01 Omar Benchikh - Risque
01 Omar Benchikh - Risque
01 Omar Benchikh - Risque
Omar BENCHEIKH1
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Omar Bencheikh est à cette date, 2002, Ingénieur CNRS, Lyon.
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Voir « Remarques & compléments » dans ce volume, 123-124 [Ndlr].
L’origine latine, la plus répandue, est pratiquement retenue par tous les
dictionnaires. Elle est ainsi résumée par Le Robert : « Risque n. m. est
emprunté (1557) à l’ancien italien risco (aujourd’hui plus souvent
rischio), qui représente le bas latin risicus ou riscus dans un texte de
1359 cité par Du Cange. Certains rapprochent ce mot du latin resecare
“enlever en coupant”, par l’intermédiaire d’un latin populaire *resecum
“ce qui coupe” et, de là, “écueil”, puis “risque que court une marchandise
en mer”. Bien que ce développement sémantique soit partiellement
corroboré par l’esp. riesgo “rocher découpé”, d’où “écueil”, et que le mot
latin médiéval corresponde bien à l’idée d’un danger encouru en mer par
une marchandise. P. Guiraud estime qu’“il n y a pas le moindre commen-
cement de preuve à ce roman nautique” ; selon lui, le mot viendrait d’un
terme roman de type *rixicare, élargissement du latin classique rixare “se
quereller”, de rixa (> rixe) par un développement menant des valeurs de
“combat” et de “résistance” à celle de “danger” », DHLF, 3260.
On rejettera aisément « le roman nautique » raillé par Guiraud. Cepen-
dant, en ce qui concerne la provenance du rom. *rixicare d’où sont nés
rixare et rixa, l’hypothèse présentée est séduisante puisqu’elle aboutit à
riesgo « danger », sens autour duquel se seraient formées les expressions
« rocher escarpé » (esp. peñasco escarpado) et « écueil » (esp. escollo),
représentant chacun un « péril » parmi tant d’autres éventuels. Elle demeure
toutefois peu convaincante parce qu’elle n’est illustrée par aucune citation
probante. L’origine grecque est exposée et discutée par Coromines et
Pascual, DCECH, V, 15, pour être finalement rejetée pour des raisons
phonétiques telles qu’on ne peut considérer les formes castillanes, occitanes
et autres formes italiennes comme dérivées du grec moderne ριζικόν « des-
tin, fortune, péril », XIIe s., et parce que le mot lui-même pourrait bien se
révéler un romanisme antérieur. La seule perspective qui reste debout est
donc celle de l’origine latine, laquelle n’apporte pourtant pas de réponse
satisfaisante sur l’origine du mot risque et son évolution sémantique.
Compte tenu, d’une part, des longs et étroits contacts entre la
langue arabe d’al-Andalus, dans tous ses registres, et les langues
ibériques romanes, notamment le castillan, le portugais, le catalan, le
valencien, etc., et, d’autre part, le prestige dont jouissait l’arabe auprès
des habitants de la péninsule et son rayonnement dans toute l’Europe,
3
Voyez SYLVESTRE DE SACY, Antoine-Isaac, Chrestomathie arabe, Paris : Impr. impé-
riale, 1806, I, 237 [note M. Devic].
4
VA = ALCALÁ, Pedro (de), Vocabulista aravigo, 256/17, éd. de Lagarde, 77, éd Co-
rriente. On notera que l’ar. رزقrizq est aujourd’hui l’étymologie retenue par la Real
academia española, cf. DLE, s.v. « riesgo »).
5
EPALZA, Míkel (de), « Nota sobre la etimología árabe-islámica de “riesgo” »,
Sharq al-Andalus n° 6, 185-192.
6
Ce sens existe aussi en arabe classique : cf. Ibn Man¿ūr : رجل رزوق = رجل مجدود
rağul mağdūd = rağul marzūq « un homme chanceux », Lisān, 1636-1637.
7
Voir également MARÇAIS, William & GUIGA, Abderrahmân, Textes arabes de
Takroûna, Paris : Geuthner, 1925, 1492.
8
BORIS, Gilbert, Lexique du parler arabe des Marazig, Paris : C. Klincksieck, 1958, 210.
9
L’expression arabe met à l’esprit une formule française familière « au petit bon-
heur la chance ». Il est intéressant de rapprocher l’esp. « a ojo », litt. « à l’oeil » de
l’ar. تقويمه بلعينtaqwīmuhu bi-l-cayn « son estimation à l’oeil », familièrement : « à
vue d’oeil », cf. AL-JAZĪRĪ, Al-Maq ad al-ma mūd fī talŸī al-cuqūd, ed. Ascensión
Ferreras, Madrid, 1998, 484.
10
Verbe composé de la prép. ar. bi- « avec » et du suff. verbal roman –ar.
11
GONZÁLEZ PALENCIA, Angel, Los Mozárabes de Toledo en los siglos XII-XIII.
Volumen preli-minar : estudio e índices (1930), I et II (1926), III (1928).
darak fi-l-mabīc
« au risque et à la chance de l’acheteur, attendu que le susdit vendeur
ne s’est pas engagé à l’éviction dans le bien vendu ».
Dans ces deux passages, le mot رزقrizq signifie probablement « lot,
part heureuse ou malheureuse qui échoit à quelqu’un ». Il appartient au
domaine juridique et semble avoir pour synonymes les mots سعدsacd et
قسمqasm. Les trois mots appartenant à un même champ sémantique, il
n’est pas étonnant de les voir parfois, comme dans la première citation,
accolés pour souligner et mettre en lumière davantage le fait juridique
en question. La date des deux contrats se révèle d’une importance
capitale, puisqu’elle porte la preuve et l’attestation que le mot arabe رزق
rizq était en usage à Tolède et probablement dans d’autres contrées d’al-
Andalus au XIIIe siècle ainsi qu’à une date antérieure. Et ce, dans le sens
juridique de « risque », « péril ». C’est précisément à ce siècle-là, rappe-
lons-le, que les dictionnaires citent les premières attestations de l’esp.
riesgo et les premières attestations de l’it. risco dans un sens identique à
celui que possède le mot en arabe andalou.
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Voir ici également « Remarques & compléments » dans ce volume, 123 [Ndlr].
Sur le Bulletin n° 1
* risque (Complément à l’article d’Omar BENCHEIKH, « Risque et
l’arabe رزقrizq », 19-24) :
1. Les dictionnaires arabes considèrent que رزقrizq possède
comme sens premier « quelque chose dont on tire profit, ou dont on
tient avantage » et, dans un second temps seulement, « les moyens de
subsistance que Dieu procure aux hommes ou aux animaux », cf.
Lane, 1076-1077. Le terme renvoie à une racine trilittère qui lui donne
un aspect tout à fait arabe, et il possède d’ailleurs plusieurs formes
verbales, notamment la VIII : ارتزقirtazaqa, et la X : استرزقistarza-
qa, ainsi que de multiples dérivations de la première forme, telles رازق
ّ razzāq et مرزوقmarzūq, etc. C’est probablement la raison
rāziq, رزاق
pour laquelle Al-Ğawālīqī l’ignore dans son Mucarrab.
Il y a pourtant forte chance qu’il s’agisse d’un emprunt au pahl.
<rwlzyk> rōzīk, « pain quotidien, moyen de subsistance », CPD, s.v.,
comme le propose Jeffery, 142-143 ; Tazi, 42. La même forme se
rencontre d’ailleurs dans l’arm. ռոժիկ rožik, ap. Jeffery, ibid. Le mot
est formé sur <rwlz > roz, « jour », CPD, s.v., d’où le pers. روزroz,
« jour, journée, soleil », Steingass, 592, lié à l’a.pers. raočah, « lu-
mière », Bartholomae, 1489, lequel correspond au skr. च ् ruc, « éclat,
lumière », Huet, SHD, s.v.1 ; cf. gr. λευκος, lat. lux, lumen ; it. luce,
esp. luz, all. Licht, angl. light, fr. lumière, etc., cf. Grandsaignes,
s.v. « leuk- », DCLE2, 108-109. Littéralement, le pahl. rōzīk a pour
1
HUET, Gérard, Sanskrit Heritage Dictionnary, <http://sanskrit.inria.fr/intro.html>
(= Huet, SHD), est version anglaise digitalisée formée sur le Dictionnaire Français de
l’Héritage Sanskrit, 1994‒, <http://sanskrit.inria.fr/Dico.pdf> (Huet, DFH).
2
GRANDSAIGNES D’HAUTERIVE, Robert, Dictionnaire des racines des langues euro-
péennes, Paris : Larousse, 1994 (1ère éd.1948) (= DRLE).