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Paul Veyne
3
Annales HSS, janvier-f?vrier 2000, n? 7, pp. 3-42.
mondains ? L'ordre des choses religieuses est-il une essence ou une forme ?
Est-il s?par? du profane par la fronti?re que trace Durkheim ou par un
d?grad? ? Une r?ponse nuanc?e ne peut ?tre donn?e que si l'on entrevoit
? quel effet cela faisait, vu du dedans ?. Appara?t alors un arc-en-ciel
d'attitudes qui vont de l'extase ? une pi?t? ritualiste, ? des relations
personnelles avec une divinit? d'?lection, ? la d?sacralisation et ? la
manipulation du sacr?.
Pour la grande majorit? de la population, le prix d'un animal sur pied,
porc ou agneau, repr?sentait un ou plusieurs mois de revenu ; ceux qui ne
sont ni riches ni pauvres peuvent sacrifier un coq ? Ascl?pios (accompagn?,
il est vrai, d'un tableautin en guise d'ex-voto ou anathema, pour comm?mo
rer la ? vertu ? du dieu)1. Inviter des h?tes ? d?ner ?tait un autre privil?ge
des riches et une pratique usuelle. ? R?ver
qu'on re?oit (hupodekhesthai)
un dieu ?, dit la Cl? des songes, ? annonce ? l'homme fortun? soucis,
chagrins et grands embarras, car ceux qui sont dans des circonstances
difficiles sacrifient aux dieux et les re?oivent. Mais, pour celui qui est
dans la mis?re ou la g?ne, ce r?ve annonce un gros accroissement de ses
biens, car c'est alors surtout [lorsqu'ils sont prosp?res] que les pauvres
rendent gr?ce aux dieux et les re?oivent ?2. Peut-?tre H?liodore d?crit-il
un banquet de ce genre : un des personnages de son roman se voit invit?
? ? assister au banquet qu'appr?te Th?ag?ne et auquel pr?side (epopteuei)
le h?ros N?optol?me ?3. Nous all?guerons plus loin des documents, des
lettres d'invitation, sur papyrus, ? un festin de Sarapis, et aussi un texte
d'Horace4.
Ces festins n'?taient pas la suite d'un sacrifice :Art?midore fait expres
s?ment la distinction. Outre le dieu invit?, se trouvaient l? des convives
humains, car, si le dieu avait ?t? seul ? manger, ces invitations auraient
?t? accessibles aux plus pauvres, au lieu d'?tre la largesse de gens riches5
dont parle la Cl? des songes ; loin de se borner ? abandonner ? la divinit?
invit?e un peu de nourriture sur une table, comme le faisaient souvent les
6. DiODORE de SiNOPE, cit? par Ath?n?e, VI, 35, p. 239 B. Selon le Kleine Pauly, on le
date maintenant des ann?es 280 avant notre ?re.
7. M.Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, I, p. 809.
8. La suite parle encore de parasites, mais en un sens tr?s diff?rent du mot : il s'agit de
certains fonctionnaires qu'on accusait d'?tre des profiteurs et dont il sera question ? la note 100.
9. On en trouve la liste dans le livre toujours utile de F. Deneken, De theoxeniis, diss.
Berlin, 1881, p. 10 ; cf. M. Nilsson, Griech. Feste von religi?ser Bedeutung, 1906, pp. 418
et 160.
10. M. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, I, p. 409, avec d'autres exemples ;
pour Sophocle (h?ro?s?) et Ascl?pios, Plutarque, Non posse suaviter, 22 (Moralia, 1103 BC),
o? le verbe est xenizein, et Etymologicon Magnum, p. 256, cit? par Dittenberger, Sylloge
inscr. Graec, n? 1096, n. 5, o? le verbe est hupedexato.
11. Lexicon au mot ? Dioskouroi ?, III, texte p. 576 et
iconographicum mythologiae,
p. 465 ; F. Cumont, p. 64 et photogr. fig. 4 ; la st?le est bien
planches Symbolisme fun?raire,
comment?e dans le Dictionnaire des Antiquit?s de Daremberg et Saglio, II, au mot ? Dios
curi ?, p. 256. Pour l'iconographie des th?ox?nies, citons aussi les plaques de terre cuite
trouv?es ? T?rente, avec les Dioscures ?tendus sur leur klin? commune, une phiale ? la main
(sous le lit, deux ou qui accourent au galop au-dessus d'une table, accost?e de
amphores),
? identifier :L. Pirzio Biroli ? Tabelle
deux amphores, qui porte des mets difficiles Stefanelli,
?
fittili tarantine ?, dans Archeologia classica, 29, 2, 1977, p. 356 et pi. 89, 3 90, 2 et
; J.-M. Dentzer, Le motif du banquet couch? dans le Proche-Orient et le
p. 361, pi. 92-93
monde grec, 1982, p. 518 et fig. 162-163.
recevoir l'hospitalit?. Cette hospitalit? n'est pas celle d'une cit?, mais de
deux ?poux qui ont invit? les h?ros ? descendre chez eux.
Mais suffit-il qu'un dieu s'attable dans une maison pour partager le
repas de ses habitants ?Mange-t-il seulement en m?me temps qu'eux ? Et,
m?me si c'?tait le cas, le dieu et les mortels fraternisent-ils autour de la
nourriture, malgr? l'ab?me qui les s?pare ? Avant de proposer une r?ponse,
passons aux sacrifices.
12. Dont M?nandre, Dyscolos, 447-453, avec d'autres r?f?rences r?unies dans la note de
l'?dition Jean Martin (mais il est inutile de voir l? une influence p?ripat?ticienne : l'id?e que
les dieux pr?f?rent les modestes offrandes d'une ?me pieuse aux riches sacrifices du m?chant
se retrouve partout ; voir note 96).
13. M. Nilsson, Gesch. der griech. Rel..., op. cit., I, p. 143 ; A. D. Nock, Essays on
Religion and the Ancient World, II, p. 598.
14. J.-P. Vernant dans Le sacrifice dans lAntiquit?, Entretiens sur l'antiquit? classique
(Fondation Hardt), 27, Paris, Droz, 1981, p. 33.
15. A. D. Nock, Essays..., op. cit., II, pp. 575 et 582 M. ; Nilsson, Gesch...., op cit., I, p. 143.
16. Corpus inscr. Lat, XI, 303 ;Dessau, Inscr. Lat. select., n? 154 : ut natalibus Augusti
et Ti. Caesarum, prius quam ad uescendum decuriones irent, thure et uino genii eorum ad
epulandum ara numinis Augusti inuitarentur. Cf. Robert Sherk, The Municipal Decrees of
the Roman West, Arethusa Monographs, 1970, p. 46, n? 50.
17. Thesaurus linguae Latinae, au mot inuitare, VII, col. 229, 1. 62 (inuitare deum).
18. Ces d?crets, ou plut?t ces abr?g?s de d?crets, ont ?t? grav?s en ? style t?l?graphique ?.
Sur la libation d'encens et de vin, qui ? d?finit la condition surnaturelle des dieux ?, voir, ?
propos de cette inscription pr?cis?ment, John Scheid, Romulus et ses fr?res, 1990, p. 333.
Voir aussi, p. 539, un autre exemple d'invitation des dieux ? un banquet des hommes.
19. D. Gill, ? a Neglected of Greek Sacrifice ?, dans Harvard
Trapezomata, Aspect
Theological Review, 67, 1974, p. 117.
20. Pour faire bref, je renvoie au Thesaurus linguae Latinae, vol. 8, col. 100, lignes 45
67, aux mots magmentarius et magmentum, o? sont transcrites toutes nos maigres donn?es ;
J. Marquardt, Rom. Staatsverwaltung, 1873-1878, III, p. 184.
21. Si quis hostia sacrum faxit, qui magmentum nec protollat, idcirco tarnen probe factum
esto, disent en termes identiques la loi de l'autel de Narbonne et celle d'un autel ? Salone
(Dessau, n? 112 et 4907). Comparer Dittenberger, Sylloge..., op. cit., n? 1042, ligne 20 (loi
sacr?e de M?n Tyrannos) : ? si quelqu'un la table pour le dieu... ?.
remplit
solliciter l'alliance d'?vandre contre les Latins ; le roi ?tait en train d'offrir
le sacrifice annuel ? Hercule devant l'Ara Maxima ; les b ufs ?taient d?j?
immol?s22. ?vandre a un long entretien avec En?e et l'invite au festin ; il
fait rapporter pour cela les mets et les coupes23 (car, apparemment, pendant
que durait la n?gociation, la cuisine du sacrifice et le festin avaient eu le
temps d'?tre men?s ? terme) et fait servir aux Troyens et ? ses Arcadiens
la chair des victimes, le pain et le vin ; on ? r?it?re le banquet ?24 et
Hercule y est convi? : on apporte pour les convives un second service, qui
permet aussi de ? charger les autels25 de plats d?bordants ? ;
pr?tres et
choreutes invitent le h?ros en une double formule26 : ? Viens vers nous
d'un pas favorable, et vers une c?r?monie qui est la tienne ?. Sous le
libell? de cette invitation au banquet sacr? (sacra tua adi), l'oreille antique
ne pouvait pas ne pas reconna?tre le libell? de tant de pri?res : adi ad nos,
viens, approche, sois un dieu praesens, assez proche pour nous exaucer.
C'est l? un plus qui vient s'ajouter au rite (et qui, ? Forum Clodii,
n'?tait pratiqu? qu'en vertu d'un d?cret expr?s) ;Hercule, destinataire du
sacrifice, n'assiste au festin que sur invitation ; le h?ros y consomme les
m?mes viandes (devenues ? ?)27 que les humains, alors que le
profanes
22. En?ide, VIII, 102. J. Bayet, Origines de VHercule romain, 1926, pp. 298 et 435, ne
fait pas bien voir la diff?rence entre la premi?re partie de la c?r?monie, qui est un sacrifice,
et la seconde, qui est le banquet sacrificiel avec invitation du dieu et magmentum.
23. En?ide, VIII, 174.
24. En?ide, VIII, 283-284 : instaurant epulas et mensae grata secundae / dona ferunt...
Pour secunda mensa, voir J. Marquardt, Privatleben der R?mer, 1886 (1964), I, p. 327, ou
H. Bl?mner, Rom. Privataltert?mer, 1911, p. 400 ; ajoutons que c'est la deutera trapeza,
accompagn?e de douceurs, dont parlent d?j? les Comiques attiques chez Ath?n?e, XIV, 641 F
et 643 A.
25. En?ide, VIII, 284 : ... cumulantque oneratis lancibus aras. ? Autels ? est, soit un
soit montre le sacrifice ?tant offert ? ? Hercule et aux dieux ?,
pluriel po?tique, plut?t que,
Amphitryoniadae diuisque (VIII, 103), ce sont pareillement tous les dieux qui sont invit?s
au festin, afin d'?viter de les rendre jaloux des honneurs rendus ? Hercule : c'est la r?gle de
generalis inuocatio (G. Wissowa, Religion und Kultus der R?mer, p. 38), du reste pratiqu?e
non moins rigoureusement en Gr?ce. Mais, malgr? le texte de Virgile, Varron affirme que,
dans le culte de l'Ara Maxima, aucun autre dieu qu'Hercule n'?tait invoqu? (Plutarque,
Questions romaines, 90). Autre probl?me ; en th?orie, les sacrifices aux h?ros doivent ?tre
suivis d'un holocauste, ? la diff?rence des sacrifices aux dieux, dans lesquels les assistants
se partagent la majeure partie de la victime ; voir par exemple un r?glement du sacrifice ?
H?racl?s (M. Launey, Le sanctuaire et le culte d'H?racl?s ? Thasos, ?tudes Thasiennes,
1944 p. 131) ;mais la r?gle est si peu respect?e qu'on ne peut ?tre certain que Virgile ait
eu l'intention de traiter Hercule comme un dieu vers 183 il fait d?vorer ? En?e la
lorsque
chair des victimes.
26. En?ide, VIII, 302 : et nos et tua adi pede sacra secundo. Sur les formules de pri?res
grecques (elthe, ithi ; voir par exemple Platon, Lois, 712 B) et latines (adi, ueni, adsis,
ades), H. S. Versnel, Faith, Hope and Worship :Aspects in the Ancient
of Religious Mentality
World, 1981, p. 2. Lorsqu'Arnobe, qui ne fut pas plus philologue que th?ologien, ?crit (Contra
gentes, I, 41) : ? nonne ipsum Herculem magnum sacrificiis, hostiis et ture inuitatis incens? ? ?,
il confond n?gligemment inuitare avec Vinuocare ou aduocare des pri?res.
27. Cat?n, De agri cultura, 50 et 132 : ubi daps prof anata comestaque erit ; une fois que
les dieux ont re?u leur part, le reste de la victime est r?put? profane et peut ?tre consomm?
par les hommes ; G. Wissowa, Religion und Kultus, op. cit. p. 419 ;A. D. Nock, Essays...,
op. cit., II, p. 598 (dans un appendice intitul? justement : ? Evidence Table
Against Fellowship
in Roman Sacrifice ?). Il en ?tait de m?me en Gr?ce, apparemment : alors que la part des
sacrifice lui avait rituellement valu la fum?e et les os. Ce plus d?calque
na?vement les invitations que les hommes s'adressent entre eux. N?anmoins,
malgr? cette transposition d'une invitation profane, Hercule n'est pas un
invit? ordinaire : sa part lui est servie sur un autel et son invitation est
aussi une pri?re.
L'offrande ? la divinit? durant le banquet sacrificiel est attest?e aussi
dans le rituel des Arvales, mais on ne saurait faire mieux que de renvoyer
? John Scheid28. En Gr?ce, un bel exemple concerne de nouveau Hercule.
A Cos, vers 300 avant notre ?re, un certain Diom?don cr?e une fondation29
pour rendre un culte ? H?racl?s, qui recevra chaque ann?e un sacrifice et
l'hospitalit? (xenismos) : durant tous les jours o? durera la solennit?, un
lectisterne (str?mn?) lui sera dress? ? c?t? de ses images sacr?es ; lors du
sacrifice (suivi du festin r?unira les b?n?ficiaires de la fondation), ? on
qui
soustraira ce qu'on jugera bon de la chair des victimes pour la table du
dieu ? ; quant au reste de ces viandes, certains auront le droit de les
emporter chez eux (ekphora ou apophora).
victimes r?serv?e aux dieux ne saurait?tre remport?e (ouk ekphora, cf. M. Nilsson, Gesch.
griech. Relig..., op. cit., I, p. 88), les chairs destin?es au banquet sacrificiel sont d?sacralis?es,
puisque souvent chacun peut emporter sa part chez soi (apopherein).
28. J. Scheid, Romulus et ses fr?res : le coll?ge des Fr?res Arvales, 1990, p. 581 ;G. Wis
SOWA, Relig. und Kultus, op. cit., p. 418.
29. B. Laum, Stiftungen in der griech. und r?m. Antike, 1914 (1964), II, p. 55, n? 45 ;
Dittenberger, Sylloge..., op. cit., n? 1106 ; F. Sokolowski, Lois sacr?es des cit?s grecques,
1969, p. 310, n? 177, lignes 60-62 et 95-101. Un autre exemple d'invitation ? un festin
sacrificiel est tout ? fait diff?rent : il concerne un mort,
(dais) Patrocle, qui n'est pas h?ro?s?.
Il vaut la peine de r?sumer le langage m?ticuleux de Philostrate dans son po?tique Hero?kos,
24-27 (741 Olear.). Il s'agit d'un culte fun?raire (enagisma) doubl? d'un culte ? un dieu.
Chaque ann?e, les Thessaliens envoient un navire et des th?ores ? Troie, o? il vont immoler
un taureau blanc et un autre noir. Ils sacrifient le noir sur le tombeau d'Achille, en criant
son nom (comme on faisait pour les d?funts) et ils invitent aussi Patrocle ? la dais fun?raire
qui suit le sacrifice. Apr?s cet enagisma, ils redescendent sur le rivage, ils y sacrifient le
taureau blanc ? ? Achille comme ? un dieu ?, ne font br?ler la fressure
que (contrairement
? l'holocauste h?ro?que, du moins en th?orie, cf. note 11) et rembarquent en emportant les
viandes, ? pour ne pas en territoire ennemi ?. L'invitation faite ? Patrocle est un
festoyer
geste m?taphorique litt?raire : avec le h?ros-dieu, on invite son grand ami.
d'inspiration
30. Sur Y arist?n, repas de midi plut?t que d?jeuner matinal, l'interpr?tation de P. Schmitt
Pantel, La cit? au banquet : des repas publics dans les cit?s grecques, Rome, Ecole
histoire^
de Rome, ? Collection de l'?cole de Rome ?, 1992, p. 264, para?t pr?f?rable
fran?aise fran?aise
? celle d'A. Wilhelm.
31. A Ath?nes, les Dioscures ?taient invit?s au Prytan?e o? on sur leur table un
pla?ait
arist?n de fromage, galette, olives m?res et poireaux (Ath?n?e, 137 E).
32. Inscriptiones Graecae, XII, 5, 129, lignes 55-65 le repas pandemos et le choix
(pour
du gymnase, comparer les prescriptions d?taill?es d'une fondation ? Aigial?, Inscr.
priv?e
Graecae, XII, 7, 515, lignes 51-60). P. Schmitt Pantel, La cit? au banquet..., op. cit., pp. 323,
370, 383 ; B. Bravo, Pannychis e simposio: feste private notturne, Urbino, 1997, p. 110,
n. 19 (que m'a F. Frontisi-Ducroux). le texte de
obligeamment indiqu? Comparer classique
X?nophon, Anabase, V, 3, 9.
33. H. Seyrig dans Acad?mie des Inscriptions, Comptes rendus, 1965, p. 105.
34. Inscr. Graec, editio minor, II, 1933 ;Dittenberger, op. cit., n? 1022 : klin?n
Sylloge...,
str?sai ; cf. Saint Augustin, Cit? de Dieu, III, 17 : lecti sternebantur in honorem deorum ;
c'est garnir un lit de str?mnai, de matelas ou coussins ; d'autres fois, la str?mn? est un sofa
(F. Sokolowski, Lois sacr?es des cit?s grecques, 1969, p. 313).
35. F. Chapouthier, Les Dioscures au service d'une d?esse, 1935, p. 133 et fig. 7, d'apr?s
le Jahrbuch de l'Institut allemand, 45, 1930, p. 302 et fig. 19 ; Lexicon
arch?ologique
III, au mot ? Dioskouroi ?, p. 577, n? 114 (pas de photographie),
iconographicum mythologiae,
10
des Dioscures. On y voit les Jumeaux qui accourent au galop et, plus loin,
un lit garni de coussins et une table couverte de xenia36 peu identifiables ;
? droite et ? gauche du lit se tiennent un vieillard barbu qui porte un lourd
instrument de musique et une femme qui ouvre largement les bras en un
geste de surprise ?merveill?e ; ce sont, je pense, Tyndare et L?da, les
parents des Jumeaux : on retrouve leur couple sur d'autres vases37 o? L?da
porte la m?me couronne ? pointes verticales que sur l'hydrie. Au-dessus
de Tyndare est peint le mot komos : avec son instrument, le p?re (au moins
putatif) des Dioscures est venu faire, du repas des Jumeaux, une r?jouissance
digne de ce nom, car il y avait toujours des interm?des musicaux au cours
des banquets. N'en doutons pas, pendant les th?ox?nies r?elles (telles que
celles que les visiteurs venaient contempler dans le local ad hoc de
Samothrace), des artistes en chair et en os venaient jouer devant les divinit?s
invit?es : quand il s'agissait de filer la m?taphore, l'anthropomorphisme
allait tr?s loin38. Sur le lit pr?par? pour les Dioscures sont pos?s deux
l?gers instruments de musique, dont eux aussi joueront ; dans un banquet,
chaque convive, ? son tour, doit savoir jouer ou chanter39.
En 196 avant notre ?re, le Conseil et le peuple de Magn?sie du M?andre
d?cident de faire un lectisterne devant lequel joueront des musiciens. Voici
les termes du d?cret40, qui font voir la sc?ne : ? Que le st?phan?phore qui
conduit la procession porte les images (xoana) de tous les Douze Dieux
dans les v?tements les plus beaux possibles ; qu'il plante une rotonde41 sur
l'agora, pr?s de l'autel des Douze Dieux, qu'il garnisse trois sofas ? (telle
au mus?e de Plovdiv. F. Chapouthier, qui dit que l'image est ?nigmatique, estime que les
deux figures, ? droite et ? gauche du lit, sont un pr?tre et une pr?tresse.
36. Pour l'emploi du mot de xenia ? propos des th?ox?nies, Euripide, H?l?ne, 1668. Dans
le papyrus d'Oxyrrh. IV, 1747, la xenia est un repas auquel on est invit?.
37. Voir le Lexicon iconographicum mythologiae, III, p. 583, nos 185 et 186 et pi. 471 ;
mon interpr?tation s'appuie sur le n? 186, un crat?re en cloche ? Vienne vasorum,
(Corpus
Vienne, 3, pi. 118) o? Tyndare et L?da sont devant l' uf d'o? na?tra H?l?ne (selon la version
ancienne de la l?gende, o? l' uf est n? des amours de Zeus et de N?m?sis). L?da y porte
la m?me couronne ? pointes que sur l'hydrie de Plovdiv.
38. Il suffit de songer ? la page c?l?bre du De superstitione de S?n?que, cit?e par Saint
Augustin, Cit? de Dieu, VI, 10 : dans le culte public (ou plut?t, dans des d?votions priv?es,
peut-on croire) rendu ? la triade capitoline ? Rome, un coiffeur fait le geste de coiffer devant
les images sacr?es, et un vieux com?dien joue la com?die devant ces images (comme fait le
Jongleur de Notre-Dame devant une image de la Vierge, dans un beau po?me roman). Pour
des parall?les ? S?n?que (des epideixeis gratuites d'artistes en l'honneur des dieux), je me
permets de renvoyer ? P. Veyne, Le pain et le cirque, Paris, Le Seuil, 1976, p. 499, n. 58.
39. F. Chapouthier, Les Dioscures..., op. cit., p. 134, cite Th?ocrite, XXII, Hymne aux
Dioscures, 23 : les Jumeaux sont bons cithar?des. Sur la musique et la po?sie au banquet,
F. Lissarrague, Un flot d'images : une esth?tique du banquet grec, 1987, p. 120.
40. O. Kern, Die Inschriften von Magnesia am M?ander, p. 83, n? 98, ligne 46 (Dittenber
que l'on ? plante
ger, Sylloge..., op. cit., n? 589). La rotonde ? on le dit d'une tente)
(comme
doit ?tre une installation de bois ou une tente. Pour les trois str?mnai, ces lits de repas ou
sofas, voir ici note 34.
41. Une tholos ; cf., sur ce d?cret, F. Robert, Thym?l?, recherches sur les monuments
circulaires, 1939, p. 70 : ?construction provisoire en bois?. Il y avait ? D?los des xoana
en des th?ox?nies : P. Bruneau, Recherches sur les
des Dioscures, qui y ?taient honor?s
cultes de D?los, 1970, p. 383.
11
42. G. Radke, Zur Entwicklung der Gottesvorstellung und der Gottesverehrung in Rom,
1987, p. 24 : ? Nach griechischer, d. h. doch dann wohl moderner Art ?.
43. Val.-Max., II, 1, 2 \feminae cum uiris cubantibus sedentes cenitabant, quae consuetudo
ex hominum conuictu ad diuina penetrauit, nom louis epulo ipse in lectulum, Iuno et Minerua
in sellas ad cenam inuitabantur.
44. G. Wissowa, Religion und Kultus..., op. cit., 1912 (1971), p. 423 ; H. Bl?mner,
R?mische Privataltert?mer, 1911, p. 386. Mais dieux couch?s et d?esses assises appartiennent
? la plus ancienne imagerie grecque du Banquet des Dieux et se retrouveront dans les reliefs
fun?raires de banquets familiaux dans la pars Graeca sous l'Empire. Je dois ? F. Lissarrague
de deux vases o?, ? un repas, l'homme est ?tendu, tandis que la femme est assise :
l'exemple
un stamnos attique ? figures noires (Beazley, ABV, 388/4 ; Corpus Vasorum, Compi?gne,
pi. 10) et une coupe attique ? figures rouges (Beazley, ARV1, 1269/3). On ne sait rien de la
mani?re dont les divinit?s ?taient repr?sent?es ou symbolis?es dans les lectisternes romains.
Dans le Dictionnaire des de Daremberg et Saglio, au mot ? lectisternium ?,
antiquit?s
p. 1011, Bouch?-Leclerc, d'apr?s une indication de Festus, suppose que, sur les lits, les
dieux ?taient symbolis?s par des bandelettes (struppi) ; cf. J. Bayet, Histoire politique et
psychologique de la religion romaine, 1969, p. 137.
45. Horace, Odes, I, 37, Nunc est bibendum, 3 : ornare puluinar deorum dapibus. Cette
chanson ? boire oppose le pr?sent et le pass? proche : ? C'est le moment de boire et c'?tait
celui de dresser un lectisterne ?. Les premiers mots ont un double sens qui n'a pas toujours
?t? aper?u : 1) dans un festin entre amis, on vient de terminer la premi?re partie du festin,
celle o? l'on mange, et la seconde commence, celle o? l'on boit (comissatio, cf. J. Marquardt,
Privatleben der R?mer, op. cit., I, p. 331) : c'est le moment de boire et d'entonner une
chanson ? boire ; 2) maintenant que Cl?op?tre est morte et qu'Alexandrie est prise, le temps
de boire est (re)venu, comme le dira la seconde strophe. Et c '?tait aussi le moment, pour
l'?tat romain, de d?cr?ter, comme il l'a fait, des actions de gr?ce et un lectisterne pour
remercier les dieux ; c'est en vertu du d?cret qui a ?t? vot?, qu'Horace et ses commensaux
festoient (avec une joie spontan?e et peut-?tre aussi en vertu du d?cret lui-m?me ; car, dans
les grandes circonstances, le S?nat d?cidait que tous les citoyens c?l?breraient aussi dans leur
priv? la f?te publique ; exemple entre beaucoup, les Res Gestae, 9, 2 :priuatim quoqu?). Il
est tout naturel de rapporter l'ode ? une supplicatio c?l?brant, non pas Actium (puisque l'ode
parle du suicide de Cl?op?tre), mais la prise d'Alexandrie en ao?t 30, date august?enne
solennelle s'il en fut, dont le dossier ?pigraphique est ?pais. L'?dition Kiessling-Heinze des
Odes le po?me ? la ? pan?gyrie de quatre ? que mentionne Cassius Dion, LI,
rapporte jours
19, 2 ; l'historien, en ce chapitre confus, n'en pr?cise pas la date, mais elle ne peut ?tre que
12
celle de
la prise d'Alexandrie (L. Halkin, La supplication d'action de gr?ces chez les
Romains, 1953, p. 74). L'ann?e 30, plus que les ann?es 31 ou 27, fut pour les contemporains
la date : fin des guerres civiles, fin de la R?publique, ach?vement de la Conqu?te
capitale
par la soumission du dernier ?tat non barbare.
46. Si je ne me trompe pas en rapportant ? Yepulum louis un passage de Cassius Hemina
(fr. 13 Peter) cit? par Pline l'Ancien, XXXII, 20 :Numa imposa des r?gles de parcimonie
aux festins publics et aux cenae ad puluinaria.
47. A. D. Nock,
Essays..., op. cit., II, p. 587, n. 5.
48. Aulu-Gelle, XII, 8, 3 : deux s?nateurs qui ne s'aimaient gu?re se r?concili?rent cum
solemni die Iouiepulum libaretur atque ob id sacrificium senatus in Capitolio epularetur ;
fors fuit ut apudeandem mensam duo Uli iunctim locarentur.
49. Une monnaie palmyr?nienne et des ? tess?res de Palmyre ?
(qui sont des jetons d'entr?e
? des banquets) repr?sentent le lectisterne de Bel ; les temples syriens disposaient de r?fectoires
dont on a retrouv? les banquettes, en triclinium (H. Seyrig dans Syria, 14, 1933,
dispos?es
pp. 260 et 275).
50. H. Seyrig dans Syria, 18, 1937, p. 372.
51. Th?ophraste, Caract?res, IX, 2 ;Cassius Dion, LVII, 11, 6. Plus g?n?ralement, X?no
phon, M?morables, II, 3, 11 ; II, 9, 4. Autres r?f?rences chez P. Stengel, Griech. Kultusaltert?
mer, 1920, p. 106. A Pri?ne, l'?verg?te Moschion offre chaque mois un sacrifice ? Zeus et
y invite ses concitoyens (Hiller von G?rtringen, Inschriften von Priene, p. 89, n? 108, lignes
259-263).
13
52. Ath?n?e, X, p. 420 EF. Le dieu est suppos? pr?sent au sacrifice et au banquet, selon
une pieuse hyperbole qui permet l'indignation rh?torique ; ? moins que, la sc?ne se passant
? Alexandrie, ce dieu ne soit Sarapis, auquel on rapportait le m?rite d'inviter les hommes ?
ses festins, comme nous le verrons. Sur de pieux festins d?g?n?rant en ripailles, cf. Philon,
In Flaccum, 4, cit? par F. Poland, Griech. Vereinswesen, 1909, p. 259 ; la sc?ne est toujours
? Alexandrie : ? Les associations (hetaireiai) et les clubs (sunodoi) o? continuellement, sous
couleur de prendre part ? l'offrande de sacrifices (thusiai), on festoyait (hestiasis) tout en
d?blat?rant dans l'ivresse sur la situation ? (trad. Pelletier) ; cf. ibid., 136. Il est
politique
instructif de lire le r?glement d'un thiase bachique ? Ath?nes (Dittenberger, Sylloge..., op.
cit., n? 1109, lignes 63-111).
53. Aristophane, Gu?pes, 82 ;M. Nilsson, Gesch..., op. cit., I, p. 145 ; II, pp. 194 et 383.
54. M. Nilsson, I, p. 145 ;H?liodore, ?thiopiques, II, 19 ;?vangile selon saint Jean, X,
10. Le sens de hiereuein est pareillement affaibli, d?s Y Odyss?e.
55. Horace, Satires, II, 6, 65 : uernas procaces pasco libatis dapibus ; S?n?que, lettre 77,
8 : cena peracta, reliquiae circumstantibus (? au personnel ?) diuiduntur ; Hermias chez
Ath?n?e, IV, 149 F : dans le rituel des Pan?gyries et de leur banquet ? Naucratis, ta
hupoleipomena tois oiketais metadidontes. Comparer John Scheid, Romulus et ses fr?res, op.
cit., p. 598. La coutume pouvait s'appuyer sur une
r?gle g?n?rale : tout ce qui a ?t? offert
aux dieux doit leur
rester, et il est interdit d'emporter les restes (ouk ekphora) ; on les
abandonne donc ? leur sort. Par exemple, il ?tait interdit d'emporter le bois mort des bois
sacr?s (Ovide, Amours, III, 1, 1 : inceduae siluae ; Plutarque, Vie de Marius, 39, 8, etc.).
56. C'est ainsi
que les repas offerts chaque mois ? H?cate dans les maisons particuli?res
?taient abandonn?s aux pauvres dans les carrefours (Aristophane, Ploutos, 594).
57. Au 3e si?cle de notre ?re, dans un monde mental transform?, le mot de lectisterne est
usurp? par analogie pour les honneurs fun?bres (Corpus inscr. Lot., V, 5272; B. Laum,
Stiftungen, 1914, p. 184, n? 86). On comprend pourquoi :des mets (ceux offerts aux parentalia)
sont d?pos?s devant la statue (mentionn?e dans l'inscription) d'un grand absent, le d?funt ;
en outre, la tradition ?tait de crier le nom du d?funt, de 1'? appeler ? et, dit Art?midore, de
1'? inviter? au repas fun?bre (hupodekesthai, p. 321, 22 Pack, cf. 13, 8).
14
15
les poils de la hure, ? pour les Immortels ?, ? qui il adresse une pri?re ;
ensuite il tranche la b?te en parts ?gales qu'il distribue entre les convives,
mais il en consacre une ? Herm?s et aux Nymphes, en les invoquant. On
s'interroge sur cette offrande aux dieux d'un bon morceau : le rite ordinaire
ne semble pas la comporter. D'autres traduisent autrement62 : ? Il mit de
c?t? une part, en invoquant Herm?s et les Nymphes ?. Dans l'un et l'autre
cas, nous nous poserons une question prosa?que : que deviendra cette part
des dieux, qu'Eum?e n'a pas br?l?e ? Va-t-il la laisser pourrir ? l'abandon
ner aux chiens errants ? Je crois qu'il l'a mise en r?serve, tout simplement :
il n'a pas tout mang? le premier soir et a gard? un morceau pour sa faim
du lendemain, comme font les pauvres ; la vraie part des dieux aura ?t?
son effort d'?pargner, ce temps de retard. Il lui en a sans doute co?t? de
renoncer ainsi ? un premier mouvement, celui de la consommation imm?
diate ; d'en faire le sacrifice, comme on dit. Or, lorsqu'on r?primait un
premier mouvement, ou lorsqu'on agissait pour d'autres raisons que l'?go
centrisme primaire, on reportait volontiers sur la religion ces conduites secon
daires63, de m?me que nous les reporterions sur les valeurs ou la rationalit?.
Les hommes ont toujours imagin? leurs relations avec leurs dieux sur
l'analogie d'une des nombreuses relations qu'ils pouvaient avoir entre eux.
Dans l'imagination gr?co-romaine, la divinit? n'est pas un P?re aimant et
pas davantage (du moins dans la classe ?lev?e) un Ma?tre dont il faut se
dire l'esclave64 ; les dieux sont de puissants ?trangers qui vivent leur vie,
ont leur vie ? eux, vivent pour eux-m?mes et s'int?ressent plus ou moins
? l'humanit?. Il en est d'eux comme il en est des grands de ce monde :
on s'adresse ? eux pour les honorer, pour les remercier ou pour leur
demander quelque chose, disait Th?ophraste65. On n?gocie avec eux, on
essaie d'attirer leur int?r?t : ? Si tu me fais obtenir une travers?e sans
62. Pour M. Nilsson, p. 145, cette offrande de viande sert ? faire table commune avec les
dieux. Pour D. Gill(voir note 19), qui cite incidemment le sacrifice d'Eum?e, c'est un
trapez?ma. En revanche, pour J. Casabona, le vers 436 doit se traduire ainsi : ? Eum?e
r?partit le tout en sept part et mit de c?t? l'une, en invoquant Herm?s et les Nymphes ?, et
non pas ?l'offrit ? Herm?s et aux Nymphes en leur adressant une pri?re?; ce qui est
16
" "
66. Voir, en effet, John Scheid, ? Les al?as de la voti ?, dans Scienze dell'anti
sponsio
? ; le v u n'a
chit?, 3-4, 1989-1990 (Atti del convegno internazionale Anathema ?), p. 773
pas pour formule do ut des, mais da ut dem, et donne lieu ? une n?gociation avec le dieu,
qu'on prie d'accepter le don, tout en lui soumettant une demande ; si on en a l'occasion, on
tente d'exercer sur lui une pression.
67. Sur ces ? pri?res-d?fi ?, S. Pulleyn, Prayer in Greek religion, 1997, p. 200. J'en cite
ici un exemple parfois mal compris, le prologue de Lucr?ce. Les philologues appellent
Relativstil ce sch?ma : E. Norden, Agnostos Theos, zur Formenge schichte
Untersuchungen
religi?ser Rede, 1912 (1956), p. 172. On peut aussi adresser des reproches ? une divinit?,
lui reprocher son ingratitude ou sa mauvaise foi ; cf. P. Veyne, Soci?t? romaine, Paris, Le
Seuil, ? Des travaux ?, 1991, p. 281 ; ajouter Dion de Pruse, XXXVIII, 20, ou ?pict?te, II,
22, 17 et III, 4, 8.
68. L'exemple est Tacite, Histoires, I, 27, 1 et 29, 1 :Galba ? les dieux ?
classique fatigue
en multipliant les pri?res qui pr?c?dent l'immolation de victimes dont les exta ne
r?p?t?e
sont jamais conformes, si bien qu'on n'aboutit ? la litado (G. Wissowa, und
jamais Religion
Kultus..., op. cit., p. 418).
69. Comme dit l'ode III, 23 d'HoRACE, on ? fl?chit l'hostilit? des P?nates ? en leur offrant
le pain et le sel ; car, dans la pens?e l'?tat naturel des dieux, comme celui des
populaire,
Grands, est d'?tre irrit?s et m?chants avec les Petits. Arnobe, Adver sus gentes, VU, 5 (Migne,
Patrolog?a Lat., 5, col. 1223) : ? On entend vulgairement une id?e dont le peuple
r?p?ter
est persuad? : on ne sacrifie aux dieux que pour les faire renoncer ? leurs col?res et ?
leurs humeurs ?.
70. Je ne fais
pas allusion au holisme sociologique qui tra?ne encore parfois dans nos
cervelles, selon un empire centralis? ? ? alchimie
lequel produirait (par quelque myst?rieuse
mentale) le monoth?isme : mais au chef-d' uvre de Friedrich Heiler, Das Gebet, trad.
Kruger-Marty, La pri?re, 1931. L'imagination cr?atrice des religions est autonome, po?tique,
m?taphorique. Mais l'imagination est limit?e et socialis?e ; elle imagine la relation des
hommes avec la divinit? ? l'exemple d'une des relations interhumaines dont elle a l'habitude
et qui n'a aucune raison d'?tre la relation contemporaine consid?r?e comme dominante (?
savoir la ? soci?t? globale
? :
pourquoi pas la famille, aussi bien ?). On peut ainsi se consid?rer
comme l'esclave des dieux ; ou les traiter comme une puissante nation mais devant
?trang?re,
laquelle il serait vil, de la part d'un citoyen, et ? superstitieux ?
(deisisaimonia) de trembler ;
ou admettre philosophiquement que les diff?rents dieux sont sous l'autorit? d'un dieu supr?me,
de m?me que les gouverneurs sont sous l'autorit? de C?sar ; ou prendre une d?esse pour
confidente, ? la fa?on d'un client qui va d?verser ses chagrins dans le giron de sa patrona ;
ou, chr?tiennement, consid?rer Dieu comme un P?re qui commande, aime et pardonne. Et si
un chr?tien compare son Dieu ? l'empereur, ce n'est pas l? le sympt?me d'un
unique
d?terminisme : le chr?tien n'est pas devenu monoth?iste parce qu'autour de lui
sociologique
la soci?t? ?tait monarchique :mais, puisqu'il est monoth?iste, il peut lui arriver, recourant ?
une comparaison, de dire ou d'?crire que Dieu est l'empereur du cosmos.
17
71. Car, depuis la fin de l'Age d'Or, ils se d?robent aux yeux des hommes, sauf en cas
d'epiphaneia (c'est-?-dire d'apparition ou encore de miracle) ; r?f?rences chez P. Veyne, Le
pain et le cirque, op. cit., p. 741, n. 102 ; ajouter VII, 201 ; Platon, Tim?e, 41 A ;
Odyss?e,
Epinomis, 984 D ; Tacite, Germanie, 40.
72. Plutarque, Vie d'Alexandre, 74; Non posse suaviter vivi, 21, Moralia 1101 C. De
m?me Epicure, Lettre ? M?n?c?e, 134. Le bon espoir en cet avenir terrestre, bien entendu ;
ce n'est que chez Aelius Aristide (mais dans son Discours ?leusinien, XXII, 10) ou chez
Porphyre (Lettre ? Marcella, 24) que le mot se rapporte ? l'au-del?.
73. Si pauvre que, par calembour, il s'applique ? tout: on ??change? des biens, on
? ? des mots, on ? ?change ? des femmes, on ? ?change ? des faveurs...
?change
18
74.Sur cette s?rie bien connue, voir en dernier lieu E. Polito, ? del mito a Roma ?,
Luoghi
dans Rivista dell'Istituto nazionale d'Archeologia e Storia dell'Arte, 17, 1994, p. 76 et
fig. 5-8 et 10, avec bibliographie ; Paul Zanker, Augustus und die Macht der Bilder, 1987,
p. 70 et fig. 49.
75. Sur certains exemplaires, les masques de th??tre n'apparaissent pas : le banqueteur est
un simple f?tard... sauf si les masques avaient ?t? repr?sent?s en recourant ? la peinture,
comme on le faisait souvent, et m?me sur l'Ara Paris. En tout cas, on voit aussi, sur le
un anathema un pilier,
relief, (un tableautin) qui surmonte selon la disposition habituelle ;
c'est, lui aussi, un ex-voto (comme notre relief est cens? en ?tre un lui-m?me),
agonistique
car on y voit une Victoire qui guide son char au galop (sur certains
sculpt?e exemplaires,
la surface de Y anathema est lisse : ici aussi, on avait d? recourir ? la peinture). Ainsi donc,
notre relief, qui pastiche un anathema agonistique, contient d'un anathema
l'image agonis
tique : l' uvre se mire en elle-m?me, elle est ? en abyme ?, comme on disait autrefois.
76. Comme le montre F ex-voto (anathema) dont nous parlons ? la note pr?c?dente, qui
est ? en ?, ? en miroir ?.
abyme
77. Le lieu de la sc?ne est incoh?rent, irr?el, me fait-il voir : ? moiti? profane (une cour
o? l'on festoie, une maison avec des fen?tres) et ? moiti? sacr? : l'entr?e de cette maison
est surmont?e d'un fronton (honneur r?serv? aux dieux et aux souverains, dont Octave
Auguste) qui s'orne d'un gorgoneion accost? de deux tritons, comme sur les repr?sentations
conventionnelles de temples dans les bas-reliefs ; plus loin, outre l'ex-voto avec la Victoire,
on aper?oit un palmier, ainsi qu'un labrum comme il y en avait devant les temples. Un lieu
? ailleurs ?, ou ? nulle
paisible, familier, mais solennel, un lieu vague qui se situe part ?, ou
? dans des interstices ?, mais en un lieu sacr?, cependant.
78. On voit ici de la culture (les masques), de l'agonistique, une jolie fille, les plaisirs de
la table, des arbres et le plus aimable des dieux ;mieux encore, on voit ici de la religion,
chose qui ?tait po?tique et aimable, m?me pour ceux qui n'y croyaient pas. Pareille imagerie
d?fie les interpr?tations r?alistes ou simplement coh?rentes ; qu'on pense aux incoh?
po?tique
rences que pr?sente le r?cit mythique du Vase Portland, qui a fait l'objet de longues discussions
(O. Brendel, Introduzione a l'arte romana, S. Settis (?d.), 1982, p. 155).
19
r?ve79, ou bien sa venue, sa pr?sence, est celle d'un ?tre invisible et n'est
sensible que dans le bouleversement du c ur chez ses fid?les, qui sentent
que ? le dieu n'est pas loin ?80 lorsqu'ils l'invoquent.
Telle ?tait justement, sur le lit qu'on lui avait pr?par?, l'invisible
pr?sence du dieu ou du h?ros qui s'est rendu ? son invitation dans les
th?ox?nies. Pr?sence bouleversante, quand le fid?le prenait ? la lettre la
m?taphore qu'?taient les th?ox?nies. Une m?taphore mise en acte:
th?ox?nies publiques et priv?es transposaient depuis toujours81 les pratiques
publiques ou domestiques d'hospitalit? ; on invite (kalein) le dieu, on le
re?oit (hupodekhesthai), on lui donne l'hospitalit? (xenizein), on lui offre
le repas (la xenia) et les pr?sents (les xenia) d'usage. Ces clauses et ce
vocabulaire sont aussi ceux des d?crets par lesquels une cit? d?cide d'offrir
les dons d'hospitalit? ? des th?ores, des ambassadeurs, de simples envoy?s,
de les traiter au prytan?e, ? la table publique ou dans un temple, de leur
accorder son xenismos pour un montant conforme ? ses lois82. Lorsqu'une
cit? c?l?bre chaque ann?e les th?ox?nies d'un dieu ou h?ros, on pourrait
dire qu'elle a avec celui-ci une relation ? ? de prox?nie, un
diplomatique
rapport d'hospitalit?83. Voil? pourquoi, comme nous l'avons remarqu?, dans
les invitations priv?es la divinit? invit?e festoie ? c?t? de convives humains,
tandis que, dans les th?ox?nies, l'invit? c?leste est seul ? sa table : les
invitations publiques d?calquent les usages diplomatiques, tandis que les
simples particuliers transposent pour le dieu les festins qu'ils donnent ?
leurs commensaux. Notons enfin qu'en Gr?ce on ne conna?t pas de
th?ox?nies d'une d?esse : les femmes ne voyagent pas seules ;H?l?ne, qui
fut d?esse ? Sparte, y ?tait invit?e publiquement, mais en compagnie
masculine, celle de ses fr?res les Dioscures84. Seule Isis aura sa klin?
en Egypte.
79. Sur les apparitions de dieux en r?ve, F. T. Van Straten, ? Some Kat'onar Dedications ?,
dans Bulletin antieke Beschaving, n? 51, 1976, p. 1 ; je me permets de renvoyer ? ? Un v u
de voyageur et les r?ves chez Virgile ?, dans Poikilia, ?tudes offertes ? J.-P. Vernant, 1987,
p. 384. Lorsqu'un dieu appara?t en r?ve, cela peut n'?tre qu'un songe menteur (un onar),
mais ce peut-?tre aussi une apparition v?ritable, le dieu ayant emprunt? le canal du r?ve pour
se faire voir ; en ce second cas, on dira a vu
le dieu hupar,
qu'on bien que ce soit en r?ve
et de nuit: on l'a vu ?comme ?veill??, ?comme
en plein jour?; c'est le cas dans un
passage mal compris, mais tr?s net, d'H?liodore, III, 12,1 (vrai dieu, hupar) et III, 11,5 (onar).
80. Selon les mots de Callimaque, Hymne ? Apollon, 1-8, dans son ?mouvante description
de la ? venue ? invisible
d'Apollon, de sa pr?sence adorable et terrible, quand il vient chez
ceux qui l'invoquent par leurs hymnes et leurs pri?res.
81. J. Gernet, Anthropologie de la Gr?ce antique, 1968, p. 32 : ? Les r?ceptions des dieux
se font sur le mode des plus antiques humaines ?.
r?ceptions
82. Il est sans doute inutile de donner des r?f?rences, tant ces libell?s sont courants : il
suffit de
renvoyer ? l'index du vocabulaire dans la Sylloge et les Orientis Graeci inscriptiones
de DlTTENBERGER.
83. M. Nilsson, Griechische Feste..., op. cit., p. 160.
84. Renvoyons de nouveau ? Euripide, H?l?ne, 1668, et ? la th?se de F. Chapouthier sur
les Dioscures.
20
qu'une chaleur lyrique s'y ?panche. Dans les th?ox?nies comme dans le
sacrifice, on voit la ferveur, le respect, l'affection pour les dieux recourir
au plus simple, au plus indubitable des liens, celui de la nourriture ; ? un
path?tique ??l?mentaire par le pain et le sel?, comme dit (sauf erreur)
Lamartine. Assur?ment, sacrifice et th?ox?nies diff?rent beaucoup :
? Nourrir le dieu ? l'autel est l'objet de tout sacrifice, lui servir un repas
est autre chose ?85 ; lorsqu'on a invit? un dieu, on le nourrit de v?ritables
mets, et non de la fum?e des sacrifices.
En outre, les th?ox?nies sont une m?taphore trop transparente ; le
sacrifice, lui, est une pratique sui generis, un monument religieux du pass?
tous les peuples, dont le ? pourquoi ? reste un
de presque objet de discus
sions chez les modernes et auquel les agents auraient pu pr?ter ou donnaient
obscur?ment les interpr?tations les plus diff?rentes :pour nourrir les dieux ?
pour festoyer avec eux ? pour ne pas se pr?senter devant ces puissants
sans un cadeau ? pour abattre rituellement un animal comestible, car on
n'en sacrifiait pas d'autres86? pour donner aux dieux leur part? pour
entretenir leur amiti? au moyen d'une offrande ? pour sanctionner une
urgence en d?truisant une richesse ou un ?tre humain ? pour proposer aux
dieux un ?change (do ut des, ou plut?t da ut dem)%1 ? pour leur abandonner
quelque chose et sauver le reste ? pour se rassembler tous ensemble autour
d'eux ? pour banqueter ? Pour un peu de tout cela en m?me temps, en plus
ou moins grand nombre selon les circonstances, et diversement accentu?.
Que les dieux n'eussent que la fum?e et que les bons morceaux fussent
pour les hommes accroissait encore l'obscurit? sans diminuer l'?vidence.
Le sacrifice semble fond? sur la croyance ou la rationalisation (peut
?tre populaire et na?ve, mais ? ?l?mentaire ? et
plut?t, je pense, po?tique)
qu'il faut nourrir les dieux comme les hommes. Toutefois, la richesse de
significations dont le sacrifice est gros (si bien qu'il en devient opaque)
fait qu'entre celui-ci et les th?ox?nies, plus simples et trop transparentes,
la diff?rence de degr? est assez grande pour qu'on soit tent? de tracer
entre eux une fronti?re. Le sacrifice est un bel exemple d'une cat?gorie
particuli?re d'objets sociologiques : ceux qui, par le hasard de leur constitu
tion, peuvent r?unir sur eux un grand nombre de significations possibles
(quand m?me celles-ci seraient contradictoires entre elles) et procurer un
grand nombre de satisfactions diverses ; cette richesse les impose et leur
assure un succ?s presque universel, tout en obscurcissant pour la conscience
leur raison d'?tre (ils semblent donc provenir de myst?rieuses profondeurs
humaines). Il en est ainsi des sacrifices, des p?lerinages ou, dans la sph?re
profane, de l'importance de s'asseoir ? la m?me table, de manger tous
ensemble. Ces ? trous noirs ? sont autant de pi?ges sociaux : les individus
les plus diff?rents y tombent, y sont tomb?s ou y tomberont, puisque toutes
21
les raisons ou presque d'y tomber sont bonnes ; aussi les discussions
savantes sur ? le ? vrai sens du sacrifice seront-elles sans fin et sans objet.
Et sa fausse apparence de profondeur donnera la tentation de lui trouver
des explications ?thologiques ou bien abyssales... L'?nigme est pourtant
facile ? deviner : le sacrifice est tr?s r?pandu ? travers les si?cles et les
soci?t?s parce que cette pratique est assez ?quivoque pour que chacun y
trouve sa satisfaction particuli?re.
Tandis que les th?ox?nies ont leur cl? hors d'elles-m?mes, dans les
coutumes d'hospitalit? qu'elles d?calquent, le sacrifice s'impose par lui
m?me ; sa richesse implicite le rend ? la fois opaque et ?vident : on sacrifie
sans se demander pourquoi et sans le savoir, mais en sentant que ce rite
est plein de sens. La force de la coutume n'explique pas tout : on ne
sacrifiait pas seulement parce que ? cela se faisait ? ; c'est avec la m?me
satisfaction que des commensaux se mettent ? table tous ensemble : ils
n'ont g?n?ralement pas ?tudi? la sociologie du banquet, mais ils n'en
sentent pas moins que cette coutume est riche d'humanit?, quelles que
soient les explications qu'ils peuvent en donner.
Elle est riche, en effet. Ce n'est pas que la commensalit? d?rive
sociologiquement de la soci?t?, qu'elle soit le reflet automatique de la
solidarit? civique ou corporative, ni qu'elle ?prouve, on ne sait pourquoi,
le besoin de ? symboliser ? cette solidarit? : c'est plut?t l'inverse et le
processus est plus compliqu? (le banquet ayant la fonction de socialiser,
on semble croire que cette fonction suffit ? produire cet organe. Mais la
? soci?t? ? n'est pas comme la Physis des penseurs grecs : ses rejetons ne
sortent pas tout organis?s de son sein ; de plus, elle n'est jamais que ce
que ses pr?tendus rejetons font d'elle)88. Primo, le pr?texte de se nourrir
donne une contenance, en dissipant la g?ne qu'?prouveraient des gens qui
ne se sentent pas n?cessairement proches, s'ils se retrouvaient c?te ? c?te
sans cette raison. Secundo, cette commensalit? oblige, par d?cence, ? se
comporter ? table comme si l'appartenance de fait ? la cit? ou ? un m?me
groupe ?tait sensible au c ur, v?cue, aim?e. Mais ? faire comme si ? fait
un peu aimer cette appartenance et engage l'avenir ; car les convives se
sentent oblig?s de tenir pour sinc?re et, donc, pour permanente la solidarit?
momentan?e du banquet, afin de ? r?duire la dissonance ?89 entre leurs
22
sentiments et leur attitude ? table : devant des commensaux qui sont autant
de t?moins et qui appartiennent au m?me groupe que lui, chacun se sent
tenu d'?tre coh?rent avec lui-m?me. D?sormais, ces moments appara?tront
comme autant de promesses ; il deviendra malais? de traiter comme des
?trangers ceux dont on a partag? le repas en une unanimit? qui n'osera
pas s'avouer pour mensong?re. Elle le pourra d'autant moins que, tertio,
l'effet de ce processus ?tait pr?vu, escompt?, et que ses ? victimes ? avaient
accept? d'avance de s'y trouver prises. Si bien que la chronologie se
renverse en apparence et que la commensalit? semble refl?ter ou symboliser
la solidarit? qu'elle a engendr?e.
Avec ses deux volets, immolation et festin, le sacrifice antique est
doublement lourd de richesses confuses. Ce n'?tait peut-?tre pas le cas des
th?ox?nies, qui sont un m?lange d'ing?niosit?, de ? r?alisme ?
anthropomor
phique et de sentimentalisme dont certains ont ?t? surpris90. Pour ?tre ?mu
pendant un sacrifice, il suffisait de croire aux dieux, mais que ressentait
on devant la rotonde ou le salon, quand on regardait le lit vide sur lequel
un dieu ?tait cens? ?tre pr?sent ? Peut-?tre rien : les lectisternes ?taient de
l'adoration p?trifi?e qui pouvait se suffire, des installations d?clamatoires,
comme en inventeront les futurs si?cles baroques (dans certains sanctuaires
romains, le lectisterne ?tait install? en permanence)91 ; peut-?tre, au con
traire, attiraient-ils par l? la pi?t? sentimentale des fid?les, qui venaient
d?poser des mets ou des pi?ces de monnaie, ou verser des libations, devant
les puluinaria ou, ? d?faut, sur une mensa plac?e ? l'int?rieur du temple92.
En particulier, pendant les jours de supplicationes, dans les moments
d'angoisse ou le soulagement, les foules prenaient le chemin des lectisternes
pour implorer les dieux ou pour les remercier.
R?sumons. Les th?ox?nies sont le cas le plus simple : la divinit? d?jeune,
seule, sur son sofa ; si, dans la soir?e, un epulum humain se d?roule dans
23
En notre ?ge de fer, il arrive encore qu'un dieu soit dit inviter des
hommes ou les nourrir, mais que veut dire ce pieux langage ? Un texte
bien connu va nous l'apprendre. Quand X?nophon fut banni d'Ath?nes,
les Lac?d?moniens l'install?rent pr?s de Scillonte, sur un domaine cultiv?,
dans une contr?e riche en gibier ; l'exil? y fonda un temple ? Artemis et
93. Euripide, Hippolyte, 19, parole irrit?e de cette hubris dont, avec son sens
d'Aphrodite
aigu de l'ambigu?t? et de l'?quivoque, Euripide fait une des interpr?tations qu'on peut donner
de son h?ros.
94. H?siode, fragment 1, et Pausanias, VIII, 2, 4-7, cit?s par P. Schmitt Pantel, La cit?
au banquet..., op. cit., p. 441.
95. Ovide, Fastes, VI, 305 : ? C'?tait jadis la coutume de s'asseoir devant le foyer sur de
bancs : on les dieux assistaient au ? (trad. John Scheid, Romulus et
longs croyait que repas
ses fr?res, p. 529). Inutile de dire qu'on n'y a jamais cru : Ovide fait de la reconstitution
savoureusement archa?sante.
96. Dion de Pruse, III, Discours royal, 97. Depuis des si?cles, Euripide (fragm. 946),
Socrate chez X?nophon, Th?ophraste (chez W. P?tscher, Theophrastos P?ri eusebeias,
p. 142), Horace (ode III, 23, 17), l'inscription Sylloge n? 1042, ligne 12, Plutarque (frag
ment 47 Sandbach dans les Moralia Loeb, vol. 15, p. 134, qui m?le puret? morale et puret?
rituelle), ainsi que l'oracle de Delphes (M. Nilsson, Gesch. griech. Relig...., op. cit., I, p. 648),
et bien d'autres, r?p?taient qu'aux riches offrandes d'un m?chant les dieux pr?f?raient la
modeste offrande d'une main ; pour citer les beaux vers d'Horace, ? si la main
pure qui
touche l'autel est pure, sans qu'elle y ajoute la recommandation d'une victime co?teuse, elle
aura d?sarm? la mauvaise humeur des P?nates avec le froment rituel et des cristaux de sel ?
(Odes, III, 23). Epicure lui-m?me n'est pas loin de le penser (Pap. Oxy., I, 215 ;A. A. Long
et D. N. Sedley, The Hellenistic Philosophers, 1987, II, p. 152). Et Dion est de cet avis
(III, 52 ; IV, 76 ;XIII, 35 ;XXXI, 17 ;XXXIII, 28) ;mais, ici, il substitue l'affection pieuse
envers les dieux ? la puret? morale ou mat?rielle : les dieux ne peuvent aimer que la soci?t?
de ceux qui les aiment.
24
25
assuraient une
s?pulture d?cente ? leurs membres). En Thrace, non loin de
certains ? compagnons de beuverie (symposiastai) du
Trajana Augusta,
dieu Ascl?pios ?104, au nombre d'une douzaine, ne boivent pas en compagnie
de ce dieu gu?risseur ; ce sont les membres d'un coll?ge professionnel105
ou fun?raire, ou encore d'une sodalit? religieuse106 qui v?n?rait Ascl?pios107.
Dans la pars Latina de l'Empire, des associations identiques s'intitulaient
pareillement conuictores, comestoresm ou compotores ; il y avait, ? Fermo,
des conuictores qui una epulo uesci soient109 et, en Dalmatie, des conuic
tores Concordiae110.
Mais quittons ces d?tails pour une ?tude de cas. Sous le Haut-Empire,
la m?tropole de la Carie, Stratonic?e, n'?tait pas une cit? ordinaire : ?
quatre heures de marche, au sommet d'une colline, le grand sanctuaire de
Zeus ? Panamara ?tait sous sa d?pendance. C'?tait un p?lerinage renomm?
dans toute la r?gion et m?me jusqu'? Rhodes ou Milet ; toute l'ann?e, il
recevait la visite des p?lerins ; mais, une fois par an, Zeus Panamaros
? descendait ?? ? cheval ou ? dos de cheval111 ? ? Stratonic?e ; il y
s?journait112 pendant les dix jours que durait sa grande f?te, o? les foules
affluaient. Et pour cause. Lorsque la date de cette f?te ?tait proche, le
104. G. MiHAiLOV, Inscriptiones Graecae in Bulgaria repertae, III (Sofia, 1964), n? 1626 ;
Y ex-voto remerciait sans doute Ascl?pios et Hygie, me semble-t-il, car, au m?me lieu-dit, on
a trouv? (n? 1628) un ex-voto ? ce couple divin, avec le m?me libell?.
105. Comme le pense Poland dans le Pauly-Wissowa, IV A, col. 1260, au mot ?
symposias
tai ? ;Klaffenbach (cit? ci-dessus) pense plut?t que ce sont des parasitoi.
106. C'est une sodalit? de cette esp?ce que doit ?tre la sun?theia ton p?ri Alexandron
Dios, r?unie autour d'un certain Alexandre, son fondateur (Inscr. Graec, X, II, 1, 33).
107. Soit dit entre parenth?ses, j'ignore, en revanche, ce que peut ?tre, ? T?nos, certain
? koinon des th?ox?niastes ? (Inscr. Graec, XII, 5, 872, 114) : v?n?raient-ils
ligne quelque
dieu surnomm? Th?ox?nios, semblable ? l'Apollon Th?ox?nios de Pell?ne ? Il y avait, ?
Rhodes, un ?koinon des x?niastes ? (Inscr. Graec, XII, 1, 161); leur nom
dionysiastes
semble indiquer qu'ils invitaient un dieu ou recevaient Dionysos, mais ? quelle c?r?monie,
? quel festin ? On pense aussi ? ce qui se passait ? D?los, dans le culte public des Dioscures
(identifi?s aux Cabires de Samothrace) : les th?ox?nies des Dioscures y sont appel?es epicrasis,
parce que, ?crit Philippe Bruneau, on y versait des libations de vin m?l? d'eau : les comptes
des hi?ropes de conclure ? une centaine de litres de ce m?lange ; donc ? les fid?les
permettent
s?rement ? la consommation du breuvage ? (Recherches sur les cultes de D?los,
participaient
? invitation aux libations ? (kalein
1970, p. 393). S'agirait-il d'une epi tas spondas), semblable
? celle dont parle Pausanias, II, 12, 4-6, cit? par L. Robert, Hellenica, XI-XII, 1960, p. 566,
n. 3 ? Les hommes versaient une libation aux dieux ou aux h?ros, pour les inviter
peut-?tre
? des th?ox?nies, et ils buvaient le reste. Mais qui participait ? la solennit? et ? la beuverie ?
Les fid?les qui s'y ?taient rendus ? Une sodalit? ? demi publique, ? la mani?re des org?ons ?
108. Corpus inscr. Lat, IX, 3693 et 3815.
109. Corpus, XI, 6244 ; J.-P. Waltzing, ?tude sur les corporations professionnelles chez
les Romains, 1895, I, p. 323.
110. Corpus, III, 1825 ; de nombreuses cit?s ? travers l'Empire avaient des autels et temples
de Concordia.
111. Les inscriptions parlent de ce cheval, mais non de la position du dieu; en Syrie
romaine, chaque ann?e, l'image sacr?e ?tait promen?e en procession, port?e sur un b?t install?
sur le dos d'un cheval ou d'un chameau (comme le montre un linteau c?l?bre du temple de
Bel ? Palmyre).
112. C'?tait une epidemia :M. Cetin Sahin, Die Inschriften von Stratonikeia, Inschriften
griech. St?dte aus Kleinasien, 21, I, n? 222 et 242, ligne 8.
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121. Sahin, n? 160. Notre estimation est proche de celle de M. W?rrle, Stadt und Fest
im kaiserzeitlichem Kleinasien, 1988, p. 254 et n. 160.
122. Sahin, n? 310, d?cret sous Maximin Da?a.
123. Pour une fois, nous n'en croirons pas P. Roussel, 1927, p. 134.
124. On a retrouv? une centaine d'inscriptions, sur pierre ou marbre, dont beaucoup datent
du 3e si?cle et qui comm?morent ces cons?crations de chevelures (Sahin, nos 401-500) ; ces
gravures relativement co?teuses ?manent de gens qui ont les tria nomina ou poss?dent toute
une phamilia d'esclaves (432, 450, 453, 486-491), outre les pr?tres et esclaves du sanctuaire
lui-m?me (407, 478). Il faut supposer un beaucoup plus grand nombre d'autres cons?crations,
par des gens du peuple, avec inscriptions sur du bois p?rissable ou sous forme de graffiti
sur le mur du portique (Pline le Jeune, VIII, 8, 5 ;Reallexikon f?r Antike und Christentum,
XII, au mot ? ?, col. 672), ou qui n'avaient rien inscrit du tout.
graffiti
125. Pour les Pardons bretons, ma source unique, mais irr?cusable, est l'admirable Pardon
de Sainte-Anne de Tristan
Corbi?re, dans les Amours jaunes.
126. J. Hatzfeld dans
le Bull, de corresp. hell, 51, 1927, p. 72 ;mais voir la critique
nuanc?e que fait P. Roussel, 1927, p. 134.
127. P. Schmitt Pantel, La cit? au banquet..., op. cit., p. 9, qui, ? juste raison, critique
cette d?mystification trop sommaire.
28
avec des mains tremblantes ?128. Une attitude recueillie est attendue des
participants (quelques incroyants, dans la foule, ricanent, mais tout bas)129 ;
durant le long d?roulement de la c?r?monie, le recueillement de l'assistance
n'a probablement pas l'intensit? qui est r?serv?e ? certains individus ou ?
certaines circonstances, mais on peut imaginer une foule docile, ?mue
comme lorsqu'on p?n?tre dans un sanctuaire ou un bois sacr?, impressionn?e
par des rites qu'on croirait sans ?ge130, par une c?r?monie dont elle n'est
ni l'auteur ni la mesure, par des honneurs rendus ? des ?tres encore plus
puissants que les rois ; elle a conscience d'assister ? une c?r?monie qui
met dans l'existence ? chaleur, solennit? et un certain sens de l'imm?mo
rial ?131. Son humble respect silencieux et patient a ?t? probablement, en
pareilles circonstances, l'attitude ordinaire des foules croyantes ? travers
les si?cles.
Apr?s le sacrifice (abattage et d?pe?age rituels, suivis d'un barbecue),
commence le m?choui, o? l'on peut abandonner tout recueillement. Aucun
festin profane et priv?, ?crit Plutarque, ? ne procure autant de plaisir et
d'agr?ment, m?l?s de v?n?ration et d'adoration, que les banquets qui
succ?dent ? une c?r?monie religieuse, ? un sacrifice, et o? il semble qu'en
pens?e on touche de tr?s pr?s au divin ?132. Abaissons d'un b?mol cet
hymne d'apolog?te. Dans la partie sacrificielle, la pi?t? avait ?t? de placer
ses espoirs mat?riels en les dieux et d'aimer se sentir aid?s par eux ;
l'?motion de faire appel ? des protecteurs puissants et v?n?rables et de les
rendre proches gr?ce ? un rituel en avait fait l'?motion. Le banquet qui y
succ?de, avec ses plaisanteries et ses conversations profanes, n'est pas un
indice de d?sacralisation : la d?tente est due au sentiment du devoir accompli
et d'avoir fait ensemble une bonne action utile ; aussi les dieux approuvent
ils cette satisfaction l?gitime.
On reprochait ? Aristippe, philosophe du plaisir, de trop aimer faire la
f?te ; ? on le fait bien en l'honneur des dieux ?, r?pliqua-t-il133. La joie de
ces festins et ripailles n'aurait pu choquer qu'une pi?t? toute int?rieure,
proche du christianisme134. Pour une religiosit? plus traditionnelle, la divinit?
128. Plut arque, De superstitione, 9 (Moralia, 169 D), qui bl?me cette ?motivit? ; il
l'impute ? une faiblesse indigne d'un homme libre et ? une fausse id?e qu'on se fait
des dieux, qui sont bons et dont on n'a pas ? avoir peur (deisidaimonia, mal traduit
par ? superstition ?).
129. M?me r?f?rence. Un demi-mill?naire auparavant, un esclave et mauvais garnement
(Aristophane, Cavaliers, 32) dit ? son camarade : ? Allons donc ! Tu y crois, toi, aux
dieux ?? ; il devait pareillement ricaner en silence.
130. Euripide, Bacchantes, 201 : ? Des traditions aussi vieilles que le temps lui-m?me ?.
131. Peter Brown, dans une belle page sur le paganisme (L'essor du christianisme occiden
tal, 1997, p. 35).
132. Non posse suaviter vivi, XXI, 7-8, Moralia, 1102 A. Mais cette page vivante et habile
m?le de fines observations ? des de pr?dicateur
proc?d?s ?difiant qui minimise l'existence
d'autres banquets d'inspiration plus
profanes, en pr?tendant que de tels banquets ne comptent
? vrais ?
pas et ne sont pas de banquets sacrificiels.
133. Diog?ne, La?rce, II, 68. De leur c?t?, Platon et Epicure placent ?minemment la pi?t?
dans la c?l?bration des f?tes, qui nous ont ?t? donn?es par les dieux pour notre joie (J.-A.
Festugi?re, et ses dieux, 1968, p. 96).
Epicure
134. On a vu plus haut, note 52, quel ?tait le jugement des lettr?s et de Philon d'Alexandrie.
29
30
Il existait, par exception ? tout ce que nous disions, une divinit? dont
on admettait qu'elle prenait part ? des festins sacr?s, ? titre d'invit? ou
peut-?tre d'invitant ; c'?tait un dieu ?tranger, ?gyptien (ou tenu pour tel,
m?me par les Egyptiens hell?nis?s), Sarapis. Or, m?me en ce cas, il est
arriv? que ces festins fussent banalis?s en d?ners mondains. Mais, avant
de redescendre ainsi, on retrouvera une religiosit? nouvelle et un ? saint ?
du paganisme tardif, Aelius Aristide ; cet ?pisode est r?v?lateur et discut?,
et il faut le raconter en d?tail.
C'?tait chose courante que d'aller prendre un repas dans un sanctuaire
ou d'y convier des amis143 ; ? l'ex?g?te144 t'invite ? aller d?ner dans le
sanctuaire de Demeter, aujourd'hui, ? sept heures ?, lit-on dans une lettre
sur papyrus145. Il arrivait aussi qu'un groupe priv? se cotis?t (?ranos) pour
acheter un animal qu'il allait sacrifier dans un temple, en laissant aux
pr?tres le cuissot droit de la b?te comme paiement ; il pouvait, s'il le
d?sirait, rester dans le temple pour manger les viandes sur place146. Mais
on pouvait ?galement, sans offrir de sacrifice, aller dans un sanctuaire
comme ? la taverne147 : les temples avaient une salle ? manger, une cuisine
et un cuisinier-sacrificateur148, ne serait-ce que pour l'entretien des p?lerins ;
? l'H?raion de P?rachora, ? c?t? du r?fectoire antique, une visiteuse pouvait
encore, en 1982, ramasser par poign?es des d?bris de nourriture dans les
140. Plutarque, fragment 47 Sandbach, dans l'?dition Loeb des Moralia, 15, p. 134.
141. H?liodore, ?thiopiques, IV, 16, 3-6 et 17, 1.
142. On a rapproch? cette danse de Tyr de la ? danse claudicante ? des
pr?tres de Tyr
dont parle l'Ancien Testament (I Rois, XVIII, 25-29) ; ? tort, semble-t-il :H?liodore d?crit
une danse et tourbillonnante, qu'on imagine semblable ? celle des Cosaques.
accroupie
143. A Cym?, vers le d?but de notre ?re, un ?verg?te invite toute la population libre (dont
les Romani consistentes) ? ? un repas dans le sanctuaire de Dionysos ? (P. Schmitt Pantel,
La cit? au banquet..., op. cit., pp. 256 et 545).
144. L'ex?g?te ?tait un des sept magistrats (civils) de la m?tropole d'un nome.
145. Pap. Oxy., XII, 1485.
146. Dittenberger, Sylloge..., op. cit., n? 1042. Sur cet ?ranos, E. Lane, Corpus monumen
torum religionis dei Menis, III, 1976, p. 14.
147. Le restaurant du temple pr?sentait ?videmment ? ses clients de la viande, celle des
victimes, dont une portion d?termin?e avait ?t? laiss?e au sanctuaire. Pour toutes ces raisons,
saint Paul peut ?crire : ? Qu'on ne vous voie pas ?tendus sur un lit de repas dans un temple
d'idoles ? (Premi?re aux Corinthiens, VIII, 10).
148. Les sanctuaires avaient un hestiatorion ou un deipn?t?rion, et un mageiros. Voir
G. Berthiaume, Le r?le du mageiros, 1982 ; P. Schmitt Pantel, La cit? au banquet..., op.
cit., pp. 134, 305 et 556, fig. 5.
31
32
158. J. Grafton Milne, ?The Kline of Serapis ?, Journal of Egyptian Archaeology, 11,
1925, p. 8.
159. Dans le Bull, de corresp. hell, 51, 1927, p. 133.
160. U. Wilcken dans Archiv f?r Papyrusforschung, VI, p. 424 ; cf. Mitteis-Wilcken,
Grundz?ge und Chrestomathie der Papyruskunde, Historischer Teil, 2, p. 133, n? 99.
161. La vie spirituelle est souvent faite d'attitudes pieuses o? l'on mime les sentiments
qu'on d?sire ou
doit ?prouver, ce qui peut donner la (fausse) impression d'un simulateur,
d'un acteur de th??tre ? en fait ? : voir J.-M. Schaeffer dans un livre
qui trop important,
Pourquoi la fiction?, Paris, 1999, p. 53 : en fait, ?l'imitation volontaire est un inducteur
d'immersion ?. Ne serait-ce pas aussi ce que l'on appelle un c?r?monial, une th??tralisation
s?rieuse par laquelle on s'engage aupr?s du dieu ? professer et respecter la relation de pi?t?
que l'on mime ?
33
34
est la plus fr?quemment indiqu?e dans les lettres d'invitation r?unies par M. Vandoni, Feste
pubbliche e private nei documenti greci, Milan, 1964, nos 124-147.
169. Voir note 167.
170. Un lectisterne de Sarapis figure au revers de frapp?es par la Monnaie
public pi?ces
imp?riale d'Alexandrie (W. Hornbostel, Sarapis, Studien zur ?berlieferungsgeschichte, 1973,
p. 256, n. 4, et p. 309. A Thessalonique, en 192 de notre ?re, existe la sodalit? de ? ceux
la klin? du grand ? (Inscr. Graecae, II, 1, 192) ; c'est-?-dire
qui v?n?rent S?rapis X, que,
dans leur local, ces fid?les se r?unissent devant un lectisterne pour honorer le dieu.
171. Ou la d?esse : ? Sarapous te demande de venir d?ner dans sa maison devant le hier?ma
de Dame Isis ? (papyrus Fouad, I, 76) ;mais je ne comprends pas le sens du mot hier?ma :
une statuette d'Isis portait sur lui comme amulette ?
qu'ordinairement Sarapous
est la d?esse-hippopotame les femmes en couches.
172. J'apprends que Thou?ris qui prot?ge
Sans doute ?tait-il un de ces sunnaoi theoi en ce temple.
Sarapis
173. Mellokouria, qui semble hapax ;mais cf. mellonumphios (Cassius Dion, LVI, 7, 2),
mellogambros, etc.
174. Pap. Oxy., XII, 1484 (second si?cle de notre ?re ou d?but du troisi?me).
175. Tertullien, Apolog?tique, XXXX, 15.
176. A. H?fler, Der Sarapishymnus des Aillos Aristides, 1935, p. 96.
35
36
184. On reconna?t ici la le?on de Gaston Boissier dans La fin du paganisme, grand livre
toujours vivant.
185. A. Boulanger, Aelius Aristide et
la sophistique dans la province d'Asie, 1923, p. 23.
C. A. Behr, Aelius Aristides and the Sacred Tales, 1968, p. 21, n. 72, estime que l'Hymne
? Sarapis n'a pas ?t? prononc? ? Alexandrie, mais au retour d'Alexandrie, ? Smyrne.
Supposition gratuite et peu croyable. Aristide remercie le dieu de son heureuse travers?e,
mais pourquoi serait-ce la travers?e de retour plut?t que celle de l'aller, non moins dangereuse ?
Et pourquoi Smyrne, qui n'est pas nomm?e ? A la fin de son hymne, Aristide ?crit seulement :
?O toi qui poss?des la plus belle des cit?s que tu voies ? ; or
Sarapis, (katech?n) Sarapis
(identifi? ici au dieu-soleil ?gyptien) est, comme chacun sait, le possesseur d'Alexandrie
(Julien, lettre 51 Hertlein, 111 Bidez-Cumont, 432 D). En outre, est-il adroit de vanter un
dieu ?tranger devant des Smyrniotes, plut?t que leurs N?m?seis ? Maladresse qui serait une
vraie grossi?ret?, si Aristide ne disait pas un mot des merveilles de Smyrne et ne faisait pas
l'?loge de cette cit? ; alors que vanter Sarapis comme le seul dieu qui soit, c'est faire
l'?loge d'Alexandrie.
186. Il le fait d'autant plus que
Sarapis ?tait un dieu sans g?n?alogie ni mythe, ce qui ne
laissait d'autre mati?re ? l'orateur
que la sp?culation th?ologique.
187. Arthur H. Smith, Village Life in China, 1899 ; trad., La vie des paysans chinois, 1930,
p. 145 : on fonde une association pour se rendre en p?lerinage sur une des Cinq Montagnes
Sacr?es ; chacun verse sa quote-part, puis, au lieu de prendre le b?ton de p?lerin, on d?pense
sur place l'argent dans de grands festins, non sans ? faire des d?votions devant l'image du
dieu de la Montagne a install?e au sommet d'une en papier ?.
qu'on petite montagne
37
Nous voudrions, pour finir, ?voquer une autre esp?ce de pi?t?, celle
des petits gestes rituels qui rythmaient la journ?e : la religion ?tait partout
pr?sente en cet autre sens aussi. Nous aboutirons ainsi ? un texte peu
remarqu? d'Horace.
Commen?ons par VIliade. Au chant IX, dans un ?pisode digne de Piero
d?lia Francesca, Nestor et Ulysse vont demander ? Achille de retourner
au combat ;Achille, qui refusera avec une rude sinc?rit?, re?oit les ambassa
deurs avec une dignit? et une affabilit? ?piques : il est leur h?te, il remet
? plus tard la n?gociation qui p?se sur l'esprit de tous et il charge Patrocle
de pr?parer un festin dont lui-m?me fait r?tir et d?coupe les viandes, tout
en le chargeant de mettre dans le feu les pr?mices r?serv?es aux dieux192.
38
Le po?te d?taille ainsi tous les gestes, pour faire ressortir l'hospitalit?
d'Achille et pour retarder le moment tr?s attendu o? Achille donnera sa
r?ponse ; si donc, ailleurs, VIliade ne parle pas de pr?mices, cette offrande
n'en ?tait pas moins habituelle. Remarquons aussi qu'Achille, qui a prouv?
de ses propres mains qu'il offrait un repas d'hospitalit?, laisse Patrocle
s'occuper des pr?mices ; donc cette offrande ?tait un rite aussi mineur
qu'habituel, qui ne suffisait pas ? rendre un repas plus solennel. De m?me,
dans le Dyscolos, c'est le cuisinier qui fait la libation au d?but du festin193.
Passons vite sur ce rite bien connu des pr?mices, commun ? la Gr?ce
et ? Rome194, et sur celui des libations. ? Nous rendons sacr? tout ce que
nous allons manger, en en offrant les pr?mices ?195. On ne boit pas non
plus sans que les premi?res gouttes soient pour les dieux : libation au d?but
du festin, libation ? ? la Divinit? bonne (agathos daim?n) ? ? la fin196 ; ?
chaque coupe, le roi du banquet d?cide ? quel dieu les premi?res gouttes
seront vers?es, si bien que ? boire ? tous les dieux ? ?tait remplir et vider
un grand nombre de coupes197. Sappho peut donc en conclure, en des vers
d'une beaut? quattrocentesque, qu'Aphrodite boit en sa compagnie198 ; dans
une com?die, un dr?le incite Phal?s, petit dieu au nom phallique, ? boire avec
lui199 et on se souvient que Sarapis ?tait l'h?te des buveurs alexandrins...
Ces gestes sacr?s d'o? l'intention ?tait presque absente ?taient aussi
obligatoires et machinaux que les gestes de politesse et, comme eux,
respectaient strictement des formes convenues. C'?taient de petits ? actes
? (si l'on ose dire) des moments de creux dans
gratuits qui introduisaient
la continuit? profane d'actions mat?rielles et utilitaires dont les heures sont
pleines ; ils manifestaient qu'il ? existe autre chose ?, comme on le dit
proverbialement de la religion chez nous. ? Rien, et pas m?me la table, ne
doit ?tre vide de dieux, disait ma grand-m?re ?200. De nos jours encore, il
existe des soci?t?s o? la religion est m?l?e ? la vie quotidienne, sans
solennit?, sans intensit?, mais sans manquement non plus : on ne doit pas
plus n?gliger une habitude pieuse que faire un accroc aux habitudes de
politesse. Cette r?gularit? sans faille (sunekhein) ?tait, selon Plutarque201,
39
la vraie pi?t?. Pour faire ressortir les contrastes entre les nuances, opposons
cette r?gularit? atone au recueillement plus intense du croyant qui peut
dire : ? in prece totus eramy j'?tais tout entier ? ma pri?re ?202 (une pri?re
pa?enne, o? l'on s'adressait ? un dieu pour lui demander quelque chose
ou pour le remercier).
A Rome, la principale habitude pieuse ?tait de donner chaque jour leur
part du repas aux Lares ou aux P?nates (adolere Penates) : un esclave
d?posait un peu de nourriture dans le feu du foyer ou devant le laraire
domestique203 ; ou bien une femme pieuse offrait chaque matin de l'encens
et une libation de vin204. Dans les bonnes maisons, o? le repas se d?roulait
dans une pi?ce distincte, on apportait les statuettes des P?nates (adhibere
Penates)205 sur une des tables de la salle ? manger206 lors du second service207
et une libation leur ?tait vers?e208. Il n'y avait pas ? les inviter : les P?nates
?taient chez eux, la maison ?tait la leur. La politique en fit son profit ;
par d?cret du S?nat209, chacun ?tait tenu d'adjoindre210, aux images des
Lares ou P?nates, celle du g?nie211 du prince r?gnant, qu'on saluait d'un
? Vive ! ?212 ; ? la routine du culte domestique donc
l'empereur s'ajoutait
une manifestation routini?re de loyaut? sous une forme religieuse, comme
?? et l? dans le monde grec depuis trois si?cles213.
Au fil des jours, la v?n?ration des P?nates jouait le m?me r?le que,
dans les paysages du jeune C?zanne214, le pin b?nisseur qu'on voit au
propitios ! ? : ils ont donc cess? d'?tre les auersos Penates de l'ode III, 23 d'Horace, cit?e,
ici notes 68 et 96. On pouvait aussi faire et acquitter un v u aupr?s des Lares et P?nates :
Fronton, Ad Antoninum Pium 5 (p. 167 Naber).
204. Plaute, Aulularia, 23 ;G. Wissowa, p. 12, n. 3.
205. En?ide, V, 62 ;Horace, Odes, IV, 5, 3.
206. G. Wissowa, p. 162, n. 1 et 173, n. 5.
207. Horace, Odes, IV, 5, 31.
208. Cassius Dion, LI, 19, 7. Ici encore, l'esclave pronon?ait que les dieux ?taient propices
(P?trone, LX, 8).
209. Cassius dion, LI, 19, 7 ;G. Wissowa, Religion und Kultus..., op. cit. p. 173, n. 5 et
p. 400, n. 5.
210. Comme en Gr?ce, o? on pouvait ajouter d'autres dieux aux divinit?s :
domestiques
M. Nilsson, Roman and Greek Domestic Cult, dans ses Opuscula selecta, III, p. 277.
211. Horace, Odes, IV, 5, 32 : numen.
212. P?trone, LX, 7 :Augusto f?liciter. Sur ce toast ? l'empereur, Flavius Josephe, Guerre
des Juifs, VII, 4, 73.
213. Vaste probl?me ; tenons-nous en ? un texte peu cit? qui fait penser ? l'ode IV, 5, 33
d'HoRACE :Nicostratos, en 344, ?
tyran d'Argos, alli? des Perses chaque jour, au d?but de
son d?ner, faisait dresser une table sp?ciale, en disant ?tait pour le daim?n du Grand
qu'elle
Roi ; il la couvrait de nourriture et de toutes les commodit?s ?, en expliquant que c'?tait une
coutume perse (Ath?n?e, 252 A). Ajoutons un document tr?s d?taill?, un d?cret de T?os sur
?
le culte public et aussi priv? ? d'Antiochos le Grand, publi? avec un ample commentaire
par P. Herrmann, Antiochos der Grosse und Teos, dans Anadolu, IX, 1965, p. 29.
214. C?zanne n'osera affronter de face la vue (lointaine, au bout du r?el) de la Sainte
Victoire en personne qu'? la fin de sa vie.
40
215. Horace, Satires, II, 6, 65 :O noctes cenaeque deum, quibus ipse meique /ante Lar em
proprium uescor, uernasque procaces / pasco l?batis dap?bus.
216. Cenae deum n'est visiblement pas un terme technique, mais un qualificatif
po?tique
(c'est pourquoi Horace explique ensuite en quoi consistaient ces repas). Ils n'ont rien de
commun avec les theou ou the?n daites de la vieille Gr?ce, dans Y Odyss?e, III, 31 et 336
(banquet de Poseidon), chez Pindare, Isthmiques, II, 57 et dans Ath?n?e, X, 412 (festins de
Zeus), cit?s par A. D. Nock, Essays..., op. cit., II, p. 586.
217. Eduard Fraenkel, Horace, 1957 (1966), p. 141.
218. Le Pseudo-Acron, rarement instructif, h?site entre les deux : aut ante
interpr?tations
d?os dom?sticos, aut in Lare proprio.
219. Arnobe, Adversus gentes, II, 67, cit? par M. Nilsson, Roman and Greek domestic
cult, dans ses Opuscula selecta, III, p. 273 : sacras fecitis mensas salinorum et
appositu
simulacris deorum. Pseudo-Quintilien, Declamationes minores, 321, p. 263, 4 Ritter: inter
Lares suos, inter sacra mensae, coronatispariter quos colebamus dus immortalibus. L'allusion
d'Arnobe ? la sali?re vient de ce que cet objet de m?tal, qui ?tait la chose la plus pr?cieuse
des foyers pauvres (Horace, Odes, II, 16, 13), ?tait presque un vase sacr?, car on v?n?rait
les Lares en leur offrant le sel avec de la farine.
220. Voir note 2.
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par exemple. Le sacr?, l'interdit, perdent alors leur couleur violente ; tout
est dans les nuances, la ? sacrifice ? de la
qui distinguent partie partie
? ? ou les repas de ? D?los de ceux d'Oxyrrhynque. C'est
banquet Sarapis
?-dire qu'il faut tenir compte aussi221 de la psychologie religieuse.
Paul Veyne
Coll?ge de France
221. Aussi, parce que, par ailleurs, l'imagination cr?atrice, en mati?re comme
religieuse
ailleurs, est socialis?e (note 70) ; et parce que la forme rev?t des relations sont
religieuse qui
?videmment sociales (notes 63 et 139).
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