CANOPE - Dossier Pedagogique - Jeune-Fille-Avignon - Total
CANOPE - Dossier Pedagogique - Jeune-Fille-Avignon - Total
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L A J E U N E F I L L E ,
L E D I A B L E
E T L E M O U L I N
AGIR
L A J E U N E F I L L E ,
L E D I A B L E
E T L E M O U L I N
AGIR
Directeur de publication Remerciements
Jean-Marc Merriaux Isabelle Jeanpierre et Camille Court
Directrice de l’édition transmédia et de la pédagogie
Michèle Briziou Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage stricte-
Directeur artistique ment pédagogique et ne peuvent être reproduits hors de ce
Samuel Baluret cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur. La
Comité de pilotage mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés
Jean-Claude Lallias, professeur agrégé, conseiller théâtre, est strictement interdite.
département Arts & Culture
Patrick Laudet, IGEN lettres-théâtre
Marie-Lucile Milhaud, IA-IPR lettres-théâtre honoraire
Auteur de ce dossier
Philippe Guyard, professeur d’histoire-géographie et d’option
théâtre
Responsable de la collection
Jean-Claude Lallias, professeur agrégé, conseiller théâtre,
département Arts & Culture
Secrétariat d’édition
Julie Betton
Mise en pages
Catherine Challot
Conception graphique
DES SIGNES studio Muchir et Desclouds
Photographie de page de couverture
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
ISSN : 2102-6556
ISBN : 978-2-240-03552-3
© Canopé-CNDP-2014
(établissement public à caractère administratif)
Téléport 1 @ 4 - BP 80158
86961 Futuroscope Cedex
5 É dito
14 a près la représentation
Pistes de travail
14 Premiers retours
14 L’étude des signifiants de la représentation
18 Le son
19 Approfondir la réflexion sur le conte
20 Résonances
21 Annexes
21 Biographie des Grimm
23 Entretien avec Olivier Py réalisé par
Isabelle Courties et Danielle Mesguich (extraits)
édito
5
Avant de voir le spectacle,
La représentation en appétit !
!
Préparer la venue au spectacle.
Faciliter la compréhension du conte de Grimm et de la pièce d’Olivier Py.
Mettre en évidence les modifications apportées par Olivier Py.
PRÉCAUTIONS D’EMPLOI
LE CONTE les Grimm avaient pour principe et volonté
de rester le plus possible fidèles aux récits
L’origine orale et populaire des contes en qu’ils avaient recueillis. Ils en conservèrent la
faisait des récits souvent émaillés d’actions majeure partie, y compris leur côté naïf, mais
brutales, de descriptions réalistes et parfois aussi les scènes les plus violentes.
même d’allusions érotiques. Cependant, leurs
diverses transcriptions écrites eurent pour À cet égard, la scène de mutilation de La
conséquence de les « lisser » progressivement Jeune Fille sans mains peut être ressentie par de
afin de les adapter dans le même temps aux jeunes élèves de façon très pénible au point
règles de la stylistique et à l’évolution de leur qu’il est sans doute préférable d’en préparer la
lectorat. lecture et de l’accompagner pas-à-pas afin de
pouvoir proposer un débat interprétatif immé-
Les contes de Grimm échappent d’autant diatement après.
moins à cette convention que leur éditeur sou-
haita dès le début les destiner aussi au public Cependant, la suite du conte ne pose pas de
enfantin. Wilhem s’attacha donc à les expurger problème de cet ordre-là et le texte peut être lu
de ce qui ne convenait pas plus aux enfants et étudié dans son ensemble sans précautions
qu’à son puritanisme protestant. Les frères n’y particulières.
introduisirent pas pour autant d’évocations
religieuses, mais développèrent leur caractère 1 : Scène xi : sur le champ de bataille, « Votre fils est né ! »
illustratif, en y ajoutant de discrètes réflexions 2 : Scène vii : la jeune fille aux mains d’argent.
morales ou encore des sentences. Néanmoins, © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
1 2
Dans un conte, il se passe des choses extraordinaires, mais l’auteur n’essaie pas de faire croire
que cette histoire s’est vraiment passée. Par exemple, des animaux parlent ; il y a des fées ; on
utilise des objets magiques, etc. Cela différencie le conte du récit fantastique dans lequel des
personnages ordinaires rencontrent également des créatures extraordinaires, mais où l’auteur
cherche à faire croire que l’histoire s’est vraiment passée.
Lire le texte de Grimm et retrouver dans ce conte ce qui caractérise et définit son appartenance
à ce genre littéraire spécifique et universel. La définition du conte est identique sur tous les
continents.
—— Le conte décrit un passage, c’est un récit de formation. Il raconte le plus souvent le passage de
l’enfance à l’âge adulte et s’inscrit dans un roman familial (la jeune fille quitte la maison de
son père, rencontre un homme, se marie et devient mère à son tour).
—— Pour passer d’un état à un autre, le héros du conte doit subir plusieurs séries d’épreuves, par-
fois même des métamorphoses douloureuses (la jeune fille est vendue au diable par son père
qui, de surcroît, lui coupe les mains pour obéir au démon. Obligée de s’enfuir, elle connaît la
faim et la solitude avant de rencontrer son mari. Mais toujours poursuivie par le diable, elle
doit subir une deuxième série d’épreuves, s’enfuir de nouveau et se cacher loin du monde).
—— La fin d’un conte est toujours heureuse et enseigne quelque chose (la jeune fille est récom-
pensée de sa patience et de sa vertu. Ses mains repoussent, son mari la retrouve, la reconnaît
comme sa femme).
LA PIÈCE DE THÉÂTRE
Une pièce de théâtre est constituée par une histoire qui n’est pas racontée comme dans un récit
narratif tel que le conte, mais reproduite à travers les paroles directes des personnages. Elle est
destinée à être mise en espace sur une scène. Cependant, comme dans un récit, l’histoire est
une suite d’événements et d’actions accomplies par les personnages en vue d’un objectif donné.
L’échange verbal entre les personnages a une double fonction : ils dialoguent entre eux, mais leurs
paroles s’adressent aussi au public. C’est ce qu’on appelle la double énonciation du texte théâtral.
Lire la scène i de La Jeune Fille, le Diable et le Moulin et relever les passages qui illustrent bien cette
double énonciation. Introduire quelques termes du vocabulaire théâtral.
—— Une exposition ou début d’une pièce, dont la fonction est de donner des indications sur la situa-
tion initiale, le temps, le lieu, les personnages.
—— Un monologue ou passage au cours duquel le personnage se parle à lui-même afin d’informer le
public sur ses sentiments.
—— Des didascalies ou indications de mise en scène, non prononcées et écrites en italique, sauf pour
les noms des personnages.
Terminer cette mise en perspective des deux genres littéraires par une comparaison terme à
terme des deux textes. Le pointage précis des différences permet la clôture de l’étude des textes
par une appropriation concrète et opératoire de leur typologie.
Faire placer toutes les informations relevées dans un tableau du modèle ci-après. Constater les
différences, sensibles, entre les deux textes. Dans la pièce, notamment, la jeune fille apparaît
avant le retour du diable. Grimm ne l’introduit qu’à ce moment-là. Amener les élèves à l’analyse
de ces différences rendues nécessaires par la théâtralisation d’un récit.
Ainsi les indications données par le texte d’Olivier Py sur l’environnement sensoriel (la lumière,
les chants, le froid…) illustrent-elles bien le procédé de double énonciation et la nécessité d’ins-
crire une scène de théâtre dans une réalité physique, « parlée » par les personnages eux-mêmes.
De même, le nœud du drame, le pacte entre le père et le diable, occupe-t-il plus d’espace dans la
pièce que dans le conte qui n’a pas besoin d’être aussi démonstratif pour être compris. Dans le
conte, l’économie des moyens narratifs, dont c’est également une caractéristique stylistique, ne
rend pas nécessaire l’introduction du personnage de la jeune fille avant le retour du diable, trois
ans plus tard.
Grimm
QUI ? DÉTAILS PHYSIQUES ATTITUDES/COMPORTEMENTS OÙ ? QUAND ?
Casse du bois.
Rencontre un inconnu.
S’en va.
Py
Le père Très fatigué, se repose sur une pierre Au cœur de la À la nuit tombante.
et ferme les yeux. forêt, dans un coin
sombre et inconnu
Réveillé par le silence, perçoit la présence
où le silence
d’un homme derrière lui qui se dérobe à
remplace peu à
sa vue avant qu’il la saisisse dans un miroir.
peu le chant des
Se plaint avec tristesse de sa vie dure oiseaux.
et de sa pauvreté.
Retourne au moulin.
Le même jour, plus
Raconte à sa femme sa rencontre
tard, quand la forêt
et sa promesse.
est devenue froide.
Le diable Pas très beau Se tient derrière le père et lui tend Dans la forêt Pour dans trois ans.
un miroir.
Un homme Visage de crampe
Questionne le père sur sa vie.
La mère Questionne son mari sur leur richesse Au moulin Le même jour,
soudaine. plus tard.
Comment représenter les personnages ? Sensibiliser les élèves à la question du choix des
costumes : en s’appuyant sur la scène i et la scène iv, imaginer et concevoir un costume pour
le diable et l’ange. Proposer des recherches complémentaires sur les représentations du diable
dans les lithographies, notamment celle d’Eugène Delacroix, Méphistophélès dans les airs, 1826.
Peu d’indications précises sont données par le texte. Concernant le diable, les seuls éléments
viennent d’un propos du père (« Vous n’êtes pas très beau »), et plus indirectement des paroles de
la chanson chantée par le diable :
Dans ces paroles, le seul élément de costume mentionné est « les sabots ». Toutefois, la chanson
évoque la pluralité des noms, et par là même des aspects que peut prendre le diable.
L’imaginaire des élèves pourra ainsi être sollicité pour donner forme au diable et à l’ange, en leur
demandant de penser à des couleurs et à ce qu’ils estiment être les signes extérieurs distinctifs
du diable et de l’ange. Il est probable qu’ils pensent aux cornes et au noir (et éventuellement le
rouge) pour le premier, aux ailes et au blanc pour le second.
Cependant, l’étude de la représentation de la chute de Lucifer telle que l’ont imaginé les frères de
Limbourg dans Les Très Riches Heures du duc de Berry leur permettra de prendre de la distance avec
les conventions auxquelles ils s’attendent sans doute.
On demandera aux élèves une description précise de l’ange déchu qu’est Lucifer, figuré au bas de
l’iconographie : ici ni cornes ni sabots, Lucifer est représenté dans son costume bleu d’ange avec
ses ailes d’or ; ses traits sont fins, il est imberbe et, si ce n’est sa taille qui en fait le pendant de
Dieu dans la partie basse de l’œuvre, rien ne le distingue des anges non déchus restés assis aux
côtés du Créateur.
1
Les paroles en italique n’apparaissent pas dans la version du texte publiée par L’École des loisirs en 1995, mais sont présentes
dans le spectacle.
De nombreux lieux sont évoqués dans la pièce d’Olivier Py, en général de façon très sommaire :
« au cœur de la forêt » (scène i), « le moulin » (scène ii), « sur la route » (scènes iv et xiv), « au
palais du prince » (scène v et xv), « dans le verger » (scènes vi et ix), « dans la chambre du palais »
(scène vii), « sur le champ de bataille » (scène xi), « une maison de bûcheron » (scène xvi).
Les élèves pourront remarquer le peu de précisions données, et on les incitera à suivre leur ima-
ginaire propre pour concevoir une forêt, ou encore un champ de bataille. Après avoir comparé les
résultats et ce qui les différencie, on invitera les élèves à réfléchir à la question des transitions
d’un décor à l’autre, et des problèmes que cela peut poser concrètement sur un plateau.
Proposer plusieurs définitions du théâtre données par Olivier Py, ainsi qu’un extrait des quelques
propos qui ouvrent le spectacle, puis, après les avoir expliqués, concevoir de nouveaux projets
de scénographie (mêmes groupes).
Parmi les mille et une définitions du théâtre proposées par Olivier Py 2, certaines posent la ques-
tion du réalisme de la représentation au théâtre, et en particulier du réalisme de la figuration des
espaces.
—— « Le théâtre est un art de toiles peintes. Il vaut mieux une toile peinte qui s’avoue, qu’un
pseudo-réalisme qui a honte d’être fils de toile peinte 3. »
—— « Le théâtre, c’est la passion des grands espaces dans une boîte d’allumettes 4. »
—— « Le théâtre est un désert luxuriant. Plus le sol est aride, plus on le peuple de nos forêts
imaginaires 5. »
—— « La convention au théâtre, c’est cette pure entrée dans l’imaginaire 6 […]. »
Ces quelques définitions proposées par Olivier Py soulignent clairement que non seulement le
réalisme n’est pas nécessaire au théâtre, mais il peut même constituer un frein à l’imaginaire. On
s’attardera en particulier sur la troisième définition, sur l’épure scénographique qu’elle suggère.
Alors on demandera aux élèves de réfléchir à une nouvelle scénographie en essayant de réduire à
ce qu’ils considèrent comme essentiels les éléments évoquant les différents espaces.
Enfin, on les invitera à lire et à réfléchir aux quelques phrases qui ouvrent le spectacle :
Les élèves pourront remarquer que deux de leurs cinq sens sont sollicités : l’ouïe et la vue, et ce
à part presque égale. Avant même ce qu’ils verront, c’est ce qu’ils entendront qui est mentionné.
Les images peuvent aussi naître des mots et de leur puissance évocatrice dans les imaginaires
des enfants : « la forêt », « un lieu sombre ». Est-il vraiment nécessaire de les représenter pour les
faire exister à leurs yeux ?
2
Olivier Py, Les Mille et une Définitions du théâtre, Arles, Actes Sud, 2013.
3
Ibid., p. 19.
4
Ibid., p. 240.
5
Ibid., p. 184.
6
Ibid., p. 36.
PREMIERS RETOURS
Après les avoir répartis en petits groupes, les élèves devront construire une courte bande-annonce
du spectacle, d’une durée maximale de 2 minutes, comme s’ils devaient le présenter à des amis
qui ne l’auraient pas vu.
Partir de ces bandes-annonces pour nourrir un premier temps de parole et d’échange pour leur per-
mettre d’exprimer sentiments, opinions, réactions, voire émotions face au spectacle qu’ils ont vu.
Utiliser ces moments pour relever les éléments cités, préparer une discussion sur le spectacle et
approfondir la réflexion.
Montrer que le metteur en scène ne cherche pas à accentuer le côté irréel, imaginaire, mais plutôt
à faire comprendre au public qu’on est bien au théâtre et que tout se joue sur une scène.
En partant de cet extrait d’une des définitions du théâtre proposée par Olivier Py 7, réfléchir sur
ce qui, au-delà du texte, fait sens dans une représentation.
Pas de forêt, pas d’arbre, pas de verger. Ni château, ni palais, ni maison de bûcheron. Pas non plus
de champ de bataille.
À leur entrée dans la salle, les élèves auront découvert deux praticables en guise de tréteaux, sans
aucun objet posé dessus, un simple rideau de tissu rayé gris et blanc de la largeur des praticables
en fond de scène, qui peut devenir toile pour un théâtre d’ombres, comme dans la scène où le
prince retrouve son enfant.
7
Olivier Py, Les Mille et une Définitions du théâtre, Arles, Actes Sud, 2013, p. 28.
« Une bonne scénographie, […] c’est une scénographie dans laquelle on pourrait monter
tout le répertoire. Je pourrais reprendre la scénographie des Grimm
et monter Antigone. […] [Nos scénographies] sont uniquement une machine à faire du
théâtre qui pourra s’adapter à toutes les dramaturgies, donc effectivement on peut en
faire deux, je pourrais en faire trois dans le même décor et quatre et cinq, puisque ce sont
des éléments qui peuvent se combiner à l’infini pour donner des espaces différents. […]
Comme si vous cherchiez à dire au public d’enfants : “Réfléchissez à ce que vous voyez et
entendez 8.” »
Si aucun élément n’aura évoqué directement les espaces mentionnés dans le texte de la pièce,
en revanche les élèves auront pu être frappés par la présence manifeste d’autres éléments qui
sont pourtant sans rapport direct avec ce texte : quelques instruments de musique à vue dès le
commencement du spectacle, et surtout les lumières.
On pourra faire remarquer aux élèves que les lumières constituent un élément essentiel de la
scénographie : à l’avant-scène, un portique, véritable cadre de scène, est dessiné par quatre
rangées de petites ampoules blanches, tandis qu’en fond de scène un mur d’ampoules, en partie
masqué par un rideau, semble être une déclinaison du portique et contribue à l’impression de
profondeur du plateau. Certains auront peut-être remarqué que, parmi toutes les ampoules du
mur, l’une d’entre elles est rouge (à jardin).
Ces ampoules et les différents éclairages qu’elles procurent jouent un rôle essentiel pour suggérer
à la fois le temps et l’espace. Quand le père est dans la forêt et rencontre le diable, les ampoules
baissent de niveau ; il fait beaucoup plus sombre sur le plateau. Quand la jeune femme fuit dans
la forêt, la lumière baisse sur le plateau. Les lumières peuvent également suggérer le passage du
temps. Ainsi la nuit de noces entre le prince et la jeune fille est-elle simplement évoquée par une
baisse d’intensité lumineuse.
1 2
1 : Scène iii : le diable vient
chercher la jeune fille.
2 : Scène xvi : au cœur
de la forêt, les retrouvailles
du prince, de la jeune fille
et de l’enfant.
© Christophe Raynaud de Lage/
Festival d’Avignon
8
Citation extraite de l’entretien figurant en annexe, p. 24.
Les élèves choisissent le ou les personnages qui les ont le plus marqués et un moment du spec-
tacle où ceux-ci sont impliqués. Par groupes de deux, trois ou quatre, ils devront reproduire
ce moment particulier sous la forme d’un tableau vivant, voire, s’ils se souviennent de propos
précis, d’une scénette.
À partir de leurs choix, les accompagner dans l’analyse des personnages en leur demandant,
d’abord, de dresser la liste des différents rôles joués par chacun des comédiens et, ensuite,
d’expliquer ce choix.
Les comédiens interprètent plusieurs rôles dans le spectacle. Ils se transforment de façon à ce que le
public s’en rende compte ; à aucun moment on ne peut prendre l’histoire qu’on voit pour véridique.
—— Le comédien qui joue le diable interprète également l’ange. Le choix de cette distribution a
pu en surprendre certains, d’autant plus que peu d’éléments permettent de différencier l’un
de l’autre : même chemise blanche, même cravate et même veston noir. Seul le couvre-chef
diffère : haut-de-forme pour le diable et chapeau melon orné d’une petite lampe allumée pour
l’ange. De l’ange au diable, il y a donc si peu de différences ? On pourra rappeler, comme évo-
qué dans la première partie de ce dossier, que Lucifer est à l’origine un ange déchu.
—— Le même comédien interprète le père et le prince et, là encore, de nombreux points communs
ressortent : seules la veste et la couronne permettent de distinguer le prince du père. À partir
de ce constat, on pourra conduire les élèves à une réflexion sur ce que cela peut suggérer de
la position de la jeune fille dans le conte sous deux autorités successives : fille du père, elle
devient femme du prince. Et l’on pourra inviter les élèves à se remémorer la chanson finale,
dans laquelle la fille se fait repousser par celui qui joue le prince dès qu’elle veut monter sur
les praticables au centre du plateau.
—— Le jardinier joue également la mère. C’est un travestissement.
On pourra interroger les élèves sur ce qui rapproche les deux personnages : le jardinier est au
service du prince, tandis que la mère ne peut rien faire contre les actes de son mari.
1 2
Décrire avec précision les costumes de chacun des personnages en partant de leurs couleurs.
Deux couleurs, qui d’ailleurs n’en sont pas, se retrouvent dans tous les costumes : le blanc et le
noir. Les principaux personnages masculins, le père et le prince, le diable et l’ange, sont vêtus de
blanc et de noir dans des tenues très semblables : costume noir et chemise blanche. Seule la jeune
fille est vêtue de blanc, tandis que les costumes du jardinier et de la mère se distinguent par la
présence de gris.
On invitera les élèves à faire une recherche sur la symbolique du blanc et du noir : si le premier
évoque la pureté et le bien, le second est lié au mal et à la mort. Ainsi les costumes traduisent-ils
la complexité des personnages : la jeune fille mise à part, du moins durant l’essentiel de la pièce,
les personnages ne sont pas totalement mauvais, ni totalement bons.
Enfin, certains élèves auront peut-être noté que, sous le costume des deux « squelettes » qui
viennent divertir la jeune fille après le départ du prince, se cachent les deux comédiens qui jouent
par ailleurs le diable et le père.
On attend généralement des costumes d’un conte qu’ils soient ceux de rois, de princesses, de
princes et de pauvres paysans, qu’ils correspondent à l’image traditionnelle de la royauté et de la
misère, comme dans un royaume imaginaire. Ici, nulle tenue fastueuse, nul élément qui évoque
une époque précise. Les costumes sont simples, souvent similaires, et seuls quelques éléments
rappellent symboliquement les personnages : par exemple les couronnes, les ailes de l’ange, le
fichu, la robe et le tablier de la mère, ou encore le canotier du jardinier.
1 2
Olivier Py a sans doute voulu souligner l’intemporalité des contes : cela peut se passer à n’importe
quelle période puisqu’ils ne sont pas réels. Ce qui importe n’est pas le temps dans lequel se
déroule l’action, mais les symboles.
9
Citation extraite de l’entretien figurant en annexe, p. 25.
LE SON
Identifier les instruments utilisés pendant le spectacle. Réagir sur l’importance du son.
Par exemple, le père joue de l’accordéon ; le diable et l’ange de la clarinette ; le soldat du tambour ;
la jeune fille de la grosse caisse et du triangle ; le jardinier du mini-piano, sans parler du fait que
les quatre comédiens chantent.
Si les chansons jouent un rôle parfois important dans la caractérisation de certains personnages
– comme la chanson du diable –, certains intermèdes musicaux sont aussi joués en direct sur
scène pendant les changements de décor à vue.
On pourra aussi noter la différence entre la musique jouée sur scène et la bande-son. On entend
des chants d’oiseaux, le vent. On entend l’enfant pleurer dans la cabane. Une musique militaire
retentit quand le prince doit partir à la guerre, etc.
Dans La Jeune fille, le Diable et le Moulin, les acteurs essayent de divertir la princesse avec des
masques de mort :
—— « Qu’est-ce que l’art ? leur demande-t-elle.
—— Dire d’un mot la mort avec la joie », lui répondent-ils.
Difficile d’interpréter cette réponse : quelle définition de l’art peut-on donner ?
Avant toute discussion trop ambitieuse sur ce que sont l’art et la mort, on pourra faire remarquer
aux élèves que la pièce elle-même évoque la mort, ou du moins la mutilation de la jeune fille et la
mort de son enfant programmée par le diable, dans un spectacle non dénué de joie.
1 2
THÈMES ET SYMBOLES
Pour terminer, on peut réfléchir aux autres thèmes et symboles contenus dans le texte qui pour-
raient être développés et qu’on retrouve fréquemment dans les contes.
—— La forêt : profonde, froide, sombre, c’est là que le père est tenté par le diable. Quand la jeune
fille a les mains coupées, c’est là qu’elle se réfugie ; la forêt et la cabane de bûcheron sont
également les derniers refuges pour la femme et l’enfant afin d’échapper à la mort.
—— Le temps : trois années passent entre le pacte et sa réalisation ; trois mois d’absence du prince
après son mariage, puis encore neuf mois (le temps de la gestation). Le prince revient de guerre
après plus de sept ans. Les textes sont donc en partie elliptiques ; ces laps de temps divers ne
sont pas traités par l’intrigue des contes. Le temps passe uniquement par le texte, il est évoqué
par les lumières au plateau, ou encore par des passages derrière le rideau.
—— La magie : le diable fait devenir riche le pauvre homme et sa famille ; la jeune fille trace un
cercle de craie pour empêcher le diable de l’emmener, puis mouille ses mains et pleure, afin
d’éviter d’être emportée par lui. Les lettres déchirées deviennent des confettis (effet de magie
théâtrale). Les mains de la princesse repoussent.
RÉSONANCES
Étudier un autre conte de Grimm ; en faire une adaptation théâtrale avec les élèves. Imaginer une
scénographie, des costumes, une mise en scène et monter le spectacle.
Percevoir la notion d’intertextualité : les références à Hamlet, tant dans le texte que dans la
représentation.
10
Olivier Py, op. cit., p. 69. Il s’agit de la première phrase d’une des plus longues des définitions proposées par Olivier Py.
C’est du théâtre pour adultes pour enfants en faire deux, je pourrais en faire trois dans
ou alors, c’est du théâtre pour enfants pour le même décor et quatre et cinq, puisque ce
adultes ; c’est peut-être encore mieux. C’est sont des éléments qui peuvent se combiner
« à partir de 7 ans », ça laisse de la marge à l’infini pour donner des espaces différents.
après. Il y a une réplique par exemple qui dit : Il y a une forme très pédagogique de mise à
« Qu’est-ce que l’art ? – Dire d’un mot la mort distance de l’objet théâtral (pour l’enfant) par
avec la joie. » Pensez-vous qu’un enfant de les éléments symboliques que vous propo-
7 ans soit capable d’appréhender une réplique sez sur le plateau (les bouts de feutrine rouge
comme celle-là ? Non. Et les adultes non plus ! pour figurer les mains coupées de la jeune
fille, etc.), voire de démystification du conte et
Alors que par contre la question sur la mort du théâtre. Comme si vous cherchiez à dire au
peut les interpeller parce qu’elle peut être au public d’enfants : « Réfléchissez à ce que vous
centre de leurs préoccupations. J’imagine que voyez et entendez. » Qu’en est-il ? Je ne pense
ce sont des ajouts 100 % Olivier Py ? pas que les questions se posent différemment
pour l’enfant et pour l’adulte ; c’est la même
Oui, bien sûr, la mort est figurée par le sque- question, on fait du théâtre, quand le théâtre
lette. Mais les enfants n’appréhendent pas se dénonce je ne vois pas d’autre façon de faire
une œuvre littéraire en se disant qu’ils vont du théâtre sinon je crois qu’on rentre dans le
tout comprendre contrairement aux adultes spectacle et c’est un autre fonctionnement. Et
qui quand ils ne comprennent pas deviennent c’est un fonctionnement que je n’aime pas.
méchants. Les enfants ne sont pas dans ce L’enfant sait jouer ; l’adulte ne sait plus jouer, il
rapport-là. Quand ils ne comprennent pas, ils réapprend à jouer par la chose théâtrale, mais
rêvent, ils reconstituent. Ils savent qu’ils sont c’est bien le symbole qui le fait pleurer et pas
dans un monde dont ils n’ont pas toutes les la réalité dure. De même que l’adulte (et pour
clés ; ça, ils le savent. Les adultes aussi savent quelle raison ?) voit un type mort dans un acci-
qu’ils n’ont pas toutes les clés, mais ils le sup- dent de voiture sur la route et passe sans s’ar-
portent beaucoup moins bien ; ça les énerve. rêter, mais le soir même pleure au théâtre avec
Donc je me suis rendu compte que ma poésie un faux mort et un faux sang. Qu’est-ce qui
ésotérique était non moins ésotérique dans ces se passe là ? Nous devons encore comprendre
œuvres-là, mais qu’elle agaçait beaucoup moins cette chose incompréhensible qui est que nous
les enfants que certains spécialistes de la sommes faits de songes, que nous ne sommes
culture. C’est très amusant. J’ai toujours abordé faits que de mots, de formules, de symboles.
l’idée de faire du théâtre pour enfants avec l’im- Évidemment, c’est peut-être plus facile pour
pression que ça me donnait des licences que je les enfants qui ont cette connaissance – mais
n’avais pas pour les adultes, notamment faire qui sont aussi en train de la perdre –, donc il
une œuvre concise, poser des questions fon- faut également les initier à la chose théâtrale
damentales, être dans un rapport réel, ludique qui sera une des possibilités de continuer
et musical. Je crois que je n’oserais pas cette cette enfance et qu’elle ne se perde pas, avec
forme-là explicitement pour les adultes. le masque de l’adulte et avec l’humanité aussi.
[…] Il n’y a jamais de nécessité dramatur- On lit dans votre texte et dans votre mise
gique dans notre rapport au décor ou à la scé- en scène une très forte présence de Dieu.
nographie avec Pierre-André Weitz, c’est très Est-ce qu’elle se trouve aussi dans le texte de
fondamental que ce soit pour les grands ou Grimm ?
pour les petits spectacles. Une bonne scéno-
graphie, pour lui comme pour moi, c’est une Évidemment les contes de Grimm sont
scénographie dans laquelle on pourrait mon- des contes issus d’un monde chrétien, ils ont
ter tout le répertoire. Je pourrais reprendre la cette particularité de mêler le paganisme et
scénographie des Grimm et monter Antigone. la ferveur de la foi, et quelquefois des pro-
Alors là, c’est que la scénographie est réussie. pos théologiques assez intéressants. Moi j’en
C’est-à-dire que nos scénographies sont très ai probablement une lecture plus chrétienne
peu dramaturgiques, pas tout à fait non dra- que d’autres ; certains préféreront une lecture
maturgiques, mais pratiquement pas drama- plus analytique, voire politique. Je n’ai pas
turgiques ; elles sont uniquement une machine mis sous silence les questionnements théo-
à faire du théâtre qui pourra s’adapter à toutes logiques ou la compréhension de ces œuvres
les dramaturgies, donc effectivement on peut comme des paraboles religieuses. Ça, je ne l’ai
pas fait parce que, justement, c’est bien ça qui sexualité ; et moi j’ai plutôt appuyé, pour ne
m’intéressait dans ces contes-là ; c’est qu’il y pas priver les enfants de l’approche de la ques-
a du Dieu, il y a Dieu et il y a surtout la ques- tion sexuelle.
tion de la providence. Ce que les contes créent,
c’est une confiance dans la providence, c’est […] Les adultes et les enfants ont aujour
une manière de la foi, c’est une des formes de d’hui un accès aux questions sexuelles qui
la foi, il faut trouver le visage de Dieu, pas for- n’existait pas il y a cinquante ans et il y a
cément dans une rencontre mystique directe, cent cinquante ans encore moins, même si ce
mais dans l’acceptation de sa propre histoire sont des formes assez sages. Il est plutôt clair
qui nécessairement va vers le bien. Et il y a le qu’il y a une nuit d’amour entre le prince et
mal. la princesse, et pour les enfants c’est à mon
avis nécessaire. Ils doivent eux aussi appri-
Donc, peu importe ici encore que le public voiser cette pulsion qui naît en eux, qu’ils ne
soit jeune ou adulte, vous n’en tenez pas comprennent pas et dont ils ont peur comme
compte… les grands, mais c’est terrifiant pour l’enfant
de découvrir le désir, et le conte doit aider, le
Peu importe que ce soit reçu par des adultes conte aide, pas simplement au niveau cathar-
ou des enfants, par des chrétiens ou des non- tique, mais aussi parce qu’il y a des formu-
chrétiens, ça n’a aucune importance, pas plus lations, une grammaire que l’enfant pourra
qu’il ne faut être chrétien pour monter Claudel s’approprier, pour mieux comprendre la part
ou qu’il ne faut croire à Athéna pour mon- d’incompréhensible qu’il est en train de décou-
ter Eschyle. Ça, c’est une question qui n’est vrir en lui et qui est en droit de le terrifier.
pas importante. On peut aussi monter Brecht
sans croire au marxisme, fort heureusement ; […] Il y a aussi d’autres questions : la mort,
ça architecture le drame. Mais il y a des ques- la guerre, […] la question des pauvres, l’injus-
tions théologiques vraiment belles et fortes tice sociale, tous ces sujets-là sont abordés de
qui tiennent tout au moins, sans rentrer dans façon incroyablement concentrée dans deux
la relation directe avec le Très-Haut, au sens : ou trois pages.
est-ce que la vie a un sens ? Au départ, les per-
sonnages chez Grimm perdent le sens ; il y a Pourquoi les travestissements, les costumes,
un traumatisme qui fait qu’ils perdent le sens l’intemporalité ?
de la vie, alors c’est soit la trahison familiale,
le rejet maternel, la violence quasi incestueuse Les costumes, c’est l’intemporalité, ce n’est
par exemple. Ça, c’est la relation entre la jeune pas particulièrement médiéval, ni romantique,
fille et son père – il y a beaucoup d’incestes, ni contemporain. On s’efforce de donner le
chez Grimm. Si je fais un troisième conte, je moins de signes possibles dans les costumes,
ferai sans aucun doute Peau de mille bêtes qui parce qu’il y en a toujours trop.
est Peau d’âne, parce que ça commence par un
inceste. Donc, il y a au début un traumatisme Et la musique ? Les acteurs qui jouent de la
susceptible de découdre l’unité du monde et musique en direct et qui font les bruitages ?
la confiance dans le monde et dans l’avenir ; et
puis, au terme d’un voyage intérieur, il y a cette Je n’aime pas les disques, donc, dans tous
unité retrouvée et cette confiance retrouvée, mes spectacles, il y a de la musique en direct.
alors ça fait du bien aux enfants et aussi aux Là, c’est encore plus musical que d’habitude,
adultes. Il y a toute une symbolique aussi dans parce que c’est un vecteur important pour les
les couleurs : le blanc/la pureté… Oui, c’est enfants. Et ça m’a beaucoup intéressé dans
bien de le faire pour les adultes parce qu’on les cette version-là qui est très musicale, où il y a
croit toujours trop intelligents, mais il faut être beaucoup de musique, où la musique est plus
le plus clair possible dans les signes ; plutôt élaborée que dans les versions précédentes.
que d’inventer des formes ou des grammaires, On est aussi face à des jeunes enfants qui vont
il vaut mieux réutiliser le fond. peut-être pour la première fois au théâtre, mais
aussi qui vont pour la première fois entendre
[…] Il y a une métaphorisation du désir un concert ou de la musique live. C’est impor-
sexuel dans La Jeune Fille, le Diable et le Moulin, tant. Moi j’ai eu des petits complètement fas-
c’est un – j’allais dire un poème – un récit sur cinés par la chose musicale, assez indifférents
le désir féminin. […] Cette jeune fille, elle a une à la chose théâtrale. Là aussi les enfants, c’est
comme les adultes, il y en a qui aiment le est désenchanté, notre psyché est encore dans
théâtre et d’autres que ça n’intéresse pas. un monde enchanté.