Artigo Aby Warburg - Julien Zanetta - Memoire

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Les coordonnées de la mémoire:

Aby Warburg, la magie et l’espace

Julien Zane*a
(FNS – University of Michigan)
« Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m’ennuient, ils ne
m’apprennent rien ; ce qu’ils racontent ne me concerne pas, ne m’interroge pas et ne
répond pas davantage aux quesJons que je pose ou que je voudrais poser.
Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est il ? Ce qui
se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quoJdien, l’évident, le
commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre
compte, comment l’interroger, comment le décrire ?
Interroger l’habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne
l’interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le
vivons sans y penser, comme s’il ne véhiculait ni quesJon ni réponse, comme s’il
n’était porteur d’aucune informaJon. Ce n’est même plus du condiJonnement, c’est
de l’anesthésie. Nous dormons notre vie d’un sommeil sans rêves. Mais où est-elle,
notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ? »

Georges Perec, « Approches de quoi ? », in L’Infra-ordinaire


I. Aby Warburg – quelques repères biographiques

II. La bibliothèque

III. Mnémosyne
Aby Warburg (1866-1929)
lors de son voyage chez
les indiens Hopi en
Arizona, 1895.
« La significaJon des arts plasJques ne se réduit
pas aux contenus – à la sensibilité, à la beauté –
qu’ils peuvent communiquer, mais ils contribuent
de façon originale à la possibilité pour l’homme
de se repérer dans le monde. »

Heinrich Wölfflin, « Sur l’évoluJon de la forme » (1920), Réflexions sur l’histoire


de l’art.
Atlas Mnémosyne, planche 45

Superla=fs du langage gestuel. Exubérance de


la conscience de soi. Héros individuel ressortant
de la grisaille typologique. Perte du “comme” de
la métaphore.
« Parce qu’elles a*estent la tension polaire inhérente à
l’acte de créaJon arJsJque – entre imaginaJon
idenJficatrice et raison distanciatrice – les images
fournissent une ressource immense, et pourtant trop peu
exploitée à ce jour, à qui veut comprendre les phases
criJques d’un tel processus. »

Aby Warburg, IntroducJon à l’Atlas Mnémosyne (1929).


I. Aby Warburg – quelques repères biographiques

II. La bibliothèque

III. Mnémosyne
» Darum schwebt mir für meine « J’envisage une descripJon des buts de
Bibliothek als Zweckbezeichnung vor: ma bibliothèque comme suit : une
eine Urkundensammlung zur collecJon de documents concernant la
Psychologie der menschlichen psychologie de l’expression humaine. La
Ausdruckskunde. Die Frage ist, wie quesJon qui se pose est la suivante :
entstehen die sprachlichen oder comment les expressions verbale et
bildförmigen Ausdrücke, nach welchem picturale sont-elles créées ? Selon quels
Gefühl oder Gesichtspunkt, bewusst senJments ou points de vue, conscients
oder unbewusst, werden sie im Archive ou inconscients, sont-elles conservées et
des Gedächtnisses auqewahrt, und trouvent-elles leur place dans les archives
gibt es Gesetze, nach denen sie sich de la mémoire ? Existe-t-il des lois qui
niederschlagen und wieder gouvernent leur classement ou leur
herausdringen. « résurgence ? »

Aby Warburg, cité par E. H. Gombrich, Aby Warburg: An Intellectual Biography, 1970.
« Le livre dont on avait connaissance et que l’on avait à l’esprit n’était pas,
dans la plupart des cas, le livre dont on avait besoin. Sur l’étagère, le livre
voisin, inconnu, contenait, lui, l’informaJon vitale, bien que l’on aurait
été en peine de le dire d’après son Jtre. L’idée dominante était que
l’ensemble des livres – chacun contenant sa part plus ou moins grande
d’informaJon complétée par ses voisins – devraient guider l’étudiant par
leurs Jtres afin qu’il perçoive les histoires et les forces essenJelles de
l’esprit humain. Pour Warburg, les livres étaient plus que des instruments
de recherche. Regroupés et assemblés, ils exprimaient la pensée de
l’humanité dans ses aspects variables et constants. »

Fritz Saxl
« La nouveauté de ma méthode Jent en ceci que, pour rendre compte
de la psychologie de la créaJon arJsJque, je rassemble des documents
venus du domaine de la langue aussi bien que des arts plasJques ou du
monde du drame religieux. Pour y parvenir, moi et mes compagnons de
recherche devons avoir devant nous les documents, i. e. les livres et les
images disposés sur de grandes tables afin que nous puissions les
comparer, et ces livres et ces images doivent être à portée de main sans
difficulté et instantanément. Aussi ai-je besoin d’une véritable arène
avec des tables afin d’avoir sous la main les livres usuels et le matériel
iconographique. »

Aby Warburg, LeLres, 1925


Entrée et salle de lecture de la bibliothèque Warburg à Hambourg, 1926
« Les livres étaient hébergés sur quatre étages. Le premier commençait
avec les livres consacrés aux problèmes généraux de l’expression et à la
nature des symboles. À parJr de là, on était amené à l’anthropologie et
à la religion, et de la religion à la philosophie et à l’histoire de la science.
Le second étage contenait les livres sur l’expression arJsJque, sa
théorie et son histoire. Le troisième était consacré au langage et à la
li*érature, le quatrième aux formes sociales de la vie humaine –
histoire, droit, psychologie, folklore, etc. »

Fritz Saxl
Emblème du schéma d’organisaJon de la Bibliothèque Warburg
Bild – Wort – Orien=erung – Dromenon
Entrée du Warburg Ins=tute à Londres
I. Aby Warburg – quelques repères biographiques

II. La bibliothèque

III. Mnémosyne
• Pathosformeln : Formules du pathos /
Formules d’émoJons

• Nachleben der An=ke : Survivance de


l’AnJque / AnJquité
« Il faut descendre dans les profondeurs de la nature
pulsionnelle, où l'esprit humain épouse la maJère
sédimentée de façon non chronologique. Seule une
telle immersion permet de disJnguer la frappe qui
donne leur empreinte aux valeurs expressives de
l'émoJon. »

Aby Warburg
α. Les coordonnées de la mémoire : L’homme et le cosmos (la famille Tornabuoni, Léonard de
Vinci, le Zeppelin) [A-B-C]

I. Astrologie et mythologie : les projecJons du cosmos (Babylone, Athènes, Alexandrie, Rome)


[1-2-3]

II. Modèles archéologiques et empreintes de l'AnJquité. Extase et mélancolie, pathos du


sacrifice et geste du triomphe. [4-5-6-7-8]

III. [MigraJon des anciens dieux] PérégrinaJons et déguisements des divinités anJques entre
Orient et Occident (Bagdad, Tolède, Padoue, Rimini, Ferrare; XIIIe-XVe siècles) [20-27]

IV. Véhicules de la tradiJon : tournois, cérémonies, tapisseries, fables mythologiques. Echanges


entre le Nord et le Sud (première Renaissance; Florence, les Flandres) [28/29-36]

V. IrrupJon de l'AnJquité : dessin, grisaille, jeux de cour, allégories mythiques (Pollaiolo,


Bo~celli) [37-38-39]

VI. Formules du pathos dionysiaque : annihilaJon et furie, deuil et méditaJon (vicJme,


bourreau, Mère, Ménade, Laocoon) [40-41-42]
« Mnémosyne doit parJr du processus de
désintégraJon du globe comme instrument
d’orientaJon (scienJfique, grec) que représente
la sphaera barbarica : proliféraJon mécaniste
du système linéaire – élargissement
planimétrique à l’infini – comme de la
symbolique monstrueuse et démonique. »

Aby Warburg, Tagesbuch de la bibliothèque Warburg


α. Les coordonnées de la mémoire : L’homme et le cosmos (la famille Tornabuoni, Léonard de
Vinci, le Zeppelin) [A-B-C]

I. Astrologie et mythologie : les projecJons du cosmos (Babylone, Athènes, Alexandrie, Rome)


[1-2-3]

II. Modèles archéologiques et empreintes de l'AnJquité. Extase et mélancolie, pathos du


sacrifice et geste du triomphe. [4-5-6-7-8]

III. [MigraJon des anciens dieux] PérégrinaJons et déguisements des divinités anJques entre
Orient et Occident (Bagdad, Tolède, Padoue, Rimini, Ferrare; XIIIe-XVe siècles) [20-27]

IV. Véhicules de la tradiJon : tournois, cérémonies, tapisseries, fables mythologiques. Echanges


entre le Nord et le Sud (première Renaissance; Florence, les Flandres) [28/29-36]

V. IrrupJon de l'AnJquité : dessin, grisaille, jeux de cour, allégories mythiques (Pollaiolo,


Bo~celli) [37-38-39]

VI. Formules du pathos dionysiaque : annihilaJon et furie, deuil et méditaJon (vicJme,


bourreau, Mère, Ménade, Laocoon) [40-41-42]
VII. Niké et la Fortune : Marchands, Anges, Nymphes, Guerriers (Ghirlandaio, Mantegna)
[43-49]

VIII. L'ascension des dieux aux cieux et leur retour sur terre [rechute] : des Muses à Manet
(Rome, XVIe-Paris, XIXe siècles) [50-56]

IX. Formules de pathos et cosmologie chez Dürer. MigraJon des dieux vers le Nord. [57-58-59]

X. L'âge de Neptune. Les dieux et la célébraJon de la puissance dans les cours italiennes et les
monarchies européennes (XVIe-XVIIe siècles) [60-64]

XI. L'art "officiel" et la dramaJsaJon du mythe : le pathos baroque. Des scènes d'enlèvements
aux Leçons d'anatomie (Rubens, Rembrandt) [70-75]

XII. Engrammes [la résurgence de l'AnJquité] : défense, anéanJssement, apothéose. La Mère,


l'Ange, la joueuse de golf (estampes, Jmbres) [76-77]

ω. L'AnJquité aujourd'hui [l'actualité de la mémoire]. L'Eglise, l'Etat, le Pouvoir: du sacrifice


païen à la sublimaJon du rituel [78-79]
Gradiva / Ghirlandaio / Raphael: Nymphe canéphore
Anonyme grec, Ménade dansant Joshua Reynolds, Crucifixion
Pedagogo (groupe des Niobides),
Andrea del Castagno, David et Goliath
Copie romaine d’un original grec
Sara Angel, Carrière et références dans l’œuvre de Warburg
Atlas Mnémosyne, planche 55

Jugement de Pâris sans ascension. D’après


le Sarcophage : Peruzzi et Marcantonio.
Ascension et redescente. Narcissisme.
Plein air subs=tué à l’Olympe. Emprunt
Manet-Carrache. Couple en promenade.
Edouard Manet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1862-1863
TiJen, Le Concert champêtre, 1508-1509
Marcantonio Raimondi, Le Jugement de Pâris (d’après Raphaël), 1515
Le Jugement de Pâris, sarcophage romain, II-IIIe siècle, Rome, Villa Medici
Le Jugement de Pâris, sarcophage romain, IIe siècle, Rome, Villa Doria Pamphili
« Malgré la faJgue : l’essenJel de l’inversion
dynamique chez Manet : la significaJon
(dynamiquement opposée) d’un homme couché
qui passe du symbole du fatalisme et de la
passivité [le dieu fleuve] à l’opJmiste cynique
[Manet], qui s’est intérieurement redressé. »

Aby Warburg, Tagesbuch.


Atlas Mnémosyne, planche 55

Jugement de Pâris sans ascension. D’après


le Sarcophage : Peruzzi et Marcantonio.
Ascension et redescente. Narcissisme.
Plein air subs=tué à l’Olympe. Emprunt
Manet-Carrache. Couple en promenade.
Atlas Mnémosyne, planche 56

Ascension et chute (Michel-Ange).


Apothéose de la mort sur la croix.
Jugement dernier et chute de Phaéton.
Transpercement du plafond.
Cesare Castagnola, Chute de Phaéton,
Castelfranco Veneto.
« ...je peux à présent démontrer
que l’influence de l’AnJquité sur la
formaJon des valeurs expressives,
que je cherchais au début de mes
tentaJves scienJfiques dans
l’intensificaJon de la gestuelle,
s’exerce tout aussi bien au pôle
opposé de l’expression, dans la
figuraJon de l’humanité absorbée
en elle-même: la Melencolia I de
Dürer, dont la posture, tel un
commutateur, à la fois perpétue et
transforme l’a~tude du dieu-
fleuve anJque, et le dessin des
dieux-fleuves par Raphaël pour la
gravure de Marcantonio. »

Aby Warburg, Tagesbuch de la bibliothèque Warburg


„Manchmal kommt es mir vor, als ob ich « Parfois, il me semble que j'essaie,
als Psychohistoriker die Schizophrenie des comme psycho-historien, de déceler la
Abendlandes aus dem Bildha‡en in schizophrénie du monde occidental à
selbstbiographischem Reflex abzulesen parJr de ses images, et comme dans un
versuche: die ekstaJsche Nymphe réflexe autobiographique : d'un côté la
(manisch) einerseits und der trauernde
nymphe extaJque (maniaque) et de
Flussgo* (depressiv) anderseits als Pole
l'autre le dieu-fleuve en deuil
zwischen denen der treuordnend
(dépressif), comme les pôles entre
eindrucksempfindliche seinen täJgen SJl
lesquels l'homme sensible, donnant
zu finden versucht. Das alte Contrasto-
fidèlement forme à ses impressions
Spiel: Vita ac=va und vita contempla=va.“
cherche son propre style dans l'acte
créateur. Le vieux jeu des contrastes:
vie acJve et vie contemplaJve. »

Aby Warburg, Tagesbuch de la bibliothèque Warburg


Bibliographie

• Lo Sguardo di Giano – Aby Warburg fra tempo e memoria, Nino Aragno, 2004
• Giorgio Agamben, « Aby Warburg et la science sans nom », Image et mémoire, Paris, Hoëbeke, 1998, p. 9-43.
• Georges Didi-Huberman, L’image survivante – Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris,
Minuit, 2002.
• G. Didi-Huberman, Atlas ou le Gai savoir inquiet, Paris, Minuit, 2011.
• Maurizio Ghelardi, « Le dernier voyage d’Aby Warburg : Edouard Manet, Mnémosyne et Giordano Bruno », in
Miroirs de faille, Paris, L’écarquillé-INHA, 2011, p. 7-22.
• Carlo Ginzburg, « De A. Warburg à E. H. Gombrich – Notes sur un problème de méthode », Mythes emblèmes
traces, Lagrasse, Verdier, 2010, p. 56-159.
• C. Ginzburg, « Le Forbici di Warburg », in Schifanoia. No=zie dell’Is=tuto di studi rinascimentali di Ferrara, 42/43,
2012, p. 13-34.
• E. H. Gombrich, Aby Warburg – An Intellectual Biography, Londres, The Warburg InsJtute, 1970.
• Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, Paris, Macula, 1998.
• Andrea Pino~, « Archéologie des images et logique rétrospecJve », in Images Re-vues, 4, 2013.
• Roland Recht, « L’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg », in L’Atlas Mnémosyne, Paris, L’écarquillé-INHA, 2012, p.
7-48.
• Aby Warburg, Fragments sur l’expression, Paris, L’écarquillé–INHA, 2015.
• Christopher S. Wood, « Londres – New York – Los Angeles : Les errances posthumes d’Aby Warburg », En ligne.
• Frances A. Yates, L’art de la mémoire [1966], trad. de D. Arasse, Paris, Gallimard, 1975.

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