenant,
ne peut pas encore maîtriser, sans angoisse, ce qui entre et ce qui sort d’elle.
Chez ces enfants, qui oscillent entre psychose et autisme, on retrouve souvent
des manifestations corporelles symptomatiques qui illustrent de façon remar-
quable ce trouble tout à fait fondamental de la représentation d’un extérieur
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 145
Commentaires
Sans être autiste, Mélusine utilise à certains moments difficilement repé-
rables pour ceux qui s’occupent d’elle des moyens de défense quasi autistiques.
Ces moyens de défense essentiellement corporels sont censés la protéger de
l'angoisse et de la menace d’anéantissement. Ils ont pour conséquence de la
mettre en danger vital sur le plan somatique, et en danger psychique car
bloquant toutes ses facultés d’adaptation, d'apprentissage, et de communi-
cation. Cependant, dans cette relation individuelle en psychomotricité, elle
. va pouvoir tout doucement sortir de sa carapace, établir une communication
essentiellement non verbale, dans le toucher, le contact, puis utiliser un objet
qui prend peu à peu une place de médiateur, qui la représente, dont elle se
sert pour «se raconter » en quelque sorte. Malheureusement, tout cela est
encore bien fragile, comme le montrent les retombées catastrophiques que
146 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
j'ai décrites. Malgré tout, le retrait qui accompagne sa terrible détresse n’efface
pas sa nouvelle capacité à dire ce qu’elle ressent. Cela laisse espérer pour
elle une porte vers la symbolisation.
Conclusion
Dans ces deux vignettes cliniques, le toucher occupe une place privilégiée.
Pour Grégoire, être touché lui permet de se calmer, de se sentir entier, de ressen-
tir les limites de son corps, et d’explorer deux espaces-temps différents :
— celui de la sensation et des éprouvés corporels;
— celui de l’élaboration, qui se fait en deux temps. Le temps des mots et
le temps du dessin qui l’amène à une dimension essentielle chez tout enfant :
l’accès à sa créativité imaginaire.
Tout n’est plus pris dans du corporel «brut». Les deux espaces dedans
dehors se construisent et s’organisent.
Pour Mélusine, cela est d’autant plus flagrant qu’elle part de bien plus
loin ! Beaucoup plus malade, les moments de régression qu’elle vit en séance
sont émotionnellement forts, tant pour elle que pour moi. J’ai parlé de mes
questionnements et de mes doutes quant à la pertinence d’une telle prise en
charge. Mes seuls repères sont mon intuition qu’une telle régression — « auto-
risée » et balisée en quelque sorte par le tiers symbolique que représente l’ins-
titution — peut être l’occasion d’un mouvement psychique autre. Et c’est
effectivement ce qui se passe, quand au bout d’un an Mélusine s’ouvre à
d’autres jeux et à d’autres moyens d’expression que celui de se lover comme
un nourrisson dans la couverture, contre moi.
Les enfants comme Mélusine ou Grégoire nous ramènent sans cesse à la
question de nos choix pour eux : chercher à les tirer vers le haut en inventant
des activités de type éducatif et groupal qui nous paraissent stucturantes pour
eux, ou bien aller les chercher là où 1ls sont et les accompagner. Et c’est bien
pour cela que la prise en charge institutionnelle est intéressante. Tout l’intérêt
de la diversité des fonctions professionnelles réside dans l’articulation entre
membres d’une équipe qui permet à chacun de « jouer ses cartes », de donner
à l’enfant des repères différents et complémentaires, et de faire jouer l’al-
ternance continuité (vie quotidienne) — discontinuité (prises en charge spéci-
fiques) importante pour le travail de séparation que l’enfant a à faire afin de
construire son identité et d’accéder à la capacité d’être seul. Notre « filet
de sécurité », c’est notre parole qui circule et qui fait lien.
Les pathologies complexes de ces enfants nous confrontent à des difficul-
tés, entre autres celle de ne pouvoir évaluer de façon franche leur évolution,
DU CORPS TOUCHÉ AUX JEUX DE L'IMAGINAIRE 147
NOTES
1. Dans le cadre de l’association Vivre l’eau nous accueillons des stagiaires. Une formation
est dispensée aux étudiants, et concerne le travail d'accompagnement en piscine pour les
psychomotriciens.
. EMP École de Chaillot. Paris VIII.
3. H.Segal. Notes sur la formation des symboles, Paris, PUF, 1957.
D. Ribas. «L'eau, la peau et la psyché ». paru dans Évolutions psychomotrices, n° 11,
cop 1991
5. D. W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 1983.
PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
BIBLIOGRAPHIE
POTEL C., Le corps et l'eau. Une médiation en psychomotricité, Ramonville Saint-
Agne, Érès, 1999.
POTEL C., Bébés et parents dans l’eau, Ramonville Saint-Agne, Érès, 1999.
RIBAS D., Un cri obscur. L'énigme des enfants autistes, Paris, Calmann-Lévy,
1992.
RIBAS D., « L'eau, la peau et la psyché », Paris, Évolutions psychomotrices n° 11,
1991.
SEGAL H., Notes sur la formation des symboles, Paris, PUF, 1957.
TUSTIN F, Le trou noir de la psyché. Paris, Seuil, 1989.
WINNICOTT D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque
Payot, 1983.
Éveil de sens
La stimulation psychomotrice auprès d'enfants
en phase d’éveil de coma
JEAN-PAUL VILLION
1. Le traumatisme crânien
1.2. Le coma
— L'état végétatif
est un état clinique qui associe la présence d’un rythme
veille-sommeil à une ouverture spontanée des yeux maïs sans suivi oculaire
et sans aucune forme de communication. Le patient est autonome sur le plan
végétatif et respire sans assistance.
Ainsi Kamel, Aurélien, Leslie sont restés le regard perdu dans les limbes
pendant quelques semaines avant de nous donner le premier signe qui
permettra la communication.
À l'inverse, il existe pour certains une inhibition, une inertie et une indif-
férence affective laissant le sujet dans un état de tristesse et d’isolement très
frappant.
= Nous le voyons, ce syndrome frontal peut constituer un handicap majeur,
souvent mal identifié et surtout mal supporté par l’entourage. Il influe sur
grand nombre d’activités et sur l’adaptation du sujet au milieu social. Il est
loin cependant d’expliquer toutes les manifestations comportementales.
— Cette notion est complétée par celle de l’image du corps «dont les
éléments ne se situent pas seulement dans le champ de la perception ; ils ont
aussi leurs développements parallèles dans le champ libidinal et affectif » 2.
C’est en effet dans les échanges affectifs avec son entourage que le COrps
de l’enfant, par l’intermédiaire du langage verbal et gestuel et des mimiques -)
extra-corporelles : celles que contracte notre corps avec les objets et les lieux
qui nous entourent. Les études anatomo-cliniques permettent de différencier
les zones cérébrales où se localisent les engrammes responsables de notre
«savoir » corporel.
Ainsi la connaissance verbale de notre corps se localise schématiquement
dans la région pariétale de l'hémisphère gauche. Les connaissances compor-
tementales et relationnelles semblent, elles, reposer sur une zone plus étendue
car elles deviennent très perturbées en cas de lésion des lobes frontaux4.
lors la projection d’une surface ne peut se faire que d’une manière archaïque,
manipulatoire, posturale, alimentaire ou sensorielle mais non verbale.
C’est une période de régression à un stade où l’individu est dépendant
d’autrui pour la satisfaction de tous ses besoins. Le sujet n’est objet que de
soins puisqu'il n’y a plus l'émergence de désir.
Cette période n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du «Moi-peau »
décrite par Anzieu où la peau remplit trois fonctions primordiales :
1. C’est le sac qui contient et retient le bon et le plein que l’allaitement,
les soins, le bain de paroles y ont accumulés.
2. La peau est l'interface qui marque la limite avec le dehors et maintient
celui-ci à l’extérieur, c’est la barrière qui protège de la pénétration par les
avidités et les agressions en provenance des autres, êtres ou objets.
3. La peau est enfin un lien et un moyen primaire de communication avec
autrui.
Le parallèle avec l’état du nourrisson permet à Colombel et Palem de risquer
le renvoi à une phrase de Winnicott pour illustrer cette sidération possible du
moi du traumatisé crânien. « Le Moi se fonde sur un moi corporel, mais c’est
seulement lorsque tout se passe bien que la personne du nourrisson commence
à se rattacher au corps et aux fonctions corporelles, la peau étant la membrane-
frontière.7» Ainsi, énoncent-ils qu’il y a bien quelque chose d’incertain à
ne pas manquer dans «cette aube archaïque de la sensorialité » dont le corps
est sûrement le lieu réel, mais peut-être aussi le « point d’appel vers un éveil
fantasmatique ».…
Il est à noter ici que la frontière Moi — Non-Moi déjà anéantie au cours du
choc, par les fractures et par les plaies, est encore malmenée par les techniques
de réanimation, qui prennent en charge le fonctionnement physiologique du
corps (respirateur, monitoring, sonde gastrique et urinaire, trachéotomie.…).
Après cette phase de sidération de durée variable, les premiers signes de
la reprise de la conscience apparaissent. C’est la phase d’adaptation au trau-
matisme.
C'est au début de la phase d’éveil que le travail de stimulation doit
commencer d’une façon structurée et adaptée à la montée de la conscience,
à l'émergence de la conscience du corps, encore à la dérive d’un temps et
d’un espace démantelés.
Tous les efforts vont converger, non plus pour la survie de l’individu, mais
vers sa récupération qui commence au corps primaire, biologique, anatomique,
puis au corps imaginaire et aux représentations dont le discours témoignera
ultérieurement.
160 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
3. La stimulation psychomotrice
Dans le champ de la psychomotricité l’approche du corps de l’enfant
traumatisé crânien est orientée par deux éléments principaux :
— le premier part du constat clinique de l’archaïsme des réactions de l’enfant
en phase d’éveil et de l'émergence, chronologiquement semblable au
développement de l’enfant sain, des étapes de la récupération.
— le second se rapporte à l’aspect de confusion totale dans lequel l’enfant
paraît se débattre, et où le corps semble «désarticulé » et morcelé dans
les prémices de l’éveil.
C’est bien sur cette «toile de fond » que nous, psychomotriciens, tentons
d'intervenir pour certaines pathologies. Les effets recherchés par des stimu-
lations tactiles, mais aussi des échanges tonico-posturaux, sont à envisager
dans les cas des éveils de coma comme des éléments de restauration ou de
compensation de ce Moi-corporel défaillant. C’est du moins l’hypothèse qui
sous-tend mon intervention «dans une perspective dialectique réel-imaginaire,
ouvrant le champ du sensoriel, du biologique comme point de départ d’un
étayage psychique 10».
+ François
François est âgé de 12 ans lorsqu'il est victime d’un accident de voiture
dans lequel son grand-père décède. Lui est hospitalisé dans un coma grave
(Glasgow à 5) avec des troubles neurovégétatifs majeurs, une hypertonie
généralisée et des fractures de la clavicule, de l’ethmoïde et des dents. Il
arrive à Pomponiana un mois après son accident les bras en triple flexion,
les jambes en triple extension, sans signe de communication. Le programme
de stimulation, d'éveil et de rééducation est mis en place quotidiennement
avec de la kinésithérapie, de l’ergothérapie pour le réapprentissage des gestes
de la vie quotidienne, de l’orthophonie pour la restauration mnésique et du
langage, de la psychomotricité et un accompagnement sur le plan psycho-
logique dès le début pour lui et sa famille.
Son éveil se déroulera sur deux mois jusqu’à ce qu’il communique à haute
voix et qu'il se déplace seul, qu'il soit continent et surtout qu’il exprime ses
désirs.
Le travail dans l’eau commence par des portages en position horizontale
et, dès la première séance, François cherche à se redresser, d’abord assis sur
un tapis, puis debout tenu en esquissant ses premiers pas.
L’eau a été pour lui le moyen de retrouver très vite cette verticalité qui
le rendit beaucoup plus calme. C’est en effet un enfant très agité qui après
quelques jours dans le service arrache sa sonde nasale régulièrement, pleure,
bouge la tête en fixant le plafond. Les séances de balnéothérapie vont inau-
gurer le retour à un comportement beaucoup plus adapté. Son premier sourire,
alors que son visage était fermé, apparaît en séance après un jeu de ballon…
Très vite il va regagner son autonomie, avec obstination et témérité. Les
apnées vont être recherchées systématiquement alors qu’il inhale régulière-
ment de l’eau, ce qui, rapporté au discours de sa mère qui me le présentait
comme un enfant prenant beaucoup de risques auparavant, m'inquiète de
plus en plus. Des moments de détente sont proposés et acceptés maintenant
qu'il parvient à verbaliser ce qu’il ressent.
Plus tard les jeux qu’il met en place avec un autre enfant sont assez agres-
sifs : il contrôle mal son impulsivité et ne retient pas ses coups. Les rappels
de la règle ne suffisent pas toujours et je dois intervenir d’une façon plus
autoritaire pour interrompre ses accès de violence.
170 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
4. Conclusion
Ces deux histoires qu’il est bien difficile de condenser, tant le travail
se fait au jour le jour, viennent témoigner de la complexité des situations
thérapeutiques.
En conclusion, plusieurs types de difficultés sont à évoquer :
— Les difficultés liées à l’émotion que ne manque pas de susciter chaque
histoire et qui peut envahir tout le champ de la relation avec le sujet blessé
si on ne parvient pas à identifier ce qui se joue en nous-même. Le risque est
grand pour chacun de succomber à la contagion émotionnelle et de perdre
ainsi toute possibilité d’écoute de la souffrance de l’autre puisque l’on souffre
soi-même par identification ou projection. Seul un travail sur soi ou dans un
groupe de parole peut à mon sens permettre d’éviter ce processus trop humain.
— Les difficultés liées à la précarité de l’état de santé de ces enfants (les
encombrements bronchiques, l’hypertension artérielle, la mauvaise thermo-
régulation, le risque épileptique) qui demande une attention et une présence
sans faille lorsque nous sommes dans le bassin. C’est parfois un pari risqué
que de «tremper dans ces affaires-là » et de «se mouiller ainsi » ! Mais pour
les enfants (comme pour moi-même) la prise de risque permet le plus souvent
une évolution.
— Et lorsque nous sommes confrontés, comme cela arrive parfois, à l’ab-
sence de signe d'éveil sur des périodes très longues, le risque de l’inefficacité
et de l’impuissance à être thérapeute peut poindre. Le travail de régulation en
équipe peut permettre alors d’éviter ce sentiment que chaque thérapeute a
vécu au cours de son parcours professionnel.
ENFANTS EN PHASE D'ÉVEIL DE COMA : STIMULATION PSYCHOMOTRICE 171
NOTES
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« Je bouge, tu bouges, nous bougeons…
Pan! T'es mort »'
Hyperactivité :Perspectives thérapeutiques en psychomotricité…
CATHERINE POTEL
1. Introduction
Cécile a 5 ans. Cécile est « un vrai poisson dans l’eau ». Pour elle, aucun problème,
elle passe son temps à évoluer sous l’eau avec un plaisir évident. Sauf qu’elle
vomit à la fin de chaque séance, ce dont je ne m'aperçois pas tout de suite. Un
jour que je la vois vomir, je m'inquiète et demande à la maman ce qu’il se passe.
La mère, pas du tout paniquée, m’apprend que les vomissements sont pratiquement
systématiques, en fin de séance tous les samedis, sur le chemin du retour ou à la
maison. Je suis étonnée de la banalisation dans le discours maternel, de ce fait pour
le moins curieux et pas du tout « normal ». Les séances suivantes, je m'occupe un
peu plus de Cécile et je constate que cette petite fille, par ailleurs très à l’aise
dans sa motricité aquatique, ne protège pas l’intérieur de son corps. Bouche
ouverte, elle boit et ne peut imaginer faire autrement. Elle est dans l’eau et l’eau
est dans elle. Par ailleurs, les relations dans le bassin entre sa maman et elle sont
toujours d’une qualité très tonique. C’est l’excitation qui mène la danse, et cette
maman, très chaleureuse et vivante, ne cherche pas du tout à canaliser sa fille.
Elle se laisse entraîner par l’activité débordante de Cécile. Il faut dire qu’elle
vient d’avoir un deuxième enfant et ces temps de jeu dans l’eau avec sa grande
sont de précieuses retrouvailles, sans doute très déculpabilisantes pour elle.
En accord avec elles deux, je propose des situations de détente, pour montrer à
Cécile une autre utilisation de l’eau possible, souffler, être portée, glisser... Par
la relaxation, Cécile découvre un autre plaisir à être dans l’eau, plaisir moins
actif et plus sensoriel, situations qui vont l’aider à appréhender autrement la
profondeur, et de ce fait à mieux faire la différence entre l’intérieur de son corps
et l’intérieur de l’eau, et par conséquent mieux maîtriser pour mieux se protéger.
Elle va ensuite pouvoir adapter sa respiration en fonction des situations. Les
vomissements cessent.
Victor est un enfant de 6 ans que je vois pour la première fois pour un
bilan psychomoteur et un suivi éventuel. Comme notre médecin directeur
est aussi prudente qu’ Alain Braconnier et considère avant tout l'enfant dans
son dynamisme psychique, et ses symptômes comme l’un des éléments d’un
tout et signe du mal-être de l'enfant, Victor ne m'est pas adressé avec l'étiquette
«hyperactif ». Mais son comportement en dit long sur son énergie débordante
et effervescente.
Mes collègues psychologues connaissent Victor depuis quelque temps et
ce sont elles qui ont pensé à une médiation corporelle en individuel pour cet
enfant. Il est inscrit dans leur groupe thérapeutique et son comportement
rend extrêmement difficile son intégration dans le groupe. Il occupe tout le
terrain, bouge constamment, déballe tout, est agressif avec les autres.
Par ailleurs, c’est un enfant en grande difficulté scolaire, qui ne peut suivre
le rythme de la classe, qui manifeste de grandes difficultés sur le plan
graphique et pour qui l’accès à la lecture pose un réel problème. Sur le plan
relationnel, il a très peu de copains et ses relations vis-à-vis d’eux sont très
agressives, voire violentes. Cette violence, il peut en être à l’origine ou en
être la victime. D'où cette première idée d’une indication d’un travail théra-
peutique en groupe.
Je vais vite abandonner la poursuite du bilan psychomoteur, commencée
lors de notre première rencontre, devant le mutisme de l’enfant, sa fermeture,
son agitation dévastatrice et son hermétisme face aux consignes. Je noterai
en conclusion de mon évaluation psychomotrice :
« L’agitation de Victor l’empêche de se concentrer et de répondre aux
consignes de façon continue. La tension et l’excitation touchent à leur
paroxysme dans toutes les épreuves où le corps est globalement engagé. Les
manifestations d'opposition alternent avec des comportements très régressifs.
L'adaptation tonique est impossible et l’équilibre difficile à garder (par contre,
il sait très bien faire du vélo). La latéralité est homogène à droite, sans que
Victor ait pour autant intégré les repères spatio-temporels de son âge. Le
langage est peu utilisé dans la communication. L’agitation psychomotrice
semble symptomatique d’un chaos interne et d’une pulsionnalité à fleur de
peau, dont les décharges motrices et impulsives témoignent. L’indication
d’une thérapie à médiation corporelle est à privilégier pour ce petit garçon
qui doit être en grande difficulté pour trouver en lui les moyens de répondre
aux demandes scolaires malgré une intelligence vive. »
La scène qui suit est donc notre deuxième rencontre.
Victor arrive dans la salle de psychomotricité, sans un mot. J’ai à peine le temps
de lui dire bonjour que d’emblée, il se jette sur les matelas et s’enfouit sous les
coussins. Je verbalise ce que je ressens : « les coussins et les matelas comme un
182 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
abri, une maison » et joins l’action à la parole. Je commence à dresser les matelas
les uns contre les autres, ce qui intéresse Victor. Il m'aide aussitôt. La cabane
vacille, puis enfin tient debout. Victoire ! Victor entre et m’invite à entrer avec
lui, tout ceci avec le strict minimum d’échange verbal.
Le calme ne dure que quelques instants. Un monstre vient nous dévorer. Un cata-
clysme s’abat sur moi. Victor s’est rué sur les murs de matelas qui m’entourent.
Il se jette dessus sans aucune inhibition ni perception de son poids. « Attention ! »
Je crie, en même temps que je protège ma tête de mes bras. Si j'allais recevoir
un mauvais coup ? La maison de paille du petit cochon me revient en mémoire.
Je suis le petit cochon, le loup va me dévorer. Je raconte ce qui me vient en tête.
Un peu d’arrêt. Victor rit. Plaisir du jeu à cet instant seulement. Un peu de distance,
une histoire naît dans les mots. Je m'aperçois alors que Victor sait très bien parler,
ce dont je n’étais plus du tout convaincue. En fin de séance au moment de nous
séparer, Victor enfin intègre l’abri-maison et se couche en chien de fusil tout en
suçant son pouce. Mais il entend dans le couloir son frère et ses grands-parents.
Il leur crie d’entrer. Ce qu’ils s’empressent de faire, peu arrêtés par une porte
fermée !
à quel point les espaces intérieurs extérieurs sont peu construits et les cloisons
matérielles et symboliques si peu étanches, chez un enfant non-psychotique
et encore moins déficitaire.
Mais poursuivons :
Deux séances après, mêmes matelas, même maison. À la différence près que
Victor vient avec moi dedans. Un peu de calme dans toute cette agitation ! Mais
inexorablement, soit Victor se transforme en monstre et fait tomber les murs ,
soit la maison s'écroule lamentablement d’elle-même.
J'ai instauré des règles dont le rappel est à chaque fois nécessaire. Les « On ne
se fait pas mal, on n’abîme rien » scandent régulièrement la séance. Mince succès,
pas de casse. Mais chaque semaine, tout est à recommencer. Le péril nous guette.
Victor est toujours aussi silencieux. J’ai peine à imaginer qu’il est en CP et qu'il
suit une scolarité, certes rendue difficile par son agitation incessante, mais néan-
moins normale.
Quelques séances passent, il découvre les raquettes. Des parties de tennis suivent,
ouvrant sur un échange à deux plus direct, par contre toujours aussi corporel.
Mais là aussi, j'ai peur, non plus pour moi, mais pour tout ce qui m’entoure : les
lampes, les fenêtres, les objets de mon bureau. Ce n’est pas la maladresse de
Victor qui m'inquiète (il est au contraire très adroit), ce sont ses accès toujours
imprévisibles de violence impulsive, de débordement pulsionnel. II me regarde
alors fixement avec une rage meurtrière dans les yeux.
Le temps passe, un mois, deux mois. Les paroles viennent peu à peu. C’est un
bonjour, un sourire.
Victor veut dessiner, lui qui n’avait jamais voulu esquisser un seul trait. Pour la
première fois, 1l me fait part de son sentiment de nullité :« Je ne sais pas faire. »
Les séances prennent alors une tout autre tournure. Ses investissements se diver-
sifient. Son agitation cesse. Il commence à construire des tours en kapla. Ces
Jeux de construction demandent une adresse, un équilibre, une coordination
globale du corps, une attention et une grande concentration. Il est très fier de lui.
Ses progrès d'écriture se confirment devant moi, car il ose me montrer ce qu’il
sait faire. Le temps assis sur le tapis ou au bureau devient autre chose qu’un
carcan. Je reste alors proche de lui. Victor commence dans ses dessins à projeter
un univers fantasmatique. Rêver devient possible, inventer, imaginer. Le cauche-
mar permanent cède la place, peu à peu, à une rêverie commune. Il a fallu du
temps !
HYPERACTIVITÉ: PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ... 185
Chez cet enfant carencé, dont j’ai longuement parlé dans un précédent
ouvrage, son hyperactivité surgit dans des moments d'angoisse extrême, quand
HYPERACTIVITÉ : PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES EN PSYCHOMOTRICITÉ 187
il est débordé par ses affects, sans pouvoir ni les maîtriser ni les élaborer, ni
les partager avec quelqu'un qui pourrait les contenir et le rassurer. Dans le
cadre de cette prise en charge institutionnelle (Rodolphe est intégré dans un
EMP), le projet est de proposer à cet enfant de 10 ans une médiation théra-
peutique spécifique : un groupe, une piscine. Sans revenir sur les détails de
ce travail au long cours, et en le résumant très rapidement, il s’avère que
Rodolphe va pouvoir revivre des expériences régressives en même temps
que très valorisantes pour lui, puisque d’une relation individuelle avec son
éducatrice dans l’eau — travail qui permet les portés, les éprouvés corporels de
peau, le laisser aller, etc. autrement impossibles dans toute autre situation —
il va pouvoir acquérir une véritable maîtrise et une coordination dans l’eau,
dans la profondeur de l’eau, apprendre à nager, à plonger, et passer son brevet
de 50 mètres dans une « vraie piscine » avec un « vrai maître nageur ». Il
recevra un vrai diplôme.
J'emprunterai à Denys Ribas cette citation particulièrement intéressante,
qui ouvre sur d’autres perspectives de travail corporel avec ces enfants hyper-
actifs :« L'investissement de la musculature en lui-même, si on oublie la
peau, peut représenter une maîtrise artificielle qui n’est ni vivante ni fondée
sur un plaisir de fonctionnement et sur une enveloppe. Le corps, support de
l'identité, comme support de plaisir de fonctionnement, peut alors au contraire
devenir un corps défensif qui forme une carapace dure. »
Il n’est bien évidemment pas toujours simple d’amener un enfant à se
poser, à éprouver, à ressentir et à se détendre. Dans le cas de Rodolphe, un
travail en institution permet des investissements différents et des recours à
différentes médiations thérapeutiques, médiations que nous inventons et
adaptons pour répondre au mieux à notre projet pour cet enfant.
Pour un enfant scolarisé qui vient en CMPP ou en privé, comment faire ?
Quels sont nos moyens ? Suffit-il de décider d’un travail en relaxation ?
Laurent a 7 ans. C’est un grand garçon costaud, qui depuis la maternelle consterne
ses parents. Il est suivi depuis l’âge de 3 ans en CMPP, il a déjà beaucoup progressé
mais l’entrée au CP a ravivé les angoisses de Laurent, ainsi que celles de ses
parents.
Ce jour-là, Laurent arrive très pressé de commencer. Il a pensé qu’il ferait aujour-
d’hui le gardien. Je m'installe dans la peau du voleur.
Le gardien dort. Je cherche à m’assurer de la qualité et de la profondeur de son
sommeil. Je m’avance très doucement, et touche les bras et les jambes de mon
gardien. Vraiment, c’est un sommeil très profond ! Mais je veux m'en assurer
vraiment. Alors je commence à mobiliser les articulations de l’épaule, du coude,
du poignet, des genoux, de la cheville, tout en commentant tout haut: » Mais
oui, il dort bien, quelle chance, on dirait même qu’il est mort. C’est incroyable. »
Je vois un sourire radieux illuminer le visage de Laurent qui n’en ouvre cependant
pas les yeux et continue à jouer son personnage. Puis bien sûr, je m’en vais voler
le trésor, et ce qui doit arriver arrive: je suis surprise la main dans le sac, et remise
en prison illico presto !
« Dis, tu referas comme tu as fait, tu sais quand je fais semblant que je suis
mort ? »
NOTES
1° Ce texte a fait l’objet d’une première publication dans la revue Thérapie psychomotrice
et recherche, « Controverses », N° 148, 2006. Publié avec l’aimable autorisation de la
revue Thérapie psychomotrice.
[ee] C. Potel, Le corps et l'eau. Une médiation en psychomotricité, Érès, Ramonville Saint
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WINNICOTT D. W., Jeu et réalité, l'espace potentiel. Paris, Gallimard, 1975.
La dimension du corps
elou les indications de prises en charge en psychomotricité
dans une consultation médico-psychologique (CMP)
pour enfants
SYLVIE GOUEL-BARBULESCO
2. Études cliniques
séances par semaine auraient été bénéfiques, mais trop difficiles à organiser
pour la maman. Tom viendra donc régulièrement une fois par semaine, et se
poursuivra parallèlement un travail de consultations médicales thérapeu-
tiques avec la famille. Tom veut progresser, il utilise l’espace de la salle ainsi
que tout le matériel qui est mis à sa disposition : ballons, cerceaux, quilles,
instruments de musique, jeux de construction, puzzles, feutres, peinture, pâte
à modeler. Cet espace thérapeutique de jeu a comme objectif une plus
grande autonomie gestuelle, afin que Tom, tout en étant contenu corporel-
lement, puisse acquérir des repères de base plus solides et aborder avec plus
de maturité les apprentissages scolaires.
Ce type de prise en charge en psychomotricité correspond aux suivis
«classiques », en ce sens qu’il renvoie directement aux champs d’application
de la psychomotricité d’après le décret de compétence du 6 mai 1983, ou
nomenclature des actes, dont voici la liste :
°_ bilan psychomoteur;
°_ stimulation psychomotrice ;
*_ éducation psychomotrice précoce;
*_ rééducation des troubles psychomoteurs tels que :
— troubles de la maturation et de la régulation tonique,
— troubles du schéma corporel,
— troubles de la latéralité,
— troubles des apprentissages scolaires,
— troubles de l’organisation spatio-temporelle,
— troubles tonico-émotionnels,
— troubles de la graphomotricité,
— maladresses motrices et gestuelles,
— instabilité et inhibition psychomotrices,
— troubles praxiques,
— dysharmonies et retards psychomoteurs,
— débilité motrice.
Nous prenons des notes écrites après chaque séance, et nous avons égale-
ment un temps de réflexion et de supervision avec une psychologue-psycha-
nalyste de l’équipe toutes les trois semaines.
Ces deux groupes, auxquels je me réfère, sont donc différents de par leur
cadre de travail. Toutes les familles, dont les enfants participent à ces deux
groupes, sont reçues fréquemment en consultation par le médecin référent.
3. Conclusion
NOTE
1. Introduction
son existence autonome permettant la relation aux autres. Cela, ce n’est pas
la sensation seule qui le permettra mais la sensation reconnue, chargée de
sens grâce à l’échange patient-thérapeute.
La carence ou la non-adaptation des soins maternels peut provoquer de
graves troubles de la corporéité et par la suite de la personnalité. Or, le rôle
de la peau, des stimulations cutanées et des échanges émotionnels est décisif
dans l’instauration des liens précoces car il permet l’élaboration d’un espace
psychique et corporel personnel. Nous proposons au jeune de vivre un contact
corporel très proche, sur toute la surface du corps, comme c’est le cas dans
la relation mère/enfant, l’analogie s’arrêtant là, car physiquement nous avons
affaire à des adolescents et le psychomotricien n’est en aucun cas le substitut
maternel. Ce contact ne leur est pas apporté par notre peau mais par l’eau
qui sert d’intermédiaire. Il ne s’agit pas pour nous de combler les manques
ni les carences mais plutôt d’aider ces jeunes à en prendre conscience, à les
accepter ou à les aborder autrement.
Ce type d'expériences est à vivre dans un milieu enveloppant qui servirait
de médiateur entre le jeune et le thérapeute. Ce milieu privilégié est l’eau.
2. Pourquoi l’eau ?
L’eau sensibilise la peau souvent « anesthésiée » des patients psychotiques,
réveille les sensations qui sous-tendent le système perception-conscience, et
qui fournissent la possibilité d’établir un espace psychique. L’eau, partenaire
symbolique, servira de médiateur pour aborder les adolescents les plus
emmurés. L’hydrothérapie, en tant qu’approche corporelle, est plus spéci-
fique aux troubles psychotiques pour lesquels elle recrée une unité corporelle
en cause dans cette pathologie. Elle est prescrite pour faire du bien au corps
de ces jeunes, les aider à se faire du bien. L’eau servira d’enveloppe, de conte-
nant pour ce corps morcelé, mais elle sera également source de plaisir sensuel
(tous les sens seront sollicités), cela permettra au jeune d’investir son corps
qui ne sera plus tant vécu dans la souffrance. Ces sensations apaisantes ou
dérangeantes, présentes et perceptibles, peuvent être parlées et reliées à des
sensations archaïques avec leur cortège de plaisir et déplaisir.
L’eau, en tant qu’espace transitionnel, permet d’éviter le «peau à peau»,
contact parfois risqué pour l’adolescent car chargé d’affectivité ou d’angoisse,
qui peut être érotisé, ou renforcer un sentiment de fusion, ou être interprété
comme tentative de noyade et d’intrusion. Le toucher ne doit être ni trop
léger, ce qui évoquerait des caresses, ni trop appuyé.
L'hydrothérapie permet à l’adolescent d'acquérir le contrôle de son corps,
d’obtenir une structuration de son schéma corporel à travers la mobilisation
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 205
4, Pourquoi l’hydrothérapie
chez les adolescents psychotiques ?
L’hydrothérapie est un chemin privilégié pour aborder — sans trop d’enva-
hissement dépressif pour l’adulte — les archaïsmes de fonctionnement de ces
adolescents, dans une grande dépendance à l’adulte.
Mon choix s’est orienté plus spécifiquement sur l’utilisation de l’eau à
des fins thérapeutiques avant tout parce que la rencontre avec l’eau dans mon
enfance fut une expérience intense et passionnée.
Cet élément a été pour moi un espace de liberté et de découverte de ressen-
tis corporels nouveaux, de jeux avec les peurs, un territoire réel et imaginaire
où se sont Jouées et rejouées pour moi les possibilités d’accès à tant d’interdits.
L'eau a été particulièrement mon territoire d’aventure construit par mon
histoire personnelle. Son calme puissant et profond ou son élémentarité terrible
m'ont toujours fascinée, apaisée et ont nourri mon imagination.
Ainsi, lorsque je me suis trouvée, jeune psychomotricienne, démunie,
face aux singularités du fonctionnement des patients psychotiques (enfants
et adolescents), l’eau m’a été d’un grand secours. ,
Le symbolisme maternel chargé mais surtout l’ambivalence de cet élément
et sa capacité à procurer la sensation de l’unité du corps m’ont convaincue
de la mise en place d’un travail en bain thérapeutique dans une baignoire
d’abord, avec les enfants, puis dans le bassin avec les adolescents de l’hôpital
de jour. Ce projet s’est enrichi au fil des années de ma rencontre avec G. Pous,
psychanalyste clinicien de la psychose pratiquant les massages et les enve-
loppements humides auprès de ses patients. Sa double formation (car il était
kinésithérapeute d’origine) a ouvert un champ clinique original et efficace
pour le traitement de cette affection. Ma formation en psychothérapie de
relaxation, en massage thérapeutique et en eutonie adaptée au milieu aquatique
a complété mon approche à travers l’hydrothérapie.
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 207
5. L’adolescent et la psychose
Pour comprendre l'intérêt de l'approche en hydrothérapie que je me
propose de décrire, il me paraît important d'exposer en tout premier lieu les
difficultés de ces patients. Les jeunes admis à l’hôpital de jour où j’exerce 1
sont presque toujours entrés précocement dans la maladie mentale. Ces
adolescents souffrent d’une absence d'autonomie psychique accompagnée
d’une difficulté à utiliser un potentiel intellectuel souvent intact, de diffi-
cultés ou de l’impossibilité d’avoir des liens relationnels. Ils vivent souvent
des ruptures familiales et avec leur classe d'âge.
J. de Ajuriaguerra a défini le noyau structurel psychotique qui empêche
l'individu malade de jouir de tous ses sens, d’abord à cause de l’existence
d’une angoisse primaire d’anéantissement, de morcellement, d’engloutissement
impliquant la dissolution ou la destruction complète de l’individu. L’adolescent
s'attache à des rituels pour maintenir cette angoisse à distance.
Dans mon approche de l’adolescent, je reste sensible au «dialogue
tonique » qui s’instaure et je dois souligner qu’habituellement, le psycho-
motricien accorde une attention toute particulière à ses ressentis corporels,
aux changements de son propre tonus musculaire, à sa capacité ou non d’être
disponible corporellement au contact du patient, à son toucher, et comme
dans toute relation thérapeutique, à la qualité de sa présence, à sa fatigue, à
sa vitalité et aux modulations de celles-ci pendant la séance.
Bien sûr, le corps dans la psychose prend une place essentielle, cependant
son rapport à la psyché n’a pas moins d’importance, mais avec ce type de
patients, le langage ne suffit pas. Il est nécessaire de donner aux adolescents
la possibilité d’éprouver leur corps, de découvrir les sensations qui le traversent,
de le toucher, de le regarder, d’en sentir la réalité.
Les adolescents psychotiques nous livrent souvent des vécus surprenants
de leurs perceptions et sensations. Tantôt le corps dans son entier, ou en
partie, n’est pas perçu et cet état est accompagné d’une angoisse sidérante,
pouvant aller jusqu’à l’agression ou l’automutilation, afin de retrouver «une
sensation qui donne la preuve d’une vie physique ».
Le patient a besoin de se faire mal pour se sentir vivre. Dans le vécu plus
banal.de chacun, nous avons tous eu des moments où nous avions eu besoin de
«nous pincer la peau » pour croire à la réalité de notre ressenti. La redécouverte
de la perception du corps ou d’une partie du corps permet de remplacer une
sensation de vide angoissant qui aspire tous les autres investissements possibles
et appauvrit la personnalité.
208 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
6. Le cadre de l’hydrothérapie
chez les adolescents psychotiques
Aborder un adolescent psychotique demande une bonne articulation entre
tous les membres de l'institution. Il est impératif pour un psychomotricien
de comprendre les versants pratiques et théoriques de son approche pour les
transmettre efficacement à l’équipe, afin que la psychomotricité s’articule
au mieux dans le projet thérapeutique de chaque patient.
L’hydrothérapie a lieu dans une salle réservée à cet effet. Elle comporte
une petite pièce servant de vestiaire avec une douche (obligatoire avant de
commencer la séance) et la salle principale avec le bassin. Il est de forme
triangulaire aux angles arrondis, facilitant la position allongée et ses parois
sont équipées de plusieurs jets d’eau. Les séances sont individuelles et l’in-
dication est posée à la suite du bilan psychomoteur qui fait partie des moda-
lités d’admission à l’hôpital de jour et est présenté à l’ensemble de l’équipe
lors de l’exposé du cas clinique. L’indication est portée après la discussion
avec le référent psychologue de l’adolescent.
Cette évaluation psychomotrice permet de repérer d’emblée une problé-
matique s’exprimant par le corps et de proposer une aide adéquate en veillant
à ce que ce travail s’articule le mieux possible aux autres soins individuels
et aux activités de groupe proposés au sein de l’institution.
Cette articulation, ainsi que par la suite l’évaluation du travail, s’effectue
lors des différentes réunions avec les autres membres de l’équipe.
Pour que le travail thérapeutique auprès d’adolescents si gravement pertur-
bés prenne un sens, nous mettons en place en dehors du temps institutionnel
des moments d’élaboration de notre pratique en contrôle ou en formation
continue.
Lors de la séance hebdomadaire et qui dure une heure, l’adolescent est
invité à entrer dans le bassin, alors que le psychomotricien reste en dehors.
Cela dans un souci de créer deux espaces « dehors et dedans » afin d’aborder
progressivement la problématique de la séparation et de la «bonne distance »
à trouver à partir de la différence d’espaces.
La température de l’eau élevée (34 °C) donne d’emblée une sensation de
chaleur très agréable sans être excessif. Les jets de massage peuvent être
réglés dans leur intensité. Leurs différentes localisations permettent d’avoir
des massages de toutes les parties du corps concernées. Cette possibilité qui
existe d’envoyer des jets dans un point précis du corps permet de parler du
premier intérêt de ce cadre de travail qui est celui d’aider les jeunes à éprouver
des sensations en se les appropriant, puisque justement leurs difficultés corpo-
relles concernent l’incapacité dans laquelle ils se trouvent souvent de tout
HYDROTHÉRAPIE AVEC LES ADOLESCENTS PSYCHOTIQUES EN HÔPITAL DE JOUR 209
8. Conclusion
Dans cette approche de la psychose, il ne s’agit pas, comme dit G. Pankow,
«de donner des soins que le patient n’a pas reçus quand 1l était encore bébé,
mais il s’agit de favoriser, donner des sensations corporelles tactiles et autres
qui le limitent dans son monde magique pour l’amener à une reconnaissance
des limites de son corps ». Le «bain de paroles » qui accompagne les gestes
du thérapeute favorise chez l’adolescent le passage du sensoriel au perceptif,
en ce qui concerne le vécu du corps propre. Chaque partie du corps sentie,
perçue est replacée dans le fonctionnement de la totalité du corps, ce qui
diminue les angoisses de morcellement. Pour finir je voudrais insister sur le
besoin qu’éprouvent souvent les patients psychotiques de se trouver «un
nid », «une tanière » où ils pourraient se sentir tranquilles et en sécurité. Le
bassin avec l’eau et la possibilité de se cacher, d’aller sous l’eau, donnent
satisfaction à ce besoin fondamental d’avoir un espace personnel, de jouer
avec l’absence et présence et parfois même la naissance. Après un long temps
de «nidification » au sein du bassin arrive la période de «l’exploration » de
son intérieur et ensuite du corps propre. La base de notre travail sera alors
le décodage des besoins thérapeutiques de ces jeunes, besoins qui se mani-
festent dans leur comportement et l’attitude «ici et maintenant ».
NOTE
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Le corps à l’adolescence
Des médiations corporelles pour les adolescents :
de la danse à la relaxation
CATHERINE POTEL
L’adolescence est donc bien plus qu’une étape maturative, c’est un boule-
versement, un chamboulement nécessaire et vital, qui peut mettre parfois en
péril le sentiment même de l’identité. Pour peu que l’enfant ait été — pour
une raison ou pour une autre — en difficulté dans sa construction identitaire
de sujet, à l’adolescence peuvent se reposer avec fracas les avatars d’un déve-
loppement fragilisé.
Cela est d’autant plus vrai pour les enfants qui se sont développés sur un
mode psychotique, et qui à l’adolescence, n’ont pas l’appui d’une assise
narcissique solidement établie — c’est-à-dire un sentiment d’exister en tant
que sujet, individualisé et séparé de l’autre — pour intégrer et élaborer ces
changements pubertaires. En ce cas, quels vont être les effets de l’adolescence
qui, comme je l’ai dit précédemment, est un véritable passage préparatoire
à la vie d’adulte ? Les transformations du corps, pour qu’elles puissent avoir
un rôle opérant dans la construction identitaire, nécessitent une activité
psychique intense.
Comment aider l’adolescent psychotique à intégrer et à élaborer psychi-
quement ces changements ? Comment faire pour que l’adolescence soit un
moment de vie fructueux, voire une relance pour le développement psychique ?
En d’autres termes, comment aider l’adolescent à une appropriation subjective
de son corps, dont dépendra l’intégration des changements dans son image
corporelle ? Image corporelle qui est une synthèse vivante des expériences
émotionnelles sur lesquelles se fonde la capacité d’être en relation avec soi
et avec les autres.
+ Les investissements corporels de l'adolescent
Nous l’avons dit, le corps occupe une place centrale à l’adolescence. Et
l’adolescent qui fonctionne bien va lui donner une place importante dans ses
préoccupations : il est l’objet d’un investissement, voire d’un surinvestissement
parfois, qui peut prendre des formes très différentes : ;
— investissement des vêtements, attributs narcissiques importants qui
marquent non seulement l’identité de celui qui les porte mais aussi son appar-
tenance à un groupe. Les vêtements sont vécus comme une enveloppe qui
sécurise, protège, distingue. Ils clament l’identité adolescente.
— investissement de l’expression corporelle : les adolescents vont choisir,
selon leur personnalité, des modes de « relation à leur corps » qui sont autant
de façons d’apprivoiser l’excitation résultant de la force pulsionnelle naissante.
Le sport, la danse, le roller, le théâtre… toutes ces activités que choisit l’ado-
lescent sont des moyens pour lui de canaliser son énergie, et de sublimer
c’est-à-dire transformer l’excitation en force créatrice. C’est, ici aussi, l’occa-
sion d’appartenir à de nouveaux groupes, réunis autour d’un objet d’intérêt
commun.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 217
En relaxation, c’est très différent. Il y a les mots que je dis pour aider la
détente, c’est-à-dire les inductions. Puis il y a le temps de verbalisation, après
la reprise (fin de la relaxation) pour chacun des adolescents. Moments de
rêveries intérieures, écoute des sensations, verbalisation des éprouvés dans
l’après-coup du temps de détente, la relaxation est l’occasion pour l’ado-
lescent de mettre en mots ce qu’il a senti, éprouvé, pensé, alors qu’il était
allongé. C’est donc un vrai travail d'élaboration qui s’enrichit des associations,
celles de l’adolescent, les miennes, ou celles de l’éducatrice qui anime le groupe
avec mol.
Nous voyons donc que la parole est très présente dans ces deux médiations,
mais à une place et une fonction différente dans chacune d’elles.
une sécurité sans laquelle il est impossible d'exister. Il est cependant tout à
fait nécessaire pour l'adolescent, même psychotique, de pouvoir profiter de
la richesse des relations à l’intérieur d’un groupe qui, je le rappelle, offre
une diversité d’essais, de tentatives relationnelles, tant du côté des liens
homosexuels que du côté des liens hétérosexuels.
On peut même affirmer que, au sein de l'hôpital de jour, les effets théra-
peutiques du groupe jouent un grand rôle qu’on aurait tort de minimiser.
Benoît, adolescent post-autiste, met toute son énergie pour trouver les moyens
de s'intégrer à un petit groupe de copains, en tentant de comprendre comment
il peut faire, par exemple, pour les faire rire en inventant des blagues, et comment
il peut se faire aimer. Les discussions que nous avons ensemble à ce sujet sont
d’une richesse incroyable car ses questions résument tout ce qui fait l'humanité
des hommes : l’amour, le rire, la joie, la tristesse, l’agressivité, le chagrin, le lien
aux autres. Il faut dire que cet adolescent est arrivé avec pour seule référence
existentielle le système planétaire. C’était un petit prince, tombé d’une autre
planète, la tête encore dans les nuages, et qui n’avait qu’une seule idée : y retourner.
Il est donc bien évident que le travail en groupe à l’intérieur même des
médiations va être un levier thérapeutique important, la rencontre avec les
autres autour d’un même objet d’investissement et de plaisir ne pouvant
qu’enrichir les expériences relationnelles. Par contre, plus qu'ailleurs, le rôle
de l’adulte va être important et complexe.
Le nombre d’adolescents dans un groupe varie en fonction de la médiation :
il va de 3 à 8 pour la danse, de 2 à 4 pour la relaxation.
Je ne développerai pas ici le travail en relaxation individuelle dont le cadre
diffère légèrement mais que je pratique également en fonction des indications
au cas par cas : par exemple, adolescents qui viennent en temps partiel à
l'hôpital de jour, ou adolescents qui, après une prise en charge de plusieurs
années, demandent à poursuivre ce travail thérapeutique. Je peux cependant
signaler que ces indications individuelles s’adressent généralement à des
adolescents qui présentent une pathologie plus névrotique que psychotique.
2.4. Monintervention
3. La danse
Quand j’anime des groupes de danse à l’hôpital de jour, c’est autant mon
expérience de psychomotricienne que mon travail personnel en danse (que
je pratique depuis une vingtaine d’années, en fait depuis ma propre adoles-
cence) qui sont en jeu. Cette double expérience est ce qui me permet de
définir mes projets et de théoriser ma pratique, en gardant comme axe de
référence une intervention qui est avant tout du côté du thérapeutique. Je
suis psychomotricienne et non « danse-thérapeute », ce qui est un autre travail
et une autre formation, même si on peut y voir des points communs.
Ces trois temps sont comme des rituels qui inscrivent des repères, une
chronologie, une rythmicité nécessaire au travail corporel.
3.2.1. L'échauffement
Comme dans toutes pratiques corporelles le corps a besoin d’un temps
d’échauffement pour le mettre en forme et en condition, ne serait-ce que
pour éviter les accidents.
Pour moi, ce temps d’échauffement a une fonction supplémentaire : il est
l’occasion de faire connaissance avec son corps, de s’en occuper, d’y faire
attention, de le soigner. Sans forcément proposer les mêmes exercices, la
progression que je choisis est assez souvent identique.
Nous nous installons dans la pièce, nous nous étirons, et nous nous plaçons
(j'ai déjà évoqué le rapport du corps à l’espace et l’importance du placement).
C’est déjà là tout un travail que de s’installer et de sentir son espace, la place
qu’on occupe à côté des autres. Il y a ceux qui n’ont aucune conscience de
leur besoin d’espace pour étirer leurs bras, ceux qui se mettraient volontiers
«sous mon nez », ceux qui sont collés aux autres, ceux qui au contraire restent
immobiles et soudés au mur. C’est très intéressant de faire attention à cette
manière d'utiliser l’espace et de se situer par rapport aux autres et aux objets.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 227
Je me souviens de cet adolescent qui restait des heures debout contre la colonne
de la salle, comme si celle-ci le dessinait, lui donnait son propre relief, le repré-
sentait. Il était l’ombre de la colonne, ou son double. Ce même adolescent a mis
trois ans à pouvoir se reconnaître sur l'écran de télévision quandje montrais les
films pris pendant les séances. Ce jour-là a été comme une naissance. «C’est
moi », avait-il dit en se montrant du doigt sur l’écran. Il s’était enfin trouvé, dans
cette image de lui-même restée jusque-là comme abstraite.
cercle (ce qui chez les adolescents ne pose pas de problème), puis de pouvoir
projeter dans un espace imaginaire un dessin fictif. Quand on le fait avec le doigt,
puis le bras, Béatrice n’a aucune difficulté. Par contre, s’il lui faut bouger la tête
indépendamment du buste, elle se sent perdue. Son regard ne peut se poser nulle
part, elle n’a plus de repère, et ses repères internes ne sont pas suffisants pour
lui permettre de détendre la nuque, libérer la tension. Paula, elle, a mis deux ans
avant de bouger sa nuque librement, la «dessouder » de son buste sans risque
(fantasmatique) de la perdre. Ces deux jeunes filles ont en commun une première
enfance difficile. Paula a connu des hospitalisations répétitives dues à des compli-
cations organiques après l’accouchement. Béatrice a eu une mère gravement
dépressive (après le décès d’un enfant mort avant sa naissance) et on peut imagi-
ner, au vu des difficultés qu’elle rencontre pour coordonner, rassembler et détendre
son corps, un bébé qui n’a pu avoir les réponses toniques et posturales adéquates
d’une mère disponible et donc n’a pu se construire que dans une certaine rigidité
défensive (cette jeune fille par ailleurs est intelligente et a un bon niveau scolaire
de 3e, ce qui donne une idée de ce que peut dire le corps de l’inélaborable et du
non représentable).
Quand je suis face à des difficultés de ce genre, les mots pour aider aux
mouvements ne suffisent pas. Je viens accompagner du toucher le mouvement,
prenant dans mes mains la tête (pour reprendre cet exemple) et donner ainsi
un soutien, un repère qui est à la fois un appui corporel, et un lien relationnel
qui rassure, qui empêche de se perdre.
Bouger ses articulations, faire un inventaire de tous les segments corporels,
voilà le corps chaud et «en forme ». J’entends ce terme dans ses deux sens :
en forme, on a fait circuler l’énergie. Et on a donné ou redonné une forme au
corps. Très souvent, sont associés à cet échauffement articulaire et segmentaire
des massages ou auto-massages (du dos, des bras, des mains, des jambes,
des pieds). S’occuper de soi est une bonne chose pour se connaître et prendre
conscience de son corps. Pour expliquer le massage, j’emploie des termes
comme : pétrir, malaxer, tapoter pour redynamiser. Les massages peuvent
se faire à deux, c’est aussi bien une façon de rencontrer l’autre en le percevant
que de faire un parallèle entre son propre corps et celui de l’autre. Dans ces
contacts, la dimension sexuelle n’est ni banalisée ni ignorée. Les rires fusent
ainsi que les réflexions : ça chatouille !
Mais ce qu’il y a de formidable dans une médiation comme celle-là, c’est
la possibilité d'intégrer ce qui désigne le sexuel, le cadre impliquant l’évidence
du non-incestueux et du non-transgressif. La socialisation la plus normale
s’ajoute au refoulement qu’impose la présence de tiers (le tiers étant repré-
senté par ma présence, le groupe, le cadre institutionnel, et par la médiation
même). Le toucher est autorisé, nécessaire, et du coup beaucoup moins
érotisé. Les mots, ici aussi, sont essentiels. Je nomme les parties du corps,
je peux dire «les fesses » sans que cela soit un «gros mot» puisque cette
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 229
partie corporelle permet par exemple de s'asseoir. On peut alors sentir ses
ischions, et puis le coccyx sur lequel il fait si mal de tomber. Je limite aussi
les zones que l’autre peut toucher, désignant ainsi un interdit qui respecte
l'intimité de chacun.
existence, donc de l’espace dans lequel ils vivent. Là aussi, le corps dit très
bien les repérages impossibles quand on n’a pas conquis sa différence.
«Le centre est là où Je suis »
Cette phrase de Martha Graham, danseuse qui a été l’une des pionnières
de la danse contemporaine, résonne fort à mes oreilles parce qu’elle résume
assez bien l’essentiel de ma démarche auprès des adolescents de l’hôpital
de jour.
Roland connaît très bien sa droite de sa gauche, mais sitôt qu’il est en face de
moi, il se calque à mon propre corps, exactement de la même façon qu’il se colle
à moi en relaxation, ou est fixé à mes yeux dans un regard qui ignore le reste du
monde. Il est fusionné à moi (ou à quiconque en face de lui). Dans ce cas, il est
bien évident que sa droite et sa gauche ne signifient plus rien, puisqu'il n’est
plus lui-même. Tout le travail que je vais faire avec lui est de tenter d’introduire
de la distance, de l’écart. Au bout de quatre années à l’hôpital de jour, Roland
n’est plus figé dans le regard de l’autre, il arrive à danser pour lui, son allure de
robot empruntée aux «boys band » de la télé cède peu à peu. Il a conquis un peu
d'espace à lui.
Les déplacements dans l’espace vont prendre toute leur importance. Les
lignes médianes, diagonales, transversales, sont autant de chemins qui dessi-
nent un monde dans lequel on voyage. Nous jouons avec la géométrie : le
cercle, les carrés, les triangles, les rectangles. Autant de dessins tracés par
nos pas, dont le contour devient de plus en plus lisible, au fur et à mesure
que s’affine la représentation chez l’adolescent.
Le déplacement et le mouvement est une affaire de rythme également.
Nous allons explorer les rythmes binaires, ternaires, l’association des rythmes
entre eux, leur enchaînement. Pour cela, il m'arrive d’utiliser des instruments
de percussions comme le djembé, ou tout simplement les frappés de mains,
les claquements des doigts, de la langue dans le palais, les frappes des pieds
au sol comme si on jouait du tambour. Tout le corps participe à ce rythme,
il devient un corps musical.
Brice a un corps désarticulé. Des syncinésies buccales, brachiales et oro-chirales
parasitent tous ses mouvements. Je m'aperçois avec surprise qu’il a, par contre,
une très bonne organisation temporo-spatiale, qui malheureusement ne lui est
d'aucune utilité quand il s’agit de coordonner son corps. C’est en le voyant
organiser les déplacements des autres en tapant sur le «djembé » que j'ai l’idée
de faire de même pour lui. J’insiste alors sur la décomposition rythmique du
mouvement, notamment dans la course, et je vois alors Brice devenir harmonieux.
L'image me vient de ces pantins disloqués qui, quand on tire le fil qui les traverse,
se retrouvent tout droits et alignés. Pour Brice, c’est un peu la même chose. Le
rythme vient soutenir la perception de sa colonne vertébrale, et lui permet de
retrouver son alignement et la cohérence de sa verticalité.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 231
3.3. Le spectacle
Je n’avais jamais imaginé que je ferai un jour des spectacles dans le cadre
de mon travail de psychomotricienne. J'étais même plutôt épidermiquement
contre tout ce qui pouvait être « production devant d’autres » à partir du
moment où j'investissais le domaine du thérapeutique qui me semblait être
plus du côté de l’intime que du côté du «donner à voir». Mon changement
de point de vue est né d’une part de la demande même des adolescents qui
ont eu envie de montrer leur travail, d’autre part de mon désir de faire partager
et de laisser des traces plus durables de ces moments éphémères si magiques
parfois que vivent et font vivre au spectateur ces adolescents quand ils sortent
de l’état psychotique pour être dans l’expression et l'émotion.
Depuis, j'ai intégré dans les objectifs du groupe danse le projet de spectacle
qui est maintenant comme une «tradition », dans la vie institutionnelle.
Pourtant, la question se repose chaque année, et j'essaie de ne pas me
laisser enfermer dans une coutume qui peu à peu se viderait de son sens. Un
spectacle, une représentation, c’est une création qui demande beaucoup
d'énergie tant chez les adultes que chez les adolescents, cette énergie trouvant
son origine dans le désir. Si ce désir est émoussé par une quelconque habitude
ou une chronicité — ce qui nous menace toujours quand nous travaillons au
plus près de la psychose — il ne peut y avoir de vraie création. Et c’est cette
créativité qui concerne tous ceux qui participent au projet — et je suis bien sûr
autant concernée que les adolescents — qui va avoir des effets thérapeutiques.
encore, vont inscrire Ce qui se vit au présent dans une anticipation du futur,
c’est-à-dire le jour J, le jour du spectacle.
Relations dans le groupe, créativité mise en commun au service d’une
construction commune, rythmicité dans un temps qui articule présent et futur,
voilà une aventure qui commence. Mais comment se construit une chorégra-
phie avec des adolescents en hôpital de jour ?
3.8.3. Le jour J
Le jour de la représentation approche. C’est demain, c’est aujourd’hui,
c’est dans une heure. La salle de spectacle est une vraie salle de spectacle,
avec une vraie régie et un régisseur qui règle les lumières. Nous n’avons pu
répéter que pendant une heure dans cette salle inconnue. Les repères sont
pris, l’espace de la salle est de nouveau conquis, les déplacements repérés,
les décors organisés, le matériel déposé dans les coulisses.
Le public arrive. Ce sont les adolescents des groupes, le directeur, les
consultants, les pédagogues, les éducateurs.
Avant de commencer, une dernière séance de détente et de respiration.
Maintenant, c’est presque le moment. «J’ai mal au cœur, j’ai envie de
vomir, jamais jy arriverai, comment Ça fait le noir, dis Catherine, tu crois
que ça va aller comme ça mon chapeau, et ma robe, elle est belle, est-ce que
je suis beau ? »
Voilà, ils sont rentrés sur scène, ça ne m’appartient plus, ils sont tout seuls
sans moi. Vont-ils y arriver? Qu'est-ce qui m'a pris de les lancer dans une
telle aventure? Vont-ils s’en sortir? « J’ai l’angoisse » pour eux. Mais non,
c’est superbe, je suis contente, ils ont l’air de prendre tellement plaisir! Ils
ont réussi, c'était encore mieux que d’habitude. Ils ont tout donné !
La salle applaudit, les copains les félicitent. Ils sont fiers. Ils ont bien
dansé. Je suis fière d’eux,je les embrasse. Il n’y a plus d’adolescent psycho-
tique, il n’y a plus de psychomotricienne. Il y a un groupe qui a aimé danser.
4, La relaxation
4.2.1. En groupe
Ce sont de petits groupes de trois ou quatre adolescents. Nous sommes
deux à animer le groupe, ma collègue éducatrice et moi-même. J’anime les
séances, tant au niveau des inductions verbales et corporelles que dans la
‘relance associative lors de la verbalisation. Ma collègue a une position très
différente de la mienne. Sa présence est discrète, elle intervient peu sauf lors
du temps de verbalisation en fin de séance, si elle le désire ou si les adolescents
la sollicitent directement. De par sa fonction de référente sur le groupe, c’est
elle qui est le plus à même de faire des liens, si cela s’avère nécessaire, entre
238 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
ce qui se dit et ce qui se vit pour l’adolescent à ce moment-là, soit chez lui
soit dans la vie institutionnelle.
Clara est très déprimée ce jour-là. Elle a du mal à se concentrer et à sentir son
corps. Elle associe sur les retours à la maison. Elle est seule et attend, assise
sur le canapé, les yeux dans le vague, sans rien faire ne serait-ce même que
regarder la télévision. Ma collègue rappelle que sa maman à recommencé à
travailler et que ce changement doit être difficile à vivre pour Clara qui a toujours
été très (trop) accompagnée par ses parents et a eu rarement l’occasion de faire
l’expérience de la solitude. À ces mots Clara peut alors parler des difficultés à
la maison, notamment de la maladie de sa mère qui est, elle-même, gravement
dépressive.
4.2.2. En individuel
Les indications sont, dans ce cadre, différentes. Il s’agit de « grands »
adolescents, moins régressés, et dont le fonctionnement mental relève plus
de la névrose que de la psychose.
Il leur est proposé un travail en relaxation, pour leur donner l’occasion
d’expérimenter d’une autre façon un corps souffrant ou désinvesti, et d’en
parler dans un cadre sécurisant.
Michel dit qu’il ne sent pas son corps. C’est comme s’il était transparent. Il
est d’accord pour faire de la relaxation, mais sans savoir vraiment si ça sert à
quelque chose de ressentir. Très longtemps, il parlera du temps qu’il met à sa
toilette, du temps qu’il n’arrive pas à gérer (il est toujours en retard), de sa
transpiration quand il a couru, du dégoût qu’il éprouve à l’idée de toucher le
matelas encore chaud de celui qui vient de partir, de l’angoisse réveillée par
le prochain départ en wagon couchette et la proximité du corps des autres dans
cette situation.
Serge s’installe une «cabane » tout au fond du petit couloir de la salle. Il se love
sous les couvertures, bien protégé, en sécurité. Cette maison, il ne la laissera
qu’au bout d’un certain temps, quand il aura acquis, semble-t-il, un sentiment
de sécurité intérieure qui ne sera plus dépendant des conditions extérieures.
Clara, elle, aurait tendance, comme partout ailleurs, à tout gérer. Elle attribue à
chacun matelas, couverture, coussin, sans que les autres y trouvent à redire. Ceci
est tellement serviable et apparemment sympathique qu’elle deviendrait la
maîtresse de maison si je n’y prenais pas garde. Mettre en évidence ce fonc-
tionnement lui permet de formuler sa crainte d’être seule et son besoin de faire
comme moi, OU comme Édith, son éducatrice. Il serait d’ailleurs plus juste de
dire «être moi ou être Édith », car le « faire comme » suppose une conscience de
l'emprunt identitaire, ce qui n’est pas tout à fait le cas ici. Cette identification
adhésive à l’adulte masque sa difficulté à exister pour elle, différenciée de l’autre
(notamment sa mère).
Ilest fréquent que chacun trouve une place dans la salle qu’il va reprendre
chaque fois.
240 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Lucien n’ose pas me dire qu’il a peur d’être touché. C’est à ma collègue qu’il
peut formuler cette crainte et ce, en dehors de la séance. Celle-ci m’en fait part
et je respecte donc la distance demandée. Au fil des séances, à plusieurs reprises,
Lucien va évoquer ses inquiétudes face au toucher, notamment quand certains
adolescents le «titillent » (c’est son expression). En fait, dans la réalité de la vie
de groupe, ce serait plutôt le cas inverse qui se produit. Il est souvent repris par
les éducateurs, car il ne peut être en relation avec un autre adolescent sans avoir
un contact corporel, d'apparence anodine mais qui en fait inscrit la relation dans
un certain climat d’homosexualité mal supporté par ses copains. L'arrivée d’un
nouveau dans le groupe de relaxation relance pour Lucien la question du toucher
possible et permis en relaxation. Un travail d'élaboration extrêmement intéressant
va alors se faire chez cet adolescent qui peut, au bout de quelque temps, formuler
sa surprise quand je le touche — ça lui fait du bien et même ça le fait Sourire —
puis les différences de ressenti entre un toucher qui l’excite et un toucher qui le
calme et l’apaise comme en relaxation.
242 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Édouard, lui, peut verbaliser sa crainte d’être violé. Dans la vie de tous les jours,
il est sans cesse en train de toucher l’autre, fille ou garçon, adolescents ou adultes,
dans une attitude de provocation insupportable qui n’a d’égale que son angoisse à
être lui-même l’objet d’une intrusion corporelle. Toute relation devient sexualisée,
érotisée.
Hélène vit très mal le manque de contact. Elle se sent abandonnée, lâchée. On
peut supposer que ce sentiment a à voir avec l’abandon qu'elle a vécu, bébé,
puis la vie à l’orphelinat dans des conditions sans doute difficiles. Si je ne la
touche pas, elle se sent comme transparente, sans consistance. Mais si je la touche,
elle ne me quitte pas du regard dans une adhésivité affective proche de l’avidité.
Dans les deux cas, il y a toujours du trop (trop d’absence, trop de présence).
Romuald est un garçon démantibulé, morcelé, dans tous les sens du terme. Sa
folie est difficile à vivre au quotidien. Il est violent, et sa violence est à la mesure
d’une autodestruction quasi permanente, qui le conduit à se mettre répétitivement
en danger. On ne compte plus ses accidents corporels, ses blessures infligées par
lui ou par les autres tellement il s’offre en victime complaisante. La douleur
semble être la seule sensation qui lui donne le sentiment d’exister. En relaxation,
il se sent bien. Les sensations éprouvées quand je le touche le calment et lui «donnent
forme ». Quand je le mobilise, il sourit de bien-être comme un nourrisson qui peut
enfin s’apaiser dans les bras de sa mère, après avoir connu l’expérience de déman-
tèlement occasionné par le manque, le besoin (la faim, la soif, l’attente..….). J’ai
l'impression de le remodeler.
Samy, qui au début avait beaucoup de mal à rester allongé, s’endort maintenant
systématiquement. Il en est désolé, il a l’impression d’avoir raté quelque chose,
surtout s’il n’a pas senti si je suis venue le mobiliser ou non. S’il ne s’endort pas,
il peut alors être très proche d’une activité d’élaboration. Il aime l'impression
d’avoir pensé. S’il dort, il n’en garde aucun souvenir. Ça lui échappe.
LE CORPS À L'ADOLESCENCE 243
4.3.5, La verbalisation
Ce temps dé verbalisation va permettre que s’élaborent les éprouvés, les
sensations, les rêveries et les pensées. Chacun à son tour va prendre la parole.
La capacité de dire et d'exprimer des ressentis est très différente selon chaque
adolescent.
Certains, plus psychotiques, s’enferment dans une répétition monotone,
montrant par là même combien il est difficile pour eux d’accéder à une inté-
riorisation et une élaboration des affects et des sensations.
«C'était bien, j'ai senti la chaleur, le matelas était confortable, le coussin
était mou sous ma tête, je me suis bien reposé. J’ai senti quand tu es venue
me toucher.»
L'accent ici est mis sur tout ce qui n’est pas le corps, mais sur ce qui
accueille le corps : l’enveloppement externe (matière, matériel d'appui, ma
main qui touche).
L'impression de s’être bien reposé contraste souvent avec ce que je peux
constater : un corps qui bouge, des changements de positions incessants.
Certains adolescents sont traversés par ce qui se passe à l’extérieur (par
exemple les bruits), et montrent alors la fragilité de leur enveloppe protectrice.
C’est déjà une étape quand ils commencent à percevoir leur difficulté à se
concentrer, parce que, dans la pièce d’à côté, des gens parlent, par exemple.
Il y a là un début de différenciation dedans-dehors.
Édouard, dont j’ai déjà parlé précédemment, est totalement envahi par tous les
bruits du dehors, qui le mettent en rage et en fureur. Si par mégarde quelqu'un
entre dans la pièce, il est prêt à jeter n’importe quel objet sur l’intrus.… ou sur
la porte qui se referme. Une hypersensorialité et une hypersensibilité à l’autre
et à son environnement se traduisent par la violence projetée sur l’autre (entre
autres l’intrusion sans arrêt mise en acte) et montrent qu’il n’a pas pu se construire
244 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
D'autres adolescents, par contre, ont accès plus facilement à une rêverie
fantasmatique, reliée au vécu corporel pendant la relaxation. De la difficulté
à se détendre, ils enchaînent sur leur difficulté le soir à s’endormir, la peur
des cauchemars. D’autres encore évoquent des souvenirs, quand ils étaient
petits. Ce qu’ils vivent dans le moment de la séance peut être directement
relié à des événements de leur vie quotidienne qui les perturbent, les excitent,
les attristent.. Le vécu corporel est un pont qui relie alors aux émotions.
Samy a beaucoup de mal à se détendre. Il ne dort plus, comme 1l ne dort plus le
soir à la maison. Il évoque séance après séance son anxiété à l’idée de son prochain
départ du centre et de son avenir.
Géraldine évoque les cours de danse classique qu’elle a suivis étant enfant. Elle
relate l'expérience des pointes, le plaisir de se suspendre, dressée sur ses chaussons
qu'elle adorait parce qu’ils avaient une jolie couleur dorée, le sentiment de fierté
dans la sensation de sa verticalité. Pas un moment elle ne fait référence «direc-
tement » à ce qu’elle a ressenti en relaxation. Or, j’ai ce jour-là induit et mobilisé
une région du corps particulièrement investie dans l’accès et la tenue de la verti-
calité, c’est-à-dire le bassin, centre du corps, là où se loge le centre de gravité.
Je lui fais part de mes remarques, proposant un lien entre la sensation et les
pensées qui lui sont venues. Ça l’intéresse beaucoup, et elle associe peu après
sur les douleurs lombaires qu’elle ressent souvent, et sur ce qui a sonné l’arrêt
de la danse : à 10 ans, son corps s’est transformé, alors que les autres restaient
très fines. Elle est devenue grosse.
5. Conclusion
Serge, avant de s’allonger pour sa séance de relaxation, colle son matelas au mur.
Il dit ensuite qu'il a été énervé parce que ses pieds sont sortis du matelas. Le
matelas dont l’épaisseur est de 10 cm est posé à même le sol, il suffirait donc à
Serge de soulever un peu ses pieds pour retrouver son confort. Or, il n’a pas idée
de bouger pour rétablir son équilibre. Qu’exprime donc le mot «énervé» dans
la bouche de Serge ?
Ce que ressent ici cet adolescent dépasse sans doute la seule objectivité matérielle.
Je comprends, en l’écoutant, que le haut de son corps — qui lui, était «bien mis
à plat» — est éprouvé, dans le déséquilibre de la posture, comme dissocié de ses
jambes. Celles-ci lui paraissent très loin de lui et comme basculées dans un trou.
Le sentiment d’avoir un corps en deux morceaux, dont l’un est «dans le vide»,
traduit l’angoisse qu'il qualifie par le mot «énervement ». Je lui rappelle son
besoin ce jour-là de se serrer contre le mur. «C’est pour m’appuyer et ne pas
tomber. » Et 1l parle alors du métro et de sa peur de sortir du wagon et de tomber
sur les rails. Ce qui n’est pas sans lien avec un élément de l’actualité de sa vie :
il part bientôt dans une famille d’accueil pour un séjour dit de rupture. Ce qui
produit en lui une certaine excitation liée au prochain départ, accompagnée d’un
sentiment d’angoisse due à la séparation d’avec sa famille. Comment vont-ils
survivre ?
Cet exemple emprunté ici au cadre de la relaxation — mais j'aurai pu aussi
bien en choisir d’autres dans le cadre de la danse — cet exemple, donc, me
semble bien souligner les deux aspects du travail corporel développés dans
ce texte — la prise en compte du corps et de sa subjectivité — ainsi que la parti-
cularité du vécu adolescent, qui plus est quand l’adolescent est psychotique,
c’est-à-dire quand le corps et la sensation ont valeur d’équivalent symbolique
et associatif (ce qui n’est bien sûr pas propre à la psychose). L’adolescent
peut difficilement mettre en mots ce qu'il éprouve comme sentiments,
émotions, éprouvés. Il le met en «corps ». À nous de l’aider à créer un écart
entre le vécu rivé au corps et l’affect qui parle à travers lui. Cet écart, on
pourrait le nommer : espace de pensée.
Mais pour cela, il est nécessaire de ne pas s’arrêter à la seule activité
musculaire et tonique et tenter de comprendre ce qui s’exprime à travers la
sensation. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, être attentif à l’angoisse du vide
qui surgit, un vide qui peut s’originer dans l’impression de dissociation du
246 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
corporelles n’est plus à prouver à l’heure actuelle. Par contre, s’il existe une
urgence, à mon avis elle se situe au niveau de l’élaboration théorique de
celles-ci. Cette élaboration nous aidera sans aucun doute à défendre l’idée
que le psychomotricien n’a pas seulement pour rôle de «faire bouger » le
corps des patients, ce qui réduirait sa fonction aux seuls buts rééducatifs. II
a un rôle essentiel à jouer dans l’accès vers la symbolisation des affects et
des éprouvés, qui passent souvent massivement par la voie du corporel.
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
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ANZIEU D., Les enveloppes psychiques, Dunod, 1988.
Sous la direction de J. J. BARANES, La question psychotique à l'adolescence,
Paris, Dunod, 1991.
Collectif BARANES J. J., CAHN R., DIATKINE R., JEAMMET P, JEANGIRARD C.,
RACAMIER PC., SIGG B.W., « Psychanalyse, adolescence et psychose ». Paris,
Payot, 1986.
DESCARGUE-WÉRY M.A., «L'institution thérapeutique, cadre de vie, cadre de
soins» dans La question psychotique à l'adolescence, 1991.
KESTEMBERG E., «L'identité et l'identification chez les adolescents », Psychiatrie
de l'enfant, 5-2, V, 1962.
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POTEL C., Corps brûlant corps adolescent, des thérapies à médiation corporelle
pour les adolescents ?, coll. L’ailleurs du corps, Érès, Ramonville Saint Agne,
2006.
RICHARD F, Les troubles psychiques à l'adolescence, Paris, Dunod, 1998.
VAYSSE J., La danse-thérapie. Histoire, techniques, théorie, Paris, Desclée de
Brouwer, 1997.
ORIANNE LEGRAND
1. Introduction
de Soi dans le regard d’autrui. Nous envisagerons aussi les règles de ce jeu
de fiction et sa singularité. Enfin, nous nous interrogerons sur la précarité de
l’« aire transitionnelle » (D.W. Winnicott, 1975) particulièrement prégnante
en jeu d'improvisation en clown, puisque cette médiation comporte une
subtilité de la distinction entre jeu et réalité — entre une théâtralisation de
soi et soi. En effet, comment est-il possible de jouer avec ses éprouvés corpo-
rels, émotionnels et relationnels tout en « décollant » dans l’imaginaire sous
l'impulsion du clown et sans pour autant qu’il y ait de confusion entre soi
et ce personnage décalé ?
2. Martin
en n'étant plus réceptif à l’état qui l’habite réellement. Le risque serait qu’il
ne se laisse plus surprendre.
Le clown peut jouer tous les rôles possibles compte tenu de l’imprévisibilité
de ce qui nous est donné de vivre sur scène comme dans la « vraie » vie. Ces
rôles ne sont pas choisis consciemment puisqu'ils émergent du corps à partir
d’un état tonique, d’une sensation, d’une posture, d’un mouvement, d’une
mimique ou d’une émotion. La personne en clown prend conscience de
l’éprouvé corporel prédominant, grâce à un état de réceptivité ténu. Sur scène,
elle se pose constamment la question « qu'est-ce que cela me fait ? ».
« Comment reçois-je le regard du public sur moi en clown ? Quelle image
me vient à l'esprit en étant dans cette posture ? Qu'est-ce que je ressens face
à cet autre clown ? À quoi me fait penser cet objet en l’examinant de plus
près, en le touchant ?… » À partir de cette prise de conscience, la personne
amplifie son vécu, le théâtralise pour le rendre visible et lisible à ses partenaires
de jeu comme aux spectateurs. Elle exagère aussi son vécu pour saisir le
moment où ça va « déraper » dans l’absurde, où ça va « ricocher » dans
l'imaginaire ou bien nous toucher de façon poétique. Le point de départ de
ce jeu se fonde sur ce qui anime réellement le sujet dans l’instant. Depuis
cet ancrage corporel, une porte sur l’imaginaire et la symbolisation s’ouvre.
4.2.1. Regarder
Dans un premier temps, la concentration sur le corps propre par le réveil
des sensations cœnesthésiques est privilégiée, afin d’amener les adolescents
à entrer en contact avec leur intériorité, à tourner leur regard vers le dedans.
Dans un second temps, le regard s’ouvre sur le monde avec curiosité tout
en restant relié à ses éprouvés corporels. Les exercices ludiques induisent
un rapport sensoriel au monde notamment en observant les moindres détails
du lieu ou en scrutant un objet sous tous les angles. Tout à coup, on entrevoit
le monde autrement : le regard est neuf, ébloui, émerveillé et parfois surpris.
Là, nous réalisons combien certains détails échappent à notre acuité ordinaire
mais pas à notre regard de clown ! ,
Dans un troisième temps, les propositions concernent l’ouverture à la
relation et à la création. Les jeux de regards et d’imitation facilitent le partage
d’une aire transitionnelle ainsi que l’instauration d’une relation bienveillante
et empathique. En regardant autrui, en l’imitant, en s’y identifiant, on ne peut
qu'être touché de l’intérieur par ce qu’il vit.
4.2.2. Imiter
Lors des premiers jeux d'imitation, les rôles du meneur et du suiveur sont
assignés. Le meneur amène de la lenteur et de la répétition dans sa gestualité,
afin que le suiveur puisse s’approprier son expressivité c’est-à-dire la tonicité,
la sensation, l'émotion et la représentation qui y sont liées. L'observation
attentive et l’écoute empathique entre les partenaires de jeu sont sollicitées.
Par la suite, les rôles ne sont plus attribués. Chaque membre du groupe peut
observer quelle relation 1l noue avec tel autre. Est-on meneur ou suiveur dans
telle relation ? Vit-on son rôle sereinement ou dans un rapport de force domi-
nant-dominé ? Un compromis tacite s’instaure-il sur une alternance des rôles ?
Ou bien les partenaires rencontrent-ils un état d’identification tel qu’ils ne
savent plus qui mène et qui suit ? Cette complicité est recherchée car elle
permet d'inventer une expressivité commune. Les joueurs parviennent à
créer ensemble cette harmonie en répétant « un quelque chose du corps »
qui, au départ, ne fait pas sens et peut même susciter le rire tant la situation
paraît absurde. Si l’empathie est totale, le rire est inclus dans l’imitation.
de dérisoire. qui ne tue pas, au contraire ! Par le rire, ses faiblesses et ses
travers se transforment en force théâtrale. Ils s’en trouvent « dédramatisés »
et sublimés. Dans ce jeu, il s’agit de puiser dans le corps de quoi donner
chair à son Soi en se découvrant autrement plus authentique par rapport à ce
que l’on veut paraître. Le dispositif permet à cette authenticité de s’épanouir,
puisque tout ce qui est perçu est posé comme acte théâtral. Même « l’infime
corporel » a une existence aux yeux de tous. Ni le joueur — aidé par le direc-
teur de jeu — ni le public ne peuvent ignorer ou gommer ces traces corpo-
relles dessinées sur scène. La personne chemine ainsi vers l’acceptation de
tout son être aussi complexe et ambivalent soit-il. Le jeu d'improvisation en
clown est un chemin de découverte de son Soi, cet autre moi-même, le Vrai !
Le nez rouge démasque plus le vrai-soi qu’il ne le masque. Il protège et à la
fois libère le sujet dans son expressivité.
monde qu'il construit devant nous, il ne veut pas que nous y croyions vraiment,
parce que lui-même n'y croit qu'à moitié... et même, disons-le, il n y croit
pas du tout. Ce à quoi nous devons croire, c’est à la manière dont il vit
cette construction fragile » (B. Sylvander, 1984, p. 13). Le clown comme
l'enfant ne croit pas en la réalité de son jeu symbolique et passe avec une
fluidité étonnante du monde de la fiction à celui de la réalité et inversement.
À la fin de l'improvisation, le clown fait le bilan de toutes les péripéties qu'il
vient de traverser et donne au public l’état dans lequel il en sort !Il avoue
que « c'était pour de faux » ainsi que son plaisir ou sa peur de s’être mis
dans la peau de tel ou tel personnage. Il admet la fragilité de l'illusion qu’il
a tenté de construire sous nos yeux en la détruisant et en redevenant éminem-
ment concret. Ainsi, le clown revient toujours à la réalité de ce qu’il est et
de ce qui est. C’est ce jeu avec la réalité et l’imaginaire qui est clownesque.
L’humanité du clown vient en partie de l’aveu sur la précarité de l’espace
transitionnel auquel il œuvre.
« Le jeu dans le jeu » consiste aussi à prendre conscience des enjeux rela-
tionnels, qui transparaissent dans la difficulté à jouer entre partenaires et à
communiquer, puis à livrer ces difficultés sur scène en les théâtralisant. Martin
procède à « un jeu dans le jeu » lorsqu'il joue sa difficulté à regarder autrui
ou encore sa recherche perpétuelle de rivalité.
Sur scène, se déploie une illusion entre rêve et réalité. Cette aire transi-
tionnelle entre soi, le public et son partenaire devient une voie privilégiée
d'expression symbolique — consciente et inconsciente — de ses fantasmes,
_ de ses désirs, de ses conflits psychiques et de l’angoisse qui y est liée. Ainsi
symbolisés et personnifiés dans la réalité extérieure, la personne peut mieux
les maîtriser et les apaiser. Toutefois, l’excitation pulsionnelle peut à tout
moment menacer le jeu en débordant la capacité du Moi à contenir l'expérience.
D.W. Winnicott affirme que « le jeu est toujours à même de se muer en
266 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
7. Conclusion
NOTES
L'expérience théorico-clinique relatée ici est tirée du mémoire présenté en vue de l’ob-
tention du Diplôme d’État de psychomotricité en juin 2003 et intitulé Quand il s’agit
de jouer avec ce que l’on est. le jeu d'improvisation en clown. Réflexion sur une
médiation psychomotrice et l'implication psycho-corporelle du psychomotricien, ainsi
que d’une intervention à la journée d'Études du 28.06.2007 au CMPP Gabriel Péri
d’Aubervilliers.
Je remercie les personnes et les compagnies qui m'ont accompagnée dans mon parcours
de clown: C. Mongodin, F. Calderara, le Bataclown, Clownanbule, Institut National
d’Expression, de Création, d’Art et Thérapie.
M.-F. Zerolo, psychomotricienne qui a proposé la médiation du clown à des adolescents
d’un institut médico-professionnel (Le clown... un chemin possible en psychomotricité,
Thérapie Psychomotrice et Recherches n° 113, 1998).
C: Renard, psychomotricienne qui a été clown auprès d’enfants en crèche (Le rire et
l'enfant en crèche à travers le jeu et le clown, Mémoire présenté en vue de l'obtention
du Diplôme d’État de Psychomotricien, 1998).
Il s’agit de C. Chaye, psychomotricien et acteur-clown, que je remercie chaleureusement
pour le partage de sa pratique.
Le Self winnicottien.
Le corps deviendrait-il alors un « médium malléable » ? (M. Milner et R. Roussillon cités
par C. Potel, 2006, pp. 36-37).
C. Potel parle de « l'effet loupe de la médiation » (2006, p. 46).
La méta-communication est un terme issu des théories systémiques, qui recouvre un des
cinq principes de la communication. Il signifie la capacité de communiquer sur la commu-
nication en passant du contenu de l’échange à la qualité de la relation entretenue entre
les protagonistes. D’après Marcelli D. (1999) Enfance et psychopathologie, Paris :Masson.
(p. 19)
Au sens de D.W. Winnicott, « Se sentir réel, c'est plus qu'exister, c’est trouver un moyen
d'exister soi-même, pour se relier aux objets en tant que soi-même et pour avoir un soi
où se réfugier afin de se détendre » (1975, p.161).
BIBLIOGRAPHIE :
BONANGE J.-B., Le clown et sa fonction sociale : racines, signes et renouveau,
in Le Joker Document, n° 3 bis, Lombez, Le Bataclown, 1999.
CAILLOIS R., Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1967.
CYRULNIK B., L'ensorcellement du monde, Paris, Odile Jacob, 1997.
POTEL C., Corps brûlant, corps adolescent. Des thérapies à médiation corpo-
relles pour les adolescents ?, Ramonwille-Saint-Agne, Erès, Coll. L’ailleurs du
corps, 2006.
LE JEU D'IMPROVISATION EN CLOWN 269
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1. Le cadre institutionnel
palpable, audible, visible, transférant sur le matériau ce qui n’était pas repé-
rable ou pas encore porté à la conscience. C’est une mise en mouvement et
une mise en forme des émotions, des sensations inélaborées. C’est une trans-
cription des éprouvés qui ne sont pas encore reconnus. Ni interprétation du
résultat, ni valorisation de la production, ce qui va nous intéresser, c’est le
mouvement de création que cela suppose : passage du dedans vers le dehors,
la mise en route de processus de symbolisation et de subjectivation. Nous
sommes dans le registre de la symbolisation primaire, dans la fabrication de
représentation de choses (Anzieu) passant par la matérialité, la concrétude.
Les ateliers d'expression agissent à un double niveau : ils engagent le
corps et ses éprouvés; ils engagent une mise en actes, un passage par l’acte
qui n’est pas passage à l’acte. L'expression permet plus ou moins la trans-
formation de ce qui était contenu au-dedans de soi vers et dans un espace
au-dehors en une forme communicable et partageable. Il me semble que ce
travail sur l’expression est une façon de répondre à l’invitation de Winnicott :
«donner une chance à l’expérience informe, aux pulsions créatrices, motrices
et sensorielles de se manifester ; elles sont la trame du jeu 3».
Instaurer un espace d’expérience, un jeu d’expression, ne va pas de soi.
Le groupe, lorsqu'il est constitué, va servir de matrice. Par la tolérance, par
la diminution du jugement, par la cohésion du groupe, chaque participant aura
la possibilité de se réapproprier une expérience de malléabilité de l’environ-
nement, expérience qui a été en faillite lorsqu'il y a dépression.
Cette expression en groupe aura des propriétés transnarcissiques ainsi
nommées par À. Green : ce qui est exprimé par un des participants peut
toucher, affecter les autres membres du groupe. Ainsi s’établissent des inter-
relations, pour être avec les autres il faut un minimum d’identification.
À présent, je vais envisager l’intérêt plus spécifique qu’il y a à favoriser
l'instauration d’un espace d’expression et de création, au regard de la problé-
matique dépressive.
3. Créativité et dépression
Les personnes qui fréquentent le centre souffrent de dépression et d’isole-
ment. Pour certains, la dépression est installée depuis longtemps, pour d’autres,
elle s’est manifestée, on pourrait dire révélée lors d’une crise, d’une perte,
celle d’un proche, d’un emploi.
Nous avons tous à faire avec l’état dépressif4 à travers des pertes, des
ruptures, des changements, des deuils qui jalonnent la vie, mais chacun a
des moyens différents pour y faire face et nous ne sombrons pas tous dans
la dépression.
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 275
4.1.1. La détente
Avant toute émission sonore, c’est la détente corporelle qui est conviée.
Premier étonnement, la délocalisation de la voix. Les participants s’atten-
daient à fournir leur effort dans la gorge, siège des cordes vocales ; c’est
ailleurs qu'il leur est proposé de porter leur attention : sur le corps en son
entier, dans une recherche de détente.
Dans la relaxation, le thérapeute autorise et favorise un investissement
narcissique du corps, corps dont on peut prendre soin, qui peut être source
de plaisir et de bien-être. Il y a là la possibilité d’une restauration narcissique
importante. Dans ce premier temps de groupe, les personnes sont allongées
dans une demi-obscurité, j’instaure un contact par ma voix, un bain sonore
porteur, enveloppant. Les mots pour guider la relaxation sont prononcés au
plus près de leur sensorialité de leur ancrage corporel. Ceci est valable pour
tout thérapeute en relaxation. Ce dispositif de détente passive induit une
situation qui réactualise des expériences primaires de maternage. Il s’instaure
un lien porté par une voix introduisant un corps à corps sans le toucher. Nous
sommes dans le registre du maternel, de l’oralité : une voix qui nourrit, qui
berce, qui entoure. Les difficultés, les résistances que les participants rencon-
trent sont en écho à ce qu’ils ont intériorisé au cours de leurs premières
expériences de soins dans leur petite enfance.
Dans les premiers temps du groupe, les participants connaissent une
grande difficulté à accéder à une certaine détente : impossibilité d'investir
des sensations corporelles, absence de ressenti, prédominance des pensées
obnubilantes comme un accrochage à quelque chose de connu de soi : son
«mal-être ».
280 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Les visages et les corps sont tendus, torturés, grimaçants de douleur, non
physiques, mais mentales ou à l’inverse visage impassible, inexpressif, hors
d’une inscription dans le temps.
Progressivement, il devient possible de localiser dans le corps les tensions,
puis au fur et à mesure d’entrer dans une certaine détente, de s'endormir
parfois pour certains. Il est toujours surprenant de voir, après le temps de
relaxation, combien les visages se sont transformés : il peut se lire non plus
la fixité ou la lutte, mais la fatigue, la tristesse, plus accessible, plus nuancée.
Je sollicite un temps d'échanges, à la fin de ce moment de détente, sur ce
qui a été ressenti, éprouvé : silences lourds, rétention de la parole, position
de repli sur soi, puis avec la répétition des séances, des échanges plus riches
et plus vivants s’installent même pour dire que cela ne fonctionne pas.
Un «dire » qui s’appuie sur des éprouvés, qui se teinte d’affects audibles
dans le ton de la voix.
Dans le décours de l’année, les participants trouvent comment aménager
leur position pour être le plus confortable possible, retrouvent la possibilité
pendant le temps du groupe de s’auto-materner, en quelque sorte, de prendre
soin d’eux.
4.1.2. Respiration
C’est également une invitation à laisser s’installer une respiration
costo-abdominale, souple et continue sans pour autant entrer dans un appren-
tissage mécanique d’une technique respiratoire. Invitation à un «laisser
faire », un «lâcher prise ».
La respiration peut être entendue comme une métaphore dans le corps de
la manière d’être en relation avec le monde extérieur. Elle est passage de dedans
vers le dehors et inversement : peur de se vider qui provoque la rétention, peur
de manquer d’air, respiration forcée dans l’exercice d’une maîtrise, respiration
à peine perceptible, à peine oser être là, comme pour passer inaperçu. Le
blocage des inspirs joue le rôle d’une carapace protectrice.
Les difficultés, résistances à laisser s’installer une respiration souple et
ample, témoignent des blocages-crispations dans les zones corporelles
concernées par le mouvement respiratoire (thorax, dos, ventre). Je rappelle
qu'il n’y a pas de technique mais une simple invitation à porter son attention
sur la respiration. Les changements, lorsqu'ils se produisent, s’opèrent dans
la détente.
Ce type de respiration, proche de celle du bébé quand il se repose, permet
d'installer une continuité de mouvement entre le bas et le haut du corps, entre
le devant et l'arrière, renforçant ainsi la perception d’un volume corporel unifié,
la perception de soi dans un corps vivant, en mouvement et dans son entier.
QUAND LA VOIX PREND CORPS POUR SE FAIRE ENTENDRE 281
5, Voix et narcissisme
6. Transitionnalité et voix
Lorsque l'enfant gazouille, vocalise, il reproduit en lui les échanges qu’il
a eus avec sa mère, jeux de bouche auto-érotiques, réminiscence de l’expé-
rience partagée avec sa mère.
La voix est le premier lieu pour évoquer la mère, et au-delà la qualité de
leur échange, le plaisir et la créativité de ce partage, à condition bien sûr que
celle-ci ait nourri ces jeux de voix.
«La manipulation, que l’enfant peut faire à sa guise des «sons », et ce
plaisir conjugué qu’il prend à les faire entendre facilitent grandement leur
investissement transitionnel. La phonation est une décharge motrice qui
permet l’expulsion (agressive) sonore et réactive des traces mnésiques liées
aux mouvements libidinaux de l’allaitement et des soins maternels 18.»
Vocaliser, jouer avec les sons, retrouver ce plaisir de bouche et d’oreille,
permettraient, d’une certaine façon, de réactualiser ces premiers échanges
de l’enfant avec sa mère.
Réinvestir une palette vocale, les couleurs et les variations de la voix
serait une façon de réintroduire du jeu et de l’invention figurant, équivalant
du premier lien avec la mère : y aurait-il, dans cette exploration vocale, la
quête du lien avec l’objet perdu au travers de la voix : tentative de le re-créer ?
Rappelons combien dans la dépression il y a difficulté à métaboliser et
symboliser le lien mère-enfant.
7. Voix et émotion
Nous travaillons la voix dans sa valeur expressive. Il y a alors des affects
et des émotions. Joie, peur, triomphe, colère, surprise, vont ainsi se faire
entendre pour mieux s’appréhender, tel l'enfant recréant dans son jeu une
situation qu’il a subie et qu’il cherche à maîtriser en en devenant acteur
agissant. Au plus près du fredonnement, de la berceuse, la voix est tendresse,
mais au plus près du cri, de l’éclat, de la vocifération, elle est l'expression
de l'agressivité et de la colère qui se trouvent ainsi révélées.
284 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
8. Voix et imaginaire
Dans ce jeu, un écart est introduit entre l’image de soi et une autre
perception de soi. Par l’amplification, les jeux d’écho, la dramatisation, c’est
un théâtre sonore qui prend place, ouverture à l’imaginaire, à la fantaisie.
Cela produit un décentrement, «c’est moi et pas moi», c’est la venue de
personnages intérieurs qui expriment une part de soi jusqu'alors dérobée,
camouflée, des images peuvent s’y associer, des souvenirs peuvent resurgir.
put lui préciser les moments et là qualité de son intervention. Pour lui, se
faire entendre équivalait fantasmatiquement à imposer silence aux autres. Il
nous relata par la suite les souvenirs douloureux d’une situation de son enfance
où il devait chanter face à un auditoire complètement indifférent.
Dans la mythologie, Narcisse et Echo sont présentés ensemble. Parce que
Narcisse n'entend pas sa demande d'amour, Echo dépérit, devient une voix
condamnée à répéter les dernières syllabes de celui qui parle, ayant perdu
tout discours personnel.
«Si le miroir sonore ou visuel ne renvoie au sujet que lui-même, c’est-à-
dire sa demande, sa détresse (Echo) ou sa quête d’idéal (Narcisse), le résultat
est la désunion pulsionnelle libérant les pulsions de mort en leur assurant un
primat économique sur les pulsions de vie 20.»
10. Conclusion
Bien souvent, à écouter tel ou tel participant dire son isolement et son
désarroi, sa détresse, il me vient en pensée : «à quoi bon ? » Je suis moi-même
prise dans un sentiment d’impuissance.
La «disparition » brutale d’un des membres du groupe, sans explication,
l’attente vaine qu’un autre pourra revenir, font vivre au groupe qui tente de se
constituer une enveloppe solide et vivante des attaques mortifères difficile-
ment métabolisables. Chaque début de groupe lorsque je suis confrontée aux
visages fermés, douloureux, à la lourdeur, la pesanteur qui émane de chacun,
je me demande comment le groupe parviendra à se dégager de cette emprise
morbide.
Le travail sur le souffle (et sa légèreté ?), sur les appuis corporels, l’invita-
tion au jeu et à l’expression permettent peu à peu la circulation d’un mouve-
ment, d’un son, et la transformation des affects. De l’unisson à la polyphonie
nous restaurons une aire de communication. Ce que je constate au fur et à
mesure du déroulement du groupe est l’investissement des échanges de
paroles pendant le groupe, comme après.
Chanter, moduler sa voix invitent à parler, les échanges deviennent de
plus en plus authentiques : partage d'émotions, évocation de sa détresse, de
son découragement, mais aussi de son plaisir et l’affirmation de ses désirs.
Se rendre compte que d’autres connaissent cela également. Reconstitution
‘d’un lien aux autres, alors que l’isolement régnait en maître jusque-là.
Les psychologues qui reçoivent les personnes en entretien témoignent
d’un changement dans la tonalité du discours, dégagement de la plainte
répétitive et tournant sur elle-même, vers une parole plus nuancée et plus
incisive.
286 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
NOTES
BIBLIOGRAPHIE :
ANZIEU D., «L’enveloppe sonore du Soi», Nouvelle Revue de Psychanalyse,
n° 13, 1976, p. 161-179.
CASTARÈDE MF, La voix et ses sortilèges, Les Belles Lettres, 1987.
GORI R., «Entre cri et langage : l’acte de parole», Psychanalyse et Langage,
Paris, Dunod, 1977.
HAYNAL A., Dépression et créativité Césura, 1987.
RONDELEUX L.-J., Trouver sa voix Seuil, 1977.
WINNICOTT D., 1971, tr. fr., Jeu et réalité, Paris, Gallimard 1975.
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Psychomotricité et personnes âgées
FRANCK PITTERI
1. Vieillir
Sur le plan social, le sujet voit son statut modifié avec la retraite et l’écla-
tement de la cellule familiale. Les relations dans le couple doivent souvent
être réaménagées quand la retraite de l’un ou des deux amène l’homme et
la femme à vivre de nouveau dans le même espace toute la journée. La
personne âgée est confrontée à la maladie et à la mort dans l’entourage, au
décès des aînés qui amène le sujet à se retrouver en «première ligne ». Il doit
assumer le changement de regard que les autres portent sur lui. Pendant long-
temps, l’exclusion a été la règle.
Durant les quinze dernières années, un revirement s’est opéré. Les
personnes âgées sont souvent les piliers d’une solidarité familiale retrouvée
pour affronter les périodes de crise économique et de chômage. Sur le plan
matériel, si les revenus sont amoindris par la retraite, de nombreuses personnes
jouissent d’un pouvoir d’achat important du fait que tous les crédits d’habi-
tation et autres sont en général soldés, et que les revenus sont entièrement
consacrés à la consommation et à l’épargne. Les personnes âgées deviennent
des consommateurs aux revenus stables et garantis. L’accroissement de leur
nombre les fait devenir une cible non négligeable pour les entreprises et c’est
un nouveau marché des seniors qui apparaît. Il est courant maintenant de
voir des visages ridés dans les publicités, chose impensable dans les années
1970. Une presse spécialisée à vu le jour et 1l existe même des émissions
faites uniquement par des personnes âgées.
Cet appauvrissement influe d’une part sur les processus de mémorisation car
ils sont plus performants quand ils sont soumis à des informations pluri-
sensorielles, et d’autre part sur le maintien du schéma corporel.
La capacité de répondre aux multiples situations émotionnelles ou
physiques diminue, et le sujet est plus facilement déstabilisé devant des
stimuli imprévus qui exigent des réponses rapides.
Après avoir vu l’appauvrissement et la dégradation des structures nerveuses
ainsi que le ralentissement des conduites psychomotrices et le rétrécissement
du champ practo-gnosique qui en découlent, il devient clair que le schéma
corporel du vieillard peut être déstructuré, ce que confirmera la pratique.
L’apparence du corps est également profondément modifiée par ces altérations
physiologiques. La silhouette, la stature, le visage, la peau, la dynamique des
mouvements traduisent l’action de l’âge.
Les changements physiologiques s’avèrent extrêmement variables selon les
individus, tant dans leur apparition que dans leur intensité. Ils sont responsables
d’une grande partie des vécus négatifs : le ralentissement psychomoteur, la
perte de force, la fatigabilité, l’augmentation des temps de réaction, les diffi-
cultés d’adaptation aux situations de stress, les difficultés de communication
en groupe, et la dévalorisation de l’image du corps.
1.4. La mort
de long séjour, les centres et hôpitaux de jours, les foyers. Nous sommes
également amenés à suivre des personnes âgées dans les structures de soins
psychiatriques : centres hospitaliers, hôpitaux de jour, centres médicaux
psychologiques y compris en visite à domicile, appartements thérapeutiques,
CATTP.
L'originalité du travail en gériatrie est la très grande diversité des patho-
logies rencontrées. Les indications concernent aussi bien les séquelles de
pathologies somatiques touchant les fonctions de relation (sensorialité,
communication, locomotion), que les troubles psychiatriques graves (dété-
rioration mentale, démence sénile, dépression, psychose.….), les troubles
neurologiques (hémiplégie, Parkinson, épilepsie, séquelles d’accidents vascu-
laires cérébraux), ou les conséquences de l’alcoolisme.
Du point de vue médical, les indications se définissent soit par une
demande de stimulation psychomotrice globale pour le maintien et la dyna-
misation des potentiels actuels, soit par rapport à des troubles. Ils portent
alors principalement sur le désinvestissement relationnel, l’aboulie, les états
tensionnels, les troubles de la régulation émotionnelle, l’anxiété et l’angoisse,
les plaintes somatiques envahissantes, les troubles praxiques, les troubles de
la marche et les phobies de la chute, les troubles spatio-temporels, la compen-
sation de déficits sensoriels, l’adaptation au handicap.
2.1. L'évaluation
L'évaluation est ici fondamentale. Elle vise autant à révéler les potentiels
qu’à identifier les déficits. Cependant, dans une institution, pratiquement
chaque pensionnaire présente des troubles psychomoteurs. Il faudra donc faire
un choix en fonction de la gêne occasionnée, des potentiels d'évolution, de
la motivation et des affinités.
Durant l’évaluation, il est indispensable de laisser le temps au sujet de
révéler ses potentiels. Parfois les temps de latence sont longs, et ne pas en
tenir compte c’est nier le sujet âgé dans une de ses spécificités. Certains sujets
peuvent mettre plus d’une minute pour répondre à une question. Ne pas leur
laisser ce temps, c’est nier leur réalité et leur potentiel et les considérer seule-
ment à travers les normes du sujet plus jeune.
L'évaluation doit être la plus complète possible. Elle reprend tout le bilan
psychomoteur, l’examen des praxies et des gnosies. Elle s’adapte bien sûr
aux handicaps du sujet.
Il est nécessaire de ne pas se fier aux apparences et de vraiment tester ce
que l’on veut évaluer. Certains sujets masquent de graves déficiences practo-
gnosiques derrière des réponses toutes faites, banales et qui s’appliquentà
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 297
Madame K., 68 ans est vue en CMP. Elle a été initialement suivie pour une
dépression, et revient consulter après avoir été renversée par une voiture. Elle a
subi une fracture du bassin qui reste douloureuse un an après. Au cours de séances,
elle parle un peu gênée d’une difficulté : elle a une légère incontinence urinaire
à l'effort. Elle ne peut plus porter de charges, ne se contrôle plus quand elle
tousse où quand elle rit. Une rééducation urodynamique n’a pas amélioré les
choses. Les premières séances sur ce thème mettent en avant une immense
angoisse de perdre le contrôle de soi, une crainte de dégager une mauvaise odeur ,
avait une écriture calligraphiée comme on en trouve sur les cartes anciennes. Il
n’écrivait plus depuis trois ans environ à cause de sa micrographie. Il faisait de
l’aquarelle avant d’être malade. Malgré les tremblements et ses réticences, je lui
propose un jour de dessiner. Une première esquisse représente un chien au trait
tremblé et incertain. Pourtant l’ensemble est expressif, et le patient est finalement
content de ce qu’il a fait. La semaine suivante, je viens avec de la peinture. Tout
de suite, c’est la passion qui réapparaît. Monsieur D.M. se fait plaisir en mani-
pulant le pinceau, en choisissant ses couleurs même s’il peste contre ses gestes
imprécis. La fois suivante, il a déjà installé le matériel avant que j'arrive. Entre
les séances, il fait de l’aquarelle. Puis nous aborderons l’écriture. La micrographie
n'apparaît que dans la deuxième moitié de la ligne. Dans un long et patient travail,
il apprend à décomposer son écriture et à maîtriser ses impatiences. I finit par
écrire une lettre à un membre de sa famille, et même à la psychologue du service,
sans que j’intervienne. À chaque fois, il dit sa satisfaction d’avoir retrouvé l’usage
de l’écriture. À travers cette médiation, il retrouve de l’intérêt pour la relaxation,
la respiration et le contrôle tonique segmentaire. Dès qu’il sent son bras envahi
par l’hypertonie, il s’arrête, prend le temps d’écouter son corps, se détend et
ressaisit calmement son stylo.
Nous avons vu que, chez les personnes âgées, le vieillissement des organes
sensoriels amène un appauvrissement de la stimulation sensorielle, une diffi-
culté d’adaptation à l’environnement et peut favoriser les réactions de repli.
Il est fréquent de trouver un canal sensoriel totalement déficient.
À travers la stimulation sensorielle, les patients redécouvrent très vite
une dimension de plaisir. Elle est un excellent outil pour permettre un réin-
vestissement de l’environnement, aide à l’amélioration de la mémorisation
et favorise les états de détente et de déconnexion mentale. Ici encore la
méthode Vittoz sera très utile.
Le patient exerce ses cinq sens sur un objet et constate que certaines infor-
mations lui échappent habituellement. Nous pouvons utiliser aussi bien des
objets usuels qu’inhabituels, exercer un seul sens sur de nombreux objets,
repérer toutes les informations que peut nous donner un canal sensoriel (par
exemple pour l’ouïe : le timbre, la tessiture, le rythme, la distance, la vitesse,
l'éclat ou la matité d’un son. Suivre une stimulation qui diminue lentement
jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à percevoir). Le sujet essaiera de porter son
attention sur deux, trois canaux sensoriels en même temps. On associera
conscience proprioceptive et sensorialité, immobile, puis en mouvement.
Des séances ou des ateliers peuvent être organisés autour de thèmes : le
goût, les couleurs, les textures, les parfums.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 309
Sur le plan du schéma corporel, celui-ci reste assez bien structuré, mais
la cénesthésie consciente est peu développée et les sujets ont souvent tendance
à être absents de leur corps. Le rétablissement de ces potentiels sera toujours
un axe fondamental dans le projet thérapeutique.
Les compétences spatio-temporelles sont bien conservées. On retrouve
chez certains patients des manifestations d’impatience ou d’agitation. La
fatigabilité peut limiter l’activité. Chez tous on retrouve une dévalorisation
de l’image du corps avec souvent des dysmorphophobies.
L'accommodation au vieillissement se fait par l’adaptation au handicap,
” la maîtrise corporelle, mais aussi par l'humour, la sublimation du corps vieilli
dans la recherche du relationnel, de l’affection.
310 PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
Le rapport que ces patients ont à leur propre corps est un rapport de
recherche de maîtrise tout en composant «contre mauvaise fortune bon cœur »
avec les effets du vieillissement.
En même temps, les premières séances mettent toujours en avant une
grande facilité à vivre du bien-être et du plaisir corporel, c’est-à-dire à
retrouver une dimension où le sujet n’a pas d’âge.
Il est tout à fait notable de constater que la majorité de ces patients ont déjà
entrepris dans leur vie des psychothérapies à médiation verbale ou corporelle.
Il est très probable que cet engagement au cours de périodes antérieures,
dans l’introspection, la responsabilité face à ces troubles et la place accordée
au corps dans le processus morbide puis thérapeutique joue beaucoup dans
l’engagement dans un soin en libéral.
Comme nous l’avons signalé précédemment, les patients que j’ai pu rece-
voir en libéral présentent un tonus de fond différent de celui des personnes
âgées suivies en institution. Mais la recherche de la présence/absence de
paratonies de fond s’avère insuffisante. Il faut rechercher la capacité d’in-
hibition musculaire volontaire partielle, c’est-à-dire la capacité à réduire
consciemment son état tonique, même si les sujets n’arrivent pas au relâ-
chement complet, et donc que les paratonies persistent. Ces patients sont
capables de réduire leur tonus musculaire, même pour ceux qui ont des para-
tonies massives. On comprend bien que la motivation du patient pour le projet
thérapeutique puisse trouver ici un point d’accrochage. La conscience de
pouvoir faire varier consciemment son tonus est déjà une forme de réinves-
tissement corporel et ouvre la porte à une revalorisation de ses potentiels
corporels et de l’estime de soi.
Pour conclure, l’abord du sujet âgé en psychomotricité nous a permis de
considérer le corps sous un versant jusque-là éludé quand il s’agissait de
travailler auprès d’enfants. Si notre profession a de nouveaux champs de
compétence à développer auprès du sujet âgé en institution, très peu de choses
sont faites actuellement en psychomotricité auprès des sujets âgés sains ou
dans le domaine du maintien à domicile. Les soins psychomoteurs à domicile
pour personnes âgées en sont à leurs balbutiements. Il est certain que, dans le
domaine de la réadaptation au handicap par exemple, nous pourrions apporter
une aide réelle aux seniors. Regardons les services que nous sommes capables
de rendre à l’enfant hors institution et imaginons ce qu’il pourrait en être
pour le sujet âgé. La stimulation psychomotrice et la prévention (tellement
absente en France) sont totalement à créer et à faire prendre en compte par
les responsables de la santé.
PSYCHOMOTRICITÉ ET PERSONNES ÂGÉES 311
NOTE
1e Ces éléments proviennent d’une recherche sur la mise en place d’un questionnaire adressé
à des médecins et permettant de poser l'indication de bilan psychomoteur chez l’adulte.
Ce travail non publié a été réalisé avec Véronique Ruiz, Fabienne Savary et Bruno Baube.
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PSYCHOMOTRICITÉ : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE
CENTRES DE DOCUMENTATION
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SITES
gerialist.com
geronto.com accès à la Fondation nationale de gérontologie
et à la Société française de gérontologie
medisite.fr
unige.ch/cig/ université de Genève, Centre interfacultaire de gérontologie
gerontonline.com revue virtuelle de formation à la gérontologie
chu-rouen.fr une mine...
multimania.com/papidoc Site du Centre Hospitalier Intercommunal de Castre Mazamet,
articles intégraux
jalmav.com association jusqu’à la mort accompagner la vie.
Des liens sur l'accompagnement.
yginest.claranet.fr quelques articles intéressants sur la douleur.
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