Hubert Reeves-Chroniques Des Atomes Et Des Galaxies-Points

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Hubert Reeves

Chroniques des atomes et des


galaxies

Éditions du Seuil France Culture

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ISBN 978-2-7578-2297-5
ISBN 978-2-02-081299-3, 1 re publication

© Éditions du Seuil, février 2007

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www.franceculture.com

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Avant-propos

Ces Chroniques des atomes et des galaxies font suite aux


Chroniques du ciel et de la vie publiées en 2005. L’ensemble
de ces deux ouvrages présente les textes de mes chroniques
hebdomadaires diffusées sur France Culture de 2003 à 2006.
Les sujets abordés vont (pour reprendre les termes de
Blaise Pascal) de « l’infiniment grand » à « l’infiniment petit » :
de l’univers dans son ensemble, aux neutrinos et aux quarks.
Nous évoquerons au passage les géniales intuitions des grands
scientifiques comme Einstein, Dirac, Pauli, Planck et tant
d’autres, qui ont permis ces avancées de nos connaissances.
Des éléments, aussi inattendus qu’insolites dans le cadre de
la physique classique — l’antimatière, les trous noirs, la
matière sombre et l’énergie sombre (toutes deux dites aussi
« manquantes ») —, y seront présentés et discutés. Nous
montrerons comment justifier l’affirmation de leur existence.
Le choix de la séquence des thèmes (lesquels présenter en
premier ? lesquels en dernier ?) a été très difficile, tant ils sont
souvent liés les uns aux autres. Nous prendrons ainsi
conscience de l’une des grandes découvertes de la science
contemporaine : tout est impliqué dans tout. Ainsi les
neutrinos, si discrets que l’on a longtemps douté de leur
réalité, ont pris une importance physique et cosmologique
considérable et pourraient avoir joué un rôle déterminant dans

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notre existence. L’hélium dont on gonfle les ballons d’enfant
nous permet de remonter jusqu’aux premières minutes de
notre univers, tandis que l’antimatière, par son extrême
rareté, nous promet l’exploration de moments encore plus
anciens.
Confronté au problème que pose un découpage quelque peu
arbitraire, j’ai indiqué entre parenthèses un renvoi aux
chroniques qui complètent ou qui se rapportent au même
sujet. Je renvoie également dans certaines chroniques aux
illustrations figurant dans le hors-texte couleurs de cet
ouvrage.
Ces chroniques des atomes et des galaxies nous parlent de
cet univers qui nous a engendrés. Elles s’adressent à la
question de notre origine : « D’où venons-nous et comment en
sommes-nous venus à exister ? » Les Chroniques du ciel et de
la vie publiées précédemment s’adressaient, elles, à la
question de notre destin : « Comment agir pour ne pas nous
éliminer nous-mêmes ? » Ces deux interrogations, sur le passé
comme sur l’avenir, se rejoignent dans le cadre de nos
préoccupations écologiques.

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1
___

COSMIQUE

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1

Tourisme cosmique

Grâce aux patients efforts des scientifiques et des


techniciens, nous sommes maintenant en mesure de voir notre
univers dans ses plus grandes dimensions.
Les télescopes spatiaux nous en offrent de somptueuses
images. Ce sont les grands cadeaux de la science
contemporaine à l’humanité.
Dans ce livre, nous allons en admirer quelques-unes,
regroupées dans le hors-texte, les étudier, essayer de tirer le
plus d’informations possible sur ce monde qui est le nôtre.
Posons notre regard sur la figure 1. Voilà l’aspect le plus
général de notre univers ! Le tourisme à la plus grande
échelle…
Comment décrire ce que nous voyons ? Parsemées sur
toute la surface de l’image comme des îles étalées sur une mer
immense, des galaxies, des galaxies à perte de vue : un vaste
archipel de galaxies !
Les galaxies sont de gigantesques structures constituées
d’environ cent milliards d’étoiles comme notre Soleil. Sur cette
image, les plus proches de nous apparaissent sous la forme de
petits disques blanchâtres. On en distingue parfois les bras

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spiraux (en particulier en haut à gauche). Les points bleus qui
saupoudrent le fond sombre de la photo sont encore et
toujours des galaxies, mais très lointaines, tout juste
perceptibles dans nos télescopes.
Voilà le monde où nous sommes nés, un beau jour, sur une
petite planète bleue tournant autour d’une étoile jaune dans
une galaxie blanche : la Voie lactée, une galaxie ordinaire
parmi des milliards d’autres. Un observateur situé sur un de
ces astres lointains verrait, dans son télescope, des images
semblables à celle-ci. Dans son champ visuel, un point bleu
pourrait être notre galaxie. Pourrait-il imaginer que, de là,
quelqu’un (nous !) le regarde ?
À quelle distance sont ces galaxies ?
En astronomie, on utilise comme unité de mesure l’année-
lumière : le trajet parcouru par la lumière en un an. Une
année-lumière équivaut à dix mille milliards de kilomètres.
Les points bleus (regardez-les encore !) sont à plusieurs
milliards d’années-lumière, donc plusieurs milliards de fois dix
mille milliards de kilomètres ! Ces chiffres nous donnent une
idée des dimensions vertigineuses de notre univers.
Ce document photographique ne nous en laisse voir qu’une
partie, ce que nous appelons par définition l’univers
observable. Comme au bord de la mer, notre regard est limité
par une « ligne d’horizon » imposée à la fois par nos
instruments et la physique elle-même. Sur la mer, un bateau
nous permettrait d’aller vérifier que la nappe aquatique
s’étend bien au-delà de cette ligne. Mais pour l’espace, aurons-
nous un jour semblable possibilité ?

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Les questions affluent : y a-t-il encore des myriades de
galaxies au-delà de notre horizon ? Quelle est la dimension
réelle de l’univers ? Serait-il infini ? Cette photo ne nous en
présenterait alors qu’une fraction infime… Si l’univers est fini,
nous pourrions — en principe — dénombrer les galaxies et les
étoiles. Mais s’il est infini ?
Comment arriver à savoir si l’univers est fini ou infini ? Des
méthodes indirectes pourraient nous permettre un jour de
répondre à la question, mais pour l’instant elles nous laissent
sur notre faim. Nous reviendrons abondamment sur le sujet.

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2

L’univers est-il infini ?

Quand les humains ont-ils commencé à lever les yeux vers


la voûte étoilée et à prendre conscience de la présence de ses
luminaires célestes ? On peut supposer que, depuis la nuit des
temps, ils se posèrent des questions : « De quelle matière
sont-ils constitués ? À quelle distance sont-ils ? »
Les philosophes de la Grèce ancienne discutaient déjà de la
dimension de l’espace habité par ces objets mystérieux. Deux
écoles de pensée s’opposaient. Selon la première, dite
« apollinienne », l’univers était certainement fini : Apollon,
divinité de la beauté et de la mesure, lui avait naturellement
imprimé une dimension harmonieuse, exprimé par le mot
cosmos (à l’origine de notre mot « cosmétique » : agent de
beauté). L’infini, forcément démesuré, ne pouvait être une
propriété du cosmos. À l’opposé, les adorateurs de Dionysos,
adeptes de bacchanales débridées, plaidaient la thèse de
l’univers infini, qui cadrait mieux avec leurs goûts des excès en
tout genre.
Au Moyen Âge, selon la théologie de saint Thomas d’Aquin
— la référence du monde chrétien —, seul Dieu est infini et, en
conséquence, l’univers, création de Dieu, ne peut l’être.
Pourtant, certains penseurs avaient des idées différentes. Le

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17 février 1600, sur le Campo dei Fiori à Rome, Giordano
Bruno fut brûlé sur un bûcher pour avoir publié (entre autres
hérésies) un ouvrage intitulé De l’infini, de l’univers et des
mondes. Grand provocateur, il tenait des propos inacceptables
pour les autorités religieuses de l’époque : « Si votre Dieu n’a
pas pu créer un monde infini, le mien l’a pu. » Trop, c’était
trop…
En l’absence de données d’observation, les passions, les
opinions philosophiques et les options religieuses dominaient
totalement ce débat et se traduisaient par des positions
d’autant plus radicales. Au XVII e siècle, les développements
de l’astronomie donnèrent à ces interrogations des dimensions
nouvelles. La théorie de la gravitation universelle permit à
l’esprit humain de se projeter dans l’espace et de comprendre
les mouvements de la Lune autour de la Terre, et des planètes
autour du Soleil. Mais les efforts de Newton pour y intégrer
aussi le monde des étoiles lointaines n’aboutirent pas. Au-delà
du système solaire s’étendait encore le mystère des astres
réfractaires à l’appréhension humaine.
Tout change en 1917, quand Einstein établit sa théorie de la
relativité générale (C-41) [1] dont le champ d’application
s’étend à l’univers tout entier, et à toute la matière qu’il
héberge. On peut maintenant poser sur des bases scientifiques
la question de la dimension du cosmos. Sans y répondre (il
faudra compléter la théorie par des observations), cette
théorie laisse toutefois entrevoir que l’univers pourrait être
infini. Einstein n’appréciait guère cette idée. Encore moins
l’idée que l’univers puisse être en expansion ; il s’en est

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exprimé ouvertement à plusieurs reprises. Pourquoi ? Était-il
influencé par l’esthétique apollinienne ? Après une longue
résistance, il finira par accepter la réalité de l’expansion et la
possibilité d’un univers infini.

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3

Claustrophobes, agoraphobes ?

Le claustrophobe est celui qui ne se sent pas bien dans un


espace confiné. L’agoraphobe, au contraire, se sent mal dans
des espaces trop ouverts. Pour certaines personnes, l’idée
même d’un univers infini est effrayante, inacceptable, pour ne
pas dire absurde. Personnellement, elle me plaît assez. Je
n’aime pas me sentir à l’étroit. Je souffrirais de claustrophobie
si l’on m’apprenait que l’univers est fini !
Mais, face aux dimensions du cosmos, nos réactions
affectives n’ont aucune importance scientifique. L’univers n’a
que faire de nos états d’âme. Il est ce qu’il est ; à nous de le
découvrir et de nous y adapter, quel que soit le degré
d’étrangeté que nous lui prêtons. Un de mes amis, à qui un
groupe de penseurs affirmait que la théorie du Big Bang est
philosophiquement inacceptable, avait évoqué la réponse de
Galilée aux inquisiteurs dominicains qui voulaient l’obliger à
renier ses affirmations au sujet du mouvement de la Terre
dans l’espace : « Et pourtant, elle tourne ! »
Le scientifique doit chercher à développer sa lucidité par
rapport à ses propres capacités. Ses opinions ou convictions ne
peuvent en aucun cas servir de norme à la connaissance de la
réalité. Au contraire, elles peuvent être des freins puissants et

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empêcher d’interpréter et d’apprécier correctement de
nouvelles observations. L’histoire des sciences offre de
nombreux exemples de situations où les préjugés de quelques
personnes ont longtemps bloqué, ou du moins
considérablement retardé, le développement de la recherche.
Il n’est pas anormal, lorsque nous explorons des
phénomènes et des dimensions bien au-delà de nos
perceptions habituelles — dans les domaines atomique ou
cosmique —, que nous soyons confrontés à des réalités
extravagantes, dépassant notre intelligence et notre
imagination. Ces facultés, cherchant alors à s’adapter aux
messages convoyés par de nouvelles observations, se
développent, s’enrichissent, et se préparent à la rencontre
d’idées et d’objets plus mystérieux encore.
Un scientifique anglais, John Eccles, a écrit : « Le monde
est non seulement plus étrange que nous l’imaginons, mais
plus étrange que nous sommes en mesure de l’imaginer. »
De grandes surprises nous attendent encore… Mais pour
les accueillir, il nous faut être à l’écoute et surtout nous méfier
des préjugés et des idées reçues.

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4

Remonter le cours du temps

À notre échelle de temps, la lumière voyage très vite. Elle


va de la Terre à la Lune en une seconde, et de la Terre au
Soleil en huit minutes. Pourtant, par rapport aux immenses
dimensions du cosmos, cette vitesse est plus que lente. Dans
les espaces intergalactiques, la lumière se traîne à pas de
tortue !
Pour l’astronome, cette lenteur est une bénédiction. Elle lui
donne un accès direct au passé du monde. En peu de mots :
plus on regarde loin dans l’espace, plus on voit tôt dans le
passé !
Revoyons notre image du cosmos (figure 1). Fixons notre
regard sur ces petits points bleus du fond céleste. La lumière
émise par ces galaxies a voyagé pendant près de dix milliards
d’années avant de venir s’imprimer sur le détecteur du
télescope Hubble. Nous voyons ces galaxies telles qu’elles
étaient dans ce si lointain passé ! Comment sont-elles
aujourd’hui ? Existent-elles encore ? Pour le savoir, il faudrait
attendre dix nouveaux milliards d’années !
Pourtant nous savons, indirectement, que la plupart de ces
galaxies sont entrées en collision avec leurs voisines, qu’elles

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ont fusionné pour engendrer des astres plus massifs et, qu’en
conséquence, un grand nombre de ces points bleus ont
disparu. Nous observons les traces maintenant inexistantes
d’un des premiers chapitres du cosmos.
Ainsi, en regardant cette image de l’univers, nous voyons
non pas un cliché instantané de son présent, mais un film de
son déroulement temporel. Notre regard plonge dans le
passé… Les galaxies les plus rapprochées, avec leurs surfaces
blanches plus étalées, illustrent pour nous des temps
relativement récents (plusieurs dizaines de millions d’années),
contemporains, peut-être, de l’ère des dinosaures, tandis que
les plus lointaines nous donnent accès à des périodes proches
du début de l’univers. Entre ces deux extrêmes, d’autres
astres révèlent l’aspect du cosmos à des périodes
intermédiaires. Par exemple, si nous voulons observer le
moment correspondant à la naissance de notre planète, il y a
4,6 milliards d’années, il suffit, vous l’aurez compris,
d’observer des astres situés à 4,6 milliards d’années-lumière !
Ici apparaît, pour l’observateur, un problème technique
important : la difficulté d’étudier des objets astronomiques
situés à de telles distances. Comme notre photo le montre, leur
luminosité est très faible et elles apparaissent minuscules. D’où
la nécessité de construire des télescopes de très grande taille
pour recevoir davantage de lumière, et pour obtenir une
meilleure résolution. Les miroirs de nos télescopes actuels
avoisinent les dix mètres de diamètre, tandis que des projets
en cours prévoient qu’ils iront jusqu’à plusieurs dizaines de
mètres. En parallèle, des réseaux de radiotélescopes

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s’étendent sur une dizaine de milliers de kilomètres à la
surface de la Terre, bientôt sur des centaines de milliers de
kilomètres dans l’espace, en orbite autour de la Terre.
En peu de mots : la lenteur de la lumière, à l’échelle de
l’univers, donne aux chercheurs une véritable machine à
remonter le temps (le rêve inaccessible de tous les
historiens !). Ils entendent bien l’exploiter au maximum et
construisent avec enthousiasme des instruments de plus en
plus puissants. C’est tout le passé de l’univers qu’avec eux,
grâce à eux, nous avons hâte de découvrir…

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5

Un univers en expansion

Entre 1920 et 1930, l’astronome Edwin Hubble (dont on a


donné le nom au télescope spatial) a fait des découvertes dont
les conséquences allaient profondément modifier notre vision
du cosmos et de son histoire.
Première découverte : les galaxies visibles dans notre
image de l’univers (figure 1) ne sont pas immobiles. Elles se
déplacent. Quelques-unes, les toutes petites bleues par
exemple, s’éloignent de nous presque à la vitesse de la
lumière !
Deuxième surprise : les mouvements des galaxies ne sont
pas désordonnés (ne vont pas dans tous les sens, comme ceux
des molécules dans un gaz), mais, au contraire, hautement
ordonnés. Les galaxies s’éloignent toutes les unes des autres.
Et d’une façon très particulière : plus elles sont distantes, plus
elles se fuient rapidement. Considérons, par exemple, un trio
de galaxies sur notre image (figure 1), et traçons un triangle
dont elles seraient les sommets. Dans le futur, le triangle
s’agrandira sans que, pour autant, sa forme change.
Ce comportement étonnant du mouvement de ces astres se
retrouve le même partout, jusqu’aux confins de l’univers

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observable. De là est née l’expression : « L’univers est en
expansion. »
Cette constatation a mis à mal une affirmation énoncée par
Aristote il y a deux mille cinq cents ans, et implicitement
acceptée jusqu’au XXe siècle par la communauté scientifique :
« L’univers est toujours le même, dans le passé comme dans
l’avenir. » Le mouvement d’expansion des galaxies montre, au
contraire, que l’univers est en perpétuel changement. En effet,
si les galaxies s’éloignent les unes des autres, la densité de la
matière cosmique (le nombre de galaxies dans un certain
volume) diminue progressivement : l’univers se raréfie.
Ajoutons, à la décharge d’Aristote, que son affirmation du
caractère immuable de l’univers était fondée sur des siècles
d’observations par les astronomes des époques antérieures
(Sumériens, Chaldéens, Babyloniens… les fameux rois Mages).
Notant la course saisonnière des constellations dans le ciel, ils
avaient remarqué le retour annuel régulier des astres et en
avaient déduit l’absence de changement du cosmos.
Évidemment, leurs observations étaient limitées par l’absence
de télescopes. Tout se faisait à l’œil nu.
Imaginons maintenant la projection à l’envers du film de
l’expansion du cosmos. Nous verrions sur notre écran les
galaxies se rapprocher les unes les autres. Arriverait ainsi un
moment où, les astres se superposant, la matière cosmique
atteindrait des densités extrêmes, approchant une valeur
infinie. D’où l’idée d’un début de l’univers.
Cette idée était déjà présente dans de nombreuses
cosmogonies traditionnelles. Mais elle était, jusque-là,

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totalement absente de la littérature scientifique. Elle a
profondément perturbé nombre de chercheurs, y compris
Einstein lui-même.
Peut-on évaluer l’âge de l’univers ? Oui, et de plusieurs
façons. La première se fait à partir des observations des
galaxies elles-mêmes. On mesure, pour chacune, sa distance et
la vitesse à laquelle elle s’éloigne de nous. Un simple calcul
permet alors d’obtenir le temps qu’il lui a fallu pour arriver là
où elle se trouve maintenant. On obtient approximativement
quatorze milliards d’années. En affinant cette technique, on
arrive aujourd’hui à 13,7 milliards (à 2 % près).
D’autres méthodes se fondent sur une évidence : l’univers
doit être plus âgé que ses plus vieux habitants.
On sait aujourd’hui mesurer l’âge des étoiles. On en trouve
de tous les âges, jusqu’à treize milliards d’années environ, mais
pas au-delà.
Enfin, grâce à la radioactivité, on peut déterminer l’âge de
nombreux atomes (uranium, thorium), dont la durée de vie se
mesure en milliards d’années. La méthode, bien qu’assez
imprécise, nous indique qu’aucun n’est plus ancien que le
cosmos.
Ces résultats, notons-le, sont obtenus à partir de
technologies différentes : l’astronomie et la physique en
laboratoire. Leur cohérence est pour nous une confirmation de
la crédibilité de la théorie.
Les conséquences de la découverte de Hubble sont
prodigieuses. Elles impliquent que l’univers n’a pas toujours

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existé et qu’il a une histoire. Elles influencent profondément
non seulement l’astronomie elle-même, mais tout le domaine
de la science et, en définitive, toute la pensée humaine.

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6

Le Big Bang :
une explosion cosmique ?

Dans la chronique précédente, nous avons joué à inverser le


cours du temps. Les galaxies de notre image se sont
rapprochées jusqu’à se confondre en un magma d’une densité
extrême. Nous sommes remontés jusqu’au début de l’univers.
Reprenons maintenant, à partir de là, le cours du temps
dans son sens réel. Imaginons la situation initiale.
Comment décrire ce qui se passe ? Cela ressemble à une
gigantesque explosion. Mais cette comparaison est-elle
vraiment appropriée ? Oui et non. Ici, il importe de s’attarder
un moment.
Une explosion suppose, au départ, un engin explosif. Une
bombe, par exemple, d’un certain volume et avec une surface.
Au moment de la détonation, les matières explosives à haute
température s’échappent de ce volume et se propagent
violemment dans l’espace environnant, là où il n’y avait rien
auparavant.
Mais, contrairement à la bombe, l’univers n’a pas de
surface, il est partout. Il n’y a pas deux espaces : l’un plein
d’explosif, l’autre vide. Il n’y a qu’un seul espace dans lequel la

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matière cosmique est en expansion uniforme, partout à la fois.
On peut conserver la comparaison de l’explosion si l’on
conçoit qu’au moment du Big Bang chaque point de l’espace
entre en explosion.
Il n’est pas facile de nous représenter un univers immense
(peut-être infini !) et en explosion partout. Pourtant, c’est la
meilleure image que nous puissions nous en faire.
Il est normal que notre imagination — qui a évolué dans le
cadre de grandeurs qui nous sont familières — soit un peu
dépassée, et que nous soyons perdus quand nous abordons des
dimensions aussi gigantesques. Mais, comme vous diront tous
les cosmologistes : « Il faut s’y faire et on finit par s’y faire ! »
Poursuivant le cours de notre histoire, il nous faut aller
chercher des renseignements du côté de la théorie d’Einstein
(C-41). Elle nous enseigne que le mouvement d’expansion
global (dont la récession des galaxies nous a confirmé
l’existence) a pour effet de refroidir l’univers. On reconnaît
facilement le comportement d’un gaz que l’on détend.
L’univers se comporte là comme un gaz dont les particules
seraient les galaxies.
L’univers du passé était donc plus chaud. Nous retrouvons
à nouveau l’analogie avec l’explosion et l’image d’un cosmos
primordial, où densités et températures atteignaient des
valeurs extrêmes.
Vers 1930, en combinant les observations de Hubble avec
la théorie d’Einstein, Georges Lemaître formula sa « théorie de
l’atome primitif », dont naîtra plus tard notre théorie du Big

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Bang.

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7

L’horizon cosmique

Reprenons une fois encore notre figure 1 qui présente des


galaxies à perte de vue dans l’espace. Les plus lointaines, les
petits points bleus, s’éloignent de nous à des vitesses
atteignant 90 à 95 % de la vitesse de la lumière (300000
km/s). Pourquoi ne voyons-nous pas de galaxies encore plus
lointaines ? La réponse est simple : parce qu’elles s’éloignent
plus vite que la lumière. Les photons qu’elles émettent ne
peuvent pas nous atteindre.
Aller plus vite que la vitesse de la lumière ? Comment est-
ce possible ? On nous a appris que, selon la théorie de la
relativité d’Einstein, la vitesse de la lumière est une limite
indépassable ! Cette assertion est tout à fait correcte. Et
pourtant… il faut revenir une fois de plus à Einstein,
décidément incontournable, et examiner de plus près la notion
de mouvements des galaxies.
Dans le cadre de la théorie du Big Bang, ces mots ont un
sens un peu spécial. Il ne s’agit pas de mouvements au sens où
nous l’entendons habituellement. Les galaxies ne se déplacent
pas dans l’espace (comme une balle de golf, par exemple).
C’est l’espace lui-même qui s’étend. Les galaxies sont
entraînées avec lui dans son expansion.

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Une comparaison nous aidera à comprendre. Imaginons
une immense membrane de caoutchouc, sur laquelle nous
dessinons de petites images de galaxies en les parsemant ici et
là, comme sur notre figure 1. Étirons maintenant cette
membrane dans toutes les directions à la fois. Bien que fixées
sur la membrane, les petites images paraîtront s’éloigner les
unes des autres, alors que c’est leur support qui s’étend. Si
cette membrane est suffisamment grande, rien n’empêche les
vitesses auxquelles les galaxies s’éloignent d’atteindre celle la
lumière et de la dépasser. Si notre membrane est infinie, les
vitesses pourraient elles-mêmes être infinies.
Mais les galaxies lointaines ne nous sont perceptibles que si
leur lumière arrive à nous atteindre. C’est-à-dire si leur
vitesse par rapport à nous est inférieure à la vitesse de la
lumière.
Ces réflexions nous permettent de revenir sur la notion
d’horizon de l’univers (C-7). C’est la distance la plus lointaine
observable par nous, là où les mouvements d’entraînement
des galaxies atteignent la vitesse de la lumière : on l’appelle
« rayon de l’univers observable ». Elle est voisine de celle
parcourue par la lumière depuis le début de l’univers (13,7
milliards d’années-lumière). Des considérations géométriques
liées à l’expansion lui assignent une valeur à peu près deux fois
plus grande : environ 25 milliards d’années-lumière.
Mais le temps passe et l’horizon s’éloigne. Dans quelques
milliards d’années, nous verrons beaucoup plus loin…

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8

Le rayonnement fossile :
une image en direct des premiers temps de
l’univers

Densité et chaleur extrêmes : telles étaient donc les


caractéristiques des premiers temps de l’univers. Lumière
extrême aussi. La physique nous apprend en effet que plus les
corps sont chauds, plus ils émettent de lumière. Au début
donc, un gigantesque flash lumineux qui, à nouveau, suggère
une explosion cosmique. Mais attention aux comparaisons
bancales !
À cause, peut-être, de son aspect mythologique et de ses
allures bibliques (le Fiat lux de la Bible), cette vision du monde
n’a pas été bien accueillie par les astronomes, et encore moins
par les physiciens de la première moitié du XXe siècle. Il faut
aussi reconnaître qu’elle reposait alors sur des bases
d’observations relativement limitées : seulement quelques
mesures de distances et de vitesses des galaxies. Il était
possible d’interpréter ces observations autrement…
En 1948, une contribution originale de l’astrophysicien
d’origine russe George Gamow allait améliorer
considérablement le statut de la théorie. Gamow se

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demandait : « Que reste-t-il aujourd’hui, après des milliards
d’années, de ce puissant flash qui a accompagné les premiers
instants de l’univers ? Cette lumière a-t-elle complètement
disparu du cosmos ? N’en resterait-il pas quelques traces ?
Rien ne peut disparaître de l’univers ! »
Appuyés sur la théorie d’Einstein, des calculs l’amenèrent à
la conclusion qu’il devait encore subsister à notre époque un
faible rayonnement résiduel, une sorte de fossile cosmique,
comme un pâle écho de cette luminescence primordiale, un
rayonnement observable, en principe, avec des
radiotélescopes. Mais pourrait-t-on le débusquer parmi
l’ensemble des rayonnements émis par tous les astres du ciel ?
Gamow en doutait sérieusement.
Et pourtant, ce rayonnement fut bel et bien observé en
1965. Un nouveau type de radiotélescope, mis au point pour
suivre le mouvement des satellites, permit à deux ingénieurs,
Penzias et Wilson, de le détecter et d’en faire les premières
études. Il correspondait exactement à ce que Gamow avait
prévu !
Depuis cette période, ce rayonnement est devenu un
document astronomique de la plus haute importance. On
l’étudie avec des techniques toujours plus précises. On en fait
des images qui reconstituent, avec des résolutions accrues,
l’aspect du cosmos dans son plus lointain passé. En direct :
l’univers des premiers temps ! Le voici en figure 2. (Je précise
qu’il ne s’agit pas d’images de synthèse, mais bien
d’authentiques documents photographiques. Seules les
couleurs sont artificielles.)

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L’existence même de ce rayonnement a magnifiquement
confirmé la théorie du Big Bang. Elle a suffi à convaincre la
communauté scientifique de la haute crédibilité de ce scénario
des débuts du cosmos. D’autres observations, dans des
domaines totalement différents (physique nucléaire et
atomique), ont par la suite encore conforté cette vision du
monde.
Rappelons que, dans ses grandes lignes, la théorie affirme
que l’univers n’a pas toujours existé, qu’il a un âge, qu’il est en
évolution, que depuis ses premiers temps il se refroidit, se
raréfie et s’obscurcit. Il y a de bonnes raisons de penser que
ces affirmations continueront à tenir la route, même si des
avancées devaient modifier de façon importante le cadre
conceptuel dans lequel la théorie s’inscrit aujourd’hui.
Ajoutons pourtant que cette thèse n’est pas sans problème.
Elle rencontre plusieurs difficultés de cohérence interne, et
laisse quantité de questions sans réponse. Mais, ne l’oublions
pas, la science est un processus en développement, et la
théorie du Big Bang, comme toutes les théories de la physique,
n’est pas définitive. La science n’est pas un domaine de
certitude et de vérité, mais plutôt de plausibilité.

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9

La naissance de l’hydrogène

Revenons à l’image du cosmos (figure 2) que nous donne le


rayonnement fossile, détecté pour la première fois en 1965 et
observé de nombreuses fois depuis par des radiotélescopes
millimétriques de plus en plus puissants.
Ce rayonnement a été émis quand l’univers avait environ
quatre cent mille ans, alors que sa température moyenne
avoisinait trois mille degrés Celsius. Ce n’est donc pas l’instant
initial, mais presque. Aujourd’hui, la température cosmique est
de moins deux cent soixante-dix degrés Celsius (soit trois
degrés absolus).
L’époque de l’émission du rayonnement fossile correspond
au moment où sont apparus dans l’univers les premiers
atomes d’hydrogène. Auparavant, la température était trop
élevée pour qu’ils puissent exister. Leurs constituants,
électrons et protons (C-53 et C-54), ne parvenaient pas à se
combiner d’une façon stable.
L’univers se présentait comme un vaste plasma, tels ceux
que nous trouvons dans nos tubes fluorescents. C’est donc
l’apparition des premiers atomes dans l’univers que
commémore pour nous l’émission du rayonnement fossile.

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10

Germes de galaxies

Le rayonnement fossile nous apprend que l’univers était, à


cette époque primordiale, hautement homogène. La
température était la même partout, avec de très faibles
fluctuations, ici et là, qui ne dépassaient pas d’un cent millième
la valeur moyenne. Ces fluctuations (très amplifiées !)
apparaissent sur la figure 2 comme un fourmillement de points
rouges (plus chauds) et bleus (plus froids). À l’inverse,
l’univers actuel présente de très grandes variations de
températures entre les étoiles, portées à des millions, voire
des milliards de degrés, et l’espace intersidéral, dont la
température moyenne est de trois degrés. L’univers se
refroidit !
Il se raréfie aussi. Il est un milliard de fois moins dense
aujourd’hui qu’à l’époque de l’émission du rayonnement
fossile. Il est passé en moyenne de l’équivalent de cinq
milliards d’atomes par mètre cube à celui de cinq atomes par
mètre cube.
Le fourmillement de taches colorées sur la figure 2 nous
révèle les lieux de naissance des amas de galaxies.
Les taches rouges, où non seulement la température mais

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aussi la densité sont plus élevées, sont les lieux où vont naître
les grandes structures de l’univers. Ce sont les « germes » des
galaxies.
Attirée par la force de gravitation, la matière qui les
environne va venir s’agglutiner sur chacun de ces germes,
augmentant sa masse. Ainsi, par une sorte d’effet boule de
neige, très lent au début, puis s’accélérant progressivement
jusqu’à devenir une véritable avalanche, des régions de hautes
densités vont se former dans un espace où, aux alentours, la
matière se raréfie. S’effondrant ensuite sous leur propre poids,
ces masses se fragmenteront pour donner naissance aux
premières galaxies et aux premières étoiles. Puis, se
contractant encore davantage, ces astres se réchaufferont au
point de pouvoir émettre de la lumière et, plus tard, devenir
semblables aux étoiles de nos cieux actuels. On estime que les
premières étoiles ont commencé à briller environ quatre cents
millions d’années après le Big Bang.
Il est émouvant de penser que l’image du rayonnement
fossile illustre la germination de tout ce qui compose l’univers
d’aujourd’hui. Les galaxies, les étoiles, les planètes y sont
virtuellement présentes…
Nous est-il possible d’observer des moments encore plus
anciens de l’univers ?
En principe, oui. Non pas avec les photons que détectent
nos télescopes, mais avec d’autres particules, beaucoup plus
pénétrantes. Comme les rayons X peuvent traverser le corps
humain alors que la lumière visible en est incapable, les
neutrinos (C-56) et les gravitons (C-59) (qui véhiculent la

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gravité) pourraient nous donner accès à des périodes bien
antérieures. L’astronomie neutrinique pourrait nous ramener
à la première seconde de l’univers, tandis que l’astronomie
gravitationnelle nous donnerait pratiquement accès au Big
Bang lui-même.
Les difficultés ne sont pas d’ordre théorique, mais
technique. Le principal problème vient de la très faible énergie
des neutrinos émis au début de l’univers, ce qui les rend très
difficilement détectables par nos instruments de mesure.
Pour les gravitons, la situation est meilleure, des télescopes
gravitationnels seront bientôt opérationnels aux États-Unis et
en Europe. Une nouvelle phase de l’astronomie s’ouvre, riche
de promesses pour notre exploration du cosmos. Les premiers
signaux devraient être enregistrés d’ici quelques années.
Au départ, il s’agira vraisemblablement d’événements
récents, d’origines stellaire et galactique. Et ensuite peut-être,
espérons-le, d’événements beaucoup plus anciens, reliés aux
premières millisecondes, ou même microsecondes, de la vie de
l’univers. Tout est possible.

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11

Aux premiers temps, il y avait la chaleur.


Mais avant ?

Le Big Bang est-il vraiment le tout début de l’univers ? Est-


ce son acte de naissance ? Est-il possible qu’il n’y ait rien eu
avant ? Voilà des questions qui sont souvent posées quand on
évoque le Big Bang.
Notre naissance personnelle, la naissance de la Terre, celle
du Soleil sont des événements qui se situent à un moment
donné dans le temps et qui, par conséquent, s’inscrivent dans
une chronologie. Il y a un avant, puis un moment où ces
événements ont lieu. Que peut-on dire de la naissance de
l’univers dans ce contexte ? Ce n’est certes pas un événement
comme les autres.
La question la plus pertinente, me semble-t-il, est la
suivante : pourquoi l’univers primordial était-il chaud ? Quelle
est l’origine de cette énergie thermique extrême qui est
responsable du mouvement des galaxies et donc de
l’expansion du cosmos ? Quelle est la « dynamite » qui a fait
exploser l’univers ? Et d’où provient-elle ?
Nous savons maintenant que cette chaleur pourrait
provenir de phénomènes découverts grâce à l’étude des

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atomes.
Expliquons-nous. Dans les années 1920-1930, les
physiciens ont réussi à comprendre le comportement des
atomes en formulant une nouvelle théorie appelée « physique
quantique ». Cette théorie s’est révélée être une mine d’or.
Elle a permis de découvrir l’existence de quantité de
phénomènes parfaitement inconnus jusqu’alors, comme
l’antimatière (C-48).
Mais elle prévoit également l’existence de nouvelles formes
d’énergies, que nous appelons « énergies quantiques » ou
encore « énergies du vide ». L’important pour nous, c’est que
de telles énergies peuvent se transformer en chaleur.
Le Big Bang aurait été provoqué par la transformation en
chaleur d’une forme d’énergie quantique répandue dans tout
l’espace.
Cette hypothèse est aujourd’hui prise au sérieux par la
majorité des astrophysiciens. Sous une forme ou sous une
autre, elle a de bonnes chances de n’être pas sans rapport avec
la réalité.

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12

Avant, il y avait les énergies quantiques.


Mais avant ?

Que sont ces énergies quantiques, appelées souvent


« énergies du vide » ? Il faut garder en mémoire que, dans
toute discipline scientifique, les expressions prennent leur sens
par rapport à une expérience ou à une opération spécifique. Ici
tout se passe autour de l’opération « faire le vide ».
Au sens propre du terme de l’expression, « faire le vide »
consiste à enlever d’un contenant tout son contenu. Ce genre
de manipulation a commencé au XVIII e siècle quand, à l’aide
de pompes, on a essayé d’extraire l’air de certaines enceintes.
On supposait que le vide serait atteint quand il ne resterait
plus une seule molécule d’air.
Mais la réalité s’est avérée beaucoup plus complexe. On a
découvert que même si l’on arrivait à extraire la toute
dernière molécule d’air, il y avait encore des énergies
résiduelles résistant à tout effort d’extraction. Elles se
présentent sous la forme de diverses particules, comme les
photons, les électrons, etc., qui interagissent entre elles.
L’activité est incessante.
On pourrait dire que le vide « bourdonne » en permanence.

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Les énergies liées à cette activité s’appellent énergies
quantiques ou « énergies du vide ».
Ces énergies résiduelles existent partout dans l’univers.
Elles pourraient avoir joué un rôle dans l’histoire du cosmos.
En particulier, elles seraient responsables de la très grande
chaleur qui régnait au moment du Big Bang.
Remarquons en passant que, dans ce contexte, c’est en
étudiant le comportement des minuscules atomes que nous
avons découvert des phénomènes qui s’étendent à la
dimension du cosmos et qui pourraient en déterminer le
comportement global. De l’infiniment petit à l’infiniment
grand !
Développée par des physiciens comme Bohr, Heisenberg,
Schrödinger, Louis de Broglie, la théorie quantique a
rapidement connu un immense succès grâce à sa capacité de
décrire avec une extraordinaire précision non seulement le
monde atomique, mais aussi toutes les manifestations de la
lumière, et bien d’autres choses encore. À tel point qu’on peut
dire que toute la nature est essentiellement quantique.
Mais, demanderons-nous, d’où proviennent ces énergies
quantiques ? La réponse à cette question nous permettrait de
reculer encore un peu plus dans le temps et d’aborder, peut-
être enfin, la période de l’avant Big Bang !
Maints scénarios ont été proposés dans le but de
reconstituer la séquence des événements qui auraient précédé
le Big Bang et qui auraient amené à son avènement. Mais,
jusqu’ici, aucun n’a pu passer les tests de la validation
incontournable des théories scientifiques : la confrontation

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avec les observations. Ce sont, pour l’instant, des spéculations
en attente de confirmation (ou d’infirmation). Nous sommes
dans la terra incognita, la région encore à explorer au-delà de
l’horizon de la connaissance qui est le nôtre au début du XXI e
siècle.

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13

La courbure de l’univers

Retournons aux figures 1 et 2, qui nous ont déjà donné des


renseignements sur l’état primordial de l’univers. Elles vont
nous en donner bien d’autres…
C’est ici l’occasion de reprendre la question de la dimension
du cosmos.
Il nous faut d’abord établir une distinction entre les mots
« illimité » et « infini ». La Terre n’est pas infinie, mais elle n’a
pas de limites. Quiconque la survole ne rencontre jamais de
« bord de la Terre ». Il peut continuer indéfiniment.
Simplement, il repassera régulièrement au-dessus des mêmes
endroits ! Car la Terre possède une surface de géométrie
sphérique qui lui permet d’être illimitée sans être infinie.
Retenons cette digression terrestre pour aborder la suite de
notre discussion.
Les galaxies, les étoiles, notre planète se situent dans le
vaste espace de l’univers. Aujourd’hui, l’astronomie nous
permet d’étudier les propriétés de cet espace dans son
ensemble, de nous interroger sur sa géométrie. Qu’est-ce que
cela veut dire ?
Commençons par un petit retour à des notions

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fondamentales de géométrie :
— les lignes, les surfaces et les volumes. Une ligne est un
espace à une dimension ; une surface, un espace à deux
dimensions ; et un volume, un espace à trois dimensions ;
— la notion de courbure. Une ligne peut être droite ou
courbe. Sa courbure peut être différente en divers points. Une
surface peut être plate (la page de votre livre) ou courbe (la
surface d’un ballon). Et la courbure peut avoir plusieurs
valeurs (selon la grosseur du ballon).
On a longtemps cru que la Terre était plate. Pourtant, dès
450 avant Jésus-Christ, un astronome grec, Ératosthène, en
observant la différence entre les positions du Soleil dans le ciel
à midi, entre Alexandrie et Syène (Assouan), a pu estimer la
circonférence de la Terre, montrant ainsi qu’elle est ronde.
Aujourd’hui, les photos de notre planète vue de l’espace nous
le confirment. Il suffit de les observer pour connaître sa
courbure. Soulignons encore une fois le rôle essentiel des
observations pour obtenir une réponse fiable.
Jusqu’ici, rien de bien malin. Et voici le passage délicat.
Tout comme les lignes et les surfaces sont plates ou courbes,
les volumes aussi (espaces à trois dimensions) peuvent être
plats ou courbes ! C’est ce qu’ont découvert deux grands
mathématiciens allemands, Gauss et Riemann, au XIXe siècle.
Mais, problème : comment nous représenter un volume
courbe ? Impossible ! Pourtant, le fait que nous ne le puissions
pas n’est dû qu’aux limites de notre imagination… Notre
intelligence peut le concevoir et y effectuer des quantités de
calculs.

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Alors, comment pourrions-nous savoir si notre cosmos, tel
que nous le présentent les figures 1 et 2, est un espace plat ou
courbe ?
Imaginons que nous naviguons parmi les galaxies à bord
d’une fusée ultrarapide. Par le hublot, nous les observons qui
défilent au loin. Si l’espace est plat et l’univers infini, nous
verrons continuellement et indéfiniment de nouvelles galaxies
entrer dans notre champ de vision. Mais si l’espace est fini et
courbe, après un certain temps, selon la courbure, nous
pourrions revoir les mêmes galaxies revenir et se succéder
dans l’ordre où nous les avions rencontrées la première fois.
Comme tout passager d’un avion survolant le globe terrestre,
nous entrerions à nouveau dans la même région. L’univers
serait alors illimité, comme la surface de la Terre, mais,
également comme elle, de dimensions finies. Évidemment, un
tel voyage est encore techniquement impossible, mais son
évocation illustre bien la différence entre un espace plat et un
espace courbe.
Et de notre espace cosmique, que pouvons-nous savoir ?
Que nous dit à ce sujet notre guide Albert Einstein ? Deux
choses importantes :
— d’abord, qu’il pourrait effectivement avoir une courbure
(être courbe). Autrement dit, il n’y a pas de raison qu’il n’en
soit pas ainsi et rien ne justifierait l’affirmation qu’il n’ait pas
de courbure ;
— ensuite, que la valeur de cette courbure pourrait
vraisemblablement être mesurée à partir des observations
appropriées (encore inaccessibles au début du XXe siècle).

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Mais je rappelle qu’Ératosthène mesurait la courbure de la
surface terrestre (géométrie à deux dimensions), alors qu’ici
nous cherchons la courbure du volume de l’espace cosmique
(espace à trois dimensions). Et je rappelle aussi que la difficulté
d’imaginer cette courbure n’enlève rien à son hypothétique
réalité.
Or il se trouve que, tout comme Ératosthène, nous avons
maintenant sous la main une observation qui nous permet de
déterminer la courbure de l’espace cosmique. C’est l’étude de
l’image du rayonnement fossile (figure 2).
La distribution des points rouges (les régions les plus
chaudes) et des points bleus (les régions les plus froides)
contient des informations qui nous permettent de répondre à
notre question. Et que nous dit-elle ? Elle nous apprend que
l’espace cosmique a une courbure nulle ! (Presque nulle, aux
incertitudes observationnelles près.) C’est ce que signifient les
mots « l’espace cosmique est plat ». (Les calculs requis pour
arriver à cette conclusion ne sont pas simples et ne peuvent
être explicités dans le cadre de ces chroniques.)
Résumons ce point difficile à appréhender. La théorie
d’Einstein, sur laquelle repose la théorie du Big Bang, nous dit
que l’espace cosmique pourrait être courbe, mais ne donne
aucune indication sur la valeur de sa courbure. Les
observations (l’étude du rayonnement fossile) nous ont appris
que cette courbure est nulle (ou quasi nulle). La géométrie de
l’espace cosmique est « plate » dans l’espace à trois
dimensions.
Argumentation difficile à suivre ? Bien sûr ! Conseil au

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lecteur : relire ce texte plusieurs fois. Se familiariser avec un
point obscur aide souvent à y voir plus clair.

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14

Les univers miroirs

Nous allons maintenant aborder une autre propriété de


l’espace cosmique, que l’étude de notre figure 2 pourrait nous
aider à connaître. Après avoir parlé de sa géométrie, nous
allons maintenant aborder sa topologie. Attention, ce sujet
n’est pas facile. Mais il vaut quand même un petit essai. Le
succès serait, en soi, une belle récompense !
D’abord, un souvenir personnel.
Quand j’étais enfant, nous allions régulièrement chez le
coiffeur. À Montréal, on utilisait alors le mot « barbier ». Parmi
leurs nombreuses boutiques, de la Côte des Neiges où
j’habitais alors, une me plaisait particulièrement. Ses murs
étaient recouverts de miroirs. En ouvrant la porte, on entrait
dans un espace infini. De chaque côté, l’œil percevait, mille fois
répétées, les mêmes images de fauteuils et de barbiers rasant
des visages et lavant des têtes. On pouvait s’apercevoir soi-
même, de face, de dos, de côté… selon toutes les orientations
possibles. Mais chacun savait qu’il s’agissait d’une illusion : le
salon était de dimensions très modestes, il n’y avait que quatre
fauteuils, accueillant quatre clients, et quatre barbiers, que les
miroirs multipliaient à l’infini. On avait l’impression d’être au
milieu de milliers de personnages.

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Au début du XXe siècle, des astrophysiciens ont imaginé
que l’univers ne contenait qu’un tout petit nombre de galaxies
occupant un espace restreint, et qu’au-delà d’une certaine
distance on revoyait les mêmes galaxies, puis plus loin encore,
et de nombreuses fois, jusqu’à l’infini.
Bien sûr, dans l’univers, il n’y a pas de miroirs comme chez
le barbier de mon enfance. Mais des mathématiciens ont
démontré qu’il était possible que certaines propriétés de son
espace puissent jouer un rôle équivalent. C’est-à-dire faire se
répéter les images d’une source lumineuse, donnant ainsi
l’impression d’un espace infini, alors qu’il ne le serait pas. Une
sorte de mirage qui en engendrerait d’autres… On parle alors
des propriétés « topologiques » de l’espace.
Dans la boutique du barbier, les miroirs pourraient aussi
être placés d’une autre façon. Un coiffeur imaginatif pourrait
avoir un salon en forme de pyramide triangulaire, d’hexagone
ou de sphère, comme certaines salles de cinéma. La réflexion
des murs en serait alors totalement modifiée, et ce que l’on
verrait n’aurait plus rien de similaire avec les images de mon
enfance.
De même, il existe un grand nombre de topologies possibles
de l’espace, qui donneraient des représentations très diverses
des archipels galactiques. Certaines topologies pourraient avoir
un effet semblable à celui des miroirs dans la boutique du
barbier. C’est-à-dire reproduire un grand nombre de fois
l’image d’une même galaxie. On pourrait ainsi imaginer que
certaines galaxies lointaines de la figure 1 soient des images-
fantômes de notre galaxie, la Voie lactée… Nous ne la verrions

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donc non pas telle qu’elle est maintenant, mais telle qu’elle
était dans un lointain passé. En effet, l’image étant située très
loin dans l’espace, la lumière qui en émerge aurait mis
beaucoup de temps à nous rejoindre. Nous pourrions ainsi voir
l’aspect de notre galaxie il y a des milliards d’années et, si ces
images sont nombreuses, obtenir des visions à plusieurs
périodes de son histoire, que l’on pourrait ainsi reconstituer.
Maintenant, revenons à notre espace cosmique, qui
pourrait avoir un grand nombre de topologies, de la plus
simple, qui est équivalente à « pas de miroir du tout », à toutes
les configurations possibles.
Comment pourrions-nous tenter de savoir ce qu’il en est ?
D’abord en observant les galaxies lointaines (figure 1), en
essayant de constater s’il y a des répétitions. Si, par exemple,
on pouvait prouver que l’image de la galaxie d’Andromède,
une de nos plus proches voisines, se retrouve plus loin, et plus
loin encore, on aurait une observation capable de nous éclairer
sur la topologie de notre espace. Mais les images du cosmos
que nous avons sont encore trop imprécises pour pouvoir nous
en assurer. Il faudrait améliorer considérablement la
résolution des télescopes.
La figure 2 offre déjà plus d’espoir. La topologie de l’univers
pourrait être lisible dans le dessin que forment les points
chauds et les points froids. L’étude de leur distribution se
poursuit avec vigueur. Les résultats préliminaires ne donnent
pas d’informations précises. Mais la mise en orbite prochaine
d’un nouveau radiotélescope spatial puissant pourrait bientôt
nous renseigner sur la possibilité que notre univers soit un

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univers miroir. Ce qui signifierait vraisemblablement, en
analogie avec la boutique du barbier, qu’il n’est pas infini. Pour
l’instant, nous n’en sommes pas là. Nous ne savons pas encore
si l’espace cosmique possède une topologie simple ou une
topologie complexe et si l’univers est infini ou fini. On peut
encore parier…

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15

On ne voit que 5 % de la matière de


l’univers

Reprenons notre figure 1 prise par le télescope Hubble, la


vision de l’univers dans sa plus grande dimension : des
galaxies à perte de vue… Cette image — qui nous a apporté
tellement d’informations sur la nature et le comportement de
l’univers — nous en offre encore par ce qu’elle ne nous montre
pas !
Ici, nous accédons à l’une des plus grandes énigmes de la
cosmologie contemporaine. Nous savons maintenant que ce
que nous voyons dans cette image ne représente pas plus de
5 % de ce qui s’y trouve vraiment. En d’autres mots : environ
95 % de la substance de l’univers est invisible au télescope. Un
peu comme si, en survolant la mer, on n’apercevait que
l’écume blanche des vagues mais pas l’eau elle-même ! Voilà
de quoi attiser la curiosité des chercheurs et dérouter ceux qui
affirment que nous connaissons pratiquement tout de notre
monde…
Mais comment savons-nous que ces 95 % existent puisqu’il
nous est impossible de les voir ?
Notons au départ que la matière peut se manifester à nous

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de diverses façons. D’abord en émettant de la lumière, c’est-à-
dire en envoyant des photons. C’est le cas des étoiles. Émises
par les atomes de ces astres, ces particules voyagent jusqu’à
nous. Nos détecteurs (yeux, plaques photographiques) les
enregistrent. C’est ainsi que nous connaissons l’existence des
galaxies que nous voyons dans la figure 1.
On appelle « matière ordinaire » celle qui nous est
perceptible de cette façon. Elle est composée, comme vous et
moi, d’électrons, de protons et de neutrons (C-52) formant des
atomes. Elle ne représente, répétons-le, que 5 % de notre
univers. Mais la présence de la matière peut également se
manifester par l’action de la gravité qu’elle exerce sur ce qui
l’entoure. Imaginons, pour illustrer ce phénomène, que la nuit
prochaine le Soleil s’éteigne. Demain matin : pas de lever de
Soleil ; il ne nous envoie plus de lumière. Comment pourrions-
nous savoir s’il est encore là ? Parce que, même s’il ne brillait
plus, il attirerait toujours la Terre, qui continuerait
inlassablement son périple annuel autour de lui.
Nous pourrions le vérifier en observant le mouvement des
constellations dans le ciel. Elles reviendraient à leur saison,
comme avant. Rien ne changerait dans leur parcours, perçu
dorénavant dans une nuit perpétuelle.
En effet, nous savons depuis Newton et Einstein que toute
matière, quelle que soit sa nature, qu’elle émette de la lumière
ou non, exerce une force de gravité sur les corps avoisinants.
Cette force régit leurs mouvements. Si ces corps ainsi
influencés émettent de la lumière, nous pouvons connaître
indirectement l’existence de la matière non visible qui les

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attire.
C’est de cette manière que les astronomes ont débusqué la
présence d’un trou noir (C-29) au centre de notre galaxie.
C’est par des méthodes semblables que nous avons découvert
l’existence de ces substances invisibles qui constituent la
majeure partie de la densité de l’univers, l’analogue de l’eau
sombre sous l’écume des vagues.
Et nous savons maintenant qu’il en existe deux variétés
différentes. On les appelle respectivement la « matière
sombre » et l’« énergie sombre ».

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16

Comment on a découvert l’existence de la


matière sombre
(appelée aussi masse manquante)

L’existence de la matière sombre a été pressentie il y a plus


de soixante-dix ans par l’astronome suisse Fred Zwicky, et
progressivement confirmée depuis.
On comprendra la démarche de Zwicky à partir de
l’exemple suivant : si notre Lune ne tombe pas sur la Terre
(nous le savons depuis Newton), c’est parce qu’elle est en
orbite autour de notre planète. La vitesse à laquelle elle tourne
autour de la Terre lui procure la force centrifuge requise pour
contrecarrer exactement la force d’attraction gravitationnelle
qui l’attire vers notre sol. Si elle allait plus vite, elle
s’échapperait dans l’espace, et nous la perdrions. Et si la Terre
était plus massive, la Lune, à sa distance présente, devrait
tourner plus vite pour conserver cet équilibre. Ainsi, nous
pouvons mesurer la masse de la Terre à partir de la vitesse
orbitale de la Lune. Cette technique nous permet aussi de
connaître la masse du Soleil à partir du mouvement orbital de
la Terre.
La même technique peut encore s’appliquer à la trajectoire

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des étoiles autour du centre de la galaxie. Notre Soleil, par
exemple, décrit une orbite en deux cents millions d’années, à
une vitesse d’environ 200 km/s autour du centre de la Voie
lactée.
Mais, cette fois, il y a un problème. La masse visible de la
galaxie (étoiles, nébuleuses, etc.) qui attire les étoiles vers son
centre n’est pas suffisante pour les maintenir sur leur orbite. Il
faudrait environ dix fois plus de matière entre elles et le cœur
galactique. En d’autres termes, si la galaxie ne contenait que
les étoiles et les nébuleuses que nous observons avec nos
télescopes, les étoiles s’en échapperaient rapidement pour
s’envoler dans les espaces intergalactiques ! Ce même
problème se retrouve dans les autres galaxies pour lesquelles
des études similaires ont été faites.
Que conclure ? Les galaxies doivent contenir une autre
composante, invisible celle-là (c’est-à-dire n’émettant pas de
photons), environ dix fois plus massive que la somme des
étoiles et des nébuleuses, et qui, au même titre que la matière
qui nous est familière, a la propriété d’attirer les corps qui
l’entourent. C’est ce que nous appelons la « matière sombre ».
Plusieurs autres observations, portant non pas sur le
mouvement des étoiles mais sur les mouvements des galaxies
elles-mêmes au sein des amas de galaxies, nous ont amenés
aux mêmes conclusions qualitative (il y a de la matière
invisible) et quantitative (il y en a environ dix fois plus que de
matière visible).
Quelle peut être la nature de cette étrange composante et
quelles en sont les propriétés ?

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17

Regard critique sur l’existence de la matière


sombre

Résumons-nous avant d’aller plus loin. À partir d’un


certain nombre d’observations, nous avons conclu à
l’existence, dans tout l’univers, d’une substance mystérieuse
que nous avons appelée la « matière sombre », et qui serait
responsable de la très grande vitesse des étoiles dans leur
mouvement de rotation autour du centre de la galaxie à
laquelle elles appartiennent. Nous ne savons rien quant à la
nature de cette masse, sinon qu’elle exerce sur son
environnement une attraction par laquelle elle se manifeste
indirectement à nous. Des études à l’échelle cosmologique
montrent qu’elle constitue environ le quart de la densité totale
de l’univers.
Ici, il importe de jeter un regard critique sur cette
information et de tenter d’en estimer la validité.
Elle repose d’abord sur l’idée que la seule façon d’expliquer
la grande vitesse des étoiles autour de la galaxie est de
présumer l’existence d’une composante massive invisible. Or
cette idée suppose que la théorie de la gravité est valable aussi
bien à l’échelle de la galaxie (milliers d’années-lumière) qu’à

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l’échelle du système solaire (très inférieure à une année-
lumière), où elle a été bien confirmée par les observations.
Mais si elle n’est pas applicable aux grandes échelles du
cosmos, alors le problème disparaîtrait de lui-même puisque
c’est la théorie qui serait en faute. En science, les
extrapolations sont toujours dangereuses et demandent à être
confirmées.
Cette question a été explorée en détail par les physiciens.
Bien que les résultats ne soient pas définitifs (rien ne l’est
jamais complètement dans la recherche), on a d’excellentes
raisons de faire confiance à la théorie de la gravité aux plus
grandes échelles du cosmos. On peut, avec un haut degré de
crédibilité, accepter l’idée qu’il faut plus de matière que ce que
nous voyons.
La démarche qui consiste à inventer une nouvelle entité (ici
la matière sombre) à partir d’une seule observation (ici, la
mesure de la vitesse des étoiles) laisse toujours insatisfait. On
peut évoquer la période alexandrine où, pour rendre compte
du mouvement des planètes, on palliait chaque difficulté en
inventant un nouvel élément d’orbite appelé « épicycle ». La
panoplie des épicycles a disparu quand Kepler a montré que
les orbites planétaires ne sont pas circulaires mais elliptiques.
L’introduction dans le domaine de la connaissance de
nouveaux éléments doit d’abord être regardée comme
provisoire, et demande à être pleinement critiquée et justifiée.
Heureusement, nous pouvons vérifier l’existence et
estimer la densité de la matière sombre de plusieurs autres
manières, établies à partir d’observations différentes. Le

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résultat est toujours sensiblement le même : environ 25 % de
la densité totale de l’univers. Une telle concordance
d’estimations nous amène à prendre vraiment au sérieux
l’existence d’une telle substance.
Mais de quoi est-elle constituée ?
S’agit-il de particules, sous forme gazeuse comme l’air ?
Elles devraient alors être extrêmement discrètes. Elles
n’émettraient ni n’absorberaient de lumière. Leurs
interactions avec la matière ordinaire devraient être
excessivement faibles. Sinon, nous les aurions déjà décelées
avec les techniques de nos laboratoires !
Une course à la découverte et à l’identification de ces
mystérieuses particules se poursuit grâce à différents
accélérateurs dans le monde. On cherche à améliorer la
sensibilité des appareils pour atteindre des niveaux de
détection toujours meilleurs. En parallèle, les théoriciens
s’évertuent à imaginer des candidates possibles dans le cadre
de la physique contemporaine. Les travaux vont bon train,
mais rien de sérieux ne se profile encore à l’horizon. Une autre
affaire à suivre…

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18

La découverte de l’énergie sombre

Nous abordons maintenant la seconde composante de la


densité du cosmos, appelée l’énergie sombre.
La découverte de son existence est l’un des événements les
plus marquants de la cosmologie des dix dernières années. Elle
était parfaitement inattendue, et elle a pris tous les
astronomes par surprise.
Voici l’histoire. Reprenons notre figure 1. Edwin Hubble a
montré que les galaxies sont animées d’un mouvement dit de
récession. Elles s’éloignent toutes les unes des autres. Mais,
sachant que ces galaxies exercent entre elles une force
d’attraction qui devrait les ralentir, il était naturel de prévoir
que leurs vitesses diminuent progressivement (décélération)
au cours du temps. A l’image du caillou lancé à la verticale qui
ralentit jusqu’à s’arrêter et faire demi-tour pour retomber sur
la Terre qui l’attire. Détecter cette décélération devint un
objectif prioritaire pour les astrophysiciens. Mais comment y
parvenir ?
L’idée est simple. On mesure la vitesse d’une galaxie, et on
calcule la distance qu’elle devrait avoir franchie si cette vitesse
avait toujours été la même depuis le Big Bang. On compare

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cette distance calculée à la distance mesurée. À cause de la
décélération prévue, la galaxie devrait être moins loin que si
elle n’avait subi aucune décélération. La différence devrait
donc nous renseigner sur sa perte de vitesse, provoquée par
l’attraction que produit sur elle l’ensemble des autres galaxies
de l’univers, comme la décélération du caillou nous renseigne
sur la masse de la Terre qui l’attire.
Les premières observations datent de 1995. À la
stupéfaction générale, les galaxies se trouvent non pas moins
loin que prévu si leur vitesse n’avait pas changé, mais plus
loin ! Scepticisme de la communauté scientifique : on
soupçonne des erreurs de mesures ! On teste tout, on vérifie
chaque point. Rien à faire. Les résultats tiennent la route.
Pendant le même temps, une autre équipe d’astronomes fait
les mêmes mesures et obtient des résultats tout à fait
concordants. Dans le domaine de la recherche, on tient
beaucoup à ce que les mesures soient confirmées par plusieurs
équipes indépendantes, surtout si elles introduisent des
éléments importants pour la connaissance.
La question maintenant se pose : qu’est-ce qui provoque
cette force de répulsion qui amène les galaxies à se déplacer
toujours plus vite ? Qu’est-ce qui fait qu’au lieu de la
décélération prévue, nous constatons une accélération ? Il doit
exister une force qui est capable non seulement de neutraliser
la force d’attraction entre les galaxies, mais de prévaloir sur
elle… C’est à partir de ces observations que l’on a été amenés à
introduire l’idée de l’existence d’une nouvelle composante de
l’univers. On la nomme « énergie sombre ». Contrairement à

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la matière sombre, elle n’attire pas, elle exerce un effet de
répulsion !

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19

Regard critique sur l’existence de l’énergie


sombre

Comme pour la matière sombre, nous adoptons maintenant


une attitude critique face à cette nouvelle addition. Peut-on la
confirmer par d’autres observations qui, établies par des
technologies différentes, retrouveraient le même résultat ? La
réponse est oui, et cela de deux autres façons totalement
distinctes.
La première fait appel à la géométrie de l’espace cosmique
(C-13).
Un des grands succès de la théorie de la relativité
d’Einstein a été de découvrir la relation intime qui existe entre
la géométrie de l’espace et la densité totale de la matière qui
s’y trouve. La planitude observée de l’espace cosmique nous
permet donc d’évaluer la densité totale de l’univers, toutes
composantes confondues. Elle est équivalente à celle qui
résulterait de la présence de cinq atomes d’hydrogène
(matière ordinaire) par mètre cube d’espace. Le mot
« équivalent », ici, rappelle que les atomes d’hydrogène sont
de la matière ordinaire qui ne représente en fait que 5 % de
cette densité, tandis que la matière sombre ne contribue qu’au

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niveau de 25 % !
La seconde méthode fait intervenir le rayonnement fossile
qui nous apprend que l’univers n’a pas de courbure. Cette
propriété implique que l’espace renferme une certaine densité
de matière et d’énergie. Or la somme des densités de matière
ordinaire (5 %) et de matière sombre (25 %) fait apparaître un
déficit important par rapport aux exigences de la géométrie
plate du cosmos ! Par ailleurs, l’observation de la distance des
galaxies les plus distantes montre qu’elles s’éloignent plus
rapidement que prévu. Le calcul de la densité d’énergie
sombre requise pour expliquer cet effet donne une valeur de
70 % ! Une simple addition montre donc que la somme de la
matière ordinaire (5 %), de la matière sombre (25 %) et de
l’énergie sombre (70 %) suffit à rendre compte de la géométrie
du cosmos ! Tout cela concorde agréablement.
Une troisième argumentation nous est venue récemment
de l’étude du rayonnement X émis par les amas de galaxies.
Sans entrer dans les détails, l’analyse des résultats confirme
bien la présence et la densité de l’énergie sombre.
Résumons-nous. Trois phénomènes différents, découverts
par des techniques différentes (1. l’accélération des galaxies, 2.
la géométrie du cosmos, 3. les émissions X des amas de
galaxies), nous amènent à la même conclusion : l’existence
dans notre univers d’une composante d’énergie sombre qui
domine le cosmos (70 % de sa densité).
Découverte il y a à peine dix ans, l’énergie sombre fait
maintenant partie du bestiaire des cosmologistes.

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20

La nature de l’énergie sombre

De cette énergie sombre, nous ne savons qu’une chose : elle


se comporte comme une force qui exerce une influence
répulsive sur les galaxies. C’est en effet comme cela que nous
en avons découvert l’existence. Mais quelle peut bien en être
la nature ? Aujourd’hui, nous en sommes encore réduits à ne
formuler que des hypothèses.
Disons d’abord que la théorie de la relativité générale
d’Einstein (C-41) prévoyait la possibilité d’une telle substance.
Outre celle qui exerce une force d’attraction sur les astres (la
gravitation universelle de Newton : les pommes tombent…), il
pourrait également en exister une autre, capable d’exercer un
effet de répulsion entre les astres. Mais rien ne prouvait que
cette dernière substance n’était pas une pure vue de l’esprit.
Rien n’attestait son existence.
Nous revenons ici sur la notion d’énergies quantiques (C-
21), qui seraient responsables de la chaleur initiale de
l’univers. Elles pourraient aussi l’être de l’accélération des
galaxies.
Il faut distinguer ici deux éléments différents, qui seraient
susceptibles de provoquer cette accélération. Dans la version

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d’Einstein, l’accélération est reliée à une courbure
« intrinsèque » de l’espace-temps, une sorte de donnée
fondamentale de l’univers qui n’a rien à voir avec son contenu
matériel et énergétique. Elle porte alors le nom de « constante
cosmologique ». Dans la version de la physique quantique, elle
est reliée aux énergies des champs quantiques. En principe, les
deux éléments — l’un géométrique, l’autre physique —
pourraient présenter des données d’observations différentes,
qui permettraient d’identifier le véritable responsable de
l’accélération cosmique. Pour l’instant, rien ne permet de le
savoir. Mais les études se poursuivent…
La théorie du Big Bang nous apprend que l’effet de l’énergie
sombre sur le cosmos augmente avec le temps. Les galaxies
vont aller de plus en plus vite et se retrouver de plus en plus
loin. Elles seront donc de plus en plus difficiles à observer au
télescope.
Les plus distantes vont passer au-delà de notre horizon
cosmique et deviendront invisibles. Nous aurons alors un ciel
où les galaxies seront de plus en plus rares : l’image du champ
profond (figure 1) se dépeuplera progressivement. Mais… pas
de panique ! Nous avons encore plusieurs millions d’années
avant que cette raréfaction ne soit réellement perceptible…
On peut se demander pourquoi nous ne sentons pas la force
répulsive de cette énergie sombre, puisqu’elle domine la
dynamique de l’univers. C’est que, contrairement à la force
d’attraction exercée par la matière ordinaire et par la matière
sombre, qui, elle, est d’autant plus forte que les corps sur
lesquels elle s’exerce sont rapprochés, celle de l’énergie

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sombre est d’autant plus forte que ces corps sont éloignés. En
pratique, elle ne se fait sentir qu’à des distances de milliards
d’années-lumière. Nous n’avons donc aucune chance de la
percevoir avec notre corps…

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21

L’énigme des énergies quantiques

La physique des atomes (physique quantique) prévoit,


nous l’avons vu, l’existence des énergies quantiques. La
question se pose alors de savoir si la densité de ces énergies
est assez grande pour expliquer l’accélération des galaxies.
Malheureusement, la physique contemporaine ne nous permet
pas encore d’effectuer correctement ce calcul. Cette
impuissance nous remet en présence du fait que nos théories
sont encore très incomplètes, et que bien des éléments
essentiels nous échappent toujours.
Pour aller plus loin, les physiciens ont inventé plusieurs
scénarios différents. Le plus populaire porte le nom de
« théorie des supercordes ». Il suppose que l’espace cosmique
est un espace à dix dimensions, dont trois seulement sont en
expansion (les trois dans lesquelles nous vivons). Les autres se
seraient contractées jusqu’à devenir inaccessibles à nos
perceptions. Cette théorie, qui pourrait, en principe, nous
permettre de faire le calcul que nous désirons, ne rallie
cependant pas tous les suffrages de tous les chercheurs. Elle
est encore largement spéculative, et n’a pas prouvé sa fiabilité
en laboratoire ; exigence qui, rappelons-le, reste l’élément
crucial qui permet de crédibiliser une hypothèse.

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Mais il est tout à fait possible que l’accélération du cosmos
soit provoquée par la présence des énergies quantiques.
Il est intéressant de raconter quelques-unes des péripéties
rencontrées lors de cet essai d’évaluation de la somme des
densités des énergies quantiques dans l’univers. Les
premières estimations donnaient des résultats gigantesques,
en désaccord total avec le simple fait que nous existons :
l’univers n’aurait duré que quelques secondes… Problème de
taille !
Plus tard, on découvrit que cette somme contenait des
termes positifs et d’autres négatifs. Et que, par conséquent,
elle pourrait bien donner un résultat nul, donc pas
d’accélération du tout !
Mais, là aussi, problème ! Les observations effectuées sur
l’accélération des galaxies montrent bien que la somme des
densités des énergies quantiques n’est ni très grande ni nulle,
sans que l’on ait la moindre idée de pourquoi elle vaut ce
qu’elle vaut !
On remarqua aussi que si cette somme des densités avait
été un peu plus grande, l’accélération de l’espace aurait inhibé
la formation des galaxies et que les étoiles, les planètes et la
vie sur la Terre ne seraient jamais apparues !
Il est également possible qu’il s’agisse de tout autre chose.
De nombreux chercheurs mettent en avant l’hypothèse d’une
autre substance, appelée « quintessence » (un clin d’œil à
Aristote, qui utilisait ce terme) et qui jouerait dans l’univers le
rôle répulsif mis en évidence par les observations.

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Des programmes de recherches sont en préparation. D’ici
quelques années, les résultats pourraient nous en apprendre
un peu plus sur cette énergie sombre et nous dire si elle
correspond vraiment à une énergie quantique ou à quelque
mystérieuse quintessence, qui ferait alors son entrée dans le
domaine de la physique…

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22

Jusqu’à quelle température l’univers a-t-il


été porté ?

Les observations de Hubble et la théorie de la relativité


sont les fondements du scénario du Big Bang qui rencontre
aujourd’hui l’assentiment de la grande majorité des
astrophysiciens.
Le refroidissement progressif de l’univers à partir des
températures initiales extrêmement élevées est une des
affirmations marquantes de cette théorie. Mais en science, on
aime passer du qualitatif au quantitatif ! Jusqu’à quelle
température l’univers a-t-il été porté dans le passé ? Quelles
preuves avons-nous de ce que nous pourrions affirmer à ce
sujet ?
On peut comparer le travail des astrophysiciens à celui des
préhistoriens, qui appuient toute description du passé sur des
vestiges qui sont autant de témoignages. Ils cherchent des
fossiles, à partir desquels ils peuvent tenter de reconstituer les
conditions qui prévalaient à la période qu’ils veulent décrire.
De même, en astrophysique, nous possédons un certain
nombre de fossiles qui nous permettent de décrypter le passé
du cosmos.

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Le « rayonnement fossile » de photons, découvert en 1965
(C-8), sera notre premier fossile cosmologique. Il témoigne du
fait que l’univers a été assez chaud dans le passé pour que sa
matière ait existé sous la forme d’un plasma de protons et
d’électrons. Il marque aussi le moment où les premiers atomes
d’hydrogène se sont formés à partir de ces particules qui,
jusque-là, erraient solitaires dans l’espace. Pour cela, il devait
régner une température supérieure à trois mille degrés.
L’univers venait d’atteindre un âge de quatre cent mille ans…
Un second fossile provient des populations respectives des
atomes d’hydrogène et d’hélium.
L’hélium n’existait pas aux premiers temps du cosmos. Il
s’est formé à partir des protons (les noyaux d’hydrogène), par
une séquence de réactions nucléaires. Or celles-ci ne se
produisent spontanément qu’à des températures supérieures
au milliard de degrés. D’où notre nouvelle conclusion :
l’univers a été porté à de telles températures. À cette époque,
il était âgé de quelques minutes.
Deux autres observations constituent des fossiles qui nous
permettent de remonter encore plus loin, donc plus tôt et plus
chaud :
1) dans la matière cosmique, les photons sont dix milliards
de fois plus nombreux que les électrons ;
2) les galaxies et les étoiles sont constituées
essentiellement de matière ordinaire. L’antimatière en est
absente (C-49).
On a de bonnes raisons de penser — sans pouvoir le

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prouver définitivement — que ces observations pourraient
s’expliquer si l’univers avait atteint des températures
supérieures à un million de milliards de degrés.
A-t-il été plus chaud encore ? Selon la théorie du Big Bang :
oui. Il pourrait avoir débuté à la température dite « de
Planck » (C-66), soit cent mille milliards de milliards de
milliards de degrés. Certaines propriétés du cosmos semblent
le suggérer. Mais là, les arguments sont encore bien
insatisfaisants.
En résumé : une physique solidement établie nous autorise
à affirmer que l’univers a dépassé les températures de trois
mille degrés (le rayonnement fossile) et d’un milliard de
degrés (l’hélium). Des arguments moins solides nous
permettent de remonter jusqu’à un million de milliards de
degrés, et peut-être jusqu’à la température de Planck.
C’est ainsi que, de proche en proche, et avec l’aide des
fossiles laissés par le refroidissement de l’univers, on peut
arriver à décrypter son histoire thermique.

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23

L’avenir de l’univers : chaud ou froid ?

Les mesures de la vitesse des galaxies et des propriétés du


rayonnement fossile nous donnent accès au passé de l’univers.
Nous avons pu ainsi reconstituer son histoire dans ses grandes
lignes, et identifier ses diverses composantes (lumière, matière
ordinaire, matière sombre, énergie sombre). Pouvons-nous, à
partir de ces acquis, tenter de prévoir son avenir ?
Le scénario du Big Bang est basé, rappelons-le, sur la
théorie de la relativité générale d’Einstein, formulée en 1917 et
qui ne cesse depuis de se crédibiliser aux yeux des physiciens.
L’accord entre les prédictions de la théorie et les observations
est toujours excellent.
Or que nous dit cette théorie sur l’avenir de l’univers ? Elle
nous indique que deux scénarios sont possibles :
— Dans le premier, l’univers continue de se refroidir
indéfiniment, sa température approchant toujours plus
lentement le zéro absolu sans cependant l’atteindre. Le ciel
devient de plus en plus obscur. Parallèlement, les galaxies
perpétuent leur éloignement mutuel et l’espace se vide
progressivement, sans jamais l’être complètement. En anglais,
ce scénario porte le nom de « Big Chili » : le grand gel.

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— Dans le second, après une époque d’expansion et de
refroidissement prolongée (celle dans laquelle nous sommes
aujourd’hui), les galaxies ralentissent leurs mouvements,
s’arrêtent un temps et entament une marche arrière,
revenant les unes vers les autres, à l’image du caillou lancé à la
verticale et retombant ensuite vers le sol. À l’expansion
cosmique succéderait alors une contraction. Dans le même
temps, la température cesserait de se refroidir, se stabiliserait,
puis augmenterait de nouveau jusqu’à atteindre les valeurs
extrêmes qu’elle a connues lors du Big Bang. C’est le « Big
Crunch » : le grand effondrement.
Donc, pour l’avenir, ce sera soit Big Chili, soit Big Crunch.
Mais lequel ? Cela, la théorie ne le dit pas. Seules les
observations pourront nous renseigner.
Avant la découverte de l’énergie sombre, tout semblait
favoriser le scénario du Big Chili. Les mouvements des galaxies
paraissaient être trop rapides pour pouvoir s’arrêter et
revenir en arrière.
L’observation de l’énergie sombre (C-18) peut-elle
modifier cette conclusion ? A priori, elle semble la rendre plus
plausible encore puisque, à cause de ses effets, les galaxies
s’éloignent de plus en plus rapidement les unes des autres. On
semble donc tourner le dos à toute possibilité d’arrêt et
d’inversion de leurs mouvements, de transformation de
l’expansion en contraction.
Mais les choses ne sont pas si simples. Nous ne connaissons
pas la nature de l’énergie sombre. Nous ne savons pas si elle
garde toujours la même densité. Elle pourrait soit augmenter,

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soit diminuer au cours des milliards d’années à venir. De tels
changements affecteraient d’une façon imprévisible les
mouvements des galaxies.
Big Crunch ou Big Chili ? Personne, aujourd’hui, ne peut le
dire. Mais rassurons-nous, la phase actuelle d’expansion
durera vraisemblablement encore pendant plusieurs milliards
d’années. D’ici là, de nouvelles observations pourraient nous
éclairer et permettre de répondre à la question : quel avenir
pour le cosmos ?

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24

Des univers parallèles ?

Nous allons aborder maintenant un sujet populaire aussi


bien chez les astronomes que chez les amateurs de science-
fiction : les univers parallèles. Ils contribuent à accroître
l’intérêt que suscitent l’espace et ses mystères.
La question se pose : y a-t-il d’autres univers que celui que
nous observons dans nos télescopes, celui de la photo du
champ profond prise par Hubble (figure 1) ? Des univers
totalement déconnectés du nôtre et avec lesquels nous
n’aurions aucun moyen de prendre contact ? Des univers qui,
peut-être, hébergent des galaxies, des planètes, et, sur ces
planètes, des gens qui s’interrogent ? Ou des univers
totalement différents, en dehors de notre entendement
même ?
La réponse est claire : oui, il est tout à fait possible que de
tels univers existent par milliers, par millions, par milliards, à
l’infini ! Aucun argument ne pourrait justifier l’affirmation
contraire, à savoir que notre univers est le seul. On a choisi le
mot « multivers » pour décrire l’ensemble comprenant tout à
la fois notre univers et ces univers hypothétiques.
On l’aura compris, la difficulté est de trouver des preuves

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de leur existence (ou de leur non-existence). S’ils sont sans
contacts possibles avec nous, comment le savoir ? Mais,
comme dit le dicton : « Absence de preuve n’est pas preuve
d’absence. » Quand les observations manquent, les théories
peuvent fournir des suggestions. Celle du Big Bang n’est
nullement incompatible avec la présence d’une multitude
d’univers.
Le fait qu’il y ait des trous noirs dans notre univers (C-27)
nous invite à envisager l’existence d’autres univers et nous
donne même, en principe, des moyens d’aller les visiter.
Disons seulement ici que les trous noirs sont des astres qui ne
peuvent pas émettre de lumière. Celle-ci reste captive de la
gigantesque gravité qui s’exerce à leur surface ; il y en a en
grande quantité dans la Voie lactée, comme dans les galaxies
extérieures à la nôtre.
Ces trous noirs se comportent comme de puissants
aspirateurs qui absorbent tout ce qui tombe sur leurs surfaces.
La gravité interdit toute communication avec leur intérieur.
Toutefois, on pourrait y accéder. Des cosmonautes téméraires
pourraient pénétrer sans trop de dommages dans les
immenses trous noirs des galaxies massives. Par contre, à
l’inverse de Marco Polo revenant de Chine, ils ne rentreraient
jamais pour nous raconter ce qu’ils auraient vu.
Pourtant, il serait possible de ressortir des trous noirs si
ceux-ci tournent assez vite sur eux-mêmes (c’est très
vraisemblablement le cas pour nombre d’entre eux). Mais où
réapparaîtrait-on ? Nous n’avons évidemment aucune réponse
à cette question.

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On peut imaginer que les cosmonautes éjectés d’un trou
noir par sa rotation se retrouveraient quelque part aux confins
de notre propre univers. On aurait donc là le moyen
d’atteindre des distances qui, jusqu’ici, paraissent inaccessibles
à cause de la durée du voyage. Cette possibilité séduit déjà les
auteurs de science-fiction et peut-être, plus tard, intéressera-
t-elle les agences de voyages intergalactiques !
Mais on peut aussi imaginer se retrouver dans des univers
parallèles, complètement déconnectés du nôtre, dont les trous
noirs seraient les portes d’entrée…

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25

Le principe anthropique

Les énergies quantiques (C-21), qui sont


vraisemblablement la cause de l’accélération des galaxies, ont
une densité qui n’a pas empêché leur formation et, en
conséquence, celle des étoiles, des planètes et de la vie. Cet
élément prend place parmi bien d’autres observations qui
montrent que les lois de la physique ont rendu possible le
développement de la complexité dans l’univers. Il est facile de
montrer que, si la matière avait été régie par des lois même
très légèrement différentes, le refroidissement de l’univers
après le Big Bang aurait engendré un monde stérile, sans vie,
et a fortiori sans personne pour poser des questions…
Cette constatation est aujourd’hui le thème d’un intense
débat parmi les astrophysiciens. Brandon Carter, de
l’observatoire de Meudon, a inventé le terme de « principe
anthropique » : le fait que l’homme existe dans l’univers est
une donnée fondamentale de l’observation, puisqu’il implique
que les lois de la physique ont permis l’élaboration du cerveau
conscient. Cette information est susceptible d’ouvrir la porte à
des questions philosophiques, et cela n’a pas manqué.
C’est ici qu’intervient l’idée du multivers. On suppose
l’existence d’un grand nombre d’univers où les lois de la

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physique auraient toutes les formulations possibles. Seuls ceux
où ces lois seraient très semblables aux nôtres seraient
susceptibles d’héberger des interrogateurs. Les autres
seraient muets, puisque la complexité et la vie n’auraient pas
pu s’y développer. La théorie des supercordes appuie cette
hypothèse.
Ainsi, rien d’étonnant à ce que les lois de la physique chez
nous soient finement ajustées pour permettre la prise de
conscience. Nous avons tout simplement la chance d’habiter un
univers « fertile ». Les autres sont stériles, et il n’y a personne
pour poser des questions.
Quel que soit l’attrait de ces hypothèses et suggestions,
force nous est de reconnaître que l’existence des univers
parallèles restera du domaine de la fiction tant que nous
n’aurons rien de plus satisfaisant que ces considérations
théoriques.
Notre univers est le seul dont nous sommes certains qu’il
existe !

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2
___

STELLAIRE ET GALACTIQUE

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26

Les amas de galaxies

Notre univers est richement structuré en systèmes de


toutes dimensions. Dans un ordre progressif, on trouve :
— à petite échelle : les atomes, les molécules et les cellules
vivantes ;
— à grande échelle : les planètes, les étoiles, les amas
d’étoiles et les galaxies ;
— à plus grande échelle encore : les galaxies se rassemblent
en amas de galaxies, un des sujets d’étude les plus actifs de
l’astronomie contemporaine.
Notre galaxie, la Voie lactée, fait partie de l’amas de la
Vierge. Ce nom lui vient du fait que la plupart de ses galaxies
sont, par rapport à nous, situées dans la direction de la
constellation de la Vierge. Les amas de galaxies contiennent en
moyenne un millier de galaxies semblables à la nôtre. Ils
s’étalent sur des centaines de millions d’années-lumière. On y
trouve généralement quelques galaxies géantes. Des jets
lumineux accompagnés de puissantes émissions radio se
propagent depuis leur noyau central jusqu’à des centaines de
milliers d’années-lumière (figure 3). Il y a toutes raisons de
penser que ces jets sont émis (indirectement !) par les trous

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noirs géants (C-29) situés au centre de ces galaxies.
Grâce aux télescopes à rayons X, on a découvert
récemment que les amas de galaxies baignent dans un
rayonnement thermique de plusieurs millions de degrés. On
ne connaît pas bien l’origine de ce rayonnement. Provient-il de
l’activité des étoiles, particulièrement au moment de
l’explosion qui accompagne la fin de leur vie (supernovæ) ? Ou
d’un reste de la chaleur émise par l’effondrement de la matière
à la naissance de l’amas ? Peut-être des deux ? Observation
étonnante : les galaxies ne constituent qu’une faible partie de
la masse d’un amas : environ 5 %. L’énergie associée au gaz
chaud qui émet le rayonnement X atteint 20 %, tandis que le
reste (75 %) est constitué de cette fameuse matière sombre
dont nous avons déjà parlé (C-16).
Question : existe-t-il dans l’univers des structures plus
grandes que les amas de galaxies ? Des amas d’amas ? Rien ne
l’indique aujourd’hui. En ses grandes dimensions, l’univers
devient de plus en plus homogène, de plus en plus « partout
pareil ». Entre celles des amas de galaxies, qui atteignent
jusqu’à des centaines de millions d’années-lumière, et celle de
la taille de l’univers observable (dizaines de milliards
d’années-lumière), aucune concentration de matière ne se
distingue dans le ciel.
Le rayonnement fossile émis aux limites de l’univers
observable quelque quatre cent mille ans après le Big Bang
nous apprend l’extrême homogénéité de l’univers à grande
échelle, les fluctuations de densité n’y dépassant pas un dix
millième de la valeur moyenne (C-10).

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27

La possibilité des trous noirs

Imaginons qu’une nuit un malin génie écrase notre Soleil


entre ses mains géantes, et que le rayon solaire initialement
d’un million de kilomètres soit réduit à trois kilomètres. À
cause de cette immense contraction, la force de gravité à sa
surface serait telle que même la lumière solaire ne pourrait
s’en échapper. Elle retomberait sur l’astre comme l’eau des
fontaines. Le Soleil serait devenu un trou noir (C-27) !
L’idée d’un corps si condensé que rien ne pourrait s’en
extraire, même pas la lumière, a été proposée au XVIII e siècle,
en particulier par Pierre Simon de Laplace. Mais ce n’est que
dans le cadre de la théorie d’Einstein qu’elle a trouvé sa
véritable formulation. La théorie atteste que de tels astres
pourraient exister sans violer les lois de la physique. Ce sont
donc des « êtres possibles », des « entités virtuelles ». Mais
cela ne nous dit pas s’il en existe dans la nature.
Ici, nous touchons un point plus général de la recherche,
qu’il est intéressant d’exposer. Les formulations
mathématiques des théories contiennent parfois des termes
qui pourraient indiquer l’existence de phénomènes inconnus.
La détection possible de tels phénomènes devient alors un
enjeu de grande importance pour la recherche — en gardant

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toutefois à l’esprit que ces termes mathématiques pourraient
ne correspondre à aucune réalité.
Nous en avons déjà rencontré un exemple lors de la
découverte de l’énergie sombre (C-18). La théorie d’Einstein
laissait entrevoir son éventualité sous la forme d’un terme
mathématique appelé la « constante cosmologique » (C-46).
D’une façon analogue, la théorie quantique impliquait dans sa
formulation mathématique l’existence possible d’énergies
quantiques du vide (C-21) et d’antimatière (C-48). Les deux
ont été observées. C’est à voir au cas par cas.
Mais revenons à notre pauvre Soleil écrabouillé entre les
mains du génie malfaisant. Résultat : demain matin, pas de
lever du jour. Ce serait encore la nuit. La nuit indéfiniment.
Comment pourrions-nous savoir que l’astre noir est pourtant
toujours là ? Simplement en observant que la course
saisonnière des constellations se poursuivrait tout comme
avant. Cette constatation suffirait à montrer que la Terre
continue son orbite annuelle sous l’attraction de son étoile. En
d’autres mots : même s’il ne nous envoyait plus de lumière,
notre astre continuerait sans défaillir à exercer son influence
gravitationnelle sur les planètes du système planétaire.
Selon un schéma qui nous est familier depuis que nous
avons parlé de la matière sombre (C-17) dans l’univers, toute
matière, qu’elle émette ou non de la lumière, exerce sur les
corps de son voisinage une attraction gravitationnelle qui
influence leurs mouvements. Et les effets révélant les causes,
nous pouvons donc détecter les trous noirs. Indirectement,
mais sûrement !

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L’idée vient naturellement de nous demander si la matière
sombre de l’univers ne serait pas elle-même due à une
population de trous noirs essaimés un peu partout. Cette
hypothèse a fait l’objet d’études sérieuses, qui ne l’ont
cependant pas confirmée.
Pourtant, nous savons maintenant que la notion de trous
noirs n’est pas qu’une pure création de l’esprit. Ils existent
vraiment. Et ils sont même légion…

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28

Les trous noirs stellaires

La théorie de la relativité générale d’Einstein — qui a


introduit le concept de trous noirs — a été magnifiquement
confirmée par leur détection dans le ciel. Le plus proche de
nous se trouve à environ sept mille années-lumière, tout juste
au-dessus de nos têtes à la fin des belles soirées du mois
d’août, dans la constellation du Cygne.
Il en existe deux variétés distinctes, caractérisées par leur
masse. La première contient des astres dont la masse est
comparable à celle du Soleil, mais se trouve confinée en une
sphère de quelques kilomètres de rayon, pas plus gros qu’un
astéroïde. Ils sont répartis un peu partout dans le volume des
galaxies. Le trou noir du Cygne en est un exemple. La seconde
variété sera décrite dans la chronique suivante.
Ces astres étranges se forment au moment de la mort des
étoiles les plus massives des galaxies. Tout au long de leur
existence, les étoiles tirent leur énergie des réactions
thermonucléaires qui se produisent dans leur cœur torride
(atteignant des températures de dizaines ou de centaines de
millions de degrés). Quand elles ont épuisé leur carburant
nucléaire, elles s’effondrent sur elles-mêmes. Leur noyau
résiduel, contracté par l’effet de leur puissante gravité, peut,

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dans certains cas, former un trou noir. Ainsi, depuis la
naissance d’une galaxie, des générations d’étoiles engendrent
de tels astres inertes dans l’immensité interstellaire. Il y en a
vraisemblablement plus d’un milliard dans la Voie lactée,
comme dans chacune des galaxies de l’univers. Mais leur
masse totale ne représente pas plus de 1 % de la masse totale
des galaxies.
Comment connaissons-nous leur présence ? Ces astres
condensés agissent comme des aspirateurs géants qui
engouffrent tout ce qui passe à leur proximité. La matière,
prise au piège comme dans un maelström, est attirée par le
trou noir, tournoie autour de lui, tourbillonnant comme l’eau
d’une baignoire aspirée dans le trou de vidange. Le tout
constitue ce que nous appelons un « disque d’accrétion ». Plus
les masses capturées approchent du trou noir, plus le
mouvement des masses capturées s’accélère. À cause de cette
agitation croissante, elles s’échauffent rapidement. Elles
s’illuminent alors et émettent des rayonnements de plus en
plus intenses et de plus en plus énergétiques, jusqu’à devenir
de puissantes sources de rayonnements.
C’est sous cet aspect que nous les détectons avec des
télescopes appropriés, installés à bord de satellites en orbite
au-dessus de notre atmosphère. C’est ainsi que ces trous noirs,
qui n’émettent aucune lumière, nous deviennent
indirectement visibles. Leur étude fait l’objet d’un grand
chapitre de l’astronomie contemporaine.
Comme tous les astres, les trous noirs tournent sur eux-
mêmes. Déterminer leur vitesse de rotation est très difficile à

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cause justement de l’impossibilité de les observer directement.
Mais, encore une fois, l’étude détaillée de la lumière émise par
le disque formé par la matière aspirée vers le trou noir
pourrait nous venir en aide. Des techniques nouvelles sont en
préparation pour déterminer leurs périodes de rotation et
connaître ainsi, de mieux en mieux, ces étranges habitants du
cosmos.

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29

Les trous noirs galactiques

La seconde variété de trous noirs est constituée d’astres


atteignant des millions de fois la masse du Soleil. Leur rayon
est comparable à l’orbite de la Terre. On les trouve au centre
des galaxies. La nôtre en possède un relativement petit ; sa
masse est de trois millions de fois la masse solaire (certains
sont jusqu’à cent fois plus massifs). Il est situé dans la
direction de la constellation du Centaure, pas loin de la belle
étoile Antarès, visible en été, basse sur l’horizon, dans la
direction du sud.
Parce que « notre » trou noir se trouve, par rapport à nous,
dans le plan central de la Voie lactée où abondent les
nébuleuses opaques, les effets révélateurs de sa présence sont
particulièrement difficiles à observer. Pourtant, une très belle
expérience astronomique a récemment confirmé son existence
et permis d’en mesurer plus précisément les propriétés.
Tout comme les planètes tournent en orbite elliptique
autour du Soleil, plusieurs étoiles décrivent des trajectoires
analogues autour de notre trou noir (figure 4). En 1988, on a
commencé à suivre le mouvement de l’une d’entre elles.
Depuis le début de nos observations, elle a parcouru plus de la
moitié de sa trajectoire, à une vitesse fabuleuse. Quand notre

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Terre se déplace à 30 km/s, cette étoile voyage à 30000
km/s, soit un dixième de la vitesse de la lumière…
Les trous noirs d’un bon nombre d’autres galaxies
s’expriment beaucoup plus intensément que le nôtre. Certains
sont — indirectement ! — responsables d’une luminosité
équivalente à celle d’un milliard de soleils. Et sur toutes les
longueurs d’onde : du rayonnement radio jusqu’aux émissions
gamma, en passant par l’infrarouge, le visible, l’ultraviolet et le
rayonnement X. Ces astres portent le nom de « quasar »,
abréviation de « quasi-star », parce qu’à cause de leur taille
très réduite on les a pris, au départ, pour des étoiles. D’autres
émettent également des jets de matière qui s’étalent sur des
millions d’années-lumière, quelquefois torsadés sur eux-
mêmes (figure 3). On pense que ces jets sont émis à partir des
régions polaires du quasar, et qu’ils sont guidés par de
puissants champs magnétiques corrélés à la rotation du trou
noir central.

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30

Notre trou noir est au régime sec

Notre trou noir galactique, je le rappelle, est relativement


petit (trois millions de fois la masse solaire) et n’émet, à cette
échelle, presque rien. La question est : pourquoi ?
La luminosité indirecte des trous noirs est reliée à la
quantité de matière qu’ils dévorent. Ils engloutissent tout ce
qui passe à leur proximité, mais encore faut-il qu’ils aient
quelque chose à manger !
La présence d’un trou noir colossal au cœur d’une galaxie
semble être un phénomène universel. Les deux structures
seraient apparues simultanément, sans que nous sachions bien
comment cela se passe. On suppose qu’une partie de la
matière de la galaxie en formation ne se met pas en orbite
circulaire, mais retombe au centre, formant ainsi le trou noir.
Cet effondrement provoque l’émission du puissant
rayonnement énergétique (le quasar) décrit précédemment.
Mais quand la galaxie achève sa formation, le flux de
matière vers le trou noir s’amenuise progressivement. Le
monstre, privé de sa nourriture, voit sa luminosité décliner
considérablement. Il s’éteindrait si d’autres événements ne
venaient occasionnellement le stimuler.

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Ce sont les collisions de galaxies qui vont provoquer ses
réveils. Attirées par la gravité qui s’exerce entre elles, des
galaxies relativement voisines arrivent à remonter le
mouvement d’expansion de l’univers et à fusionner : on dit
qu’elles entrent en coalescence. Résultat : un nouvel apport de
matière alimente les trous noirs et les réactive pour un temps.
La discrétion de notre trou noir s’explique alors tout
naturellement : il est présentement au régime sec !
Pour longtemps encore ? Nul ne peut le dire avec certitude.
Mais nous savons que la galaxie d’Andromède, une voisine
située à trois millions d’années-lumière, fonce sur nous à 40
km/s. À cette vitesse, elle nous atteindra dans environ quatre
milliards d’années. Si nous avons vraiment bien compris le
processus, elle offrirait alors à notre trou noir une occasion de
se manifester énergiquement.

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31

Les sursauts gamma

Il y a une trentaine d’années, les militaires américains ont


mis en orbite quatre satellites pour repérer et observer les
essais nucléaires des autres États. Des détecteurs étaient en
mesure de percevoir les rayons gamma associés aux
explosions.
Après une dizaine d’années, ces instruments furent
remplacés par d’autres, plus performants. À cette occasion, les
opérateurs du système donnèrent aux astronomes un
renseignement qu’ils avaient été contraints de tenir secret
pour ne pas divulguer d’informations sur leurs détecteurs. Les
appareils avaient enregistré, en plus des événements
terrestres qu’ils avaient mission de rapporter, plusieurs
émissions de rayons gamma en provenance du ciel. Ces
émissions étaient extrêmement brèves, souvent bien
inférieures à une seconde.
Quelle pouvait être l’origine de ces flux de photons nommés
« sursauts gamma » ? Des télescopes à rayons gamma furent
rapidement mis en orbite par la NASA pour élucider ce
mystère.
Difficile à cette époque de déterminer si les sources étaient

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proches de la Terre, donc libérant relativement peu d’énergie,
ou éloignées et, en conséquence, dégageant une énergie
beaucoup plus intense. Des dizaines d’hypothèses furent
formulées, confrontées aux données et réfutées les unes après
les autres. Pendant plusieurs années, les observations
s’accumulèrent, devinrent de plus en plus précises, sans pour
autant donner d’explication, sauf sur un point important : les
sources étaient situées à des distances gigantesques. On en a
déduit que l’intensité énergétique des sources devait être
extrêmement élevée, comparable à celle des explosions
d’étoiles massives à la fin de leur vie (les supernovæ).
Pour en savoir plus, il importait d’observer ces sursauts sur
d’autres longueurs d’onde, c’est-à-dire de tourner rapidement
vers la source détectée, des radiotélescopes, des télescopes
optiques et des télescopes à rayons X. On espérait ainsi
percevoir les phénomènes qui accompagneraient ces
« flashes ».
On réussit maintenant de mieux en mieux ces manœuvres,
et les renseignements abondent sur la nature des physiques
qui accompagnent ces sursauts. On en reçoit plus d’un par
jour.
On admet aujourd’hui que ces sursauts accompagnent la
mort explosive d’étoiles extrêmement massives sans que,
pour autant, les mécanismes de l’émission gamma soient
correctement élucidés. Leur gigantesque puissance en fait des
événements du plus grand intérêt pour l’étude de l’univers des
premiers temps. Certains se sont produits à une période où
l’univers avait moins d’un milliard d’années, alors qu’il en a

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maintenant 13,7 milliards. On s’attend à ce qu’ils jouent un
rôle de plus en plus important dans l’élucidation des
phénomènes qui ont donné naissance aux premières étoiles et
aux premières galaxies.

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32

Les rayons cosmiques

Entre les planètes, entre les étoiles, entre les galaxies


circulent en permanence d’énormes flux de particules rapides,
à des vitesses voisines de celle de la lumière.
Il y a surtout des électrons et des protons, mais aussi
toutes les variétés de noyaux atomiques : carbone, oxygène,
fer, jusqu’au thorium et à l’uranium, y compris leurs
nombreux isotopes, radioactifs ou non. L’ensemble porte le
nom de « rayonnement cosmique », à ne pas confondre avec le
« rayonnement cosmologique » de photons émis aux premiers
temps de l’univers, et que nous avons antérieurement
présenté sous le nom de « rayonnement fossile » (C-8).
Quelle est l’origine du rayonnement cosmique ? Quelles
sont les sources de ces particules rapides ? Par quels processus
physiques sont-elles accélérées à ces vitesses prodigieuses ?
Nos réponses ici sont relativement rudimentaires et
insatisfaisantes.
Il s’agit vraisemblablement d’un ensemble d’événements
violents, de nature explosive, associés à la vie et à la mort des
étoiles. Dans les restes des supernovæ (la nébuleuse du Crabe,
par exemple), on observe un rayonnement bleu qui témoigne

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de la présence d’électrons rapides. Les particules éjectées par
la violence de l’explosion seraient accélérées par les champs
magnétiques en mouvement dans la galaxie.
Les phénomènes brusques qui se produisent à la surface du
Soleil (sursauts, protubérances, orages magnétiques, etc.) sont
souvent accompagnés d’émissions de faisceaux de particules
rapides qui se propagent dans tout le système solaire. Ces
éjections pourraient avoir pour cause des mouvements de
champs magnétiques dans les masses gazeuses des couches
superficielles de notre astre. Elles durent plusieurs heures et
présentent des dangers pour les cosmonautes en orbite, ainsi
que pour les systèmes de télécommunications.
On pense aussi, sans en avoir la certitude, que les trous
noirs massifs qui occupent la position centrale des galaxies
sont, indirectement, des sources de rayons cosmiques. Les jets
puissants qu’on observe souvent en provenance de ces régions
pourraient s’accompagner de mécanismes d’accélération des
particules de très hautes énergies.
Certaines particules du rayonnement cosmique, fort rares
d’ailleurs, possèdent autant d’énergie qu’une balle de golf
lancée par un joueur expert. On n’a, jusqu’ici, aucune
hypothèse réaliste quant à leur source ; ce point reste sans
réponse depuis plusieurs décennies. Pour les étudier, on met
aujourd’hui en chantier des batteries de détecteurs couvrant
des centaines de kilomètres carrés dans les pampas
argentines. Les résultats devraient commencer à nous
parvenir dans les prochaines années. Ils pourraient nous
donner des informations fondamentales aussi bien en

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astrophysique qu’en physique des particules.

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33

Tremblements d’étoiles

En analogie avec les tremblements de terre qui secouent


souvent notre planète, le Soleil et les étoiles sont sujets à de
grandes vibrations qui se propagent dans tout leur volume.
D’innombrables ondes sonores, étalées sur une vaste gamme
de fréquences, donneraient, si on pouvait les entendre,
l’impression qu’elles émergent d’un orgue gigantesque jouant
dans le registre plus puissant. Fort heureusement pour nous,
l’absence d’air entre le Soleil et la Terre ne leur permet pas
d’atteindre nos oreilles : nous en serions dangereusement
assourdis…
La source de ces ondes se situe près de la surface de
l’étoile, dans les couches supérieures, où la matière stellaire est
en intense ébullition. Cette région, appelée « zone
convective », est constamment agitée par le passage de la
chaleur dégagée du centre de l’étoile vers l’espace
interstellaire. Ces ondes se propagent dans tout le volume du
Soleil, certaines restant près de la surface, d’autres pénétrant
jusqu’au centre. En revenant vers la surface, elles agitent les
atomes qui émettent la lumière solaire, en font varier la
température et les longueurs d’onde (la couleur). L’intensité
lumineuse oscille alors avec des périodes voisines de cinq

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minutes. Au télescope, on enregistre ces variations de la
lumière en différents endroits de la surface solaire.
De même que l’observation des ondes sismiques de la
Terre nous permet d’ausculter les zones internes de notre
planète, ces oscillations solaires nous donnent de précieux
renseignements sur la constitution de notre étoile. En effet,
selon les milieux qu’elles traversent, ces ondes ne se
propagent pas à la même vitesse. Grâce à l’analyse détaillée
des variations de leur intensité, on connaît maintenant avec
une grande précision les profils de densité, de température, de
pression, de composition chimique et de champ magnétique de
notre astre, pratiquement jusqu’en son centre.
On a pu ainsi confirmer les modèles théoriques,
précédemment bâtis sur la seule base des observations de la
surface solaire, en y associant les lois de la physique.
Une nouvelle science est née, appelée « héliosismologie ».
Elle a joué un rôle de premier plan dans la résolution d’une
question qui se posait déjà, depuis plusieurs décennies, « le
mystère des neutrinos solaires ». La détection de neutrinos
solaires (C-57) montrait, en effet, un déficit important par
rapport aux prévisions des théoriciens : il en manquait plus de
la moitié. À présent, nous connaissons la cause de ce déficit : il
y a trois variétés de neutrinos et les télescopes neutriniques
n’en détectaient alors qu’une seule. Aujourd’hui, grâce à
l’héliosismologie, la physique solaire et la physique des
particules sont réconciliées.
On s’intéresse maintenant aux vibrations d’autres étoiles.
La situation est beaucoup plus difficile : on ne peut pas encore

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observer les détails de leur surface comme on le fait pour le
Soleil. Mais les projets progressent rapidement, et on peut
espérer avoir bientôt des renseignements sur leur structure
interne.

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34

Étoiles mortes

Dans la Voie lactée errent environ dix milliards d’étoiles


mortes. Une étoile sur dix a terminé sa vie et disperse
lentement les dernières chaleurs qui lui restent.
Les étoiles, rappelons-le, sont des sphères gazeuses
soumises à leur propre poids. Si elles ne s’effondrent pas sur
elles-mêmes, c’est parce qu’elles sont chaudes. La
température élevée de leur cœur engendre une pression
thermique qui s’oppose à l’effondrement. Les gaz chauds
émettent de la lumière qui parvient à leur surface et s’échappe
dans l’espace : elles brillent.
La lumière émise représente, pour l’astre, une perte
d’énergie. Les étoiles sont des réacteurs nucléaires qui
combinent les noyaux de leurs atomes légers et les
transforment en noyaux plus lourds. Avec le temps, les
réserves d’énergie que représentent ces atomes s’épuisent et
l’étoile atteint la fin de sa vie active. Elle ne produit plus de
chaleur et n’est donc plus en mesure de soutenir son propre
poids. Elle s’effondre sur elle-même.
Cet effondrement ne se poursuit pas indéfiniment. Il est
arrêté à un certain volume. Le Soleil, par exemple, verra son

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rayon passer d’un million de kilomètres (aujourd’hui) à
environ mille kilomètres (dans cinq milliards d’années). Il ne
sera alors pas plus gros que la Lune.
Qu’est-ce qui empêche la contraction de se poursuivre ?
C’est la physique quantique qui nous l’a appris. Il existe un
« principe d’exclusion », découvert par Wolfgang Pauli, qui dit
à peu près ceci : deux électrons de même vitesse ne peuvent
pas se trouver au même endroit en même temps. Plus
exactement, ils ne peuvent pas s’approcher en deçà d’une
certaine distance. Cet effet d’exclusion engendre, dans l’étoile,
ce que l’on appelle une « pression quantique », qui joue le
même rôle que la pression thermique auparavant. La
contraction s’arrête et le volume se stabilise.
L’étoile est devenue une « naine blanche » de quelques
milliers de kilomètres de diamètre. Nous en avons plusieurs à
proximité de notre Soleil, la plus connue étant la compagne de
Sirius, à huit années-lumière.
Tel est le sort prévu pour les petites étoiles comme le
Soleil. Pour les grosses, c’est différent. Le principe d’exclusion
s’applique aussi aux protons et aux neutrons, mais, à cause de
leurs grandes masses, la distance minimale d’exclusion est
environ deux mille fois plus faible que pour les électrons.
L’effondrement de ces étoiles, à leur mort, se poursuit jusqu’à
une nouvelle limite. On a alors une « étoile à neutrons » de
quelques dizaines de kilomètres de diamètre.
Pour les étoiles vraiment très massives, de plus de dix fois
la masse du Soleil, aucune pression, même quantique, n’est en
mesure d’arrêter la contraction. L’étoile devient un trou noir

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(C-28).
« Naines blanches », « étoiles à neutrons », « trous noirs »
sont les noms des cadavres stellaires qui hantent les
profondeurs des galaxies.

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35

Les pulsars

En 1967, une jeune astronome anglaise, Jocelyn Bell,


détecte des signaux bizarres dans une région du ciel. Au lieu de
la « friture » habituelle, elle reçoit une séquence très régulière
de bips, trente par seconde. Cela ressemble à du morse
ultrarapide, ou à de la TSF. S’agirait-il d’un message codé en
provenance d’une source céleste ? Une manifestation
d’extraterrestres depuis si longtemps attendue !
La séquence se poursuit, monotone : bip bip, avec
l’extraordinaire régularité d’un métronome céleste. Les petits
hommes verts manqueraient-ils de vocabulaire ? L’hypothèse
d’une émission par des extraterrestres ne tient plus… il faut
chercher ailleurs. On ouvre les vannes de l’imagination :
pourrait-il s’agir d’une étoile qui s’allumerait et s’éteindrait
trente fois par seconde ? On connaît déjà des étoiles, dites
variables, dont l’éclat change rapidement, qui faiblissent et
s’intensifient régulièrement, mais jamais à un tel rythme et
surtout pas avec cette stupéfiante régularité.
Étudiant, à cette époque, à l’université Cornell, aux États-
Unis, je me souviens du moment où l’un de nos enseignants,
Thomas Gold, nous avait présenté son hypothèse sur la nature
de ces étranges étoiles : « Qu’est-ce qui apparaît et disparaît à

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nos yeux la nuit avec une parfaite régularité, et pourtant ne
s’éteint jamais ?
— La lumière d’un phare ! »
Tournant sur elle-même, la source lumineuse balaie le ciel
et ses rayons rencontrent notre regard avec une parfaite
régularité. « Imaginons, disait Gold, une étoile qui n’émettrait
de la lumière qu’à partir de régions bien délimitées de sa
surface (contrairement au Soleil, par exemple, dont toute la
surface est lumineuse). Supposons que cette étoile tourne sur
elle-même à grande vitesse. Elle serait comme un phare
céleste et semblerait, à nos yeux, s’allumer, “bip”, chaque fois
que sa lumière rencontrerait les radiotélescopes ! »
L’idée fut acceptée avec enthousiasme… Aujourd’hui, nous
avons répertorié une centaine de ces astres intermittents que
nous appelons des « pulsars ». Certains pulsent près de mille
fois par seconde.
Un pulsar est une étoile de très petite dimension, quelques
kilomètres de diamètre à peine, appelée « étoile à neutrons ».
Il s’agit du résidu stellaire qui apparaît après la mort explosive
d’une étoile (supernova). Alors que ses couches supérieures
sont projetées avec violence dans l’espace, son noyau central
se contracte et se met à tourner à grande vitesse. Pour des
raisons que nous connaissons mal, seules les régions de ses
pôles magnétiques émettent encore de la lumière. D’où la
configuration de phare (à condition toutefois que, comme pour
notre planète, ses pôles magnétiques ne coïncident pas avec
l’axe de rotation).
Pour la petite histoire, rappelons que, pour cette

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découverte, le prix Nobel fut attribué non pas à Jocelyn Bell
mais à son patron, provoquant un mini scandale dont on parle
encore dans la communauté scientifique.

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36

Les exoplanètes

Le Soleil n’est pas la seule étoile à avoir des planètes en


orbite autour d’elle, à posséder un système planétaire. Cela, on
le soupçonnait depuis plusieurs siècles, sans toutefois en avoir
de preuves. Depuis une dizaine d’années, c’est chose faite. On
a détecté des planètes autour de près de deux cents étoiles
voisines du Soleil. La recherche se poursuit fébrilement autour
d’autres astres. Mais il semble maintenant acquis que le
phénomène « système planétaire » soit largement présent
dans l’univers.
Pourtant, de grandes surprises nous étaient réservées. La
configuration de ces systèmes planétaires à laquelle on
s’attendait, inspirée de notre système solaire, n’a, jusqu’ici, été
trouvée nulle part. Alors que, dans le nôtre, les planètes
géantes se situent loin du Soleil et, dans des régions qu’il
chauffe peu, les configurations de ces systèmes lointains sont
tout à fait différentes : des planètes géantes gravitent à
proximité de leur étoile là où, chez nous, on ne trouve que des
petites planètes comme Mercure et Vénus ! De surcroît,
toujours par rapport au nôtre, ces systèmes paraissent très
irréguliers. Loin d’être circulaires comme les orbites de nos
planètes, ces exoplanètes (c’est le nom qu’on leur donne)

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décrivent des parcours hautement elliptiques, qui les amènent
successivement très près, puis très loin de l’astre central.
La question se pose aujourd’hui de savoir si ces
caractéristiques sont communes aux systèmes planétaires de
notre galaxie et si le nôtre, tellement régulier, constitue une
exception, ou si c’est l’inverse. En effet, pour des raisons
d’ordre technique, il est plus facile de débusquer la présence
de grosses planètes, proches de leur étoile centrale, que de
petites, plus éloignées. On a observé, au départ de cette
recherche, des corps comparables à nos planètes géantes
(Jupiter, Saturne), des centaines de fois plus massives que la
Terre. La recherche d’objets de plus petite taille se poursuit
grâce à l’amélioration de la sensibilité des détecteurs. On a
récemment repéré des planètes à peine dix fois plus grosses
que la nôtre. Il paraît vraisemblable que, d’ici à quelques
années, on aura observé de telles planètes « terrestres ».
On admet généralement (mais peut-être à tort !) que la vie
telle que nous la connaissons ne pourrait se développer que
sur des planètes d’une taille comparable ou plus petite à celle
de la Terre. Mais comment pourrons-nous savoir si la vie est
apparue sur de tels corps célestes quand nous les aurons dans
notre champ d’observation ? Réponse : en analysant la lumière
que nous en recevrons.
Observée à distance, l’analyse de la lumière émise par nos
planètes solaires offre des indices caractéristiques. La Terre
est en effet la seule à montrer dans son spectre lumineux la
présence de molécules d’oxygène et d’ozone. C’est la vie
terrestre qui maintient ces molécules dans notre atmosphère.

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Si on les observe ailleurs, on aura de bonnes raisons de penser
que la vie y existe.

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3
___

HISTORIQUE

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37

L’Année Einstein

L’année 2005 a été baptisée « Année Einstein ». Elle


commémore en fait le centenaire de la théorie de la relativité
dans sa première version appelée « relativité restreinte ».
C’est en effet en 1905 qu’Albert Einstein l’a publiée. La théorie
de la « relativité générale » le sera douze ans plus tard.
Pour expliquer l’origine de cette théorie, je ferai appel à des
notions familières aux passagers des avions et surtout à leurs
pilotes : « vitesse par rapport au sol », « vitesse par rapport à
l’air ». La vitesse du vent mesurée par les instruments de
l’avion est plus élevée si celui-ci fonce contre le vent, et moins
élevée s’il a le vent « dans le dos ». C’est que la vitesse du vent
s’additionne à celle de l’avion dans le premier cas, et qu’elle
s’en soustrait dans le second. (Je précise qu’il s’agit ici de la
vitesse de l’avion par rapport à l’air.)
Si le vent atteint des dizaines ou des centaines de
kilomètres à l’heure, la lumière, elle, file à 300000 km/s.
Cette vitesse a été mesurée pour la première fois par Olaus
Römer à l’Observatoire de Paris au XVII e siècle. En analogie
avec l’avion qui vole contre le vent, on se posait au XIXe siècle
la question de savoir si la vitesse de la lumière était affectée

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par le mouvement de l’observateur. Est-ce qu’elle paraîtrait
aller plus vite quand on va dans le même sens que la lumière
ou plus lentement lorsqu’on va en sens inverse ?
On a tenté de répondre à la question en observant une
même étoile deux fois, à six mois d’intervalle (par exemple,
d’abord au mois de juin puis au mois de décembre). Pourquoi ?
Rappelons que la Terre se déplace dans l’espace sur une orbite
elliptique autour du Soleil, à 30 km/s. Si son mouvement est
dirigé dans la direction de l’étoile à un moment donné, six mois
plus tard, il sera dans la direction opposée. On s’attendait donc
à voir une différence de vitesse de 30 km/s en plus la
première fois, et de 30 km/s en moins la deuxième fois. Soit
une différence totale de 60 km/s.
On mesure. Résultat : zéro ! Aucune différence dans la
vitesse de la lumière quel que soit le moment de l’année où l'on
effectue l’évaluation.
Ce résultat paradoxal est resté inexpliqué pendant
quelques années. On a mis en cause la méthode d’observation,
la crédibilité des résultats. Rien n’y fit. Le mystère restait
entier.
Cette observation a joué un rôle majeur dans l’élaboration
de la théorie d’Einstein. Il s’est dit : « Quel message la nature
nous envoie-t-elle là ? Lesquels de nos préjugés, que nous
érigeons trop facilement en certitudes, faut-il remettre en
question ? »
La réflexion a porté ses fruits : c’est en réexaminant les
notions les plus fondamentales sur la nature même du temps
et de l’espace qu’il a pu résoudre le problème. Mais comment ?

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38

L’espace-temps

Rappelons que la vitesse de la lumière — c’est un fait avéré


— est la même pour tous les observateurs, quelle que soit leur
mouvement par rapport à la source de cette lumière. C’est en
acceptant ce résultat comme une donnée fondamentale de la
nature qu’Einstein a construit la théorie de la relativité
restreinte en 1905.
Pour y parvenir, il a remis en question les notions de temps
et d’espace que la communauté scientifique admettait comme
évidentes depuis trois cents ans, en fait depuis Galilée.
Quelles étaient ces notions incontestées ? D’abord que le
temps est le même pour tout le monde. Plus exactement, que
le taux de passage du temps, le rythme d’arrivée du futur
dans le présent, est le même quelles que soient les conditions
physiques dans lesquelles se trouve l’observateur (le
chronométreur) au moment où il effectue ses mesures. Une
sorte d’absolu identique pour tous.
L’espace bénéficiait d’un statut analogue : autre absolu. En
pratique, tous les géomètres, avec les mêmes appareils de
précision, devaient mesurer simultanément les mêmes
longueurs.

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Considérons, pour illustrer la situation, le contexte d’une
pièce de théâtre. Il y a d’abord la scène où l’action se passe, un
volume de x mètres cubes : c’est l’espace du théâtre. Il y a
aussi la durée de la pièce, disons deux heures : c’est le temps
du théâtre. Pendant la pièce, des acteurs se déplacent sur
scène et disent leur texte à un moment exactement prévu
dans le scénario.
L’univers d’avant Einstein est un grand théâtre dans lequel
des événements se passent quelque part à un moment donné.
Comme au théâtre, le temps et l’espace sont des entités
apparemment indépendantes.
Einstein découvre qu’on ne peut pas comprendre la
constance de la vitesse de la lumière si l’on maintient ce point
de vue. Il faut abandonner quelque chose. Il montre que si l’on
accepte que ces entités de temps et d’espace soient
intimement et inextricablement reliées, alors tout devient
clair.
Mais il faudra admettre alors que le temps ne passe pas à la
même vitesse pour tout le monde. Admettre que le rythme
d’écoulement du temps sur le rivage paraisse plus lent pour un
navigateur en mouvement que pour un observateur au repos.
Plus tard, Einstein montrera que le temps passe plus
lentement au fond des vallées qu’au sommet des montagnes
(on y est plus près du centre de la Terre et, en conséquence,
l’attraction de la Terre y est plus forte). Les différences sont
extrêmement minimes (quelques milliardièmes de seconde
par année), totalement indécelables par nos sens, mais
parfaitement mesurables grâce aux instruments de précision

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de la technique contemporaine. Elles ont été mesurées
plusieurs fois et les résultats confirment toujours parfaitement
les prévisions de la théorie d’Einstein…
Plusieurs auteurs se sont opposés à cette théorie au nom
du bon sens. Mais le bon sens doit s’incliner devant les faits.
Accepter la réalité telle qu’elle est, en science (et ailleurs…),
c’est le début de la sagesse.

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39

E = mc 2

C’est en modifiant sérieusement les notions d’espace et de


temps qu’Einstein a pu, en 1905, comprendre pourquoi les
mesures de la vitesse de la lumière donnent toujours la même
valeur, quelle que soit la vitesse de celui qui opère. Des
mathématiques qu’il a utilisées pour intégrer ces nouvelles
notions ont surgi une formule devenue universellement
célèbre : E = mc 2.
Mais que dit exactement cette formule ? D’abord, que la
masse est une forme d’énergie. On connaissait déjà l’énergie
thermique (la chaleur), l’énergie cinétique (celle qui est
associée au mouvement des corps), l’énergie chimique, etc. À
cette liste, Einstein en ajoute une autre : la masse elle-même.
Les énergies peuvent se transformer les unes dans les
autres :
— la chaleur peut produire du mouvement (dans le moteur
d’une voiture) ;
— l’énergie chimique peut produire de la chaleur (notre
nourriture nous tient chaud).
Einstein ajoute une autre possibilité : la masse peut se

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transformer en chaleur. C’est exactement ce qui se passe à
l’intérieur du Soleil comme à l’intérieur de toutes les étoiles de
l’univers. À chaque seconde, le Soleil perd quatre cents
millions de tonnes de sa masse (l’équivalent d’une colline
terrestre) qui devient de la lumière (énergie lumineuse). Sa
masse diminue d’autant. Mais comme, heureusement, elle est
très grande, le Soleil peut ainsi perdurer, et cela encore des
milliards d’années…
Dans le cas du Soleil, la masse devient énergie lumineuse.
Inversement, de l’énergie lumineuse peut devenir masse : en
laboratoire, on engendre des particules massives, des
électrons, par exemple, à partir de l’énergie lumineuse. Les
transformations se font aussi bien dans un sens que dans
l’autre.
Mais revenons à notre équation E = mc 2. C’est en quelque
sorte un bilan comptable. Comme un cours des devises dans la
vitrine des agents de change. Elle dit combien d’énergie
(lumineuse, thermique, cinétique) on obtient en échange d’un
gramme de masse. Reprenons l’exemple du Soleil : c’est avec
cette formule qu’on calcule que la lumière émise chaque
seconde par le Soleil équivaut à la perte de quatre cents
millions de tonnes de sa propre masse.
Cette formule a joué un rôle fondamental dans l’élaboration
de la physique nucléaire. Elle permet de dresser des bilans
corrects des phénomènes étudiés dans les accélérateurs de
particules. Mais elle ne se limite pas à la physique nucléaire.
Elle s’applique également dans un grand nombre de situations
de la vie courante. Ainsi, une comptabilité correcte et complète

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de ce qui se passe dans un feu de bois montrerait qu’elle décrit
fort bien, par exemple, la transformation de la matière
ligneuse en chaleur, en lumière et en fumée. Ajoutons
cependant que, dans ce cas, la fraction de masse perdue est
infime.
Cette équation fait partie de la moisson de résultats
fondamentaux obtenus par Einstein quand il a cherché à
comprendre pourquoi la vitesse de la lumière est la même
pour tous les observateurs.

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40

La vitesse de la lumière

« Rien ne peut aller plus vite que la lumière. » Voilà un


propos souvent répété et même érigé en principe Mais il faut
être très prudent avec les principes et ne pas les sortir de leur
contexte d’origine.
L’idée de la vitesse de la lumière comme une limite
infranchissable est une des conséquences de la théorie de la
relativité d’Einstein. Cette théorie montre que plus un corps
va vite, plus sa masse augmente, et plus il faut d’énergie pour
accroître sa vitesse.
Un phénomène semblable s’applique à la consommation
d’essence des voitures ; plus on roule vite, plus il faut d’énergie
et plus la consommation augmente. Pourtant, attention : cela
n’a rien à voir avec la relativité, seulement avec la technologie
automobile.
Revenons à la théorie d’Einstein. Quand la vitesse d’un
corps approche de celle de la lumière, l’énergie requise pour
l’accélérer davantage devient gigantesque. À la vitesse de la
lumière, elle deviendrait infinie. Or évidemment aucune
source d’énergie ne pourrait suffire. Seule la lumière atteint
cette vitesse, tout simplement parce que ses particules ont une

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masse nulle… En fait, la lumière ne peut qu’aller à cette vitesse
limite de 300000 km/s.
Dans plusieurs contextes, l’idée de vitesse de la lumière
comme vitesse limite n’est pas applicable. Un exemple très
simple : la vitesse de l’ombre d’un objet en mouvement. Si
l’écran qui reçoit cette ombre est assez loin de l’objet, celle-ci
peut atteindre une vitesse bien supérieure à celle de la
lumière. Mais cette ombre ne transporte aucune information.
C’est à ce titre qu’elle ne viole pas le principe de la vitesse
limite, lequel ne s’applique pas dans ce cas.
Nous avons abordé le sujet des vitesses des galaxies (C-7).
Les observations astronomiques montrent que plus les
galaxies sont éloignées, plus elles s’éloignent rapidement. Au-
delà d’une certaine distance — quelques dizaines de milliards
d’années-lumière —, elles atteignent la vitesse de la lumière.
Au-delà, elles vont encore plus vite, de sorte qu’elles nous sont
invisibles.
La théorie de la relativité est-elle prise en défaut ? Non.
Les mouvements des galaxies ne sont pas des mouvements au
sens ordinaire du mot. Elles ne se déplacent pas dans l’espace,
comme la Terre autour du Soleil, elles se déplacent avec
l’espace. C’est l’espace lui-même qui est en expansion et les
galaxies sont entraînées dans cet espace (C-5). Ainsi les
galaxies peuvent se déplacer les unes par rapport aux autres à
des vitesses relatives bien supérieures à celle de la lumière
sans violer la théorie de la relativité.
Plus exotique encore, la théorie de la relativité admet la
possibilité d’existence de particules très singulières dont la

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vitesse de la lumière serait une limite inférieure. Ces particules
appelées tachyons (le mol grec pour « vite ») ne pourraient se
déplacer qu’à des vitesses plus grandes que celle de la lumière.
On n’en a jamais observé. On ne sait pas si elles existent
vraiment. Il n’est pas impossible qu’un jour elles soient
détectées en laboratoire. Pourtant, l’idée même de leur
existence pose des problèmes assez troublants. Cela
supposerait implicitement que l’on puisse reculer dans le
temps, revenir en arrière, remonter dans le passé. Beau sujet
de science-fiction…
Conclusion : les principes de la physique ne doivent pas
être extrapolés d’autorité au-delà de leur domaine
d’application. Sinon, gare aux confusions !

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41

La possibilité d’une théorie de l’univers

L’histoire de la théorie de la relativité d’Einstein comporte


deux épisodes bien différents, publiés l’un en 1905, l’autre en
1917. Les chroniques précédentes ne concernaient que le
premier, celui de la relativité restreinte. Essentiellement parce
que cette théorie s’intéresse aux mouvements des corps dans
une région où les champs de gravité sont très faibles. Bien sûr,
nous vivons dans un champ de gravité provoqué par la
présence de la Terre sous nos pieds, mais, à l’échelle cosmique,
ce champ est si faible qu’on peut l’ignorer. Il n’en est pas de
même près de certains astres, des étoiles à neutrons ou des
trous noirs, où la gravité joue un rôle prédominant (C-27).
Dans ces contextes si différents de celui que nous vivons sur
Terre, la théorie de la « relativité générale » — dont nous
allons parler maintenant — s’applique admirablement.
Mais avant d’aller plus loin, revenons à la première théorie
de la gravité : celle de Newton au XVII e siècle qui a si bien
réussi à rendre compte du mouvement des planètes autour du
Soleil. Cette théorie de Newton est adéquate quand on
l’applique aux mouvements des corps dont la vitesse est bien
inférieure à celle de la lumière. Exemple : le mouvement de la
Terre autour du Soleil. Sa vitesse de 30 km/s est à comparer

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aux 300000 km/s de la lumière : elle est dix mille fois
inférieure.
Mais la théorie de Newton est complètement inapte à
décrire les mouvements des électrons à des vitesses voisines
de celle de la lumière dans un accélérateur. Il faut alors
impérativement utiliser la « relativité générale ». Déjà, quand
on étudie le mouvement de la planète Mercure autour du
Soleil (40 km/s), la théorie de Newton commence à montrer
ses insuffisances. L’explication correcte de l’orbite de Mercure
fut l’une des premières victoires de la « relativité générale ».
Profitons-en pour prendre en considération une remarque
importante : les progrès de la physique ne consistent
généralement pas en une négation simple des théories
préexistantes. On ne peut pas dire, dans le cas de Mercure :
« Newton avait tort et Einstein a raison. » Il s’agit plutôt d’une
extension du champ d’application d’une théorie physique. On
peut comprendre plus de choses avec Einstein qu’avec
Newton. Ainsi la théorie de Newton reste parfaitement valable
et utilisable pour les mouvements de faible vitesse par rapport
à celle de la lumière, mais, quand on veut étudier les
mouvements à grande vitesse, il faut la compléter par celle
d’Einstein.
En abordant la relativité générale, nous allons à nouveau
nous trouver dans une situation similaire. La « relativité
générale » est en fait une extension de la « relativité
restreinte ». Cette extension est rendue nécessaire quand on
considère les mouvements des objets plongés dans une région
où les champs de gravité sont considérables. Un de ses

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avantages pour l’astronome, c’est qu’elle permet d’étudier non
seulement les comportements d’astres particuliers, mais aussi
celui de l’univers entier, c’est-à-dire de l’ensemble des
galaxies qui sont soumises à la gravité qu’elles exercent les
unes sur les autres (C-18). Cette théorie est le socle sur lequel
repose la théorie du Big Bang…

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42

La tour de Pise

L’art du bon chercheur est, d’abord et avant tout, de


choisir les bonnes questions. Einstein y était passé maître.
Rappelons que la « relativité restreinte » est basée sur
l’acceptation du fait que la vitesse de la lumière est la même
pour tous les observateurs, quel que soit leur mouvement
propre. Einstein s’était demandé lesquelles de nos idées,
admises comme évidentes, il fallait remettre en cause pour
que ce fait apparemment insolite (la vitesse de la lumière est la
même pour tout observateur) devienne une évidence
incontournable.
Il y est arrivé en remettant en question le caractère absolu
des notions habituelles du temps et de l’espace. Il y a introduit
une notion de relativité. D’où le nom de la théorie. En fait, il a
introduit un nouvel « absolu » : l’espace-temps. En ce sens, on
peut regretter le nom de « relativité » donné à cette théorie. Il
est faux de dire que, d’après Einstein, « tout est relatif » !
La « relativité générale » résulte d’une démarche tout à fait
analogue : une réflexion sur l’expérience de Galilée au sommet
de la tour de Pise. On raconte qu’ayant laissé tomber
ensemble des boules de métal de masses différentes, il aurait
noté qu’elles arrivaient au sol exactement au même instant.

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Mais en quoi cette simultanéité était-elle étonnante ? Pourquoi
surprenait-elle et posait-elle question ?
C’est qu’a priori on pourrait penser que les boules les plus
lourdes arriveraient les premières. La force de gravité entre
les corps étant à la mesure de leur masse, on imaginerait
volontiers que les boules plus lourdes chuteraient plus
rapidement que les autres.
Mais, par ailleurs, on sait que plus les corps sont massifs,
plus il est difficile de les mettre en mouvement. Exemple : les
bicyclettes démarrent plus vite que les trains ! Cette propriété
des corps s’appelle l’« inertie », un mot qui décrit leur aptitude
(ou inaptitude) à se mettre en mouvement.
L’expérience de Galilée montre que l’inertie des grosses
boules compense exactement l’accroissement de la gravité
qu’entraîne leur masse. De sorte que toutes les boules, petites
ou grosses, arrivent en même temps. (En faisant, bien sûr,
abstraction de la résistance de l’air.) Einstein pressent que ce
fait, d’apparence anodine, cache une réalité beaucoup plus
profonde. Il se demande quel rapport il peut y avoir entre les
propriétés d’une boule particulière (sa masse, son inertie) et le
phénomène de la gravité universelle.
La réponse bouleverse la physique tout entière. Elle remet
en question la notion même de force de gravité au sens
habituel de cette expression.
Pour faire simple, voici ce que dit la théorie de la relativité
générale : la masse des objets modifie la géométrie de l’espace
autour d’eux. Cette déformation se manifeste sous la forme
d’une courbure locale de l’espace. Cette courbure influence les

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mouvements des corps existant dans cet espace. Un exemple :
la courbure de l’espace provoquée par la masse de la Terre
contraint la Lune (et tous les satellites artificiels) à tourner
autour de notre planète plutôt qu’à fuir vers les espaces
lointains. Cette courbure est la chaîne qui les retient
prisonniers. En fait, on peut exprimer la situation de la façon
suivante : la Lune se déplace sur des rails immatériels, courbés
par le champ de gravité terrestre, qui la ramènent sans fin sur
la même orbite.
Ainsi en est-il de la Terre et des planètes autour du Soleil.
Ainsi en est-il aussi de toutes les étoiles qui gravitent autour
du centre de notre galaxie et du trou noir qu’elle héberge.
Rappelons, pour faire un lien avec la cosmologie, la question
de la courbure globale de l’espace cosmique (C-13). L’analyse
du rayonnement fossile a montré qu’à l’échelle de l’univers
observable l’espace cosmique n’a pas de courbure.

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43

L’éclipse de Soleil de 1919

Au XVII e siècle, pour expliquer le mouvement des planètes


autour du Soleil, Newton a introduit la notion d’une « force à
distance ». Le Soleil attire la Terre située à cent cinquante
millions de kilomètres de lui. Cette notion avait été assez mal
reçue par les scientifiques de l’époque qui lui préféraient la
notion de « force par contact », chère à Descartes. Avec
Einstein, la notion même de force disparaît. C’est celle de la
déformation de la géométrie de l’espace par la présence de
corps massifs qui la remplace. La courbure de l’espace autour
du Soleil suffit à imposer à la Terre son mouvement orbital
annuel.
S’agit-il d’un simple jeu de l’esprit ? N’a-t-on pas
inutilement compliqué la situation en remplaçant le concept de
force par celui de déformation de la géométrie de l’espace ? Ce
qui compte, c’est l’efficacité de la théorie. Celle de Newton ne
peut pas expliquer le comportement de l’orbite de Mercure,
celle d’Einstein le peut. Cette notion d’efficacité est
fondamentale en science : on remplace une théorie par une
autre si celle-ci rend compte de plus de phénomènes
physiques que la première. À cette condition, on adopte un
formalisme nouveau, même s’il est plus compliqué que le

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premier.
Retournons maintenant à la tour de Pise où Galilée observe
le mouvement des boules métalliques de diverses masses qu’il
a laissées tomber. En quoi la nouvelle conception d’Einstein
explique-t-elle la simultanéité de leur arrivée au sol ? La
réponse est simple : si le mouvement des corps n’est pas relié
à leurs propriétés individuelles mais à la géométrie de l’espace,
on peut comprendre que toutes les boules qui se meuvent
dans cet espace se comportent de la même façon quelle que
soit leur masse respective.
Cette théorie d’Einstein a connu un grand succès de
popularité en 1919, lors d’une éclipse de Soleil. Le mouvement
de la lumière elle-même est soumis à la courbure de l’espace
imposée par les corps massifs. À partir de cette idée, Einstein
avait prévu qu’au moment où le Soleil allait disparaître
derrière le disque de la Lune on pourrait, dans le ciel obscurci,
voir des étoiles situées derrière le disque du Soleil. En effet, la
lumière de ces étoiles allait être déviée par la masse du Soleil
lors de son passage auprès de lui et ainsi être obligée à le
contourner et à nous parvenir.
Les observations de l’éclipse par l’astronome anglais
Eddington allaient confirmer cette prédiction. Ce succès,
annoncé dans les journaux du globe, donna à Einstein une
célébrité mondiale. On dit qu’en apprenant la bonne nouvelle
de la confirmation de sa théorie il n’en fut nullement surpris.
On a ici un bel exemple du processus scientifique mis en
œuvre dans toute recherche. Une théorie nouvelle, ici la
relativité générale, est confrontée à l’épreuve des faits. Les

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prédictions de la théorie sont confirmées par l’observation. Par
la suite, elle a remporté bien d’autres succès qui l’ont
hautement crédibilisée aux yeux des scientifiques.

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44

La réalité n’est jamais ni aussi compliquée ni


aussi simple qu’on croit…

La carrière d’Albert Einstein comprend deux périodes bien


distinctes : l’une extrêmement fructueuse, l’autre
pratiquement stérile.
La première va du début du XXe siècle jusqu’à 1925
environ. Il élabore les deux grandes théories de la relativité
qui vont bouleverser toute la physique et servir de fondement
à la cosmologie dans le cadre du Big Bang. Il énonce une
explication de l’effet photoélectrique, qui va jouer un rôle
important dans le développement de la physique quantique
(C-20). Il donne une interprétation du mouvement dit
brownien des particules dans un fluide, qui va confirmer la
théorie de la constitution atomique de la matière.
Par la suite, pendant les trente dernières années de sa vie,
il poursuivra un rêve qui s’avérera irréaliste : construire à
partir des connaissances de l’époque une théorie « ultime » de
la matière, écrire une équation unificatrice de tous les
comportements physiques.
Comment peut-on comprendre ce changement ? Il est
relié, je pense, à un aspect fondamental de la personnalité

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d’Einstein. Sa confiance illimitée en sa façon de voir le monde.
Il est profondément convaincu de la toute-puissance de la
rationalité. Pour lui, fidèle à la tradition philosophique installée
depuis deux millénaires par Pythagore, Platon, et plus
expressément énoncée par Galilée, le monde est totalement
compréhensible en termes de concepts, d’idées claires et de
mathématiques. Le principe de causalité règne en maître : une
cause provoque un effet, un effet est provoqué par une cause.
Le hasard n’est qu’un alibi de notre ignorance. Comme Simon
de Laplace, il croit que l’avenir est complètement déterminé.
De plus, il est convaincu de la « réalité du monde » au sens le
plus ordinaire du terme. Le monde existe objectivement, en
dehors de nos perceptions.
Ces convictions vont exercer sur lui une profonde influence.
Elles vont lui insuffler un dynamisme mental extraordinaire
qui va lui permettre de poursuivre les élaborations ardues de
son projet jusqu’à leur achèvement : modifier notre vision du
temps, de l’espace, de l’énergie et de tous les mouvements
provoqués par la force de gravité.
La théorie de la relativité explique d’une façon simple le
comportement de la matière soumise à la gravité. Les
anomalies de l’orbite de Mercure, les déviations de la lumière
et l’existence des trous noirs peuvent se dériver à partir d’une
équation fondamentale qui relie la courbure de l’espace à la
matière et à l’énergie qu’il héberge. Les mathématiques sont
complexes, mais l’idée qui les sous-tend est lumineusement
simple. Pourtant, ses efforts pour incorporer la physique
quantique à sa vision du monde se sont soldés par un échec.

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Paraphrasant Guy de Maupassant à propos de la vie, on
pourrait dire « la réalité n’est jamais ni aussi compliquée ni
aussi simple qu’on croit ».

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45

« Albert, cessez de dire à Dieu comment il


doit se comporter ! »

Nous poursuivons notre regard sur la carrière d’Einstein.


Rappelons qu’après ses premières décennies glorieuses où il
révolutionne la physique, jusqu’en 1925 environ, sa production
scientifique s’amenuise progressivement jusqu’à la stérilité des
dernières années.
La théorie de la relativité avait effectivement mis en
évidence l’existence d’une grande simplicité dans des
domaines que l’on croyait extrêmement compliqués. C’est
l’arrivée de la physique quantique, vers les années 1920-1930,
qui a changé la donne pour Einstein. Grâce à Bohr,
Schrödinger, Heisenberg et bien d’autres, le comportement
des atomes, des molécules et de la lumière dans cette théorie
trouve des explications hautement satisfaisantes. L’accord
entre les prédictions de la physique quantique et les résultats
en laboratoire est époustouflant. Einstein en est bien conscient.
Mais la théorie le laisse hautement insatisfait. D’abord, elle
incorpore une certaine dose d’aléatoire. Le hasard pointe son
nez. Il ne paraît plus être un simple alibi de notre ignorance. Il
est profondément incrusté dans le comportement de la

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matière.
Einstein, fidèle à la vision déterministe qui l’a porté si loin
dans son exploration du cosmos, persiste à penser que la
théorie quantique est transitoire. Qu’en creusant plus profond
on finira bien par se débarrasser du hasard quantique.
Il y travaille pendant trente ans. En vain. Il dira à Niels
Bohr : « Je ne peux pas croire que Dieu joue aux dés. » Et Bohr
lui répondra gentiment « Albert, cessez de dire à Dieu
comment il doit se comporter ! »
La physique quantique remet en cause la valeur d’une
autre de ses convictions : la réalité objective du cosmos. La
méthode utilisée pour observer la nature influence les
résultats obtenus. Force nous est d’admettre que l’idée d’un
monde extérieur à nous, indépendant de notre mode
d’exploration, n’est pas compatible avec les observations en
laboratoire. Quand Einstein, perplexe, dira à Bohr : « Ne me
dites pas que la Lune n’existe pas quand je ne la regarde pas »,
Bohr lui répondra, toujours gentiment : « Comment voulez-
vous que je le sache ? »
Le monde n’est pas aussi simple que l’a cru Einstein, les lois
de la physique ne déterminent pas complètement l’avenir. La
causalité ne se présente pas sous forme rigide : à chaque cause
correspond non pas un et un seul effet, mais plusieurs effets
possibles. Celui qui se réalisera ne peut pas être prévu par des
équations mathématiques. On peut tout au plus en calculer la
probabilité. Le futur n’est pas complètement inscrit dans le
présent.
Résumons-nous. Einstein possède des convictions

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profondes et inébranlables sur le comportement de la réalité
matérielle. Aussi longtemps que ces convictions
correspondront à la réalité, ses efforts seront extrêmement
fertiles et couronnés de succès éclatants. C’est la première
partie de sa carrière. Mais quand il abordera des territoires où
elles ne s’appliquent plus, ses efforts seront stériles. Il a bien
apprécié la simplicité inhérente à la réalité ; il a sous-estimé sa
toute aussi inhérente complication.

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46

Einstein et la cosmologie

La carrière d’Einstein a été intimement liée au


développement de la cosmologie contemporaine. Il y a
contribué d’une façon majeure. Mais, là aussi, la puissance de
ses convictions lui a parfois joué de mauvais tours.
Einstein croyait que l’univers est de dimension finie et
statique. C’est-à-dire éternel, sans début ni fin. Comme les
penseurs grecs de tendance apollinienne, il rejetait la notion
d’infini (C-2).
Quelle surprise pour lui quand il découvrit que les
équations de sa théorie semblaient impliquer la possibilité de
mouvements globaux dans l’univers ! Contraction, expansion :
les deux étaient possibles. Pour compenser ces mouvements et
stabiliser l’univers, il inventa un nouveau terme
mathématique qu’il appela la « constante cosmologique » (C-
20), qui allait être l’objet de nombreuses et surprenantes
péripéties. Peine perdue… Pour deux raisons : l’une
mathématique, l’autre astronomique.
La raison mathématique : la constante cosmologique
s’avéra impuissante à arrêter les mouvements globaux. La
raison astronomique : grâce à Edwin Hubble, on découvrit peu

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après les années 1920 que l’univers est effectivement doté
d’un mouvement global. Il est en expansion !
Vers 1928, Georges Lemaître, un chanoine belge, élabore la
théorie de l’atome primitif, l’ancêtre du Big Bang. Einstein
réagit mal. Il écrit : « Vos mathématiques sont correctes, mais
vos idées sont abominables. » Mais il s’inclinera plus tard
devant l’accumulation des observations. Il participera lui-
même à l’élaboration de la nouvelle cosmologie.
Nous avons là un nouvel exemple de la puissance
potentiellement positive et négative des convictions
préalables. Positive, parce qu’elle a amené Einstein à la
cosmologie. Négative, parce que, en persistant dans son idée
d’un univers statique, il avait refusé d’écouter le message de
ses équations. Il aurait pu prévoir l’expansion du cosmos dix
ans avant sa confirmation observationnelle. Einstein croyait à
la fois trop et pas assez à la puissance des mathématiques
quand elles sont appliquées à la réalité. De sa constance
cosmologique qu’il reniera plus tard, il dira : « C’est la plus
grande bévue de ma carrière. »
Malgré son désir d’en finir avec elle, la constante
cosmologique allait renaître plusieurs fois de ses cendres. On
l’invoque aujourd’hui pour rendre compte du fait que non
seulement l’univers est en expansion, mais que son expansion
est elle-même en accélération. Elle était en quelque sorte une
prémonition de l’existence de l’énergie sombre (C-18).

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47

L’équation de Dirac

Nous quittons maintenant le monde d’Einstein pour


aborder celui d’un autre grand physicien de notre époque :
Paul Dirac.
Replaçons-nous dans le contexte historique des années
1920-1930. Deux grandes découvertes viennent de
révolutionner profondément la physique : la théorie de la
relativité et la physique quantique. Les deux théories ont un
immense succès, mais chacune dans leur domaine.
Dirac, un physicien anglais féru de mathématiques, prend
conscience du fait que les équations de la physique quantique
et celles de la relativité sont incompatibles et même, à la
limite, contradictoires. Celles d’Einstein ignorent celles de la
physique quantique et vice-versa. Problème. Dirac se dit que
la réalité est une et que, selon toute logique, les équations qui
la décrivent devraient intégrer tous les aspects de ses
manifestations. Ces incohérences entre les deux théories
doivent être éliminées.
Il se propose alors d’écrire une équation plus générale qui
intégrerait à la fois les apports de la relativité restreinte et
ceux de la physique quantique. Avec beaucoup d’efforts, il y

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arrive. Son équation, appelée « équation de Dirac », est d’un
aspect hautement rébarbatif. Très sophistiquée, elle fait appel
à des formes de mathématiques bien peu familières à cette
époque. La réalité serait-elle si compliquée ? Dirac est
décontenancé.
Les solutions à cette équation promettent d’être très
difficiles à interpréter. Pourtant, un premier résultat semble
d’excellent augure. Il concerne le mouvement des électrons
dans les champs magnétiques (figure 5).
On savait déjà depuis quelque temps que les électrons sont
déviés quand ils traversent un champ magnétique. D’une façon
tout à fait imagée, on avait imaginé l’électron comme un petit
« aimant ». Plus précisément, comme une petite sphère
tournant rapidement sur elle-même, une représentation
miniature de la Terre, par exemple. Ce mouvement de
rotation d’une particule chargée, appelé « spin », était, dans
cette optique, responsable du mouvement particulier de
l’électron dans le champ magnétique. L’électron pouvant
tourner sur lui-même dans le sens des aiguilles d’une montre
ou dans le sens inverse, il pourrait être dévié dans deux
directions différentes.
Or l’équation de Dirac montre, et c’est là un premier grand
succès, que le spin est une propriété qui se déduit
naturellement de son équation. Il découle de l’intégration des
acquis de la relativité et de la physique quantique. Inutile
maintenant d’en postuler arbitrairement l’existence…
Précisons, pour ne pas trop simplifier les choses, que le spin
n’a rien à voir avec une rotation quelconque de l’électron… À

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ce niveau de réalité, il faut toujours se méfier des images
simplistes.
Ajoutons toutefois que la réunification accomplie par Dirac
ne touche que la théorie de la relativité restreinte, formulée en
1905 par Einstein. Elle ne s’applique que dans des contextes
où la force de gravité est absente, ou très faible (à la surface de
la Terre, par exemple). La réunification de la physique
quantique et de la théorie de la relativité générale (incluant
l’influence de la gravité) reste l’un des problèmes majeurs de
la physique contemporaine (C-66).

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48

La possibilité de l’existence de l’antimatière

De l’équation qu’il formula pour réconcilier la physique


quantique et la théorie de la relativité restreinte, Dirac dira
plus tard : « Mon équation est bien plus savante que moi. »
Non content de décrire le spin qui provoque la déflexion des
électrons dans les champs magnétiques, elle prédit l’existence
de l’antimatière.
L’existence de l’électron, particule légère possédant une
charge électrique négative, était connue depuis une trentaine
d’années. Dans son langage mathématique, l’équation de Dirac
annonce l’existence, en parallèle, d’une autre particule, sœur
jumelle de l’électron, en tout point semblable sauf sur un plan :
elle possède une charge électrique positive. On l’appellera
« positron » ou « antiélectron ». C’est là le premier
représentant d’une longue famille, à découvrir ultérieurement,
et qui constitue l’antimatière.
La question, bien sûr, se pose : cette particule existe-t-elle
vraiment dans la nature ou bien n’est-elle simplement qu’une
idée, un « être de raison » né des besoins de la logique
mathématique ? La réponse arrive deux ans plus tard. En
développant des plaques photographiques envoyées en ballon
dans la haute atmosphère pour y détecter la présence de

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particules rapides circulant dans l’espace, les « rayons
cosmiques » (C-32), on découvre la présence de traces
sombres, divergentes, laissées par le passage de deux
particules semblables, mais de charges opposées : un électron
et… un antiélectron (figure 5). Il existe vraiment !
On note aussi que, dans ces émulsions, les électrons et les
positrons apparaissent toujours ensemble. Ils forment ce que
l’on appelle une paire particule-antiparticule.
Résumons-nous. Dirac est convaincu que si la réalité
présente, au travers des équations qui la décrivent, des
apparences d’incompatibilités ou d’incohérences, c’est que les
théories sont incomplètes. À partir de cette conviction, il
montre que ces difficultés peuvent être aplanies et il reçoit
deux informations qui vont enrichir la physique et
l’astronomie :
— la première concerne une propriété des électrons déjà
connue : leur déflexion dans un champ magnétique (figure 5).
L’image trop simpliste d’une sphère chargée tournant sur elle-
même est remplacée par la notion d’une propriété intrinsèque
de l’électron, appelée « spin », dont l’existence dérive
automatiquement et sans imagerie de son équation ;
— la seconde information est, cette fois, entièrement
inattendue : la prédiction de l’existence d’une sorte de jumeau
de l’électron, mais de charge électrique positive (l’électron
ordinaire est négatif). Cette prédiction a été confirmée
quelques années plus tard. Elle a inauguré un nouveau
chapitre de la physique dont le sujet est le monde de
l’antimatière.

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49

La découverte de l’antimatière

La découverte de l’existence de l’antimatière provient au


départ des réflexions du physicien Paul Dirac, à la fin des
années 1930, dans un effort pour réconcilier la théorie
d’Einstein avec la physique atomique. L’antiélectron (électron
positif) a été observé pour la première fois en 1932 dans le
rayonnement cosmique (figure 5). À notre époque, on en
fabrique des milliards dans les accélérateurs de particules des
laboratoires de physique nucléaire.
On devait découvrir par la suite que cette gémellité n’est
pas confinée aux électrons. Chacune des particules
élémentaires possède son double. Les antiprotons, de charge
négative (les protons ordinaires sont positifs), furent détectés
en laboratoire dans les années 1950. On en fait également des
faisceaux d’une grande intensité qui servent à étudier les
propriétés de la matière atomique et nucléaire.
Aujourd’hui, en associant les antiprotons et les
antiélectrons, on fabrique des antihydrogènes, atomes tout à
fait semblables à l’hydrogène ordinaire, sauf que les charges
électriques du noyau (l’antiproton) et des particules orbitales
(les antiélectrons) sont inversées.

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Cette gémellité s’étend également aux neutrinos et aux
quarks (C-53 et C-56).
Propriété importante de la matière et de l’antimatière : les
particules et les antiparticules doivent obligatoirement se tenir
à distance pour perdurer. Si elles se trouvent au même endroit
au même moment, elles disparaissent immédiatement. On dit
qu’elles « s’annihilent ». En fait, elles se transmutent en
lumière ou en d’autres particules.
Ce phénomène dégage beaucoup d’énergie. Les masses des
particules se transforment en énergie lumineuse (rappelez-
vous : E = mc 2 !). En termes de particules, la paire s’est
transmutée en photons.
La lumière joue ici un rôle particulier. Les « photons » (les
grains de lumière) n’ont pas de jumeaux. Il n’y a pas
d’antiphotons. Plus exactement, on dit que les photons sont
leurs propres antiparticules.
On peut considérer la lumière comme formant un monde
intermédiaire entre la matière et l’antimatière. Une paire de
particules peut s’annihiler en lumière. Mais l’inverse est
également possible. De la lumière, on peut faire naître des
paires formées d’une particule et d’une antiparticule par un
phénomène appelé « création de paires ». Les deux
phénomènes, annihilation et création de paires, se produisent
en grande abondance aussi bien dans les accélérateurs
terrestres que dans les étoiles et les galaxies du cosmos.
Les premiers antiélectrons découverts en 1932
provenaient des collisions de rayons cosmiques dans les

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plaques photographiques envoyées dans la haute atmosphère.
Il s’agissait effectivement d’une création de paires dont les
partenaires s’étaient signalés par des traces différentes dans
les émulsions. Ils nous apprenaient par là une propriété qui
allait prendre par la suite une grande importance
cosmologique : la génération d’une antiparticule s’accompagne
obligatoirement de la génération de la particule
correspondante — un antiélectron est toujours associé à un
électron (figure 5).

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50

Où est passée l’antimatière ?

Nous poursuivons notre étude du monde étrange de


l’antimatière découvert théoriquement par le physicien Dirac
et confirmé par des expériences en laboratoire.
La matière et l’antimatière se révèlent à nous comme deux
mondes parallèles avec des propriétés très semblables,
différant par les charges électriques (ou d’autres propriétés)
des particules qui les constituent. Ainsi, comme nous l’avons
vu, les électrons ont des charges négatives, tandis que les
antiélectrons sont positifs.
La nature semble pourtant avoir privilégié la matière par
rapport à l’antimatière. Tout, autour de nous, est matière.
L’antimatière est extrêmement rare. On en fabrique à grands
frais dans les accélérateurs ; on en trouve des quantités
infimes dans le rayonnement cosmique (C-32) qui circule
entre les planètes et les étoiles.
Cette différence entre les populations des particules et des
antiparticules devient particulièrement surprenante quand on
prend en considération le fait qu’en laboratoire ces paires sont
toujours engendrées ensemble. À toute génération d’électron
correspond la génération d’un antiélectron. S’il en est ainsi en

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laboratoire, on a toutes les raisons de penser qu’il en a été ainsi
lors des réactions à haute température des débuts du cosmos
(C-22) qui ont créé les électrons de la nature, ceux de notre
corps comme ceux des étoiles. Comment expliquer alors
l’extrême rareté de l’antimatière par rapport à la matière
ordinaire ?
Reconnaissons d’abord que nous n’avons, à ce jour, aucune
réponse satisfaisante à cette question. Elle reste une des
énigmes de la cosmologie actuelle. Pourtant, nous avons une
ébauche de scénario que nous devons au physicien Sakharov,
célèbre pour ses démêlés avec les dirigeants de l’ex-URSS.
Dans l’immense chaleur du Big Bang, les réactions de création
et d’annihilation de paires, semblables à celles que nous
provoquons en laboratoire, étaient omniprésentes et
innombrables. En conséquence, aux premiers temps de
l’univers, les populations de particules de matière et
d’antimatière devaient être strictement égales.
Pourtant, au cours du refroidissement, pendant les
premières microsecondes du cosmos, des phénomènes appelés
« transitions de phase » se sont produits qui ont eu beaucoup
d’effets sur l’évolution ultérieure. Ils ont engendré un peu plus
de matière que d’antimatière, une infime différence de
population favorisant la matière sur l’antimatière : un milliard
et une particule de matière pour chaque milliard de particules
d’antimatière. Mais cette différence, provoquée par l’existence
d’une légère dissimilitude dans le comportement de la matière
et de l’antimatière, allait jouer plus tard un rôle fondamental.
Telle fut la situation jusqu’à la première seconde du

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cosmos. Alors la matière, refroidie par l’expansion, n’était plus
assez chaude (n’avait plus assez d’énergie thermique) pour
engendrer de nouvelles créations de paires. Ce phénomène est
en effet très coûteux en énergie puisqu’il faut créer la masse
des particules de la paire (E = mc 2 !!). A l’inverse, les
annihilations de paires, qui, elles, n’exigent pas d’énergie mais
au contraire en dégagent beaucoup, continuaient à se produire.
Ainsi, par la suite, chaque particule d’antimatière a pu se
trouver un partenaire de matière et s’annihiler avec lui.
L’antimatière a disparu de l’univers à cette période. C’est
pourquoi on n’en trouve plus. Mais, et c’est là le point crucial,
le minuscule surplus de matière produit auparavant n’a pas pu
trouver de partenaire pour s’annihiler. Il est donc demeuré
intact. Et c’est de ce petit surplus que notre univers est formé.
Sans lui, notre univers ne contiendrait aujourd’hui que de la
lumière. Donnons un coup de chapeau aux « transitions de
phase » qui ont provoqué ce petit supplément !

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51

L’antimatière comme instrument de


connaissance

Notre univers contient donc à la fois de la matière et de


l’antimatière, mais les quantités respectives de ces deux
composantes dans la nature sont excessivement différentes.
La matière est omniprésente alors que l’antimatière n’existe, à
notre connaissance, que dans nos laboratoires et dans le
rayonnement cosmique qui circule entre les étoiles. On assigne
cette différence à des phénomènes qui se sont passés aux
premiers instants de l’univers. Mais la cause de ces
phénomènes reste encore largement inexpliquée.
La matière et l’antimatière ne peuvent pas coexister au
même endroit. Elles s’annihilent alors en lumière. D’où un
problème majeur pour les physiciens qui fabriquent de
l’antimatière en laboratoire : comment la conserver ? Il faut
impérativement tenir les antiparticules à distance des
particules de matière ordinaire. Sinon elles disparaissent
instantanément.
La recette consiste à les produire dans des enceintes qui
ont été préalablement évidées d’air. Et ensuite de les
empêcher d’en atteindre les parois en les confinant au moyen

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de puissants champs magnétiques. On fabrique d’immenses
tubes circulaires appelés « anneaux de collisions » dans
lesquels particules et antiparticules circulent séparément. Le
plus grand anneau, situé à Genève au Centre européen pour la
recherche nucléaire (CERN), atteint dix-sept kilomètres de
diamètre.
Le but de ces expériences est de précipiter ces
antiparticules, préalablement accélérées à de très hautes
énergies (milliards d’électronvolts), sur des cibles de matière
pour observer les effets de ces collisions. Ainsi on a pu voir
apparaître des quantités de particules inconnues jusqu’alors.
L’étude des propriétés de ces objets nous a permis de faire
d’immenses progrès dans notre connaissance de la matière.
Des accélérateurs toujours plus puissants sont en préparation
dans différents pays pour aller encore plus loin dans ce projet.
Rappelons que l’annihilation d’une paire particule-
antiparticule dégage beaucoup d’énergie. À peu près cent fois
plus d’énergie, par unité de masse, que les réactions nucléaires
d’une bombe atomique. Pourrait-on utiliser ce mode d’énergie
à des fins civiles ? Y a-t-il là un espoir de solution de nos
problèmes énergétiques à l’échelle planétaire ?
Le problème, c’est qu’il faut d’abord engendrer
l’antimatière ! Contrairement à l’uranium de nos réacteurs,
elle n’existe pas dans la nature qui nous entoure. Il faut mettre
en opération des accélérateurs de haute énergie, capables de
provoquer des collisions de particules chargées. L’antimatière
fournirait au mieux un moyen de stockage de l’énergie. De
toute façon, le coût de l’opération a vite dissuadé les autorités

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civiles et militaires qui auraient pu s’y intéresser.

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4
___

ATOMIQUE

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52

Atomes

Que se passe-t-il si l’on essaie de couper une pièce de fer en


morceaux toujours plus petits ? Est-ce que les fragments
obtenus sont encore et toujours du fer ? Ou bien, est-ce que,
en deçà d’une certaine taille, ce n’est plus du fer ? Voilà des
questions qui ont hanté les premiers philosophes de la nature.
Nous devons la notion d’atome à Démocrite et à Lucrèce.
Les atomes seraient, selon leurs inventeurs, des corpuscules
indivisibles : la plus petite réalité de la matière. Ce sont leurs
différents agencements qui rendent compte de l’apparence et
des propriétés de toutes les substances de la nature.
Les chimistes des siècles derniers ont vérifié la valeur de
cette intuition. L’eau, par exemple, est composée d’atomes
d’hydrogène et d’oxygène qui n’ont pas, individuellement, les
mêmes propriétés que celles de leur combinaison en eau. Tout
au long des XVIII e et XIXe siècles, on a répertorié une
centaine d’atomes différents. Citons-en quelques-uns pour
mémoire : hydrogène, carbone, oxygène, mais aussi fer et or.
Leurs innombrables combinaisons forment toutes les objets
existants, des grains de sable aux galaxies.
Mais les atomes existent-ils vraiment, au sens littéral du

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mot, ou ne s’agit-il que d’une imagerie commode pour la
compréhension de phénomènes observés à notre échelle ?
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, de grands esprits comme Ernst et
Nietzsche rejetaient leur existence réelle.
Ce n’est qu’au début du XXe siècle, en particulier grâce aux
travaux de Jean Perrin, que la réalité des atomes comme
corpuscules individuels s’impose définitivement. L’idée de ses
expériences est simple et astucieuse. Il dénombre les atomes
dans un volume déterminé de matière, disons, par exemple,
dans un centimètre cube d’eau. L’estimation peut se faire de
nombreuses façons, toutes différentes, qui donnent toujours, à
peu de chose près, le même résultat. Une telle concordance ne
pourrait se concevoir si elle ne correspondait pas à la réalité.
Le mot atome, il faut ici le mentionner, veut dire
littéralement « insécable ». En grec, atomos est formé du mot
tomos (couper), précédé du a privatif : que l’on ne peut pas
couper. L’atome est une sorte d’ultime réalité, de particule
élémentaire qui ne serait pas elle-même composée de parties
plus infimes.
Tout allait profondément changer au XXe siècle.
À scruter les atomes plus à fond, on arrivera à les
décortiquer. Ils comportent un noyau central entouré
d’électrons orbitaux. On peut leur enlever leurs électrons et
laisser leur noyau à nu. Celui-ci, soumis à l’observation,
montre qu’il est lui-même composé de particules : des protons
et des neutrons que l’on peut extraire séparément. Avions-
nous trouvé là les véritables atomes dont rêvaient les Grecs :
les corpuscules irréductibles ?

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53

Protons et quarks

Le mot « proton » dérive du grec protos, qui veut dire


« premier ». Vers les années 1950, les physiciens croyaient
avoir enfin trouvé là le corpuscule ultime de la réalité : la vraie
« particule élémentaire ».
Quand j’étais étudiant aux États-Unis, George Gamow, un
des pères du Big Bang, avait annoncé pendant un cours de
physique qu’il était prêt à parier la moitié de sa fortune sur
l’insécabilité du proton. Intimidés par le prestige de ce
chercheur, nous n’avons pas osé prendre le pari. Nous avons
eu tort ! Fils d’une famille émigrée de Russie au moment de la
révolution de 1917, Gamow était très riche… Quelques années
plus tard, les quarks détrônaient les protons.
Un quark est une particule qui ne supporte pas la solitude.
Il doit toujours être entouré d’autres quarks. Plus on cherche à
l’éloigner de ses voisins, plus la force qui les attire augmente ;
impossible de les isoler.
En bombardant un proton avec des électrons rapides, on
voit apparaître dans son volume trois taches distinctes. Si l’on
associe cette observation à d’autres phénomènes, on parvient
à déterminer les propriétés des quarks. Ils possèdent des

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charges électriques qui correspondent à un ou deux tiers de
celle de l’électron. À chaque quark correspond un antiquark.
Il y en a diverses variétés. On les distingue par leurs
« saveurs » et leurs « couleurs ». Il y a six saveurs différentes
auxquelles on a donné les noms suivants : u comme up, d
comme down, s comme strange (étrange), c comme charmed
(charmé), t comme top (sommet), b comme bottom (bas). Et
trois couleurs : bleu, vert, rouge. Ajoutons que ces qualificatifs
n’ont aucun rapport avec le sens usuel des mots « saveurs » et
« couleurs » : ce sont des termes conventionnels pour
différencier les variétés de quarks.
Dans la nature, les quarks existent en triplets ou en
couples. Le proton est composé de deux quarks u et d’un
quark d, le neutron de deux quarks d et d’un quark u. Les
couples de quarks, appelés mésons, sont des particules de
brève durée que l’on fabrique dans les accélérateurs.
Le quark serait-il alors enfin la véritable et insécable
particule élémentaire recherchée depuis si longtemps ?
Assagis par les désillusions antérieures au sujet des atomes et
des protons, les physiciens sont devenus plus prudents et,
aujourd’hui, aucun ne proposerait le pari de Gamow !

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54

Électrons

Tout comme le mot « électricité », le mot « électron »


dérive du mot grec elektron, qui désigne l’ambre jaune. On
avait remarqué depuis longtemps la propriété qu’a cette
résine d’attirer les corps légers quand on la frotte. La
découverte de l’électron par le physicien anglais Joseph James
Thompson remonte à 1897. C’est l’analyse des éléments
chimiques et de leurs réactions qui en a révélé l’existence.
Les électrons sont des particules légères : environ deux
mille fois plus légères que les protons. Ont-ils un volume ?
Contrairement aux protons dont on a pu déterminer le rayon
(un milliardième de micron), aucune observation n’a pu
déceler la présence d’un volume mesurable chez un électron.
Peut-on parler à son sujet d’une particule de dimension nulle ?
C’est à voir. Il faut dire que, dans des espaces aussi restreints,
la notion de dimension est brouillée par la physique quantique.
Disons qu’à toutes fins pratiques les électrons se comportent
comme des points massifs. Comme les quarks d’ailleurs.
Au sein des atomes, les électrons sont en orbite autour du
noyau composé de protons et de neutrons.
Mais attention, la similitude des mouvements des électrons

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avec ceux des planètes est trompeuse. Il ne s’agit pas d’un
simple modèle réduit. Les lois qui régissent le microcosme et
celles du macrocosme sont bien différentes…
Le nombre d’électrons autour d’un atome en détermine la
nature ; l’hydrogène n’en a qu’un seul ; l’uranium en a quatre-
vingt-douze. Tous les éléments chimiques sont compris entre
ces deux extrêmes (sauf quelques noyaux plus lourds encore,
mais extrêmement instables).
Si on augmente la température, l’atome perd
progressivement ses électrons. On dit qu’il « s’ionise ». On
peut ainsi extraire les électrons des atomes, les isoler et en
faire des faisceaux. Ces faisceaux projetés sur des cibles
appropriées servent à étudier la structure de la matière sous
toutes ses formes.
Les électrons et les photons ont une intime parenté.
Des électrons en mouvement émettent des photons.
L’absorption de photons par des électrons peut les mettre en
mouvement. C’est ce qui se passe dans les antennes
émettrices ou réceptrices. Votre antenne de radio reçoit des
ondes composées de photons provenant de la chaîne que vous
écoutez.
La physique inscrit les électrons, les quarks et les neutrinos
sur la liste des particules élémentaires. Elle les considère, à
toutes fins pratiques, comme des êtres « irréductibles », c’est-
à-dire non composés d’éléments en lesquels on pourrait les
séparer. Mais après les déconvenues des recherches
antécédentes (l’atome peut être cassé, le proton n’est pas
« premier »…), les physiciens restent prudents. Pour casser

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une particule (si elle est cassable…), il faut utiliser un marteau
très puissant. C’est-à-dire la bombarder avec des bolides
d’une grande énergie. Les accélérateurs contemporains n’y
suffisent pas. Nous attendons des instruments plus
performants (par exemple, au CERN à Genève) pour en avoir
le cœur net. Nous saurons peut-être alors si les électrons et les
quarks sont de vraies particules élémentaires ou si, au
contraire, il faut poursuivre plus loin la recherche de ces
éventuelles entités ultimes…

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55

Les photons et la lumière

Nous poursuivons notre inventaire des constituants de


notre cosmos. Après avoir décrit les neutrinos et les quarks,
nous évoquerons ici des particules de lumière : les photons.
La nature de la lumière est longtemps restée mystérieuse.
Elle possède des propriétés qui semblent contradictoires :
— d’une part, à partir d’une source, la lumière se propage
comme une onde, à l’image des cercles concentriques quand on
jette un caillou dans l’eau. Les colorations de l’arc-en-ciel, les
teintes des bulles de savon et des taches d’huile sur l’eau
s’expliquent à partir de ce caractère ondulatoire ;
— mais, en d’autres circonstances, la lumière se comporte
comme les balles d’une mitrailleuse. Elle exhibe alors un
caractère granulaire, montrant des particules que l’on appelle
photons. Ces photons peuvent être détectés et comptés un par
un.
Alors : onde ou corpuscule ?
Grâce à la physique quantique, nous disposons aujourd’hui
d’une théorie parfaitement satisfaisante du comportement de
la lumière. Elle rend compte de sa double personnalité, à la fois
ondulatoire et granulaire, même s’il est impossible de nous en

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faire une image. Mais il n’est peut-être pas étonnant que des
phénomènes relatifs à des échelles si éloignées de nos
perceptions habituelles persistent à nous paraître étranges.
Les photons sont des particules de masse nulle. Ils se
meuvent — comme on peut s’y attendre — à la vitesse de la
lumière. Les photons du rayonnement fossile (figure 2) ont
voyagé près de quatorze milliards d’années avant d’être
absorbés dans nos détecteurs. Pendant toute la durée de
l’histoire du cosmos (Big Bang, naissance des galaxies,
formation du système solaire, évolution de la vie sur la
Terre…), ils filaient droit devant eux, imperturbables, affectés
seulement par l’expansion de l’espace, qui réduisait
progressivement leur énergie.
Les photons ont un curieux rapport au temps. On peut dire
que, pour eux, le temps n’existe pas. Si on pouvait leur
attacher un chronomètre, on découvrirait qu’entre le moment
où ils sont émis (leur apparition dans le cosmos) et le moment
où ils sont absorbés (leur disparition), il ne s’écoule aucun
temps (durée zéro). Ce phénomène se retrouve chez toute
particule voyageant à la vitesse de la lumière. C’est la théorie
de la relativité d’Einstein qui nous l’a révélé.
L’onde lumineuse est caractérisée par une longueur d’onde
qui spécifie l’énergie du photon qui lui est associé. Cela va du
kilomètre pour les ondes radio au nanomètre (millionième de
millimètre) pour les rayons gamma. À mi-chemin environ
(autour du micron), on trouve la lumière visible à nos yeux :
toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. L’espace interstellaire et
intergalactique est rempli de photons de toutes énergies. Il y

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en a environ cinq cents par centimètre cube. La plupart
viennent directement du Big Bang ou, mais en quantités
moindres, des milliards d’étoiles réparties dans les milliards de
galaxies.
Le cosmos est loin d’être vide…

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56

Neutrinos : l’intuition de Wolfgang Pauli

Nous allons aborder maintenant le monde des neutrinos.


Ces particules, inconnues jusque dans les années 1930, sont
présentes aujourd’hui dans toute la physique et
l’astrophysique. Elles existent en grand nombre dans tout
l’univers et jouent un rôle important dans la dynamique des
phénomènes cosmiques. L’observation des neutrinos nous
permet d’appréhender de nouveaux aspects de notre univers.
L’idée même de l’existence de cette particule est née dans
le cerveau d’un physicien génial, Wolfgang Pauli. Les
physiciens étaient alors confrontés à un problème difficile posé
par la désintégration des neutrons. Les neutrons sont, avec les
protons, les constituants des noyaux atomiques. Extrait de son
noyau et abandonné à lui-même, le neutron disparaît en vingt
minutes environ. Que devient-il ?
Les premières observations laissaient voir à sa place un
proton et un électron, débris en quelque sorte de sa
constitution. Pourtant, quelque chose paraissait faire
problème : la somme des énergies associées à chacune de ces
particules résiduelles était inférieure à l’énergie du neutron. Le
principe de la conservation de l’énergie (rien ne se perd, rien
ne se crée…) semblait pris en défaut. Fallait-il contester le

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caractère prétendu absolu de ce principe ? Fallait-il admettre
qu’en certains cas ce principe puisse être violé ? Après tout,
pourquoi pas ?
Pourtant, dans un ultime effort pour sauvegarder cette loi
si chère et si commode aux physiciens, Pauli avance une
hypothèse téméraire : et s’il y avait aussi une troisième
particule, mais indétectable par les techniques de l’époque ? Et
si cette particule emportait avec elle l’énergie manquante dans
le bilan ? Le principe serait sauvé ! Que pouvait-on dire de
cette particule hypothétique ? D’abord, qu’elle devait avoir
une très faible masse (le déficit d’énergie était quand même
faible). Ensuite qu’elle ne devait pas être électriquement
chargée. Sinon on l’aurait observée ! Cette particule se
présentait comme une sorte de petit neutron que l’on baptisa
« neutrino ».
Victoire de l’analyse théorique, les neutrinos furent
détectés quelques années plus tard au voisinage des réacteurs
nucléaires. On en fabrique maintenant des faisceaux de grande
intensité. En les projetant sur des cibles choisies, on les utilise
pour analyser la constitution intime de la matière. On sait
aujourd’hui qu’il en existe trois variétés avec des propriétés
différentes.
Et tout cela à partir d’une particule inventée pour sauver le
sacro-saint principe de la conservation de l’énergie ! Lavoisier
avait vu grand le jour où il a énoncé ce principe.

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57

Des neutrinos en provenance du Soleil

Les neutrinos sont des particules très discrètes. Ils


interagissent très peu avec les atomes. Il est possible de s’en
faire une idée en les comparant aux particules de la lumière,
les photons. Un simple abat-jour en carton suffit à diminuer
considérablement le flux lumineux (donc de photons) d’une
lampe. Pour obtenir le même résultat avec une source de
neutrinos, il faudrait interposer un écran de plomb de
plusieurs années-lumière d’épaisseur. Cette « discrétion » est
à la fois un avantage et un inconvénient.
Avantage : parce que, ainsi, les neutrinos nous donnent des
renseignements sur des lieux d’où nulle autre particule ne
peut nous parvenir (étant absorbée en cours de route).
Inconvénient : parce que, du même coup, ils sont
extrêmement difficiles à détecter. Les mesures nécessitent
une instrumentation très sophistiquée et de très grande
dimension. Nous comptons aujourd’hui une dizaine de
télescopes à neutrinos en opération sur la planète. Plusieurs
autres sont en construction.
Des neutrinos sont émis par des réactions nucléaires dans
les laboratoires. Ils ont été détectés pour la première fois en

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1956. Quelques années plus tard, la détection de neutrinos en
provenance du Soleil a été un grand moment de l’astronomie.
Elle apportait une réponse définitive à la question : d’où le
Soleil tire-t-il son énergie ? Les travaux des théoriciens
avaient montré que, selon toute vraisemblance, des réactions
nucléaires dans le cœur torride des astres en étaient la source.
Là, on en avait la confirmation expérimentale ! Ces neutrinos
en fournissaient la preuve.
Le Soleil nous inonde de ces particules. À chaque seconde,
quarante-cinq milliards de neutrinos, en provenance de notre
étoile, traversent notre corps sans que nous en ressentions le
moindre effet. Gage de leur immense discrétion. On observe
en permanence le flux de neutrinos qui arrive de l’astre solaire
(figure 6) et qui nous donne accès à son cœur même, alors que
la lumière reçue par les télescopes optiques ne provient que de
sa surface. En combinant ces techniques, nous avons
maintenant une connaissance précise de l’état de la matière
(température, pression, composition chimique, champ
magnétique) dans tout le volume du Soleil.
Comme lui, les étoiles émettent de grandes quantités de
neutrinos. Les flux sont particulièrement intenses lors de
l’explosion (C-34) qui marque la mort des étoiles massives
(supernovæ). En 1987, une supernova d’une grande brillance
optique (trente millions de fois la luminosité du Soleil) a éclaté
dans le Grand Nuage de Magellan, une petite galaxie située à
cent soixante-dix mille années-lumière. Cet événement a été
accompagné d’un puissant jet de neutrinos que nos
instruments ont repéré. Les observations combinées de ces

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particules et de la lumière-(photons) nous ont permis
d’étudier ce phénomène comme jamais on n’avait pu le faire
auparavant.

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58

L’astronomie des neutrinos

La détection de neutrinos en provenance du Soleil a


confirmé l’origine nucléaire de l’énergie des étoiles. Sous l’effet
de la chaleur des cœurs stellaires (des dizaines de millions de
degrés), l’hydrogène se transforme en hélium. Les réactions
nucléaires qui provoquent cette mutation émettent de
puissants flux de neutrinos. Connus pour leur discrétion (ils
laissent très peu de traces de leur passage), ils nous
parviennent directement depuis le cœur du Soleil. Mais,
contrairement à la lumière de l’astre, ils traversent sans
difficulté le volume rocheux de notre planète. Résultat : le
Soleil neutrinique ne se couche jamais et ces particules nous
parviennent de nuit comme de jour.
Ici réside un espoir futur pour la géologie. Les flux diurnes
et nocturnes de neutrinos en provenance du Soleil ne sont pas
exactement égaux. Il n’est pas encore possible d’en estimer la
différence, vraisemblablement extrêmement faible, mais
l’amélioration continuelle des techniques laisse prévoir que l’on
y arrivera bientôt. En nous permettant d’évaluer l’effet de la
substance terrestre interposée entre le Soleil et nos détecteurs
pendant la nuit, ces mesures nous renseigneront sur les
conditions physiques à l’intérieur de notre planète. Une sorte

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d’échographie d’un des lieux les plus mal connus de notre
univers.
La détection des neutrinos en provenance du Soleil nous a
également fourni un renseignement d’une grande importance :
notre astre est fait, comme nous, de matière et non pas
d’antimatière. Comme les électrons et les protons, les
neutrinos ont leurs antiparticules : les antineutrinos (C-49). Ce
sont eux qu’un Soleil d’antimatière projetterait. Or les
évaluations maintenant nombreuses et détaillées des
émissions solaires montrent qu’il s’agit de neutrinos, indiquant
par là même que le Soleil est bel et bien fait de matière. Nous
le supposions déjà, mais, en science, les confirmations ne sont
jamais de trop…
Ainsi en est-il des neutrinos émis par la supernova de 1987
dans le Grand Nuage de Magellan. Ces détections nous
suggèrent que l’univers est composé de matière et non pas
d’antimatière, au moins dans notre proche espace galactique.
Nous avons des raisons de penser que cette prédominance de
la matière sur l’antimatière s’étend, en fait, à tout l’univers
observable.
Selon la théorie du Big Bang, il doit exister dans le cosmos
un rayonnement fossile de neutrinos, analogue à celui des
photons découvert en 1965. Il porterait la trace d’événements
qui se sont produits pendant les premières secondes de
l’univers (C-10).
Contrairement au flux émanant du Soleil, ce rayonnement
contiendrait la même quantité (à très peu de chose près) de
neutrinos et d’antineutrinos. Leur énergie, un milliard de fois

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plus faible que celle des neutrinos solaires, les rend beaucoup
plus difficiles à détecter, au point qu’aucune technologie
actuelle n’est encore capable de le faire. On peut cependant
espérer que des progrès techniques nous le permettront dans
les décennies à venir. Leur détection confirmerait
magnifiquement la valeur de la théorie.

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59

La force de gravité

Au cours des chroniques précédentes, nous avons


inventorié les différentes particules qui constituent ce que l’on
appelle la matière ordinaire — pour la distinguer de la matière
sombre précédemment décrite et dont nous ignorons la
composition (C-16). Nous avons parlé des photons, des
électrons, des protons, des neutrinos et des quarks.
Entre ces différentes particules s’exercent des forces qui
les amènent à réagir et parfois à s’associer. La description de
ces forces (on dit aussi des interactions) fera l’objet des
prochaines chroniques.
On en compte quatre. Leur existence suffit à décrire tous
les phénomènes physiques observés jusqu’ici. Mais ce nombre
n’est en rien définitif. À plusieurs reprises, des physiciens ont
prétendu avoir découvert l’existence d’une cinquième et
même d’une sixième force, responsables d’après eux de
phénomènes que les quatre premières ne pouvaient
engendrer. Mais ces affirmations ont toutes été révoquées.
Rien d’impossible cependant à ce que de nouvelles forces
soient découvertes dans le futur. La science n’est pas figée et
l’avenir est imprévisible.

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La force la plus perceptible à nos sens est la gravité : les
pommes tombent. Les animaux en ont déjà une connaissance
pratique diffuse et s’en servent depuis longtemps. Les
mouettes en vol lâchent les coquillages sur les rochers pour les
fracasser. Et, plus littérairement, le renard de Jean de La
Fontaine compte sur la gravité pour récupérer le fromage que
le corbeau laissera choir de son bec.
Grâce à Newton, nous savons que la gravité est
responsable du mouvement de la Lune et des planètes dans le
système solaire. À partir de cette découverte, des quantités de
phénomènes terrestres et astronomiques qui n’avaient cessé
d’intriguer les humains depuis toujours — les marées dans les
océans, les marches arrière apparentes de Jupiter et de
Saturne sur la voûte céleste — deviennent compréhensibles. Si
les astres sont sphériques (la Terre, la Lune, le Soleil), c’est
aussi dû à l’action de cette force (figure 6).
Les propriétés spécifiques de la force de gravité se
décrivent en termes particulièrement simples. Selon la loi
proposée par Newton, son intensité dépend seulement de la
masse des corps en présence et de la distance entre eux : elle
est proportionnelle à l’inverse du carré de cette distance.
La gravité domine l’interaction entre les grandes structures
de l’univers. Elle gouverne le mouvement des planètes du
système solaire, des astéroïdes jusqu’aux comètes les plus
lointaines. Elle contrôle les mouvements des centaines de
milliards d’étoiles autour du centre de notre galaxie, la Voie
lactée, comme dans toutes les galaxies du ciel. Elle est
responsable des mouvements des galaxies entre elles et elle

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est intimement reliée à la dynamique d’ensemble de l’univers.
Si les grandes distances et les grandes masses de l’univers
sont son domaine d’action privilégié, tel n’est pas le cas pour
des dimensions plus faibles. Dans les prochaines pages, nous
décrirons les forces qui prennent alors le dessus.
L’agitation des corps massifs engendre des ondes
gravitationnelles qui se propagent à la vitesse de la lumière et
vont affecter les autres corps. Cependant, cet effet est
extrêmement faible. Il ne devient important qu’au niveau des
très grandes masses, à hautes densités et en très forts
mouvements. Par exemple, une explosion de supernova ou
une collision entre deux étoiles à neutrons.
On a construit des télescopes appropriés qui vont entrer en
opération dans les années qui viennent. On compte ainsi
détecter des ondes gravitationnelles provenant de tels
événements. Et peut-être même des émissions reliées
directement au Big Bang (C-10).
Comme les photons sont associés aux ondes
électromagnétiques (la lumière), on pense qu’une particule
appelée « graviton » serait associée aux ondes
gravitationnelles. Mais, à cause de notre incapacité à formuler
une théorie quantique de la gravité, nous ne sommes pas en
mesure d’être affirmatifs à ce sujet.

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60

La force électromagnétique

En Magnésie, une région proche de la Grèce, on a trouvé


des pierres ayant la curieuse propriété de s’attirer ou de se
repousser mutuellement quand on les approche (les aimants).
Les anciens appelaient « magnétique » la force qui s’exerçait
entre elles. Et on dénommait « électrique » la force qui attirait
les petits objets quand on frottait de l’ambre jaune (elektron).
Il s’agissait, croyait-on, de deux phénomènes complètement
différents.
Tout a changé au cours du XIXe siècle. Grâce à des
chercheurs comme Œrsted, Ampère, et surtout Maxwell, on a
compris qu’il n’y a là en fait qu’une seule force, nommée
« électromagnétique », qui se manifeste de diverses façons.
Selon le cas, elle peut attirer les petits objets ou agir sur les
aimants. On a ainsi réalisé une « unification » de deux forces
que l’on croyait auparavant différentes.
En peu de mots : c’est le mouvement de charges
électriques qui engendre le magnétisme (on dit le « champ
magnétique »). En parallèle, les variations du champ
magnétique engendrent des champs électriques. Dans la
nature, il n’existe pas de charges magnétiques isolées comme il
existe des charges électriques isolées (les électrons). La raison

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profonde de cette différence est passablement mystérieuse.
Le domaine de la force électromagnétique s’étend des
dimensions atomiques à celles des astres. C’est à elle
qu’incombe le fait que les petits corps célestes (astéroïdes,
comètes) ne sont pas sphériques alors que les planètes et les
étoiles (où la gravité domine) le sont.
La force électromagnétique est responsable des
phénomènes à l’échelle atomique et moléculaire. C’est elle qui
maintient les électrons en orbite autour des noyaux atomiques
et qui maintient les atomes dans les molécules. À ce titre, elle
contrôle toutes les réactions chimiques et toute la biologie. Nos
corps sont le siège d’innombrables phénomènes gouvernés par
cette force. Il existe un moyen, peu recommandé il est vrai, de
percevoir directement la force électromagnétique : mettre le
doigt dans une prise de courant.
L’immense gamme des ondes associées aux photons est
une manifestation de la force électromagnétique. Elle contrôle
le comportement des rayonnements, des plus puissants
(rayons X et gamma) aux plus faibles (micro-ondes, radio).
Les phénomènes magnétiques jouent des rôles importants
dans les planètes et les étoiles. Notre planète possède un
champ magnétique qui oriente les boussoles et guide les
oiseaux et les tortues dans leurs migrations.
Le magnétisme de la Terre est provoqué par les
mouvements de la matière ferreuse à l’intérieur de son
volume. Ces matières contiennent des atomes chargés
électriquement dont le déplacement cause l’apparition de pôles
magnétiques au voisinage des pôles géographiques Nord et

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Sud.
Notre Soleil est aussi le siège d’intenses phénomènes
magnétiques qui se manifestent par l’apparition et la
disparition, selon un cycle de onze ans, de taches solaires, de
gigantesques protubérances qui s’élèvent à des centaines de
milliers de kilomètres dans l’espace et d’orages aussi soudains
que violents. Leurs effets se font sentir dans tout le système
solaire. Les magnifiques aurores boréales en sont une des
conséquences les plus spectaculaires.

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61

La force nucléaire forte

C’est par l’étude des éléments radioactifs, l’uranium et le


thorium, que l’existence de la force nucléaire a été révélée au
début du XXe siècle. On y rattache les noms de Becquerel, des
Curie et d’autres encore. Ces atomes sont instables. Après un
certain temps, ils se désintègrent en d’autres particules et ces
désintégrations produisent de la chaleur. Ces phénomènes
indiquent la présence, au sein de leurs noyaux respectifs, de
nouvelles forces inconnues jusqu’alors. Contrairement à la
gravité et à l’électromagnétisme qui s’étendent sur des
distances immenses, leur portée est extrêmement restreinte ;
elle ne s’étend pas hors des noyaux (millionième de micron).
On distingue deux forces, appelées « nucléaire forte » et
« nucléaire faible ». Aujourd’hui, la première s’appelle
simplement « force nucléaire », tandis que la seconde porte le
nom de « force faible ». Nous en reparlerons dans la prochaine
chronique.
L’intensité de la force nucléaire est très grande. C’est elle
qui soude les quarks dans les nucléons (les protons et les
neutrons) et qui soude les nucléons dans les noyaux
atomiques.

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Sa puissance se manifeste par les actions dont elle est
responsable. Un gramme d’uranium peut dégager autant
d’énergie qu’une tonne de pétrole (énergie d’origine
électromagnétique), ou encore qu’un barrage pendant une
période prolongée (énergie d’origine gravitationnelle). C’est
elle qui permet aux réacteurs nucléaires d’alimenter certains
réseaux électriques. Dans le ciel, elle est la source de l’énergie
des étoiles, leur assurant une longévité de millions, voire de
milliards d’années.
Quand son énergie est amenée à se dégager rapidement,
elle provoque des explosions. Sur la Terre par les bombes
nucléaires, et dans le ciel par des phénomènes associés à la
mort des étoiles massives. Il s’agit alors de supernovæ qui
peuvent devenir en quelques heures des milliards de fois plus
lumineuses que le Soleil. On peut les voir jusqu’à des milliards
d’années-lumière.
La force nucléaire joue un grand rôle dans un chapitre
majeur de l’histoire de l’univers : la formation des atomes (la
nucléosynthèse). La puissante attraction qu’elle exerce entre
les nucléons leur permet de se combiner pour fabriquer tous
les noyaux atomiques jusqu’aux plus lourds.
C’est dans le cœur torride des étoiles que ces réactions ont
lieu. L’intense chaleur (dizaines, voire centaines de millions de
degrés) provoque d’incessantes collisions. Dans certains cas,
les particules entrent en fusion pour former des composés
nouveaux. C’est ainsi qu’à partir des protons initiaux du Big
Bang, la grande variété des atomes présents aujourd’hui dans
le cosmos s’est progressivement constituée. Le matériau des

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planètes solides — silicium, fer — et les éléments
fondamentaux de la vie — carbone, azote, oxygène — sont nés
dans les étoiles géantes rouges semblables à Bételgeuse et
Antarès. Toujours, rappelons-le, grâce à la très grande
puissance de cohésion de la force nucléaire.

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62

La force nucléaire faible

L’existence d’une force nucléaire « faible », distincte de la


force nucléaire « forte », n’a été perçue que dans les années
1930, grâce en particulier aux travaux du physicien italien
Enrico Fermi.
La manifestation la plus facilement détectable de l’action de
la force nucléaire faible est la transformation des neutrons en
protons et des protons en neutrons. Par ce mécanisme, elle est
responsable dans la nature de la transmutation d’un grand
nombre de noyaux radioactifs en noyaux stables. À cause de la
grande faiblesse de cette force, ses actions sont très lentes.
Alors que la force nucléaire forte accomplit ses réactions en
des milliardièmes de milliardième de seconde, la force faible
met des temps qui vont de millièmes de seconde jusqu’à des
milliards d’années. Exemple typique : la désintégration d’un
neutron en proton prend en moyenne vingt minutes. Autre
exemple : l’atome de carbone 14 qui, grâce à sa longue durée
de vie (5 700 ans), sert à dater les momies dans les
sarcophages égyptiens.
La force faible intervient à plusieurs titres en astronomie.
Elle est directement impliquée dans la durée de vie des étoiles.
Si elle était plus forte, les réactions nucléaires dans les cœurs

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stellaires seraient plus rapides. Notre Soleil serait mort bien
avant l’apparition des mammifères sur la Terre.
Le comportement des neutrinos est entièrement dominé
par la force faible. En parallèle, celle-ci affecte aussi les quarks.
La désintégration des neutrons passe par la transformation
d’un de ses quarks d en un quark u (rappelons que le neutron
est composé de deux quarks d et d’un quark u, alors que le
proton est constitué de deux quarks u et d’un quark d) (C-53).
La figure 6 illustre l’influence des quatre forces sur notre
Soleil.

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63

Unifier les forces

Résumons nos dernières chroniques.


Le monde physique est régi, en l’état de nos connaissances,
par quatre forces différentes : gravitationnelle,
électromagnétique, nucléaire forte et nucléaire faible. Tout ce
que nous avons observé, dans le ciel et sur la Terre, peut être
assigné à l’action de l’une ou l’autre de ces forces.
Un grand rêve des physiciens aujourd’hui est de montrer
que ces forces sont, en fait, des manifestations différentes
d’une seule force unifiée qui les sous-tendrait toutes. Une force
qui, apparue dès les premières secondes de l’univers, se serait
ensuite progressivement diversifiée.
Un premier chapitre de ce programme de recherches s’est
déroulé pendant le XIXe siècle. À cette époque, hormis la force
de gravité, on connaissait deux forces : la force électrique qui
attire les petits objets quand on approche une barre d’ambre
préalablement frottée avec un tissu, et la force magnétique qui
oriente les boussoles. Grâce aux travaux d’Œrsted, Ampère,
Maxwell et plusieurs autres physiciens, on a pu unifier ces
deux forces en une seule appelée « électromagnétique », qui se
manifeste différemment en diverses circonstances. On a, par la

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suite, montré qu’elle est responsable de tous les phénomènes
lumineux et de toutes les réactions chimiques et
physiologiques.
Dans les premières décennies du XXe siècle, on a mis en
évidence l’existence de deux autres forces qui s’exercent au
voisinage des noyaux atomiques : la force nucléaire forte (celle
qui soude les protons et les neutrons dans les noyaux) et la
faible (qui, entre autres manifestations, régit le comportement
des neutrinos).
Un événement très important de l’histoire de la physique a
lieu en 1972 quand, grâce au travail de nombreux physiciens,
on montre que la force faible et la force électromagnétique
sont intimement liées. Tout comme les phénomènes
magnétiques et électriques sont des manifestations de la seule
force électromagnétique, les manifestations de la force
électromagnétique et celles de la force faible sont associées à
une force commune appelée « électrofaible ».
Dans le lointain passé du cosmos, quand la température
dépassait un million de milliards de degrés (C-22), l’intensité
de la force faible était comparable à celle de la force
électromagnétique. Par la suite, elles se sont différenciées, la
première faiblissant progressivement alors que la seconde se
maintenait.
Au début des années 1980, de grands efforts sont faits pour
unifier la force nucléaire forte et la force électrofaible. On
parlait alors d’une « grande unification ». Bien que des liens
intéressants aient été révélés entre ces deux forces, les
observations n’ont pas confirmé la formulation précise

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présentée à cette époque. Mais les théoriciens s’y affairent
encore. Le grand problème reste l’intégration de la force de
gravité dans ces schémas unificateurs. Curieusement, cette
force en apparence si simple, la première à avoir été identifiée,
reste la pierre d’achoppement de la physique contemporaine.
Nous retrouvons le problème de l’absence d’une théorie
quantique de la gravité.

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64

Max Planck et les unités de la physique

Max Planck est un scientifique allemand de la fin du XIXe


siècle qui a profondément marqué la science moderne. La
physique quantique s’est en effet largement construite autour
de ses travaux et de ses intuitions. Aujourd’hui, hommage lui
est fréquemment rendu au travers de termes comme « la
constante de Planck » ou « le temps de Planck » qui jouent un
rôle fondamental en cosmologie.
L’idée des « grains de lumière », appelés « photons » (C-
55), est issue de ses réflexions. Cette notion de granularité des
propriétés de la matière s’est généralisée ensuite à toutes les
particules. Un nombre la caractérise : la constante de Planck
notée h. Elle relie la fréquence d’une onde lumineuse à
l’énergie du photon qu’elle transporte. Ce nombre h est au
cœur même de la physique quantique. Il en est comme
l’emblème.
Les unités de temps et d’espace utilisées couramment en
physique et en astronomie ont toutes des origines
relativement « provinciales » :
— L’année se réfère à la rotation d’une planète particulière,
la Terre, autour d’une étoile particulière, le Soleil.

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— Le jour se définit par la rotation de la Terre sur elle-
même.
— Les divisions du jour en heures, minutes et secondes
sont conventionnelles (douze, soixante, et encore soixante).
— Le mètre est, au départ, la quarante millionième partie
de la longueur de l’équateur terrestre. Plus tard, il est associé
à des fréquences d’atomes spécifiques.
Rien dans tout cela qui soit en rapport avec des
phénomènes à l’échelle du cosmos, rien qui touche aux
propriétés fondamentales de la matière.
Une belle idée de Planck fut de trouver des unités de temps
et de distance, et aussi de masse et de température, qui ne
soient pas associées à des phénomènes locaux, mais qui soient
en relation avec des caractéristiques universelles. Trois
propriétés, liées aux trois physiciens qui ont pris conscience de
leur universalité, vont servir de base au choix de ces nouvelles
unités :
— la gravité universelle. Découverte par Newton, elle régit
la force d’attraction dans le monde céleste. Elle est
représentée par la constante G, dite constante de Newton ;
— la vitesse de la lumière : c. Elle est à la base de la théorie
de la relativité d’Einstein ;
— et enfin la constante de Planck : h. Nous venons d’en
parler, elle est omniprésente dans la structure des atomes, des
molécules et de leurs interactions avec le rayonnement.
L’unité de temps ainsi construite est appelée « le temps de
Planck ». Elle est excessivement courte. Elle correspond

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approximativement à dix millionièmes de milliardième de
milliardième de milliardième de milliardième de seconde (10-
4 3 seconde). Mais, si petite soit-elle, cette unité occupe une

place centrale dans plusieurs chapitres de la physique


moderne.

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65

Les aunes cosmiques de temps,


de longueur, de masse et de température

Résumons-nous. Le physicien Max Planck voulait définir


une unité de temps qui ne soit pas rattachée à un phénomène
local comme l’est, par exemple, l’année qui se rapporte
exclusivement à la Terre et au Soleil. Il y est parvenu en se
référant à des propriétés fondamentales du cosmos : la
gravité, la physique quantique et la vitesse de la lumière. Cette
unité, appelée « le temps de Planck », joue un rôle
fondamental dans toute la physique et en cosmologie. Sa
valeur est de 10-4 3 seconde.
Cette unité sert à définir d’autres unités fondamentales de
la nature :
— la longueur de Planck : c’est la distance que parcourt la
lumière pendant le temps de Planck. Cette distance est
approximativement un milliard de milliards de fois plus petite
que le rayon des protons. Elle est d’environ de 10-3 3
centimètre ;
— la masse de Planck : toujours à partir de ces propriétés
de la matière, on peut définir une unité de masse. On obtient
environ 40 microgrammes. Ce n’est pas une si petite unité à

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notre échelle : les petits grains de sable ont à peu près cette
masse ;
— la température de Planck : elle est de cent mille milliards
de milliards de milliards de degrés (103 2 degrés), soit des
milliers de milliards de degrés plus élevée que la température
des étoiles les plus chaudes.
Quel sens peut-on donner à ces unités ? Posons-nous la
question : « Peut-on diviser l’espace en unités toujours plus
petites : millimètre, micron, nanomètre, etc. ? » En principe,
rien ne nous en empêche. Mais quel sens pratique cela peut-il
avoir ? Pourrait-il exister des particules aussi petites ? Des
événements peuvent-ils être confinés dans des espaces aussi
restreints ? Ou bien existe-t-il une limite concrète à la division
de l’espace ? Et une limite à la division du temps ?
La définition du temps de Planck nous fait toucher du doigt
une des difficultés fondamentales de notre physique
contemporaine. Nous n’avons pas de théorie apte à décrire le
comportement d’atomes soumis à une force de gravité très
intense. En d’autres mots, il n’existe pas de théorie quantique
de la gravité. Résultat net : nous ne savons pas si les notions
mêmes de temps (et d’espace, et d’énergie) ont encore un sens
au-delà de ces valeurs limites. Est-ce que ces concepts sont
encore utilisables ? Peuvent-ils encore servir à décrire la
réalité ?
De grands efforts sont effectués par des physiciens
théoriciens pour combler cette lacune et arriver à comprendre
comment la gravité (le G de Newton) et la physique quantique
(le h de Planck) peuvent s’harmoniser dans le cadre d’une

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théorie encore plus générale de la relativité (le c d’Einstein).
Beaucoup d’espoirs ont été placés du côté de la théorie dite des
supercordes. Cette théorie suppose l’existence d’éléments
primordiaux ayant la forme de cordes dont la longueur est
précisément la longueur de Planck. Mais la confirmation par
l’expérimentation de la valeur de cette théorie reste encore à
venir. Elle demeure pour l’instant largement spéculative.

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66

Le mur de Planck :
frontière actuelle de la physique et de la
cosmologie

Nous nous questionnons sur le sens physique des unités de


temps et d’espace, définies par Max Planck à partir des
propriétés fondamentales de la nature : force de gravité,
quantas, vitesse de la lumière. Nous avons noté que les lacunes
de la physique contemporaine rendent difficile une
interprétation satisfaisante du sens de ces unités.
Selon la théorie du Big Bang, l’univers en expansion se
refroidit continuellement (C-41), mais pouvons-nous estimer
quelles températures il a atteintes dans son plus lointain
passé ? Certaines observations, qui sont pour nous des
vestiges du passé — le rayonnement fossile, les atomes
d’hélium, les populations de photons, l’absence d’antimatière
—, nous ont permis d’envisager des températures allant
jusqu’à des millions de milliards de degrés (101 5 degrés
Celsius). D’autres observations suggèrent qu’il a fait encore
plus chaud.
C’est ici qu’intervient comme limite la température de

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Planck définie à partir des propriétés du cosmos (103 2 degrés,
soit cent mille milliards de milliards de milliards de degrés).
En quel sens s’agit-il d’une limite ? C’est que la physique
moderne est inapte à décrire ce qui se passerait dans une
matière portée à une telle température ; le concept même de
température perd tout sens.
De là vient l’expression « le mur de Planck » : la borne
imposée dans notre démarche pour explorer l’univers ancien.
Répétons cependant qu’en science les situations ne sont jamais
définitives. Un jour, peut-être bientôt, nous pourrons dépasser
cette borne. Mais c’est devant elle que nous sommes
maintenant, en attente de la franchir.

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FIGURES

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Lectures recommandées

Cassé, Michel, Du vide et de la création, Paris, Odile


Jacob, 1999 ; poche Odile Jacob, 2001.
Feynman, Richard, La Nature de la physique, Paris, Seuil,
« Points Sciences », 1980.
—, Lumière et matière. Une étrange histoire, Paris, Seuil,
« Points Sciences », 1992.
Gell-Mann, Murray, Le Quark et le Jaguar, Paris,
Flammarion, « Champs », 1998.
Klein, Etienne, Il était sept fois la révolution. Albert
Einstein et les autres…, Paris, Flammarion, 2005.
—, Petit voyage dans le monde des quanta, Paris,
Flammarion, « Champs », 2004.
— et Lachièze-Rey, Marc, La Quête de l’unité.
L’aventure de la physique, Paris, Le Livre de Poche, 2000.
Lachièze-Rey, Marc, Initiation à la cosmologie, Paris,
Dunod, 2004.
—, Les Avatars du vide, Paris, Le Pommier, 2005.
Lehoucq, Roland, L’univers a-t-il une forme ?, Paris,
Flammarion, « Champs », 2004.
LÉvy-Leblond, Jean-Marc, La Vitesse de l’ombre. Aux
limites de la science, Paris, Seuil, « Science ouverte », 2006.

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— De la matière : relativiste, quantique, interactive, Paris,
Seuil, « Traces écrites », 2006.
Luminet, Jean-Pierre, L’Invention du Big Bang, Paris,
Seuil, « Points Sciences », 2004.
—, L’Univers chiffonné, Paris, Gallimard, « Folio Essais »,
2005.
Vauclair, Sylvie, La Symphonie des étoiles : l’humanité
face au cosmos, Paris, Albin Michel, 2000.
—, La Chanson du Soleil : l’intimité de notre étoile, Paris,
Albin Michel, 2002.
—, La Naissance des éléments, Paris, Odile Jacob, 2006.
—, et Audouze, Jean, L’Astrophysique nucléaire, Paris,
PUF, « Que sais-je ? », 2003.

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Notes

[1]
Je renvoie ici à la chronique 41 par cette notation.

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