Enseignement de L'informatique
Enseignement de L'informatique
Enseignement de L'informatique
L’enseignement de l’informatique
en France
Il est urgent de ne plus attendre
MAI 2013
Préambule
Ce rapport sur l’enseignement de l’informatique a été préparé par un groupe de travail de
l’Académie des sciences dans le cadre de son Comité sur l’enseignement des sciences. Il a été
présenté le 6 mars 2013 au Comité restreint de l’Académie (Comité composé des membres du
Bureau de l’Académie, des délégués des sections de l’Académie et de membres élus par
l’assemblée plénière) puis, sur avis favorable de celui-ci, le 9 avril 2013 à son Comité secret
(assemblée plénière des membres de l’Académie des sciences).
Le rapport traite de la place de l’informatique dans les enseignements primaire et secondaire, ainsi
que de la formation de leurs professeurs. Il évoque également brièvement l’enseignement supérieur
(classes préparatoires et universités), sujet qui méritera de plus amples développements.
Le groupe de travail est composé d’académiciens, de chercheurs et d’enseignants : Serge Abiteboul
(académicien, Inria), Jean-Pierre Archambault (association EPI, Enseignement public &
informatique), Christine Balagué (Institut Télécom), Georges-Louis Baron (université René-
Descartes, Paris), Gérard Berry (académicien, Collège de France), Gilles Dowek (Inria), Colin de la
Higuera (SIF - Société informatique de France - et université de Nantes), Maurice Nivat
(académicien), Françoise Tort (École normale supérieure de Cachan), Thierry Viéville (Inria).
Gérard Berry en assure la présidence et Gilles Dowek le secrétariat.
Merci aux académiciens Marie-Lise Chanin (CNRS), Jean-Pierre Demailly (université Joseph-
Fourier, Grenoble), Pierre Encrenaz (Observatoire de Paris), Jean-Pierre Kahane (université Paris-
Sud), Pierre Léna (université Paris-Diderot), Odile Macchi (CNRS) et Alain-Jacques Valleron
(université Pierre-et-Marie-Curie, Paris), ainsi qu’à Michèle Artigue (université Paris-Diderot) et
Jean-Pierre Raoult (université Paris-Est), pour leurs commentaires et contributions après réception
de versions préliminaires du rapport. Il faut toutefois noter que la contribution d'un expert à la
réalisation de ce rapport n'entraîne pas nécessairement son adhésion à toutes ses conclusions.
1
Table des matières
Résumé................................................................................................................................................. 3
Recommandations................................................................................................................................ 5
Décider d’enseigner la science informatique................................................................................... 5
Programmes ..................................................................................................................................... 5
Formation des enseignants............................................................................................................... 6
Contexte et positionnement de ce rapport............................................................................................ 7
La nature et les impacts de l’informatique......................................................................................... 10
Les finalités de l’enseignement de l’informatique............................................................................. 13
Préparer les citoyens ...................................................................................................................... 15
Un contexte favorable .................................................................................................................... 16
Quelques principes généraux ......................................................................................................... 17
Esquisse d’un curriculum................................................................................................................... 19
Trois modes d’apprentissage.......................................................................................................... 19
L’école maternelle et l’école primaire : la découverte................................................................... 20
Le collège : l’acquisition de l’autonomie ...................................................................................... 23
Le lycée : consolider les savoirs et le savoir-faire ............................................................................. 25
Après le bac : préparer à tous les métiers liés au numérique ......................................................... 26
Le développement professionnel dans tous les métiers ................................................................. 27
La formation et le statut des enseignants ........................................................................................... 27
L’école ........................................................................................................................................... 28
Le collège....................................................................................................................................... 28
Le lycée.......................................................................................................................................... 28
L’enseignement de l’informatique dans le monde............................................................................. 30
Aperçu de la situation actuelle en Europe ..................................................................................... 31
L’exemple du Royaume-Uni ..................................................................................................... 31
L’exemple de l’Allemagne ........................................................................................................ 32
Bref aperçu sur la situation dans le reste du monde ...................................................................... 33
Synthèse ......................................................................................................................................... 33
2
Résumé
L’impact considérable de l’informatique dans un nombre toujours croissant de domaines de
l’industrie, de la communication, des loisirs, de la culture, de la santé, des sciences et de la société
en général est universellement reconnu. On parle désormais d’un « monde numérique » au sens
large, qui s’appuie sur deux grands leviers, celui des matériels informatiques et celui de la science
informatique.
L’informatique
• Le développement du numérique est intimement lié aux progrès de l’informatique, qui est
devenue une science autonome avec ses formes de pensée spécifiques. Si les objets et
applications numériques évoluent à allure soutenue, la science informatique reste fondée sur un
ensemble stable et homogène de concepts et de savoirs.
• Nombre des progrès technologiques les plus marquantes de ces dernières années sont des
produits directs de l’informatique : moteurs de recherche et traitement de très grandes masses
de données, réseaux à très large échelle, informatique sûre embarquée dans les objets, etc.
• De par l’universalité de son objet, la science informatique interagit de façon étroite avec
pratiquement toutes les autres sciences. Elle ne sert plus seulement d’auxiliaire de calcul, mais
apporte des façons de penser nouvelles.
La situation actuelle
• L’informatique est d’une importance toujours grandissante en termes de création de
richesses et d’emplois dans le monde, que ce soit directement dans l’industrie informatique ou
dans des domaines grands utilisateurs comme l’aéronautique, l’automobile et les
télécommunications.
• L’Europe et la France en particulier accusent un important retard conceptuel et industriel
dans le domaine par rapport aux pays les plus dynamiques, comme les Etats-Unis et certains
pays d’Asie. Ce retard est en partie lié aux carences de l’enseignement de l’informatique, resté
longtemps au point mort ou réduit à l’apprentissage des seuls usages de produits de base. Un
enseignement aussi limité ne saurait permettre de faire basculer notre pays de l’état de
consommateur de ce qui est fait ailleurs à celui de créateur du monde de demain.
• La prise de conscience de la nécessité d’un enseignement d’informatique en tant que
discipline scientifique s’accroît : spécialité Informatiques et sciences du numérique (ISN) en
terminales scientifiques à la rentrée 2012, généralisée à toutes les terminales à la rentrée 2014,
etc. La feuille de route du numérique présentée par le gouvernement en mars 2013 insiste sur
l’apprentissage des usages et sur le rôle du numérique en pédagogie, mais déclare aussi
explicitement l’importance d’un enseignement de science informatique. On assiste à une prise
de conscience semblable dans d’autres pays européens.
• Les circonstances sont très favorables à l’introduction d’un véritable enseignement de
l’informatique : pression de l’industrie en manque de personnel bien formé en informatique,
attirance naturelle des élèves pour le numérique qui fait partie de leur environnement de tous
les jours, possibilité de décliner les exemples d’applications dans des domaines très variés et
attirants, excellente adaptation à l’enseignement en ligne qui se développe partout,
développement d’une meilleure compréhension de ce qu’un curriculum doit inclure dans ce
domaine avec participation des chercheurs.
3
L’enseignement de l’informatique
• L’enseignement doit s’adresser d’une part à tous les citoyens, pour qu’ils comprennent les
mécanismes et façons de penser du monde numérique qui les entoure et dont ils dépendent.
• Il doit s’adresser d’autre part de façon plus approfondie à tous ceux qui auront à créer,
adapter ou simplement bien utiliser des applications ou objets de nature informatique, quels que
soient leurs domaines d’activité.
• Un soin particulier doit être apporté à le rendre attirant pour les deux genres, le milieu
informatique restant encore trop majoritairement masculin.
• Il peut et doit être commencé dès le primaire, par une sensibilisation aux notions
d’information et d’algorithme, possible à partir d’exemples très variés dans le style de La main
à la pâte. Il doit être approfondi au collège et au lycée.
• On pourra y distinguer trois phases principales :
1. La sensibilisation, principalement au primaire, qui peut se faire de façon
complémentaire en utilisant des ordinateurs ou de façon « débranchée » ; un matériau
didactique abondant et de qualité est d’ores et déjà disponible.
2. L’acquisition de l’autonomie, qui doit commencer au collège et approfondir la
structuration de données et l’algorithmique. Une initiation à la programmation est un
point de passage obligé d’activités créatrices, et donc d’autonomie.
3. Le perfectionnement, qui doit se faire principalement au lycée, avec un
approfondissement accru des notions de base et des expérimentations les plus variées
possibles.
La formation des enseignants
• La formation des enseignants est une priorité absolue. La feuille de route du gouvernement
propose une formation massive d’enseignants aux usages du numérique, mais ne précise encore
rien sur leur formation à l’informatique. Ce chantier doit être défini et entrepris au plus tôt.
• Pour les professeurs des écoles, amenés à sensibiliser les élèves à la science informatique,
l’enseignement des concepts et des exemples de base devrait prendre la forme d’un module
dédié dans les ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) nouvellement créées.
• Pour les professeurs de Collège et Lycée, l’Académie recommande fortement des
qualifications et des modes de recrutement alignés sur ceux des autres disciplines de
l’enseignement secondaire, eux-mêmes susceptibles d’évoluer comme l’Académie l’a déjà
recommandé.
• Tous les enseignants devront être formés à l’impact de l’informatique dans l’évolution de
leur discipline : la simulation dans les sciences expérimentales, l’usage de bases de données en
histoire ou géographie, l’analyse de textes en littérature, la traduction automatique, la création
artistique, etc.
4
Recommandations
Pour toutes ces recommandations, le mot informatique désigne les concepts, la science et la
technique de l’informatique, comme expliqué dans le rapport complet, et ne se limite donc pas à la
simple utilisation de matériels et logiciels.
Programmes
Primaire :
− Dans les programmes de l’école primaire, inclure une initiation aux concepts de
l’informatique. Mêler dès ce niveau des activités branchées et débranchées.
Collège :
− Introduire un véritable enseignement d’informatique, qui ne soit pas noyé dans les autres
enseignements scientifiques et techniques, mais développe des coopérations avec ceux-ci
dans une volonté d’interdisciplinarité.
Lycée :
− Proposer un enseignement obligatoire d’informatique en seconde.
− Rendre obligatoire l’enseignement d’informatique en première et en terminale S, sans
exclure une option de spécialité plus approfondie en terminale.
− Proposer un enseignement facultatif d’informatique en première et terminale L et ES.
− Continuer et développer l’enseignement d’informatique dans les séries techniques et
professionnelles.
− Étudier l’équilibrage horaire des disciplines requis par l'introduction de l'informatique, avec
d’une part un horaire spécifique d’informatique, et d’autre part la prise en compte de
contenus informatiques au sein des autres disciplines et de leurs programmes.
Un équilibrage inventif des disciplines ne peut être du ressort de ce seul rapport, mais il ne doit pas
servir d'alibi à un nouveau retard à l'introduction de l'informatique, qui serait fortement
préjudiciable à notre pays et aussi à notre système éducatif dans son ensemble.
Supérieur :
− Pour les CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles), augmenter le volume horaire
dédié à l’enseignement d’informatique. Le volume actuellement proposé de deux heures en
première année et une heure en seconde année ne saurait suffire à couvrir les besoins
culturels et professionnels des étudiants de ces classes
− Développer des cours spécifiques de culture informatique pour tous les étudiants des cycles
5
licence et maîtrise, en particulier ceux qui se destinent à l'enseignement.
6
Contexte et positionnement de ce rapport
Ce rapport poursuit le travail spécifique effectué par des chercheurs, des enseignants et des
inspecteurs généraux depuis 2008 sur l’enseignement de la science informatique, date à laquelle la
réintroduction de la science informatique au lycée est devenue un objectif explicite du Ministère de
l’Éducation nationale. Ce travail collaboratif sur les principes et le programme a débuté dans le
cadre de la réforme de l’éducation de 2008, et s’est continué ensuite lorsqu’a été décidé, peu après,
le retour de la science informatique au lycée à la rentrée 2012, sous la forme de l’enseignement de
spécialité Informatique et sciences du numérique en terminale scientifique. Ce rapport poursuit
également les travaux de l’Académie des sciences, qui avait déjà émis des avis partiels sur
l’introduction de l’informatique dans l’enseignement, en particulier dans des rapports de 20071 et
20102. Le texte du Socle commun de connaissances de 2006 incluait aussi dans son pilier 3 des
paragraphes sur la compréhension du traitement électronique et numérique de l’information, sur
proposition de l’Académie des sciences
Note : ce rapport a été rédigé avant la publication de la feuille de route du gouvernement définie au
séminaire gouvernemental sur le numérique de mars 2013. Cette feuille de route insiste sur
l’importance croissante de l’industrie du numérique et de la place du numérique dans un nombre
grandissant d’activités et dans la création d’emplois. Ce rapport insiste aussi sur l’importance
d’une vraie familiarisation de l’ensemble de la population avec l’informatique, ainsi que sur la
nécessité de former beaucoup plus de professionnels compétents dans le domaine. Il indique enfin
qu’une réflexion sur la place que doit prendre la science informatique, à tous les niveaux
d’enseignement, sera prochainement engagée.
1
Rapport de l’Académie des sciences sur la formation des professeurs à l’enseignement des sciences,
http://www.academie‐sciences.fr/activite/rapport/avis131107.pdf.
2
Rapport de l’Académie des sciences sur la réforme des Lycées, 2010,
http://www.academie‐sciences.fr/activite/rapport/avis251110.pdf.
7
reconnaissance dans le projet de loi pour la refondation de l’École présenté en Conseil des ministres
le 23 janvier 2013, qui confie à l’École une nouvelle mission : celle « d’éduquer au numérique ».
Mais il ne la détaille bien sûr pas, et ne précise donc pas la différence fondamentale entre usage,
science et technique. La feuille de route du numérique présentée ensuite par le gouvernement en
mars 2013 mentionne explicitement la mise en place d’une réflexion sur la place de la science
informatique dans l’enseignement. Cette réflexion nous semble effectivement essentielle, et c’est à
elle que sera consacré le rapport.
Précisions de vocabulaire
Il nous faut d’abord préciser le vocabulaire, car de nouveaux sigles apparaissent constamment pour
désigner des activités liées à l’informatique : TIC, NTIC, STIC, etc3. Le mot « électronique » reste
utilisé dans « courrier électronique », « commerce électronique », etc. Le mot « numérique » est
clairement dans l’air du temps, s’imposant dans un nombre de domaines croissant. Dans ce rapport,
nous adopterons les définitions suivantes :
− Le mot « informatique » désignera spécifiquement la science et la technique du traitement
de l’information, et, par extension, l’industrie directement dédiée à ces sujets.
− L’adjectif « numérique » peut être accolé à toute activité fondée sur la numérisation et le
traitement de l’information : photographie numérique, son numérique, édition numérique,
sciences numériques, art numérique, etc.
On parle ainsi de « monde numérique » pour exprimer le passage d’un nombre toujours croissant
d’activités à la numérisation de l’information et « d’économie numérique » pour toutes les activités
économiques liées au monde numérique, le raccourci « le numérique » rassemblant toutes les
activités auxquelles on peut accoler l’adjectif numérique. Puisque toute information numérisée ne
peut être traitée que grâce à l’informatique, l’informatique est le moteur conceptuel et technique du
monde numérique.
Par rapport à l’anglais, notre acception du mot « informatique » recouvre Computer Science,
Information Technology » et ce que l’on entend souvent par Informatics, alors que l’adjectif
numérique correspond à digital, par exemple dans la correspondance entre « monde numérique » et
digital age.
3
Technologies de l’information et de la communication, Nouvelles technologies de l’information et de la
communication, et Sciences et technologies de l’information et de la communication.
8
pratiques scientifiques et techniques adéquates pour qu’ils fassent le meilleur usage de tous les
outils informatiques qu’ils utiliseront et pour qu’ils puissent adapter ces outils à leurs métiers
propres, voire créer de nouveaux outils. À des degrés divers, il faudra donc éduquer tous ceux qui
seront en interaction constante et riche avec des systèmes informatisés, quels que soient leur métier
et leur discipline, littéraire, scientifique, artistique ou autre. Les curricula correspondants devront
être élaborés en fonction de la diversité de ces interactions et avec les acteurs concernés, mais sans
jamais oublier l’unité profonde des concepts : l’informatique n’est pas différente selon les
disciplines ni réductible à ces disciplines, même si elle se décline différemment ici ou là. Il faudra
donc enseigner harmonieusement à la fois ses concepts généraux et ses déclinaisons particulières.
Ce que le rapport ne couvre pas : il ne prétend pas s’étendre à l’ensemble des questions relatives
au monde numérique, ni aux évolutions de la pédagogie rendues possibles par les nouveaux outils
numériques dans toutes les matières. Il ne prétend pas analyser en détail l’enseignement supérieur.
Ce que cet enseignement ne doit pas être : certains continuent à penser qu’un enseignement
scientifique de l’informatique n’est pas nécessaire, qu’une familiarisation de base avec ses usages
suffit, et, qu’en cas de besoin, l’informatique s’apprend « sur le tas ». Cette opinion conduit à un
contresens dangereux.
Certes, une familiarisation avec les usages est indispensable ; elle s’avère simple et naturelle pour
les jeunes du XXIe siècle, pour qui l’informatique n’est en rien nouvelle puisqu’ils sont nés avec. Le
B2I4 y participe. Mais il est incontestable que l’informatique est devenue bien plus qu’un
pourvoyeur d’outils à savoir utiliser sans trop penser. Au contraire, elle est devenue un immense
espace de création scientifique, technique, industrielle et commerciale, ainsi qu’un des domaines les
plus créateurs d’emplois directs ou indirects dans le monde, comme attesté par le rapport Lévy-
Jouyet5, nombre de rapports du CIGREF6, de l’OCDE7, etc., ainsi que par la feuille de route du
gouvernement du 28 février 20138. La richesse correspondante est construite par ceux qui créent et
font avancer le domaine, pas par ceux qui ne font qu’en consommer les fruits. Si on peut peut-être
devenir un consommateur numérique averti en baignant dans la société numérique, la création
repose nécessairement sur de vraies compétences en informatique.
4
Brevet informatique et internet
5
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000880/0000.pdf
6
Club informatique des grandes entreprises françaises
7
Organisation de coopération et de développement
8
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/feuille_de_route_du_gouvernement_sur_le_numerique.pdf
9
suite sont bien plus ambitieuses et complexes ; elles sont créées par de solides équipes de gens
formés et outillés, que ce soit dans l’industrie ou dans la société pour le développement de logiciels
libres.
Notons que la France se présentait elle-même dans les années 1980 comme un grand acteur
industriel de l’informatique, en particulier pour le logiciel. C’est loin d’être resté le cas, même si la
recherche française est restée de haut niveau mondial, et même si la France et l’Europe sont restées
leaders dans des niches importantes comme l’informatique embarquée dans les objets. La France
reste compétitive en termes de services informatiques (SSII), mais est faible dans l’édition de
logiciels, où une seule société française figure parmi les 100 premières entreprises mondiales. Au
moment où la reconstruction industrielle est à l’ordre du jour, mais surtout centrée sur les
entreprises en difficulté, il est indispensable de constater la faiblesse dommageable de notre
industrie par rapport à l’extraordinaire expansion mondiale du domaine, ainsi que le nombre élevé
d’entreprises informatiques françaises qui deviennent étrangères pour cause de succès, ce qui n’est
pas vraiment le meilleur signe possible de santé et d’indépendance industrielles pour l’avenir de
notre pays. Nous pensons que notre déclin actuel dans un sujet aussi fondamental pour l’avenir est
largement dû à une reconnaissance tardive et limitée de la discipline dans les grandes écoles, dans
l’enseignement secondaire, et dans la société française en général. L’opinion était autrefois assez
répandue que l’informatique n’était pas une science et ne devait donc pas être enseignée, voire que
c’était une mode qui allait passer.
9
http://www.bbc.co.uk/news/education‐21261442
10
l’industrie, de la conception des objets jusqu’à leur fabrication, le commerce, les transports, une
grande partie des activités de service et, tout autant, les sciences, les sciences humaines, la santé et
l’aide à la dépendance. Chacun peut par exemple constater l’impact d’Internet sur la communication
entre les personnes, l’accès aux œuvres de l’esprit et la transmission du savoir. Le fait qu’une
quantité gigantesque de données soit disponibles en ligne et analysables par algorithmes transforme
notre rapport à la connaissance. Il faut noter qu’Internet est depuis ses débuts un réseau résolument
informatique fondé sur le protocole IP, très différent des technologies utilisées classiquement en
télécommunications, qui n’auraient pas pu passer à cette échelle.
Jusqu’à une période récente, on accédait à Internet à l’aide d’ordinateurs de bureau ou portables.
Mais les ordinateurs du XXIe siècle changent de forme, se diversifient et s’intègrent partout. Les
téléphones et les tablettes connectés à Internet remplacent rapidement les ordinateurs classiques,
associant à une mobilité sans limites des interfaces tactiles, gestuelles ou sonores d’un nouveau
genre, et incorporant une multitude d’applications nouvelles, utilisant par exemple la
géolocalisation. Les ordinateurs embarqués dans les avions, les trains, les voitures et les objets
quotidiens sont encore plus nombreux. Ces ordinateurs invisibles sont reliés à des capteurs et
actionneurs de plus en plus variés. Une voiture, par exemple, contient une quantité impressionnante
de matériels informatiques et de logiciels pour assister la conduite, assurer le freinage, réduire la
consommation, etc. Des fonctions naguère mécaniques, comme le contrôle moteur, la direction et la
suspension sont aujourd’hui informatisées. La différence entre un modèle de voiture et un autre
tient souvent à l’informatique embarquée. Bientôt, les voitures seront connectées en permanence à
Internet et prendront directement des informations de la route, de la ville et de leurs nombreux
capteurs, pour assurer une meilleure sûreté et une plus grande fluidité du trafic. Comme celle des
avions, la conception des voitures est entièrement assistée par ordinateur, en utilisant des outils de
modélisation géométrique et de simulation. Cela explique que les constructeurs automobiles
embauchent aujourd’hui autant d’informaticiens que de mécaniciens.
10
Programme disponible à l’adresse
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=57572
12
un algorithme d’analyse grammaticale, un algorithme neuronal ou robotique pour la marche, la
lecture d’une carte ou l’algorithme du GPS qui fait appel aux relativités restreinte et générale pour
l’orientation. En informatique, la conception d’algorithmes s’appuie sur un nombre relativement
restreint de grands principes, même si les algorithmes connus et étudiés ne se comptent plus.
Un algorithme est avant tout un objet conceptuel, comme un nombre. Pour se concrétiser, un
nombre doit être écrit dans un langage précis, par exemple la numération décimale à position, peut-
être au sein d’une phrase écrite en langue naturelle. En informatique, les programmes qui incarnent
les algorithmes doivent être uniformément formels et précis car ils doivent être compris à la fois par
des hommes et des machines, ces dernières ne sachant qu’être infiniment stupides. Les langages
informatiques dans lesquels on écrit les programmes sont donc très différents des langues naturelles,
car plus simples, plus spécialisés et moins ambigus. Mais eux aussi reposent sur un nombre restreint
de concepts, qui peuvent cependant s’articuler de nombreuses manières, d’où la multiplicité des
langages informatiques actuels.
A la différence du discours humain pour lequel l’auditeur est censé comprendre les sous-entendus,
la concrétisation d’un algorithme en programme est une activité délicate car susceptible de
provoquer de nombreux bugs qui conduisent à des comportements erratiques et potentiellement
dangereux. L’art de la programmation est d’écrire les programmes d’une façon scientifiquement
organisée, afin qu’ils soient justes et que leur justesse soit effectivement vérifiable. On peut
d'ailleurs dire que le point de départ de la science informatique, plus que l'apparition des premières
machines à calculer, a été l'apparition des premiers langages de programmation de haut niveau que
sont Fortran, Lisp, et ALGOL : ces langages ont permis l'accumulation de programmes et leur
échange, la réutilisation d'un programme par d'autres indépendamment des machines utilisées et la
transformation des programmes eux-mêmes en objets d'étude.
Le concept d’information, ou de donnée, est central dans notre manière de penser. Dans la vie de
tous les jours, nous baignons dans un océan d’information. Nous devons apprendre à structurer, trier
et vérifier ces informations, à nous interroger sur leurs origines, à les mettre à jour, et à en extraire
des connaissances. Nous devons distinguer les informations dont nous disposons de celles qui nous
manquent mais que nous pouvons chercher à acquérir ou sur lesquelles nous pouvons spéculer.
L’informatique simplifie ces problèmes en fournissant de nouveaux moyens de collecte, de
représentation, de structuration et de recherche de l’information à très grande échelle. Mais elle
exacerbe aussi les problèmes de maîtrise de cette information.
Il y a enfin une continuité dans l’histoire des machines manipulant l’information, qui s’inscrit dans
l’histoire générale des machines, et qui a conduit des calculateurs mécaniques aux machines à
calculer électriques puis aux ordinateurs électroniques modernes. L’uniformité des concepts
s’applique aussi à ces ordinateurs : qu’ils soient gros ou petits, les circuits des machines sont tous
conçus et fabriqués suivant les mêmes principes, en utilisant des outils logiciels de conception
assistée par ordinateur et de simulation.
Ce caractère fondamental des concepts de l’informatique a mené certains à proposer un slogan pour
les enfants de ce siècle, en ajoutant un mot à celui déjà proposé par l’Académie des sciences :
11
http://www.lemonde.fr/sciences/reactions/2012/12/06/contre‐l‐illettrisme‐numerique‐en‐
entreprise_1801258_1650684.html
14
seulement en adaptant des logiciels existants. La manière même dont ces données seront traitées fait
partie de la conception de l’expérience. Le jeune qui utilise un téléphone n’a pas envie d’attendre
d’avoir terminé ses études en informatique pour développer et mettre en ligne les applications qu’il
invente. Tous ces acteurs doivent gagner leur autonomie dans le monde numérique.
12
Voir l’avis publié par l’Académie des sciences JF Bach et al (2013) L’Enfant et les écrans, Le Pommier,
Paris. En ligne sur http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/avis0113.htm et le module pédagogique
de La main à la pâte « Les écrans, le cerveau et l’enfant ».
13
Marie-Paule Cani, "Filles et garçons face à l'informatique", dans les actes du colloque "Filles et garçons en
sciences et techniques, un enjeu européen et planétaire" co-organisé par l'association Femmes et Sciences,
l'Association pour la Parité dans les Métiers Scientifiques et Techniques (APMST), et la Mission pour la
15
ailleurs, nous savons que la différentiation sociale entre les filles et les garçons augmente avec
l’âge, en particulier dans leur goût des matières scientifiques et que la résorption de ce type
d’inégalité ne peut se faire sans un effort éducatif précoce et permanent. C’est pour nous une raison
essentielle pour enseigner l’informatique dès l’école.
De même, nous devons éviter de laisser se creuser une fracture numérique entre les enfants des
classes favorisées qui sont pleinement exposés au monde numérique et qui peuvent s’ils le
souhaitent se former en informatique, et les autres qui n’ont pas les mêmes chances. C’est aussi
pourquoi il est indispensable que notre système éducatif enseigne l’informatique, et ce dès l’école,
pour que l’accès à cette science ne devienne pas un privilège lié au milieu social.
Un contexte favorable
L’unité conceptuelle de l’informatique et la très grande variété de ses applications fournissent un
cadre favorable à la constitution d’un enseignement à la fois conceptuellement bien articulé et
déclinable dans des applications pratiques très variées, pour les exercices et les réalisations des
élèves. Les domaines d’application peuvent être liés aux autres sciences, aux langues, aux arts, à
l’histoire, à la géographie, à la gestion des entreprises, à l’administration des états, etc. La richesse
du champ applicatif rend possible le choix de domaines d’application adaptés aux séries et options
des élèves, proches de leurs intérêts. Du point de vue informatique, les fabrications de tables de
conjugaison ou de calendriers sont des problèmes très similaires. On peut indifféremment enseigner
la notion de boucles imbriquées en s’appuyant sur l’un et l’autre, mais la réception à ces deux
exemples est très variable en fonction des centres d’intérêt des élèves auxquels on s’adresse.
Un autre facteur favorable à un enseignement de qualité intéressant les élèves est que beaucoup
d’entre eux sont maintenant très familiers avec les usages et la logique de l’informatique. Pour les
enfants du XXIe siècle, l’informatique est tout sauf une « nouvelle technologie », puisqu’ils n’ont
jamais connu le monde sans elle. L’ordinateur n’est pas plus étrange que la mer, la montagne, le
vélo ou le chat. Au contraire, ce sont certains des objets du XXe siècle qui sont devenus étranges : il
faudra bientôt que les professeurs d’histoire expliquent à leurs élèves ce qu’est une cabine
téléphonique, une machine à écrire ou un disque vinyle, voire un disque compact. De plus,
l’informatique est souvent associée à des aspects agréables de leur vie : jeu, échange avec les autres,
musique, photo, vidéo, etc. Cette familiarité peut être utilisée comme moyen pour mener
progressivement les élèves les plus jeunes des usages aux concepts. Un bon indice d’appétence des
élèves pour l’informatique est la réussite du concours « Castor informatique »14 qui s’adresse aux
élèves de collège et lycée.
En informatique, les activités scientifiques et techniques sont souvent étroitement mêlées. Dans le
cadre d’une application même très pratique, on aura souvent besoin d’un programme de tri, qu’il
faudra concevoir puis écrire. L’enseignant pourra alors conduire les élèves à analyser l’algorithme
qu’ils ont programmé, à s’interroger sur sa complexité, et étudier une borne inférieure absolue à la
complexité des algorithmes de tri. Ce chemin qui mène progressivement du concret vers l’abstrait
est l’essence de l’enseignement de l’informatique. Un tel enseignement peut jouer un rôle
véritablement positif pour développer le goût des élèves pour les sciences et les techniques, que ce
soit pour ceux que rebute un enseignement des sciences qui ignore trop à quoi elles peuvent servir,
ou, à l’inverse, pour ceux qui s’ennuient devant un enseignement des techniques qui tourne trop
volontiers le dos à l’abstraction.
Un dernier élément contextuel favorable est l’émergence de cours en ligne ouverts et massifs,
16
massive open online course (MOOC). Même s’ils constituent un investissement financier important,
ils offrent un nouveau levier, à forte économie d’échelle, et permettent de faire émerger des
communautés coopératives et de développer une pédagogie ouverte. Ce type d’enseignement
semble particulièrement bien adapté à l’informatique. Ce rapport reviendra sur les cours en ligne
ouverts et massifs quand il traitera de la formation permanente et de la formation des enseignants. Il
faut cependant noter que c’est un élément en fort développement qu’il faudra prendre en compte au
fil du temps au niveau de l’enseignement de l’informatique en général.
17
fabriquerait des utilisateurs qui subiraient la technique, non des acteurs du monde de demain. De
même, répétons qu’un apprentissage « sur le tas », non fondé sur une approche graduelle des
concepts, n’a de sens que pour une utilisation d’outils conçus par d’autres. Un vrai enseignement est
nécessaire pour concevoir les objets, services et sciences du futur, car tous les métiers créateurs de
valeur conduiront à des innovations informatiques réelles et pas uniquement à une consommation
d’outils standards. La formation d’un architecte, par exemple, ne doit pas se limiter à lui apprendre
à utiliser les logiciels de conception architecturale utilisés aujourd’hui, mais lui donner les
compétences qui lui permettront d’inventer ceux de demain, à l’instar de Frank Gehry, dont les
nouveaux bâtiments ne peuvent plus être conçus sans ordinateurs. La pensée informatique est
devenue centrale dans leur conception.
18
Esquisse d’un curriculum
À tous les âges et surtout à l’école
L’apprentissage de l’informatique se décline différemment selon que l’on s’adresse à des écoliers,
des collégiens, des lycéens ou des étudiants, mais la question du curriculum doit être abordée de
manière globale, car le contenu d’un enseignement au lycée, par exemple, dépend du niveau des
élèves à leur entrée en seconde, c’est-à-dire de ce qu’ils ont appris au collège. Nous disposons par
ce rapport d’une occasion relativement unique d’adresser cette globalité.
19
Ce découpage de l’apprentissage de l’informatique n’est pas exclusivement chronologique. Par
exemple, les élèves pourront commencer très tôt à écrire de petits programmes, tout en ne se
perfectionnant que plus tard par l’apprentissage et la compréhension de différents langages
informatiques. Mais il reste raisonnable de dire que le premier mode d’enseignement doit dominer à
l’école maternelle et à l’école primaire, le deuxième au collège et le troisième au lycée et dans
l’enseignement supérieur.
15
Voir aussi l’Avis de l’Académie des sciences L’enfant et les écrans.
16
B Descamps-Latscha et al (2013) Les écrans, le cerveau… et l’enfant, Le Pommier, Paris, module
pédagogique de La main à la pâte conçu en appui à l’avis de l’Académie des sciences (op.cit. supra).
20
en outre en évidence le fait que les concepts de l’informatique s’appliquent au monde réel tout
autant qu’on monde virtuel contenu dans les ordinateurs.
Un langage formel se distingue d’une langue naturelle par sa spécialisation, son caractère artificiel,
le caractère limité de son lexique et la simplicité des règles qui régissent sa grammaire. Un exemple
simple est le langage formé de quatre mots : « nord », « sud », « est » et « ouest » et d’une
construction, la séquence, qui permet de former des suites de tels mots. Ce langage permet
d’indiquer un chemin à suivre sur une grille carrée, par exemple sur le carrelage du préau d’une
école. L’expression « nord, nord, nord, est, est, est, sud, sud, sud, ouest, ouest, ouest » indique, par
exemple, à un enfant de se déplacer de trois carreaux vers le nord, puis de trois carreaux vers l’est,
puis de trois carreaux vers le sud et enfin de trois carreaux vers l’ouest, dessinant ainsi un carré sur
le sol.
Ce même mouvement peut être exprimé dans un autre langage : « avancer, avancer, avancer,
tourner-à-droite, avancer, avancer, avancer, tourner-à-droite, avancer, avancer, avancer, tourner-à-
droite, avancer, avancer, avancer, tourner-à-droite » qui ne comprend que trois mots : « avancer »,
« tourner-à-droite » et « tourner à gauche », composés par une opération de séquence.
Des activités autour de la notion de langage consistent par exemple à interpréter les instructions
données par un autre élève ou à trouver la phrase qui commande d’aller d’un point du préau à un
autre. On peut ensuite passer à des exercices plus élaborés, comme la traduction d’une expression
d’un langage dans un autre – par exemple une expression formée dans le premier des langages
présentés ci-avant dans le second –, la mise en évidence de la redondance d’un langage – par
exemple, « tourner-à-gauche » pourrait être remplacé par une séquence de trois « tourner-à-droite ».
Il est aussi possible d’évoquer dans une telle activité la notion de bug. Une petite erreur dans une
instruction exprimée dans le second langage, par exemple, un « tourner-à-droite » de trop change
complètement le dessin et envoie n’importe où, comme sur la figure de droite ci-dessus.
Ce type d’activité permet d’aider les élèves à comprendre, dans un cadre très simplifié, quelques-
uns des traits essentiels de la langue écrite : son caractère conventionnel, la nécessité de règles et la
correspondance entre les mots et les actions. Elle leur permet aussi de comprendre qu’il est possible
de calculer non avec des nombres, mais avec des mots.
25
la manière dont les systèmes d’information ont transformé le fonctionnement des entreprises. En
première et en terminale STI2D, c’est la notion de machine qui prendra une place centrale, avec une
étude plus fine de l’architecture des ordinateurs et de leur insertion dans des machines dédiées à des
tâches spécifiques. En S, ce sont sans doute les notions d’algorithme et de modélisation qui seront
prépondérantes. C’est enfin au lycée que l’on peut aborder l’utilisation de l’informatique dans des
contextes plus globaux. On peut d’abord évoquer comment l’information sert de pivot à
l’organisation d’un ensemble d’activités, dans un laboratoire par le dépouillement de résultats
d’expériences ou par la simulation, ou dans une entreprise par les systèmes d’information. On peut
aussi montrer comment des ordinateurs sont intégrés dans des ensembles techniques extrêmement
complexes, comme les avions. L’étude de ces sujets conduit à considérer des questions de sociétés
dont l’étude, comme nous l’avons dit, accompagne la phase conduisant à la maîtrise de
l’informatique. Ce type de travail, par nature interdisciplinaire, sera réalisé en coopération avec les
professeurs de philosophie, de français, de musique, d’économie, etc.
17
Extension de l’ancienne terminologie « formation continue ».
27
L’école
À l’école maternelle et à l’école primaire, il n’est pas d’usage de recourir à des enseignants
spécifiques pour chaque discipline et il ne nous semble pas souhaitable de le faire pour
l’informatique. Il est donc nécessaire d’inclure l’informatique dans les cursus de formation des
Professeurs des écoles, à l’instar des autres disciplines, afin qu’ils puissent l’enseigner, comme ils
enseignent les autres disciplines.
Il est également nécessaire de proposer une formation aux Professeurs des écoles qui enseignent
déjà. Sur ce point, il est important de noter que les solutions existantes qui permettent de former
quelques dizaines de professeurs par an sont largement insuffisantes. Nous avons besoin d’un
véritable plan de formation national si nous voulons sortir notre pays de l’illettrisme informatique
dans lequel il se trouve aujourd’hui.
Le collège
La question de la formation des professeurs de collèges nous semble mériter une attention
particulière. Elle repose actuellement sur deux types de découpage des disciplines. Pour les
sciences, il est traditionnel de les enseigner une par une, avec des cours de mathématiques, de
physique, de chimie, de sciences de la vie, et de sciences de la terre. Mais un même professeur peut
avoir des compétences multiples, en enseignant à la fois la physique et la chimie ou les sciences de
la vie et les sciences de la terre. Au contraire, en technologie, il est traditionnel d’enseigner les
techniques comme un tout : la technologie et non séparément le génie mécanique, le génie
électrique, les biotechnologies, etc. Cette division n’est pas figée, car l’Académie des sciences et
l’Académie des technologies promeuvent depuis 2006 des expériences d’enseignement intégré de
science et technologie (EIST).
Il nous faut étudier le positionnement de l’informatique dans ce cadre. Tout d’abord, l’informatique
est à la fois une science et une technique, et il n’est pas possible de la réduire à l’un de ces deux
aspects sans la mutiler gravement. D’autre part, le génie informatique est trop spécifique pour se
fondre dans un vaste ensemble qui comprendrait aussi par exemple le génie mécanique et le génie
électrique. Enfin, si l’informatique est en partie une technique dont un but majeur est de construire
des objets, ces objets sont souvent de nature abstraite. Il nous semble donc totalement exclu de
fondre l'enseignement d'informatique dans l'enseignement de la technologie au collège, orienté vers
les objets matériels. L'enseignement d'informatique doit donc être suffisamment spécifique, assuré
par des professeurs spécifiquement formés au niveau master, même s’il doit évidemment interagir
avec les autres enseignements. Autrement, le risque de sa perte de pertinence par trop grande
dilution serait considérable.
Le lycée
Comme dans toutes les autres disciplines, un professeur d’informatique au lycée devra avoir un
niveau minimum correspondant à une formation en informatique de quatre ou cinq ans après le bac.
Ce principe peut se mettre en œuvre en créant des concours de recrutement en informatique –
Agrégation, Capes –, comme il en existe dans les matières classiques, en recrutant comme
enseignants des titulaires d’un master d’informatique, etc. Il est possible d’imaginer des solutions
plus décloisonnées, par exemple le recours aux professeurs d’autres disciplines ayant suivi une
formation partielle, comme cela s’est fait en terminale scientifique pour l’enseignement de
spécialité Informatique et sciences du numérique (ISN), ou encore en utilisant la proposition faite
par l’Académie des sciences en 2007 d’un CAPES avec une discipline majeure et une mineure,
n’importe laquelle des deux pouvant alors être informatique. Mais, il faut absolument se méfier de
la dilution des matières supposées mineures dont se plaignent à juste titre la chimie devant la
physique ou les sciences de la Terre devant les sciences de la vie. Par exemple, faire enseigner
28
l’informatique seulement par les professeurs de mathématique pourrait conduire à n’enseigner
qu’une partie du sujet, celle se rapprochant le plus des mathématiques, ce qui ne correspondrait pas
aux objectifs précités.
Une piste qui demanderait à être explorée est celle de la mutualisation des moyens entre les
universités et les lycées, voire les collèges. Les liens forts qui existaient jusqu’au milieu du
XXe siècle entre les universités et les lycées se sont malheureusement distendus. L’introduction
d’une nouvelle discipline scientifique peut être un moyen de les recréer. Il faut noter que cela ne fait
que déplacer le problème, les départements d’informatique à l’université manquant très souvent
eux-mêmes de personnel.
L’enseignement en ligne. Le développement des cours en ligne ouverts et massifs offre un
nouveau levier pour améliorer la formation continue des enseignants, avec des économies d’échelle
potentiellement importantes. Des formes expérimentales sont en place pour accompagner la
formation des enseignants de la spécialité Informatique et sciences du numérique en terminale, et
nous renseignent déjà sur leurs avantages et leurs limites. Ces cours en ligne peuvent accompagner
une formation solide en présentiel à condition d’être ancrés au sein de communautés concrètes. Ils
peuvent alors contribuer à la création de liens privilégiés entre enseignants-chercheurs et
professeurs du second degré, qui forment le socle de ces communautés. L’aspect collaboratif des
cours en ligne renforcera cette synergie et permettra de mutualiser les meilleurs contenus et les
pratiques, au niveau national et local.
29
L’enseignement de l’informatique dans le monde
L’idée d’enseigner l’informatique dans l’enseignement scolaire remonte aux années 1960.
S’agissant de formation générale, elle a été mise en œuvre dans les années 197018. La décennie
1980 a vu la mise en place de nouveaux enseignements de formation générale en informatique,
généralement sous forme optionnelle. À partir de la seconde moitié de cette décennie, l’intérêt des
pouvoirs publics s’est déplacé, un peu partout dans le monde, vers la mise en œuvre des outils
informatiques nouvellement apparus. Au début des années 2000 s’est manifestée une prise de
conscience de la nécessité de valider chez les élèves des compétences en informatique. Puis, dans la
seconde moitié de cette décennie, des enseignements spécifiques en informatique ont été mis en
place aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement, une grande
diversité existant entre les pays et, parfois, au sein de chacun d’eux.
Les lignes qui suivent présentent une synthèse de travaux de recherche et de rapports publiés avant
le 10 décembre 2012. Elles visent à proposer une image d’une situation qui évolue assez
rapidement.
La terminologie utilisée dans le monde pour décrire les enseignements relevant de l’informatique
est variable, de même qu’il y a une grande variété des âges et niveaux d’enseignement auxquels les
différents concepts sont introduits. Il convient de distinguer entre deux types d’enseignement : un
enseignement centré sur la familiarisation avec les usages des technologies de l’information et la
communication (TIC, ICT en anglais), selon une approche dite intégrée, et un enseignement
spécialisé de science informatique. L’enseignement de familiarisation avec les usages se retrouve
surtout dans les premiers niveaux de l’enseignement (IT literacy). Il est plus répandu que
l’enseignement de la science informatique.
Dans les pays où un enseignement de science informatique existe, il y a des différences d’approche
quant à la place entre réalisations pratiques et apprentissage théorique des concepts. Mais les
orientations adoptées relèvent généralement de la pensée informatique (computational thinking),
avec une place importante accordée à l’algorithmique et à la programmation. Les langages de
programmation ne sont pas toujours précisés, l’intérêt portant surtout sur l’acquisition de concepts.
Certains pays introduisent les réseaux et la gestion des systèmes d’information dès la fin du niveau
secondaire.
Une comparaison entre cinq cas (Finlande, Japon, Massachusetts, Ontario, Singapour) réalisée pour
la Royal Society19 montre que l’âge d’introduction d’un enseignement spécialisé en informatique
varie de 12 à 16 ans.
18
CERI-OCDE. (1971). L’enseignement de l’informatique à l’école secondaire. Paris : OCDE.
19
Source : International Comparison of Computing in Schools, Report for the Royal Society, L. Sturman & J.
Sizmur, september 2011.
30
Aperçu de la situation actuelle en Europe
En Europe, dans l'enseignement primaire et secondaire général, la plupart des pays ont considéré
jusqu’à une période récente l'informatique davantage comme un ensemble d’outils permettant de
développer des compétences dans les autres disciplines que comme une discipline autonome.
Pour le niveau secondaire, et surtout le niveau lycée, plusieurs pays ont une discipline informatique
indépendante, avec un programme officiel, des enseignants formés, et des horaires dédiés. On peut
noter une grande diversité dans les intitulés de cette discipline : ICT (TIC), IT literacy, Informatics,
Computer Science. Les enseignements intitulés Computer Science sont plutôt construits sur la
science informatique au sens où nous l’entendons ici. Pour les enseignements intitulés ICT (TIC) ou
IT literacy, les situations sont variables. Il est en général question de l’utilisation d’un panel
d’applications et de la connaissance du fonctionnement des ordinateurs.
Mais certains pays inscrivent explicitement le développement d’aptitude de programmation dans les
objectifs d’apprentissage (notamment Allemagne, Grèce, Espagne, Italie, Pologne, maintenant
Royaume-Uni)20. Il y a, par ailleurs, une grande diversité quant au statut des enseignements
d’informatique en fonction des propositions de cours : certains pays proposent des cours
obligatoires, d’autres des cours optionnels, d’autres misent actuellement sur l’intégration de
compétences et de savoirs liés à l’informatique dans les disciplines existantes.
Il est important de noter une tendance récente à l’implémentation de curricula spécifiques en
informatique. Nous donnerons ici deux exemples : le Royaume-Uni et l’Allemagne.
L’exemple du Royaume-Uni
Le Royaume-Uni a récemment connu des évolutions qui sont sans doute représentatives d’un
mouvement plus général. Les technologies de l’information et de la communication figurent au
programme national depuis longtemps. Mais des changements importants ont récemment été
annoncés suite à de sévères critiques de cet enseignement.
En 2010, la Royal Society de Londres a mis en place un groupe de travail dont la mission était de
s’intéresser à l’enseignement de l’Informatique. Le titre du rapport remis en 201121 est éloquent :
« Shut down or restart ? ». Le constat est qu’il est impératif de modifier l’enseignement tel qu’il
était effectué, essentiellement fondé sur les technologies de l’information (en anglais ICT), et
d’enseigner la science informatique à la place.
Parallèlement, le Computer At School (CAS), groupement d’enseignants et de professionnels de
l’informatique, a proposé la création d’un enseignement d’informatique22. En juin 2012, Michael
Gove, secrétaire d’état à l’éducation annonçait la fin de l’enseignement de TIC, afin de permettre
aux établissements scolaires de proposer un vrai enseignement d’informatique (Computer Science).
Il incitait à utiliser le programme d’enseignement proposé par le CAS.
En février 2013 a été faite l’annonce que la science informatique ferait partie de l’enseignement des
sciences et des examens du Baccalauréat au même titre que la physique, la chimie ou la biologie.
20
Eurydice, 2001, op cite p 39.
royalsociety.org/uploadedFiles/Royal_Society_Content/education/policy/computing‐in‐schools/2012‐01‐12‐
21
Computing‐in‐Schools.pdf
22
Computer science as a school subject. Seizing the opportunity. CAS. Mars 2012
www.computingatschool.org.uk/index.php?id=documents
31
Shut down or restart
Quelques recommandations de la Royal Society
La question de terminologie est jugée essentielle : le rapport préconise de ne plus employer le terme fourre-
tout ICT mais d’utiliser "Digital Literacy", "Computer Science" et "Information Technology", chaque terme
étant défini en détail. L’utilisation de terminologies imprécises est vu comme ayant un fort impact négatif sur
la création de politiques cohérentes.
La formation des enseignants est un enjeu essentiel ; au Royaume Uni, seuls 35 % des enseignants d’ICT ont
été formés à ce sujet.
Le baccalauréat (A level) ICT existant, qui pourrait être l’équivalent d’un baccalauréat numérique, est en
perte de vitesse. L’échec de ce baccalauréat est dû à un manque de coordination avec le supérieur qui
n’accepte pas ensuite les étudiants dans les filières universitaires qui auraient dû les accueillir. Afin de
relancer ce A level, une meilleure concertation s’avère nécessaire.
L’enseignement de l’informatique (incluant Computer Science comme discipline) est recommandé. L’âge de
14 ans est proposé comme étant celui auquel il est important d’avoir donné les éléments à l’élève pour que
celui-ci puisse choisir d’approfondir ses connaissances et compétences en informatique (well-informed
choice). Cette question du choix bien informé est également jugée importante dans le cadre de l’analyse des
Gender Issues. Une étude complémentaire23 menée dans différents pays (Japon, Finlande, Serbie,…) vient
confirmer cette analyse.
L’exemple de l’Allemagne
En Allemagne, pays fédéral, la situation est variable selon les états. Dans l’ensemble, l’approche
intégrée des technologies de l’information vue comme outils dans les autres disciplines est
majoritairement adoptée pour le niveau primaire. Pour les niveaux collège et lycée, dans la majorité
des états, à l’exception de trois d’entre eux, l’enseignement général comporte un enseignement de
science informatique, soit obligatoire soit optionnel24. En particulier, en Bavière un enseignement
d’informatique obligatoire a été créé en 1998. Des chercheurs de l’université de Munich ont
participé à l’écriture des curricula et réalisent depuis un travail soutenu en didactique de
l’informatique25.
En 2008, la « Gesellschaft für Informatik »26, groupe d’intérêt réunissant des scientifiques et
professionnels de l’informatique, a publié une proposition de curriculum pour le niveau collège
(jusqu’à 16 ans). Les Länder qui révisent leurs programmes d’enseignement d’informatique vont
dans le sens de cette proposition.
23
www.nfer.ac.uk/nfer/publications/cis101/cis101.pdf
24
Synopse zum Informatikunterricht in Deutschland, I. Starruß 2010. En ligne : dil.inf.tu-
dresden.de/uploads/media/Bakkalaureatsarbeit_Isabelle_Starruss_01.pdf
25
Voir les travaux de Peter Hubwieser
26
« Grundsätze une Standards für die Informatik in der Schule » En ligne :
http://www.informatikstandards.de/
32
Bref aperçu sur la situation dans le reste du monde
L’Asie est une région vaste et contrastée. Les études internationales menées indiquent qu’il existe
un grand intérêt pour les formations en informatique dès le niveau lycée (en particulier Corée du
sud, Vietnam, Inde, etc.) En Inde, un cours d’informatique (Computer Science) optionnel est
proposé aux élèves âgés de 14 ans. Avant cet âge, les établissements sont libres de proposer un
enseignement d’informatique selon leurs moyens. Il existe plusieurs institutions établissant les
programmes et la certification des établissements scolaires. Les deux principaux proposent des
curricula complets pour l’enseignement d’informatique pour le niveau lycée27. Depuis 2008, un
groupe d’universitaires travaille à l’élaboration d’un curriculum28.
La situation sur le continent africain est aussi contrastée. Il est cependant notable qu’un certain
nombre de pays, en particulier en Afrique du Nord, ont mis en place des enseignements
d’informatique dès le collège. Les pays de l’Afrique sub-saharienne ont également à cœur de
proposer des enseignements spécifiques, comme moyen d’assurer un développement futur29.
En Israël30, en 1990, le ministère de l’éducation a mené un projet d’élaboration d’un curriculum en
informatique (Computer Science) pour l’enseignement secondaire. Ce programme a été mis en
œuvre en 1998, par la création de deux enseignements d’informatique au niveau du lycée : un
enseignement de 270 heures en 3 modules consacré aux bases de l’informatique, et un
enseignement de 450 heures en cinq modules sur des notions avancées. Deux modules de
fondements sont obligatoires et le reste est au choix parmi quatre modules. Des manuels pour les
élèves et des livres du professeur sont édités. Les enseignants recrutés doivent avoir au minimum
une licence d’informatique31. Les élèves sont évalués par un examen final. Actuellement, un
curriculum pour le niveau collège est en cours d’élaboration. Il comporte une partie obligatoire et
une partie optionnelle. Le programme est centré sur la programmation, la robotique et l’utilisation
du tableur pour des domaines scientifiques. L’objectif affiché est d’attirer les élèves vers les
domaines scientifiques.
Synthèse
Les expériences étrangères présentées ici nous apprennent que la mise en place d’un enseignement
d’informatique prend du temps, et suppose qu’un certain nombre de conditions soient satisfaites :
- La clarification de la terminologie utilisée. Des pays comme l’Allemagne ou Israël, qui ont
conçu et mis en œuvre des curricula en informatique (Computer Science) ne semblent pas
connaître de débat sur la terminologie. Les termes Computer Science et Informatics sont
adoptés.
- La conception d’un curriculum complet. Dans plusieurs pays, des associations ou groupement
d’intérêt réunissant des chercheurs, scientifiques et spécialistes de l’éducation ont proposé des
27
Voir le Council for the Indian Certificate Examinations, et le curriculum proposé par le Central Board of
Secondary education : http://www.cbse.nic.in/welcome.htm
28
Model Computer Science Curriculum for School, Ier et als. 2010. .
29
A noter la mise en place très récente d’un enseignement de « technologies de l’information et de la
communication a été annoncé en Côte d’Ivoire) de la maternelle à la classe de 3e : www.education-
ci.org/portail/node/250 .
30
Source : « a Model for High School Computer Science Education : The Four Key Elements that Make
it ! », O. Hazzan, J. Gar-Ezer and L. Blum, SIGCSE’08, march 2008, Portland, Oregon, USA.
31
Ragonis, N., Hazzan, O., & Gal-Ezer, J. (2010). A survey of computer science teacher preparation
programs in Israel tells us: computer science deserves a designated high school teacher preparation!
In Proceedings of the 41st ACM technical symposium on Computer science education (pp. 401–405).
33
curricula complets d’enseignement d’informatique pour les niveaux collège et lycée. C’est
notamment le cas en Allemagne, en Israël, en Ontario, aux États-Unis. Ces curricula ont
fortement contribué à la création des enseignements et leur mise en œuvre dans les
établissements. Ils ont l’avantage de fournir une description claire de ce qu’est l’informatique.
- La mise en place d’une formation solide des enseignants ou le recrutement d’enseignants
possédant une qualification en informatique de niveau licence. Dans plusieurs pays, un relatif
échec des enseignements plutôt orientés « TIC » a résulté du manque de formation des
enseignants (voir notamment l’encadré consacré au Royaume Uni). Les pays ayant créé un
enseignement de science informatique, comme Israël, ont porté un effort important sur la
formation et/ou le recrutement d’enseignants qualifiés.
34