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Document d’analyse

Mythes et réalités du transport « informel »


dans les pays en développement :
Quelles approches pour moderniser le secteur ?
Ajay Kumar
Sam Zimmerman
Fatima Arroyo-Arroyo

Un partenariat international soutenu par :


Document d’analyse

Mythes et réalités du transport « informel »


dans les pays en développement :
Quelles approches pour moderniser le secteur ?

Ajay Kumar
Sam Zimmerman
Fatima Arroyo-Arroyo

Un partenariat international soutenu par :


Tous droits réservés
Né d’un partenariat international, le Programme de politiques de transport en Afrique
subsaharienne (SSATP, Africa Transport Policy Program) a pour mission de promouvoir la
réforme du secteur des transports en Afrique subsaharienne et de faciliter le renforcement
des capacités locales.
De bonnes politiques publiques, garantissant un système de transport sûr, fiable et
économiquement viable, aident les plus démunis à accéder aux marchés et aux services et
les pays à intégrer la compétition internationale.

Le SSATP a pour partenaires :


 42 pays africains  : Angola, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert,
République centrafricaine, Tchad, Comores, Congo, République démocratique du Congo,
Côte d’Ivoire, Djibouti, Eswatini, Éthiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau,
Kenya, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Maroc, Mozambique,
Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Sud Soudan, Tanzanie, Togo,
Tunisie, Ouganda, Zambie, Zimbabwe ;
 8 communautés économiques régionales ;
 2
institutions africaines : la Commission de l’Union africaine et la Commission économique
pour l’Afrique (CEA) des Nations Unies ;
 D
es partenaires financiers appuyant son Quatrième Plan de développement  : la
Commission européenne, le Secrétariat d’État à l’Économie (SECO) de la Suisse, l’Agence
française de développement (AFD), la Banque africaine de développement et la Banque
mondiale (institution mère) ;
 De nombreuses organisations régionales et nationales publiques comme privées.

Le SSATP remercie ses pays membres et partenaires pour leurs contributions et leur
soutien.

Consulter les publications disponibles en français sur le site internet du SSATP:


https://www.ssatp.org/fr/publications
Les constatations, interprétations et conclusions présentées ici sont celles des auteurs et ne
reflètent pas nécessairement les vues du SSATP ou de ses partenaires.
© 2022 Banque internationale pour la reconstruction et le développement /Banque mondiale
1818 H Street, NW Washington, DC, 20433 États-Unis

Pour citer le présent Document d’analyse : Ajay Kumar, Sam Zimmerman et Fatima Arroyo-
Arroyo. 2022. Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement :
Quelles approches pour moderniser le secteur ? Washington, DC : SSATP.
Remerciements
Le présent Document d’analyse a été coordonné par Fatima Arroyo-
Arroyo, spécialiste en transports urbains à la Banque mondiale
et co-responsable du pilier « Mobilité et transports urbains » du
Troisième plan de développement du SSATP. Son équipe de rédaction
se compose d’Ajay Kumar et de Sam Zimmerman, consultants à
la Banque mondiale. Sa rédaction a été supervisée par Mustapha
Benmaamar, responsable du SSATP, et par Ibou Diouf, directeur du
Pôle d’expertise en transports pour la région Afrique de l’Ouest et
du Centre à la Banque mondiale. Le présent Document d’analyse
a par ailleurs bénéficié des observations de Georges Bianco Darido,
de Nupur Gupta, de Franck Taillandier, d’Elkin Bello, d’Akiko Kishiue
(Banque mondiale) et de Samson Gyamera (responsable des
transports publics de la zone métropolitaine d’Accra), ainsi que de
nombreux entretiens avec des représentants d’autorités municipales,
du secteur privé, d’associations d’exploitants de bus, de groupes
d’usagers et de médias des pays d’Afrique subsaharienne que nous
tenons à remercier pour leurs précieuses contributions.
6
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Table of Contents
Abréviations et acronymes 8
Résumé analytique 13
1. Introduction 21
2. Définir le Secteur des Transports Collectifs 25
3. Cerner les Problèmes 31
4. Déconstruire les Idées Reçues : Mythes et Réalités 43
5. Quelle Démarche Adopter ? 103
6. Principales Conclusions 119

Encadrés
Encadré IV-1. Pourquoi éviter de se focaliser sur la congestion ? 50
Encadré IV-2. Le contexte de Bogotá et celui des villes d’Afrique
subsaharienne 73
Encadré IV-3. La grogne se mue en liesse après la
démission du président du Pérou. 89
Encadré IV-4. Le peuple philippin exprime son soutien aux manifestations
des conducteurs de jeepney (16 octobre 2017). 90
Encadré IV-5. L’interdiction du « matatu » à Nairobi :
une mesure condamnée à l’échec 92
Encadré IV-6. L’essor des minibus dans les années 1970 97
Encadré V-1. Recourir aux technologies pour remédier à la crise
des transports collectifs dans les pays en développement 116
Encadré V-2. Prolongation de la collaboration entre ViaVan
et le réseau de transports londonien 117
Figures
Figure IV-1. Facteurs déterminant la qualité des transports collectifs. 80
Figure IV-2. Dessin dénonçant les pots-de-vin versés aux officiers de police,
publié en 2018 dans le journal Freetown Press. 91
Figure IV-3. Cycle des transports collectifs dans les villes d’Afrique subsaharienne
depuis les années 1980 93
Figure V-1. Schéma montrant comment le manque d’accès aux financements
entrave la modernisation des véhicules. 109

Tables
Tableau III-1. Part du réseau routier dans l’espace public 37
Tableau IV-1. Les étapes du développement des bus urbains express 72

Photos
Photo II-1. De haut en bas : jeepney à Manille, poda-poda à Freetown et terminal de bus à Lusaka. 27
Photo III-1. Installé sur un terre-plein du centre-ville de Lusaka pour répondre
à la demande des passants, ce stand d’alimentation entrave
la circulation et compromet la sécurité routière. 32
Photo III-2. À Freetown, le manque de planification urbaine a entraîné
des glissements de terrain en favorisant la déforestation des hauteurs. 33
Photo IV-1. À Lusaka, terminal de minibus trahissant la carence d’infrastructures dans le secteur. 54
Photo IV-2. Minibus attendant des passagers à l’extérieur de leur terminal. 55
Photo IV-3. Passagère se déplaçant en « okada » à Accra. 59
Photo IV-4. « Okadas » stationnés à une intersection très fréquentée de Freetown
pour y prendre des passagers. 59
Photo IV-5. La croissance exponentielle des trois roues importés d’Asie
a saturé les rues de Freetown ces dernières années. 59
Photo IV-6. Illustration des nombreux inconvénients des transports collectifs :
saturation des lignes, mauvaise qualité des services, vétusté des véhicules,
accidents de la route et pollution de l’environnement. 63
Photo IV-7. Taxis collectifs stationnés dans un quartier commerçant de Harare
pour y prendre des passagers. 65
Photo IV-8. Sur une route de Cochin, en Inde, la présence d’un chemin de fer surélevé
réduit la visibilité et entrave la traversée des piétons. 69
Photo IV-9. Bus express de Lagos 74
Photo IV-10. Très empruntés en raison de leurs tarifs compétitifs, les autobus publics
de Lusaka ne suffisent pas à absorber la demande croissante 77
Photo IV-11. Un jeepney, autrefois surnommé le « souverain incontesté des routes » aux Philippines. 90
8
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Abréviations et acronymes

AFD Agence française de développement


BAD Banque africaine de développement
UA Union africaine
BMTA Bangkok Mass Transit Authority
BHNS Bus à haut niveau de service
Réseau de bus urbain express
BRT
(Bus Rapid Transit)
LRT Métro léger
CO2 Dioxyde de carbone
3PD Troisième Plan de développement du SSATP
GIE Groupement d’intérêt financier
UE Union européenne
PIB Produit intérieur brut
Agence allemande de coopération internationale
GIZ
(Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH)
TIC Technologies de l’information et de la communication
9

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Fédération internationale des ouvriers du transport
ITF
(International Transport Workers’ Federation)
ITDP Institute for Transportation and Development Policy
INTP Politique nationale intégrée des transports (Integrated National Transport Policy)
S&E Suivi et évaluation
NACOWA Nigerian Auto Bike Commercial Owners and Workers Association
NAFEBO National Federation for Boda Bode Operators
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
PPP Partenariat public-privé
Programme de modernisation des véhicules utilitaires publics
PUVMP
(Public Utility Vehicle Modernization Program)
SECO Secrétariat d’État à l’Économie de la Suisse
Programme de politiques de transport en Afrique subsaharienne
SSATP
(Sub-Saharan Africa Transport Policy Program)
TfL Transport for London
CEA Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique
USD Dollars des États-Unis (United States Dollar)
« Si j’avais une heure pour résoudre un problème,
je passerais cinquante-cinq minutes à définir le problème
et seulement cinq minutes à trouver la solution. »

Albert Einstein
12
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement
13

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo

analytique
Résumé
14
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Les transports apparaissent souvent comme un leur nom varie de pays en pays, les raisons et les
secteur paradoxal, où les services peuvent se conséquences de leur essor sont généralement
dégrader alors que les revenus augmentent. Pour similaires, tout comme les tendances économiques,
expliquer une telle dégradation, l’essor du secteur sociales, politiques, financières, techniques et
informel des transports serait un des facteurs géographiques auxquelles sont soumis les systèmes
à l’origine des maux qui affectent nos routes de transport du monde entier.
(congestion, pollution, accidents de la route, etc.),
Apparu aux États-Unis à la fin des années  1960, le
au même titre que la motorisation croissante de la
terme paratransit (transport « parallèle » ou « semi-
population, deux maillons de la même relation de
collectif ») y désignait souvent des services fournis
cause à effet: hausse des revenus > motorisation >
à la demande pour compléter l’offre du système
déclin des transports collectifs > essor du secteur
public. Dans les pays en développement, le grand
informel des transports.
public bénéficie généralement d’une vaste offre
Avant d’identifier les causes du problème et de de transports «  parallèles  » ou «  semi-collectifs  »,
réfléchir aux solutions éventuelles, le présent souvent assurés par des prestataires peu encadrés,
Document commence par analyser les symptômes voire illégaux. Ces transports relèvent de l’économie
observés : la dégradation du secteur des transports informelle, car ils sont rarement soumis aux règles et
et l’expansion de sa facette informelle. Il examine procédures d’exploitation officielles. Plusieurs autres
pour ce faire les formes de transport qui impactent facteurs favorisent par ailleurs le développement du
tout particulièrement la vie sociale, économique et secteur informel des transports collectifs, comme
environnementale des pays: les transports collectifs, le taux de chômage élevé, la facilité d’accès à ce
et plus particulièrement les transports « artisanaux » marché ou la possibilité de revenus immédiats, qui
qui composent le secteur informel des transports attirent souvent les nouveaux travailleurs urbains
collectifs. Le présent Document d’analyse entend en l’absence de meilleures perspectives.
ainsi: a)  appréhender la singularité historique,
Au fil du temps, différents facteurs ont entravé
institutionnelle, spatiale, environnementale, sociale,
la mobilité urbaine et entraîné l’essor du secteur
économique et politique des systèmes de transport
informel des transports collectifs dans les villes
en Afrique subsaharienne; b) identifier les causes de
en développement. En premier lieu, l’explosion
leur détérioration; c)  déconstruire les idées reçues
démographique des villes africaines et leur
pour permettre aux autorités de mieux organiser
considérable expansion géographique depuis le
le secteur informel des transports collectifs à tous
début des années  1990 ont favorisé l’apparition de
les échelons et d’améliorer ainsi les systèmes
périphéries non planifiées et faiblement peuplées.
de transports collectifs dans leur ensemble, en
Les distances à parcourir se sont allongées pour
se laissant toujours guider par les besoins de la
atteindre les logements qui y ont été construits, loin
population; et d)  dresser une feuille de route dans
de tout centre d’activité, tandis que la motorisation
ce sens1, à laquelle seront consacrées de futures
et les déplacements ont bénéficié de la hausse des
publications.
revenus. Le décalage entre la quantité, la qualité et
Le présent Document d’analyse examine l’état des infrastructures et services d’une part et,
notamment le cas des minibus et des taxis de l’autre, la rapide croissance de la demande ont
collectifs, les modes de transports les plus anciens et encore aggravé les problèmes de sécurité routière,
répandus d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, et de pollution, de mobilité, de congestion, etc. Le
plus particulièrement ceux qui prédominent encore présent Document d’analyse détaille les causes
en Afrique subsaharienne, bien que d’autres modes complexes d’une telle détérioration.
de transport « artisanaux » à deux et trois roues
En Afrique subsaharienne, les citadins se déplacent
se soient récemment développés sur un modèle
principalement à pied ou en transports collectifs.
économique comparable (respectivement les xiom
Cette région diffère toutefois des pays d’Orient et
au Vietnam et les tempos en Inde, par exemple). Si

1 Dans le présent Document d’analyse, le secteur informel des transports collectifs renvoie essentiellement aux minibus et
aux taxis collectifs, dont les noms varient en fonction des villes. Une prochaine publication sera consacrée aux modes de
transport à deux ou trois roues qui se sont considérablement développés ces dernières années, mais suivent des modèles
d’exploitation et d’organisation différents.
15

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


d’Occident à revenus plus élevés, dans la mesure où sous-traitent l’exploitation. Ces différents facteurs
les transports collectifs relèvent majoritairement du affaiblissent la viabilité financière du secteur en
secteur informel et se caractérisent par des services, créant une offre supérieure à ce que le marché est
des régimes d’exploitation et des financements qui capable d’absorber.
lui sont propres.
Souvent achetés d’occasion et importés de pays
Services proposés par le secteur. Dans le secteur à revenus élevés, les petits et moyens véhicules
informel des transports collectifs, l’offre est définie servant à fournir ces services (berlines, camionnettes,
par les propriétaires/exploitants des véhicules etc.) sont acquis à un prix plus avantageux, mais en
en fonction de la demande des usagers ou des moins bon état que des véhicules neufs. Ils peuvent
créneaux attribués par des acteurs privés (des être exploités par leurs propriétaires eux-mêmes,
associations ou des syndicats de propriétaires/ comme c’est souvent le cas en Amérique latine, ou
exploitants). Ces services ne suivent pas d’horaires loués à des conducteurs non-salariés, contraints à
ni d’itinéraires préétablis, qui seraient difficiles à payer de leur poche tous les frais (comme l’essence)
concevoir et impossibles à appliquer en raison de et donc poussés à rivaliser entre eux pour attirer le
la nature aléatoire de la demande: les conducteurs plus de clients possible.
quittent les terminaux lorsque leur véhicule est plein
La présence de ce type de transport sur les routes
et s’arrêtent à l’heure et à l’endroit où des voyageurs
entraîne une hausse disproportionnée du risque
souhaitent monter ou descendre.
d’embouteillages et d’accidents. Trop nombreux
Exploitation et financement du secteur. Dans par rapport à la demande, les conducteurs ne
les rares villes où le secteur des transports est à perçoivent que de maigres revenus dont ils doivent
la fois réglementé et majoritairement informel, encore déduire la location du véhicule et le coût du
il est souvent encadré par des autorités dotées carburant. Le droit du travail de leurs pays respectifs
d’un personnel insuffisant, investies de faibles ne prévoit en outre aucune disposition sur leur
compétences ou mues par des intérêts particuliers. temps ou leurs conditions de travail, généralement
Seuls les tarifs y font généralement l’objet d’un déplorables. Poussés par la nécessité d’accroître
plafonnement, que les exploitants de transports leurs revenus pour les uns et de réaliser leur retour
« artisanaux » parviennent malgré tout à contourner. sur investissement pour les autres, les conducteurs
Les licences d’exploitation sont simples et peu et les propriétaires de véhicules exacerbent le
coûteuses à obtenir; leurs titulaires exploitent des problème de l’offre excédentaire, les premiers en
véhicules bas de gamme et en mauvais état; et la allongeant leur journée de travail, les seconds en
taille de la flotte repose moins sur la demande des acquérant des véhicules supplémentaires au lieu
voyageurs que sur les attentes des investisseurs. d’entretenir le parc existant et de ne le remplacer
L’exploitation de véhicules est considérée comme qu’en fin de vie.
une activité génératrice de revenus pour leurs
Contrairement au secteur informel des transports
propriétaires, les autorités de réglementation et les
collectifs, le secteur formel suit des horaires et des
forces de l’ordre.
itinéraires préétablis. Principalement exploités par
Rarement dotées de compétences suffisantes en de relativement grandes entreprises publiques ou
matière d’analyse et de planification, les autorités privées, leurs véhicules ne desservent que des arrêts
chargées d’octroyer les licences ne se montrent préétablis.
guère capables d’équilibrer l’offre et la demande et
tendent à en augmenter le nombre pour maximiser
leurs recettes. Attirées par l’appât du gain, de
nombreuses autorités chargées de réglementer et
de contrôler le secteur finissent par acquérir elles-
mêmes des véhicules ou des licences dont elles
16
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Idées reçues examinées


par le présent Idée reçue n° 1
Document d’analyse Dans les pays en développement, les besoins
de toutes les couches sociales en matière de
Les pays en développement manquent mobilité et d’accessibilité sont généralement
d’information pour identifier les causes pris en compte dans l’élaboration des stratégies
profondes des problèmes de transport de transports collectifs urbains.
auxquels ils sont confrontés. Nombre
d’initiatives menées pour réformer et
améliorer ce secteur se sont soldées par Idée reçue n° 2
des échecs, car elles reposaient sur des La solution aux problèmes de mobilité urbaine
mythes forgés pour combler ce manque réside dans la construction d’infrastructures
d’information, notamment au sujet du routières et l’acquisition de matériel roulant.
secteur informel des transports collectifs.
Le présent Document d’analyse se penche
sur une série d’idées reçues: Idée reçue n° 3
La popularité croissante des taxis collectifs et
d’autres moyens de transport artisanaux est le
résultat d’une déréglementation délibérée des
transports collectifs.

Idée reçue n° 4
Le secteur informel des transports collectifs
s’est développé en réponse à la disparition du
système public, dans les années 1970 à 1990.

Idée reçue n° 5
Le secteur informel des transports collectifs
devrait être entièrement supprimé, car
il présente bien moins d’avantages que
d’inconvénients (en matière de sécurité,
de protection de l’environnement et de
rendement).

Idée reçue n° 6
Des transports publics aux horaires, itinéraires et
arrêts préétablis constituent la solution idéale.
Prédominant jusque dans les années 1990 pour
tous les modes de transports, ce modèle devrait
être rétabli dans toutes les villes des pays en
développement.
17

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Idée reçue n° 7 Idée reçue n° 12
Face au déclin quantitatif et qualitatif La formalisation du secteur informel des
des services de transport urbain et à transports collectifs constitue la principale
l’encombrement des routes dans la plupart solution à son évasion fiscale délibérée, qui
des pays en développement, la seule solution prive les municipalités de recettes budgétaires
consiste à investir dans des modes de transport et exerce une concurrence déloyale vis-à-vis de
collectif de masse (bus, trains ou autres) et à y son équivalent formel.
subordonner le reste du système.

Idée reçue n° 13
Idée reçue n° 8 La population des pays en développement
Les réseaux de bus à haut niveau de service emprunte les transports collectifs parce qu’elle
permettent de réduire la congestion et n’a pas d’autres choix.
d’améliorer la qualité des transports collectifs
dans les villes en développement.
Idée reçue n° 14
Véritable phénomène culturel, les transports
collectifs « artisanaux » exercent une influence
Idée reçue n° 9 politique considérable au-delà de leur propre
Le faible rendement du secteur privé devrait secteur.
pousser les autorités municipales à maintenir
leurs propres compagnies de bus ou à en créer
de nouvelles.
Idée reçue n° 15
Il conviendrait d’inciter les gouvernements
à fluidifier le trafic routier en acquérant une
flotte d’autobus, dont chacun peut remplacer
Idée reçue n° 10 plusieurs véhicules « artisanaux » de plus petite
taille (berline, camionnette, etc.).
Les tarifs des transports collectifs devraient être
encadrés pour être accessibles aux plus pauvres,
sans pour autant éliminer la concurrence.
Idée reçue n° 16
Le remplacement de réseaux informels par des
Idée reçue n° 11 réseaux formels de transports collectifs peut se
Les moyens de transport «  artisanaux  » ne faire sans perte d’emploi, via la reconversion
devraient pas être autorisés à circuler sur les professionnelle de la main d’œuvre existante.
voies réservées aux BHNS et aux transports
ferroviaires, qui présentent le double avantage
d’être modernes et d’offrir des capacités élevées.
Idée reçue n° 17
La formalisation d’un système informel de
transports collectifs ne requiert aucune aide
financière de l’État.
18
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Le présent Document d’analyse entend déconstruire


ces différentes idées reçues en fournissant une
description de la situation actuelle et en proposant
différentes pistes d’amélioration. Il formule ainsi des
recommandations d’ordre général, à approfondir
lors de l’aménagement de chaque territoire
particulier, et conclut qu’il n’existe pas de solution
universellement applicable. Dans les villes des pays
développés comme des pays en développement,
divers facteurs déterminent en effet les besoins
de transport à satisfaire  : le niveau de revenus, le
profil socioprofessionnel et la taille des ménages,
la nature des déplacements (distance, destination,
objet, heure, etc.) et le volume des voyageurs. À lui
seul, aucun mode ou réseau de transport ne saurait
répondre aux besoins de tous les citadins.

Ces dernières années, la pandémie de COVID-19 a


perturbé les habitudes des voyageurs. Le secteur
informel des transports collectifs a moins pâti de
leur désaffection que son équivalent formel en
raison de ses tarifs compétitifs et de l’absence de
solutions alternatives. Il s’est en effet avéré bien
plus délicat pour les transports collectifs du secteur
formel de rester rentables tout en observant les
mesures de distanciation sociale  : ils ne pouvaient
plus compenser leurs nombreux coûts fixes et leurs
considérables coûts d’investissement, d’exploitation
et d’entretien en remplissant au maximum des
véhicules plus grands et plus difficiles à ventiler que
ceux du secteur informel (comme les trains ou les
bus à haut niveau de service).

À travers le monde, ces différents facteurs ont


poussé les villes à diversifier l’exploitation et le
financement de leur système de transport. Dans
différents pays développés, les services de transports
collectifs proposés dans certaines zones urbaines
ont par exemple été complétés ou remplacés
par des services similaires à ceux proposés par le
secteur informel de pays en développement, tout
en maintenant des services formels ou express dans
d’autres zones.

Dans les pays développés, où les transports


collectifs sont généralement planifiés, réglementés
et financés par une seule et même autorité
publique, cette tâche se trouve facilitée par la
disponibilité et le traitement des données en temps
19

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


réel et l’utilisation des technologies de l’information
et de la communication, qui permettent en outre
d’optimiser l’usage des véhicules motorisés.

Pour terminer, le présent Document d’analyse


pose la question suivante  : dans quelle mesure
les répercussions en apparence négatives des
transports «  artisanaux  » justifieraient-elles de
les interdire  ? Il invite les lecteurs à y répondre
en fonction de chaque contexte, et tire les trois
conclusions suivantes :

1. A
ucune mesure prise pour interdire le secteur
informel (comme à Nairobi, Lagos ou Maputo)
n’a encore produit les résultats escomptés. Le gel
de l’octroi des licences conjugue souvent les pires
effets des différents scénarios en provoquant la
prolifération de véhicules à deux ou trois roues et
de taxis collectifs illégaux.
2. À l’inverse, la stratégie consistant à accepter ce
secteur en l’état s’avère elle aussi problématique
au vu des considérables progrès à réaliser en
matière de sécurité, de décongestion des routes
et de protection de l’environnement.
3. Caractérisé par son faible niveau de
réglementation et son manque de qualité, le
vaste secteur informel des transports collectifs
pourrait être modernisé et rationalisé pour
répondre aux différents besoins de la population.
Trois défis devraient être relevés pour y parvenir :
(a)  améliorer la réglementation, l’organisation
et la planification du secteur pour permettre
aux exploitants de travailler dans de meilleures
conditions et de fournir de meilleurs services et
(b)  améliorer l’administration des routes et les
conditions de circulation pour permettre aux
exploitants de fournir des services de qualité.
De telles réformes devraient par ailleurs être
menées progressivement pour permettre
une gestion efficace des risques, susciter
l’adhésion des parties prenantes et transformer
progressivement le secteur.
Le présent Document d’analyse fournit un cadre
et des orientations stratégiques, sans pour autant
préconiser de solutions spécifiques aux différents
contextes urbains.
20
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement
21

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Introduction
22
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

La mise en place d’un système de transports


urbains satisfaisant relève du casse-tête dans
les pays en développement: les autorités doivent
composer avec une urbanisation galopante pour
permettre aux citadins de se déplacer (au travail,
à l’école, chez le médecin, au supermarché, etc.) et
accroître du même coup la commodité, l’attrait et la
compétitivité de leurs villes. Pour résoudre ce casse-
tête, il leur faut surmonter des obstacles et jongler
avec des objectifs souvent contradictoires en matière
de mobilité, de protection de l’environnement,
de financement et de santé publique (par ex.: le
renforcement de la sécurité routière, la lutte contre la politique des prix empêchent d’augmenter les
les changements climatiques et plus récemment la tarifs proportionnellement aux coûts, notamment
lutte contre la pandémie de COVID-19). La solution du carburant. Pour ne rien arranger, les transports
qui consiste à recourir à des services privés, adéquats collectifs se trouvent contraints d’étendre
et sûrs soulève néanmoins la question de l’égalité leurs réseaux pour compenser la dispersion
de l’accès aux transports collectifs. démographique de villes devenues tentaculaires, et
compromettent leur viabilité financière en réduisant
Dans les villes des pays en développement, les
de ce fait leur niveau de service ou leur coefficient
citadins qui dépendent des transports collectifs
de remplissage.
sont les premiers affectés par la dégradation de
la qualité et du niveau des services. Les différents Dans les villes des pays en développement, les
maux se cumulent: les routes sont engorgées sous transports collectifs informels ou « artisanaux » sont
l’effet de la croissance démographique des villes et empruntés par une population majoritairement
de la motorisation de leurs habitants, tandis que pauvre, et sont souvent détenus ou exploités par
la double pression exercée par la concurrence et des fonctionnaires qui emploient une grande partie
des conducteurs. Leur efficacité et leur accessibilité l’offre de transports (que ce soit sur routes, chemins
devraient à ce titre constituer une priorité politique. de fer ou voies de bus à haut niveau de service).

La promesse de régler ces « problèmes » en De la restructuration partielle à l’abolition complète


puisant dans les caisses de l’État pour construire du secteur informel des transports, les réformes
de nouvelles infrastructures, acquérir des véhicules entreprises jusqu’à présent n’ont guère produit les
plus modernes ou subventionner les transports résultats escomptés. Suivant la citation d’Albert
collectifs a été brandie au cours de maintes Einstein en exergue, le présent Document d’analyse
campagnes électorales au Nigéria, au Ghana, en prend le temps et le recul nécessaires pour cerner
Zambie, en Afrique du Sud, en Tanzanie, en Inde les problèmes existants avant de réfléchir aux
ou encore aux Philippines. Or, la mobilité de chaque solutions: il déconstruit les principales idées reçues,
ville et de chaque pays dépend d’une multiplicité envisage des approches alternatives et formule
de facteurs (sociaux, techniques, géographiques, des recommandations pour mieux répondre aux
économiques, financiers et politiques) qu’il est besoins de villes en pleine mutation.
impossible de corriger en se contentant d’accroître
24
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement
25

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Définir le secteur
des transports
collectifs
Pour répondre à la problématique posée en introduction, il convient
de commencer par définir le secteur des transports collectifs.
26
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Le secteur informel des transports collectifs

Prédominants dans les pays en développement, Encadré à des degrés divers, ce secteur est
les transports collectifs « artisanaux » du secteur généralement libre de réglementer ses conditions
informel adaptent leur offre à la demande : de travail et l’entretien de ses véhicules. Parfois
assujettis à une licence d’exploitation délivrée par
 e
n circulant aux heures et dans les conditions
l’État, ses exploitants sont généralement affiliés à
définies par leurs exploitants ;
un syndicat dont les cotisations donnent accès à ses
 e
n ne quittant leur terminal qu’une fois pleins ou itinéraires et à ses terminaux.
largement remplis ;
Généralement très jaloux de leurs prérogatives, les
 e
n ne desservent généralement pas d’arrêts
syndicats constituent une force politique majeure
préétablis, mais en s’arrêtant lorsqu’un passager
dans la plupart des pays en développement. Leur
souhaite monter ou descendre ;
influence émane de leur base syndicale et de leur
 en déviant de leur itinéraire si besoin ; proximité avec les fonctionnaires qui délivrent leurs
 en ne suivant pas d’horaires préétablis. licences ou possèdent leurs véhicules (par ex. : les
La plupart des transports collectifs « artisanaux » agents de police ou de réglementation).
sont exploités par des entrepreneurs individuels Forgé à la fin des années  1960 aux États-Unis, le
qui ne reçoivent aucune subvention publique et terme paratransit (traduit en français par transport
possèdent souvent une flotte de moins de quatre « parallèle » ou « semi-collectif ») y désignait les
unités2, généralement des véhicules d’occasion services proposés pour compléter l’offre du système
importés de pays développés (comme des motos, public3,4. Souvent assimilé aux services qui adaptent
des « pousse-pousse » à trois roues et trois places leur offre à la demande5, il recouvre en pratique la
assises, ou encore des camionnettes ou des minibus
gamme des services situés entre le secteur privé et
pouvant transporter jusqu’à 35  passagers assis et
les transports collectifs aux horaires et itinéraires
debout). Leurs conducteurs sont généralement
préétablis6. Dans les pays en développement,
rémunérés à la commission et assistés de membres
les citadins bénéficient généralement d’une
de leur famille qui vendent les titres de transport et
vaste offre de transports « parallèles » ou « semi-
supervisent la montée et la descente des passagers
collectifs » souvent assurés par des exploitants
et de leurs bagages.

2 Les villes ont récemment vu exploser les services de transports collectifs informels fournis par des véhicules à deux ou trois
roues et par des taxis collectifs, qui sont plus libres encore que les minibus en matière d’entrée sur le marché et de conditions
à remplir, mais ne font pas l’objet de la présente analyse.

3 Paratransit, Special Report 164, Transportation Research Board, National Academy of Sciences, Washington DC, 1976

4 R.F.Kirby, et al. Para-Transit: Neglected options for Urban Mobility, Urban Institute, Washington, DC, 1975

5 Définition Wikipédia: Respectivement employées aux États-Unis et au Royaume-Uni, les expressions paratransit et
community transport renvoient aux services fournis pour compléter l’offre de transports collectifs aux itinéraires et horaires
préétablis. Leur degré de personnalisation et de flexibilité varie considérablement, allant de taxis ou de minibus suivant un
itinéraire vaguement défini et s’arrêtant pour faire monter ou descendre des usagers, à des véhicules desservant des adresses
précises au départ et à destination de n’importe quel l’endroit indiqué par l’usager au sein des zones desservies.

6 Cervero, 1975
27

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


peu encadrés, voire illégaux. Rarement soumis
aux règles et procédures d’exploitation officielles,
ces transports relèvent de l’économie informelle et
restent considérés comme des transports informels
ou « artisanaux » même lorsqu’ils sont légaux et
réglementés, par opposition aux services proposés
par de grandes compagnies aux horaires et
itinéraires préétablis (c’est le cas du Metro Mass
Transit d’Accra ou des coopératives de Maputo).

À travers le monde, ces transports « parallèles » ou


« semi-collectifs » présentent des caractéristiques
similaires en matière d’offre, de gestion et
d’exploitation, mais des appellations variables en
fonction des pays: « service » (Liban, Jordanie et
Palestine), « dolmus » (Turquie), « sherut » (Israël),
« jeepneys » (Philippines), « bemo » (Bali, Indonésie),
« trotro » (Ghana), « danfo » (Nigeria), « combi » ou
« taxi » (Afrique du Sud), « car rapide » (Sénégal),
« micro » (Pérou), « chapa » (Maputo, Mozambique),
« matatu » (Nairobi, Kenya), « poda-poda »
(Freetown, Sierra Leone) et « dala-dala » (Dar es
Salaam, Tanzanie).

Photo II-1.
De haut en bas: terminal de bus à Lusaka, jeepney à Manille et poda-poda à Freetown.
28
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Le secteur formel des


transports collectifs

Les transports collectifs du secteur formel sont bien


moins répandus dans les pays en développement
que dans les pays développés et les pays à revenus
intermédiaires ou élevés, car ils sont réglementés
par l’État (notamment en matière de conditions de
travail) et donc plus coûteux que leurs équivalents
du secteur informel.

Ils se caractérisent par :

 la prestation de services à  d
es itinéraires et des arrêts  l’obligation de se conformer
des heures précises selon des préétablis entre deux à des réglementations
horaires préétablis ; terminaux ; en matière de licence
d’exploitation, de véhicules, de
tarifs, d’horaires, d’itinéraires,
d’arrêts et de terminaux ;
29

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo

 la possibilité de confier leur exploitation à  l a subvention par l’État de leur exploitation, de


des compagnies publiques ou d’organiser leur entretien, de la construction d’installations
des appels d’offres pour octroyer des licences et d’infrastructures et/ou de l’acquisition
d’exploitation à des compagnies privées ; d’équipement et de matériel roulant.
30
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement
31

Cerner les Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo

Problèmes
Dans les villes des pays en développement, différents
facteurs ont progressivement entravé la mobilité urbaine
et favorisé le développement du secteur informel des
transports collectifs.
32
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Facteurs directs et tangibles

Une croissance démographique plus rapide que le développement des infrastructures


et des services de transport

La population des villes d’Afrique subsaharienne de plus de 20  millions d’habitants comme Lagos
s’élève actuellement à 472  millions d’habitants et aux villes de moins de 500 000 habitants8. L’Afrique
devrait doubler d’ici 25 ans, à raison d’une croissance subsaharienne devrait compter 100  villes de plus
démographique annuelle de quatre  pour cent d’un million d’habitants d’ici 2025, soit deux fois
(inimaginable dans les pays développés)7. Cette plus que l’Amérique latine (McKinsey). Dans cette
tendance s’explique moins par l’exode rural à région, la population urbaine se répartit à 34  pour
partir des régions agricoles que par la croissance cent dans les grandes villes (plus d’un million
démographique des villes elles-mêmes et par d’habitants), à environ 15  pour cent dans les villes
l’expansion géographique des conurbations secondaires (de 250  000 à un million d’habitants)
proches. À la lisière des villes, des logements sortent et à 50  pour cent dans les petites villes (moins de
de terre dans le plus grand mépris des règles 250 000 habitants), tandis que les villes de moins de
d’urbanisme. Tous les centres urbains contribuent 50  000  habitants représentent 29  pour cent de la
à cette croissance démographique, des mégapoles population urbaine du continent africain9.

Photo III-1.
Installé sur un terre-plein du centre-ville de Lusaka pour répondre à la demande des passants,
ce stand d’alimentation entrave la circulation et compromet la sécurité routière.

7 The State of African Cities 2008, A framework for addressing urban challenges in Africa, Programme des Nations Unies
pour les établissements humains (ONU-Habitat) 2008.

8 https://www.cfr.org/backgrounder/urbanization-sub-saharan-africa

9 Which Way to Livable and Productive Cities? A Road Map for Sub-Saharan Africa, Kirsten Hommann et Somik V. Lall,
Banque mondiale (2019).
L’accélération de la motorisation sous l’effet conjugué de la croissance
démographique et de la hausse des revenus en milieu urbain

Dans les pays d’Afrique subsaharienne, les pour mille habitants est passé de moins de 40 à plus
déplacements en véhicules particuliers (automobiles de 250 à Accra10 et de 60 à environ 200 à Nairobi11. À
et motos) doublent pratiquement tous les cinq à ces deux facteurs s’ajoutent les capacités restreintes
six  ans sous les effets conjugués de la croissance des infrastructures routières, saturées dans la
démographique (deux à trois pour cent par an) et de plupart des villes d’Afrique subsaharienne par un
l’augmentation des véhicules (sept à huit pour cent trafic croissant qu’elles sont incapables d’absorber.
par an). Entre 2000 et 2015, le nombre de véhicules

Le manque d’aménagement du
territoire

L’urbanisation galopante de l’Afrique sub-


saharienne résulte moins d’une densification
des villes existantes que de l’expansion et de
l’agglomération de quartiers et de villages
auparavant isolés. Les zones les plus récemment
urbanisées se caractérisent par l’insuffisance des
transports collectifs et des réseaux routiers en
matière de capacités, de couverture et d’intégration.

En périphérie de ces villes « tentaculaires »,


l’étalement urbain et l’absence de planification des
transports privent les entreprises des avantages
économiques généralement conférés par l’échelle
géographique et la densité démographique du
tissu urbain; ils contribuent de surcroît à élever le
coût des transports12 et à réduire l’accès à l’emploi.
Les disparités de développement et le manque
d’infrastructures y entravent par ailleurs la
desserte du territoire par des transports collectifs
conventionnels aux itinéraires et horaires préétablis.
Si le développement durable exige de planifier
les transports tout en aménageant le territoire,
peu de villes veillent en réalité à coordonner ces
deux tâches, même dans les pays développés. Les
populations ayant un moindre poids économique
et politique sont aussi les plus susceptibles de vivre
dans de telles conditions, qui entravent encore
Photo III-2.
davantage leur accès à l’emploi, à l’éducation, aux À Freetown, le manque de planification urbaine a entraîné des
soins de santé et aux services sociaux essentiels. glissements de terrain en favorisant la déforestation des hauteurs.

10 Franklin Obeng-Odoom (2010) “Drive left, look right: the political economy of urban transport in Ghana”, International
Journal of Urban Sustainable Development, 1:1-2, 33-48.

11 Franklin Obeng-Odoom (2010) “Drive left, look right: the political economy of urban transport in Ghana”, International
Journal of Urban Sustainable Development, 1:1-2, 33-48.

12 The State of African Cities: A framework for addressing Urban Challenges in Africa, ONU-Habitat (2008).
34
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

L’évolution de la structure des villes

À taille égale, les zones métropolitaines Prédominante en Afrique subsaharienne,


d’Afrique subsaharienne présentent une densité l’économie informelle favorise en outre la dispersion
démographique inférieure à celles d’autres pays et la faible densité de l’emploi. On n’y trouve donc
en développement, dans la mesure où elles guère de centres ni de corridors recevant une
s’urbanisent en s’étendant vers l’extérieur. Entre demande suffisante pour proposer des services de
1985 et 2000, la zone métropolitaine d’Accra a par transport express, puissants et performants, hormis
exemple vu sa surface augmenter de 160 pour cent quelques exceptions géographiques (par ex. à
(et sa zone bâtie passer de 133 à 344  kilomètres Dakar, la capitale du Sénégal) ou économiques
carrés entre 1990 et 2005), tandis que sa population (par ex. à Johannesburg ou Addis-Abeba, sièges
n’a augmenté que de 50 pour cent. Sur cette même de nombreuses multinationales et organisations
période, la zone métropolitaine d’Accra a même internationales).
vu baisser d’environ 40  pour cent sa densité de
Or, la structure des réseaux routiers en Afrique
population moyenne en raison du plus faible taux
subsaharienne reflète généralement celle des villes.
de croissance démographique enregistré à Accra
Parfois traversées de bout en bout par de grands
même que dans le reste de la zone métropolitaine13.
axes qui se coupent en deux ou trois points centraux,
Le centre des villes d’Afrique subsaharienne, même les vastes zones métropolitaines sont généralement
les plus grandes, se caractérise souvent par la faible parcourues d’axes intermédiaires plus étroits,
densité et par l’homogénéité des logements. C’est tortueux, discontinus et distants les uns des autres,
en périphérie que s’installent généralement les auxquels sont mal reliées les nombreuses petites
populations issues de l’exode rural, vivant à plusieurs routes en terre battue qui sillonnent les quartiers
générations dans des maisons individuelles bâties habités.
sur des terrains « libres », à peu de frais et souvent
sans titre de propriété.

13 Source : Banque mondiale, 2017.


35

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


L’insuffisance des infrastructures
(et des services)

L’Afrique subsaharienne devrait dépenser entre


130 et 170 milliards de dollars par an pour combler
ses besoins criants en matière d’infrastructures
urbaines (routes, rues, tout-à-l’égout, eau courante,
raccordement à l’électricité, etc.)14. Déjà confrontés
à un déficit financier de 68 à 108 milliards de dollars
alors qu’un tiers seulement des investissements
nécessaires à l’horizon 2050 ont été réalisés, les
États africains sont contraints de les financer eux-
mêmes du fait de leur situation macroéconomique,
de la faiblesse du cadre juridique (notamment en
matière d’application des contrats), d’obstacles
réglementaires et d’autres facteurs dissuasifs pour
le secteur privé. Alors que certains pays d’Asie de
l’Est ont accru leur taux d’investissement à mesure
qu’ils s’urbanisaient (comme la Chine, le Japon et la
Corée du Sud), les pays d’Afrique se sont contentés
de le maintenir autour de 20  pour cent du PIB
entre 1980 et 201115. La Chine a par exemple accru
son taux d’investissement de 35 à 48 pour cent sur
cette même période, voyant son taux de population
urbaine passer de 18 à 52 pour cent entre 1978 et 2012.
Au terme de cette période, l’Asie de l’Est affichait un
taux d’investissement régional supérieur à 40 pour
cent du PIB16.

L’évolution des déplacements

Malgré leur forte urbanisation, les villes d’Afrique


subsaharienne continuent d’afficher une densité
relativement faible en matière de population et
d’emploi (cf. plus haut «  l’évolution de la structure
des villes  »). Certes nombreux, les citadins n’ont
guère tendance à effectuer des trajets compatibles
avec une offre de transports collectifs performants,
puissants et rapides (points de passage multiples et
divergents plutôt que communs et convergents).

14 African Economic Outlook 2016, Sustainable Cities and Structural Transformation, Banque africaine de développement
(BAD), Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), Programme des Nations Unies pour le
développement (PNUD) (2016).

15 https://www.weforum.org/agenda/2018/06/Africa-urbanization-cities-double-population-2050-4%20ways-thrive/

16 Somik Vinay Lall, J. Vernon Henderson, Anthony J. Venables Africa’s Cities: Opening Doors to the World, Banque mondiale (2017)
36
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Facteurs indirects et moins tangibles

Une plus forte urbanisation avec un niveau de richesse inférieur

Pour un taux d’urbanisation de 40 pour cent, les pays Le plus faible niveau de PIB par habitant enregistré
d’Afrique subsaharienne disposent actuellement par l’Afrique peut s’expliquer par l’exode rural
d’un PIB par habitant de 1  000  dollars des États- de populations dont le niveau d’instruction et de
Unis17 ; à titre de comparaison, lorsqu’ils ont atteint ce compétence s’avère insuffisant pour décrocher des
taux d’urbanisation, les pays du Moyen-Orient et de emplois stables et relativement bien rémunérés
l’Afrique du Nord disposaient d’un PIB par habitant dans l’économie formelle.
de 1 800 dollars (en 1968) et les pays de l’Asie de l’Est et
du Pacifique d’un PIB par habitant de 3 600 dollars
(en 1994), exprimés en dollars constants de 2005.

L’imprévisibilité spatio-temporelle des emplois créés par l’économie informelle

L’économie informelle emploie 85,8  pour cent rémunérés, ne donnent droit à aucune prestation
de la main-d’œuvre en Afrique subsaharienne, sociale, ne suivent pas d’horaires réguliers et ne
contre 68,2  pour cent en Asie et dans le Pacifique, disposent pas de locaux fixes. Or, l’existence d’un
40  pour cent dans les Amériques et 25,1  pour cent marché stable et étendu s’avère indispensable pour
en Europe et en Asie centrale18. Dans la construction, pouvoir investir massivement dans le transport des
l’hôtellerie, la vente et d’autres secteurs de l’économie travailleurs et garantir l’efficacité économique et la
informelle, la plupart des emplois sont faiblement viabilité financière de tels investissements.

17 Ibid.

18 Transition from the Informal to the Formal Economy Recommendation, 2015 (No. 204), Organisation internationale du travail (OIT)
Le manque d’investissements dans 37

les infrastructures routières ces

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


dernières décennies et le recours
croissant à des véhicules plus petits
et mieux adaptés à des réseaux
marginaux

La part du réseau routier dans l’espace public est


bien plus réduite en Afrique subsaharienne que
dans les autres régions du monde. Le Tableau III-1
indique en effet que cette part est inférieure à 15 pour
cent dans toutes les villes d’Afrique examinées,
alors qu’elle varie entre 15 et 36  pour cent dans
le reste du monde19. En Afrique subsaharienne,
les périphéries sont nettement défavorisées en
termes de couverture, de capacité et d’état des
infrastructures : si la concentration du réseau routier
est extrêmement élevée en centre-ville, sa part
dans l’espace public chute brutalement à mesure
qu’on s’en éloigne, contribuant ainsi à la mauvaise
desserte, voire à l’isolement des périphéries20.

Tableau III-1. Part du réseau routier dans l’espace public21

Ville % de l’espace public Ville % de l’espace public

New York (Manhattan) 36 Auckland 18.1


Hong Kong 33.7 Brasilia 16.7
Barcelone 33 Bangkok 15.9
Paris 29.7 Kigali 15.7
Amsterdam 29.1 Chandigarh 15.7
Tokyo 28.7 Calcutta 15.2
Athènes 28.6 Abuja 15.1
Medellín 25.2 Dakar 14.3
Bruxelles 25.1 Addis-Abeba 13.4
Helsinki 22.9 Ouagadougou 12.3
Copenhague 22.7 Nairobi 11.5
Guadalajara 21.8 Accra 11.1
Singapour 21.6 Erevan 6.1
Beijing 19.1 Bangui 6
Saint-Pétersbourg 18.5

19 The relevance of street patterns and public space in urban areas, Working Paper de l’ONU-Habitat, avril 2013.

20 Somik Vinay Lall, J. Vernon Henderson, Anthony J. Venables Africa’s Cities: Opening Doors to the World, Banque mondiale (2017)

21 https://nextcity.org/daily/entry/how-much-public-space-does-a-city-need-UN-Habitat-joan-clos-50-percent
38
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

La faible qualité, capacité et


couverture des réseaux routiers

La disponibilité des transports collectifs dépend des


capacités, de la couverture et de toutes les autres
caractéristiques des réseaux routiers existants.
Parmi ces caractéristiques, des chaussées en
mauvais état (présentant par ex. des nids de poule
ou des signes d’érosion), encore dégradées par des
inondations saisonnières ou un mauvais drainage,
peuvent considérablement réduire la vitesse de
circulation et endommager les véhicules les plus
lourds ou sophistiqués, conçus pour rouler dans
des environnements moins accidentés. Les réseaux
routiers peuvent également présenter des défauts
de structure ou de conception, incompatibles
avec des poids lourds au coefficient de braquage
élevé, ou encore des travaux de construction ou de
modernisation qui entravent l’accès des plus grands
véhicules. Ces différents facteurs favorisent le recours
à des moyens de transport « artisanaux » (minibus,
camionnettes, taxis collectifs) suffisamment petits
et maniables pour s’adapter à tous les types de
routes (étroites, sans revêtement, etc.) et arriver à
destination en évitant les embouteillages.

La structure démographique de
l’Afrique subsaharienne

Particulièrement jeune, la population d’Afrique


subsaharienne compte une majorité de moins de
25 ans : environ 40 pour cent sont âgés de 0 à 14 ans
et 19 pour cent sont âgés de 15 à 24 ans22. Le faible
niveau d’instruction et d’épargne associé à cette
jeunesse, a fortiori lorsqu’elle est issue de l’exode
rural, entrave toutefois son accès à l’économie
formelle et favorise le développement du commerce
de rue, du travail journalier et du transport informel
de marchandises et de passagers. Or, la disponibilité
et le faible coût des véhicules d’occasion permettent
même aux moins qualifiés de travailler dans le
secteur des transports et d’y gagner modestement
leur vie au jour le jour.

22 The Demographic Profile of African Countries, Organisation des Nations Unies, Commission économique pour l’Afrique, mars 2016.
39

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


La multiplicité des acteurs et de leurs intérêts au sein du secteur informel des transports

Le secteur informel des transports collectifs se des quartiers), les conducteurs et leurs syndicats, les
compose généralement des acteurs suivants  : le vendeurs de véhicules, les gestionnaires d’itinéraires
personnel politique, la police, l’administration, les et de terminaux, les mécaniciens et bien sûr les
propriétaires de véhicules, les titulaires de licences usagers23. Parmi tant d’intérêts contradictoires, celui
d’exploitation, les compagnies d’assurance, les des usagers finit rarement par prévaloir.
associations (à l’échelle des villes, des itinéraires ou

Le poids des syndicats, dont la réticence au changement favorise l’immobilisme

La prestation des services repose sur des alliances ou d’autres organisations, sept pour cent seulement
politiques et sur l’octroi de licences d’exploitation à des exploitants appartenant à une association.
une minorité de prestataires. Le secteur informel des
Si ce marché n’est en théorie fermé à personne, il se
transports est souvent dominé par des syndicats
limite en pratique aux syndicats, qui perçoivent des
d’exploitants et/ou de propriétaires qui recourent
cotisations proportionnelles au nombre de véhicules
souvent à l’intimidation, voire à la violence, pour faire
exploités par leurs adhérents24. En contrepartie des
appliquer des règles qu’ils ont eux-mêmes établies
licences d’exploitation octroyées par les autorités, les
pour compenser l’incapacité des pouvoirs publics
syndicats défendent les intérêts de leurs adhérents,
à réglementer le secteur. Les syndicats divisent
en les protégeant notamment d’une concurrence
souvent les villes en zones dont ils répartissent
rarement autorisée.
ensuite la responsabilité entre leurs différentes
sections, comme c’est le cas à Lagos. À Lagos, les syndicats prélèvent les cotisations
des exploitants par l’intermédiaire de «  jeunes
Les syndicats dominants dans les capitales
de quartier  » faisant si nécessaire usage de la
Kampala (NAFEBO, National Federation for Boda
violence. Ils se constituent ainsi un budget qu’ils
Operators) et Lagos (NACOWA, Nigerian Auto
emploient pour «  administrer  » le secteur en
Bike Commercial and Workers Association) se
obtenant les faveurs de la classe politique et
caractérisent par leur poids démographique et
de la police. Il s’avère d’autant plus difficile de
par leur capacité à influencer les politiques, dans
réglementer le secteur que les syndicats ont accru
la mesure où ils comptent respectivement 70  000
leur influence politique en élargissant leur base et
et 200  000  adhérents, représentés respectivement
leurs cotisations. Forts de 200  000  exploitants qui
par 30 et 57  sections dans chacune de ces villes.
emploient 500 000 travailleurs directs, les syndicats
La ville de Douala fait toutefois figure d’exception,
ont le pouvoir économique et politique de paralyser
puisque la majorité des propriétaires de motos-taxis
toute la ville.
préfèrent se réunir au sein d’associations de quartier

23 Jacqueline Kopp et Winnie Mitullah, Politics, Policy and paratransit, in Paratransit in African Cities, Roger Behrens, Dorothy
McCormick et David Mfinanga (eds).

24 À Lagos, les tarifs varient de 30 à 176 dollars par an en fonction du lieu et de la demande.


40

L’origine coloniale et l’histoire post-


Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

coloniale du secteur informel des


transports développé par des États
défaillants

Dans un article consacré à l’influence de la politique


dans le paratransit (transport «  parallèle  » ou
«  semi-collectif  »,) Klopp et Mitullah avancent que
«  les colons et les fonctionnaires européens ont
‘aménagé’ la ville de Nairobi autour de moyens
de transport conçus pour faciliter la ségrégation
physique »25. Le journaliste kényan Patrick Gathara
estime quant à lui que les « matatus » (les minibus
kényans) sont le « fruit pourri » d’un entrepreneuriat
national issu d’un modèle colonial et d’un État post-
colonial défaillant26.

Les colons ne se souciaient guère de la mobilité


urbaine des populations autochtones. Il fallut
attendre les années  1940 et 1950 pour que la
compagnie Kenya Bus Services, la seule à pouvoir
assurer le transport commercial de passagers
à Nairobi et dans ses environs, ne commence à
envoyer des véhicules construits sur des châssis de
camions pour desservir « les quartiers Est de la ville
[où vivaient les Africains] »27. Les populations pauvres
d’Afrique ont donc été habituées à marcher plutôt
qu’à prendre les transports collectifs.

Nés dans les années 1950, les « matatus » ont permis


aux Africains d’exercer des activités commerciales
qui leur étaient interdites à l’époque coloniale, en
leur permettant de se déplacer et de transporter des
marchandises entre les villes et les campagnes.

25 Jacqueline Kopp et Winnie Mitullah, Politics, Policy and paratransit, in Paratransit in African Cities, Roger Behrens, Dorothy
MoCormick et David Mfinanga (eds).

26 https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-12-26/matatus-elude-center-city-ban-in-nairobi-kenya-again

27 Tom Opiyo, The Metamorphosis of Kenya Bus Services Limited in the Provision of Urban Transport in Nairobi.
41

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Des politiques souvent trop interventionnistes ou trop libérales

Les rares pays qui encadrent les transports collectifs vise à atténuer les effets indésirables de l’économie
ont tendance à tomber dans l’un ou l’autre de informelle sur la circulation (embouteillages,
ces deux excès. L’excès de libéralisme consiste à insécurité, etc.) tout en cherchant à satisfaire les
ne pratiquement pas intervenir dans le secteur usagers et à protéger les employés.
informel des transports et à laisser aux exploitants
Ces deux excès comportent toutefois leur lot
et à leurs syndicats le soin de l’administrer. Sur de
d’inconvénients  : la déréglementation du secteur
tels marchés, le secteur informel n’est généralement
sera souvent synonyme d’embouteillages, de
guère réglementé en matière de véhicules autorisés
vétusté, de concurrence tirant les tarifs vers le bas,
à circuler sur le réseau et d’itinéraires (nombre, type,
de laxisme en matière de sécurité routière et de
état), ni en matière d’horaires, de sécurité routière,
mauvaises conditions de travail (temps de travail et
de sélection des conducteurs, de conditions de
niveau de rémunération), tandis que son interdiction
travail, etc. À l’inverse, l’excès d’interventionnisme
pure et simple privera les plus pauvres de modes de
consiste à abolir le secteur informel des transports
transport abordables et d’emplois peu qualifiés.
collectifs au profit d’un secteur entièrement formel
et strictement réglementé pour améliorer les Les décideurs politiques ne sauraient ignorer que le
conditions de transport des usagers et les conditions secteur informel fournit des moyens de subsistance
de travail des employés. indispensables aux plus pauvres et aux plus
vulnérables, en particulier aux migrants pauvres et
La première tendance vise à « donner libre cours à
non qualifiés en milieu urbain, comme l’indiquent
l’esprit d’entreprise »28 caractéristique de l’économie
des études disponibles sur ce sujet29.
informelle pour proposer des services de transport
abordables aux citadins, tandis que la seconde

28 Hernando De Soto, The Mystery of Capital, (2003)

29 Understanding the informal economy in African cities: Recent evidence from Greater Kampala, Angus Morgan Kathage,
14 mars 2018, https://blogs.worldbank.org/africacan/understanding-the-informal-economy-in-african-cities-recent-
evidence-from-greater-kampala
42
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement
43

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Déconstruire
les idées reçues :
mythes et réalités
À ces différents facteurs s’ajoutent des idées reçues qui
entravent la réforme du secteur informel des transports
collectifs dans les pays en développement.
44
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 1
Dans les pays en développement,
les besoins de toutes les couches
sociales en matière de mobilité et
d’accessibilité sont généralement
pris en compte dans l’élaboration des
stratégies de transports collectifs
urbains.
45

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Réalité

Souvent rares et limitées à une coûteuse liste «  en pratique  », «  sur le terrain  ». Les principales
d’infrastructures, les stratégies de transports décisions y sont souvent improvisées pour répondre
collectifs urbains ne répondent pas véritablement à des pressions politiques, des problèmes ponctuels
aux besoins de la population. Dans les villes ou des intérêts particuliers. Souvent axées sur la
d’Afrique subsaharienne, dont les habitants construction d’infrastructures visant à réduire les
effectuent plus de 70 pour cent de leurs trajets à pied embouteillages, les stratégies existantes profitent
ou en transports collectifs (voire davantage chez les principalement aux propriétaires de véhicules
plus pauvres), les autorités devraient accorder une particuliers.
attention particulière à l’accessibilité, à la mobilité,
Pour atteindre leurs objectifs de mobilité, les villes
à la sûreté et à la sécurité des usagers, en particulier
d’Afrique subsaharienne doivent tenir compte
des plus vulnérables. Leur négligence à l’égard du
de tous les modes de transport et entreprendre
secteur informel des transports collectifs pénalise
des réformes qui se révéleront difficiles sur le plan
les plus pauvres, qui en sont aussi les principaux
politique, mais plus avantageuses sur le long terme.
usagers.
Il s’avère absolument nécessaire, mais rarement
Dans ce secteur, on ne trouve par ailleurs suffisant, d’élaborer une feuille de route pour
guère de directives claires et exhaustives sur les atteindre de tels objectifs.
investissements à réaliser et la façon de l’organiser
Les 6 éléments clés du processus
de planification stratégique
L’efficacité de ces stratégies
repose sur six critères, rarement L’exhaustivité
satisfaits.
Ces stratégies doivent couvrir l’ensemble de la zone
métropolitaine (voire être pensées au-delà de ses limites
administratives et politiques), aborder la problématique
générale du transport et les questions de qualité de vie qui s’y
rapportent (par ex.  : aménagement du territoire, changement
climatique, qualité de l’air, consommation d’énergie,
développement économique et social) et tenir compte de tous
les modes de transport. Le secteur des transports se caractérise
Les autorités locales trop souvent par le cloisonnement de ses réformes (par zone et
s’approprient peu ces stratégies, par mode de transport) et par l’insuffisance des informations sur
qui émanent rarement du lesquelles il fonde ses décisions.
principal secteur des transports
collectifs (le secteur informel) et La coopération
de la police.
Toutes les parties prenantes doivent avoir leur mot à dire, parmi
les autorités publiques investies de diverses compétences (par
ex.  : transports, aménagement du territoire, environnement,
questions sociales, maintien de l’ordre, etc.) et la société civile
(par ex. : ONG, entreprises et citoyens).

La communication
Ces stratégies tiennent
rarement compte des freins en Il convient d’informer les parties prenantes et d’en recueillir les
matière de mise en œuvre ou de contributions en instaurant et en maintenant constamment
financement. une communication dans les deux sens.

La gouvernance

La mise en œuvre de la stratégie doit être confiée à une figure


de proue investie de l’autorité juridique nécessaire pour prendre
des décisions relatives à son financement et à sa mise en œuvre.

Toutes les parties prenantes


La cohérence
directement concernées par
les transports collectifs ne Les autorités compétentes en matière de mise en œuvre et
sont pas consultées par les d’exploitation doivent prendre des décisions conformes aux
autorités responsables de plans, programmes et politiques déjà adoptées par les villes,
notamment en matière d’investissements.
l’aménagement du territoire
(citoyens, groupes vulnérables,
syndicats, etc.). La continuité

La demande de transport, la performance des services et


l’état du réseau doivent faire l’objet d’une supervision et d’une
actualisation régulières.
47

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo

En somme, ces stratégies ne sauraient guider les politiques


et les investissements sans tenir compte des ressources
humaines et financières disponibles aux différents échelons,
être adoptées par les autorités locales et satisfaire les besoins
de l’ensemble du secteur.
48
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 2
La solution aux problèmes de mobilité
urbaine réside dans la construction
d’infrastructures routières et
l’acquisition de matériel roulant.
49

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Réalité

On répond souvent aux problèmes de transports


en allouant des fonds publics à la construction
de routes et à l’achat de véhicules plus fiables et
confortables. Fondée sur une analyse superficielle
de la situation, une telle réponse se contente de
traiter les symptômes plutôt que de s’attaquer aux
causes profondes d’un problème plus complexe30. Au
sujet d’une réponse de ce type envisagée au Kenya
(la construction d’une autoroute à quatre voies
de 30  kilomètres qui traverserait le parc national
d’Uhuru), l’écrivain et caricaturiste primé Patrick
Gathara a d’ailleurs déclaré : « Le gouvernement a
admis de lui-même qu’il s’agissait d’une subvention  L
’encombrement des trottoirs, poussant les
publique aux plus aisés  : une autoroute visant piétons à marcher sur la chaussée.
davantage à faciliter les déplacements de ‘ceux qui  U
n manque de civilité au volant, notamment de
en ont les moyens’ qu’à véritablement désengorger la part de transports collectifs qui rivalisent pour
la circulation. »31 [Voir l’encadré IV-1 sur les effets des attirer le plus d’usagers possible.
politiques conçues pour fluidifier la circulation.]
Les pays d’Afrique subsaharienne ne seront en
Pour répondre aux problèmes de mobilité urbaine, mesure d’améliorer leur situation en matière de
il convient d’identifier d’abord leurs causes mobilité urbaine qu’en s’efforçant d’en avoir une
potentielles : vue d’ensemble. Leur attention semble par exemple
focalisée sur les problèmes d’embouteillage,
 U
n processus d’urbanisation sans aménagement
alors qu’une majorité de citadins se déplace
du territoire.
principalement à pied et n’emprunte guère de
 U
ne offre insuffisante pour répondre à la transports particuliers, ni même collectifs.
demande croissante.
Si leur objectif principal consiste à favoriser la
 U
n territoire insuffisamment desservi par un
mobilité et l’accès des pauvres aux transports
réseau routier insuffisamment étendu.
collectifs urbains, leurs investissements n’ont pour
 Des routes : le moment apporté que de maigres résultats. Pour
» mal conçues et mal entretenues ; générer un véritable changement, il convient de
» i nadaptées aux modes de transport non repenser nos déplacements et de réduire notre
motorisés ; utilisation des véhicules particuliers. Partout dans le
monde, les pouvoirs publics ont compris l’importance
» endommagées par des problèmes de
d’encourager tous les citadins, quels que soient leurs
drainage.
revenus, à privilégier des transports collectifs ou non
 Une application laxiste du code de la route.
motorisés, et à ne pas se laisser tenter par l’achat
 Un stationnement anarchique. de véhicules particuliers à deux et quatre roues, qui
 L’encombrement des axes majeurs. s’avèrent de plus en plus abordables.

30 Gordon Pirie, Sustainable Urban Mobility in ‘Anglophone’ Sub-Saharan Africa, Thematic study prepared for Global
Report on Human Settlements (2013). Disponible à l’adresse http://www.unhabitat.org/grhs/2013

31 https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-11-11/why-a-new-expressway-in-nairobi-is-a-bad-idea
50
Encadré IV-1. Pourquoi éviter de se focaliser sur la congestion ?
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

1. I l serait irréaliste, voire indésirable, de


prétendre dissiper toute congestion. S’il est
vrai, d’un côté, que la congestion comporte
des inconvénients, il n’en demeure pas moins
vrai, de l’autre côté, que la construction de
nouvelles infrastructures entraîne elle aussi
des coûts sociaux et environnementaux.
Il incombe donc aux pouvoirs publics de
parvenir à un juste équilibre correspondant au
niveau optimal de congestion, proportionnel
dans chaque ville au prix à payer pour créer
des capacités (ou pour acquérir des terres).
2. A
vant toute réforme des transports ou de
l’aménagement du territoire, les autorités
compétentes devraient envisager toutes
les solutions possibles plutôt que de limiter
leur choix à des réformes recommandées,
sélectionnées en comparant leurs effets par
rapport à l’absence de réforme.
3. S
i la construction de nouvelles infrastructures
de transport semble souvent faciliter
l’obtention d’un appui politique et financier,
il s’agit en réalité d’une solution coûteuse et
préjudiciable, dans la mesure où elle pousse
à négliger les capacités existantes.
4. L
es agences nationales de développement
sont particulièrement enclines à financer
la construction de capacités tangibles, car
elles peuvent en exiger l’approvisionnement
auprès de leur propre pays.
5. C
ontrairement aux idées reçues, la
construction de nouvelles infrastructures
ne pose pas nécessairement moins de
problèmes que l’utilisation du système
existant, notamment lorsque ces nouvelles
infrastructures sont construites sur de
nouvelles terres. Leur construction affecte
davantage les populations les plus pauvres,
qui n’ont guère leur mot à dire sur ces projets
et vivent dans des zones où la terre est plus
abordable, à proximité ou en périphérie
des centres-villes. Le développement
de nouvelles capacités a donc un coût
environnemental, financier et social très
élevé, alors qu’elle n’ajoute qu’une valeur
marginale aux capacités existantes.
51

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


52
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 3
La popularité croissante des taxis
collectifs et d’autres moyens de
transport « parallèle » est le résultat
d’une déréglementation délibérée des
transports collectifs.
53

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Réalité

Dans les pays en développement, la majorité


des citadins n’ont pas de voiture et dépendent
donc des transports collectifs pour assurer
leurs déplacements quotidiens. La paradoxale
insuffisance et la dégradation de ces transports
(publics comme privés) les contraint toutefois
à faire preuve d’une créativité qui a donné
naissance à des transports collectifs non
conventionnels, d’abord sous la forme de
minibus et de taxis collectifs ou camionnettes,
puis de véhicules commerciaux à deux et
trois roues. Désormais majoritaire, ce secteur
«  parallèle  » ou informel exacerbe différents
problèmes (bruit, pollution et insécurité),
auxquels s’ajoute le contrôle du marché
par une poignée d’individus suffisamment
proches du pouvoir pour en influencer la
réglementation et ainsi favoriser leurs propres
intérêts et maximiser leurs profits.

Le développement du secteur informel au


détriment du secteur formel n’est pas le
résultat d’une déréglementation délibérée
des transports collectifs, mais la réponse à une
demande croissante et à une offre souvent
limitée, voire inexistante, pour maintenir des
tarifs abordables malgré le coût exorbitant de
sociétés publiques gangrenées par l’inefficacité,
le népotisme et la corruption.
54

Dans le secteur des transports collectifs, les autobus ont progressivement été supplantés par des
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

minibus et des taxis collectifs :

a) D
ans l’Afrique des années  1960, avant la fin coûts conjuguée à une baisse des recettes, qui
de la décolonisation, la plupart des citadins ne ont creusé le déficit public et progressivement
possédaient pas d’automobiles et se déplaçaient contraint l’État à supprimer ces subventions
en véhicules non motorisés ou en autobus pourtant nécessaires et tacitement promises.
exploités par des entreprises privées en situation d) P
rivées de subventions publiques, ces entreprises
de monopole. ont été contraintes de réduire la fréquence, la
b) À
partir des années 1980, après la décolonisation, capacité, la couverture et la qualité des services
l’État a nationalisé ces entreprises et réglementé en raison de leurs difficultés croissantes pour
ce secteur pour marquer une rupture symbolique entretenir et renouveler leur parc d’autobus.
avec l’ère coloniale. Plusieurs de ces compagnies Détenues ou subventionnées par l’État, la
ont fusionné dans un but de rationalisation et plupart d’entre elles ont ensuite fait faillite ans les
d’économies d’échelle, tandis que les tarifs ont années  1990, car les programmes d’ajustement
été encadrés dans un souci légitime d’égalité structurel avaient considérablement limité
sociale. la quantité de fonds publics et de devises
c) D
ifférents types de subventions publiques ont étrangères disponibles pour importer des pièces
été accordés au secteur formel des transports détachées et de nouveaux véhicules.
collectifs, en théorie pour favoriser la mobilité e) L
ancés à la fin des années 1980, ces programmes
des populations, en pratique pour conserver le d’ajustement structurel ont par ailleurs contraint
soutien des plus pauvres  : prestations destinées les pays à mener des politiques de réforme
à compenser les pertes des exploitants, économique et à rationaliser le fonctionnement
exonérations d’impôts, aides à l’achat d’autobus de leur fonction publique. Cette libéralisation
et construction de centres d’exploitation et de a donc contribué à déréguler les transports
maintenance. Le fonctionnement du secteur a collectifs et à réintroduire des compagnies
néanmoins été mis à mal par une hausse des d’autobus privées.

Photo IV-1.
À Lusaka, terminal de minibus trahissant la
carence d’infrastructures dans le secteur.
55

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Photo IV-2.
Minibus attendant des passagers à
l’extérieur de leur terminal.

f) A
u début des années  1990, le développement h) D
epuis 2006-2007, l’importation de berlines
du secteur privé et la multiplication de minibus depuis le Japon via Durban s’est accélérée
sous toutes leurs formes ont profondément de plus de 10  pour cent par an. Ces véhicules
métamorphosé les transports urbains. Face à d’occasion, qui ont entre dix et quinze  ans et
l’importation de minibus d’occasion, dont le taux coûtent entre 2 et 4 000 dollars, sont utilisés pour
d’augmentation était alors supérieur à 10  pour fournir des services de taxis collectifs.
cent par an, le lancement d’une production i) L
a récente prolifération de ces minibus et taxis
locale en Afrique du Sud a favorisé l’introduction collectifs a saturé le marché des transports
de véhicules produits dans la région. Construits collectifs. Aux véhicules particuliers qui
par Toyota, IVECO ou Mercedes-Benz, ces encombrent déjà les routes se sont ajoutés
nouveaux véhicules à mi-chemin entre les transports collectifs informels, dont les
grandes camionnettes et petits autobus se sont conducteurs rivalisent pour attirer le plus
parfaitement adaptés au type de marché, de d’usagers possible. Insatisfaits des services de
routes et de transports informels de la région  : transport collectif dont la vitesse, la qualité, la
ils sont plus rapides et moins chers à exploiter fiabilité et la sécurité ne cessent de décliner,
et à entretenir, mais aussi plus confortables et les usagers (et la classe politique) préféreraient
passent plus fréquemment. Les femmes s’y sont bénéficier de services plus efficaces et
en particulier senties plus en sécurité que dans les conventionnels fournis par des véhicules neufs,
autobus importés par les compagnies formelles, grands et modernes, aux horaires et itinéraires
où la densité des passagers et la contrainte de préétablis.
voyager debout favorisaient l’incivilité.
g) La popularité croissante de ces minibus auprès
des exploitants comme des passagers a encore
réduit la demande de transport en autobus.
56

À l’heure actuelle, peu de pays d’Afrique circulation, d’octroyer les licences d’exploitation et
subsaharienne encadrent le secteur informel de contrôler les véhicules, elles-mêmes disposées à
des transports en minibus et en taxis collectifs, compromettre l’application des règles pour arrondir
généralement exploités par des entrepreneurs leur maigre traitement. Ces pratiques contribuent
individuels. Au fil du temps et en fonction des toutefois à : 1) amenuiser encore la marge de profit
circonstances, des modalités de gestion et des exploitants et les incitent à négliger encore
d’exploitation uniques en leur genre se sont parfois davantage les normes d’exploitation et de sécurité,
développées et imposées pour répondre aux besoins et 2) inciter les autorités à privilégier les petits profits
des usagers locaux. à la mise en œuvre de plus vastes réformes, comme
certaines l’admettent elles-mêmes. Les petits et
Mus par la recherche du profit et encadrés par
les grands véhicules sembleraient plus enclins
des réglementations laxistes ou inexistantes, les
à enfreindre le code de la route, les premiers en
exploitants sont souvent libres de poursuivre leurs
raison de leur grand nombre et les seconds de leur
intérêts particuliers. Ces exploitants n’ont d’autre
gestion déléguée à des entreprises, tandis que les
choix que de transiger sur la qualité de leurs
exploitants de minibus affirment être plus enclins à
services pour se maintenir sur un marché où les
s’y conformer32.
tarifs et la productivité sont faibles, et de verser des
pots-de-vin aux autorités chargées de superviser la

À Nairobi, les exploitants de minibus se heurtent aux obstacles suivants :

Le coût élevé des autobus.


Neuf, un autobus coûte trois fois plus cher qu’un véhicule à 14  places. Le président de
l’association Matatu Welfare Association estime en effet qu’il faut 4,2 millions de shillings
kényans (49  587  dollars américains) pour acheter un «  matatus  » à 25  places, contre
1,5  million de shillings kényans (17  709  dollars américains) pour un 14  places (Rubadiri,
2012)33. Les exploitants aux plus faibles capacités d’investissement optent généralement
pour des véhicules d’occasion, relativement bon marché et faciles à exploiter.

L’impossibilité d’accéder au système bancaire.


Les banques commerciales ne leur accordent guère de prêts pour l’achat de véhicules
neufs, car ils présentent un risque élevé de défaut de paiement et ne peuvent apporter de
garanties. Ils sont donc contraints de puiser dans leur propre épargne ou dans celle de
leur famille pour acquérir de petits véhicules d’occasion.

Des tarifs abordables sans subventions.


La contrainte de maintenir des tarifs abordables sans recevoir de subventions ni de
financements publics se répercute sur la qualité des véhicules.

L’absence d’infrastructures adaptées.


Ne disposant d’aucun hangar aménagé pour abriter leurs véhicules, ils sont contraints de
les exposer à différents risques en les garant par exemple sur un trottoir à proximité de leur
domicile. Cette pratique limite leurs frais, mais aussi la qualité de leurs services.

32 Ibid

33 https://www.capitalfm.co.ke/news/2012/01/matatu-operators-clinging-onto-14-seaters/ - Consulté le 24 octobre 2020


57

Préconisée par les autorités, la réduction du nombre des minibus de 14  places a entraîné des effets
inattendus :

 L
a multiplication des deux et trois roues  L
a multiplication des véhicules utilitaires
pour combler ce manque. Plusieurs quartiers illégaux et le creusement du manque à
ne peuvent être desservis que par des petits gagner pour les villes. Tributaires des transports
véhicules, notamment les petites rues des collectifs, les citadins ont recouru aux transports
banlieues périphériques en pleine expansion. illégaux qui se sont multipliés pour compenser
La baisse des minibus a entraîné une hausse la réduction des nouvelles licences d’exploitation
des motos («  okadas  »), pousse-pousses et taxis octroyées aux minibus. Cette évolution a
collectifs. Favorisée par un taux de chômage représenté un manque à gagner pour les
élevé, la reconversion de différents types de autorités municipales, compliqué l’application
véhicules particuliers en taxis collectifs a exacerbé des règles et favorisé le développement des
les problèmes de congestion, de sécurité et de transports illégaux en poussant les forces de
pollution. l’ordre à fermer les yeux sur ces nouvelles
pratiques en contrepartie de pots-de-vin.
58
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 4
Le secteur informel des transports
collectifs s’est développé en réponse à
la disparition du système public, dans
les années 1970 à 1990.
59

Réalité, en partie

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


(mais pas toute l’histoire)
Cette explication ne rend pas compte du principal
facteur de développement des transports urbains en
Afrique subsaharienne : l’urbanisation galopante. Le
secteur informel possède une flexibilité qui lui permet
de s’adapter plus facilement à l’évolution des routes
(capacité, état et couverture du réseau) sous l’effet
Photo IV-3.
des transformations démographiques, territoriales Passagère se déplaçant en « okada » à Accra.
et administratives. Ce n’est pas le cas du secteur
formel, dont le fonctionnement repose sur une
stricte réglementation et d’importantes ressources
humaines et financières, principalement d’origine
publique. Plusieurs autres facteurs favorisent le
développement des transports informels  : le taux
de chômage élevé, la facilité d’accès au marché,
le retour rapide sur investissements, etc. Leur
maniabilité permet également aux modes de
transport informels de circuler sur des routes étroites
et accidentées.

Avant la pandémie de COVID-19, en 2017, Lusaka


affichait un taux de chômage de 16,3  pour cent34
et Maseru de 23,5  pour cent, parmi les plus élevés
au monde35. Pratiquement tout le monde peut
obtenir un permis de conduire et se procurer à peu Photo IV-4.
de frais un taxi importé pour travailler sur le marché « Okadas » stationnés à une intersection très
fréquentée de Freetown pour y prendre des passagers.
informel des transports collectifs.

Photo IV-5.
La croissance exponentielle des trois roues importés d’Asie
a saturé les rues de Freetown ces dernières années.

34 https://diggers.news/business/2017/09/28/youth-unemployment

35 The Economist, 25 janvier 2020.


60
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 5
Le secteur informel des transports
collectifs devrait être entièrement
supprimé, car il présente bien moins
d’avantages que d’inconvénients (en
matière de sécurité, de protection de
l’environnement et de rendement).
Mythe
La diversité de leurs horaires, itinéraires et tarifs  L
eurs services et véhicules représentent une
permet aux minibus de répondre aux besoins montée en gamme.
du marché en s’adaptant à la composition  I ls peuvent facilement et rapidement adapter
démographique et à l’aménagement d’un territoire leurs services à l’évolution de la demande.
donné.
 I ls sont conduits par des personnes faiblement
Les minibus présentent les avantages suivants : instruites, peu qualifiées et mal rémunérées,
qui exercent néanmoins une forte influence
 I ls desservent tous les quartiers des zones
collective.
métropolitaines, aussi étendues et complexes
soient-elles.  Ils stimulent l’esprit d’entreprise.

 I ls fournissent des services financièrement  I ls sont financés par des investissements locaux
viables sur des marchés impraticables pour tous et/ou des fonds propres.
les autres modes de transport.
62

Ils sont par ailleurs maniables, abordables, exploitables sans subventions et flexibles en
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

termes d’horaires et d’itinéraires :

Maniables. Dans de nombreuses villes d’Afrique subsaharienne, la densité de population


est relativement faible et les citadins vivent souvent loin de leur lieu de travail. Les minibus
présentent l’avantage de pouvoir transporter un petit nombre de passagers et de desservir
des zones périphériques sans travailler à perte, mais également de circuler facilement et
rapidement dans les rues étroites, encombrées et accidentées de ces villes.

Abordables. La plupart des transports collectifs « artisanaux » sont des véhicules d’occasion
importés et acquis au moyen d’une épargne familiale, de prêts contractés auprès de proches
et/ou de revenus tirés de cette activité. Les exploitants n’ont guère recours au système
bancaire, réticent à financer des véhicules d’occasion et à accepter des revenus irréguliers
comme garantie.

Exploitables sans subventions. Caractérisé par des itinéraires et des horaires préétablis,
le secteur formel des transports collectifs ne permet guère de réaliser des économies
d’échelle, car ses autobus plus grands et plus coûteux : 1) sont tenus d’appliquer des tarifs
abordables pour les citadins à faibles revenus ; 2) ne peuvent pas desservir les nouveaux
quartiers en raison du mauvais état des routes ; 3) les flux de passagers sont limités par
la faible densité géographique ; et 4) ils ne peuvent être exploités à pleine capacité dans
certaines villes, qui interdisent de transporter des passagers debout.

Moins strictement encadrés, les tarifs des plus petits bus peuvent au contraire être négociés
au cas par cas pour permettre aux conducteurs de circuler n’importe où, n’importe quand
et sans dépendre d’aides publiques imprévisibles. Le faible coût de la main-d’œuvre réduit
par ailleurs l’avantage économique des véhicules à plus grande capacité.

Flexibles en termes d’horaires et d’itinéraires. En l’absence de réglementation, les


exploitants de minibus optimisent leurs recettes en établissant des tarifs à la portée de
leurs usagers et en adaptant leurs horaires et itinéraires à différents niveaux de demande
pour circuler toute la journée à pleine capacité. Malgré la confusion suscitée par les
fréquents changements d’itinéraire et le danger représenté par les arrêts impromptus, le
secteur informel des transports collectifs se caractérise par une réactivité qui contribue à
sa viabilité économique.
63

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Les minibus présentent également des
inconvénients suivants  : ils contribuent aux
embouteillages, compromettent la sécurité routière,
polluent l’environnement et dépendent de la bonne
volonté (voire de la corruption) de la classe politique.
De tels inconvénients ne sauraient toutefois être
réglés par les seules forces du marché, ni par
l’application des rares réglementations existantes.
L’afflux massif de nouveaux travailleurs dans ce
secteur informel menace par ailleurs la viabilité
financière de ceux qui y exercent déjà, poussant les
conducteurs à négliger l’entretien de leurs véhicules
et à rivaliser pour attirer davantage d’usagers, et
compromettant en fin de compte la sécurité et la
fiabilité de ces services.

Avant la pandémie de COVID-19, un nombre


croissant de villes développées reconnaissait déjà
le besoin de compléter l’offre du secteur formel
des transports collectifs, tous types de véhicules
confondus. Des projets pilotes ont par exemple été
lancés aux États-Unis et au Canada pour remplacer
les services publics de certains quartiers par des
services privés assurés en minibus et à la demande.
Sélectionnées sur appel d’offres et subventionnées
par l’État, les entreprises chargées de ce projet
ne suivent pas nécessairement d’itinéraires ni
d’horaires préétablis et desservent des banlieues
moins densément peuplées. En faisant chuter la
demande et les recettes fiscales associées aux
transports collectifs, la pandémie de COVID-19 a
éveillé l’intérêt de différents marchés pour ce type
de pratiques.

Photo IV-6.
Illustration des nombreux inconvénients des transports collectifs : saturation des lignes, mauvaise qualité
des services, vétusté des véhicules, accidents de la route et pollution de l’environnement.
64
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 6
Des transports publics aux horaires,
itinéraires et arrêts préétablis
constituent la solution idéale.
Prédominant jusque dans les
années 1990 pour tous les modes de
transports, ce modèle devrait être
rétabli dans toutes les villes des pays
en développement.
65
Réalité, selon le contexte

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Dans la plupart des villes en développement, son réseau, ses capacités et ses performances
le secteur informel des transports collectifs a en période de crise financière, comme celle
supplanté un secteur formel qui ne parvenait pas à provoquée par la COVID-19.
satisfaire toutes les demandes. Il s’est généralement  L
e secteur formel des transports collectifs est
développé et imposé pour les raisons suivantes : conçu pour desservir des axes très fréquentés
 I ncapable de répondre à la demande émanant et assurer des navettes à destination et en
de zones et de populations urbaines en rapide provenance du centre-ville pendant les heures
et constante expansion, le secteur formel des de pointe. Il assure rarement d’autres types de
transports collectifs se caractérise par une déplacement.
fréquence et des capacités insuffisantes sur les  P
eu fréquenté en soirée et le week-end, le secteur
principaux axes de circulation. formel des transports collectifs ne s’avère pas
 L
e secteur formel des transports collectifs rentable sur ces créneaux, qui n’en représentent
n’est pas toujours adapté aux itinéraires peu pas moins une considérable demande à
empruntés entre banlieues ou agglomérations, satisfaire.
qui sont desservis par des autobus « standard »  L
e secteur formel des transports collectifs n’est
d’au moins 11  mètres de long. De nombreux pas suffisamment flexible pour s’adapter à
besoins de mobilité restent encore insatisfaits sur l’évolution des modes de vie et de déplacement.
ce segment de marché, qui affiche la plus forte
 L
es transports collectifs du secteur formel ne sont
croissance en Afrique subsaharienne.
pas en mesure de circuler sur les voies étroites et
 A
u sein des périphéries, le secteur formel des non asphaltées qui desservent fréquemment la
transports collectifs n’assure au mieux qu’un périphérie des villes en développement.
service minimum. Là aussi, de nombreux besoins
Pour toutes ces raisons, il reste encore de nombreux
de mobilité restent encore insatisfaits.
besoins à satisfaire en matière d’accessibilité et de
 D
ans les villes d’Afrique subsaharienne, le mobilité, notamment parmi les usagers les plus
secteur formel des transports collectifs n’est pas pauvres. Contrairement aux citadins des pays
suffisamment flexible pour s’adapter à l’évolution développés, les citadins des pays en développement
des activités et des déplacements (à cause des possèdent rarement une automobile et recourent
conventions collectives, des pressions politiques, donc au secteur informel des transports collectifs,
etc.). qui se développe généralement en fournissant des
 L
es difficultés financières souvent rencontrées services à petite échelle et sans autorisation  : bus
par le secteur formel des transports collectifs circulant sur des itinéraires et à des horaires non
(notamment causées par des tarifs délibérément autorisés, location de minibus et de berlines pour
bas, une masse salariale importante, des transporter des groupes, services de taxis collectifs
conflits sociaux, etc.) peuvent avoir de sérieuses proposés par des voitures particulières ou des taxis
conséquences sur la prestation des services. autorisés, courses en moto, etc.
 T
ributaire des subventions publiques, le secteur
formel des transports collectifs voit décliner

Photo IV-7.
Taxis collectifs stationnés dans un quartier commerçant
de Harare pour y prendre des passagers.
66
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 7
Face au déclin quantitatif et qualitatif
des services de transport urbain et
à l’encombrement des routes dans la
plupart des pays en développement,
la seule solution consiste à investir
dans des modes de transport collectif
rapides (comme des bus ou des trains)
et à y subordonner le reste du système.
67

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Réalité, la plupart
du temps
Le constat suivant est souvent fait dans villes en
développement :

«  Ces vingt dernières années, la forte


croissance démographique des villes
et de leurs banlieues a exercé une
pression croissante sur les infrastructures
de transport. Face au nombre limité
d’autobus publics, les usagers sont
contraints d’emprunter des milliers de
minibus privés vieillissants, imprévisibles
et dangereux, dont le nom varie en
fonction de la ville. Les routes sont par
ailleurs devenues dangereuses, voire
impraticables, car les infrastructures
se sont dégradées et les émissions de
dioxyde de carbone ont explosé.

Pour remédier à ces problèmes et lutter


contre les changements climatiques,
la ville propose de créer un système
de métro fiable, abordable et sûr,
notamment pour les femmes et les
enfants. Elle commencera par relier les
zones industrielles et résidentielles les plus
peuplées en construisant une ligne de [x]
km dont le terrain et les travaux devraient
être abordables, car elle sera surélevée
pour ne pas entraver les déplacements
des piétons comme des véhicules.

Les minibus joueront un rôle essentiel en


facilitant l’accès des usagers aux stations
de métro. »

S’agit-il d’une représentation conforme à la


réalité et de la meilleure solution au problème
identifié ?
68
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

On peut émettre les réserves suivantes :

1. I l n’existe pas de solution universelle  :


tout dépend du contexte. Les systèmes
à privilégier varient de ville en ville, voire
de quartier en quartier, en fonction de
l’environnement et du marché des transports
collectifs.
2. I l n’existe pas de solution préétablie  :
la meilleure peut consister à combiner
différents modes de transport collectif. Il
convient donc d’établir un cadre permettant
de concevoir et de planifier les services
de métro, de bus ou d’autres modes de
transport au sein d’un espace déterminé.
3. L
e secteur informel des transports collectifs
se compose de véhicules vieillissants,
imprévisibles et dangereux. De nombreux
usagers les empruntent malgré tout, faute
de mieux et en l’absence de subventions
publiques. Leurs retombées négatives sont
en partie imputables aux autorités locales,
qui n’appliquent pas les règles établies en
matière de contrôle technique, de permis de
conduire et de sécurité routière, et ne sont
encore jamais parvenues à les interdire.
4. D
es études approfondies doivent être
menées avant d’investir des fonds publics
dans les systèmes de trains et de bus, donc
les coûts sont sous-estimés et les avantages
surestimés partout dans le monde. D’après
Pickrell (1992)36, «  l’engouement pour les
trains a poussé des autorités locales à mener
des projets qui n’auraient certainement
pas vu le jour si des projections plus fiables
avaient été disponibles sur leur coût ou sur
leur nombre d’usagers ».
5. A
ux coûts d’investissement s’en ajoutent
d’autres, comme les coûts d’exploitation et
d’entretien, dont il convient également de
tenir compte.

36 Don Pickrell, A Desire Named Street Car: Fantasy and Fact in Transit Planning. American Planning Association, printemps 1992.
69
Des modes de transport

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


alternatifs doivent être
envisagés pour remédier au
déclin quantitatif et qualitatif
6. L
es effets des trains sur l’environnement doivent des transports collectifs, en
être soigneusement évalués, y compris leurs
émissions et leur consommation d’énergie, tenant compte de leur coût
parfois entièrement fournie par des centrales sur toute leur durée de vie,
pourtant destinées à satisfaire les besoins des
ménages et des entreprises. de leurs conséquences sur
7. U
n métro aérien représente des coûts la sécurité routière, de leur
environnementaux élevés dont il convient
de tenir compte pour évaluer son coût total, viabilité financière et de leur
comme l’acquisition du terrain, la déviation de la complémentarité avec d’autres
circulation et l’atténuation de la pollution sonore
pendant les travaux. modes de transport.

Photo IV-8.
Sur une route de Cochin, en Inde, la présence d’un chemin de fer surélevé
réduit la visibilité et entrave la traversée des piétons.
70
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 8
Les réseaux de bus à haut niveau
de service permettent de réduire la
congestion et d’améliorer la qualité des
transports collectifs dans les villes en
développement.
71

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Mythe
« Des bus en guise de métros » : les partisans des bus
à haut niveau de service (BHNS) avancent que ces
systèmes réunissent les avantages des transports
routiers (flexibilité) et ferroviaires (vitesse, fiabilité
et capacité de transport) pour un coût largement
inférieur37.

En janvier 2020, les réseaux de BHNS desservaient


plus de 5 000  kilomètres dans 174  villes des six
continents38.

L’introduction de systèmes de BHNS en Afrique


subsaharienne s’inspirerait principalement de
leur succès en Amérique latine, où ils semblent
constituer le premier mode de transport caractérisé
à la fois « par son faible coût et sa qualité élevée »39.
Référence mondiale en la matière, le célèbre
TransMilenio de Bogotá est devenu «  le premier
projet de transport collectif au monde approuvé par
le Mécanisme de développement propre (MDP) au
titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur
les changements climatiques »40.

Dans chaque ville, différents marchés et


environnements de transports publics peuvent
toutefois coexister. Un système de transport collectif
formel aux arrêts et itinéraires préétablis peut ainsi
desservir les segments les plus fréquentés, tandis
qu’un système informel peut suffire à desservir les
segments les moins fréquentés, principalement en
périphérie et pendant les heures de pointe. Plus
qu’un mode de transport ou qu’une technologie
unique, le BHNS offre une palette d’options adaptées
à différents contextes locaux. Le tableau ci-dessous
en décrit les différents niveaux de services.

37 L’organisation non gouvernementale ITDP (Institute for Transportation and Development Policy) estime que les
déplacements en bus express coûtent entre 4 et 20 fois moins cher que les déplacements en tramway ou en métro léger et
entre 10 et 100 fois moins cher que les déplacements en métro. Voir Bus Rapid Planning, p. 1.

38 https://brtdata.org/location/africa

39 Agence internationale de l’énergie, Bus systems for the future: Achieving sustainable transport worldwide. Publication de l’OCDE,
Paris, 2002.

40 Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF, International Transport Workers’ Federation), Transport toolkit:
Trade union influence on World Bank projects. Case study: urban public transport in Bogota (ITF, London, 2010), p. 1.
72
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement Tableau IV-1. Les étapes du développement des bus urbains express41

Système Système Système


de base intermédiaire intégral

Composantes Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3 Niveau 4

Voies réservées aux


Partage des voies Voies réservées
bus et autres véhicules Voies réservées
avec d’autres modes et entièrement
Voies transportant plus d’un et installations
de transport / parfois séparées des autres
passager/priorité sur propres
prioritaires modes de transport
les autres véhicules
Autres services
Information des
disponibles, Quais et
Abribus, panneaux et passagers et
Arrêts comme l’achat aménagement de
aménagements équipements de
des titres de l’espace
sécurité
transport
Différents
Différents carburants et
Esthétique extérieure/ Embarquement, accès
Véhicules matériaux, tailles systèmes de
confort et information
et capacités propulsion et de
guidage
Plus longue distance Alignement
Coordination,
Services fréquents et entre les arrêts, saut des arrêts et
Services fréquence et
fiables d’arrêts et lignes correspondances
fiabilité
expresses pratiques
Intégration au Flexibilité des
Itinéraires multiples
sein des réseaux itinéraires pour
Itinéraire unique avec avec infrastructures
Itinéraires régionaux/ favoriser les trajets
correspondances de correspondance et
correspondances directs et réduire les
identifiant unique
directes correspondances

Système de Cartes de transport


Règlement des trajets Billets témoignant du
Billets paiement valables sur
à l’avance règlement des trajets
électronique différents réseaux

Amélioration
Adaptation des Localisation et
Information des des quais pour
technologies pour suivi des véhicules
passagers pour des réduire le temps
Technologies réduire le temps de pour renforcer la
services plus pratiques d’embarquement
trajet et favoriser le coordination et la
et plus fréquentés et de
respect des itinéraires sûreté/sécurité
débarquement

41 Colin Brader, ITP, Royaume-Uni.


Les réseaux de BHNS peuvent s’avérer plus simples Il convient également de coordonner les différents 73

et moins coûteux que les réseaux de chemin de fer. organismes chargés de planifier, financer, exploiter

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Ils soulèvent toutefois des difficultés de planification ou réglementer ce réseau. La création de voies
et de mise en œuvre qu’il convient de surmonter dès réservées au réseau de BHNS est par ailleurs
le départ pour en garantir le bon fonctionnement. perçue comme une restriction de l’espace et des
Ces systèmes encadrés et contrôlés viennent droits des automobilistes, souvent influents dans la
souvent remplacer d’anciens systèmes moins société, bien que les transports collectifs circulent
organisés, avec lesquels ils peuvent rivaliser. généralement sur n’importe quelle voie.

Encadré IV-2. Le contexte de Bogotá et celui des villes d’Afrique subsaharienne

Contexte de Bogotá. y possède une automobile. L’environnement


Cette mégapole à revenu intermédiaire naturel y limite moins l’expansion des villes
abrite plus de sept  millions d’habitants, soit (à l’exception du littoral ou d’autres obstacles
une densité de 230 personnes par hectare, et topographiques), et les centres d’activité
une flotte de véhicules supérieure à 250  pour sont moins nombreux. Rares sont les axes
mille habitants. La demande de mobilité se où transitent des flux massifs de voyageurs.
concentre sur un espace urbain délimité par On y trouve peu d’institutions affichant la
les montagnes environnantes ; aux heures de volonté politique et les ressources humaines
pointe, le nombre de déplacements dépasse suffisantes pour réformer le système.
35 000 par heure et par direction. Les transports
En Afrique subsaharienne, les minibus assurent
collectifs y étaient traditionnellement assurés
l’essentiel du transport de passagers. Les
par des bus de petites et moyennes tailles,
grandes entreprises de transport en autobus
dont l’accès au marché était si peu contrôlé
ne représentent jamais plus de 30  pour cent
que leur nombre dépassait largement celui
du marché total et n’opèrent qu’à Abidjan, à
des usagers. Les difficultés financières ont fait
Accra, à Addis-Abeba, à Dakar, à Nairobi et
baisser la qualité de leurs services, tandis que
dans les grandes villes d’Afrique du Sud.
la concurrence féroce a fait augmenter les
accidents de la route. La pression en faveur d’une réforme provient
davantage des automobilistes mécontents de
Au bout de plusieurs décennies, une réforme
la congestion que du grand public, pourtant
politique a fini par répondre au besoin
directement pénalisé par la mauvaise
croissant d’un nouveau système de transports
qualité des transports collectifs, dont le poids
collectifs. Dès les premiers investissements, les
économique et politique est trop faible pour
autorités se sont mobilisées pour s’assurer que
entraîner le changement.
les objectifs seraient atteints (comme cela avait
été le cas à Curitiba). Solidement étayées, les Moins développées en Afrique subsaharienne
décisions prises ont ensuite été appliquées par qu’en Amérique latine, les infrastructures
des organismes publics dotés d’un personnel d’approvisionnement en eau, d’assainissement
suffisant. et de gestion des déchets présentent un coût
d’opportunité élevé qui limite la capacité à
Contexte des villes d’Afrique subsaharienne.
investir dans des réseaux de transport locaux.
Les grandes villes d’Afrique subsaharienne
La capacité à mobiliser des financements
abritent une plus faible population (deux
publics et privés s’avère d’une façon générale
à trois  millions d’habitants en moyenne)
bien inférieure dans les villes d’Afrique
et une plus faible densité démographique
subsaharienne qu’à Bogotá.
que Bogotá. Le revenu par habitant y est en
moyenne inférieur de 40  pour cent à celui Une minutieuse étude de contexte devrait donc
de Bogotá, malgré de grandes disparités, et être menée avant d’envisager toute solution.
un bien plus faible pourcentage d’habitants
74
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Photo IV-9.
Bus express de Lagos

Malgré toutes ces nuances, la planification et la mise de BHNS dans le cadre d’un système de transports
en œuvre des BHNS sont trop souvent considérées collectifs, comprenant à son tour un secteur informel,
comme des exercices d’ingénierie consistant à on accorde en d’autres termes plus d’importance
concevoir des voies réservées, des véhicules de pointe au «  matériel  » qu’à la demande et au marché
et des applications technologiques complexes. Pour (pourtant le principal critère), aux institutions et à la
planifier, mettre en œuvre et exploiter un réseau gouvernance, ou à l’appui politique et technique.

Pour améliorer les systèmes de transports collectifs, il convient d’en examiner :

Le contexte le marché la situation le cadre


politique d’aujourd’hui et de économique et institutionnel,
demain financière y compris les
ressources humaines
disponibles pour
transformer le
système.

les prestataires les structures la main-


de services juridiques d’œuvre
75

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


76
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 9
Le faible rendement du secteur
privé devrait pousser les autorités
municipales à maintenir leurs propres
compagnies de bus ou à en créer de
nouvelles.
77

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Mythe
L’un des principes fondamentaux des transports Pour y parvenir, il convient de créer un environnement
collectifs consiste à charger le secteur public de commercial et concurrentiel propice :
la planification stratégique, de la formulation des
 E
n distinguant les organismes sujets/objets de
politiques, de l’administration, de la réglementation
la réglementation pour réduire l’intervention de
et du suivi, et le secteur privé de la prestation
l’État et accroître l’efficacité des activités.
des services, envisagée comme une activité
commerciale. En d’autres termes, il convient de  E
n soumettant tous les entrepreneurs à des
confier ces responsabilités à des acteurs distincts. La appels d’offres équitables pour éviter que des
poursuite d’objectifs sociaux (répondre aux besoins organismes publics ne soient favorisés par un
de la population, y compris des plus pauvres et appui non commercial de l’État (carburant,
vulnérables) et environnementaux (préserver pièces détachées, acquisition d’autobus ou accès
l’environnement) justifie que ces responsabilités aux terminaux).
soient souvent attribuées à l’État, alors qu’elles  E
n responsabilisant les entreprises publiques et
pourraient tout aussi bien être assumées par le en les dissuadant de compter sur un éventuel
secteur privé, au moyen de contrats stipulant renflouement par l’État.
clairement ces objectifs et les progrès à réaliser pour
les atteindre.

Photo IV-10.
Très empruntés en raison de leurs tarifs compétitifs, les autobus publics
de Lusaka ne suffisent pas à absorber la demande croissante.
78
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 10
Les tarifs des transports collectifs
devraient être encadrés pour être
accessibles aux plus pauvres, sans
pour autant éliminer la concurrence.
79

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Mythe
Dans le secteur des transports collectifs, la question dégager les profits nécessaires pour renouveler sa
des tarifs est probablement la plus controversée flotte, rembourser ses coûts d’exploitation, entretenir
et politisée. Les pouvoirs publics encadrent ces ses véhicules, payer son carburant ou acheter des
tarifs et subventionnent le secteur pour favoriser pièces détachées, le secteur public perd sur tous les
la mobilité de toutes les populations, dans un plans.
souci de bien-être social, mais aussi de popularité
L’encadrement des tarifs pose également la question
politique. Ces subventions prennent différentes
des sources de revenus et du niveau de services. Pour
formes  : compensations des pertes d’exploitation,
couvrir ses dépenses d’exploitation (subventions,
exonérations d’impôts et mise à disposition
publicité, etc.) en maintenant son niveau de service,
d’autobus et d’infrastructures. Nécessaires et
une entreprise doit en effet moduler ses tarifs ou ses
implicitement promises, elles n’en sont pas moins
autres sources de revenus. Ces trois paramètres ne
ignorées et leur impact est souvent négligé sur
peuvent donc être simultanément maintenus à un
le court terme. Leur suppression peut s’avérer
niveau optimal.
extrêmement préjudiciable pour le secteur.

Le déficit du secteur tend à se creuser, car ses


recettes ne suffisent pas à compenser la hausse
des dépenses causée par des facteurs économiques
internes comme externes (par ex.  : le coût du
carburant ou de la vie). En Afrique subsaharienne,
les exploitants rencontrent donc des difficultés
pour entretenir, renouveler et exploiter leur flotte de
véhicules, car leurs besoins financiers augmentent
plus rapidement que les subventions.

Ce déficit enclenche un cercle vicieux  : les services


se dégradent (fréquence, capacité, couverture et
qualité), les recettes d’exploitation s’amenuisent
et la plupart des compagnies détenues ou
subventionnées par l’État font faillite ou mettent la
clé sous la porte.

Incapable de répondre à la hausse de la demande,


l’État assouplit les réglementations et ouvre le
marché à la concurrence, en s’attendant à ce que
le secteur privé vienne combler ce déficit sans faire
augmenter les tarifs ni recevoir de subventions.

Désormais contraint de rivaliser avec des véhicules


privés aux structures moins coûteuses (minibus et
taxis individuels et collectifs), le secteur public doit
tenir ses engagements financiers et sociaux. À
peine soumis aux réglementations en vigueur, le
secteur privé transige quant à lui sur la sécurité et la
qualité du service pour se maintenir sur le marché,
en exploitant des autobus vétustes et bondés sur des
routes encombrées et dangereuses. Incapable de
80
Figure IV-1. Facteurs déterminant la qualité des transport collectifs
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Ta
rif
e
ic
erv
es
ud

Qualité du
ea

transport public
Niv

Recettes d’autres sources

La qualité des services de transports collectifs dépend :

 D
es tarifs, qui doivent être supérieurs au coût  d
u niveau de service, qui ne peut être maintenu
réel d’exploitation pour pouvoir être rentables, en que si les services sont rentables.
l’absence d’autres sources de revenus (comme
les subventions) ; À terme, la déréglementation du marché pour
combler le manque de services publics pourrait
 d
es autres sources de revenus (comme les
poser de nouveaux problèmes.
subventions), qui permettent de fixer des tarifs
inférieurs à leur coût réel d’exploitation ;
82
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 11
Les moyens de transport
« artisanaux » ne devraient pas être
autorisés à circuler sur les voies
réservées aux BHNS et aux transports
ferroviaires, qui présentent le double
avantage d’être modernes et d’avoir
des capacités élevées.
83

Réalité (première phrase)

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


et mythe (deuxième phrase)
La demande en transports à haut niveau de service subsaharienne, où la population est moins dense
(bus, transports ferroviaires et autres) doit être et plus homogène, de nombreuses villes devront
élevée pour que les investissements initiaux et les recourir à ces modes de transports pour acheminer
coûts d’exploitation s’avèrent justifiés et rentables. suffisamment de passagers jusqu’aux réseaux à
De longues distances doivent en outre séparer les haut niveau de service.
différents arrêts pour permettre à ces modes de
Il semble donc préférable d’opter pour un système
transports d’atteindre la rapidité qui les caractérise.
composé de différents modes de transport collectifs,
D’autres modes de transport permettent de desservir au sein duquel le secteur informel pourrait constituer
des itinéraires aux arrêts plus rapprochés. En Afrique un modèle d’efficience et d’efficacité.
84
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 12
La formalisation du secteur informel
des transports collectifs constitue
la principale solution à son évasion
fiscale délibérée, qui prive les
municipalités de recettes budgétaires
et exerce une concurrence déloyale vis-
à-vis de son équivalent formel.
85

Réalité, en partie

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Entièrement administré en espèces, le secteur La sous-déclaration des revenus empêche
informel des transports collectifs favorise l’évasion également d’évaluer la part des licences légalement
fiscale et d’autres pratiques illégales. En générant obtenues. Des critères supplémentaires devraient
des flux de liquidités difficiles à repérer, à tracer et être imposés au renouvellement des licences
à imposer, il prive les autorités locales de recettes pour mieux équilibrer l’offre et la demande, et les
budgétaires dont elles auraient bien besoin. Ce autorités devraient disposer d’informations fiables
secteur exerce ainsi une concurrence déloyale envers pouvoir réglementer la taille du secteur en fonction
d’autres modes de transport collectif probablement de sa main-d’œuvre et de ses véhicules. Sans une
mieux organisés, plus sûrs, de meilleure qualité et meilleure connaissance du secteur informel, il
plus cher à exploiter, car ils honorent leurs différentes s’avère difficile d’en rationaliser l’organisation et le
obligations (en matière de conditions de travail, financement, ou encore de faciliter l’accès des plus
d’entretien des véhicules, etc.). pauvres aux transports collectifs.

Les liquidités recueillies servent en grande partie à Un début de solution a été trouvé en confiant le
« inciter » les forces de l’ordre à fermer les yeux sur les paiement des trajets à des organismes centralisés
règles applicables en matière de permis de conduire, (par ex.  : syndicats/associations d’exploitants
de licence d’exploitation, d’immatriculation, de locaux, banques, autorités publiques responsables
contrôle technique et de tarifs, entravant du même des transports, etc.), tout en recueillant des
coup la possibilité de réglementer l’octroi des données vérifiables au moyen de technologies de
licences d’exploitation, les conditions de travail, l’information et de la communication.
l’état des véhicules, les tarifs pratiqués et le code de
la route.
86
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 13
La population des pays en
développement emprunte les
transports collectifs parce qu’elle n’a
pas d’autre choix.
87

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Mythe : ce n’est plus
le cas

Pendant les années  1950 et 1960, voire jusqu’aux


années  1990, les services de transports collectifs
étaient limités et leur public était clairement défini :
les plus aisés possédaient une automobile, les moins
aisés prenaient les transports collectifs et les plus
pauvres se déplaçaient à pied ou à vélo. La hausse du
niveau de vie moyen a suscité de nouvelles attentes
envers les transports collectifs, dont la qualité s’est
toutefois dégradée sous l’effet de la congestion et
des difficultés financières du secteur. L’évolution
de la structure traditionnelle des villes contraint
de surcroît les transports collectifs à satisfaire une
demande plus dispersée tout en restant rentables.
Tous se plaignent désormais de leur qualité, même
les usagers qui ne les empruntent qu’en dernier
recours.

Facilité par la hausse des revenus et la disponibilité


des véhicules d’occasion, le recours accru aux
voitures individuelles exacerbe la congestion, qui
nuit à son tour à la rapidité, à la fiabilité et au coût
des transports collectifs, et alimente ainsi le cercle
vicieux de la chute des recettes, de la dégradation
des véhicules et de la baisse du niveau et de la
qualité des services.

Le recours aux transports collectifs et aux transports


non motorisés ne devrait pas être subi, mais choisi
par tous les citadins, indépendamment de leur
niveau de revenu. Pour y parvenir, il conviendrait
d’en repenser les fonctions, la qualité, la flexibilité, la
modernité et la praticité en fonction de l’usager, qui
doit occuper le cœur du système.
88
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 14
Véritable phénomène culturel, les
transports collectifs « artisanaux »
exercent une influence politique
considérable au-delà de leur propre
secteur.
89

Réalité

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Au même titre que les bus rouges à deux étages et peu rémunérée, souvent d’origine rurale  ; son
sont emblématiques de Londres et les taxis jaunes développement constitue à ce titre une question à
de New York, les « jeepneys » sont indissociables des la fois sociale, économique et politique qui ne pourra
Philippines, les « matatus » de Nairobi, les « trotros » être traitée qu’au moyen de stratégies transversales.
d’Accra, les « cars rapides » de Dakar et les « minibus-
taxis » de l’Afrique du Sud. Ces modes de transport
locaux semblent incarner la créativité, l’ingéniosité,
l’esprit d’entreprise et la volonté d’indépendance qui
animent depuis plusieurs décennies les villes des
Encadré IV-3. La grogne se mue en liesse
pays en développement. Ils font partie du quotidien
après la démission du président du Pérou.
de leurs habitants, qui y sont aussi attachés qu’ils
en sont las. Les chauffeurs de minibus par exemple
gagnent un maigre salaire en contrepartie de Les troubles qui ont récemment agité Lima,
journées de travail pourtant longues et stressantes, au Pérou, illustrent le poids politique des
généralement de 5  heures  30 à 21 ou 22  heures, exploitants de minibus et la difficulté de
six jours par semaine, dans «  un secteur où ils reformer le secteur informel des transports.
s’efforcent de gagner leur vie malgré l’hostilité de Confronté à de violentes manifestations
l’environnement économique »42. nationales et à une pression internationale
croissante, le président intérimaire Manuel
Déjà mis à mal par la hausse de la concurrence
Merino a démissionné dimanche dernier,
et la baisse de la clientèle, dont une part toujours
moins d’une semaine après avoir remplacé
plus grande opte pour la voiture individuelle, les
son prédécesseur, le populaire Martín Vizcarra.
chauffeurs de minibus doivent en outre assumer
des charges croissantes : aux droits qu’ils reversent Le parlement a fait scandale et plongé
chaque jour à leurs employeurs s’ajoutent le prix le pays dans la tourmente en destituant
toujours plus élevé du carburant et les frais qu’ils Martín Vizcarra le 9 novembre 2020 pour des
paient aux autorités et/ou aux syndicats pour allégations de pots-de-vin qu’il aurait reçus en
l’entretien des terminaux. Rarement soumis à tant que gouverneur. Largement perçu comme
de strictes obligations en matière d’entretien et un réformateur, celui-ci a nié les faits et répété
généralement surchargés, ces minibus sont souvent qu’il coopérerait avec la justice. Dimanche
difficiles à rappeler à l’ordre. dernier, un juge l’a sommé de ne pas quitter le
pays.
Leurs chauffeurs expliquent devoir transgresser
les règles pour pouvoir gagner leur vie43. Il n’est Aux yeux de beaucoup, c’est une classe
pas rare en effet de les voir enfreindre le code de politique corrompue qui a destitué Martín
la route, s’engager imprudemment sur certaines Vizcarra pour conserver le pouvoir et
voies, commettre des excès de vitesse ou s’arrêter continuer à s’enrichir en recevant des pots-
sur demande pour arranger les passagers et ainsi de-vin, en pratiquant le trafic d’influence et
optimiser les recettes de chaque voyage. en adoptant des lois populistes favorables
à ses intérêts particuliers, notamment en
Leurs revenus ont baissé sous l’effet de la congestion
matière d’exploitation minière et de transports
qui ralentit leurs allers-retours quotidiens, aggravée
informels (taxis et minibus), pourtant si
ces dix dernières années par la concurrence
meurtriers sur la route.
des taxis collectifs ou des motos-taxis informels
(appelés «  okadas  » au Nigeria). Malgré ses
inconvénients, l’économie informelle fait travailler Source: Simeon Tegel, The Washington Post,
une main-d’œuvre peu instruite, peu qualifiée novembre 15, 2020

42 Woolf, S.E., Joubert, J.W. (2013). « A people-centered view on paratransit in South Africa ». Cities, 35, 284-293.

43 https://globalpressjournal.com/africa/zambia/public-transit-drivers-in-zambia-say-competition-bribery-demands-force-
them-to-violate-road-rules/ Global Press Journal (November 22, 2014)
90
Encadré IV-4. Le peuple philippin exprime son soutien aux
manifestations des conducteurs de jeepney (16 octobre 2017).
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Longtemps surnommé le « souverain incontesté pour répondre à ses propres besoins locaux de
des routes » (« the undisputed king of the road »), transport bon marché, alimentant ainsi une
le jeepney incarne la créativité, l’inventivité et florissante industrie. Pendant des décennies,
l’ingéniosité du peuple philippin44. ce véhicule a ainsi transporté d’innombrables
travailleurs philippins, méritant bien son
Récupérée au lendemain de la Seconde Guerre
surnom de « souverain incontesté des routes ».
mondiale pour servir de taxi collectif, cette jeep
militaire a beaucoup évolué depuis  : elle s’est En 2017, un projet de modernisation des
coiffée d’un toit pour protéger ses passagers, transports collectifs (bus, camionnettes
sa banquette arrière s’est allongée pour en et jeepneys) a suscité l’opposition des
transporter davantage et elle s’est parée de conducteurs de jeepneys, qui ont organisé
toutes sortes d’accessoires et de couleurs. Même plusieurs manifestations contre cette réforme
lorsque leur distribution a cessé aux Philippines, jugée injuste45.
la population locale a continué de les fabriquer

Source: Godofredo U. Stuart Jr., www.stuartxchange.com

Photo IV-11.
Un jeepney, autrefois surnommé le « souverain
incontesté des routes » aux Philippines.

Sources d’embouteillages, de pollution et de danger, et d’un État post-colonial défaillants46. Klopp


ces modes de transports informels n’en suscitent et Mitullah (2015)47 avancent quant à eux que
pas moins une certaine forme de nostalgie. «  les colons et les fonctionnaires européens ont
‘aménagé’ la ville de Nairobi autour de moyens
L’écrivain, journaliste, blogueur et caricaturiste
de transport conçus pour faciliter la ségrégation
nigérian Patrick Gathara estime que les « matatus »,
physique  ». Capitale du Kenya depuis un peu
ou minibus kényans, sont le «  fruit pourri  » d’un
plus de vingt  ans, Nairobi comptait 5  000  voitures
entrepreneuriat national issu d’un modèle colonial

44 http://www.stuartxchange.com/Jeepney.html

45 https://www.bbc.com/news/world-asia-41632035

46 https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-12-26/matatus-elude-center-city-ban-in-nairobi-kenya-again

47 Jacqueline Klopp, Winnie Mitullah. Politics, policy and paratransit: A view from Nairobi. (2015) Routledge
91

en 1928, «  le plus grand nombre de véhicules travailleur de ce secteur fait vivre un foyer de cinq

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


particuliers par habitant au monde ». Les Européens personnes), soit 15 pour cent de la population. Leur
et les Asiatiques y conduisaient des voitures, poids démographique leur confère une grande
tandis que les Africains s’y déplaçaient à pied. Le influence politique et leur permet de perturber
système d’autobus urbains inauguré dix  ans plus l’économie en appelant à la grève lorsque leurs
tard profitait encore principalement aux autorités intérêts sont menacés.
coloniales britanniques et à d’autres groupes
Les propriétaires de véhicules sont largement
privilégiés.
représentés dans les rangs de la fonction publique,
Partie de peu, l’industrie du «  matatu  » constitue notamment des autorités chargées de réglementer
désormais «  la seule grande industrie du Kenya et de contrôler ce secteur, créant ainsi des conflits
à être encore détenue et administrée par des d’intérêts et favorisant le maintien du statu
Kényans  »48, générant deux  milliards de recettes quo à des fins d’enrichissement personnel. Ces
par an et employant plus de 350  000  travailleurs fonctionnaires justifient leur double casquette en
kényans. À Lagos, où l’on compte 100 000 minibus invoquant l’insuffisance de leurs traitements49,
et 200  000  motos-taxis, plus de 500  000  citadins tandis que les agents de police engrangeraient
sont directement employés par le secteur informel jusqu’à 10 pour cent des recettes totales du secteur50,
des transports collectifs et font vivre plus de qui profite également au crime organisé par le biais
deux  millions de citoyens (si l’on considère qu’un de l’extorsion.

Figure IV-2. Dessin dénonçant les pots-de-vin versés aux officiers de police, publié en 2018 dans le journal Freetown Press

FÉLICITATIONS, LES NOUVELLES VONT


MONSIEUR L’AGENT ! VITE, OFFREZ-MOI DONC
À CE QU’IL PARAÎT, QUELQUE CHOSE POUR
VOUS ALLEZ ÊTRE FÊTER ÇA !
AUGMENTÉS ?

48 Kenda Mutongi, Matatu: A history of popular transportation in Nairobi, Presses de l’université de Chicago, juin 2017.

49 Source : entretiens informels avec les auteurs.

50 Idem
92
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Encadré IV-5. L’interdiction du « matatu » à Nairobi : une mesure condamnée à l’échec51

En décembre 2018, l’interdiction de circuler en « matatu » dans le quartier des affaires de Nairobi n’a
pas tenu plus d’une journée.

Cette mesure a clairement montré la dépendance vis-à-vis de ce système privé de milliers de citadins
kényans, contraints d’effectuer un long périple dans le seul but d’aller travailler. Le chaos provoqué
par cette décision a entraîné la chute de Mike Sonko, le gouverneur de la région, qui a été congédié
le lendemain de son entrée en vigueur.

Source: Patrick Gathara, Bloomberg City Lab, 26 décembre 2018

Supprimer progressivement les minibus à Nairobi

Instaurée en décembre 2010, l’interdiction d’importer L’opinion publique s’est ainsi laissé convaincre que
des véhicules à 14 places traduit la ferme intention du les autobus :
gouvernement de réduire la circulation des minibus  constitueraient un moyen de transport plus sûr
ou «  matatus  » et d’encourager les exploitants à et confortable pour les femmes et les personnes
investir dans de plus grands véhicules52. L’opposition handicapées ;
manifestée en 2011 par différentes parties prenantes
 feraient passer les usagers avant leurs intérêts
a fini par faire reculer le gouvernement, qui est
commerciaux, car ils seraient exploités par des
revenu en 2012 sur cette décision.
entreprises publiques ;
Adoptée cette même année, la Politique nationale  réduiraient les embouteillages sur les routes des
intégrée des transports (INTP ou Integrated National villes causés par les mini/midibus car le nombre
Transport Policy) visait à interdire progressivement de véhicules conduits de manière erratique sur
la circulation des «  matatus  » et d’autres petits la route diminuerait considérablement ;
transports collectifs afin d’accroître la capacité des
 seraient exploités par des entreprises capables
transports collectifs et de réduire la congestion sur
de proposer des systèmes d’information et de
les routes. Les fonctionnaires et les propriétaires
titres de transport intégrés.
d’autobus considéraient ces véhicules comme le
principal facteur de congestion et d’accidents de la La Politique nationale a toutefois été rejetée par
route, et donc comme une menace pour la sécurité les travailleurs directement ou indirectement
routière  : en effet, les propriétaires de «  matatus  » employés dans le secteur, comme les propriétaires
en déléguaient l’exploitation à des conducteurs de « matatus » ou les associations de conducteurs,
engagés à la journée ou sur une courte durée, qui considéraient au contraire :
sans formation ni incitation au respect du code de  q
ue les potentiels effets d’une telle politique sur
la route, dont la principale motivation consistait à les moyens de subsistance des travailleurs du
maximiser leurs profits. secteur n’avaient pas été pris en compte ;
 q
u’il était erroné de rendre les petits véhicules
largement responsables des problèmes
d’accidents de la route, de sécurité routière, de
criminalité et de violence.

51 https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-12-26/matatus-elude-center-city-ban-in-nairobi-kenya-again

52 Source de cette section : Ommeh Marilyn, McCormick Dorothy, Mitullah Winnie, Orero Rispe et Chitere Preston, « The Politics
Behind the Phasing Out of the 14-seater Matatu in Kenya », 13e Conférence mondiale sur la recherche dans les transports
(CMRT), juillet 2013, disponible à l’adresse : http://www.wctrs-society.com/wp-content/uploads/abstracts/rio/selected/2864.pdf
Des études empiriques ont révélé une faible «  À des considérations purement techniques 93

corrélation entre la taille du véhicule et le respect (accroître la capacité des transports collectifs,
réduire la congestion, favoriser le développement

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


du code de la route53. Il ressort d’ailleurs que les
petits véhicules présenteraient plus souvent une à plus long terme des bus urbains express, etc.)
sont venus se surajouter des intérêts politiques.
taille idéale en fonction de l’offre, de la demande
Probablement soucieux de prendre des mesures
et du niveau de service54. Dans le secteur public
visibles, le ministère des Transports a fait adopter
des transports collectifs, la taille des véhicules a
cette politique sans mener les consultations
été motivée par différents critères techniques et
nécessaires ni en analyser les effets indésirables.
économiques55. Par obédience politique, les membres du
Dans les années 1980, des minibus puis des véhicules gouvernement et du parlement ont commencé
à deux et trois roues ont progressivement comblé par soutenir cette politique favorable aux usagers ;
ils sont toutefois revenus sur leur position dès que
le manque de transports collectifs créé dans la
les exploitants ont commencé à se plaindre de ses
plupart des villes d’Afrique subsaharienne par les
effets sur le secteur. »
programmes d’ajustement structurel. Dans leur
analyse de la suppression des « matatus », Ommeh
Marilyn et al. expliquent les facteurs qui ont motivé
le retour vers de plus grands transports collectifs56 :

Figure IV‑3.
Cycle des transports collectifs dans les villes d’Afrique subsaharienne depuis les années 1980

Détérioration des services, Faibles standards,


ajustements structurels et Développement congestion, pollution et
baisse des subventions de l’offre privée insécurité croissante

Secteur Restrictions
exploité par des petits
l’État véhicules

Hausse de la demande,
Demande de meilleurs
chômage croissant et
services et opportunisme
réglementation peu
politique
appliquée

Essor des deux


et trois roues

53 McCormick, D., W. Mitullah, P. Chitere, R. Orero et M. Ommeh (2012) Institutions and Business Strategies of Matatu
Operators in Nairobi: A Case Study ACET Project 14 ; Paratransit operations and regulation in Nairobi, Working paper 14-03,
université de Nairobi.

54 Jansson J, (1980) « A simple bus line model for optimization of service frequency and bus size », Journal of Transport
Economics and Policy 14 (1):53-80.

55 Vijayakumar S. (1986) « Optimal vehicle size for road‐based urban public transport in developing countries ». Transport
Reviews: A Transnational Transdisciplinary Journal, 6(2):193-212.

56 Ommeh Marilyn, McCormick Dorothy, Mitullah Winnie, Orero Rispe et Chitere Preston, The Politics Behind the Phasing
Out of the 14-seater Matatu in Kenya, 13e Conférence mondiale sur la recherche dans les transports (CMRT), juillet 2013,
disponible à l’adresse http://www.wctrs-society.com/wp-ontent/uploads/abstracts/rio/selected/2864.pdf
94
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 15
Il conviendrait d’inciter les
gouvernements à fluidifier le
trafic routier en acquérant une
flotte d’autobus, dont chacun
peut remplacer plusieurs véhicules
« artisanaux » de plus petite taille
(berline, camionnette, etc.).
Pas nécessairement une réalité

La possibilité de remplacer les minibus par des (fréquents, flexibles et directs) par des autobus aux
autobus pour considérablement réduire le nombre horaires et itinéraires préétablis.
de véhicules collectifs repose sur les hypothèses
Dans l’un des premiers documents d’orientation
suivantes  : a)  la demande est suffisamment
à ce sujet (1986)57, la Banque mondiale a montré
élevée pour justifier le passage à une fréquence
que les économies d’échelle seraient réduites,
raisonnable d’autobus circulant selon des
voire nulles, car les coûts augmenteraient
horaires et itinéraires préétablis, b)  les routes sont
proportionnellement au développement des
suffisamment larges et solides pour leur permettre
compagnies assurant ce service  : «  Les petites
de circuler, en particulier dans les banlieues et zones
compagnies de transport, qui sont très variées
périphériques, c)  l’évolution et la croissance de la
et davantage soumises à la concurrence, optent
demande (nombre et profil des passagers) justifient
souvent pour des véhicules moins chers à exploiter
d’adapter et de standardiser l’offre en conséquence,
que les autobus, généralement préférés par les plus
et d)  le niveau de la demande et des recettes se
grandes entreprises. »
maintiendra malgré le remplacement des minibus

57 Banque mondiale, (1986) Urban Transport. Policy Study de la Banque mondiale, Washington DC.
Le recours aux autobus se justifie dans les souples (souvent à domicile), plus fréquents et
environnements où la demande et/ou le coût de donc plus pratiques que les autobus. Ils présentent
la main-d’œuvre est élevé (il peut représenter les également l’avantage de se remplir plus facilement
deux tiers du coût d’exploitation d’un autobus que les autobus, et donc de quitter plus rapidement
dans les villes développées). Les villes d’Afrique leur terminal, et d’être plus maniables que ces
subsaharienne affichent une faible densité de derniers sur des routes étroites ou encombrées.
population, car la croissance démographique est
L’intérêt des autorités pour les autobus n’est pas
inférieure à la croissance géographique. Le coût
nouveau : face à l’essor des minibus dans certaines
de la main-d’œuvre y varie considérablement  :
villes d’Asie de l’Est, elles ont recommandé dès les
il est plus élevé pour les services de transport en
années 1970 et 1980 d’en réduire, voire d’en interdire
autobus, essentiellement fournis par l’État, que pour
les activités (voir l’encadré IV-6). Des recherches
les services de transport en minibus privés, dont
menées par Walters (1979) ont brisé une idée
les chauffeurs font de longues journées de travail
reçue en démontrant que les minibus fournissaient
sans bénéficier des mêmes prestations que leurs
souvent des services plus fréquents, rapides et
homologues du secteur public.
adéquats au transport de passagers en milieu
Les minibus réduisent par ailleurs le temps d’attente urbain que les grandes compagnies de transport en
des passagers en leur proposant des services plus autobus. La situation n’a guère changé ces dernières
97

décennies, si ce n’est que les villes d’Asie de l’Est privatisés.  » C’est notamment le cas de Buenos

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


sont entrées dans la catégorie des pays à revenus Aires, du Honduras, de Manille, d’Abidjan, d’Accra,
moyens ou élevés et qu’elles ont vu augmenter leur de Nairobi, du Caire, de Calcutta, de Colombo, de
part de transports rapides ou individuels. Hong Kong, de Kuala Lumpur, etc. Sur un marché
concurrentiel et non subventionné, le véhicule
D’après Walters (1982)58, «  la réintroduction des
dominant correspond au mode de transport le plus
autobus a été favorisée par les subventions, la
pratique pour les usagers et le plus rentable pour
réglementation et les contrôles. Il s’avère plus
les exploitants. Il importe donc d’étudier ce type
instructif d’examiner la situation des villes et pays
de marché pour tenir compte de leurs préférences
qui ne subventionnent ou ne réglementent pas
respectives.
ces services, ou qui les ont déréglementés ou

Encadré IV-6. L’essor des minibus dans les années 1970

D’après différentes études consacrées aux les seconds comptent de 12 à 14  places (1  000
transports urbains depuis les années  1970, à 1  500  centimètres cubes) et s’arrêtent en
l’introduction des minibus a largement fonction de la demande. Les déplacements
bénéficié aux exploitants comme aux usagers en minibus coûtent deux fois plus cher que
de ces véhicules. À Manille, ces études ont ceux en autobus, mais représentent presque
montré que les propriétaires de «  jeepneys  » 90  pour cent du total des déplacements, car
parvenaient à dégager de confortables les usagers en préfèrent le confort et la rapidité.
bénéfices, contrairement aux compagnies Les minibus parviennent donc à dégager de
d’autobus, pénalisées par l’application des modestes bénéfices, tandis que les autobus
tarifs réglementés, l’achat de ces véhicules et n’en dégagent pas suffisamment pour couvrir
l’absence de mécanismes d’incitation. leurs coûts de fonctionnement.

À Hong Kong, des « bus légers » (PLB ou Public Le même constat s’applique à la ville de Kuala
light buses) ont été légalisés en 1969 après s’être Lumpur, où quelques minibus ont été introduits
popularisés dans la clandestinité. Détenus par et se sont avérés plus rentables que les autobus,
des entrepreneurs individuels dont 75  pour malgré leurs tarifs plus élevés.
cent ne possédaient qu’un bus, ces véhicules
À Bangkok, l’entreprise publique BMTA
n’étaient soumis à aucune réglementation en
(Bangkok Mass Transit Authority) a repris en
matière de tarif ou d’itinéraire, mais se voyaient
1976 l’exploitation des autobus, auparavant
interdits dans certaines zones. En moyenne, ils
répartie entre plusieurs entreprises privées.
passaient huit  fois plus souvent et circulaient
En parallèle, l’absence de contrôles de police
15  pour cent plus vite que les autobus, ce qui
dans la zone métropolitaine permettait à de
explique leur capacité à dégager des bénéfices.
nombreux minibus d’y circuler illégalement
À Chiengmai, une ville d’environ et d’y dégager des bénéfices en appliquant
100 000 habitants dans le Nord de la Thaïlande, le même tarif que les autobus, tandis que la
le marché des transports est ouvert à la BMTA enregistrait des pertes considérables.
concurrence entre les autobus et les minibus. Au bout de quelques années, l’État s’est trouvé
Les premiers comptent une trentaine de places contraint de légaliser ces minibus et d’en
et suivent des itinéraires préétablis, tandis que contrôler l’exploitation.

Adapté de: A.A. Walters, Costs and Scale of Bus Services, Staff Working
Paper No. 325, avril 1979, Banque mondiale, Washington, DC.

58 A.A. Walters (1982), « Externalities in Urban Buses », Journal of Urban Economics, 11, 60-72.
98
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 16
Le remplacement de réseaux informels
par des réseaux formels de transports
collectifs pourrait en réaffecter toute
la main-d’œuvre sans la perturber.
99

Réalité

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Le remplacement de tous les véhicules informels Toute réforme visant à formaliser le système de
desservant différents axes ou zones par de plus transport doit anticiper la question de la main-
grands véhicules formels circulant selon des d’œuvre, notamment dans les transports ferrés ou les
horaires et itinéraires préétablis s’accompagnera BHNS. Il est par exemple possible de réquisitionner
probablement d’une réduction de leur nombre, les propriétaires de véhicules et les titulaires de
de leur fréquence et par conséquent de leur main licence pour les former et les réaffecter à des postes
d’œuvre. La hausse du coût de la main-d’œuvre de conducteurs, mécaniciens, agents de gare, etc.,
et le rejet croissant des emplois précaires et sous- ou garantir d’autres emplois ailleurs en ville pour les
payés justifient de passer à des véhicules plus profils qui s’y prêtent le moins.
grands et moins nombreux tout en maintenant
Dans un même ordre d’idées, des licences peuvent
globalement la même capacité de transport, mais
être octroyées en priorité aux actuels propriétaires
pas nécessairement le même niveau de service.
de véhicules et des fonds peuvent être accordés
Le rapport évaluant l’impact du BHNS de Nairobi sur aux actuels titulaires de licence pour leur permettre
la main-d’œuvre59 a révélé les conditions de travail d’acquérir des véhicules et de desservir des zones
très précaires des conducteurs de «  matatus  », moins accessibles ou récemment urbanisées de
dont la grande majorité sont indépendants ou leurs agglomérations respectives.
rémunérés à l’heure ou à la journée et dont seuls 3,9
Pour garantir le plein succès de cette méthode, qui
pour cent ont signé aucun contrat ou accord écrit.
a déjà fait ses preuves en Amérique latine et dans
La plupart d’entre eux travaillent de nombreuses
d’autres régions, il s’avère indispensable de maintenir
heures par jour, entre treize et quinze heures dans la
une communication étroite et permanente entre les
moitié des cas, d’après une étude de 1997 (Khayesi
décideurs politiques, les exploitants et les travailleurs
1997)60, et perçoivent un salaire faible et très variable
du secteur. Les gouvernements doivent également
en fonction du nombre souvent imprévisible de
prendre conscience du coût potentiellement élevé
clients. Fixés par les propriétaires des véhicules et
d’une telle réforme, au moment de son lancement
assimilables à une location de facto, les objectifs
et tout au long de sa mise en œuvre.
financiers que doivent généralement atteindre
les conducteurs avant de commencer à générer À Lagos, une autre méthode s’est avérée efficace
leurs propres revenus ont pour effet d’allonger leur pour minimiser l’impact du BHNS sur l’emploi  :
journée de travail, et donc d’augmenter le risque a) en s’assurant d’expliquer aux actuels exploitants/
d’accident et de détériorer leur état de santé. À conducteurs comment postuler pour exercer dans
tous ces inconvénients s’ajoutent les pratiques le nouveau réseau exclusivement formel, b)  en
d’extorsion et de verbalisation arbitraire de la police créant des emplois d’inspecteurs, de superviseurs
et des inspections territoriales. de la collecte des données, de contrôleurs, d’agents
d’entretien, etc. pour employer les travailleurs
La formalisation des transports pourrait faire
de l’ancien réseau informel  ; c)  en lançant un
chuter la main-d’œuvre totale du secteur, mais
programme de relocalisation des travailleurs
aussi améliorer ses conditions de travail dans leur
informels restants vers d’autres zones récemment
ensemble. Les conséquences négatives pourraient
urbanisées ; et d) en maintenant un certain niveau
être atténuées en associant d’emblée tous les
de services informels pour minimiser les pertes
acteurs à l’élaboration d’une telle réforme et en
d’emploi.
intensifiant les services de transport subsidiaires
qui « alimenteraient » ce nouveau réseau depuis les
quartiers, dans le respect des règles d’aménagement
du territoire et du code de la route.

59 Nairobi Bus Rapid Transit, Labor Impact Assessment Research Report, janvier 2019, Global Labor Institute, Genève.

60 Khayesi, M. (1997). Matatu Workers in Nairobi, Thika and Ruiru Towns, Kenya: Analysis of their Socio-economic
characteristics, Career Patterns and Conditions of Work. Final Research Report Submitted to the Institute for Development
Studies, Université de Nairobi.
100
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

IDÉE REÇUE
N° 17
La formalisation d’un système informel
de transports collectifs ne requiert
aucune aide financière de l’État.
101

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Réalité
Plusieurs pays dont l’Afrique du Sud ont réformé
leurs transports collectifs en partant notamment
du principe qu’un réseau de transport formel
peut générer suffisamment de recettes pour
s’autofinancer, au même titre que le système
informel qui lui a précédé. Si une telle hypothèse
peut se vérifier sur des axes fréquentés tout au long
de la journée et de la semaine (par ex. : le BHNS de
Lagos), il en va autrement sur des marchés à faibles
revenus et faible densité de population, où les
réseaux déficitaires ont causé de graves problèmes
financiers, notamment dans des villes d’Afrique
subsaharienne comme le Cap et Accra.

En dehors des heures de pointe du matin et du


soir, les lignes d’autobus locales qui complètent
les BHNS dans les banlieues faiblement peuplées
n’enregistrent par exemple qu’une faible
fréquentation. Il s’avère particulièrement difficile de
générer suffisamment de recettes pour couvrir tous
les coûts associés aux dispositions du droit du travail
en matière de salaire minimum, de prestations et
de temps de travail, mais également les coûts du
matériel roulant, des autres équipements et des
installations, a fortiori lorsque les tarifs sont fixés en
dessous des prix du marché pour rester à la portée
de tous les porte-monnaie.

Les réseaux de transports collectifs peuvent recourir


à différentes solutions afin de traiter leurs problèmes
financiers tout en restant abordables pour l’État
et les usagers, en veillant toutefois à les adapter à
leur environnement financier, politique et socio-
économique  : des prêts bancaires garantis par
l’État pour financer la construction d’installations
par les entreprises privées, des réductions d’impôts
sur le carburant, les fournitures et le matériel
roulant, l’octroi de contrats directs de location aux
exploitants pour leur fournir les biens d’équipement
dont ils ont besoin, etc.

Bien plus difficiles à administrer, les subventions à


l’exploitation et à l’entretien ont souvent pour effet
pervers de réduire la productivité et l’efficacité des
services. Beaucoup jugent donc préférable de
subventionner directement les tarifs des usagers à
faibles revenus plutôt que les fournisseurs.
102
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement
103

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Quelle démarche
adopter ?
104
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Face aux difficultés posées par le secteur informel


des transports collectifs, la plupart des pays ont
décidé :

 D
e favoriser le développement du secteur formel
des transports collectifs :
» e
n créant des entreprises publiques
directement financées et exploitées par l’État
et en interdisant la fourniture de tels services
par des particuliers ou des entreprises privées
du secteur informel ;
» e
n investissant massivement dans toutes les
formes de transports collectifs.
 D
e plafonner les tarifs des transports collectifs
pour les rendre accessibles aux plus pauvres.
Or, ces mesures n’ont guère amélioré la mobilité des
plus pauvres en facilitant leur accès aux transports
collectifs, si tant est que ce fût leur objectif. À travers
le monde, il est de plus en plus admis que le secteur
doit réduire le nombre de véhicules particuliers
sur les routes en favorisant une transition vers des
transports collectifs ou non motorisés chez tous
les citadins, quel que soit leur niveau de revenus.
Dans cette perspective, les politiques publiques
doivent non seulement convaincre les citadins
d’abandonner leurs deux et trois roues, mais
également les dissuader d’y revenir, malgré des prix
de plus en plus abordables.

Trois approches du secteur informel des trans-


ports collectifs. Pour opérer une telle transition,
l’État peut adopter trois approches différentes du
secteur informel des transports collectifs :

1. l ’interdire purement et simplement pour le


remplacer ;
2. l ’accepter tel quel en considérant qu’il s’agit d’un
mal nécessaire ;
3. l ’améliorer et l’adapter pour l’intégrer à un
système de transports collectifs plus large et
plus moderne.
105

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


La première approche consiste à interdire Face aux limites de ces deux premières approches,
purement et simplement le secteur informel pourquoi ne pas imaginer une troisième voie, qui
des transports collectifs. Jusqu’à présent, aucune consisterait à améliorer et à adapter le secteur
mesure de ce type n’a toutefois contribué à résoudre informel des transports collectifs pour en exploiter
la crise des transports collectifs en milieu urbain. l’ingéniosité et apporter une solution endogène à
Il s’avère en effet contre-productif d’interdire un la crise des transports urbains ? Il s’agirait pour ce
secteur qui fournit des services indispensables aux faire d’encadrer, de rationaliser et de moderniser ce
citadins qui n’ont pas les moyens de s’acheter un vaste marché pour lui permettre de répondre aux
véhicule particulier en puisant dans la créativité, besoins de la population en proposant des services
l’ingéniosité, l’esprit d’entreprise et la volonté sûrs, propres, abordables et pratiques.
d’indépendance qui animent depuis plusieurs
Apprécié des usagers pour sa flexibilité, le marché
décennies les villes des pays en développement. En
des minibus présente l’avantage de constituer
gelant l’octroi de licences aux minibus, on obtient
un réseau dont pourraient émerger de nouveaux
souvent les pires effets des différentes démarches  :
itinéraires sans susciter particulièrement
la prolifération des véhicules particuliers (deux ou
d’intimidations ni de violences. Administré depuis
trois roues) et des taxis collectifs désormais illégaux.
près de trente ans pour servir les intérêts de ses
exploitants et de leurs syndicats, il présente
néanmoins l’inconvénient de reposer sur des
pratiques trop profondément enracinées pour
pouvoir se plier et s’intégrer au fonctionnement du
système municipal. Plusieurs défauts entravent le
bon fonctionnement de ce marché  : 1)  l’irrégularité
La deuxième approche consiste à accepter le et l’imprévisibilité des horaires des minibus, qui ne
secteur informel des transports collectifs tel quel, quittent leur terminal qu’une fois remplis, entraînant
en reconnaissant qu’il s’agit d’un mal nécessaire. Le ainsi de longues attentes pendant les heures
statisme d’une telle approche va toutefois à l’encontre creuses ; 2) l’arrêt des minibus en dehors des arrêts
des vertigineux progrès réalisés dans les domaines préétablis ou à des arrêts déjà encombrés, ce qui peut
de l’efficacité énergétique, de l’aérodynamisme, provoquer des embouteillages et des accidents ; 3) la
de la sécurité et du confort des véhicules. Citons suroccupation des terminaux et la sous-occupation
l’exemple des minibus d’occasion  : les «  jeepneys  » des couloirs de bus pendant les heures creuses  ;
des Philippines, qui n’offrent aucun confort, 4) les longues journées et les difficiles conditions de
consomment beaucoup de carburant, polluent travail des conducteurs  ; 5)  le manque d’incitation
et ne sont pas équipés de ceintures de sécurité61, des conducteurs à moderniser leurs véhicules ou
ou encore les «  cars rapides  » de Dakar, conçus en à former et traiter dignement leurs conducteurs  ;
Europe pour transporter des marchandises, puis et 6)  la convergence de tous les itinéraires vers les
importés et adaptés au Sénégal pour transporter quelques destinations des travailleurs, où s’arrêtent
des passagers. Commune à différents pays d’Afrique les minibus qui font la navette entre les banlieues
subsaharienne, cette dernière pratique s’explique et le centre-ville, provoquant des embouteillages
par une fiscalité plus favorable à l’importation de autour d’intersections transformées en immenses
véhicules de marchandises que de passagers, mais terminaux improvisés.
présente de nombreux inconvénients : l’absence de
confort pour leurs passagers littéralement «  serrés
comme des sardines  », le non-respect des normes
de sécurité et la dégradation de l’environnement.

61 https://www.pinterest.com/pin/the-philippine-jeepney-the-undisputed-king-of-the-road-by-godofredo-u-
stuart--197384396145745578/oup consulté le 17 novembre 2020.
106
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Réglementer le secteur informel des transports collectifs

Pour remédier aux nombreux problèmes Plusieurs étapes doivent être suivies pour passer
actuellement rencontrés par ce secteur en matière à un marché dont les acteurs (en premier lieu les
d’aménagement du territoire, de qualité des véhicules, exploitants) sont tenus de conclure un contrat
de conditions d’exploitation, de qualification des stipulant la nature, la période, les horaires et les
conducteurs et de circulation d’exploitants illégaux, conditions des services qu’ils sont autorisés à fournir.
il conviendrait principalement62 :
Appuyé par la Banque mondiale, le programme de
 D
’améliorer l’organisation et la planification renouvellement du parc de « car rapides » à Dakar
des transports urbains pour créer un meilleur fournit un excellent exemple de restructuration
environnement de travail et permettre aux d’un réseau urbain de transports collectifs63. Pour
exploitants de fournir de meilleurs services ; participer à ce programme et bénéficier d’aides à
 De mieux administrer les routes et la circulation l’achat de nouveaux véhicules, les exploitants ont
routière pour faire un meilleur usage des dû commencer par se constituer en « groupements
infrastructures et montrer aux exploitants d’intérêt économique  » (GIE)  ; les itinéraires leur
les avantages d’adhérer au nouveau cadre ont ensuite été attribués par ordre de priorité. Pour
réglementaire. inciter au renouvellement des flottes de minibus,
ce programme a également versé de généreuses
Pour améliorer la qualité des services, on peut
primes à la casse et facilité le versement d’acomptes
notamment ouvrir l’exploitation de certains
en prolongeant le délai de remboursement des
transports «  parallèles  » ou «  semi-collectifs  » à
autres sources de financement. La clé du succès a
une concurrence qui présenterait des avantages
toutefois résidé dans l’introduction d’un nouveau
supérieurs aux inconvénients de la réglementation
système de titres de transport qui a rééquilibré la
en termes de coûts pour les exploitants, les
distribution des recettes entre les propriétaires et
travailleurs et les voyageurs. Sur un tel marché,
les conducteurs de véhicules, permettant ainsi aux
les contrats seraient réservés à des exploitants
premiers de toucher un pourcentage plus proche du
constitués en personnes morales, stipuleraient les
coût réel et de remplir les conditions requises pour
véhicules autorisés à circuler et encourageraient
accéder aux financements.
leurs bénéficiaires à investir pour les renouveler.

62 Brendan Finn, Abeiku Arthur et Samson Gyamera, New Regulatory Framework for Urban Passenger Transport in Ghanaian
Cities, 11e Conférence sur la concurrence et la possession de véhicules dans le transport terrestre de passagers, septembre 2009.

63 Ajay Kumar et Christian Diou, Renouvellement du parc d’autobus à Dakar : avant et après, document d’analyse du SSATP
N° 11 (mai 2010).
107

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


108
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Financer le secteur informel des transports collectifs

Pour restructurer le secteur, il s’avère indispensable  L


’exigence de verser un acompte élevé, dont le
de créer des conditions d’investissement favorables taux s’avère souvent plus élevé, en parallèle au
à ses entreprises. La vétusté et la faible valeur des financement accordé par les créanciers ;
actifs présentent l’avantage de faciliter l’accès à  L
’exigence de souscrire une assurance tous
ce secteur, mais ont l’inconvénient de limiter la risques pour garantir la sécurité des créanciers
qualité et l’amélioration des services. Sur ce marché sur toute la durée du financement, et de leur
prédominent en effet des minibus d’occasion, verser des primes fixées en fonction du niveau de
généralement âgés de plus de dix ans et achetés à risques du secteur ;
moins de 5 000 USD grâce à l’épargne familiale des
 L
a faible productivité des véhicules utilitaires,
exploitants.
bridée par l’imposition de limites de vitesse et/ou
Indispensable pour améliorer la qualité des services les variations de la demande tout au long de la
en renouvelant le parc des véhicules, le financement journée ;
n’est pas facilement accessible aux entrepreneurs  D
es tarifs trop bas pour couvrir l’ensemble des
individuels en raison de leurs faibles garanties dépenses d’exploitation directes et amortir les
financières, de leur manque d’expérience dans la investissements ;
gestion d’entreprise et des risques inhérents à leur
 D
es recettes nettes d’exploitation amoindries
activité. Les obstacles suivants entravent leur accès
par les termes défavorables des contrats passés
au financement :
avec les conducteurs et par différentes sources

Le niveau élevé des taux d’intérêt dans
de pertes financières, comme les pratiques
l’économie, en général, et des primes de risque
d’extorsion ;
dans le secteur des transports, en particulier ;
 L
a faible disponibilité des techniciens qualifiés et
 L
e court terme des financements disponibles
des pièces détachées, qui prolonge les périodes
pour acheter des véhicules, fondé sur la faible
de réparation et creuse le manque à gagner ;
probabilité d’un bon entretien et d’une longue
durée de vie utile ;
109

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Figure V-1. Schéma montrant comment le
Pour permettre aux exploitants de sortir
manque d’accès aux financements entrave la
modernisation des véhicules.
du cercle vicieux représenté ci-dessus en
accédant aux financements nécessaires pour
renouveler leurs véhicules, il convient donc de Autobus d’occasion
réunir les conditions suivantes : vétustes

 p
rolonger la vie utile des véhicules pour
générer un profit après avoir amorti les
véhicules ;
 p
rocéder à un entretien suffisamment
consciencieux pour garantir le
Difficultés Services de
fonctionnement et la fiabilité des véhicules d’accès aux mauvaise
à un coût acceptable tout au long de leur financements qualité
durée de vie utile ;
 s igner des contrats permettant d’encadrer
l’exploitation des véhicules et, ce faisant,
d’allonger leur durée de vie utile et de
garantir la génération de revenus réguliers ;
 o
ptimiser les recettes d’exploitation en Faible recouvrement
des coûts
établissant un système de perception sûr
et abordable ; 
 m
utualiser les coûts et les risques entre
plusieurs véhicules pour parer aux
imprévus.
110
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Réformer le système (semi-)informel des minibus aux Philippines64

Les Philippines ont lancé un ambitieux « Programme que de 1,3. On estime qu’environ 180 000 « jeepneys »
de modernisation des véhicules d’utilité publique » desservent les villes et les campagnes des
(PUVMP, Public Utility Vehicle Modernization Philippines. À lui seul, le grand Manille concentre
Program) dans le but : 55  000  «  jeepneys  » sur plus de 700  itinéraires. Les
exploitants illégaux de jeepneys ont commencé à
 de moderniser l’actuel parc de jeepneys65 ;
proliférer en 2003, après l’adoption d’un moratoire
 de réformer et d’uniformiser le secteur ; sur l’octroi de nouvelles licences d’exploitation, et
 d
e réduire, voire de neutraliser les émissions de sont connus sous le nom de colorum  ; leur grand
carbone ; nombre laisse penser que le parc réel de jeepneys
 d
’accroître le confort des passagers et de les pourrait être bien plus vaste.
encourager à adopter les transports collectifs ; Dans le cadre de l’actuel système de licences
 d
’améliorer les conditions de travail et l’état de d’exploitation, qui octroie à chaque exploitant le droit
santé des conducteurs et de leur famille. de n’exploiter qu’un seul véhicule, les conducteurs
Très fragmenté, le secteur des «  jeepneys  » se font de longues journées (vingt heures en moyenne)
compose d’une multitude de petits exploitants. À pour ne gagner qu’un maigre salaire. Ce système
Manille, où près de 80 pour cent des exploitants ne a pour inconvénients d’exacerber la concurrence
possèdent qu’un véhicule et moins d’un pour cent entre les conducteurs, de faire baisser les normes
en possèdent plus de dix, le rapport moyen entre le de sécurité et de considérablement aggraver la
nombre d’exploitants et le nombre de véhicules n’est congestion.

64 Transforming Public Transport in the Philippines (2016), ministère des Transports des Philippines, GIZ, disponible à l’adresse
www.transport-namas.org/

65 Jeeps militaires souvent très anciennes reconverties en minibus, les jeepneys peuvent en moyenne transporter entre 12 et
20 passagers.
Le programme de modernisation des véhicules Le nouveau système publiera des appels d’offres
utilitaires publics (PUVMP, Public Utility Vehicle qui stipuleront le nombre maximal de véhicules
Modernization Program) interdira le transport de exploitables et les normes de services à respecter pour
voyageurs par des véhicules de plus de quinze ans desservir un itinéraire et les licences d’exploitation
et veillera : ne seront octroyées qu’à des entreprises ou des
coopératives. Cette réforme représente un tournant
 a
u bon état des véhicules, qui devront être
majeur dans l’octroi des licences d’exploitation, qui
conformes aux nouvelles normes de sécurité
ne seront plus accordées par exploitant/véhicule,
et d’émissions, et équipés de technologies
mais par itinéraire.
embarquées pour pouvoir obtenir une licence
d’exploitation ; L’évaluation de l’impact du programme au cours
 à la planification et à la rationalisation des de l’année écoulée indique  : a)  une amélioration
itinéraires de transports collectifs ; des performances commerciales des exploitants,
b)  une hausse des recettes et une formalisation
 à la révision des procédures d’octroi de licences
de l’activité des conducteurs, dont les heures de
d’exploitation, qui seront désormais octroyées
travail quotidien sont désormais encadrées, c)  une
par itinéraire et non plus par exploitant/véhicule ;
meilleure administration du parc de jeepneys et
 à l’harmonisation du secteur et à la une plus grande productivité grâce à la mise en
professionnalisation des conducteurs pour commun de l’entretien des véhicules, de l’achat
améliorer le niveau de service. de pièces détachées, etc., et d)  une amélioration
L’ancien système consistait en effet à octroyer des des conditions de travail des conducteurs, dont les
licences d’exploitation à des titulaires de « certificat salaires sont déclarés et le temps de travail a baissé.
d’utilité publique  » pour leur permettre d’exploiter
un ou plusieurs véhicules sur un itinéraire donné.
112
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Consulter les parties prenantes et rallier les pouvoirs publics

Toute réforme présente des avantages et des des parties prenantes en vue d’adapter le projet à
inconvénients. En omettant de consulter les parties leurs besoins et d’en faciliter la mise en œuvre, et
prenantes, on risquerait de leur faire craindre le 3) alimenter une communication constante avec les
pire et de se heurter à une résistance d’autant plus parties prenantes (information, négociation et rétro
difficile à surmonter que les travailleurs du secteur alimentation) et adapter le projet en conséquence.
sont nombreux et que les propriétaires/exploitants
de véhicules occupent souvent des postes influents
au sein de l’administration ou de la classe politique.

Pour garantir le succès d’une telle réforme, il convient


donc de dissiper les préoccupations de toutes les
parties prenantes en élaborant et en conduisant
dès que possible une campagne de communication
multimédia conçue pour convaincre les populations
de s’approprier la réforme plutôt que de résister au
changement. En sensibilisant le grand public au
bien-fondé du projet, une telle campagne favorisera
l’adhésion des parties prenantes et le succès de la
réforme.

Cette campagne de communication s’inscrit dans


une plus vaste stratégie de mobilisation des parties
prenantes, qui vise principalement à : 1) comprendre
les motivations et les intérêts des organisations et
des individus susceptibles de contribuer au succès de
la réforme, 2) favoriser et maintenir la participation
Il n’existe pas de modèle de réforme universellement une campagne de communication conçue pour
applicable à tous les pays, dont les cadres juridiques maximiser l’adhésion et minimiser l’opposition
et institutionnels dépendent du degré d’intervention d’une vaste palette de parties prenantes (chefs
de l’État et des moyens financiers du secteur privé. d’entreprise, travailleurs, grand public, etc.).
Tout projet de réforme doit donc commencer par
EXEMPLE DE CALENDRIER D’UN
PROJET DE RÉFORME ÉCHELONNÉ

ÉTAPE 1 ÉTAPE 2 ÉTAPE 3

Établir une politique de


transports collectifs et Rationaliser les itinéraires Harmoniser le secteur des
ses cadres institutionnel, des transports collectifs transports collectifs
législatif et réglementaire

 D
éfinir les responsabilités des a) C
artographier les itinéraires a) O
ctroyer les licences d’exploitation
différentes parties prenantes. de tous les systèmes de définies pendant la phase de
 D
ésigner un organisme de transports collectifs existants planification
réglementation.  F
ormaliser le secteur des minibus
 É
quiper les terminaux/arrêts pour en l’inscrivant dans la loi. b) É
quiper les terminaux/arrêts pour
permettre aux exploitants et à
 I nstaurer des formations à
permettre aux exploitants et à leurs
leurs véhicules de les desservir. véhicules de les desservir
l’intention des conducteurs et
 R
éviser les politiques  Organiser des appels d’offres pour
des contrôleurs.
d’importation de véhicules attribuer les licences d’exploitation.
utilitaires (par ex. : bus) et de b) R
ecueillir des données relatives
pièces détachées. c) Professionnaliser les exploitants
aux itinéraires et aux licences
 Créer des associations d’exploitants.
d’exploitation
 E
ncourager tous les exploitants
 Recourir aux technologies
à y adhérer pour contribuer à la
de l’information et de la
réglementation du secteur et favoriser
communication (TIC) et à des
leur responsabilisation.
applications de transports
collectifs pour faciliter la  S
timuler la croissance des entreprises
collecte, le traitement et à en les encourageant à dispenser
l’utilisation des données. des formations, à diversifier leurs
activités, etc.
ÉTAPE 4 ÉTAPE 5 ÉTAPE 6

Modifier les réglementations


Réformer en s’appuyant Évaluer le fonctionnement
pour mettre la compétition
sur les parties prenantes des transports collectifs
au service du marché

a) O
ctroyer des licences d’exploitation a) P
roposer des licences a) P
rocéder à l’intégration
correspondant à plusieurs itinéraires d’exploitation à des du système de transports
pour améliorer la qualité des services « associations » d’autobus collectifs
 M
ettre en place un
b) Stimuler la croissance des entreprises b) O
rganiser des appels d’offres environnement et des
 D ispenser des formations à la gestion pour octroyer ces licences infrastructures propices à
d’entreprise. d’exploitation l’amélioration des services de
 Promouvoir de bonnes pratiques. transports collectifs.
 Améliorer la logistique des transports. c) Fournir des services de conseil
b) Instaurer un programme de
c) A
méliorer l’environnement des renouvellement des véhicules 
transports collectifs
 C onstruire davantage d’arrêts/de c) I nstaurer des pratiques de suivi
terminaux. et d’évaluation
 Établir l’ordre de priorité des différents
véhicules (y compris des autobus) sur
la route et dans le code de la route.
 Améliorer les installations destinées
aux véhicules non motorisés.
 Harmoniser le système de titres de
transport.
 Instaurer un système d’information
des passagers.
 Sensibiliser les usagers au respect de
la réglementation.
 Remplacer les vendeurs de tickets à
bord des véhicules par des contrôleurs
ou des distributeurs automatiques.
d) Établir des partenariats publics-
privés pour financer la construction
d’infrastructures et l’achat d’autobus

e) E
ncourager le renouvellement des
véhicules
 C
onclure des accords pour faciliter
l’accès à des financements collectifs
par le biais d’associations/de
coopératives.
116
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

Encadré V-1.
Recourir aux technologies pour remédier à la crise des transports collectifs dans les pays en développement66

Face aux flots de véhicules particuliers et à le Ghana, le Bangladesh cherche lui aussi à
l’insuffisance chronique des transports publics résoudre ses problèmes chroniques de transport
dans un contexte de vertigineuse croissance grâce aux nouvelles technologies. Dans la ville
urbaine, les applications mobiles de transports de Dhaka, l’application Jatri permet aux usagers
collectifs ont le vent en poupe. de connaître l’heure approximative du prochain
bus et d’acheter leur titre de transport en ligne.
Au Bangladesh, des applications comme
L’application permet ainsi de supprimer les
Jatri, Swvl ou Airlift permettent d’adapter les
flux d’espèces et d’accélérer les transactions,
itinéraires d’autobus aux besoins des usagers,
mais également de rendre les fiches
qui peuvent ainsi bénéficier de services fiables,
d’horaires obsolètes en indiquant la situation
abordables et efficaces. Les fonds respectivement
géographique des véhicules en temps réel. Pour
levés par la première application pakistanaise
les usagers ne possédant pas de smartphone, il
de ce type, Airlift, et par la startup du Caire,
reste néanmoins possible d’acheter des titres de
Swvl (12 et 42  millions de dollars), lancées l’an
transport auprès de guichets et de distributeurs
dernier au Pakistan et en Égypte, en ont fait les
automatiques, dispensant ainsi les conducteurs
plus grands investissements technologiques
du contrôle des titres de transport. Outre ces
d’Asie du Sud et d’Égypte.
fonctionnalités, Jatri permet également aux
D’autres applications ont suivi leur voie : Shuttle exploitants de gérer leur flotte, d’analyser leurs
en Inde, Gona au Nigéria ou encore ClickBus données et de faciliter leur gestion financière en
au Brésil, attirant de gros investissements et dématérialisant complètement leur système
des millions d’usagers. De grandes entreprises de paiement.
comme Careem et Uber ont quant à elles lancé
La popularité croissante de Jatri démontre
peur propre service de bus pour se faire une
la capacité des technologies du transport à
place sur ce marché en pleine expansion.
transformer les déplacements des citadins
Suivant l’exemple d’autres économies en en leur donnant accès à des transports mieux
développement comme l’Égypte, l’Inde et planifiés et plus efficaces.

Source: Asiz Arman, Future Startup, 22 juin 2020

66 Aziz Arman (22 juin 2020)


https://futurestartup.com/2020/06/22/public-transport-crisis-and-the-rise-of-tech-enabled-transportation-services/
117

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


Encadré V-2. Prolongation de la collaboration entre ViaVan et le réseau de transports londonien67

TfL (Transport for London), l’organisme leurs partenaires ont pu proposer des services
public responsable des transports collectifs à de transports collectifs à Londres comme dans
Londres, a renouvelé pour trois ans la license d’autres zones urbaines et rurales du Royaume-
d’exploitation de ViaVan, coentreprise fondée Uni, d’après la compagnie.
par Via et Mercedes-Benz.
À Liverpool, Leicester et Sittingbourne, les
Depuis son lancement en avril  2018, ViaVan a technologies de Via sont également utilisées
assuré plus de sept  millions de déplacements par ArrivaClick, dont 50  pour cent des usagers
et évité l’émission de 660  tonnes de CO2 en ont abandonné leur véhicule particulier et
favorisant le partage de véhicules. Elle a beaucoup se servent de l’application pour se
étendu ses services à l’ensemble de la capitale rendre jusqu’à une gare ferroviaire. À Oxford,
britannique et gagné un appel d’offres pour ViaVan a également conclu un partenariat
lancer un projet pilote de services à la demande avec Go Ahead couvrant 4  000  déplacements
dans l’arrondissement de Sutton, contribuant par semaine  ; à Milton Keynes, l’entreprise a
ainsi à réaliser la vision d’avenir de la ville de évité l’émission de plus de 18 tonnes de CO2 en
Londres. assurant plus de 55  000  déplacements depuis
le lancement de nouveaux services en octobre
À Londres, ViaVan s’est principalement
2018, et prévoit l’introduction de véhicules
distinguée en réduisant l’usage individuel de
électriques dans sa flotte pour l’automne
véhicules, la congestion et les émissions de CO2.
prochain.
Grâce au fournisseur de technologie américain
Via, les exploitants de transports collectifs et

Source: Staff, Metro Magazine, 15 juillet 2019

67 https://www.metro-magazine.com/10031210/transport-for-london-renews-viavan-microtransit-service-for-3-years
118
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement
119

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo

Conclusions
Principales
120
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

1
Pour remédier aux problèmes de
4
Les problèmes de transports collectifs revêtent
transports collectifs, il ne suffit pas de multiples dimensions qu’il convient de
d’en identifier les symptômes : il faut décomposer et d’aborder séparément.
en analyser les causes.

2
Les problèmes de transports collectifs
5
En l’absence de solution universellement applicable
entraînent non seulement des à toutes les villes, il convient d’envisager chacun
embouteillages, mais aussi des des problèmes rencontrés puis d’en hiérarchiser les
conséquences sociales, sanitaires, différentes solutions possibles en fonction de critères
économiques et environnementales. prioritaires (sociaux, économiques, environnementaux,
sanitaires, etc.).

3
Pour être efficace, toute stratégie
6
La solution idéale consisterait en un système intégré
doit reposer sur des principes dont l’offre comprendrait notamment des services de
d’exhaustivité, de coopération, de transport « parallèle » ou « semi-collectif » (paratransit)
communication, de visibilité, de adaptés au contexte des villes en développement.
coordination et de continuité.
121

Document d’analyse • Ajay Kumar, Sam Zimmerman, Fatima Arroyo-Arroyo


7
L’ouverture à la concurrence pourrait améliorer la qualité des services
de transport « parallèle » ou « semi-collectif » (paratransit) sur des
segments de marché où la planification et la réglementation offrent plus
d’avantages que d’inconvénients.

8
Les exploitants devraient se constituer en personnes morales pour
pouvoir accéder à ce marché concurrentiel.

9
Pour réduire le nombre de véhicules particuliers sur les routes
en favorisant une transition vers des transports collectifs ou
non motorisés, les politiques publiques doivent non seulement
convaincre les citadins d’abandonner leurs deux et trois roues, mais
aussi les dissuader d’y revenir.
122
Mythes et réalités du transport « informel » dans les pays en développement

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