Mots 14463
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Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/mots/14463
DOI : 10.4000/mots.14463
ISSN : 1960-6001
Éditeur
ENS Éditions
Édition imprimée
Date de publication : 1 novembre 2008
Pagination : 129-133
ISBN : 978-2-84788-147-9
ISSN : 0243-6450
Référence électronique
Thierry Herman, « Marc Angenot, Dialogues de sourds. Traité de rhétorique antilogique », Mots. Les
langages du politique [En ligne], 88 | 2008, mis en ligne le 01 novembre 2010, consulté le 22 avril 2022.
URL : http://journals.openedition.org/mots/14463 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mots.14463
© ENS Éditions
Comptes rendus de lecture
si fréquents dans les discours de la sphère publique sont pour l’auteur les
résultats de ce qu’il appelle des coupures argumentatives, l’absence de par-
tage d’un code logique commun, d’une raison « universelle, transcendantale
et anhistorique » (p. 15) qui aboutit à décrire la logique de l’opposant comme
folle, inintelligible, délirante. Marc Angenot se propose de dépasser cette stig-
matisation et de chercher à comprendre cette permanence du malentendu.
L’auteur débute par la fracture entre rhéteurs et sophistes en mettant
en tête de réflexion les Antilogies de Protagoras. En partant du constat de la
confrontation entre raisons inconciliables, Protagoras, selon la lecture de Marc
Angenot, oppose à cet antagonisme l’idée qu’il n’y a pas de standard du juge-
ment valide qui ferait que l’on croit avoir la raison seul de son côté, et que la
confrontation doit être vue comme du « discours négocié à hauteur d’homme »
(p. 44). Un tiers arbitre « ne peut prétendre être une sorte de dieu descendu sur
un nuage pour trancher et déclarer : toi, tu te trompes ; toi, tu es dans le vrai ! Il
peut en revanche mesurer la part de vérité humaine de chaque camp » (ibid.).
Cette coupure originelle qui scinderait une vérité universelle, divine, et une
vérité humaine, fragile et inférieure, est une forme de séisme dont les répliques
se font encore sentir aujourd’hui. Fracture initiale entre la logique et la rhéto-
rique, dont la dernière subit tous les affronts : elle est encore considérée dans
le grand public comme méprisable, honteuse, impure, alors que, d’un autre
côté, les sciences sociales savent bien que l’homme en sa Cité ne peut pas
ne pas passer par la rhétorique, qui se voit – ainsi que la sophistique – réha-
bilitée. De la rhétorique, Marc Angenot retient des piliers importants : l’ethos
et le pathos – qu’il ne considère pas comme une preuve séparable du logos
qui serait alors une forme de raison désincarnée, mais surtout la doxa, recueil
de lieux probables et acceptables, flous et imprécis, mais nécessaires pour
« nous orienter et agir dans ce monde » (p. 66). « Il est rationnel pour moi, pro-
clame Marc Angenot, d’opter pour les logiques du probable parce qu’il n’y en
a pas d’autres. » (p. 70) D’où une rhétorique irrémédiablement « engluée dans
la langue commune et dans le social » (p. 73), où la raison se fait bricoleuse et
pour laquelle il parait vain ou « optimiste » et « irréaliste » (p. 81) de procéder
à l’évaluation de la validité ou de la rationalité de l’argument, comme le fait la
logique informelle en pleine abstraction des motifs psychologiques et socio-
logiques qui conduisent nécessairement au flou : « La logique du discours,
c’est une logique qui conclut de façon contingente et même nécessairement
équivoque. » (p. 78) C’est tout le projet de Dialogues de sourds qui se trouve
résumé là. Il n’existe pas une raison qui serait la chose au monde la mieux par-
tagée – si l’on en juge par la fréquence des dialogues de sourds –, mais une
« multiplicité des rationalités » (p. 85). Raisonner n’est dès lors pour l’auteur ni
être raisonnable ni se conformer à la raison, mais « faire des opérations de dis-
cours en reliant entre elles les propositions » (p. 89), car « le paralogisme n’est
pas l’exception, il est la règle » (p. 92).
Thierry Herman
Université de Neuchâtel
[email protected]