Cnesco Post-Baccalaureat Paivandi
Cnesco Post-Baccalaureat Paivandi
Cnesco Post-Baccalaureat Paivandi
ET SUPÉRIEUR
CONSTRUISONS DES PONTS
PAIVANDI Saeed
Juillet 2019
Ce document s’inscrit dans une série de contributions publiées par le Conseil national d’évaluation
du système scolaire (Cnesco) sur la thématique : Post-baccalauréat.
Paivandi, S. (2019). Le défi de la transition entre secondaire et supérieur, Construisons des ponts. Paris
Cnesco.
2
Table des matières
Introduction .......................................................................................................................................4
I. L’accès à l’enseignement supérieur ............................................................................................7
A. La sélection : deux approches en Europe .................................................................................7
B. La réforme de 2018 en France .................................................................................................8
II. La transition entre le secondaire et le supérieur (TESS), un objet de recherche largement
investi ................................................................................................................................................9
A. La TESS : un moment critique du parcours d’un jeune .............................................................9
B. Les approches de la transition ............................................................................................... 10
C. Les modèles théoriques de la transition ................................................................................ 11
D. L’étudiant et son environnement d’études ............................................................................ 12
III. Le parcours de la TESS ..............................................................................................................13
A. La socialisation initiale, l’intégration ...................................................................................... 13
B. Les différents types d’intégration à l’environnement d’études .............................................. 13
C. Les moments de la transition................................................................................................. 15
D. La performance, la persévérance et le décrochage ................................................................ 17
E. Les débats critiques sur la performance universitaire ............................................................ 19
F. Les compétences méthodologiques et transversales ............................................................. 22
IV. Les étudiants et l’expérience de la TESS ...................................................................................24
A. L’intention et l’engagement de l’étudiant débutant ............................................................... 24
B. Les prédicteurs de la TESS ..................................................................................................... 26
C. L’origine sociale et la TESS ..................................................................................................... 28
D. Les traits personnels et la TESS .............................................................................................. 30
E. Les fragilités des étudiants à risque ....................................................................................... 31
V. L’environnement d’études et la TESS .......................................................................................33
A. L’effet établissement – effet contexte ................................................................................... 33
B. Les liens entre le secondaire et le supérieur .......................................................................... 35
C. La pédagogie et le personnel académique ............................................................................. 36
D. Les dispositifs d’accompagnement des étudiants primo-arrivants.......................................... 37
E. L’évaluation critique des dispositifs ....................................................................................... 41
Conclusion ........................................................................................................................................44
Bibliographie ....................................................................................................................................46
3
Introduction1
Il y avait 300 000 étudiants en France en 1968, 1,5 million en 2000, il y en a eu 2,6 millions en 2017 2.
Or, au-delà du simple aspect quantitatif, la croissance démographique de la population étudiante a
radicalement transformé la composition des publics inscrits dans l’enseignement supérieur sur les
plans scolaire et social. Une des conséquences directes de cette massification est l’émergence de la
question de la transition entre le secondaire et le supérieur (TESS) comme nœud critique de l’accès
au savoir et à la formation supérieure.
L'entrée à l'enseignement supérieur, spécialement quand il s’agit de l’université, est susceptible
d’engendrer de nombreuses ruptures sur les plans cognitif, social et existentiel qui expliquent tant de
difficultés vécues par les étudiants débutants (Berthaud, 2017 ; Chemers, Hu & Garcia, 2001 ;
Endrizzi, 2010 ; Morlaix & Suchaut, 2012 ; Paivandi, 2015 ; Perry, Hladkyj, Pekrun, & Pelletier, 2001 ;
Trautwein & Bosse, 2016). Dans l’expérience de la transition entre le secondaire et le supérieur
(TESS), la confrontation de l’étudiant au monde universitaire est considérée comme la mère des
batailles (Coulon, 1997 ; Fazey et Fazey, 2001 ; Huon & Sankey, 2002 ; Jansen & Bruisma, 2005 ;
Jansen & Van de Meer, 2012 ; Terenzini et al., 1994). C’est lors de cette période que l’étudiant va
devoir adapter ses attitudes et ses comportements aux exigences académiques et sociales de
l’université, sans quoi il ne pourra pas réussir sa première année.
La transition entre le secondaire et le supérieur est loin d’être un phénomène franco-français. Malgré
l’existence d’une riche tradition d’accueil des nouveaux étudiants dans certains pays européens et en
Amérique du Nord, la massification de l’enseignement supérieur a engendré une situation critique
marquée par un nombre important de difficultés au début du parcours universitaire. L’OCDE incite
ses pays membres à prendre des mesures appropriées pour améliorer l’accès et le cheminement des
étudiants dans l’enseignement supérieur (2016). En Europe, la cible visée pour l’horizon 2020 est un
taux d’accès à l’enseignement supérieur de 40 %, accompagné par une plus grande diversification
sociale de la population étudiante (Eurydice, 2014). En Australie et aux États-Unis aussi, on vise à
augmenter le nombre de jeunes s’inscrivant dans l’enseignement supérieur et à leur offrir les
conditions nécessaires pour réussir leur cursus (Gale & Parker, 2014). Un décret adopté en Belgique
francophone (Décret Paysage/ Moniteur belge, 2013) appelle à réorganiser l’accès et l’accueil des
étudiants débutants afin d’améliorer la réussite dans l’enseignement supérieur. En France, l’accès de
près de 80 % des bacheliers à l’enseignement supérieur montre que, pour un nombre croissant de
jeunes, une inscription dans l’enseignement supérieur constitue désormais une norme
générationnelle, et la poursuite logique de leur scolarisation (Galland, 1990 ; Van De Velde, 2008).
Sur le plan académique, les chercheurs et les experts convergent pour affirmer que l’enseignement
secondaire et l’enseignement supérieur constituent deux ordres très différents. Dans les traditions
académiques de certains pays, les universités informaient les étudiants primo-arrivants des
changements et des ajustements attendus. Upcraft et Gardner (1989) remontent dans l’histoire pour
1
Je tiens à remercier Marie-José Gremmo, Professeure Emérite (LISEC), pour sa lecture attentive de mon texte et ses
suggestions utiles.
2
La France a connu deux phases importantes de massification de l’enseignement supérieur depuis les années 1960.
Pendant, la première phase, entre 1960 et 1980, le nombre d’inscrits dans l’enseignement supérieur est passé de 300 000 à
près de 1,2 million (soit un taux moyen de croissance annuel de 7 %). Avec une croissance de 1,2 million en 1980 à près de
2,2 millions en 2000, la deuxième phase se caractérise par un ralentissement relatif de la croissance démographique de
l’enseignement supérieur (taux moyen de croissance annuel de 3 %). L’évolution démographique de l’enseignement
supérieur s’est nettement freinée depuis 2000 (taux moyen de croissance annuel de moins de 1 % entre 2001 et 2017).
4
repérer l’origine de ce phénomène au sein de l’institution universitaire. Dès l’université de Bologne
au 12e siècle, les étudiants néophytes formaient une catégorie particulière. Le terme Freshmen qui
désigne les nouveaux étudiants, est apparu dans le langage universitaire en Angleterre au 16e siècle
et a été emprunté par les Américains au cours du 17e siècle. Dans le modèle « Oxbridge », le tutorat
est la pierre angulaire sans oublier d’étroites relations informelles entre étudiants et professeurs. Ces
relations sont considérées comme aussi importantes pour le développement des jeunes que les
cours ex cathedra et les séminaires. Dans les pratiques sociales anciennes des institutions, ce passage
pouvait devenir un moment assez traumatisant, avec le bizutage comme un rite de passage infligé
par les aînés. Aux États-Unis, Harvard a mis en place à partir de 1640 la première expérience tutorale
pour accompagner les nouveaux étudiants, à l’initiative de son jeune président, Henry Dunster, un
diplômé de Cambridge. Dans les réformes curriculaires introduites par Eliot au 19 e, les
enseignements préparatoires ont pris une place importante (Graves et Graves, 2006, p. 9). Depuis,
les universités américaines sont devenues de plus en plus attentives aux modalités d’intégration de
leurs nouveaux étudiants. Elles tentent de sensibiliser et de former les nouveaux étudiants à travers
des initiatives sociales et pédagogiques (Upcraft et Gardner, 1989). La composition du programme de
la première année est une « exigence universelle » (Fosen, 2006) que presque tous les étudiants des
collèges et universités des États-Unis doivent compléter (O’Brien-Moran & Soiferman, 2010). De
nombreux séminaires et ateliers qui visent des objectifs cognitifs, sociaux et méthodologiques sont
proposés aux nouveaux étudiants. Certains dispositifs sont pris en charge par les conseillers, les
tuteurs et les étudiants avancés, les autres sont directement animés par les enseignants (Matthew et
al., 2017 ; Upcraft, Gardner & Barefoot, 2005).
Plusieurs auteurs tentent de rendre compte de la complexité des changements et des nouvelles
exigences auxquels l’étudiant est confronté au cours de la TESS (FYE, First Year Experience) (Brochu
et Moffet, 2010 ; Chemers, Hu & Garcia, 2001 ; Endrizzi, 2010 ; Matthew, et al., 2017 ; Pekrun, &
Pelletier, 2001 ; Perry, Hladkyj, Trautwein & Bosse, 2016). La TESS est notamment marquée par le
nombre important de nouveautés auxquelles l’étudiant devra s’ajuster. La découverte des études
universitaires est, pour ceux qui terminent l’enseignement secondaire, un temps d’exploration,
d'efforts et de mobilisation pour développer une nouvelle identité et construire une nouvelle relation
à l’apprendre, et de nouveaux repères et liens sociaux. Il s’agit de s’adapter à un nouvel
environnement académique et social, et de vivre plusieurs changements concernant l’apprentissage,
la relation avec les enseignants, l’organisation du temps. On souligne très souvent le transfert de la
responsabilité vers le jeune, et une autonomie plus importante sur le plan pédagogique et social avec
l’affaiblissement du contrôle externe (Wasylkiw, 2016). Autrement dit, par rapport au lycée où les
enseignants et l’établissement organisent, orientent et structurent l'apprentissage, à l'université, les
responsabilités incombent à l'étudiant qui doit se prendre en charge, donner un sens à son
apprentissage dans le cadre d’un projet, décoder les enjeux académiques et professionnels des
apprentissages.
Devenir étudiant, c'est se mouvoir dans un nouvel espace éducatif et traverser une expérience de
quasi « conversion », accéder à une structure sociale, à un système de règles et de pratiques
instituées en tant que membre de sa nouvelle communauté. Il s’agit d’un processus d’acculturation
(Romainville, 2000) et d’« affiliation » (Coulon, 1997), d’un processus d’ « estudianisation » (Dubet,
1992), de la préparation du passage du monde des connaissances à l’univers de l’action et des
professions. C’est aussi entrer dans une autre façon d’être soi-même, d’être confronté à ce qu’on
est, à ce qu’on veut être, développer une nouvelle maturité et prendre ses responsabilités en rapport
5
avec un projet de vie. Il s’agit d’apprendre à s’autonomiser, c’est-à-dire à s’auto-discipliner, à s’auto-
organiser ou à s’auto-motiver.
Les recherches sur les étudiants soulignent un décalage entre la culture « héritée » du passé lycéen
et le monde académique. L’environnement général, l’organisation et les méthodes de
l’enseignement, les attentes, les formes de travail, les modalités d’évaluation, les dispositifs
d’accompagnement (Boyer, Cordian & Erlich, 2001 ; Endrizzi, 2010) changent et créent un fossé non
travaillé dans un système qui semble sous-estimer, voire ignorer, l’importance d’une acculturation
initiale permettant l’accès aux codes, aux normes et aux pratiques académiques. Un nombre
important de recherches se sont intéressées à la façon dont les étudiants arrivent à s’adapter au
monde universitaire, selon l’origine sociale et scolaire, le bagage d’entrée, le genre, les attentes, le
projet et la mobilisation individuelle. La TESS doit être, d'autre part, associée à des situations
objectivement différenciées qui concernent les conditions de vie, la séparation éventuelle d'avec les
parents, une rupture sociale avec le réseau d’amis et l’environnement social, la prise en charge de la
vie quotidienne et quelquefois l'exercice d'un travail rémunéré. La période transitoire se caractérise
aussi par l’existence d’un désir de pouvoir développer la capacité de se construire comme un jeune
adulte, de développer ses libertés individuelles. La TESS est aussi un moment de dérèglement du
cadre temporel. Au temps plein et régulier du lycée se substituent l'irrégularité et la discontinuité des
horaires universitaires qui organisent la vie quotidienne. Plus encore, le temps scolaire contraint,
prépondérant durant les années antérieures, se défait dans la mesure où le contrôle de la présence
n'est plus systématique (Boyer, Cordian & Erlich, 2001, p. 98).
Pour une transition raisonnée et réfléchie, il faut aussi construire des ponts entre le secondaire et le
supérieur. Dans les débats critiques sur la TESS, on s’interroge aussi sur le rôle joué par
l’enseignement secondaire, même si sa mission première n’est pas de préparer aux études
supérieures. Compte tenu des changements attendus lors de la TESS, on peut penser que ces deux
ordres d’enseignement peuvent se coordonner davantage et se préoccuper de la préparation des
futurs étudiants.
6
I. L’accès à l’enseignement supérieur
La croissance démographique de la population étudiante se traduit par une diversification accrue des
inscrits dans l’enseignement supérieur, selon l’origine sociale et le parcours scolaire. L’augmentation
de la part des étudiants issus des familles dont les parents n’avaient pas connu l’enseignement
supérieur (First Generation) est une des conséquences de l’ouverture sociale. Cependant, cette
démocratisation est ségrégative car le choix de la filière d’études est largement influencé par
l’origine sociale et scolaire des étudiants. L’aspiration à poursuivre des études supérieures ne se
réduit pas à l’influence directe du parcours scolaire au niveau secondaire, la famille (capital culturel,
diplômes, jugement sur les compétences des enfants, etc.) constitue une variable importante du
devenir de l’étudiant. Selon Maroy & Van Campenhoudt (2010), à capital culturel institutionnalisé
similaire et à parcours scolaire équivalent, il y a une influence forte et directe des attentes familiales
en matière d’enseignement universitaire, et du jugement que sa famille se forge sur la capacité du
jeune à entamer des études universitaires.
7
également restreint en fonction d’un « numerus clausus » limitant l’accès du jeune à cette filière
(même si ce numerus clausus ne prend pas toujours effet à l’admission de l’étudiant). La distinction
entre ces deux politiques n’est pas toujours nette, il convient donc de l’appréhender avec précaution.
8
II. La transition entre le secondaire et le supérieur (TESS), un objet de
recherche largement investi
L’ampleur des travaux académiques réalisés sur la TESS révèle l’intérêt épistémologique et théorique
manifesté par les chercheurs pour cet objet de recherche (Brochu et Moffet, 2010 ; De Clercq et al,
2013 ; Endrizzi, 2010 ; Endrizzi et Sibut, 2015 ; Kyndt et al., 2017 ; Matthew, et al., 2017 ; Pascarella &
Terenzini, 2005 ; Paivandi, 2015 ; Robbins et al., 2004). Ce foisonnement semble aussi s’expliquer par
les enjeux et les défis imposés et les difficultés vécues par l’expérience de la TESS. En effet, l'entrée
dans la vie étudiante ne peut être perçue à partir des seules modalités d'intégration académique et
sociale à l'université. Elle procède d'une rencontre entre une nouvelle culture scolaire et un nouveau
statut social, mais aussi d'une transformation des cadres et modes de vie qui, ensemble, contribuent
à façonner une nouvelle identité en développement (Boyer, Cordian & Erlich, 2001 ; Kyndt et al.,
2017). Plusieurs thèmes semblent dominer la littérature de recherche sur la transition. L’axe le plus
présent s’intéresse à l’expérience de la transition, aux transformations vécues et aux facteurs
individuels, académiques, institutionnels et sociaux susceptibles d’exercer une influence sur ce
tournant crucial du parcours des jeunes. On se focalise aussi sur les résultats obtenus par les
étudiants en termes de performance académique et sur l’ampleur des phénomènes de décrochage
ou de réorientation. Un autre axe s’intéresse à l’évaluation critique des dispositifs mis en place par
les établissements pour accompagner les étudiants débutants.
Les enquêtes menées sur les étudiants débutants tendent souvent à s’intéresser à une seule
dimension de l’expérience de la transition. Ce sont des méta-analyses sur la TESS qui permettent de
mettre en perspective la dimension plurielle de la TESS et de nombreuses recherches réalisées dans
les contextes universitaires très différents. Cependant, certaines recherches ont réussi à développer
une vision large et pluridimensionnelle sur l’expérience de la TESS et à l’inscrire dans un cadre plus
large d’un parcours de vie. Par exemple, l’enquête longitudinale « Transition » réalisée au Canada
(Doray et al., 2009) s’intéresse à un échantillon initial de 30 000 jeunes (nés en 1984, âgés de 21 ans
en 2006). Stone (2010) a réalisé une enquête longitudinale pour examiner les facteurs individuels et
contextuels qui influencent le parcours des étudiants lors de leur passage à l’université.
Certains phénomènes repérés par les travaux de recherche internationaux sur la TESS convergent.
Cependant, dans la lecture ou l’analyse critique de la littérature de recherche, la comparaison
internationale ne peut pas faire l’économie de la prise en compte des contextes nationaux
spécifiques, qui semblent peser lourdement sur les expériences variées de la TESS. Le curriculum du
secondaire, les modalités de l’orientation post-secondaire, l’organisation de l’enseignement
supérieur, les dispositions d’accompagnement prévus et les conditions sociales et financières des
études supérieures varient d’un pays à un autre.
9
recherches tendent à mettre l’accent sur le caractère à la fois transitoire et transformateur de cette
période qui met l’étudiant devant un ensemble de défis académiques, identitaires, personnels et
sociaux (Brochu et Moffet, 2010). Considérer la TESS comme « nager dans des eaux inconnues »
signifie que ce moment particulier d’un parcours d’apprentissage est loin d’être une progression
linéaire, il est susceptible d’engendrer de profonds changements. Les « sauts » attendus lors de ce
passage font de la transition entre secondaire et supérieur une période cruciale. L’entrée à
l’université est un moment critique, certes ni le premier ni le dernier, l’existence humaine étant faite
d’entrées successives et de passages qui jalonnent le chemin de la vie. C’est l’apprentissage de
l’« entrisme » qui désigne le mouvement permanent par lequel l’homme s’efforce, d’entrer dans la
vie (Lapassade, 1997, p. 205) en développant la capacité de changer et l’acceptation du changement.
Réussir son entrée dans les études supérieures implique l’adaptation et l’acculturation. Il s’agit d’une
initiation qui se réfère à la notion de passage (entrée dans quelque chose de nouveau), un parcours à
la fois hors de et vers quelque chose. Les théories anthropologiques s’intéressent au phénomène du
passage à travers les rites facilitant une « seconde naissance », la conquête d’un nouveau statut,
l’instrument d’une affiliation (Ardoino, 1971, p. 79). Le rite signifie que l'institution prend en charge
et initie les débutants à leur nouveau statut d'étudiant, marquant ainsi l'intégration et la succession
de générations d'étudiants au sein de l'institution universitaire. Les fonctions de « passage » et
« d’insertion » sont un moment de socialisation.
Les étudiants sont invités à décider de leur avenir professionnel, à développer une philosophie et un
style de vie. L’expérience étudiante est devenue la forme dominante contemporaine de la période
intermédiaire séparant le temps adolescent et le temps adulte (Galland, 1990 ; Van De Velde, 2008)3.
À côté de l’acquisition des savoirs universitaires et des compétences nécessaires à l’insertion
professionnelle, être étudiant signifie aussi le temps d’initiation à la vie adulte pour devenir plus que
jamais le sujet de son parcours à travers l’autonomie matérielle progressive et une temporalité
personnalisée.
3
Selon les données du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (2018), l’accès élargi au
baccalauréat a été un moteur déterminant de la massification de l’enseignement supérieur. La proportion de bacheliers
dans une génération est passée de 33 % en 1987 à 79 % en 2016. Selon la même source, le taux d’inscription immédiate des
bacheliers 2016 dans les différentes filières de l’enseignement supérieur s’élève à 75 %.
10
doit aller au-delà de l’expérience universitaire, et s’intéresser aux différentes théories sociales et aux
recherches provenant de domaines connexes.
11
s'adapter à l'environnement, de développer de la confiance et de l'autonomie et de réussir leurs
études (Briggs et al., 2012). Cette perspective s’intéresse donc à la dimension de développement
durant l’expérience de la première année (Berzonsky & Kuk, 2000 ; Briggs, Clark & Hall, 2012 ; Gale &
Parker, 2014 ; Terenzini et al., 1994 ; Gale & Parker, 2014), et aux processus d’adaptation à
l’université (Chemers, Hu & Garcia, 2001 ; Credé & Niehorster, 2012 ; Larose, Soucy, Bernier & Roy,
1996 ; Wasylkiw, 2016).
12
III. Le parcours de la TESS
On constate une certaine convergence entre les recherches sur les étudiants débutants à propos de
la place déterminante de la socialisation et de l’acculturation initiale.
1) L’intégration académique
L’intégration académique qui est largement travaillée par de nombreux chercheurs internationaux
(De Clercq, 2017 ; Graza & Bowdel, 2014 ; Kuh et al., 2008) et français (Annoot, 2012, 2014 ;
Beaupère et Boudesseul, 2009 ; Boyer et Coridian, 2004 ; Coulon, 1997 ; Endrizzi, 2010 ; Endrizzi et
Sibut, 2015 ; Erlich, 1998 ; Felouzis, 2001 ; Millet, 2003 ; Paivandi, 2015 ; Sirota, 2003) se réfère à
l’apprentissage des méthodes et des codes de travail universitaires pour répondre aux exigences
académiques. Les facteurs académiques ont fortement influencé le désir de nombreux étudiants de
première expérience de se concentrer sur l'apprentissage plus que sur toute autre activité dans
l'environnement d'apprentissage (Hinton, 2014). Les prérequis et la connaissance du contenu des
programmes, la capacité de réflexion critique, les compétences méthodologiques liées à
l’apprentissage académique participent activement à accélérer l’intégration académique. De
nombreuses recherches confirment le lien entre l’intégration et la persévérance des étudiants.
L'interaction des étudiants avec le corps enseignant et la perception qu’ils ont de l’opinion que les
enseignants ont d’eux sont considérées comme les facteurs les plus importants dans la décision d'un
étudiant de poursuivre ou de quitter sa filière d’études. L’étude menée par Boyer et ses collègues en
France constitue un travail minutieux et approfondi sur les différents aspects des pratiques d’études
13
et l’expérience académique des étudiants débutants en France. Dès leur entrée à l'université, les
bacheliers sont confrontés à de nouvelles méthodes d'enseignement et découvrent des situations
pédagogiques inédites, celle des cours magistraux en amphithéâtre constituant parfois une
expérience assez déroutante. (Boyer, Cordian & Erlich, 2001, p. 98). Selon Boyer (2000), les étudiants
cherchent rapidement à connaître les formes du travail et les modalités d’évaluation. L'ajustement
comprend l'établissement de liens entre l'expérience préuniversitaire et l'expérience universitaire
(Huon et Sankey, 2000 ; Perry & Allard, 2003), et la possibilité de nouer des relations sociales
positives avec d'autres étudiants et avec le personnel (Johnson & Watson, 2004; Keup & Barefoot,
2005). Pour Sauvé et al. (2006) l’intégration académique se traduit par un apprentissage de l’étudiant
approprié, sa performance académique, son niveau de développement intellectuel et la perception
qu’il a de vivre une expérience positive sur le plan du développement intellectuel.
2) L’intégration sociale
L’intégration sociale est définie par les auteurs par l’implication de l’étudiant dans des activités
« extracurriculaires », par la présence de relations positives avec les autres. Pour Sauvé et ses
collègues (2006), connaître la signification et l’importance de ces deux types d’intégration contribue
à comprendre le phénomène de l’abandon et de la persévérance, et permet de mieux intervenir
auprès des étudiants au début de leur parcours dans le supérieur. La rupture sociale ne se réduit pas
à la vie interne de l’établissement et au réseau des amis au lycée, la vie étudiante en dehors du
département (campus, résidence étudiante, espace urbain) fait partie de ce changement
environnemental. Une intégration positivement vécue dans l’environnement social semble influencer
positivement la persévérance et la performance académique (Waslkiw, 2016). Dans l’enquête de
Higton (2014) sur les Noirs américains à l’université, la dimension sociale a été mise en avant. Les
étudiants interrogés s'accordent pour affirmer que l'environnement d'apprentissage est lié en grande
partie à l'environnement social. Les étudiants débutants décrivent aussi avec régularité l'effritement
de leurs réseaux relationnels (Boyer, Cordian & Erlich, 2001, p. 98). Ils résument leur expérience en
disant : au lycée, tout le monde se connaissait. Ici personne ne nous connaît et on ne connaît
personne. Selon les auteurs, l'entrée à l'université a fait éclater les groupes constitués. Il faut
apprendre à vivre seul et prendre en charge sa subsistance. Vivre seul signifie également perdre les
rituels familiaux. Boyer et ses collègues évoquent les changements qui touchent aux repères
spatiaux, temporels et relationnels, remettant en cause des routines (p. 47). Higton (2014) met aussi
l’accent sur le rôle joué par l’entourage de l’étudiant (le soutien de la famille et les conseils des
autres étudiants) dans l’intégration et la persévérance des étudiants. Pour Harvey, Drew et Smith
(2006), les étudiants s’adaptent plus rapidement s’ils apprennent le sens du « discours »
institutionnel et se sentent intégrés. Les interactions entre pairs constituent un facteur important
dans le développement de concepts de soi associés à l'apprentissage et à la réussite (Dweck, 2000).
L’intégration est susceptible de favoriser la persévérance des étudiants et de diminuer le risque de
décrochage précoce. Yeakey et Henderson (2000) et Bataille et Brown (2006) ont également
réaffirmé l'argument d'Astin selon lequel les étudiants plus impliqués sur le plan académique sont
davantage satisfaits des différents aspects de la vie universitaire. Des études ont également montré
que les étudiants noirs qui participent activement à diverses activités sociales s'intègrent facilement
dans l'environnement social de leur université et ont donc de plus grandes chances de persister
(Fleming, 2012 ; Skipper, 2003). L’absence d’intégration provoque une errance, une perte d’identité
personnelle (Scanlon et al., 2005). Les étudiants peuvent se sentir « étrangers » tout en étant au sein
de l’institution, comme « un poisson hors de l'eau » (Tranter, 2004), et risquent d'abandonner leurs
14
études. Le développement d'une identité étudiante positive est donc un facteur essentiel de
persistance et de réussite en tant qu'étudiant.
3) L’intégration institutionnelle
Certaines publications sur la transition proposent une typologie plus détaillée des différents types
d’intégration attendus dans l’enseignement supérieur (Brochu et Moffet, 2010 ; Bégin et al., 2009 ;
Dubet, 1994). L’intégration institutionnelle (ou affiliation institutionnelle, Coulon, 1993) renvoie aux
rapports développés entre l’étudiant et son établissement d’études en tant que lieu physique, milieu
de vie et contexte de formation (Bégin et autres, 2009). La deuxième intégration est intellectuelle
(affiliation intellectuelle selon Coulon) et se réfère aux rapports de l’étudiant avec le programme
d’études, l’acte d’apprendre et avec les pratiques pédagogiques et évaluatives introduites dans ses
cours et son programme (Brochu et Moffet, 2010 ; Bégin et autres, 2009). L’intégration sociale rend
compte des liens que l’étudiant développe avec les autres étudiants, tant dans les activités
pédagogiques proposées que dans les structures sociales et les activités extra-académiques
proposées aux étudiants (Bégin et autres, 2009). Enfin, l’intégration vocationnelle concerne le projet
personnel ou professionnel de l’étudiant. Il s’agit de la manière dont le projet prend la forme « d’un
but clair, d’aspirations scolaires associées à des aspirations professionnelles et personnelles […] »
(Tremblay et al., 2006, p. 12).
Plusieurs modèles d’analyse sont proposés pour examiner l’intégration. La modalisation de
Richardson (2006) et de Price (2013) tient compte des caractéristiques initiales, de l’environnement
d’études et de l’engagement des étudiants.
15
des règles, par la construction de la carrière et, pour certains, par une véritable affiliation
intellectuelle qui peut les conduire à pénétrer le sens des enseignements.
16
2) La modélisation temporelle
Plusieurs recherches universitaires se développent autour de ce modèle temporel composé de
moments de transition (Harris & Barnett, 2014 ; De Clercq, 2017 ; Purnell, 2002 ; Torenbeek et al.,
2010). En appuyant sur les recherches antérieures, Harris & Barnett (2013) proposent un processus
de quatre étapes pour permettre une transition formative. La première étape concerne la
préparation au défi d’intégrer l’enseignement supérieur, avec l’accent mis sur la motivation et
l’orientation. La deuxième étape comprend la rencontre avec la réalité, l’accès pertinent aux
informations et aux ressources, la réflexion sur l’apprentissage académique, l’engagement étudiant,
ou encore le développement de liens sociaux dans l’établissement. La troisième étape s’intéresse à
l’ajustement des choix et des croyances. Il s’agit d’évaluer l’expérience en cours, de faire le point sur
les aspects critiques, d’identifier les dispositifs d’aide et d’accompagnement. La quatrième étape est
focalisée sur la réflexion sur les choix et les leçons à tirer, les compétences les plus importantes pour
améliorer son intégration, le développement de l’esprit critique et la réceptivité, l’organisation
personnelle.
De Clercq (2017) a tenté aussi de développer une modélisation temporelle et dynamique à partir
d’une lecture critique et enrichie des quatre phases repérées par Nicholson. L’auteur pense qu’une
des forces principales du modèle des cycles de transition est l’efficacité de sa modélisation autour de
quatre phases facilement intelligibles, clairement distinctes et régies par des lois très intuitives. Pour
lui, le modèle fournit une simplification de la réalité transférable à un grand nombre de contextes
tout en permettant une compréhension complexe de la transition (p. 130). De Clercq y voit en même
temps, une faiblesse dans l’idée même des différentes étapes présentées, considérées comme
disjonctives. Pour lui, la maîtrise des tâches (et l’évitement des pièges) inhérentes à une phase ne
semble pas toujours définitivement acquise au passage à la phase suivante. Une autre critique vise la
distinction nette entre les différentes phases présentées notamment entre la phase de rencontre et
celle d’ajustement. En effet, la phase de rencontre concerne avant tout la perception de
l’environnement afin de mettre en place par la suite (durant la phase d’ajustement) les
comportements d’adaptation au contexte.
Le modèle de Nicholson (1990) adapté par De Clercq est construit autour de quatre moments
distincts (entrée à l’université, premières semaines, reste de l’année académique et fin de l’année/
années suivantes). Ces phases de transition permettent d’identifier des points critiques (de vigilance)
pour accompagner les étudiants débutants. Selon De Clercq, l’analyse des premières semaines se
concentrera sur la modification des croyances et perceptions initiales de l’étudiant. Elle touchera
donc aux concepts de perceptions des pratiques d’enseignement, du climat d’apprentissage et du
support des pairs. En se référant à plusieurs recherches, le travail de De Clercq insiste sur le rôle joué
par le contexte, et l’importance de la perception du contexte dans l’intégration de l’étudiant en
première année (Lizzio et al., 2002, 2007)
17
publics sur l’enseignement supérieur. Pour les universités, les résultats obtenus par les étudiants
sont devenus synonymes de comptes à rendre, de « rentabilité » de leurs enseignements.
La réussite universitaire des étudiants, dans les recherches françaises et dans les statistiques que la
Depp (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance) et le SIES (Sous-direction des
systèmes d'information et des études statistiques) publient régulièrement, se réfère aux données
produites par le système de l’évaluation (les résultats obtenus), et le mode de calcul est basé sur les
résultats obtenus en fonction de la durée4. Les derniers chiffres publiés en 2017, montrent que 27 %
des étudiants obtiennent leur licence 3 ans après leur première inscription en L1, et 39 % après 3 ou
4 ans. Ces chiffres sont souvent critiqués pour leurs modes de calcul. Une étude du RESUP appuyée
sur les résultats de plusieurs enquêtes permet d’avoir une vue synthétique plus fine des phénomènes
d’échec et d’abandon en première année. On observe deux principales possibilités qui s’offrent aux
sortants : l’arrêt des études (l’entrée sur le marché du travail ou « l’inactivité ») ou l’inscription dans
une nouvelle formation : de fait, une majorité (entre 70 % et 80 %) des sortants tend à poursuivre ses
études (RESUP, 2006).
L’entrée des étudiants débutants à l’enseignement supérieur constitue un moment périlleux pour les
jeunes dans un nombre important de pays de l’OCDE. Selon Braxton, Milem et Sullivan (2000), dans
les universités américaines, en moyenne 29 % des étudiants quittent l’établissement avant d’avoir
terminé leurs études de premier cycle. Cette situation est comparable à celle de nombreux pays
occidentaux. Upcraft et al. (2005) se réfèrent aux données d’American College Testing Program pour
souligner que le taux de décrochage en première année s’est stabilisé autour de 33 %. Tout en
soulignant les difficultés des étudiants inscrits en première année dans les universités canadiennes,
Finnie et Qiu (2008) estiment que le taux de décrochage en première année situe entre 20 % et 24 %.
Selon Tremblay (2005), le taux d’abandon dans les universités québécoises pour la période 1994-
2000 oscille entre 10 % et 27 % après un an de fréquentation (entre 14 % et 40 % après cinq ans et
plus). Pour Sauvé et al. (2006) le taux d’abandon lors de la première année d’études universitaires
demeure élevé, variant entre 20 % et 25 % dans les établissements américains et canadiens (Grayson,
2003). En Angleterre, un étudiant sur six ne termine pas sa première année d’études universitaires
(Bennett, 2003). En Australie, Horstmanshof et Zimitat (2004) constatent que 25 % des étudiants
interrogés pensent abandonner leurs études durant le premier semestre. Il semblerait que le taux
national d’abandon n’a cessé d’augmenter dans ce pays depuis le milieu des années 1980 (Cuseo,
2005).
Les systèmes non sélectifs européens connaissent tous des taux d’échec et d’abandon plus élevé,
dépassant parfois 50 % des inscrits en première année et les auteurs tendent à souligner la
permanence de la situation depuis deux ou trois décennies (Beaupère, Boudesseul, Macaire, 2009 ;
Bodin, Beaupère, Boudesseul, 2010 ; Borras, 2011 ; De Clercq, 2017 ; Gury, 2007 ; Neuville, Frenay,
Noël & Wertz, 2013 ; Romainville, 2000).
4
Selon le critère retenu par le SIES, la réussite universitaire s'évalue, comme au niveau primaire et secondaire, en fonction
du rythme du parcours, et les étudiants les plus « performants » (« à l’heure ») sont ceux qui arrivent au plus vite au terme
de leur parcours. La référence est le parcours « type » selon le temps collectif menant de la première année universitaire à
la validation de la troisième année. Le retard d’un étudiant (4 ou 5 ans au lieu de 3) est signe de difficultés rencontrées pour
réaliser le cursus dans les délais attendus (L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2017, Paris : MESR).
18
Un examen fin des périodes concernées par le décrochage montre que la session des examens du
premier semestre constitue le moment le plus critique car 36 % des décisions se font à cette période,
puis 45 % des décrochages sont liés aux examens du deuxième semestre en juin ou en septembre
(Bentein et al., 2003). Selon les auteurs, 64 % des étudiants ont envisagé de choisir une autre
majeure avant de faire leur premier choix final (Bentein et al., 2003).
19
et les indicateurs varient parfois d’un auteur à un autre. Les résultats obtenus en termes de
validation ou les notes obtenues à des examens sont utilisés pour apprécier la réussite universitaire
(Diseth, 2011 ; Kennett, Young & Catanzaro, 2009 ; Morlaix, Perret, 2013 ; Morlaix, Suchaut, 2012 ;
Neuville, Frenay, & Bourgeois, 2007 ; Stoynoff, 1997 ; Van den Berg & Hofman, 2005). Cette
divergence méthodologique pose un problème dans la mesure où le choix des critères a une
incidence directe sur les taux calculés et les indicateurs construits par les recherches (Vermunt,
2005 ; Vermunt & Verloop, 1999). Une recherche réalisée en Belgique francophone révèle que les
déterminants de la réussite variaient fortement en fonction du caractère spécifique ou global de la
mesure employée (De Clercq, Galand & Frenay, 2013).
2) Persévérance vs décrochage
En Amérique du Nord, et dans certains pays européens comme la Belgique, la dichotomie
persévérance ou rétention vs décrochage est utilisée pour parler de la performance. La persévérance
concerne la volonté de continuer ses études quel que soit le rythme temporel choisi. La notion de
rétention se réfère à la « survie » dans un parcours, après une inscription dans l’enseignement
supérieur, et à la finalisation des études. En tentant de comparer les taux de rétention en Europe, un
rapport Eurydice (2014) souligne la variation de la définition de cette notion selon le pays. Par
exemple, un « taux d'achèvement » peut faire référence dans certains pays au pourcentage, dans
une cohorte d'étudiants qui entrent dans un programme, de ceux qui le terminent avec succès,
même plusieurs années plus tard, alors que dans d'autres, seuls les étudiants inscrits dans la dernière
année d'un programme sont pris en compte. Pour King (2005), la persévérance se définit par le
cheminement continuel d’un étudiant dans un parcours supérieur conduisant à l’achèvement des
études et à la diplômation. Sauvé et al. (2005) montrent que les auteurs tendent à présenter le
concept de persévérance par différentes appellations : persévérance, persistance, rétention,
maintien des effectifs. Selon Ben-Yoseph, Ryan et Benjamin (1999), la persévérance se traduit par le
maintien des étudiants. En se référant à la notion de rétention, Graza & Bowdel (2014) l’associent à
la capacité d'un établissement à conserver un étudiant inscrit dans l'établissement, alors qu’en
revanche, la notion de persistance renvoie à la capacité de l'étudiant à rester inscrit dans
l'établissement. Par conséquent, la rétention et l'attrition reflètent plutôt la vision institutionnelle
(Rhoads et al., 2005).
3) La qualité de l’apprentissage
Enfin, une autre tendance importante dans les travaux de recherche sur la performance des
étudiants s’intéresse à la qualité de l’apprentissage et mobilise des concepts comme l’approche ou la
conception de l’apprentissage. Bien apprendre à l’université implique une rupture avec la culture
scolaire. Comme le disent Noël et Parmentier, passer du statut d’élève à celui d’étudiant, c’est
changer ses manières d’apprendre (1998, p. 12). L’apprentissage universitaire se définit donc d’abord
en rapport avec les finalités de cette institution : la formation intellectuelle et critique de l’homme, le
programme d'études centré sur une discipline ou une filière d'études, la préparation au métier et à la
mobilisation effective des savoirs acquis. L’un des changements importants attendus lors du passage
à l’université est l’acculturation au monde universitaire (Romainville, 2004) et l’adaptation à une
approche du savoir dans le cadre d’une discipline marquée par un ensemble de discours, de valeurs,
d'auteurs. Apprendre à l’université doit également se réaliser dans le cadre d’un projet à long terme
de chaque étudiant, impliquant un engagement motivé et personnalisé.
20
Les recherches internationales sur la qualité de l’apprentissage universitaire se sont multipliées à
partir des travaux suédois et britanniques sur cette thématique. L’idée est de faire une distinction
entre les résultats et le processus d'apprentissage, et d’examiner comment un apprenant vit et
organise les tâches liées à l’apprentissage à partir d’une activité académique, ce qu’il apprend et le
sens qu’il donne à cet apprentissage (Säljö, 1979 ; Marton, Dall'Alba, et Beaty, 1993 ; Biggs, 1987).
Ces travaux ont porté sur la conception d’apprentissage en distinguant une vision « quantitative » ou
« instrumentale » de l'apprentissage d’une vision « qualitative » qui implique un processus actif de
recherche de sens, conduisant à une sorte d’expérience transformatrice. Il s’agit d’une approche de
surface concernant les étudiants qui apprennent d’une manière fragmentée et reproduisent les
informations acquises dans leur forme originale. Les auteurs proposent l’approche en profondeur
qui, s'engageant dans un dialogue actif avec le contenu, tendrait à développer une expertise, la
capacité de conseiller les autres pour bien apprendre (Marton et Säljö, 1984, p. 46). Entwistle et
Ramsden (1983) ainsi que Biggs (1987) ont repris les éléments des recherches antérieures pour
identifier une troisième approche (stratégique) fondée sur les motivations « extrinsèques » destinées
à réussir les études et les examens. Elle concerne les étudiants, ayant tendance à organiser
efficacement leurs études, à apprécier l’efficacité de leurs pratiques d’études, à se montrer attentifs
aux critères d’évaluation et à développer une attitude conformiste. L’approche de l’apprentissage
constitue un enjeu majeur pour la pédagogie dans la mesure où l’université doit privilégier une
appropriation pertinente et critique du savoir académique afin de le mobiliser dans le contexte
professionnel ou dans la recherche.
21
résultats). Les travaux sur la persévérance ne mobilisent pas souvent les analyses qui font le lien avec
la réussite académique formelle (De Clercq, 2013 ; Pascarella & Terenzini, 2005 ; Neuville et al.,
2013 ; Berthaud, 2017). Dans de nombreux travaux de recherche, la persévérance est définie comme
un comportement ou une forme d’engagement comportemental vis-à-vis des études (Miller et al.,
1996 ; Robbins et al., 2004 ; Schmitz et al., 2010 ; Roland, Frenay & Boudrenghien, 2015). Certains
chercheurs ont tenté de mesurer la persévérance en prenant en compte l’effort fourni par l’étudiant
en cours d’année (participation aux cours, aux travaux pratiques et aux séances d’exercices, nombre
d’heures passées à étudier) (Neuville et al., 2007 ; Roland, Frenay & Boudrenghien, 2015).
5
Selon Cartier et Mottier Lopez (2017), la régulation dans l’apprentissage se réfère aux processus de contrôle, d’ajustement
et de réorientation de l’action. On parle d’autorégulation lorsque l’apprenant développe ces processus de régulation de
manière autonome, sans l’intervention d’une tierce personne. L’hétérorégulation, désigne l’action d’une tierce personne
auprès d’un apprenant pour sensibiliser, soutenir, aider, guider, etc.
22
ces notes tandis que d'autres se livrent à un travail de recopiage ; une autre partie cherche à aboutir
à des résumés ou à une mise en fiches qui leur permettent de synthétiser le cours. Une minorité
seulement se livre à un travail de complémentation et de précision de ces notes de cours par des
recherches personnelles à partir de manuels ou d'ouvrages.
Au Canada, Parker et al. (2005) ont fait une enquête pour examiner l’importance des compétences
émotionnelles et sociales lors de la transition du lycée à l’université. Au cours du premier mois de
cours, 372 étudiants à temps plein de première année d'une petite université ontarienne ont rempli
le formulaire de l'inventaire du quotient émotionnel (EQ-i: Short). À la fin de l’année scolaire, les
données étaient associées au dossier académique de l’étudiant. Selon les données de cette enquête,
la réussite scolaire était fortement associée à plusieurs dimensions de l’intelligence émotionnelle.
23
IV. Les étudiants et l’expérience de la TESS
24
2) L’engagement étudiant
L’acte d’apprendre dans l’enseignement supérieur se réalise ainsi dans le cadre d’un projet à long
terme qui implique un engagement motivé et personnalisé. Le sens des études, d’être dans une
filière supérieure est un facteur déterminant pour l’engagement étudiant tant sur le plan intellectuel
que sur le plan social (Kuh, Cruce, Shoup & Kinzie, 2008). L'apprentissage comporte une dimension
identitaire (pour quoi j’apprends ?) qui se développe et se réactualise à travers un parcours
individuel.
L’engagement est une notion mobilisée par un nombre important de recherches pour analyser
l’expérience étudiante. Dans la modélisation de Perry, l’engagement étudiant (commitment) est au
centre de l’attitude académique. L’étudiant ressent le besoin d’une forme d’engagement personnel
pour donner un sens à sa présence à l'université, à son rapport au monde et au savoir. Astin (1985)
analyse la socialisation de l’étudiant à travers son engagement effectif et psychologique vis-à-vis de
l’université, et mesure l’efficacité des politiques pédagogiques et sociales de l’université par le degré
d’engagement de ses étudiants. Pour Astin (1993), l’implication, qui traduit l’engagement, se réfère à
la quantité et à la qualité de l'énergie physique et psychologique qu'un étudiant consacre à son
expérience académique. La pédagogie doit tenir compte de l’implication dans le cours et dans le
campus comme une sorte de continuum.
25
pensent qu’apprécier ses études a un rôle médiateur entre l’environnement social et l’engagement
des étudiants. Boudrenghien, Frenay et Bourgeois (2009) mettent l’accent sur le lien entre
l’importance du but et l’engagement envers ce but (goal commitment), l’importance du but étant un
antécédent de l’engagement, postulat principalement basé sur la théorie de l’Expectancy-Value
(Eccles & Wigfield, 2002).
26
Ces constats théoriques et méthodologiques semblent avoir conduit un nombre croissant de
chercheurs dans le monde entier à s’intéresser aux autres variables susceptibles de mieux
appréhender l’expérience de la TESS et les résultats académiques obtenus (Sauvé et al., 2006 ;
Murtaugh, Burns et Schuster, 1999 ; Randsell, 2001). Au-delà des facteurs démographiques (Sackett,
Kuncel, Arneson, Cooper et Waters, 2009) et du genre (Christofides, Hoy, Li et Stengos, 2008), la
littérature de recherche tend à s’intéresser à des facteurs liés au rendement scolaire antérieur et à la
capacité cognitive des étudiants. Les chercheurs français tendent à observer chez les étudiants en
difficulté une forme de découragement face à la complexité des savoirs à acquérir (Coridian, 2000 ;
Coulon, 1997 ; Millet, 2003 ; Paivandi, 2015).
27
également mis au point l’échelle SPUSS (Student Perception of University Support and Structure) pour
évaluer la perception des étudiants quant aux attentes académiques et à l’accessibilité du soutien.
Le travail de Trautwein et Bosse (2016) dans le contexte allemand identifie un ensemble de points
critiques auxquels l’étudiant est appelé à faire face durant la première année universitaire. Les
auteurs regroupent ces exigences en quatre grands sous-ensembles : le contenu, les aspects social,
personnel et institutionnel. Le Conseil supérieur de l’éducation au Canada (Brochu et Moffet, 2010)
propose de regrouper les facteurs de réussite aux études universitaires (diplômation) en trois
catégories : environnementale (facteurs externes au système universitaire), organisationnelle
(facteurs liés aux dispositifs pédagogiques des programmes de formation, aux horaires, au matériel
pédagogique, aux mesures d’aide à la réussite) et caractéristiques d’apprentissage (acquis scolaires,
conceptions, styles d’apprentissage, stratégies d’apprentissage et de gestion, motivation et degré
d’engagement).
Wasylkiw (2016) tente d’identifier les voies et les obstacles communs à la préparation à l'université
et à la TESS pour le Canada. L’auteur s’appuie sur les résultats de son enquête qualitative sur
l’expérience de la première année universitaire pour insister sur trois facteurs importants : la
décision d’aller à l’université (la motivation), les prérequis académiques et méthodologiques (prise
de notes, lecture critique…) et la disposition sociale. Dans le contexte belge, Galand et al. (2004)
montrent que les étudiants qui ont pensé à abandonner, au cours de leur première année,
mentionnent moins que les autres « intéressé par le sujet » et « soutien familial ». Parmi les
décrocheurs, on trouve un nombre élevé d’étudiants qui se sont orientés tardivement et qui avaient
envisagé d'autres filières avant le début de l'année universitaire. L’enquête montre aussi que près de
40 % des étudiants déclarent avoir rencontré des problèmes lors de stratégies d'apprentissage et de
stratégies d'autorégulation ou encore que 34 % disent qu'ils se sentaient souvent seuls durant leur
année universitaire.
Les chercheurs s’orientent aussi bien vers d’autres variables et d’autres pistes concernant l’étudiant,
son expérience, son engagement, sa mobilisation ou ses interactions avec l’environnement d’études
(Braxton, Hirschy & McClendon, 2004 ; Credé, Roch & Kieszczynka, 2010 ; Eccles, Wigfield, 2002 ;
Fuertes, Sedlacek, Liu, 1994 ; Neuville et al., 2013 ; Pritchard et Wilson, 2003 ; Schmitz et al., 2010 ).
La question du genre est examinée par certaines recherches qui tentent d’examiner l’effet genre
dans l’enseignement supérieur (Allan, 2011 ; Erlish, 2002 ; Gruel, Galland et Houzel, 2009 ; Morlaix et
Suchaut, 2012 ; Rayle, Kurpius & Arredondo, 2006). Les auteurs soulignent souvent les différences
d'adaptation des filles et des garçons à l'université. En France, cette question a été abordée par
plusieurs travaux de recherche, dont celui de Boyer, Cordian & Erlich (2001, p. 104) qui montrent
qu’à travers leurs récits, les étudiantes apparaissent plus organisées dans leur travail personnel
(planification du travail, usage d'un agenda...) et, pourrait-on dire, plus « studieuses » que les
étudiants. Les auteurs pensent que les étudiantes semblent avoir intériorisé l'obligation du travail et
être plus portées que les garçons à satisfaire aux exigences du métier d'étudiant.
28
supérieur montrent régulièrement une corrélation assez forte et soutenue entre l’origine sociale, le
devenir de l’apprenant et ses choix d’orientation (Beaupère et Boudesseul, 2009 ; Bodin et Orange,
2013 ; Brochu et Moffet, 2010 ; Doray et al., 2009 ; Duru-Bellat, 1995 ; Erlich, 1998 ; Felouzis, 2001 ;
Gruel, Galland et Houzel, 2009 ; Michaut, 2004 ; Millet, 2003 ; Morlaix et Suchaut, 2012). Cette
permanence alimente le discours des chercheurs qui focalisent leurs analyses de la condition
étudiante sur l’origine sociale. La recherche internationale est aussi sensible à cette dimension, sans
réduire son analyse à cette variable considérée comme un facteur extérieur du contexte
pédagogique. Ce constat est loin d’être une question méthodologique, et l’enjeu de ce débat est
avant tout théorique. On peut sans doute repérer l’ombre des travaux de Bourdieu et Passeron
(1964) dans la recherche française ou dans certaines recherches internationales qui s’inscrivent dans
la lignée de la sociologie reproductiviste française. Pour Bodin & Orange (2013) et Bodin & Millet
(2011), l’abandon et l’échec sont un phénomène social qui s’explique par le social. Bodin et Millet
considèrent l’échec comme un phénomène constant et régulier qui ne saurait trouver son origine
dans les aléas de la vie universitaire, les expériences et/ou les seules consciences individuelles des
étudiants (p. 226). Cette orientation théorique est moins présente dans les recherches anglo-
saxonnes qui admettent que l’engagement et la mobilisation intellectuelle de l’étudiant et la
présence des dispositifs de soutien sont susceptibles de réduire les inégalités de départ. En effet,
malgré les inégalités du départ et contrairement au monde économique, le travail fourni par
l’apprenant dans le système éducatif est reconnu et valorisé plus ou moins à sa juste valeur.
Autrement dit, l’éducation constitue un facteur de promotion sociale même si les jeunes selon leur
origine sociale n’ont pas la même chance d’accéder aux différents cycles d’études supérieures. Le
système éducatif moderne est fondé sur cette hypothèse forte, même si le poids des inégalités
sociales, économiques et culturelles pèse lourdement sur le devenir des jeunes. Il s’agit de ne pas
réduire des situations éducatives aux facteurs « externes » et de tenir compte des activités effectives
dans les situations d’apprentissage-enseignement.
L’effet du capital culturel et le soutien familial sont souvent abordés dans les recherches sur les
étudiants. La valorisation des études universitaires par la famille et le jugement de cette dernière sur
les compétences scolaires du jeune et sur sa capacité à poursuivre des études à l’université semblent
jouer fortement dans la construction des aspirations à aller à l’université.
2) La première génération
Une des variables utilisée fréquemment dans la recherche anglo-saxonne concerne l’appartenance
des étudiants à ce que l’on appelle la première génération (First Generation), c’est-à-dire ceux dont
les parents n’ont pas connu l’enseignement supérieur. Les résultats de l’enquête d’Ishitani aux Etats-
Unis (2006, p. 21) montrent que les étudiants de première génération ont été exposés à des risques
de décrochage plus élevés que leurs camarades pendant leurs premières années universitaires. De
plus, ils ont été moins susceptibles de terminer leurs programmes d'études à temps. Hope (2017, in
Kyndt et al.) souligne le cas des étudiants First Generation et de leurs difficultés. Être un étudiant de
première génération ne constitue pas un facteur de persévérance à l’université, le cheminement
pourrait changer en fonction d'autres caractéristiques scolaires (Amelink, 2005 ; Reid & Moore,
2008). Pour Kuh et al. (2008) la plupart des études sur les étudiants de première génération tendent
à attribuer leur faible niveau d'engagement scolaire et social, ainsi que leur apprentissage et leur
développement intellectuel, à la caractéristique immuable de parents qui ne sont pas allés à
l’université. Pike et Kuh (2005) suggèrent que les faibles niveaux d'engagement ne résultent
29
qu’indirectement du fait d'être le premier membre de la famille à aller à l’université et sont
davantage une fonction des aspirations scolaires plus faibles et de la vie hors campus.
1) La notion d’agentivité
Les croyances d’efficacité personnelle renvoient à la confiance qu’un apprenant a dans sa capacité à
réaliser une action visant un but, l’accomplissement d’une tâche ou la résolution d’un problème.
Pour Bandura, ce type de croyances peut être un prédicteur des activités d’apprentissage. Selon
Galand & Vanlede (2004), certains étudiants se sentent capables face à des tâches complexes alors
que d’autres s’y sentent seulement face à des tâches faciles. Pour les auteurs, les croyances
d’efficacité personnelle sont basées sur la notion d’agentivité qui se réfère à la croyance qu’un
individu a en sa capacité d’agir sur les éléments d’une situation. Les traits personnels sont
susceptibles de jouer un rôle médiateur important car, comme le montrent Robbins, Oh & Butrton
(2009), ils sont en mesure d’influencer la mobilisation et le développement des compétences
académiques.
30
2) L’effet des croyances
Roland et al. (2015) ciblent le rôle joué par les croyances qui sont, selon eux, peu étudiées en lien
avec la persévérance. Les auteurs se réfèrent à plusieurs travaux de recherche (Ajzen et Fishbein,
2000 ; Bandura, 1997 ; Eagly et Chaiken, 1993) pour souligner l’importance des croyances qui
peuvent être à l’origine des pratiques chez les acteurs sociaux. Roland et al. (2014) ont conduit une
enquête qualitative qui avait pour objectif de mettre en évidence les croyances liées à la
persévérance chez des étudiants en première année à l’université, et dans laquelle ils ont interrogé
les étudiants sur quatre types de croyances : les croyances comportementales, injonctives,
descriptives et de contrôle. Roland et al. (2015) pensent que connaître ces croyances pourrait
contribuer à mieux appréhender l’expérience de la transition. Ces croyances participent à développer
l’intention, qui représente la probabilité estimée personnellement par l’individu de s’engager dans
un comportement. Les croyances comportementales sont composées de trois sous-thématiques : les
croyances liées au plaisir de persévérer (apprendre des choses intéressantes), les croyances liées à
l’utilité de persévérer (obtenir un diplôme) et les croyances liées à des dimensions plus personnelles
des étudiants (être fier de moi). Pour les auteurs, ces croyances peuvent être mises en lien avec la
théorie attente-valeur (expectancy-value) (Eccles & Wigfield, 2002). La famille et les amis semblent
avoir la plus grande incidence sur les étudiants et constituent les référents normatifs les plus
importants. Cette influence peut prendre la forme d’un soutien, d’une pression ou encore d’attentes.
Les croyances de contrôle se réfèrent aux croyances liées à l’individu, à l’entourage et aux études.
Selon Ajzen (1985), ces croyances de contrôle peuvent être interprétées en lien avec le type
d’attribution causale que la personne met en place. Les chercheurs identifient une large palette des
croyances de contrôle liées à la persévérance (Hulleman et al., 2010 ; Multon, Brown, Lent, 1991 ;
Pintrich, 2003 ; Robbins et al., 2004 ; Schmitz et al., 2010).
31
La fragilité liée à l’apprentissage universitaire et au rapport au savoir : parcours secondaire
peu adapté aux études supérieures, manque de prérequis, manque d’intérêt pour la
matière ;
La fragilité liée aux compétences transversales, méthodologiques (prise de notes, lecture,
recherches documentaires) et individuelles (autorégulation, rapport au temps) ;
La fragilité liée à l’absence de projet ou à l’incertitude du choix ;
La fragilité engendrée par l’absence d’intégration sociale ;
La fragilité causée par les conditions matérielles (exercer une activité rémunérée).
Ces facteurs sont susceptibles d’exercer un effet négatif sur l’intégration sociale et académique des
étudiants, et de contribuer à augmenter le risque de décrochage précoce. La situation devient
intenable et critique lorsque deux ou plusieurs facteurs déstabilisent simultanément les étudiants à
risque. En France, le problème majeur est qu’il existe peu de filets de protection pour suivre et
soutenir les étudiants « fragiles » ou « fragilisés ». Plus un étudiant a de ressources, plus il se mobilise
et plus il aura de chances d’être soutenu et encadré, de développer un sentiment d’appartenance et
de trouver son chemin. A l’opposé, plus un étudiant est faible et fragilisé, plus le contexte lui paraîtra
hostile et éloigné de ses attentes. Selon Dubet (1994), le parcours universitaire est trop souvent un
dédale qui laisse les étudiants au bord de la route.
32
V. L’environnement d’études et la TESS
33
communauté partageant un savoir et un engagement commun. Selon Rendón (1994) et Graza &
Bowdel (2014), accroître la persévérance passe par le développement d’une culture de soutien et
d’accompagnement en classe et hors classe à travers un éventail de services. Dans leur recherche sur
les étudiants d’origine hispanique aux Etats-Unis, Rendón, Jalomo et Nora (2000) soulignent
l’importance de la culture d’établissement pour accueillir et accompagner les étudiants. Pour Pike &
Kuh (2005), le sentiment d’appartenance et la manière dont les étudiants apprécient les dispositifs
socio-éducatifs au service de l’intégration montrent l’effet de cette culture. Dans une autre étude
comparative, Robbins et ses collègues (2009), après avoir analysé 107 travaux sur les étudiants en
première année, soulignent la place de la socialisation par les pairs et les réseaux entre les étudiants
permettant d’améliorer l’intégration et le sentiment d’appartenance. Strauss et Volkwein (2002) se
réfèrent aux données sur 51 établissements pour montrer l’impact positif des interactions entre les
pairs, notamment sur une auto-évaluation positive et un sentiment d’appartenance intellectuelle.
Les résultats d’une recherche britannique (Yorke & Thomas, 2003) sur six établissements
d’enseignement supérieur montrent que le rôle du contexte institutionnel est significatif quant à
l’intégration des étudiants débutants. Les chercheurs soulignent l’importance des facteurs comme le
climat institutionnel perçu positivement et le soutien avant et pendant la première année. Pour ces
chercheurs, l’engagement étudiant n’est pas un phénomène figé et immuable, il est susceptible
d’évoluer en fonction des facteurs environnementaux et individuels.
L’effet de l’environnement social sur l’expérience universitaire peut être direct mais aussi indirect. Il
passe notamment par le sentiment d’efficacité personnelle et la réduction de l’anxiété (Cutrona et
al., 1994 ; Torres & Solberg, 2001). Lorsque l’institution propose un soutien direct et efficace lié au
développement de compétences cognitives, cette influence est directe (Robbins et al., 2009). Le
corps enseignant semble exercer un effet direct sur les types et les stratégies d’apprentissage
développées par l’étudiant. Skinner et ses collègues (2008) examinent les relations entre
l’environnement social, la motivation et l’engagement. Le travail de Smith & Bath (2006) s’intéresse à
l’intérêt académique et intellectuel des étudiants, et à son développement à travers les interactions
entre les étudiants et le monde académique, et entre les étudiants eux-mêmes. Les auteurs
soulignent l’importance de la communauté d’apprenants et du sentiment d’appartenance à cette
communauté.
34
distinguent nettement par la manière d'étudier, les pratiques d'études et la mobilisation individuelle,
il faut aussi s'interroger sur l'environnement de leurs études (Lahire, 2000).
L’effet de l’établissement examine la manière dont l’institution prend en charge et soutient ses
étudiants dès la première année dans le développement d’une nouvelle identité (Briggs et al., 2012).
Pour améliorer les taux de persévérance, de nombreux établissements supérieurs en Amérique du
Nord ou ailleurs, ont mis en place des dispositifs spécifiques de transition pour les étudiants primo-
arrivants, comme des programmes d'intérêt de première année et des programmes d'expérience de
première année (FYE), qui visent à améliorer l’intégration sociale et académique de leurs nouveaux
étudiants. Ils les invitent à acquérir des compétences et des connaissances sur l'institution, les
attentes académiques et les méthodes de travail. Ces acquis permettront aux étudiants d'être des
membres compétents de leur communauté. Près de 85% des établissements universitaires
américains proposent à leurs nouveaux étudiants des programmes spécifiques (Gardner, Barefoot,
and Swing, 2001). Selon Upcraft et al. (2005), sans les programmes spécifiques destinés aux
nouveaux étudiants, le taux de décrochage aux États-Unis serait encore plus élevé.
De nombreux travaux de recherche montrent que la perception que l’étudiant développe à propos
de son environnement d’études constitue un facteur important dans la mobilisation sociale et
intellectuelle des étudiants (Paivandi, 2015). Cette perspective théorique, qui met l’accent sur la
subjectivité, permet de ne pas réduire les difficultés vécues par l’étudiant à la seule dimension
cognitive ou linguistique quand elles sont pensées du point de vue de l’étudiant. Weidman (1989),
Mayhew et al. (2017) et Romainville (1998) placent le contexte normatif et les interactions sociales
côte à côte pour expliquer l’expérience universitaire.
À la sortie de l’enseignement secondaire, les jeunes apportent avec leur bagage, constitué de savoirs,
d’attitudes et d’habitudes de travail développées tout au long de leur scolarité. De nombreux
35
étudiants inscrits en première année ne savent pas ce que l'on attend d'eux à l'université, et ils ne
sont souvent pas bien préparés pour répondre aux exigences académiques (Jansen, van der Meer,
2007 ; Mah & Ifenthaler, 2017 ; McCarthy, Kuh, 2006). La préparation des étudiants est également
mal maîtrisée en ce qui concerne les compétences transversales que les nouveaux étudiants sont
censés posséder avant de commencer leurs études supérieures (Barrie, 2007 ; Taylor & Bedford,
2004). Les jeunes ont une identité en tant que lycéens et un nouveau processus se développe lors de
l’inscription dans l’enseignement supérieur (Chenard, Francoeur et Doray, 2007). Ces deux
mouvements de la transition sont orchestrés par l’étudiant, mais également par le système éducatif
(Doray et al., 2009). Ce lien entre le secondaire et le supérieur est également souligné dans le travail
de Mah & Ifenthaler (2018) qui pensent qu’il existe un manque de connaissance dans le secondaire
des attentes et des exigences de l’enseignement supérieur. Les étudiants de première année ne
s’attendent pas à devoir acquérir beaucoup de compétences en matière d’auto-régulation et
d’apprentissage. La même remarque est faite par les chercheurs italiens qui ont mené une enquête à
l’université de Caligari auprès des étudiants qui ont utilisé un support numérique pendant la
première année (Malaspina & Rimm-Kaufman, 2015). Selon les auteurs, il n'y a pas de continuum
entre le secondaire et le supérieur, et les étudiants sont mal préparés à aborder l’université.
Le projet Boussole en Suisse (Maurice, 2001), met l’accent sur une bonne information des lycéens en
amont pour leur donner toutes les chances de choisir une filière universitaire en connaissance de
cause, puis offre des possibilités d’aide et d’encadrement, en première année universitaire, par des
étudiants avancés. Le projet propose des actions en phase d’orientation (journée d’information,
atelier d’orientation) et un stage à l’université. Le stage à l’université est encadré par des étudiants
avancés (3e et 4e années) par petits groupes.
Les contacts hors classe semblent aussi influencer positivement les perceptions des étudiants sur
l'environnement d’études, leurs aspirations scolaires (Gurin, Epps 1975 ; Hearn 1987 ; Pascarella,
1985) et l'obtention du diplôme (Pascarella, Smart, Ethington 1986 ; Stoecker, Pascarella et Wolfe
1988). Mah & Ifenthaler (2017) ont également travaillé sur la proximité ressentie par les étudiants en
première année avec le monde académique pour permettre de les aider à avoir une perception
positive des compétences académiques requises. Plusieurs autres recherches confirment ces
36
résultats en montrant l’impact positif de bonnes relations entre le monde académique et les
étudiants. (Lizzio, Wilson & Simons, 2002 ; Lizzio, Wilson & Hadaway, 2007). À l’opposé, une
perception négative des relations avec le monde académique et le sentiment de ne pas être soutenu
par les professeurs augmentent les risques de parcours moins réussis (Etcheverry, Clifton & Roberts,
2001). Un élément critique souvent présent dans les recherches concerne les décalages qui existent
entre les partenaires pédagogiques quant aux attentes académiques. On évoque les difficultés des
étudiants à comprendre ce que l’on attend d’eux, et la manière dont ils sont évalués ou dont ils
doivent travailler montrent dans certains cours le caractère implicite de la pédagogie à l’université.
Les étudiants de première génération qui ont déclaré des interactions positives avec le corps
professoral et les autres membres du personnel étaient plus susceptibles de réaliser une
performance universitaire et étaient plus satisfaits de leur expérience académique (Amelink, 2005).
Cependant, on ne sait pas si ces corrélations sont causales et linéaires, c'est-à-dire que les étudiants
les plus satisfaits sont peut-être plus enclins à rechercher des contacts avec les membres du corps
professoral, plutôt que de devenir plus satisfaits grâce à de tels contacts. Le travail de Higton (2014)
sur les étudiants noirs a révélé qu’un environnement d’études positivement perçu, l’engagement
pédagogique des professeurs ainsi que des programmes d’accompagnement spécifiques ont
contribué à motiver et faire travailler ces étudiants, tout en les aidant à choisir des cours dans
lesquels ils peuvent être performants
Les recherches françaises sur les étudiants sont assez critiques à propos de l’accueil initial des
étudiants débutants sur le plan humain dans le secteur universitaire. La littérature des années 1980
et 1990 est marquée par la vision critique du contexte humain et pédagogique (Coulon et Paivandi,
2008). Dans leurs discours, les étudiants parlent très fréquemment, sans le nommer, d’un flou
pédagogique (Oberti, 1995). Évoquant ainsi leurs enseignants de cours magistraux, les débutants
partagent assez largement l'appréciation formulée par l'un d'entre eux : « suffisants en
connaissances et peut-être insuffisants en pédagogie ». Perçus souvent comme savants, les
enseignants de cours magistraux ne feraient pas tous, en effet, beaucoup d'efforts pour faciliter la
tâche principale aux yeux de leurs étudiants : la prise de notes (Boyer, Cordian & Erlich, 2001, p. 98).
37
programmes de transition, tels que les groupes d'intérêt de première année et les programmes
d'expérience de première année. Ces programmes qui cherchent à faciliter l’intégration des
étudiants dans les communautés académiques et sociales visent à permettent aux étudiants
d'acquérir des compétences et des connaissances indispensables pour réussir la transition. Les
supports numériques de soutien des étudiants débutants se multiplient et les initiatives dans ce
domaine sont multiples.
38
(UQAT). L’Université de Sherbrooke, pour sa part, a mis sur pied des cliniques d’entraide étudiante,
et le projet Passeport-Réussite.
Dans le troisième volume de leur ouvrage How College Affects Students, Matthew et al. (2017)
s’appuient sur les travaux récents (2002-2013) pour proposer un inventaire des initiatives les plus
courantes comme les cours sur les compétences académiques (prise de notes, lecture, stratégies
d’apprentissage…), la promotion de l’engagement étudiant en dehors des cours, les interactions et le
soutien des pairs, les interactions avec le monde académique, les programmes (ateliers, activités
collectives) destinés à rendre les étudiants conscients des défis sociaux et personnels des études
supérieures, la vie sur le campus, les activités culturelles, sportives et sociales et la participation aux
évènements proposés par l’établissement. Ces dispositifs et ces événements cherchent à favoriser
l’engagement intellectuel et social et le sentiment d’appartenance et l’affiliation.
Une lecture synthétique des travaux sur la TESS permet d’établir un éventail d’espaces et de
dispositifs développés depuis plusieurs décennies.
39
le développement du métier d’étudiants et le développement des compétences (Kuh et al., 2006). Le
dispositif « blocus dirigé » développé en Belgique francophone est aussi un exemple d’aide agissant
sur l’acquisition de compétences d’études (De Clercq, Roland, Milstein, & Frenay, 2016 ; Schunk et
al., 2008 ; Vertongen et al., 2015). Le cours de développement personnel qui se focalise sur les
thématiques comme les compétences de vie, les aptitudes académiques, les règlements, les
compétences de communication, l’élaboration d'objectifs, la gestion du temps et des priorités, la
lecture, la prise de notes, la créativité, le développement des liens sociaux et l’attitude positive
semble influencer la performance universitaire.
6) Les dispositifs visant les interactions entre le monde académique et les étudiants
Un rapport sur la performance des étudiants dans les universités américaines (Kuh et al., 2006)
souligne que les initiatives visant à faciliter l’interaction entre les étudiants et les enseignants ont des
effets différents sur les étudiants. Par exemple, les relations avec le corps enseignant ont exercé un
effet positif sur le développement de la compétence académique chez les nouveaux étudiants en
première année (Reason, Terenzini et Domingo, 2005), et sur le succès en deuxième année (en
termes de notes et de satisfaction) (Graunke et Woosley 2005 ; Juillerat, 2000). Dans l'ensemble, la
persévérance et la performance académique des étudiants sont positivement liées aux interactions
entre les étudiants et le personnel académique sur le campus, à l'intérieur et à l'extérieur de la classe
(Kuh, 2003 ; Pascarella et Terenzini, 2005).
40
participation aux communautés d’apprentissage exerce un effet positif sur les résultats obtenus par
l’étudiant durant la première année.
41
académique afin de jouer un rôle proactif dans le processus d'intégration des étudiants, en
examinant l'adéquation institutionnelle comme un facteur intégrateur. L’évaluation peut aussi
s’intéresser à mesurer l'intégration académique et l'intégration sociale par le développement et la
fréquence des interactions positives avec les pairs et le personnel enseignant, et la participation à
des activités de soutien et d’accompagnement. Graza & Bowden (2014) pensent que l’évaluation des
programmes spécifiques de première année (FYE), afin de les rendre plus efficaces et ciblés, est une
vraie préoccupation de l’enseignement supérieur. Selon Kuh et al. (2006), les programmes de
première année ont produit des résultats positifs, et sont réajustés et évalués en permanence.
Muraskin et Wilner (2004), Reason, Terenzini et Domingo (2005), Upcraft, Gardner et Barefoot
(2005), Upcraft et al. (1993) vont dans le sens de cette analyse en évoquant des cas critiques ou
réussis. Par exemple, The Pell Institute (2004) a constaté que les établissements ayant un taux de
diplômation élevé avaient plus de programmes facilitant l'entrée et l'adaptation des nouveaux
étudiants, comme les communautés d'apprentissage, les groupes d'étude, le soutien destiné aux
étudiants en difficulté. De même, la visibilité des parcours et des choix ainsi que la prise en compte
des attentes et des exigences académiques aident considérablement les nouveaux étudiants à
donner un sens à leur expérience universitaire et à les intégrer à l'établissement (Kuh et al., 2005b).
Burnette (2016), Mah & Ifenthably (2018) et Hill (2012) pensent que les programmes axés sur les
compétences (présentiels ou à distance) pour préparer les étudiants aux exigences académiques de
l'université doivent être personnalisés. Les compétences méthodologiques et génériques travaillées
dans les séminaires spécifiques des étudiants débutants ont des influences directes et indirectes sur
la persistance et la diplômation. De plus, lorsque les services de soutien scolaire sont conçus pour
répondre aux besoins d’apprentissage des étudiants pour des cours, la persévérance des étudiants
est renforcée (Tinto, 2004).
Ces recherches récentes rejoignent les travaux antérieurs (Forest, 1985 ; Dunphy et al., 1987 ; Fidler,
Hunter, 1989) qui avaient identifié les effets positifs de ces dispositifs en rapports avec les étudiants
en première année. Sauvé et al. (2006) soulignent qu’il y aurait trop d’acteurs différents impliqués
dans les initiatives et que le morcellement des activités et des mesures de soutien n’encourage pas
une approche intégrée et globale, et créerait ainsi de la désorganisation. Les auteurs se réfèrent aux
études réalisées sur ces dispositifs pour affirmer que les actions sont parfois menées sans une
réflexion fine initiale de la part des acteurs, qui tendent à favoriser des solutions à partir de leur
propre vision à la place de tenir compte du point de vue des étudiants concernés, et de leur
compréhension des difficultés rencontrées.
Un point central dans le débat sur les dispositifs d’accompagnement conçus pour les étudiants en
première année renvoie à la pertinence du personnel chargé de les animer. Kift (2002) insiste sur la
formation ciblée des enseignants qui interviennent dans les séminaires et les cours de soutien auprès
des étudiants. Plusieurs chercheurs insistent sur le rôle du personnel académique et la nécessité de
le sensibiliser aux enjeux de ces programmes (curriculaires et co-curriculaires), et au caractère
spécifique de la période de la TESS. Le curriculum et les activités extra-curriculaires sont
intentionnellement conçus pour être organisateurs de l’intégration sociale et académique des
nouveaux étudiants.
En France, le tutorat, comme partie d’un ensemble de dispositifs d’accompagnement et
d’encadrement pédagogique des étudiants développés avec la mise en place par la réforme Bayrou
(1997) est devenu l’objet de plusieurs recherches (Annoot, 2014 ; Borras, 2011 ; Sirota, 2003). Selon
Coridian (2000, p. 85), au-delà des problèmes d’accès aux tuteurs, souvent bien réels, il semble
42
néanmoins que les étudiants qui rencontrent le plus de difficultés à s’adapter au travail universitaire
ne soient pas les plus portés à tirer parti du tutorat.
La participation aux activités collectives initiées par l’établissement est souvent évaluée positivement
par la littérature internationale, qui met l’accent sur la persévérance des étudiants (Box et al., 2012).
Le rapport sur le bilan de plus de 700 établissements supérieurs (collèges) américains souligne que le
taux de participation aux dispositifs destinés à la transition atteint 54 % et que les étudiants ayant
suivi les séminaires et cours spécifiques tendent à obtenir un meilleur résultat (Upcraft, Gardner &
Barefoot, 2005). On remarque aussi chez ces étudiants des pratiques d'apprentissage plus actives et
plus collaboratives, une interaction plus fréquente avec les professeurs, une perception plus positive
de l’environnement d’études et une utilisation active des services universitaires de soutien. Le
rapport Kuh et al. (2006) se réfère aux enquêtes réalisées par NSSE pour souligner les effets positifs
des séminaires de l’année transitoire, tels que déclarés par les étudiants en matière de
développement personnel et social, de compétences pratiques et de formation générale. Garza &
Bowden (2014) dans leur recherche sur les effets des cours de soutien (Student Development Course,
SDEV) au Texas montrent que les taux de persévérance sont nettement plus élevés chez ceux qui ont
suivi cette formation au début de leur parcours universitaire. Une recherche japonaise rend compte
de l’expérience d’un programme de cinq semaines destiné à faire le point sur les croyances et les
approches de l’apprentissage des étudiants (Sugimura & Shimizu, 2011). Cette initiative propose un
apprentissage coopératif pour partager et réfléchir sur la manière d’apprendre et le rapport au
savoir. La recherche sur 179 étudiants débutants identifie une typologie composée de quatre
positions différentes face à l’apprentissage universitaire, qui sont susceptible d’évoluer au cours de
ce programme. Le programme insiste sur l’importance de l’identité académique, la conscience
apprenante et la coopération entre les étudiants pour améliorer leur manière d’apprendre et donner
un sens à leur apprentissage universitaire.
43
Conclusion
L’intégration des primo-arrivants, spécialement quand il s’agit de l’université, n’est pas du seul
ressort des étudiants et constitue une responsabilité partagée des étudiants et des établissements
qui les accueillent. Les travaux de recherche sur la transition entre le secondaire et le supérieur
tendent à mettre l’accent sur l’importance cruciale de la prise en charge des étudiants débutants.
C’est l’établissement qui doit prendre l’initiative de mobiliser, de sensibiliser et de former les primo-
arrivants pour leur permettre de saisir les enjeux et mécanismes liés à leur propre processus
d’intégration. Pour devenir le principal acteur de sa socialisation initiale, l’étudiant doit comprendre
que l’intégration aux études supérieures sous-tend un enjeu d’ouverture aux changements. On peut
parler d’un contrat pédagogique entre l’étudiant et son institution. Un contrat pédagogique implique
l’existence d’un dialogue explicite entre les partenaires pédagogiques. L’étudiant doit autant
appréhender les enjeux, les exigences et les attentes de la nouvelle institution que connaître les
moyens et les dispositifs mis en œuvre pour accompagner les débutants. Pour ce faire,
l’établissement est appelé à connaître mieux ses étudiants, leurs projets, leurs besoins spécifiques
sur le plan méthodologique et cognitif. Ce contrat pédagogique existe souvent, d’une manière
explicite ou implicite, dans les petites structures qui tendent à privilégier une pédagogie de proximité
et un encadrement renforcé.
Les travaux sur la transition entre le secondaire et le supérieur (TESS) à travers le monde montrent
que malgré le poids de l’héritage et des facteurs socio-scolaires, tout n’est pas joué à l’avance et
l’échec n’est pas une fatalité pédagogique. Ceux qui ont un bagage scolaire moins important ou qui
sont fragilisés par l’incertitude de leur projet, leur manque de motivation ou leur condition
personnelle peuvent basculer vers le parcours de réussite si la pédagogie et l’environnement
d’études parviennent à les impliquer et à les motiver. Il s’agit de leur offrir, dès la rentrée et dans le
cadre d’une pédagogie de l’affiliation, un dialogue et un vrai cadre intégrateur, un environnement
formateur et un rythme personnalisé. Il s’agit de développer une culture institutionnelle qui
considère la TESS comme une mission de chaque établissement et une partie intégrante du
curriculum de la première année. Le contrat pédagogique constitue la base d’une pédagogie de
l’affiliation, une sorte d’échafaudage permettant de grimper et franchir les obstacles visibles et
invisibles, personnels et collectifs. Il s’agit de passer d’un monologue et une transition silencieuse et
périlleuse à un dialogue et une transition apprivoisée et consciente.
Les travaux de recherche français et internationaux mobilisés pour élaborer ce rapport semblent
montrer plusieurs éléments importants :
La transition entre secondaire et supérieur commence bien avant l’inscription effective de
l’étudiant dans un établissement donné. On peut penser aux initiatives conjointes entre les
établissements secondaires et supérieurs qui vont au-delà des journées portes ouvertes
permettant un dialogue formateur entre les acteurs des deux ordres d’enseignement. Il faut
insister sur le rôle de premier plan du personnel enseignant des deux ordres d’enseignement,
qui, dans un exercice de pédagogie à relais, doit construire des ponts entre le secondaire et
le supérieur. Ce contact aiderait aussi les élèves à mieux concevoir leur projet et saisir les
enjeux des études supérieures.
Devenir étudiant et réussir sa TESS passe par un ensemble d’apprentissages qui se
développent à l’aide des dispositifs institutionnels spécifiques. Les traits personnels et les
expériences antérieures constituent des facteurs également importants, cependant, un
accompagnement formateur est parfois indispensable pour soutenir les étudiants les moins
44
préparés à ajuster certains comportements et attitudes et à apprendre à faire face à
l’incertitude et aux situations inédites dans l’enseignement supérieur.
Agir plutôt en identifiant les besoins cognitifs et méthodologiques dès la rentrée permettra
donc d’intervenir plus en amont de ce qui conduit un étudiant à persévérer. Il convient de
repérer rapidement les étudiants à risque, susceptibles d’être fragilisés par leur parcours
antérieurs, une faible motivation ou le manque d’information, en leur offrant un
accompagnement formateur spécifique.
Le curriculum et la pédagogie doivent être directement associés aux dispositifs extra-
curriculaires de la TESS. On ne peut pas transformer positivement l’expérience de la
transition sans le concours de la pédagogie et du personnel académique. Chaque
établissement doit inventer sa propre pédagogie de l’affiliation pour adopter une attitude
différenciée face aux étudiants qui n’ont pas su développer des dispositions similaires durant
leur parcours scolaire.
La pluralité des figures d’étudiants est une réalité. On doit pouvoir offrir à chacun un
parcours davantage individualisé et adapté à ses besoins et son projet, en fonction de ses
antécédents. Cette orientation convient notamment aux étudiants fragiles qui ont besoin
d’une pédagogie plus souple et des apprentissages préalables pour intégrer une formation
universitaire exigeante ou aller plus loin dans leur cheminement universitaire. Pour
permettre aux étudiants fragiles l’étalement de leur parcours, une forme de première année
« lente », adaptée à ceux qui ne disposent pas de l’ensemble des prérequis nécessaires
s’impose. Pour répondre aux besoins, conditions et temporalités différenciés des étudiants,
les programmes et l’organisation pédagogique doivent abandonner la logique habituelle
d’uniformité des parcours proposés qui contribue à rigidifier le contexte pédagogique. La
démarche « Parcoursup » propose un premier cadre, mais il faut considérablement
augmenter des moyens et des initiatives pour être à la hauteur des besoins et des attentes.
L’enseignement supérieur en France doit reconnaître l’accompagnateur ou le conseiller
d’étudiants débutants comme métier émergent. C’est le cas de beaucoup de pays où les
universités mobilisent un nombre important de conseillers et d’accompagnateurs formés
pour aider et accompagner les étudiants et les enseignants. Ces conseillers peuvent animer
certains dispositifs extra-curriculaires.
Le développement de l’autonomie personnelle doit devenir un chantier central dans le
passage entre le secondaire et le supérieur. Pour développer son autonomie, l’étudiant doit
apprendre à réfléchir sur ses pratiques et ses croyances, à s’autoévaluer (faire le point sur ses
apprentissages et ses lacunes) ; à s’autoréguler, et à maîtriser son temps. Un portfolio
évolutif construit à l’aide d’un accompagnateur dans un atelier permettra de faire le point
sur les apprentissages effectivement réalisés, ceux qui sont ratés, et de les analyser en
fonction des projets et des attentes.
45
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