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Ecole Normale Supérieure FIMFA

Algèbre II

Anneaux, modules, théorie de Galois

Jean-François Dat

2017-2018

Résumé
Ce cours introduit les techniques algébriques fondamentales utilisées en théorie des
nombres et en géométrie algébrique. Une grande partie concernera la théorie générale
des anneaux (commutatifs) et de leurs modules, et une autre partie la théorie des
extensions de corps.

Sommaire

1 Algèbre commutative 2
1.1 Pourquoi l'algèbre commutative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.2 Généralités sur les anneaux commutatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.3 Généralités sur les modules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.4 Anneaux de polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
1.5 Anneaux factoriels, principaux, euclidiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
1.6 Localisation, corps des fractions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
1.7 Produit tensoriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
1.8 Quelques conséquences du lemme chinois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
1.9 Modules de type ni sur un anneau principal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

2 Extensions de corps. Théorie de Galois 93


2.1 Généralités sur les extensions de corps. Nullstellensatz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
2.2 Corps algébriquement clos, clôtures algébriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
2.3 Automorphismes. Extensions normales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
2.4 Caractéristique et endomorphisme de Frobenius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
2.5 Polynômes et extensions séparables. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
2.6 Corps parfaits et imparfaits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
2.7 Extensions Galoisiennes. Correspondance de Galois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
2.8 Résolubilité par radicaux des équations algébriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
2.9 Nombres constructibles à la règle et au compas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
2.10 Spécialisation du groupe de Galois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
2.11 Polynômes symétriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
2.12 Extensions entières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
2.13 Anneaux d'entiers algébriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148

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1 Algèbre commutative

1.1 Pourquoi l'algèbre commutative


L'algèbre commutative est l'étude des anneaux commutatifs et de leurs modules. On
rappelle qu'un anneau (unitaire) A est un ensemble muni d'une addition + : A × A −→ A
qui admet un élément neutre noté 0 et fait de (A, +) un groupe abélien, et d'une multi-
plication (ou produit) · : A × A −→ A qui admet un élément neutre 1 et fait de (A, ·) un
monoïde associatif, et telles que · soit distributive (ou encore bilinéaire) par rapport à
+. Cet anneau est dit commutatif si la multiplication · est commutative. Nous noterons
A× le sous-ensemble des éléments de A qui sont inversibles pour la multiplication, de sorte
× ×
que (A , ·) est un groupe. Lorsque A = A \ {0}, on dit que A est un corps.
Certaines dénitions et énoncés de ce cours pourront paraitre bien abscons sortis de
leur contexte. C'est pourquoi il est important de garder en tête pourquoi et comment les
mathématiciens y ont été conduits. Ce n'est pas le plaisir de l'abstraction qui les a guidés,
mais bien le désir de résoudre des problèmes concrets en les reformulant convenablement.

1.1.1 L'anneau des entiers. Le premier exemple d'anneau commutatif est l'anneau
A = Z des entiers relatifs. Sa structure additive est claire (comme le sera celle de la
plupart des anneaux que nous rencontrerons) : elle est engendrée par 1 qui en est la seule
brique élémentaire. C'est la structure multiplicative et son interaction avec l'addition qui
est intéressante. Ses briques élémentaires en sont les nombres premiers, sur lesquels de
nombreuses conjectures sont encore ouvertes. Rappelons le résultat célèbre d'Euclide :

Théorème. (Unique factorisation)  Tout nombre entier s'écrit sous la forme n =


±pv11 pv22 · · · pvrr , où les pi sont des nombres premiers distincts 2 à 2 et vi ∈ N∗ , et cette
écriture est unique à l'ordre près.

L'existence d'une factorisation comme ci-dessus se voit facilement par récurrence mais
l'unicité est plus subtile. Rappelons qu'elle découle de la division euclidienne selon les
étapes suivantes :
 (lemme de Bézout) si a, b ∈ Z \ Z× n'ont pas de diviseur commun, alors il existe
u, v ∈ Z tels que ua + vb = 1. En eet, posons r0 := |a| et r1 := |b| et notons r2 le
reste de la division euclidienne de a par b. On a donc r2 ∈ r0 + Zr1 et 0 6 r2 < r1 .
Notons que r2 6= 0 puisque r1 ne divise pas r0 . Si r2 = 1, on a terminé. Sinon, on
peut considérer encore le reste 0 < r3 < r2 de la division euclidienne de r1 par r2 ,
puis, tant que rk 6= 1, dénir rk+1 comme le reste de la division de rk−1 par rk . On a
alors rk+1 ∈ rk−1 + Zrk puis, par une récurrence immédiate, rk+1 ∈ Zr0 + Zr1 . Mais
puisque rk+1 < rk , l'algorithme s'arrête à un rang k < |b| pour lequel on a rk+1 = 1.
 (lemme de Gauss (ou d'Euclide)) si p premier divise ab, alors p|a ou p|b. En eet,
si p ne divise pas a, on peut trouver u, v tels que up + va = 1, donc upb + vab = b,
ce qui montre que p divise b.
v1 v2 v
 On en déduit en particulier que si p divise un produit p1 p2 · · · pr r comme dans
le théorème, alors p est égal à l'un des pi . De là l'unicité découle facilement : si

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0 0 0
pv11 pv22 · · · pvrr = p01 v1 p02 v2 · · · p0r0 vr0
p1 est égal à un (et un seul) des p0i et, quitte à
alors
0
numéroter on peut supposer que c'est p1 . Procédant de même pour p2 et les suivants,
0 0
on voit que r = r et qu'on peut supposer pi = pi pour tout i. Reste à montrer que
vi = vi0 pour tout i = 1, · · · , r, ce que l'on peut faire par récurrence sur l'entier
v1 + · · · + vr par exemple.
L'énoncé d'Euclide peut s'écrire de la manière alternative suivante : soit p premier et
soitνp (n) la valuation p-adique de n, i.e. le plus grand entier tel que pνp (n) divise n.

pνp (n) ,
Q
On a l'égalité n = ε(n) · p où ε(n) désigne le signe de n et le produit est indexé
1
par tous les nombres premiers .

Le résultat d'Euclide a plusieurs conséquences auxquelles nous sommes habitués depuis


longtemps, comme l'existence de pgcd et de ppcm. La formulation ci-dessus fournit d'ailleurs
les formules agréables suivantes :

Y Y
pgcd(n, m) = pmin(νp (n),νp (m)) et ppcm(n, m) = pmax(νp (n),νp (m)) .
p p

Surtout, le résultat d'Euclide permet de résoudre certaines équations diophantiennes,


c'est-à-dire des équations polynomiales dont on cherche les solutions dans Z ou dans Q.
Exemples :
 L'équation x2 = 2 n'a pas de solution dans Q (exercice).
2 3
 L'équation x − 1 = y a pour solutions {(0, −1), (1, 0), (−1, 0), (3, 2), (−3, 2)}. En
2
eet, on peut factoriser x − 1 = (x − 1)(x + 1). Cherchons une solution (x, y) avec
x pair. Dans ce cas le p.g.c.d. de x − 1 et x + 1 est 1, et la propriété d'unique
factorisation implique donc que x − 1 et x + 1 doivent être des cubes d'entiers,
3 3 3 3
disons x − 1 = a et x + 1 = b avec ab = y . Or, cela implique b − a = 2, ce qui
implique b = 1 et a = −1 et donc x = 0 et y = −1. Cherchons ensuite une solution
0 0
avec x impair, disons x = 2x + 1. Alors y doit être pair, disons y = 2y , et on a
3
x0 (x0 + 1) = 2y 0 . Si x0 = 2x00 est pair, alors x00 et (x0 + 1) doivent être des cubes,
3 3 3 3
disons a et b , vériant la relation b − 2a = 1. On peut montrer que les seules
solutions sont (b, a) = (1, 0) ou (−1, −1), auxquels cas (x, y) = (1, 0) ou (−3, 2).
0
Pour x impair, on trouve les possibilités (−1, 0) et (3, 2).
Malheureusement, on est vite confronté à des équations, pourtant très proches, où la
méthode de factorisation ne s'applique plus du tout. Par exemple :

x2 + N = y 3 , où N ∈Z est xé.

L'idée, naturelle, qu'ont eu les mathématiciens est d'élargir le domaine des nombres uti-
2
lisables de manière à pouvoir factoriser x + N .

1. Cette expression, pour avoir un sens, sous-entend que νp (n) 6= 0 et donc pνp (n) 6= 1 seulement pour
un nombre ni de nombres premiers

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1.1.2 Anneaux d'entiers algébriques. Nous supposerons, pour simplier, que l'on dis-
pose du corps C des nombres complexes et qu'on sait qu'il est algébriquement clos. Pour
z ∈ C nous noterons Z[z] le sous-anneau de C engendré par z, i.e. le plus petit sous-
anneau de qui contient z . Concrètement, c'est le sous-groupe additif de
C C engendré par
n
les puissances {z , n ∈ N} de z (s'en convaincre !).

Définition.  On dit que z est un entier algébrique s'il est annulé par un polynôme
d
unitaire f (X) = X + a1 X d−1 + · · · + ad ∈ Z[X].
Dans ce cas, z d ∈ Z + Zz + · · · + Zz d−1 et par récurrence immédiate chaque z n pour
n > d est dans Z + Zz + · · · + Zz d−1 . En d'autres termes, Z[z] est engendré, en tant que
d−1
groupe abélien par la famille nie {1, z, · · · , z }.
Exemple.  L'anneau Z[i] et l'équation x2 + 1 = y 3 . Le complexe i est annulé par le
2
polynôme X + 1, donc est un entier algébrique. L'anneau qu'il engendre Z[i] = Z ⊕ Zi est
appelé anneau des entiers de Gauss. Il se trouve que cet anneau est muni d'un analogue
de la division euclidienne :

Pour tous x, y ∈ Z[i] avec x 6= 0, (q, r) ∈ Z[i]2


il existe tels que y = qx + r avec
|r| < |x|2 .
2

En fait, si q désigne le (ou un des) point(s) de Z ⊕ Zi le plus proche de y/x dans C, alors
y/x − q est dans le carré déni par les inégalités |<(z)| 6 21 et |=(z)| 6 12 , qui lui même
2 2
est contenu dans le disque {z, |z| < 1}, donc on a bien |y − qx| < |x| . On dit que Z[i]
muni de la fonction z 7→ |z|2 est un anneau euclidien. Cette division euclidienne montre,
comme dans le théorème précédent, que le lemme de Bézout est vrai dans Z[i]. De même,
le lemme d'Euclide est vrai, une fois qu'on a déni correctement l'analogue de ce qu'est un
nombre premier.

1.1.3 Eléments irréductibles, anneaux factoriels.

Définition.  Dans un anneau commutatif A général, un élément a ∈ A est dit


×
irréductible s'il est non inversible et si a = bc ⇒ b ∈ A ou c ∈ A× . Deux éléments
0
irréductibles a, a sont dits équivalents s'il existe un inversible u ∈ A× tel que a0 = ua.
Par exemple dans Z, a = ±p avec p premier, et les classes
les irréductibles sont les
d'équivalences d'irréductibles sont les {−p, p} avec p premier. Dans un anneau général A,
on dit que le lemme de Gauss est satisfait si pour tout élément irréductible a divisant un
produit bc, on a a|b ou a|c. Par le même raisonnement que dans le théorème précédent,
un tel anneau satisfait la propriété d'unicité des factorisations en produit de puissances
d'irréductibles.

Définition.  A un anneau et supposons xé un ensemble P ⊂ A de représentants


Soit
des classes d'équivalence d'éléments irréducibles. Alors l'anneau A est dit factoriel si tout
ν ν
élément x s'écrit de manière unique (à l'ordre près) sous la forme x = up11 · · · pr r avec les
pi dans P et u ∈ A× .

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Nous reverrons plus en détail cette notion, mais on peut remarquer que dans un anneau
factoriel, on a une notion de pgcd et de ppcm (dénis à un inversible près ou relativement
à un choix P comme ci-dessus) et la notion d'éléments premiers entre eux.

Exemple.  Par ce que l'on vient de dire, Z[i] est factoriel. Il est donc naturel de cher-
cher à déterminer ses éléments inversibles et ses éléments irréductibles. Pour les premiers,
×
on vérie facilement que Z[i] = {z ∈ Z[i], z z̄ = 1} = {±1, ±i}. Pour déterminer les
irréductibles, on peut d'abord se demander quels nombres premiers p restent irréductibles
dans Z[i]. Remarquons que si z|p alors z z̄|p2 donc z z̄ = 1, p ou p2 . Mais pour que z soit un
diviseur propre (au sens où ni z ni p/z n'est inversible) il nous faut z z̄ = p. En écrivant
z = a + ib il vient p = a2 + b2 . Réciproquement, si p = a2 + b2 , on a une factorisation
p = (a+ib)(a−ib) dans laquelle on remarque que z := a+ib est nécessairement irréductible
(car z z̄ est premier). On voit ainsi que

i) un premier p reste irréductible dans Z[i] si et seulement si p n'est pas somme de


2
deux carrés .

ii) un élément irréductible de Z[i] est de la forme up avec u ∈ Z[i]× et p premier comme
au i), ou de la forme a + ib avec a2 + b2 premier.
A titre d'exemple, on a la factorisation 2 = i(1 − i)2 dans laquelle i est un inversible et
1−i est un irréductible.
Intéressons-nous maintenant à l'équation x2 +1 = y 3 qui se factorise en (x+i)(x−i) = y 3
dans Z[i]. Calculons le pgcd de x + i et x − i dans Z[i] (cela a un sens car Z[i] est factoriel).
2
Celui-ci divise 2i = (i + 1) . Mais si 1 + i divise x + i, alors 1 − i divise x − i, donc 2 divise
x2 +1. Or, en regardant modulo 4, on observe que x doit être pair (sinon x2 +1 ≡ 2[4], mais
2 n'est pas un cube modulo 4). Il s'ensuit donc que x + i et x − i sont premiers entre eux, et
3
par conséquent de la forme uz avec u inversible et z ∈ Z[i]. Comme, de plus, les inversibles
3
de Z[i] sont tous des cubes, on obtient l'existence de a, b ∈ Z tels que x + i = (a + ib) .
2 2
En regardant le coecient de i dans cette égalité, on obtient la contrainte b(3a − b ) = 1,
ce qui ne laisse d'autre possibilité que (a, b) = (0, −1), correspondant à l'unique solution
(x, y) = (0, 1).
√ 2 3
Exercice.  L'anneau Z[ −2] et l'équation x + 2 = y . Adapter les arguments précé-

dents pour montrer que Z[ −2] est euclidien, puis que l'ensemble des solutions entières de
2 3
l'équation x + 2 = y est {(5, 3), (−5, 3)}.

1.1.4 Des anneaux d'entiers algébriques non factoriels.



Exemple.  L'anneau Z[ −3] x2 √
+ 3 = y 3 . Essayons
et l'équation
√ la même stratégie
que précédemment. On considère donc l'anneau Z[ −3] = Z ⊕ i 3Z dans lequel on peut
2
√ √ √
factoriser x + 3 = (x + −3)(x − −3) pour tout x ∈ Z[ −3]. Malheureusement, cet
2. Montrer que c'est encore équivalent au fait que −1 n'est pas un carré modulo p

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3
anneau n'est pas factoriel . En eet, regardons l'égalité

√ √
2 · 2 = 4 = (1 + −3)(1 − −3).

L'élément 2 2 = xy avec x, y ∈ Z[ −3], on a 4 = xx̄y ȳ
est irréductible car si on écrit
donc xx̄, qui est entier positif, vaut 1, 2 ou 4, mais il ne peut pas valoir 2 car l'équation
u2 + 3v 2 = 2 n'a pas de solution dans Z2 , donc on a soit xx̄ = 1 auquel √ cas x =√±1,
soit y ȳ = 1 auquel cas y = ±1. Pour la même raison, les éléments 1 + −3 et 1 − −3
√ ×
sont irréductibles. Comme Z[ −3] = {±1}, ces trois éléments sont non équivalents 2 à 2,
et l'égalité ci-dessus montre que la propriété d'unique factorisation n'est pas vériée dans

Z[ −3].
En fait, cet anneau est encore pire que non factoriel : il n'est pas intégralement clos
non plus. Cela signie (on y reviendra) que son corps des fractions, qui n'est autre que le
√ √
sous-corps Q[ −3] de C −3, contient
engendré par

des entiers algébriques qui ne sont
−1+ −3
pas dans cet anneau. Un exemple est j := , qui est bien entier algébrique, puisque
2
3 2
racine du polynôme X − 1, et plus précisément du polynôme irréductible X + X + 1.

Il se trouve que l'anneau Z[j], qui contient Z[ −3], est bien meilleur que ce dernier ;
4
en eet une légère adaptation de l'argument déjà utilisé montre qu'il est euclidien . Noter
√ √
que l'égalité 2 · 2 = (1 + −3)(1
√ √ −3) ne contredit pas l'unicité des factorisations dans

Z[j] puisque 2, 1 + −3 √et 1 − −3 sont des éléments irréductibles équivalents en vertu

−1
des égalités 2 = −j(1 + −3) = −j (1 − −3) et du fait que j ∈ Z[j]× . D'ailleurs, il sera
×
utile de remarquer que Z[j] = µ6 = {±1, ±j, ±j̄}.
2
√ √
Puisque la factorisation x + 3 = (x + −3)(x − −3) vit dans Z[j], on peut l'utiliser
2 3
pour étudier l'équation x + 3 = y . Remarquons que pour une éventuelle solution (x, y)
√ √
on aura x 6= 0 modulo 3. Les éléments x + −3 et√x − −3 sont √ donc premiers entre
eux. En eet, un diviseur commun diviserait aussi 2 −3. Or 2 et −3 sont irréductibles

et ne divisent visiblement pas x ± −3 si x 6= 0 modulo 3. Grâce à la propriété d'unique

factorisation, on peut donc écrire x + −3 sous la forme
√ √ √
x + −3 = u(a + b −3)3 = u((a3 − 9ab2 ) + (3a2 b − 3b3 ) −3)
√ √
avec u ∈ {±1, ±1±2 −3
}.
On voit toute de suite, en comparant les termes en

−3, qu'il n'y
1+ −3
a pas de possibilité avec u = ±1. Avec u = , on obtient la contrainte
2

a3 − 9ab2 + 3a2 b − 3b3 = 2.

Avec un peu d'astuce on remarque la congruence modulo 4

a3 − 9ab2 + 3a2 b − 3b3 ≡ a3 + 3ab2 + 3a2 b + b3 ≡ (a + b)3 (mod4).



1 3
3. On remarquera d'ailleurs que le rectangle déni par les inégalités |<(z)| 6 2 et |=(z)| 6 2 n'est
plus contenu dans le disque {z, |z| < 1}.
1
4. On pourra remarquer que les seuls éléments du rectangle déni par les inégalités |<(z)| 6 2 et

3 2
|=(z)| 6 2 hors du disque {z, |z| < 1} sont justement ±j, ±j .

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Or 2 n'est pas un cube dans Z/4Z, donc la contrainte ci-dessus est impossible. Un argument
2 3
similaire pour les autres u nous mène à la conclusion que l'équation x + 3 = y n'a pas de
solution (le vérier).

Exemple.  L'anneau Z[ −5] x2 + √
5 = y 3 . Remplaçons maintenant 3
et l'équation

par 5 et considérons donc l'anneau Z[ −5] = Z ⊕ i 5Z dans lequel on peut factoriser
√ √ √
x2 + 5 = (x + −5)(x − −5) pour tout x ∈ Z[ −5]. À nouveau, cet anneau n'est pas
factoriel, comme le montre par exemple l'égalité
√ √
2 · 3 = (1 + −5)(1 − −5).
√ √
(Exercice : vérier que
√ 2, 3, 1 + −5 et 1 − −5 sont des élements irréductibles non

équivalents de Z[ −5]). Mais cette fois-ci c'est plus grave : Z[ −5] est tout de même
intégralement clos, donc on ne peut pas l'agrandir un peu pour le rendre factoriel, comme

on l'a fait pour Z[ −3].
C'est pour pallier les dicultés liées au défaut d'unicité des factorisations que Dedekind
a dégagé la notion d'idéal d'un anneau.

1.1.5 Idéaux. Rappelons qu'un idéal I de A est un sous-groupe additif de A stable


par multiplication par A. Si a1 , · · · , an sont des éléments de A, on note (a1 , · · · , an ) l'idéal
engendré par ces éléments, i.e. le plus petit idéal qui les contient. On a donc

(a1 , · · · , an ) = (a1 ) + · · · + (an ) = Aa1 + · · · + Aan

où l'on utilise la notation somme pour deux sous-ensembles S1 , S2 de A :

S1 + S2 = {x ∈ A, ∃(s1 , s2 ) ∈ S1 × S2 , x = s1 + s2 }.

Un idéal engendré par une famille nie comme ci-dessus est dit de type ni. Il est dit
principal s'il est engendré par un seul élément. Il est utile de se rappeler que pour deux
×
éléments a, b ∈ A, on a a|b ⇔ (a) ⊃ (b), ainsi que (a) = A ⇔ a ∈ A .
Les idéaux de A peuvent être additionnés et multipliés. L'addition est simplement
donnée par la somme ensembliste ci-dessus :

I + J = {x ∈ A, ∃(i, j) ∈ I × J, x = i + j}.

Le produit d'idéaux est plus subtil : si on multiplie naïvement les ensembles I et J , l'en-
semble obtenu est certes stable par multiplication par A, mais pas par addition. Il convient
de prendre l'idéal engendré par ce produit naïf. Explicitement, on a

I · J := {x ∈ A, ∃n ∈ N, ∃(i1 , · · · , in , j1 , · · · , jn ) ∈ I n × J n , x = i1 j1 + · · · in jn }.

La découverte de Dedekind est que, pour un anneau de nombres intégralement clos



comme Z[ −5] par exemple, les idéaux propres non nuls admettent une factorisation uni-
que, même si l'anneau n'est pas factoriel. Evidemment cela suppose d'avoir un analogue
pour les idéaux de la notion d'élément irréductible. C'est la notion d'idéal premier.

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Définition.  On dit que l'idéal I 6= A est premier si pour tout x, y ∈ A, on a


xy ∈ I ⇒ x ∈ I ou y ∈ I.
Il découle de cette dénition que pour a ∈ A non nul, si l'idéal (a) est premier alors a est
irréductible. La réciproque n'est pas toujours vraie. En fait, elle est équivalente au lemme
√ √
de Gauss, dont on a vu qu'il n'est pas vrai dans
√ Z[ −5]. Concrètement, si x = 1 + −5
et y =1− −5, on a xy ∈ (2) mais ni x ni y n'appartient à (2) donc l'idéal (2) n'est pas
premier bien que 2 soit irréductible.

Théorème. (Dedekind)  Dans l'anneau Z[ −5] (ou dans tout autre anneau d'entiers
algébriques intégralement clos), tout idéal propre non nul I s'écrit de manière unique à
ν ν ν
l'ordre près I = p11 · p22 · · · pr r pour des idéaux premiers pi distincts 2 à 2.

Voici une manière un peu plus précise de formuler ce résultat. Pour un idéal non nul
I p, posons vp (I) := Max{m ∈ N, pm ⊃ I}, que l'on appelle
et un idéal premier non nul
encore valuation p-adique de I . Alors Dedekind prouve que vp (I) est bien déni, non
Q vp (I) nul
pour un nombre ni de p lorsqu'on xe I , et qu'on a l'égalité d'idéaux I = pp .
Par exemple on a les égalités d'idéaux suivantes :
√ √ √
(2) = (2, 1 + −5) · (2, 1 − −5) = (2, 1 + −5)2
√ √
(3) = (3, 1 + −5) · (3, 1 − −5)
√ √ √
(1 + −5) = (2, 1 + −5) · (3, 1 + −5)
√ √ √
(1 − −5) = (2, 1 − −5) · (3, 1 − −5).

Exercice.  Prouver les égalités ci-dessus et montrer que les idéaux
√ √ p1 := (2, 1 + −5),
p2 := (3, 1 + −5) et p3 := (3, 1 −
−5) sont premiers et non principaux.
√ √
On remarque que l'égalité 2·3 = (1+ −5)(1− −5) qui nous posait problème, devient
p21 p2 p3 = p1 p2 p1 p3 dans le monde des idéaux, ce qui est conforme à la propriété d'unique
factorisation pour les idéaux.
√ √
Revenons à l'équation
√ x2 + 5 = y 3 que l'on factorise en y 3 = (x + −5)(x − −5) √ dans
l'anneau Z[ −5].
On aimerait prouver que si (x, y) est une solution, alors x + −5 est
3
nécessairement de la forme u · α , mais l'absence d'unicité des factorisations ne permet pas
3
√ 2

de conclure comme précédemment. Par exemple, l'égalité 6 = 2(1 + −5) × 3(1 − −5)2
montre qu'un cube peut être le produit de deux éléments sans diviseur commun mais qui
ne sont pas eux-mêmes des cubes.
Cependant, le théorème de Dedekind nous assure tout de même que l'idéal engendré
√ √ 3

par x + −5 est de la forme (x + −5) = I pour un idéal non nul de Z[ −5], à condition
√ √
de voir que les idéaux (x + −5) et (x −
−5) n'ont pas de diviseur premier p commun,
c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'idéal premier p qui les contienne tous les deux. En eet un
√ √
tel p devrait contenir 2 −5, donc contenir 2, auquel cas p = (2, 1 + −5),√ou contenir
√ √
−5√ , auquel cas p = ( −5) (vérier que ce dernier est bien premier). Mais si −5 divisait
x + −5, alors 5 diviserait√x, donc aussi y et on√obtiendrait l'égalité 5 ≡ 0[25] qui est
absurde. De plus, si (2, 1 + −5) contenait (x + −5) alors 2 diviserait y , donc x serait
impair, ce qui est impossible car on obtiendrait modulo 4 l'égalité 1 + 5 = 0.

8
Ecole Normale Supérieure FIMFA


Maintenant que l'on sait que
√ (x+ −5)√est de la forme I 3 (égalité d'idéaux), on aimerait
3
en tirer que x+ −5 est de la forme u(a+b −5) (égalité de nombres). Pour cela, il surait
de prouver que I est principal (engendré par un élément). Mais on a vu que c'est loin d'être
automatique.

1.1.6 Groupe des classes d'un anneau d'entiers. Ici intervient un invariant très im-
portant de la théorie des anneaux de nombres, appelé groupe de classes, qui mesure le
défaut de principalité (et donc de factorialité) d'un anneau d'entiers algébriques (tou-
jours supposé intégralement clos). Soit Id(A) l'ensemble des idéaux non nuls de A. Le
produit d'idéaux en fait un monoïde commutatif d'élément neutre l'idéal unité A. Soit
Id.Pr(A) le sous-ensemble des idéaux principaux. Il est stable par produit, donc c'est un
sous-monoïde. Considérons le monoïde quotient

Cl(A) := Id(A)/Id.Pr(A).

Ensemblistement, c'est le quotient de Id(A) par la relation d'équivalence dénie par I ∼


I 0 ⇔ (∃a, a0 ∈ A \ {0}, Ia = I 0 a0 ). Le théorème de Dedekind implique que ce monoïde
quotient est en fait un groupe abélien : en eet, il sut de vérier que l'image de tout p
v1 v
premier non nul y admet un inverse, or, si a ∈ p \ {0}, et si on écrit (a) = p1 · · · pr r , alors
p est l'un des pi , disons p1 , et on a donc pq = (a) avec q := pv11 −1 · · · pvrr , de sorte que q
est inverse de p dans le quotient Cl(A). Remarquons que, par dénition, un idéal I est
principal si et seulement si son image dans Cl(A) est 0.
Le théorème suivant est un pilier de la théorie algébrique des nombres, qui dépasse le
cadre de ce cours, mais sera certainement abordé dans tout cours de théorie des nombres
de niveau M1 avancé ou M2 introductif.

Théorème.  Le groupe de classes d'un anneau d'entiers algébriques est ni.

La preuve classique de ce théorème donne en fait un majorant qu'il est parfois raison-
nable d'expliciter. Par exemple dans le cas qui nous intéresse, il n'est pas très dur d'en

tirer que Cl(Z[ −5]) = Z/2Z (voir ci-dessous).
Montrons comment cela sut pour résoudre notre équation. L'idéal I3 est principal,
donc sa classe dans C`(A) est nulle. Mais celle-ci est 3 fois celle de I . Or la multiplication
par 3 est inversible dans Z/2Z (c'est même l'identité), donc la classe de I est nulle aussi,
√ √
et I est principal. Il s'ensuit que I = (α) pour un α ∈ Z[ −5], donc (x +
√ −5) = (α3 ) et
3
on en déduit nalement que x + −5 est bien de la forme u · α comme souhaité. À partir
2 3
de là, le même genre de raisonnement élémentaire que dans le cas de l'équation x + 3 = y
2 3
montre que l'équation x + 5 = y n'a pas de solution.

Remarque culturelle. (sur la géométrie des nombres)  Voici les ingrédients pour
√ √
prouver que le groupe Cl(Z[ −5]) 2. Soit J un idéal non nul de Z[ −5].
est d'ordre

C'est un sous-groupe abélien de rang 2 de Z[ −5] et on peut donc dénir son indice

i(J) := |Z[ −5]/J| ∈ N. On peut aussi considérer J comme un réseau de C, i.e. un
sous-groupe abélien de type ni et R-générateur. On peut alors dénir son covolume
Covol(J) comme le volume d'un parallélogramme fondamental de ce réseau. On a alors

9
Ecole Normale Supérieure FIMFA

√ √
(exercice) Covol(J) = i(J)Covol(Z[ −5]) = i(J) 5. On peut montrer (exercice) qu'une
boule fermée centrée en 0 de rayon r contient un élément de J dès lors que son volume

πr2 dépasse 4Covol(J). On peut donc trouver un élément α ∈ J tel que |α|2 6 π4 5 · i(J).
2
Noter que |α| = i((α)). Ecrivons alors (α) = IJ , grâce au théorème de factorisation de
−1

Dedekind. Il vient i(I) = i(α)i(J) 6 π4 5 < 3, et donc i(I) = 1 ou 2. Si i(I) = 1 on a
I = A. Si i(I)
√ = 2 alors I est premier (car l'indice est √ (2), donc
√ multiplicatif ) et contient
I = (2, 1 + √−5). Ainsi J est équivalent, dans Cl(Z[ −5]), à A ou à (2, 1 + −5), et on
a donc Cl(Z[ −5]) = Z/2Z.

Remarque culturelle. (sur les courbes elliptiques)  Les équations x2 + N = y 3 que


nous avons étudiées ici dénissent chacune une courbe elliptique, dont nous avons étudié
les points entiers rationnels. L'ensemble des solutions complexes d'une telle équation est
naturellement muni d'une structure de groupe abélien (il faut rajouter un point à l'inni)
et l'ensemble des solutions rationnelles en est un sous-groupe. Un théorème célèbre de
Mordell arme que ce sous-groupe est de type ni. Dans les cas que nous avons regardés
ci-dessus il était même ni (i.e. de rang nul). Mais pour N = 25, 20 ou −10 il est inni et
de rang 1, pour N = −63 il est même de rang 2.

1.1.7 Une pathologie. Les exemples ci-dessus avaient pour but de montrer comment
certains concepts de la théorie des anneaux (irréductibilité, factorialité, clôture intégrale,
idéaux) sont nés parce qu'ils se sont révélés utiles pour résoudre des problèmes de théorie
des nombres d'apparence plus élémentaire. D'où l'intérêt de développer une théorie systé-
matique des anneaux commutatifs comme nous allons le faire dans ce cours. Cependant,
loin des jolies propriétés des anneaux de nombres, nous allons aussi rencontrer beaucoup
de pathologies. Voici par exemple un exemple d'anneau pourtant naturel qui ne possède
aucun élément irréductible !

Exemple.  Soit Z ⊂ C l'ensemble de tous les entiers algébriques. C'est un sous-anneau


de C (exercice : le prouver). Notons que ce n'est pas un corps : par exemple 1/n pour n > 1
entier n'est jamais entier algébrique (le vérier). Soit z ∈ Z non nul et non inversible, et soit

z une racine carrée de z dans C (qui est algébriquement clos !). C'est encore√ un √ élément
de Z, non nul et non inversible dans Z (justier). Mais alors l'égalité z = z · z montre
que z n'est pas irréductible. Ainsi Z ne possède aucun élément irréductible.

Nous montrerons plus tard que pour les anneaux noethériens, cette pathologie n'appa-
rait pas ; tout élément non nul et non inversible y est produit d'irréductibles.

1.1.8 Anneaux de la géométrie algébrique classique. Une autre source de motivation


pour la théorie des anneaux est la géométrie algébrique. La géométrie algébrique classique,
développée notamment par Hilbert puis par l'école italienne au début du XXème siècle,
n
étudie les sous-ensemble de C dénis par des équations polynomiales (ainsi que leurs
variantes projectives dont nous ne parlerons pas ici). Un tel ensemble est donc déni par
une famille de polynômes à n variables f1 , · · · , fr ∈ C[X1 , · · · , Xn ] comme suit :

V (f1 , · · · , fr ) := {(z1 , · · · , zn ) ∈ Cn , f1 (z, · · · , zn ) = · · · = fr (z1 , · · · , zn ) = 0}.

10
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Un tel sous-ensemble sera appelé  sous-ensemble algébrique ou fermé de Zariski de Cn .


On aimerait étudier ce genre d'ensembles de manière intrinsèque, c'est-à-dire de manière
indépendante des données auxiliaires utilisées pour le dénir, à savoir n et les polynômes
3 2
Par exemple, on aimerait pouvoir identier la courbe plane d'équation X − Y
fi . =0
2 3 3
dans C avec le sous-ensemble algébrique de C déni par les équations f1 = X − Z et
f2 = Y 2 − Z , comme l'intuition nous le dicte. Pour cela, il faut une notion d'isomorphisme,
et pour commencer, une notion de morphisme entre ensembles algébriques. Une notion
naturelle naïve est celle d'application polynomiale.

Définition. 
0
Soient V ⊂ Cn et V 0 ⊂ Cn deux sous-ensembles algébriques. Une
0
application ϕ : V −→ V est dite polynomiale si elle est la restriction d'une application
0
polynomiale ϕ̃ : Cn −→ Cn , c'est-à-dire de la forme
0
(z1 , · · · , zn ) ∈ Cn 7→ (f1 (z1 , · · · , zn ), · · · , fn0 (z1 , · · · , zn )) ∈ Cn
pour des polynômes f1 , · · · , fn0 ∈ C[X1 , · · · , Xn ]..
Cas particulier : une fonction polynomiale sur V est une application polynomiale
V −→ C en le sens précédent. L'ensemble O(V ⊂ Cn ) des fonctions polynomiales sur
V est manifestement une
C-algèbre (via l'addition et la multiplication point par point des
0
fonctions). Notons-le abusivement O(V ) pour simplier. Si ϕ : V −→ V est une applica-
0
tion polynomiale, il découle de ces dénitions que la composition des fonctions f 7→ ϕ ◦ f
induit un morphisme de C-algèbres

ϕ∗ : O(V 0 ) −→ O(V ), f 0 7→ f 0 ◦ ϕ̃.


Nous expliquerons plus tard le résultat remarquable suivant :

Théorème.  ∗
L'application ϕ 7→ ϕ induit une bijection entre l'ensemble des applica-
0 0
tions polynômiales V −→ V et l'ensemble des morphismes de C-algèbres O(V ) −→ O(V ).

Ce résultat suggère qu'étudier les ensembles algébriques et les applications polyno-


miales entre eux revient à étudier certaines C-algèbres et les homomorphismes d'algèbres
entre elles. C'est pourquoi l'algèbre commutative joue un rôle prépondérant en géométrie
algébrique.
On peut se demander quelles algèbres sont des algèbres de fonctions polynomiales sur
un ensemble algébrique. Par dénition O(Cn ) est engendrée, en tant que C-algèbre par les
n
fonctions coordonnées z1 , · · · , zn . Toujours par dénition, pour V ⊂ C , l'application de
restriction des fonctions
O(Cn ) −→ O(V ), f 7→ f|V
est surjective. Ceci montre que O(V ) est une C-algèbre de type ni, c'est-à-dire engendrée
par un nombre ni d'éléments. De plus, elle possède la propriété d'être réduite, au sens où
∗ k
pour f ∈ O(V ) et k ∈ N , f = 0 ⇒ f = 0.
Réciproquement, soit A une C-algèbre de type ni réduite. Si on choisit des générateurs
x1 , · · · , xn de A, on obtient un morphisme surjectif de C-algèbres
C[X1 , · · · , Xn ] −→ A, Xi 7→ xi .

11
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Soit I le noyau de ce morphisme. C'est un idéal de C[X1 , · · · , Xn ]. Nous démontrerons le


théorème suivant, dû à Hilbert.

Théorème.  L'idéal I est engendré par un nombre ni de fonctions, disons f1 , · · · , fr .


Ces fonctions dénissent un sous-ensemble algébrique V = V (f1 , · · · , fr ). Le noyau de
n
l'application de restriction O(C ) −→ O(V ) est justement I , de sorte que O(V ) = A.
Ainsi l'objet intrinsèque sous-jacent d'un ensemble algébrique V
est son algèbre de
n
fonctions polynomiales O(V ). Et se donner V comme sous-ensemble algébrique d'un C
revient à se donner une surjection C[X1 , · · · , Xn ] −→ O(V ).
Pour illustrer les liens entre V et O(V ), voici comment retrouver les points de V à
partir de O(V ). On remarque d'abord que pour tout sous-ensemble E ⊂ V , l'ensemble
IE des fonctions polynomiales f ∈ O(V ) qui s'annulent en tout point x ∈ E est un idéal
de O(V ) (le vérier). Inversement, on peut associer à tout idéal I de O(V ) le lieu EI des
points x ∈ V qui annulent toutes les fonctions dans I . Remarquer qu'il n'est pas clair que
ce lieu soit non vide. Nous démontrerons néanmoins le célèbre Nullstellensatz de Hilbert :

Théorème.  Les application E 7→ IE et I 7→ EI induisent des bijections réciproques


entre l'ensemble des singletons de V (qu'on identie évidemment à V ) et l'ensemble des
idéaux maximaux de O(V ).
Remarque.  On ne peut pas retrouver la topologie usuelle de V , mais on peut retrouver
la topologie de Zariski de V , dont les fermés sont justement
T les sous-ensembles algébriques
(exercice : montrer que EI1 ∪ EI2 = EI1 ∩I2 et que i EIi = EPi Ii ). On a en eet la version
un peu plus forte du Nullstellensatz :

Théorème.  Les applications I 7→ EI


E 7→ IE dénissent des bijections réciproques
et
entre l'ensemble des sous-ensembles algébriques de V et celui des idéaux radiciels de O(V ).

Un idéal I d'un anneau (commutatif ) A ∀f ∈ A, f k ∈ I ⇒ f ∈ I .


est dit radiciel si
On peut donc retrouver V muni de sa topologie de Zariski comme l'ensemble Max(O(V ))
muni de la topologie (aussi appelée de Zariski) dont les fermés sont les ensemble M (I) =
{m, m ⊃ I}.
Signalons enn que les propriétés géométriques de V peuvent se lire sur son algèbre de
fonctions : ses espaces tangents, sa dimension, ses composantes connexes, est-ce une variété
lisse (au sens de la géométrie diérentielle) ou non, etc. À titre d'exemple, la courbe plane
2
d'équation Y = X 3 n'est pas une variété lisse car elle a une singularité en 0 (dessiner
les points réels ). La contrepartie est que l'anneau O(V ) n'est pas intégralement clos. Par
contre toute courbe dont l'anneau de fonctions polynomiales est intégralement clos est une
variété lisse.

1.1.9 La géométrie algébrique moderne. La dualité entre sous-ensembles algébriques


n
de C et C-algèbres réduites de type ni est le prémice d'une vaste refondation de la
géométrie algébrique opérée par Grothendieck et ses élèves à partir des années 1960. Dans
leur langage, tout anneau est l'anneau des fonctions d'un objet géométrique appelé schéma.

12
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Le schéma associé à un anneau A est un espace topologique appelé spectre de A. C'est


l'ensemble des idéaux premiers de A muni de la topologie de Zariski. En particulier chaque

anneau de la théorie des nombres, comme Z[ −5] par exemple, dénit un schéma, et le
langage de Grothendieck fournit un cadre commun à la théorie des nombres algébrique et
à la géométrie algébrique. La théorie des schémas va au-delà du contenu de ce cours, mais
ce cours fournit les fondements d'algèbre commutative nécessaires pour cette théorie.

1.2 Généralités sur les anneaux commutatifs


Ici tous les anneaux seront supposés commutatifs, sauf mention du contraire.

1.2.1 L'anneau nul. Pour un anneau (unitaire) (A, +, ·), l'axiome de distributivité
implique que pour tout a on a a · 0 = a · (0 + 0) = a · 0 + a · 0, donc a · 0 = 0. Il s'ensuit que
si on a 0=1 (ce que nous n'avons pas exclu), alors A = {0}. On peut bien-sûr exclure ce
cas pathologique, mais il sera pratique de ne pas l'exclure lorsqu'on parlera de quotients.

1.2.2 Sous-anneau. Un sous-ensemble B d'un anneau A est appelé sous-anneau s'il


est non vide, stable par soustraction, par multiplication, et contient 1.

1.2.3 (Homo)morphismes. Un morphisme d'anneaux est une application ϕ : A −→ A0


qui respecte la structure d'anneaux au sens où :
0 0 0 0
 ∀a, a ∈ A, ϕ(a + a ) = ϕ(a) + ϕ(a ) et ϕ(aa ) = ϕ(a)ϕ(a0 ).
 ϕ(1) = 1.
0
Il découle de cette dénition que l'image d'un morphisme d'anneau A −→ A est un
0
sous-anneau de A .
0
Comme d'habitude, un isomorphisme d'anneaux ϕ : A −→ A est, par dénition, un
0
morphisme qui admet un inverse à gauche et à droite, c'est-à-dire un morphisme ψ : A −→
A tel que ϕ ◦ ψ = idA0 et ψ ◦ ϕ = idA .
Lemme.  Un morphisme est un isomorphisme si et seulement si il est bijectif en tant
qu'application.

Démonstration. Un isomorphisme est clairement bijectif. Réciproquement, supposons que


−1
ϕ soit bijectif ; il nous sut de voir que la bijection réciproque ϕ est un morphisme
d'anneaux. C'est une vérication immédiate.

Définition.  Soit A un anneau (commutatif ). Une A-algèbre est une paire (B, ψ)
formée d'un anneau B et d'un morphisme d'anneaux ψ : A −→ B . Un morphisme de
A-algèbres entre (B, ψ) et (B 0 , ψ 0 ) est un morphisme d'anneaux ϕ : B −→ B 0 tel que
ϕ ◦ ψ = ψ0.
Cette dénition généralise la notion d'algèbre sur un corps. On a parfois tendance, par
abus, à oublier le ψ de la notation. Par exemple on dira simplement soit B une C-algèbre
plutôt que Soit (B, ψ) une C-algèbre.

13
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Remarque.  Pour tout anneau A, il existe un unique morphisme d'anneaux Z −→ A.


Il envoie n ∈ Z sur n × 1 (où n × − est la multiplication par n dans le groupe abélien A).
Ainsi, tout anneau est, de manière unique, une Z-algèbre.

1.2.4 Produits d'anneaux. Soient A et A0 deux anneaux. On munit le produit cartésien


0
A×A d'une structure d'anneau appelée anneau produit en posant :

(a, a0 ) + (b, b0 ) := (a + b, a0 + b0 ) et (a, a0 ) · (b, b0 ) = (ab, a0 b0 ).

L'élément neutre de l'addition est (0, 0) et celui de la mutiplication est (1, 1). Si les deux
anneaux sont non nuls, le produit A × A0 n'est pas intègre, puisque (1, 0) · (0, 1) = (0, 0).
Exercice.  Vérier que chacune des deux projections d'un produit A × A0 sur un de
0
ses facteurs A ou A est un morphisme d'anneaux. Si
0
ψ : B −→ A et ψ : B −→ A0 sont
deux morphismes d'anneaux, vérier que

(ψ, ψ 0 ) : B −→ A × A0 , b ∈ (ψ(b), ψ 0 (b))

est un morphisme d'anneaux. Montrer que tout morphisme Ψ :, B −→ A × A0 est de cette


forme.

En revanche, l'application ϕ : A −→ A × A, a 7→ (a, 0) est bien additive et multiplica-


tive mais envoie 1 sur (1, 0) : ce n'est pas un morphisme d'anneaux.

Exemple.  Le théorème des restes chinois nous dit que pour pgcd(n, m) = 1, l'appli-
cation produit

Z/nmZ −→ Z/nZ × Z/mZ, a(modnm) 7→ (a(mod n), a(mod m))

est un isomorphisme d'anneaux de Z/nmZ sur le produit de Z/nZ et Z/mZ.

1.2.5 Idempotents. Dans un anneau A, un élément e est dit idempotent si on a e2 = e.


Dans ce cas, le sous-ensemble eAe hérite d'une structure d'anneau dont l'addition et la
multiplication sont induites par celles de A, et l'élément neutre pour la multiplication est
e.
Remarque.  eAe n'est pas un sous-anneau de A, car il n'a pas le même élément neutre
pour la multiplication (sauf si e = 1).
Lorsque A est commutatif (ou plus généralement lorsque e est central, i.e. commute à
tous les éléments deA) on a simplement eAe = Ae.
L'élément1 − e est aussi un idempotent de A et on a une décomposition en somme
directe d'idéaux A = Ae ⊕ A(1 − e) (noter que la multiplication par e est un projecteur
comme on en rencontre en algèbre linéaire). Cette décomposition identie A au produit des
anneaux Ae et A(1 − e). Plus précisément, l'application

A −→ Ae × A(1 − e), a 7→ (ae, a(1 − e))

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est un isomorphisme d'anneaux, au sens rappelé ci-dessous. Son inverse est (x, y) 7→ x + y .
Exemple.  Soient n et m entiers et premiers entre eux. Choisissons u, v ∈ Z tels que
un + vm = 1. En multipliant cette égalité par un, on voit que (un)2 ≡ un(mod nm). Donc
l'image e de un dans Z/nmZ est un idempotent. De plus on a (Z/nmZ)e = nZ/nmZ
qui est isomorphe (au sens ci-dessous) à Z/mZ, et de même (Z/nmZ)(1 − e) = mZ/nmZ
qui est isomorphe à Z/nZ. On retrouve ainsi le théorème des restes chinois Z/nmZ '
Z/nZ × Z/mZ.
Exercice. (interprétation géométrique)  Soit X un espace topologique et A = C(X, C)
la C-algèbre de ses fonctions continues. Montrer que X est connexe si et seulement si les
seuls idempotents de A sont 1 et 0.
Remarque.  Il est aussi vrai qu'un sous-ensemble algébrique V est connexe (pour
sa topologie de Zariski dénie plus loin, ou pour la topologie usuelle induite de Cn ) si et
seulement si les seuls idempotents de son algèbre de fonctions O(V ) sont 0 et 1. Néanmoins,
la preuve de la réciproque requiert la conséquence suivante du Nullstellensatz : si I est un
idéal propre de O(V ), alors V (I) 6= ∅.
Définition.  Deux idempotents e1 , e2 sont dits orthogonaux si e1 e2 = e2 e1 = 0. Un
idempotent est dit primitif s'il n'est pas somme de deux idempotents orthogonaux non nuls.

On montrera plus tard en TD que les composantes connexes d'un sous-ensemble algé-
brique sont en bijection avec les idempotents primitifs de son algèbre O(V ).

1.2.6 Diviseurs de zéro, éléments réguliers, anneaux intègres. Un élément a non nul
d'un anneau est appelé diviseur de 0 s'il existe a0 non nul tel que aa0 = 0. Un élément
a non nul et non diviseur de zéro est dit régulier. Un anneau intègre est un anneau sans
diviseur de zéro, c'est-à-dire tel que ab = 0 ⇒ a = 0 ou b = 0. Dans un anneau intègre, on
peut simplier les égalités :
a 6= 0 et ab = ac ⇒ b = c,
même si a n'admet pas d'inverse.

Exemple.  Il est clair qu'un sous-anneau d'un anneau intègre est intègre. Par ailleurs,
tout corps est évidemment un anneau intègre. Il s'ensuit que les anneaux d'entiers algé-
briques sont toujours intègres.

Exercice.  Pour quels N >0 l'anneau Z/N Z est-il intègre ?

Exercice.  Soit K un corps. Montrer qu'une K -algèbre A (commutative) de dimension


nie intègre est un corps. Considérer la multiplication par a 6= 0 dans A comme un endomorphisme K -linéaire de A.

Exemple.  Considérons le sous-ensemble algébrique V d'équation X1 X2 = 0 dans C2 .


2
C'est la réunion des deux axes X1 = 0
X2 = 0. La fonction
et polynomiale X1 : C −→
C, (z1 , z2 ) 7→ z1 induit une fonction polynomiale x1 sur V visiblement non nulle. De même,
X2 induit une fonction non nulle x2 sur V . Mais par dénition de V , la fonction x1 x2 y

15
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est partout nulle. Ainsi, x1 et x2 sont des diviseurs de zéro dans l'anneau O(V ), qui n'est
donc pas intègre.

Interprétation géométrique. Plus généralement, soit V ⊂ Cn un sous-ensemble algé-


brique. On dit que V est irréductible s'il n'est pas réunion de deux sous-ensembles algé-
briques stricts. Certains auteurs appellent sous-variété algébrique un sous-ensemble algé-
brique irréductible (d'autres appellent sous-variété tout sous-ensemble algébrique...).

Proposition.  V est irréductible si et seulement si O(V ) est intègre.

Démonstration. Supposons V f1 , f2 ∈ O(V ) deux fonctions polyno-


irréductible et soient
miales telles que f1 f2 = 0. Alors V est réunion V = V (f1 ) ∪ V (f2 ) des deux sous-ensembles
algébriques (i.e. fermés de Zariski) V (fi ) = {z ∈ V, fi (z) = 0}, i = 1, 2. Donc, par irré-
ductibilité, il existe i tel que V (fi ) = V . On a donc fi = 0 et il s'ensuit que O(V ) est
intègre.
Réciproquement, supposons que V V = V1 ∪ V2 de deux sous-ensembles
est union
algébriques stricts. Ainsi V1 V (f1 , · · · , fr ) avec fi ∈ O(V ). Choisissons
est de la forme
alors z2 ∈ V2 \ V1 ; par dénition, il existe i tel que fi (z2 ) 6= 0. De même, on peut trouver
un élément z1 ∈ V1 et une fonction polynomiale g ∈ O(V ) qui s'annule sur V2 et pas sur
z1 . Alors la fonction produit gfi est partout nulle, i.e. gfi = 0 dans O(V ), ce qui montre
que O(V ) n'est pas intègre.

1.2.7 Éléments nilpotents, anneaux réduits. Un élément x ∈ A est dit nilpotent s'il
k
existe un entier k∈N tel que x = 0. En particulier, si x est nilpotent et non nul, il est
k
diviseur de zéro. On appelle ordre de nilpotence de x le plus petit entier k tel que x = 0.
Un anneau est dit réduit s'il ne possède pas d'élément nilpotent non nul. Ainsi, pour un
anneau, on a intègre ⇒ réduit.

Exemple.  Regardons le cas Z/N Z. Si N est de la forme N = pν pour un nombre


premier p et un entier ν > 0, on a par dénition que p est nilpotent d'ordre ν dans Z/N Z.
On constate alors que
ν
 si ν = 1, Z/p Z est un corps (donc intègre et réduit).
ν ν
 si ν > 1, Z/p Z n'est pas réduit et l'ensemble de ses éléments nilpotents est pZ/p Z.
Q νp (N )
Plus généralement, en factorisant N = pp et en utilisant le théorème des restes
chinois rappelé ci-dessous, on voit que Z/N Z est réduit si et seulement si N ne possède
aucun facteur carré, c'est-à-dire si νp (N ) = 1 pour tout p.
Remarque.  La notion de nilpotence n'est pas une pathologie qu'on préfère éviter et
trouve des applications intéressantes en géométrie algébrique à la Grothendieck. Pour en
donner un aperçu, on peut remarquer que si m = (X1 , · · · , Xn ) désigne l'idéal maximal de
A = C[X1 , · · · , Xn ] en (0, · · · , 0), alors l'image d'un polynôme f ∈ A dans le quotient 5
A/m = C est la valeur en 0 tandis que celle dans le quotient A/m2 = (A/m) ⊕ (m/m2 )
5. cette remarque suppose de savoir ce qu'est un anneau quotient, notion qui sera vue ou revue un peu
plus loin

16
Ecole Normale Supérieure FIMFA

donne aussi la diérentielle en 0 si on identie m/m2 ' CX̄1 ⊕· · ·⊕CX̄n à l'espace cotangent
(au sens usuel de la géométrie diérentielle) via X̄i 7→ dxi . (À méditer ! !)

1.2.8 Idéaux. On a déjà rappelé ce qu'est un idéal d'un anneau A. En particulier, A


est un idéal de lui-même. On dira qu'un idéal est propre s'il est distinct de A. Aussi, {0}
est un idéal, appelé idéal nul. La source principale d'idéaux vient du lemme suivant :

Lemme.  Le noyau Ker(ϕ) := ϕ−1 ({0}) d'un homomorphisme d'anneaux ϕ : A −→


0
A est un idéal de A.
Démonstration. Laissée au lecteur.

Inversement, nous verrons plus loin que tout idéal de A est le noyau d'un morphisme
d'anneaux de source A, et même d'un morphisme surjectif.

ϕ−1 (I 0 ), d'un idéal de A0 est


Exercice.  Montrer plus généralement que l'image inverse
un idéal de A. Montrer avec un contre-exemple que l'image ϕ(I) d'un idéal de A n'est pas
0
nécessairement un idéal de A . Montrer tout de même que si ϕ est surjectif alors l'image
ϕ(I) d'un idéal est un idéal.
Exemple. (Nilradical)  L'ensemble N (A) des éléments nilpotents de A est un idéal,
appelé nilradical de A. La stabilité de N (A) par multiplication par A est claire puisque
A est commutatif, et
n
 k n−k de N (A) par addition se voit en utilisant la formule du
P la nstabilité
binôme (x + y) = k k x y qui montre que si n est supérieur à la somme des ordres
n
de nilpotence de x et y , alors (x + y) = 0.

Exercice. (radical d'un idéal)  Soit I un idéal d'un anneau de A. Posons


I := x ∈ A, ∃k ∈ N∗ , xk ∈ I .


√ p
Montrer que I est un idéal contenant I (on pourra remarquer que
√ {0} = N (A) et

essayer d'adapter l'argument précédent). Calculer I lorsque A=Z et I = N Z.

1.2.9 Idéal engendré par un sous-ensemble. Comme l'intersection de deux idéaux est
encore un idéal, on peut parler du plus petit (pour l'inclusion) idéal contenant un sous
ensemble E de A E . On l'appelle idéal
: c'est l'intersection de tous les idéaux contenant
engendré par E . Explicitement, c'est l'ensemble des x ∈ A de la forme x = a1 e1 + · · · + ar er

où r ∈ N , les ei sont dans E , et les ai sont dans A. Lorsque E = {x1 , · · · , xn }, on note en
général cet idéal (x1 , · · · , xn ). On dit qu'un idéal est
 de type ni s'il est engendré par une famille nie d'éléments de A.
 principal s'il est engendré par un seul élément (on peut aussi dire monogène ).

1.2.10 Opérations sur les idéaux. Soient I, J deux idéaux d'un anneau A. On a déjà
déni la somme I + J et le produit I · J de ces idéaux. Rappelons simplement que I + J est
l'idéal engendré par I ∪ J , tandis que I · J est l'idéal engendré par les éléments ij , i ∈ I ,
J ∈ J. Bien que cela puisse être ambigu, nous noterons souvent IJ au lieu de I · J .

17
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Remarque.  Si I = (a1 , · · · , ar ) et J = (b1 , · · · , bs ), alors I +J = (a1 , · · · , ar , b1 , · · · , bs )


et IJ = (a1 b1 , · · · , ar b1 , a1 b2 , · · · , ar b2 , · · · , ar bs )
On a bien sûr les inclusions d'idéaux I ⊂ I + J, J ⊂ I + J et IJ ⊂ I ∩ J.
Exercice.  Avec A = Z, I = nZ et J = mZ supposés propres et non nuls, montrer que

IJ = nmZ, I ∩ J = ppcm(n, m) · Z, I + J = pgcd(n, m) · Z.

Remarque.  Dans un anneau A général, il n'est pas vrai que si√deux éléments a, b n'ont
pas de diviseur commun alors (a) + (b) = A. Par exemple dans Z[ −5], on a vu que l'idéal

p = (2) + (1 + −5) est propre, puisque p2 = (2).
Application à la topologie de Zariski de Cn . Nous montrerons plus tard que tout idéal I
n
de C[X1 , · · · , Xn ] est de type ni. Il s'ensuit que les sous-ensembles algébriques de C sont
n
exactement les sous-ensembles de la forme V (I) = {z ∈ C , ∀f ∈ I, f (z) = 0}. Mais alors,
P T
on vérie facilement que V (IJ) = V (I) ∪ V (J) et V ( k∈E Ik ) = k∈E V (Ik ). Puisqu'on
n
a aussi V ({0}) = C et V ((1)) = ∅, on en déduit que les V (I) sont les fermés d'une
n
topologie, dite topologie de Zariski, sur C . Cette topologie est beaucoup plus grossière
que la topologie usuelle, et en particulier n'est pas Hausdor.

1.2.11 Idéaux premiers et maximaux. On dit d'un idéal I dans un anneau commutatif
A qu'il est :
 maximal s'il est maximal pour l'inclusion parmi les idéaux propres de A (i.e. dis-
tincts de A).
 premier s'il est propre et si ∀x, y ∈ A, xy ∈ I ⇒ (x ∈ I ou y ∈ I).
 radiciel s'il est propre et si ∀x ∈ A, (∃k ∈ N∗ , xk ∈ I ) ⇒ x ∈ I .
Lemme.  Pour un idéal I, on a I maximal ⇒I premier ⇒I radiciel.

Démonstration. Supposons I x, y ∈ A tels que xy ∈ I , et considérons


maximal, soient
l'idéal (x) + I . I par maximalité de I et on a alors
Si c'est idéal est propre il est égal à
x ∈ I . S'il n'est pas propre, on a (x) + I = A, donc on peut écrire 1 = ax + i avec i ∈ I
et a ∈ A, d'où l'égalité y = axy + iy qui montre que y ∈ I . On a donc montré que I est
premier. L'autre implication est immédiate.

Exemple.  Dans Z, tout idéal est principal, donc de la forme nZ pour un unique n > 0.
Un tel idéal est propre si n 6= 1. Dans ce cas, il est premier si et seulement si n est premier,
auquel cas il est aussi maximal. Par ailleurs, il est radiciel si et seulement si n est sans
facteur carré (exercice).

Exemple.  Un anneau A est intègre si et seulement si son idéal nul I = {0} est premier.
Exemple.  Dans l'anneau A = C[X, Y ], l'idéal (X) est premier mais non maximal,
puisque contenu dans (X, Y ). Ce dernier est par contre maximal. En eet, pour tout
polynôme f = f (X, Y ), on a f ∈ f (0, 0) + (X, Y ), et donc f (0, 0) ∈ (f, X, Y ). Donc si
f∈/ (X, Y ), le nombre f (0, 0) (vu comme polynôme de degré 0) est non nul donc inversible

18
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dans C[X, Y ] et l'idéal (f, X, Y ) contient un inversible donc est égal à C[X, Y ]. Il s'ensuit
que (X, Y ) n'est contenu dans aucun idéal propre.
Remarque.  Dans l'anneau C[X1 , · · · , Xn ] on dispose d'une chaîne d'idéaux premiers
emboités
(0) ⊂ (X1 ) ⊂ (X1 , X2 ) ⊂ · · · ⊂ (X1 , · · · , Xn ).
La longueur de cette chaîne est n
et on peut montrer que toute autre chaîne maximale
d'idéaux premiers est aussi de longueur n. On peut donc retrouver la dimension n de Cn à
n
partir de considérations relevant exclusivement de la théorie des anneaux sur O(C ).

Topologie de Zariski abstraite. On note généralement Spec(A) l'ensemble des idéaux


premiers de A. Il est muni d'une topologie dont les fermés sont les

V (I) := {p ∈ Spec(A), p ⊃ I}

A. En eet, on a V (A) = ∅, V ({0}) = Spec(A), on vérie sans peine que


P I idéal de T
pour
V ( k∈E Ik ) = k∈E V (Ik ) et on vérie aussi que V (IJ) = V (I) ∪ V (J) en utilisant la
propriété d'être premier. Cette topologie n'est pas Hausdor.
L'ensemble Max(A) hérite de la topologie induite par celle de Spec(A), qui peut aussi se
dénir directement de manière analogue. On montre (exercice) que Max(A) est l'ensemble
des points fermés de Spec(A) (i.e. dont le singleton associé est fermé). On peut faire le
n n
lien avec la topologie de Zariski concrète sur C de la manière suivante. A tout z ∈ C
n
on associe un idéal mz = {f ∈ O(C ), f (z) = 0}. Cet idéal est maximal (exercice) et on a
ι
I ⊂ mz ⇔ (∀f ∈ I, f (z) = 0). Ainsi l'application Cn −→ Max(O(Cn )) ainsi obtenue est
injective et continue. Le Nullstellensatz, que l'on démontrera plus tard, arme qu'elle est
bijective et il s'ensuit aisément que c'est un homéomorphisme.

Exercice.  Soitϕ : A −→ B un morphisme d'anneaux et I un idéal de B . Montrer que


I premier ⇒ ϕ (I) premier. Montrer que l'application ϕ−1 : Spec(B) −→ Spec(A) ainsi
−1

obtenue est continue pour les topologies de Zariski.


−1
Trouver un exemple où I est maximal et ϕ (I) ne l'est pas. Ce défaut de fonctorialité
de Max explique que l'on préfère souvent travailler avec Spec. Néanmoins, nous verrons
que si A et B sont des algèbres de type ni sur un corps, alors l'image réciproque d'un idéal
maximal est un idéal maximal. Nous verrons aussi (peut-être) que dans ce cas, Max(A)
est dense dans Spec(A) et qu'il n'y a donc pas grande diérence à travailler avec l'un ou
l'autre.

Théorème. (utilise l'axiome du choix)  Tout anneau possède un idéal maximal.

Démonstration. Le lemme de Zorn est un résultat de théorie des ensembles équivalent à


l'axiome du choix qui arme la chose suivante : si dans un ensemble ordonné (E, 6), toute
chaîne (= sous-ensemble totalement ordonné) possède un majorant, alors E possède un
élément maximal. Soit A un anneau et E l'ensemble de ses idéaux propres, ordonné par
inclusion. Si
S 1I ⊂ I2 ⊂ · · · ⊂ In ⊂ · · · est une suite croissante d'idéaux, alors le sous-
ensemble i∈N Ii de A est un idéal qui contient chaque Ii et qui est propre puisqu'il ne

19
Ecole Normale Supérieure FIMFA

contient pas 1. C'est donc un majorant, dans E, de cette suite. Le lemme de Zorn nous
arme donc l'existence d'un élément maximal dans E, comme voulu.

1.2.12 Anneaux quotients. Voici une construction fondamentale qu'il est important
de bien comprendre. Soit A un anneau et I un idéal de A. On munit l'ensemble A de la
relation d'équivalence dénie par

x ≡ y (mod I) si et seulement si x − y ∈ I.

Les classes d'équivalence pour cette relation sont donc de la forme x + I = {x + i, i ∈ I}


pour x ∈ A. On note A/I l'ensemble des classes d'équivalences, appelé ensemble quotient
de A par cette relation d'équivalence, et πI : A −→ A/I la projection canonique qui envoie
x sur sa classe d'équivalence. Nous noterons indiéremment selon l'humeur πI (x), x, x + I ,
x (mod I), l'image de x dans A/I .
Proposition.  Il existe une unique structure d'anneau commutatif sur A/I telle que
πI soit un morphisme d'anneaux.

Démonstration. L'unicité découle de la surjectivité de πI . En eet, la contrainte que πI


soit un morphisme d'anneaux force les identités

x+y =x+y et x · y = xy.

Reste à voir que ceci est bien déni et satisfait les axiomes qui dénissent un anneau. Pour
0 0
voir que c'est bien déni, il faut vérier que pour x ≡ x (mod I) et y ≡ y (mod I), on a
(x+y) ≡ (x0 +y 0 ) (mod I) et xy ≡ x0 y 0 (mod I). Ceci est immédiat ; vérions par exemple la
0 0 0 0 0 0 00
deuxième relation : si on écrit x = x+i et y = y +i avec i, i ∈ I , on voit que x y = xy +i
00 0 0
avec i = (iy + i x + ii ) ∈ I .
De même on vérie sans diculté que les deux lois ainsi construites font de A/I un
anneau avec pour éléments neutres 0 et 1.
L'anneau A/I est appelé anneau quotient de A par I.
Exemple.  l'anneau bien connu Z/nZ est le quotient de Z par l'idéal (n) = nZ.
Exemple.  Si I = A, le quotient A/I est l'anneau nul.

On a la correspondance suivante entre propriétés de I et propriétés de A/I .


Proposition.  Soit A un anneau commutatif et I un idéal de A.
i) I est maximal si et seulement si A/I est un corps.

ii) I est premier si et seulement si A/I est intègre.

iii) I est radiciel si et seulement si A/I est réduit.

Démonstration. i) Supposons I maximal. On veut montrer que tout élément non nul de
A/I possède un inverse. Un tel élément est de la forme x = x+I avec x ∈
/ I. Par

20
Ecole Normale Supérieure FIMFA

maximalité de I , on a I + (x) = A donc il existe i∈I et y∈A tels que i + xy = 1. Alors


xy ≡ 1 (mod I) donc yx = 1 et x possède A/I . Ce dernier est donc
bien un inverse dans
un corps. Réciproquement, supposons que A/I est un corps, et soit J un idéal contenant
strictement I . On doit montrer que J = A. Choisissons un élément j ∈ J/I . Son image j
dans A/I admet un inverse a pour a ∈ A et on a donc aj ∈ 1 + I . Il s'ensuit que 1 ∈ (j) + I
donc (j) + I = A et a fortiori J = A.
ii) Pour deux éléments x, y ∈ A on a les équivalences x = 0 ⇔ x ∈ I , y = 0 ⇔ y ∈ I
et xy = 0 ⇔ xy ∈ I . Le point ii) découle donc immédiatement des dénitions. De même
pour iii).

Exercice.  Montrer que l'application J 7→ πI−1 (J) induit une bijection


{idéaux de A/I} −→ {idéaux I} de A contenant

0 0 −1
√ √
dont la bijection réciproque est I 7→ πI (I ). Montrer que πI ( 0) = I . Montrer que
cette bijection induit un homéomorphisme de Spec(A/I) sur le fermé V (I) de Spec(A).

1.2.13 Propriété universelle des quotients. Lorsqu'on travaille avec des anneaux quo-
tients, on utilise très rarement la dénition en termes d'ensemble de classes d'équivalence.
Il est beaucoup plus ecace d'utiliser la propriété universelle suivante.

Proposition.  Pour tout morphisme d'anneaux ϕ : A −→ A0 tel que I ⊂ Ker(ϕ), il


existe une unique factorisation ϕ = ϕ ◦ πI comme dans le diagramme suivant.

ϕ
A / 0
=A .
πI
 ϕ
A/I

De plus, ϕ est injectif si et seulement si I = Ker(ϕ).


Démonstration. L'unicité découle de la surjectivité de πI . En eet, si x ∈ A/I , on doit avoir
ϕ(x) = ϕ(x). Pour l'existence, il faut d'abord vérier que ceci dénit sans ambiguïté ϕ.
0 0 0
Pour cela, il faut vérier que si x ≡ x (mod I), on a bien ϕ(x) = ϕ(x ). Ecrivons x = x + i
0
avec i ∈ I . On a donc ϕ(x ) = ϕ(x) + ϕ(i) = ϕ(x) puisque i ∈ Ker(ϕ), comme voulu. On
a donc bien une factorisation d'applications ϕ = ϕ ◦ πI , et il reste à vérier que ϕ est bien
un morphisme d'anneaux. Mais ceci est clair vu la dénition de la structure d'anneau sur
A/I .
Montrons la dernière assertion. Supposons d'abord que ϕ est injective. Alors le fait
−1 −1
général Ker(ϕ) = πI (Ker(ϕ)) montre que Ker(ϕ) = πI ({0}) = I . Réciproquement,
supposons Ker(ϕ) = I . Pour tout x ∈ Ker(ϕ), le même fait général nous dit que x ∈ Ker(ϕ)
donc x∈I et x = 0 = 0.
Remarque. (Qu'est-ce qu'une propriété universelle ?)  Dans le langage méta-mathé-
matique, une propriété d'un objet est dite universelle si elle caractérise cet objet parmi

21
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6
tous les objets de la même catégorie . Autrement dit, un objet qui possède cette pro-
priété universelle est déterminé de manière unique à isomorphisme unique près (la notion
d'isomorphisme étant celle pertinente pour la catégorie d'objets considérée). Dans le cas
qui nous intéresse ici, la paire (A/I, π) (A, I) − Alg des A-algèbres
vit dans la catégorie
(B, ψ) telles que ψ(I) = 0 avec pour morphismes les morphismes de A-algèbres. La propo-
0
sition nous dit que cette paire possède la propriété suivante : pour toute A-algèbre (A , ϕ)
0 7
telle que ϕ(I) = 0, il existe un unique morphisme de A-algèbres A/I −→ A . Supposons
qu'une autre A-algèbre (B, ψ) avec ψ(I) = 0 vérie la même propriété. Alors en appliquant
0 π
cette propriété à (A , ϕ) = (A/I, πI ) on obtient un morphisme de A-algèbres B −→ A/I .
ψ
D'un autre côté la proposition nous fournit un morphisme de A-algèbres A/I −→ B . La
composition πψ est un endomorphisme de la A-algèbre A/I , mais la proposition nous dit
qu'il existe un unique tel endomorphisme. Comme l'identité est clairement un endomor-
phisme de A-algèbres, on doit donc avoir π ◦ ψ = idA/I . De même la propriété supposée
de(B, ψ) nous assure que ψ ◦ π = idB et on obtient ainsi un isomorphisme de A-algèbres
∼ 8
A/I −→ B qui est est de plus unique d'après la propriété ou la proposition.

Corollaire.  Tout morphisme d'anneaux ϕ : A −→ A0 admet une unique factori-


sation

ϕ : A  A/ Ker(ϕ) −→ Im(ϕ) ,→ A0
où la première èche est la projection canonique sur le quotient A/ Ker(ϕ).
On rappelle que le symbole  désigne une surjection, le symbole ,→ désigne une injec-

tion, et le symbole −→ désigne un isomorphisme.

Démonstration. En appliquant la proposition à I = Ker(ϕ), on obtient une factorisation


ϕ = ϕ ◦ πI . De plus, ϕ est injective, donc réalise un isomorphisme de sa source sur son
0
image Im(ϕ) = Im(ϕ), qui est un sous-anneau de A .

Exemple.  Soit V un sous-ensemble algébrique de Cn . Vu la dénition de l'algèbre des


n
fonctions polynomiales O(V ), l'application de restriction des fonctions O(C ) −→ O(V )

6. Le mot catégorie a en fait un sens mathématique précis. Informellement, une catégorie C est for-
mée d'une classe d'objets Ob(C) et d'une notion de morphismes entre ces objets, composables comme
on s'y attend. Plus précisément, on se donne pour chaque paire d'objets A, B un ensemble C(A, B) de
morphismes de A vers B , et pour chaque triplet A, B, C d'objets, une loi de composition associative
C(A, B) × C(B, C) −→ C(A, C) pour laquelle il existe dans chaque C(A, A) un élément neutre (à droite
et à gauche) généralement noté idA . Exemples : la catégorie des ensembles munis des applications, la
catégorie des espaces topologiques munis des applications continues, la catégorie des groupes abéliens mu-
nis des morphismes de groupes, la catégorie des anneaux munis des morphismes d'anneaux, la catégorie
des A-algèbres munies des morphismes de A-algèbres, etc. Dans une catégorie, un isomorphisme est un
morphisme qui admet un inverse à droite et à gauche.
7. En d'autres termes, l'objet (A/I, πI ) de (A, I) − Alg admet un unique morphisme vers tout autre
objet de (A, I) − Alg. On dit que c'est un objet initial de la catégorie (A, I) − Alg. Autres exemples : Z
est un objet initial dans la catégorie des anneaux. L'espace vectoriel nul est un objet initial de la catégorie
des espaces vectoriels sur C. L'ensemble vide est un objet initial de la catégorie des ensembles.
8. Ce raisonnement très général montre que dans une catégorie, un objet initial est unique à isomor-
phisme unique près, au sens où deux objets initiaux sont isomorphes d'une seule manière.

22
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est surjective. Soit I son idéal, elle induit donc un isomorphisme O(Cn )/I −→ O(V ) qui
présente O(V ) comme un quotient de l'algèbre de polynôme C[X1 , · · · , Xn ].

1.2.14 Morphismes entre quotients. Soit maintenant J ⊃I un idéal de A contenant


I. La propriété universelle du quotient A/I nous fournit une factorisation

Iπ J π
πJ : A −→ A/I −→ A/J.

Proposition.  L'image J/I := πI (J) de J dans A/I est un idéal et le morphisme


πJ induit un isomorphisme

(A/I)/(J/I) −→ A/J.
Démonstration. Puisque le morphisme πJ est surjectif, le morphisme πJ l'est aussi, et il
nous sut de voir que son noyau est donné par Ker(π J ) = πI (J) (ce qui démontrera au
−1
passage que πI (J) est bien un idéal). On a πI (Ker(π J )) = Ker(π J ◦ πI ) = Ker(πJ ) = J .
−1
Mais puisque πI est surjectif, on a Ker(π J ) = πI (πI (Ker(π J )) = πI (J).

Exemple.  On retrouve le fait bien connu que pour m|n l'application a 7→ a (mod m)
se factorise par un morphisme Z/nZ −→ Z/mZ via l'application a 7→ a (mod n) et induit

un isomorphisme (Z/nZ)/m(Z/nZ) −→ Z/mZ.
Variante : au lieu de partir de J ⊃ I , partons de J quelconque et appliquons la pro-
position à l'idéal I + J, qui contientI . On obtient une factorisation πI+J = π I+J ◦ πI avec
π I+J qui induit un isomorphisme


(A/I)/((I + J)/I) −→ A/(I + J).

1.2.15 Théorème des restes chinois. I , J deux idéaux de A. Le noyau du


Soient
morphisme A −→ A/I × A/J, a 7→ (a (mod I), a (mod J)) est visiblement égal à I ∩ J
donc, par la propriété universelle des quotients, ce morphisme se factorise via πI∩J par un
morphisme injectif
I J (π , π )
A/(I ∩ J) −→ A/I × A/J.
Proposition.  Le morphisme (π I , π J ) est surjectif (et donc bijectif ) si et seulement
si I + J = A. Dans ce cas, on a aussi IJ = I ∩ J et on obtient donc un isomorphisme

∼ ∼
A/IJ −→ A/(I ∩ J) −→ A/I × A/J.

Démonstration. Pour prouver la surjectivité de (π I , π J ) il faut montrer que pour tous


a, b ∈ A, l'intersection(a + I) ∩ (b + J) est non vide. En eet, si c'est le cas, pour tout c
dans cette intersection on a (c (mod I), c (mod J)) = (a (mod I), b (mod J)).
Supposons donc que I + J = A, et choisissons i ∈ I et j ∈ J tels que i + j = 1. Alors
l'élément c = aj + bi est dans (a + I) puisque c = a − ai + bi et dans (b + J) puisque
c = b − bj + aj . Il s'ensuit que (π I , π J ) est bien surjectif.

23
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Réciproquement, supposons que (π I , π J ) est surjectif. Alors en particulier il existe j ∈ A


tel que (1, 0) = (πI (j), πJ (j)), ce qui est équivalent à (j ∈ 1 + I et j ∈ J ). En posant
i = 1 − j , on a i ∈ I et i + j = 1 donc on obtient que I + J = A comme voulu.
Enn, il nous reste à vérier que IJ = I ∩ J . On a toujours l'inclusion IJ ⊂ I ∩ J , donc
montrons l'inclusion réciproque. Ecrivons 1 = i + j et soit a ∈ I ∩ J . Alors a = ai + aj et
ai, aj ∈ IJ , donc a ∈ IJ .
Exemple.  Avec A = Z, I = nZ et J = mZ supposés propres et non nuls, on a
I ∩ J = ppcm(n, m) · Z et I + J = pgcd(n, m) · Z. En particulier la condition I + J = A
équivaut à pgcd(n, m) = 1 et dans ce cas on retrouve le lemme des restes chinois usuel :

Z/nmZ −→ Z/nZ × Z/mZ.
Exemple.  Si I et J sont deux idéaux maximaux distincts, la condition I +J = A est
vériée.

1.3 Généralités sur les modules


Les modules sont aux anneaux (commutatifs) ce que les espaces vectoriels sont aux
corps. Néanmoins, ils ne possèdent pas nécessairement de base, ce qui rend leur étude bien
plus délicate.

1.3.1 Définition. Soit A un anneau. Un A-module M est un groupe abélien muni


d'une action de A
A×M → M
(a, m) 7→ a · m
satisfaisant les axiomes suivants pour tous a, a0 ∈ A et m, m0 ∈ M :
0 0
i) a · (m + m ) = a · m + a · m (linéarité de l'action).

ii) (a + a0 ) · m = a · m + a0 · m et (aa0 ) · m = a · (a · m).


iii) 1 · m = m.
On dit aussi que M est un module sur A.
Remarque.  L'axiome i) nous dit que l'application m 7→ a · m est un endomorphisme
du groupe abélien M , et les axiomes ii) et iii) nous disent que l'application A −→ End(M )
qui en résulte est un morphisme d'anneaux (noter que le produit de End(M ) est donné
par la composition des endomorphismes donc est non-commutatif mais cela n'aecte pas
la notion de morphisme). Réciproquement tout morphisme d'anneaux ψ : A −→ End (M )
(endomorphismes du groupe abélien M) dénit une structure d'anneau en posant a · m :=
ψ(a)(m).
Nous simplierons souvent la notation en écrivant am plutôt que a · m. La dénition
suivante est sans surprise :

Définition.  Un morphisme ϕ : M −→ M 0 de A-modules est un morphisme de


groupes abéliens qui est A-linéaire au sens où ∀a ∈ A, ∀m ∈ M on a ϕ(am) = aϕ(m).

24
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Nous noterons HomA (M, M 0 ) l'ensemble des morphismes de A-modules et EndA (M )


l'ensemble des endomorphismes du A-module M . Notons qu'ils sont eux-même munis d'une
structure naturelle de A-module par les formules

a · ϕ : m 7→ aϕ(m), et ϕ + ϕ0 : m 7→ ϕ(m) + ϕ0 (m).

Comme d'habitude, un isomorphisme de A-modules est un morphisme inversible à gauche


et à droite. On vérie sans peine qu'un morphisme est un isomorphisme si et seulement si
il est bijectif (en tant qu'application).

Exemple. (A = Z)  Tout groupe abélien possède une unique structure de Z-module,


donnée par l'unique morphisme d'anneaux Z −→ End(M ). Ainsi un Z-module n'est rien
d'autre qu'un groupe abélien et tout morphisme de groupes abéliens est aussi un morphisme
de Z-modules.
Exemple. (A un corps)  Un module sur un corps K est un K -espace vectoriel et un
morphisme de K -modules est une application K -linéaire.

1.3.2 Restriction des scalaires. Soit ϕ : B −→ A un morphisme d'anneaux, et soit M


un A-module. La composée
ϕ
B −→ A −→ EndZ (M )
munit M B -module, donnée par b·m := ϕ(b)m. On dit que ce B -module
d'une structure de
M est la restriction des scalaires via ϕ du A-module M . Si on veut lever l'ambiguité de la
∗ B
notation M sur la structure considérée on pourra noter ϕ M ou M|B ou encore ResA (M )
ce B -module.

Exemple.  La restriction des scalaires d'un A-module M via le morphisme canonique


Z −→ A est le groupe abélien sous-jacent à M.
Remarquons qu'un morphisme de A-modules M −→ N est aussi un morphisme de
B -modules ϕ∗ M −→ ϕ∗ N , la réciproque n'étant en général pas vraie. On a donc une
inclusion
HomA (M, N ) ⊂ HomB (M, N ).
Exercice.  Vérier que c'est une égalité si ϕ est surjectif.

Remarque.  LesA-modules munis des morphismes de A-modules forment une catégorie


que l'on note souvent A − Mod. De même on a une catégorie B − Mod de B -modules. Nous

venons d'associer à tout A-module M un B -module ϕ M et à toute paire de A-modules
M, N une application ϕ∗ : HomA (M, N ) −→ HomB (M, N ) (qui est ici une inclusion) qui
est évidemment compatible avec la composition des morphismes de chaque côté. Ceci est
9
un exemple de foncteur entre deux catégories.

9. Plus généralement, un foncteur F : C −→ C 0 entre deux catégories est la donnée d'une application
0
Ob(C) −→ Ob(C ) et d'applications F : C(A, B) −→ C 0 (F A, F B) compatibles à la composition et aux
éléments neutres.

25
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1.3.3 Retour sur les A-algèbres. Nous avons déni une A-algèbre comme un anneau B
muni d'un morphisme ψ : A −→ B . On a alors les propriétés suivantes :
 B est unA-module. En eet, B est un module sur lui même donc, par restriction
des scalaires àA, devient un A-module. Explicitement l'action de A est donnée par
a · b = ψ(a)b.
0 0 0 0
 Pour tout b ∈ B les applications b 7→ bb et b 7→ b b sont A-linéaires.
 Le morphisme ψ est donné par ψ(a) = a · 1B .
Réciproquement, partons d'un A-module B muni d'une structure d'anneau d'unité 1B telle
0 0 0 0
que pour tout b ∈ B les applications b 7→ bb et b 7→ b b sont A-linéaires. Alors l'application
a 7→ a · 1B est un morphisme d'anneaux qui fait de B une A-algèbre.

1.3.4 Sous-modules, modules quotients. Sans surprise, un sous-A-module de M est un


sous-groupe de M stable par l'action de A sur M.
Remarque.  A est unA-module via la multiplication. Un sous-A-module de A n'est
rien d'autre qu'un idéal de A.

Exemple.  L'image Im(ϕ) d'un morphisme ϕ : M −→ M 0 est un sous-A-module de


0 −1
M et son noyau Ker(ϕ) = ϕ (0) est un sous-A-module de M . Plus généralement, si N
0 0
est un sous-module de M , son image ϕ(N ) est un sous-module de M , et si N est un
0 −1 0
sous-module de M , son image inverse ϕ (N ) est un sous-module de A.

M un A-module et N un sous-A-module
Soit de M. Considérons l'ensemble quotient
M/N de M par la relation d'équivalence

m ∼ m0 ⇔ m − m0 ∈ N

et notons π : M −→ M/N la projection canonique. Comme précédemment, on notera selon


l'humeur π(m), m, m + N ou encore m (mod N ) la classe d'équivalence de m.
Proposition.  Il existe une unique structure de A-module sur M/N qui fait de π un
morphisme de A-module.
Démonstration. C'est le même argument que pour la construction du quotient A/I . L'uni-
cité découle de la surjectivité de π qui nous impose les formules suivantes : am = am et
m + m0 = m + m0 . Pour l'existence, il faut vérier que ces formules font sens, c'est-à-dire
que
m ∼ m0 ⇒ am ∼ am0 et m ∼ m1 , m0 ∼ m01 ⇒ (m + m0 ) ∼ (m1 + m01 )
ce qui découle immédiatement du fait que N est un sous-A-module.

Exercice.  Montrer que π −1 induit une bijection


{sous-modules de M/N } −→ {sous-modules de M contenant N}

dont la bijection réciproque est P 7→ π(P ) = P/N .

26
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Comme pour toute notion de quotient, on peut aussi caractériser M/N par une propriété
universelle.

Proposition.  Soitψ : M −→ M 0 un morphisme de A-module tel que ψ(N ) = {0}.


0
Il existe un unique morphisme de A-module ψ : M/N −→ M tel que ψ = ψ ◦ π .

Corollaire. 
ψ
Tout morphisme M −→ M 0 admet une factorisation unique


M  M/ Ker(ψ) −→ Im(ψ) ,→ M 0 .

Soit maintenant P un sous-module de M contenant N . Le noyau de la projection


canonique πP : M −→ M/P contient donc N et la proposition ci-dessus nous donne donc
une factorisation de πP
πN πP
M −→ M/N −→ M/P.
Corollaire. (1er théorème d'isomorphisme)  πP induit un isomorphisme


(M/N )/(P/N ) −→ M/P.

Démonstration. Puisque πN est surjective, on a Ker(π P ) = πN (Ker(πP )) = πN (P ) = P/N ,


donc πP se factorise via un morphisme injectif (M/N )/(P/N ) ,→ M/N . Ce dernier est
aussi surjectif, puisque πP , et donc πP l'est.

Considérons maintenant la situation suivante : soit M un A-module et soient N, P deux


sous-modules de M. On dénit leur somme

N + P := {m ∈ M, ∃ n ∈ N, ∃p ∈ P, m = n + p}

qui est visiblement un sous-A-module de M (le vérier !) contenant N et P. De même,


l'intersection N ∩P est un sous-A-module de M. Alors le noyau du morphisme composé

ρ : N ,→ N + P  (N + P )/P

contient visiblement N ∩P et ce morphisme se factorise donc par un morphisme

N/(N ∩ P ) −→ (N + P )/P.

Proposition. (2ème théorème d'isomorphisme)  Ce morphisme est un isomorphisme


N/(N ∩ P ) −→ (N + P )/P.

Démonstration. Pour l'injectivité, il faut prouver que Ker(ρ) = N ∩ P, ce qui est clair.
Pour la surjectivité, il faut voir que tout élément de (N + P )/P se relève en un élément de
N via la projection N + P  (N + P )/P ce qui est aussi immédiat, vu la dénition d'un
quotient.

27
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1.3.5 Suites exactes, complexes. Soit A un anneau. Considérons une suite

di−2 di−1
i d di+1
· · · −→ Mi−1 −→ Mi −→ Mi+1 −→ · · ·
de morphismes de A-modules. On dit que cette suite est un complexe si on a di+1 ◦ di = 0
pour tout i ∈ Z. On dit que cette suite (ou ce complexe) est exacte si on a Ker(di+1 ) =
Im(di ) pour tout i ∈ N. Par exemple, la suite
ι π
0 −→ N −→ M −→ P −→ 0
est exacte si et seulement si ι est injective, π est surjective, et Ker π
= Im ι. Dans ce cas, ι
identie N à un sous-module de M , et π identie P au quotient de M par ce sous-module.
On parle alors de suite exacte courte.

Exercice.  Soit ϕ : M −→ N un morphisme de A-modules. On pose Coker(ϕ) :=


N/ Im(ϕ) et on note πϕ : N −→ Coker(ϕ) la projection canonique. La paire (Coker(ϕ), πϕ )
est appelée conoyau de ϕ.

i) Montrer que le conoyau est universel parmi les paires (P, ψ) constituées d'un A-
module P muni d'un morphisme ψ : N −→ P tel que ψ ◦ ϕ = 0.

ii) Montrer que la suite suivante est exacte.


ϕ πϕ
0 −→ Ker(ϕ) −→ M −→ N −→ Coker(ϕ) −→ 0

1.3.6 Sommes directes et produits. Soit I (Mi )i∈I une famille de


un ensemble et soit
A-modules indexée par Q I (on pourra penser à I = N ou I = {1, · · · , r}). On rappelle que
le produit cartésien i∈I Mi est l'ensemble des familles (mi )i∈I indexées par I où mi ∈ Mi
pour tout i. On munit ce produit cartésien d'une structure de A-module en posant :
0 0
 (mi )i∈I + (mi )i∈I := (mi + mi )i∈I
 a · (mi )i∈I := (ami )i∈I .
(On laisse au lecteur le soin de vérier que c'est bien un A-module dont l'élément 0 est la
famille (0)i∈I ). Ce module sera appelé produit des Mi et noté
Y
Mi , ou plus simplement M1 × · · · × Mr lorsque I = {1, · · · , r}.
i∈I

Pour chaque j ∈ I, la projection (mi )i∈I 7→ mj est un morphisme de A-modules


πj
Y
Mi −→ Mj .
i∈I

On dénit maintenant
( )
M Y
Mi := (mi )i∈I ∈ Mi , mi = 0 pour presque tout i ,
i∈I i∈I

le sous-ensemble des familles à support ni (i.e. tel que


Q mi = 0 hors d'un sous-ensemble
ni de I ). On voit que c'est un sous-A-module de i∈I Mi et on l'appelle somme directe
ou coproduit des Mi .

28
Ecole Normale Supérieure FIMFA

L Q
Remarque.  Si I est ni on a
Lr i∈I Mi = i∈I Mi . Lorsque I = {1, · · · , r} on le note
aussi i=1 Mi ou simplement M1 ⊕ · · · ⊕ Mr .

Pour chaque j ∈ I, on a une application

M
ιj : Mj ,→ Mi
i∈I

qui envoie m sur la famille (mi )i∈I telle que mi = 0 pour i 6= j et mj = m. Cette application
est visiblement un morphisme de A-modules.
Ces modules, munis de leurs familles de morphismes, satisfont chacun une propriété
universelle, et ces propriétés sont en quelque sorte duales l'une de l'autre.

Proposition.  i) Soit N un A-module muni d'une famille de morphismes ψi :


N −→ Mi
Q pour chaque i ∈ I . Alors il existe un unique morphisme Ψ : N −→
i∈I Mi tel que ψi = πi ◦ Ψ pour tout i. Autrement dit, l'application Ψ 7→ (πi ◦ Ψ)i∈I
induit une bijection
!
Y ∼ Y
HomA N, Mi −→ HomA (N, Mi ) .
i∈I i∈I

ii) Soit N un A-module muni d'une famille de morphismes


L ψi : Mi −→ N pour chaque
i ∈ I . Alors il existe un unique morphisme Ψ : i∈I Mi −→ N tel que ψi = Ψ ◦ ιi
pour tout i. Autrement dit, l'application Ψ 7→ (Ψ ◦ ιi )i∈I induit une bijection
!
M ∼ Y
HomA Mi , N −→ HomA (Mi , N ) .
i∈I i∈I

Démonstration. Tout cela est très formel. i) Pour l'existence, il sut de poser Ψ(n) :=
(ψi (n))i∈I . Pour l'unicité, si Ψ0 est un autre morphisme, on voit que pour tout n, Ψ(n) −
Ψ0 (n) est annulé par toutes les projections πi , donc est
P nul.
ii) Pour l'existence il sut de poser Ψ((mi )i∈I ) :=
i∈I ψi (mi ), ce qui a un sens puisque
la famille ψi (mi ) est presque nulle (seulement un nombre ni de termes non nuls dans cette
0 0
somme). Pour l'unicité, si Ψ est une autre solution, on voit que Ψ − Ψ s'annule sur l'image
L
ιi (Mi ) de chaque ιi . Or tout élément de
Q i∈I Mi est somme d'éléments de cette forme (ce
n'est pas vrai pour les éléments de i∈I Mi si I est inni).

Remarque. (Produits et coproduits dans les catégories)  Supposons donnée une famille (Xi )i∈I
d'objets dans une catégorie C . On appelle produit de cette famille une paire (X, (πi )i∈I ) formée
d'un objet de C et d'une famille de morphismes πi ∈ C(X, Xi ) telle que pour tout objet Y de C ,
l'application
Y
C(Y, X) −→ C(Y, Xi ), ϕ 7→ (πi ◦ ϕ)i∈I
i∈I

est bijective. Si une telle paire existe, elle est unique à isomorphisme unique près : en eet, c'est
un objet initial de la catégorie dont les objets sont les paires (Y, (ψi )i∈I ) avec pour morphismes les

29
Ecole Normale Supérieure FIMFA

ψ ∈ C(Y, Y 0 ) tels que ψi = ψ◦ψi0 . On note en général l'objet produit


Q
morphismes i∈I Xi . Dans les
exemples classiques (modules, anneaux, espaces topologiques), les produits existent et l'ensemble
sous-jacent est le produit cartésien des sous-ensembles sous-jacents (on dit pompeusement que les
produits commutent aux foncteurs d'oubli vers la catégorie des ensembles...).
De manière duale
10 , on appelle coproduit de la famille (Xi )i∈I une paire (X, (ιi )i∈I ) formée
d'un objet de C et d'une famille de morphismes ιi ∈ C(Xi , X) telle que pour tout objet Y de C ,
l'application
Y
C(X, Y ) −→ C(Xi , Y ), ϕ 7→ (ϕ ◦ ιi )i∈I
i∈I
`
est bijective. À défaut de meilleure notation, on note généralement le coproduit i∈I Xi . C'est
d'ailleurs la notation usuelle pour la réunion disjointe d'ensembles, qui n'est autre qu'un coproduit
dans la catégorie des ensembles. On remarquera que les coproduits existent dans les catégories de
modules, mais ne commutent pas au foncteur d'oubli vers la catégorie des ensembles : l'ensemble
sous-jacent d'une somme directe n'est pas la réunion disjointe des ensembles sous-jacents.

Remarque. (Foncteurs représentables)  Un foncteur représentable


F : C −→ Ens est dit
s'il est isomorphe (on dit aussi équivalent) à un foncteur de la forme Y 7→ C(X, Y ). Plus
précisément, un représentant de F est un couple (X, α) avec X dans Ob(C) et α ∈ F (X) tel que
pour tout objet Y dans Ob(C) l'application C(X, Y ) −→ F (Y ), ϕ 7→ F (ϕ)(α) soit une bijection.
Un représentant, s'il existe, est unique à isomorphisme unique près. Par exemple, un coproduit
Q
(X, (ιi )i∈I de la famille (Xi )i∈I ) représente le foncteur Y 7→ i∈I C(Xi , Y ).

1.3.7 Somme de sous-modules, modules engendrés. Soit M un A-module. Comme


l'intersection de deux sous-modules est encore un sous-module, on peut parler du plus petit
sous-module M (E) contenant un sous-ensemble donné E ⊂ M. C'est aussi l'intersection
de tous les sous-modules contenant E, et on l'appelle le sous-module engendré par E.
Explicitement, c'est l'ensemble

M (E) = {m = a1 e1 + · · · + ar er , r ∈ N, ei ∈ E, ai ∈ A}.
Supposons maintenant donnée une famille (Mi )i∈I de sous-modules indexée par un
ensemble I. On note
X
Mi , ou plus simplement M1 + · · · + Mr si I = {1, · · · , r}
i∈I
S
le sous-module de M engendré par la réunion i∈I Mi . Explicitement, il est donné par
X X
Mi = { mi , J ⊂ I ni , mi ∈ Mi }.
i∈I i∈J
L
De manière plus formelle, considérons le morphisme i∈I Mi −→ M associé aux
Ψ :
inclusions ψi : Mi ,→ M fourni par la propriété universelle du coproduit. Alors
X
Mi = Im(Ψ).
i∈I

10. On remarquera qu'à toute catégorie C on peut associer sa catégorie opposée C opp dont les objets
opp
sont les mêmes et les èches données par C (A, B) := C(B, A). Le passage à la catégorie opposée échange
formellement les notions de produits et coproduits.

30
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Définition.  On dit que les Mi sont en somme directe si le morphisme Ψ ci-dessus
L ∼ P
est injectif. Il induit alors un isomorphisme i∈I Mi −→ i∈I Mi .

On peut traduire l'injectivité de


P Ψ comme ceci : pour toute famille nie d'élements
mi ∈ Mi , on a i∈I mi = 0 ⇒ ∀i ∈ I, mi = 0.
Exercice.  Montrer que les sous-modules
PM1 , · · · Mr sont en somme directe si et seule-
ment si pour chaque i = 1, · · · , r on a Mi ∩ j6=i Mj = {0}.

Remarque.  Lorsque A = k est un corps, on sait que tout sous-espace vectoriel W


0
d'un espace vectoriel V admet un supplémentaire, c'est-à-dire un sous-espace W de V tel
0
que V = W ⊕ W . Ceci n'est plus vrai en général. Par exemple pour A = Z, le sous-module
2Z de M =Z n'admet pas de supplémentaire, puisque tout sous-module non nul de Z a
une intersection non nulle avec 2Z.
Un sous-module N d'un module M qui admet un supplémentaire est appelé facteur
direct de M.

1.3.8 Modules libres. Un cas particulier important de somme directe est celui où
Mi = A pour tout i ∈ I. On note alors
Y M
AI := A et A(I) := A.
i∈I i∈I

Lorsque I est ni, on a bien-sûr A(I) = AI et on utilise plutôt la seconde notation, qui
r ⊕r
est plus simple. Lorsque I = {1, · · · , r} on note aussi simplement A ou A plutôt que
{1,··· ,r} (I)
A . Pour i ∈ I , notons ei l'élément de A dont toutes les composantes sont nulles
sauf celle en i qui vaut 1. Par exemple, si I = {1, · · · , r}, on a ei = (0, · · · , 1, · · · , 0) où le
1 est placé à la i-ème position.
Proposition.
P  i) Tout élément de A(I) s'écrit de manière unique sous la forme

i∈I ai ei pour une famille presque nulle (ai )i∈I d'éléments de A.

ii) Le A-module A(I) possède la propriété universelle suivante : pour tout A-module
M (mi )i∈I d'éléments de M , il existe un unique
et toute famille morphisme de A-
(I)
modules Ψ : A −→ M qui envoie ei sur mi . En d'autres termes, l'application
Ψ 7→ (Ψ(ei ))i∈I est une bijection 11

HomA (A(I) , M ) −→ M I .

Démonstration. i) découle de la construction


ii) Remarquons d'abord que pour tout élément m d'un module M, il existe un unique
ψm
morphisme de A-module A −→ M qui envoie 1 sur m. Il est déni par ϕm (a) := am.
Ainsi pour tout i on a un morphisme ψmi : A −→ M , et il ne reste plus qu'à invo-
quer la propriété universelle des sommes directes. Explicitement, on a tout simplement
P P
Ψ( i∈I ai ei ) = i∈I ai mi .
11. Autrement dit, le couple (A, (ei )i∈I ) représente le foncteur M 7→ M I .

31
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Définition.  Soit (mi )∈I une famille d'éléments de M et Ψ : A(I) −→ M le mor-


phisme associé. On dit que la famille est
P
 libre si Ψ i ai mi = 0 ⇒ ∀i, ai = 0
est injectif, ce qui équivaut à la condition
 génératrice si Ψ est surjectif, ce qui équivaut à ce que tout m ∈ M puisse s'écrire
P
sous la forme i∈I ai mi avec ai ∈ A pour tout i.
 une base de M si Ψ est un isomorphisme, ce qui équivaut à ce que tout m ∈ M
P
s'écrive de manière unique sous la forme i∈I ai mi avec ai ∈ A pour tout i.

Lorque M admet une famille génératrice nie, on dit qu'il est de type ni.

Exemple.  Soit A = Z et M = Z.
 La famille {2, 3} est génératrice de M, puisque tout n ∈ Z est de la forme 2a + 3b
par Bézout. Mais ce n'est pas une base, puisque 0 = 2 · 3 − 3 · 2.
 La famille {2} est libre, mais pas génératrice, donc pas une base.
 Les seules bases de M sont {1} et {−1}.
Exemple.  Plus généralement, pour M = A, toute famille contenant deux éléments
0
distincts a, a n'est pas libre à cause de la relation a.a0 − a0 .a = 0. Il s'ensuit qu'une famille
libre est un singleton {a} avec a élément régulier de A. De plus un tel singleton est une
base si et seulement si a est inversible.

Définition.  UnA-module M est dit libre s'il possède une base. Tout choix de base
(I) ∼
induit alors un isomorphisme A −→ M pour un ensemble I convenable.
Exemple.  Quelques modules non libres :
 Si I est un idéal propre et non nul de A, alors le A-module M := A/I n'est pas
libre. En fait,M ne possède aucune famille libre, puisque l'action de tout i ∈ I \ {0}
annule M.
 Soit A = C[X, Y ] et M = (X, Y ) (idéal engendré par X et Y ). Puisque M ⊂ A,
l'exemple précédent nous dit que les seules familles libres de M sont les singletons
{f (X, Y )} où f (X, Y ) est un polynôme non nul de terme constant nul. Mais on voit
aisément qu'un singleton n'est jamais générateur de M .

Les modules libres partagent quelques propriétés agréables des espaces vectoriels sur
un corps. Par exemple, si M est libre de base (ei )i=1,··· ,n et N est libre
P de base (fj )i=1,··· ,m ,
et ϕ un morphisme de A-module N −→ M , on peut écrire ϕ(fj ) = ni=1 aij ei . On obtient
ainsi une bijection (et même un isomorphisme de A-modules)

HomA (N, M ) −→ Mn,m (A)
avec les matrices n×m à coecients dans A. Lorsque N = M, il s'agit même d'un
isomorphisme d'anneaux.
Il y a cependant des diérences notables. En voici quelques exemples :
 Un endomorphisme injectif d'un module libre de rang ni n'est pas nécessairement
surjectif. Exemple : A=Z=M et ϕ l'endomorphisme m 7→ 2m de M.
 On ne peut pas nécessairement extraire une base d'une famille génératrice. Exemple
A=Z=M et famille {2, 3}.

32
Ecole Normale Supérieure FIMFA

 Une famille libre ne peut pas nécessairement être complétée en une base. Même
exemple avec comme famille libre {2}.
 Un sous-module d'un module libre de rang n n'est pas nécessairement libre, ni
engendré par une famille de cardinal inférieur à n. Exemple A = C[X, Y ], n = 1 et
M = AX + AY .
Une bonne nouvelle tout de même :

Proposition.  Soit M un A-module libre de type ni. Alors toutes ses bases sont
nies et ont même cardinal. On l'appelle le rang de M. De plus, le cardinal d'une famille
libre (resp. génératrice) est inférieur (resp. supérieur) au rang de M.
Démonstration. Supposons d'abord que M admette une base nie E = (e1 , · · · , en ) et soit
F = (f1 , · · · , fm ) une famille d'éléments de M . Nous allons montrer que si F est génératrice
alors m > n. Par symétrie il en découlera que si F est une base, alors n = m.
Pour montrer m > n, nous allons nous ramener au cas connu où l'anneau de base est
P
un corps. Ecrivons fj = i,j aij ei . La matrice P = (aij )i,j ∈ Mn×m (A) est la matrice d'un
ψ
morphisme Am −→ An , et F ψ est surjectif. Choisissons
est génératrice si et seulement si
maintenant un idéal maximal m de A et notons π : A −→ A/m le morphisme de passage
au quotient. La matrice (π(aij ))i,j ∈ Mn×m (A/m) est la matrice d'un morphisme ψ :
(A/m)m −→ (A/m)n qui s'inscrit dans un diagramme commutatif
ψ
Am / An
πm πn
 ψ

(A/m)m / (A/m)n
n
(rappelons que la commutativité du diagramme signie que π ◦ ψ = ψ ◦ π m ). Puisque π n
n
est surjective, on voit que (ψ surjective) ⇒ (π ◦ ψ surjective) ⇔ (ψ ◦ π m surjective) ⇒ (ψ
surjective. Mais puisque A/m est un corps, on sait que ψ surjective ⇒ m > n.
Montrons maintenant que si m > n, la famille F est liée. Soit r le plus grand entier tel
que P admette un mineur de taille r × r non nul. Si r = 0, tous les fi sont nuls et F est
évidemment liée, donc on supposera r > 1. On a aussi r 6 n < m. Quitte à renuméroter
les familles, nous pouvons supposer que le mineur µ1 := det((aij )16i6r,26j6r+1 ) est non
nul. Pour k = 2, · · · , r + 1, notons alors µk le mineur det((aij )16i6r,16j6r+1,j6=k . Alors pour
Pr+1 k+1
tout i = 1, · · · , n, la somme k=1 (−1) aik µk est un mineur de taille r + 1 de P ou le
déterminant d'une matrice ayant deux lignes égales. Elle est donc nulle. Comme E est une
Pr+1 k+1
base, il s'ensuit que k=1 (−1) µk fk = 0, et comme µ1 6= 0, on voit que la famille F est
liée.
Enn, il reste à nous débarrasser de l'hypothèse initiale que M admet une base nie.
Cette hypothèse n'est pas dans l'énoncé de la proposition, qui suppose simplement que
M ' A(I) pour un ensemble I . Supposons donc I inni, et que M admette par ailleurs
une famille génératrice nie, disons de cardinal m. On doit trouver une contradiction. Pour
cela, soit J ⊂I un ensemble de cardinal n > m. On dispose d'un morphisme canonique
(I) ρ
A −→ AJ qui projette sur les composantes indexées par J . Ce morphisme est surjectif,

33
Ecole Normale Supérieure FIMFA

donc la famille ρ(F ) engendre AJ = An , ce qui contredit la discussion précédente puisque


m<n

1.3.9 Limites projectives. Les produits et coproduits sont des cas particuliers d'une
construction plus générale où l'on part d'un ensemble d'indices ordonné (I, 6). Un système
projectif d'ensembles indexé par I (Ei )i∈I d'ensembles munis d'applications
est une famille
fij : Ei −→ Ej pour chaque couple i > j et telles que fjk ◦ fij = fik et fii = idEi . On dénit
la limite projective (ou simplement limite) du système projectif comme le sous-ensemble
Q
suivant du produit i∈I Ei :

( )
Y
lim Ei := (xi )i∈I ∈ Ei , ∀i > j, xj = fij (xi )
←− i∈I
i∈I

Q Supposons maintenant que les Ei sont des groupes/anneaux/modules 12 , alors le produit


i∈I Ei est naturellement un groupe/anneau/module et son sous-ensemble lim Ei est
←− i∈I
un sous- groupe/anneau/module. On l'appelle toujours limite (projective) du système
projectif (Ei )i∈I et on vérie sans peine qu'on a une bijection ϕ 7→ (πi ◦ ϕ)i∈I

Hom(E, lim Ei ) −→ lim Hom(E, Ei )


←− i ←− i

où le Hom est à prendre au sens des groupes/anneaux/modules et la limite projective


à droite est celle du système projectif d'ensembles (Hom(E, Ei ))i∈I muni des transitions
Hom(E, Ei ) −→ Hom(E, Ej ), ϕi 7→ fij ◦ ϕi pour i > j . Encore mieux, si les Ei sont
13
des ensembles/groupes/anneaux topologiques et les fij sont continues, alors lim Ei est
Q ←− i
fermé dans E
i i muni de la topologie produit, ce qui en fait un ensemble/groupe/anneau
topologique.

Remarque.  Plus généralement, un système projectif indexé par I dans une catégorie C est une
famille(Xi )i∈I munie de morphismes fij ∈ C(Xi , Xj ) pour i > j . Une paire (X, (πi )i∈I )) formée
d'un objet X de C et d'une famille de morphismes πi ∈ C(X, Xi ) est appelée limite (projective)
du système (Xi )i∈I si pour tout objet Y l'application f 7→ (πi ◦ f )i∈I induit une bijection


C(Y, X) −→ lim C(Y, Xi ),
←− i∈I

où le membre de droite est la limite du système projectif d'ensembles (C(Y, Xi ))i∈I dont les
applications de transition sont données par ϕi 7→ fij ◦ ϕi : C(Y, Xi ) −→ C(Y, Xj ). Une telle paire,
si elle existe, est unique à isomorphisme unique près.

Exemple. (L'anneau des entiers p-adiques)  Soit p un nombre premier, et considérons


n
le système projectif (Z/p Z)n∈N indexé par l'ensemble I = N muni de l'ordre usuel, et où

12. rayer les mentions inutiles


13. ce qui signie qu'ils sont munis d'une topologie pour laquelle les lois de compositions et passage à
l'inverse sont continues

34
Ecole Normale Supérieure FIMFA

les applications de transition sont les projections fnm : Z/pn Z −→ Z/pm Z pour m 6 n.
La limite projective
Zp := lim Z/pn Z
←− n∈N

est appelée anneau des entiers p-adiques et a une importance fondamentale en théorie
des nombres. Notons ι : Z −→ Zp le morphisme d'anneaux canonique, qui est donné
n n
explicitement par ι(a) = (a mod p )n∈N . Notons aussi πn : Zp −→ Z/p Z la projection sur
n
le facteur Z/p Z et posons ν(a) := Max{n ∈ N, πn (a) = 0} qui est bien déni dès que
a 6= 0. Voici d'abord quelques propriétés algébriques de Zp .
Proposition.  i) On a Ker(πn ) = {a ∈ Zp , ν(a) > n} = ι(p)n Zp .
ii) Le morphisme ι est injectif et induit par passage aux quotients des isomorphismes

Z/pn Z −→ Zp /ι(p)n Zp pour tout n.
× n
iii) Zp est intègre et Zp = {a ∈ Zp , ν(a) = 0}. Ses idéaux sont les ι(p) Zp , n ∈ N. En
14
particulier, Zp est principal et possède un unique idéal maximal, à savoir ι(p)Zp .

n
Démonstration. i) La première égalité est claire. Puisque πn (ι(p) ) = 0, on a évidemment
n
l'inclusion Ker(πn ) ⊃ ι(p) Zp . Pour l'autre inclusion, considérons un élément a = (ām )m∈N
m n
dans le noyau Ker(πn ) (ici am ∈ Z et ām = am (modp )). Alors p divise an et donc divise
n
chaque an+m pour m > 0. Poson bm := am+n /p , alors la famille b = (b̄m )m∈N est un
n
élément de Zp tel que p b = a.
n
ii) Soit a ∈ Z. Son image ι(a) = (a(modp ))n∈N dans Zp est nulle si et seulement si
pn divise a pour tout n, donc si et seulement si a = 0. Ainsi ι : Z −→ Zp est injectif.
n ῑ n π̄n n
Considérons la composée Z/p Z −→ Zp /ι(p) Zp −→ Z/p Z dans laquelle ῑ et π̄n sont
induites par ι et πn par passage au quotient. Cette composée doit être l'identité car c'est le
seul endomorphisme d'anneau de Z/nZ, et on vient de voir que πn est injective. Il s'ensuit
que ces deux morphismes sont des isomorphismes réciproques.
iii) Donnons-nous deux éléments a = (ān )n∈N et b = (b̄n )n∈N . Supposons a non nul. Il
existe donc unn tel que pn ne divise pas an , et par conséquent ne divise pas non plus am
m
pour tout m > n. Supposons maintenant ab = 0. Alors pour tout m on a p |am bm . Par
m−n
notre choix de n, il s'ensuit que p divise bm pour tout m > n. Fixons alors m > n. On
m m m
a p |bm+n et bm+n ≡ bm [p ], donc p |bm et b̄m = 0. Ceci s'applique pour tout m > n donc
b = 0, et Zp est bien intègre.
× ×
Si a ∈ Zp , on doit avoir π1 (a) ∈ (Z/pZ) , donc ν(a) = 0. Réciproquement, soit
a = (ān )n∈N tel que ν(a) = 0. Cela signie que p ne divise pas a1 et donc ne divise aucun
an . Il existe donc des entiers un , vn tels que un an + pn vn = 1. Pour m > n, on a alors
pn |(um am − un an ). Comme on a aussi pn |(am − an ), il suit pn |(um an − un an ) = (um − un )an ,
n
puis p |(um − un ). Ainsi la suite (ūn )n∈N dénit un élément u de Zp , et puisque ūn ān = 1
n
dans Z/p Z pour tout n, on a bien au = 1.
Soit I un idéal non nul de Zp , et soit ν(I) := Min{ν(a), a ∈ I}. D'après le i), on a
p |a pour tout a ∈ I , c'est-à-dire I ⊂ pν(I) Zp . De plus, soit a ∈ I tel que ν(a) = ν(I).
ν(I)

14. on dit que c'est un anneau local

35
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Ecrivons a = pn a0 pour un (unique) a0 ∈ Zp . Alors ν(a0 ) = 0, donc a0 ∈ Z ×


p, et il s'ensuit
ν(I)
que p ∈ I puis nalement que pν(I) Zp = I .
Remarque.  On voit sur les dénitions que ν(ι(n)) = νp (n) (valuation p-adique). Le
iii) implique donc que pour tout entier n premier à p, l'élément ι(n) est inversible dans Zp .

Exercice.  Montrer que la multiplication par ι(p)n induit des isomorphismes de mo-
∼ n n+1
dules Zp /ι(p)Zp −→ ι(p) Zp /ι(p) Zp .
On oubliera dorénavant souvent le ι dans les notations et on identiera Z à un sous-
anneau de Zp . Nous munissons maintenant Zp de la topologie produit en considèrant chaque
Z/pn Z comme un anneau topologique discret. Voici quelques propriétés topologiques de Zp .
15
Proposition.  i) Zp est un anneau compact et totalement discontinu , dont
la topologie est engendrée par les ouverts de la forme

a + pn Zp = {z ∈ Zp , ν(z − a) > n},


16
où a ∈ Zp et n ∈ N. C'est aussi la topologie métrique associée à la distance
|a − b| := p−ν(a−b) .
ii) Le morphisme ι est injectif et fait de Zp le complété de Z pour la topologie engendrée
n
par les ensembles de la forme a + p Z (appelée topologie p-adique), qui est aussi la
−ν (a−b)
topologie métrique associée à la distance p-adique |a − b|p := p p .
n
P
iii) Toute série n∈N an p avec an ∈ Z est convergente dans Zp , et tout élément a de
Zp s'écrit de manière unique comme limite d'une série
a = n∈N an pn avec an ∈ {0, · · · , p − 1}, ∀n ∈ N.
P

Démonstration. i) Rappelons qu'un produit de compacts, muni de la topologie produit,


est compact. De plus, un produit d'ensembles discrets, muni de la topologie produit, est
totalement discontinu (exercice... indication :remarquer que le complémentaire d'un ouvert
n
Q
standard d'un tel produit est encore ouvert). Ainsi Zp , qui est fermé dans n Z/p Z, est
aussi compact et totalement discontinu. Par dénition, la topologie dont on a muni Zp est
−1 n
engendrée par les ensembles de la forme πn (U ) où U est un ouvert de Z/p Z. Ce dernier
étant discret on peut se restreindre aux singletons U = {ā} avec a ∈ Z. Il nous faut donc
−1 n
vérier que dans ce cas πn (U ) = ι(a) + p Zp . Quitte à translater par ι(a), cela équivaut
n
à montrer que Ker(πn ) = p Zp , ce que l'on a fait au i) de la proposition précédente. La
n
dernière assertion est une simple réinterprétation de l'égalité p Zp = {z ∈ Zp , ν(z) > n}.
ii) D'après le i), la topologie induite sur Z est bien de la forme décrite, et on constate
qu'elle est donnée par la distance mentionnée. Comme Zp est compact et donc complet, il
reste à voir que Z est dense dans Zp . Or si a = (ān )n∈N est un élément de Zp , la suite (an )n∈N
15. cela signie que ses sous-ensembles connexes maximaux sont les singletons
16. Cette distance vérie l'inégalité triangulaire ultramétrique suivante : |a − b| 6 max(|a − c|, |c − b|),
laquelle vient en l'occurence de l'inégalité ν(a − b) > min(ν(a − c), ν(c − b)).

36
Ecole Normale Supérieure FIMFA

n
(ou plutôt pour être précis) tend vers a puisque ι(an ) − a ∈ Ker(πn ) = p Zp , et
ι(an )n∈N
n
la suite décroissantes d'ouverts a + p Zp est une base de voisinages de a dans Zp .
n
P
iii) Remarquons d'abord qu'une série de la forme n an p avec an ∈ Z a toujours une
unique limite dans Zp puisque ses sommes partielles forment une suite de Cauchy.
m
P
Soit a ∈ Zp et (αn )n∈N ∈ N une suite telle que a = (ᾱn )n∈N . Soit αn = m am (αn )p
N

le développement de αn en base p (avec donc am (αn ) ∈ {0, · · · , p − 1}). Posons am :=


m+1
am (αm+1 ). Alors pour P tout n > m + 1, on a αn ≡ αm+1 [p
n n−1 P],n−1
donc am (αn ) = am . Il
s'ensuit que p |(αn −
P m=1 am p ) et donc aussi que ν(a − m=1 am pm ) > n, ce qui
m
n
montre que la série n an p converge Pvers an. P 0 n 0
Pour l'unicité, supposons a =
Pn−1 n an p = n an p avec an , an ∈ {0, · · · , p − 1},
m 0
P n−1 0 m 0
et notons sn := m=1 am p , sn := m=1 am p les sommes partielles. Alors sn , sn ∈
{0, · · · , pn − 1} et πn (sn ) = πn (s0n ) dans Z/pn Z. Donc sn = s0n pour tout n, et il s'ensuit
0
que an = an pour tout n.

Remarque.  On peut donc penser à un nombre p-adique comme à un développement


en base p avec éventuellement une innité de chires. La somme et le produit donnés par
les algorithmes usuels (avec retenues) sur les développements en base p d'entiers passent à
la limite pour donner la somme et le produit dans Zp .
Exercice.  Ecrire le développement en base p de l'inverse de 1+p dans Zp .
Remarque.  Plus généralement, si A est un anneau et I un idéal, la limite projective

bI := lim A/I n
A
←− n

est appelée complété I -adique de A. Le morphisme A −→ A bI (donné par la propriété universelle
de la limite projective) fait de A
bI le séparé-complété de A pour la topologie engendrée par les
n
ensembles de la forme a + I , a ∈ A, n ∈ N.

Voici un exemple de limite projective d'un genre un peu diérent.

Exemple.  Considérons l'ensemble I des parties non vides de {1, 2} ordonné par conte-
nance. Un système projectif d'ensembles indexé par I est donc la donnée d'un diagramme

E1
f1
f2 
E2 / E1,2

La limite projective s'identie alors au produit bré E1 ×E12 E2 := {(e1 , e2 ) ∈ E1 ×


E2 , f1 (e1 ) = f2 (e2 )}. Lorsque E1 , E2 sont des sous-ensembles de E et f1 , f2 les inclusions
associées, alors ce produit bré n'est autre que l'intersection E1 ∩ E2 .

D'autres exemples apparaitront au l du cours, comme par exemple le groupe de Galois


absolu de Q, qui est limite projective de groupes nis. Si on aime l'analyse fonctionnelle, on
pourra s'émouvoir d'apprendre qu'un espace de Fréchet est une limite projective d'espaces
de Banach dans la catégorie des espaces vectoriels topologiques.

37
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Remarque.  La notion de limite admet encore une généralisation naturelle où l'on remplace
(I, 6) par une petite catégorie I (i.e. dont les objets forment un ensemble I ), et on remplace
la notion de système projectif indexé par (I, 6) par celle de diagramme indexé par I  qui par
dénition est simplement un foncteur X : I −→ C , et qui n'est nalement qu'une famille (X (i))i∈I
X (f )
d'objets munie d'une famille de morphismes X (i) −→ X (j) pour chaque f ∈ I(i, j) satisfaisant
X (f ◦ g) = X (f ) ◦ X (g) et X (idi ) = idX (i) . Lorsque C est la catégorie des ensembles, on dénit la
limite d'un diagramme par
( )
Y
lim(X ) := (xi )i∈I ∈ Xi , ∀i, j ∈ I, ∀f ∈ C(Xi , Xj ), f (xi ) = xj
←−
i∈I

Puis, pour une catégorie C quelconque, on dénit une limite d'un diagramme à valeurs dans
C comme une paire (X, (πi ∈ C(X, X (i)))i∈I ) telle que l'application ϕ 7→ (πi ◦ ϕ)i∈I soit une

bijection C(Y, X) −→ lim(C(Y, X )) pour tout Y , où C(Y, X ) désigne le diagramme d'ensembles
←−
φ 7→ X (f ) ◦ φ
i 7→ C(Y, X (i)), f ∈ I(i, j) 7→ [C(Y, X (i)) −→ C(Y, X (j))].
Beaucoup de constructions sont des cas particuliers de limites en ce sens étendu.

Exemple.  Soit G un groupe ni, et G la catégorie avec un seul objet • et morphismes


C(•, •) = G (avec la loi de composition de G). Soit par ailleurs VecC la catégorie des espaces
vectoriels de dimension nie sur C. Alors un foncteur G −→ VecC est donné par une représentation
linéaire de G sur un espace vectoriel V . La limite projective associée n'est autre que le sous-espace
V G des invariants sous G.

1.3.10 Limites inductives. Soit à nouveau (I, 6) un ensemble ordonné. Un système


inductif indexé par dans une catégorie C est un système projectif indexé par I dans la
I
opp
catégorie opposée C . C'est donc une famille (Xi )i∈I d'objets de C munie de morphismes
fij
Xi −→ Xj pour i6j
qui se composent bien. On appelle alors colimite ou limite inductive
opp
d'un tel système toute paire (X, (ιi )i∈I ) qui est une limite projective dans C . Ainsi, pour
tout objet Y, l'application f 7→ (f ◦ ιi )i∈I doit induire une bijection


C(X, Y ) −→ lim C(Xi , Y ),
←− i∈I

où le membre de droite est la limite du système projectif (C(Xi , Y ))i∈I dont les applications
de transition sont données par ϕi →
7 ϕi ◦ fji : C(Xi , Y ) −→ C(Xj , Y ) pour i > j .
Exemple.  Tout système inductif d'ensembles admet une limite inductive, donnée par
l'ensemble quotient suivant (exercice)
a
lim Ei := Ei / ∼
−→ i∈I
i∈I

où la relation d'équivalence est déterminée par xj = fij (xi ) ⇒ xi ∼ xj pour tous i 6 j.


Exemple.  Tout système inductif de modules admet aussi une limite inductive donnée
L
par le quotient de i∈I Mi par le sous-module engendré par les ιi (xi ) − ιj (fij (xi )) pour
i6j et xi ∈ Mi (exercice).

38
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Remarque.  Remarquons que si les Mi sont des sous-modules d'un module M tels que
i 6 j ⇒ Mi ⊂ Mj alors le système inductif obtenu (avec applications de transition données
P
par les inclusions) a pour limite la somme i∈I Mi calculée dans M . Ainsi, lorsqu'on a
plus généralement un système inductif à transitions injectives de modules qui ne sont pas
nécessairement contenus dans un module ambiant, on peut penser à la limite inductive
comme une manière externe de faire exister cette somme. C'est selon ce principe qu'on
construira les clôtures algébriques plus tard.

Exemple.  La notion de germe d'une fonction (polynomiale, holomorphe, etc.) en un


n
point z de C est en général dénie comme une classe d'équivalence de paires (U, f ) formée
d'un voisinage ouvert de z et d'une fonction (polynomiale, holomorphe) sur U . Soit alors
I l'ensemble des voisinages ouverts de z, ordonné par contenance. On constate ainsi que
le C-ev des germes de fonctions holomorphes (par exemple) en z est la limite inductive du
système inductif des C-espaces vectoriels O(U ) des fonctions holomorphes sur U ∈ I avec
morphismes de transition O(U ) −→ O(V ) donnés par restriction des fonctions f 7→ f|V
pour U ⊃V.
Remarque.  Comme précédemment, on peut remplacer systèmes inductifs par diagrammes
indexés par une petite catégorie. La colimite (ou limite inductive) se dénit comme ci-dessus. Dans
l'exemple de la catégorie G associée à un groupe ni G et d'un diagramme G −→ VecC donné par
une représentation V de G, la colimite est l'espace quotient VG de V par le sous-espace engendré
par les v − gv , v ∈ V et g ∈ G (appelé coinvariants de G).

1.3.11 Modules et anneaux noethériens. Les modules de type ni ont les propriétés
suivantes :
 M de type ni et N ⊂ M ⇒ M/N de type ni (exercice).
 N de type ni et M/N de type ni ⇒ M de type ni. En eet, si N est engendré
par m1 , · · · mr ∈ M et si M/N est engendré par des éléments mr+1 , · · · , mr+s (avec
mr+1 , · · · , mr+s ∈ M ), alors M est engendré par m1 , · · · mr+s (exercice).
Par contre, un sous-module d'un module de type ni n'est pas nécessairement de type ni !
Voici deux exemples :

Exemple. M = A = Z[Xi , i ∈ N], (l'anneau des polynômes en une innité de variables,


cf plus bas) et N l'idéal formé de tous les polynômes de terme constant nul. Toute famille
nie de N est contenue dans l'idéal engendré par X1 , · · · , Xn pour n assez grand, et cet
idéal ne contient pas Xn+1 . Donc N n'est pas de type ni.

Exemple.  M = A = Z et N l'idéal engendré par la suite (xn )n∈N où x0 = 2 et xn est


une racine carrée de xn−1 . À nouveau, toute sous-module de type ni de N est contenu
dans le sous-anneau engendré par x1 , · · · , xn pour n assez grand, et ce dernier ne contient
pas xn+1 .
Pour éviter ces pathologies, on introduit la notion de module et anneau noethérien (en
l'honneur d'Emmy Noether qui a inventé ces notions)

Proposition.  Soit M un A-module. Les propriétés suivantes sont équivalentes :

39
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i) tout sous-A-module de M est de type ni.

ii) toute suite croissante de sous-A-modules devient stationnaire à partir d'un certain
rang.

iii) tout ensemble non vide de sous-A-module de M admet un élément maximal pour
l'inclusion.

Démonstration.
S i) ⇒ ii). Soit (Mn )n∈N une suite croissante de sous-modules. Alors la
réunion M = n∈N Mn est aussi un sous-module (le vérier !). Sous la propriété i), il est
engendré par une famille nie d'éléments, laquelle est contenue dans un Mn pour n assez
grand. Il s'ensuit que M = Mn et que MN = Mn pour tout N > n.
ii) ⇒ iii). Montrons la contraposée. Supposons qu'il existe un ensemble de sous-A-
modules de M sans élément maximal. On peut alors construire par récurrence une suite
strictement croissante, et donc qui ne devient jamais stationnaire.
iii) ⇒ i). Soit M 0 un sous-module de M . Considérons l'ensemble des sous-modules de
0
type ni de M , qui est non vide puisqu'il contient {0}. Sous la propriété iii), il admet un
0 0 0
élément maximal N . Soit alors m un élément quelconque de M . Le sous-module N + (m )
0 0
de M est de type ni, donc contenu dans N par maximalité de ce dernier. Donc m ∈ N
0
et M = N est de type ni.

Définition.  Un A-module M satisfaisant les conditions équivalentes de la proposi-


tion sera dit noethérien. L'anneau A est dit lui-même noethérien, s'il est noethérien en
tant que A-module.
Ainsi, un anneau est noethérien si tous ses idéaux sont de type ni. En particulier, un
anneau principal (i.e. dont tous les idéaux sont principaux) est noethérien.

Proposition.  i) Soit M un A-module et N un sous-module. Alors M est noe-


thérien si et seulement si N et M/N le sont.
ii) Une somme directe nie de modules est noethérienne si et seulement si chacun des
facteur est noethérien.

iii) Sur un anneau noethérien, tout module de type ni est noethérien.
ϕ
iv) Soit B −→ A un morphisme d'anneaux. Si M est de type ni, resp. noethérien, en
tant que B -module, alors il l'est aussi en tant que A-module.

Démonstration. i) Supposons M noethérien. Alors tout sous-module de N est un sous-


module de M N est noethérien. De plus, tout sous-module P de
donc est de type ni, et
M/N est l'image par la projection M −→ M/N d'un sous-module P de M (contenant N ),
lequel est engendré par une famille nie m1 , · · · , mr . Donc P est engendré par m1 , · · · , mr
et M/N est noethérien.
Supposons maintenant que N et M/N sont noethériens et soit P un sous-module de M .
Alors P ∩N , qui est un sous-module de N est de type ni. Par ailleurs, le quotient P/(P ∩N )
est canoniquement isomorphe au quotient (N + P )/N (2ème théorème d'isomorphisme),
lequel est un sous-module de M/N (cf Exercice du paragraphe 1.3.4) donc est de type

40
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ni. Il s'ensuit que P est lui-même de type ni : si P ∩N est engendré par p1 , · · · , pr et
P/(N ∩ P ) est engendré par pr+1 , · · · , ps , alors P est engendré par p1 , · · · , ps où pr+1 , · · · ps
sont des relèvements quelconques de pr+1 , · · · , ps dans P .
ii) c'est un cas particulier de i) lorsque il y a 2 facteurs puisque, si M = M1 ⊕ M2 , la

projection sur M2 induit un isomorphisme M/M1 −→ M2 . On passe à n facteurs par une
récurrence immédiate.
iii) Supposons que M est engendré par m1 , · · · , mr . À cette famille correspond un
r
morphisme surjectif A −→ M (qui envoie ei sur mi ). Ainsi M est un quotient de Ar qui,
par le point ii), est noethérien, donc M est noethérien par le point i).
iv) Pour de type ni, il sut de remarquer que toute famille génératrice pour B l'est
a fortiori pour A. Pour noethérien, il sut de remarquer que toute suite croissante de
sous-A-modules de M est aussi une suite croissante de sous-B -modules.

Corollaire.  Tout anneau quotient d'un anneau noethérien est noethérien.

Démonstration. Supposons A = B/J avec B noethérien. Le B -module B/J est de type


ni (et même monogène) donc noethérien, et donc noethérien aussi en tant que A-module
d'après le iv) de la proposition précédente. Donc l'anneau A est noethérien.

Une vertu des anneaux noethériens est qu'ils possèdent susamment d'éléments irré-
ducibles (contrairement à l'anneau Z qui n'en possède aucun, par exemple).

Théorème.  Soit A un anneau intègre et noethérien. Tout élément non nul et non
inversible est produit d'éléments irréductibles.

Démonstration. Considérons l'ensemble I de tous les idéaux principaux (a) engendrés par
un élément non nul et non inversible qui n'est pas produit d'éléments irréductible. Si cet
ensemble I est non vide, il possède un élément maximal (a) car A est supposé noethérien.
Puisque a n'est pas irréducible, on peut l'écrire a = bc avec b, c non inversibles. Alors (b) et
(c) contiennent strictement (a). En eet, si on avait par exemple (b) = (a), ie b = ad pour
un d ∈ A, on aurait a = acd et donc cd = 1 (A est intègre), contredisant la non-inversibilité
de c. Maintenant, puisque a n'est pas produit d'irréductibles, il en va de même pour b ou
pour c, mais cela contredit le choix de (a) comme élément maximal de I .

Remarque.  Il n'est peut-être pas inutile d'expliciter le lien entre éléments irréductibles
et idéaux principaux dans un anneau intègre. Remarquons d'abord qu'un élément a∈A
(a) est maximal parmi les idéaux propres
est irréductible si et seulement si l'idéal principal
principaux de A. En eet, supposons a = bc avec b non inversible. Alors (b) est un idéal
principal propre contenant (a), et on voit que (b) = (a) si et seulement si c est inversible
(remarquer que b = ad ⇒ a = acd ⇒ 1 = cd car A est supposé intègre). En fait,
l'application a 7→ (a) induit, dans tout anneau intègre, une bijection

{ éléments irréductibles modulo équivalence }


←→ { idéaux principaux, maximaux parmi les idéaux principaux propres}.

41
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1.4 Anneaux de polynômes


1.4.1 L'algèbre d'un monoïde : construction et propriété universelle. Soit A un anneau
commutatif et soit (N , +, ν0 )
un monoïde associatif d'élément neutre ν0 . Nous allons pro-
(N )
ter de la loi de N pour munir le A-module libre A d'une structure de A-algèbre. Pour
(N ) (N )
cela, considérons la base canonique (eν )ν∈N de A , de sorte que tout élément de A
P
s'écrit de manière unique (aν )ν∈N = ν∈N aν eν .
Proposition.  Il existe une unique structure de A-algèbre sur A(N ) telle que

eν · eν 0 = eν+ν 0 pour tous ν, ν 0 ∈ N .

Démonstration. Supposons qu'une telle multiplication existe. Alors par A-linéarité on doit
avoir X
(aν )ν∈N · (bν )ν∈N = (cν )ν∈N avec cν = aµ b ρ ,
µ+ρ=ν

ce qui montre l'unicité.


Pour l'existence, remarquons d'abord qu'on peut dénir cν par la somme ci-dessus car
A(N ) et pas dans AN . Un calcul immédiat montre alors
celle-ci est nie puisqu'on est dans
l'associativité et la A-bilinéarité. L'élément neutre est e ν0 et la structure de A-algèbre est
donnée par le morphisme A −→ A(N) , a 7→ aeν0 .
Remarque.  Malgré notre notation pour la loi de N , la construction marche très
+
(N )
bien si N n'est pas commutatif. Dans ce cas, A n'est pas commutatif non plus.

Définition.  La A-algèbre ainsi dénie est appelée A-algèbre du monoïde N et se


note généralement A[N ]. Lorsque N est un groupe, on parle aussi de A-algèbre de groupe.
L'algèbre A[N ] munie de sa base (eν )ν∈N peut aussi être caractérisée par une propriété
universelle, qui comme souvent est la meilleure manière de l'utiliser.

Proposition.  Soit B une A-algèbre munie d'un morphisme de monoïdes ν 7→ bν ,


(N , +, ν0 ) −→ (B, ·, 1). Alors il existe un unique morphisme de A-algèbres ϕ : A[N ] −→
B tel que ϕ(eν ) = bν pour tout ν ∈ N . En d'autres termes, pour toute A-algèbre B ,
l'application ϕ 7→ (ν 7→ ϕ(eν )) est une bijection


HomA−alg (A[N ], B) −→ Hommono (N , (B, ·)).

Rappelons que  ν 7→ bν est un morphisme de monoïdes signie qu'on a dans B les


égalités bν bν 0 = bν+ν 0 pour tous ν, ν 0 ∈ N et bν0 = 1.
Démonstration. Puisque la famille (eν )ν∈N est une base de A[N ], la propriété universelle
des A-modules libres nous assure l'existence d'un unique morphisme de A-modules ϕ :
A[N ] −→ B qui envoie eν sur bν . On en déduit a fortiori l'unicité d'un morphisme comme
dans l'énoncé. Pour l'existence, il faut voir que ce morphisme ϕ est bien compatible à la
multiplication. C'est clair sur la base (eν )ν∈N puisque ϕ(eν eν 0 ) = ϕ(eν+ν 0 ) = bν+ν 0 = bν bν 0 .
Par linéarité, c'est vrai partout.

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Ecole Normale Supérieure FIMFA

Les exemples qui nous intéressent dans ce cours sont développés ci-dessous. Auparavant,
voici un exemple parlant pour ceux qui connaissent les représentations de groupes.

Exemple.  Supposons que N est un groupe, que nous noterons G pour des raisons
psychologiques, et considérons la C-algèbre C[G] du groupe G. On se rappelle qu'un module
sur C[G] est un groupe abélien V muni d'un morphisme d'anneaux C[G] −→ EndZ(V ). C'est
donc aussi un C-espace vectoriel V muni d'un morphisme de C-algèbres C[G] −→ EndC(V ).
Par la propriété universelle, se donner un tel morphisme revient à se donner un morphisme
de groupes G −→ AutC (V ) = GL(V ), c'est-à-dire une représentation complexe de G. Ainsi
la catégorie des représentations de G n'est autre que celle des C[G]-modules.

1.4.2 Polynômes en 1 variable. C'est le cas particulier où (N , +, ν0 ) = (N, +, 0). Notons


(N) n
alors X l'élément e1 = (0, 1, 0, 0, · · · ) de A[N] = A . Par dénition on a X = en , donc la
2 (N)
famille {1, X, X , · · · } est la base canonique de A . Tout élément s'écrit donc de manière
n
P
unique (an )n∈N = n∈N an X avec an = 0 pour n >> 0, et la multiplication s'écrit
! ! !
X X X X
an X n · bn X n = ap b q X n.
n n n p+q=n

Définition.  La A-algèbre A[N] se note A[X] et est appelée A-algèbre des polynômes
en l'indéterminée X A. Ses éléments sont appelés polynômes (en l'indéterminée X ) à
sur
coecients dans A.
La A-algèbre des polynômes A[X] munie de son élément X est caractérisée par la
propriété universelle suivante :

Proposition.  A-algèbre B (commutative ou non) et tout élément b ∈ B ,


Pour toute
il existe un unique morphisme de A-algèbres ϕ : A[X] −→ B tel que ϕ(X) = b. En d'autres
termes, pour toute A-algèbre B , l'application ϕ 7→ ϕ(X) est une bijection


HomA−alg (A[X], B) −→ B.

Sa bijection réciproque associe à un élement


P b ∈ Bn le morphismePd'évaluation
n
en b, i.e.
le morphisme A[X] −→ B qui envoie f= n an X sur f (b) := n an b .

Démonstration. C'est une reformulation de la propriété universelle de l'algèbre A[N], une


fois qu'on a remarqué qu'un morphisme de monoïde N −→ (B, ·) est entièrement déterminé
par l'image de 1 ∈ N.
On peut résumer informellement la proposition ci-dessus ainsi : Se donner un morphisme
de A-algèbres A[X] −→ B revient à se donner l'image b∈B de X.
Corollaire.  Soit M
A-module et χ un endomorphisme du A-module M . Il
un
existe une unique structure de A[X]-module sur M qui étend celle de A-module et telle
que X agisse par χ. Ainsi, la donnée d'un A[X]-module est équivalente à celle d'un couple
formé d'un A-module et d'un endomorphisme de celui-ci.

43
Ecole Normale Supérieure FIMFA

ρ
Démonstration. En eet, si A −→ EndZ (M ) est le morphisme d'anneau qui dénit la
structure de A-module sur M , alors d'après la proposition précédente, il existe un unique
ρ̃
morphisme de A-algèbres A[X] −→ EndZ (M ) qui prolonge ρ et envoie X sur χ. Celui-ci
dénit la structure de A[X]-module annoncée.

La propriété universelle de A[X] et celle des quotients impliquent une propriété univer-
selle pour une A-algèbre de la forme A[X]/(f ) où f ∈ A[X].

Corollaire.  Soit f ∈ A[X], et notons X̄ l'image de X dans A[X]/(f ). Alors pour


toute A-algèbre B , l'application ϕ 7→ ϕ(X̄) induit une bijection

HomA−alg (A[X]/(f ), B) −→ {b ∈ B, f (b) = 0}.

On peut grossièrement paraphraser cet énoncé en disant que se donner un morphisme
de A-algèbres A[X]/(f ) −→ B revient à se donner une racine de f dans B .
Démonstration. Tout d'abord, l'application de l'énoncé est bien dénie car f (ϕ(X̄)) =
ϕ(f (X̄)) = ϕ(f (X)) = ϕ(f ) = ϕ(0) = 0.
Construisons maintenant la bijection réciproque. Partons de b ∈ B tel que f (b) = 0.
La proposition précédente nous fournit un unique morphisme ϕ̃ : A[X] −→ B tel que
ϕ̃(X) = b. On a alors ϕ̃(f ) = f (b) = 0, donc f ∈ Ker(ϕ̃) et la propriété universelle
des quotients nous dit que ϕ̃ se factorise par un morphisme ϕ : A[X]/(f ) −→ B tel que
ϕ(X̄) = ϕ̃(X) = b.
Par construction, ces deux applications sont inverses l'une de l'autre.

Exemples.  se donner un morphisme d'anneaux Z[X]/(X n ) −→ Brevient à se donner


n
un élément nilpotent d'indice 6n de B . Se donner un morphisme d'anneaux Z[X]/(X −
1) −→ B revient à se donner une racine n-ème de l'unité de B.
Voici un autre corollaire utile de la propriété universelle (que l'on pourrait aussi voir
plus laborieusement sur la construction).

Corollaire.  Soit I un idéal de A. Notons ϕ : A[X] −→ A/I[X] l'unique morphisme


de A-algèbres qui envoie X sur X . Alors ϕ induit un isomorphisme

ϕ̄ : A[X]/IA[X] −→ A/I[X].

Démonstration. Puisque ϕ(I) = 0, l'idéal IA[X] de A[X] est contenu dans Ker(ϕ) et donc
ϕ passe bien au quotient pour donnerϕ̄ comme dans l'énoncé. Dans l'autre sens, partons
du morphisme A −→ A[X] et composons-le avec la projection A[X] −→ A[X]/IA[X].
Le morphisme ψ obtenu est nul sur I donc se factorise par un morphisme de A-algèbres
ψ̄ : A/I −→ A[X]/IA[X]. La propriété universelle de A/I[X] nous fournit alors un unique
morphisme ψ̃ : A/I[X] −→ A[X]/IA[X]. La composée ϕ̄ ◦ ψ̃ est l'unique endomorphisme
de la A/I -algèbre A/I[X] qui envoie X sur X , donc c'est l'identité. De même pour l'autre
composée, de sorte que les morphismes ϕ̄ et ψ̃ sont inverses l'un de l'autre.

44
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1.4.3 Transfert de propriétés. Nous allons voir que certaines propriétés d'un anneau A
se transfèrent à l'anneau A[X]. Rappelons d'abord quelques dénitions.
Définition.  f = n an X n un polynôme non nul.
P
Soit

i) Son degré deg(f ) est le plus grand indice n tel que an 6= 0.


ii) Son coecient dominant est adeg(f ) .
iii) On dit que f est unitaire si adeg(f ) = 1.
Proposition.
P 
n n
P P
Soit f = n an X et g = n bn X dans A[X] supposés non nuls.
n
Ecrivons fg = n cn X . Alors on a deg(f g) 6 deg(f )+deg(g) avec égalité si et seulement
si adeg(f ) bdeg(g) 6= 0. Dans ce cas, on a cdeg(f g) = adeg(f ) bdeg(g) .
Démonstration. La dénition du produit montre que f g = adeg(f ) bdeg(g) X deg(f )+deg(g) +
(termes de degré plus petit).

Remarque.  Pour que l'égalité sur le degré d'un produit soit vraie sans restriction sur
les facteurs, on déclarera que le degré du polynôme nul est −∞, et que ce symbole vérie
les relations d'ordre −∞ < 0 et d'addition ∀n ∈ N, −∞ + n = −∞.
Exercice.  Donner un exemple de polynômes où deg(f g) < deg(f ) + deg(g).
Corollaire.  Si A est intègre, alors A[X] est intègre aussi, et A[X]× = A× .
Démonstration. L'égalité deg(f g) = deg(f ) + deg(g) implique que f, g 6= 0 ⇒ f g 6= 0,
ie que A[X] est intègre. Enn, si f g = 1 et puisque deg(1) = 0, on doit avoir deg(f ) =
deg(g) = 0, donc f, g ∈ A et nalement f, g ∈ A× .
A[X]× peut être strictement plus gros que A× . Soit A = Z/p2 Z.
Exemple.  Parfois
Alors le polynôme 1 + pX est inversible dans A[X], d'inverse 1 − pX . En eet, on a
(1 + pX)(1 − pX) = 1 − p2 X = 1.
Proposition. (Division euclidienne)  Soit f ∈ A[X]
un polynôme unitaire (et donc
2
non nul). Alors pour tout g ∈ A[X] non nul, il existe un unique couple (q, r) ∈ A[X] tel
que deg(r) < deg(f ) et g = qf + r
Démonstration. Existence. On procède par récurrence sur δ := deg(g) − deg(f ). Notons
que si δ < 0, on peut prendre q = 0 et r = g . D'un autre côté, si δ > 0, on peut
0 δ
considérer g := g − bdeg(g) X f , où bdeg(g) est le coecient dominant de g . Alors clairement
δ 0 = deg(g 0 ) − deg(f ) < δ , et par récurrence il existe q 0 , r0 tels que g 0 = q 0 f + r0 . On a donc
g = (q 0 + bdeg(g) X δ )f + r0 comme voulu.
0 0 0 0 0
Unicité. Si qf + r = q f + r , on a (q − q )f = r − r . Supposons que r 6= r . Alors on
0 0 0
a deg(r − r) < deg(f ) et deg(qf − qf ) = deg(q − q ) + deg(f ) car f est unitaire, ce qui
0 0 0
est impossible. On a donc r = r , puis qf = qf et enn q = q car f n'est pas diviseur de
zero, étant unitaire.

Corollaire.  Soit f ∈ A[X] unitaire de degré d. Alors le quotient A[X]/(f ) est un


d−1
A-module libre de base {1, X, · · · , X }, où X désigne l'image de X dans A/(f ).

45
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Démonstration. Soit g ∈ A[X]. Ecrivons g = qf + r avec deg(r) < deg(f ). On a donc


r = d−1 i
P
i=0 ci X pour des ci dans A. Alors l'image g de g dans A[X]/(f ) est donnée par
Pd−1 i
g = r = i=0 ci X , ce qui montre que la famille de l'énoncé est bien génératrice. Par
Pd i Pd i
ailleurs, supposons que i=1 ci X = 0. Alors r := i=1 ci X ∈ (f ) et par l'unicité de la
division euclidienne, on a r = 0, donc ci = 0 pour tout i et la famille de l'énoncé est bien
une base du A-module A[X]/(f ).
Remarque.  Attention, A[X]/(f ) n'est bien-sûr pas libre en tant que A[X]-module,
sauf si f = 1.
Théorème. (Thm de la base de Hilbert)  Si A est noethérien, A[X] est noethérien.

Démonstration. Soit I un idéal de A[X]. On veut montrer qu'il est de type ni. Comme
principe général, on peut remarquer que, par 1.3.7, il sut de montrer que I/J est un idéal
de type ni dans A[X]/J où J ⊂I est un sous-idéal de type ni de notre choix.
En particulier, lorsque I contient un polynôme unitaire f , on peut prendre J = (f ). Le
corollaire précédent nous dit que A[X]/J est un A-module de type ni, donc noethérien,
et I/J est donc de type ni sur A et a fortiori sur A[X].
Néanmoins, I peut ne contenir aucun polynôme unitaire. Dans ce cas, considérons
l'ensemble K ⊂ A de tous les coecients dominants de polynômes f ∈ I . Il s'agit clairement
d'un idéal de A (le vérier), et donc il est engendré sur A (qui est noethérien) par des
éléments a1 , · · · , ar . Choisissons pour chaque i = 1, · · · , r un polynôme fi ∈ I dont le
coecient dominant est ai , et notons J ⊂ I l'idéal de A[X] engendré par f1 , · · · , fr . Nous
allons montrer que l'image I/J de I dans A[X]/J est un A-module de type ni, ce qui
sut à conclure d'après le premier paragraphe.
Pour cela, soit d = max{deg(f1 ), · · · , deg(fr )}. Il sut de montrer que

(*) Tout polynôme f ∈I est congru modulo J a un polynôme de degré < d.


En eet, si on admet (*), on voit que I/J est l'image de I ∩ (A + AX + · · · + AX d−1 ) qui
est un sous-A-module de (A + AX + · · · + AX d−1 ) donc est de type ni sur A noethérien.
Donc I/J est lui même de type ni.
deg(f ). La propriété étant tautologique si deg(f ) <
Montrons donc (*), par récurrence sur
d, supposons deg(f ) > d et notons δi := deg(f ) − deg(fi ) > 0 pour i = 1, · · · , r. Alors le
coecient dominant de f est de la forme adeg(f ) = c1 a1 + · · · + cr ar pour c1 , · · · , cr ∈ A.
0
Pr δi 0 0
Il s'ensuit que si on pose f := f − i=1 ci X fi alors f ≡ f (mod J) et deg(f ) < deg(f ).
0
On applique l'hypothèse de récurrence à f pour conclure.

1.4.4Polynômes à plusieurs variables. On s'intéresse ici à l'algèbre du monoïde N =


N . Un élément ν ∈ Nn est donc un n-uplet (ν1 , · · · , νn ) d'entiers positifs et la somme est
n
0 0 0 n
dénie terme à terme par ν + ν = (ν1 + ν1 , · · · , νn + nn ). Posons alors, dans A[N ],

Xi := e(0,··· ,1,··· ,0) , où le 1 est en i-ème position.

46
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On a donc, pour tout ν = (ν1 , · · · , νn ) l'égalité

eν = X1ν1 X2ν2 · · · Xnνn .


Ainsi la famille (X1ν1 · · · Xnνn )(ν1 ,··· ,νn )∈Nn est la base canonique de A[Nn ], autrement dit tout
élément f de A[Nn ] s'écrit de manière unique sous la forme
X
f= aν1 ,··· ,νn X1ν1 · · · Xnνn .
(ν1 ,··· ,νn )

Pour simplier les notations, il est d'usage de noter X ν := X1ν1 · · · Xnνn , et donc f =
ν
P
ν∈Nn aν X . La multiplication est alors donnée par
! ! !
X X X X
aν X ν · bν X ν = aµ b ρ Xν
ν∈Nn ν∈Nn ν µ+ρ=ν

Définition.  L'algèbre A[Nn ] se note aussi A[X1 , · · · , Xn ] et s'appelle aussi algèbre


des polynômes en les indéterminées X1 , · · · , Xn . Ses éléments sont appelés polynômes
n
ν ν1 ν2 ν
en les Xi et les élements X = X1 X2 · · · Xnn sont les monômes.

Ainsi les monômes forment une base de A[X1 , · · · , Xn ] et tout polynôme est combinaison
ν
A-linéaire de monômes. Le degré total du monôme P X ν est par dénition l'entier |ν| =
ν1 + · · · + νn . Le degré total d'un polynôme f = ν aν X est le plus grand des degrés des
ν
monômes X tels que aν 6= 0.
n
La propriété universelle satisfaite par A[N ] s'exprime plus aisément en termes des Xi :

Proposition.  Pour toute A-algèbre B munie d'éléments b1 , · · · , bn , il existe un


unique morphisme de A-algèbres ϕ : A[X1 , · · · , Xn ] −→ B tel que ϕ(Xi ) = bi pour tout
i. En d'autres termes, pour toute A-algèbre B , l'application ϕ 7→ (ϕ(X1 ), · · · , ϕ(Xn )) est
une bijection

HomA−alg (A[X1 , · · · , Xn ], B) −→ B n .
Sa bijection réciproque associe à un élement (b1 , · · · , bn ) ∈ B n le morphisme P
d'évaluation
ν
en (b1 , · · · , bn ), P
i.e. le morphisme A[X1 , · · · , Xn ] −→ B qui envoie f = ν aν X sur
f (b1 , · · · , bn ) := ν aν bν11 · · · bνnn .
Démonstration. On peut le montrer directement. Mais il est plus naturel de le déduire de
n
la propriété universelle de A[N ] en remarquant que se donner n éléments b1 , · · · , bn est
n
équivalent à se donner un morphisme de monoïdes (N , +, 0) −→ (B, ·, 1), ν 7→ bν via la
ν1 ν2 ν
relation bν = b1 b2 · · · bnn .

On peut paraphraser la proposition en disant informellement que se donner un mor-


phisme A[X1 , · · · , Xn ] −→ B revient à se donner les images b1 , · · · , bn des Xi .
Corollaire.  Soient f1 , · · · , fr des polynômes dans A[X1 , · · · , Xn ]. L'application de
la proposition précédente induit par restriction une bijection


HomA−alg (A[X1 , · · · , Xn ]/(f1 , · · · , fr ), B) −→ {(b1 , · · · , bn ) ∈ B n , fi (b1 , · · · , bn ) = 0, ∀i} .

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Démonstration. Par la propriété universelle des quotients, le terme de gauche s'identie


au sous-ensemble {ϕ ∈ HomA−alg (A[X1 , · · · , Xn ], B), ϕ(f1 ) = · · · = ϕ(fr ) = 0} de l'en-
semble de gauche dans la proposition précédente. Comme on a dans B l'égalité ϕ(fi ) =
fi (ϕ(X1 ), · · · , ϕ(Xn )), ce sous-ensemble est bien envoyé sur le terme de droite par la bijec-
tion de la proposition.

On peut à nouveau paraphraser ceci en : se donner un morphisme de A-algèbres


A[X1 , · · · , Xn ]/(f1 , · · · , fr ) −→ B équivaut à se donner un n-uplet (b1 , · · · , bn ) ∈ B n tel
que f1 (b1 , · · · , bn ) = · · · = fr (b1 , · · · , bn ) = 0.
On aurait pu aussi construire inductivement les polynômes en plusieurs variables en
considérant A[X1 , · · · , Xn−1 ][Xn ]. C'est aussi une A-algèbre munie d'un n-uplet d'éléments
X1 , · · · , Xn . Comme on peut s'y attendre on obtient le même objet.


Corollaire.  Il y a un unique isomorphisme de A-algèbres A[X1 , · · · , Xn ] −→
A[X1 , · · · , Xn−1 ][Xn ] tel que Xi 7→ Xi .
Démonstration. Il sut de montrer que la A-algèbre A[X1 , · · · , Xn−1 ][Xn ] satisfait la même
propriété universelle que A[X1 , · · · , Xn ]. Soit donc B une A-algèbre munie de n éléments
b1 , · · · , bn . La propriété universelle de A[X1 , · · · , Xn−1 ] nous fournit un morphisme de A-
algèbres A[X1 , · · · , Xn−1 ] dans B qui envoie Xi sur bi pour i = 1, · · · , n − 1. Cela fait
de B une A[X1 , · · · , Xn−1 ]-algèbre. Ensuite, la propriété universelle des polynômes en une
indéterminée nous fournit un morphisme de A[X1 , · · · , Xn−1 ]-algèbres

ϕ : A[X1 , · · · , Xn−1 ][Xn ] −→ B

qui envoie Xn sur bn . Ainsi, ϕ est aussi un morphisme de A-algèbres qui envoie Xi sur bi
0
pour tout i. Montrons qu'un tel morphisme est unique. Si ϕ est un autre tel morphisme,
0 0
on a ϕ|A[X1 ,··· ,Xn−1 ] = ϕ|A[X ,··· ,X par pté universelle de A[X1 , · · · , Xn−1 ], puis ϕ = ϕ par
1 n−1 ]
pté universelle des polynômes en une variable.

Corollaire.  Si A est intègre, resp. noethérien, alors A[X1 , · · · , Xn ] est intègre,


resp. noethérien.

Démonstration. Grâce au corollaire précédent on est ramené par récurrence au cas d'1
indéterminée que nous avons déjà traité.

Remarque.  Dans C[X, Y ], l'idéal (X, Y )n est engendré par les monômes X k Y n−k ,
k = 0, · · · , n. Par un argument de degré, on voit que tout système de générateurs de cet
idéal devra contenir une base de l'espace des polynômes homogènes de degré n, et donc
n+1 est le cardinal minimal d'un tel système. Ceci montre que dans un anneau noethérien,
le nombre d'éléments nécessaires pour engendrer un idéal peut être arbitrairement grand.

Application.  Soit F(Cn )


C-algèbre de toutes les fonctions Cn −→ C. Parmi ces
la
n
fonctions il y a les fonctions coordonnées z1 , · · · , zn . On dénit la C-algèbre O(C ) des fonc-
n
tions polynomiales sur C comme l'image du morphisme de C-algèbres C[X1 , · · · , Xn ] −→
n
F(C ) qui envoie Xi sur zi . En d'autres termes, une fonction est polynomiale si elle est de

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la forme (z1 , · · · , zn ) 7→ f (z1 , · · · , zn ) pour un polynôme f ∈ C[X1 , · · · , Xn ]. Notons que ce


polynôme est uniquement déterminé par la fonction (exercice). En d'autres termes, le mor-
n n
phisme C[X1 , · · · , Xn ] −→ F(C ) est injectif et on peut identier C[X1 , · · · , Xn ] = O(C ).
Notons que la propriété universelle fournit une bijection


Cn −→ HomC−alg (O(Cn ), C), z 7→ (f 7→ f (z))
qui permet de voir tout point de l'espace Cn comme un morphisme d'évaluation sur
l'algèbre des fonctions sur cet espace.
n
Plus généralement, soit V ⊂ C un sous-ensemble algébrique de Cn et F(V ) la C-
algèbre de toutes les fonctions V −→ C. Une telle fonction est dite polynomiale si c'est
la restriction d'une fonction polynomiale sur Cn . L'application de restriction des fonctions
fournit donc un morphisme surjectif

O(Cn ) = C[X1 , · · · , Xn ]  O(V ).


Soit I son noyau, i.e. l'idéal des fonctions f ∈ O(Cn ) qui s'annulent sur V . D'après le dernier
corollaire, I est de type ni, engendré par des polynômes f1 , · · · , fr ∈ C[X1 , · · · , Xn ]. On
a donc

V = V (I) := V (f1 , · · · , fr ) := {(z1 , · · · , zn ) ∈ Cn , f1 (z1 , · · · , zn ) = · · · = fr (z1 , · · · , zn )}.


[En eet, l'inclusion V ⊂ V (I) est claire, et puisque V est algébrique donc de la forme
V (f10 , · · · , fr0 0 ) pour d'autres polynômes fi0 , on a fi0 ∈ I pour tout i, et donc V (I) ⊂
V (f10 , · · · , fr0 0 ) = V .] On s'aperçoit donc que la propriété universelle pour le quotient
C[X1 , · · · , Xn ]/I = O(V ) fournit la bijection

V −→ HomC−alg (O(V ), C), z ∈ (f 7→ f (z))
et que, à nouveau, les points de l'espace V s'interprètent comme des morphismes d'évalua-
tion sur saC-algèbre de fonctions polynomiales.
n
Rappelons maintenant que nous avons déni une application polynômiale de V ⊂ C
0 n0
vers V ⊂ C comme une application obtenue par restriction d'une application polynô-
n n0 0
miale C −→ C à V . Si h : V −→ V est une telle application, elle induit dualement
0 0 0
un morphisme de C-algèbres O(V ) −→ O(V ), f 7→ h ◦ f . Réciproquement tout mor-
0 ∗
phisme ϕ : O(V ) −→ O(V ) induit une application ϕ : V = HomC−alg (O(V ), C) −→
0
HomC−alg (O(V ), C) = V . Ces deux procédés fournissent des bijections réciproques
App.Pol(V, V 0 ) ←→ HomC−alg (O(V 0 ), O(V ))
qui montrent que la bonne manière intrinsèque de caractériser un ensemble algébrique
(sans référence à un espace ambiant et un système d'équations) est d'utiliser son algèbre
de fonctions polynômiales. Celle-ci est une C-algèbre réduite de type ni (et donc noethé-
rienne).
Réciproquement, toute C-algèbre réduite de type ni A est l'algèbre des fonctions d'un
sous-ensemble algébrique : choisi un morphisme surjectif C[X1 , · · · , Xn ] −→ A, des géné-
rateurs (f1 , · · · , fr ) de son noyau et considérer V (f1 , · · · , fr ).

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1.4.5 Polynômes de Laurent. On s'intéresse ici à l'algèbre du monoïde


Z (qui est donc
un groupe !). La A-algèbre A[Z] possède donc une base (en )n∈Z telle que en em = en+m pour
n
tout n, m ∈ Z. Notons alors X := e1 . On a en = X pour tout n ∈ Z, et tout élément de
A[Z] s'écrit de manière unique f = n∈Z an X n .
P

Définition.  L'algèbre A[Z] est appelée algèbre des polynômes de Laurent. On la


note généralement A[X, X −1 ], ou parfois aussi A[X ±1 ].
La propriété universelle de A[X, X −1 ] s'exprime ainsi :

Proposition.  A-algèbre B munie d'un élément inversible b,


Pour toute il existe
−1
un unique morphisme de A-algèbres ϕ : A[X, X ] −→ B tel que ϕ(X) = b. En d'autres
termes, pour toute A-algèbre B , l'application ϕ 7→ ϕ(X) induit une bijection


HomA−alg (A[X, X −1 ], B) −→ B × .
On peut paraphraser en disant que se donner un morphisme A[X, X −1 ] −→ B revient
à se donner un élément inversible de B, à savoir l'image de X.
Proposition.  Si A est intègre, resp. noethérien, alors A[X, X −1 ] est intègre, resp.
noethérien.

Démonstration. Supposons A intègre. L'anneau des polynômes ordinaires A[X] est contenu
−1
dans A[X, X ] et on sait qu'il est intègre. Soient alors f, g ∈ A[X, X −1 ] tels que f g = 0. Il
n n n n
existe un entier n ∈ N tel que f X ∈ A[X] et gX ∈ A[X]. Alors l'égalité (f X )(gX ) = 0
n n
qui a lieu dans A[X] implique que f X = 0 ou gX = 0. Puisque X est inversible dans
A[X, X −1 ] on a f = 0 ou g = 0. Il s'ensuit que A[X, X −1 ] est intègre.
−1
Supposons maintenant A noethérien. Nous allons présenter A[X, X ] comme un quo-
tient d'un anneau que l'on sait être noethérien. Pour cela considérons l'unique morphisme
A[X, Y ] −→ A[X, X −1 ] qui envoie X sur X et Y sur X −1 (donné par la pté universelle).
n n n −n
Il envoie aussi X sur X et Y sur X et on voit ainsi qu'il est surjectif, puisque son
−1
image contient une base de A[X, X ]. On a vu que A[X, Y ] est noethérien, on en déduit
−1
que A[X, X ] l'est aussi.
Exercice.  Montrer que le noyau du morphisme A[X, Y ] −→ A[X, X −1 ] qui envoie X
−1
sur X et Y sur X est l'idéal engendré par XY − 1, de sorte que

A[X, X −1 ] = A[X, Y ]/(XY − 1).

1.4.6 Polynômes de Laurent à n indéterminées. C'est l'exemple N = Zn . L'algèbre


n n
A[Z ] contient la sous-algèbre A[N ] donc les éléments X1 , · · · , Xn dénis précédemment.
ν1 ν n
On voit alors que les monômes de Laurent X1 · · · Xnn pour ν = (ν1 , · · · , νn ) ∈ Z forment
n ±1 ±1
une A-base de A[Z ]. On note aussi cet anneau A[X1 , · · · , Xn ]. Se donner un mor-
±1 ±1
phisme A[X1 , · · · , Xn ] −→ B équivaut à se donner un n-uplet (b1 , · · · , bn ) d'élements
inversibles de B . Ceci nous permet de voir, comme dans le cas des polynômes ordinaires,
±1 ±1 ±1 ±1 ±1
que A[X1 , · · · , Xn ] ' A[X1 , · · · , Xn−1 ][Xn ]. Par récurrence on en déduit que si A est
±1 ±1
intègre, resp. noethérien, alors A[X1 , · · · , Xn ] l'est aussi.

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Remarque.  Il n'est pas vrai en général que A intègre implique A[N ] intègre. Par
2
exemple pour N = Z/2Z, on a A[Z/2Z] ' A[X]/(X −1) (exercice) dans lequel (X −1)(X +
1) = 0 mais X −1 et X +1 sont non nuls. Quant à la propriété  A noethérien implique A[N ]
noethérien, l'exemple des polynômes à une innité de variables A[N ] = A[X1 , X2 , · · · ]
N

montre qu'elle n'est pas toujours vraie. Elle est néanmoins vraie si le monoïde N est
engendré par un nombre ni d'éléments (exercice).

1.5 Anneaux factoriels, principaux, euclidiens


Dans cette section, tous les anneaux considérés seront intègres (et commutatifs), sauf
mention du contraire.

1.5.1 Généralités sur les anneaux factoriels. Soit A un anneau intègre. Rappelons
quelques dénitions et propriétés déjà rencontrées :
 un élément p ∈ A non nul et non inversible est dit irréductible si pour tous a, b ∈ A,
(p = ab) ⇒ (a ∈ A× ou b ∈ A× ).
0
 deux éléments irréductibles p, p ∈ A sont dits équivalents (ou associés) s'il existe
× 0 0
un inversible u ∈ A tel que p = up, ce qui équivaut à l'égalité d'idéaux (p) = (p )
(on utilise l'intégrité de A ici).
 un élément x ∈ A non nul et non inversible est irréductible si et seulement si l'idéal
(x) est maximal parmi les idéaux principaux propres.
 si l'idéal (x) est premier, alors x est irréductible.
Ceci étant, rappelons la dénition suivante.

Définition.  L'anneau intègre A est dit factoriel (en anglais : Unique Factorisation
Domain ou UFD) lorsqu'il satisfait les deux propriétés suivantes :

(Ex) : tout élément x∈A non nul et non inversible est produit x = p 1 · · · pr d'éléments
irréductibles.
0 0
(Un) : deux factorisations x = p1 · · · pr = p1 · · · pr0 comme dans (Ex) sont équivalentes au
0 0
sens où r = r et il existe une permutation σ de {1, · · · , r} telle que pi et pσ(i) soient
0
équivalents (ie (pi ) = (pσ(i) )).

On a vu que les anneaux noethériens satisfont (Ex), mais il y a aussi des anneaux

√ C[N ] = C[X1 , · · · , Xn , · · · ]. On a aussi


N
non noethériens qui satisfont (Ex), par exemple
rencontré des anneaux noethériens, comme Z[ −5], qui ne satisfont pas (Un). Voici un
autre exemple dans lequel, même la longueur d'une décomposition en produit d'irréduc-
√ √
tibles n'est pas unique : dans
√Z[ −23], √
les nombres 3 et (2 ± −23) sont irréductibles et
on a pourtant l'égalité (2 + −23)(2 − −23) = 33 .
Remarque. (Pathologies dans un anneau non intègre)  Considérons A = C[X, Y ]/(XY ).
L'élement X̄ engendre un idéal premier (car le quotient C[X, Y ]/(XY, X) = C[Y ] est intègre) et
pourtant l'égalité X̄(1 + Ȳ ) = X̄ montre que X̄ n'est pas un élément irréductible ! (noter que
1 + Ȳ n'est pas inversible puisque (XY, 1 + Y ) = (X, Y + 1) est un idéal propre dans C[X, Y ]).
Pire : bien que A soit noethérien, X̄ n'est pas produit d'irréductibles. En eet si X̄ = p1 · · · pr et

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si on écrit chaque pi sous la forme pi = X̄fi (X̄) + gi (Ȳ ), alors on constate que l'un des gi doit
être nul. Mais alors l'égalité (1 + Ȳ )pi = pi montre à nouveau que pi n'est pas irréductible.
Lemme.  Soit A un anneau intègre satisfaisant (Ex). Alors les assertions suivantes
sont équivalentes :

i) A satisfait (Un)

ii) A satisfait le lemme d'Euclide : (p irréductible et p|ab) ⇒ (p|a ou p|b).


iii) A satisfait le lemme de Gauss : (a|bc et a, b sont sans facteur commun) ⇒ a|c.
iv) pour tout élément irréducible p, l'idéal (p) est premier.

Démonstration. iii) ⇒ ii) est tautologique puisque le lemme d'Euclide est un cas particu-
lier du lemme de Gauss.
Montrons ii) ⇒ i).
Plus précisément, montrons par récurrence sur r qu'une égalité de
0 0 0
produits d'irréductibles p1 · · · pr = p1 · · · pr 0 implique r = r et l'existence d'une permuta-
0
tion σ de {1, · · · , r} telle que (pi ) = (pσ(i) ). Traitons d'abord le cas r = 1. Dans ce cas,
0 0
le lemme d'Euclide nous dit que p1 divise l'un des pi , disons p1 quitte à permuter. Mais
0 0 0 × 0
alors, si r > 1 on a p2 · · · pr 0 ∈ A , ce qui est absurde. Donc r = 1. Supposons mainte-
0
nant r > 1. Comme précédemment, pr divise l'un des pi et on peut supposer qu'il divise
p0r0 quitte à permuter. On a donc p0r = u.pr pour un inversible u ∈ A× et on se retrouve
0 0 0
avec une égalité p1 · · · pr−1 = p1 · · · pr 0 −2 (pr 0 −1 u) justiciable de l'hypothèse de récurrence.
0 0
Celle-ci arme donc r = r et fournit une permutation σ d'où l'on déduit la permutation
0
cherchée σ en tenant compte de la première permutation eectuée pour avoir pr |pr 0 .
Montrons i) ⇒ iii). Choisissons une factorisation b = p1 · · · ps , puis une factori-
sation c = ps+1 · · · pr . Alors la propriété (Un) implique
Q qu'il existe un sous-ensemble
×
I ⊂ {1, · · · , r} et une unité u ∈ A tels que a = u i∈I pi . Puisque a et b sont sans
facteur commun, on a I ∩ {1, · · · , s} = ∅, et donc I ⊂ {s + 1, · · · , r}, et nalement a|c.
Enn, ii) et iv) sont tautologiquement équivalents. En eet, dire que (p) est premier
signie ab ∈ (p) ⇒ (a ∈ (p) ou b ∈ (p)). Or, pour tout x ∈ A on a x ∈ (p) ⇔ p|x.

1.5.2 Valuations.

Lemme.  Soit A un anneau intègre noethérien et p un élément irréductible.

i) Pour tout élément non nul a∈A l'ensemble E des n∈N tel que pn |a est ni.

ii) Le plus grand élément νp (a) de E est l'unique entier n pour lequel on peut écrire
a = pn a0 avec a0 non divisible par p.
iii) On a : (p) premier ⇔ ∀a, b ∈ A \ {0}, νp (ab) = νp (a) + νp (b).
Démonstration. i) Supposons que l'ensemble considéré E ne soit pas borné, c'est à dire
n n
que ∀n ∈ N on a p |a. Ecrivons alors a = p an et remarquons que puisque A est intègre,
m n m−n
on a pour m > n, p am = p an donc p am = an et am divise an . Comme an ne divise
pas am , il s'ensuit que la suite d'idéaux (an ), n ∈ N est strictement croissante, contredisant
la noethériannité de A.

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ii) Puisque p p
ν (a)
|a on peut factoriser a = pνp (a) a0 et, par maximalité de νp (a), p ne
0 n 00 00
divise pas a . Supposons qu'on ait une autre factorisation a = p a avec a non divisible
νp (a)−n 0
par p. Alors par dénition n 6 νp (a). Comme A est intègre on obtient p a = a00 et
0 00
donc νp (a) − n = 0, ainsi que a = a .
ν (a) 0
iii) Supposons (p) premier, et xons a, b 6= 0. Ecrivons a = p p a et b = pνp (b) b0 . On a
νp (a)+νp (b) 0 0 0 0 0 0
donc ab = p a b . Mais puisque p ne divise ni a ni b , i.e. a , b ∈/ (p), on a a0 b0 ∈ / (p)
0 0
(puisque (p) est premier), et donc p ne divise pas a b . Le ii) implique alors l'égalité voulue
νp (a) + νp (b) = νp (ab).
Réciproquement, supposons cette égalité vraie pour tous a, b non nuls. Alors ab ∈ (p) ⇔
p|ab ⇒ νp (ab) > 0 ⇒ (νp (a) > 0 ou νp (b) > 0) ⇒ (p|a ou p|b) ⇔ (a ∈ (p) ou b ∈ (p)). Donc
(p) est premier.

Définition.  Sous les hypothèses du lemme, on appelle valuation p-adique de a et


on note νp (a) n tel que pn |a.
le plus grand entier naturel

Si a est inversible, on a donc νp (a) = 0 pour tout p. Il est d'usage de prolonger cette
dénition en posant νp (0) = ∞.
Remarque.  On trouve aussi la notation ordp (a), pour ordre de a en p. Celle-ci
vient de l'interprétation géométrique suivante : dans C[X] vu comme espace des fonctions
polynomiales sur C, et pour tout z ∈ C, le polynôme X − z est évidemment irréductible
et l'entier νX−z (f ) = ordX−z (f ) est l'ordre d'annulation de la fonction f en z .

Proposition.  Soit A un anneau factoriel.

i) Soit p ∀a, b ∈ A, νp (ab) = νp (a) + νp (b)


un élément irréductible. On a :

ii) Soient a, b ∈ A. On a : (a|b) ⇔ (∀p ∈ A irréductible, νp (a) 6 νp (b)).

iii) Soit p un élément irréductible et a ∈ A de factorisation a = p1 · · · pr . Alors νp (a)


est le nombre de facteurs pi équivalents à p.

iv) Soit P un ensemble de représentants des classes d'équivalence d'éléments irréduc-


tibles de A. Pour tout a ∈ A non nul, l'ensemble {p ∈ P, νp (a) 6= 0} est ni et il
× νp (a)
Q
existe u ∈ A tel que a = u p∈P p .

Démonstration. i)Lorsque ab 6= 0, cela vient du iii) du lemme précédent. Lorsque ab = 0,


l'égalité reste vraie avec la convention que ∞+∞=∞
ii) L'implication ⇒ découle de i). Pour l'implication ⇐ on procède par récurrence sur
le nombre r(a) de facteurs irréductibles de a. Si r(a) = 0 alors a est inversible et on a bien
a|b. Si r(a) > 0 choisissons un diviseur irréductible q de a. On a νq (b) > νq (a) > 0 donc q
0 0 0 0
divise aussi b. Posons a = qa et b = qb . On a νq (b ) = νq (b) − 1 > νq (a) − 1 = νq (a ) et
0 0 0
pour tout p 6= q on a νp (b ) = νp (b) > νp (a) = νp (a ). Comme r(a ) < r(a), on peut donc
0 0 0 0
appliquer HR à a , b , ce qui nous donne a |b , puis a|b.
Pr
iii) On utilise i) pour avoir νp (a) = i=1 νp (pi ). Or on a

1 si p est équivalent à pi
νp (pi ) =
0 sinon.

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iv) Factorisons a = p1 · · · pr . D'après iii) on a νp (a) 6= 0 si et seulement si p estQéquivalent


17 νp (a)
à l'un des pi d'où la nitude de {p ∈ P, νp (a) 6= 0} et donc celle du produit p∈P p .
De plus, toujours le point iii) nous dit que νp (a) est le cardinal de l'ensemble Ip := {i ∈
{1, · · · , r}, pi ∈ A× p}. On a donc i∈Ip pi ∈ A× pνp (a) . Comme les Ip non vides forment une
Q
× νp (a)
Q
partition de {1, · · · , r}, on en déduit que a ∈ A p∈P p comme voulu.

Remarque.  Dans un anneau intègre noethérien non factoriel, toutes ces propriétés

peuvent être mises en défaut. Prenons l'exemple de
√ √ Z[ −5]
et de la factorisation 2 × 3 =
√ √
(1 + −5)(1 − −5). On peut montrer (exercice ou voir TD) que 2, 3, 1 + −5 et 1 − −5
sont des éléments irréductibles 2 à 2 non équivalents. Il s'ensuit que :
√ √
 en prenant p = 2, a = 1 +
√ −5 et b = 1 − −5 on a un contre-exemple à la pté i).
 en prenant a = 2(1 + −5) et b = 6 on a un contre-exemple à l'implication ⇐ de
ii).
√ √
 En prenant p = 2, a = 6 et la factorisation 6 = (1 + −5)(1 − −5) on obtient un
contre-exemple à iii)

pνp (a)
Q
 En prenant a = 6, le produit p∈P est divisible par 2 × 3 × (1 + −5)(1 −

−5) = 36 donc pas de la forme annoncée dans le iv).

Nous donnons maintenant une sorte de réciproque à la proposition ci-dessus. On appelle


valuation d'un corpsK toute application v : K \ {0} −→ Z telle que v(xy) = v(x) + v(y)
etv(x + y) > Min(v(x), v(y)) pour tous x, y ∈ K . Ces axiomes assurent que l'ensemble
Av := {x ∈ K, v(x) > 0} ∪ {0} est un sous-anneau de K .
Proposition.  Soit K un corps et V un ensemble de valuations de K tel que :

i) ∀x ∈ K, {v ∈ V, v(x) 6= 0} est ni.

ii) ∀v ∈ V, ∃pv ∈ K tel que v(pv ) = 1 et (w 6= v ⇒ w(pv ) = 0).


T
Alors l'anneau A := v∈V Av = {x ∈ K, ∀v ∈ V, v(x) > 0} ∪ {0} est factoriel et les pv sont
un système de représentants de ses classes d'irréductibles.

Démonstration. Après avoir remarqué que A× = {x ∈ K × , ∀v ∈ V, v(x) = 0}, montrons


que les pv sont irréductibles. En eet, si pv = ab et a ∈ / A× alors w(a) = w(b) = 0 pour
×
tout w 6= v , et v(a) + v(b) = 1 avec v(a) 6= 0, donc v(b) = 0 et b ∈ A . Par ailleurs,
−1
si a est non nul et non inversible, il existe v tel que v(a) > 0, donc pv a ∈ A et par
conséquent pv |a. Il s'ensuit que tout irréductible est associé à un pv . L'hypothèse i) nous
Q v(a)
assure maintenant que pour a ∈ A \ {0} le produit v∈V pv est bien déni. Comme
−v(a)
∈ A× , on en déduit que A vérie la propriété (Ex). Il nous reste à montrer
Q
a v∈V pv
que A vérie la propriété (Un), et pour cela nous montrons que pv satisfait le lemme
d'Euclide. On a pv |ab ⇔ v(ab) > 0 ⇒ (v(a) > 0 ou v(b) > 0) ⇔ (pv |a ou pv |b).

17. on verra plus loin un exemple pas si exotique d'anneau noethérien où cette nitude n'est pas vériée

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1.5.3 Pgcd et ppcm dans un anneau factoriel.

Proposition.  Soit A un anneau factoriel et a1 , · · · , an ∈ A.


i) L'idéal I := (a1 ) ∩ · · · ∩ (an ) est principal. Pour un élément m ∈ A, les assertions
suivantes sont équivalentes :

(a) m est un générateur de I


(b) ∀i, ai |m et pour tout x∈A on a : (∀i, ai |x) ⇒ m|x.
(c) ∀p irréductible νp (m) = max{νp (ai ), i = 1, · · · , n}
ii) L'ensemble des idéaux principaux contenant tous les ai contient un unique élément
minimal. Pour un élément d ∈ A, les assertions suivantes sont équivalentes :

(a) d est un générateur de J


(b) ∀i, d|ai et pour tout x∈A on a : (∀i, x|ai ) ⇒ x|d.
(c) ∀p irréductible νp (d) = min{νp (ai ), i = 1, · · · , n}
Ceci nous invite à la dénition suivante.

Définition.  Avec les notations de la proposition, tout générateur de I est appelé


un ppcm des ai . Tout générateur de J est appelé un pgcd des ai . On dit que les ai sont
premiers entre eux si J = A.
On prendra donc garde au fait qu'un ppcm ou un pgcd n'est déni qu'à multiplication
par un inversible près.

Démonstration. Choisissons un ensemble P de représentants des classes d'équivalence d'élé-


ments irréductibles de A.
p ∈ P , posons vp := max{νp (ai ), i = 1, · · · , n}. Puis m := p∈P pvp , qui
Q
i) Pour tout
est bien déni par le iv) de la proposition précédente. Comme νp (m) = vp > νp (ai ), le ii) de
la proposition précédente nous assure que chaque ai divise m, donc m ∈ I . Par ailleurs, si
x ∈ I , on a d'après ce même point ii) νp (x) > νp (ai ) pour tout p et tout ai , donc νp (x) > vp
et nalement m|x. Donc I = (m) est principal. On en déduit aussi l'équivalence entre (a)
et (c). Quant à l'équivalence entre (a) et (b), elle est tautologique puisque pour tout x ∈ A
on a équivalence (tautologique) entre (x ∈ I ) et (∀i, ai |x).
up
Q
ii)Pour tout p ∈ P , posons up := min{νp (ai ), i = 1, · · · , n}. Puis d := p∈P p . Alors
d|ai pour tout i (proposition précédente) donc (d) contient chaque (ai ). Réciproquement,
si (x) contient chaque (ai ), alors x divise chaque ai et νp (x) 6 νp (ai ) pour tout i, donc
νp (x) 6 up = νp (d) et x divise d. Ainsi l'idéal (d) est le plus petit idéal principal contenant
chaque (ai ). Le même argument montre l'équivalence de (a), (b) et (c).

Remarque. (Attention)  Par dénition, a et b sont premiers entre eux si A est le


seul idéal principal qui contient (a, b). On prendra garde au fait que cela n'implique pas
en général que (a, b) = A. Par exemple dans C[X, Y ] (dont on verra plus loin qu'il est
factoriel), on a (X, Y ) C[X, Y ].

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1.5.4 Anneaux principaux et euclidiens. Un anneau A est dit principal s'il est intègre
et si tous ses idéaux sont principaux. Un tel anneau est donc en particulier noethérien.
Les exemples les plus célèbres sont Z et K[X], et plus généralement les anneaux euclidiens
(voir plus loin).

Théorème.  Soit A un anneau principal.

i) A est factoriel.

ii) Tout idéal premier non nul est maximal.

iii) Si a, b ∈ A sont premiers entre eux alors (a, b) = A.


Démonstration. iii) Puisque A est principal, l'idéal (a, b) est principal. L'hypothèse pre-
miers entre eux signie que le seul idéal principal contenant (a, b) est A. Donc (a, b) = A.
ii) Soit I un idéal premier non nul. Puisque A est principal, I est engendré par un
élément non nul, disons I = (x). Puisque I est premier, x est irréductible, et donc (x) est
maximal parmi les idéaux principaux propres. Mais comme tous les idéaux sont principaux,
(x) est un idéal maximal tout court.
i) A est principal donc noethérien donc il satisfait l'existence (Ex) de factorisations.
Par ailleurs, si x est irréductible, nous venons de voir que (x) est un idéal maximal, donc
a fortiori premier. D'après le lemme vu plus haut, A vérie donc (Un).

Définition.  Un anneau intègre A est dit euclidien s'il admet une fonction N :
A \ {0} −→ N vériant la propriété suivante : pour tous a, b non nuls, il existe q, r ∈ A
tels que b = qa + r et (N (r) < N (a) ou r = 0).

Théorème.  Soit A un anneau euclidien. Tout idéal I non nul est engendré par tout
élément a ∈ I \ {0} tel que N (a) soit minimal. En particulier, A est principal.

Démonstration. Soient I et a comme dans l'énoncé, et soit b ∈ I . Ecrivons b = qa + r


avec (N (r) < N (a) ou r = 0. Si r 6= 0, alors r = b − qa ∈ I et la minimalité de N (a) est
contredite. Donc r = 0 et b ∈ (a), et nalement I = (a).

Bien-sûr, Z est le prototype d'anneau euclidien, avec N la fonction valeur absolue.

Exemple.  Soit K un corps. Alors la fonction f 7→ N (f ) = deg(f ) fait de K[X] un


anneau euclidien, donc principal, et donc factoriel. Un idéal I de K[X] est engendré par
tout polynôme f ∈ I de degré minimal.
Attention, si A n'est pas un corps, A[X] n'est pas euclidien (ni principal). Nous avons
en eet déni la division euclidienne par un polynôme unitaire de A[X], ce qui s'étend à un
polynôme dont le coecient dominant est inversible dans A, mais si ce coecient dominant
n'est pas inversible, il n'y a pas moyen de diviser euclidiennement. Concrètement, soit
a∈A un élément non nul et non inversible, alors l'idéal (a, X) n'est pas principal.

Exemple.  Soit A = Z[i]. Alors la fonction z√7→ N (z) := z z̄ en fait un anneau euclidien,
donc principal (cf TD). De même pour A = Z[ −2] et pour Z[j].

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Exercice.  On va montrer que l'anneau d'entiers A = Z[ 1+ 2−19 ] est principal, mais
pas euclidien.

i) Montrer que dans un anneau euclidien, il existe un élément non inversible x tel que
tout élément non nul du corps A/(x) est image d'un inversible de A.
×
ii) Montrer que A = {±1} mais que A n'a aucun morphisme d'anneaux surjectif vers
F2 et F3 . A n'est pas euclidien.
En conclure que

iii) Montrer que pour a, b ∈ A \ {0}, il existe (q, r) tels que (r = 0 ou N (r) < N (a)) et
(b = qr + a ou 2b = qr + a). Puis montrer qu'un idéal I de A est engendré par un
élément a ∈ I de norme minimale.

Notre prochain but est de prouver le théorème de transfert de Gauss qui arme que si
A est factoriel alors A[X] l'est aussi. Nous aurons besoin de la notion de corps des fractions
d'un anneau intègre.

1.6 Localisation, corps des fractions


1.6.1 Localisation : construction. Dans un anneau commutatif A, on dit qu'un sous-
ensemble S de A est une partie multiplicative si S est stable par multiplication, contient 1
mais ne contient pas 0. (Autrement dit, S est un sous-monoïde unitaire de (A \ {0}, ·, 1)).
Exemples.  Voici quelques exemples de parties multiplicatives.
 Lorsque A S = A \ {0}.
est intègre, l'ensemble
 Pour A non intègre, l'ensemble S = Areg des éléments réguliers de A.
n
 Si f ∈ A n'est pas nilpotent, l'ensemble S = {f , n ∈ N} des puissances de f.
 Si p est un idéal premier, l'ensemble complémentaire A \ p (le vérier).

Soit S une partie multiplicative de A. On munit l'ensemble A × S de la relation d'équi-


valence suivante (exercice : vérier la transitivité) :

(a, s) ∼ (a0 , s0 ) ⇔ ∃t ∈ S, t(as0 − a0 s) = 0.


0 0
On remarquera que lorque A est intègre, le côté droit se simplie en : as − a s = 0. On
−1 a
notera S A := (A × S)/ ∼ l'ensemble quotient, et s la classe d'équivalence de (a, s). On
−1
dénit sur S A une addition par la formule suivante :
Lemme.  i) L'application (A × S) × (A × S) −→ A × S qui envoie ((a, s), (b, r))
sur (ar + bs, sr) induit une loi associative et commutative

+: S −1 A × S −1 A → S −1 A
( as , rb ) 7→ as + rb = ar+bs
sr

d'élément neutre 0 := 0s pour tout s.


ii) L'application (A × S) × (A × S) −→ A × S qui envoie ((a, s), (b, r)) sur (ab, sr)
induit une loi associative, commutative, et distributive par rapport à +,

·: S −1 A × S −1 A → S −1 A
( as , rb ) 7→ as · rb = ab
sr

57
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1 −1
d'élément neutre 1 := 1
. Ainsi (S A, +, ·) est un anneau.
ι
iii) L'application A −→ S −1 A, a 7→ a1 est un morphisme d'anneaux.
0
Démonstration. i) Vérions d'abord que la loi est bien dénie. Soit (a , s0 ) ∼ (a, s) et
(b , r ) ∼ (b, r). Il existe donc t, u ∈ S tels que t(as − a s) = 0 = u(br − b0 r). On a alors
0 0 0 0 0

ut((ar + bs)s0 r0 − (a0 r0 + b0 s0 )sr) = 0 et il s'ensuit que (ar + bs, sr) ∼ (a0 r0 + b0 s0 , s0 r0 ), ce qui
−1
montre que la loi + est bien dénie sur S A. La commutativité de cette loi est évidente,
0
ainsi que le fait que en est un élément neutre (indépendant de s). L'associativité résulte
s
aussi d'un calcul sans diculté.
ii) Même raisonnement que ci-dessus en plus facile, laissé au lecteur.
iii) Il sut de l'écrire.

Remarque.  Le noyau du morphisme canonique ι : A −→ S −1 A est constitué des


éléments a tels que (a, 1) ∼ (0, 1). On voit donc que Ker(ι) = {a ∈ A, ∃t ∈ S, at = 0} est
constitué en particulier de diviseurs de 0.
Proposition.  Si A est noethérien, alors S −1 A est noethérien.

−1 −1 a
Démonstration. Soit J un idéal de S A. Posons I := ι (J) = {a ∈ A, 1 ∈ J}. Alors pour
tout
a
s
∈ J , on a 1 = s · 1 ∈ J , donc a ∈ I . Il s'ensuit que J = ι(I) · S −1 A est engendré
a a s
−1
par l'image de I dans S A, et donc par tout système de générateurs de I dans A.
Exercice.  Rappelons que l'on note Spec(A) l'ensemble des idéaux premiers de l'anneau
−1
A. Montrer que l'application p 7→ ι (p) induit une bijection

Spec(S −1 A) −→ {q ∈ Spec(A), q ∩ S = ∅}
dont la bijection réciproque est q 7→ S −1 q := (S × q)/∼ = ι(q) · S −1 A.
Exercice.  Montrer que A réduit implique S −1 A réduit.

1.6.2 Localisation : propriété universelle. La propriété remarquable de S −1 A est que


les éléments de S y deviennent inversibles. En eet, si s ∈ S on a dans S −1 A l'égalité
s
1
· 1s = 1s · 1s = ss = 11 = 1. En fait, S −1 A est caractérisé, en tant que A-algèbre, par la
propriété universelle suivante :

Proposition. 
ϕ
Pour toute A-algèbre A −→ B telle que ϕ(S) ⊂ B × , il existe un
ϕ̃
unique morphisme de A-algèbres S −1 A −→ B (autrement dit un unique morphisme d'an-
neaux tel que ϕ̃ ◦ ι = ϕ).
Démonstration. Unicité : si ϕ̃ est comme dans l'énoncé, on doit avoir pour tout a, s ∈ A×S
a s a a −1
l'égalité ϕ̃( )ϕ̃( ) = ϕ̃( ) = ϕ(a), et donc ϕ̃( ) = ϕ(a)ϕ(s) . D'où l'unicité de ϕ̃.
s 1 1 s
a −1
Existence : il nous faut vérier que l'expression ϕ̃( ) := ϕ(a)ϕ(s) est bien dénie.
s
0 0 0 0 0 0
Or, si(a , s ) ∼ (a, s) il existe t ∈ S tel que tas = ta s donc ϕ(t)ϕ(a)ϕ(s ) = ϕ(t)ϕ(a )ϕ(s),
−1
puis ϕ(a)ϕ(s) = ϕ(a0 )ϕ(s0 )−1 (noter que la commutativité de la multiplication est ici cru-
ciale). L'expression voulue est donc bien dénie. Reste à voir qu'elle dénit un morphisme
d'anneau, ce qui est un calcul immédiat.

58
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Remarque.  Appliquée à B = S −1 A, l'unicité dans la proposition implique que l'iden-


−1
tité est l'unique endomorphisme de la A-algèbre S A.
Remarque.  L'application ι : A −→ S −1 A est en général loin d'être surjective. Pour-
tant, l'unicité dans la proposition ci-dessus montre que ι
est un épimorphisme au sens
0 −1
catégorique du terme, i.e. il est simpliable à gauche : pour toute paire ψ, ψ : S A −→ B
0 0
de morphismes de A-algèbres, on a ψ ◦ ι = ψ ◦ ι ⇒ ψ = ψ .

Remarque.  Dans la proposition on peut autoriser B à être non commutative. Voici


une conséquence intéressante du cas non commutatif : un A-module M sur lequel chaque
−1
élément s ∈ S agit bijectivement est canoniquement un S A-module (et réciproquement).
−1
De plus, si M et N sont des S A-modules, tout morphisme de A-modules est automati-
−1
quement un morphisme de S A-modules, i.e.

HomS −1 A (M, N ) = HomA (M, N ).

Remarque.  La propriété universelle ci-dessus suggère une autre construction pour


−1
S A, qui utilise la propriété universelle de l'algèbre A[S] du monoïde S . En eet, l'ap-
1 −1
plication s 7→ est un morphisme de monoïdes S −→ (S A \ {0}, ·, 1), donc il existe un
s
−1
morphisme de A-algèbre ϕ : A[S] −→ S A qui envoie es sur 1s pour tout s ∈ S . On a
s1
alors ϕ(ses − 1) = ϕ(s)ϕ(es ) − 1 = − 1 = 0 pour tout s ∈ S , donc ϕ se factorise par un
1s
morphisme
ϕ̄ : A[S]/hses − 1, s ∈ Si −→ S −1 A,
où hses − 1, s ∈ Si désigne l'idéal engendré par les éléments ses − 1, s ∈ S .
Corollaire.  Le morphisme ϕ̄ ci-dessus est un isomorphisme de A-algèbres.
Démonstration. Construisons-lui un inverse. Soit f¯ l'image d'un f ∈ A[S] dans le quotient
A[S]/hses − 1, s ∈ Si. On a s̄ēs = 1, donc s̄
est inversible dans ce quotient, et donc par
−1
la proposition précédente il existe un morphisme ψ : S A −→ A[S]/hses − 1, s ∈ Si qui
1
envoie sur ēs . Puisque les ēs sont une famille génératrice du A-module A[S]/hses − 1, s ∈
s
Si, le morphisme ψ est surjectif. Par ailleurs, la composée ϕ̄ ◦ ψ est l'identité (cf remarque
ci-dessus), donc ψ est aussi injectif et ϕ̄ est son inverse.

1.6.3
Le corps des fractions d'un anneau intègre. Supposons A intègre et S = A \ {0}.
−1
Dans ce cas, tout élément non nul de S A est de la forme ab avec a, b 6= 0, et donc est
b −1
inversible d'inverse . Ainsi, S A est un corps qui contient A (via ι), appelé corps des
a
fractions de A et aussi noté Frac(A). On retrouve par exemple la construction de Q =
Frac(Z) ou du corps K(X) = Frac(K[X]) des fractions rationnelles en une indéterminée
sur un corps.

Lemme.  Soit A intègre de corps des fractions K. Alors Frac(A[X]) = K(X).


Démonstration. Puisque tout élément non nul de A[X] ⊂ K[X] est inversible dans K(X)
(qui est un corps), la propriété universelle du localisé nous fournit un morphisme canonique
Frac(A[X]) −→ K(X), qui est d'ailleurs injectif puisque c'est un morphisme de corps.

59
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Montrons qu'il est surjectif. Pour cela, il faut vérier que toute fraction rationnelle Q =
˜
f
∈ K(X) avec f, g ∈ K[X] peut s'écrire fg̃ avec f˜, g̃ ∈ A[X]. Ecrivons f = n abnn X n et
P
g
g = n dcnn X n . Posons a := n bn n dn . Il sut de poser f˜ := af et g̃ := ag .
P Q Q

Plus généralement, on note K(X1 , · · · , Xn ) := Frac(K[X1 , · · · , Xn ]). Le lemme ci-


dessus joint à l'isomorphisme K[X1 , · · · , Xn ] = K[X1 , · · · , Xn−1 ][Xn ] nous montre que
K(X1 , · · · , Xn ) = K(X1 , · · · , Xn−1 )(Xn ).
Regardons maintenant le cas particulier d'un anneau factoriel :

Proposition.  Soit A factoriel et K := Frac(A). Pour tout élément irréductible


p ∈ A, la valuation p-adique se prolonge de manière unique en une fonction

νp : K × −→ Z telle que νp (xy) = νp (x) + νp (y), ∀x, y ∈ K × .

De plus, si P désigne un ensemble des classes d'équivalence d'éléments irréductibles de A,


x ∈ K × est de la forme x = u · p∈P pνp (x) avec u ∈ A× . En particulier
Q
alors tout élément
on a
∀x ∈ K × , x ∈ A ⇔ (∀p irréductible, νp (x) > 0).
a a b
Démonstration. Si x = b , la condition d'additivité sur νp nous impose νp (a) = νp ( b · 1 ) =
νp ( ab )+νp (b) et donc νp ( ab ) = νp (a)−νp (b). D'où l'unicité d'un éventuel prolongement. Pour
a0
l'existence, il faut vérier que cette expression ne dépend que de x. Mais si x = 0 , on a
b
a0 b = ab0 et donc νp (a0 ) + νp (b) = νp (a) + νp (b0 ) et nalement νp (a) − νp (b) = νp (a0 ) − νp (b0 )
a
comme voulu. La seconde assertion sur x = découle de la même assertion valable dans
b
A appliquée à a et b. Cette seconde assertion montre le sens ⇐ de la dernière équivalence,
tandis que le sens ⇒ est clair.
Exercice.  Montrer que pour tous x, y ∈ K on a νp (x + y) > min(νp (x), νp (y)) (avec
la convention que νp (0) = ∞ et ∞>n pour tout entier n). Ainsi νp est une valuation de
K(X) au sens de 1.5.2.

Nous sommes maintenant en mesure de prouver le théorème dit de transfert de Gauss.

Théorème.  Si A est factoriel, alors A[X] est factoriel.

Démonstration. D'après la proposition précédente appliquée à l'anneau factoriel (et même


principal)K[X], tout polynôme irréductible f ∈ K[X] fournit une valuation νf du corps
K(X). NotonsV+ l'ensemble de ces valuations.
Par ailleurs, si un élément p ∈ A est irréductible dans A, il l'est aussi dans A[X]
au vu de l'additivité des degrés. De plus, l'idéal pA[X] qu'il engendre est premier car
A[X]/pA[X] ' (A/pA)[X] est intègre (puisque A est factoriel). La valuation p-adique νp
de A[X] étend celle de A, et est donnée explicitement par

νp (f ) = min{νp (an ), n ∈ N} pour f = n an X n .


P

60
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m 0
En eet, si mp désigne le nombre de droite on peut écrire an = p p an pour tout n et
f = pmp f 0 avec f 0 = n a0n X n . Comme l'un des a0n n'est pas divisible par p, l'image de f 0
P
0
dans A[X]/pA[X] ' (A/pA)[X] est non nulle, donc f n'est pas divisible par p dans A[X]
et nalement mp = νp (f ).
D'après la proposition précédente, νp s'étend au corps des fractions K(X). Notons V0
l'ensemble des valuations de K de la forme νp , et posons V := V0 ∪ V+ . On a alors

A[X] = K(X)V := {f ∈ K(X), ∀v ∈ V, v(f ) > 0}.

En eet, la proposition précédente nous dit que K(X)V+ = K[X] et KV0 = A, donc la
formule νp (f ) = Min{νp (an ), n ∈ N} valable pour f ∈ K[X] (car νp (f ) = νp (af ) − νp (a) et
on peut choisir a pour que af ∈ A[X]) montre que K(X)V0 ∩ K[X] = KV0 [X] = A[X].
Il ne nous reste plus qu'à montrer que V satisfait les deux hypothèses de la deuxième
proposition 1.5.2.
i) Par la proposition précédente, si f ∈ K(X) {v ∈ V+ , v(f ) 6= 0} est
alors l'ensemble
ni. Pour la même raison, pour a ∈ K l'ensemble {v ∈ V0 , v(a) 6= 0} est ni. La formule
de νp (f ) pour f ∈ K[X] montre alors que {v ∈ V0 , v(f ) 6= 0} est ni. Il en est de même
g
pour toute f ∈ K(X), puisque elle est de la forme avec g, h ∈ K[X].
h
ii) Pour v ∈ V0 , il existe pv ∈ A tel que v = νpv . On a alors v(pv ) = 1 et w(pv ) = 0 pour
w ∈ V0 distincte de v . De plus, pour w ∈ V+ on a aussi w(pv ) = 0 puisque w est de la forme
νf pour un polynôme f de degré > 0. Soit maintenant v ∈ V+ . Elle est de la forme νf pour
w(f )
∈ A, et posons fv := c−1 f . On
Q
un polynôme irréductible f ∈ K[X]. Soit c := w∈V0 pw
a alors w(fv ) = 0 pour toute valuation w ∈ V0 . De plus, on a aussi w(fv ) = 0 pour w = νg
dans V+ distincte de v .

Remarque.  Pour A intègre général, on peut toujours mettre une fraction sous la forme
a
x= b
avec a, b sans facteur commun. Lorsque A est factoriel, cette écriture est unique aux
a0 0 0 ×
unités près, i.e. si x = 0 avec a , b sans facteurs communs, alors il existe u ∈ A tel que
b
a0 = ua et b0 = ub. Cela découle de la proposition
√ ci-dessus. Lorsque
√ A n'est pas factoriel,
2 1− −5
on n'a pas une telle unicité. Exemple dans Z[ −5] : √ = 3 .
1+ −5

Que se passe-t-il si on localise un anneau intègre pour une partie multiplicative quel-
conque ?

Lemme.  Soit A intègre et S ⊂A une partie multiplicative. On a un isomorphisme


canonique

S −1 A −→ {x ∈ Frac(A), ∃s ∈ S, sx ∈ A}
qui fait de S −1 A une sous-A-algèbre de Frac(A).
Démonstration. Puisque tout s ∈ S
est inversible dans Frac(A) la propriété universelle
−1
du localisé fournit un morphisme canonique S A −→ Frac(A). Ce morphisme est injectif
a a
puisque si est dans le noyau alors aussi, donc a = 0 puisque A s'injecte dans Frac(A).
s 1
Son image est clairement celle décrite dans l'énoncé.

On peut remarquer que S −1 A est en particulier intègre, de corps des fractions Frac(A).

61
Ecole Normale Supérieure FIMFA

−1
Exercice.  Montrer que si A est factoriel, alors S A l'est aussi, et que l'application
x 7→ x1 induit une bijection de l'ensemble des classes d'association d'éléments irréductibles
de A ne divisant pas un élément de S sur l'ensemble des classes d'association d'éléments
irréductibles de S −1 A.

1.6.4 Inversion d'un élément. f ∈ A est non nilpotent et S = {f n , n ∈ N}, on


Lorsque
−1
note aussi A(f ) ou encore A[f ] l'anneau S −1 A. Cette dernière notation est justiée par
−1
le corollaire 1.6.2 qui implique que l'unique morphisme de A-algèbres A[X] −→ A[f ] qui
1
envoie X sur induit un isomorphisme
f


A[X]/(Xf − 1) −→ A[f −1 ].

Remarque.  Comme Ker(A −→ A[f −1 ]) = {x ∈ A, ∃n ∈ N, f n x = 0}, on voit que


−1
A[f ] est un anneau non nul, puisque f n'est pas nilpotent. Il contient donc un idéal
maximal, dont l'image réciproque dans A est, d'après l'exercice 1.6.1, un idéal premier p
T
tel que f ∈
/ p. On voit ainsi que l'intersection p∈Spec(A) p est formée d'éléments nilpotents
de A. Comme par ailleurs tout nilpotent appartient à tout p premier, on a donc obtenu :

Proposition.  (0) =
p T
p.
p∈Spec(A)

Exemple.  Dans l'anneau A[X], prenons f = X. On retrouve l'anneau A[X, X −1 ] des


polynômes de Laurent.

Exercice.  Soit A = C[X, Y ]/(X 2 Y ) et f = X, montrer que A[f −1 ] = C[X, X −1 ].


X
Exercice.  Soit A = C[X, Y ]/(XY ) et f = X + Y . Montrer que l'élément e = X+Y
est
−1
un idempotent dans A[f ], puis montrer que A[f −1 ] = C[X, X −1 ] × C[Y, Y −1 ].
Interprétation géométrique. (Fonctions régulières sur un ouvert principal de Cn )  Si f
n
est une fonction polynomiale sur C , notons

Uf := {z ∈ C, f (z) 6= 0} = Cn \ V (f ).

C'est un ouvert dense de Cn et on a Uf ∩ Uf 0 = Uf f 0 . On aimerait une bonne notion de


fonction régulière sur Uf .
On pourrait penser aux fonctions obtenues comme restriction
n
de fonctions polynomiales sur C , mais cela est contraire à l'intuition que sur Uf il devrait y
n
avoir plus de fonctions régulières, certaines se prolongeant à C , d'autres non. La fonction
f ne s'annulant pas sur Uf , son inverse f −1 semble être le prototype de fonction régulière
n
ne se prolongeant pas à C et nous amène à la dénition suivante : une fonction régulière
−k
sur Uf est une fonction de la forme z 7→ g(z)f (z) pour une fonction polynomiale g sur
n
C et un entier k ∈ N. L'ensemble O(Uf ) des fonctions régulières sur Uf est une C-algèbre
et on a par dénition un isomorphisme

O(Uf ) = O(Cn )[f −1 ].

à comparer avec l'isomorphisme O(V (f )) = O(Cn )/(f ).

62
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Interprétation géométrique. (Fonctions rationnelles sur Cn )  Considérons l'ensemble


n
des paires (U, ϕ) formées d'un ouvert principal de C et d'une fonction régulière ϕ ∈ O(U )
m
(par dénition, il existe donc f, g ∈ C[X1 , · · · , Xn ] tels que U = Uf et ϕ(z) = g(z)/f (z) ).
0 0 0
On identie (U, ϕ) ∼ (U , ϕ ) si ϕ|U ∩U 0 = ϕU ∩U 0 . On appelle alors fonction rationnelle sur
Cn toute classe d'équivalence de paires (U, ϕ). Le terme fonction est donc ici un peu abusif
n
puisque le domaine de dénition d'une telle fonction n'est pas C tout entier. L'ensemble
M(Cn ) des fonctions rationnelles sur C est une C-algèbre : on a (U, ϕ) + (U 0 , ϕ0 ) := (U ∩
U 0 , ϕ + ϕ0 ) et (U, ϕ)(U 0 , ϕ0 ) = (U ∩ U 0 , ϕϕ0 ). C'est même un corps où l'inverse est donné
−1
par (Uf , ϕ) = (Ug , ϕ−1 ) si ϕ(z) = g(z)/f (z) et ϕ 6= 0 (et donc g 6= 0). Ce corps n'est pas
mystérieux :

Lemme.  On a M(Cn ) ' C(X1 , · · · , Xn ).


g
Démonstration. À une fraction rationnelle f
∈ C(X1 , · · · , Xn ) on associe la paire
Q =
(Uf , ϕ) avec ϕ(z) = g(z)/f (z). On obtient visiblement un morphisme de C-algèbres non
nul, donc injectif puisque C(X1 , · · · , Xn ) est un corps. Par ailleurs, ce morphisme est
surjectif par dénition des fonctions rationnelles.

1.6.5 Localisation en un idéal premier. est un idéal premier d'un anneau A, et


Si p
S := A \ p, on note généralement Ap le localisé Ap := S −1 A. Noter que si (et même
seulement si) A est intègre, l'idéal nul p=0 est premier et on a vu que le localisé associé
est le corps des fractions de A. Ceci est un cas particulier du résultat suivant.

Proposition.  Soit pAp Ap engendré par l'image de p. Alors A×


l'idéal de p = Ap \pAp ,
l'idéal pAp est l'unique idéal maximal de Ap et le morphisme canonique A −→ Ap induit
un morphisme injectif A/p ,→ Ap /pAp qui identie Ap /pAp au corps des fractions de A/p.
ι
Démonstration. Considérons la composée ϕ := A −→ Ap −→ Ap /pAp . Son noyau contient
clairement p donc elle se factorise par un morphisme ϕ : A/p −→ Ap /pAp . Tout élément
non nul de l'anneau intègre A/p provient d'un élément de A \ p donc, par dénition du
localisé Ap , est envoyé sur un élément inversible de Ap /pAp . Par propriété universelle du
corps des fractions d'un anneau intègre on a donc une factorisation de ϕ :

ϕ̃
ϕ : A/p ,→ Frac(A/p) −→ Ap /pAp .

Dans l'autre sens, considérons la composée ψ : A −→ A/p ,→ Frac(A/p). Elle envoie tout
élément de A \ p sur un élément non nul donc inversible dans Frac(A/p). Par propriété
universelle, ψ se factorise par le localisé Ap en ψ̃ : Ap −→ Frac(A/p). Clairement, p est
contenu dans le noyau, donc ψ̃ se factorise à son tour par le quotient

ψ
ψ̃ : Ap  Ap /pAp −→ Frac(A/p).

La composée ψ ◦ ϕ̃ est un endomorphisme de la A-algèbre Frac(A/p), donc de la A/p-


algèbre Frac(A/p), donc est égal à l'identité par l'unicité dans la pté universelle du localisé
Frac(A/p). De même, la composée ϕ̃ ◦ ψ est un endomorphisme de la A-algèbre Ap /pAp .

63
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Un tel endomorphisme est aussi Ap -linéaire (cf remarque plus haut), i.e est un morphisme
de Ap -algèbres, donc est égal à l'identité de Ap /pAp . Ainsi ϕ̃ et ψ sont des isomorphismes
réciproques de A-algèbres.
À ce point nous en déduisons que Ap /pAp est un corps, donc que pAp est un idéal
×
maximal de Ap et aussi que Ap ⊂ Ap \ pAp . Pour montrer l'inclusion réciproque, soit
a
x = b ∈ Ap avec a ∈ A et b ∈ A \ p. Si x est dans le complémentaire Ap \ pAp alors
a ∈ A \ p. Donc a est inversible dans Ap et x aussi. D'où l'inclusion Ap \ pAp ⊂ A×
p voulue.
Cette inclusion implique aussi que tout idéal propre I de Ap est contenu dans pAp , et donc
que ce dernier est bien le seul idéal maximal de Ap .
Remarque.  Le premier exercice de 1.6.1 nous dit que l'applicationq 7→ qAp est une

bijection {q ∈ Spec(A), q ⊂ p} −→ Spec(Ap ) et la propriété universelle des localisés nous

fournit un unique isomorphisme de A-algèbres Aq −→ (Ap )qAp pour tout q ⊂ p.

Exemple.  Supposons A factoriel et p principal. Notons νp := νp la valuation associée


à n'importe quel générateur p de p (elle ne dépend que de p). Alors

Ap = {x ∈ Frac(A), νp (x) > 0}.

En eet, un lemme précédent identie Ap à {x ∈ Frac(A), ∃s ∈ (A \ p), sx ∈ A}. Or,


A \ p = {s ∈ A, νp (s) = 0}, donc sx ∈ A ⇒ νp (x) = νp (sx) > 0 et, réciproquement, si
νp (x) > 0 on peut mettre x sous la forme x = as avec νp (s) = 0 d'après la proposition 1.6.3.
De même on a
pAp = {x ∈ Frac(A), νp (x) > 0}.
Considérons l'exemple p = pz = (X − z) pour un z ∈ C (tout idéal
A = C[X] et
premier non nul de C[X] est de cette forme car C est algébriquement clos). On a vu que
la valuation νX−z est l'ordre d'annulation en z d'une fonction polynomiale. La discussion
ci-dessus identie donc le localisé Apz à la sous-algèbre de C(X) formée des fractions
rationnelles qui n'ont pas de pôle en z .

Interprétation géométrique. (Fonctions rationnelles sur une variété algébrique irréduc-


n
tible )  Après avoir introduit la notion de fonction rationnelle sur C ci-dessus, on voudrait
n
maintenant faire de même sur un sous-ensemble algébrique V ⊂ C . Nous supposons ici que
V est irréductible, i.e. que O(V ) est un anneau intègre, donc de la forme O(V ) = O(Cn )/p
avec p idéal premier de O(Cn ). On a alors

V = V (p) = {z ∈ Cn , ∀f ∈ p, f (z) = 0} et p = {f ∈ O(Cn ), f|V = 0}.

La discussion que nous avons faite pour Cn s'adapte sans diculté à V. On considère
les classes d'équivalences de paires (U, ϕ) où U est un ouvert de V de la forme Uf =
{z ∈ V, f (z) 6= 0} pour une fonction f ∈ O(V ) et ϕ ∈ O(Uf ) := O(V )[f −1 ] est une
fonction régulière sur U . On obtient un corps M(V ) qui en termes algébriques s'identie
à Frac(O(V )). D'où une première dénition commode :

(1) M(V ) := Frac(O(V )) = Frac(A/p) où A := O(Cn ) = C[X1 , · · · , Xn ].

64
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Néanmoins, l'intuition géométrique voudrait plutôt que l'on tente de dénir une fonction
n
rationnelle sur V comme la restriction d'une fonction rationnelle (U, ϕ) sur C . Cela n'est
évidemment possible que si le domaine de dénition U intersecte V . Dans ce cas on dit que
la fonction rationnelle est dénie sur un ouvert de V  et on pose (U, ϕ)|V := (U ∩ V, ϕ|U ∩V )
qui est une paire formée d'un ouvert dense principal de V et d'une fonction régulière
sur cet ouvert. Il est alors naturel de dénir

(2) M(V ) comme l'ensemble des classes d'équivalence de paires de la forme


(U ∩ V, ϕ|U ∩V ),

où la relation d'équivalence sur les paires formées d'un ouvert dense et d'une fonction est
la même que précédemment.
n
Notons alors M(C )V l'ensemble des fonctions rationnelles sur Cn qui sont dénies sur
un ouvert dense de V. Via l'isomorphisme du lemme précédent, on constate que

 
n f
M(C )V ' Q = ∈ C(X1 , · · · , Xn ), g|V 6= 0 = Ap .
g

La dénition (2) présente alors M(V ) comme le quotient de M(Cn )V par l'idéal IV des
fonctions qui s'annulent sur V. Or via le lemme précédent on peut identier

 
f
IV ' Q = ∈ C(X1 , · · · , Xn ), g|V 6= 0 et f|V = 0 = pAp .
g

La dénition (2) revient donc à poser M(V ) := Ap /pAp et la proposition ci-dessus nous
assure que la dénition (1) lui est équivalente.

Interprétation géométrique. (Anneau local d'une variété algébrique en un point )  Conti-


n
nuons avec le contexte ci-dessus d'un ensemble algébrique irréductible V ⊂C , et xons
un point z ∈ V. Ce point fournit un morphisme d'évaluation O(V ) −→ C dont le noyau
est un idéal maximal mz . Le localisé O(V )z = O(V )mz correspondant est un sous-anneau
de M(V ) qui s'interprète comme l'algèbre des fonctions rationnelles sur V dénies au
voisinage de z. On l'appelle anneau local de V en z
Exemple. (Un exemple d'anneau noethérien où un élément admet une innité de divi-
2 3
seurs irréductibles non associés )  Considérons la courbe V d'équation X − Y = 0 dans
2
C et le point z = (0, 0) (qui, si l'on fait le dessin des points réels, apparait comme un point
singulier). Dans C[X, Y ], considérons la partie multiplicative S formée des polynômes de
−1
terme constant non nul. Alors O(V )z = S C[X, Y ]/(X 2 − Y 3 ) le quotient du localisé par
2 3 2 2 2
l'idéal engendré par (X − Y ). Pour tout a ∈ C, on a (aX + Y )(aX − Y ) = (a X − Y )
2 2 2 2 2 2
dans C[X, Y ]. Dans O(V )z , on a (a X − Y ) = Y (a Y − 1), et l'élément a Y − 1 est
2
inversible. Il s'ensuit que Y est divisible, dans O(V )z , par tous les éléments aX +Y , a ∈ C,
dont on vérie facilement qu'ils sont irréductibles et 2 à 2 non associés.

65
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1.6.6 L'anneau total des fractions. Lorsque A A \ {0}


n'est pas intègre, l'ensemble
n'est pas une partie multiplicative de A, et on le remplace par l'ensemble S = Areg des
éléments réguliers de A (ie non nuls et non diviseurs de 0). On note parfois Q(A) le localisé
S −1 A et on l'appelle anneau total des fractions. Il a la particularité d'être le plus grand
localisé dans lequel A s'injecte.

Exercice.  Pour A = C[X, Y ]/(XY ), montrer que Q(A) = C(X) × C(Y ). (Utiliser un
exercice précédent).

Plus généralement, lorsque A est réduit et noethérien, Q(A) est le produit d'un nombre
ni de corps. Plus précisément :

Proposition.  Supposons A réduit et notons Spec(A)min l'ensemble des idéaux pre-


miers minimaux de A.
i) Si p ∈ Spec(A)min , alors pAp = 0, et donc Frac(A/p) = Ap .
!
S ∼
ii) Areg = A \ p et on a une bijection Spec(A)min −→ Spec(Q(A))min ,
p∈Spec(A)min
p 7→ pQ(A) telle que Ap = Q(A)pQ(A) .
iii) Supposons Spec(A)min ni. Alors Spec(Q(A)) = Spec(Q(A))min et le morphisme
produit
Y Y
Q(A) −→ Q(A)pQ(A) = Frac(A/p)
p∈Spec(A)min p∈Spec(A)min

est un isomorphisme.

iv) Si A est noethérien, alors Spec(A)min est ni.

Démonstration. i) Le premier exercice de 1.6.1 nous assure que Spec(Ap ) = {pAp }. Le


second nous assure que Ap est réduit, donc pAp = {0}. La proposition 1.6.5 nous dit alors
que Frac(A/p) = Ap /pAp = Ap .
ii) Soit p minimal et a ∈ p \ {0}. On vient de voir que l'image de a est nulle dans le
localisé Ap . Il s'ensuit que a est diviseur de 0. Réciproquement, soit a un diviseur de 0.
Choisissons b ∈ A \ {0} tel que ab = 0. Puisque b est non nul et donc non nilpotent, il
existe un idéal premier q qui ne le contient pas. Le lemme de Zorn nous dit que l'on peut
trouver un premier minimal p dans q (car l'intersection d'une suite décroissante d'idéaux
premiers est un idéal premier). On a alors ab ∈ p et donc a ∈ p. Le reste de l'assertion
découle du fait que la bijection du premier exercice 1.6.1 est croissante et du fait que, dans
∼ −1
la situation de cet exercice, on a un unique isomorphisme de A-algèbres Ap −→ (S A)S −1 p
par la propriété universelle.
iii) Vu la bijection du premier exercice 1.6.1, l'égalité Spec(Q(A)) = Spec(Q(A))min
équivaut à l'égalité {p ∈ Spec(A), p ∩ Areg = ∅} = Spec(A)min . D'après le point ii), il
faut donc montrer que si p premier est contenu dans la réunion des premiers minimaux,
alors p est minimal. Puisque Spec(A)min est supposé ni, il existe un ensemble ni minimal
{p1 , · · · , pr } de premiers
S minimaux tel que p ⊂ p1 ∪ · · · ∪ pr . Supposons r > 2. IlQexiste
donc ai ∈ (p ∩ pi ) \ ( j6=i pj ) pour tout i. Puisque pi est premier, l'élément bi := j6=i aj

66
Ecole Normale Supérieure FIMFA

P
de p est dans tous les pi . La somme i bi est alors dans p mais dans aucun des pi :
pj sauf
contradiction. On a donc r = 1 et p = p1 ∈ Spec(A)min .
Puisque tous les idéaux premiers de Q(A) sont minimaux, ils sont aussi maximaux.
Soit alors pQ(A) ∈ Spec(Q(A)). Puisqu'il est maximal, Q(A)/pQ(A) est un corps, et
on a donc Q(A)/pQ(A) = Frac(Q(A)/pQ(A)). Puisqu'il est minimal, le i) nous dit que
Frac(Q(A)/pQ(A)) = Q(A)pQ(A) . En résumé, le morphisme Q(A) −→ Q(A)pQ(A) induit un

isomorphisme Q(A)/pQ(A) −→ Q(A)pQ(A) , et il ne nous reste plus qu'à prouver que le
morphisme produit
Y
Q(A) −→ Q(A)/pQ(A)
p∈Spec(A)min

est un isomorphisme. C'est une version du lemme chinois avec plusieurs idéaux (que l'on
T
reverra plus tard). Concrètement, ce morphisme est injectif car son noyau p∈Spec(A)min pQ(A)
est le nilradical de Q(A) qui est nul. Pour voir qu'il est surjectif, il sut de montrer qu'il
contient chaque idempotent ep = (0, · · · , 1, · · · , 0) avec le 1 placé en l'indice p. Or, par
maximalité de tous les pQ(A), il existe des éléments apq ∈ Q(A) pour p 6= q tels que
Q
apq ∈ pQ(A) et apq + aqp = 1. Mais
Q alors, l'élément ap := q6=p aqp a pour image l'idem-
potent voulu ep dans le produit p Q(A)/pQ(A). On notera que ce produit n'est déni que
si l'ensemble Spec(A)min est ni.
v) Considérons l'ensemble I des idéaux I pour lesquels Spec(A)>I := {p ∈ Spec(A), p ⊃
I} possède une innité d'éléments minimaux. Si I est non vide, il admet un élément
maximal I , puisque A est supposé noethérien. Alors I n'est manifestement pas premier, et
on peut donc trouver f, g ∈ A \ I tels que f g ∈ I . Un idéal premier contenant I contient
alors f ou g , de sorte que Spec(A)>I est réunion de Spec(A)>I+(f ) et Spec(A)>I+(g) et donc
Spec(A)>I,min est contenu dans la réunion de Spec(A)>I+(f ),min et Spec(A)>I+(g),min . Mais
ces deux ensembles sont nis, par maximalité de I , contredisant l'existence même de I .

Interprétation géométrique. (Composantes irréductibles)  La proposition précédente


n
s'applique à la C-algèbre O(V ) d'un ensemble algébrique V ⊂ C , puisque celle-ci est
réduite et noethérienne. Notons p1 , · · · , pr les idéaux premiers minimaux de O(V ) et Vi :=
{z ∈ V, ∀f ∈ pi , f (z) = 0} le sous-ensemble algébrique de V déni par pi . Un théorème de
Hilbert que nous verrons plus loin, le Nullstellensatz, implique que pi = {f ∈ O(V ), f|Vi =
0} (seule l'inclusion ⊂ est évidente). Ainsi, chaque Vi est irréductible (au sens T de 1.2.6)
r
puisque O(Vi ) = O(V )/pi est intègre. La contrepartie géométrique de l'égalité i=1 pi =
{0} est la propriété de recouvrement V = V1 ∪ · · · ∪ Vr . Le Nullstellensatz implique aussi
qu'aucun Vi n'est contenu dans la réunion des autres Vj . Ceci caractérise la famille des
Vi parmi les familles couvrantes de sous-ensembles irréductibles. On appelle les Vi les
composantes irréductibles de V .
Dénissons maintenant l'algèbre des fonctions rationnelles M(V ) sur V comme le quo-
n n
tient M(C )V /IV avec les mêmes dénitions que dans 1.6.5. Ainsi M(C )V est l'ensemble
f
des fractions rationnelles avec g telle que g|Vi 6= 0 pour tout i. C'est donc le localisé
g Tr
n n
de O(C ) en la partie multiplicative i=1 (O(C ) \ pi ) oùTpi est la préimage de pi dans
e e
O(C ). Il s'ensuit que M(V ) est le localisé de O(V ) en ri=1 (O(V ) \ pi ), et on a donc
n

67
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Qr
M(V ) = Q(O(V )). La proposition précédente nous dit alors que M(V ) = i=1 M(Vi ).
Remarque.  Lorsque Spec(A)min n'est pas ni, il peut exister des idéaux premiers p
non minimaux contenus dans A\Areg . Exemple : soit A = k[X1 , · · · , Xn , · · · ]/(Xi Xj , i 6= j).
Alors l'idéal maximal (X1 , · · · , Xn , · · · ) est formé de diviseurs de 0 mais n'est pas minimal
puisqu'il contient strictement l'idéal premier (X2 , X3 , · · · , Xn , · · · ).

1.7 Produit tensoriel


Le lecteur a peut-être déjà rencontré la notion de complexié d'un espace vectoriel
réel. Nous allons développer un procédé plus général qui permet de passer des modules sur
un anneau A à ceux sur une A-algèbre B , et qui repose sur la notion de produit tensoriel.

1.7.1 Applications bilinéaires. Soit A un anneau commutatif unitaire et M, N, P trois


θ
A-modules. Une application M × N −→ P est dite A-bilinéaire si pour tout m ∈ M , resp.
pour tout n ∈ N , les applications

θ(m, −) : N −→ P et θ(−, n) : M −→ P

sont A-linéaires (i.e. des morphismes de A-modules).


Exemple.  Si B est une A-algèbre, l'application produit B × B −→ B est A-bilinéaire.
Exemple.  Si M et N sont deux A-modules, l'application M × HomA (M, N ) −→ N ,
(m, ϕ) 7→ ϕ(m) est A-bilinéaire.
Nous noterons BilA (M ×N, P ) l'ensemble des applications A-bilinéaires de M ×N dans
P . c'est naturellement un A-module, avec l'addition (θ1 + θ2 )(m, n) := θ1 (m, n) + θ2 (m, n)
et l'action de A donnée par (aθ)(m, n) := a.θ(m, n).

1.7.2 Théorème. Il existe un A-module M ⊗A N muni d'une application bilinéaire

M × N → M ⊗A N
(m, n) 7→ m ⊗ n

universel au sens suivant : pour toutA-module P muni d'une application bilinéaire θ :


M × N −→ P , il existe un unique morphisme de A-modules ϕθ : M ⊗ N −→ P tel que
θ(m, n) = ϕθ (m⊗n). En d'autres termes, l'application ϕ 7→ ϕ◦(−⊗−) est un isomorphisme
(de A-modules)

HomA (M ⊗A N, P ) −→ BilA (M × N, P ).
De plus, le A-module M ⊗A N muni de l'application bilinéaire (m, n) 7→ m ⊗ n est unique
à isomorphisme unique près.

Remarque.  Pour une fois, nous dénissons l'objet par sa propriété universelle, plutôt
que par sa construction. C'est parce que, en général, cette construction ne nous dit pas
grand chose.

68
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Démonstration. Comme d'habitude, l'unicité à isomorphisme unique près sera conséquence


de la propriété universelle. Pour l'existence, il faut construire M ⊗A N à la main en
essayant de respecter le cahier des charges imposé par la propriété universelle.
(M ×N )
Partons du A-module libre A dont nous noterons (em,n )(m,n)∈M ×N la base cano-
(M ×N )
nique. Considérons le sous-A-module K de A engendré par les éléments suivants :
0 0
 em+m0 ,n − em,n − em0 ,n et em,n+n0 − em,n − em,n0 où m, m ∈ M et n, n ∈ N .
 eam,n − aem,n et em,an − aem,n où m ∈ M , n ∈ N et a ∈ A.
(M,N )
Posons alors M ⊗A N := A /K et notons m ⊗ n = em,n l'image de em,n dans ce
quotient. Remarquons que, par dénition de K , on a la relation

(m + m0 ) ⊗ n = em+m0 ,n = em,n + em0 ,n = m ⊗ n + m0 ⊗ n.

De même on a la relation

(am) ⊗ n = eam,n = aeam,n = a.(m ⊗ n).

m 7→ m⊗n est A-linéaire pour tout n. De même, l'application n 7→ m⊗n


Ainsi, l'application
est A-linéaire pour tout m, et nalement l'application (m, n) 7→ m ⊗ n est A-bilinéaire.
Par composition on a donc, pour tout A-module P , une application

HomA (M ⊗A N, P ) → BilA (M × N, P )
.
ϕ 7→ (θϕ : (m, n) 7→ ϕ(m ⊗ n))

Il s'agit de prouver que cette application est bijective.


Pour cela nous allons construire une application dans l'autre sens. Partons de θ: M×
N −→ P bilinéaire. D'après la propriété universelle des modules libres, il existe un unique
morphisme de A-modules ϕ̃θ : A(M ×N ) −→ P tel que ϕ̃θ (em,n ) = θ(m, n). On remarque
alors que

ϕ̃θ (em+m0 ,n − em,n − em0 ,n ) = θ(m + m0 , n) − θ(m, n) − θ(m0 , n) = 0,

la dernière égalité venant de la bilinéarité de θ. De même on a

ϕ̃θ (eam,n − aem,n ) = θ(am, n) − aθ(m, n) = 0,

puis aussi
ϕ̃θ (em,n+n0 − em,n − em,n0 ) = 0 = ϕ̃(em,an − aem,n ).
On voit donc que K ⊂ Ker(ϕ̃θ ). Par la propriété universelle des quotients, on en déduit
queϕ̃θ se factorise par un unique morphisme ϕθ : A(M,N ) /K = M ⊗A N −→ P qui envoie
m ⊗ n = em,n sur ϕ̃θ (em,n ) = θ(m, n). On a donc construit une application

BilA (M × N, P ) → HomA (M ⊗A N, P )
.
θ 7→ ϕθ : m ⊗ n 7→ θ(m, n)

Visiblement, les deux applications ainsi construites sont inverses l'une de l'autre.

69
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Remarque. (Attention)  Un élément quelconque de M ⊗A N n'est pas de la forme


m ⊗ n, mais une combinaison A-linéaire de tels éléments.

Les éléments de M ⊗A N sont parfois appelés tenseurs. Un élément de la forme m⊗n


est appelé tenseur élémentaire. Tout tenseur est donc combinaison linéaire de tenseurs
élémentaires.

1.7.3 Propriétés fonctorielles. Soient M, N comme précédemment et soient ϕ : M −→


M 0 , ψ : N −→ N 0 deux morphismes de A-modules.
Lemme.  Il existe un unique morphisme de A-modules
ϕ ⊗ ψ : M ⊗A N −→ M 0 ⊗A N 0
qui envoie m⊗n sur ϕ(m) ⊗ ψ(n) pour tous m∈M et n ∈ N.
Démonstration. Considérons l'application θ : M × N −→ M 0 ⊗A N 0 qui envoie un couple
(m, n) sur le tenseur ϕ(m) ⊗ ψ(n). On a θ(am + m0 , n) = ϕ(am + m0 ) ⊗ ψ(n) = (aϕ(m) +
ϕ(m0 )) ⊗ ψ(n) = a(ϕ(m) ⊗ ψ(n)) + ϕ(m0 ) ⊗ ψ(n) = aθ(m, n) + θ(m0 , n), et de même on a
θ(m, an + n0 ) = aθ(m, n) + θ(m, n0 ). Donc θ est bilinéaire, et il existe un unique morphisme
M ⊗A N −→ M 0 ⊗A N 0 qui envoie m ⊗ n sur θ(m, n) = ϕ(m) ⊗ ψ(n).
Remarque.  L'unicité dans le lemme implique que si ϕ0 : M 0 −→ M 00 et ψ 0 : N 0 −→ N 00
sont deux autre morphismes on a
0 0
(ϕ ⊗ ψ ) ◦ (ϕ ◦ ψ) = (ϕ0 ◦ ϕ) ⊗ (ψ 0 ⊗ ψ).

1.7.4 Propriétés monoïdales. Le produit tensoriel joue vraiment un rôle de multi-


plication sur la catégorie des A-modules. La proposition suivante nous dit qu'il est
essentiellement commutatif, associatif, distributif par rapport aux sommes directes, et
que A est un objet neutre.

Proposition.  M, M 0 et N des A-modules.


Soient

i) L'application M −→ A ⊗A M , m 7→ 1 ⊗ m est un isomorphisme de A-modules dont


l'inverse envoie a ⊗ m sur am.

ii) Il existe un unique isomorphisme de A-modules


M ⊗A N −→ N ⊗A M
qui envoie m⊗n sur n ⊗ m.
iii) Il existe un unique isomorphisme de A-modules

(M ⊕ M 0 ) ⊗A N −→ (M ⊗A N ) ⊕ (M 0 ⊗A N )
qui envoie (m, m0 ) ⊗ n (m ⊗ n, m0 ⊗ n).
sur

iv) Il existe un unique isomorphisme de A-modules


(M ⊗A M 0 ) ⊗A N −→ M ⊗A (M 0 ⊗A N )
qui envoie (m ⊗ m0 ) ⊗ n sur m ⊗ (m0 ⊗ n).

70
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Démonstration. i) L'applicationA×M −→ M , (a, m) 7→ am est A-bilinéaire donc provient


ϕ
d'un morphisme A ⊗A M −→ M qui envoie a ⊗ m sur am. Notons ψ le morphisme de
l'énoncé. On a ϕ◦ψ(m) = ϕ(1⊗m) = m donc ϕ◦ψ = idM . Par ailleurs on a ψ ◦ϕ(a⊗m) =
ψ(am) = 1 ⊗ (am) = a(1 ⊗ m) = (a.1) ⊗ m = a ⊗ m. Comme les tenseurs élémentaires
engendrent A ⊗A M , on en déduit que ψ ◦ ϕ = idA⊗A M .
ii) L'application M × N −→ N ⊗A M qui envoie (m, n) sur n ⊗ m est A-bilinéaire donc
provient d'un morphisme M ⊗A N −→ N ⊗A M qui envoie m ⊗ n sur n ⊗ m. Celui-ci est
uniquement déterminé par cette propriété puisque les tenseurs m ⊗ n engendrent M ⊗A N .
Le même argument nous fournit un morphisme dans l'autre sens qui envoie n ⊗ m sur
m ⊗ n. Comme les tenseurs engendrent les produits tensoriels, les deux morphismes ainsi
construits sont inverses l'un de l'autre.
0 0 0
iii) L'application (M ⊕ M ) × N −→ (M ⊗A N ) ⊕ (M ⊗A N ) qui envoie ((m, m ), n) sur
(m ⊗ n, m0 ⊗ n) est A-bilinéaire donc provient d'un morphisme comme dans l'énoncé. Dans
0
l'autre sens, l'application M × N −→ (M ⊕ M ) ⊗A N qui envoie (m, n) sur (m, 0) ⊗ n
0
est bilinéaire, d'où un morphisme M ⊗A N −→ (M ⊕ M ) ⊗A N qui envoie m ⊗ n sur
(m, 0) ⊗ n. De même on a un morphisme M ⊗A N −→ (M ⊕ M 0 ) ⊗A N qui envoie
0

m ⊗ n sur (0, m0 ) ⊗ n. La propriété universelle des sommes directes nous fournit alors un
0 0 0
morphisme (M ⊗A N ) ⊕ (M ⊗A N ) −→ (M ⊕ M ) ⊗A N qui envoie (m ⊗ n, m ⊗ n) sur
0 0
(m, 0) ⊗ n + (0, m ) ⊗ n = (m, m ) ⊗ n. Ce morphisme est visiblement inverse de celui de
l'énoncé.
iv) On peut raisonner exactement comme pour ii) par exemple (laissé au lecteur). On
peut aussi plus élégamment remarquer que les applications
0
1
 θ : M × M × N −→ T
(1)
:= (M ⊗A M 0 ) ⊗A N , (m, m0 , n) 7→ (m ⊗ m0 ) ⊗ n et
0
2
 θ : M × M × N −→ T
(2)
:= M ⊗A (M 0 ⊗A N ), (m, m0 , n) 7→ m ⊗ (m0 ⊗ n)
sont A-trilinéaires et vérient chacune la propriété universelle suivante : pour toute appli-
0
cation A-trilinéaire θ : M × M × N −→ P il existe un unique morphisme de A-module
ϕθ : T −→ P tel que θ = θ ◦ ϕiθ . Alors ϕ1θ2 est le morphisme de l'énoncé et ϕ2θ1 est son
i (i) i

isomorphisme réciproque.

Remarque.  Nous ferons parfois l'abus d'identier M ⊗A (M 0 ⊗A N ) et (M ⊗A M 0 )⊗A N


et de les noter simplement
M ⊗A M 0 ⊗A N.
Comme expliqué dans la preuve ci-dessus, ce dernier est muni de l'application A-trilinéaire
(m, m0 , n) 7→ m ⊗ m0 ⊗ n.
Exercice.  i) Utiliser i) et iii) de la proposition pour montrer que An ⊗A M ' M n .
ii) Généraliser iii) de la proposition à des sommes directes arbitraires ainsi :
!
M M
Mi ⊗A N ' (Mi ⊗A N ) .
i∈I i∈I

iii) En déduire A(I) ⊗A M ' M (I) pour tout ensemble I.

71
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Voici un exemple important où le produit tensoriel prend une forme plus explicite.

1.7.5 Proposition. Le produit tensoriel de deux modules libres est libre. Plus préci-
sément, pour deux ensembles I, J , l'unique morphisme de A-modules
ϕ : A(I×J) −→ A(I) ⊗ A(J)
(I×J) ∼
qui envoie ei,j sur ei ⊗ ej est un isomorphisme A −→ A(I) ⊗ A(J) .
Démonstration. Cela pourrait se déduire de la proposition précédente renforcée par l'exer-
(I) (J)
cice ci-dessus, mais voici un argument détaillé. Considérons l'application A ×A −→
A(I×J) dénie par !
X X X
ai e i , bj e j 7→ ai bj ei,j .
i j i,j
On vérie immédiatement qu'elle est A-bilinéaire. Il existe donc un unique morphisme de
A-modules
ψ : A(I) ⊗A A(J) −→ A(I×J)
P P P
qui envoie l'élément ( i ai ei ) ⊗ ( j bj ej ) sur P ei ⊗ ej
i,j ai bj ei,j et donc, en particulier,
sur ei,j . Puisque ψ ◦ ϕ(ei,j ) = ei,j , on a ψ ◦ ϕ = idA(I×J) . Par ailleurs, pour m = i ai ei et
P
n = j bj ej , on a
!
X X X X
ϕ ◦ ψ(m ⊗ n) = ϕ ai bj ei,j = ai bj (ei ⊗ ej ) = ai (ei ⊗ ( bj ej ))
i,j i,j i j
X X
= ai (ei ⊗ n) = ( ai ei ) ⊗ n = m ⊗ n.
i i

Comme les tenseurs élémentaires engendrent M ⊗N (cf la construction du théorème),


cela montre que ϕ ◦ ψ = idA(I) ⊗A(J) .
Exercice.  Soit k un corps et V, W deux k -espaces vectoriels de dimension nie. Notons
V ∗ := Homk (V, k) le dual deV.

i) Montrer qu'il existe un unique isomorphisme V ∗ ⊗k W −→ Homk (V, W ) qui envoie
f ⊗w sur l'application k -linéaire v 7→ f (v)w.
ε
ii) Supposons W = V . Montrer qu'il existe une unique forme k -linéaire V ∗ ⊗k V −→ k
qui envoie f ⊗ v sur f (v).
∼ ε
iii) Montrer que la composée Endk (V ) = Homk (V, V ) −→ V ∗ ⊗k V −→ k est le mor-
phisme ϕ 7→ tr(ϕ). [On pourra choisir une base e1 , · · · , en de V, noter e∗
1, · · · , e∗
j sa base duale dans V ∗, remarquer
que e∗
j ⊗ ei correspond à l'endomorphisme de V dont la matrice dans la base choisie est la matrice élémentaire Eij , et enn que
j ⊗ ei ) = δij ].
ε(e∗

Remarque.  Il est important de préciser l'anneau au-dessus duquel on fait le produit


0 0
tensoriel. Considérons par exemple deux C-espaces vectoriels V et V de dimension d et d .
0 0
Alors V ⊗C V est un C-ev de dimension dd donc aussi un R-ev de dimension 2dd0 . Par
0 0 0
contre V ⊗R V est un R-ev de dimension (2d)(2d ) = 4dd .

72
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1.7.6 Extension des scalaires. On suppose maintenant que le A-module M est une A-
algèbre, et nous la noterons B. Nous allons étendre la structure de A-module sur B ⊗A N
en une structure de B -module.
Proposition.  Il existe sur B ⊗A N une unique structure de B -module telle que

∀b, b0 ∈ B, ∀n ∈ N, b0 · (b ⊗ n) = (b0 b) ⊗ n.

Démonstration. On prescrit l'action de b0 sur les tenseurs élémentaires, donc l'unicité dé-
coule du fait que ces tenseurs élémentaires engendrent B ⊗A N . Reste à voir que l'action
de b0 ainsi prescrite est bien dénie, et qu'elle dénit une structure de B -modules.
0 0
Existence. Notons µb0 : B −→ B , b 7→ b b la multiplication par b dans B . C'est un
endomorphisme A-linéaire de B . D'après le lemme 1.7.3 il existe un unique morphisme
Ψb0 := µb0 ⊗ idN : B ⊗A N −→ B ⊗A N qui envoie b ⊗ n sur µb0 (b) ⊗ n = (b0 b) ⊗ n.
0
Structure de B -module. Il s'agit maintenant de vérier que l'application b ∈ B 7→
0 00
Ψb0 ∈ EndA (B ⊗A N ) est un morphisme de A-algèbres. Or, l'égalité ((b + b )b) ⊗ n =
(b0 b) ⊗ n + (b00 b) ⊗ n montre que Ψb0 +b00 = Ψb0 + Ψb00 , et par ailleurs on a Ψb00 b0 (b ⊗ n) =
(b00 b0 b) ⊗ n = Ψb00 ((b0 b) ⊗ n) = Ψb00 ◦ Ψb0 (b ⊗ n), d'où Ψb00 b0 = Ψb00 ◦ Ψb0 .
Exemple.  Si N = A, le i) de la proposition 1.7.4 assure que B ⊗A A = B . Plus
généralement, si I
est un ensemble, le fait que le produit tensoriel commute aux sommes
(I)
directes nous assure que B ⊗A A = B (I) . En d'autres termes :
Proposition.  Si N est un A-module libre de base (ei )i∈I , alors B ⊗A N est un
B -module libre de base (1 ⊗ ei )i∈I .
Exemple.  Soit V un
R-ev. Lorsqu'on ne dispose pas du produit tensoriel, on introduit
souvent le complexié VC de V de l'une des deux manières suivantes :
L
 soit en choisissant une R-base (ei )i∈I de V et en posant VC := i∈I C.ei ,
 soit en posant VC := V ⊕ V et en dénissant la multiplication de a + ib ∈ C sur
(v, w) par (a + ib).(v, w) := (av − bw, aw + bv).
La première méthode est non-canonique puisqu'elle repose sur un choix de base. La seconde
semble plus naturelle, mais on serait bien en peine de la généraliser pour, par exemple,
dénir le réelié d'un
Q-espace vectoriel ! Lorsqu'on dispose du produit tensoriel, la bonne
manière de dénir VC est de poser VC := C ⊗R V . La proposition ci-dessus fait un lien
explicite avec la première méthode ci-dessus. Et la décomposition C ⊗R V = (R ⊗R V ) ⊕
(iR ⊗R V ) ' V ⊕ iV fait le lien avec la seconde.
Voici maintenant la propriété universelle qui caractérise l'extension des scalaires.

Proposition.  B -module M et tout morphisme de A-modules ψ : N −→


Pour tout
M , il existe un unique morphisme de B -modules ϕψ : B ⊗A N −→ M tel que ϕ(b ⊗ n) =
bψ(n). En d'autres termes, l'application ϕ 7→ (ψϕ : n 7→ ϕ(1 ⊗ n)) est une bijection

HomB (B ⊗A N, M ) −→ HomA (N, M )

dont l'inverse est donnée par ψ 7→ ϕψ .

73
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Démonstration. Encore une fois l'unicité de ϕ = ϕψ découle du fait que les tenseurs élémen-
tairesb ⊗ m engendrent B ⊗A M . Pour l'existence d'un morphisme de A-modules ϕ comme
dans l'énoncé, il sut de vérier que l'application B ×N −→ M , (b, n) 7→ bn est A-linéaire,
ce qui est immédiat. Il faut alors vérier que ϕ est bien un morphisme de B -modules, ce
0 0 0 0
qui découle du calcul ϕ(b · (b ⊗ n)) = ϕ((b b) ⊗ n) = b bn = b ϕ(b ⊗ n). Enn, il est clair que
ψϕψ = ψ , et d'un autre côté on a ϕψϕ (b⊗n) = bψϕ (n) = bϕ(1⊗n) = ϕ(b(1⊗n)) = ϕ(b⊗n).
D'où la dernière assertion de l'énoncé.

Remarque.  Soit M un B -module et N un A-module. Le même raisonnement que


pour la première proposition 1.7.6 montre qu'il existe une unique structure de B -module
sur M ⊗A N telle que l'action de b ∈ B sur un tenseur élémentaire m ⊗ n soit donnée par
b · (m ⊗ n) := (bm) ⊗ n. En d'autres termes, si ρb : M −→ M désigne la multiplication par
b dans M , alors la multiplication par b dans M ⊗A N est donnée par ρb ⊗ idN .

1.7.7 Transitivité de l'extension des scalaires. Commençons avec M et N comme dans


la remarque ci-dessus et soit M0 un autre B -module. Le lemme suivant se montre comme
le iv) de la proposition 1.7.4.

Lemme.  Il existe un unique isomorphisme de B -modules



M ⊗B (M 0 ⊗A N ) −→ (M ⊗B M 0 ) ⊗A N

qui envoie m ⊗ (m0 ⊗ n) sur (m ⊗ m0 ) ⊗ n pour tout m ∈ M , m0 ∈ M 0 et n ∈ N.


Le cas particulier M0 = B de ce lemme nous donne donc un isomorphisme

∼ ∼
M ⊗B (B ⊗A N ) −→ (M ⊗B B) ⊗A N −→ M ⊗A N

où le second isomorphisme est i ⊗ idN avec i : M ⊗B B −→ M l'isomorphisme qui envoie
m⊗b sur bm comme dans le point i) de la proposition 1.7.4. L'isomorphisme réciproque


M ⊗A N −→ M ⊗B (B ⊗A N )

envoie m⊗n sur m ⊗ (1 ⊗ n).


Supposons maintenant que M est une B -algèbre, que nous noterons C . On a donc deux
morphismes d'anneaux A −→ B −→ C .
Proposition.  Il existe un unique isomorphisme de C -modules

C ⊗A N −→ C ⊗B (B ⊗A N )

qui envoie c⊗n sur c ⊗ (1 ⊗ n) et dont l'inverse envoie c ⊗ (b ⊗ n) sur cb ⊗ n.


Démonstration. Nous venons de voir que les morphismes en question existent et sont des
isomorphismes de B -modules. Il reste à voir qu'ils sont C -linéaires, ce qui est évident vu
la dénition de l'action de C .

74
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1.7.8 Extension des scalaires par un morphisme quotient. On s'intéresse ici au cas où
B = A/I pour un idéal I de A. Si M est un A-module, on note

IM := {m ∈ M, ∃i1 , · · · , ir ∈ I, ∃m1 , · · · , mr ∈ M m = i1 m1 + · · · + ir mr }

On vérie sans peine que c'est un sous-A-module de M (on remarquera d'ailleurs que si
M J de A, on retrouve la dénition de l'idéal produit IJ ). Par construction,
est un idéal
I sur le A-module quotient M/IM est nulle. La structure de A-module A −→
l'action de
EndZ (M/IM ) se factorise donc par A/I , ce qui fait de M/IM un A/I -module.

Proposition.  L'application m 7→ 1 ⊗ m induit un isomorphisme de A/I -modules



M/IM −→ A/I ⊗A M.

Démonstration. L'application ψ de l'énoncé est A-linéaire. Elle envoie un élément im sur


1 ⊗ (im) = i(1 ⊗ m) = (i.1) ⊗ m dans A/I ⊗A M . Or i.1 = 0 dans A/I , donc ψ(im) = 0
dans A/I ⊗A M . Comme IM est engendré par les éléments de la forme im, on en déduit
que ψ(IM ) = 0 et que l'application de l'énoncé se factorise par le quotient M/IM en
une application A-linéaire ψ : M/IM −→ A/I ⊗A M . Dans l'autre sens, partons de la
m 7→ m
projection M −→ M/IM . Elle appartient à HomA (M, M/IM ) et la propriété universelle
de l'extension des scalaires nous assure l'existence de ϕ ∈ HomA/I (A/I ⊗A M, M/IM ) tel
que ϕ(a ⊗ m) = a.m. On a alors, pour tous a ∈ A et m ∈ M , ψ ◦ ϕ(a ⊗ m) = 1 ⊗ am =
a(1 ⊗ m) = a ⊗ m, et ϕ ◦ ψ(m) = ϕ(1 ⊗ m) = m. Ceci montre que ϕ et ψ sont des bijections
réciproques. Comme ϕ est A/I -linéaire, son inverse ψ l'est aussi.

Exemple.  Soit A = Z, M un p-groupe abélien, et l p. Alors


un premier diérent de
Z/lZ ⊗Z M = 0. En eet, le corollaire nous dit que que ce module est isomorphe à M/lM ,
k
mais la multiplication par l est surjective sur M puisque, si m ∈ M est annulé par p et si
ul + vpk = 1, alors lum = m.
Exercice.  Soient I, J deux idéaux tels que I + J = A et soit M un A-module annulé
I ∩ J , c-à-d
par tel que (I ∩ J)M = 0. Montrer que M = IM ⊕ JM , que IM ' M/JM et
JM ' M/IM .

1.7.9 Extension des scalaires par une localisation. On s'intéresse ici au cas où B =
S −1 A pour une partie multiplicative S ⊂ A. Si M est un A-module, on peut construire un
S −1 A-module S −1 M de la même manière que pour construire S −1 A. On munit M × S de
0 0 0 0 m
la relation d'équivalence (m, s) ∼ (m , s ) ⇔ ∃t ∈ S, tsm = ts m, et on note la classe
s
−1
d'équivalence de (m, s) dans l'ensemble quotient noté S M . On vérie alors qu'il existe
0 0 0m
−1
une unique loi de groupe abélien sur S M telle que ms + ms0 = s m+sss0
, puis une unique
−1 −1
action de S A telle que at · ms = am
ts
. On appelle S M le localisé de M selon S .

Proposition.  L'application M −→ S −1 M , m 7→ m
1
induit un isomorphisme de
−1
S A-modules

S −1 A ⊗A M −→ S −1 M.

75
Ecole Normale Supérieure FIMFA

am
Démonstration. L'application de l'énoncé est A-linéaire puisqu'elle envoie am sur 1 =
a m
1
· 1 . Par la propriété universelle de l'extension des scalaires, on en déduit un morphisme
−1
de S A-modules ψ : S −1 A ⊗A M −→ S −1 M . Dans l'autre sens, on voudrait dénir une
application ϕ qui envoie
m
s
sur
1
s
⊗ m. Pour voir que cela fait sens, soit (m0 , s0 ) ∼ (m, s), et
t tel que tsm0 = ts0 m. On a s10 ⊗ m0 = tssts 0 1 0 1 0 1 0
0 ⊗ m = ts( tss0 ⊗ m ) = tss0 ⊗ tsm = tss0 ⊗ ts m =
0
ts0 ( tss
1 ts 1
0 ⊗ m) = tss0 ⊗ m = s ⊗ m. Ceci montre que ϕ est bien dénie. On laisse au lecteur

le soin de vérier que ψ et ϕ sont des bijections réciproques.

Remarque.  Avec les notations précédentes :

i) Si tout élément de M
est annulé par un élément de S , alors S −1 M = 0. En eet, si
m
m est annulé par t, alors pour tout s on a
s
= mt
st
= 0.
Exemple : si M est un groupe abélien ni, Q ⊗Z M = 0.
−1
ii) Si tout élément de s
agit bijectivement sur M , alors S M = M . En eet, le noyau
m
de l'application canonique m 7→ est l'ensemble {m ∈ M, ∃t ∈ S, tm = 0} = {0},
1
−1
et si on note sM la bijection réciproque (qui ne provient pas nécessairement de
m ss−1
M (m) s−1
M (m)
l'action d'un élément de A), on a = = , ce qui montre que cette
s s 1
application est surjective.

Exemple : Q ⊗Z Q = Q.

Q Exemple.  Soit A = Z et M un groupe abélien ni. On sait que M est un produit

p Mp de p-sous-groupes abéliens nis, pour p premier (si on ne le sait pas, on le verra


plus loin). Soit Z(p) le localisé de Z en l'idéal premier (p) (ie selon la partie multiplicative
S engendrée par les premiers l 6= p). Alors on a

Z(p) ⊗Z M ' Mp .

En eet, d'après le i) de la remarque précédente, on a Z(p) ⊗ Ml = 0 pour l 6= p car Ml est


k
annulé par une puissance l qui est inversible dans S . Et d'après le ii) de la remarque, on
a Z(p) ⊗ Mp = Mp puisque tous les l 6= p agissent de manière inversible (avec pour inverse
k
la multiplication par u où ul + vp = 1 et pk annule Mp ).

1.7.10 Caractérisation tensorielle des A-algèbres. Au paragraphe 1.3.3 nous avons


remarqué que la donnée d'une A-algèbre (au sens d'un anneau B muni d'un morphisme
A −→ B ) est équivalente à celle d'un A-module muni d'une structure d'anneau dont
la multiplication B × B −→ B est A-bilinéaire. Cette multiplication induit donc une
application A-linéaire µ : B ⊗A B −→ B . Réciproquement, on peut se demander quelles
propriétés une telle application µ doit avoir pour être la multiplication d'une A-algèbre.

Proposition.  Soit µ : B ⊗A B −→ B un morphisme de A-modules. L'application


(b, b0 ) 7→ b · b0 := µ(b ⊗ b0 ) fait deB une A-algèbre commutative d'unité 1B si et seulement

76
Ecole Normale Supérieure FIMFA

si les diagrammes suivants sont commutatifs :

µ⊗id µ
B ⊗A B ⊗A B / B ⊗A B B ⊗A B / B B : ⊗A B
id ⊗1B µ
id ⊗µ µ b⊗b0 7→b0 ⊗b id
   µ $
B ⊗A B / B, B ⊗A B / B B id
B
µ

Démonstration. La commutativité du premier diagramme signie µ◦(µ⊗id) = µ◦(id ⊗µ) :


B ⊗A B ⊗A B −→ B . Elle est équivalente à l'assertion ∀b, b0 , b00 ∈ N, (b · b0 ) · b00 = b · (b0 · b00 ),
0 0
c'est-à-dire à l'associativité de la loi (b, b ) 7→ µ(b ⊗ b ). De même la commutativité du
0 0
second diagramme est équivalente à la commutativité de la loi (b, b ) 7→ µ(b⊗b ), et celle du
troisième diagramme dit que 1B
est élément neutre de cette loi. Quant à la distributivité par
0 0
rapport à l'addition, elle est incluse dans la bilinéarité de l'application (b, b ) 7→ µ(b⊗b ).

1.7.11 Coproduit de A-algèbres. On se donne ici deux A-algèbres B et C.


Proposition.  Il existe sur B ⊗A C une unique structure de A-algèbres telle que
0 0 0
(b ⊗ c)(b ⊗ c ) = bb ⊗ cc0 pour tous b, b0 ∈ B et c, c0 ∈ C .
Démonstration. Encore une fois, l'unicité du produit découle du fait que les tenseurs élé-
B
mentaires engendrent B ⊗A C . Pour l'existence, notons µ : B ⊗A B −→ B et µC :
C ⊗A C −→ C les morphismes donnant la multiplication de B et C, et considérons le
morphisme

∼ µB ⊗ µC
µB⊗C : (B ⊗A C) ⊗ (B ⊗A C) −→ (B ⊗A B) ⊗A (C ⊗A C) −→ B ⊗A C.

Il envoie (b ⊗ c) ⊗ (b0 ⊗ c0 ) sur (b ⊗ b0 ) ⊗ (c ⊗ c), puis sur (bb0 ⊗ cc0 ). Pour voir que µB⊗C
dénit une structure de A-algèbres sur B ⊗A C , il faut vérier la commutativité des dia-
grammes de la proposition précédente, laquelle découle péniblement mais sans diculté de
B C
la commutativité des mêmes diagrammes pour µ et µ .

Exercice.  Si M est un B -module et N un C -module, alors montrer qu'il existe une


unique structure de B ⊗A C -module sur M ⊗A N telle que l'action de B ⊗A C est donnée
sur les tenseurs élémentaires par (b ⊗ c) · (m ⊗ n) = (bm ⊗ cn).

id ⊗1 1 ⊗ id
Remarquons que les applications B −→ B ⊗A C , b 7→ b ⊗ 1 et C −→ B ⊗A C , c 7→ 1 ⊗ c
sont des morphismes de A-algèbres. La A-algèbres B ⊗A C , munie de ces deux morphismes,
satisfait la propriété universelle suivante :

Proposition.  Soit A-algèbre munie de deux morphismes d'algèbres η : B −→


D une
η·ψ
D et ψ : C −→ D, alors il existe un unique morphisme d'algèbres B ⊗A C −→ D tel que
η = (η · ψ) ◦ (id ⊗1) et ψ = (η · ψ) ◦ (1 ⊗ id). De plus on a

η · ψ = µD ◦ (η ⊗ ψ)

77
Ecole Normale Supérieure FIMFA

qui est donné sur les tenseurs élémentaires par b ⊗ c 7→ η(b)ψ(c). En d'autres termes,
l'application θ 7→ (θ ◦ (id ⊗1), θ ◦ (1 ⊗ id)) est une bijection


HomA−alg (B ⊗A C, D) −→ HomA−alg (B, D) × HomA−alg (C, D)

dont l'inverse est donnée par (η, ψ) 7→ η · ψ .


On remarquera l'analogie avec la propriété universelle des sommes directes de modules,
qu'on avait aussi appelées coproduits de modules.

Démonstration. On vérie d'abord immédiatement que ϕ·ψ déni par µD ◦(ϕ⊗ψ) est bien
un morphisme d'algèbres, et qu'on a bien ϕ = (ϕ · ψ) ◦ (id ⊗1) et ψ = (ϕ · ψ) ◦ (1 ⊗ id). Pour
nir la preuve, il reste alors à voir que (θ ◦ (id ⊗1)) · (θ ◦ (1 ⊗ id)) = θ . Il sut de le faire sur
les tenseurs élémentaires b ⊗ c, or pour un tel tenseur on a θ(b ⊗ c) = θ((b ⊗ 1)(1 ⊗ c)) =
θ(b ⊗ 1)θ(1 ⊗ c) comme voulu.
Exemple.  Soient I et J deux idéaux de A. On a

A/I ⊗A A/J ' A/(I + J).

En eet, soient π I : A/I −→ A/(I + J) π J : A/J −→ A/(I + J) les projections


et
I J
canoniques. D'après la proposition elles fournissent un morphisme π ·π : A/I ⊗A A/J −→
A/(I +J) qui envoie (a mod I)⊗(b mod J) sur (ab mod I +J). Dans l'autre sens, considérons
l'application ϕ : A −→ A/I ⊗A A/J qui envoie a sur ϕ(a) := a · ((1 mod I) ⊗ (1 mod J)).
D'un côté on a ϕ(a) = (a mod I) ⊗ (1 mod J), ce qui montre que I ⊂ Ker(ϕ). De l'autre
côté on a aussi ϕ(a) = (1 mod J) ⊗ (a mod J), ce qui montre que J ⊂ Ker(ϕ). On a
donc I + J ⊂ Ker(ϕ) et par conséquent ϕ se factorise par un morphisme A-linéaire ϕ :
A/(I + J) −→ A/I ⊗A A/J . Par construction on a
I J I J
 (π · π ) ◦ ϕ(a mod I + J) = (π · π )(a · ((1 mod I) ⊗ (1 mod J)) = a · (1 mod I + J) =
a mod I + J
I j)
 ϕ ◦ (π · π ((a mod I) ⊗ (b mod J)) = ϕ(ab mod I + J) = ab · (1 mod I) ⊗ (1 mod J) =
a · (1 mod I) ⊗ (b mod J) = (a mod I) ⊗ (b mod J),
I J
donc ϕ et π · π sont inverses l'un de l'autre.

Exemple.  L'unique morphisme de A-algèbres qui envoie X1 sur X1 ⊗ 1 et X2 sur


1 ⊗ X2 est un isomorphisme


A[X1 , X2 ] −→ A[X1 ] ⊗A A[X2 ]

dont l'inverse est donné par le morphisme ι1 · ι2 où ιi est l'inclusion A[Xi ] ,→ A[X1 , X2 ].
Plus généralement, si N1 et N2 sont des monoïdes commutatifs, on a un isomorphisme


A[N1 × N2 ] −→ A[N1 ] ⊗A A[N2 ]

déterminé par la condition e(n1 ,n2 ) 7→ en1 ⊗ en2 et dont l'inverse est donné par ι1 · ι2 où
ι1 : A[N1 ] −→ A[N1 × N2 ] est déterminé par en1 → 7 e(n1 ,0) et ι2 : A[N2 ] −→ A[N1 × N2 ] est
déterminé par en2 7→ e(0,n2 ) .

78
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Exemple. (Interprétation géométrique)  L'exemple précédent nous fournit un isomor-


n n ∼ n +n2
phisme de C-algèbres O(C 1 ) ⊗C O(C 2 ) −→ O(C 1 ) qui, en termes de fonctions, envoie
f1 ⊗ f2 sur la fonction (z1 , z2 ) 7→ f1 (z1 )f2 (z2 ) où z1 ∈ Cn1 et z2 ∈ Cn2 . Plus généralement,
n
si Vi ⊂ C i est un sous-ensemble algébrique, alors V1 × V2 est un sous-ensemble algébrique
n1 +n2
de C et la proposition ci-dessus nous fournit un morphisme de C-algèbres

ΨV1 ,V2 : O(V1 ) ⊗C O(V2 ) −→ O(V1 × V2 )

donné par la même formule sur les fonctions. Si πVi désigne la surjection O(Cni )  O(Vi )
(donnée par restriction des fonctions), l'égalité ΨV1 ,V2 ◦ (πV1 ⊗ πV2 ) = πV1 ×V2 ◦ ΨCn1 ,Cn2
montre que ΨV1 ,V2 est surjective. Montrons qu'elle est aussi injective. Choisissons pour cela
une C-base (εPi )i∈I de O(V2 ). Alors un élément F ∈ O(V1 ) ⊗C O(V2 ) s'écrit de manière
unique F = i∈I fi ⊗ εi où fi ∈ O(V1 ) (et est nul saufPpour un nombre ni de i dans I ).
Si ΨV1 ,V2 (F ) = 0, alors pour tout v1 ∈ V1 , la fonction i∈I fi (v1 )εi est nulle sur V2 , donc
chaque fi (v1 ) est nul, puisque les εi forment une base de O(V2 ). Comme v1 est arbitraire,
il s'ensuit que fi = 0 pour tout i et nalement F = 0.

n
Remarque.  Si on part de deux sous-ensembles algébriques V1 , V2 ⊂ C d'idéaux annu-
n
lateurs respectifs I1 , I2 ⊂ O(C ). Alors l'idéal I1 + I2 annule l'ensemble algébrique V1 ∩ V2
et le premier exemple ci-dessus nous fournit donc un morphisme surjectif

O(V1 ) ⊗O(Cn ) O(V2 )  O(V1 ∩ V2 ).

On peut montrer que l'idéal annulateur de V1 ∩ V2 est le radical deI1 + I2 , ce qui équivaut
à dire que le noyau du morphisme ci-dessus est le nilradical de O(V1 ) ⊗O(Cn ) O(V2 ). La
présence de nilpotents dans cette algèbre est liée à la non-transversalité de l'intersection.
2 2
Par exemple dans C , si V1 est la parabole d'idéal (Y − X ) et V2 la droite d'idéal (Y ),
2
alors I1 + I2 = (X , Y ) n'est pas radiciel puisque X ∈
/ I1 + I2 .
Revenons aux notations générales. Si on voit maintenant B ⊗A C comme une B -algèbre
via l'homomorphisme id ⊗1, alors celle-ci satisfait la propriété universelle suivante :

Corollaire.  Pour toute B -algèbre D, l'application ϕ 7→ (ψϕ : c 7→ ϕ(1 ⊗ c)) est


une bijection

HomB−alg (B ⊗A C, D) −→ HomA−alg (C, D)
dont l'inverse est donné par ψ 7→ ϕψ : b ⊗ c 7→ bψ(c).
Démonstration. On peut déduire ce résultat de deux manières :
 Soit à partir de la proposition précédente dans laquelle on xe η comme étant celui
qui donne la structure de B -algèbre de D.
M = D et N = C en
 Soit à partir de la deuxième proposition de 1.7.6 appliquée à

remarquant que la bijection HomB (B ⊗A C, D) −→ HomA (C, D) envoie morphismes
multiplicatifs sur morphismes multiplicatifs.

79
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Exemple.  L'unique morphisme de A-algèbres qui envoie X sur 1⊗X est un isomor-
phisme

A[X] −→ A ⊗Z Z[X]
ι·κ où ι : A −→ A[X] est l'injection canonique et
dont l'inverse est donné par le morphisme
Z[X] −→ A[X] est l'unique morphisme d'anneaux qui envoie X sur X . Plus généralement,
si N est un monoïde, on a un isomorphisme


A[N ] −→ A ⊗Z Z[N ].

Exemple.  Soit B une A-algèbre, I un idéal de A et IB l'idéal engendré par l'image


de I dans B. Alors on a un isomorphisme de B -algèbres

B ⊗A (A/I) −→ B/IB

donné par π·ι où π B −→ B/IB et ι : A/I −→ B/IB est déduit


est la projection
par passage au quotient de A −→ B −→ B/IB . Pour construire l'inverse, on part de
id ⊗1 : B −→ B ⊗A (A/I), qui envoie b sur b ⊗ (1modI). On remarque que ce morphisme
de B -algèbres envoie ib sur ib ⊗ (1modI) = b ⊗ (imodI) = b ⊗ 0 = 0. Donc il se factorise
par un morphisme B/IB −→ B ⊗A (A/I) qui est l'inverse cherché.

Exemple.  On a un isomorphisme


ϕ : C ⊗R C −→ C × C

qui envoie z1 ⊗ z2 (z1 z2 , z1 z¯2 ). Pour vérier qu'il est bien déni on peut utiliser la
sur
proposition et remarquer que ϕ = ϕ1 · ϕ2 où ϕi : C −→ C × C est déni par ϕ1 (z) = (z, z)
et ϕ2 (z) = (z, z̄). On remarque que ϕ(z ⊗ 1) = (z, z) et ϕ(iz ⊗ i) = (−z, z). On en déduit
que ϕ est surjectif, et par égalité des dimensions (sur C ou sur R) qu'il est bijectif. Plus
0 1 0 0
précisément, son inverse envoie (z, z ) sur (z ⊗ 1 − iz ⊗ i + z ⊗ 1 + iz ⊗ i).
2
Voici une autre façon de voir cet isomorphisme. Partons de l'isomorphisme de R-algèbres

R[X]/(X 2 + 1) −→ C qui envoie X sur i. Alors on a

C ⊗R C ' C ⊗R (R[X]/(X 2 + 1)) = C ⊗R (R[X] ⊗R[X] (R[X]/(X 2 + 1)))


= (C ⊗R R[X]) ⊗R[X] (R[X]/(X 2 + 1)) = C[X]/(X 2 + 1)
= C[X]/((X − i)(X + i)) = C[X]/(X − i) × C[X]/(X + i) ' C × C.

On a utilisé les exemples précédents à la première ligne et les restes chinois à la deuxième.
Si on veut expliciter cette suite d'isomorphismes, on constate qu'elle envoie z ⊗ 1 sur (z, z)
(car chaque isomorphisme est C-linéaire), et que, en écrivant z = a + ib, elle envoie 1 ⊗ z
sur ((a + Xb) mod(X − i), (a + Xb) mod(X + i)) = (a + ib, a − ib) = (z, z̄). On retrouve
donc bien l'isomorphisme précédent.

Exemple.  Essayons de généraliser l'exemple précédent en partant d'un corps K de


dimension nie sur Q et en regardant la C-algèbre C⊗Q K . Appelons plongement de K dans

80
Ecole Normale Supérieure FIMFA

C tout morphisme de corps σ : K −→ C. Notons qu'un tel morphisme est automatiquement


Q-linéaire, donc n'est rien d'autre qu'un morphisme de Q Q-algèbres. Le produit de tous ces
plongements est un morphisme de Q-algèbres K −→ σ:K,→C C. Comme le terme de droite
est une C-algèbre, le corollaire ci-dessus fournit un morphisme de C-algèbres

Y
(∗) C ⊗Q K −→ C
σ: K,→C

qui envoie z⊗x (zσ(x))σ:K,→C . Nous montrerons plus tard que le corps K peut être
sur
engendré, en tant que Q-algèbre, par un élément α (qui est loin d'être unique). Ceci signie
que l'unique morphisme de Q-algèbres Q[X] −→ K qui envoie X sur α est surjectif. Notons
I son noyau. Comme Q[X] est principal, il existe un unique polynôme unitaire f ∈ Q[X]
tel que I = (f ). On a donc un isomorphisme


Q[X]/(f ) −→ K, X 7→ α

qui montre d'après le deuxième corollaire de 1.4.3 que deg(f ) = dimQ (K) =: n et que
(1, α, · · · , αn−1 ) est une Q-base de K . Ceci nous permet de calculer

C ⊗Q K ' C ⊗Q (Q[X]/(f )) = C ⊗Q Q[X] ⊗Q[X] (Q[X]/(f )) = C[X]/(f ).

Nous montrerons aussi que f se factorise en f = (X − α1 ) · · · (X − αn ) dans C[X], avec


α1 , · · · , αn distincts 2 à 2 dans C. Le théorème des restes chinois nous assure alors que

C[X]/(f ) = C[X]/(X − α1 ) × · · · × C[X]/(X − αn ) = Cn .

Explicitons l'isomorphisme

(∗∗) C ⊗Q K −→ Cn
ainsi obtenu. Il envoie z ⊗ 1 sur (z, z, · · · , z) puisqu'il est C-linéaire. Par ailleurs, on a vu
n−1
que (1, α, · · · , α ) est une Q-base de K , donc on peut écrire un élement x ∈ K sous la
forme x = g(α) pour un unique polynôme g(X) ∈ Q[X] de degré < n. On constate alors
que l'isomorphisme ci-dessus envoie 1 ⊗ x sur (g(X)mod(X − α1 ), · · · , g(X)mod(X − αn ))
n
qui n'est autre que (g(α1 ), g(α2 ), · · · , g(αn )) ∈ C .
Quel rapport entre (∗) et (∗∗) ? Se donner un plongement de K = Q[X]/(f ) dans C
revient à se donner l'image de X = α dans C et celle-ci doit annuler f , donc appartenir à
{α1 , · · · , αn }. On a donc une bijection σ 7→ σ(α) entre {σ : K ,→ C} et {racines de f }.
Notons σi le plongement tel que σi (α) = αi . Alors pour tout x = g(α) comme ci-dessus, on
a σi (x) = σi (g(α)) = g(σi (α)) = g(αi ). Ainsi, si l'on réécrit le morphisme (∗) sous la forme

C ⊗Q K −→ Cn , z ⊗ x 7→ (zσ1 (x), · · · , zσn (x)),

on constate que (∗∗) et (∗) sont les même morphismes, et on en déduit du coup que (∗)
est un isomorphisme.

81
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Exemple.  Reprenons l'exemple précédent, mais calculons cette fois la R-algèbre R ⊗Q


K . Avec les mêmes notations, on a R ⊗Q K ' R[X]/(f ), mais cette fois f n'est pas scindé.
Soit r le nombre de racines réelles de f et 2s le nombre de racines non réelles (chacune
vient avec sa conjuguée, donc il y en a un nombre pair). On a n = r + 2s. Numérotons
les racines de sorte que α1 , · · · , αr soient les racines réelles, et αr+1 , · · · , αn les non réelles,
avec en plus la relation αr+s+i = ᾱr+i pour i = 1, · · · , s. On a alors la factorisation en
éléments irréductibles de R[X]

X − αi si i 6 r
f = f1 · · · fr+s avec fi = 2 2
X − 2<(αi ) + |αi | si i > r

Comme les fi sont 2 à 2 premiers entre eux, le théorème des restes chinois nous donne donc
un isomorphisme
r+s
∼ Y
R ⊗Q K −→ R[X]/(fi ) = Rr × Cs .
i=1

Explicitement, cet isomorphisme est toujours donné par y ⊗ 1 7→ (y, · · · , y) et 1 ⊗ x 7→


(g(α1 ), · · · , g(αr+s )) si x = g(α) avec deg(g) < n. En termes de plongements, il envoie
1 ⊗ x sur (σ1 (x), · · · , σr+s (x)) (remarquer que pour i 6 r, σi (K) ⊂ R).
Remarquons maintenant que, en composant avec la conjugaison complexe, on obtient
une permutation involutive (ie d'ordre 2) de l'ensemble des plongements {σ : K ,→ C}
et que l'ensemble Σ := {σ1 , · · · , σr+s } est un ensemble de représentants des classes de
conjugaison de plongements. On écrit parfois l'isomorphisme sous la forme suivante :

∼ Y
R ⊗Q K −→ Rσ
σ∈Σ

où Σ où, par convention, Rσ vaut R si σ est réelle et C sinon.

1.8 Quelques conséquences du lemme chinois


Dans cette section, A est un anneau commutatif général.

1.8.1 Lemme. Soit I un idéal de la forme I = mv11 mv22 · · · mvrr avec m1 , · · · , mr maxi-
maux deux à deux distincts. Alors le produit des projections canoniques est un isomorphisme
de A-algèbres

A/I −→ A/mv11 × · · · × A/mvrr .
Démonstration. Nous avons déjà démontré une version du théorème des restes chinois sous
la forme :

J +K =A implique A/(J ∩ K) −→ A/J × A/K .
Remarquons que JK est toujours inclus dans J ∩ K et lui est égal si J + K = A, puisque
dans ce cas on a (J ∩ K) = (J ∩ K) · J + (J ∩ K) · K ⊂ JK . On peut donc l'énoncer sous
la forme

82
Ecole Normale Supérieure FIMFA


J +K =A implique A/JK −→ A/J × A/K .
Montrons que mv11 + (mv22 · · · mvrr ) = A. Ceci montrera que A/I ' A/mv11 × A/mv22 · · · mvrr
et le lemme en découlera par récurrence sur r. Puisque m1 et mi , i 6= 1 sont maximaux et
distincts, on a m1 + mi = A pour i > 1. Il s'ensuit que

A = (m1 + mi )vi ⊂ mv1i + mv1i −1 mi + · · · + m1 mivi −1 + mvi i ⊂ m1 + mvi i ,

donc A = m1 + mvi i . De même A = (m1 + mvi i )v1 ⊂ mv11 + mvi i = A. Enn,

A = (mv11 + mv22 )(mv11 + mv33 ) · · · (mv11 + mvrr ) ⊂ mv11 + (mv22 mv33 · · · mvrr )

comme voulu.

Notation.  Pour un A-module M et un idéal I de A on note

M [I] := {m ∈ M, ∀i ∈ I, im = 0} et
[
M [I ∞ ] := M [I n ] = {m ∈ M, ∃n ∈ N, ∀i1 , · · · , in ∈ I, i1 · · · in m = 0}
n∈N

Ce sont des sous-A-modules de M. On dit que M est annulé par I si IM = 0, ce qui


équivaut donc à M [I] = M .
Rappelons aussi qu'on note Max(A) l'ensemble des idéaux maximaux de A.

1.8.2 Théorème. Soit A un anneau commutatif et M un A-module annulé par un


produit ni d'idéaux maximaux.

i) Pour tout m ∈ Max(A) on a M [m∞ ] ' Mm et {m ∈ Max(A), Mm 6= 0} est ni.

M = m∈Max(A) M [m∞ ] ' m Mm .


L Q
ii) On a

Démonstration. Par hypothèse, M est annulé par un idéal de la forme I = mv11 · · · mvrr avec
les mi maximaux et 2 à 2 distincts. D'après le lemme ci-dessus et l'égalité IM = 0, on a la
décomposition suivante de M :

r
Y r
Y
vi
(∗) M = M/IM ' (A/I) ⊗A M ' (A/mi ) ⊗A M = M/mvi i M.
i=1 i=1

0
Remarquons maintenant que si les points i) et ii) sont vrais pour M et M à support ni,
0
alors ils le sont aussi pour M ⊕ M , qui est clairement à support ni aussi. D'après la
v
décomposition (∗) on peut donc supposer que I est de la forme n pour un n ∈ Max(A).
v
Supposons d'abord que m 6= n. On a vu dans le lemme précédent que m + n = A,
v
choisissons donc p ∈ m et q ∈ n tels que p + q = 1. Alors p ∈ m agit par l'identité

sur M donc M [m ] = 0. De plus, q annule M mais q ∈ A \ m, donc Mm = 0. Donc les

deux modules M [m ] et Mm sont bien isomorphes et en fait nuls, ce qui montre aussi que
l'ensemble considéré dans le i) possède au plus un élément.

83
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Supposons maintenant m = n. Puisque nv annule M , on a M = M [n∞ ] = M [nv ] =



M/nv M . Pour montrer que M −→ Mn il faut voir que tout x ∈ A \ n agit de manière
inversible sur M . Or, pour un tel x, on a (x) + n = A par maximalité de n. Donc, comme
ν v
dans la preuve du lemme précédent, on a (x) + n = A d'où l'existence de y ∈ A et q ∈ n
tels que xy + q = 1. Comme q annule M , l'action de x sur M est donc inversible, et son
inverse est l'action de y .

Remarque.  Si M est annulé par mv11 · · · mvrr avec les mi maximaux et 2 à 2 distincts,
la décomposition du théorème s'écrit plus précisément

M = M [mv11 ] ⊕ · · · ⊕ M [mvrr ] ' Mm1 × · · · × Mmr .

1.8.3 Exemple Supposons que A = K[X] et M est un A-module qui est de dimen-
sion nie en tant que K -espace vectoriel. Ainsi l'action de X sur M est donnée
par un
endomorphisme K -linéaire u de M . Si fu ∈ K[X] désigne le polynôme minimal de u,
alors par dénition l'idéal (fu ) annule le K[X]-module M . Cet idéal est produit d'idéaux
Qr vi
maximaux puisque K[X] est principal. Ecrivons plus précisément fu = i=1 fi pour des
fi ∈ K[X] irréductibles
Qr deux à deux distincts. Chaque fi engendre un idéal maximal mi
vi vi vi
et on a (fu ) = i=1 mi , et M [mi ] = Ker(fi ). Ainsi la Ldécomposition
vi
ci-dessus n'est
autre que celle donnée par le lemme des noyaux M = i Ker (f i ). Lorsque K est al-
gébriquement clos, on a fi = X − λi et les λi sont les valeurs propres de u, tandis que
M [mvi i ] = Ker((u − λi )vi ) est le sous-espace caractéristique associé à λi , de sorte que la
décomposition ci-dessus n'est autre que la décomposition de M en somme de sous-espaces
caractéristiques.

1.8.4 Modules de longueur nie. Voici un exemple important où les hypothèses du


théorème sont satisfaites.

Définition.  Soit M un A-module et soit L l'ensemble des entiers n ∈ N tels que il


existe une chaîne strictement croissante de sous-modules 0 = M0 M1 · · · Mn = M .
On note `(M ) := Sup(L) ∈ N ∪ {∞} et on l'appelle longueur de M.
Exemple.  On a `(M ) = 1 si et seulement si M est non nul et ses seuls sous-modules
sont {0} et M. On dit alors que M est un A-module simple.
Remarque.  Si M est de longueur n, alors pour toute chaîne 0 = M0 M1 ···
Mn = M , les modules Mi /Mi−1 sont simples pour tout i = 1, · · · , n.
Définition.  Si M est un A-module, l' annulateur d'un élément m∈M est le sous-
ensemble
AnnA (m) := {a ∈ A, am = 0}.
C'est un idéal de A. L'annulateur AnnA (M ) de M est alors l'idéal
\
AnnA (M ) := AnnA (m) = {a ∈ A, aM = 0}.
m∈M

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Lemme.  L'annulateur d'un module simple est un idéal maximal. Un module de lon-
gueur nie est annulé par un produit ni d'idéaux maximaux.
a 7→ am
Démonstration. Si M m ∈ M \{0}, alors Am = M et le morphisme A −→ M
est simple et

induit un isomorphisme A/AnnA (m) −→ M . Puisque M est simple, l'anneau quotient
A/AnnA (m) n'a pas d'idéaux propres non nuls, donc est un corps, donc AnnA (m) est
un idéal maximal. Soit maintenant M un A-module quelconque. Remarquons que pour un
sous-module N de M , si I annule N et J annule M/N alors IJ annule M . En eet, l'action
de j ∈ J est nulle sur M/N donc jM ⊂ N , et donc ijM ⊂ iN = 0. Il s'ensuit par une
récurrence immédiate que si on a une ltration 0 = M0 M1 · · · Mn = M et si Ii
annule Mi /Mi−1 pour i = 1, · · · , n, alors I1 I2 · · · In annule M . Lorsque M est de longueur
nie, on en déduit la seconde assertion de l'énoncé.

Remarque.  Les applications M 7→ AnnA (M ) et m 7→ A/m établissent une bijection


entre modules simples à isomorphisme près et idéaux maximaux. Par ailleurs, l'exemple
A = C[X, Y ] et M = A/(X 2 , Y ) montre que l'annulateur d'un module de longueur nie
n'est pas nécessairement un produit d'idéaux maximaux.

Corollaire.  Le théorème 1.8.2 s'applique à tout module de longueur nie.

Exemple.  Tout groupe abélien ni M est un Z-module de longueur nie (on le voit
par récurrence sur le cardinal par exemple). Un groupe abélien ni est donc canoniquement

Q
produit (ni) M = p M [p ] de ses p-sous-groupes maximaux.

Le lemme suivant est utile pour faire des raisonnements par récurrence sur la longueur.

Lemme.  Soient N ⊂M deux A-modules. Alors M est de longueur nie si et seule-


ment si N et M/N le sont, et dans ce cas on a `(M ) = `(N ) + `(M/N ).
Démonstration. Soient 0 N1 ··· Nr = N une chaîne strictement croissante dans
N et 0 M 1 · · · M s = M/N une chaîne strictement croissante dans M/N . Posons
Mi := Ni si i = 0, · · · , r et Mr+i := π −1 (M i ) pour i = 1, · · · s, où π est la projection
M −→ M/N . On obtient une chaîne strictement croissante de longueur r + s. Ceci prouve
que `(M ) > `(N ) + `(M/N ).
Soit maintenant 0 M1 · · · Mn = M une chaîne strictement croissante dans M .
Posons Ni := Mi ∩ N et M i := π(Mi ). On obtient deux chaînes croissantes, mais en général
pas strictement croissantes. Néanmoins, la suite exacte Ni+1 /Ni ,→ Mi+1 /Mi  M i+1 /M i
montre que pour tout i, on a Ni Ni+1 ou M i M i+1 . Il s'ensuit que si r et s désignent
les longueurs des chaînes strictement croissantes obtenues en ne gardant que les sauts, on
a r + s > n. On a donc `(N ) + `(M/N ) > `(M ).
Exercice.  Si M est de longueur nie, montrer que toute chaîne strictement croissante
maximale est de longueur `(M ).
Exercice.  On dit qu'un module est artinien si toute suite décroissante de sous-modules
est stationnaire. Montrer qu'un module artinien et noethérien est de longueur nie.

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1.8.5 Application aux algèbres de dimension nie. Voici un cas particulier important
du corollaire ci-dessus. Supposons que A soit une K -algèbre sur un corps K, et soit M un
A-module qui est de dimension nie. Alors M est de longueur nie. En eet, toute suite
strictement croissante 0 = M0 M1 ··· Mn = M est de longueur n inférieure
à dimK (M ), donc on peut en prendre une de longueur n maximale, et les quotients
successifs d'une telle suite sont nécessairement simples.

Corollaire.  Soit A une algèbre commutative de dimension nie sur un corps K .


Alors Max(A) est ni et A est produit de ses localisées en ses idéaux maximaux :
∼ Y
A −→ Am .
m∈Max(A)

Démonstration. C'est le cas M =A de ce qui précède.

f = ri=1 (X − zi )vi . Le
Q
Exemple.  Soit A = C[X]/(f ) où f est unitaire. Factorisons
∼ v v
théorème des restes chinois nous donne A −→ C[X]/(X − f1 ) 1 × · · · × C[X]/(X − fr ) r .
Les idéaux maximaux de A sont les mi , i = 1, · · · , r respectivement engendrés par l'image
v
de X − zi dans A, et le localisé Ami n'est autre que le facteur C[X]/(X − fi ) i .

Rappelons que la A-algèbre Am possède un unique idéal maximal, à savoir mAm . On


dit qu'elle est locale. Le corollaire arme donc que toute algèbre de dimension nie sur
un corps est produit d'algèbres locales. On peut préciser un peu la structure d'une telle
algèbre.

Proposition.  Soit A une algèbre locale de dimension nie sur un corps K , et soit
m son idéal maximal. Alors m est nilpotent. Plus précisément on a md = 0 si d = dimK (A).
Démonstration. La suite décroissante m ⊃ m2 ⊃ · · · ⊃ mn ⊃ se stabilise avant l'indice
n=d puisque ce sont des K -ev de dimension nie. Supposons mr+1 A = mr A. Le célèbre
r
lemme suivant nous assure que m A = 0.

Lemme. (de Nakayama)  Soit A un anneau local d'idéal maximal m et M un A-module


de type ni. Si M = mM , alors M est nul.

Démonstration. Supposons M 6= 0 et soit {m1 , · · · , mr } un ensemble minimal de généra-


teurs de M . Puisque mr ∈ mM il existe i1 , · · · , ir ∈ m tels que mr = i1 m1 + · · · + ir mr . Or
1 − ir ∈
/ m donc l'idéal (1 − ir ) n'est pas contenu dans m, donc il n'est pas propre (puisque
m est l'unique idéal maximal), donc il est égal à A et donc 1 − ir ∈ A× . Il s'ensuit que
mr = (1 − ir )−1 (i1 m1 + · · · ir−1 mr−1 ), contredisant ainsi la minimalité de l'ensemble de
générateurs choisi.

Application.  Une algèbre commutative A réduite et de dimension nie sur un corps


K est un produit ni A = K1 × · · · × Kr d'extensions nies de K.
Remarque.  Plus généralement, un anneau noethérien et artinien est de longueur nie
comme module sur lui-même, donc est produit d'anneaux locaux dont les idéaux maximaux
sont nilpotents.

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1.9 Modules de type ni sur un anneau principal


On sait bien que les modules de type ni sur un corps sont classiés, à isomorphisme
près, par leur dimension. L'approche la plus élémentaire vers cette classication est donnée
par le pivot de Gauss : toute matrice n×m est équivalente à une matrice avec r entrées
égales à 1 sur la diagonale et toutes ses autres entrées nulles, l'entier r (le rang) étant
uniquement déterminé par la matrice.
Après les corps, les anneaux principaux sont quasiment les seuls à avoir le privilège
d'admettre une jolie classication de leurs modules de type ni à isomorphisme près. L'ap-
proche la plus concrète est encore donnée par une adaptation du pivot de Gauss.

1.9.1 Équivalence de matrices. Mn×m (A) le A-module des matrices de taille n×m.
Soit
0
Comme sur un corps, on dit que R, R ∈ Mn×m (A) sont équivalentes s'il existe P ∈ GLn (A)
0
et Q ∈ GLm (A) telles que R = P RQ.

Théorème.  A est principal, toute matrice R dans Mn×m (A) est équivalente à une
Si
0
matrice R diagonale telle que a11 |a22 | · · · |ass où s = min(n, m) et l'on autorise aii = 0.
De plus, les idéaux (aii ) sont uniquement déterminés par R.

0
Démonstration. Existence de la matrice équivalente R . Pour a ∈ A, posons `(a) :=
P
p∈Max(A) vp (a). C'est le nombre de diviseurs irréductibles de a, à association près et comp-
tés avec multiplicité. C'est aussi la longueur du A-module A/(a) (exercice), d'où la notation.
Pour une matrice R = (aij )i,j on pose `(R) := min{`(aij ), 1 6 i 6 n, 1 6 j 6 m}.
On raisonne par double récurrence, sur s(R) = min(n, m), puis sur `(R).
Supposons s(R) = 1 et R 6= 0. Quitte à transposer la matrice, on peut supposer n = 1.
Quitte à échanger des colonnes (multiplication à droite par une matrice de transposition),
on peut supposer que `(R) = `(a11 ). Deux cas se présentent alors :
 si a11 a1j , ce qui est en particulier le cas lorsque `(R) = 0 puisque a11
divise tous les
est alors inversible, on obtient une ligne (a11 , 0, · · · , 0) en multipliant par une matrice de
transvection à droite (substitution de colonnes) et on a donc terminé.
 sinon, on peut supposer après échange de colonnes que a11 ne divise pas a12 . Soit
0 0
alors d := pgcd(a11 , a12 ), et écrivons a11 = a11 d et a12 = a12 d. Il existe donc u, v tels que
u −a012
 
0 0
a11 u + a12 v = 1, et on constate alors que la matrice est de déterminant 1, donc
v a011
inversible et vérie :

0
 
u −a 12 0
· · · v a011
   
a11 a12 0  = d 0 ··· .
0 0 Im−2

La ligne obtenue R0 vérie `(R0 ) < `(R) et on peut donc conclure le cas s(R) = 1 par
récurrence sur `(R).
Supposons maintenant s(R) > 1 et la propriété connue jusqu'à s(R)−1, puis raisonnons
par récurrence sur `(R). Comme précédemment, on peut eectuer des échanges de lignes
et de colonnes pour avoir `(a11 ) = `(R). Si `(R) = 0, alors a11 est inversible et on peut

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s'en servir de pivot pour faire des substitutions de lignes et colonnes an d'obtenir une
matrice dont la première ligne et la première colonne sont nulles sauf a11 . On applique
0
alors l'hypothèse de récurrence sur s(R) à la sous-matrice R = (aij )26i6m,26j6n .
Si `(R) > 0, deux cas se présentent à nouveau :
 Si a11 ne divise pas la première ligne ou ne divise pas la première colonne, alors
comme précédemment, on peut faire chuter `(R) à l'aide d'une matrice 2×2 et du lemme
de Bézout.
 Si a11 divise la première ligne et la première colonne alors on peut faire des substi-
tutions de colonnes puis de lignes pour obtenir une matrice dont la première ligne et la
première colonne sont nulles sauf a11 . a11
divise tous les autres aij , i > 1 et j > 1, on
Si
applique l'hypothèse de récurrence à la sous-matrice R0 = (aij )26i6m,26j6n . Sinon, si a11 ne
0
divise pas aij on obtient par substitution de L1 par L1 + Li une matrice R équivalente à
R telle que a11 ne divise pas la première ligne. On se retrouve dans le premier cas juste
traité.
Unicité des (aii ). Notons Ir (R) l'idéal engendré par les mineurs de taille r × r de la
matrice R ∈ Mn×m (A). Le point clef est que si S ∈ Mm×p (A), alors Ir (RS) ⊂ Ir (R)Ir (S)
(voir 1.9.8 ci-dessous). De cela il suit que si P est carrée de taille > r et inversible, alors
Ir (P ) = A, puis on en déduit que deux matrices équivalentes R et R0 satisfont Ir (R) =
Ir (R0 ) pour tout r. Si R0 est de la forme du théorème, on a donc (a11 ) = I1 (R), (a11 a12 ) =
I2 (R), etc. Ceci montre que les (aii ) sont déterminés par R.
n
Exercice.  Soit u∈ EndZ (Z ) dont le déterminant det(u) ∈Z est non nul. Montrer
que Coker(u) est ni d'ordre égal à | det(u)|.

1.9.2 Corollaire. Soit M un module de type ni sur A principal. Il existe un unique
entier r et une unique suite d'idéaux propres I1 ⊃ I2 ⊃ · · · ⊃ Ir telle que

M ' A/I1 ⊕ A/I2 ⊕ · · · ⊕ A/Ir .

De plus, l'entier r est le nombre minimal de générateurs de M.


Démonstration. (Existence) En fait, seule l'existence est un corollaire du théorème précé-
dent. L'unicité sera prouvée en 1.9.7. Pour prouver l'existence, choisissons une famille gé-
n
nératrice m1 , · · · , mn de M . Il lui est associé un morphisme surjectif π : A  M . Puisque
A est noethérien, Ker(π) est aussi de type ni, et est donc l'image d'un morphisme u :

Am −→ An . En d'autres termes, π induit un isomorphisme Coker(u) := An /u(Am ) −→ M .
Soit R la matrice de u dans les bases canoniques, et soit P , Q comme dans le théorème pré-
n
cedent. Alors P est la matrice d'un automorphisme ρ de A et Q celle d'un automorphisme
θ de Am . Posons u0 := ρ ◦ u ◦ θ : Am −→ An . Le morphisme π ◦ ρ−1 induit un isomorphisme
0 ∼ 0 0
Coker(u ) −→ M . Or, la matrice de u est la matrice diagonale R du théorème. On a
0 n−s
donc Coker(u ) = A/(a11 ) ⊕ · · · ⊕ A/(ass ) ⊕ A . Soit k le plus grand entier i tel que aii
est inversible (on pose k = 0 si a11 n'est pas inversible). Alors en posant Ii := (ak+i,k+i )
pour 1 6 i 6 s − k et Ii = 0 pour s − k < i 6 n − k =: r , on a une suite décroissante
d'idéaux comme dans l'énoncé.

88
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Remarque.  Ce corollaire est encore vrai pour les modules de torsion (au sens ci-
dessous) sur un anneau de Dedekind, c'est-à-dire un anneau intègre noethérien dont les
localisés en chaque idéal premier sont principaux. Par exemple l'anneau des entiers d'un
corps de nombres algébriques est un anneau de Dedekind.

Remarque.  Supposons que M est un A-module de type ni et de p∞ -torsion pour un



idéal maximal p de A (i.e. M = M [p ]). En vertu du théorème 1.8.2, la décomposition du
corollaire ne peut alors faire intervenir que des puissances de p. Il existe donc un unique
entier r et une unique suite m1 6 m2 6 · · · 6 mr telle que

M ' A/pm1 ⊕ A/pm2 ⊕ · · · ⊕ A/pmr .

1.9.3 Application à la réduction des endomorphismes. Reprenons les notations de


l'exemple 1.8.3. Donc K est un corps, V un K -espace vectoriel de dimension nie n et
u ∈ EndK (V ) un endomorphisme de V , ce qui nous donne un A = K[X]-module M = V
où X agit par u. Supposons K algébriquement clos et factorisons le polynôme minimal fu =
Q r vi
Lr vi
i=1 (X − λ i ) . Nous avons
Lr déjà décomposé M = i=1 M [(X − λi ) ], ce qui correspond à
vi
la décomposition V = i=1 Ker((u − λi ) de V en somme de sous-espace caractéristique.
La remarque ci-dessus nous fournit une décomposition en somme de sous-modules cycliques

M [(X − λi )vi ] = K[X]/(X − λi )mi1 ⊕ · · · ⊕ K[X]/(X − λi )miri .


Écrivons cette décomposition sous la forme


V [fivi ] = Vi1 ⊕ · · · ⊕ Viri avec Vij = K[X]wij et K[X]/((X − λi )mij ) −→ K[X]wij
Alors chaque Vij est stable par u et la famille wijk := (u − λi )k−1 (wij ), k = 1, · · · , mij est
une K -base de Vij dans laquelle la matrice de u est de la forme λi I + N où N est la matrice
de taille mij × mij avec des 1 sur la surdiagonale et des 0 ailleurs. En d'autres termes, la
matrice de u dans la base {wijk , i = 1, · · · , r, j = 1, · · · , ri , k = 1, · · · mij } est sous forme
de Jordan.

1.9.4 Définition. M un module sur un anneau


Soit intègre A. On dit que m est un
élément de torsion si AnnA (m) 6= {0}. Le sous-ensemble
Mtors := {m ∈ M, AnnA (m) 6= {0}}
des éléments de torsion est un sous-A-module de M appelé le sous-module de torsion de
M. On dit que M est sans torsion si Mtors = {0} et est de torsion si M = Mtors .
Exercice.  Montrer que M/Mtors est sans torsion.

Exercice.  Soit K = Frac(A). Montrer que M est sans torsion si et seulement si le


morphisme i : M −→ V := K ⊗A M est injectif.
En général, un module sans torsion n'a aucune raison d'être libre. Par exemple, sur
A = C[X, Y ] (X, Y ) est un A-module sans torsion (puisque contenu dans A)
l'idéal mais
pas libre. Néanmoins, sur A principal on a le résultat spectaculaire suivant :

89
Ecole Normale Supérieure FIMFA

1.9.5 Corollaire. (Théorème des bases adaptées)  Soit A principal, et M un A-


module sans torsion de type ni. Alors

i) M est libre.

ii) Si N un sous-module de M , il existe une base e• = (e1 , · · · , em ) de M , un entier


n 6 m et des éléments a1 |a2 | · · · |an de A tels que a1 e1 , · · · , an en forment une base
de N . De plus, les idéaux (a1 ) ⊇ · · · ⊇ (an ) ne dépendent que de M et N .

Démonstration. i) découle du corollaire précédent, puisque A/I est sans torsion si et seule-
ment si I = (0).
ii) (Existence) Remarquons que N est aussi sans torsion, donc libre par i), et rappelons
0 0 0
que son rang n est inférieur au rang m de M . Choisissons deux bases e• = (e1 , · · · em ) de
M et f•0 = (f10 , · · · , fn0 ) de N , et notons R la matrice dans ces bases de l'inclusion N ,→ M .
0 −1
Soient P , Q et R = P RQ comme dans le théorème 1.9.1. On peut voir P comme la
0
matrice de passage de la base e• à une base e• de M , et Q comme la matrice de passage
0 0
de la base f• à une base f• de N . Alors R est la matrice de l'inclusion N ,→ M dans les
0
bases (f ) et e• . La forme de R montre donc, avec les notations du théorème 1.9.1, que
fj = ajj ej pour tout j = 1, · · · , n.
(Unicité) Avec e• et (ai )i comme dans l'énoncé de ii), la matrice R ∈ Mm×n (A) de
diagonale a1 , · · · , an représente l'inclusion N ,→ M dans certaines bases de M et N (à
savoir e• et f• = (a1 e1 , · · · , an en )). Toute matrice représentant cette inclusion dans d'autres
bases est équivalente à R donc l'unicité découle de celle du théorème 1.9.1.

Remarque.  Pour le i), l'hypothèse de type ni est aussi importante. Par exemple, le
Z-module Q est sans torsion, mais n'est pas libre. En eet, s'il admettait une base (ei )i∈I ,
on pourrait dénir un morphisme non nul vers Z/pZ en envoyant par exemple chaque ei
sur 1̄, mais il n'existe évidemment pas de tel morphisme.

1.9.6 Puissances extérieures. An de prouver l'unicité dans le théorème 1.9.1 et le


corollaire 1.9.2, nous allons utiliser une construction classique utile dans d'autres domaines
comme la géométrie diérentielle. Ici, A peut être un anneau commutatif quelconque. Soit
M un A-module. Considérons le A-module

⊗r M := M ⊗A M ⊗A · · · ⊗A M (r facteurs)

et son sous-module Ar M engendré par les tous les tenseurs élémentaires m1 ⊗ · · · ⊗ mr


redondants au sens où il existe i 6= j tels que mi = mj . Le module quotient

∧r M := (⊗r M )/(Ar M )

est appelé  r -ème puissance extérieure de M . L'image d'un tenseur élémentaire m1 ⊗


· · · ⊗ mr dans ∧r M est notée m1 ∧ · · · ∧ mr . Partant d'égalités du type 0 = (m1 + m2 ) ∧
(m1 + m2 ) = m1 ∧ m2 + m2 ∧ m1 , on voit que pour toute permutation σ ∈ Sr on a
mσ(1) ∧ · · · ∧ mσ(r) = sgn(σ) · m1 ∧ · · · ∧ mr . En fait, ∧r M possède la propriété universelle

90
Ecole Normale Supérieure FIMFA

r
suivante : pour tout A-module N , on a une bijection canonique entre HomA (∧ M, N ) et
r r
l'ensemble Alt (M, N ) des applications r -multilinéaires alternées de M dans N .
Les puissances extérieures sont fonctorielles en M : si u : M −→ N est un morphisme
r r r
de A-modules, il induit un morphisme ⊗ u : ⊗ M −→ ⊗ N qui passe au quotient pour
r r r r r r
donner un morphisme ∧ u : ∧ M −→ ∧ N . De plus on a ∧ (v ◦ u) = ∧ v ◦ ∧ u.
r1 r2 r +r
On a des morphismes évidents de concaténation : (⊗ M ) ⊗A (⊗ M ) −→ ⊗ 1 2 M
r r r +r
qui passent au quotient pour donner (∧ 1 M ) ⊗A (∧ 2 M ) −→ ∧ 1 2 M . Si l'on pose aussi
⊗0 M = ALet ∧0 M = A, alors ces morphismes de concaténation munissent la somme directe
⊗• M := r∈N ⊗r M d'une structure de A-algèbre non commutative (et graduée) appelée

algèbre tensorielle de M . De même on a une algèbre extérieure ∧ M et la projection
• •
canonique ⊗ M −→ ∧ M est un morphisme de A-algèbres.
Soient maintenant M1 et M2 deux A-modules. Fonctorialité et concaténation fournissent
donc des morphismes (∧r1 M1 ) ⊗A (∧r2 M2 ) −→ ∧r1 +r2 (M1 ⊕ M2 ).
Lemme.  La somme des morphismes ci-dessus est un isomorphisme
M ∼
(∧r1 M1 ) ⊗A (∧r2 M2 ) −→ ∧r (M1 ⊕ M2 ).
r1 +r2 =r

Démonstration. Nous allons construire un morphisme dans l'autre sens. Les propriétés
monoïdales du produit tensoriel nous donnent une décomposition

M
⊗r (M1 ⊕ M2 ) = Nα , avec Nα := Mα(1) ⊗A · · · ⊗A Mα(r) .
α:{1,··· ,r}−→{1,2}

Fixons α : {1, · · · , r} −→ {1, 2} et notons rα le cardinal de la bre α−1 (1). Soit σ ∈ Sr


−1
une permutation telle que σ({1, · · · , rα }) = α (1). On lui associe un isomorphisme


ψ̃α,σ : Nα −→ (⊗rα M1 ) ⊗A (⊗r−rα M2 )

qui envoie un tenseur élémentaire n1 ⊗ · · · ⊗ nr ∈ Nα sur le tenseur élémentaire

sgn(σ) · (nσ(1) ⊗ · · · ⊗ nσ(rα ) ) ⊗ (nσ(rα +1) ⊗ · · · ⊗ nσ(r) ).

Cet isomorphisme dépend clairement du choix de σ, mais la composée

ψα : Nα −→ (∧rα M1 ) ⊗A (∧r−rα M2 )

n'en dépend pas. En sommant sur α on obtient nalement un morphisme

M M
ψ= ψα : ⊗r (M1 ⊕ M2 ) −→ (∧r1 M1 ) ⊗A (∧r2 M2 ).
α r1 +r2

r
Montrons que ce morphisme se factorise par ∧ (M1 ⊕ M2 ). Pour cela, faisons agir (à droite)
r
Sr sur ⊗ (M1 ⊕M2 ) par permutation des facteurs tensoriels : σ(n1 ⊗· · ·⊗nr ) := nσ(1) ⊗· · ·⊗
nσ(r) . On remarque que σ(Nα ) = Nα◦σ et que, par construction, ψα◦σ = sgn(σ) · (ψα ◦ σ).

91
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Maintenant, par dénition, Ar (M1 ⊕ M2 ) est engendré par les tenseurs élémentaires
n = n1 ⊗ · · · ⊗P
nr tels qu'il existe une transposition τ
n = τ (n). Écrivons un tel n
telle que
sous la forme α nα (de manière unique, donc) : on a alors nα◦τ = τ (nα ) pour tout α. Si
α ◦ τ 6= α on a donc ψ(nα + nα◦τ ) = ψα (nα ) + ψα◦τ (nα◦τ ) = ψα (nα ) − ψα (τ (nα◦τ )) = 0 par ce
−1
qui précède. Si α ◦ τ = α, alors ψ̃α,σ (nα ) est xe par la transposition σ τ σ ∈ Srα × Sr−rα
(où σ est comme au début de la preuve), et donc ψα (nα ) = 0. En sommant, on obtient
ψ(n) = 0, et donc le morphisme ψ passe au quotient pour donner un morphisme
M
ψ̄ : ∧r (M1 ⊕ M2 ) −→ (∧r1 M1 ) ⊗A (∧r2 M2 ).
r1 +r2

On laisse au lecteur le soin de vérier qu'il est inverse de celui de l'énoncé.

1.9.7 Preuve de l'unicité dans le corollaire 1.9.2. Soit M = A/I1 ⊕ · · · ⊕ A/Is avec
I1 ⊃ · · · ⊃ Is . Nous allons voir comment récupérer s et les Ik à partir des puissances
extérieures de M . Remarquons d'abord que pour tout r > 0, le lemme précédent fournir
par récurrence un isomorphisme
M
∧r (M ) = ∧r1 (A/I1 ) ⊗A · · · ⊗A ∧rs (A/Is ).
r1 +···+rs =r

On a ∧0 (A/I) = A (par convention) et ∧1 (A/I) = A/I . De plus, pour r > 1, tout élément
de ⊗r (A/I) est un A-multiple de 1 ⊗ · · · ⊗ 1, donc ∧r (A/I) = 0 dès que r > 1. On peut
donc réécrire la somme ci-dessus sous la forme
M M
∧r (M ) = (A/Ik1 ) ⊗ · · · ⊗ (A/Ikr ) = A/Ik1 .
{k1 <···<kr }⊂{1,··· ,s} {k1 <···<kr }⊂{1,··· ,s}

où la deuxième égalité vient du fait que Ik1 contient tous les autres Iki . Il s'ensuit que

s = Max{r ∈ N, ∧r (M ) 6= 0} et Ik = AnnA (∧s+1−k M ).

On a donc récupéré s et les Ik et on remarquera que ce raisonnement n'utilise aucune


hypothèse sur A.

1.9.8 Preuve de l'unicité dans le théorème 1.9.1. On peut la déduire de celle du


m
corollaire 1.9.2 de la manière suivante : soitu : A −→ An le morphisme représenté par R
dans les bases canoniques. Alors la matrice R0 représente ce même morphisme dans d'autres
bases. Il s'ensuit que Coker(u) ' A/(a11 ) ⊕ · · · ⊕ A/(ass ). L'unicité du corollaire 1.9.2 nous
dit que les (aii ) ne dépendent que de Coker(u) donc que de u et enn, que de R.
Cependant, il est intéressant de terminer la preuve directe esquissée plus haut en dé-
montrant que Ir (SR) ⊂ Ir (R)Ir (S) (cf les notations à la n de la preuve du théorème
1.9.1). Pour cela, notons e1 , · · · , en la base canonique de An et f1 , · · · , fm celle de Am .
r n n
Comme ci-dessus, on voit que ∧ (A ) est libre de rang et que l'ensemble des
r

eI := ei1 ∧ · · · ∧ eir pour I = {i1 < · · · < ir } ⊂ {1, · · · , n}

92
Ecole Normale Supérieure FIMFA

r m
en est une base. De même on a une base (fJ )J de ∧ (A ), où J ⊂ {1, · · · , m} est de cardinal
r. Soit alors ∧r R la matrice de ∧r u dans les bases (eI )I et (fJ )J . Le lemme ci-dessous nous
r r r r
assure que Ir (R) = I1 (∧ R). Comme on a aussi ∧ (RS) = (∧ R)(∧ S), il s'ensuit que
Ir (RS) = I1 (∧r (RS)) ⊂ I1 (∧r R)I1 (∧r S) = Ir (R)Ir (S). (Noter que pour r = 1, l'inégalité
I1 (RS) ⊂ I1 (R)I1 (S) découle immédiatement des formules de produit matriciel).

Lemme.  L'entrée arIJ de la matrice ∧r (R) est le mineur de R associé au sous-


ensemble de lignes I et au sous-ensemble de colonnes J.
Démonstration. Soit I = {i1 < · · · < ir } et J = {j1 < · · · < jr }. Notons aij les entrées de
R. On a

n
X
(∧r u)(fj1 ∧ · · · ∧ fjr ) = u(fj1 ) ∧ · · · ∧ u(fjr ), avec u(fjk ) = aijk ei .
i=1

En utilisant la multilinéarité pour développer le produit, et les égalités eiσ(1) ∧ · · · ∧ eiσ(r) =


sgn(σ) · ei1 ∧ · · · ∧ eir si σ ∈ Sr , on constate que le terme en ei1 ∧ · · · ∧ eir dans cette somme
est X
sgn(σ) · aiσ(1 )j1 · · · aiσ(r) jr
σ∈Sr

qui est bien le mineur associé à I et J.

2 Extensions de corps. Théorie de Galois

La théorie de Galois moderne est l'étude des extensions de corps et de leurs groupes
d'automorphismes. Elle est née d'un problème bien concret que se posaient les mathé-
me
maticiens du 19 siècle, qui était de savoir si toutes les équations algébriques étaient
résolubles par radicaux. En d'autres termes, tout polynôme irréductible de Q[X] admet-il

une solution (dans C) qui s'exprime avec les opérations +, −, ×, ÷ et
n
x ? Les formules
classiques du trinôme, de Cardan (troisième degré) et Ferrari (quatrième degré) montraient
que c'était possible jusqu'en degré 4, mais Galois (et Abel) a exhibé un polynôme de degré
5 pour lequel ce n'était pas possible. En fait, il est même rare que ce soit possible en degré
> 5. Pour ce faire, Galois a étudié les ensembles de symétries des solutions d'équations po-
lynomiales (que l'on appelle maintenant groupes de Galois) et a remarqué que la solubilité
par radicaux d'une équation polynomiale était équivalente à la résolubilité de son groupe
de symétries (au sens de la théorie des groupes moderne, qui n'existait pas à l'époque).
Le groupe de symétrie d'une équation de degré n se plonge dans le groupe symétrique Sn .
Pour n < 5, le groupe Sn est résoluble, ce qui explique l'existence des formules classiques.
Par contre le groupe A5 est simple et n'est donc pas résoluble et Galois a justement exhibé
une équation dont le groupe de symétrie est A5 .

93
Ecole Normale Supérieure FIMFA

2.1 Généralités sur les extensions de corps. Nullstellensatz


2.1.1 Définition. k un
Soit corps. Une extension K de k est un corps K muni
d'un morphisme de corps k −→ K .
Remarquons qu'un morphisme de corps est simplement un morphisme d'anneaux, donc
une extension de k n'est rien d'autre qu'une k -algèbre qui est un corps. Le terme extension
se justie par le fait qu'un morphisme de corps est toujours injectif. On abuse souvent en
0
notant simplement k ⊂ K . Une sous-extension de K est alors un sous-corps K de K qui
contient k.
Notation.  Soit k ⊂ K une extension de corps et α ∈ K . On notera
 k[α] la sous-k -algèbre de K engendrée par α.
 k(α) la sous-extension de K engendrée par α.
Comme d'habitude engendrée signie la plus petite contenant α. Concrètement, k[α]
est l'image de l'unique morphisme de k -algèbres k[X] −→ K qui envoie X sur α, donc k[α]
est engendrée, en tant que k -module, par les puissances de α. Comme on a évidemment
k[α] ⊂ k(α), on voit que k(α) = Frac(k[α]). En revanche, k(α) n'est pas toujours l'image
d'un morphisme k(X) −→ K .

Exemple.  k = Q ⊂ K = C, α = i. Dans ce cas, Q[i] = Q ⊕ Qi est un corps, donc


Q[i] = Q(i) est de dimension 2 sur Q alors que Q(X) est de dimension innie sur Q. Comme
un morphisme de corps est injectif, il n'y a pas de morphisme de corps Q(X) −→ Q(i).

2.1.2 Alternative algébrique/transcendant.

Proposition.  Soit k⊂K une extension de corps et α ∈ K . Notons ϕα : k[X] −→ K


le morphisme de k -algèbres qui envoie X sur α. On a alors l'alternative suivante :

i) Soit ϕα est injectif, auquel cas il induit un isomorphisme k[X] −→ k[α] qui se

prolonge uniquement en un isomorphisme k(X) −→ k(α). En particulier, k[α] et
k(α) sont de dimension innie sur k.
ii) Soit ϕα n'est pas injectif, auquel cas on a les propriétés suivantes :

(a) Son noyau est engendré par un unique polynôme unitaire irréductible fα ∈ k[X]

(b) ϕα induit un isomorphisme k[X]/(fα ) −→ k[α]
(c) k[α] est de dimension nie sur k, égale au degré deg(fα )
(d) k(α) = k[α].
Démonstration. Dans le cas i), les seules choses à prouver sont l'existence et l'unicité du

prolongement de ϕα en un isomorphismek(X) −→ k(α). Mais celles-ci découlent de la
propriété universelle du corps des factions, puisque ϕα envoie tout élément f ∈ k[X] non
nul sur un élément inversible dans K .
Dans le cas ii), le fait que Ker(ϕα ) est engendré par un seul polynôme provient du fait
que k[X] est principal. Ce polynôme est bien déni à multiplication par un inversible près ;

94
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on peut le rendre unitaire en multipliant par un λ ∈ k × , et cela le rend unique puisque



k[X]× = k × . Par ailleurs, ϕα induit un isomorphisme k[X]/ Ker(ϕα ) −→ k[α] (propriété
universelle des quotients), et puique k[α] ⊂ K est intègre, Ker(ϕα ) est un idéal premier et
donc fα est irréductible. On a donc prouvé (a) et (b). Le point (c) découle alors du second
corollaire de 1.4.3. Quant au point (d), il s'agit se prouver que k[α] est un corps. On peut
le voir de deux manières : soit en rappelant que tout idéal premier de k[X] est maximal,
soit en invoquant le lemme d'intérêt indépendant suivant :

Lemme.  Une algèbre A intègre de dimension nie sur un corps k est un corps.

Démonstration. La multiplication par x ∈ A \ {0} est un endomorphisme k -linéaire injectif


de A, donc bijectif par le théorème du rang. Il existe en particulier y tel que xy = 1.

Définition.  Dans le contexte de la proposition, on dit que α est transcendant sur


k dans le cas i), et on dit qu'il est algébrique sur k dans le cas ii). Dans ce dernier cas,
fα est appelé polynôme minimal de α.

Exemples.  Considérons l'extension Q ⊂ C. Les nombres complexes i, j ou 2 sont
algébriques sur Q. Les premiers nombres transcendants construits furent les nombres de
Liouville, qui admettent de bonnes approximations par les nombres rationnels. Lindemann
a
prouva ensuite que les nombres de la forme e avec a algébrique sont transcendants. Comme
eiπ = 1, cela implique que π est transcendant, ce qui montre au passage l'impossibilité de
π
la quadrature du cercle. Par contre, on ne sait toujours pas si des nombres comme e ou
π+e sont transcendants.

Remarque.  En fait il y a beaucoup plus de nombres complexes transcendants qu'il


n'y en a d'algébriques. Plus précisément, le sous-ensemble Q ⊂ C formé de tous les nombres
algébriques est dénombrable. En eet, chaque nombre algébrique annule un polynôme à
coecients entiers. Ces polynômes sont en bijection avec les suites presque nulles d'entiers,
et ces suites forment un ensemble dénombrable (exercice !). Il s'ensuit que l'ensemble C\Q
des nombres transcendants est indénombrable.

2.1.3 Indépendance algébrique. Soit k⊂K une extension de corps, et soit (αi )i∈I une
famille d'éléments de K indexée par un ensemble I . Comme dans le paragraphe précédent,
on note
 k[(αi )i∈I ] la sous-k -algèbre de K engendrée par les αi
 k((αi )i∈I ) la sous-extension de K engendrée par les αi .
Définition.  On dit que la famille (αi )i∈I est algébriquement indépendante sur k si
le morphisme de k -algèbres k[(Xi )i∈I ] −→ K qui envoie Xi sur αi pour tout i est injectif.
Lorsque les αi sont algébriquement indépendants, le morphisme de la dénition se

prolonge uniquement en un isomorphisme k((Xi )i∈I ) := Frac(k[(Xi )i∈I ]) −→ k((αi )i∈I ).

95
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Exemple.  Si l'on prend au hasard n éléments dans C, ils ont toutes les chances d'être
algébriquement indépendants. Par contre, il est très dicile de prouver l'indépendance de
nombres donnés à l'avance, par exemple on ne sait pas si e et π sont algébriquement
indépendants. Il est conjecturé que les valeurs de la fonction ζ de Riemann aux entiers im-
pairs ζ(3), ζ(5), etc... sont algébriquement indépendantes (sur Q). La célébrité du théorème
d'Apery, qui montre simplement l'irrationnalité de ζ(3), donne une idée de l'envergure
de cette conjecture.

Remarque.  Si I = I1 tI2 (réunion disjointe), on a k((αi )i∈I ) = k((αi )i∈I1 )((αi )i∈I2 ). De
plus, la famille (αi )i∈I est algébriquement indépendante sur k si et seulement si la famille
(αi )i∈I1 est algébriquement indépendante sur k et la famille (αi )i∈I2 est algébriquement
indépendante sur k((αi )i∈I1 ).

2.1.4 Définition. Une extension k⊂K est dite :


 nie si K est de dimension nie comme k -ev. On note alors [K : k] := dimk (K) et
on l'appelle degré de K surk.
 algébrique si tout élément α∈K est algébrique sur k.
 de type ni si K est engendrée, en tant qu'extension de corps, par une famille nie
d'éléments.
 monogène si K est engendrée, en tant qu'extension de corps, par un seul élément.
 transcendante pure si K est engendrée par une famille algébriquement indépendante
sur k.
Remarque.  Vu les dénitions, une extension nie est algébrique et une extension est
algébrique si et seulement si elle est réunion de sous-extensions nies. De plus, une extension
algébrique est nie si et seulement si elle est de type ni. Enn, si α est algébrique sur k,
alors k(α) est nie et [k(α) : k] = deg(fα ).
Exemple.  L'extension k ⊂ k(X1 , · · · , Xn ) est de type ni et transcendante pure.

2.1.5 Le Nullstellensatz. On pourrait penser qu'une extension k ⊂ K puisse avoir une


propriété intermédiaire entre être nie et de type ni, à savoir que K soit une k -algèbre de
type ni. Mais le théorème suivant montre qu'on n'obtient rien de nouveau.

Théorème.  Soit k ⊂K une extension de corps telle que K soit une k -algèbre de
type ni. Alors k⊂K est une extension nie (i.e. K est de dimension nie sur k ).

Démonstration. On raisonne par récurrence sur le nombre n de générateurs de K comme


k -algèbre. Si n = 0, il n'y a rien à montrer. Supposons donc n > 1 et choisissons α1 , · · · , αn
tels que K = k[α1 , · · · , αn ]. On a a fortiori K = k(α1 )[α2 , · · · , αn ], donc notre hypothèse
de récurrence assure que l'extension k(α1 ) ⊂ K est nie et il nous reste à montrer que α1
est algébrique sur k .
Choisissons une base β1 := 1, β2 , · · · , βm de K sur k(α1 ). La multiplication dans
Pm
K est déterminée par les formules βi βj = aijk βk avec aijk ∈ k(α1 ). Par ailleurs,
k=1P
m
écrivons chaque α1 , · · · , αn sous la forme αi = j=1 bij βj avec bij ∈ k(α1 ). Soit alors

96
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A := k[aijk , bij ]i,j,k la sous-k -algèbre de k(α1 ) engendrée par les aijk et les bij . On a mani-
festement k[α1 , · · · , αn ] ⊂ Aβ1 ⊕ · · · ⊕ Aβm .
Supposons maintenant que α1 est transcendant, de sorte que k[α1 ] ' k[X]. Les aijk
fijk fij
et les bij sont donc des fractions rationnelles en α1 , disons aijk = et bij = avec
gijk gij
fij , fijk , gij , gijk ∈ k[α1 ]. Il s'ensuit que si g est n'importe quel polynôme premier aux gij et
gijk (par exemple le produit des gij et des gijk plus 1), alors g1 ∈ / A. Donc g1 ∈
/ k[α1 , · · · , αn ],
ce qui contredit l'hypothèse k[α1 , · · · , αn ] = K .

Voici une formulation équivalente mais plus géométrique.

Théorème.  Si m est un idéal maximal de k[X1 , · · · , Xn ], alors son corps résiduel


K = k[X1 , · · · , Xn ]/m est une extension nie de k.
Application géométrique : On a vu précédemment que les points d'un ensemble algé-
brique V sont en bijection avec les morphismes de C-algèbres O(V ) −→ C, et donc avec
l'ensemble des idéaux maximaux de O(V ) dont le corps résiduel est C. Puisque toute ex-
tension nie de C est égale à C (on le rappellera plus loin), le théorème ci-dessus implique

que l'application z 7→ mz = {f ∈ O(V ), f (z) = 0} est une bijection V −→ Max(O(V )).
Il dit aussi, et cela justie le nom Nullstellensatz, que tout système d'équations poly-
n
nômiales f1 (z) = · · · = fr (z) = 0 dans C possède au moins une solution dès que l'idéal

(f1 , · · · , fr ) est propre. En fait, la bijection Cn −→ Max(O(Cn )) induit une bijection


V (f1 , · · · , fr ) −→ {m ∈ Max(O(Cn )), m ⊃ (f1 , · · · , fr )}

et l'existence d'une solution découle donc du lemme de Zorn !

Voici maintenant un corollaire qui va nous mener à une forme plus forte de ces énoncés.

Définition.  Un anneau A est dit de Jacobson si pour tout idéal I⊂A on a

√ \
I= m.
I⊂m∈Max(A)

√ T
Remarque.  On a déja vu qu'on a toujours I =
I⊂p∈Spec(A) p. OnTvoit donc que
A est de Jacobson si et seulement si pour tout idéal premier p on a p = p⊂m∈Max(A) m.
Cette propriété équivaut à la densité de Max(A/I) dans Spec(A/I) muni de la topologie
de Zariski, pour tout idéal I de A.
Corollaire.  Toute k -algèbre de type ni est un anneau de Jacobson.

Démonstration. Quitte à quotienter par


T I on peut supposer I = 0. On doit alors mon-
trer que m∈Max(A) m = Nilp(A) . L'inclusion ⊃ est claire. Montrons l'autre inclusion par
−1
contrapposée. Soit donc f non nilpotent. Alors A[f ] = A[X]/(Xf − 1) est encore une
k -algèbre de type ni. Choisissons un idéal maximal m̃ de A[f −1 ] et soit m son image réci-
proque dans A. C'est un idéal premier de A qui ne contient pas f (cf exercice 1.6.1), donc si
−1
nous montrons qu'il est maximal, nous avons terminé. Or, on a k ⊂ A/m ⊂ A[f ]/m̃ et le

97
Ecole Normale Supérieure FIMFA

théorème précédent arme que A[f −1 ]/m̃ est une extension nie de k. Il s'ensuit que A/m
est une k -algèbre intègre de dimension nie, donc un corps, et m est bien maximal.

Application géométrique. Nous pouvons enn décrire précisément l'algèbre des fonctions
polynômiales O(V ) d'un ensemble algébrique V = V (f1 , · · · , fr ) ⊂ Cn . En eet, on a par
n
dénition O(V ) = O(C )/I(V ) avec

I(V ) = {f ∈ O(Cn ), ∀z ∈ V, f (z) = 0}


= {f ∈ O(Cn ), ∀z ∈ Cn , f1 (z) = · · · = fr (z) = 0 ⇒ f (z) = 0}
= {f ∈ O(Cn ), ∀m ∈ Max(O(Cn )), f1 , · · · , fr ∈ m ⇒ f ∈ m}
\ p
= m = (f1 , · · · , fr )
m∈Max(O(Cn ),fi ∈m

De là on déduit que les applications I 7→ V (I) et V 7→ I(V ) sont des bijections


n
réciproques entre l'ensemble des idéaux radiciels de O(C ) et l'ensemble des sous-ensembles
n
algébriques de C .

ϕ : A −→ B est un morphisme d'anneaux avec A de


Exercice.  Montrer que si
Jacobson et B A, alors pour tout m ∈ Max(B) on a ϕ−1 (m) ∈ Max(A).
de type ni sur
Donner un exemple d'anneau (et même de k -algèbre) qui n'est pas de Jacobson, et un
−1
exemple de morphisme d'anneaux pour lequel il existe m maximal tel que ϕ (m) n'est pas
maximal.

2.1.6 Clôture algébrique relative.

Lemme.  Soit k ⊂ k0 ⊂ K une tour d'extensions de corps.

i) K est nie sur k si et seulement si K est nie sur k 0 et k0 est nie sur k. De plus,
on a dans ce cas l'égalité [K : k] = [K : k 0 ][k 0 : k].
ii) K est algébrique sur k si et seulement si K est algébrique sur k0 et k0 est algébrique
sur k.
Démonstration. i) L'équivalence est claire. Pour l'égalité, posons n = [K : k 0 ] et m =
0 0n 0 0 m
[k : k]. Alors K ' k en tant que k -ev, et k ' k en tant que k -ev. Il s'ensuit que
K ' (k m )n = k mn en tant que k -ev. En pratique, si α1 , · · · , αn est une base de K sur k 0
0
et si β1 , · · · , βm est une base de k sur k , alors {αi βj , i = 1, · · · , n; j = 1, · · · , m} est une
base de K sur k .
ii) L'implication ⇒ est claire. Pour l'autre implication, soit α ∈ K . Notons fα =
X + a1 X n−1 + · · · + an ∈ k 0 [X] son polynôme minimal sur k 0 . Ainsi α est algébrique sur
n

le corps k(a1 , · · · , an ). Or chacun des ai est algébrique sur k , donc k(a1 , · · · , an ) est ni
sur k (par une récurrence à l'aide de i)). Il s'ensuit que k(a1 , · · · , an , α) est ni sur k et en
particulier α est algébrique sur k .

La proposition suivante montre que toute extension contient une unique sous-extension
algébrique maximale.

98
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Proposition.  k ⊂ K une extension de corps.


Soit L'ensemble Kalg de tous les
éléments de K algébriques sur k est un corps. On l'appelle clôture algébrique de k dans
K.
Démonstration. Soient α, β ∈ K algébriques sur k . Alors k(α) est ni sur k et, comme β
est a fortiori algébrique sur k(α), k(α, β) est ni sur k(α). Il s'ensuit que k(α, β) est ni
sur k . En particulier, α + β et αβ sont algébriques sur k .

Exemple.  L'ensemble Q introduit plus haut est la clôture algébrique de Q dans C.

2.1.7 Bases de transcendance et degré de transcendance. Une extension k ⊂ K contient


toujours une sous-extension k ⊂ K 0 transcendante pure et telle que K 0 ⊂ K soit algébrique.
0
En eet, il sut de prendre pour K l'extension engendrée par une famille algébriquement
0
indépendante maximale (pour l'inclusion). L'exemple suivant montre que K est loin d'être
unique.

Exemple.  Soit C la courbe d'équation X 2 = Y 3 − 1. Son anneau de fonctions poly-


2 3
nomiales est A = C[X, Y ]/(X − Y + 1) et son corps de fonctions rationnelles est K =
Frac(A) = C(Y )[X]/(X 2 −Y 3 +1). Le corps K n'est pas transcendant pur, mais est de degré
2 sur le corps C(Y ) transcendant pur. On peut aussi l'écrire K = C(X)[Y ]/(Y 3 − X 2 − 1),
ce qui montre qu'il est de degré 3 sur le corps C(X) transcendant pur.

On voit néanmoins dans cet exemple que les sous-corps purement transcendants sont à
une indéterminée. Ceci se généralise ainsi.

Théorème.  Soit k ⊂ K. Les familles maximales d'éléments de K algébriquement


indépendants sur k sont toutes de même cardinal. On les appelle bases de transcendance
de K sur k et leur cardinal est appelé degré de transcendance de l'extension k⊂K et noté
deg.tr.(K/k).
Démonstration. Nous ne prouvons ce résultat que lorsque K admet une famille algébri-
quement indépendante maximale nie. Supposons donc qu'il existe des éléments algébri-
quement indépendants α1 , · · · , αn tels que K est algébrique sur k(α1 , · · · , αn ). Soit alors
β1 , · · · , βm une autre famille algébriquement indépendante. Il nous sura de montrer que
m 6 n. Nous allons utiliser plusieurs fois le lemme suivant.
Lemme.  Soient α, β deux éléments de K,
chacun transcendant sur un sous-corps k0
0
mais algébriquement liés sur ce sous-corps. Alors α est algébrique sur k (β).

0
Démonstration. Il existe un polynôme irréductible f ∈ k [X, Y ] tel que f (α, β) = 0. Déve-
k 0
P
loppons f = k∈N gk (Y )X avec gk ∈ k [Y ]. Puisque f est non nul, les polynômes gk sont
non tous nuls. Puisque β est transcendant, les éléments gk (β) sont donc eux aussi non tous
0
nuls. Il s'ensuit que α est racine d'un polynôme non nul à coecients dans k (β).

Revenons à la preuve du théorème. Posons I0 := {1, · · · , n}. Puisque β1 est transcendant


sur k, l'ensemble
{I ⊂ I0 , β1 est transcendant sur k((αi )i∈I )}

99
Ecole Normale Supérieure FIMFA

contient I = ∅ et est donc non vide. Choisissons I1 maximal dans cet ensemble. Puisque β1
est algébrique sur k(α1 , · · · , αn ), on a I1 I0 . Pour chaque j ∈ I0 \ I1 , les éléments β1 et
αj sont algébriquement liés sur k((αi )i∈I1 ) et le lemme nous assure que αj est algébrique
sur k(β1 )((αi )i∈I1 ). Il s'ensuit que K est algébrique sur k(β1 )((αi )i∈I1 ).
En particulier, β2 est algébrique sur k(β1 )((αi )i∈I1 ), mais transcendant sur k(β1 ). Donc
il existe I2 I1 maximal tel que β2 est transcendant sur k(β1 )((αi )i∈I2 ) et, comme ci-
dessus, K est alors algébrique sur k(β1 , β2 )((αi )i∈I2 ). Par récurrence, on trouve un sous-
ensemble Im de I0 tel que K est algébrique sur k(β1 , · · · , βm )((αi )i∈Im ). Comme la suite
I0 ) I1 ) · · · ) Im est strictement décroissante, on a 0 6 |Im | 6 n − m, ce qui montre que
m 6 n.
Exemple.  Comme Q(X1 , · · · , Xn ) est dénombrable pour tout n, on voit que C est de
degré de transcendance inni sur Q.
Remarque.  Si V ⊂ Cn est un sous-ensemble algébrique tel que O(V ) est intègre, alors
l'entier deg.tr.(M(V )/C) joue le rôle d'une dimension. On peut montrer que c'est aussi la
longueur de toute chaîne maximale d'idéaux premiers p0 = {0} p1 · · · pn O(V ).
Lemme.  Soit k ⊂ k0 ⊂ K
deux extensions de corps. K est de degré de transcendance
0
ni sur k si et seulement si il en est de même de k sur k et de K sur k 0 . De plus, on a
0 0
alors deg.tr.(K/k) = deg.tr.(K/k ) + deg.tr.(k /k).

Démonstration. Clair.

2.2 Corps algébriquement clos, clôtures algébriques


2.2.1 Définition. Un corps K est dit algébriquement clos si les conditions équiva-
lentes suivantes sont satisfaites :
 tout polynôme f ∈ K[X] possède une racine dans K
 tout polynôme f ∈ K[X] est scindé
 les éléments irréductibles de K[X] sont les polynômes de degré 1.
On rappelle qu'une racine de f dans K est un élément x ∈ K tel que (X − x)|f
(ce qui équivaut à f (x) = 0), et que  f est scindé signie que f se factorise f = λ(X −
α1 ) · · · (X − αn ). On rappelle aussi le célèbre théorème suivant.

Théorème.  C est algébriquement clos.

Démonstration. Soit f = X n + a1 X n−1 + · · · + an−1 X + an . Raisonnons par l'absurde,


et supposons que f ne s'annule pas sur C. Montrons que f atteint son minimum sur C.
On a f (0) = an 6= 0. Comme lim|z|→+∞ |P (z)| = +∞, il existe donc R > 0 tel que
|z| > R ⇒ |P (z)| > |an |. Comme le disque D = {z ∈ C, |z| 6 R} est compact, f y atteint
son minimum. Celui-ci est inférieur à f (0) = |an | et est donc le minimum de f sur C.
Quitte à faire un changement de variable X 7→ X +z0 on peut supposer que f atteint son
minimum en 0. Quittes à multiplier f par une constante, on peut supposer que f (0) = 1.
k k
Alors, si k est l'ordre d'annulation en 0 de f − 1, on a f (z) = 1 + an−k z + o(z ) au

100
Ecole Normale Supérieure FIMFA

ikθ
voisinage de z = 0. Soit maintenant θ tel que an−k e = −|an−k | (ie kθ = π − arg(an−k )).
iθ k k iθ
Alors f (re ) = 1 − |an−k |r + o(r ), et donc f (re ) < 1 pour r assez petit non nul, ce qui
contredit le fait que 1 est le minimum de f.

2.2.2 Définition. Soit k un corps. Une clôture algébrique de k (absolue) est une
extension algébrique k⊂k avec k algébriquement clos.

Lemme.  Soit k ⊂ K une extension avec K algébriquement clos. Alors la clôture


algébrique (relative) Kalg de k dans K est une clôture algébrique (absolue) de k .
Démonstration. Par construction, Kalg est algébrique sur k. Il s'agit donc de montrer que
Kalg est algébriquement clos. Soit donc f ∈ Kalg [X]. Puisque K est algébriquement clos,
f admet une racine α dans K . Cet élément α est algébrique sur Kalg , et donc aussi sur k .
Donc il appartient à Kalg .

Exemple.  Q est une clôture algébrique de Q.


Si on a deux extensions k ,→ K et k ,→ K 0 , un morphisme d'extensions est un mor-
phisme de k -algèbres, ce qui est la même chose dans ce contexte qu'un morphisme k -linéaire
0
de corps K −→ K . Il induit donc l'identité sur k . Comme un tel morphisme est toujours
injectif, on parle aussi de plongement, ou si l'on veut préciser, de k -plongement.

2.2.3 Proposition. Si k⊂k est une clôture algébrique de k, alors toute extension
algébrique de k se plonge dans k .

0
Démonstration. Soit K une extension algébrique de k et soit K ⊂ K une sous-extension
0
munie d'un plongement ι : K ,→ k . Le point clef est que pour tout α ∈ K , le plongement ι
0
admet un prolongement à K (α). En eet, puisque α est algébrique sur k , donc a fortiori sur
K 0 , on a K 0 (α) = K 0 [α] ' K 0 [X]/(fα ). où fα ∈ K 0 [X] désigne le polynôme minimal de α
0
sur K . Considérons alors le polynôme ι(fα ) ∈ k[X] obtenu en appliquant ι aux coecients
0 0
de fα . C'est donc l'image de fα par l'unique morphisme de K -algèbres K [X] −→ k[X]
0
qui envoie X sur X et K dans k via ι. Puisque k est algébriquement clos, on peut choisir
0
une racine x de ι(fα ) dans k . Considérons alors l'unique morphisme de K -algèbres ϕ :
K 0 [X] −→ k qui envoie X sur x et prolonge ι. Pour tout polynôme f ∈ K 0 [X] on a
ϕ(f ) = ι(f )(x). En particulier ϕ(fα ) = 0, donc ϕ se factorise par un morphisme de K 0 -
algèbres
K 0 [X]/(fα ) −→ k
lequel est nécessairement un plongement de corps, et prolonge ι comme voulu. Remar-
quons cependant que ce prolongement est loin d'être canonique puiqu'il dépend du choix
0
de la racine x de fα choisie, et même de α, puisque K (α) admet certainement d'autres
générateurs.
On contourne le problème de non-unicité des prolongements en invoquant le lemme de
0 0 0
Zorn. Considérons l'ensemble P des paires (K , ι ) formées d'une sous-extension K ⊂ K
0
de k et d'un plongement ι : K ,→ k . Cet ensemble est partiellement ordonné par la

101
Ecole Normale Supérieure FIMFA

relation d'ordre (K 0 , ι0 ) 6 (K 00 , ι00 ) ⇔ (K 0 ⊂ K 00 ι0 = ι00|K 0 ).


Cet ordre est inductif , au
et
0 0
sens où toute suite croissante possède un majorant. En eet, si (Kn , ιn )n∈N est une suite
0 0 0
S
croissante, alors K := n Kn est un sous-corps et on dénit un plongement ι en envoyant
x ∈ K sur ιn (x), qui ne dépend pas du choix de n tel que x ∈ Kn . Alors la paire (K 0 , ι0 )
0 0 0
0 0
majore tous les (Kn , ιn ). Maintenant, le lemme de Zorn nous dit alors que tout ensemble
0 0
ordonnée inductif possède un élément maximal. Soit donc (K , ι ) maximal dans P . S'il
0
existait α ∈ K \ K , la construction du début de la preuve contredirait la maximalité de
(K 0 , ι0 ). Donc K 0 = K .
0
Corollaire.  Deux clôtures algébriques k et k de k sont isomorphes, en tant qu'ex-
tensions de k.
0
Démonstration. D'après la proposition, il existe un k -plongement k ,→ k .
L'image K de
0
ce plongement est un corps isomorphe à k , donc algébriquement clos. Tout élément α de
k est algébrique sur k , donc a fortiori sur K . Son polynôme minimal fα sur K est de degré
1 puisque K est algébriquement clos, donc de la forme X − a0 . Il s'ensuit que α = a0 ∈ K ,
0 ∼
puis que K = k et k −→ k .

Remarque.  Il n'y a généralement pas d'isomorphisme canonique. Par exemple, C,


2 2
R[X]/(X + 1) et R[X]/(X + X + 1) sont des clôtures algébriques de R mais il n'y a pas
d'isomorphisme canonique entre ces corps. On peut paraphraser le corollaire en disant :
une clôture algébrique est unique à isomorphisme non unique prés.
Remarque.  Soit K une extension nie de k . Supposons que K soit monogène et
choisissons un élément α ∈ K tel que K = k(α). Alors, en notant fα ∈ k[X] le polynôme
minimal de α, la preuve de la proposition fournit une bijection ι 7→ ι(α)

{Plongements k -linéaires ι : K ,→ k} ↔ {Racines de fα dans k}.

2.2.4 Construction d'une clôture algébrique. Nous allons maintenant prouver l'exis-
tence de clôtures algébriques pour tout corps k. Commençons par un moyen inductif de
construction de corps :

Lemme.  0 τ 1 τ n τn−1 τ
k0 −→
Soit k1 −→ · · · −→ kn −→ · · · une suite de morphismes de corps.
Alors il existe un corps k∞ muni de plongements ιn : kn ,→ k∞ tels que ιn ◦ τn−1 = ιn−1
pour tout n > 0, et qui satisfait la propriété universelle suivante : pour tout corps K et
toute collection σn : kn −→ K de plongements telle que σn ◦ τn−1 = σn−1 pour tout n > 0,
σ
il existe un unique plongement k∞ −→ K tel que σ ◦ ιn = σn pour tout n.

Démonstration. Si la suite de morphismes donnée était une suite d'inclusions 0 ⊂ k1 ⊂


kS
· · · ⊂ kn ⊂ · · · à l'intérieur d'un gros corps K, il surait de prendre k∞ := n kn . La
subtilité ici est qu'on se donne des corps abstraits non contenus dans un gros corps, et
qu'il faut donc construire de façon externe leur réunion.
L
Pour cela, considérons la somme directe
Q n∈N kn . C'est un k0 -ev et même une k0 -algèbre
sans unité (un idéal de n∈N kn ). Par dénition des sommes directes, on a des inclusions

102
Ecole Normale Supérieure FIMFA

L
ι̃n : kn ,→ m∈N km qui envoient un élement xn ∈ kn sur la suite nulle partout sauf au rang
n où elle vaut xn . Soit R le sev engendré par les éléments ι̃n (τn−1 (xn−1 )) − ι̃n−1 (xn−1 ) =
(0, · · · , 0, −xn−1 , τn−1 (xn−1 ), 0, 0, · · · ) pour n ∈ N∗ et xn−1 ∈ kn−1 . Posons
!
M ι̃n
M
k∞ := kn /R et ιn : kn −→ km  k∞ .
n m∈N

Par dénition, pour tout


Pn > 0 on a ι̃n−1 (kn−1 ) ⊂ ι̃n (kn ) + R
S donc ιn−1 (kn−1 ) ⊂ ιn (kn ).
Comme on a aussi k∞ = n∈N ιn (kn ), on en déduit que k∞ = n ιn (kn ). Par ailleurs, grâce
à l'injectivité des τi on voit que toute suite (xm )m∈N dans R admet au moins deux termes
non nuls. Il s'ensuit que pour tout n on a ι̃n (kn ) ∩ R = {0} et donc ιn est injective. Ainsi
ιn induit un isomorphisme k0 -linéaire de kn sur son image ιn (kn ) pour tout n, et chaque
inclusion ιn−1 (kn−1 ) ⊂ ιn (kn ) correspond au morphisme τn−1 via ces isomorphismes. En
d'autres termes le diagramme suivant est commutatif :

kOn
∼ / ιn (kn )
ιn O
τn−1
?
kn−1
∼ / ιn−1 (kn−1 )
ιn−1

On peut maintenant munir le k0 -ev k∞ d'une multiplication : pour x, y ∈ k∞ , choisissons n


−1 −1
assez grand pour que x, y ∈ ιn (kn ) et posons xy := ιn (ιn (x)ιn (y)). Alors cette dénition
ne dépend pas du choix de n et fait de k∞ une k0 -algèbre. Comme cette algèbre est réunion
des sous-corps ιn (kn ), c'est un corps.
La propriété universelle de k∞ muni des ιn se prouve sur le même principe : si x ∈ k∞
−1
est dans l'image de ιn on pose σ(x) := σn (ιn (x)), et on a tout fait pour que cela ne
S
dépende pas du choix de n. L'unicité de σ découle du fait que k∞ = n ιn (kn ).

Nous appliquerons ce lemme sous les hypothèses du suivant :

Lemme.  Avec les notations du lemme précédent. Supposons que pour tout n > 0 et
tout polynôme fn ∈ kn [X], le polynôme τn (fn ) ∈ kn+1 [X] admette une racine dans kn+1 .
Alors k∞ est algébriquement clos.

Démonstration. Soit f ∈ k∞ [X]. Il existe n tel que les coecients de f soient dans ιn (kn ).
Alors f est de la forme ιn (fn ) pour un (unique) polynôme fn ∈ kn [X]. Par hypothèse, le
polynôme τn (fn ) ∈ kn+1 [X] admet une racine xn+1 dans kn+1 . Il s'ensuit que ιn+1 (xn+1 ) est
une racine du polynôme ιn+1 (τn (fn )) = ιn (fn ) = f dans k∞ . Donc k∞ est algébriquement
clos.

Ainsi, pour prouver l'existence de clôtures algébriques, il sura d'utiliser inductivement


la proposition suivante :

Proposition.  Soit k un corps. Il existe une extension algébrique K de k dans la-


quelle tout polynôme f ∈ k[X] admet une racine.

103
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Remarque. (Corps de rupture)  Avant de donner la preuve, remarquons qu'il est facile
de construire une extension Kf de k f ∈ k[X]
dans laquelle un polynôme irréductible
donné admet une racine. Il sut de prendre Kf := k[X]/(f ), qui est un corps puisque (f )
est un idéal maximal, et dans lequel X (ou plutôt son image) est une racine de f . Un tel
corps Kf s'appelle corps de rupture de f .

On peut alors tout aussi facilement construire inductivement une extension Kf1 ,··· ,fn
de k dans lequel chacun des polynômes fi donnés admet une racine. On peut même le
faire pour une famille (fn )n∈N en utilisant le premier lemme par exemple. Mais en général,
l'ensemble des polynômes irréducibles n'est pas nécessairement dénombrable. La preuve
qui suit adapte cette idée au cas général.

Démonstration. Notons (fi )i∈I la famille des polynômes irréducibles unitaires de k[X].
Considérons l'anneau de polynômes R := k[(Xi )i∈I ] dont les indéterminées sont indexées
par I, et son idéal I engendré par les fi (Xi ) pour i ∈ I .
Supposons que cet idéal est propre. Alors, par Zorn, il est contenu dans un idéal maximal
m de R, K := R/m est un corps contenant k . Par construction, l'image
dont le quotient
de Xi dans K est une racine de fi dans K . De plus, K est engendré par les images de Xi
(en tant qu'extension), donc K est algébrique et satisfait la proposition.
Il nous sut donc de prouver que I est bien un idéal propre de R. Raisonnons par
l'absurde et supposons que I = R. Alors il existe un sous-ensemble ni J ⊂ I et des
P
éléments gj ∈ R tels que j∈J gj fj (Xj ) = 1. Puisque J est ni, on a expliqué ci-dessus
qu'il existe une extension KJ de k dans laquelle chaque fj possède une racine, disons xj .
Considérons alors l'unique morphisme de k -algèbres R −→ KJ qui envoie Xi sur xi si i ∈ J
P
et sur 0 si i ∈
/ J . Ce morphisme envoie fj (Xj ) sur fj (xj ) = 0, donc aussi j∈J gj fj (Xj )
sur 0. Comme 0 6= 1 dans le corps KJ on obtient une contradiction.

2.2.5 Théorème. Tout corps possède une clôture algébrique.

Démonstration. Soit k = k0 un corps. La proposition précédente nous fournit une extension


algébrique k1 dans laquelle tout polynôme f ∈ k0 [X] possède une racine. Inductivement
on en déduit une suite d'extensions algébrique k0 ⊂ k1 ⊂ · · · ⊂ kn ⊂ · · · satisfaisant les
hypothèse du second lemme ci-dessus. Mais alors la construction du premier lemme nous
fournit un corps algébriquement clos k∞ contenant k et algébrique sur k.

2.3 Automorphismes. Extensions normales


Nous commençons cette section en xant une clôture algébrique k de k.

2.3.1 Automorphismes de k. On note généralement

Aut(k/k) := Autk−alg (k) = Homk−alg (k, k)

104
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0
le groupe des automorphismes de l'extension k ⊃ k.
Notons que si k est une autre clôture
0 ∼
algébrique de k alors tout isomorphisme d'extensions ψ : k −→ k induit un isomorphisme
∼ 0
σ 7→ ψ −1 σψ : Aut(k/k) −→ Aut(k /k).
Lemme.  Soit K ⊃ k une extension algébrique de k et soient ι1 , ι2 : K ,→ k deux k -
plongements de K dans k . Alors il existe un automorphisme σ ∈ Aut(k/k) tel que ι2 = σ◦ι1 .
Démonstration. C'est une conséquence de la proposition 2.2.3. En eet, le plongement ι2
fournit une clôture algébrique de K. Le plongement ι1
k une extension algébrique
fait de
de K. K -extensions σ : k −→ k .
La proposition 2.2.3 nous fournit alors un morphisme de
Mais attention, ici le terme de gauche est une extension de K via ι1 et celui de droite via
ι2 . On a donc σ ◦ ι1 = ι2 par dénition d'un morphisme de K -extensions. Par ailleurs, σ
est k -linéaire puisque ι1 et ι2 le sont. Donc σ ∈ Aut(k/k).

2.3.2 Conjugaison dans k.


Proposition.  Pour α, β ∈ k , les propriétés suivantes sont équivalentes :

i) Il existe σ ∈ Aut(k/k), σ(α) = β .


ii) fα = fβ (polynômes minimaux sur k .)
Lorsque ces propriétés sont satisfaites, on dit que α et β sont conjugués.

Démonstration. Pour σ ∈ Aut(k/k), notons encore σ : k[X] −→ k[X] l'unique automor-


phisme de k -algèbres qui prolonge σ et envoie X sur X . Ainsi pour tout polynôme f ∈ k[X]
et tout x ∈ k , on a σ(f (x)) = σ(f )(σ(x)). De plus, puisque le polynôme minimal fx de x
sur k est dans k[X], on a σ(fx ) = fx .
i) ⇒ ii). Supposons que β = σ(α) pour un σ ∈ Aut(k/k). Alors, fα (β) = fα (σ(α)) =
σ(fα )(σ(α)) = σ(fα (α)) = 0. Donc fβ |fα . De même fα |fβ et nalement fα = fβ .

ii) ⇒ i). Si fα = fβ , il existe un unique isomorphisme de k -algèbres k[α] −→ k[β] qui
envoie α sur β (passer par l'intermédiaire k[X]/(f ) avec f = fα = fβ ). En composant avec
l'inclusion k[β] ⊂ k , on obtient un plongement ι : k[α] ,→ k qui envoie α sur β . Mais alors
le lemme précédent appliqué à K = k[α], ι1 l'inclusion naturelle et ι2 = ι nous fournit un
plongement σ : k −→ k qui prolonge ι, et envoie donc α sur β .

Exemple.  Si k = R et k = C, on a Aut(C/R) = {id, z 7→ z̄} et la notion de conjugaison


de la proposition redonne celle de conjugaison complexe usuelle.
√ √ √ √
Exemple.  Soit k = Q et

k = Q. L'ensemble des conjugués de 3
2 est { 3 2, j 3 2, j 2 3 2},
−1+i 3
où j = est une racine 3-ème primitive de l'unité.
2

2.3.3 Sous-extensions normales de k.


Proposition.  Soit K une sous-extension de k. Les propriétés suivantes sont équi-
valentes :

i) Pour tout α ∈ K, les racines de fα dans k appartiennent à K.

105
Ecole Normale Supérieure FIMFA

ii) Pour tout σ ∈ Aut(k/k), on a σ(K) ⊂ K .


Si ces propriétés sont satisfaites on dit que K est une sous-extension normale de k.
Démonstration. i) ⇒ ii). Soit σ ∈ Aut(k/k) et α ∈ K . La proposition précédente nous dit
que σ(α) est une racine de fα , donc l'hypothèse i) implique que σ(α) ∈ K . D'où ii).
ii) ⇒ i). Soit α ∈ K et β une autre racine de fα . Alors fβ = fα et la proposition
précédente nous fournit σ tel que σ(α) = β . Puisque K est stable par σ (hypothèse ii)), on
a bien β ∈ K .

Corollaire.  Soit K⊂k une sous-extension normale. L'application de restriction


σ 7→ σ|K induit un morphisme de groupes surjectif

Aut(k/k)  Aut(K/k)

dont le noyau est Aut(k/K).


Démonstration. Le ii) de la proposition précédente nous dit que l'application est bien dé-
nie. C'est évidemment un morphisme de groupes. Enn, le dernier lemme nous assure que
tout automorphisme γ de K se prolonge en un automorphisme σ de k : il sut d'appliquer
ce lemme à ι1 l'inclusion naturelle et ι2 la composée de γ et de l'inclusion naturelle. D'où
la surjectivité annoncée. Le noyau est formé des automorphismes σ ∈ Aut(k/k) tels que
σ|K = idK , c'est-à-dire des automorphismes de K -algèbres de k comme annoncé.

Exemple.  Soit k = Q et k = Q.
 L'extension Q[j] de Q est normale (de degré 2) puisque tout σ ∈ Aut(Q) envoie j
2
sur j ou j , donc laisse stable Q[j].
√3
 L'extension Q[ 2] de Q (de degré 3) n'est pas normale, car il existe σ ∈ Aut(Q) tel

3
√3
√3
que σ( 2) = j 2 ∈ / Q[ 2].

3
 L'extension Q[j, 2] de Q est normale (de degré 6).

2.3.4 Extensions normales. Ici nous ne travaillons pas à l'intérieur d'une clôture k
xée.

Proposition.  Soit K ⊃k une extension algébrique. Les propriétés suivantes sont


équivalentes :

i) Pour tout α ∈ K, le polynôme fα est scindé dans K[X].


ii) Si ι1 , ι2 sont deux plongements de K dans une clôture algébrique k alors ι1 (K) =
ι2 (K).
iii) L'image de K par tout plongement dans une clôture algébrique est une sous-extension
normale au sens du paragraphe précédent.

Si ces propriétés sont satisfaites, K⊃k est dite normale

106
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Démonstration. i) ⇒ ii). Soit α ∈ K. Puisque fα est scindé, chacun des plongements ι1 , ι2


induit une bijection de l'ensemble des racines de fα dans K dans celui des racines de fα
dans k . En particulier ι2 (α) est une racine de fα , donc de la forme ι1 (β) et en particulier
dans ι1 (K). Ceci montre ι2 (K) ⊂ ι1 (K) et l'autre inclusion suit par symétrie.
ii) ⇒ iii). Soit ι : K ,→ k . Pour tout σ ∈ Aut(k/k), ii) implique que σ(ι(K)) = ι(K),
donc ι(K) est une sous-extension normale de k .
iii) ⇒ i). On peut plonger K dans une clôture algébrique Qm ι : K ,→ k . Le polynôme
ι(fα ) est alors scindé dans k[X] : on peut l'écrire ι(fα ) = i=1 (X −Q xi )vi . Mais iii) implique
vi
que les xi sont dans ι(K), disons xi = ι(αi ). Il s'ensuit que fα = i (X − αi ) est scindé
dans K[X].

Exemple.  Reprenons l'exemple du paragraphe précédent de manière abstraite (i.e.


2
Q). L'extension Q[X]/(X + X + 1) ⊃ Q
non plongée dans est normale et l'extension
3
Q[X]/(X − 2) ⊃ Q ne l'est pas.

2.3.5 Corps de décomposition d'un polynôme. Voici l'exemple fondamental d'extension


normale.

Définition.  Soit f ∈ k[X]. Un corps de décomposition de f est une extension K


de k telle que
Qn
 f est scindé dans K[X], c-à-d ∃x1 , · · · , xn ∈ K tels que f =λ i=1 (X − xi ) ,
 K est engendrée par les racines xi de f .
Corollaire.  Tout polynôme admet un corps de décomposition, et celui-ci est unique
à isomorphisme (non unique) près. De plus, ce corps est un extension normale de k.
Démonstration. Soit
Qn k une clôture algébrique de k . Le polynôme f se scinde en f =
λ i=1 (X − xi ) avec λ ∈ k et x1 , · · · , xn ∈ k . Alors le sous-corps Kf = k(x1 , · · · , xn )
0
de k est un corps de décomposition de f . Soit maintenant K ⊃ k un autre corps de
0
décomposition de f . Alors K est algébrique sur k donc se plonge dans k . Son image est
0
engendrée par les racines de f donc égale à Kf . Donc K est isomorphe à Kf . Ceci montre
aussi que Kf est normale.

3
√3
Exemple.  Le corps de décomposition de X − 2 sur Q est le corps Q[j, 2].

n
Exercice.  Soient
√ n, m ∈ N. Montrer
√ que le corps de décomposition de X − m est
Q[ζn , n
m] où ζn = exp(2iπ/n) et n m est l'unique racine n-ème réelle positive de m.
Remarque.  L'action de Aut(Kf /k) sur Kf permute l'ensemble f −1 (0) des racines de f
dans Kf . Comme celles-ci engendrent Kf , on a une injection dans le groupe de permutations

Aut(Kf /k) ,→ Sf −1 (0) .

L'idée basique de la théorie de Galois est d'utiliser le groupe Aut(Kf /k) comme groupe de
symétries de l'équation algébrique f = 0. Néanmoins, ce groupe peut parfois être trivial :
p p 1/p
prenons k = Fp (T ) et f = X − T . Dans ce cas Kf = Fp (T )[X]/(X − T ) = Fp (T ). En

107
Ecole Normale Supérieure FIMFA

fait, f se factorise en X p − T = (X − T 1/p )p dans Kf , ce qui montre que T 1/p est la seule
racine p-ème de T (avec multiplicité p). Donc le groupe Sf −1 (0) est trivial et Aut(Kf /k)
aussi. Ce phénomène appelé inséparabilité est étudié dans les sections suivantes.

2.4 Caractéristique et endomorphisme de Frobenius


2.4.1 Caractéristique d'un corps. Soit A un anneau commutatif. Il existe un unique
morphisme d'anneaux Z −→ A. En eet, un tel morphisme doit envoyer 1 sur 1A et n sur
1A + · · · + 1A (n fois). Le noyau de ce morphisme est appelé idéal caractéristique de A.
Lorsque A = k est un corps, deux cas peuvent se produire :
 l'idéal caractéristique est nul auquel cas on dit que k est de caractéristique nulle.
 l'idéal caractéristique est premier, donc engendré par un unique nombre premier p,
auquel cas on dit que k est de caractéristique p.

Remarque.  Si p est un nombre premier, on dit plus généralement qu'un anneau A


est de caractéristique p si l'idéal caractéristique de A est égal à (p). Dans ce cas, le
morphisme Z −→ A se factorise par Fp := Z/pZ, le corps ni à p éléments, et A est donc
une Fp -algèbre. Réciproquement, toute Fp -algèbre est un anneau de caractéristique p.

2.4.2 Sous-corps premier. On appelle sous-corps premier d'un corps k le plus petit
sous-corps de k, c'est-à-dire l'intersection de tous les sous-corps de k. Deux cas peuvent se
produire :
 Si k est de caractéristique nulle, alors k contient Z donc Frac(Z) = Q et le sous-corps
premier de k est donc Q.
 Si k est de caractéristique p > 0, alors k contient Fp , qui est donc le sous-corps
premier de k .

2.4.3 Endomorphisme de Frobenius.

Proposition.  Soit A un anneau de caractéristique p. Alors l'application

FA : A −→ A, a 7→ ap

est un endomorphisme de Fp -algèbres. On l'appelle endomorphisme de Frobenius de A.


p p p
Démonstration. Soit a, b ∈ A. On a clairement (ab) = a b . Par ailleurs on a (a
Pp + b)p =
p p−k k
b avec kp = k!(p−k)!
p!
 
k=0 k a . Maintenant, pour 0 < k < p, p ne divise ni k! ni (p−k)!.
p
 p p p
Mais p divise p!, donc divise . Il s'ensuit que, dans A, on a (a + b) = a + b .
k

Remarque.  Les endomorphismes de Frobenius commutent avec n'importe quel mor-


phisme de Fp -algèbres : si ϕ : A −→ B est un tel morphisme, alors ϕ ◦ FA = FB ◦ ϕ.
Pour un corps k de caractéristique p, notons

k F := {x ∈ k, Fk (x) = x}

108
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l'ensemble des points xes de l'endomorphisme de Frobenius. C'est un sous-corps de k,


puisque Fk est un endomorphisme de corps.

Lemme.  k F est le sous-corps premier Fp de k.


Démonstration. Pour x ∈ k , on a Fk (x) = x ⇔ xp = x ⇔ (X −x)|(X p −X) dans k[X]. Par
p
ailleurs, pour tout a ∈ Fp on a a = a. Comme les polynômes irréductibles X − a sont deux
p
Q
à deux premiers entre eux lorsque a décrit Fp , on a la factorisation X − X = a∈Fp (X − a)
dans Fp [X] et dans k[X]. Donc x ∈ Fp .

Plus généralement, pour tout r ∈ N∗ , le sous-ensemble

r
k F := {x ∈ k, Fkr (x) = x}

des points xes de l'endomorphisme Fkr = Fk ◦ Fk ◦ · · · ◦ Fk est un sous-corps de k. Le cas


où k est une clôture algébrique de Fp est particulièrement intéressant.

2.4.4 Corps nis. Choisissons une clôture algébrique Fp de Fp et notons F son auto-
morphisme de Frobenius.

Fr
Théorème. 
r
Le corps Fp est un corps de décomposition du polynôme Xp − X sur
Fp . Réciproquement, toute extension nie de Fp est un corps de décomposition du polynôme
[k:Fp ]
Xp − X sur Fp .
r Fr
Démonstration. Pour x ∈ Fp , on a F r (x) = x ⇔ (x racine de X p − X). Ainsi Fp est
pr
l'ensemble des racines de X − X dans Fp . Comme c'est un corps, c'est donc en particulier
pr
un corps de décomposition de X − X.
Réciproquement, soit k une extension nie de Fp . Notons r := [k : Fp ] sa dimension sur
Fp . Alors k est ni de cardinal |k| = pr , donc son groupe multiplicatif k × est de cardinal
r
pr − 1 donc tout élément x ∈ k × vérie xp −1 = 1. Il s'ensuit que tout élément x de k est
p r pr
racine du polynôme X(X −1) = X −X . En particulier, k est un corps de décomposition
de ce polynôme.

Comme tout corps ni est extension nie de son corps premier, ce théorème donne une
recette pour construire tous les corps nis. Il dit aussi que, à isomorphisme près, il y a
r ∗
au plus un corps de cardinal p pour p premier et r ∈ N . Pour compléter le théorème, il
Fr pr
reste à calculer le cardinal de Fp , ce qui revient à compter les racines de X − X (il y en
r
a au plus p ).

2.5 Polynômes et extensions séparables.


2.5.1 Dérivation des polynômes. Soit A une k -algèbre. Une dérivation ∂ de A est un
endomorphisme k -linéaire de A qui vérie l'axiome :

∀f, g ∈ A, ∂(f g) = ∂(f )g + f ∂(g).

109
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Ainsi, on constate par récurrence que ∂(f n ) = n∂(f ) pour tout n ∈ N et en particulier
∂(λ) = λ∂(1) = 0 pour tout λ ∈ k .
Sur l'algèbre A = k[X], toute dérivation est donc uniquement déterminée par sa valeur
en X . Notons ∂ l'unique dérivation de k[X] telle que ∂(X) = 1. Pour un polynôme f =
an X n + an−1 X n−1 + · · · + a0 on a donc

∂f = nan X n−1 + (n − 1)an−1 X n−2 + · · · + a1 .

On appelle ∂f le polynôme dérivé de f et on le note f0 en l'absence d'ambiguïté.

Remarque.  Soit τ : k → k0 τ : k[X] −→ k 0 [X]


un morphisme de corps. Notons aussi
0 0
le morphisme d'anneaux qui prolonge τ et envoie X sur X . Alors ∀f ∈ k[X], τ (f ) = τ (f ).

Lemme.  Soit f ∈ k[X] tel que f 0 = 0.


i) Si k est de caractéristique nulle, alors deg(f ) = 0.
ii) Si k est de caractéristique p > 0, alors il existe un unique polynôme g ∈ k[X] tel
que f = g(X p ).
n 0 n−1
P P
Démonstration. i) est clair. ii) En écrivant f = n a n X et f = n nan X = 0, on
pm p m
P P
voit que an 6= 0 ⇒ p|n donc f = m∈N apm X = g(X ) pour g = m apm X . L'unicité
de g est claire.

2.5.2 Polynômes séparables.

Définition.  Un polynôme f ∈ k[X] est dit séparable si l'idéal (f, f 0 ) de k[X] est
0
l'idéal unité (ie f et f sont premiers entre eux).

Soit f ∈ k[X]. Si k est une clôture algébrique de k , alors f se scinde dans k[X] en
f = an (X − α1 )v1 · · · (X − αm )vm où an est le terme dominant de f (ie n = deg(f )),
P m
i=1 vi = n et les αi ∈ k sont supposés distincts. Les αi sont donc les racines de f dans k
et vi est la  multiplicité  de la racine αi .

Proposition.  Pour f ∈ k[X], les propriétés suivantes sont équivalentes :

i) f est séparable.

ii) f et f0 n'ont pas de racine commune dans une clôture algébrique de k.


iii) Toutes les racines de f dans une clôture algébrique de k sont de multiplicité 1.
iii') f possède deg(f ) racines distinctes dans toute clôture algébrique.

iii) Si k est une clôture algébrique de k , la k -algèbre k[X]/(f ) est réduite (auquel cas,
deg(f )
elle est isomorphe à k = k × k × · · · × k ).
Démonstration. i) ⇒ ii). Soit k une clôture algébrique de k . Si g, h ∈ k[X] sont tels que
f g + f 0 h = 1, alors la même égalité dans k[X] montre que f et f 0 n'y ont pas de diviseur
irréductible commun, donc pas de racine commune.

110
Ecole Normale Supérieure FIMFA

ii) ⇒ iii). Montrons la contraposée. Supposons donc que f


possède une racine double
α dans une clôture algébrique k . Il existe donc g ∈ k[X] tel que f = (X − α)2 · g . Il s'ensuit
0 0 0
que f = (X − α)(2g + (X − α)g ), ce qui montre que α est une racine commune à f et f .
iii) ⇒ i). Montrons encore la contraposée. Si (f, f 0 ) n'est pas l'idéal unité de k[X]
0
alors f et f admettent un diviseur irréductible commun, disons h ∈ k[X]. Il existe donc
g ∈ k[X] tel que f = hg . En dérivant, on obtient f 0 = h0 g + hg 0 . Comme h|f 0 , on en déduit
0
que h|h g . Deux choses peuvent se produire :
0 0 0
 Si h 6= 0, alors h ne divise pas h car deg(h ) < deg(h), donc d'après le lemme
2
d'Euclide, h divise g . Il s'ensuit que h divise f . Or h admet une racine dans k et
celle-ci est donc une racine double de f .
 Si h0 = 0, alors d'après le lemme précedent, k est de caractéristique p > 0 et
h = e(X p ) pour un e ∈ k[X]. Alors e admet une racine α dans k et donc X p − α
p p
divise h dans k[X]. Mais α admet une racine p-ème β dans k , donc X −α = (X −β)
β
est racine multiple de h et donc de f .
et
0 00
L'équivalence entre iii) et iii ) est évidente. Il reste à vérier que iii) ⇔ iii ). Pour cela,
v1 vm
on scinde f = an (X − α1 ) · · · (X − αm ) dans k[X] avec les αi distincts deux à deux, et
on constate grâce aux restes chinois que

m
Y
k[X]/(f ) = k[X]/(X − αi )vi .
i=1

Cet anneau est réduit si et seulement si chacun de ses facteurs k[X]/(X − αi )vi est réduit,
deg(f )
ce qui équivaut à vi = 1. Dans ce cas on a m = deg(f ) et donc k[X]/(f ) ' k .

Remarque.  On voit grâce à la propriété iii) que si f divise un polynôme séparable


alors f est séparable.

Application. (Corps nis)  On peut maintenant compléter le théorème 2.4.4. Puisque


pr 0 r
le polynôme − X est séparable (son polynôme dérivé est f = −1), il admet p racines
X
distinctes dans Fp . Il s'ensuit, d'après le théorème 2.4.4, que son corps de décomposition
Fr
Fp est de cardinal pr . On obtient ainsi le théorème de classication des corps nis :

2.5.3 Théorème. Pour toute puissance pr


d'un nombre premier, il existe un corps
r
de cardinal p , unique à isomorphisme près. C'est un corps de décomposition du poly-
Fp r
pr
nôme X − X sur Fp . Tout corps ni est de cette forme.

Démonstration. Soit k un corps ni. Il est nécessairement de caractéristique non nulle,


disons p. Il est de degré ni, disons r,
sur son corps premier Fp , donc, d'après le théorème
pr
2.4.4, c'est le corps de décomposition de X − X . Voici pour l'unicité. L'existence vient
pr
du théorème 2.4.4 et de la séparabilité de X − X , comme expliqué ci-dessus.

2.5.4 Extensions séparables.

Définition.  Soit K⊃k une extension algébrique. On dit que

111
Ecole Normale Supérieure FIMFA

 α ∈ K est séparable sur k , si son polynôme minimal fα ∈ k[X] est séparable.


 K est séparable sur k si tout élément de K est séparable sur k .
An de donner un analogue de la proposition 2.5.2 pour les extensions, il faut se de-
mander quel est l'analogue, pour une extension, de la notion de racine d'un polynôme.
Pour cela, il faut se rappeler la bijection suivante, pour f ∈ k[X] irréductible :


Homk−alg (K[X]/(f ), k) −→ {α ∈ k, f (α) = 0}

donnée par ι 7→ ι(X) où X est l'image de X dans K[X]/(f ). Ainsi l'analogue de la notion
de racine est la notion de plongement. Le lemme suivant nous dit que, tout comme un
polynôme f possède au plus deg(f ) racines, une extension nie K ⊃ k admet au plus
[K : k] plongements.

Proposition.  Soit K ⊃ k une extension nie et k une clôture algébrique de k . Alors


le nombre de k -plongements de K dans k vérie l'inégalité

|Homk−alg (K, k)| 6 [K : k].

Démonstration. La propriété universelle de l'extension des scalaires fournit une bijection


Homk−alg (K, k) −→ Homk−alg (k ⊗k K, k), ι 7→ τ,

caractérisée par l'égalité τ (λ ⊗ α) = λι(α). Posons I := Homk−alg (k ⊗k K, k) et considérons


le morphisme produit

I
Πτ : k ⊗k K −→ k , λ ⊗ α 7→ (τ (λ ⊗ α))τ ∈I .

Le lemme suivant nous dit que ce morphisme est surjectif, donc

I
[K : k] = dimk (k ⊗k K) > dimk (k ) = |Homk−alg (K, k)|.

Lemme.  Soit A une k -algèbre commutative de dimension nie. Alors le morphisme

Homk−alg (A,k)
Πτ : A −→ k , a 7→ (τ (a))τ ∈Hom
k−alg (A,k)

est surjectif et son noyau est le nilradical de A.


Démonstration. Fixons un morphisme τ : A −→ k de k -algèbres. Alors τ est surjectif
puisque τ (λ · 1A ) = λ pour tout λ ∈ k . Donc m := Ker(τ ) est un idéal maximal de A,
τ
et τ se factorise en τ : A  A/m −→ k avec τ bijectif. En fait, τ est déterminé par
m. En eet, la composée ιm : k −→ A −→ A/m fait de A/m une extension nie de k ,
donc est un isomorphisme puisque k est algébriquement clos. Mais alors, τ ◦ ιm est un
automorphisme de la k -algèbre k , donc est l'identité. Il s'ensuit que τ coïncide avec le
m ι−1
morphisme τm : A  A/m −→ k. On a donc montré que

Homk−alg (A, k) = {τm , m ∈ Max(A)}

112
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et que l'application Πτ de l'énoncé se factorise en

Y ∼ Homk−alg (A,k)
A −→ A/m −→ k
m∈Max(A)

a 7→ (a (mod m))m∈Max(A) et la seconde est le produit m ι−1


Q
où la première èche est m . Le
théorème des restes chinois nous dit alors que Πτ est surjective. De plus, son noyau est
T
m∈Max(A) m. Or, puisque A est de longueur nie comme A-module, on sait que A est annulé
par un produit ni d'idéaux maximaux. Il est donc annulé par une puissance convenable
T T
de m∈Max(A) m, ce qui signie que m∈Max(A) m est nilpotent,
T
donc inclus dans le nilradical
N (A) de A. Réciproquement, puisque le quotient A/ m∈Max(A) m est réduit, on a aussi
T
N (A) ⊂ m∈Max(A) m, d'où l'égalité.

Théorème.  Soit K⊃k une extension nie. On a équivalence entre :

i) K est séparable sur k


ii) Pour toute clôture algébrique k de k on a l'égalité |Homk−alg (K, k)| = [K : k].
iii) Pour toute clôture algébrique k de k , la k -algèbre k ⊗k K est réduite (auquel cas elle
[K:k]
est isomorphe à k = k × k × · · · × k ).
Démonstration. L'équivalence ii) ⇔ iii) découle immédiatement du lemme ci-dessus, via
le raisonnement de la preuve de la proposition.
i) ⇒ ii). Commençons par la remarque suivante. Soit K0 ⊂ K une sous-k -extension de
K, et considérons l'application de restriction

Homk−alg (K, k) −→ Homk−alg (K 0 , k), ι 7→ ι|K 0 .

La proposition 2.2.3 nous dit que cette application est surjective. De plus, la bre au-dessus
0 0 0
de ι : K ,→ k est l'ensemble HomK 0 −alg,ι0 (K, k) des plongements K ,→ k qui prolongent ι ,
0 0
i.e. des morphismes de K -algèbres pour lesquels k est muni de la structure de K -algèbre
0
donnée par ι . On a donc

X
|Homk−alg (K, k)| = |HomK 0 −alg,ι0 (K, k)|.
ι0 ∈Homk−alg (K 0 ,k)

En particulier, si on sait que |HomK 0 −alg,ι0 (K, k)| = [K : K 0 ] pour tout ι et |Homk−alg (K 0 , k)| =
[K 0 : k], alors on obtient

(∗) |Homk−alg (K, k)| = [K 0 : k][K : K 0 ] = [K : k].

Cette remarque nous permet de faire un raisonnement par récurrence sur le nombre de
générateurs r de K sur k . Si r = 1, K est de la forme K = k[α1 ] = k[X]/(fα1 ) et on a
vu ci-dessus que Homk−alg (K, k) est en bijection avec l'ensemble des racines fα1 qui est

113
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de cardinal deg(fα1 ) = [K : k] puisque α1 est séparable. Supposons K engendré par r


0
éléments α1 , · · · , αr et notons K := k[α1 , · · · , αr−1 ]. Par récurrence, on peut supposer que
|Homk−alg (K , k)| = [K : k]. De plus, puisque K est engendrée sur K 0 par (au plus) 1
0 0
0 0 0
élément αr , on a |HomK 0 −alg,ι0 (K, k)| = [K : K ] pour tout plongement ι : K ,→ k (un tel
0
plongement fait de k une clôture algébrique de K ). On conclut par (∗).
iii) ⇒ i). Avant de prouver cette implication, remarquons que pour toute sous-extension
0
K ⊂ K , le morphisme canonique de k -algèbre k ⊗k K 0 −→ k ⊗k K est injectif. En eet, si
(ei )i∈I est une base du k -ev K telle que (ei )i∈I 0 soit une base du k -ev K 0 , alors (1 ⊗ ei )i∈I
0
est une base du k -ev k ⊗k K et la sous-famille (1 ⊗ ei )i∈I 0 est une base du k -ev k ⊗k K . Il
0 0
s'ensuit donc que si k ⊗k K est réduite, alors k ⊗k K l'est aussi. Appliquons ceci à K = k[α]
pour α ∈ K quelconque. Alors k ⊗k k[α] est réduite, donc puisque k[α] ' k[X]/(fα ), fα
est séparable d'après le iii) de la proposition 2.5.2. Comme α était quelconque, K est
séparable sur k .

Application.  Si f ∈ k[X] est séparable, k[X]/(f ) est une extension séparable de k.


Cela découle en eet de l'implication iii) ⇒ i).
Corollaire. (De la preuve)  Soit k ⊂ K 0 ⊂ K une tour d'extensions nies. Si K
0
est séparable sur K qui est séparable sur k , alors K est séparable sur k .

Démonstration. On répète l'argument utilisé pour l'implication i) ⇒ ii) pour obtenir l'éga-
lité (∗) de cette preuve, qui montre que K est séparable sur k.
Application.  Une extension nie K engendrée par des éléments séparables est sépa-
rable (récurrence sur le nombre de générateurs). En particulier, un corps de décomposition
d'un polynôme séparable de k[X] est séparable sur k.
Remarque.  Pour une extension algébrique K⊃k innie, l'assertion ii) du théorème
n'a pas de sens. Mais le raisonnement utilisé donne l'équivalence :

K séparable sur k ⇔ k ⊗k K est réduite.

2.5.5 Théorème de l'élément primitif. Le corollaire suivant est assez spectaculaire pour
qu'on lui donne un nom évocateur.

Corollaire. (Théorème de l'élément primitif )  Toute extension nie séparable K⊃


k est monogène (i.e. engendrée par un seul élément).

Démonstration. Soit α ∈ K, et considérons l'application de restriction

Homk−alg (K, k) −→ Homk−alg (k[α], k), ι 7→ ι|k[α] .

On a vu que cette application est surjective, que la source est de cardinal [K : k] (puisque
K est supposée séparable) et la cible de cardinal [k[α] : k] = deg(fα ) (puisque α est
séparable). On a donc l'équivalence

K = k[α] ⇔ [K : k] = [k[α] : k] ⇔ (ι 7→ ι|k[α] est injective).

114
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Par ailleurs, l'application ι0 7→ ι0 (α), est une injection de Homk−alg (k[α], k) dans k (puisque
c'est même une bijection sur l'ensemble des racines de fα dans k ). On a donc

[
K = k[α] ⇔ (ι 7→ ι(α) est injective) ⇔ α ∈ / Ker(ι1 − ι2 ).
ι1 6=ι2

Notons que chaque Ker(ι1 − ι2 ) est un k -sev propre de K. Lorsque k est inni, il nous
sura donc d'invoquer le lemme suivant :

Lemme.  Soit k un corps inni et V un k -ev de dimension nie. Alors le complémen-


taire d'une union nie de k -sev propres est non-vide.

Démonstration. On raisonne par récurrence sur d = dimk (V ). Pour d = 1, l'assertion est


claire (et vraie pour k ni d'ailleurs). Supposons d > 1 et donnons-nous des k -sev propres
V1 , · · · , Vr . On peut supposer que les Vi sont des hyperplans deux à deux distincts. Alors
V1 ∩Vi est S un k -sev propre de V1 pour tout i > 1 donc, par hypothèse de récurrence, il existe
v1 ∈ V1 \ i>1 Vi . Choisissons w1 ∈ V \ V1 et considérons la droite ane D = w1 + kv1 .
On a D ∩ V1 = ∅. De plus, pour i > 1 on a |D ∩ Vi | < 1. En eet, si w1 + λv1 et w1 + µv1
Sr
sont dans Vi , alors (µ − λ)v1 ∈ Vi donc µ = λ. Il s'ensuit que D ∩ i=1 Vi est ni, donc de
complémentaire non vide puisque la droite D est innie.

Reste à traiter le cas où k est ni. Pour cela on peut supposer k = Fp . Alors K = Fpr
× r
pour r = [K : k] et K est le groupe des racines p − 1-ème de l'unité (ie les racines des
r
X p − 1). Le lemme suivant nous dit que ce groupe est cyclique. Mais alors tout générateur
α de ce groupe est aussi un générateur de Fp r sur Fp .
Lemme.  Soit k un corps et G ⊂ k× un sous-groupe ni de k×. Alors G est cyclique.

Démonstration. Notons n = |G|. On veut montrer qu'il existe un élément d'ordre n dans
G. Soit m le ppcm des ordres de tous les éléments de G. Le résultat de structure des
groupes abéliens nis (modules de torsion sur l'anneau principal Z) implique qu'il existe
un élément x∈G d'ordre m (en fait, cela se prouve directement et facilement : exercice).
Il sut donc de montrer m = n. Or, par dénition on a xm = 1 pour tout x ∈ G, donc
G est formé de racine m-èmes de l'unité, et donc |G| = n 6 m. Comme m|n, on a donc
m = n.
Remarque.  Une extension nie non séparable n'est pas nécessairement monogène.
p p
Prenons par exemple K = Fp (X, Y ) ⊃ k = Fp (X , Y ). On vérie assez facilement que la
i j 2
famille des XY 0 6 i, j < p est une base de K sur k , de sorte que [K : k] = p . Et
,
pourtant pour tout α ∈ K , on a αp ∈ k donc [k[α] : k] = deg(fα ) 6 p.

3
Exemple.  On a vu que le corps Q( 2) n'est pas normal sur Q, mais qu'il le devient
2
si on lui adjoint j (on obtient alors le corps de décomposition de X − 3, de degré 6 sur Q).
Le théorème de l'élément primitif nous dit que ce corps est monogène, mais pas comment
trouver un générateur. Nous verrons plus loin comment en trouver, et montrerons que par

3

3
exemple j+ 2 est de degré 6, et engendre donc Q(j, 2).

115
Ecole Normale Supérieure FIMFA

2.6 Corps parfaits et imparfaits


2.6.1 Définition. Un corps k est dit parfait si tout polynôme irréductible f ∈ k[X]
est séparable ou, ce qui est équivalent, si toutes ses extensions algébriques sont séparables.

Soit f ∈ k[X] irréductible. Alors, puisque (f ) est maximal, on voit que (f, f 0 ) = k[X] si
0 0 0
et seulement si f ne divise pas f . Puisque deg(f ) < deg(f ), ceci équivaut encore à f 6= 0.
On a donc :

Pour f irréductible, f séparable ⇔ f 0 6= 0.

On en déduit alors facilement le théorème suivant.

2.6.2 Théorème. k est parfait si et seulement si k est de caractéristique 0 ou son


endomorphisme de Frobenius est surjectif (et donc bijectif ).

Démonstration. Supposons d'abord k f ∈ k[X] irréductible tel


imparfait. Alors il existe
0
que f = 0. Puisque f est non constant, k doit être de caractéristique p et f de la forme
np p
P
n anp X . Si le Frobenius surjectif, on pourrait trouver bnp ∈ k tel que bnp = anp ,
P de k était
n p
et on aurait alors f = ( n bnp X ) , contredisant l'irréductibilité de f .
Réciproquement, supposons k de caractéristique p, de Frobenius non surjectif. Choisis-
p p 0
sons α ∈ k \ k et considérons le polynôme f := X − α. On a f = 0. Montrons que f est
irréductible. Soit f = f1 f2 une factorisation non triviale de f dans k[X]. Si β désigne une
p
racine p-ème de α dans une clôture algébrique k de k , alors f = (X − β) dans k[X], et
r
donc fi = (X − β) i avec 0 < ri < p. Noter que r1 et r2 sont premiers entre eux, donc il
u v
existe u, v tels que ur1 + vr2 = 1. Par conséquent, on a l'égalité f1 f2 = X − β dans k(X).
Comme k(X) ∩ k[X] = k[X] (intersection dans k(X)), on en déduit que X − β ∈ k[X] et
donc que β ∈ k , ce qui contredit l'hypothèse sur α.

Exemples.  i) Tout corps ni est parfait, puisque une application injective d'un
ensemble ni dans lui-même est aussi bijective.

ii) Tout corps algébriquement clos est parfait, puisque l'équation Xp − x possède une
solution pour tout x ∈ k.
iii) Le corps Fp (T ) n'est pas parfait, car T n'a pas de racine p-ème, donc n'est pas dans
1 1
l'image du Frobenius. Mais le corps Fp (T, T , T
p p2 ,··· ,) est parfait .

2.6.3 Corps imparfaits, extensions purement inséparables.

Définition.  K ⊃ k une extension algébrique. On dit que


Soit
 Un élément α ∈ K est purement inséparable sur k si son polynôme minimal est de
pr
la forme X − x pour un x ∈ k .
 K est purement inséparable sur k si tout α ∈ K \ k est purement inséparable sur k.
Exemple.  L'extension K = Fp (T ) ⊃ Fp (T p ) = k est purement inséparable. En eet,
p
∀α ∈ K on a α ∈k donc fα divise X p − αp = (X − α)p et lui est donc égal si α ∈
/ k.

116
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Plus généralement, si est un corps de caractéristique positive et x ∈ k n'est pas dans


k
p
l'image du Frobenius, alors K := k[X]/(X − x) est une extension purement inséparable.

Lemme.  Soit f ∈ k[X] irréductible sur k de caractéristique p > 0. Il existe un unique


r
g ∈ k[X] irréductible et séparable et un unique r∈N tels que f = g(X p ).
Démonstration. Existence. Si f est séparable, c'est clair. Si f est inséparable, on a f 0 = 0
p
donc il existe f1 tel que f = f1 (X ). Le polynôme f1 est clairement irréductible aussi, donc
on peut recommencer le processus inductivement : soit f1 est séparable, soit il existe f2 tel
p
que f1 = f2 (X ), etc. Comme le degré est divisé par p à chaque étape, il existe r tel que
fr est séparable.
pr
Unicité. Supposons f = g(X ) comme dans l'énoncé et regardons cette égalité dans
k[X] où k est une clôture algébrique de k . On constate que pr est la multiplicité de chaque
racine de f , donc r ne dépend que de f . De plus, on constate que les racines de g sont
r
les puissances p -èmes des racines de f , ce qui détermine entièrement g dans k[X] puisque
celui-ci est séparable.

La proposition suivante décrit la structure d'une extension algébrique sur un corps non
parfait, vis à vis de la notion de séparabilité.

Proposition.  K ⊃ k une extension algébrique. Alors l'ensemble Ksep des élé-


Soit
ments séparables de K sur k est un sous-corps de K appelé clôture séparable de k dans
K, et l'extension K ⊃ Ksep est purement inséparable.
Démonstration. Soient α, β ∈ Ksep . L'extension k ⊂ k[α] est séparable. Le polynôme
minimal de β sur k[α] divise fβ donc est séparable, donc l'extension k[α] ⊂ k[α, β] est aussi
séparable. D'après le corollaire 2.5.4, k[α, β] est séparable sur k et en particulier α − β et
αβ −1 sont séparables sur k . Il s'ensuit que Ksep est un corps.
Soit maintenant α ∈ K \ Ksep et gα son polynôme minimal sur Ksep . Soit r tel que
r
gα = hα (X p ) avec hα séparable. Alors toute racine de hα est séparable sur Ksep , donc aussi
sur k (toujours par le corollaire 2.5.4), donc appartient à Ksep . Comme hα est irréductible,
pr
on a hα = X − β pour un β ∈ Ksep . Il s'ensuit que gα = X − β.
Définition.  i) Un corps k est dit séparablement clos si tout polynôme irréduc-
tible séparable de k[X] est scindé.

ii) On appelle clôture séparable (absolue) d'un corps k toute extension algébrique sépa-
rable et séparablement close de k.
Proposition.  Tout corps k admet une clôture séparable et celle-ci est unique à
isomorphisme près. De plus, toute extension séparable s'y plonge.

Démonstration. Soit k une clôture algébrique de k. Alors k sep est une clôture séparable de
k (vérier les détails).

117
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2.7 Extensions Galoisiennes. Correspondance de Galois


2.7.1 Définition. Une extension nie K ⊃ k est dite Galoisienne si elle est normale
et séparable. On note alors Gal(K/k) := Aut(K/k) le groupe des automorphismes de la
k -algèbre K et on l'appelle groupe de Galois de K sur k .

Le théorème suivant résume les caractérisations utiles des extensions Galoisiennes.

2.7.2 Théorème. Soit K⊃k une extension nie. On a équivalence entre :

i) K est Galoisienne sur k


Q
ii) Pour tout α ∈ K, on a fα = β∈Aut(K/k)·α (X − β) dans K[X].
iii) K est le corps de décomposition d'un polynôme séparable.

iv) |Autk−alg (K)| = [K : k]


v) K Aut(K/k) = k (points xes dans K pour l'action de Aut(K/k)).
Démonstration. i) ⇔ ii). Par dénition, K est Galoisienne sur k si et seulement si ∀α ∈ K ,
fα est séparable et scindé dansK[X]. Par ailleurs on a déjà vu que les racines de fα dans
une clôture algébrique k sont permutées transitivement par Aut(k/k). Plongeons donc K
dans k . Comme Aut(k/k) stabilise K , on en déduit que Aut(K/k) permute transitivement
les racines de fα dans K , de sorte que Aut(K/k)α = {racines de fα dans K}.
i) ⇔ iii). On a déjà vu qu'un corps de décomposition d'un polynôme séparable f
est une extension normale (corollaire 2.3.5) et séparable (à la suite du corollaire 2.5.4).
Réciproquement, si K est Galoisienne, elle est monogène puisque séparable, et contient
toutes les racines du polynôme minimal fα d'un générateur α. C'est donc un corps de
décomposition de fα .
i) ⇒ iv). Soit k une clôture algébrique de k . Puisque K est séparable sur k on a
|Homk−alg (K, k)| = [K : k]. Fixons un plongement ι1 ∈ Homk−alg (K, k) et considérons
l'application Autk−alg (K) −→ Homk−alg (K, k), σ 7→ ι1 ◦ σ . Cette application est injective
puisque ι1 est injective. Elle est aussi surjective puisque tout autre plongement ι2 : K ,→ k
0 −1
a la même image K dans k que ι1 , si bien que la composée σ : ι1 ◦ι2 est un automorphisme
de K tel que ι2 = ι1 ◦ σ . On a donc |Aut(K/k)| = [K : k].
iv) ⇒ v). Notons k 0 := K Aut(K/k) , qui est évidemment un sous-corps de K contenant
k . On a donc Aut(K/k 0 ) = Aut(K/k). Choisissons un plongement ι : K ,→ k 0 de K dans
0 0
une clôture algébrique de k . Alors l'application σ 7→ ι ◦ σ est une injection de Aut(K/k )
0 0
dans Homk0 −alg (K, k 0 ). D'après la proposition 2.5.4 on a donc |Aut(K/k )| 6 [K : k ]. Or,
0 0 0
on a aussi [K : k ] 6 [K : k] = |Aut(K/k)| = |Aut(K/k )|. Donc [K : k ] = [K : k], puis
[k 0 : k] = 1 et nalement k 0 = k . Q
v) ⇒ ii). Soit α ∈ K , et posons gα := β∈Aut(K/k)·α (X − β) ∈ K[X]. On sait que gα
divise fα puisque chaque β ∈ Aut(K/k)α est une racine de fα . Puisque fα est irréductible
dans k[X], il nous sura donc de montrer que gα ∈ k[X]. Pour cela, étendons l'action de
G := Aut(K/k) à K[X] comme d'habitude : G agit sur les coecients des polynômes. Sous
l'hypothèse v), on voit qu'un polynôme f ∈ K[X] est dans k[X] si et seulement si il est

118
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xe par G. Or pour toutσ ∈ G, on a


Y Y Y
σ(gα ) = (X − σ(β)) = (X − γ) = (X − γ) = gα .
β∈Gα γ∈σGα γ∈Gα

Donc gα est xe par G et appartient à k[X].

2.7.3 Exemple (Corps nis) L'extension Fpr ⊃ Fp est Galoisienne puisque c'est un
pr
corps de décomposition du polynôme séparable X − X . Soit F l'endomorphisme de Fro-
benius de Fpr , qui est un automorphisme, donc un élément de Gal(Fpr /Fp ). On a bien-sûr
s
F r = id. De plus, pour s < r, on a vu que le sous-corps des points xes FFpr est l'ensemble
ps
des racines de X − X , donc de cardinal < pr . Il s'ensuit que F est d'ordre r et donc que
Gal(Fpr /Fp ) est cyclique d'ordre r, engendré par F .

2.7.4 Exemple (Extensions cyclotomiques) L'extension n-cyclotomique d'un corps k


n
est le corps de décomposition kn du polynôme X −1, c'est-à-dire  l'extension engendrée
k 0
par les racines n-èmes de l'unité. Si k est de caractéristique p > 0 et si n = p n avec
0 k
(n0 , p) = 1, X n − 1 = (X n − 1)p donc kn = kn0 . On supposera donc que (n, p) = 1
on a
n
sans perte de généralité. L'extension kn ⊃ k est Galoisienne puisque X − 1 est séparable.
Cherchons à calculer Gal(kn /k). Il est clair que tout σ ∈ Gal(kn /k) stabilise le sous-groupe
µn (kn ) des racines n-èmes de l'unité dans kn , et est entièrement déterminé par son action
sur µn (kn ) (puisque celui-ci engendre kn sur k ). De plus, σ agit par automorphismes de
groupes sur µn (kn ), donc on obtient ainsi une injection

Gal(kn /k) ,→ Autgrp (µn (kn )).

Maintenant, on a vu au cours de la preuve du théorème 2.5.5 que le groupe µn (kn ) est


cyclique d'ordre n. On sait calculer le groupe des automorphismes d'un groupe cyclique
d'ordren : si ζn est un générateur de µn (kn ) (i.e. une racine n-ème primitive de l'unité),
alorsσ(ζn ) en est un autre générateur, donc de la forme ζnaσ pour un aσ ∈ Z, uniquement
déterminé modulo n, et tel que (aσ , n) = 1. On obtient ainsi une injection

χk : Gal(kn /k) ,→ (Z/nZ)× , σ 7→ (aσ (mod n)).

On ne peut pas dire grand chose de plus sans information supplémentaire sur k. Voici
quelques exemples :
 k = Fp . Dans ce cas, on sait que kn doit être de la forme Fpr = kpr −1 . Donc r
r ×
est le plus petit entier tel que n|p − 1, c'est-à-dire l'ordre de p dans (Z/nZ) .
On a vu que Gal(Fpr /Fp ) est cyclique d'ordre r , engendré par le Frobenius F . Il
en est donc de même de Gal(kn /k) et, par dénition du Frobenius et de χ, on a
χFp (F ) = (p (mod n)).
 k = Q. On a donc Qn = Q(e2iπ/n ). Si c désigne la conjugaison complexe, un auto-
morphisme de C qui préserve nécessairement le sous-corps algébriquement clos Q
et la sous-extension normale Qn , alors on voit que χQ (c) = (−1 (mod n)) puisque c
2iπ/n −2iπ/n
envoie e sur e . En fait nous allons démontrer :

119
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Théorème.  χQ est un isomorphisme Gal(Qn /Q) −→ (Z/nZ)× .
D'après la discussion précédente, ceci équivaut à l'égalité

[Q(e2iπ/n ) : Q] = ϕ(n) := |(Z/nZ)× |


(indicatrice d'Euler). Pour la prouver, notons
Y Y
Φn (X) := (X − e2πi.a/n ) = (X − ζ) ∈ Q[X],
06i<n, (a,n)=1 ζ d0 ordre n

où le second produit est indexé par les racines n-èmes primitives de 1. On a donc la
factorisation Y
Xn − 1 = Φd (X) dans Q[X].
d|n

En fait, Φn (X) ∈ Qn [X] est invariant par Gal(Qn /Q) puisque tout conjugué d'une
racine primitive n-ème est une racine primitive n-ème. On a donc, d'après le v) du
théorème, Φn (X) ∈ Q[X] (on peut aussi le voir par récurrence grâce au produit
ci-dessus). Du coup, Qn est aussi un corps de décomposition de Φn et, puisque
deg(Φn ) = ϕ(n), il nous sura de montrer que
Lemme.  Φn est irréductible dans Q[X].
Démonstration. Soit Φn = f g dans Q[X] avec f, g unitaires et deg(f ) > 0. Cette
factorisation correspond à une partition de l'ensemble des racines primitives n-èmes
de l'unité. On veut montrer que f = Φn et pour cela il sut de montrer que
l'ensemble des racines de f est stable par l'action de (Z/nZ)× , c'est-à-dire par
élévation à la puissance a a premier à n. Il sut bien-sur de montrer
pour tout la
stabilité par élévation à la puissance p, pour tout premier p premier à n.
Avant cela, montrons que Φn ∈ Z[X]. On peut le voir par récurrence à partir de la
formule du produit. On peut aussi remarquer que, ses coecients appartiennent au
2πi/n
sous anneau Z[e ] ∩ Q de Q. Or Z[e2iπ/n ] est engendré, en tant que Z-module
2πim/n
par les e , 0 6 m < n (cf second corollaire de 1.4.3). Donc le sous-anneau
2πi/n
Z[e ] ∩ Q est de type ni en temps que Z-module, et donc égal à Z.
Montrons maintenant que f, g ∈ Z[X]. Avec les notations de la preuve du théorème
1.6.3, il sut de prouver que νp (f ), νp (g) > 0 pour tout nombre premier p. Or on
a νp (f ), νp (g) 6 0 puisque f, g sont unitaires, et aussi νp (f ) + νp (g) = 0. Donc
νp (f ) = νp (g) = 0.
Fixons maintenant p premier et premier à n, et notons Φn , f et g les images de Φn ,
f et g dans Fp [X]. L'ensemble des racines de Φn dans Fp est l'ensemble des racines
primitives n-èmes de l'unité, et la factorisation Φn = f g correspond encore à une
p
partition de cet ensemble. En particulier, f et g sont premiers entre eux, et on
p
peut donc trouver u, v ∈ Fp [X] tels que uf + vg = 1. En choissant des relèvements

u, v ∈ Z[X] et en observant que g(X p ) = g p , on voit qu'il existe w ∈ Z[X] tel que
uf (X) + vg(X p ) = 1 + pw.

120
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Soit alors ζ une racine de f . On a 1 + pw(ζ) 6= 0. En eet, sinon on aurait w(ζ) =


−1/p ∈ Z[ζ] ∩ Q = Z, ce qui est absurde. Donc ζ p ne peut pas être une racine de g ,
et doit être une racine de f , comme voulu.

2.7.5 Exemple (Extensions radicales) Soit a ∈ k × et n ∈ N. Notons µn le groupe des


racines n-èmes de l'unité et supposons que |µn | = n (ie k contient toutes les racines n-èmes
n
de l'unité). Considérons une extension K de k engendrée par un élément α tel que α = a
n n
(ie fα |X − a). Alors K est le corps de décomposition du polynôme X − a sur k . En eet,
n
toute autre racine de X − a est de la forme αζ avec ζ ∈ µn , donc appartient à K . Cette
observation donne aussi des informations sur Gal(K/k). En eet, tout σ ∈ Gal(K/k) est
déterminé par son action sur α, qui est de la forme αζσ pour un ζσ ∈ µn . Pour un autre
σ 0 , on a alors (σ 0 σ)(α) = σ 0 (αζσ ) = σ 0 (α)ζσ = αζσ0 ζσ , d'où l'on tire que l'application

Gal(K/k) −→ µn , σ 7→ ζσ

est un morphisme de groupes (injectif ). Comme tout sous-groupe de µn est un µm pour


m|n, on obtient ainsi un isomorphisme


Gal(K/k) −→ µm

pour m := [K : k] qui montre en particulier Q que Gal(K/k) est cyclique. Cherchons à


Gal(K/k)
deviner m àQ partir de a. L'élément N α = σ σ(α) est un élément de K = k . On
m m
a Nα = α σ ζσ , donc on voit que α ∈ k . Comme le polynôme minimal fα de α sur f
m
est de degré [K : k] = m, on a fα = X − αm et en particulier m est le plus petit entier
r > 1 tel que αr ∈ k × . Il s'ensuit que m est le plus petit entier r > 1 tel que ar ∈ (k × )n ,
× × n
c'est-à-dire l'ordre de a dans le quotient k /(k ) . En particulier, on voit que le polynôme
X − a est irréductible dans k[X] si et seulement si a est d'ordre n dans k × /(k × )n . En
n

résumé on a prouvé la première partie de :



Théorème.  Soit k un corps tel que |µn (k)| = n. Pour tout a ∈ k, l'extension k[ n a]
engendrée par une racine n-ème de a est Galoisienne de degré m égal à l'ordre de a dans
k × /(k × )n , et on a un isomorphisme

√ ∼ σ( n a)
Gal(k[ a]/k) −→ µm , σ 7→ √
n
.
n
a

Réciproquement, toute extension


√ K ⊃k de groupe de Galois cyclique d'ordre n est de la
forme k[ n a] pour un a ∈ k.
Il nous reste à justier la réciproque. Soit donc σ un générateur de Gal(K/k), de
2 n−1
sorte que Gal(K/k) = {1, σ, σ , · · · , σ }, et soit ζ ∈ K une racine primitive n-ème de
i
l'unité. Le lemme ... ci-dessous assure que les σ sont linéairement indépendants dans le
k -ev Homk−ev (K, K), de sorte que l'endomorphisme id +ζ −1 σ + · · · ζ 1−m σ m−1 est non nul.
−1
Il existe donc x ∈ K tel que α := x + ζ σ(x) + · · · + ζ 1−n σ n−1 (x) est non nul. Alors

121
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σ(α) = ζα, donc les σ i (α) = ζ i α pour 06i<n sont 2 à 2 distincts et

n−1
Y n−1
Y
i
fα = (X − σ (α)) = (X − ζ i α) = X n − αn .
i=0 i=0

En particulier, on a αn ∈ k × et, puisque fα est de degré n, on a K = k[α] comme voulu.


Le corollaire immédiat suivant nous sera utile :

Corollaire.  Soit k un corps tel que |µn (k)| = n et soit K ⊃ k une extension
n
engendrée par des éléments α1 , · · · , αr tels que αi ∈ k . Alors K ⊃ k est Galoisienne de
groupe de Galois abélien.

Démonstration. L'extension est normale puisqu'elle contient tous les conjugués des géné-
j
rateurs αi (qui sont de la forme αi ζn ). C'est donc un corps de décomposition du polynôme
n n
(X − α1 ) · · · (X − αr ). Elle est séparable, puisqu'engendrée par des éléments séparables.
Elle est donc galoisienne. Considérons l'application

r
Y
Gal(K/k) −→ Gal(k(αi )/k), σ 7→ (σ|k(α1 ) , · · · , σ|k(αr ) ).
i=1

Elle est bien dénie puisque chaque extension k(αi ) ⊃ k est galoisienne, elle injective
puisque les αi engendrent K, et c'est un morphisme de groupes. Donc Gal(K/k) est un
sous-groupe d'un produit de groupes cycliques et est donc abélien.

Il nous reste à prouver le lemme général suivant.

2.7.6 Lemme. Soit K ⊃k une extension Galoisienne. Son groupe de Galois G est
un sous-ensemble linéairement indépendant de Homk−ev (K, K)
Démonstration. Choisissons une énumération (σi )i=1,··· ,n des éléments de G. Pour α ∈ K
j j j
on peut former la matrice Mα = (σi (α ))i,j ∈ Mn×n (K). Puisque σi (α ) = σi (α) , c'est
Q
une matrice de Vandermonde et son déterminant est donc ±
i<j (σi (α) − σj (α)). Prenons
pour α un élément primitif de K . Alors les σi (α) sont deux-à-deux distincts et on a donc
det(Mα ) 6= 0. Donnons-nous maintenant une relation dePdépendence linéaire ni=1 λi σi = 0
P
dans Homk (K, K). Elle induit une dépendence linéaire i λi Li (Mα ) entre les lignes de Mα .
Mais puisque det(Mα ) 6= 0 on a donc λi = 0 pour tout i.

Remarque.  Une autre approche, beaucoup moins élémentaire, consiste à se ramener à


prouver que l'ensemble Homk−alg (K, k) = Homk−alg (k⊗k K, k) est linéairement indépendant
dans le k -ev Homk−ev (K, k) = Homk−ev (k ⊗k K, k). Or, plus généralement, la surjectivité

dans le lemme 2.5.4 nous dit que pour toute algèbre de dimension nie A sur k , l'ensemble
Homk−alg (A, k) est linéairement indépendant dans Homk−ev (A, k).

122
Ecole Normale Supérieure FIMFA

2.7.7 Problèmes inverses. Dans les exemples ci-dessus, tous les groupes de Galois étaient
abéliens. L'énoncé suivant est un corollaire immédiat et utile de la caractérisation v) du
théorème 2.7.2, qui permet de voir que tout groupe ni est un groupe de Galois.

Proposition.  SoitG un groupe ni d'automorphismes d'un corps K . Alors K G est


G G
un corps et l'extension K ⊃ K est Galoisienne de groupe Gal(K/K ) = G.
Q
Démonstration. Si α ∈ K on remarque que le polynôme gα := β∈G·α (X − β) ∈ K[X] est
G G
invariant sous G donc dans K [X]. Comme gα (α) = 0, le polyôme minimal fα de α sur K
divise gα , donc est séparable. Il s'ensuit que α est séparable et de degré 6 |G|. Le théorème
G G
de l'élément primitif nous assure alors que K est nie sur K et [K : K ] 6 |G|. Puisque
K est nie sur K G on a aussi l'inégalité |AutK G −alg (K)| 6 [K : K G ]. Or, on a par dénition
G ⊂ AutK G −alg (K), et on en déduit donc les égalités [K : K G ] = |AutK G −alg (K)| = |G|.
G
La première égalité montre que K/K est Galoisienne grâce au iv) du théorème 2.7.2. La
G
deuxiéme égalité et l'inclusion G ⊂ AutK G −alg (K) montrent que G = Gal(K/K ).

Exemple.  Le groupe de permutations Sn agit sur Kn := k(X1 , · · · , Xn ) par permu-


tation des indéterminées. Tout groupe ni G se plonge dans un Sn (par exemple n = |G|
G
en faisant agir G sur lui-même par translations à gauche). Alors l'extension Kn ⊃ Kn est
Galoisienne de groupe G. On voit ainsi que tout groupe ni est un groupe de Galois. Le
problème de Galois inverse, encore ouvert, demande quels groupes nis G peuvent être
groupes de Galois d'une extension Galoisienne K ⊃ Q (on pense qu'ils le sont tous).

2.7.8 Correspondance de Galois. Nous allons établir une bijection remarquable entre
sous-extensions d'une extension galoisienne et sous-groupes de son groupe de Galois. Com-
mençons par le résultat suivant.

Proposition.  Soit K ⊃ k une extension Galoisienne et k ⊂ K0 ⊂ K une sous-


extension. Alors :
0
i) K est Galoisienne sur K 0 et K 0 = K Gal(K/K ) .
0 0 −1
ii) Pour tout σ ∈ Gal(K/k), on a Gal(K/σ(K )) = σGal(K/K )σ .

iii) K 0 est Galoisienne sur k si et seulement si Gal(K/K 0 ) est distingué dans Gal(K/k).
Dans ce cas, l'application σ 7→ σ|K 0 induit un isomorphisme


Gal(K/k)/Gal(K/K 0 ) −→ Gal(K 0 /k).

Démonstration. i) Si K est un corps de décomposition d'un polynôme séparable f ∈ k[X]


0
sur k , alors c'est aussi un corps de décomposition du même f sur K , lequel est toujours
0 0 Gal(K/K 0 )
séparable. Donc K est Galoisienne sur K et l'égalité K = K découle du v) du
théorème.
ii) Soit τ ∈ Gal(K/k). On a τ ∈ Gal(K/σ(K 0 )) ⇔ (∀α ∈ K 0 , τ (σ(α0 )) = σ(α0 )) ⇔
(∀α ∈ K , σ τ σ(α) = α) ⇔ σ −1 τ σ ∈ Gal(K/K 0 ).
0 −1
0
iii) Si Gal(K/K ) est distingué dans Gal(K/k) alors d'après ii) on a

0 0 −1 0
∀σ ∈ Gal(K/k), σ(K 0 ) = K Gal(K/σ(K )) = K σGal(K/K )σ = K Gal(K/K ) = K 0 ,

123
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donc K0 est normale sur k.


Comme elle est aussi séparable, elle est bien Galoisienne. Réci-
proquement, supposons K0
Galoisienne sur k . Alors tout automorphisme de K/k laisse K
0
0
stable et induit donc un automorphisme de K /k . On obtient par restriction des automor-
phismes, un morphisme de groupes σ 7→ σ|K 0
Gal(K/k) −→ Gal(K 0 /k)
0
dont le noyau est le sous-groupe des automorphismes de K/k qui sont l'identité sur K ,
0
c'est-à-dire Gal(K/K ), qui est donc distingué. Pour voir que ce morphisme est surjectif, on
peut plonger K dans une clôture algébrique k et rappeler que la restriction Gal(k/k) −→
Gal(K 0 /k) est surjective. On peut aussi remarquer que le cardinal de l'image est [K : k][K :
K 0 ]−1 = [K 0 : k].
Fixons maintenant une extension nie Galoisienne K ⊃ k . Notons SE(K) l'ensemble
0
des sous-extensions K ⊃ k contenues dans K , ordonné par inclusion. Notons aussi G :=
Gal(K/k) et SG(G) l'ensemble des sous-groupes de G, lui aussi ordonné par inclusion. On
a deux applications, manifestement décroissantes :

SE(K) → SG(G) SG(G) → SE(K)


et 0
K 0 7→ Gal(K/K 0 ) G0 7→ K G
Théorème.  Ces deux applications sont des bijections réciproques, qui échangent
sous-extensions Galoisiennes et sous-groupes distingués.

Démonstration. Découle de la proposition et du corollaire précédent.

Exemple.  Le corps de décomposition


√ X 3 −2 sur Q est une extension Galoisienne
K de

3
de Q. On a vu que K = Q(j, 2) est de degré 6 sur Q, puisque de degré 2 sur Q( 3 2)
qui est de degré 3 sur Q. Donc Gal(K/Q) est un groupe d'ordre 6. Puisque Gal(K/Q) se

3
√3

2 3
plonge dans le groupe des permutations S3 de l'ensemble { 2, j 2, j 2} qui est aussi
d'ordre 6, on voit que Gal(K/Q) ' S3 . Donnons une autre description susceptible de se
généraliser. Gal(K/Q) contient le sous-groupe Gal(K/Q(j)) d'ordre 3, donc isomorphe à

Z/3Z, et le sous-groupe Gal(K/Q( 3 2)), d'ordre 2 donc isomorphe à Z/2Z. Le premier est
distingué puisque Q(j) est Galoisien sur Q, mais pas le second. Il s'ensuit que Gal(K/Q)
est un produit semi-direct

3
Gal(K/Q) = Gal(K/Q( 2)) n Gal(K/Q(j)) ' Z/2Z n Z/3Z.
On peut en déduire la structure des extensions intermédiaires : il y a exactement trois

3

3

2 3
sous-extensions de degré 3, à savoir Q( 2), Q(j 2) et Q(j 2), correspondant aux trois
sous-groupes d'ordre 2, et une sous-extension de degré
√ 2, Galoisienne, à savoir Q(j).
3
On peut aussi maintenant montrer que α = j + 2 est un générateur de K sur Q. En

3
eet, soit σ le générateur de Gal(K/Q( 2)) et soit τ le générateur de Gal(K/Q(j)) qui
√3
√ √
envoie 2 sur j 3 2. Alors on calcule que l'ensemble des conjugués de j + 3 2
√ √ √ √ √ √
{α, σ(α), τ (α), τ 2 (α), στ (α), στ 2 (α)} = {j+ 2, j 2 + 2, j+j 2, j+j 2 2, j 2 +j 2 2, j 2 +j 2}
3 3 3 3 3 3

est de cardinal 6, donc deg(fα ) = 6 et α engendre K sur Q.

124
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Voici une généralisation de cet exemple :

2.7.9 Exemple (Extensions de Kummer sur Q) Soit a ∈ Q. On s'intéresse au groupe


n
de Galois du corps de décomposition K de X − a sur Q. Puisque le ratio de deux racines

n-èmes de a est√une racine de l'unité, on constate facilement que K = Q[ n a, ζn ] où
ζn := e2πi/n et √n a désigne une racine n-ème de a dans Q ⊂ C. Le groupe de Galois
G := Gal(Q[ζn , n a]/Q) contient donc deux sous-groupes remarquables,
√ √ √
H1 := Gal(Q[ζn , n a]/Q[ζn ]) et Ha := Gal(Q[ζn , n a]/Q[ n a]),

dont l'intersection H1 ∩ Ha est égale à {id} puisque ses éléments xent ζn et a.
n

×
Puisque Q[ζn ] est Galoisienne sur Q de groupe (Z/nZ) , le sous-groupe H1 est distingué
×
de quotient G/H1 ' (Z/nZ) , en particulier on a |G| = |H1 |ϕ(n). On a aussi, d'après
l'exemple 2.7.5, un plongement H1 ,→ µn et on sait que n1 := |H1 | est l'ordre de a dans le
× × n
quotient Q(ζn ) /(Q(ζn ) ) .

Par ailleurs, on a l'égalité |G| = |Ha |[Q[ a] : Q], et le caractère cyclotomique nous
n

×
fournit un plongement χn,Q[ √ n a] : Ha ,→ (Z/nZ) .

Supposons que le polynôme cyclotomique Φn reste irréductible dans Q[ n a][X]. Ceci
√ √ √
équivaut à l'égalité [Q[ a, ζn ] : Q[ a]] = ϕ(n), et donc à l'égalité [Q[ a] : Q] = n1 et
n n n

aussi à l'égalité |G| = |H1 ||Ha |. Ainsi, dans ce cas, G est produit semi-direct de H1 par
Ha . Utilisant les descriptions de H1 et Ha on obtient l'isomorphisme
 √


∼ × σ( n a)
Gal(Q[ζn , a]/Q) −→ µn1 o (Z/nZ) : σ 7→
n
√ , σ|µn ,
n
a

où le produit semi-direct est pris pour l'action de conjugaison de Ha sur H1 . Explicitons


−1
√ √ √
cette action ; pour σ ∈ H1 et τ ∈ Ha , on a (τ στ )( a) = (τ σ)( a) = τ ( aζσ ) =
n n n
√ √ aτ a ×
n
a.τ (ζσ ) = a.ζσ , donc c'est l'action naturelle (a, ζ) 7→ ζ de (Z/nZ) sur µn1 .
n

Notons que l'on peut très bien avoir n1 = 1 (par exemple lorsque a est une puissance
n-ème dans Q). A l'autre extrème, on a n1 = n si et seulement si X n − a est irréductible
dans Q[ζn ][X] et, dans ce cas, notre hypothèse sur Φn est automatique puisqu'on a alors
√ √ √
[Q[ n a, ζn ] : Q[ n a]] = nϕ(n)[Q[ n a] : Q]−1 = ϕ(n).
Enn, sans hypothèse sur Φn , la même formule que ci-dessus nous donne toujours un
× ×
plongement G ,→ µn o (Z/nZ) tel que la composée G −→ (Z/nZ) avec la projection
×
sur (Z/nZ) soit surjective. Mais l'image de ce plongement peut être délicate à décrire.

Remarque.  Si l'on part de a tel que X n −a est irréductible dans Q[X], alors l'hypothèse
n
sur Φn ci-dessus équivaut à l'hypothèse que X − a reste irréductible dans Q[ζn ][X], ce qui
n'est pas facile à vérier en pratique. Néanmoins, si n et ϕ(n) sont premiers entre eux (en
particulier si n est premier), alors l'égalité |H1 |ϕ(n) = n|Ha | et les relations |Ha ||ϕ(n) et
|H1 ||n montrent que |H1 | = n et |Ha | = ϕ(n), donc l'hypothèse est vériée.
Voici un exemple où l'hypothèse n'est pas vériée : prenons a = −3 et n = 6. Le
6
polynôme X + 3 est irréductible dans Q[X] (par le critère d'Eisenstein par exemple) et le
√6
corps Q[ −3] contient une racine carrée de −3 donc contient ζ6 = −ζ3 . Dans ce cas, on a

125
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donc K = Q[ 6 −3], Ha = {1} et H1 d'ordre 3 √ de quotient G/H1 d'ordre 2. Le groupe G est
3
d'ordre 6 non-abélien car la sous-extension Q[ −3] n'est pas normale. On a donc G ' S3 .
×
Via le plongement G ,→ µ6 o (Z/6Z) considéré ci-dessus, G s'identie au sous-groupe
engendré par (ζ3 , 1) et (ζ2 , −1).

2.7.10 Sous-extensions étrangères et produits semi-directs. Soit K⊃k une extension


algébrique séparable et soient K1 , K2 des sous-extensions nies sur k . Voici un cadre général
pour montrer qu'un groupe de Galois est un produit semi-direct.

Proposition.  Notons K12 le sous-corps de K engendré par K1 et K2 . Les 4 pro-


priétés suivantes sont équivalentes :

i) [K12 : k] = [K1 : k][K2 : k]


ii) [K12 : K1 ] = [K2 : k]
iii) le morphisme canonique K1 ⊗k K2 −→ K12 , x1 ⊗ x2 7→ x1 x2 est un isomorphisme.

iv) ∀α ∈ K2 , le polynôme minimal fα ∈ k[X] de α sur k reste irréductible dans K1 [X].


Si de plus K1 ou K2 est normale sur k, alors ces propriétés sont aussi équivalentes à

v) K1 ∩ K2 = k
Démonstration. L'équivalence i) ⇔ ii) [K12 : k] = [K12 : K1 ][K1 : k].
découle de l'égalité
L'équivalence ii) ⇔ iii) découle de la surjectivité du morphisme considéré en iii) (par
dénition du corps engendré) et du fait que l'extension des scalaires (ici de k à K1 )
conserve la dimension.
iii) ⇒ iv) L'isomorphisme considéré en iii) induit un isomorphisme de K1 ⊗k k[α] sur
son image, qui n'est autre que K1 [α], ce qui montre que le degré de α sur K1 est le même
que sur k.
iv) ⇒ ii) Prenons α tel que k[α] = K2 , et notons fα son polynôme minimal sur k . On
a donc [K2 : k] = deg(fα ). Par ailleurs, on a K12 = K1 [α] et iv) dit que fα est aussi le
polynôme minimal de α sur K1 . Donc [K12 : K1 ] = deg(fα ) = [K2 : k].
iv) ⇒ v) ne nécessite aucune hypothèse supplémentaire. Si α ∈ K1 ∩ K2 alors le
polynôme minimal de α sur K1 est X − α. D'après iv) il vit dans k[X], donc α ∈ k .
v) ⇒ iv). Notons d'abord que l'équivalence entre iv) et i) montre que la propriété iv) est
symétrique si on échange les rôles de K1 et K2 , ce qui n'est pas évident a priori. Supposons
maintenant K2 normale sur k , pour xer les idées. Alors pour α ∈ K2 , le polynôme minimal
fα ∈ k[X] de α sur k est scindé dans K2 [X]. Soit gα ∈ K1 [X] le polynôme minimal de
α sur K1 . Alors gα divise fα donc appartient à K2 [X] puisque ses coecients sont des
polynômes en les racines de gα dans K2 . Il s'ensuit que gα ∈ (K1 ∩ K2 )[X] = k[X] et donc
que gα = fα .

√ √ √ v)√
Remarque.  L'hypothèse supplémentaire est nécessaire pour queimplique les autres

3 3 3 3 3
propriétés. Par exemple, Q( 2) ∩ Q(j 2) = Q, mais Q( 2, j 2) = Q( 2], j) est de degré
6 et non 9.

126
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Corollaire.  Dans le contexte de la proposition, supposons K12 et K1 galoisiennes


sur k . Alors Gal(K12 /k) est le produit semi-direct de son sous-groupe distingué Gal(K12 /K1 )
par son sous-groupe Gal(K12 /K2 ). Plus précisément, l'application (σ, τ ) 7→ στ est un iso-
morphisme

Gal(K12 /K1 ) o Gal(K12 /K2 ) −→ Gal(K12 /k)
où le produit semi-direct est relatif à l'action de conjugaison.

Démonstration. Gal(K12 /K2 ) est en eet distingué puisque K2 est Galoisienne. L'intersec-
tion Gal(K12 /K2 ) ∩ Gal(K12 /K1 ) est le sous-groupe des automorphismes qui xent K1 et
K2 et donc aussi le corps K12 qu'ils engendrent. Cette intersection est donc {id}. Il s'en-
suit que l'application de l'énoncé est injective. Comme les deux ensembles sont de même
0 0 0 −1
cardinal, elle est bijective. Enn, la formule (στ )(σ τ ) = (σ.τ σ τ )(τ τ 0 ) montre que c'est
un morphisme de groupes.

2.7.11 Clôture normale (Galoisienne) d'une extension. La notion de corps de décom-


position d'un polynôme a un analogue pour les extensions de corps : c'est la notion de
clôture normale.

Définition.  K ⊃ k une extension algébrique. On dit qu'une extension K


Soit e ⊃k
est une clôture normale de K si elle est normale et engendrée par toutes les images ι(K)
de k -plongements ι : K ,→ K̃ .

K ⊃ k est une extension séparable nie, on dit aussi que K


Lorsque e ⊃ k est une clôture
Galoisienne de K ⊃ k . En eet dans ce cas, K
e est aussi séparable et nie sur k .

Exemple.  Le corps de décomposition d'un polynôme irréductible séparable f ∈ k[X]


est une clôture Galoisienne du corps de rupture de f.
Proposition.  Toute extension admet une clôture normale, unique à isomorphisme
près.

Démonstration. Choisissons une clôture algébrique k et notons K


e le sous-corps de k en-
gendré par toutes les images ι(K), où ι ∈ Homk−alg (K, k). C'est clairement une clôture

normale de K , et si Ke 0 en est une autre, on peut la plonger dans k , son image par ce
∼ e
e 0 −→
plongement est nécessairement K e , et on obtient ainsi un isomorphisme K K.
Alternativement, si K est plongé dans une clôture algébrique k , sa clôture normale dans
K est le corps engendré par les images σ(K) où σ décrit Aut(k/k).
Exemple.  Si K = k(α1 , · · · , αn ) avec αi ∈ k , alors K e = K({α(j) }i=1,··· ,n;j=1,···r ) où
i j
(j)
αi , j = 1, · · · , ri désignent les conjugués de αi dans k . En d'autres termes K est le corps
de décomposition du polynôme f α1 f α2 · · · f αn .
√ √ √ √
Exemple.  La clôture Galoisienne de Q( 2,
3 5
3) dans Q est Q( 3 2, 5 3, e2iπ/15 ).

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2.8 Résolubilité par radicaux des équations algébriques


Comme on l'a déjà mentionné dans l'introduction de ce chapitre, la théorie de Galois
permet de résoudre le problème de la résolubilité par radicaux des équations algébriques.
C'est ce que nous allons expliquer ici.

2.8.1 Groupe de Galois d'un polynôme. f ∈ k[X] un polynôme séparable. On


Soit
appelle groupe de Galois de f le groupe de Galois Gf d'un corps de décomposition Kf de
f sur k . Ce groupe permute les racines de f , et son action sur Kf est déterminée par celle
sur les racines de f car celles-ci engendrent Kf . Ainsi Gf s'identie à un sous-groupe du
groupe des permutations des racines de f . Si on numérote les racines α1 , · · · , αn de f dans
Kf , alors Gf s'identie à un sous-groupe de Sn .
Lemme.  Le polynôme f est irréductible dans k[X] si et seulement si Gf permute
transitivement les racines de f dans Kf .
Démonstration. On a déjà vu cela plusieurs fois. Répétons l'argument. Si f est irréductible

et α, β sont deux racines, il existe un unique k -isomorphisme k[α] −→ k[β] qui envoie α sur

β et celui-ci se prolonge en un automorphisme Kf −→ Kf car Kf est normale. Réciproque-
ment, la propriété ii) des extensions Galoisiennes nous dit que si Gf agit transitivement sur
les racines de f , alors f est le polynôme minimal de chacune de ses racines, et en particulier
est irréductible.

Si on a au contraire une factorisationf = f1 f2 dans k[X], alors soit Kfi le sous-corps


de Kf fi . Puisque Kfi est galoisienne sur k , on a un morphisme
engendré par les racines de
surjectif Gf  Gfi de noyau Gal(Kf /Kfi ). Le morphisme produit Gf −→ Gf1 × Gf2 est
lui injectif puisque Kf est engendré par Kf1 .Kf2 .

2.8.2 Résolubilité par radicaux et groupes résolubles. Rappelons qu'un polynôme f ∈


Q[X] est dit résoluble par radicaux si ses racines peuvent s'exprimer en appliquant suc-

cessivement des opérations parmi +, −, ·, ÷ et
n
x à des nombres rationnels.

Définition.  Un groupe ni G est dit résoluble s'il admet une suite décroissante
G = G0 ⊃ G1 ⊃ · · · ⊃ Gr = {1} de sous-groupes tels que Gi+1 est distingué dans Gi et
Gi /Gi+1 est abélien.
Exercice.  Soit H un sous-groupe de G. Montrer que :
 G résoluble ⇒ H résoluble.
 Si H est distingué, G résoluble ⇔ (H et G/H résolubles).

Le théorème de Galois s'exprime ainsi :

Théorème.  Le polynôme f est résoluble par radicaux si et seulement si son groupe


de Galois est résoluble.

Démonstration. Supposons d'abord f résoluble par radicaux. Ceci équivaut à ce que Kf


soit inclus dans le dernier étage Kr d'une tour d'extensions Q = K0 ⊂ K1 ⊂ · · · ⊂ Kr ,

128
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telle que pour tout i = 1, · · · , r, on aKi = Ki−1 (αi ) avec αini ∈ Ki−1 pour un ni ∈ N.
On peut choisir cette tour de sorte que K1 soit n-cyclotomique avec n le ppcm des ni .
Alors chaque extension Ki ⊃ Ki−1 est Galoisienne de groupe de Galois abélien, d'après
2.7.5 et 2.7.4. Malheureusement Ki n'est pas nécessairement Galoisienne sur Q pour i > 2.
0
Remplaçons donc Ki par sa clôture Galoisienne Ki dans Q. On a donc une tour Q = K0 ⊂
(j)
K1 = K10 ⊂ K20 ⊂ · · · ⊂ Kr0 d'extensions Galoisiennes avec Ki0 = Ki−1 0
(αi , j = 1, · · · , ri )
(j) (j) n ni
où les αi désignent les conjugués de αi dans Q. Alors (αi ) i est un conjugué de αi donc
0 0 0
appartient à Ki−1 , et le corollaire 2.7.5 nous dit que Gal(Ki /Ki−1 ) est abélien.
0 0 0
Traduisons cela via la correspondance de Galois. Notons Gi := Gal(Kr /Ki ), qui est un
0 0 0 0
sous-groupe de G0 = Gal(Kr /Q). Alors les Gi sont distingués dans G0 , et les quotients
0 0 0
successifs Gi /Gi+1 sont abéliens. Le groupe G0 est donc résoluble. Il s'ensuit que le groupe
Gf := Gal(Kf /Q), qui est un quotient de G0 puisque Kf ⊂ Kr0 , est aussi résoluble. En
0
eet, si Gf,i désigne l'image de Gi dans Gf , alors chaque Gf,i est distingué dans Gf et les
quotients successifs Gf,i /Gf,i+1 sont abéliens, puisque quotients de Gi /Gi+1 .
Réciproquement, supposons maintenant que Gf = Gal(Kf /Q) est résoluble. Notons
0
Kf le corps engendré par Kf et les racines n-èmes de l'unité où n = [Kf : Q]. C'est
0
aussi une extension Galoisienne de Q, dont le groupe de Galois Gf se surjecte sur Gf
0 0
avec noyau Gal(Kf /Kf ) abélien (d'ordre divisant ϕ(n)). Donc Gf est aussi un groupe
0 0
résoluble. Notons Gf,1 := Gal(Kf /Q(e
2iπ/n
)), qui est un sous-groupe distingué de G0f de
0 0 × 0
quotient Gf /Gf,1 abélien (isomorphe à (Z/nZ) ). Puisque Gf est résoluble, il existe des
0 0 0 0 0
sous-groupes Gf,1 ⊃ Gf,2 ⊃ · · · ⊃ Gf,r = {1} tels que Gf,i+1 soit distingué dans Gf,i de
quotient abélien. En fait, puisque tout groupe abélien ni est produit de groupes cycliques,
0 0
on peut même supposer que Gf,i /Gf,i+1 est cyclique. Notons que pour i > 1, l'ordre de

G0f,i /G0f,i+1 divise celui de G0f /G0f,1 qui est égal au degré [Kf0 : Q(e2iπ/n )], lequel divise
0
[Kf : Q] = n. Soit alors Kf,i := (Kf0 )Gi . La correspondance de Galois nous dit que la tour
0 0 0
Q ⊂ Q(e2iπ/n ) = Kf,1 ⊂ Kf,2 ⊂ · · · ⊂ Kf,r = Kf0
0 0
est formée d'extensions Galoisiennes telles que Kf,i /Kf,i−1 est de groupe de Galois cyclique
0
d'ordre n divisant n. D'après le théorème 2.7.5, une telle extension est de la forme Kf,i =
0 √i
Kf,i−1 ( ni a ). Il s'ensuit que f est résoluble par radicaux.
i

2.8.3 Résolubilité des équations de degré au plus 4. À l'époque de Galois, on savait


déjà depuis longtemps que les polynômes de degré au plus 4 étaient résolubles par radi-
caux. En voici une explication conceptuelle. Soit n := deg(f ). On a vu que l'action de
permutation de Gf := Gal(Kf /K) sur l'ensemble des racines de f fournit un plongement
Gf ,→ Sn (une fois qu'on a numéroté les racines). Or, pour n 6 4, le groupe Sn est
résoluble. En eet, S2 = Z/2Z est abélien, S3 se surjecte sur Z/2Z (signature) avec pour
noyau A3 = Z/3Z, et S4 se surjecte sur Z/2Z avec pour noyau A4 dont le sous-groupe
{id, (1, 2)(3, 4), (1, 3)(2, 4), (1, 4)(2, 3)} isomorphe à (Z/2Z)2 est distingué de quotient iso-
morphe à Z/3Z. Comme tout sous-groupe d'un groupe résoluble est résoluble (exercice), il
s'ensuit que Gf est bien résoluble dès que deg(f ) 6 4.

129
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2.8.4 Non-résolubilité d'une équation de degré 5. C'est à Abel qu'est attribué le premier
exemple d'équation algébrique non résoluble par radicaux. Mais la théorie de Galois donne
une explication plus conceptuelle aux exemples d'Abel.

Lemme.  Le groupe Sn , n > 5 n'est pas résoluble.

Démonstration. Il sut de montrer que An n'est pas résoluble. Pour cela, il sut de mon-
trer que An
ne possède aucun quotient abélien. Ceci équivaut à montrer que le sous-groupe
[An , An ] engendré par les commutateurs xyx−1 y −1 d'éléments de An est égal à An . En eet,
tout morphisme An −→ G avec G abélien est trivial sur [An , An ].
Rappelons que An est engendré par les 3-cycles. En eet, il sut de voir que le produit
de deux transpositions τ = (i, j)(k, l) est un produit de 3-cycles. Si {i, j} = {k, l} on a
τ = id, si |{i, j} ∩ {k, l}| = 1, alors, en supposant que j = k par exemple, on a τ = (i, j, l),
et si {i, j} ∩ {k, l} = ∅ alors τ = (i, j)(j, k)(j, k)(k, l) = (i, j, k)(j, k, l).
Il nous sut donc de voir que tout 3-cycle est un commutateur dans An . On a la formule
(i, j, k) = (i, j)(j, k) = (i, j)(i, k)(i, j)−1 (i, k)−1 qui montre que (i, j, k) est un commutateur
dans Sn . Pour passer à un commutateur dans An , choisissons, l 6= m distincts de (i, j, k),
ce qui est possible car n > 5. Alors, (l, m) commute à (i, j) et (i, k), donc en posant
τ = (i, j)(l, m) et σ = (i, k)(l, m), on a τ στ −1 σ −1 = (i, j, k), et τ, σ ∈ An .
Remarque.  En fait, on a beaucoup mieux : pour n > 5, le groupe An est simple, i.e.
ne possède aucun sous-groupe distingué propre et non trivial.

Notre but est maintenant de produire un polynôme de degré 5 dont le groupe de Galois
est S5 . Pour cela, le lemme suivant sera utile :

Lemme.  Si n est premier, le groupe Sn est engendré par toute paire d'éléments (σ, τ )
formée d'un n-cycle et d'une transposition.

Démonstration. Soit τ = (i, j) avec i 6= j . Comme n est premier, l'unique puissance de σ


qui envoie i sur j est encore un n-cycle. On peut donc supposer que j = σ(i). On a alors
s −s
σ τσ = (σ s (i), σ s+1 (i)) pour tout s = 0, · · · , n − 1. Soit alors r > s. On a
(σ r−1 (i), σ r (i)) · · · (σ s+1 (i), σ s+2 (i))(σ s (i), σ s+1 (i))(σ s+1 (i), σ s+2 (i)) · · · (σ r−1 (i), σ r (i))
= (σ s (i), σ r (i)),
ce qui montre que le sous-groupe engendré par σ et τ contient toutes les transpositions,
donc est égal à Sn .
Nous voulons donc trouver un polynôme de degré 5 dont le groupe de Galois contient
un 5-cycle et une transposition. Remarquons alors :

Lemme.  Soit f ∈ k[X] séparable. Si f est irréductible de degré premier p, alors Gf


contient un p-cycle du groupe des permutations des racines de f.
Démonstration. Tout corps de rupture de f est de degré p (isomorphe à k[X]/(f ) puisque
f est irréductible), donc p|[Kf : k] et Gf contient donc un élément d'ordre p. Mais les seuls
éléments d'ordre p de Sp sont les p-cycles.

130
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Pour trouver des polynômes irréducibles, le critère suivant est très utile.

Proposition. (Critère d'Eisenstein) 


f = X n + an−1 X n−1 + · · · + a0 ∈ Z[X].
Soit
2
Supposons qu'il existe un nombre premier p tel que p divise ai pour tout i, mais p ne divise
pas a0 . Alors f est irréductible dans Q[X].

Démonstration. Soit f = gh une factorisation dans Q[X] avec g et h unitaires. On a


m
déjà expliqué qu'on a alors g, h ∈ Z[X]. Ecrivons g = X + bm−1 X m−1 + · · · + b0 et
h = X r + cr−1 X r−1 + · · · + c0 . Alors b0 c0 = a0 donc p ne divise pas b0 ou ne divise pas c0 .
Supposons que p ne divise pas c0 et soit k le plus petit
P entier tel que p ne divise pas bk
(qui existe bien puisque bm = 1). Alors l'égalité ak = i+j=k bi cj montre que p ne divise
pas ak , donc k=n et h(X) = 1.
On voudrait maintenant un moyen de produire une transposition dans le groupe de
Galois d'un polynôme irréductible de Q[X]. L'astuce pour cela est d'utiliser la conjugaison
complexe, qui au moins fournit un automorphisme d'ordre 2. Supposons en eet que f
possède exactement 2 racines dans C \ R. Alors la conjugaison complexe permute ces deux
racines et xe toutes les autres. Elle fournit donc une transposition dans Gf .

Corollaire.  Le groupe de Galois du polynôme f = X 5 − 10X + 5 ∈ Q[X] est S5 .


En particulier, f n'est pas résoluble par radicaux.

Démonstration. Le critère d'Eisenstein avec p = 5 montre que f est irréductible dans


Q[X], donc le dernier lemme assure que Gf contient un 5-cycle. Par ailleurs, le tableau des
variations de la fonction R −→ R, x 7→ f (x) montre que f a trois racines réelles, donc Gf
contient une transposition. Il s'ensuit que Gf ' S5 .

2.9 Nombres constructibles à la règle et au compas


Voici une autre illustration des implications de la théorie de Galois sur des problèmes
classiques de l'antiquité.

Définition.  Dans le plan euclidien R2 , un point P est dit :


 0-constructible si P ∈ {(0, 0), (1, 0)}
 n-constructible s'il est (n−1)-constructible ou s'il existe des points n−1-constructibles
A 6= B et C 6= D tels que P soit dans l'une des intersections suivantes, supposée
transverse :
 des droites (AB) et (CD)
 ou de la droite (AB) et du cercle de centre C passant par D
 ou des cercles de centres respectifs C et A, passant respectivement par D et B.
Un nombre complexe z ∈ C est dit constructible si le point correspondant est n-constructible
pour un n ∈ N.
La géométrie élémentaire classique nous apprend à projeter un point orthogonalement
sur une droite à la règle et au compas, ce dont on déduit :

131
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Lemme.  Un complexe est constructible si et seulement si ses parties réelles et ima-


ginaires le sont.

Notons E⊂C l'ensemble des nombres constructibles.

Théorème.  E est un sous-corps de C stable par extraction de racine carrée.

Démonstration. Exercice. La stabilité par soustraction est claire, utiliser Thalès pour la
multiplication de réels, la construction de l'inversion géométrique pour le passage à l'in-
verse, puis Pythagore pour la racine carrée d'un réel positif.

L'équation d'un cercle et celle d'une droite montrent que les coordonnées de leurs
point(s) d'intersection sont solutions d'une équation du second degré en les coordonnées
des points utilisés pour dénir le cercle et la droite. Les nombres constructibles sont donc
algébriques. Plus précisément, on a :

Théorème. (Wantzen)  Un complexe z est constructible si et seulement si il existe


une suite de corps K0 = Q ⊂ K1 ⊂ · · · ⊂ Kr tels que [Ki : Ki−1 ] = 2 et z ∈ Kr .
Démonstration. Exercice. On remarquera que toute extension quadratique est obtenue par
extraction d'une racine carrée.

Ici intervient la théorie de Galois, et notamment la notion de conjugué.

Théorème.  Un nombre algébrique z ∈Q est constructible si et seulement si l'ex-


tension algébrique de Q engendrée par ses conjugués est de degré une puissance de 2.
Démonstration. Remarquons tout d'abord que si z est constructible alors ses conjugués
le sont aussi. En eet, si σ ∈ Gal(Q/Q) et si K0 = Q ⊂ K1 ⊂ · · · ⊂ Kr est une tour
d'extensions quadratiques contenant z , alors σ(K0 ) = Q ⊂ σ(K1 ) ⊂ · · · ⊂ σ(Kr ) est une
tour d'extensions quadratiques contenant σ(z). Soit alors Kz le corps engendré par les
conjugués de z . Il est contenu dans E et engendré par un élément primitif α. Puisque α
est constructible, il est contenu dans une tour d'extensions quadratiques, donc Kz aussi,
et Kz est bien de degré une puissance de 2.
Réciproquement, supposons que le corps Kz est de degré une puissance de 2. Comme
c'est le corps de décomposition du polynôme minimal fz de z , c'est une extension Ga-
loisienne dont le groupe de Galois Gz est un 2-groupe. Or, tout 2-groupe possède un
sous-groupe (distingué) d'indice 2. Inductivement, il existe donc une suite décroissante
G0 = Gz ⊃ G1 ⊃ · · · ⊃ Gr = {1} de sous-groupes de Gz telle que [Gi : Gi+1 ] = 2. En
G
prenant les corps de points xes Ki = Kz i , on obtient une tour d'extensions quadratiques
comme dans le théorème précédent.

Ce résultat s'applique au problème classique de savoir quels polygones réguliers peuvent


être construits à la règle et au compas. Si n est le nombre de côtés, c'est équivalent à
déterminer siexp(2iπ/n) est constructible. Par le théorème précédent, c'est encore équi-
valent à ce que [Q(exp(2iπ/n)) : Q] soit de degré une puissance de 2. Or on a vu que
[Q(exp(2iπ/n)) : Q] = ϕ(n). Par la formule usuelle de ϕ(n), on obtient donc :

132
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Corollaire.  Un polygone régulier à n côtés est constructible à la règle et au compas


si et seulement si n = 2a p1 p2 · · · pr avec pi des premiers distincts de la forme pi = 1 + 2ai .
Remarquons que pour que p = 1 + 2a soit premier, il faut que a soit lui-même une
b a 2b m
puissance de 2. En eet, si on écrit a = 2 m avec m impair, on a 1 + 2 = 1 − (−2 )
2b 2b
qui est divisible par 1 + 2 . Les nombres de la forme p = 1 + 2 sont appelés nombres
de Fermat car Fermat avait émis l'hypothèse qu'ils soient tous premiers, ce qui est vrai
jusqu'à b = 4, mais faux pour 5 6 b 6 23 et inconnu au-delà. En particulier, 17 est un
nombre de Fermat premier, et la constructibilité du polygone régulier à 17 côtés avait été
établie par Gauss.

2.10 Spécialisation du groupe de Galois


2.10.1 Soit A un anneau principal de corps des fractions K. Fixons un élément irré-
ductible p∈A k = A/pA le corps résiduel.
et notons
f ∈ A[X] un polynôme unitaire et soit Kf son corps de décomposition
Soit maintenant
sur K . On a donc une décomposition f = (X − α1 ) · · · (X − αn ) dans Kf [X].
Notons Af := A[α1 , · · · , αn ] la sous-A-algèbre de Kf engendrée par les racines αi de f .

Lemme.  En tant que A-module, Af est libre de rang [Kf : K].


Démonstration. Manifestement Af engendre Kf comme K -espace vectoriel. Vu le i) du
corollaire 1.9.5, il sut donc de montrer que Af est de type ni comme A-module. Or,
n1 n
puisque f annule chaque αi , il est engendré par les éléments α1 · · · αnn avec n1 , · · · , nn 6
n.
Notons f l'image de f dans k[X]. Soit m ⊂ Af un idéal maximal de Af qui contient p,
et soit kf := Af /m le corps résiduel. C'est une extension nie de A/pA = k , engendrée par
les images αi des αi . La factorisation f = (X − α1 ) · · · (X − αn ) montre donc que kf est
un corps de décomposition de f sur k .

Lemme.  Si f est séparable dans k[X], alors f est séparable dans K[X].
Démonstration. Si f est séparable, les αi sont tous distincts, donc les αi aussi et f est
séparable aussi.

Nous supposons dorénavant que f Gf = Gal(Kf /K) et Gf :=


est séparable. Notons
Gal(kf /k) les groupes de Galois correspondants. Notre but est de comparerGf et Gf .
L'action de Gf sur Kf stabilise manifestement Af puisqu'elle permute les αi . Cette
action induit à son tour une action sur l'ensemble des idéaux de Af qui stabilise l'ensemble
Max(Af ) des idéaux maximaux, ainsi que le sous-ensemble Max(Af /p) des idéaux maxi-
maux contenant p. Notons alors Gf,m le xateur de l'élément m ∈ Max(Af /p). On a donc
Gf,m = {σ ∈ Gf , σ(m) = m}, donc Gm,f est aussi le stabilisateur de m dans Gf . L'action
de Gf,m sur Af par automorphismes de A-algèbre passe alors au quotient pour donner une
action sur kf par automorphismes de A/p-algèbres. On a donc un morphisme Gf,m −→ Gf ,

σ 7→ σ caractérisé par ∀a ∈ Af , σ(a) = σ(a) où a désigne la réduction de a modulo m.

133
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Théorème.  Le morphisme Gf,m −→ Gf est un isomorphisme.

Démonstration. En suivant l'action sur les racines, on constate que ce morphisme s'inscrit
dans le diagramme commutatif suivant :

 
Gf,m  / Gf  / S{α1 ,··· ,αn } = Sn .

σ7→σ
! 
Gf  / S{α1 ,··· ,αn } = Sn

Son injectivité en découle immédiatement, et en particulier l'inégalité |Gf,m | 6 |Gf |.


Par ailleurs, soit M := Gf · m ⊂ Max(Af /pAf ) l'orbite de l'idéal maximal m sous Gf .
Le théorème des restes chinois nous donne un morphisme surjectif de k -algèbres
Y
Af /pAf  Af /n,
n∈M
P
d'où l'inégalité dimk (Af /pAf ) = [Kf : K] = |Gf | > n∈M dimk (Af /n). Or chaque Af /n
est un corps de décomposition de f , donc dimk (Af /n) = [kf : k] = |Gf |. Puisque |M | =
[Gf : Gf,m ], l'inégalité devient |Gf | > [Gf : Gf,m ]|Gf |, et implique donc l'inégalité |Gf,m | >
|Gf |. Puisqu'on a déjà vu l'autre inégalité, on a |Gf | = |Gf,m |, et donc le morphisme de
l'énoncé est aussi bijectif.

Remarque.  Sous l'hypothèse f séparable, le théorème nous fournit donc un plonge-


ment im : Gf ,→ Gf . Ce plongement dépend a priori de deux choix : d'une part le choix

de m et d'autre part celui d'un isomorphisme de k -extensions Af /m −→ kf . Si l'on xe m,
le plongement im
n'est donc bien déni qu'à conjugaison à la source près. Que se passe-
0
t-il si maintenant on choisit un autre m ? La preuve ci-dessus implique que le morphisme
Q
Af /pAf  n∈M Af /n est un isomorphisme, ce qui signie que M = Max(Af /pAf ), i.e.
0
que Gf agit transitivement sur Max(Af /pAf ). Il existe donc σ ∈ Gf tel que σ(m) = m .
−1
On a alors σGf,m σ = Gf,m0 , et les plongements im0 et τ 7→ σim (τ )σ −1 de Gf dans Gf
sont conjugués à la source. En d'autre termes, on a construit une classe de conjugaison
canonique de plongements Gf ,→ Gf .

2.10.2 Application aux polynômes dans Z[X]. A = Z. Dans ce cas k = Fp Supposons ici
et on sait que Gf est cyclique engendré par le Frobenius F . Soit alors f = f 1 f 2 · · · f r la

décomposition de f en produit d'irréductibles dans Fp [X], et soit ni := deg(f i ). Cela


correspond à une partition de l'ensemble des racines

r
G
R(f ) = {α1 , · · · , αn } = R(f i ).
i=1

Cette partition est respectée par F, et F agit transitivement sur chaque R(f i ). Ainsi,
l'image de F dans Sn est un produit c1 · · · cr de cycles disjoints de longueurs respectives
n1 , · · · , nr . On a donc prouvé :

134
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Corollaire.  Soit f ∈ Z[X] n et p premier tel que f ∈ Fp [X] est séparable


de degré
et de décomposition en irréductibles f = f 1 f 2 · · · f r . Alors Gf , vu comme sous-groupe de
Sn , contient un produit c1 · · · cr de cycles disjoints de longueurs respectives deg(f i ).
Pour appliquer cet énoncé, il faut donc être capable de factoriser f. Pour cela, il est
utile de remarquer que f possède un facteur irréductible de degré r si et seulement si il
admet une racine dans Fpr qui n'est dans aucun Fps pour s|r, s 6= r. Par ailleurs, f admet
pr
une racine dans Fpr si et seulement si il n'est pas premier à X − X , ce qui peut se vérier
par divisions euclidiennes successives et/ou un peu d'astuce.

Exemple.  Condidérons le polynôme f = X 5 − X − 1.


 Modulo 2. On vérie que f n'a pas de racine dans F2 , mais il en a deux dans F4
2 4 2 2 4
puisque f ≡ X − X − 1 (mod (X − X)) et f 1 := X − X − 1 = X + X + 1|X − X . Il
s'ensuit que f = f 1 f 2 avec f 2 irréductible de degré 3. Le corollaire nous dit que Gf contient
une permutation de type (2, 3), et le cube de cette permutation est donc une transposition.
 Modulo 3. On vérie que f n'a pas de racine dans F3 , donc pas de facteur de degré
1. Puis on calcule le pgcd avec X 9 − X (d'abord avec X 4 − 1 puis avec X 4 + 1) pour
constater que f n'a pas de racine dans F9 , donc pas de facteur de degré 2. Il s'ensuit que
f est irréductible et Gf contient donc un 5-cycle.
 Conclusion. Gf ' S5 .

Exemple. (Corps cyclotomiques)  Considérons le polynôme cyclotomique f = Φn . Le


polynôme f mod p est séparable si et seulement si p ne divise pas n. Comme le groupe de
Galois Gf = (Z/nZ)× est abélien, le plongement ι : Gf ,→ Gf construit dans le théorème
est canonique (et pas seulement à conjugaison près). On voudrait calculer l'image du Fro-

benius ι(F ) à travers l'isomorphisme Gf −→ (Z/nZ)× donné par le caractère cyclotomique
χn,Q . Pour cela, on constate sur la construction de ι et les dénitions de χn,Q et χn,Fp que
le diagramme suivant est commutatif

 χn,Q /
Gf  (Z/nZ)× = Aut(µn ) ⊂ S{rac. prim. nemes de 1} .
O
ι
?  χn,Fp /
Gf  (Z/nZ)× = Aut(µn ) ⊂ S{rac. prim. nemes de 1}

On a donc χn,Q (ι(F )) = χn,Fp (F ) = p ∈ (Z/nZ)× . On peut en déduire la forme de la


factorisation de la réduction Φ̄n dans Fp [X] (toujours sous l'hypothèse (p, n) = 1). En
×
eet, soit r l'ordre de p dans (Z/nZ) . Alors les orbites de l'action de p sur les racines
p
primitives n-èmes de l'unité donnée par ξ 7→ ξ sont de cardinal r et il y en a s := ϕ(n)/r .
Il s'ensuit que Φ̄n = f1 · · · fs dans Fp [X] avec fi irréductibles de degré r premiers entre eux
deux à deux. En particulier :
 Φ̄n est scindé dans Fp [X] si et seulement si p ≡ 1[n].
×
 Φ̄n est irréductible dans Fp [X] seulement si p est
un générateur de (Z/nZ)
si et
×
(et on voit donc que Φn n'est jamais irréductible dans Fp [X] si (Z/nZ) n'est pas
cyclique).

135
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Exemple. (Corps quadratiques)  Soit d ∈ Z sans facteur carré et f = X 2 − d. Si l'on


√ √ √
choisit une racine carrée d dans Q, alors Kf = Q[ d] et l'application εd,Q : σ 7→ σ(√dd)
∼ √
est un isomorphisme Gf −→ {±1} qui ne dépend pas du choix de d. On voit que f =
f mod p est séparable si et seulement si (p, 2d) = 1. Dans ce cas, puisque Gf est abélien, le
plongement ι : Gf ,→ Gf est encore canonique et on aimerait calculer ι(F ). Pour cela, on
vérie sur la construction que le diagramme suivant est commutatif

 εd,Q /
Gf  {±1} .
O
ι
?  εd,Fp
Gf  / {±1}

On a donc εd,Q (ι(F )) = εd,Fp (F ). Concrètement, on a εd,Fp (F ) = −1 si et seulement si


2
f = X −d est irréductible, c'est-à-dire si et seulement si d n'est pas un
 carré
 modulo p.
d
Il s'ensuit que le signe εd,Fp (F ) n'est autre que le symbole de Legendre
p
.

Application. (Loi de réciprocité quadratique)  Soit q un premier impair. Un calcul


élémentaire montre que

Y q(q−1) q−1
(ζqi − ζqj )2 = (−1) 2 q q = (−1) 2 qq .
06i<j<q

√ q−1
Il s'ensuit que Q(ζq ) ⊃ Q( q ∗ ) q ∗ = (−1) 2 q . Par la correspondance
où on a posé

de Galois, on a donc un morphisme surjectif Gal(Q(ζq )/Q)  Gal(Q( q ∗ )/Q). Via le
caractère cyclotomique χq,Q et le caractère quadratique εq ∗ ,Q , ce morphisme devient un
×
morphisme surjectif (Z/qZ)  {±1}. Mais puisque q est premier, le groupe (Z/qZ)×
est cyclique, donc il existe un unique tel morphisme surjectif, et de plus, son noyau est le
× 2
sous-groupe des carrés dans (Z/qZ) (ie l'image de x 7→ x ).
2 ∗
Notons maintenant f = Φq et g = X − q , xons p premier impair diérent de q , et
notons f , g ∈ Fp [X] f et g . Alors f et g Q
les réductions de sont séparables et kf contient
un corps de décomposition kg de g (puisqu'on a toujours ( i<j (ζqi − ζqj ))2 = (q ∗ )q ). D'où
un morphisme surjectif Gf  Gg . On vérie à nouveau sur leur construction que les
plongements ι sont compatibles à ces morphismes surjectifs, i.e. que le diagramme suivant
est commutatif
Gf // Gg
O O
ιf ιg

Gf // Gg .

Af = Z[ζq ] contient Ag = Z[δq ] où δq = i<j (ζqi − ζqj ) et que


Q
(pour cela, on remarque que
si mf ∈ Max(Af ) contient p alors mg := m ∩ Ag ∈ Max(Ag ) et contient toujours p, de sorte
que la surjection Gf −→ Gg envoie Gf,mf dans Gg,mg .)

136
Ecole Normale Supérieure FIMFA

 ∗
(Z/qZ)  {±1} envoie p sur qp . On en déduit la
Il s'ensuit que la surjection
×

∗ ×
propriété remarquable suivante : q est un carré dans Fp si et seulement si p est un
 ∗  
q
×
carré dans Fq . Autrement dit p
= pq . Un petit calcul utilisant la multiplicativité
       p−1
d1 d2 d1 d2 −1
p
= p p
et le fait (élémentaire) que
p
= (−1) 2 montre alors la fameuse
loi de réciprocité quadratique
  
p q (p−1)(q−1)
= (−1) 4 .
q p
Remarque culturelle. (Le théorème de Chebotarev)  Comme remarqué plus haut, le
théorème de spécialisation nous fournit, pour chaque premier p tel que f := f mod p est
séparable, une classe de conjugaison canonique de plongements Gf ,→ Gf . Les images du
Frobenius F ∈ Gf dans Gf sont appelées substitutions de Frobenius et forment une classe
de conjugaison Cp dans Gf . Le théorème de Chebotarev (conjecturé par Frobenius qui
avait prouvé un résultat un peu plus faible) arme que pour toute classe de conjugaison
C de Gf , l'ensemble des premiers p tels que C = Cp est inni, et a même pour densité
naturelle |C|/|G|, ce qui signie que la suite

|{p 6 N, C = Cp }| −→ |C|
N 7→∞ .
|{p 6 N }| |G|
f = Φn , on a Gf ' (Z/nZ)× abélien, donc une classe de
Dans le cas particulier de
conjugaison est un singleton C = {ā} pour un a ∈ Z premier à n. Alors, vu le calcul de
ι(F ) ci-dessus, on a C = Cp si et seulement si p ≡ a[n]. On retrouve ainsi le théorème
de densité de Dirichlet, qui arme que l'ensemble des premiers congrus à a modulo n est
inni, de densité 1/ϕ(n). En fait, les idées de Dirichlet sont utilisées dans la preuve de
Chebotarev.
Dans le cas particulier f = X 2 − d, le théorème de Chebotarev nous dit que d est un
carré dans Fp pour la moitié des nombres premiers p (ie pour p dans un sous-ensemble
de densité 1/2).

2.10.3 Un théorème de Hilbert. Supposons ici A = Q[T ]. Tout élément t ∈ Q fournit


une spécialisation de fT (X) ∈ A[X] en un polynôme ft (X) ∈ Q[X], et le théorème précé-
dent nous fournit un plongement Gft ,→ GfT , unique à conjugaison près. Hilbert a prouvé
le théorème suivant, que nous citons pour la culture.

Théorème.  Supposons fT irréducible dans Q(T )[X]. Alors l'ensemble des t ∈ Q



pour lesquels Gft −→ GfT est inni.

Notons que pour un t comme dans le théorème, ft est irréductible puisque l'action de
Gft sur les racines est transitive comme celle de GfT . Notons aussi que le même énoncé est
trivialement faux si on remplace Q par C ou Fp . La motivation de Hilbert pour prouver ce
théorème venait du problème de Galois inverse. On peut en déduire assez facilement que
pour tout n ∈ N, les groupes Sn et An sont des groupes de Galois sur Q.

137
Ecole Normale Supérieure FIMFA

2.11 Polynômes symétriques


Considérons maintenant le corps K = k(a1 , · · · , an ) des fractions rationnelles en n
n−1
indéterminées, et le polynôme f =X + a1 X n−1 + · · · + an ∈ K[X]. Nous allons montrer
que ce polynôme est séparable sur K et son groupe de Galois est Gf = Sn .

2.11.1 Actions du groupe symétrique. Faisons agit Sn sur Nn par la formule

σ · ν = ((σ · ν)1 , · · · , (σ · ν)n ) avec (σ · ν)i := νσ−1 (i) si ν = (ν1 , · · · , νn ).

On a alors l'égalité (σσ 0 ) · ν = σ · (σ 0 · ν) qui montre qu'on a ainsi déni une action à gauche
n
de Sn sur N .
n
Par la propriété universelle de l'algèbre de monoïde Z[N ] cette action s'étend en une
n
action de Sn sur Z[N ] par automorphisme d'anneaux. Explicitement, on a

X X X
σ(f ) = aν X σ·ν = aσ−1 ·ν X ν pour f= aν X ν .
ν∈Nn ν∈Nn ν∈Nn

Identions Z[Nn ] à Z[X1 , · · · , Xn ] comme dans ..... On a donc X ν = X1ν1 · · · Xnνn et

ν −1 (1) ν −1 (n) ν1 νn
X σ·ν = X1 σ · · · Xnσ = Xσ(1) · · · Xσ(n) .

Il s'ensuit que σ(Xi ) = Xσ(i) pour tout i. En d'autres termes, l'automorphisme f 7→ σ(f )
de l'anneau Z[X1 , · · · , Xn ] est l'unique automorphisme tel que σ(Xi ) := Xσ(i) .

2.11.2 Polynômes symétriques élémentaires. Pour j = 1, · · · , n, on pose

X X Y
Σj := Xi1 Xi2 · · · Xij = XI avec XI := Xi .
16i1 <···<ij 6n I⊂{1,··· ,n} i∈I
|I|=j

Par exemple on aΣ1 = X1 + X2 + · · · + Xn et Σn = X1 X2 · · · Xn . Noter que Sn agit sur les


sous-ensembles de{1, · · · , n} par (σ, I) 7→ σ(I), et que cette action préserve évidemment
le cardinal. Comme on a aussi σ(XI ) = Xσ(I) , il s'ensuit que σ(Σn ) = Σn pour toute
permutation σ ∈ Sn . En d'autres termes, on a

Σ1 , · · · , Σn ∈ Z[X1 , · · · , Xn ]Sn ,

on dit que ce sont des polynômes symétriques. Ces polynômes encodent les relations entre
racines et coecients des polynômes.

Lemme.  On a dans Z[X1 , · · · , Xn ][T ] l'égalité

(T − X1 )(T − X2 ) · · · (T − Xn ) = T n − Σ1 T n−1 + Σ2 T n−2 + · · · + (−1)n Σn

Démonstration. On laisse au lecteur le soin de faire une récurrence sur n.

138
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Si on se donne un n-uplet α1 , · · · , αn A, alors en


d'éléments d'un anneau commutatif
spécialisant l'identité du lemme par le morphisme Z[X1 , · · · , Xn ][T ] −→ A[X] qui envoie
T sur X et αi sur Xi , on obtient dans A[X] l'égalité
(X − α1 ) · · · (X − αn ) = X n − Σ1 (α1 , · · · , αn )X n−1 + · · · + (−1)n Σn (α1 , · · · , αn ).
Le spectaculaire théorème suivant justie la terminologie de polynôme symétrique
élémentaire .

2.11.3 Théorème. Σi sont algébriquement indépendants dans Z[X1 , · · · , Xn ]


Les
S
et engendrent le sous-anneau Z[X1 , · · · , Xn ] n . En d'autres termes, l'unique morphisme
d'anneaux Z[Y1 , · · · , Yn ] −→ Z[X1 , · · · , Xn ] qui envoie Yi sur Σi est injectif et son image
S
est Z[X1 , · · · , Xn ] n , ce que l'on écrit de manière un peu imprécise :

Z[X1 , · · · , Xn ]Sn = Z[Σ1 , · · · , Σn ].


Voici une preuve combinatoire et élémentaire de ce théorème. Nous en donnons une plus
courte, et qui illustre plusieurs notions introduites dans ce cours, au paragraphe 2.12.4.

n
Démonstration. Pour ν ∈ N , posons Σν := Σν11 Σν22 · · · Σνnn . Nous devons donc montrer que
ν
la famille (Σ )ν∈Nn est une Z-base de Z[X1 , · · · , Xn ]Sn .
S
Pour cela, nous allons d'abord exhiber une Z-base agréable de Z[X1 , · · · , Xn ] n , puis
ν ν
P
nous exprimerons les Σ dans cette base agréable. Soit f = ν∈Nn aν X invariant sous Sn .
Alors aν = aσ·ν pour tout σ ∈ Sn , et on peut donc écrire, de manière unique,
X X
f= aν S ν , où S ν = Xν.
ν∈Nn /Sn ν∈ν

La famille (S ν )ν∈Nn /Sn est donc une Z-base de Z[X1 , · · · , Xn ]Sn . Néanmoins, la paramé-
trisation de cette base par l'ensemble quotient Nn /Sn n'est pas pratique pour y exprimer
Σν .
Définition.  On dit que ν ∈ Nn est dominant si ν1 > ν2 > · · · > νn . On note
n
Λ⊂N l'ensemble des n-uplets dominants.

Il est clair que toute Sn -orbite ν contient exactement 1 n-uplet dominant. L'ensemble
n
Λ est donc un ensemble de représentants des Sn -orbites dans N . Pour λ ∈ Λ, on notera
simplement
X
S λ := S λ = Xν.
ν∈Sn ·λ

Exemple.  Pour j = 1, · · · , n notons µj = (1, · · · , 1, 0, · · · , 0) ∈ Λ avec j termes égaux


j j
à 1. Alors µ ∈Λ et S µ = Σj .
Si λ0 ∈ Λ, on peut écrire

0
X
(∗) S λS λ = cλ,λ0 ;µ S µ
µ∈Λ

139
Ecole Normale Supérieure FIMFA

pour des coecients cλ,λ0 ;µ ∈ Z uniquement déterminés. An d'étudier ces coecients, il
n
est utile de remarquer que Λ est stable par addition, et de munir N de l'ordre suivant :

Définition.  Pour ν ∈ Nn , posons |ν| := ni=1 νi et ν̃ := (|ν|, ν1 , · · · , νn ) ∈ Nn+1 .


P
n
On munit alors N de la relation d'ordre

ν 4 ν 0 ⇔ ν̃ 6 ν̃ 0

où 6 désigne l'ordre lexicographique sur Nn+1 .


L'ordre 4 est total et compatible à l'addition : ν 4 ν0 et µ 4 µ0 ⇒ ν + µ 4 ν 0 + µ0 .
Lemme.  Dans l'expansion (∗) on a cλ,λ0 ;µ 6= 0 ⇒ µ 4 λ + λ0 et cλ,λ0 ,λ+λ0 = 1. En
d'autres termes, on a
0 0
X
S λ S λ ∈ S λ+λ + Z.S µ
µ≺λ+λ0

0
ν ∈ Nn , notons A≺ν := ν 0 ≺ν ZX ν . Puisque 4 est compatible à
P
Démonstration. Pour
l'addition, on a A≺ν A4ν 0 ⊂ A≺ν+ν 0 . De plus, si λ ∈ Λ, on a σ·λ ≺ λ pour tout σ ∈ Sn \{id}.
λ λ
On en déduit que S ∈ X + A≺λ et

0 0
S λ S λ ∈ X λ+λ + A≺λ+λ0 .

Il s'ensuit que
0 0
S λ S λ = S λ+λ + P, avec P ∈ (A≺λ+λ0 )Sn .
µ µ
P
Écrivons P = µ∈Λ cµ S . Comme cµ est aussi le coecient de X dans le développement
ν 0
de P dans la base des X , on voit que cµ 6= 0 ⇒ µ ≺ λ + λ comme voulu.

Écrivons maintenant les Σν dans la base des S λ. On a

1 n
Σν = Σν11 · · · Σνnn = (S µ )ν1 · · · (S µ )νn .

Posons alors
λν := ν1 µ1 + · · · + νn µn ∈ Λ.
Le lemme nous dit que
X
Σν ∈ S λν + Z.S λ .
λ≺λν

Or l'application
Nn −→ Λ, ν 7→ λν
est bijective, d'inverse λ 7→ (λ1 − λ2 , · · · , λn−1 − λn , λn ). Munissons donc Nn d'une nouvelle
relation d'ordre (total et compatible à l'addition) :

ν E ν 0 ⇔ λν 4 λν 0 ,

140
Ecole Normale Supérieure FIMFA

et posons Sν := S λν . Alors la famille (Sν )ν∈Nn Z-base de Z[X1 , · · · , Xn ]Sn ,


est une et on a

X
∀ν ∈ Nn , Σν ∈ Sν + Z.Sν 0 .
ν0C ν

(Σν )ν∈Nn est libre sur Z ; en eet, soit ν aν Σν = 0 une relation


P
On en déduit que la famille
de dépendance linéaire, si {ν, aν 6= 0} est non vide il possède un plus grand élement ν0 ,
P
mais alors on obtient la relation 0 ∈ aν0 Sν0 + νC ν0 Sν qui contredit la liberté des Sν .
ν
On en déduit aussi que la famille (Σ )ν∈Nn est génératrice sur Z. Plus précisément, on
montre que
0
X
∀ν ∈ Nn , Sν ∈ Σν + Z.Σν
ν0C ν

par récurrence sur l'entier n(ν) = |{ν 0 C ν}| par exemple.

2.11.4 Application : discriminant d'un polynôme. D'après le théorème, il existe un


unique polynôme ∆ ∈ Z[Σ1 , · · · , Σn ] tel que

Y Y
(Xi − Xj )2 = (−1)n(n−1)/2 (Xi − Xj ) = ∆(Σ1 , · · · , Σn ).
i<j i6=j

En eet, le terme de gauche est manifestement un polynôme symétrique en les Xi .


Définition.  Soit A un anneau et f = X n + a1 X n−1 + · · · + an−1 X + an ∈ A[X] un
polynôme unitaire. On dénit le discriminant de f par

disc(f ) := ∆ (−a1 , · · · , (−1)n an ) ∈ A.

Exemple.  Soit A = Z[X1 , · · · , Xn ] et funiv le polynôme scindé de degré n universel

funiv := (T − X1 )(T − X2 ) · · · (T − Xn ) ∈ Z[X1 , · · · , Xn ][T ].

Alors disc(funiv ) = ∆, puisque funiv = T n − Σ1 T n−1 + · · · + (−1)n Σn . On remarque aussi


(calcul) que
n
Y
disc(funiv ) = (−1)n(n−1)/2 f 0 (Xi ).
i=1

Proposition.  k un corps et f ∈ k[X] unitaire. Pour


Soit toute extension K pour
laquelle f se scinde f = (X − α1 ) · · · (X − αn ) dans K[X], on a

Y n
Y
disc(f ) = 2
(αi − αj ) = (−1)n(n−1)/2
f 0 (αi ).
i<j i=1

En particulier, f est séparable si et seulement si disc(f ) 6= 0.

141
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Démonstration. Découle de l'exemple universel par le morphisme Z[X1 , · · · , Xn ][T ] −→


K[X] qui envoie T sur X et Xi sur αi .
Exercice.  Montrer que disc(X n + aX + b) = (−1)n(n−1)/2 ((1 − n)n−1 an + nn bn−1 ).
Voici un autre exemple d'utilisation du discriminant :

Proposition.  Soit f ∈ k[X] séparable et Gf son groupe de Galois, vu comme un


sous-groupe du groupe de permutation Sn des racines de f dans un corps de décomposition
Kf de f. Alors, si car(k) 6= 2 on a Gf ⊂ An ⇔ disc(f ) ∈ (k × )2 .
Démonstration. Soit α1 , · · · , αn Kf . Notons τ 7→ στ l'injection de Gf
les racines de f dans
dans Sn associée à cette numérotation des racines. On a donc τ (αi ) = αστ (i) pour tout i.
Q
Posons D := i<j (αi − αj ) ∈ Kf . Les deux racines carrées de disc(f ) dans Kf sont D
G
et −D. Ainsi disc(f ) ∈ k 2 ⇔ D ∈ k . Puisque k = Kf f , étudions l'action de Gf sur D.
Pour tout τ ∈ Gf on a, en notant ε la signature Sn −→ {±1},
Y Y
τ (D) = (αστ (i) − αστ (j) ) = ε(στ ) (αi − αj ) = ε(στ )D.
i<j i<j

G
Si car(k) 6= 2, il s'ensuit que D ∈ Kf f = k ⇔ Gf ⊂ An .
2
p
Remarque.  Si disc(f ) ∈
/ kp , l'extension intermédiaire k ⊂ k( disc(f )) ⊂ Kf est

quadratique sur k et Gal(Kf /k( disc(f ))) = Gf ∩ An .


Exemple.  Considérons X 5 + 20X − 16. On vérie que f est irréductible dans F3 [X]
et possède une factorisation de type (1, 1, 3) dans F7 [X]. Le groupe Gf contient donc un
5-cycle et un 3-cycle. Par ailleurs, f possède 4 racines non réelles, donc contient un produit
8 3 2
de transpositions disjointes, d'ordre 2. Il s'ensuit que 30||Gf |. Enn, disc(f ) = (2 5 )
est un carré, donc Gf ⊂ A5 . Or A5 ne contient pas de sous-groupe d'indice 2 (qui serait
distingué de quotient abélien), donc Gf ' A5 .

2.11.5 Application : résolvantes


Q . ∆ peut être vu comme le Sn -symétrisé
Le discrimant
du polynôme An -invariant ψ = i<j (Xi − Xj ) et le critère ci-dessus nous dit que Gf ⊂ An
2
si et seulement si le polynôme (T − ψ(α1 , · · · , αn )(T + ψ(α1 , · · · , αn )) = T − ∆(f ) a une
racine simple dans k .
Plus généralement, si ψ ∈ k[X1 , · · · , Xn ] est H -invariant pour un sous-groupe H < Sn ,
on pose
Y
Rψ (T ) := (T − σ.ψ) ∈ k[X1 , · · · , Xn ]Sn [T ] = k[Σ1 , · · · , Σn ][T ],
σ∈Sn /H

que l'on peut spécialiser à un polynôme f = X n + a1 X n−1 + · · · + an ∈ k[X] en

Rψ,f (T ) = Rψ (−a1 , · · · , (−1)n an )(T ) ∈ k[T ].


Ce polynôme est de degré |Sn /H|, et on a le critère suivant :

142
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Proposition.  SiRψ,f (T ) possède une racine simple dans k, alors Gf est contenu
dans un conjugué de H dans Sn .
Démonstration. Comme plus haut, soient α1 , · · · , αn les racines de f dans Kf . Notons
τ 7→ στ Gf dans Sn associée à cette numérotation des racines.
l'injection de
Posons ψ := ψ(α1 , · · · , αn ) ∈ Kf , et plus généralement σψ := ψ(ασ(1) , . . . , ασ(n) ) pour
σ ∈ Sn . On a donc σσ 0 ψ = σψ si σ 0 ∈ H et on a στ σψ = τ (σψ) pour τ ∈ Gf .
Les racines de Rψ,f sont les σψ pour σ décrivant Sn /H (ou plutôt un ensemble de
représentants de Sn /H ). Supposons que σψ est racine de Rψ,f dans k . Alors στ σψ =
τ (σψ) = σψ pour tout τ ∈ Gf . Si de plus, σψ est racine simple, alors στ σH = σH et
στ ∈ σHσ −1 . L'action de Gf se fait donc à travers σHσ −1 .
Encore plus généralement, soient deux sous-groupes H ⊂ G ⊂ Sn et supposons que
Gf agisse à traversG sur les racines (pour un ordre préalablement choisi). On peut alors
simplement G-symétriser un polynôme H -invariant ψ en posant
Y
G
Rψ,f (T ) = (T − ψ(ασ(1) , · · · , ασ(n) ) ∈ Kf [X].
σ∈G/H

Ce polynôme de degré [G : H] Gf -invariant, donc dans k[X]. Comme ci-dessus,


est alors
s'il admet une racine simple dans k alors l'action de Gf se fait à travers un conjugué de
G
H . Sinon, si K désigne le sous-corps de Kf engendré par une racine simple de Rψ,f , alors
Gal(Kf /K) agit à travers un conjugué de H .
Remarque.  Ce principe de calcul de Gf  est un avatar du principe de Lagrange
pour résoudre le polynôme f , i.e. contruire Kf . Supposons en eet H distingué dans G et
G G
Rψ,f séparable. Si on sait construire le corps de décomposition K1 de Rψ,f (qui est de degré
6 deg(f )), on sait que le corps Kf de décomposition de f sur K1 sera de groupe contenu
dans H. Le principe de Lagrange est donc de bien choisir ψ pour être capable de résoudre
G
la résolvante Rψ,f , puis inductivement construire ainsi Kf (en se ramenant à construire
des extensions successives de groupes de Galois cycliques). Bien-sûr ce principe ne peut
fonctionner que si G est résoluble.
Exemple : polynômes cubiques sur Q. Lagrange considérait la résolvante associée à
ψ = (X1 + jX2 + j 2 X3 )3 qui est invariant par le groupe H engendré par le cycle (1, 2, 3)
(il faut donc adjoindre j à Q, et on peut rapprocher cela du discriminant en degré 2, qui
est associé à (X1 − X2 )2 ). Le polynôme

Rψ (T ) = (T − (X1 + jX2 + j 2 X3 )3 )(T − (X1 + j 2 X2 + jX3 )3 ) ∈ Z[X1 , X2 , X3 ][T ]

est de degré 2 en T et la preuve du théorème 2.11.3 suggère un procédé inductif de calcul


de ses coecients en tant qu'éléments de Z[Σ1 , Σ2 , Σ3 ]. Si l'on spécialise à un polynôme
f = X 3 + aX + b sans terme en X 2 , les formules se simplient un peu et on peut montrer
2 3
que Rψ,f = T + 27bT − 27a . On sait résoudre un tel trinôme. Si ψ 1 , ψ 2 en sont les racines,
2 3
on a donc (pour une numérotation convenable des racines) ψ 1 = (α1 + jα2 + j α3 ) et

143
Ecole Normale Supérieure FIMFA

ψ 2 = (α1 + j 2 α2 + jα3 )3 . Après extraction de racine cubique, et tenant compte de l'égalité


α1 + α2 + α3 = 0, on trouve donc les αi en résolvant un système linéaire 3 × 3.
Exemple : polynômes de degré 4 sur Q. Lagrange utilisait la résolvante associée au
polynôme ψ = (X1 + X2 )(X3 + X4 ) qui est invariant par un sous-groupe H d'indice 3 de
S4 . On peut montrer par exemple que si f = X 4 + aX 2 + bX + c alors Rψ,f = T 3 − 2aT 2 +
(a2 − 4c)T + b2 . Par l'exemple précédent, on sait construire les trois racines ψ 1 , ψ 2 , ψ 3 de
Rψ,f . Pour une bonne numérotation de ces racines, on a ψ i = (α1 + α1+i )(αP ? + α! ) pour
chaque i = 1, 2, 3 et où {1, 2, 3, 4} = {1, 1 + i, ?, !}. Mais alors, en utilisant αi = 0, on
obtient que α1 + α1+i est une racine carrée de −ψ i pour i = 1, 2, 3. Puis après extraction
de ces racines, on n'a plus qu'à résoudre un système linéaire pour obtenir les αi .

2.11.6 Application : groupe de Galois du polynôme général . Commençons par un


corollaire du théorème 2.11.3 concernant les fractions rationnelles symétriques. Remarquons
au passage que l'action de Sn sur k[X1 , · · · , Xn ] se prolonge uniquement à k(X1 , · · · , Xn ).
Corollaire.  On a k(X1 , · · · , Xn )Sn = k(Σ1 , · · · , Σn ).
Démonstration. On a une inclusion claire, à savoir ⊃. Pour l'autre inclusion, soit φ ∈
k(X1 , · · · , Xn )Sn . Puisque k[X1 , · · · , Xn ] est factoriel, on peut écrire φ de manière unique
f n
sous la forme φ = avec (f, g) = 1 et f, g unitaires (choisir un ordre total sur N pour
g
σ(f )
dénir unitaire). On a alors, pour tout σ ∈ Sn , φ = σ(φ) = et aussi (σ(f ), σ(g)) = 1
σ(g)
etσ(f ), σ(g) unitaires. Il s'ensuit que f = σ(f ) et g = σ(g). Donc f, g ∈ k[Σ1 , · · · , Σn ] et
nalement φ ∈ k(Σ1 , · · · , Σn ).

Changeons maintenant de point de vue. Soit k un corps, et K := k(a1 , · · · , an ) le corps


des fractions rationnelles en les n indéterminées a1 , · · · , an . On s'intéresse au polynôme
n n−1
général f = X + a1 X + · · · + an ∈ K[X], dont on veut déterminer un corps de
décomposition et le groupe de Galois Gf . Pour cela, considérons le corps L := k(α1 , · · · , αn )
des fractions rationnelles à n-indéterminées α1 , · · · , αn . Le théorème 2.11.3 nous dit que
les éléments Σi (α1 , · · · , αn ) ∈ L sont algébriquements indépendants sur k . Il existe donc
un unique plongement
K ,→ L, ai 7→ (−1)i Σi (α1 , · · · , αn ).
Théorème.  Le polynôme f est séparable et irréductible dans K[X]. Le corps L est
un corps de décomposition de f sur K dans lequel les αi sont les racines de f. L'action du
groupe de Galois Gf sur les αi identie Gf à Sn .
Démonstration. Via le morphisme d'anneaux Z[X1 , · · · , Xn ][T ] −→ L[X] qui envoie Xi sur
αi et T sur X , la factorisation du lemme 2.11.2 implique la factorisation (X − α1 ) · · · (X −
αn ) = X n + a1 X n−1 + · · · + an dans L[X]. Il s'ensuit que les αi sont les racines de f dans
L, donc f est séparable et L est un corps de décomposition de f . L'action de Gal(L/K)
sur les αi nous fournit un plongement Gal(L/K) ,→ Sn . Mais le corollaire ci-dessus nous
S
dit que K = L n , et la proposition 2.7.7 implique que Gal(L/K) = Sn . En particulier,
Gal(L/K) agit transitivement sur les racines de f , donc f est irréductible, en vertu du
lemme 2.8.1.

144
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Remarque.  On peut se demander quelle implication peut avoir un tel résultat sur les
polynômes qui nous intéressent vraiment, à savoir ceux où les ai sont des éléments de k.
Il se trouve que la réponse dépend fortement de k. Par exemple si k = C, tout polynôme
f obtenu par spécialisation des ai en des éléments de C est scindé, donc son groupe de
Galois est trivial ! Si k=R et n > 2, f n'est jamais irréductible et
une spécialisation de
Z/2Z. Si k = Fp , une spécialisation de f peut être
son groupe de Galois est trivial ou égal à
irréductible, mais son groupe de Galois est toujours abélien. Mais pour k = Q, un résultat
de Hilbert arme que pour une innité de spécialisations de f , le polynôme spécialisé est
irréductible et son groupe de Galois est Sn !

2.12 Extensions entières


2.12.1 Polynôme caractéristique. Soit A un anneau (commutatif unitaire) et M un A-
module libre de type ni. Si l'on choisit une base e = (ei )i=1,··· ,n de M , on a un isomorphisme
de A-algèbres EndA (M ) ' Mn (A) qui à un endomorphisme u associe sa matrice Me (u).
0 0
Si e est une autre base, et P ∈ GLn (A) la matrice de passage de e dans e , alors Me0 (u) =
P −1 Me (u)P . Ceci montre que le déterminant et la trace de la matrice Me (u) ne dépendent
que de u et pas de e. On les note

det(u) et tr(u) ∈ A.
Remarquons que det(u) s'interprète aussi comme le scalaire donnant l'action de ∧n u sur
∧n M ' A ; en particulier on a det(u) = tr(∧n u).
On dénit maintenant le polynôme caractéristique de l'endomorphisme u
χu (T ) = det(T idM −u) ∈ A[T ]
comme le déterminant de l'endomorphisme T ⊗idM −1⊗u du A[T ]-module libre A[T ]⊗A M .
On retrouve bien la dénition classique lorsque A est un corps. Le théorème suivant est
classique lorsque A est un corps algébriquement clos.

Théorème. (Cayley-Hamilton)  SoitA-module libre de rang ni et u ∈


M un
EndA(M ) un endomorphisme de M , Alors on a l'égalité χu (u) = 0 dans l'anneau EndA(M ).

Démonstration. Considérons le cas particulier où A = An := Z[Xij ]16i,j6n , M = An et


un est donné dans la base canonique par la matrice (Xij )16i,j6n . Puisque An est intègre,
considérons son corps des fractions Kn et une clôture algébrique K n de celui-ci. Le poly-
nôme χun est aussi le polynôme caractéristique de la matrice un vue dans Mn (Kn ) ou dans
n
Mn (K n ). Ce polynôme est scindé dans K n [T ] et K n est somme directe des sous-espaces
caractéristiques de un . En calculant dans une base subordonnée à cette décomposition, on
constate que χun (un ) = 0 dans Mn (K n ) et puisque Mn (An ) −→ Mn (K n ) est injective, la
même égalité vaut dans Mn (An ).
Revenons à l'énoncé général du théorème. Choisissons une base de M et identions M à
n
A . Notons (aij )i,j la matrice de u dans cette base, et considérons le morphisme d'anneaux
de spécialisation
ε : An = Z[Xij ]16i,j6n −→ A, Xij 7→ aij .

145
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Ce morphisme induit aussi des morphismes d'anneaux An [T ] −→ A[T ] et Mn (An ) −→


Mn (A) encore notés ε. Il est clair que ε(χun (T )) = χu (T ) et par là que ε(χun (un )) = χu (u).
On en déduit χu (u) = 0.
Pn i i n−i
Remarque.  On a l'égalité χu (T ) = i=1 (−1) tr(∧ u)T . Pour le vérier, on peut
utiliser le même argument que ci-dessus : on traite le cas universel en se ramenant à
un corps algébriquement clos où la formule se vérie facilement via les relations entre
coecients et racines d'un polynôme. Puis on spécialise le cas universel au cas souhaité :
n n
avec ε : An −→ A comme ci-dessus, on a u = id ⊗un ∈ EndA (A ⊗An ,ε An ) = EndA (A ) et,
i i i n i n
par fonctorialité, on a aussi ∧ u = id ⊗ ∧ un dans EndA (A ⊗An ,ε ∧ An ) = EndA (∧ A ), de
i i
sorte que tr(∧ u) = ε(tr(∧ un )).

Corollaire.  Soit M unA-module de type ni et u ∈ EndA(M ) un endomorphisme.


Alors il existe un polynôme monique f ∈ A[T ] tel que f (u) = 0 dans EndA (M ).

n
Démonstration. Choisissons un épimorphisme π : A  M pour n convenable. Soit
n
(e1 , · · · , en ) la base canonique de A . Pour chaque i = 1, · · · , n, choisissons un élément
fi ∈ An tel que π(fi ) = u(π(ei )). Cela dénit un endomorphisme u e de An donné par
e(ei ) = fi . On a donc par construction π ◦ u
u e = u ◦ π , et par itération π ◦ uek = uk ◦ π , et
nalement π ◦ χue (e
u) = χue (u) ◦ π . D'après le théorème précédent on a donc χue (u) ◦ π = 0.
Or π est surjective, donc χu e (u) = 0.

2.12.2 Eléments entiers d'une A-algèbre. On rappelle qu'un élément b d'une A-


algèbre B est dit entier sur A s'il existe f ∈ A[X] unitaire tel que f (b) = 0.
Proposition.  Soit B une A-algèbre. Pour b ∈ B, les propriétés suivantes sont
équivalentes :

i) b est entier sur A


ii) l'anneau A[b] engendré par b est un module de type ni sur A.
iii) Il existe un A[b]-module dèle qui est de type ni sur A.
Rappelons qu'un A-module M est dèle si l'application A −→ EndZ(M ) est injective.
Démonstration. i) ⇒ ii). Soit f = X n + a1 X n−1 + · · · + an comme dans i). On a donc
b ∈ A + Ab + · · · + Abn−1 et par récurrence bm ∈ A + Ab + · · · + Abn−1 pour tout m > n.
n
n−1
Donc A[b] est engendré par 1, b, · · · , b comme A-module.
ii) ⇒ iii). Il sut de prendre le A[b]-module A[b] !
iii) ⇒ i) découle du corollaire précédent.

2.12.3 Clôture intégrale, normalisation.

Corollaire.  Soit B une A-algèbre. L'ensemble {b ∈ B, b entier sur A} est une


sous-A-algèbre de B. On l'appelle clôture intégrale de A dans B .

146
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Démonstration. Supposons b et b0 entiers sur A. Alors b0 est a fortiori entier sur A[b] donc
0
A[b][b ] A[b]-module de type ni, et donc aussi un A-module de type ni. C'est
est un
0 0 0
aussi un A[b + b ]-module dèle (puisqu'il contient A[b + b ]) donc b + b est entier par la
0
caractérisation iii) de la proposition précédente. De même, bb est entier.

Remarque.  Une A-algèbre B d'anneaux est dite entière si tout élément de B est entier
sur A. La proposition montre que si B est entière sur A et si C est une B -algèbre entière,
alors C est aussi une A-algèbre entière.

Exemple.  Soit K une extension nie de Q (on dit que K est un corps de nombres),
on note OK la clôture intégrale de Z dans K et on l'appelle anneau des entiers de K .
Définition.  Si A est intègre, la clôture intégrale de A dans Frac(A) est appelée
normalisation de A. On dit alors que A est normal (ou encore intégralement clos) s'il est
égal à sa propre normalisation.

Exemples.  OK est normal car K = Frac(OK ). En eet, si x ∈ K , soit ai ∈ Q


i)
n n−1
tels que x + a1 x + · · · + an = 0. Choisissons b ∈ Z tel que bai ∈ Z pour tout i.
n n−1
Alors (xb) + (a1 b)(xb) + · · · + (an bn ) = 0, ce qui montre que xb ∈ OK et donc
que x ∈ Frac(OK )
√ √
ii) Z[ −3] n'est pas intégralement clos car il ne contient pas l'élément j = 1+ 2 −3
√ 3
de Q( −3) qui est pourtant entier puisqu'il annule X − 1. En d'autres termes,

Z[ −3] OQ(√−3) .
Exemple.  A factoriel ⇒ A normal. En eet, soit x ∈ FracA vériant l'équation entière
xn + a1 xn−1 + · · · + an = 0. Puisque A est factoriel on peut écrire x = a/b avec a et b sans
n n−1
facteur commun. Alors a + a1 a b + · · · an bn = 0, donc an ∈ (b), i.e. b divise an , ce qui
implique que b est inversible dans A.

Exercice.  Montrer que Z[X1 , · · · , Xn ] est la clôture intégrale de Z[Σ1 , · · · , Σn ] dans


Q(X1 , · · · , Xn ).
Proposition.  Si A est normal et L est une extension nie de K := Frac(A), alors
x∈L est entier si et seulement si son polynôme minimal fx ∈ K[X] est dansA[X].
Démonstration. Seul le sens ⇒ demande preuve. Supposons donc x entier et soit f ∈ A[X]
tq f (x) = 0. Alors fx |f dans K[X] donc toute racine α de fx dans une clôture algébrique
K de K est une racine de f donc est entière sur A. Les coecients de fx sont donc aussi
entiers sur A, et puisqu'ils sont dans K et que A est normal, ils sont dans A.

K une extension quadratique de Q (ie de


Exemple.  Soit
√ degré 2). Alors il existe
un unique entier d ∈ Z sans facteur carré tel√ que K = Q( d) (exercice). D'après la
proposition précédente, un élément α = a + b d de K est entier si et seulement si son

polynôme minimal fα est dans Z[X]. Si b 6= 0, l'unique conjugué de α est a − b d et on a
2 2 2
donc fα = X − 2aX + (a − db ). Ceci montre que
n √ √ 2 2
o

OQ( d) = a + b d ∈ Q( d), 2a ∈ Z, et a − db ∈ Z .

147
Ecole Normale Supérieure FIMFA

Exemple.  Considérons la courbe plane C d'équation X 2 = Y 3 . Son anneau de fonc-


2 3
tions est donc l'anneau intègre A = C[X, Y ]/(X − Y ), dont le corps de fractions K =
2 3
C(Y )[X]/(X − Y ) est une extension quadratique de C(Y ). Le même principe que ci-
dessus nous montre alors que la normalisation de A, qui n'est autre que la clôture intégrale
X
de C[Y ] dans K puisque A = C[Y ]+XC[Y ] est entier sur C[Y ], est à := C[Y ]+ C[Y ]. On
Y
X
peut remarquer que l'unique morphisme de C-algèbres C[T ] −→ Ã qui envoie T sur est
Y
2 3
un isomorphisme (noter qu'il envoie T sur Y et T sur X ). Géométriquement, la courbe C
présente une singularité en le point (0, 0), et la non normalité de A est le reet algébrique
de cette singularité. De plus, on observe que la normalisation à de A est l'anneau des
fonctions d'une courbe lisse C˜ (isomorphe à la droite ane) et l'inclusion A ⊂ Ã fournit
une application polynomiale C ˜ −→ C (penser que les points de C sont les idéaux maximaux
de A) que l'on peut interpréter comme une désingularisation de la courbe C . Il se trouve
que toute courbe singulière irréductible peut être désingularisée par normalisation, mais
en dimension supèrieure c'est bien plus compliqué...

2.12.4 Une autre preuve du théorème 2.11.3. Avec les notations de 2.11.2, on sou-
Sn
haite montrer que Z[Σ1 , · · · , Σn ] = Z[X1 , · · ·
, Xn ] et que les Σi sont algébriquement
indépendants sur Z. La première étape est d'utiliser la théorie de Galois pour prouver que
Q(Σ1 , · · · , Σn ) = Q(X1 , · · · , Xn )Sn . Posons K = Q(X1 , · · · , Xn ) et k = Q(Σ1 , · · · , Σn ). On
S S
a manifestement k ⊂ K n . La proposition 2.7.7 nous dit que [K : K n ] = n! et le fait que
K soit un corps de décomposition du polynôme f = T n − Σ1 T n−1 + · · · + (−1)n Σn montre
G
que [K : k] 6 n!. L'égalité k = K s'ensuit. La deuxième étape utilise la notion de degré de
transcendance. Puisque K est algébrique sur k , ils ont même degré de transcendance sur Q
d'après le théorème 2.1.7. Mais cela implique que les Σi sont algébriquements indépendants
sur Q, et a fortiori sur Z. La dernière étape est d'utiliser la normalité pour prouver que
S
l'inclusion Z[Σ1 , · · · , Σn ] ⊂ Z[X1 , · · · , Xn ] n est une égalité. Posons A = Z[Σ1 , · · · , Σn ] et
B = Z[X1 , · · · , Xn ]. Puisque le polynôme f ci-dessus est unitaire et dans A[T ], l'anneau
B est entier sur A. A fortiori, l'anneau B Sn est entier sur A, et par ailleurs, il est contenu
S
dans le corps des fractions k = K n de A. Or, A est factoriel, donc normal, et il s'ensuit
que A = B .

2.13 Anneaux d'entiers algébriques


On s'intéresse ici à la structure de l'anneau des entiers OK d'un corps de nombres K.
Le théorème suivant montre que c'est un Z-module libre de rang [K : Q].

2.13.1 Théorème. Soit A normal et B la clôture intégrale de A dans une extension


séparable nie L de K = Frac(A). Alors il existe deux sous-A-modules M, M 0 de L, libres
0
de rang [L : K] et tels que M ⊂ B ⊂ M . En particulier :
 Si A est noethérien, alors B est un A-module de type ni.
 Si A est principal, alors B est libre de rang [L : K].

La preuve repose sur la caractérisation de la séparabilité par la non-dégénérescence

148
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d'une certaine forme K -bilinéaire sur L. Pour la dénir, considérons plus généralement
une extension A ⊂ B d'anneaux commutatifs avec B libre de rang ni sur A. Pour b ∈ B ,
on pose TrB/A (b) := tr(m(b)) où m(b) est l'endomorphisme A-linéaire de B donné par la
multiplication par b. On dénit alors la forme A-bilinéaire symétrique

θB/A : (b, b0 ) 7→ TrB/A (bb0 ).


0
Comme d'habitude, on dit que cette forme A-bilinéaire est non-dégénérée si ∀b ∈ B, ∃b ∈ B
0
t.q. θB/A (bb ) 6= 0. Dans ce cas elle induit un isomorphisme de B sur son A-dual, i.e.
0 0
l'application A-linéaire B −→ HomA (B, A), b 7→ (b 7→ θB/A (b b)), est un isomorphisme.

Lemme.  Une extension nie K ⊂ L est séparable si et seulement si la forme K-


bilinéaire θL/K est non-dégénérée.

Démonstration. Soit K ,→ K une clôture algébrique de K . Regardons K ⊗K L comme une


K -algèbre de dimension [L : K]. Pour tout b ∈ L, on a manifestement

TrK⊗K L/K (1 ⊗ bb0 ) = TrL/K (bb0 ).

En particulier, si b1 , · · · , bn est une K -base


L, alors le discriminant det(TrL/K (bi bj )i,j )
de
de θL/K dans cette base coïncide avec celui de θK⊗ L/K dans la K -base (1 ⊗ b1 , · · · , 1 ⊗
K
bn ). Il s'ensuit que θL/K est non-dégénérée si et seulement si θK⊗K L/K est non dégénérée.
D'un autre côté, on a vu que L/K est séparable si et seulement si K ⊗K L est réduite,
[L:K]
auquel cas elle est isomorphe à l'algèbre produit K . Ainsi, si L/K est séparable, il
existe une K base e1 , · · · , en de K ⊗K L dans laquelle la multiplication est donnée par
ei ej = δij ei . On a alors TrK⊗K L/K (ei ) = 1 et le discriminant dans cette base est donné
par det(θK⊗ L/K (ei , ej )) = det(In ) = 1, donc θL/K est non dégénérée. Réciproquement, si
K

L/K n'est pas séparable, soit x ∈ K ⊗K L nilpotent non nul. Alors pour tout y ∈ K ⊗K L,
l'élément xy est nilpotent, donc de trace nulle, et x est donc dans le noyau de θK⊗ L/K .
K

Démonstration du théorème 2.13.1. Notons 1 , · · · , bn une base de L sur


n = [L : K].
bL Soit
K contenue dans B (existe car L = Frac(B)). On a donc M := i Abi ⊂ B . Soit b∗1 , · · · , b∗n
la base duale pour la forme non dégénérée θL/K (séparabilité). Pour tout b ∈ B , on a

n
X
b= TrL/K (bbi )b∗i
i=1

B ⊂ M 0 := Ab∗i .
L
et TrL/K (bbi ) ∈ A d'après le lemme ci-dessous. Donc i

Lemme.  Dans la situation du théorème 2.13.1, on a TrL/K (b) ∈ A pour tout b ∈ B.


Démonstration. Comme dans la preuve du lemme précédent, on a TrL/K (b) = TrK⊗K L/K (1⊗
Q
b). Puisque L est séparable sur K , le morphisme de K -algèbres K ⊗K L −→ ι: L,→K K
(où le produit est indexé par les K -plongements de L dans K ) est un isomorphisme. Cet

149
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isomorphisme envoie 1 ⊗ b sur (ι(b))ι:L,→K . Numérotons les plongements ι1 , · · · , ιn , et no-


tons ei l'idempotent de K ⊗K L associé à ιi , de sorte que ei ej = δij ei . Alors la matrice de
la multiplication par 1 ⊗ b dans cette base est la matrice diagonale (ι1 (b), · · · , ιn (b)). On
en déduit sa trace : X
TrL/K (b) = ι(b).
ι:L,→K

Or chaque élément ι(b) ∈ K a le même polynôme minimal que b, donc est entier sur A.
Il s'ensuit que TrL/K (b) est entier sur A. Comme c'est un élément de K et comme A est
normal, on a TrL/K (b) ∈ A.

2.13.2 Le problème de l'élément primitif. On a vu que toute extension nie K de Q


est monogène, i.e. de la forme Q(α) pour un α ∈ K. Il est naturel de se demander si OK
est aussi monogène sur Z. C'est vrai (exercice) dans le cas
√ [K : Q] = 2, mais il y a déjà
3
plein de contre-exemples en degré 3, par exemple K = Q( 175). Voici tout de même un
critère qui parfois sut à trouver un générateur.

Proposition.  Soit K = Q[α] un corps de nombres de degré n, avec fα ∈ Z[X] (donc


α entier). Si disc(fα ) ∈ Z est sans facteur carré, alors {1, α, · · · , αn−1 } est une base de
OK sur Z (et donc OK = Z[α]).

Démonstration. Nous allons encore utiliser la forme bilinéaire θK/Q . Si b1 , · · · , bn sont des
éléments de OK , on note DK/Q (b1 , · · · , bn ) := det TrK/Q (bi bj ) i,j . D'après le lemme pré-
cédent, c'est un élément de Z. Choisissons b1 , · · · , bn de sorte à former une Z-base de
OK . Si b01 , · · · , b0n est une autre famille d'éléments de OK , et P est la matrice de passage
(b0i )i = P.(bi )i , alors on a

DK/Q (b01 , · · · , b0n ) = det(P )2 · DK/Q (b1 , · · · , bn ).

Si b01 , · · · , b0n est aussi une Z-base de OK , alors P ∈ GLn (Z) a pour déterminant ±1, et on
voit que l'entier
disc(K/Q) := DK/Q (b1 , · · · , bn )
ne dépend pas de la Z-base de OK choisie. On l'appelle discriminant de K.
0 0 n−1
Prenons maintenant la famille (b1 , · · · , bn ) = (1, α, · · · , α ). On a donc

DK/Q (1, α, · · · , αn−1 ) = disc(K/Q) · det(P )2 .

Nous allons montrer que DK/Q (1, α, · · · , αn−1 ) = disc(fα ). Par l'hypothèse de la propo-
sition, il s'en suivra que le terme de gauche ci-dessus est sans facteur carré, donc que
n−1
det(P ) = ±1, donc P ∈ GLn (Z) et nalement (1, α, · · · , α ) est bien une Z-base de OK .
n−1
Pour calculer DK/Q (1, α, · · · , α ), on utilise la formule prouvée dans le lemme pré-
P
cédent TrK/Q (b) = ι:K,→Q ι(b). En numérotant les plongements ι1 , · · · , ιn on constate
que
n
X
TrK/Q (b0i b0j ) = ιk (b0i )ιk (b0j )
k=1

150
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donc la matrice (TrK/Q (b0i b0j ))i,j est le produit t U.U avec U la matrice (ιi (b0j ))i,j . Faisons
0
maintenant bj = αj−1 . La matrice U est donc une matrice de Vandermonde (ιi (α)j−1 )i,j et
on a donc
Y
DK/Q (1, α, · · · , αn−1 ) = det(U )2 = (ιi (α) − ιj (α))2 = disc(fα ),
i<j

la dernière égalité venant du fait que les ιi (α) sont les racines de fα dans Q.
Exemples.  Mêmes notations que la proposition.

i) Si fα (X) = X 3 − X − 1, on calcule disc(fα ) = −23, donc OK = Z[α].


3 2
ii) Si fα (X) = X + X − 2X + 8, alors disc(fα ) = −2012 = −4 × 503. Dans ce cas, on
peut montrer que Z[α] 6= OK .

2.13.3 Pour aller plus loin. Avec les notations de la preuve ci-dessus, le théorème
d'échelonnage des matrices entières nous dit que | det(P )| est l'indice (OK : Z[α]) du sous-
groupe Z[α] dans OK . La preuve nous borne cet indice, au sens où pour tout premier p,
on a νp (OK : Z[α]) 6 21 νp (disc(fα )). Pour pouvoir dire plus, il faut des informations sur
disc(K/Q)
Proposition.  K un corps de nombres. On a
Soit

i) sgn(disc(K/Q)) = (−1)r2 où r2 est la moitié du nombre de plongements imaginaires


K ,→ C.
ii) disc(K/Q) ≡ 0 ou 1 modulo 4 (Stickelberger).
Démonstration. i) Soit ω1 , · · · , ωn une base de K/Q et σ1 , · · · , σn les plongements K ,→ C.
Soit M = (σi (ωj ))i,j ∈ Mn (C). On sait que DK/Q (ω1 , · · · , ωn ) = (det(M ))2 et le signe que
2
l'on cherche est donc celui de (det(M )) . Or la matrice conjuguée M = (σ i (ωj ))i,j s'obtient
r
à partir de M par r2 échanges de lignes, de sorte que det(M ) = (−1) 2 det(M ). On en
r 2
déduit que (det(M )) = (−1) 2 | det(M )| , d'où le signe annoncé.
ii) Soit α1 , · · · , αn une base de OK sur Z et σ1 , · · · , σn les plongements K ,→ C. Alors

 2
 2 X Yn X n
Y
disc(K/Q) = det (σi (αj ))i,j =  σi (ατ (i) ) − σi (ατ (i) )
τ ∈Sn ,ε(τ )=1 i=1 τ ∈Sn ,ε(τ )=−1 i=1

= (P − I)2
= (P + I)2 − 4P I

Nous allons montrer que P + I et P I sont des entiers (dans Z), ce qui impliquera que
2
disc(K/Q) ≡ (P + I) [4] ≡ 0, 1[4] puisque le carré d'un entier est toujours congru à 0 ou
1 modulo 4.
Puisque les σi (αj ) sont des entiers algébriques, P + I et P I ont aussi des entiers algé-
briques, et il nous sura donc de prouver qu'ils sont rationnels (dans Q), i.e. invariants

151
Ecole Normale Supérieure FIMFA

par Gal(Q/Q). Soit donc γ ∈ Gal(Q/Q). Il induit une permutation τγ : σ 7→ γ ◦ σ des


plongements σ1 , · · · , σn . Si τγ est paire, on a γ(P ) = P et γ(I) = I . Si τγ est impaire, on a
γ(P ) = I et γ(I) = P . Il s'ensuit que γ(P + I) = P + I et γ(P I) = P I , comme voulu.

2.13.4 Corps quadratiques. Supposons K = Q( d) avec d∈Z sans facteur carré. On
a alors √
disc(X 2 − d) = 4d = disc(K/Q)(OK : Z[ d])2 ,
ce qui laisse a priori deux possibilités pour disc(K/Q) : soit il vaut 4d, soit il vaut d. Dans
ce dernier cas on doit avoir d ≡ 1[4] d'après le théorème de Stickelberger. On en déduit la
dichotomie suivante :

i) Si d≡2 ou 3 alors disc(K/Q) = 4d et OK = Z[ d].
modulo 4,

1+ d

ii) Si d ≡ 1 modulo 4, alors est entier donc Z[ d] 6= OK et disc(K/Q) = d. Dans
√ 2
1+ d
ce cas on a OK = Z[ ].
2

2.13.5 p-cyclotomiques. Fixons un


Corps entier r>1 et posons ζr := exp( 2iπ
pr
) ∈ C.
Nous allons montrer que OQ(ζr ) = Z[ζr ].
r
X p −1
Le polynôme minimal de ζr est Φpr (X) = . Calculons son discriminant par la
X pr−1 −1
formule
ϕ(pr )(ϕ(pr )−1)
disc(Φpr ) = (−1) 2 NQ(ζr )/Q (Φ0pr (ζr )).
r −1
ζrp −1
On a Φ0pr (ζr ) = pr r−1 = pr ζζ1r−1 . Remarquons que NQ(ζr )/Q (ζr ) est une racine pr -ème de
ζrp −1
Q, donc vaut 1 si p 6= 2. Si p = 2, alors la formule NQ(ζr )/Q (ζr ) = a∈(Z/pr Z)× ζra
Q
l'unité dans
montre que NQ(ζr )/Q (ζr ) = 1 sauf dans le cas r = 1 où NQ(ζr )/Q (ζr ) = −1. Par ailleurs, on a

p−1
!pr−1
Y
NQ(ζr )/Q (ζ1 − 1) = NQ(ζ1 )/Q (ζ1 − 1)[Q(ζr ):Q(ζ1 )] = (ζ1i − 1) .
i=1
Qp−1 i
Le produit i=1 (ζ1 − 1) est le produit des racines du polynôme Φp (1 + T ) = (1 + T )p−1 +
· · · + (1 + T ) + 1, donc est égal à (−1)p−1 p. Finalement on obtient
r) 1 r −(r+1)pr−1
disc(Φpr ) = ±prϕ(p = ±prp .
ppr−1

La formuledisc(Φpr ) = (OQ(ζr ) : Z[ζr ])2 disc(Q(ζr )/Q) nous dit que p est le seul premier
susceptible de diviser l'indice (OQ(ζr ) : Z[ζr ]). Pour conclure, on utilise le résultat suivant
joint à l'observation que Φpr (1 + X) est Eisenstein en p avec Φpr (1) = p.

Proposition.  f ∈ Z[X] un polynôme Eisenstein pour le premier p


Soit et α une
racine de f dans Q. Alors p ne divise pas l'indice de Z[α] dans OQ(α) .
Démonstration. Nous allons supposer pour simplier que f (0) = ±p car cette hypothèse
est satisfaite dans le cas cyclotomique qui nous intéresse (exercice : adapter au cas général).

152
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Nous voulons montrer que si x ∈ OK et pk x ∈ Z[α] alors x ∈ Z[α]. En notant n =


deg(f ), l'hypothèse Eisenstein implique αn ∈ pZ[α]. Il sut donc de montrer que si x ∈
0
OK et αk x ∈ Z[α] alors x ∈ Z[α]. Par récurrence, on peut supposer k 0 = 1. Soit donc
x ∈ OK tel que αx ∈ Z[α]. Soit xm + b1 xm−1 + · · · + bm = 0 une équation entière satisfaite
m m
par x. En multipliant par α , on constate que (αx) ∈ αZ[α] D'après notre hypothèse
supplémentaire, on a Z[α]/αZ[α] = Z[X]/(f, X) = Z/f (0)Z = Z/pZ, donc αZ[α] est un
idéal premier et α est un élément irréductible de Z[α] dont la valuation associée vα est
m
multiplicative. La relation (αx) ∈ αZ[α] implique alors que vα (αx) > 0 donc il existe
y ∈ Z[α] tel que αx = αy et nalement x = y ∈ Z[α].
Remarque.  En adaptant la preuve, on peut montrer par récurrence sur le nombre de
facteurs premiers de n que OQ(exp(2iπ/n)) = Z[exp(2iπ/n)].

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