D Fabi Garand
D Fabi Garand
D Fabi Garand
Bruno F ABI *
Denis J. G ARAND **
Normand P ETTERSEN ***
Université du Québec à Trois-Rivières
RÉSUMÉ
Cette communication vise à mieux faire connaître les réalités de la gestion des ressources
humaines dans les PME œuvrant en contexte de gestion de projets, particulièrement dans les
sociétés québécoises de génie-conseil1. Cette problématique ouvre la porte à de nombreuses
observations portant à la fois sur la diversité des pratiques appliquées et sur l'originalité d'un
mouvement en plein essor depuis moins de cinq ans. En dressant un bilan des pratiques de GRH
utilisées par ces 12 PME du génie-conseil, à l’aide d’une grille-diagnostic exhaustive administrée
par entretiens directs approfondis, l'enquête fait état de la satisfaction des acteurs à ce sujet, et
identifie les difficultés rencontrées, les besoins d'amélioration et les solutions mises de l'avant par
ces entreprises. Les résultats laissent entrevoir un écart substantiel par rapport aux problèmes de
gestion traditionnellement liés à la GRH dans ce domaine (Pettersen, 1991 ; Fabi et Pettersen,
1992a) en se rapprochant davantage des constatations formulées par les praticiens de la GRH
(d’Amboise et Garand, 1993, 1995 ; Harnois et Fabi, 1994 ; AICC, 1994). On note surtout la
diversité et la faible formalisation des outils et techniques de GRH utilisés dans ces PME
professionnalisées, ainsi qu'une certaine souplesse d'application des procédures de GRH en
fonction des contraintes de projets et de taille. Ces constats permettent de souligner le caractère
dynamique et évolutif des pratiques de GRH des PME du génie-conseil québécois, et apportent
une contribution aux récentes initiatives d’amélioration et de structuration de la GRH de ces
sociétés-conseils.
Mots clés : Ressources humaines (RH) — Gestion des ressources humaines (GRH) — Pratiques
de GRH — Petites et moyennes entreprises (PME) — Gestion de projets (GP) — Diagnostic —
Sociétés-conseils — Ingénierie — Génie-conseil — Québec
* Bruno Fab i, professeur titulaire de gestion des ressources humaines ; membre associé du GREPME.
** Denis J. Gar an d , chargé d'enseignement et professionnel de recherche en management ; collaborateur externe
du GREPME ; candidat au doctorat en Sciences de gestion, ESM-Université de Metz.
*** Normand Petter sen , p rofesseur titulaire de psychologie industrielle et de méthodologie ; directeur de la
maîtrise en gestion de projets.
Adresse: Université du Québec à Trois-Rivières, Département des sciences de la gestion et de l'économie, C.P.
500 Trois-Rivières (Québec) G9 A 5 H7 Tél : (819) 376-5080 - Télécopie : (819) 376-5079.
1. Nous tenons à remercier le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) pour son soutien
financier, essentiel à la réalisation d’un tel projet.
Introduction
L’importance de la GRH dans les firmes de génie-conseil ne s’est accrue au Québec qu’à la suite
des deux récessions du début des décennies 80 et 90, suivies à chaque reprise de toute une batte-
rie de restructurations, de réorganisations et de processus de rationalisation, dont les impacts les
plus visibles ont porté sur les RH. Autrefois fortement déconcentré et largement composé de
PME, ce secteur subit depuis une dizaine d’années un phénomène d’expansion et de contraction
des effectifs, de concentration de la propriété et d’ouverture internationale, directement liés aux
variations cycliques des conjonctures économiques et financières, tant nationales que mondiales
(STRATEM, 1990 ; Céré, 1992). Cet intérêt pour les RH a aussi été perçu par l’Association des
ingénieurs-conseils du Canada (AICC, 1994). Presque en même temps que notre étude, l’AICC a
effectué auprès de ses membres une démarche concertée de remise en question des modes de ges-
tion relatifs aux RH dans leurs organisations. Les résultats de leur consultation permettront d’ail-
leurs d’établir un certain nombre de parallèles entre la présente démarche empirique, basée sur
l’établissement d’un portrait factuel de la situation en PME, et la réflexion collective de praticiens
œuvrant en GP.
Globalement, cette recherche a comme double visée d’accroître les connaissances empiriques sur
le sujet et d’apporter aux responsables des RH du génie-conseil les avenues et solutions suscep-
tibles d’améliorer leurs pratiques de GRH. Sous cet angle, le présent diagnostic poursuit trois
objectifs de recherche :
1• dresser le bilan des pratiques de GRH utilisées par les PME du génie-conseil ;
2• faire l’évaluation de ces pratiques auprès des premiers responsables RH de ces organi-
sations, en identifiant les difficultés rencontrées, la satisfaction des responsables RH,
les besoins d’amélioration et les solutions apportées ;
3• vérifier le niveau de développement (ou sophistication) de leur GRH quant à l’utilisa-
tion des techniques et connaissances disponibles à ce jour en RH.
Étant donné le peu de connaissances colligées empiriquement sur cette problématique de GRH,
l’étude a fait appel aux récentes synthèses portant sur les pratiques de GRH en PME (Garand et
Fabi, 1992, 1994 ; Fabi et Garand, 1994 a, b ; d’Amboise et Garand, 1993, 1995) et en GP (Fabi
et Pettersen, 1992 a, b ; Harnois, 1993 ; Harnois et Fabi, 1994 ; Roux, 1994). En outre, bien qu’il
existe plusieurs approches visant à définir et à répertorier les diverses pratiques de GRH2, l’ana-
lyse ne porte que sur les pratiques dites “traditionnelles”, nommément : la planification des
ressources humaines ; l’analyse et la description des emplois ; le recrutement, la sélection et
l’accueil ; la rémunération ; l’entraînement à la tâche et le perfectionnement ; l’évaluation du ren-
dement (appréciation du personnel) ; la gestion de carrières ; la participation ainsi que la santé et
sécurité au travail. Les aspects plus psychologiques (motivation, rendement, satisfaction, climat
de travail, engagement, implication, etc.), ainsi que les éléments liés aux relations du travail
(accréditation, syndicalisation, négociation, règlement des différends, droit du travail, etc.) ont été
laissés de côté puisque la syndicalisation s’avère pratiquement inexistante en génie-conseil. En
outre, comme la population et l’échantillon étudiés se composent majoritairement de PME, il faut
retenir les remarques formulées par d’Amboise et Garand (1995) quant à l’importance, trop peu
approfondie, des difficultés liées au faible sens d’engagement du personnel et aux difficiles rela-
tions du travail vécues dans les PME.
Méthodologie
La présente communication rend compte d’une enquête sur les pratiques de GRH, menée au
Québec auprès d’entreprises offrant des services en génie-conseil. À notre connaissance, cette
recherche conceptuelle et empirique constitue le premier diagnostic GRH systématique et détaillé
en contexte de gestion de projets.
Les entreprises retenues devaient répondre aux critères suivants : (1) PME du génie-conseil
œuvrant au Québec ou y ayant leur siège social3 ; (2) comptant entre 50 et 400 employés (cadres
et salariés) ; (3) ayant un volume d’affaires entre 3 et 40 millions de dollars. À partir des réper-
toires gouvernementaux et privés4, 30 PME ont été répertoriés et sollicitées par téléphone pour
faire partie de l’enquête : 12 d’entre elles ont accepté de participer. Par ailleurs, en ciblant un seul
domaine d’activité et une taille donnée, cette étude répond aux multiples appels à l’utilisation
d’échantillons homogènes, spécialement en contexte de PME (Filion, 1990 ; d’Amboise, 1989,
1993 ; Garand et Fabi, 1992).
Dès le départ, un des objectifs de ce projet était de développer un instrument exhaustif et flexible
de diagnostic de la GRH, spécifiquement applicable aux divers contextes de GP. La grille-
diagnostic originelle (Fabi, Pettersen et Tracy, 1989 ; Garand, 1991) s’appuyait largement sur
l’ensemble des outils utilisés en Amérique du Nord par les chercheurs en GRH. Elle a ensuite été
pré-testée et améliorée par des ateliers auprès d’étudiants diplômés et de praticiens de la GRH en
contexte de gestion de projets, par des rencontres avec des professeurs spécialisés en GRH ou en
Menée sous forme d’entretiens structurés auprès des premiers responsables de RH, la cueillette de
données a été effectuée à l’aide de la grille-diagnostic, complétée par l’enquêteur, le répondant en
ayant une copie pour consultation seulement. La cueillette s’est effectuée sur une période de deux
mois, les entretiens durant généralement entre deux et quatre heures. Seuls les pré-tests ont exigé
deux rencontres réparties sur une période de deux semaines, l’outil-diagnostic devant alors être
critiqué sur le fond et la forme. Il faut en outre noter qu l’enquête porte essentiellement sur les
pratiques de GRH relatives aux gestionnaires de projet, très majoritairement ingénieurs de for-
mation, de calibre intermédiaire ou avancé, et pouvant sans questionnement être assimilés en
France à des cadres. Ainsi, tout au long des entretiens, les répondants, principalement respon-
sables des RH, ont dû à maintes reprises limiter leurs réponses à cette seule catégorie de person-
nel, excluant les salariés et autres cadres de l’organisation. Enfin, les réponses aux questions fer-
mées ont donné lieu à des traitements statistiques descriptifs, tandis que les réponses aux ques-
tions ouvertes ont été analysées selon la méthodologie élaborée par d’Amboise et Garand (1993).
Résultats
L’inventaire des pratiques de GRH permet de constater plusieurs inégalités d’application des
activités, techniques et outils de GRH selon les entreprises, en fonction d’une diversité de
facteurs sur lesquels nos analyses et travaux ultérieurs tenteront d’approfondir, les résultats
actuels ne permettant aucune analyse comparative. Pour l’instant, la présente recherche procure
un aperçu factuel plutôt exhaustif des pratiques les plus couramment utilisées par les PME québé-
coises du génie-conseil.
Les résultats indiquent que les organisations sont réparties à peu près également en trois strates de
taille et de volume d’affaires, selon les limites suggérées par les travaux de STRATEM (1990) et
Céré (1992). Les 12 PME étudiées existent depuis une trentaine d’années, emploient en moyenne
167 personnes non syndiquées, dont en moyenne 15 employés “temporaires” (contractuels,
pigistes, etc.), mais n’ont qu’une seule personne à plein temps en GRH. Tous les répondants font
appel à du personnel temporaire dans une proportion moyenne de 14% mais variant de 0 à 25%,
laissant entrevoir la nature cyclique de ce domaine d’activité, à la merci des contrats et sujet à
tous les phénomènes d’instabilité économique et politique. Malgré ces variations conjoncturelles
et une croissance qui tend à diminuer depuis 15 ans, elles enregistrent des profits et poursuivent
généralement une stratégie d’expansion, particulièrement dans les nouveaux services et sur les
marchés internationaux. D’autre part, les interlocuteurs interviewés, généralement le plus haut
responsable des RH de chaque organisation, occupent un poste directement relié aux RH dans la
moitié des cas seulement, même si 62% de leur temps est consacré aux RH. La moitié d’entre eux
relèvent directement du PDG et leur marge d’autorité leur permet de modifier, avec la direction,
les procédures et systèmes lorsque cela s’avère nécessaire. Ils assument ces responsabilités de
GRH depuis peu (moyenne : 5 ans) mais œuvrent dans l’organisation depuis près de dix ans. Par
contre, ils cumulent 11 années d’expérience en GRH, mais ont principalement acquis leur forma-
tion en GRH par démarche personnelle (92%), lors de colloques et séminaires sans attestation de
qualification (83%) ou par des études universitaires de 1• cycle (67%).
Recrutement et sélection
En ce qui a trait au recrutement et à la sélection, ces pratiques apparaissent majoritairement
conservatrices et peu sophistiquées quant aux techniques et outils privilégiés. Les entreprises
étudiées recourent à un éventail restreint de sources de recrutement, les plus fréquemment utili-
sées étant les candidatures spontanées et banques de candidats, les recommandations ou contacts
personnels ainsi que les journaux locaux et nationaux (tableau 1). Dans une moindre mesure, on
recourt à l’affichage interne et aux revues professionnelles. Cependant, comme l’indique le
tableau 75, les DRH accordent beaucoup d’importance au recrutement (3,58) et souhaitent l’amé-
liorer encore davantage (4.09), leur satisfaction à cet égard étant parmi les plus faibles (3,33).
Les techniques et outils de sélection apparaissent toutefois beaucoup plus variées, tant pour l’ana-
lyse des candidatures, les entretiens de sélection que pour la validation du processus. La vaste
majorité des répondants recourt à l’analyse des curriculum vitae ou des formulaires de demande
d’emploi, en identifiant un niveau minimal d’expérience et de scolarité, à l’aide d’un profil écrit
5. Tous les tableaux de résultats présentent les données selon l’ordre décroissant de fréquence ou d’importance.
Pour la majorité des sous-questions, seuls les éléments “prépondérants” (fréquence plus ou moins supérieure à
80%) et les “mitigés” (plus de 70%) sont reproduits aux tableaux. Quant aux autres, ils sont disponibles sur
demande.
de qualifications ou d’exigences, et dans une plus faible proportion, d’une description de tâches
en bonne et due forme (tableau 1). Les entrevues sont le plus souvent effectuées par plus d’un
intervieweur, ceux-ci s’appuyant davantage sur diverses mises en situation informelles (entrevues
situationnelles) que sur un guide d’entrevue écrit contenant les principales questions (entretien
semi-structuré). Quant aux fiches de notation, aux entrevues par un seul intervieweur et aux
demandes écrites de références, elles paraissent moins utilisées pour la sélection des gestionnaires
de projet. On vérifie toutefois régulièrement les références, et on applique majoritairement une
période de probation pour compléter le processus. Jugée par les répondants comme la plus impor-
tante actuellement (3,75) et dans le futur (4,09), la sélection se classe en toute dernière position
quant à la satisfaction exprimée (2,83), soulignant l’acuité des problèmes rencontrés pour cette
pratique de GRH (tableau 7). Toutefois, les autres commentaires obtenus des DRH n’insistent pas
autant sur ces difficultés : y aurait-il matière à approfondissement ?
TABLEAU 1
Principaux processus, outils et techniques de recrutement et sélection
Fréquence *
(12 répondants) 0% 25% 50% 75% 100% moy.
RECRUTEMENT
Sources
Candidatures spontanées ou banques de 0 1 3 4 4 3,9
candidats
Recommandations ou contacts 1 0 3 4 4 3,8
personnels
Journaux locaux et nationaux 1 2 4 2 3 3,3
Affichage interne 5 2 1 2 2 2,5
Revues professionnelles 4 3 5 0 0 2,1
SÉLECTION
Techniques et outils
Analyse des curriculum vitae ou des 1 0 0 0 11 4,7
formulaires de demande d'emploi
Identification du niveau minimal 2 0 0 1 9 4,3
d'expérience
Identification du niveau minimal de 2 0 0 3 7 4,1
scolarité
Entrevues par plus d'un interviewer 1 2 1 1 7 3,9
Période de probation 2 1 1 1 7 3,8
Profil de qualifications/exigences 2 1 2 1 6 3,7
écrit
Vérification des références † 0 1 4 4 2 3,6
Autres mises en situation : entrevue 4 0 1 3 4 3,3
situationnelle
Guide d'entrevue écrit contenant les 4 1 2 0 4 2,9
principales questions (entrevue semi-
structurée) †
Demande de références (e.g., lettre) 4 1 2 2 2 2,7
†
Fiche de notation pour évaluer les 5 1 2 1 3 2,7
candidats
Entrevues par un seul interviewer 4 3 0 3 2 2,7
Description de tâches écrite en bonne 5 2 1 1 3 2,6
et due forme
Accueil
Par contre, les procédures d’accueil paraissent plus développées et systématiques, l’arrivée d’un
nouveau gestionnaire de projet ayant des retombées plus étendues que la venue d’un technicien
ou d’un ingénieur junior. Comme l’indique le tableau 2, plusieurs informations sont presque tou-
jours fournies lors de l’accueil, relativement aux avantages sociaux, aux services disponibles et à
la philosophie de gestion, et moins fréquemment en ce qui a trait aux procédures d’assurance-
qualité. Plus de 80% des répondants présentent l’organisation au nouveau gestionnaire (mission,
structure, technologie, etc.), offrent un tour guidé des lieux, et lui expliquent ses rôles et tâches à
l’aide de documents écrits et de rencontres formelles avec des collègues et supérieurs. Cependant,
ce nouvel arrivant a rarement l’occasion de faire valoir ses attentes lors de l’accueil. Enfin, mal-
gré tous les bienfaits qu’on lui accorde, le parrainage semble rarement utilisé dans ces PME du
génie-conseil. Comme pour le recrutement, l’accueil semble considéré très important par les
DRH (3,25), et prioritaire dans l’avenir (4,09). Les répondants s’en disent cependant assez satis-
faits (3,55), comme on le constate au tableau 7.
TABLEAU 2
Principaux processus, outils et techniques d’accueil
Fréquence *
(12 répondant 0% 25% 50% 75% 100% moy.
Informations échangées
Information sur les avantages 0 0 0 0 12 5,0
sociaux
Présentation de l'organisation 1 0 1 0 10 4,5
(mission, structure,
technologie, etc.)
Explication des rôles et tâches 1 0 1 0 10 4,5
du nouvel employé
Information sur les services 1 1 1 0 9 4,3
disponibles
Information sur la philosophie de 1 0 3 2 6 4,0
gestion
Information sur les procédures 1 3 3 1 4 3,3
d'assurance-qualité
Présentation par le nouvel 6 1 0 3 2 2,5
employé de ses attentes
Outils utilisés
Visite guidée de l'organisation 2 0 0 1 9 4,3
Documents écrits 2 0 2 1 7 3,9
Rencontres formelles avec 3 0 0 2 7 3,8
collègues ou supérieurs
Parrainage 8 0 0 1 3 2,3
Quant aux politiques écrites relatives à ces pratiques, rappelons que les entreprises de génie-
conseil, comme la vaste majorité des firmes de services-conseils, ne sont ni syndiquées ni régies
par des conventions collectives. Cette absence de représentation syndicale exerce un impact
substantiel sur la formalisation de leurs politiques et procédures, généralement non écrites ou
inexistantes dans les PME étutdiées. En matière d’acquisition des ressources humaines, elles
touchent principalement l’égalité des chances en emploi (équité) et le recrutement (interne et
externe), moins fréquemment les programmes d’accès à l’égalité (discrimination positive), tandis
que des procédures non écrites précisent les questions de planification des ressources humaines et
de promotion interne.
Rémunération
Les activités liées aux questions de salaires et d’avantages sociaux donnent encore un aperçu du
traditionnalisme des modes de gestion appliqués dans les firmes québécoises de génie-conseil.
Sauf quelques rares exceptions, les gestionnaires de projet reçoivent un salaire fixe et un
ensemble d’avantages sociaux qui ne s’étend pas beaucoup aux régimes d’incitation et d’intéres-
sement, réservés dans ces structures professionnelles aux ingénieurs associés et propriétaires. Les
facteurs de détermination et de révision des salaires reposent concrètement sur la capacité de
payer de l’entreprise, sur les enquêtes auprès des concurrents et plus simplement, sur des ententes
individuelles avec chaque gestionnaire de projet (tableau 3). Moins de 70% de ces PME recourent
à des niveaux établis d’exigences de l’emploi ou de qualifications, appliqués uniformément à tous
les GP, et encore beaucoup moins utilisent des échelles d’expérience et d’ancienneté aux fins de
détermination et de révision des salaires. Comme les firmes de génie-conseil ne sont aucunement
syndiquées et agissent continuellement en contexte de gestion de projets, l’éventail des régimes et
programmes de rémunération correspond davantage à un système individualisé qu’à un
programme de type collectif répondant à des groupes de salariés hétérogènes et hiérarchisés.
TABLEAU 3
Principaux processus, outils et techniques de rémunération :
salaires et avantages sociaux
Fréquence *
(12 répondants 0% 25% 50% 75% 100% moy.
Facteurs de détermination et de révision
Capacité de payer de l'entreprise 1 0 3 1 7 4,1
Études salariales auprès des 0 1 3 3 5 4,0
firmes du même secteur
Entente individuelle avec chacun 1 2 1 3 5 3,8
des GP
Niveau d'exigence de l'emploi 1 1 6 0 4 3,4
Niveau de qualification appliqué 2 1 4 2 3 3,3
uniformément aux GP
Échelles d'expérience et 6 2 1 0 3 2,3
d'ancienneté appliquées
uniformément à tous les GP
Néanmoins, les DRH rencontrés accordent actuellement beaucoup d’importance aux questions de
salaire et d’avantages sociaux (3,67), probablement, comme l’ont signalé les études de STRATEM
(1990) et de l’AICC (1995), parce qu’ils tentent d’en limiter la hausse. Cette observation semble
se confirmer lorsqu’on constate que l’importance souhaitée pour ces pratiques demeure presque la
même (3,75) et que la satisfaction des répondants s’inscrit en haut de liste (3,83). La rémunéra-
tion des gestionnaires de projets aurait donc atteint un plateau jugé convenable par les dirigeants,
qui préféreraient passer à autre chose en matière de GRH (tableau 7).
Même pour ces pratiques, les politiques écrites sont restreintes aux heures supplémentaires
(explicitement non payées) et aux règles globales de rémunération (confidentialité des salaires,
échelles salariales, systèmes de promotion), les autres procédures (non écrites) découlant direc-
tement de la nature individualisée des rémunérations : augmentation du salaire selon le rende-
ment, salaire plus élevé à des personnes-clés afin de les retenir, montants forfaitaires (bonis).
Évaluation du rendement
L’évaluation du rendement révèle des éléments insoupçonnés dans ces organisations où la réus-
site des projets détermine directement le niveau de performance des gestionnaires de projets.
Dans plusieurs entreprises, les responsables des RH recourent à des outils plutôt sophistiqués
d’appréciation et d’évaluation du personnel, ces instruments ayant d’ailleurs été révisés et adaptés
au contexte de chaque organisation au cours des cinq dernières années, depuis l’arrivée en poste
de près du tiers des DRH interrogés. Cette observation démontre bien le dynamisme des sociétés
de génie-conseil, contraintes à une meilleure gestion de leurs RH par les phénomènes de rationa-
lisation et de concentration traversés dans leur secteur au cours des quinze dernières années.
TABLEAU 4
Principaux processus, outils et techniques d’évaluation du rendement
Fréquence
(9 répondants) 0% 25% 50% 75% 100% moy.
Méthodes utilisées 1
Évaluation ouverte (non structurée) 1 0 2 0 6 4,1
Échelles de notation 3 0 0 0 6 3,7
Direction par objectifs (D.P.O., 2 1 3 2 1 2,9
M.B.O., etc.)
Liste de comportements 4 0 2 0 3 2,8
Incidents critiques 4 1 3 1 0 2,1
Critères d'évaluation 2
Qualité du travail 1 0 1 1 6 4,2
Résultats atteints 1 0 1 2 5 4,1
Intégrité, éthique 1 1 0 2 5 4,0
professssionnelle
Esprit de collaboration au travail 1 0 0 5 3 4,0
Efforts 1 0 1 4 3 3,9
Quantité de travail 1 0 2 4 2 3,7
Le processus se déroule sur une base annuelle, sans grande procédure et presque toujours par un
entretien ouvert, souvent à l’aide d’une grille de notation, en portant principalement sur la qualité
du travail, les résultats atteints, l’intégrité et l’éthique professionnelle ainsi que l’esprit de colla-
boration au travail et les efforts des gestionnaires de projets. Toutes les méthodes formelles ou
sophistiquées d’évaluation demeurent sous-utilisées (tableau 4) : direction par objectifs, liste de
comportements, incidents critiques. Par contre, comme on le constate trop souvent, cet exercice
sert directement à la détermination de la rémunération, à l’attribution de bonis et autres récom-
penses monétaires, et en second, à maintenir la communication et le feedback afin de favoriser le
développement du personnel. En troisième et quatrième position, on retrouve les objectifs de
détermination des besoins de formation et l’attribution des promotions, tandis que la validation de
décisions administratives, le recours aux mesures disciplinaires, le ré-aménagement du travail et
la gestion des carrières constituent des finalités marginales de l’évaluation du rendement des ges-
tionnaires de projet.
Bien que l’importance actuelle accordée à l’évaluation apparaisse modérée (3,00), les DRH
souhaitent clairement améliorer cette pratique (4,08), leur satisfaction étant tout de même relati-
vement élevée (3,55), comme on peut le constater au tableau 7. Cette situation pourrait découler
en bonne partie des réticences des dirigeants et des gestionnaires face au processus d’évaluation,
auquel ils semblent accorder moins d’importance, et surtout, moins de temps. Faut-il cependant
rappeler que cette évaluation demeure très étroitement liée aux résultats et au succès des projets
réalisés, conférant peut-être à une procédure formalisée une vague connotation de superflu.
L’ensemble de ces pratiques d’évaluation semblent régies par des procédures plutôt que par des
politiques écrites, qui ne concernent que la fréquence, les finalités (objectifs) et le suivi de l’ap-
préciation. Bien qu’il existe un formulaire écrit dans près de la moitié des cas, on ne retrouve pas
de politique explicite à ce sujet, comme d’ailleurs pour toutes les autres pratiques de GRH. Quant
au point faible de bien des processus d’évaluation, la formation des évaluateurs, il ne fait l’objet
d’aucune politique ou procédure dans la moitié des cas.
Formation et développement
En matière de développement des RH, les firmes de génie-conseil démontrent souvent un avant-
gardisme notable, particulièrement dans les organisations à caractère entrepreneurial, où les diri-
geants réussissent à partager leur vision avec les gestionnaires de projets, qui constituent sur le
terrain les “généraux” de ces sociétés. Les activités de formation s’inscrivent, à certains égards,
parmi les obligations commerciales et stratégiques des ingénieurs-conseils. En effet, ceux-ci
doivent se tenir à la fine pointe des connaissances dans leurs domaines, comme sur toutes les
questions de nature socio-économique et politique, leurs projets étant étroitement liés aux
conjonctures nationales et internationales.
Ainsi ne faut-il pas s’étonner des principaux contenus de formation : mise à jour des connais-
sances techniques ou adaptation à une nouvelle technologie, habiletés de gestion (planification,
organisation, comptabilité, etc.), qualité totale - ISO, aspects humains (communication, travail en
équipe, direction, etc.). Par contre, certains thèmes, peu couverts par leurs formations universi-
taires et classés non prioritaires, apparaissent pour nombre d’observateurs externes (Beaudry et
Dionne, 1989 ; Céré, 1992 ; AICC, 1995) comme des lacunes dans le contexte actuel d’internatio-
nalisation des activités de génie-conseil : négociation, relations humaines, service à la clientèle,
économie et marketing international. Incidemment, l’enquête fait ensuite ressortir les besoins de
formation exprimés par les responsables RH (tableau 5) : parmi les plus prépondérants, on
retrouve les aspects humains (communication, travail en équipe, etc.), les principes généraux de
gestion (incluant la gestion de projets) et la qualité - ISO. De façon plus mitigée, on note aussi
des besoins en matière de marketing, d’informatique et de techniques de planification et contrôle,
tandis que les autres besoins ne semblent pas beaucoup préoccuper les responsables de RH du
génie-conseil : modèle décisionnel, politiques générales, systèmes d’information. Enfin, les
thèmes suivants ne constituent pas des besoins pour ces PME de services-conseils : environne-
ment et gouvernement, production, droit du travail ou des affaires, commerce international,
méthodes quantitatives et statistiques.
La formation des gestionnaires de projet s’effectue en partie durant les heures de travail, en partie
à l’extérieur, et elle serait alors parfois rémunérée, parfois non, selon les objectifs organisation-
nels et les contraintes des clients et du marché, ce qui reste encore à valider. Les activités de
formation paraissent surtout réalisées par les établissements d’enseignement (publics et privés),
par l’organisation même, par des consultants ou des fournisseurs d’équipement. Dans une
moindre mesure, on recourt aux organismes gouvernementaux (ACDI, MAI, MIC, SQDM),
même si une majorité de répondants utilise sporadiquement ces agents de formation. Enfin, les
services des associations professionnelles (PMI, OIQ) et les séminaires ou colloques ne sont pas
retenus pour la formation des gestionnaires de projet.
TABLEAU 5
Fréquence
0% 25% 50% 75% 100% moy.
Évaluation de l'efficacité 1 (10 rép.)
Opinion des participants 3 0 2 1 4 3,3
Perception des autres membres de 4 2 2 1 1 2,3
l'organisation
Les deux tiers des répondants effectuent l’identification des besoins de formation par l’analyse
des problèmes de performance et de leurs causes, et à l’aide des objectifs d'apprentissage établis
lorsqu’il existe un programme plus formel. L’évaluation de l’efficacité de la formation se fait
simplement, par le recueil des commentaires des participants et des autres membres de l’organi-
sation, ce qui ne permet guère de porter des jugements approfondis sur les retombées de la forma-
tion et le transfert des acquis. Signalons toutefois que cet exercice constitue l’un des plus diffi-
ciles à appliquer, en matière de GRH, dans les organisations de services.
En ce qui concerne l’importance actuelle et souhaitée accordée à ces pratiques, l’enquête a établi
une distinction entre “entraînement à la tâche” et “perfectionnement”, bien que l’évaluation de la
satisfaction ait porté sur la formation en général (3,33). Ainsi, on constate au tableau 7 que l’en-
traînement à la tâche reçoit peu d’importance aujourd’hui (2,67) comme dans le futur (3,33), tan-
dis que le perfectionnement apparaît actuellement plus important (3,17) et occupe les premières
positions souhaitées (4,08). Cette situation s’expliquerait ainsi : les gestionnaires de projets ont
généralement plusieurs années d’expérience, occupent un rang d’ingénieurs seniors, et ont depuis
longtemps maîtrisé les connaissances de base habituellement rattachées à l’entraînement à la
tâche. Leurs besoins de perfectionnement s’avèrent toutefois importants, eu égard à l’évolution
rapide des technologies et aux nouveaux services offerts par le génie-conseil.
Question politiques écrites de formation, les répondants ne rapportent comme éléments prépondé-
rants que l’éligibilité à la formation et l’égalité des chances, tandis que des procédures non écrites
ont trait aux programmes d'accès à l'égalité, au nombre de personnes formées ainsi qu’aux mon-
tants alloués pour les activités de formation (écart-type important pour ce dernier élément).
Gestion de carrières
Les résultats font clairement ressortir la faible application de la gestion de carrières dans les
entreprises québécoises de génie-conseil : plus des trois quarts des répondants déclarent ne pas
avoir de pratique formelle dans ce domaine. Les rares réponses colligées s’avèrent d’ailleurs par-
faitement dispersées et peu signifiantes, tant pour les objectifs et finalités, les méthodes utilisées
et l’existence de politiques. Néanmoins, comme le précise le tableau 7, les responsables de RH se
disent satisfaits de cette situation à 87% (4,33), le plus haut taux recueilli pour les douze pratiques
de GRH analysées. Pourtant, l’importance accordée actuellement à cette pratique n’est que de
1,92, mais on souhaite l’accroître substantiellement dans l’avenir (2,75), malgré les difficultés
exprimées par les répondants à ce sujet. Peu de pratiques originales ressortent ici, ce qui peut
s’expliquer par le cheminement de carrière des gestionnaires de projet, généralement promus à
l’interne après avoir franchi de nombreux échelons et œuvré sur des projets de toutes catégories.
Participation
D’autre part, les données recueillies sur la mobilisation et la gestion participative offrent un por-
trait progressiste du fonctionnement des sociétés de génie-conseil : 100% des répondants décla-
rent appliquer des pratiques d’information, de communication et de participation. Ce résultat,
unique dans cette enquête, laisse entrevoir le fonctionnement de type professionnel et collégial
(Mintzberg, 1979) des entreprises de services-conseils, où les gestionnaires de projets reçoivent
une part appréciable de données essentielles à leur prise de décisions stratégiques. De manière
prépondérante, ils reçoivent régulièrement les informations suivantes (tableau 6) : tâches et
attentes de la direction, mission et objectifs de l'entreprise, politiques du personnel et conditions
de travail, nouvelles des employés, changements d'affectation, promotions, changements techno-
logiques, changements organisationnels, clientèle (interne/externe) et productivité, objectifs de
l'unité de travail ; et de façon moins fréquente : décisions du CA et du comité de gestion, résultats
financiers et productivité.
TABLEAU 6
Fréquence *
(12 répondant 0% 25% 50% 75% 100% moy.
Types d'information fournis
Tâches et attentes de la 0 0 1 3 8 4,6
direction
Mission et objectifs de 1 0 2 1 8 4,3
l'entreprise
Politiques du personnel et 0 1 4 1 6 4,0
conditions de travail
Nouvelles des employés, 0 2 1 4 5 4,0
changements d'affectation,
promotions
Changements technologiques 1 0 3 3 5 3,9
Changements organisationnels 1 2 1 2 6 3,8
Clientèle (interne/externe) et 1 1 2 3 5 3,8
productivité
Objectifs de l'unité de travail 2 1 1 2 6 3,8
Décisions du CA et du comité de 2 1 3 2 4 3,4
gestion
Résultats financiers et 1 2 4 3 2 3,3
productivité
Quant aux moyens de communication utilisés dans les firmes de génie-conseil, le tableau 6 fait
très nettement ressortir la communication informelle avec les employés (conversation de corridor,
café) comme medium prioritaire, suivi des réunions ponctuelles pour la résolution de problèmes,
et des activités sociales organisées (sport, plein-air, party). Dans des proportions plus modérées,
la communication passe par le recueil des suggestions des employés pour améliorer la production
ou les services au cours de recncontres individuelles, ou prend la forme d’un journal ou feuillet
d'information de l'entreprise et de réunions générales. Encore ici, la tendance demeure vers
l’informel plutôt que le procédural : les PME du génie-conseil ont peu recours à l’affichage sur
les babillards, aux comités de qualité et autres rencontres paritaires, et encore moins aux pro-
grammes formels de suggestions. En fait, les échanges entre gestionnaires de projets, leurs subor-
donnés et supérieurs reposent sur une dynamique de travail d’équipe, au sein de laquelle les liens
hiérarchiques cèdent parfois le pas à la reconnaissance implicite des expertises professionnelles et
techniques, comme on le conçoit dans toute structure matricielle ou collégiale.
Toutefois, l’étude n’apporte pas d’élément significatif en matière de gestion participative, les
approches traditionnelles ne recevant pas l’aval des gestionnaires du génie-conseil. Ainsi, la
moitié des répondants fait parfois usage de cercles de qualité ou de comités conjoints consultatifs,
tandis que les deux tiers n’ont pas recours à la rotation ou l’enrichissement des tâches, ni à la
participation au sein du conseil d’administration. Dans ces cas précis, il apparaît réaliste de
prétendre que la structure fonctionnelle “par projet” ou “matricielle” comble déjà les besoins
autrement exprimés par l’entremise de ces modes “plus connus” de participation. Concrètement,
assumons que l’objectif de mobilisation du personnel serait en bonne partie atteint dans le travail
quotidien des gestionnaires de projets, grâce à leurs structures organisationnelles plus flexibles et
bien harmonisées dans une tradition de coopération inter-professionnelle. Néanmoins, le taux de
satisfaction des responsables de RH face à ces pratiques (tableau 7) n’atteint que 68% (3,42),
l’importance actuelle étant de 3,00 et la souhaitée, de 3,83. Il serait sans doute utile d’observer
ultérieurement ce qu’ont répondu les PME les plus avancées dans les programmes de mobilisa-
tion et de participation de leurs ressources humaines.
Comme l’ont exposé les sections précédentes, les répondants étaient invités à préciser leur satis-
faction face aux pratiques de GRH en vigueur dans leur PME. Une dernière section leur deman-
dait aussi d’évaluer l’importance accordée actuellement par leur organisation à chacune des pra-
tiques de GRH étudiées, en ajoutant ensuite leur perception de l’importance que l’organisation
devrait y accorder (souhaitée). Les résultats obtenus par cette question laissent quelque peu
perplexe (tableau 7) : les répondants disent accorder beaucoup d’importance aux activités de
sélection, rémunération et recrutement, mais ces pratiques s’avèrent moins étoffées qu’anticipé
dans plusieurs organisations.
TABLEAU 7
* les pratiques de GRH sont présentées ici selon l'importance souhaitée par les responsables des RH, en ordre
décroissant d'importance
Discussion
Mis en parallèle avec les rapports produits en juin 1990 par STRATEM inc. pour l’Association des
ingénieurs-conseils du Québec (AICQ), et à l’automne 1994 par trois firmes canadiennes de
consultation et des praticiens pour l’Association des ingénieurs-conseils du Canada (AICC), on
constate que les défis et les enjeux en matière de RH abondent dans le génie-conseil. Nos résul-
tats confirment généralement leurs observations, corroborées aussi par les analyses de Garand et
d’Amboise (1995) sur les difficultés et besoins prioritaires des PME en GRH. On accorde trop
peu d’importance à la GRH, les employeurs du génie-conseil souffrent d’une image ternie, et il
faut prévoir à court terme des difficultés à combler les besoins futurs en matière de compétences
et de connaissances. La situation relève ici de lacunes de communication, de planification et de
formation des RH. D’autre part, l’industrie a besoin de nouvelles compétences en leadership et en
gestion, mais les dirigeants actuels ne sont pas bien préparés à relever les défis du contexte com-
mercial. En outre, la rémunération accuse un retard par rapport à celle des autres secteurs, tandis
que le manque de ressources financières demeure un obstacle quasi incontournable. Enfin,
comme nous l’avons souligné, la nature conservatrice de l’industrie tend à freiner le progrès et
l’évolution des processus organisationnels, laissant souvent la GRH un cran derrière les autres
priorités de nature technologique ou commerciale. S’il était possible d’énumérer une liste de
priorités que devraient assimiler, intégrer et concrétiser sans délai les gestionnaires des RH des
PME du génie-conseil, notre enquête ajouterait les éléments suivants :
- l’implantation de techniques favorisant une meilleure sélection du personnel ;
- l’amélioration notable des mécanismes d’accueil et d’intégration ;
- le développement et l’adaptation des procédures d’évaluation du rendement
(appréciation du personnel) ;
- ainsi que la poursuite des démarches de mobilisation des RH.
Par ailleurs, il faut admettre que cette analyse comporte des limites méthodologiques et concep-
tuelles dont il faut préciser la nature. Primo, même dans une enquête comme celle-ci, effectuée
par entretiens individuels directs, le taux de réponse constitue une limite importante et impose des
limites à la validité externe de l'étude (biais de représentation). Environ 35% des PME québé-
coises du génie-conseil ont répondu au questionnaire. Bien que ce taux de réponse puisse sembler
faible, il n'est pas inhabituel. En fait, l'absence de répondants pose au moins deux problèmes.
D’une part, elle diminue la taille de l'échantillon et conséquemment augmente la marge d'erreur
aléatoire due à l'échantillonnage dans l'estimation des divers paramètres présentés. Rappelons que
ce n'est pas le taux de réponse en soi qui compte, mais bien la grandeur absolue de l'échantillon.
D’autre part, les statistiques basées sur de tels répondants risquent d'être biaisées et non représen-
tatives de la population à l'étude, dans la mesure où ceux qui n'ont pas répondu auraient des
caractéristiques différentes des répondants, ce qui semble vraisemblable lorsqu'on constate la
forte hétérogénéité des PME de services. Le premier problème aurait pu être pris en compte en
calculant les intervalles de confiance appropriés, mais ce, à la condition que l'échantillon ne soit
pas biaisé, c'est-à-dire parfaitement paramétrique. Ce deuxième problème est beaucoup plus
difficile à contourner, car il n'est pas possible d'affirmer que les non-répondants ne sont pas diffé-
rents des répondants. Pour cela, il aurait fallu comparer les caractéristiques de l'échantillon à
celles de la population, et ces données ne sont pas disponibles pour la population. Même si rien
ne démontre la présence de différences marquées, il faut tout de même considérer ces résultats
avec une certaine prudence, les résultats n'étant pas nécessairement généralisables à l'ensemble
des PME œuvrant en contexte de gestion de projets. Secundo, la nature uniquement managériale
et perceptuelle des répondants impose des limites majeures à l’interprétation. En effet, comme
l’enquête ne relève que les seules perceptions des responsables de RH de ces 12 PME du génie-
conseil, il aurait été souhaitable d’obtenir aussi celles des clients internes, autres dirigeants et
membres du personnel.
Toutefois, la présente étude s'inscrit dans un courant objectif de recherche qui se caractérise par la
mesure quantitative et qualitative de l'existant en GRH, en faisant émerger les pistes de chan-
gement et d'évolution qui prévaudront au cours des prochaines années. Il faut donc souhaiter que
ces constats puissent répondre aux interrogations des acteurs et chercheurs intéressés aux entre-
prises d’expertise-conseil, tout en suscitant une saine réflexion scientifique. Cette enquête
constituant la première phase d’un projet de recherche plus vaste, qui devrait se poursuivre pen-
dant quelques années encore, il faut comprendre que les prochaines étapes donneront lieu à une
démarche d’analyse plus approfondie. Pour l’heure, la matière amassée demande à être davantage
traitée pour en extraire les éléments essentiels, particulièrement en ce qui a trait aux difficultés de
GRH et aux solutions novatrices apportées par ces PME du génie-conseil.
En fait, la recherche d’associations ou de relations entre les pratiques de GRH étudiées et ces
facteurs de contingence, combinés à d’autres variables organisationnelles (structure formalisée,
centralisation, développement) et commerciales (agressivité sur les marchés, internationalisation,
expansion stratégique) constituent les pistes de recherche prévisibles à très court terme. Ces rela-
tions exerceraient des influences substantielles, quoique difficiles à isoler statistiquement, sur la
présence, le développement et la sophistication de la GRH dans ces entreprises. Il convient donc
d’espérer que des travaux ultérieurs puissent approfondir ces questions, qui émergent des résultats
comme des tendances lourdes pour la GRH des PME du génie-conseil.
Conclusion
Finalement, il faut signaler qu’en comparant les conclusions des études de 1990 et 1994 quant
aux difficultés observées en RH et les priorités à privilégier, on ne peut que contaster le peu
d’évolution du secteur, pris en tant qu’ensemble, en matière de GRH. Par contre, la présente
enquête a permis de faire émerger de nouvelles pistes à prioriser, en fonction des besoins propres
aux PME de services-conseils, contrairement aux objectifs de structuration et de formalisation
accrue des rapports traditionnels de consultation. L’actualité des deux dernières années a aussi
permis de constater la tendance, lente mais positive, des PME du génie-conseil envers une meil-
leure reconnaissance de leur GRH, principalement par l’embauche de nouveaux DRH et l’octroi
de “cartes blanches” ambitieuses à leurs meilleurs gestionnaires de ressources humaines.
Malheureusement, plusieurs entreprises conservent encore un retard important dans ce domaine :
comment pourront-elles conserver leur compétitivité face à des concurrents mieux équipés et plus
efficaces grâce à une meilleure gestion de leurs RH ?
La mise en application de ces priorités de GRH s’imposera de plus en plus aux PME de services-
conseils, s’inscrivant dans un objectif éclairé de synergie organisationnelle face à la compétition,
dorénavant internationale dans ce domaine, tant pour les contrats que pour les ressources
humaines disponibles. Plus que toute autre, l’organisation professionnelle de services évolue sur
l’échiquier mondial, avec des avantages concurrentiels comme sa renommée, son expertise, sa
qualité, et parfois ses prix. Toutefois, ce qui la distingue encore bien davantage, ce qui la fait
émerger du groupe, ce qui lui donne une compétence distinctive, c’est la qualité, la polyvalence et
l’efficacité de ses ressources humaines ! Les PME québécoises du génie-conseil ne peuvent
passer outre à ces obligations : elles doivent à tout prix améliorer la gestion de leurs ressources
humaines, en fonction des besoins particuliers à chaque entreprise. Leur matière première n’est ni
épuisée, ni périmée : elle doit plutôt être gérée avec plus d’efficacité, pour mieux la renouveler et
lui conserver son prestige international.
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