MEMOIRE Celine Godeberge
MEMOIRE Celine Godeberge
MEMOIRE Celine Godeberge
2013
Céline Godeberge
Remerciements
Enfin, je tiens à remercier le Docteur Philippe Godeberge, mon père, pour sa patiente
relecture et sa confiance inconditionnelle.
Résumé
Les domaines concernés par l’harmonisation sont visés aux articles 82 §2 et 83 du TFUE, et
relèvent tant du droit pénal de fond (criminalité transfrontière, domaines ayant fait l’objet de
mesures d’harmonisation), que de la procédure pénale (admissibilité mutuelle des preuves,
droits des mis en cause et des victimes dans la procédure pénale). Le champ de la compétence
pénale de l’Union ainsi consacrée est donc très large.
Le rapprochement des législations pénales est vu par certains auteurs comme une atteinte à la
souveraineté des Etats membres. On soutiendra néanmoins qu’un tel rapprochement doit être
encouragé, car, au-delà même de l’efficacité répressive que représente l’harmonisation dans la
lutte contre la criminalité transfrontière, c’est également un moyen de garantir le respect des
droits fondamentaux au sein de l’Union européenne, dès les premières phases de la procédure
pénale. Pour être acceptée, cette harmonisation doit être pensée, non de façon éclatée mais de
manière globale, dans le respect des traditions juridiques des Etats membres.
Introduction ............................................................................................................................... 8
A) Un principe peu respecté par l’Union dans l’exercice de sa compétence pénale ...... 71
Conclusion ........................................................................................................................... 74
Bibliographie ...................................................................................................................... 76
Introduction
L’affaire Sophie Toscan du Plantier est révélatrice des difficultés réelles et pratiques que
rencontre la coopération entre les Etats membres de l’Union européenne. Dans cette affaire,
une ressortissante française fut tuée en Irlande en 1996, et l’Etat français revendiqua
immédiatement sa compétence personnelle passive. Un suspect fut identifié quelques jours
après les faits, et pourtant l’ultime étape de la procédure ne fut atteinte qu’en 2012, par une
décision de la Cour suprême irlandaise, refusant la remise aux fins de jugement de cet
individu. S’il avait été remis aux autorités françaises, le suspect aurait en effet été présenté
devant un juge d’instruction et aurait risqué la détention provisoire. Or, la Cour suprême
irlandaise se méfie de ce juge hybride, à la fois enquêteur et juge. Estimant que la remise
visait la phase préparatoire et non la phase de jugement, la haute juridiction refusa l’exécution
du mandat d’arrêt européen. La coopération judiciaire en matière pénale est pourtant l’un des
objectifs principaux de l’Union, en particulier depuis l’entrée en vigueur du traité de
Lisbonne. Cette coopération s’inscrit dans la construction de l’espace de liberté, de sécurité et
de justice (ELSJ)1, qui vise à assurer la libre circulation des personnes et à offrir un niveau
élevé de protection aux citoyens2. La création de l’ELSJ se fonde sur le titre V du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui englobe les politiques relatives aux
contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration, ainsi que les dispositions relatives à la
coopération policière et à la coopération judiciaire en matière civile et pénale. On ne
s’intéressera qu’au chapitre 4, relatif à la coopération judiciaire en matière pénale, c’est-à-dire
aux articles 82 à 86 TFUE.
associé, fait partie de l’espace Schengen depuis 2008. La Bulgarie, Chypre et la Roumanie
n’en sont pas encore membres ; les contrôles aux frontières entre ces pays et l’espace
Schengen sont maintenus jusqu’à ce que le Conseil de l’Union européenne décide que les
conditions de suppression de ces contrôles sont remplies. Le Danemark, l’Irlande et le
Royaume-Uni ont une situation particulière. Le Danemark a signé la convention de Schengen,
mais il peut choisir d’appliquer ou non toute nouvelle mesure fondée sur le titre V du TFUE,
relatif à l’ELSJ, et ce même si ladite mesure constitue un développement de l’acquis de
Schengen7. L’Irlande et le Royaume-Uni n’ont quant à eux pas signé la convention de
Schengen, mais, conformément au protocole joint au traité d’Amsterdam, peuvent participer
aux dispositions de l’acquis de Schengen, après un vote du Conseil à l’unanimité des Etats
signataires et du représentant du gouvernement de l’Etat concerné. Ainsi, le Royaume-Uni et
l’Irlande participent depuis 2000 à la lutte contre les stupéfiants et le système SIS8, et à
certaines dispositions de la coopération policière et judiciaire en matière pénale depuis 20049.
Enfin, l’Islande et la Norvège appartiennent avec la Suède, la Finlande et le Danemark à
l’Union nordique des passeports, qui a supprimé les contrôles à leurs frontières communes10.
L’objectif de l’espace Schengen est donc la libre circulation des personnes. Une difficulté est
apparue dans le fait qu’elle était appréhendée comme les autres libertés de circulation, c’est-à-
dire sous l’angle économique, celui qui a prévalu au début de la construction européenne. Or,
si les libertés de circulation sont positives car elles facilitent les échanges, elles ont également
un aspect négatif, celui de faciliter l’internationalisation de la délinquance. Ainsi, les autres
conséquences de la libre circulation des personnes, tels que la criminalité organisée
transfrontalière, le trafic de drogue ou le terrorisme, semblent avoir été négligées. C’est
pourquoi une coopération entre les autorités des Etats membres est apparue nécessaire. La
coopération, d’abord douanière dans le cadre des conventions de Naples11, est devenue
ensuite judiciaire.
7
En matière de politique des visas, le Danemark est toutefois lié à certaines mesures.
8
Décision du Conseil du 29 mai 2000 relative à la demande du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande
du Nord de participer à certaines dispositions de l'acquis de Schengen, 2000/365/CE, JO L 131 du 1er juin 2000,
p. 43–47.
9
Décision du Conseil du 22 décembre 2004 relative à la mise en œuvre de certaines parties de l'acquis de
Schengen par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, 2004/926/CE, JO L 395 du 31
décembre 2004, p. 70–80.
10
Les dispositions de l’acquis de Schengen s’appliquent également aux pays de l’Union nordique, selon la
décision du Conseil du 1er décembre 2000 relative à la mise en application de l'acquis de Schengen au
Danemark, en Finlande et en Suède, ainsi qu'en Islande et en Norvège – Déclarations, 2000/777/CE, JO L 309
du 9 décembre 2000, p. 24–28.
11
Convention de Naples I relative à l’assistance mutuelle entre les autorités douanières du 7 septembre 1967 et
Convention de Naples II relative à l’assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières
du 18 décembre 1997.
12
M. DELMAS-MARTY, « A la recherche d’un langage commun », in M. DELMAS-MARTY, G.
GIUDICELLI-DELAGE et E. LAMBERT-ABDELGAWAD, L’harmonisation des sanctions pénales en
Europe, coll. UMR de droit comparé, Vol. 5, Société de législation comparée, 2003, p. 373.
13
R. ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, LGDJ, Bruylant, 3e éd.,
2009, p. 5.
terminée dans l’Etat requérant14. La coopération en matière pénale n’est pas un phénomène
récent. Ainsi, le premier traité d’extradition connu est un traité entre le Pharaon égyptien
Ramsès II et le roi hittite Hattusvili15. A l’origine, la coopération judiciaire est bilatérale, puis
devient de plus en plus multilatérale à l’échelle européenne.
La première pierre de cette coopération multilatérale en Europe est sans doute la signature
de la convention européenne d’extradition en 195716. Cette convention repose sur l’idée que
la réalisation d’une union étroite entre les membres du Conseil de l’Europe peut être atteinte
par l’adoption d’une action commune dans le domaine juridique, et en particulier par
l’acceptation de règles communes en matière d’extradition17. Au sein de l’Union européenne,
une convention du 10 mars 1995 vise à simplifier la procédure d’extradition entre les Etats
membres de l’Union européenne, en prévoyant notamment qu’en cas de consentement de la
personne réclamée, la procédure est entièrement judiciaire. L’arrêt de la chambre de
l’instruction accordant la remise vaut alors titre d’extradition, et le ministre de la justice est
simplement chargé de sa mise à exécution. Contrairement à la procédure d’extradition de droit
commun, un décret autorisant l’extradition n’est donc plus nécessaire. Par ailleurs, la
convention du 27 septembre 1996 relative à l’extradition entre les Etats membres de l’UE,
complète la convention européenne d’extradition de 1957 et la convention d’application de
l’accord de Schengen de 1990. Elle modifie certaines conditions générales de l’extradition
afin de la rendre plus facile à mettre en œuvre entre les Etats membres de l’Union. Elle réduit
ainsi le champ des infractions susceptibles d’être considérées par un Etat membre requis
comme constituant une infraction politique. De plus, le refus d’extradition des nationaux
devient l’exception, et la prescription de l’action publique ou de la peine dans un Etat membre
requis n’est plus un motif de refus de l’extradition que dans certaines hypothèses particulières.
Aujourd’hui, ces deux conventions ne s’appliquent que si la procédure du mandat d’arrêt
européen ne peut être mise en œuvre.
La coopération judiciaire en matière pénale a été introduite en droit de l’UE par le traité de
Maastricht en 1993, mais c’est véritablement le traité d’Amsterdam qui a introduit la base
juridique pour une action en commun dans le domaine de la coopération judiciaire en matière
pénale, notamment par une coopération entre les ministères et autorités judiciaires concernant
l'exécution des décisions18. L’extradition entre les Etats membres et la prévention des conflits
de compétences devaient également être facilités. De plus, l’Union devait « adopter
progressivement des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments
constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la
criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue »19. Le Conseil européen de
Tampere des 15 et 16 octobre 1999 marque ensuite un tournant dans le processus
d’intégration en matière pénale. Les conclusions de la présidence prévoyaient en effet de créer
Eurojust, une unité composée de procureurs, de magistrats ou d'officiers de police ayant des
compétences équivalentes, détachés par chaque Etat membre. Eurojust a pour mission de
contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et
14
R. ZIMMERMANN, préc., p. 5.
15
H. G. NILSSON, « From classical judicial cooperation to mutual recognition », in Le droit pénal de l’Union
européenne, Revue internationale de droit pénal, Vol. 77, Erès, 2007, p. 53.
16
Convention européenne d’extradition du Conseil de l’Europe, signée à Paris le 13 décembre 1957. Son
quatrième et dernier protocole additionnel a été signé à Vienne le 20 septembre 2012.
17
Préambule de la Convention européenne d’extradition, préc.
18
Ex-article 31 TUE dans les versions issues des traité d’Amsterdam et de Nice, remplacé par les articles 82, 83
et 85 TFUE.
19
Article 31 TUE, dans sa version issue du traité d’Amsterdam, JO n° C 340 du 10 novembre 1997, entré en
vigueur le 1er mai 1999.
d'apporter son concours dans les enquêtes relatives à la criminalité organisée. Par la suite, le
traité de Nice20 a ajouté un second paragraphe à l’article 31 TUE, selon lequel le Conseil
devait favoriser la coopération entre Eurojust et le Réseau judiciaire européen, pour faciliter
notamment l’exécution des commissions rogatoires et la mise en œuvre des demandes
d’extradition21. La création d’institutions tels qu’Eurojust et le Réseau judiciaire européen22,
mais également les magistrats de liaison23, est destinée à améliorer la coopération. Ces
institutions peuvent en effet permettre de résoudre les problèmes de communication, en
facilitant les échanges et le travail commun. On ne s’y intéressera toutefois pas
spécifiquement, pour se concentrer sur la coopération entre les autorités judiciaires des Etats
membres.
Après le traité de Nice, la terminologie change en matière de coopération judiciaire pénale
dans l’Union. On ne parle plus d’Etats requérant et requis, mais d’Etats d’émission et
d’exécution. Ces nouveaux termes reflètent bien l’idée d’une coopération dans laquelle
l’accord de l’Etat partenaire est en principe acquis, sous réserve des motifs de refus
d’exécution prévus. Le principe est l’acceptation de la demande, le refus est l’exception. La
spécificité des rapports entretenus entre les Etats membres empêche en effet d’appliquer les
solutions classiques de droit pénal international. Ces solutions sont fondées traditionnellement
sur les principes de souveraineté et de territorialité, car la coopération judiciaire internationale
s’effectue entre Etats souverains, dans le respect de la loi et du territoire de chacun. En droit
pénal international, chaque Etat fixe unilatéralement le champ de sa compétence pénale,
s’agissant de l’application de sa loi pénale dans l’espace, et de l’exécution des jugements
répressifs étrangers24. La construction européenne quant à elle est définie comme un
« processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples »25. Une telle union
s’oppose à la conception classique de la coopération judiciaire internationale. De plus, dans
l’Union, aux termes de l’article 3 §2 TUE précédemment mentionné, la coopération judiciaire
repose sur un espace commun de libre circulation. La volonté de créer un tel espace se
démarque de la coopération judiciaire classique, puisque la notion même d’espace implique
un dépassement du principe de territorialité26. Il est intéressant de relever que l’article 3 TUE,
tel que modifié par le traité de Lisbonne, place la réalisation de l’ELSJ avant la construction
20
Traité de Nice, JO n° C 80 du 10 mars 2001, entré en vigueur le 1er février 2003. L’article 31 TUE a été
remplacé par les articles 82, 83 et 85 TFUE par le traité de Lisbonne.
21
Article 31 §2 TUE dans la version issue du traité de Nice : « Le Conseil encourage la coopération par
l'intermédiaire d'Eurojust en : permettant à Eurojust de contribuer à une bonne coordination entre les autorités
nationales des États membres chargées des poursuites ; favorisant le concours d'Eurojust dans les enquêtes
relatives aux affaires de criminalité transfrontière grave, en particulier en cas de criminalité organisée, en tenant
compte notamment des analyses effectuées par Europol ; facilitant une coopération étroite d'Eurojust avec le
Réseau judiciaire européen afin, notamment, de faciliter l'exécution des commissions rogatoires et la mise en
œuvre des demandes d'extradition. »
22
Voir décision du Conseil du 16 décembre 2008 concernant le Réseau judiciaire européen (2008/976/JAI), JO
L 348 du 24 décembre 2008.
23
Les magistrats de liaison favorisent et accélèrent, notamment par l'établissement de contacts directs avec les
services compétents et les autorités judiciaires de l'Etat d'accueil, toutes les formes de coopération judiciaire en
matière pénale. Voir l’Action commune du 22 avril 1996, adoptée par le Conseil sur la base de l'article K.3 du
traité sur l'Union européenne, concernant un cadre d'échange de magistrats de liaison visant à l'amélioration de la
coopération judiciaire entre les États membres de l'Union européenne (96/277/JAI), JO L 105 du 27 avril 1996.
24
D. REBUT, « Les effets des jugements répressifs », in Les effets des jugements nationaux dans les autres Etats
membres de l’Union européenne, Actes du colloque organisé le 24 mars 2000 par le Centre d’études
européennes de l’Université Jean Moulin Lyon 3, Bruylant, 2011, p. 177.
25
Préambule du traité sur l’Union européenne, al. 12.
26
G. TAUPIAC-NOUVEL, Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions répressives dans l’Union
européenne : contribution à l’étude d’un modèle de libre circulation des décisions de justice, Collection des
Thèses, n° 50, Fondation Varenne, LGDJ, 2011, p. 12.
La coopération judiciaire en matière pénale est prévue aux articles 82 à 86 TFUE. Aux
termes de l’article 82 §1 TFUE, « la coopération judiciaire en matière pénale dans l'Union est
fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et
inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres
dans les domaines visés au paragraphe 2 et à l'article 83 ». S’agissant de la reconnaissance
mutuelle, le gouvernement anglais avait mis en avant, lors de sa présidence de l’Union
européenne, et en particulier au Conseil européen de Cardiff des 15 et 16 juin 1998, son
souhait d’importer, dans le domaine répressif, la méthode de la reconnaissance mutuelle déjà
utilisée en matière civile28. L’idée d’une reconnaissance mutuelle en matière pénale a alors été
reprise par le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999. Les conclusions de la
présidence présentaient le principe comme la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire
tant civile que pénale29, et demandaient à cet effet au Conseil et à la Commission d'adopter un
programme de mesures destinées à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle30.
Cinq ans après la réunion du Conseil européen à Tampere, l’Union a adopté un nouveau
programme quinquennal pour l’espace pénal européen, le programme de La Haye31.
Reprenant l’expression consacrée dans ces programmes, le traité de Lisbonne a consacré le
principe de reconnaissance mutuelle comme le fondement de la coopération judiciaire en
matière pénale. Le programme de Stockholm, adopté le 10 décembre 2009, a accompagné
l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne dans le domaine de coopération judiciaire en matière
pénale, et mis notamment en avant la nécessité de renforcer la reconnaissance mutuelle32. Le
traité consacre la reconnaissance mutuelle comme un principe. On pense alors naturellement
aux principes généraux du droit, notamment du droit de l’Union européenne. Toutefois, la
reconnaissance mutuelle apparaît être moins un principe qu’un modèle de circulation des
décisions de justice. En effet, comme le soulignent certains, si la reconnaissance mutuelle est
un principe juridique, alors il est en pratique peu respecté et souvent violé33.
Quant à l’harmonisation pénale, l’article 82 §1 TFUE dispose que la coopération judiciaire
pénale inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États
membres. Le traité ne parle pas explicitement d’harmonisation, mais une partie de la doctrine
a conclu à l’identité entre les termes d’harmonisation et de rapprochement des législations
nationales34. On ira dans le sens de cette thèse, puisque l’harmonisation conduit « à
27
L’ex-article 2 TUE plaçait, dans les objectifs de l’Union, la création d’un espace économique sans frontières
avant celle de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Depuis le traité de Lisbonne, l’article 3 §2 TUE vise
l’ELSJ, tandis que l’article 3 §3 TUE dispose : « L'Union établit un marché intérieur […] ».
28
A. WEYEMBERGH, Reconnaissance mutuelle en matière pénale dans l’Union européenne, JurisClasseur
Europe Traité, Fasc. 2720.
29
Conclusions du Conseil européen de Tampere, 16 octobre 1999, SN 200/99, §33.
30
Conclusions du Conseil européen de Tampere, préc., §37. Un tel programme a été adopté le 20 novembre
2000, après l’approbation du Conseil Justice et Affaires intérieures (Programme de mesures destiné à mettre en
œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales, JO C 12 du 15 janvier 2001, p. 10-22).
31
Programme de La Haye pour renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne, approuvé
par le Conseil européen le 5 novembre 2004, doc. 16054/04.
32
Conseil européen, Programme de Stockholm, « Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens »,
JO C 115 du 4 mai 2010, § 3.1.
33
M. MASSE, « La reconnaissance mutuelle », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), Le droit
pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28,
Société de législation comparée, Paris, 2012, p. 210.
34
E. GINDRE, L’émergence d’un droit pénal de l’Union européenne, LGDJ, 2009, p. 110.
35
M. DELMAS-MARTY, « A la recherche d’un langage commun », in M. DELMAS-MARTY, G.
GIUDICELLI-DELAGE et E. LAMBERT-ABDELGAWAD, L’harmonisation des sanctions pénales en
Europe, coll. UMR de droit comparé, Vol. 5, Société de législation comparée, 2003, p. 375.
36
A. WEYEMBERGH, L’harmonisation des législations : condition de l’espace pénal européen et révélateur de
ses tensions, Université de Bruxelles, IEE, 2004, p. 35.
37
A. WEYEMBERGH, préc., p. 35.
38
Article 82 §2 al. 1 TFUE : « Dans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle
des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales
ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives
conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales ».
39
S. MANACORDA, « Un bilan des dynamiques d’intégration pénale à l’aube du traité de Lisbonne », Revue de
science criminelle, Octobre-Décembre 2009, p. 928.
40
Programme de Stockholm, §3.3.
une coopération, du moins tant qu’un système procédural unifié autour d’un procureur
européen n’aura pas été mis en place. Pour l’instant, une telle institution n’est envisagée que
pour la protection des intérêts financiers de l’Union. On précise que cette question ne sera pas
étudiée ici.
L’harmonisation concernant la définition des infractions et des sanctions pénales visée à
l’article 83 est vue par certains comme une compétence pénale détachée de la coopération
judiciaire41. Ces auteurs s’appuient sur le fait que la compétence prévue par l’ex-article 29
TUE42 était plus liée à la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, et « à une
condition de nécessité de la protection pénale qui se dégage du caractère de spéciale gravité et
de transnationalité de la criminalité organisée »43, qu’à la coopération judiciaire. Selon nous,
on pouvait peut-être l’envisager lorsque la compétence pénale s’exerçait dans le cadre du
premier pilier, selon la méthode communautaire, mais le traité de Lisbonne met fin à cette
hypothèse. Il consacre le rapprochement des législations pénales comme instrument de la
coopération judiciaire en matière pénale, comme en témoigne l’architecture du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne. En effet, au sein du titre V sur l’ELSJ, c’est au
chapitre 4 relatif à la coopération judiciaire en matière pénale que le rapprochement des
législations pénales est mentionné. De plus, l’article 82 §1 dispose expressément que la
coopération judiciaire en matière pénale inclut le rapprochement des législations. A notre
sens, l’harmonisation est sans conteste incluse dans la coopération en matière pénale, et ne
peut se concevoir hors de l’objectif de l’amélioration de la coopération judiciaire44. C’est
pourquoi la compétence pénale de l’Union au titre de l’article 83 TFUE sera traitée comme
partie intégrante du sujet sur la coopération judiciaire en matière pénale.
41
L. ARROYO ZAPATERO et M. MUNOZ DE MORALES ROMERO, « Droit pénal européen et traité de
Lisbonne : le cas de l’harmonisation autonome (article 83.1 TFUE) », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C.
LAZERGES (dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, coll. UMR de
droit comparé de Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 116
42
L’ex-article 29 TUE vise notamment le « rapprochement, en tant que de besoin, des règles de droit pénal des
Etats membres, conformément à l’article 31, point e ».
43
L. ARROYO ZAPATERO et M. MUNOZ DE MORALES ROMERO, préc. note 42, p. 116
44
E. RUBI-CAVAGNA, « Discussion. Le domaine et les méthodes de l’harmonisation autonome », in G.
GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité
de Lisbonne, coll. UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 143.
45
Voir notamment CJCE, Grande chambre, Commission c. Conseil de l’Union européenne, 13 septembre 2005,
aff. C-176/03, Rec. 2005 I-07879 ; et CJCE, Grande chambre, Commission c. Conseil de l'Union européenne, 23
octobre 2007, aff. C-440/05, Rec. 2007 I-09097.
matière de libertés individuelles, les deux grandes avancées du traité de Lisbonne sont d’une
part la valeur juridique conférée à la Charte des droits fondamentaux51, et d’autre part,
l’adhésion de l’Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme52,
dont le processus a officiellement débuté le 7 juillet 2010. Toutefois, un protocole prévoit que
la Charte n’est pas obligatoire pour le Royaume-Uni et la Pologne53. Comme le relèvent
certains auteurs, l’idée même d’une exception ébranle la crédibilité de la notion de droits
fondamentaux54. On peut cependant imaginer que la Cour de Justice utilisera la notion de
« valeurs constitutionnelles communes » des Etats membres pour neutraliser cette exception.
La difficulté majeure de la coopération judiciaire en matière pénale sera de permettre la libre
circulation de la justice pour compenser la libre circulation des personnes. Mais cet équilibre
doit se faire dans le respect des droits fondamentaux, et c’est pourquoi la vision seulement
sécuritaire d’origine ne peut être maintenue. Ainsi, dans quelle mesure les réformes
introduites par le traité de Lisbonne au titre de la coopération judiciaire en matière pénale
permettent-elles de garantir le respect des libertés fondamentales tout en assurant la sécurité
dans l’Union européenne ? Il conviendra de répondre à cette question à travers les trois axes
principaux de réforme en matière pénale que sont la reconnaissance mutuelle, l’harmonisation
de la procédure pénale et l’harmonisation du droit pénal. Le traité de Lisbonne ouvre sans
conteste de nouvelles possibilités en matière pénale car il consacre explicitement la
reconnaissance mutuelle comme le fondement de la coopération judiciaire en matière pénale
(Partie 1), dont l’harmonisation de la procédure pénale est le nécessaire complément (Partie
2). De plus, la consécration de la compétence pénale de l’Union européenne a fait de
l’harmonisation du droit pénal un instrument indissociable de la mise en œuvre de la
coopération judiciaire (Partie 3).
51
Article 6 §1 al. 1 TUE : « L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adoptée le 12 décembre 2007 à
Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ».
52
Article 6 §2 al. 1 TUE : « L’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies
dans les traités ».
53
Article I, Protocole n°30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la
Pologne et au Royaume-Uni (JO du 9 mai 2008, C115/313).
54
J. PRADEL, G. CORSTENS et G. VERMEULEN, Droit pénal européen, 3e édition, Précis Droit Privé,
Dalloz, Paris, 2009, p. 766.
55
G. TAUPIAC-NOUVEL, Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions répressives dans l’Union
européenne : contribution à l’étude d’un modèle de libre circulation des décisions de justice, Collection des
Thèses, n° 50, Fondation Varenne, LGDJ, 2011, p. 33.
56
G. VERRIMMAN-VAN TIGGELERN, L. SUPRANO et A. WEYEMBERGH, L’avenir de la reconnaissance
mutuelle en matière pénale dans l’Union européenne, Université de Bruxelles, 2009, p. 53.
57
G. TAUPIAC-NOUVEL, préc. note 56, p. 13.
58
Communication de la Commission du 26 juillet 2000 sur la reconnaissance des décisions finales dans le
domaine pénal, COM(2000) 495 final, non publiée au JO.
Les décisions visées par le principe de reconnaissance mutuelle sont, aux termes de
l’article 82 TFUE, les jugements et les décisions judiciaires. Si le terme de « décision
judiciaire » utilisé par le traité peut sembler ambigu, le Conseil européen de Tampere a
explicitement conclu que le principe de reconnaissance mutuelle s'appliquait aussi bien aux
jugements qu'aux autres décisions émanant des autorités judiciaires. Le principe de
reconnaissance mutuelle s’applique donc aux décisions judiciaires prises à tous les stades de
la procédure pénale, ou portant sur une question liée à ces procédures, telle que l’obtention et
la recevabilité des preuves, les conflits de compétences, le principe non bis in idem, ainsi que
l’exécution des condamnations définitives à des peines d’emprisonnement ou à toute autre
peine de substitution59.
Les décisions judiciaires visées par le principe de reconnaissance mutuelle sont ensuite
celles qui relèvent du droit pénal, c’est-à-dire de l’ensemble des règles prévoyant des
sanctions ou des mesures de réinsertion60. Le programme de Stockholm prévoit toutefois que
« la reconnaissance mutuelle pourrait s'appliquer à tous les types de jugements et de décisions
de nature judiciaire, que ce soit en matière pénale ou administrative, en fonction du système
juridique concerné »61. Une telle formule se rapproche de la notion de « matière pénale » telle
que retenue par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme62. Selon des
critères définis par sa jurisprudence63, la Cour de Strasbourg a ainsi pu intégrer des normes
qui n’appartenaient pas à la matière pénale en droit national, telles que les sanctions
administratives, disciplinaires, pénitentiaires ou fiscales. En envisageant d’appliquer le
principe de reconnaissance mutuelle à des décisions judiciaires en matière administrative, le
Conseil européen souligne quant à lui l’importance d’une reconnaissance mutuelle généralisée
à l’ensemble des décisions ayant un caractère répressif. Ainsi, sont visées par le principe de
reconnaissance mutuelle non seulement les décisions des tribunaux, mais aussi celles de
certaines autorités administratives. Dans l’espace pénal européen, toutes ces décisions sont
censées avoir un effet direct.
59
Programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions
pénales, JO C 12 du 15 janvier 2001, p. 10-22.
60
Communication de la Commission du 19 mai 2005 sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en
matière pénale et le renforcement de la confiance mutuelle entre les Etats membres, COM(2005) 195 final, non
publiée au JO.
61
Programme de Stockholm, « Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens », JO C 115 du 4 mai
2010, § 3.1.1.
62
Pour la Cour EDH, le concept « d’accusation en matière pénale » de l’article 6 CEDH, relatif au droit à un
procès équitable, revêt une portée autonome, indépendante des catégorisations utilisées par les systèmes
juridiques nationaux des États membres du Conseil de l’Europe (CEDH, Adolf c. Autriche, 26 mars 1982, Série
A n° 49, p. 12, § 30).
63
CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, Série A n° 22, pp. 34-35, §§ 82-83.
64
Communication de la Commission du 19 mai 2005 sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en
matière pénale et le renforcement de la confiance mutuelle entre les Etats membres, COM(2005) 195 final, non
publiée au JO.
Sans s’attarder sur ces objectifs humanistes, que l’on évoquera de manière plus
approfondie à travers les instruments de mise en œuvre de la reconnaissance mutuelle, il
convient de distinguer deux hypothèses d’exécution directe du jugement étranger. La
première est celle dans laquelle un Etat membre, l’Etat d’exécution, livre la personne
condamnée à un autre Etat membre, l’Etat d’émission, pour l’exécution de la peine prononcée
dans l’Etat d’émission. Il s’agit, dans le cadre du mandat d’arrêt européen, de la remise aux
fins d’exécution. La seconde hypothèse est celle dans laquelle l’Etat membre qui a rendu une
décision de condamnation laisse l’Etat d’exécution mettre en œuvre ladite condamnation.
L’individu va alors exécuter sa peine dans un autre Etat membre que celui dans laquelle elle a
été prononcée. Dans cette situation, la reconnaissance mutuelle permet de garantir, au stade de
l’exécution, qu’un jugement prononcé dans un Etat membre ne sera pas remis en question
dans un autre État membre. C’était déjà l’objectif de la convention du Conseil de l’Europe du
28 mai 1970 sur la valeur internationale des jugements répressifs, mais ce texte fondateur a
peu été appliqué69. Deux conventions ont également été adoptées entre les Etats membres de
l’Union en matière d’exécution des décisions définitives70. Grâce à la reconnaissance
mutuelle, la décision judiciaire prise dans un Etat membre sera exécutée dans les autres Etats
membres « facilement et rapidement, le plus possible comme le serait une décision
nationale »71. L'application directe et automatique du principe de reconnaissance mutuelle
semble difficile en pratique dans la plupart des cas. Un Etat membre souhaitant appliquer une
décision prise dans un autre État membre devra au moins traduire cette décision et vérifier
65
R. ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, LGDJ, Bruylant, 3e éd.,
2009, p. 713.
66
Communication de la Commission du 26 juillet 2000 sur la reconnaissance des décisions finales dans le
domaine pénal, COM(2000) 495 final, non publiée au JO.
67
R. ZIMMERMANN, préc. note 66, p. 713.
68
Programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions
pénales, JO C 12 du 15 janvier 2001, p. 10-22.
69
On peut mentionner également la convention du Conseil de l'Europe du 21 mars 1983 sur le transfèrement des
personnes condamnées, dont l’objet principal est de favoriser le reclassement des personnes condamnées et
procède de considérations humanitaires, ce qui implique nécessairement une reconnaissance de la décision
prononcée dans l'Etat de condamnation par l'Etat d'exécution.
70
La convention entre les Etats membres des Communautés européennes sur l'exécution des condamnations
pénales étrangères du 13 novembre 1991, adoptée dans le cadre de la coopération politique ; et la convention de
l'Union européenne du 17 juin 1998 relative aux décisions de déchéance du droit de conduire.
71
I. JEGOUZO, « Le développement progressif du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires
pénales dans l’Union européenne », in Le droit pénal de l’Union européenne, Revue internationale de droit
pénal, Vol. 77, Erès, 2007, p. 98.
La reconnaissance mutuelle implique que les décisions rendues par l’Etat étranger soient
considérées comme équivalentes aux décisions nationales. En matière de liberté de
circulation, les réglementations des Etats membres avaient déjà être considérées comme
présumées équivalentes (2). Une telle présomption repose, dans le cadre du marché intérieur,
et plus encore dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice, sur la confiance mutuelle
entre les Etats membres (1).
72
Communication de la Commission du 26 juillet 2000, préc.
73
Directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (2012/13/UE),
JO L 142 du 1er juin 2012, Considérant 4.
74
D. FLORE, « Reconnaissance mutuelle, double incrimination et territorialité », in G. de KERCHOVE et A.
WEYEMBERGH (éd.), La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires pénales dans l’Union européenne,
Université de Bruxelles, IEE, 2001, p. 64.
75
A. WEYEMBERGH, Reconnaissance mutuelle en matière pénale dans l’Union européenne, JurisClasseur
Europe Traité, Fasc. 2720, §12.
76
Programme de mesures du Conseil destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des
décisions pénales, JO C 12 du 15 janvier 2001.
Le principe de reconnaissance mutuelle tel que défini par la Cour de justice en matière de
liberté de circulation repose sur la notion d'équivalence de la qualité de la réglementation des
différents États membres et sur la confiance mutuelle entre eux. Toutefois, des restrictions
légitimes sont posées au jeu de la reconnaissance mutuelle en matière de libre circulation. En
effet, des exigences ou raisons impératives d’intérêt général peuvent permettre d’écarter du
champ des entraves certaines dispositions légales. Ainsi, si des limites peuvent être posées à
la reconnaissance mutuelle dans le cadre du marché intérieur, de telles limites sont a fortiori
envisageables dans le domaine répressif, qui par définition relève de la souveraineté des Etats
77
CJCE, 20 févr. 1979, aff. 120/78, Rewe-Zentral AG c/ Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, Rec. p. 649.
78
I. JEGOUZO, préc. note 72, p. 97.
79
A. WEYEMBERGH, préc. note 76, §90.
80
Communication de la Commission sur les suites de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés
européennes le 20 février 1979 dans l'affaire 120-78 (Cassis de Dijon), JO C 256 du 3 octobre 1980, p. 2-3.
81
M. MASSE, « La reconnaissance mutuelle », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), Le droit
pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28,
Société de législation comparée, Paris, 2012, p. 209.
82
En matière de liberté de circulation des marchandises, la Cour de Justice a exclu du jeu du droit des entraves
les réglementations relatives aux modalités de vente des marchandises, notamment dans l’arrêt Keck et
Mithouard (CJCE, 24 nov. 1993, aff. C-267/91 et C-268/91, Rec. 1993 I p. 16097), à propos d'une
réglementation prohibant la revente à perte. Mais cette solution est difficilement transposable aux autres libertés
de circulation (J.-S. BERGE et S. ROBIN-OLIVIER, Introduction au droit européen, PUF, Thémis, 2008,
n° 192).
83
CJCE, 3 déc. 1974, aff. 33/74, Van Binsbergen, Rec. 1974 p. 1299 ; CJCE, 25 juill. 1991, Säger, aff. C-76/90,
Rec. 1991 I p. 4221.
84
CJCE, 9 mars 1999, aff. C-212/97, Centros, Rec. 1999 I p. 1484 ; CJCE, 9 nov. 2002, aff. C-208/00,
Überseering, Rec. 2002 I p. 9919 ; CJCE, 30 sept. 2003, aff. C-167/01, Inspire Art, Rec. 2003 I p. 10155 ;
CJCE, 12 sept. 2006, aff. C-196/04, Cadbury Schweppes, Rec. 2006 I p. 7995.
membres, et dans lequel le processus d’intégration est moins avancé qu’en matière
économique. Une difficulté apparaît également en ce que les décisions pénales ne sont pas des
marchandises, et créer un espace judiciaire sans frontières ne consiste pas à instituer un
« marché intérieur de la justice »85. Le principe de reconnaissance mutuelle permet de
recevoir les jugements répressifs étrangers, mais il ne doit pas être pensé sur le modèle de la
libre circulation des marchandises, en raison notamment de la spécificité de la matière pénale.
On peut donc s’interroger sur le bien fondé de l’importation, dans le domaine répressif, qui
touche de près aux libertés, d’une notion qui avait été inventée dans le cadre du marché
intérieur, donc en matière économique. Si dans le cadre du marché intérieur la Cour de justice
a pu déclarer que les réglementations nationales étaient équivalentes, en revanche en matière
pénale il ne suffit pas d’énoncer que les décisions pénales sont équivalentes pour que les
autorités judiciaires acceptent de les reconnaître. Au-delà des affirmations d’équivalence, il
faut que les autorités des Etats membres aient confiance en la justice pénale étrangère. C’est
pourquoi la simple prise en compte de la décision pénale étrangère par les autorités
judiciaires, pour l’application du droit national, qui nécessite probablement un degré moindre
de confiance dans la justice pénale étrangère, fonctionne peut-être mieux en pratique.
85
M. MASSE, « La reconnaissance mutuelle », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), Le droit
pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28,
Société de législation comparée, Paris, 2012, p. 208.
86
Convention entre les Etats membres des Communautés européennes relative à l'application du principe non bis
in idem, signée à Bruxelles dans le cadre de la coopération politique européenne le 25 mai 1987.
87
Convention d’application de l’accord de Schengen, 19 juin 1990.
selon les lois de la Partie Contractante de condamnation ». Le principe était déjà consacré par
des instruments internationaux, notamment à l’article 14 §7 du Pacte international sur les
droits civils et politiques, et à l’article 4 du Protocole n°7 de Convention européenne des
droits de l’homme. Toutefois, ces textes ne reconnaissaient qu’une portée nationale au
principe non bis in idem ; l’article 54 l’a « transnationalisé » entre les Etats parties de la
CAAS. L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a repris cet
acquis du droit de l’Union, énonçant que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en
raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un
jugement pénal définitif conformément à la loi ».
En application du principe non bis in idem tel qu’interprété par la Cour de justice, la
reconnaissance mutuelle implique la prise en compte des décisions qui, d’une part, portent sur
les mêmes faits dans leur acceptation matérielle (1) et, d’autre part, ont un caractère définitif
(2).
88
JO du 26 avril 2003.
89
F. JAULT-SESEKE et J. LELIEUR, « Les différences d’approche de l’espace judiciaire européen sur les plans
civil et pénal », in F. JAULT-SESEKE, J. LELIEU et C. PIGACHE (dir.), L’espace judiciaire européen civil et
pénal. Regards croisés, Actes du 25e colloque des Instituts d’études judiciaires organisé les 20 et 21 mars 2009 à
l’Université de Rouen, coll. Thèmes & Commentaires, Dalloz, Paris, 2009, p. 24.
90
Selon l’expression utilisée par A. WEYEMBERGH, Reconnaissance mutuelle en matière pénale dans l’Union
européenne, JurisClasseur Europe Traité, Fasc. 2720, §99.
1) La prise en compte des décisions portant sur les mêmes faits matériels
La Cour de justice a jugé dans l’arrêt Van Esbroeck91 que la notion d’« idem » renvoyait
aux faits dans leur acceptation matérielle. En l’espèce, un ressortissant belge avait été
condamné par un tribunal norvégien à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour
importation illicite de produits stupéfiants. Libéré conditionnellement, il avait été ramené en
Belgique, où une procédure avait été alors été engagée contre lui pour exportation illicite des
mêmes produits stupéfiants. En effet, l’article 36 de la convention des Nations Unies sur les
stupéfiants92 prévoit que l’importation et l’exportation sont des infractions distinctes
lorsqu’elles sont commises dans des Etats différents. A la question de savoir quel était le
critère pertinent aux fins de l’application de l’article 54 CAAS, la Cour de justice a répondu
que le seul critère pertinent était « celui de l’identité des faits matériels, compris comme
l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles »93.
Ce n’est donc ni la qualification juridique des faits, ni la valeur sociale protégée par
l’incrimination, qu’il convient de prendre en compte pour l’application du principe non bis in
idem, mais bien la matérialité des faits. Cela a des conséquences en matière de reconnaissance
mutuelle : dans l’espèce en cause, les faits semblaient par leur nature même indissociablement
liés, et la reconnaissance de la décision norvégienne était donc susceptible de faire obstacle
aux poursuites belges. L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux ne reprend pas
l’expression de « mêmes faits », et s’approche davantage dans sa formulation de l’article 4 du
Protocole n°7 de la Convention EDH. Néanmoins, dans la mesure où la Cour EDH a fini par
la suivre la jurisprudence de la Cour de justice quant à la définition matérielle des faits, il est
indiscutable que c’est cette définition de l’« idem » qu’il convient de retenir pour l’application
du principe non bis in idem dans l’Union. La jurisprudence de la Cour de Luxembourg n’est
pas remise en cause sur ce point par le traité de Lisbonne. La Cour a également été amenée à
préciser que les décisions visées par le principe de reconnaissance mutuelle étaient celles
ayant un caractère définitif.
Les décisions définitives peuvent être les décisions des tribunaux et de certaines autorités
administratives, mais aussi les résultats des procédures de médiation et les accords entre les
suspects et le ministère public. La Cour de justice a eu l’occasion de définir la notion de
décision définitive à travers sa jurisprudence relative au principe non bis in idem. Pour que le
principe non bis in idem trouve à s’appliquer, il faut encore que, selon les termes de l’article
54 CAAS, la personne ait été définitivement jugée, ou que, selon les termes de l’article 50 de
la Charte, le jugement pénal soit définitif. La Cour de justice a ainsi été amenée à déterminer
les décisions pouvant être considérées comme ayant un caractère définitif. Dans un arrêt du
11 février 200394, la question posée à la Cour par les deux affaires jointes était celle de savoir
si le principe non bis in idem s’appliquait aux procédures d’extinction de l’action publique.
Dans l’affaire Gözütok, un ressortissant turc avait commis des faits de vente de stupéfiants
aux Pays Bas. Une transaction avait été convenue entre l’autorité judiciaire néerlandaise et
l’individu en cause. Une autorité judiciaire allemande souhaitait toutefois poursuivre ces faits.
91
CJCE, 9 mars 2006, Procédure pénale c. Van Esbroeck, aff. C-436/04.
92
Convention unique des Nations Unies sur les stupéfiants de 1961, telle que modifiée par le Protocole de 1972
portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, Article 36 §2 a) i) : « Chacune des
infractions énumérées au paragraphe 1 sera considérée comme une infraction distincte, si elles sont commises
dans des pays différents ».
93
CJCE, Van Esbroeck, préc. note 91, §36.
94
CJCE, 11 février 2003, Procédures pénales c. Hüsein Gözütok et Klaus Brügge, aff. jointes C-187/01 et C-
385/01, Rec. 2003 I-p. 01345.
Dans l’affaire Brügge, lors d’un accident de la circulation, une personne avait subi des coups
et blessures ayant entrainé une incapacité de travail. Ce fait commis en Belgique avait fait
l’objet d’une transaction entre son auteur et une autorité judiciaire allemande. Le juge belge
avait toutefois été saisi par la constitution de partie civile de la victime. La Cour de justice a
répondu que le principe non bis in idem s’appliquait aux seules décisions définitives, qu’elles
soient rendues par les juridictions pénales, ou par les parquets, dès lors qu’elles mettaient
définitivement fin aux poursuites. Pour la Cour, aucune disposition du droit de l’Union « ne
subordonne l’application de l’article 54 de la CAAS à l’harmonisation des législations
pénales des Etats membres dans le domaine des procédures d’extinction de l’action
publique »95. Elle ajoute que le principe non bis in idem implique nécessairement que chacun
des Etats membres « accepte l’application du droit pénal en vigueur dans les autres Etats
membres, quand bien même la mise en œuvre de son propre droit national conduirait à une
solution différente »96.
La Cour de justice a également jugé que le principe non bis in idem ne s’appliquait pas
qu’aux décisions de condamnation, mais également aux décisions par lesquelles un prévenu
est acquitté97. Dans l’arrêt Gasparini98, la Cour a ajouté que le principe pouvait également
s’appliquer à une décision définitive rendue dans un premier Etat membre qui rejetait les
poursuites pour cause de prescription, conformément à sa loi pénale. Enfin, dans l’arrêt
Turansky99, la Cour de justice a posé une limite à l’application du principe non bis in idem à
toute décision judiciaire définitive. En effet, elle a estimé que le principe ne s’appliquait pas à
une décision judiciaire déclarant l’affaire clôturée après que le ministère public avait décidé
de ne pas mettre en mouvement l’action publique, sans appréciation au fond, au seul motif
que des poursuites avaient déjà été engagées dans un autre Etat membre à l’encontre de la
même personne et pour les mêmes faits. En l’espèce, une autorité de police avait en effet
ordonné la suspension des poursuites pénales engagées. Or, ladite décision, si elle suspendait
les poursuites, ne mettait pas définitivement fin à l’action publique selon la loi nationale. Le
principe non bis in idem ne pouvait s’appliquer à une telle décision, car il ne peut s’appliquer
qu’aux décisions qui mettent fin définitivement aux poursuites et éteignent l’action publique
d’une manière définitive.
L’affirmation de la règle non bis in idem comme un principe du droit de l’Union, et, plus
généralement, la consécration du principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale, ont
sans conteste favoriser la circulation des décisions pénales étrangères et leur prise en compte
par les autorités judiciaires des Etats membres. Toutefois, de nombreux praticiens dénoncent
le décalage entre « les intentions déclarées, leur mise en œuvre dans les textes et leur
transposition en droit interne »100, ce qui laisse penser que, bien qu’affirmé et consacré dans le
traité de Lisbonne, le principe de reconnaissance rencontre en pratique certaines limites.
95
CJCE, Gözütok et Brügge, préc., §32.
96
CJCE, Gözütok et Brügge, préc., §33.
97
En l’espèce pour insuffisance de preuves : CJCE, 28 septembre 2006, Procédure pénale c. Van Straaten, aff.
C-150/05.
98
CJCE, 29 septembre 2006, Procédure pénale c. Gasparini, aff. C-467/04.
99
CJCE, 22 décembre 2008, Procédure pénale c. Vladimir Turansky, aff. C-491/07.
100
S. PETIT-LECLAIR, « La mise en œuvre du mandat d’arrêt européen », in F. JAULT-SESEKE, J. LELIEU
et C. PIGACHE (dir.), L’espace judiciaire européen civil et pénal. Regards croisés, Actes du 25e colloque des
Instituts d’études judiciaires organisé les 20 et 21 mars 2009 à l’Université de Rouen, coll. Thèmes &
Commentaires, Dalloz, Paris, 2009, p. 99.
101
Programme de mesures du Conseil, destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des
décisions pénales, JOCE du 15 janvier 2001, C 12/02.
102
G. TAUPIAC-NOUVEL, Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions répressives dans l’Union
européenne : contribution à l’étude d’un modèle de libre circulation des décisions de justice, Collection des
Thèses, n° 50, Fondation Varenne, LGDJ, 2011, p. 71.
103
Décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre les
Etats membres (2002/584/JAI), JOCE L 190 du 18 juillet 2002, Considérant n° 10.
104
CJCE, 11 février 2003, aff. C-385/01 et C-187/01, Procédure pénale c. Klaus Brügge, Procédure pénale c.
Gözütok, Rec. p. I-1345 et s.
mise en œuvre de son droit national conduirait à une solution différence ». Ici, la disposition
concernée organise une reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires étrangères qui
n’aurait pas été possible si la confiance n’avait pas existé105. Dans un renversement de
perspective, la confiance mutuelle est établie par ses effets. Alors que le programme de
mesures expliquait que la mise en œuvre de la reconnaissance mutuelle supposait une
confiance mutuelle, la Cour de Justice déduit quant à elle de l’existence de normes de
reconnaissance mutuelle la préexistence de la confiance mutuelle.
Le traité constitutionnel prévoyait, dans son article I-42, que l’Union constituait un espace
de liberté, de sécurité et de justice, notamment « en favorisant la confiance mutuelle entre les
autorités compétentes des Etats membres, en particulier sur la base de la reconnaissance
mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires ». La confiance mutuelle est ici la
conséquence de la reconnaissance mutuelle, et non son préalable. Pourtant, il nous semble que
c’est la confiance mutuelle qui doit préexister. En effet, « s’engager sur le chemin de la
reconnaissance mutuelle implique l’existence d’une confiance mutuelle antérieure à cet
engagement »106. Selon les termes du traité constitutionnel, il s’agissait néanmoins de
favoriser la confiance par la reconnaissance. Plutôt que de partir du postulat d’une confiance
mutuelle, l’Union avait donc considéré, dans le traité constitutionnel, que la progressive
reconnaissance mutuelle des décisions étrangères allait instaurer une confiance réciproque.
On pouvait alors s’interroger sur la justification du principe même de reconnaissance
mutuelle, alors qu’il était censé s’expliquer justement par une confiance partagée entre les
Etats membres. La logique du traité constitutionnel semblait manquer de cohérence, et c’est
pourquoi elle n’a pas été reprise par le traité de Lisbonne. La confiance mutuelle n’y est
présentée ni comme un fondement, ni comme une finalité de la coopération pénale. Le terme
de confiance mutuelle est tout simplement supprimé. Il semble certes plus logique de
favoriser la confiance pour atteindre la reconnaissance, laquelle ne sera effective que s’il
existe une confiance mutuelle entre les Etats membres. Or, seule l’effectivité de la confiance
mutuelle « pourra assurer la mise en œuvre concrète et effective du principe de
reconnaissance mutuelle parce qu’elle sera la garante de la participation active des acteurs du
système de justice pénale »107. Le problème réside dans le fait que, justement, tous les acteurs
de la justice pénale ne se font pas confiance entre eux, notamment car la confiance est plus
une affirmation politique qu’une réalité pratique.
La libre circulation des décisions répressives suppose une réelle confiance entre les
acteurs de la justice pénale. Il existe toutefois un décalage entre l’affirmation politique de la
confiance et « le degré réel de confiance existant entre les autorités répressives des Etats
membres », ce qui explique « les blocages dans la mise en œuvre effective du principe de
reconnaissance mutuelle »108. La politique affirme volontiers la confiance mutuelle entre les
Etats membres, mais cette affirmation est quelque peu détachée de la pratique. En effet,
comment attendre d’un juge français qu’il n’ait pas d’inquiétudes sur les décisions d’un
« lointain collègue, qu’il n’a jamais vu et ne verra sans doute jamais, qui statue dans un pays
105
D. FLORE, « La notion de confiance mutuelle : l'« alpha » ou l'« oméga » d'une justice pénale
européenne ? », in G. de KERCHOVE et A. WEYEMBERGH (éd.), La confiance mutuelle dans l'espace pénal
européen, Université de Bruxelles, IEE, 2005, p. 19.
106
D. FLORE, préc., p. 28.
107
D. FLORE, préc., p. 28.
108
D. CHILSTEIN, « Remarques sur le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale », in Le droit
pénal de l’Union européenne au lendemain du Traité de Lisbonne, p. 218.
qu’il ne connaît pas […], qui n’a peut-être pas le même statut que lui, ni la même
indépendance, applique un autre droit et parle une autre langue »109 ? Comment lui demander
de faire confiance à un juge étranger, alors qu’il peut arriver qu’un juge ait des doutes sur des
juges de son propre Etat, mais d’un autre ressort territorial par exemple ?
Le manque de confiance effective entre les Etats membres pourrait expliquer le paradoxe
entre l’adoption des instruments de reconnaissance mutuelle, relative rapide, et celle des lois
de transposition, très souvent au-delà des délais fixés. A titre d’exemple, la décision-cadre sur
le gel de biens a été adoptée en 2003, et le délai de transposition était fixé au mois d’août
2005, pourtant, fin octobre 2008, huit Etats membres ne l’avaient pas encore transposée, dont
l’Allemagne et l’Italie112. Puisque le nouvel instrument de coopération judiciaire pénale est la
directive, on pourrait penser qu’à l’avenir il y aura un décalage encore plus important entre
l’initiative et le vote d’une part, et la transposition effective d’autre part. En effet, comme les
mesures seront adoptées à la majorité qualifiée, non plus à l’unanimité, elles seront
probablement adoptées encore plus rapidement. On pourrait imaginer que, compte tenu du
désaccord de plusieurs Etats membres ayant voté « contre », la transposition tardera
davantage. C’est sans compter sur la possibilité d’un recours en manquement pour non
transposition des directives, qui, au contraire, accélèrera sûrement l’adoption des instruments
de coopération judiciaire en matière pénale.
109
D. FLORE, « La notion de confiance mutuelle : l'« alpha » ou l'« oméga » d'une justice pénale
européenne ? », in La confiance mutuelle dans l'espace pénal européen, G. de KERCHOVE et
A. WEYEMBERGH (éd.), Université de Bruxelles, IEE, 2005, p. 17
110
D. FLORE préc., p. 20
111
G. VENIMMEN, « La confiance mutuelle, un processus dynamique, un apprentissage et un facteur de
progrès », in La confiance mutuelle dans l’espace pénal européen, G. de KERCHOVE et A. WEYEMBERGH
(éd.), Université de Bruxelles, IEE, 2005, p. 205
112
Rapport de la Commission du 22 décembre 2008, fondé sur l'article 14 de la décision-cadre 2003/577/JAI du
Conseil du 22 juillet 2003 relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou
d'éléments de preuve, COM/2008/885 final.
processus de circulation des décisions de justice113. C’est le cas notamment du mandat d’arrêt
européen. Fondé sur les principes de reconnaissance et de confiance mutuelles, il devait
renforcer la lutte contre la criminalité transfrontalière. Mais son succès est tel qu’il pourrait
constituer une menace pour les droits de l’homme si les autorités y ont recours de manière
excessive114. En effet, la matière pénale a trait par définition aux libertés individuelles. Or le
principe de reconnaissance mutuelle a été posé dans le cadre du marché intérieur, et les
mécanismes de coopération judiciaire ont d’abord été pensés en matière civile et
commerciale. Ainsi, le principe de reconnaissance mutuelle n’est pas forcément adapté à la
spécificité de la matière pénale. Cette spécificité explique que les modèles de circulation des
décisions qui existent ne soient pas adaptés à l’espace de liberté, de sécurité et de justice que
l’Union entend créer.
Dans le début des années 1970, le Conseil de l’Europe avait déjà pris des conventions sur
la valeur des jugements répressifs et la transmission des poursuites. Mais ces conventions
s’inscrivaient dans une organisation internationale « classique », différente de la logique
d’intégration suivie par l’Union européenne. Ainsi, la reconnaissance dans le cadre du Conseil
de l’Europe s’apparente plus à une simple prise en considération de la décision étrangère.
L’objectif est de faire produire des effets juridiques à une décision répressive dans un système
imprégné des notions de souveraineté et de territorialité115. Or, la construction européenne est
fondée sur la notion d’espace commun, supposé de confiance, dans lequel la notion de
territorialité perd de son acuité. Ainsi, avant la consécration du principe de reconnaissance
mutuelle en matière pénale par le traité de Lisbonne, « l’étude des effets des jugements
répressifs des autres Etats membres [était] renvoyée aux solutions générales applicables aux
effets de n’importe quel jugement répressif étranger sans que leur origine européenne ne soit
capable de modifier ces effets »116 ; mais le principe de reconnaissance mutuelle en matière
pénale a remis en cause l’idée selon laquelle les Etats ne pouvaient pas se faire confiance en
matière de répression pénale. C’est pourquoi la construction européenne a rendu « presque
mécaniquement inadaptées les solutions traditionnelles du droit pénal international et plus
particulièrement l’ignorance des jugements répressifs étrangers dont le fondement se trouve
113
G. STESSENS, « The principle of mutual confidence between judicial authorities n the area of freedom,
justice and security », in G. de KERCHOVE et A. WEYEMBERGH (éd.), L’espace pénal européen, enjeux et
perspectives, Université de Bruxelles, IEE, 2002, p. 101.
114
Voir notamment les observations du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, T.
HAMMARBERG, sur son blog : http://commissioner.cws.coe.int/tiki-view_blog_post.php?postId=125
115
M. MASSE, « La reconnaissance mutuelle », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), Le droit
pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28,
Société de législation comparée, Paris, 2012, p. 206.
116
D. REBUT, « Les effets des jugements répressifs », in Les effets des jugements nationaux dans les autres
Etats membres de l’Union européenne, Colloque du 24 mars 2000, Université Jean Moulin Lyon 3, Centre
d’études européennes, Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 177.
dans l’idée de territorialité »117. Ainsi, si en droit pénal international l’exécution d’une
décision étrangère est soumise à la procédure d’exequatur, c’est-à-dire la procédure
d’obtention de la déclaration du caractère exécutoire des décisions étrangères118, en revanche
en droit de l’Union, la consécration du principe de reconnaissance mutuelle implique une
exécution directe des décisions étrangères. Le principe de reconnaissance mutuelle remet
donc en cause les modes de raisonnement traditionnels dominés par le principe de
territorialité119 et les rend inadaptés à la construction de l’espace pénal européen. Si le droit
pénal européen n’est pas fondé sur les mêmes principes que le droit pénal international, il ne
repose pas non plus sur ceux du droit international privé.
117
D. REBUT, « Les effets des jugements répressifs », préc. note 117, p. 180.
118
F. R. PAULINO PEREIRA, « La reconnaissance mutuelle dans le domaine de la coopération judiciaire dans
les matières civiles et commerciales », in G. de KERCHOVE et A. WEYEMBERGH (éd.), La reconnaissance
mutuelle des décisions judiciaires pénales dans l’Union européenne, Université de Bruxelles, IEE, 2001, p. 210.
119
D. CHILSTEIN, « Remarques sur le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale », in G.
GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité
de Lisbonne, coll. UMR de droit comparé de Paris, Volume 28, Société de législation comparée, Paris, 2012, p.
218.
120
Préambule de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (version consolidée du 26 Janvier 1998).
121
Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO L 12 du 16 janvier 2001.
122
Article 54 du règlement « Bruxelles I » du 22 décembre 2000.
123
Notamment lorsque celle-ci est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis ; lorsque
l’acte introductif d’instance n’a pas été notifié au défendeur en temps utile et de manière qu’il puisse se défendre
; ou encore lorsqu’une telle reconnaissance est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties
dans l’État membre requis, ou avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un
État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause.
124
Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, JO L 338 du 23
décembre 2003.
Le respect des droits fondamentaux est en effet une condition pour appartenir à l’Union
européenne, dont les membres sont également parties à la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme. Toutefois, « bien que tous les Etats membres soient parties
à la CEDH, l’expérience a montré que cette adhésion, à elle seule, ne permet pas toujours
d’assurer un degré de confiance suffisant dans les systèmes de justice pénale des autres États
membres ».128 Or c’est sur ce duo, la reconnaissance et la confiance mutuelles, que se joue le
futur de l’espace pénal européen129. Dans ce contexte, l’harmonisation des législations
nationales apparaît un facteur possible de confiance. En effet, devant l’équivalence du
système étranger, un Etat membre sera plus enclin à lui faire confiance. L’adoption de règles
minimales communes permettrait d’accroître la confiance des Etats membres dans leurs
systèmes de justice pénale, « ce qui devrait ainsi conduire à une coopération judiciaire plus
efficace dans un climat de confiance mutuelle ».130 La mise en œuvre du principe de
reconnaissance mutuelle passerait donc nécessairement par un rapprochement des législations
des Etats membres.
125
Règlement (CE) no4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la
reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, JO L 7 du 10
janvier 2009.
126
S. CLAVEL, « L’harmonisation des règles de compétence et des procédures de règlement des conflits
(exception de litispendance) », in JAULT-SESEKE, J. LELIEUR et C. PIGACHE (dir.) L’espace judiciaire
européen civil et pénal. Regards croisés, F, Actes du 25e colloque des Instituts d’études judiciaires organisé les
20 et 21 mars 2009 à l’Université de Rouen, coll. Thèmes & Commentaires, Dalloz, Paris, 2009, p. 45.
127
On parle de conflit de compétences positif lorsque plusieurs juridictions se reconnaissent compétentes pour
connaître d’une même infraction, et de conflit de compétences négatif lorsqu’au contraire aucun Etat n’est
compétent. Cette hypothèse est juridiquement peu fréquente, dans la mesure où il existe toujours un élément de
rattachement à un Etat, au titre d’une compétence territoriale, personnelle, réelle, ou encore universelle. En
revanche, en pratique, il peut arriver qu’aucune juridiction ne revendique sa compétence.
128
Directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures
pénales (2010/64/UE), JO L 280 du 26 octobre 2010, Considérant n°6.
129
I. JEGOUZO, « Le développement progressif du principe de reconnaissance mutuelle des décisions
judiciaires pénales dans l’Union européenne », in Le droit pénal de l’Union européenne, Revue internationale de
droit pénal, Vol. 77, Erès, 2007, p. 99.
130
Directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures
pénales (2010/64/UE), JO L 280 du 26 octobre 2010, Considérant n°9.
131
CJCE, 20 févr. 1979, aff. 120/78, Rewe-Zentral, Rec. p. 649.
132
Communication n°80/1003 de la Commission sur les suites de l'arrêt Cassis de Dijon, JO du 3 octobre 1980.
133
Notamment le Professeur Massé qui qualifie le principe de reconnaissance mutuelle de « concept simpliste »
par opposition au concept de l’harmonisation, sans lequel la reconnaissance mutuelle n’a pas d’avenir selon lui.
Voir M. MASSE, « Des figures asymétriques de l’internationalisation du droit pénal », Revue de science
criminelle, Octobre-décembre 2006, p. 757.
134
Article 10 §1 du protocole n°36 sur les dispositions transitoires : « A titre de mesure transitoire, en ce qui
concerne les actes de l’Union dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui ont
été adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, […] les attributions de la Commission en vertu de
l’article 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne seront pas applicables et les attributions
de la Cour de justice de l’Union européenne […] restent inchangées ».
135
Article 10 §2 du protocole n°36 sur les dispositions transitoires : « La modification d’un acte visé au
paragraphe 1 entraîne l’application […] des attributions des institutions visées audit paragraphe telles que
prévues par les traités ».
136
Article 10 §3 du protocole n°36 sur les dispositions transitoires : « En tout état de cause, la mesure transitoire
visée au paragraphe 1 cesse de produire ses effets cinq ans après la date d’entrée en vigueur du traité de
Lisbonne ».
137
Décision-cadre du 26 février 2009 sur les procédures in absentia (2009/299/JAI), JO L du 27 mars 2009.
138
Définition retenue par l’article 695-11 du code de procédure pénale (CPP).
139
Assemblée nationale, Rapport d’information du 29 juin 2011, déposé par la Commission des affaires
européennes, sur la création du Parquet européen.
140
Décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre les
Etats membres (2002/584/JAI), JOCE L 190 du 18 juillet 2002, p. 1-18.
141
Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 d’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Cette loi a été en
partie modifiée par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009.
142
Article 1 §1, Décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise
entre les Etats membres (2002/584/JAI), JOCE L 190, 18 juillet 2002, p. 1-18.
L’article 32 de la décision-cadre prévoit que les Etats membres peuvent faire une
déclaration indiquant qu’en tant qu’Etat membre d’exécution, ils traiteront selon la procédure
d’extradition les demandes formulées antérieurement au 1er janvier 2004, date d’entrée en
vigueur de la décision-cadre, et relatives à des faits commis à une date qu’ils fixent. Ainsi,
pour la France, les faits commis postérieurement au 1er novembre 1993 relèvent du
mécanisme du MAE. Cette date correspond à celle de l’entrée en vigueur du traité de
Maastricht. En revanche, lorsque la France est l’Etat d’émission et que l’Etat d’exécution n’a
pas formulé la déclaration prévue à l’article 32 de la décision-cadre, la date de commission
des faits n’a pas d’importance143. S’agissant de l’application de la loi du 9 mars 2004, dans la
mesure où il s’agit d’une loi de procédure, elle est d’application immédiate, y compris dans
ses dispositions aggravant le sort de la personne recherchée144.
Si la date de commission des faits est importante, en revanche leur matérialité ne concerne
que l’autorité judiciaire d’émission, non celle d’exécution. La chambre criminelle a ainsi pu
juger que la chambre de l’instruction doit se référer à l’appréciation du juge d’émission145.
Les faits doivent toutefois être décrits de manière suffisante et accompagnés de pièces. Si la
chambre de l’instruction ne peut refuser la remise pour ce seul motif, elle doit demander des
informations complémentaires à l’autorité judiciaire étrangère146. De plus, s’agissant de la
qualification des faits, « l’exécution d’un mandat d’arrêt européen est […] refusée si le fait
faisant l’objet dudit mandat d’arrêt ne constitue pas une infraction au regard de la loi
française »147. Cette exigence de double incrimination, classique en droit extraditionnel, est
supprimée pour trente-deux infractions énumérées à l’article 2 §2 de la décision-cadre. Cette
liste d’infractions est reprise à l’article 695-23 du CPP, dont le dernier alinéa dispose que dans
une telle hypothèse « la qualification juridique des faits et la détermination de la peine
encourue relèvent de l’appréciation exclusive de l’autorité judiciaire de l’Etat membre
d’émission ». La chambre criminelle a néanmoins jugé que l’exécution du MAE pouvait être
refusée en cas d’« inéquation manifeste entre les faits et la qualification retenue »148. Aux
termes de l’article 2 §1 de la décision-cadre, le mandat d’arrêt européen ne peut être émis aux
fins de poursuites que si les faits sont punis d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives
de liberté pour une durée d’au moins douze mois, et, aux fins d’exécution, que lorsqu'une
condamnation à une peine ou à une mesure de sûreté d'une durée d'au moins quatre mois a été
prononcée. L’article 695-12 du CPP reprend ces conditions relatives aux peines. Quant aux
trente-deux infractions non soumises à l’exigence de double incrimination, l’article 2 §2 de la
décision-cadre, repris à l’article 695-23 du CPP, la peine ou la mesure de sûreté privatives de
liberté, encourues ou prononcées, doivent être d’un maximum d’au moins trois ans. Avant
l’émission d’un mandat d’arrêt européen, les autorités judiciaires peuvent avoir besoin
d’obtenir des preuves qui se trouvent sur le territoire d’un autre Etat membre. Les instruments
de la phase pré-sentencielle permettent cette entraide judiciaire.
143
Crim, 13 mai 2009, BC n°94.
144
Crim, 5 août 2004, BC n°186 ; Crim, 24 novembre 2004, BC n°293.
145
Crim, 19 avril 2005, BC n°136.
146
Crim, 27 juin 2007, BC n°182.
147
Article 695-23 al. 1 du CPP.
148
Crim, 21 novembre 2007, BC n°291. En l’espèce, la chambre criminelle a censuré l’arrêt de la chambre de
l’instruction faute d’inadéquation manifeste.
149
Acte du Conseil du 29 mai 2000 établissant, conformément à l’article 34 du traité sur l’Union européenne, la
convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, JO
C 197 du 12 juillet 2000.
150
Décision-cadre du 22 juillet 2003 relative à l’exécution dans l’Union européenne des décisions de gel de
biens ou d’éléments de preuve (2003/577/JAI), JOCE L 196, 2 août 2003, p. 45-55.
151
Site de la Commission européenne, Synthèse de la législation de l’UE, « Exécution des décisions de gel des
biens ou des preuves ».
152
Décision-cadre 2003/577/JAI, préc., Article 2 c).
153
Décision-cadre 2003/577/JAI, préc., Article 2 d).
154
Loi n°2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le
domaine de la justice, version consolidée au 6 juillet 2005.
Dans le but d’améliorer l’obtention des preuves, le Conseil a adopté en décembre 2008,
sur une proposition de la Commission datant de 2003156, une décision-cadre relative au
mandat européen d’obtention de preuves (MOP)157. Le MOP permet de recueillir des objets,
des documents et des données, en vue de leur utilisation dans des procédures pénales. La
décision-cadre n’étend toutefois le principe de reconnaissance mutuelle qu’aux documents et
informations qui « sont déjà en la possession de l’autorité d’exécution avant l’émission du
mandat »158, c’est-à-dire les objets déjà collectés par les autorités de l’Etat d’exécution.
L’émission d’un MOP ne permet pas la collecte en elle-même des éléments de preuve, ce qui
exclut les demandes visant à conduire des interrogatoires ou des auditions de témoins ou
experts. L’obtention de preuves reste donc en grande partie régie par l’entraide judiciaire. Par
ailleurs, la décision-cadre n’est qu’une application modérée de la reconnaissance mutuelle. A
titre d’exemple, l’autorité d’émission doit vérifier que ces documents demandés « pourraient
être obtenus en vertu du droit de l’Etat d’émission dans le cadre d’une procédure comparable
s’ils étaient disponibles sur le territoire de l’Etat démission »159. Cela évite que les Etats
membres n’utilisent le MOP pour obtenir des preuves inaccessibles en vertu de leur droit
national. De plus, l’autorité d’exécution peut refuser de procéder à une perquisition ou saisie
« si l’autorité d’émission n’est pas un juge, une juridiction, un magistrat instructeur, ou un
procureur, et si le mandat européen d’obtention de preuves n’a pas été validé par une de ces
autorités dans l’Etat d’émission »160.
Face aux difficultés liées à la fragmentation et à la complexité du cadre juridique qui régit
actuellement l’obtention des preuves en matière pénale161, une proposition de directive a été
formulée concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale162. Le programme de
Stockholm, présenté le 16 octobre 2009 par la Présidence de l’Union européenne, mettait en
effet en avant la nécessité d’un système global d’obtention de preuves dans des affaires
revêtant une dimension transfrontière, sur le fondement du principe de reconnaissance
155
Circulaires de la direction des affaires criminelles et des grâces, « Présentation des dispositions du code de
procédure pénale relatives au gel de biens ou d’éléments de preuve résultant de la loi n°2005-750 du 4 juillet
2005 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine de la justice », Bulletin
officiel du Ministère de la Justice, n°99, 10 août 2005.
156
Proposition de décision-cadre du Conseil présentée par la Commission, relative au mandat européen
d'obtention de preuves tendant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation
dans le cadre de procédures pénales, 14 novembre 2003, COM(2003) 688 final.
157
Décision-cadre du 18 décembre 2008 relative au mandat européen d’obtention de preuves visant à recueillir
des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation dans le cadre de procédures pénales
(2008/978/JAI), JO L 350 du 30 décembre 2008.
158
Article 4 §4 de la décision-cadre 2008/978/JAI préc.
159
Article 7 §1 b) de la décision- cadre 2008/978/JAI préc.
160
Article 11 §4 de la décision- cadre 2008/978/JAI préc.
161
S. MANACORDA, « Le droit pénal sous Lisbonne : vers un meilleur équilibre entre liberté, sécurité et
justice ? », Revue de science criminelle, 2011, p. 945.
162
Initiative de la Belgique, la Bulgarie, l’Estonie, l’Espagne, l’Autriche, la Slovénie et la Suède du 29 avril
2010 en vue d’une directive du Parlement européen et du Conseil concernant la décision d’enquête européenne
en matière pénale, JO C 165 du 24 juin 2010.
mutuelle163. A l’heure actuelle, pour obtenir des preuves auprès d’autres Etats membres, les
autorités judiciaires doivent recourir à deux systèmes différents, la reconnaissance mutuelle
d’une part, et l’entraide judiciaire d’autre part. Elles utilisent la reconnaissance mutuelle dans
le cadre limité par les deux décisions-cadre précédemment mentionnées. Pour toutes les autres
hypothèses, qui ne relèvent ni d’une décision de gel, ni d’un élément de preuve déjà détenu
par l’Etat membre d’exécution, les autorités judiciaires utilisent l’entraide judiciaire. Cette
solution complexe n’est pas satisfaisante dans la mesure où l’objectif même du principe de
reconnaissance mutuelle est de simplifier et d’accélérer le travail des autorités judiciaires. La
Commission admet que cette coexistence d’instruments « complique l’application des règles
et peut semer une certaine confusion chez les praticiens »164. Il arrive également qu’ils
n’utilisent pas l’instrument le plus adapté aux preuves recherchées, ce qui peut faire obstacle à
l’efficacité de la coopération judiciaire. C’est pourquoi la directive relative à l’enquête
européenne en matière pénale a vocation à remplacer les décisions-cadre relatives aux
décisions de gel et au mandat européen d’obtention de preuves, qui ne couvrent que certains
types de preuves et prévoient de nombreux motifs de refus d’exécution.
La décision d’enquête européenne serait applicable à tous les types d’éléments de preuve,
et couvrirait ainsi les déclarations de suspects ou de témoins, ou les informations obtenues à
partir des comptes bancaires ou de l’interception des communications. La décision d’enquête
européenne serait émise à la fois pour faire réaliser une enquête spécifique dans l’Etat
d’exécution pour obtenir des preuves, et pour obtenir des preuves déjà en possession de l’Etat
d’exécution. L’article 8 §3 de la proposition de directive dispose ainsi que l’autorité
d’émission puisse « demander qu’une ou plusieurs autorités de l’Etat démission participent à
l’exécution de la décision d’enquête européenne afin d’apporter un appui aux autorités
compétentes de l’Etat d’exécution ». La proposition prévoit des dispositions particulières en
matière d’audition par vidéo et téléconférence (art. 21 et 22), d’informations relatives aux
comptes et transactions bancaires (art. 23 à 25), et de livraisons surveillées (art. 26).
Les instruments déjà existants en matière d’obtention de preuves visent à éviter que des
preuves soient considérées irrecevables ou d’une force probante réduite, en raison de la façon
dont elles ont été recueillies dans un autre Etat membre. Ces instruments ne traitent toutefois
le problème que de manière indirecte, puisqu’ils ne fixent pas de règles communes pour la
collecte des preuves. C’est pourquoi l’obtention des preuves en matière pénale ne fonctionne
efficacement qu’entre les Etats membres qui ont des normes semblables en matière de
collecte des preuves165. La proposition de directive se limite toutefois à définir des principes
généraux de reconnaissance et d’exécution166, plutôt qu’à fixer des règles communes précises.
163
Y. JEANCLOS, La justice pénale en France. Dimension historique et européenne, Méthodes du Droit,
Dalloz, Paris, 2011, p. 147.
164
Communication de la commission du 11 novembre 2009, Livre vert relatif à l’obtention de preuves en
matière pénale d’un Etat membre à l’autre et à la garantie de leur recevabilité, COM(2009) 624 final, § 4.1.
165
Communication de la commission du 11 novembre 2009, préc., § 4.2.
166
Article 8 §1 de la proposition de directive préc. : « L’autorité d’exécution reconnaît toute décision d’enquête
européenne […], sans qu’aucune autre formalité ne soit requise, et prend sans délai les mesures nécessaires pour
qu’elle soit exécutée de la même manière et suivants les mêmes modalités que si la mesure d’enquête concernée
avait été ordonnée par une autorité de l’Etat d’exécution […] ».
167
Décision-cadre du 23 octobre 2009 concernant l’application, entre les Etats membres de l’Union européenne,
du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternative à
la détention provisoire (2009/829/JAI), JO L 294 du 11 novembre 2009.
168
Décision-cadre du 24 février 2005 concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux
sanctions pécuniaires (2005/214/JAI), JO L 76 du 22 mars 2005, modifiée par la décision-cadre du 26 février
2009 portant modification des décisions-cadres 2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et
2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de
reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès
(2009/299/JAI), JO L 81 du 27 mars 2009.
2) La confiscation
169
Décision-cadre du 6 octobre 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux
décisions de confiscation (2006/783/JAI), JO L 328 du 24 novembre 2006.
170
Décision-cadre du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur
exécution dans l’Union européenne (2008/909/JAI), JO L 327 du 5 décembre 2008.
171
A. WEYEMBERGH, Reconnaissance mutuelle en matière pénale dans l’Union européenne, JurisClasseur
Europe Traité, Fasc. 2720, mai 2009, §90.
172
Les étudiants du Master 2 Droit pénal de l’Université de Bordeaux IV, « L’exécution des peines dans un autre
Etat membre de l’Union européenne », Droit pénal, n° 9, Septembre 2010, étude 23, §24.
173
Article 4 §4 de la décision-cadre 2008/909/JAI préc.
décision-cadre prévoit néanmoins que le condamné puisse exécuter sa peine dans un Etat
membre dont il n’a pas la nationalité ; mais cette possibilité est soumise aux consentements
des deux Etats membres, tandis que « celui du condamné n’est même pas exigé »174.
174
Les étudiants du Master 2 Droit pénal de l’Université de Bordeaux IV, préc. note 172, §25.
175
Décision-cadre du 24 juillet 2008 relative à la prise en compte des décisions de condamnation entre les Etats
membres de l’Union européenne à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale (2008/675/JAI), JO L du 15 août
2008.
176
Article 1er §1 de la décision-cadre 2008/675/JAI préc. : « La présente décision-cadre a pour objet de
déterminer les conditions dans lesquelles, à l’occasion d’une procédure pénale engagée dans un Etat membre à
l’encontre d’une personne, les condamnations antérieures prononcées à l’égard de cette même personne dans un
autre Etat membre pour des faits différents sont prises en compte ».
177
Décision-cadre du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de
substitution (2008/947/JAI), JO L 337 du 16 décembre 2008.
178
Recommandation CM/Rec (2010)1 du comité des ministres aux Etats membres sur les règles du Conseil de
l'Europe relatives à la probation.
par exemple les peines restrictives de liberté assorties d'obligations particulières et mesures de
contrôle, les condamnations assorties du sursis avec mise à l’épreuve ou les décisions
accordant la libération conditionnelle. Sont exclues les travaux d’intérêt général, les peines
privatives de liberté, les amendes et les peines restrictives de droit179. Cette décision-cadre
vise à remplacer la convention du Conseil de l’Europe du 30 novembre 1964 sur la
surveillance des personnes condamnées ou libérées sous conditions. Cette convention n’avait
en effet été ratifiée que par un nombre restreint d’Etats membres. Comme la décision-cadre
relative à l’exécution des peines ou des mesures privatives de liberté, l’objectif inavoué de la
décision-cadre relative aux mesures de probation est de « soulager les finances publiques de
l'État d'émission en lui permettant de se débarrasser d'étrangers perçus comme surchargeant
ses services »180. Le considérant n°8 de la décision renvoie toutefois aux « chances de
réinsertion sociale de la personne condamnée en lui donnant la possibilité de conserver ses
liens familiaux, linguistiques, culturels ». L’article 1er §1 quant à lui présente l’objectif de la
décision comme celui de « faciliter la réhabilitation sociale des personnes condamnées, [d’]
améliorer la protection des victimes et de la société en général, et [de] faciliter l’application
de mesures de probation et de peines de substitution appropriées lorsque l’auteur de
l’infraction ne vit pas dans l’Etat de condamnation ». Contrairement à la décision sur la
reconnaissance mutuelle des peines et des mesures privatives de liberté, la décision sur la
surveillance des personnes condamnées ou libérées sous conditions ne permet pas d’imposer
le « transfert » vers l'Etat d'exécution, contre la volonté du probationnaire.
On peut donc recenser neuf instruments de reconnaissance mutuelle adoptés par les
institutions en treize ans, entre le Conseil européen de Tampere et l’entrée en vigueur du traité
de Lisbonne. Pour certains, cela est jugé décevant par rapport au programme ambitieux de
mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle, publié en 2001181.
Cela nous semble au contraire raisonnable. En effet, à notre sens, l’effectivité de la
reconnaissance mutuelle passe non pas par la multiplication des instruments d’harmonisation,
mais par une confiance accrue entre les autorités judiciaires des Etats membres. Ainsi, plus
que le rapprochement des législations que les instruments de reconnaissance mutuelle
impliquent, ce sont les principes communs qui ont été adoptés par ces décisions qui
permettent de rendre la reconnaissance mutuelle réelle. On dira donc que l’adoption de ces
instruments d’harmonisation permet d’accélérer l’effectivité de la reconnaissance mutuelle, et
se présente ainsi comme une réponse aux limites de la reconnaissance mutuelle.
179
M. HERZOG-EVANS, « Union européenne : la circulation des mesures de « probation » », AJ Pénal, 2011,
p. 451.
180
M. HERZOG-EVANS, préc., p. 453.
181
L. DESESSARD, « Discussion », in Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de
Lisbonne, G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), coll. UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28,
Société de législation comparée, Paris, 2012, p. 226.
182
En matière d’extradition, le gouvernement peut, en cas d’avis positif de la chambre de l’instruction, refuser
l’extradition de façon discrétionnaire (art. 696-17 et 696-18 du CPP). En matière de MAE, l’article 696-31 al. et
2 du CPP dispose : « Lorsque l’arrêt de la chambre de l’instruction accorde l’extradition de la personne
réclamée et qe cet arrêt est définitif, le procureur général en avise le ministre de la justice […]. Le ministre de la
justice prend les mesures nécessaires afin que l’intéressé soit remis aux autorités de l’Etat requérant […] ».
Contrairement à l’extradition, cette formulation ne permet pas au gouvernement de s’opposer à la remise si la
chambre de l’instruction a rendu une décision l’autorisant.
183
I. JEGOUZO, préc. note 130, p. 99.
184
Programme de Stockholm, §3.1.1.
185
Voir des applications : Crim, 5 octobre 2004, BC n°232 ; Crim, 1er février 2005, BC n°36.
2) Un abandon partiel
186
R. ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, LGDJ, Bruylant, 3e éd.,
2009, p. 530.
187
A. HUET et R. KOERING-JOULIN, Droit pénal international, coll. Thémis Droit privé, PUF, 2e éd., 2001,
n°243, p. 347.
188
V. MALABAT, « Observations sur la nature du mandat d’arrêt européen », Droit pénal, n°12, Décembre
2004, étude 17.
189
J. FRIEBERGER, « Mutual recognition of final decisions and dual criminality », in G. de KERCHOVE et A.
WEYEMBERGH (éd.), La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires pénales dans l’Union européenne,
Université de Bruxelles, IEE, 2001, p. 162 : « if one state is to accept the decisions of another state, without
calling them into question in any way, there is no longer a place for the dual criminality requirement ».
Pour toutes les infractions ne figurant pas dans la liste, le défaut de double incrimination
est un motif facultatif de refus d’exécution. L’article 2 §4 de la décision-cadre sur le MAE
prévoit ainsi que « la remise peut être subordonnée à la condition que les faits pour lesquels le
mandat d'arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard du droit de l'État
membre d'exécution ». Dans sa transposition, le législateur français a adopté une position
beaucoup plus restrictive. En effet, l’article 695-23 du CPP dispose : « l’exécution du mandat
d’arrêt européen est également refusée si le fait faisant l’objet dudit mandat ne constitue pas
une infraction au regard de la loi française ». En France, le défaut de double incrimination est
donc un motif de refus obligatoire d’exécution du MAE, alors que d’autres Etats membres,
comme l’Espagne, ont suivi plus scrupuleusement la lettre de la décision-cadre191. De telles
solutions disparates contredisent la nature même des instruments de mise en œuvre de la
reconnaissance mutuelle, qui visent justement l’harmonisation des législations.
Outre le fait qu’il s’agisse d’un abandon seulement partiel de l’exigence de double
incrimination, on peut penser que, justement pour ces infractions considérées comme les plus
graves, la condition de double incrimination n’aurait pas posé de problème. En effet, les faits
visés sont en réalité déjà incriminés dans tous les Etats membres. L’abandon de la condition
de double incrimination pour ces infractions n’est donc pas réellement un signe de confiance
mutuelle, mais plutôt un symbole. Certains soulignent toutefois le fait que cette suppression
présente un intérêt considérable par le gain de temps qu’elle représente, dans l’exécution du
MAE notamment, car « le juge de l’Etat d’exécution n’[a] plus à vérifier cette double
incrimination avec les difficultés qu’elle engendre classiquement »192.
190
Voir notamment l’article 14 §4 de la décision-cadre 2009/829/JAI, préc.
191
V. MALABAT, « Observations sur la nature du mandat d’arrêt européen », Droit pénal, n°12, Décembre
2004, étude 17.
192
V. MALABAT, « Observations sur la nature du mandat d’arrêt européen », Droit pénal, n°12, Décembre
2004, étude 17.
Les motifs de refus les plus larges ont laissé place à des hypothèses de refus plus limitées.
A titre d’exemple, on peut citer la convention européenne pour la surveillance des personnes
condamnées ou libérées sous conditions, dont l’article 7 §2 d) permettait de refuser
l’exécution d’une décision étrangère, en raison d’une incompatibilité de la condamnation avec
les principes qui présidant à l’application de son droit pénal. Le champ de ce motif est très
étendu, et peut couvrir de nombreuses hypothèses de refus des Etats. Dans le cadre de
l’Union, au contraire, le champ des motifs de refus sont limités. Certes, des refus d’exécution
demeurent, et l’on peut avancer l’idée selon laquelle une coopération « pure et parfaite »
n’envisagerait pas de motifs de refus, mais serait au contraire automatique. Cela ne paraît
toutefois pas envisageable, par manque de consensus193 et de confiance réelle. C’est pourquoi
l’Union n’a abandonné que le refus d’exécution fondé sur la nationalité (1), conservant des
motifs de refus obligatoires et facultatifs, laissant la place pour des démonstrations de
souveraineté nationale (2).
Le refus d’extrader les nationaux est une règle générale en droit pénal international. Elle
est présente dans de nombreux traités bilatéraux d’extradition, et reprise en droit français à
l’article 696-2 du CPP, selon lequel « le gouvernement français peut remettre, sur leur
demande, aux gouvernements étrangers, toute personne n’ayant pas la nationalité française
[…] ». Cette règle trouve sa justification d’une part dans la compétence personnelle active des
juridictions nationales, qui leur permet de juger des nationaux poursuivis pour des infractions
commises à l’étranger, et d’autre part dans la défiance qu’ont les Etats à l’égard des
juridictions étrangères. Une telle défiance n’est pas compatible avec la volonté de créer un
espace de liberté, de sécurité et de justice ; c’est pourquoi un tel motif de refus d’exécution est
abandonné dans les instruments de mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle. La
convention relative à l’extradition entre les Etats membres de l’UE écartait d’ailleurs déjà le
refus d’extradition fondé sur la nationalité, mais la France ne l’a jamais ratifiée194.
Pour illustrer notre propos, on peut utiliser la décision-cadre sur le MAE. La condition de
nationalité n’apparaît ni dans les motifs de refus obligatoires, ni dans les motifs de refus
facultatifs, ce qui exclut implicitement la nationalité des motifs de refus. On peut déduire
également l’abandon de la nationalité comme motif de refus de l’article 5 §3 de la décision-
193
A titre l’exemple, la responsabilité pénale des mineurs est reconnue dans certains Etats membres, et non dans
d’autres.
194
Acte du Conseil du 27 septembre 1996 établissant la convention relative à l'extradition entre les États
membres de l'Union européenne, JO C 313 du 23 novembre 1996, Article 7 : « L'extradition ne peut être refusée
au motif que la personne qui fait l'objet de la demande d'extradition est un ressortissant de l'État membre requis
au sens de l'article 6 de la convention européenne d'extradition ».
cadre, selon lequel « lorsque la personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen aux fins
de poursuite est ressortissante ou résidente de l'État membre d'exécution, la remise peut être
subordonnée à la condition que la personne, après avoir été entendue, soit renvoyée dans
l'État membre d'exécution afin d'y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté
qui serait prononcée à son encontre dans l'État membre d'émission ». L’exécution du MAE
aux fins de poursuite peut donc être refusée si les autorités de l’Etat d’exécution s’engagent à
faire exécuter la sanction prononcée par l’Etat d’émission. Cette disposition vise à favoriser
notamment la réinsertion du délinquant. A cet égard, le droit français est plus restrictif car il
ne prévoit cette possibilité que pour ses nationaux, non pour les résidents195. En tout état de
cause, dans cette situation, si le mandat d’arrêt n’est pas exécuté en tant que tel, la décision
pénale étrangère est quand même reconnue, puisque l’Etat d’exécution s’engage à faire
exécuter la peine prononcée dans l’Etat d’émission. Finalement, cette hypothèse ne contredit
pas le principe de reconnaissance mutuelle, mais le conforte au contraire puisque le refus
d’exécution est subordonné à l’engagement de l’autorité d’exécution d’appliquer la peine
prononcée par une juridiction étrangère.
195
Article 695-24 du CPP : « L’exécution du mandat d’arrêt européen peut être refusée : […] 2° Si la personne
recherchée pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté est de nationalité
française et que les autorités françaises compétentes s’engagent à faire procéder à cette exécution ».
196
S. PETIT-LECLAIR, « La mise en œuvre du mandat d’arrêt européen », in L’espace judiciaire européen civil
et pénal. Regards croisés, F. JAULT-SESEKE, J. LELIEUR et C. PIGACHE (dir.), Actes du 25e colloque des
Instituts d’études judiciaires organisé les 20 et 21 mars 2009 à l’Université de Rouen, coll. Thèmes &
Commentaires, Dalloz, 2009, p. 105.
197
L’article 3§2 de la décision-cadre ajoute : « à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été subie ou
soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse être exécutée selon les lois de l’Etat membre de
condamnation ».
française198. Constitue en droit français une cinquième cause de refus obligatoire ce que le
droit extraditionnel appelle « la « clause française ». Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le
« mandat d’arrêt a été émis dans le but de poursuivre ou de condamner une personne en raison
de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue,
de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou s’il peut être porté atteinte à la
situation de cette personne pour l’une de ces raisons »199. En réalité, cette disposition du code
de procédure pénale ne renvoie ni à une cause de refus obligatoire, ni à une cause de refus
facultatif de la décision-cadre, mais à son considérant 12, selon lequel « rien dans la présente
décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une
personne […] s’il y a des raisons de croire […] que ledit mandat a été émis dans le but de
poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion [...] ».
198
Crim., 18 mai 2010, pourvoi n°10-82.978.
199
Article 695-22, 5° du CPP.
200
G. TAUPIAC-NOUVEL, « La garantie des droits fondamentaux dans la mise en œuvre des instruments de
coopération judiciaire pénale européenne », Droit pénal, n°9, Septembre 2010, étude 22, §11.
201
G. TAUPIAC-NOUVEL, préc.
personne, tels que garantis par la Convention EDH et par la Charte des droits fondamentaux
de l’Union. Certes, la violation des droits fondamentaux ne fait pas partie de la liste des
motifs de refus d’exécution des instruments d’harmonisation. Toutefois, indirectement, la
garantie des droits fondamentaux peut limiter l’exécution automatique des décisions
étrangères (1). La reconnaissance mutuelle n’est alors certes plus entière, mais elle est plus
respectueuse des droits fondamentaux. La jurisprudence de la Cour de cassation témoigne
d’une possibilité de contrôle de la part de l’autorité d’exécution, en particulier en matière de
droit au respect de la vie privée et familiale (2).
Pour illustrer ce propos, on utilisera la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen. Son
article 3 §1 prévoit que la décision-cadre « ne saurait avoir pour effet de modifier l'obligation
de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu'ils sont
consacrés par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ». Ledit article 6 dispose que
« l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits
fondamentaux […] laquelle a la même valeur juridique que les traités ». Par ailleurs, le
considérant n°13 de la décision-cadre énonce que « nul ne devrait être éloigné, expulsé ou
extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la
torture ou à d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Cette considération
laisse donc penser que l’exécution d’un mandat d’arrêt européen pourrait être refusée sur le
fondement de l’article 3 de la Convention EDH. Enfin, l’article 23 §4 prévoit un sursis
temporaire à l’exécution de la remise « pour des raisons humanitaires sérieuses, par exemple
lorsqu'il y a des raisons valables de penser qu'elle mettrait manifestement en danger la vie ou
la santé de la personne recherchée ». En droit français, l’article 695-38 du CPP vise une
remise « susceptible d’avoir […] des conséquences graves en raison notamment de son âge ou
de son état de santé ». L’adverbe « notamment » laisse la place à d’autres motifs de refus.
Ainsi, dans un arrêt du 25 novembre 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation a
censuré le refus de surseoir à statuer à la remise d’une personne recherchée pour l’exécution
d’une détention provisoire de trois mois, alors qu’elle élevait un enfant de six ans gravement
handicapé202. La Cour de cassation reconnaît donc le droit au respect à la vie privée et
familiale, garanti par l’article 8 de la Convention EDH, comme un motif de sursis à statuer.
Si l’autorité judiciaire d’exécution n’a pas de droit de regard sur le droit pénal de l’Etat
d’émission203, elle peut toutefois contrôler l’adéquation d’une peine par rapport au principe de
proportionnalité, affirmé par l’article 5 §4 du TUE.
On l’a dit, la Cour de cassation voit dans le droit au respect de la vie privée et familiale un
motif de sursis à l’exécution du MAE. Mais la chambre criminelle est également souvent
saisie sur le fondement de ce droit de contestations de l’exécution même du mandat d’arrêt.
En matière d’extradition, le Conseil d’Etat a pu juger, en matière d’extradition, que « si le
décret d’extradition […] est susceptible de porter atteinte au droit de l’intéressé au respect de
sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de procédure
202
Crim, 25 novembre 2009, pourvoi n°09-87.072.
203
La Cour de cassation a ainsi écarté le moyen pris du « caractère manifestement excessif au regard des règles
communes européennes » d’une peine de quatre ans d’emprisonnement ferme prononcée par une juridiction
roumaine pour un vol aggravé par la circonstance de commission dans un lieu public (Crim, 29 octobre 2008,
pourvoi n°08-86.741).
d’extradition qui est de permettre, dans l’intérêt de l’ordre public et sous les conditions fixées
par les dispositions qui la régissent, notamment l’exécution de peines prononcées par des
autorités judiciaires étrangères à raison de crimes ou de délits204. Ainsi, une personne qui a
fait l’objet d’une condamnation dans un pays et s’enfuit dans un autre ne peut pas mettre en
avant la construction d’une nouvelle vie familiale pour échapper à son exécution. La chambre
criminelle suit donc, en matière de MAE, la jurisprudence du Conseil d’Etat rendue en
matière d’extradition. Toutefois, certains arrêts récents laissent penser à un fléchissement de
la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt du 12 mai 2010, la chambre criminelle a censuré
une décision autorisant la remise à une autorité allemande d’une Serbe installée en France
depuis plusieurs années, titulaire d’un titre de séjour et mère de cinq enfants scolarisés en
France. Cette personne avait en effet fait l’objet d’une condamnation à sept mois
d’emprisonnement ferme pour le vol d’un porte-monnaie contenant quarante euros. La Cour
de cassation semble vouloir admettre de nouvelles causes de refus d’exécution, en dehors de
celles prévues par les instruments de reconnaissance mutuelle et les lois de transposition. Cela
peut paraître surprenant dans la mesure où le droit au respect de la vie privée n’est même pas
une cause de refus d’extradition205, et pourtant il se présente dans cet arrêt comme une cause
de refus d’exécution d’un MAE. On aurait pu imaginer le contraire s’agissant d’un instrument
de coopération pénale plus abouti que l’extradition.
Avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la base juridique pour l’adoption de mesures
relatives à la procédure pénale était incertaine. C’est pourquoi elle s’est limitée à une
décision-cadre du 15 mars 2001 relative au statut des victimes, dont la portée juridique était
en pratique peu contraignante. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 82
§2 donne explicitement compétence en matière de procédure pénale. L’Union a plutôt
favorisé le rapprochement des droits procéduraux, et ce conformément au programme de
Stockholm.
210
Programme de Stockholm, JO C 115 du 4 mai 2010, §2.4 « Les droits de la personne dans le cadre des
procédures pénales ».
211
Résolution du Conseil du 30 novembre 2009 relative à la feuille de route visant à renforcer les droits
procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, JO C 295 du 4
décembre 2009.
212
Article 1 §2 de la directive 2010/64/UE préc. et article 2 §1 de la directive 2012/13/UE.
213
Art. 70 al. 1 et art. 77-4 du CPP.
214
Art. 122 du CPP.
215
Art. 388 du CPP pour le tribunal correctionnel et 531 pour le tribunal de police.
216
Elles peuvent notamment faire l’objet d’un rappel à la loi, d’un classement sous condition ou d’une médiation
pénale (art. 41-1 CPP), ou encore d’une composition pénale (art. 41-2 CPP).
personnes auxquelles sont imposées des prélèvements externes au titre de l’article 55-1 du
code de procédure pénale ; et enfin les personnes auxquelles est proposée une comparution
sur reconnaissance préalable de culpabilité au titre de l’art. 495-8 du CPP.
La directive prend soin de préciser, dans son considérant n°14, que ne sont pas visées les
infractions mineures, qui relèvent de la compétence d’une autorité autre qu’une juridiction
répressive. C’est le cas notamment en matière d’infractions au code de la route. Dans une telle
situation, la directive reconnaît qu’« il serait excessif d’exiger de l’autorité compétente qu’elle
garantisse l’ensemble des droits prévus au titre de la présente directive »223. Il est précisé que,
lorsque le droit national prévoit pour ces infractions mineures l’imposition d’une sanction par
une autorité autre qu’une juridique pénale, et un recours possible devant une juridiction
compétente en matière pénale, la directive s’applique uniquement à la procédure de recours
devant la juridiction répressive. Ainsi, en France, le droit à l’interprétation et à la traduction
ne s’impose qu’en cas de contestation devant le tribunal de proximité, pour les contraventions
des quatre premières classes.
217
Site de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/languages/languages-of-europe/eu-languages_fr.htm
218
P. BEAUVAIS, « Procédure pénale : droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures
pénales », Revue trimestrielle de droit européen, 2011, p. 642.
219
Directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures
pénales (2010/64/UE), JO L 280 du 26 octobre 2010.
220
Article 1 §1 de la directive 2010/64/UE préc. : « La présente directive définit des règles concernant le droit à
l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives à l’exécution
d’un mandat d’arrêt européen ».
221
S. MONJEAN-DECAUDIN, « La traduction du droit dans la procédure judiciaire. Contribution à l’étude de
la linguistique juridique », thèse pour le doctorat en droit, soutenue à L’université de Paris Ouest Nanterre La
Défense, le 30 septembre 2010.
222
Considérant 14 de la directive 2010/64/UE préc : « Le droit à l’interprétation et à la traduction, accordé aux
personnes qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure, est consacré à l’article 6 de la
CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La présente directive
facilite l’exercice de ce droit dans la pratique. À cet effet, elle entend garantir le droit des suspects ou des
personnes poursuivies à bénéficier de services d’interprétation et de traduction dans le cadre des procédures
pénales afin de garantir leur droit à un procès équitable ».
223
Directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures
pénales (2010/64/UE), JO L 280 du 26 octobre 2010, Considérant 16.
parole224. L’assistance est apportée au cours des interrogatoires menés par la police et pendant
toutes les audiences. La directive précise que l’assistance linguistique s’étend aux
communications entre les personnes mises en cause et leur conseil juridique « ayant un lien
direct avec tout interrogatoire ou toute audience pendant la procédure ». Les Etats membres
ont également l’obligation de mettre en place « une procédure ou […] un mécanisme
permettant de vérifier si les suspects ou les personnes poursuivies parlent et comprennent la
langue de la procédure pénale et s’ils ont besoin de l’assistance d’un interprète », ainsi qu’un
recours permettant « de contester la décision concluant qu’une interprétation n’est pas
nécessaire ». Les Etats doivent même offrir la « possibilité de se plaindre de ce que la qualité
de l’interprétation est insuffisante pour garantir le caractère équitable de la procédure ».
L’Union ne se contente pas d’affirmer ce droit, elle oblige les Etats à prendre des mesures
concrètes. Un interprète doit donc traduire en direct les questions des autorités policières et
judiciaires et les réponses de la personne poursuivie, et cette traduction doit être de qualité. En
effet, seule une telle traduction orale permettra au droit à l’interprétation d’être effectif.
Le droit à la traduction écrite doit s’exercer dans un délai raisonnable, et porte sur tous les
documents essentiels pour permettre aux personnes poursuivies d’exercer leurs droits de la
défense et pour garantir le caractère équitable de la procédure225. Si les autorités compétentes
des Etats membres décident au cas par cas quel document est essentiel, sont nécessairement
considérés comme essentiels les acte d’accusation, jugement et décision privative de
liberté226. Les personnes poursuivies peuvent également présenter des demandes de traduction
motivées, et contester, comme en matière de traduction orale par l’interprète, la qualité de la
traduction écrite.
La transposition de la directive doit intervenir avant fin octobre 2013. Si, en France,
l’interprétation durant les interrogatoires et les audiences est relativement déjà appliquée227,
ce n’est pas le cas de la traduction écrite des documents essentiels. La transposition de la
directive nécessitera de dégager des ressources humaines et matérielles, ce qui, pour certains,
« semble bien peu réaliste dans la situation de grave crise de la dette publique que connaît
actuellement l’Europe »228. Des changements de grande ampleur sont également à prévoir en
matière de droit à l’information.
2) Le droit à l’information
L’information des suspects et des personnes poursuivies est un facteur essentiel de l’équité
de la procédure, car « il n'y a pas de jugement contradictoire, pas d'égalité des armes, pas de
défense digne de ce nom si le principal intéressé ignore les droits qui lui sont reconnus par la
loi, les chefs d'accusation retenus et les charges rassemblées contre lui par les autorités »229.
Au-delà de l’atteinte même aux droits fondamentaux qu'elle représente, l’absence
224
Article 2 §1 et 3 de la directive 2010/64/UE préc.
225
Article 3 §1 de la directive 2010/64/UE préc.
226
Article 3 §2 et §3 de la directive 2010/64/UE préc.
227
Art 63-1 CPP, al. 1 « Si la personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire, ni écrire, elle doit être
assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une
méthode permettant de communiquer avec elle. Il peut également être recouru à tout dispositif technique
permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité ». Art 63-1 CPP, al. 2 : « Si la personne ne
comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un
formulaire lui a été remis pour son information immédiate ».
228
P. BEAUVAIS, préc. note 219, p. 642.
229
J. LEBLOIS-HAPPE, « La proposition de directive relative au droit à l'information dans le cadre des
procédures pénales et le droit français », AJ Pénal, 2011, p. 446
d’informations fournies aux suspects peut entraîner, par le caractère inéquitable ainsi donné à
la procédure, « des frais inutiles dus à de longues procédures, à des recours et à des poursuites
infructueuses dans l’Etat membre où la procédure se déroule »230. De plus, dans le cadre de la
coopération judiciaire, la question de l’information fournie à la personne poursuivie peut se
heurter à des garanties différentes dans les Etats membres231. Adoptée le 22 mai 2012, la
directive relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales232 vise à
garantir la délivrance de certaines informations à la personne soupçonnée d’avoir commis une
infraction ou poursuivie à ce titre. La directive consacre les deux aspects du droit à
l’information : le droit d’être informé de ses droits (a) et le droit d’être informé de
l’accusation portée contre soi, qui inclut le droit d’accès aux pièces du dossier (b). Pour
chacun de ces droits, les règles varient selon que la personne est dans une situation de simple
mise en accusation, ou bien d’arrestation ou de détention.
Si la personne est arrêtée ou détenue, son droit à l’information est renforcé. L’article 4 de
la directive prévoit en effet que la personne reçoit une déclaration de droits, écrite cette fois.
De plus, des droits supplémentaires lui sont notifiés : le droit d’accès aux pièces du dossier ;
le droit d’informer les autorités consulaires et un tiers ; le droit d’accès à une assistance
médicale d’urgence ; le nombre maximal d’heures ou de jours pendant lesquels elle peut être
privée de liberté avant de comparaître devant une autorité judiciaire ; ainsi que des
informations sur les possibilités de contester la légalité de l’arrestation, d’obtenir un réexamen
de la détention, ou de demander une mise en liberté provisoire.
Il est intéressant de souligner que la directive prévoit que ces informations sont « données
oralement ou par écrit, dans un langage simple et accessible ». Sur la question de savoir ce qui
constitue un langage simple et accessible, une orientation générale du Conseil précise qu’il
s’agit d’un langage « susceptible d’être compris par un profane n’ayant aucune connaissance
en droit pénal »233.
230
Résumé de l’analyse d’impact accompagnant la proposition de directive relative au droit à l’information dans
le cadre des procédures pénales, SEC(2010) 809, 20 juillet 2010, § 2.1.1.
231
Dans son résumé de l’analyse d’impact précitée, la Commission européenne donne ainsi l’exemple d’une
britannique dans laquelle, la remise d’une personne, dans le cas d’un mandat d’arrêt européen, avait pris plus
d’un an en raison d’un désaccord sur les informations données au suspect.
232
Directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (2012/13/UE),
JO L 142 du 1er juin 2012.
233
Orientation générale du Conseil, communiqué de presse 16918/10, 3051e session du Conseil JAI, Bruxeles les
2 et 3 décembre 2010, p. 24.
Les droits des suspects ou des personnes poursuivies sur l’accusation portée contre eux
évoluent au cours de la procédure. Au départ, ils doivent être « informés de l’acte pénalement
sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis »234, dans un délai
suffisamment rapide et de façon suffisamment détaillée « pour garantir le caractère équitable
de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense ». D’après le
considérant n°28, cette information doit être donnée « au plus tard avant leur premier
interrogatoire officiel par la police ou une autre autorité compétente ». Ensuite, et au plus tard
avant que la juridiction ne soit saisie, les personnes poursuivies doivent recevoir des
informations détaillées sur l’accusation, notamment « sur la nature et la qualification juridique
de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne
poursuivie »235. Si la personne est arrêtée ou détenue, elle doit, dès sa privation de liberté,
recevoir des informations sur les motifs de son arrestation ou de sa détention, notamment pour
pouvoir la contester.
Le considérant n°28 précise toutefois que les informations données sur l’acte pénalement
sanctionné ne doivent pas « porter préjudice au déroulement des enquêtes en cours ». Cette
précision d’interprétation laisse penser qu’il y aurait lieu de peser les intérêts en cause, d’un
côté ceux du suspect, et de l’autre ceux de l’enquête. Une telle mise en balance permettrait
aux autorités de faire prévaloir l’un ou l’autre de ces intérêts en fonction de l’espèce en cause.
Les besoins de l’enquête pourraient devenir la justification d’une atteinte au droit à
l’information de la personne poursuivie. Or ce droit est présenté dans la directive comme un
droit fondamental, si bien qu’il est contestable d’envisager sa remise en cause au cas par cas
pour les besoins de l’enquête. De plus, dans une telle situation, la question se pose de ce qui
doit être diffusé pour garantir un minimum d’équité dans la procédure, et de ce qui peut être
conservé pour les nécessités de l’enquête. La question reste en suspend et laisse beaucoup de
place à l’appréciation, nécessairement subjective, des services de police et d’instruction.
Néanmoins, s’il est légitime que la personne soit informée de l’accusation portée contre elle
pour préparer sa défense, il faut reconnaître que le succès d’une enquête est très souvent
entouré d’une certaine discrétion. Une volonté politique de ne pas faire échec à la répression
explique probablement l’introduction dans la directive de ce tempérament au droit à
l’information.
S’agissant du droit d’accès aux pièces du dossier, la directive prévoit que les suspects ou
les personnes poursuivies ont « accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge
ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies, qui sont détenues par les autorités
compétentes, afin de garantir le caractère équitable de la procédure et de préparer leur
défense »236. L’accès prévu ne vise donc pas toutes les pièces du dossier, mais seulement les
preuves à charge ou à décharge. Or, dans un dossier, il peut y avoir beaucoup d’autres pièces
qui ne constituent pas en soi des preuves formelles et admissibles devant un tribunal. Un
dossier contient aussi des pièces qui ne prouvent pas en elles-mêmes la culpabilité ou
l’innocence de la personne poursuivie, mais participent à la recherche de la vérité. En effet,
« du point de vue de la défense, tous les éléments du dossier peuvent avoir leur
importance »237. Comme pour l’information relative à l’accusation, notamment la nature et la
234
Article 6 §1 de la directive 2012/13/UE préc.
235
Article 6 §3 de la directive 2012/13/UE préc.
236
Article 7 §2 de la directive 2012/13/UE préc.
237
P. BEAUVAIS, « Nouvelle harmonisation des droits de l’accusé dans la procédure pénale », Revue
trimestrielle de droit européen, 2013, p. 881.
qualification juridique de l’infraction, l’accès au dossier doit être accordé, non rapidement,
mais « en temps utile pour permettre l’exercice effectif des droits de la défense », et au plus
tard avant que la juridiction ne soit saisie.
Si la personne est arrêtée ou détenue, sont à sa disposition ou à celle de son avocat, à tout
stade de la procédure « les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités
compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit
national la légalité de l’arrestation ou de la détention »238. Si on estime que le procès-verbal
de notification de garde à vue n’est pas suffisant pour contester de manière effective la
légalité de cette privation de liberté, l’accès au dossier dès le début de la garde à vue devrait
alors être envisagé239. Toutefois, l’article 7 §4 de la directive prévoit des dérogations à ce
droit, lorsque l’accès au dossier « peut constituer une menace grave pour la vie ou les droits
fondamentaux d’un tiers, ou lorsque le refus d’accès est strictement nécessaire en vue de
préserver un intérêt public important, comme dans les cas où cet accès risque de
compromettre une enquête en cours ou de porter gravement atteinte à la sécurité nationale de
l’État membre dans lequel la procédure pénale est engagée ». Le refus d’accès à certaines
pièces est décidé par une autorité judiciaire, ou au moins soumis au contrôle juridictionnel, si
la décision de refus est émise par une autorité extrajudiciaire.
La directive ne comporte pas en soi d’innovations majeures, puisqu’elle reprend des droits
fondamentaux déjà consacrés par les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme : droit à la sûreté et droit à un procès équitable, dont font partie les droits de la
défense. La directive a néanmoins le mérite de consacrer ces droits procéduraux et de clarifier
leur contenu. En effet, selon l’Union, la Convention EDH n’offrait pas une protection
suffisante, notamment en matière d’informations adéquates sur les droits et les charges, car
« les droits à l’information prévus par les articles 5 et 6 ne vont pas assez loin » et « les
recours devant la Cour européenne des droits de l’homme peuvent prendre des années avant
de faire l’objet d’une décision et peuvent seulement conduire à une réparation ex post d’une
efficacité limitée »240. Les normes établies par la directive deviennent plus accessibles et,
partant, plus prévisibles, que les normes issues de la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme. De plus, même si la directive se présente plus comme « une norme
législative de mise en œuvre et de précision »241 de ces droits fondamentaux, le droit français
sera très certainement affecté par cette initiative. En effet, depuis une vingtaine d’années,
l’instruction s’efface progressivement au profit de l’enquête, notamment car les pouvoirs de la
police ont été augmentés de façon constante. Cette augmentation passe par des pouvoirs
coercitifs plus importants242, et par la possibilité de recourir à une personne qualifiée pour des
« mini expertises »243. Cet effacement de l’instruction conduit « à ce que la majeure partie des
238
Article 7 §1 de la directive 2012/13/UE préc.
239
P. BEAUVAIS, « Nouvelle harmonisation des droits de l’accusé dans la procédure pénale », Revue
trimestrielle de droit européen, 2013, p. 881.
240
Résumé de l’analyse d’impact accompagnant la proposition de directive relative au droit à l’information dans
le cadre des procédures pénales, SEC(2010) 809, § 2.1.2.
241
P. BEAUVAIS, « Nouvelle harmonisation des droits de l’accusé dans la procédure pénale », Revue
trimestrielle de droit européen, 2013, p. 881.
242
On peut citer, à titre d’exemple, l’augmentation des pouvoirs de la police pendant l’enquête de flagrance, les
hyptothèses de sonorisation en dehors de la flagrance, ou encore les possibles écoutes téléphoniques pour
certaines infractions et sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.
243
Ce recours peut avoir lieu lors d’une enquête de flagrance (art. 60 al. 1 CPP : « S'il y a lieu de procéder à des
constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, l'officier de police judiciaire a recours à toutes
personnes qualifiées »), ou lors d’une enquête préliminaire (art. 77-1 al. 1 CPP : « S'il y a lieu de procéder à des
constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, le procureur de la République ou, sur autorisation de
celui-ci, l'officier de police judiciaire, a recours à toutes personnes qualifiées »).
affaires pénales soient aujourd'hui mises en état selon une procédure peu contradictoire, dans
laquelle les droits des personnes sont réduits et la défense représentée en pointillés, à
l'occasion de mesures spéciales comme la garde à vue »244. Or, « une telle procédure ne peut
plus correspondre aux standards imposés au niveau européen »245.
Dans la feuille de route du Conseil de 2009 visant à renforcer les droits procéduraux des
personnes poursuivies, la mesure C était relative à l’assistance d’un conseiller juridique et à
l’aide juridictionnelle. La spécificité de l’aide juridictionnelle a toutefois poussé la
Commission à séparer les deux questions. Dans une proposition de directive du 8 juin 2011246,
le droit d’accès à un avocat a été joint à la mesure D, relative à la communication des
personnes privées de liberté. L’objectif de la directive proposée est de fixer des règles
minimales communes concernant le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures
pénales et la possibilité de communiquer après l’arrestation avec un tiers, par exemple un
parent, un employeur ou une autorité consulaire.
244
J. LEBLOIS-HAPPE, « La proposition de directive relative au droit à l'information dans le cadre des
procédures pénales et le droit français », AJ Pénal, 2011, p. 446
245
J. LEBLOIS-HAPPE, préc., p. 447.
246
Proposition de directive du 8 juin 2011 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures
pénales et au droit de communiquer après l’arrestation, COM(2011) 326 final.
247
Proposition de directive du 8 juin 2011, préc., §1.4.
248
Cour EDH, Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008, requête n° 36391/02, § 50.
249
Cour EDH, Salduz c. Turquie, préc., § 52.
250
Cour EDH, Dayanan c. Turquie, 13 janvier 2010, requête n° 7377/03, § 32.
251
Cour EDH, Panovits c. Chypre, 11 décembre 2008, requête n° 4268/04, § 73-76.
252
Proposition de directive du 8 juin 2011 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures
pénales et au droit de communiquer après l’arrestation, préc., §3.13.
privée de liberté, la personne « pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat dès son
audition ». Plus spécifiquement, « lorsqu'un acte de procédure ou la collecte de preuves
requiert ou autorise la présence de la personne soupçonnée ou poursuivie », celle-ci doit
pouvoir être assistée d’un avocat. La proposition de directive émet tout de même une réserve
dans les cas où « les éléments de preuve à recueillir risquent d'être altérés, déplacés ou
détruits du fait du temps écoulé jusqu'à l'arrivée de l'avocat ». s’agissant du contenu du droit
d’accès à un avocat, l’article 4 de la proposition de directive prévoit que l’avocat peut :
« s'entretenir avec le suspect ou la personne poursuivie pendant un temps suffisant et à
intervalle raisonnable pour pouvoir exercer effectivement les droits de la défense ; assister à
tout interrogatoire ou audition ; assister à toute mesure d'enquête ou de collecte de preuves
pour laquelle la législation nationale applicable exige ou autorise expressément la présence de
la personne soupçonnée ou poursuivie », avec la réserve prévue à l’article 3 sur le risque
d’altération des preuves, et enfin « accéder au lieu de détention pour y vérifier les conditions
de détention ». Ces nombreuses interventions possibles de l’avocat font parfaitement écho à la
jurisprudence de la Cour EDH. Dans l’affaire Dayanan c. Turquie, elle avait ainsi considéré
que l’équité de la procédure impliquait que l’accusé puisse obtenir diverses interventions de
son conseil, parmi lesquelles « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la
recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de
l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention »253.
Si les récentes directives et propositions de directives témoignent d’un souci plus accru
pour une procédure pénale respectueuse des droits fondamentaux, pour certains, le traité
présente un déséquilibre entre les dispositions substantielles et les dispositions procédurales.
Ce serait alors « révélateur d’une politique criminelle plus sécuritaire que libérale »254. Au-
delà de la reconnaissance mutuelle, l’harmonisation des dispositions substantielles apparaît en
effet comme un véritable instrument de mise en œuvre de la coopération judiciaire en matière
pénale, notamment dans son volet répressif.
253
Cour EDH, Dayanan c. Turquie, préc., §32.
254
J. ALIX, « Discussion. Les frontières de l’harmonisation autonome », in Le droit pénal de l’Union
européenne au lendemain du traité de Lisbonne, G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), coll.
UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 148.
255
CJCE, 11 novembre 1981, Casati, aff. 203/80.
256
A. HUET, « L'impact du droit communautaire sur le droit pénal », in D. SIMON (dir.), Le droit
communautaire et les métamorphoses du droit, PUS, 2003, p. 13.
257
Article 83 §1 al. 1 TFUE : « Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives
conformément à la procé- dure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition
des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une
dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d'un besoin particulier de
les combattre sur des bases communes ».
258
A. BERNARDI, « L’harmonisation pénale accessoire », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES
(dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, coll. UMR de droit comparé de
Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 154.
L’article 31 TUE, dans sa version issue du traité de Nice, disposait : « l’action en commun
dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale vise entre autres à : […]
adopter progressivement des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments
constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la
criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ». Le traité ne visait donc que trois
matières susceptibles d’être harmonisées : le terrorisme, la criminalité organisée et le trafic
illicite de drogues. Déjà avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, rien ne permettait de
s’opposer à la compétence pénale de l’Union en matière de terrorisme et de trafic de drogues,
puisque ces domaines étaient expressément visés par le traité. En revanche, il pouvait y avoir
des difficultés pour définir le contenu de la « criminalité organisée » envisagée par le traité.
259
Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Tampere, 15 et 16 octobre 1999, §48.
260
Décision-cadre du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de
xénophobie au moyen du droit pénal (2008/913/JAI), JO L 328 du 6 décembre 2008.
261
L. ARROYO ZAPATERO et M. MUNOZ DE MORALES ROMERO, « Droit pénal européen et traité de
Lisbonne : le cas de l’harmonisation autonome (article 83.1 TFUE), in G. GIUDICELLI-DELAGE et C.
LAZERGES (dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, coll. UMR de
droit comparé de Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 122.
262
J. ALIX, « Discussion. Les frontières de l’harmonisation autonome », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C.
LAZERGES (dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, coll. UMR de
droit comparé de Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 148.
263
« Une Europe sûre dans un monde meilleur. Stratégie européenne de sécurité », Bruxelles, 12 décembre 2003,
non publié au JO, p. 5. Voir le point « Criminalité organisée » dans « I – L’environnement de sécurité : défis
mondiaux et principales menaces ». (http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/031208ESSIIFR.pdf)
piraterie maritime, qui constitue une nouvelle dimension de la criminalité organisée, méritera
une plus grande attention ». Pourtant, l’article 83 §1 ne prévoit pas de compétence pénale à en
matière de piraterie maritime, alors que « le phénomène représente aujourd’hui une menace
internationale exigeant en retour une réponse d’envergure internationale dans la mesure où le
cœur du problème se situe essentiellement dans les eaux nigérianes et somaliennes »264. De
plus, dans son livre vert sur la politique maritime de l’UE, la Commission affirme la nécessité
de s’attaquer à la piraterie265. Si l’article 83 §1 ne prévoit pas d’harmonisation en matière de
piraterie, c’est probablement parce qu’une action commune de l’Union relèverait davantage
de la coopération avec les pays tiers266, et en particulier de la coopération au développement,
prévue aux articles 208 à 211 TFUE, que de la coopération policière et judiciaire. Une action
commune de l’Union en matière de piraterie pourrait par exemple prendre la forme de
mesures d’aide au développement des Etats côtiers, et ne pas nécessairement concerner
l’harmonisation des dispositions pénales des Etats membres.
264
L. ARROYO ZAPATERO et M. MUNOZ DE MORALES ROMERO, préc. note 260, p. 123.
265
Livre vert de la Commission, « Vers une politique maritime de l’Union : une vision européenne des océans et
des mers », 7 juin 2006, COM(2006) 275 final, non publié au JO, Volume II, p. 50 : « Il est également nécessaire
de s’attaquer aux autres formes d’activités illégales, comme la piraterie ».
266
Titre III du TFUE : « La coopération avec les pays tiers et l’aide humanitaire ».
267
Article 83 §1 al. 2 TFUE : « Ces domaines de criminalité sont les suivants: le terrorisme, la traite des êtres
humains et l'exploi- tation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite
d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informa-
tique et la criminalité organisée ».
268
Décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme (2002/475/JAI), JO L 164 du 22 juin
2002.
269
Décision-cadre du 28 novembre 2008 modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte
contre le terrorisme (2008/919/JAI), JO L 330 du 9 décembre 2008.
270
Décision-cadre du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains (2002/629/JAI ), JO L
203 du 1er août 2002.
271
Directive du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite d’êtres humains et la lutte contre ce
phénomène, ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI, JO L 101 du 15
avril 2011.
272
Décision-cadre du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la
pédopornographie (2004/68/JAI), JO L 013 du 20 janvier 2004.
273
Proposition de directive du 29 mars 2010 relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants
et à la pédopornographie, abrogeant la décision-cadre 2004/68/JAI, COM(2010)94 final.
274
Décision-cadre du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux
éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue
(2004/757/JAI), JO L 335 du 11 novembre 2004.
275
Directive du Conseil du 10 juin 1991, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de
blanchiment de capitaux (91/308/CEE), JO L 166 du 28 juin 1991.
d’utiliser des sanctions pénales, même si en pratique les Etats membres s’étaient engagés à la
répression des actes de blanchiment de capitaux par le droit pénal. Ce n’est qu’en 2001 que
cette obligation a été explicitement exprimée dans une décision-cadre276.
La corruption est sans conteste un domaine dans lequel le législateur européen a été depuis
longtemps très actif. En témoignent les nombreux instruments adoptés, comme la convention
de 1995, adoptée dans le but de protéger les intérêts financiers de la Communauté277, ainsi
que les protocoles adoptés par la suite278. Le protocole de 1996279 permet aux juridictions
nationales de demander l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice, des
dispositions de ladite convention et de ses protocoles. Ce protocole est entré en vigueur le
17 octobre 2002. Un autre protocole adopté en 1997280 visait la responsabilité des personnes
morales, la confiscation, le blanchiment de capitaux et la coopération entre les pays de
l’Union et la Commission, aux fins de la protection des intérêts financiers de la Communauté,
et des données à caractère personnel en rapport avec ces intérêts. Ce protocole est entré en
vigueur le 19 mai 2009. Concernant la lutte contre la corruption des fonctionnaires, une
convention a été adoptée en 1997281, et complétée par une décision-cadre du 22 juillet
2003282.
Enfin, le domaine de la falsification des moyens de paiement a fait l’objet d’une décision
du Conseil283 et de deux décisions-cadre284, tandis que la criminalité organisée est elle-même
déjà visée par deux décisions-cadre285. Enfin, la décision-cadre du 24 février 2005 dans le
domaine de la criminalité informatique sera bientôt remplacée, comme en témoigne la
proposition de directive relative aux attaques visant les systèmes d’information286. Mais
comment vérifier que l’action de l’Union serait véritablement bénéfique ? L’impact des
sanctions pénales s’agissant de leur effet dissuasif, est difficile à mesurer. Certains regrettent
par exemple le recours aux sanctions pénales à l’échelle européenne pour garantir les droits de
propriété intellectuelle287.
276
Décision-cadre du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent, l'identification, le dépistage, le gel ou la
saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (2001/500/JAI), JO L 182 du 5 juillet 2001.
277
Acte du Conseil du 26 juillet 1995 établissant la convention relative à la protection des intérêts financiers des
Communautés européennes, JO C 316 du 27 novembre 1995.
278
Notamment le premier protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des
Communautés européennes, JO C 313 du 23 octobre 1996.
279
Acte du Conseil du 29 novembre 1996 établissant, sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union
européenne, le protocole concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des Communautés
européennes de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, JO
C 151 du 20 mai 1997.
280
Acte du Conseil du 19 juin 1997 établissant le deuxième protocole à la convention relative à la protection des
intérêts financiers des Communautés européennes, JO C 221 du 19 juillet 1997.
281
Convention établie sur la base de l’article K3, paragraphe 2, point c) du Traité sur l’Union européenne
relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des
fonctionnaires des Etats membres de l’Union européenne , JO C 195 du 25 juin 1997.
282
Décision-cadre du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé (2003/568/JAI),
JO L 192 du 31 juillet 2003.
283
Décision du Conseil du 29 mai 2000, JO L 140 du 14 juin 2000.
284
Décision-cadre du 29 mai 2000, JO L 329 du 14 décembre 2001 et décision-cadre du 28 mai 2001, JO L 149
du 2 juin 2001.
285
Décision-cadre du 28 novembre 2002 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l'aide à l'entrée,
au transit et au séjour irréguliers (2002/946/JAI), JO L 328 du 5 décembre 2002 et décision-cadre du 24 octobre
2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée (2008/841/JAI), JO L 300 du 11 novembre 2008.
286
Proposition de directive du 30 septembre 2010 relative aux attaques visant les systèmes d’information et
abrogeant la décision-cadre 2005/222/JAI du Conseil, COM(2010) 517 final
287
L. ARROYO ZAPATERO et M. MUNOZ DE MORALES ROMERO, préc. note 260, p. 132.
Cette longue liste témoigne d’une activité législative énergique de l’Union en matière
pénale. Il y a tout lieu de penser que celle-ci ne faiblira pas. En effet, le traité de Lisbonne a
consacré la compétence pénale de l’Union, en lui donnant une base juridique certaine.
Légitimée, l’action de l’UE en matière pénale suivra certainement sa lancée. De plus, l’alinéa
3 de l’article 83 §1 prévoit qu’« en fonction des développements de la criminalité, le Conseil
peut adopter une décision identifiant d'autres domaines de criminalité ». Ainsi, la compétence
pénale peut être étendue au-delà des neufs domaines susceptibles d’être harmonisés.
288
G. de KERCHOVE, « La coopération policière et judiciaire pénale : de la coopération intergouvernementale à
la méthode communautaire », in O. de SCHUTTER et P. NIHOUL (dir.), Une Constitution pour l’Europe.
Réflexions sur les transformations du droit de l’Union européenne, Larcier, 2004, p. 233.
être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison
des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.
Les domaines de criminalité susceptibles d’être harmonisés doivent ensuite revêtir une
dimension transfrontière. Une telle dimension peut résulter tout d’abord du caractère des
infractions. C’est le cas notamment quand le mode de réalisation de l’infraction nécessite
l’emploi de moyens transfrontières, comme les nouvelles technologies et en particulier
Internet. Les nouvelles technologies peuvent être utilisées dans des domaines très différents et
dans le cadre d’une grande variété de délinquances, ce qui a « des conséquences inévitables
pour les systèmes pénaux européens »289. La décision-cadre du 22 décembre 2003 relative à la
lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile met ainsi en avant
le fait que « la pédopornographie, forme particulièrement grave d'exploitation sexuelle des
enfants, prend de l'ampleur et se propage par le biais de l'utilisation des nouvelles
technologies et d'Internet »290. La dimension transfrontière peut ensuite résulter des
incidences des infractions. On pense en premier aux incidences qu’on les infractions en
matière de droit de l’environnement. Mais ce peut être le cas également lorsqu’il existe une
criminalité locale, qui n’existe que parce qu’il y a « au-dessus d’elle » une criminalité
internationale, comme en matière de trafic de stupéfiants, donc la dimension locale n’est
possible que grâce au trafic international.
La dimension transfrontière peut enfin résulter d'un besoin particulier de les combattre sur
des bases communes. Cette formule découle de l’argument utilisé par la Commission pour
lutter contre « le forum shopping » et justifier ainsi l’action de l’Union, conformément au
principe de subsidiarité. En effet, selon cet argument, il est inutile d’appliquer des sanctions
plus sévères dans certains Etats membres, ce n’est pas un moyen de lutte efficace contre la
criminalité organisée, car les délinquants pourront toujours opérer sur le territoire d’autres
Etats dans lesquels la loi est moins sévère. Le besoin particulier que l’Union peut avoir de
combattre des infractions sur des bases communes n’a pas le mérite d’être très clairement
défini. La Cour constitutionnelle allemande a d’ailleurs critiqué cette formule dans sa décision
très remarquée du 30 juin 2009. Pour la haute juridiction, un tel besoin ne peut « être établi
simplement par la formation d’une intention politique » et ne peut « être séparé du caractère et
des incidences de l’infraction ». C’est pourquoi elle souhaitait une interprétation restrictive de
cette formule, afin d’éviter une expansion démesurée du droit pénal de l’Union.
On peut toutefois identifier ce besoin particulier dans la nécessité d’une sanction
européenne qui se veut surtout dissuasive. C’est le cas lorsque qu’un problème subsiste dans
un domaine, et que la Commission en déduit l’inefficacité des sanctions nationales. A titre
d’exemple, le considérant n°3 de la directive de 2008 sur la protection de l’environnement par
le droit pénal291 énonce que « l'expérience montre que les systèmes de sanction existants ne
suffisent pas à garantir le respect absolu de la législation en matière de protection de
l'environnement. Ce respect peut et doit être renforcé par l'existence de sanctions pénales, qui
reflètent une désapprobation de la société qualitativement différente de celle manifestée par le
biais des sanctions administratives ou d'une indemnisation au civil ». Les sanctions pénales
manifestent les valeurs défendues par la société et seraient ainsi plus dissuasives. Dans le
même sens, dans la directive relative à la pollution causée par les navires, l’Union estime que
« ni le régime international relatif à la responsabilité civile et à l'indemnisation en cas de
pollution par les hydrocarbures ni celui concernant la pollution par d'autres substances
289
L. ARROYO ZAPATERO et M. MUNOZ DE MORALES ROMERO, préc. note 260, p. 129.
290
Considérant n°5 de la décision-cadre 2004/68/JAI, préc.
291
Directive du 19 novembre 2008 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal (2008/99/CE),
JO L 328 du 6 décembre 2008.
Finalement, tous les domaines visés par l’article 83 §1, qu’ils soient expressément prévus
ou qu’ils soient envisageables, peuvent être rattachés à des politiques de l’Union ; donc tous
ces domaines sont susceptibles de faire l’objet d’une harmonisation, certes sur le fondement
de l’article 83 §1, mais aussi sur celui de l’article 83 §2293.
292
Considérant n°7 de la directive du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires et à
l’introduction de sanctions en cas d’infractions (2005/35/CE), JO L 255 du 30 septembre 2005.
293
Article 83 §2 TFUE : « Lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États
membres en matière pénale s'avère indispensable pour assurer la mise en œuvre efficace d'une politique de
l'Union dans un domaine ayant fait l'objet de mesures d'harmonisation, des directives peuvent établir des règles
minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine concerné ».
294
A. BERNARDI, « L’harmonisation pénale accessoire », in Le droit pénal de l’Union européenne au
lendemain du traité de Lisbonne, G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), coll. UMR de droit
comparé de Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 155.
295
CJCE, grande chambre, Commission des Communautés européennes c. Conseil de l’Union européenne, 13
septembre 2005, aff. C-176/03, Rec. 2005 I-07879.
l’environnement par le droit pénal296. Dans son arrêt de 2005, la Cour de justice a admis que
la décision-cadre attaquée consistait en une intrusion du droit communautaire dans le champ
pénal, et qu’il n’y avait pas de précédent en la matière297. La Cour a tout de même annulé la
décision du Conseil dans son ensemble, au motif que la décision-cadre empiétait sur les
compétences attribuées à la Communauté par le traité CE (premier pilier) et violait ainsi le
traité sur l’UE qui donnait priorité à ces compétences. La Cour de Justice a rappelé que le
choix de la base juridique d’un acte devait se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de
contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte298.
Or la Cour a jugé que la finalité de la décision-cadre était protection de l’environnement, qui
constituait un des objectifs essentiels de la Communauté299. De plus, aux termes de l’ex-
article 6 CE (11 TFUE), « les exigences de la protection de l'environnement doivent être
intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté »,
ce qui, pour la Cour de justice, soulignait le caractère transversal et fondamental de cet
objectif. La Cour a également reconnu que la décision comportait une harmonisation partielle
des législations pénales des Etats, qui ne relevait pas de la compétence de la Communauté300.
Mais elle a affirmé que « cette dernière constatation ne saurait cependant empêcher le
législateur communautaire, lorsque l’application de sanctions pénales effectives,
proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure
indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement, de prendre des mesures
en relation avec le droit pénal des États membres et qu'il estime nécessaires pour garantir la
pleine effectivité des normes qu'il édicté en matière de protection de l'environnement »301. En
effet, même si la décision prévoyait l’incrimination de certains comportements, elle laissait le
choix aux Etats membres des sanctions pénales applicables. Les critiques de cet arrêt ont pu
s’interroger à l’époque sur l’intérêt des mécanismes de répartition de compétences tels que le
principe de subsidiarité et la structure en piliers302, puisque cet arrêt avait reconnu
explicitement une compétence pénale accessoire au législateur de l’Union ; et c’est d’ailleurs
à lumière de cette jurisprudence que fut introduite la première directive d’harmonisation du
droit pénal303, plus un an avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Par la suite, d’autres
directives prises dans le cadre du premier pilier ont harmonisé des dispositions pénales, dans
des domaines autres que celui de l’environnement, comme celui de la sécurité des jouets.
Ainsi, pour certains, « la compétence pénale accessoire ne doit pas être considérée comme
une conquête de l’Union à attribuer au Traité de Lisbonne »304. Certes, mais la portée de
l’arrêt du 13 septembre 2005 avait été discutée, de telle sorte qu’on pouvait se demander si le
recours au droit pénal par directive était limité au droit de l’environnement, ou s’il était
296
JO C 180, p. 238.
297
CJCE, Commission c. Conseil, préc., point 20.
298
CJCE, Commission c. Conseil, 13 sept. 2005, préc., point 45 ; voir également CJCE, Commission c. Conseil,
dit « Dioxyde de titane », 11 juin 1991, C-300/89, Rec. p. I-2867, point 10 ; et CJCE, Huber, 19 septembre 2002,
C-336/00, Rec. p. I-7699, point 30
299
Voir les arrêts de la CJCE du 7 février 1985, ADBHU, 240/83, Rec. p. 531, point 13 ; du 20 septembre 1988,
Commission/Danemark, 302/86, Rec. p. 4607, point 8 ; et du 2 avril 1998, Outokumpu, C-213/96, Rec. p. 1-
1777, point 32.
300
Voir sur ce point CJCE, Guerrino Casati, 11 nov. 1981, préc. et CJCE, Banchero, 14 déc. 1995, préc.
301
CJCE, Commission c. Conseil, 13 sept. 2005, préc., point 48.
302
Pour R. de Bellescize, « les dispositions garantissant des compétences aux Etats finissent par voler en éclat
devant l’interprétation téléologique de la Cour de Justice », in « La Cour de Justice des Communautés
européennes limite la souveraineté des Etats en matière pénale. – A propos de l’arrêt de la CJCE du 13
septembre 2005 », Droit pénal, n°12, Décembre 2005, étude 16.
303
Directive du 19 novembre 2008 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal (2008/99/CE),
JO L 328 du 6 décembre 2008.
304
A. BERNARDI, « L’harmonisation pénale accessoire », préc. note 291, p. 153.
adopter des actes juridiquement contraignants ». De plus, l’article 83 §2 n’exclut pas les
politiques communes de son champ. Donc, si l’Union a une compétence pénale pour les
politiques internes relevant des compétences partagées, elle a, a fortiori, une compétence
pénale pour les domaines de compétences exclusives. Ainsi, peuvent être concernés, l’union
douanière, les règles de concurrence, la politique monétaire, la politique commune de la pêche
et la politique commerciale commune. On peut également envisager que la compétence
pénale de l’Union ne soit pas limitée aux politiques internes et communes, mais s’étende au
domaine des objectifs transversaux. On pense en effet à la jurisprudence de la Cour, examinée
précédemment, reconnaissant une compétence pénale à la Communauté pour compléter la
réalisation de ses objectifs essentiels (la protection de l’environnement en particulier). Ainsi,
en combinant la jurisprudence de la Cour de justice et la lettre de l’article 83 §2, on peut
penser que les objectifs transversaux, visés aux articles 9 à 13 TFUE, sont également dans le
champ de la compétence pénale de l’Union. Ce qui étend la compétence pénale de l’Union à
son action en matière de lutte contre l'exclusion sociale, d’éducation, de formation et de
protection de la santé humaine (art. 9), ainsi qu’en matière de lutte contre la discrimination
(art. 10), de protection de l’environnement (art. 11) et des consommateurs (art. 12), voire en
matière de bien-être des animaux (art. 13).
Ensuite, le rapprochement des législations n’est possible que dans les domaines ayant fait
l’objet de mesures d’harmonisation. Ils sont si nombreux que le champ de la compétence
pénale de l’Union paraît très large à la lumière de cette disposition. En réalité il suit
l’évolution de l’harmonisation des autres politiques. En effet, si l’Union dispose d’une
compétence pénale générale pour mettre en œuvre les politiques pour lesquelles elle s’est vue
attribuer une compétence, sa compétence pénale n’est que le prolongement de l’harmonisation
déjà effectuée dans ses domaines de compétence. La plupart des auteurs analyse
l’harmonisation comme un processus à mi-chemin entre la simple coopération, qui ne
nécessite pas de modification du droit national, et l’unification qui implique une identité des
normes nationales des Etats membres. L’harmonisation permettrait une convergence des
droits nationaux en conservant les spécificités nationales309. Ainsi, on peut avancer que les
politiques qui ont fait l’objet de rapprochement des législations nationales, non par simple
harmonisation, mais par unification, sont a fortiori des domaines dans lesquels l’Union a une
compétence pénale. On relèvera également que cette disposition corrobore l’idée selon
laquelle les politiques communes ne sont pas exclues du champ de la compétence pénale. En
effet, puisque l’Union peut agir dans un domaine ayant fait l’objet de mesures
d’harmonisation, nécessairement le domaine des compétences exclusives, placé sous la seule
responsabilité de l’Union, ne peut être écarté du champ de la compétence pénale. Cela inclut
donc les politiques communes visées à l’article 3 TFUE.
Enfin, l’intervention de l’Union doit être indispensable pour assurer la mise en œuvre
efficace d’une politique de l’Union. Cette nécessité est à rapprocher du principe de
subsidiarité, mais le dépasse. En effet, pour que l’harmonisation des législations pénales soit
indispensable, l’Union devra démontrer, non seulement qu’elle est en mesure d’agir plus
efficacement que les États membres, mais également que les moyens non pénaux ont été
inefficaces à la mise en œuvre d’une politique de l’UE. Cette démonstration ne sera pas
toujours aisée, et la mise en œuvre de la compétence pénale de l’Union rencontrera alors
nécessairement des obstacles.
309
E. RUBI-CAVAGNA, « Réflexions sur l’harmonisation des incriminations et des sanctions pénales prévue
par le traité de Lisbonne », Revue de science criminelle, 2009, p. 501.
La volonté de règles minimales communes peut également être mise à mal lors de la
transposition. En effet, l’instrument d’harmonisation qu’est la directive n’est pas directement
applicable sur le territoire des Etats membres et nécessite une transposition par un texte
national. Les Etats membres vont donc devoir adapter leur droit national aux concepts retenus
par les directives d’harmonisation. Cependant, comme le droit pénal est imprégné de concepts
nationaux et de traditions juridiques nationales, la transposition risque de ne pas être tout à
fait conforme à l’instrument d’harmonisation, remettant en cause l’idée même de règles
communes (§1). Par ailleurs, si la compétence pénale de l’Union est consacrée par le traité,
elle demeure une compétence partagée entre l’Union et les Etats membres. Aux termes de
l’article 4 §2 TFUE, l’ELSJ relève en effet des compétences partagées. Ainsi, le principe de
subsidiarité doit guider son action. Les parlements nationaux et la Cour de justice ont un rôle
à jouer dans le contrôle du respect de ce principe (§2).
leurs communs dénominateurs »312. On voit donc les difficultés se profiler par manque de
concepts communs (1). De plus, la nécessaire transposition des directives d’harmonisation ne
sera pas sans conséquence sur le principe de légalité (2).
Si les droits nationaux des Etats membres de l’UE ont un point commun, c’est l’adage
nullum crimen, nulla poena sine lege : il n'y a pas de crime, il n'y a pas de peine sans une loi
qui les prévoie. Il s’agit du principe de la légalité des délits et des peines, qui implique que les
comportements incriminés soient définis de manière précise. Par conséquent, les lois internes
qui transposeront les directives d’harmonisation du droit pénal matériel devront
nécessairement préciser de manière très claire les comportements visés par la directive. La
spécificité du droit pénal interdit en effet reprendre les termes exacts de la directive, comme
312
Y. MAYAUD, Droit pénal général, 3e édition, coll. Droit fondamental, PUF, 2010, p. 13-15.
313
E. RUBI-CAVAGNA, préc. note 308, p. 144.
314
Articles 66 et 67 du Code pénal belge. Art. 66 : « Seront punis comme auteurs d'un crime ou d'un délit : ceux
qui l'auront exécuté ou qui auront coopéré directement à son exécution ; ceux qui, par un fait quelconque, auront
prêté pour l'exécution une aide telle que, sans leur assistance, le crime ou le délit n'eût pu être commis ; […] » ;
Art. 67 : « Seront punis comme complices d'un crime ou d'un délit : ceux qui auront donné des instructions pour
le commettre ; ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui a servi au crime ou
au délit, sachant qu'ils devaient y servir ; […] ».
315
E. RUBI-CAVAGNA, préc. note 308, p. 144.
cela peut être souvent fait dans d’autres domaines. Or, il n’existe pas de vocabulaire de droit
pénal commun aux Etats membres. Il faudra donc reformuler les concepts de la directive en
concepts nationaux, ce qui impliquera un exercice complexe de traduction, mais surtout
risqué. En effet, le sens national choisi par le législateur national avec ses propres
qualifications juridiques, pourra s’éloigner du sens recherché par les auteurs de la directive.
On peut citer, à titre d’exemple, la proposition de directive relative à la pollution causée par
les navires316, qui prévoit la sanction pénale des actes « commis intentionnellement,
témérairement ou à la suite d’une négligence grave ». Or, la faute de négligence grave et la
témérité ne semblent pas avoir d’équivalent en droit pénal français. L’interprétation de ce
qu’a visé le législateur de l’Union pourra être donnée par la CJUE, mais qui interviendra trop
tard, puisque le droit pénal doit préexister à l’infraction, pour engager la responsabilité pénale
de son auteur.
Au-delà du fait que la nature des peines soit différente dans les Etats membres, la peine
qui peut être effectivement retenue diffère également en fonction de l’infraction. Ainsi,
l’Espagne ne reconnaît la peine privative de liberté à perpétuité que par une accumulation de
crimes. En revanche, tous les autres Etats membres cités l’admettent en matière de meurtre.
Pour d’autres infractions graves, tels que le génocide, les actes de barbarie et les crimes
sexuels, les solutions sont très diverses, la privation de liberté à perpétuité étant prévue ou
316
Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la pollution causée par les navires et à
l'introduction de sanctions, notamment pénales, en cas d'infractions de pollution, COM(2003) 92 final.
317
E. LAMBERT-ABDELGAWAD, « Tentative de modélisation », in M. DELMAS-MARTY, G.
GIUDICELLI-DELAGE et E. LAMBERT-ABDELGAWAD, L’harmonisation des sanctions pénales en
Europe, coll. UMR de droit comparé, Vol. 5, Société de législation comparée, 2003, p. 429.
318
A. ESER, « Faisabilité de l’harmonisation. Comparative typology of convergences and divergences », in M.
DELMAS-MARTY, G. GIUDICELLI-DELAGE et E. LAMBERT-ABDELGAWAD, L’harmonisation des
sanctions pénales en Europe, coll. UMR de droit comparé, Vol. 5, Société de législation comparée, 2003, p. 370
319
A. ESER, préc., p. 385.
non, et obligatoire ou bien facultative. Enfin, les circonstances aggravantes qui entrainent la
prison à perpétuité sont une spécificité française.
Même si la directive ne lie les Etats membres qu’à l’égard des résultats à atteindre, ceux-ci
auront probablement une liberté de choix très réduite, puisque l’essentiel du pouvoir
d’incrimination reviendra à l’Union. En effet, les trois éléments constitutifs d’une
incrimination que sont la pénalisation, la description des éléments constitutifs de l’infraction
et la peine encourue, seront déterminés par la directive. L’Union appréciera ainsi la nécessité
d’incriminer, c’est-à-dire la nécessité de faire entrer un comportement dans le champ pénal.
Elle pourra également définir précisément ce comportement, en précisant les éléments
constitutifs de l’infraction, et déterminer les types de peines possibles, voire les quanta. Ainsi,
même si les Etats membres ont en principe une marge d’appréciation par le mécanisme de la
transposition, cette marge sera réduite. C’est pourquoi certains auteurs analysent ainsi la
compétence pénale de l’article 83 TFUE comme « un envahissement exponentiel du droit
pénal au détriment des souverainetés nationales »320. Toutefois, il existe des limites à cette
immixtion de l’Union dans le droit pénal et les Etats membres sont appelés à un jouer un rôle
important à cet égard.
320
JurisClasseur Pénal Code, « Principe de légalité criminelle », fasc.. 10, §150.
321
Considérant n°9 de la décision-cadre du 12 juillet 2005 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de
la pollution causée par les navires (2005/667/JAI), JO L 255 du 30 septembre 2005.
322
Proposition de directive du 29 mars 2010 relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants
et à la pédopornographie, abrogeant la décision-cadre 2004/68/JAI, COM(2010)94 final
subsidiarité, estime que « le phénomène de l’exploitation et des abus sexuels concernant des
enfants présente une importante dimension transnationale, qui est particulièrement évidente
dans le cas de la pédopornographie et du tourisme sexuel impliquant des enfants ». Cela paraît
un peu léger pour justifier que les objectifs de la proposition ne peuvent être atteints de
manière satisfaisante par les Etats membres. Sur la dimension transnationale de l’exploitation
sexuelle des enfants, la Commission met en avant « la nécessité de protéger les enfants de
l’ensemble des États membres contre les délinquants issus de tous les États membres, qui
peuvent voyager facilement ». On peut penser que le respect du principe de subsidiarité
mériterait davantage de développements.
La Commission explique ensuite que les objectifs de la proposition seront mieux réalisés
au niveau de l’Union, parce que le rapprochement du droit pénal matériel des Etats membres
« aura un impact positif sur la lutte contre ces crimes ». Pour justifier un tel effet bénéfique, la
Commission utilise l’argument du forum shopping323 et l’idée selon laquelle des définitions
communes permettent de favoriser les échanges d’information et la coopération
internationale. Or ces arguments peuvent être appliqués à l’action de l’Union dans quasiment
tous les domaines. Il n’est pas démontré en quoi, dans le domaine particulier de la lutte contre
l’exploitation sexuelle des enfants, une action à l’échelle européenne serait plus efficace. On
est pourtant convaincu que c’est le cas. Mais la Commission aurait pu expliquer par exemple
qu’une part importante des actes visés par la proposition de directive sont commis sur
internet, parce que les délinquants, mais également les enfants, y ont facilement accès, et
qu’ainsi une action à l’échelle européenne rendrait la répression plus efficace par une
meilleure identification des sites ou des auteurs des infractions. Par ailleurs, dans cette même
proposition, la Commission explique que la directive améliorerait la protection des enfants
victimes. Pour certains, « ceci constitue un objectif que l’on ne peut qu’approuver sur le plan
humain, mais qui n’apparaît pas véritablement pertinent pour justifier une intervention de
l’Union »324. D’un autre côté, on peut contester cette remarque, dans la mesure où l’article 24
de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantit aux enfants le droit à la
protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ce texte énonce une obligation positive
d’agir, dans tous les actes relatifs aux enfants, dans le sens de l’intérêt de l’enfant.
Le principe de subsidiarité, censé guider l’action de l’Union dans les domaines qui ne
relèvent pas de sa compétence exclusive, telle que la coopération judiciaire en matière pénale,
n’est donc pas vérifié très scrupuleusement par l’Union. Les Etats membres et la Cour de
justice peuvent vérifier le respect du principe de subsidiarité, par des contrôles respectivement
antérieur et postérieur à l’adoption des règles minimales en matière pénale.
323
La proposition « permet d’éviter que les auteurs d’infractions n’aillent de préférence commettre leurs
méfaits dans les États membres disposant de règles moins sévères », Exposé des motifs, point 3.
324
E. RUBI-CAVAGNA, préc. note 308, p. 142.
extrapénaux de l’Union »325. Dans une telle hypothèse, seul le respect du principe de
subsidiarité semble permettre d’éviter « un transfert généralisé de compétences pénales des
Etats à l’Union dans tous les domaines où cette dernière dispose d’une quelconque
compétence »326, exclusive ou partagée.
Les Etats membres ont également un rôle à jouer pour contrôler l’extension de la
compétence pénale de l’Union. L’article 12 TUE dispose en effet : « les parlements nationaux
contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union : […] en veillant au respect du
principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le protocole sur
l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ». Aux termes de ce
protocole, les parlements nationaux sont destinataires des projets d’actes législatifs à propos
desquels ils peuvent rendre un avis motivé sur le non respect du principe de subsidiarité. Si au
moins un tiers de l’ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux rend un tel avis, le
projet doit être réexaminé. L’article 7 §2 dudit protocole prévoit que le seuil est d’un quart
lorsqu’il s’agit d’un projet d’acte législatif présenté sur la base de l’espace de liberté, de
sécurité et de justice. Ainsi, pour adopter un acte d’harmonisation des législations pénales, il
faudra convaincre de sa nécessité plus de trois quarts des parlements nationaux. Par
conséquent, la compétence d’harmonisation de l’Union peut théoriquement être contrôlée. Il
faut cependant souligner le fait que le contrôle préventif des parlements nationaux n’empêche
pas que soit adoptée une proposition de directive contraire au principe de subsidiarité, il
ralentit simplement la procédure d’adoption, mais ne l’interrompt pas.
325
J. TRICOT, « L’harmonisation pénale accessoire : question(s) de méthode. Observations sur l’art et la
manière de légiférer pénalement selon l’Union européenne», G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES
(dir.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, coll. UMR de droit comparé de
Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 187.
326
A. BERNARDI, « L’harmonisation pénale accessoire », préc. note 291, p. 161.
327
CJCE, 15 décembre 1995, Bosman, aff. C-415/93, Rec p. I-4921, § 81 : « le principe de subsidiarité, dans
l'interprétation que lui donne le gouvernement allemand, à savoir que l'intervention des autorités publiques, et
notamment de celles communautaires, dans la matière en cause doit être limitée au strict nécessaire, ne peut
avoir pour effet que l'autonomie dont disposent les associations privées pour adopter des réglementations
sportives limite l'exercice des droits conférés par le traité aux particuliers ».
328
CJCE, 12 novembre 1996, Royaume-Uni c. Conseil, aff. C-84/94, Rec p. I-5755, § 23.
329
L. ARROYO ZAPATERO et M. MUNOZ DE MORALES ROMERO, préc. note 206, p. 137.
Conclusion
Afin de tracer le bilan des réformes introduites par le traité de Lisbonne, il convient tout
d’abord de s’attacher aux réponses qu’il a apportées aux critiques formulées à l’égard de la
coopération judiciaire en matière pénale. Les critiques concernaient notamment un manque de
cohérence dans la construction du droit pénal européen. Il lui était reproché une construction
par un empilement de normes avec des fondements différents, par l’adoption d’instruments du
premier ou du troisième piliers, en fonction des politiques et des domaines d’intervention. Le
traité de Lisbonne a nettement précisé le champ de l’intervention de l’Union, le délimitant
avec plus ou moins de clarté. S’agissant particulièrement de la compétence pénale de l’Union,
le traité a le mérite de légitimer l’action de l’Union et de lui donner une base juridique claire
par l’article 83 TFUE, mettant fin aux conflits interinstitutionnels en matière pénale.
Le rapprochement des droits procéduraux, aussi positif soit-il pour les droits
fondamentaux, semble susciter plus de discussions que celui du droit pénal de fond331. La
raison tiendrait au fait que les règles de procédure sont davantage représentatives des
traditions judiciaires des Etats membres, car elles sont vivantes et quotidiennes. De plus, ces
règles de procédure sont liées entre elles, formant une cohérence que l’harmonisation pourrait
venir ébranler332. Par ailleurs, si le traité a voulu une séparation stricte entre l’harmonisation
de la procédure et celle du droit matériel, une telle séparation tend à s’estomper, puisque les
instruments récemment adoptés sont fondés sur une double base juridique, l’article 82 §2 et
l’article 83, permettant l’harmonisation des règles de procédure et la définition des infractions
et de leurs sanctions dans le même instrument. Ces règles procédurales concernent
essentiellement la compétence des juridictions et les droits des victimes. Un auteur relève que
cette tendance pour un droit pénal sectoriel, mêlant règles de fond et de procédure, est une
« tendance qui est déjà bien présente en droit français à la faveur de l’éclatement de la
procédure pénale »333.
330
Proposition de directive du 18 mai 2011 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et
la protection des victimes de la criminalité, COM/2011/275 final.
331
P. BEAUVAIS, « Procédure pénale : droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures
pénales », Revue trimestrielle de droit européen, 2011, p. 642.
332
D. FLORE, Droit pénal européen. Les enjeux d’une justice pénale européenne, Larcier, Bruxelles, 2009, p.
274.
333
J. ALIX, « Discussion. Les frontières de l’harmonisation autonome », in Le droit pénal de l’Union
européenne au lendemain du traité de Lisbonne, G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), coll.
UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28, Société de législation comparée, 2012, p. 149.
334
G. TAUPIAC-NOUVEL, Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions répressives dans l’Union
européenne : contribution à l’étude d’un modèle de libre circulation des décisions de justice, Collection des
Thèses, n° 50, Fondation Varenne, LGDJ, 2011, p. 108.
335
M. MASSE, « La reconnaissance mutuelle », in G. GIUDICELLI-DELAGE et C. LAZERGES (dir.), Le droit
pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, UMR de droit comparé de Paris, Vol. 28,
Société de législation comparée, Paris, 2012, p. 214.
BIBLIOGRAPHIE
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A) Manuels et dictionnaires
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Y. MAYAUD, Droit pénal général, 3e édition, coll. Droit fondamental, PUF, 2010
W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, JurisClasseur Pénal Code, Fasc. 10, 2011
D. REBUT, « Les effets des jugements répressifs », in Les effets des jugements nationaux
dans les autres Etats membres de l’Union européenne, Actes du colloque organisé le 24 mars
2000 par le Centre d’études européennes de l’Université Jean Moulin Lyon 3, Bruylant, 2011
C) Articles
A. GOGORZA, « Le rôle de la CJUE en matière pénale », Droit pénal, n°10, Octobre 2010,
étude 26
M.-C. GUERIN, « La protection des droits fondamentaux par la Cour de justice en matière de
lutte contre le terrorisme et d’harmonisation ou de coopération pénale », Droit pénal, n°9,
Septembre 2010, étude 20
V. MALABAT, « Observations sur la nature du mandat d’arrêt européen », Droit pénal, n°12,
Décembre 2004, étude 17
S. MANACORDA, « Le droit pénal sous Lisbonne : vers un meilleur équilibre entre liberté,
sécurité et justice ? », Revue de science criminelle, 2011, p. 945
S. STEIN, « Le principe ne bis in idem dans l'Union européenne », AJ Pénal, 2011, p. 443
Les étudiants du Master 2 Droit pénal de l’Université de Bordeaux IV), « L’exécution des
peines dans un autre Etat membre de l’Union européenne », Droit pénal, n° 9, Septembre
2010, étude 23
Colloque organisé par la Cour de cassation, « La justice pénale : entre respect des traditions
nationales et nouvelles exigences de l’Union européenne », Cycle pénal, 25 mars 2013.
II – Législation
A) Droit international
Convention entre les Etats membres des Communautés européennes relative à l'application du
principe non bis in idem, signée à Bruxelles dans le cadre de la coopération politique
européenne le 25 mai 1987
1) Droit primaire
Traité sur l’Union européenne et traité instituant les Communautés européennes, modifiés par
le traité d’Amsterdam, en vigueur le 1er mai 1999, JO C 340 du 10 novembre 1997
Traité sur l’Union européenne et traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, versions
consolidées par le traité de Lisbonne, en vigueur le 1er décembre 2009, JO C 83 du 30 mars
2010
2) Droit dérivé
a) Procédure pénale
Directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures
pénales (2012/13/UE), JO L 142 du 1er juin 2012
b) Droit pénal
Décision-cadre du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains
(2002/629/JAI), JO L 203 du 1er août 2002
3) « Soft Law »
a) Conseil européen
Conseil européen, Programme de Stockholm, « Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège
les citoyens », JO C 115 du 4 mai 2010
Résolution du Conseil du 30 novembre 2009 relative à la feuille de route visant à renforcer les
droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures
pénales, JO C 295 du 4 décembre 2009
c) Commission
Communication de la Commission sur les suites de l'arrêt rendu par la Cour de justice des
Communautés européennes le 20 février 1979 dans l'affaire 120/78 (Cassis de Dijon), JO C
256 du 3 octobre 1980
C) Droit français
CJCE, 11 février 2003, aff. C-385/01 et C-187/01, Procédure pénale c. Klaus Brügge,
Procédure pénale c. Gözütok, Rec. p. I-1345 et s.