À Propos de La Psychanalyse Dite Sauvage (1909)
À Propos de La Psychanalyse Dite Sauvage (1909)
À Propos de La Psychanalyse Dite Sauvage (1909)
Il y a quelques jours une dame âgée vint, sous la protection d’une de ses
amies, à ma consultation. Elle se plaignait d’états anxieux. Frisant la
cinquantaine, elle était cependant assez bien conservée et l’on voyait avec
évidence qu’elle n’avait pas renoncé à sa féminité. Ses crises d’anxiété, me
dit-elle, s’étaient déclenchées à la suite de son divorce d’avec son dernier
mari, mais avaient pris bien plus d’intensité depuis qu’elle avait consulté un
jeune médecin exerçant dans la banlieue où elle habitait. Celui-ci lui avait
déclaré que son anxiété était provoquée par des désirs sexuels. D’après lui,
elle ne supportait pas la privation de tout rapport avec un homme, c’est
pourquoi il ne lui restait que trois moyens de guérir : retourner chez son
époux, prendre un amant ou se satisfaire elle-même. Depuis, elle est
persuadée de son incurabilité puisqu’elle se refuse à reprendre la vie
conjugale et que les deux autres moyens choquent sa morale et ses sentiments
religieux. Néanmoins, elle venait à moi parce que le médecin lui avait dit que
j’étais l’auteur responsable de cette nouvelle manière de voir et qu’elle devait
me demander de confirmer qu’il en était bien ainsi et pas autrement. L’amie
qui l’accompagnait et qui était encore plus âgée, plus rabougrie et plus
maladive qu’elle m’adjura ensuite d’affirmer à la patiente que son médecin
s’était trompé. Les choses ne pouvaient pas être comme il avait dit, car elle-
même, veuve depuis de longues années, était demeurée respectable sans
souffrir d’anxiétés.
Donc admettons que le médecin en question ait bien prononcé les paroles
rapportées par sa cliente. Chacun pourra alors émettre une critique en disant
que lorsqu’un médecin juge nécessaire de discuter de la question sexuelle
avec une femme, il doit le faire avec tact et ménagements. Mais, en pareil cas,
il devra aussi respecter certaines règles techniques de la psychanalyse ; de
plus, le médecin dont nous parlons devait ignorer un certain nombre de
principes psychanalytiques d’ ordre scientifique ou les avait mal compris,
montrant par là qu’il était fort éloigné de saisir la nature et les buts de la
psychanalyse.
Tout cela semble très clair et il faut pourtant admettre la présence d’un
facteur qui, bien souvent, rend le jugement difficile. Certains états
névrotiques, ceux que nous qualifions de névroses actuelles, comme la
neurasthénie typique ou la forme pure de la névrose d’angoisse, dépendent
manifestement du facteur somatique de la sexualité et nous ne connaissons
pas encore bien le rôle qu’y jouent le facteur psychique et le refoulement. En
pareil cas, le médecin va naturellement appliquer une thérapeutique actuelle
en modifiant l’activité physique d’ordre sexuel et il a raison d’agir ainsi si
son diagnostic est exact. La dame, en consultant le jeune praticien, s’était
surtout plainte d’états anxieux. Il en conclut probablement qu’elle souffrait
d’une névrose d’angoisse et crut bien faire en lui recommandant un
traitement somatique. Et voilà derechef une méprise commode ! Une
personne qui souffre d’anxiété n’est pas forcément atteinte d’une névrose
d’angoisse. Le diagnostic ne doit pas être établi sur une dénomination. Il faut
connaître les manifestations d’une névrose d’angoisse et savoir les distinguer
d’autres états pathologiques où surgit aussi de l’angoisse. La dame en
question souffrait, à mon avis, d’une hystérie d’angoisse et tout ce qui fait la
valeur de ces distinctions nosographiques, ce qui les justifie, repose sur le fait
qu’elles attirent notre attention sur une autre étiologie et une autre
thérapeutique. Celui qui aurait envisagé la possibilité d’une hystérie
d’angoisse ne risquerait plus de négliger les facteurs psychiques, comme l’a
fait notre médecin en plaçant sa patiente devant trois possibilités.
Nous arrivons ainsi aux erreurs techniques imputées au médecin dans le cas
précité. Nous avons depuis longtemps cessé de croire, comme des apparences
superficielles nous l’avaient suggéré, que le malade souffrait d’une sorte
d’ignorance et que si l’on venait à dissiper cette dernière en lui parlant des
rapports causaux entre sa maladie et son existence, des événements de son
enfance, etc., sa guérison serait certaine. Or ce n’est pas l’ignorance en soi
qui constitue le facteur pathogène, cette ignorance a son fondement dans les
résistances intérieures qui l’ont d’abord provoquée et qui continuent à la
maintenir. Il appartient donc à la thérapeutique de combattre ces résistances.
La révélation au malade de ce qu’il ne sait pas, parce qu’il l’a refoulé, ne
constitue que l’un des préliminaires indispensables du traitement. Si la
connaissance de l’inconscient était aussi nécessaire au malade que le suppose
le psychanalyste inexpérimenté, il suffirait de lui faire entendre des
conférences ou de lui faire lire certains livres. Mais de pareilles mesures ont
sur les symptômes névrotiques autant d’action qu’en auraient, par exemple,
en période de famine, une distribution de menus aux affamés. Le parallèle
pourrait même être poussé plus loin encore car, en révélant aux malades leur
inconscient, on provoque toujours chez eux une recrudescence de leurs
conflits et une aggravation de leurs symptômes.
Ce n’est qu’une fois ces deux conditions réalisées que l’on arrive à
reconnaître et à maîtriser les résistances ayant abouti au refoulement et à
l’ignorance. Toute action psychanalytique présuppose donc un contact
prolongé avec le malade. C’est une erreur technique que de jeter brusquement
à la tête du patient, au cours de la première consultation, les secrets que le
médecin a devinés. Un pareil procédé a ordinairement pour effet fâcheux
d’attirer sur la personne du médecin la franche inimitié du malade et
d’empêcher toute influence ultérieure.
En outre, est-il besoin de dire que l’on risque parfois de faire de fausses
déductions et que l’on n’est jamais en mesure de découvrir toute la vérité. En
psychanalyse, ces strictes règles techniques viennent remplacer une
insaisissable qualité qui exige un don spécial : le « tact médical ».