Memoire de Master 2: UFR: Communication, Milieu Et Société Département D'anthropologie Et de Sociologie

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 131

UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA

UFR : Communication, Milieu et Société


Département d’Anthropologie et de Sociologie

MEMOIRE DE MASTER 2
MENTION : Anthropologie- Sociologie
SPECIALITE : Socio-économie, Gouvernance et Développement

Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire:


Biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

Sous la direction de :
Présenté par :
THIAUZ Klantcha Elvis Kalpi Pr Francis Akindès
Professeur des Universités

ANNEE ACADEMIQUE 2014-2015


Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la
Cobra Force à Abobo

DÉDICACE

Cette œuvre réalisée avec beaucoup d’enthousiasme est dédiée à

ma famille. Mes parents qui depuis mon cursus primaire, secondaire et

universitaire m’ont apporté leur soutien spirituel, moral et financier ;

recevez chers parents ce document comme mon entière reconnaissance

pour tous les efforts consentis à mon endroit.

A tous mes amis, mes frères, mes sœurs et mes bienfaiteurs qui m’ont

fait bénéficier de leurs conseils, suggestions et aides financières,

recevez ici toute ma gratitude.

I
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la
Cobra Force à Abobo

SOMMAIRE

Avant-propos……………………………………………………………………..III

Remerciements…………………………………………………………………...IV

Acronymes………………………………………………………..…………….. V

INTRODUCTION ................................................................................................... 1
MATÉRIELS ET MÉTHODES ............................................................................ 17
RÉSULTATS DE L’ETUDE ................................................................................ 27
I. LES EVENEMENTS AYANT FAÇONNE LA VIE DE ZEBIE DE SON ENFANCE A
L’AGE ADULTE
……………………………………………………………………………….28
II. FACTEURS A L’ORIGINE DU BASCULEMENT DE ZEBES DANS LES
ACTIVITES CRIMINELLES
………………………………………………………………………………57
III. LES SIGNIFICATIONS DE L’APPARTENANCE DE ZEBES A UN
GANG................................................. .................................................................. 63
DISCUSSION ................................................................................................ 85
I. UNE CARRIERE DE GANGSTER FAÇONNEE DURANT UN PARCOURS DE VIE
……………………………………………………………………………….86
II. LES FACTEURS DE DESOCIALISATION PAS TOUJOURS LIES A LA SITUATION
ECONOMIQUE DES PARENTS ......................................................................... 91
III. LE GANG COMME ESPACE DE RESOCIALISATION........................ 97
CONCLUSION GENERALE ............................................................................. 105
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................. 108
Table des matières ............................................................................................... 113
ANNEXES ............................................................................................................... I

II
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la
Cobra Force à Abobo

AVANT-PROPOS

Sanctionnant le diplôme de Master II, ce présent mémoire dont le thème intitulé :


« Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire : biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo » est le fruit d’une investigation sociologique menée dans
le cadre du vaste programme de recherche « villes sûre et inclusives ». « Villes sûres et
inclusives » est une initiative de recherche cofinancée visant à constituer une base de
connaissances scientifiques sur les liens entre la violence, la pauvreté et les inégalités en
milieu urbain ainsi que sur les stratégies les plus efficaces pour contrer ces phénomènes. Cette
initiative est administrée par le Centre de recherches pour le développement international
(CRDI) du Canada, avec l’appui du Department for International Development (DFID) du
Royaume-Uni.

En effet en Côte d’Ivoire, la crise économique, l’instabilité politique et la guerre ont


successivement poussé une jeunesse souvent diplômée à créer des moyens de subsistance
parallèles. Ainsi les gangs sont utilisés comme de nouveaux espaces d’expression et
d’affirmation de la catégorie sociale jeune face à l’absence de perspectives. Ce phénomène
prend des proportions inquiétantes surtout dans les zones urbaines. Les jeunes s’adonnent à la
violence et aux activités criminelles de tout genre en se formant en groupes organisés.

Le contenu de ce document est l’œuvre d’une analyse qualitative. Nous nous sommes
évertués à comprendre la construction processuelle de l’identité de gangster des jeunes à
travers la biographie d’un chef de gangs. Grâce au récit de vie de notre enquêté du nom de
Zébès, nous avons voulu connaître les facteurs internes et externes qui favorisent l’intégration
des jeunes dans le milieu de la violence.

Ce modeste essai se veut une réponse à notre curiosité superficielle du monde de la


violence, en particulier, celui du lien entre la violence et les jeunes. Il nous permet d’apporter
notre contribution au vaste champ de la sociologie, notamment celui de la socio-économie
gouvernance et développement.

III
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la
Cobra Force à Abobo

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier le Responsable du département d’Anthropologie et de


Sociologie Professeur Issiaka KONE, à tous les enseignants dudit département, nous
manifestons une immense gratitude pour la formation reçue au niveau théorique et
méthodologique depuis la première année.

Aussi, voudrions-nous marquer notre mémoire du sceau, de notre Directeur de


mémoire Professeur Francis AKINDES et de notre aimable encadreur, Docteur N’GORAN
Koffi Parfait, pour leur rigueur, leurs conseils, leurs regards critiques et leurs méthodes de
travail qui nous ont été profitables tout le long de notre travail, et comme le disait Hamadou
HAMPATE BA « Quelle que soit la valeur du présent fait à un homme, il y a qu’un seul et
unique mot pour témoigner la reconnaissance inspirée par la liberté et ce mot c’est : Merci ».

Selon un dicton bété (langue locale de la Côte d’Ivoire) :« Il faut se mettre à plusieurs
pour tuer un rat dans son terrier ». D’accord avec cette pensée, nous voulons saluer les
remarques pertinentes de nos amis étudiants portées à ce document.

De tout cœur, nous voulons remercier le Centre de Recherche Canadien (CRDI),


Unitwin, departement for development et la Chaire UNESCO de Bioéthique pour l’aide
et l’opportunité qu’ils nous ont permis d’avoir à travailler dans le vaste programme de « villes
sûres et inclusives ».

Nous remercions également Zébès pour sa disponibilité, Monsieur John Fidèle et le


Lieutenant Otchéré. A tous ceux, qui de près ou de loin ont contribué d’une certaine manière à
la réalisation de ce présent mémoire, nous leur adressons nos sincères remerciements.

Devant nos maîtres et les membres du jury de cette présentation, nous nous inclinons
en signe de révérence et d’humilité. Nous les remercions d’avance pour leurs critiques et leurs
évaluations. Toutefois, comme le signifie le propos d’initiation Bambara (langue locale du
Mali):« Si je me suis trompé, que l’erreur me pardonne ; si j’ai omis quelque chose, que
l’omission me pardonne ».

IV
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la
Cobra Force à Abobo

Acronymes

AGEPE : Agence d’Etude et de Promotion de l’Emploi

BAC : Baccalauréat

BEPC : Brevet d’Etude de Premier Cycle

CCF : Centre Culturel Français

CE2 : Cours Elémentaire 2ème Année

CEPE : Certificat d’Etude Primaire

CEG : Collège d’Enseignement Général

CM1 : Cours Moyen 1ère Année

CM2 : Cours Moyen 2ème Année

CP1 : Cours Préparatoire 1ère Année

CRDI : Centre de Recherche pour le Développement International


DGPN : Direction Générale de la Police Nationale
EMPT : Ecole Militaire Préparatoire et Technique

FESCI : Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’ivoire

FRCI : Force Républicaine de Côte d’ivoire

MACA : Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan

PASU : Programme d’Aide à la Sécurité Urbaine

PC crise : Police Criminel de crise

PDCI : Partie Démocratique de Côte d’Ivoire

SOTRA : Société de Transport Abidjanais

UESSO : Union des Eglises Evangéliques, Services et œuvres

V
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

INTRODUCTION

Ce chapitre de notre travail présente le contexte de l’étude, les constats de


recherche, la problématique et la revue critique de la littérature.

1
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1. Contexte de l’étude
Le développement incontrôlé de nombreuses villes africaines ainsi que les
mutations socio-économiques et politiques qui ont cours sur le continent offrent un
terreau favorable à la manifestation de la violence sous toutes ses formes. Abidjan,
la capitale économique de la Côte d’Ivoire n’échappe pas à cette situation.

A compter de la crise économique qui a débuté dans les années 80, des
jeunes appelés « loubards » organisés en bandes à travers l'ensemble des communes
d'Abidjan, se présentaient comme de «grands combattants », et des « bagarreurs ».
Ayant pour seul moyen, la force, ils établissaient leur territoire, le « gloglo 1» dans
les bidonvilles des communes de la ville d'Abidjan, où ils régnaient en maîtres
absolus, "rackettant" et exploitant les habitants (Boni, 1996 cité par Amani, 2014).
Au fil des années elle a pris de l’ampleur avec la crise politique et universitaire de
1990. S’en sont suivies les crises politico-militaires de 1999 à 2002 qui ont amplifié
la violence urbaine avec la prolifération des armes légères et de petits calibres. De
5784, le taux de criminalité en 1991 est passé à 8195 en 1994 (Jeune Afrique, n°
1788, 13–19 avril 1996 cité dans Bassett, 2004) pour atteindre plus de 9945 cas
enregistrés en 2009 à Abidjan et banlieues (DGPN citée par De Tessière 2012).

Cette criminalité est généralement le fait de gangsters (John Pololo, Charly


Watta, Malboro, etc.) et de gangs (la Gestapo, les Zionnais, l’Empire Sosso, les
Black Power, les Siciliens, la Cobra Force) qui, pendant longtemps, ont fait parler
d’eux dans la ville d’Abidjan (Amani, 2014). L’une des communes les plus
touchées par les activités de ces gangsters et groupes organisés reste Abobo qui,
selon le PASU (2014) et de l’imaginaire social, est perçu comme l’un des
principaux bastions de la criminalité en Côte d’ivoire.

A Abidjan comme dans les autres centres urbains du pays, les activités
criminelles recrutent de plus en plus dans la catégorie sociale des jeunes. En effet,
l’implication des jeunes dans la criminalité organisée est avérée (76% des
délinquants déférés en 2009 avaient entre 21et 40 ans, DGPN citée par De Tessières

Signifie « territoire » dans l’argot ivoirien le nushi.


1

2
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

2012). Elle s’est d’ailleurs aggravée avec les épisodes de violences politiques qu’a
traversées la Côte d’Ivoire de septembre 2002 à avril 2011 et dans lesquels les
jeunes furent des acteurs majeurs. Ces violences politiques ont, en effet, favorisé la
prolifération des armes légères et de petits calibres facilitant ainsi l’accès des
« instruments de la mort » à des entrepreneurs de la violence aux profils variés. Au
regard de ce qui précède, nous pouvons dégager les constats suivants :

Premier constat : Crise économique des années 80 et montée de la violence


criminelle à Abidjan

La montée de la criminalité en Côte d’Ivoire se situe autour des années 80


avec la crise de l’économie de rente (café-cacao). À cette période, le pays est soumis
à une grave récession économique qui touche toutes les catégories sociales. On
assiste à des licenciements massifs, au blocage des salaires des fonctionnaires, à la
réduction drastique des recrutements dans la fonction publique et au chômage des
jeunes diplômés (Proteau, 1998). Cette situation s’est aggravée au fil des années et
a provoqué de nombreuses grèves dans l’administration publique, dans les écoles
et universités, ainsi que des violences dans le milieu universitaire. Ajoutée aux
récentes violences politico-militaires, elle a pris des proportions inquiétantes avec
la circulation des armes légères et de petits calibres (PNUD, 2011).

En Côte d’Ivoire, nombreux sont ces jeunes qui vivent une situation
économique et sociale difficiles. L’absence de perspectives sûres d’emplois ainsi
que les récentes violences politiques ont poussé une jeunesse souvent diplômée et
sans sources de revenus à imaginer des moyens de subsistance parallèles. Ces
jeunes se recrutent dans la tranche d’âge de 17-35 (Amani, 2014). En effet, des
études récentes montrent que le taux de chômage en Côte d’Ivoire est inquiétant. Il
est de l’ordre de 15,7 % et touche particulièrement les jeunes : plus de 24 % des
15–24ans et plus de 17% des 25-34 ans n’ont pas d’emploi (RCI, 2009 cité par De
Tessière 2012). Face à l’étranglement structurel, beaucoup de jeunes utilisent les
gangs comme de nouveaux espaces d’expression, d’affirmation de leur identité et
comme moyen pour faire face à leurs besoins.

3
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Deuxième constat : Forte implication de la catégorie sociale jeune dans les


activités criminelles organisées

L’implication des jeunes dans la violence criminelle est considérable. Selon


la police, 76% des délinquants déférés en 2009 avaient entre 21et 40 ans (DGPN
citée par De Tessières 2012). La catégorie sociale la plus représentée à la MACA,
est celle des jeunes qui ont l’âge compris entre 25 et 35 ans (LIDHO, 2010 citée par
De Tessières 2012).

En effet, la population ivoirienne constituée à majorité de jeunes, rencontre


des problèmes sociaux énormes, surtout le problème du manque d’emploi ; Sur 918
450 chômeurs, d’après les données de l’enquête sur le niveau de vie (ENV) réalisé
par l’AGEPE en 2002, 777 120, soit 84,6% sont des jeunes et du chômage. Le gang
semble devenir un havre de camaraderie et de fraternité où la culture de la violence
est enseignée d’autant plus que certains gangs se donnent de nobles missions telles
que la protection des quartiers.

Des informations régulièrement relayées par la presse locale font état de


l’insécurité induite par les activités des gangs de jeunes dans les communes
d’Abidjan, notamment dans les communes d’Abobo et d’Attécoubé. Cette nouvelle
forme de violence urbaine a baptisé ces jeunes de « microbes ». Le phénomène, né
dans le quartier périphérique défavorisé d’Abobo, voit la participation des jeunes
en petites bandes qui blessent ou tuent à la machette, de jour comme de nuit.
Composés principalement de jeunes armés, ils font régner la terreur au sein de la
population Abidjanaise.

Troisième constat : Une variété de situations sociales et de motivations chez les


jeunes gangsters

Les jeunes se tiennent en gangs généralement pour avoir du plaisir et être


dans une meilleure position ; souvent, pour des besoins financiers, pour séduire
l’autre sexe ou pour un besoin de protection. Ces groupes de jeunes se présentent
comme un espace de sociabilité, un lieu d’appartenance et d’identification à des
pairs (Fleury, 2008, Hamel et al, 1998).

4
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Selon certaines études, ont été énumérées quatre principales raisons pour
lesquelles ces jeunes appartiennent ou souhaitent appartenir à un gang de rue :

- Le gang est un groupe d’amis qui partagent des réalités et des problèmes
communs;

- Le gang constitue une nouvelle « famille » qui comprend le jeune où l’union


représente une défense personnelle ;

- le gang est un moyen de construction d’identité masculine et un outil d’influence


pour le sexe opposé ;

- Le gang constitue une occasion pour se faire de l’argent étant donné que la société
ne garantit ni travail, ni protection sociale (Centre canadien de la statistique
juridique, 2008).

En Côte d’Ivoire par contre, l’investissement des jeunes est principalement


assigné à l’appât de gain. La conjoncture économique difficile qui se manifeste,
entre autres, par le chômage et la pauvreté est aussi identifiée comme une des causes
substantielles de la violence criminelle. Le taux de pauvreté a fortement augmenté
en dix ans puisqu’il est passé de 33,6 % en 1998 à 48,9 % en 2008(RCI, 2009) cité
par (Amani, 2014). Les jeunes ne trouvant pas une autre alternative pour répondre
à leurs besoins intègrent le milieu de la violence.

2. Problématique
Les jeunes qui s’investissent dans la criminalité sont en général ceux qui
sont en mal d’insertion sociale, ceux qui ont connu la maltraitance dans la cellule
familiale et ceux qui n’ont pas achevé leurs cursus scolaires (Hamel al. 1998 et
Danyko et al. 2002). Leurs âges se situent entre 21 et 40 ans, et pour la plupart n’ont
pas d’emploi (DGPN citée par De Tessières 2012).

Les facteurs d’adhésion des jeunes aux gangs de rue s’étendent à plusieurs
sphères de leur vie. Notons que le cumul de plusieurs facteurs de risque (pauvreté,
immigration, chômage, maltraitance, fort engagement envers les amis délinquants,

5
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

consommation de drogue etc.) constitue des indices quant à la probabilité


d’adhésion à un gang (Centre national de prévention du crime, 2007). De ce fait,
« l’affiliation à un gang est conçue comme le moyen privilégié par certains jeunes
pour satisfaire leurs besoins et pour s’adapter à leur environnement » (Hébert,
Hamel et Savoie, 1997 cité par Prince, 2008, p : 100).

Mais nous nous posons la question de savoir est-ce les seuls motifs de l’adhésion
des jeunes aux gangs de rue ?

Plusieurs études (Fleury, 2008 Prince, 2008) révèlent que les facteurs de
risque associés à l’adhésion à un gang sont présents bien avant qu’un jeune
devienne membre d’un gang. Par exemple, les jeunes qui, pendant leur enfance,
étaient les plus inadaptés sur les plans comportementaux et sociaux étaient les plus
susceptibles d’adhérer à un gang et d’y rester pendant plusieurs années. Cependant,
seuls les facteurs extérieurs ne suffisent pas pour justifier l’adhésion des jeunes aux
gangs. Aussi faut-il que le jeune ait des motivations pour en faire partie. Outre les
conditions sociales des parents ou de l’influence de l’environnement social, les
raisons d’adhérer aux gangs de rue s’expliquent aussi par un manque à combler au
regard des besoins fondamentaux des jeunes. Parmi les besoins qui sont comblés
par l’adhésion aux gangs de rue, on note le besoin d’appartenance, le besoin de
reconnaissance, le besoin de valorisation, le besoin d’argent et le besoin de sécurité
(Prince, 2008).

En Côte d’Ivoire, l’enrôlement des jeunes dans les gangs est attribué à la
pauvreté et au chômage. En effet, les populations ivoiriennes constituées en
majorité de jeunes (36,2% dont l’âge oscille entre 15 et 34 ans, 77,7% de la
population ont entre zéro et 35 ans), rencontrent des problèmes sociaux énormes ;
surtout le problème d’emploi et du chômage. Les jeunes vivants dans des conditions
sociales précaires, ne pouvant pas faire face à leurs besoins immédiats, intègrent le
milieu de la violence pour subvenir à leurs besoins (De Latour, 2001).

Aussi, la famille est un pôle de référence dans le choix des jeunes. La


précarité des conditions sociales des parents est un facteur qui est beaucoup évoqué
par les jeunes dans le gangstérisme. Dans le système africain, la morale

6
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

communautaire régularise les rôles dans un système de dette et de réciprocité


quelles que soient les aspirations et les capacités de chacun (De Latour 2001).
L’obligation à l’égard des parents ou des petits frères, pour sauver l’honneur
familial sont un poids pour les jeunes. L’adhésion des jeunes à la violence en Côte
d’ivoire est favorisé par la crise économique, la paupérisation des familles, la
rupture des liens communautaires, la déscolarisation, la pauvreté exacerbée par le
besoin de consommation à l’occidental, la drogue et la violence (De Latour, 2001).

Les mobiles de l’implication des jeunes dans les gangs sont diversifiés. Des
études identifiant les caractéristiques individuelles, familiales et sociales de ces
jeunes hommes (Danyko et al, 2002 ; Dorais et Corriveau, 2006 ; Hamel et al, 1998)
permettent de dresser un portrait de leurs trajectoires. Ceux-ci voient donc dans les
gangs de rue une avenue pour répondre à leurs besoins (Hébert et al, 1997).
L’adhésion à un gang découle d’un long processus, façonné au cours de la
trajectoire de vie et les expériences individuelles, familiales et sociales, vécues par
les jeunes.

Le cas de Zébès, ex-chef de gang abidjanais, met en évidence la spécificité des


situations dans le basculement des jeunes dans la criminalité. En effet, malgré la
bonne la situation socio-économique des parents et les dispositions favorables à la
réussite, Zébès bascule dans la criminalité.

Alors, comment s’est fait le déclassement social de Zébès jusqu’à son intégration
dans un gang ?

De la question générale, nous nous posons les questions suivantes :

Quelles sont les évènements qui ont marqué le parcours de vie de Zébès ?

Qu’est-ce qui a favorisé son basculement dans les activités criminelles organisées ?

Quelles significations accorde-t-il à son appartenance à un gang ?

7
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

3. Objectifs
Notre étude vise à comprendre la construction processuelle de la carrière de
criminelle à partir de l’exemple d’un chef de gang.

De façon spécifique notre étude consiste à :

- Décrire le parcours de vie de Zébès ;

- Analyser les facteurs à l’origine de son engagement dans un gang ;

- Comprendre les significations sociales qu’il accorde à son appartenance à


un gang ;

4. Cadre conceptuel de l’étude


4.1. Trajectoire sociale
Une trajectoire est la succession avec l’âge des passages d’un individu d’un
état ou d’une position sociale à l’autre. La « trajectoire sociale » d’un individu se
définit par la suite des positions sociales occupées et le regard que porte cet individu
sur cette suite de positions (Dubar, 1998, 2 000) : elle est le produit d’une série de
définitions de soi engageant à la fois des indicateurs objectifs et des éléments
subjectifs. De plus, par trajectoire sociale on cherche aussi à embrasser différentes
composantes de l’identité sociale.

Cet indicateur majeur doit être articulé aux autres composantes de toute
identité sociale : familiale, économique, culturelle, conjugale, résidentielle,
professionnelle, amicale. La trajectoire sociale renvoie à ces différents registres de
l’identité, à leurs variations au cours du temps et à leur articulation. Un divorce ou
un déménagement y sont aussi signifiants qu’une mobilité professionnelle : cela est
vrai du point de vue des effets socialisants d’un contexte, des ressources et des
contraintes auxquelles un individu est soumis, mais aussi du point de vue du regard
qu’un individu porte lui-même sur son parcours.

Nous emploierons ainsi le terme de trajectoire sociale ou parcours de vie


pour désigner l’ensemble des positions objectivement occupées et subjectivement

8
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

vécues sur différentes scènes sociales par un individu au cours du temps. Parcours
au cours duquel, les chocs de certains facteurs sociaux, économiques, symboliques
ont contribué à la construction ou à la forge d’une nouvelle identité.

Dans le cas de notre sujet, l’analyse de la trajectoire sociale va se faire autour


des variables que sont :

- La famille ;
- L’éducation ;
- La scolarité ;
- La formation professionnelle ;
- L’expérience de gangster.

4.2. Jeune
Le terme jeune est complexe à définir dans la mesure où il évolue selon les
études. Dans le cadre de notre étude nous partirons de la notion de jeunesse afin de
saisir le terme jeune dans la violence criminelle dans les zones urbaines en Côte
d’Ivoire. Nous retiendrons comme définition de la jeunesse que, d’un point de vue
sociologique, c’est une période de transition entre l’enfance et l’âge adulte au cours
de laquelle, le jeune se construit comme sujet autonome. Traditionnellement les
sociologues considèrent que la décohabitation de chez les parents, l’accès à un
emploi, la mise en couple stable marquent la sortie de la jeunesse. La sortie de
l’enfance quant à elle se trouve au moment où le jeune commence à développer une
certaine autonomie par rapport à ses parents au moment de l’adolescence (Richez,
2012).

La jeunesse est appréhendée sous un angle biologique et varie selon les pays
en fonction du contexte (politique, économique, social et culturel). Mais
généralement, l’âge est compris entre 13 et 35 ans.

Le jeune est celui qui prend une certaine autonomie vis-à-vis de ses parents
afin de se marquer son autogestion. Dès lors que l’individu commence à s’extirper
de l’autorité parentale pour se prendre en charge, il est considéré jeune. Il faut
cependant noter, que la jeunesse est une construction sociale. En fonction des

9
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

réalités sociales que vivent les individus et le contexte social dans lequel ils se
situent, la jeunesse prend tout son sens. Ainsi, selon le point de vue notre enquêté
(Zébès) : « le jeune est celui qui a la vivacité physique. Du moment où l’individu
commence à devenir un homme (puberté), jusqu’à 40 ans. Mais au-delà de cet âge,
si l’individu possède la vivacité physique il peut toujours être considéré aussi
jeune ». En fonction de la construction que se fait notre interlocuteur, est considéré
comme jeune tout individu en période d’adolescence, jusqu’à l’âge adulte en
possession de vivacité physique. Ainsi à 47 ans, il se considère toujours jeune.

4.3. Engagement
Investissement personnel avec intensité dans une action sociale/collective.
Pour Becker (1960) processus saisissable par des « lignes d’action cohérentes »
repérables dans les conduites des acteurs. Pour cette étude, elle correspond à
l’investissement de la catégorie sociale des jeunes dans une forme particulière
d’actions violentes (la criminalité). L’engagement désigne le fait de se mobiliser en
faveur d’une cause, et celle qui renvoie au fait de s’investir personnellement, avec
intensité, par exemple dans une activité professionnelle.

L’engagement dans les activités criminelles, est avant tout un engagement,


qui prend appui sur la dimension professionnelle, ou comme une poursuite de
l’activité professionnelle, dont il constitue une forme d’aboutissement. Ici l’activité
criminelle est vue comme une activité professionnelle exercée à plein temps par des
jeunes, avec pour aboutissement une réalisation sociale.

5. Revue critique de littérature


Plusieurs auteurs ont plus ou moins abordé la question de l’adhésion des
jeunes à des activités criminelles organisées. Dans un premier temps, nous nous
intéresserons aux causes de l’engagement des jeunes dans les gangs. En second lieu,
nous parlerons des crises intra familiales et en dernière instance des motivations qui
sous-tendent l’engagement des jeunes dans les gangs de rue.

10
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

5.1. Causes de l’intégration des jeunes aux gangs de rue


Danyko et al. (2002), dans une étude réalisée au Canada auprès des
adolescent(e)s bénéficiant de soins de réadaptation psychosociale essaient de
comprendre les motivations à l’origine de l’intégration des jeunes à des gangs. En
comparant les histoires de vie de 61 adolescents (31 garçons dont 14 affiliés aux
gangs et 30 filles dont 16 affiliées aux gangs), ils ont identifié des caractéristiques
distinguant les jeunes affiliés des non affiliés. Les événements stressants et la
conception de soi comme délinquant distinguent les jeunes affiliés aux gangs des
non-affiliés. Selon les observations de Danyko et al. (2002), comparativement aux
non-membres, les jeunes affiliés sont plus enclins à commettre des actes criminels
et plus souvent ils en sortent avec des blessures, surtout lors des affrontements entre
gangs. Ils sont d’ailleurs plus nombreux à avoir commis des délits violents. La
moitié des participants présentait des problèmes psychiatriques autres que des
troubles d’opposition ou de la conduite. Cette étude présente plusieurs informations
sur la quête identitaire des jeunes affiliés, dont la masculinité. Selon ces auteurs les
aspirations de ces jeunes à intégrer les gangs ont pour sources les liens familiaux
violents. En joignant un gang, les jeunes éprouvent un sentiment de contrôle sur
leur existence, et de recherche d’une identité masculine absente au cours de leur
éducation.

Dans une ethnographie sur les gangs et leurs activités, Mourani (2009)
explique pour sa part, que « le délitement social » induit par la mise en place des
politiques néolibérales, la pauvreté, l’exclusion sociale, le décrochage scolaire, le
manque de perspectives intéressantes pour les jeunes et la banalisation de leurs
aspirations ont concouru à la montée en puissance du phénomène de gang de rue au
Québec. Elle note que « pour survivre à un monde de plus en plus cruel dans lequel
ils sont abandonnés, les enfants se constituent en gangs » (Mourani, 2009, p : 31).
La nouvelle famille ainsi formée va répondre à leurs besoins effectifs, économiques,
sociaux. Elle va également leur inculquer des règles et des valeurs mais aussi leur
conférer un statut important dans leur communauté.

11
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Mourani fait savoir que la criminalité et les gangs se nourrissent de


l’exclusion sociale pour faire leur marché et le principal argument de moyen de
recrutement. Aussi, les gangs profitent de la précarité des populations et des
destructions sociales pour engranger des sommes colossales. Pour elle, quand on
parle de gangs de rue on évoque surtout leurs « actes de violence et leurs nuisances
criminelles ; des rites d’initiation, aux règlements de compte en passant par les
fusillades » (Mourani, 2009, p : 16). Elle va plus loin en parlant des activités illicites
des gangs de rue et des crimes organisés dans le domaine de la prostitution dont le
tourisme sexuel et la traite des femmes et fillettes. Elle met aussi en exergue les
différents types et la structure des gangs car il y a des gangs émergents constitués
de jeunes de 9 à 19 ans moins organisés et les gangs majeurs beaucoup plus
structurés ayant des activités comme le trafic et le crime.

Les différentes études dressent le portrait exhaustif des gangs tout en


révélant l’ampleur de leur expansion. Toutefois, leur étude se limite qu’à l’intention
et les causes de la resocialisation des jeunes dans les gangs sans toutefois saisir la
signification de leur engagement dans ces groupes. Cela dit, en partant d’une
population ayant des problèmes psychologiques dans la première étude, tout se
passe comme si l’auteur introduit déjà un biais dans les résultats. L’étude est
effectivement causale au regard du lien ente mal-être psychologique des jeunes et
leur engagement dans les gangs. Cependant, la question des conditions sociales de
ces jeunes affiliés aux gangs n’a pas été bien élucidée. Par contre, le deuxième
auteur s’inscrit dans une perspective globalisante décrivant l’histoire et le parcours
individuel de chaque acteur engagé dans la criminalité.

5.2. Crise du lien intrafamilial, cause du basculement des jeunes dans la


criminalité
Au sein de leur famille, plusieurs jeunes affiliés aux gangs ne trouvent pas
l’encadrement et le soutien émotionnel dont ils ont besoin (Maxson et al, 1998).
Parfois strictes et abusives ou encore imprévisibles et incohérentes, la supervision
et la discipline parentale dont ils bénéficient sont fréquemment inadéquates. Ainsi,

12
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

l’estime de soi liée au vécu familial, à l’investissement parental et à l’attachement


familial est plus faible chez les membres de gangs que chez les non-membres.

Selon Hamel al. (1998), les parents des jeunes affiliés aux gangs tentent
généralement d’exercer un contrôle sur les fréquentations et sorties de leurs enfants.
Au sein des familles des jeunes rencontrés par Hamel et al. (1998), les sermons et
le retrait de privilège sont les formes de punitions le plus souvent utilisées. Un jeune
sur cinq, majoritairement des garçons, a reçu des coups en guise de punition. Aussi,
ils observent que le vécu familial des jeunes affiliés est généralement marqué par la
désunion2. La plupart (91 %) des participants rencontrés ont vécu au moins une des
quatre situations de désunion suivantes : ruptures répétées, séparations entre les
parents, immigration et placements. Souvent en raison d’une séparation, Hamel al.
(1998) et Danyko et al. (2002) observent que les membres de gangs sont nombreux
à avoir été éduqués par un parent seul, la mère dans la plupart des cas. Danykoal.
(2002) soulignent l’absence des pères et la rareté des modèles masculins. De
surcroît, lorsque le père est présent, la relation serait moins bonne qu’avec la mère.
Les chercheurs concluent que pour certains jeunes, l’affiliation aux gangs
répondrait à un besoin d’être en relation avec des hommes.

Les résultats des travaux de Patton, (1998), sur la culture des gangs (valeur,
langage, rituels, etc.) vont dans le même sens. Dans le cadre de cette étude, des
entrevues individuelles auprès d’un échantillon de cinquante Afro-Américains
membres de gangs et des observations sur le terrain ont été réalisées. Très peu de
jeunes ayant participé à l’étude vivent avec leur père. Ces derniers sont morts, en
prison ou ont abandonné la famille. Interrogés sur les modèles d’hommes auxquels
ils s’identifient, aucun participant n’a nommé son père.

Selon Patton (1998), faute de modèles familiaux, les jeunes s’identifient aux
autres membres de gangs, aux acteurs, aux grands sportifs et aux chanteurs de rap.
Toutefois, la plupart des jeunes ne se projettent pas à travers ces modèles,
considérés trop ambitieux et inaccessibles. Ainsi, ils ne cherchent pas à incorporer

2
Terme sociologique qui signifie rupture, séparation selon le dictionnaire français de l’application
androïde

13
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

les qualités de leurs modèles à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Plusieurs membres
de gangs ont été éduqués par des femmes ; mères, sœurs, tantes, grands-mères, etc.
S’ils respectent la ou les femmes qui ont pris soin d’eux, les jeunes associés aux
gangs n’ont pas généralisé ce respect aux autres femmes. Les résultats révèlent que
les valeurs patriarcales et l’absence du père teignent le regard que portent les
membres de gangs sur les femmes. Cette étude ethnographique donne un portrait
des perceptions de jeunes afro-américains affiliées aux gangs qui pourraient
difficilement être appliquées à d’autres groupes et à d’autres contextes historique et
social.

Ces études mettent en évidence la place prépondérante des parents dans la


déviance sociale des jeunes. Par contre, ils ne montrent pas les facteurs internes et
externes dans leurs familles et dans le cours de leur vie qui ont concouru à
l’intégration de ces jeunes dans les gangs.

5.3. Motivations des jeunes qui s’engagent dans les activités criminelles
organisées
De Latour (2001) se penche sur les ghettos de Côte d’Ivoire. Elle donne les
motifs de l’appartenance des jeunes aux gangs. Elle mène son étude dans les
bidonvilles et les quartiers à risque pour cerner le phénomène et note que les jeunes
« refusent le relais des socialisations par le travail ou par la scolarisation qui
demandent de l’argent et exigent du temps (…); ils préfèrent le risque et
l’immédiateté du gain à l’effort » (De Latour, 2001, p 151).

Ainsi, ils créent un espace le « ghetto » où ils vont se réfugier pour exprimer
leur singularité. Les notions qui ressortent de la pensée du « ghetto » sont : la
création, l’autonomie, l’indépendance, la solidarité, la parole donnée, le pardon, le
lien de sang, l’amitié, la réussite et cela passe par l’excès des hiérarchies, des lieux
affectifs des règles. Elle met plus l’accent sur les relations sociales dans le Bronx3,
elle soutient que les relations sont structurées de façon verticale « vieux père » et

3
Une zone, un quartier, un endroit qui présente des dégradations urbaines et où règnent le chômage,
l’insécurité, le crime, la délinquance, la drogue et d’autres maux.

14
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

« fiston », chez les filles « vieille mère » et « fistine ». Pour le nouveau membre,
tous les « ghettomens » qui l’ont précédé sont ses vieux pères et l’âge n’est pas pris
en compte. Cependant, elle mentionne que l’initiation des nouveaux passe par la
bastonnade et la torture de la part des membres du gang, des braquages ou de la
réquisition des gains du fiston après une opération. Aussi, ajoute-t-elle que la survie
d’un fiston (nouveau membre) dépend de sa relation avec son premier initiateur qui
assure après son initiation sa protection.

Quant à Corriveau (2009), il fait une approche particulière des phénomènes


de gangs de rue en faisant ressortir l’aspect identitaire. Selon lui, la violence et les
comportements antisociaux ne sont pas constitutifs des gangs de rue. Il fait savoir
que les raisons qui incitent un jeune à se tourner vers un gang sont le sentiment
d’exclusion, le besoin de protection et la quête d’une identité masculine. En outre,
au-delà du besoin de protection il affirme que « le gang constitue une véritable
sous-culture de domination et d’identification masculine où la violence en tant que
valeur virile est prisée » (Corriveau 2009, p125). Il montre que les jeunes garçons
en adhérant à ces gangs croient découvrir ce que c’est d’être un homme et comment
le devenir, car pour eux être un homme, c’est susciter le respect en prouvant son
endurance physique, son insensibilité émotionnelle, sa performance cruelle, rejeter
l’autorité institutionnelle et utiliser la violence pour s’imposer.

Ce rituel initiatique est nommé « punshing initiation ». Mais, ces pratiques


sont réservées généralement aux garçons. Au niveau des filles, l’initiation présente
deux formes : la participation à la commission d’un délit ou d’une bagarre avec les
filles de gangs rivaux. Il y a également le « sex in » initiatique qui sert à humilier
la jeune fille et surtout la dissuader à vouloir trahir le gang. Toutes ces pratiques
d’initiation violentes, sont liées à la quête d’une identité masculine, de protection
et d’affirmation.

Les auteurs montrent que pour l’adhésion des jeunes aux gangs est une
recherche de besoins primaires (argent, bien être) et de besoins secondaires
(recherche d’identité, de protection). À ce titre donc les rituels ont pour fonction
d’évaluer la loyauté et le courage.

15
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Notre étude ne remet pas fondamentalement en cause ceux des autres, qui dans une
certaine mesure, restent pertinents. Mais nous privilégions une démarche qui part
de l’histoire de l’acteur pour remonter au système social.

Après avoir fait une revue de la littérature existante sur le phénomène des
gangs, les causes mentionnées par les auteurs se résument autour de la pauvreté, de
l’immigration, du chômage, de la recherche d’identité masculine issue de l’absence
d’un père. Aussi disent-ils que le gang est un espace de protection, d’affirmation de
soi, d’expression et de création d’identité. S’inscrivant dans la même veine que ces
auteurs, notre étude dans une approche biographique, va plus loin sur la situation
sociale des parents et la configuration de la famille monoparentale. En étudiant la
trajectoire sociale de Zébès, nous comprenons que certains jeunes sont issus de
milieu social favorable. De plus, la configuration de la famille monoparentale, n’est
pas seulement l’absence d’un père, il y a également l’absence d’une mère dans le
foyer.

Outre ces aspects, le récit de vie de Zébès, nous permet de façon singulière
de saisir les facteurs internes et externes qui entrent en ligne de compte dans le cours
de vie des jeunes à savoir l’impact de l’environnement social et les habitudes
acquises au cours de l’itinéraire social.

Notre étude s’inscrit dans le vaste champ de la sociologie sur les gangs de
rue en général, et en particulier dans le contexte de l’intégration des jeunes au sein
des gangs.

16
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

MATÉRIELS ET
MÉTHODES

Le deuxième chapitre de l’étude met en relief le lieu de l’enquête, les outils et les
techniques de collecte de données, les méthodes d’analyses des données et la
théorie d’analyse.

17
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1. Matériels
1.1.Lieu de l’enquête
Notre étude s’est déroulée dans la commune d’Abobo précisément dans le
quartier Avocatier fief du gang « Cobra force ». Abobo est une commune située
dans le Nord du district d’Abidjan. Elle est limitée par la commune d’Anyama au
Nord par Adjamé, au Sud et à l’Est par Cocody et à l’ouest, par la forêt du Banco.
C’est l’une des communes les plus peuplées du district (environ 1 500 000
habitants) sur une superficie de 10 000 ha (100 km2) avec une densité de 167
habitants à l’hectare (PASU, 2014).

À l’époque se trouvaient sur ce site des petits villages Ébrié : Abobo-té,


Abobo Baoulé et AnonkoiKouté. Abobo était au départ la terre cultivable des
différents chefs de famille de ces villages. La commune s’est développée
spontanément autour de la gare qui est une des premières stations de trains sur la
ligne Abidjan-Niger. Aujourd’hui, Abobo est une commune qui abrite une
population cosmopolite très active dans le secteur informel, le commerce et les
services.

Abobo est réputé être une zone criminogène dans son ensemble. Elle compte
22 quartiers dont 19 quartiers précaires (colatier, Sagbé 1 et 2, l’Ile verte, Kenédy,
Agnissankoi, Bacabo, AboboNany, Avocatier, Derrière rail etc). Au sein de ces
quartiers, il existe plusieurs secteurs reconnus dangereux par les services de
sécurités. Dans ces zones le taux de la criminalité est très élevé et demeure le siège
de diverses activités criminelles.

Le gang « cobra force » avait pour territoire le quartier Avocatier. Ce morceau


territorial à l’instar des autres zone de la commune à une configuration de faubourg
populaire. Les infrastructures publiques sont insuffisantes, les routes pour y accéder
sont en dégradation accélérées et impraticables en toutes saisons, les habitations
sont la plupart dégradées et la majorité sont de types « cours communes »4

4
Type d’habitat composé de plusieurs appartements avec une cour et des toilettes communes à tous
les résidents

18
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

Image 1 : Carte géographique de la commune d’Abobo

Source : centre de cartographie et de télédétection du BNEDT, Décembre 201

19
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1.2.Recherche documentaire
La recherche documentaire nous a permis de mieux orienter notre cadre
théorique et méthodologique. Ainsi nous avons consulté des articles, des mémoires,
des thèses, des ouvrages etc. La plupart de ces documents ont été consultés via
internet dans les champs disciplinaires tels que la sociologie, l’anthropologie, la
psychologie et l’histoire.

• Ouvrages de méthodologie

Les ouvrages méthodologiques ont enrichi nos connaissances


méthodologiques. Encore et surtout, ils nous ont servis de boussole au cours de
notre investigation. Les principaux ouvrages méthodologiques consultés sont : la
méthodologie de la recherche : de la problématique à la discussion des résultats, de
N’da (2006) et le Manuel de recherche en sciences sociales de Quivy et
Kampenhout (1988).

Ces ouvrages pratiques, exposent les séquences de chaque étape de la


démarche scientifique ainsi que les dispositions critiques et intellectuelles pour
mener à bien une recherche. Précisément, il nous a été d’un apport capital dans
l’élaboration des questions, dans la réalisation des entretiens, etc.

• Documents en rapport avec notre le sujet de recherche

Ce sont des articles, rapports, thèses sur les gangs et la délinquance juvénile
qui nous ont permis d’avoir des informations sur les causes, la structure et les
conditions d’intégration dans les gangs. Ces sources nous ont permis de comprendre
comment les jeunes intègrent les gangs et quels sont les motifs de leur engagement
de façon générale.

• Webographie

La Webographie désigne une liste de contenus, d’ouvrages ou plus


généralement de pages ou ressources du Web relatives à un sujet donné. Il est
construit sur le modèle du mot bibliographie. Ce sont des rapports, des mémoires,
des thèses et des livres électroniques. Ainsi la bibliothèque électronique du CRDI

20
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

nous a été d’un grand apport, car elle nous a servi de moteur de recherches dans
l’acquisition des documents en rapport avec notre sujet.

1.3.Entretiens
L’entretien sous forme de récit de vie, a été le principal outil de collecte des
données dans cette étude. Il a consisté à reconstituer la vie de notre enquêté. Ainsi,
nous avons séquencé le récit biographique en trois parties, à savoir de la naissance
à 13 ans, de 13 à 18 ans et de 18 à l’âge actuel qui est de 48 ans. Cette méthode
nous a permis de reconstituer le parcours de vie de Zébès, afin de saisir les facteurs
interne et externe qui ont favorisé son investissement dans les activités criminelles
organisées.

La collecte des données s’est déroulée à Abobo avocatier, dans un


restaurant. Elle a duré près d’un mois, du 5 septembre au 3 octobre 2014 avec un
total de cinq (5) entretiens. Nous n’avons pas pu avoir des photos pour illustrer le
récit de vie de l’enquêté. Il dit les avoir égarées pendant les violences post-
électorales de 2010-2011.

1.4.Technique de sélection et critères de choix de l’enquêté


La technique que nous avons utilisée pour avoir accès à notre enquêté est la
technique boule de neige ou par réseau. Elle a consisté à prendre attache avec un
officier de police qui nous a introduit auprès du « vieux père »5 de Zébès qui a son
tour nous a mis en contact avec ce dernier.

Pour notre étude sur la trajectoire sociale des jeunes dans la violence, nous
avons fait le choix de nous intéresser aux parcours de vie d’un ex-membre de gang
de la commune d’Abobo. Aussi la disponibilité de notre enquêté a été le critère de
choix le plus déterminant dans notre étude de recherche.

5
Une personne très respectée par Zébès et autres jeunes du quartier

21
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1.5.Analyse de données
Pour traiter les données du récit de vie nous utiliserons l’analyse de contenu
du discours avec ces étapes suivantes :

• Retranscription des entretiens ;

• Le repérage des nœuds de signification ;

• La classification des discours en fonction des niveaux explicatifs de la


problématique.

2. Méthodes et théories d’analyse


2.1. Approche biographique
L’approche biographique est une méthode de recherche en science sociale
qui s’appuie essentiellement sur le récit de vie, le récit pratique d’histoire de vie,
le récit de recherche et le récit d’intervention. C’est un moyen privilégié pour
étudier l’homme : « tout homme porte en lui toute l’humaine condition, alors chaque
destinée individuelle est une porte d’entrée pour comprendre toutes les autres »
(Perrier, 2001). Selon Bertaux (1976), l’approche biographique est au fondement
d’une connaissance savante, en continuité avec celle du sens commun du fait qu’elle
est « une construction des constructions » faites par les acteurs sur une scène
sociale : « l’individu est un sujet, porteur de sens, producteur de savoirs ». Aussi,
cette approche permet de comprendre comment la société fabrique l’individu et
comment celui-ci profite des messages qu’offre la société pour développer des
pratiques/comportements. Cette approche nous a permis, par le récit d’un ex-
membre de gang de comprendre le processus qui conduit au basculement d’un jeune
dans les gangs de rue.

Pour saisir l’itinéraire social de Zébès, nous avons fragmenté le parcours de


vie en trois (3) parties. La séquence de l’enfance nous a permis de connaitre la
situation sociale des parents, l’éducation et la configuration familiales. La deuxième
séquence est celle de la scolarité, des résultats scolaires et de l’environnement

22
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

social. Quant à la troisième séquence, elle est basée sur la situation sociale actuelle
et de l’expérience en tant que chef de gang.

2.2. Théorie d’analyse


 Les théories de la socialisation
La socialisation est le processus par lequel la personne humaine apprend et
intériorise tout au long de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les
intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expériences d’agents
sociaux significatifs, et par là s’adapte à l’environnement social où elle doit vivre.
(…). La socialisation est le processus d’acquisition (…) des « manières de faire, de
penser, de sentir » propres aux groupes, à la société où une personne est appelée à
vivre. (Guy Rocher, 1970).

- L’approche de la psychologie sociale

Selon le psychosociologue Jean Piaget, dont l’analyse a été prolongée par


Annick Percheron (1993), le processus de socialisation consiste à adapter l’individu
à des situations sociales de plus en plus complexes en passant à chaque étape par
deux mouvements antagonistes. D’une part, l’assimilation se traduit par une
tentative de modification de l’environnement social par l’individu, afin de le rendre
conforme à ses désirs. D’autre part, l’accommodation implique que l’individu
socialisé transforme son comportement pour satisfaire les attentes de la société.
Ainsi la socialisation apparaît-elle comme un processus permanent de «destruction
créatrice» d’équilibres et d’identités sociales.

- Une socialisation par la contrainte dans l’analyse holiste

Pour les auteurs relevant de la tradition holiste, tels Émile Durkheim ou


Pierre Bourdieu, la socialisation consiste à l’intériorisation par l’individu de
l’habitus du groupe social auquel il appartient, c’est-à-dire « ce que l’on a acquis et
qui s’est incarné de façon durable dans le corps sous forme de dispositions
permanentes » (Pierre Bourdieu in Questions de sociologie, 1980). Cette

23
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

incorporation passe par l’éducation, qui selon Durkheim a pour but de couler
l’individu dans un « moule » aux contours socialement bien arrêtés.

En traversant les différents champs de la vie sociale, chaque individu


incorpore ainsi à son habitus d’origine ceux des groupes sociaux auxquels il
appartient ensuite.

- Une socialisation par interactions

Pour G.-H. Mead, la socialisation s’effectue par interactions entre l’individu


et son milieu. L’individu socialisé, l’enfant par exemple, construit alors sa
personnalité en copiant dans un premier temps le comportement des personnes qui
lui sont proches (ses parents), puis il interprète librement les rôles qu’il souhaite, en
se confrontant aux règles de comportement imposées par la communauté.

L’enfant construit sa personnalité par l’intériorisation/incorporation de


manières de penser et d’agir socialement instituées. Nous pouvons alors nous
demander quels mécanismes interviennent ? La socialisation s’effectue par :

- apprentissage ou inculcation = acquisition d’habitudes, de savoir-faire,

- identification ou imitation (d’un des parents par exemple),

- interaction = intégration de traits culturels propres à sa personnalité suite à


des échanges.

Ce n’est pas la société en tant que telle qui transmet des normes et des
valeurs à l’enfant mais l’action de groupes qui lui sert d’intermédiaire. Ainsi la
famille, l’école sont autant d’institutions qui jouent ce rôle. On les appelle des
agents de socialisation. Les deux agents de socialisation qui interviennent
principalement lors de la socialisation de l’enfant sont la famille et l’école.

La famille est donc un outil de reproduction social. Cela implique le


maintien des rapports de domination entre des groupes sociaux : maintien des
positions sociales à l’autre. Elle inculque à l’enfant les normes, les valeurs, les
conduites à adopter afin de permettre son intégration dans la société. Elle va lui
apprendre les règles de conduite en usant d’influence et d’injonctions (sanctions).

24
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

L’enfant va également apprendre en faisant référence aux habitudes


(conditionnement), puis il apprendra en regardant autour de lui (observation et
imitation). La famille continue aussi à jouer un rôle important dans le déroulement
des âges de la vie (apprentissage des rôles familiaux, passage de l’adolescence à
l’âge adulte).

Mais dans ce processus l’environnement social (les pairs) a une part active
dans cette socialisation. Un groupe de pairs désigne un ensemble d’individus ayant
choisi d’avoir des relations fondées sur la similitude des goûts et des pratiques. Ex
: un groupe d’amis. Les règles qu’ils suivent, ils les respectent car ce sont les lois
de leur groupe de pairs dont ils ont découvert l’utilité pour pouvoir « faire ensemble
» une action. En les identifiant comme leurs valeurs propres, les enfants
s’approprient donc certaines valeurs sociales. Ils les retraduisent en fonction de la
situation et, de leurs besoins propres. Ainsi, la socialisation entre pairs fait partie du
processus éducatif en ce sens qu’elle permet en quelque sorte la « digestion »
d’éléments que nous cherchons à leur transmettre. Elle est indispensable pour que
les enfants soient des acteurs de leur éducation. (Julie Delalande, 2004).

L’identité humaine n’est pas une donnée acquise une fois pour toute à la
naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se construire tout au
long de la vie. L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des
jugements d’autrui que de ses propres orientations et définitions de soi. L’identité
est un produit des socialisations successives. Elle est le résultat à la fois stable et
provisoire, individuel et collectif, des divers processus de socialisation qui
conjointement, construisent les individus. (Claude Dubar, 2000).

Cette théorie nous permet de comprendre que la construction de l’identité


de gangster de Zébès découle d’une construction depuis l’enfance. L’identité est ce
qui se construit dès l’enfance par l’intégration des messages qui lui permettent de
se projeter dans l’avenir à la fois en tenant compte du passé, de la mémoire
collective transmise par la famille, mais aussi d’aspirations façonnées par des
modèles alternatifs tel que les gangsters. Les jeunes intériorisent par ailleurs les
messages (que ce soit des médias ou de l’école) qui leur parlent de la possibilité de

25
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

mobilité sociale. Ces jeunes vont se construire une identité en décalage avec celle
que leur renvoient leurs parents. Ce qui créée souvent une distance entre générations
et est porteur de tensions, de conflits. L’échec, l’écart entre les aspirations et les
résultats peuvent provoquer de véritables déchirements pour les jeunes dont
l’identité ne correspond plus à celle de leur milieu d’origine, mais ne correspond
pas non plus aux objectifs qu’ils s’étaient fixés. (Bolliet. D, Schmitt. JP, 2008.).

26
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

RÉSULTATS DE
L’ETUDE

Le présent chapitre expose (i) les événements qui ont marqué le parcours de vie de
Zébès, (ii) les facteurs qui ont concouru à son basculement dans les activités
criminelles, et (iii) le sens qu’il donne à son appartenance à un gang. Chacune de
ces rubriques sera illustrée par le récit de vie de Zébès. Les données seront
présentées en ordre, de façon linéaire suivant l’itinéraire social de Zébès. Le registre
du discours présenté a été ajusté pour une bonne compréhension. Mais toute la
teneur du discours a été maintenue en état.

27
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

I. LES EVENEMENTS AYANT FAÇONNE LA VIE DE


ZEBIE DE SON ENFANCE A L’AGE ADULTE
Cette première relate les évènements qui ont marqué la trajectoire sociale de
Zébès. Nous traçons le parcours de vie en trois grandes parties, à savoir l’enfance,
l’adolescence et l’âge adulte.

- Présentation de l’enquêté
Zébès, nom d’emprunt est né à Daloa. Il a 47ans, célibataire et père de deux
(2) enfants. Il est le deuxième enfant de son père qui fut un cadre supérieur dans les
années 70, 80. Il a fait la connaissance du milieu de la violence depuis son enfance
et y a fait carrière. Zébès affirme être ex-membre de gang qui, suite à la crise post-
électorale 2010 s’est disloqué. De temps en temps, il travaille en tant que
contractuel dans des sociétés à la zone industrielle de Yopougon (Abidjan, Côte
d’Ivoire). Mais, quand il n’a pas de contrat en ces lieux, il exerce en tant que
pickpocket dans les transports en commun, notamment la SOTRA.

1. L’enfance de Zébès (0 à 13 ans)


1.1.Une naissance dans un contexte de vives tensions entre les parents de la
mère de Zébès et son père
Zébès : Je suis né le 12 mars 1967 à Daloa. J’y suis resté jusqu’à l’âge de
trois ans et demi. Mon père était un instituteur, il était le directeur de l’école
primaire à Zéguidja le village de ma mère. Mon père enseignait la classe de CM2
où était ma mère.

Dans les villages en général, les élèves faisaient le ménage et puisaient de


l’eau pour les enseignants. C’est ainsi que ma mère allait faire le ménage de son
instituteur qui était mon père et celui-ci a eu des relations intimes avec elle jusqu’à
ce qu’elle soit enceinte de moi avant la fin de l’année. À la suite de cette grossesse
mon père a eu tous les problèmes, il a failli être renvoyé de ses fonctions. Mais
grâce à l’intervention du grand frère de ma mère qui a su raisonner 6 les parents,

6
Le grand frère de sa mère a su fait entendre raison à ces parents de ne pas porter le problème devant
les tribunaux

28
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

un compromis a été trouvé. Comme compromis, il fallait qu’il s’occupe de la


grossesse, des frais de l’accouchement, de verser de l’argent chaque mois à ma
mère puis d’assurer sa scolarité jusqu’à l’université. Mais malgré ces compromis,
les parents ont porté plainte contre mon père auprès de ses supérieurs hiérarchique
à l’inspection de l’enseignement primaire. Ce qui lui a valu une affectation deux
années après, puisque quelques années avant qu’il soit affecté dans le village de
ma mère, il avait rencontré ce même problème en enceintant l’une des femmes du
chef de village où il était.

1.2.Une enfance sous la couverture du père et loin de la mère


Après les problèmes que le père de Zébès a eus avec les parents de son élève
suite à la grossesse, il fut affecté à Abidjan dans la commune de Marcory. A ce
nouveau poste, il prit ces deux enfants avec qui il résida dans ladite commune. Les
mères quant à elles sont restées à Daloa loin de leurs enfants.

Zébès : Quand mon père a été affecté à Abidjan, j’avais entre trois et quatre
ans. Il a demandé à venir avec moi pour me mettre à l’école et a récupéré mon
grand frère, celui qu’il avait eu un an avant moi, avec la femme d’un chef de village
[…]. Nous vivions à Marcory, à l’avenue de Côte d’Ivoire. L’école où enseignait
mon père était juste à trois cents mètres. A la maison, il n’y avait pas de femme.
Seulement, mon père avait de nombreuses copines qui venaient faire de temps en
temps la cuisine.

1.2.1- Un père bien nanti socialement


Zébès : Mon père, était un Baron du PDCI. Il était secrétaire général
adjoint de la section PDCI de Marcory. Après son affectation Abidjan, il est resté
Directeur de l’école primaire puis quelques années après, juste quand je rentrais
en classe de CM2, il a été nommé conseiller pédagogique à l’inspection de
l’enseignement primaire. De l’inspection, il a été nommé sous-directeur de cabinet
au ministère de la promotion de la femme du ministre Jeanne Gervais, la seule

29
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

femme ministre du gouvernement de feu le président Félix Houphouët BOIGNY à


l’époque. Il avait tout, l’argent et deux voitures. Une voiture de service et une
personnelle.

1.2.2-Une mère absente


Suite au problème qu’il y a eu avec les parents de la mère de Zébès, son père
s’est séparé d’elle. Cependant au cours de l’entretien, l’image que Zébès donne de
sa mère est qu’elle est une inconsciente, et ne se faisait pas de souci pour lui. Le ton
et son expression montrent un sentiment de haine envers sa génitrice. Ainsi,
lorsqu’il parle de cette dernière, un certain nombre de termes en nouchi sont
employés : « djandjouya7, gazoil8, bordelle ».

Zébès : Mon père m’a récupéré parce que les parents de ma mère lui
exigeaient trop. Il m’a donc récupéré et n’a plus eu affaire à ma mère qui est restée
au village. Elle ne m’a pas donné à téter, pourtant c’est très important pour un
enfant, et cela permet que l’enfant connaisse sa mère. Elle a continué ses « gazoils »
et après le village elle s’est retrouvée à Bouaflé pour continuer son « djandjouya ».

1.2.3- La dynamique des interactions père -mère, fils-père, fils-mère


et frère-frère
 Père et mère
Les contacts entre le père et la mère de Zébès ont été rompus après son
affectation à Abidjan. Elle aurait refait une autre vie à Bouaflé. Mais, le père de
Zébès a gardé de bons rapports avec le grand frère de celle-ci, qui résidait à
Koumassi.

7
Terme en argot ivoirien (nushi) qui désigne la prostitution
8
Terme en argot ivoirien (nushi) qui fait allusion à l’amusement, aux virés nocturnes

30
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

 Zébès et père
Zébès : Mon père me soutenait dans tout ce que je faisais, que ce soit bon
ou pas. Quand je commettais des gaffes dehors, il disait : « mon fils ne manque de
rien à la maison ». Mais arrivé à la maison il me punissait. Il nous donnait tout ce
qu’on voulait, sauf que tous nos besoins pour lui se limitaient à l’argent. Il ne
causait pas beaucoup avec nous.

 Zébès et mère
Zébès : Sincèrement, là c’était difficile car je n’ai pas vite connu ma mère.
Un jour j’ai eu à serrer les colles de ma mère parce que je lui en voulais
terriblement de m’avoir abandonné. Tu sais ! Entre les enfants à l’école, il arrive
que souvent chacun parle de ses parents : « toi tu as une maman ! Toi tu n’as pas
de maman ! » Aussi à l’école on a appris que le lait maternel est très important
pour l’enfant. Ces petites causeries à l’école m’ont beaucoup frustré. Et quand j’ai
appris qu’elle ne m’a pas donné le sein et qu’elle est partie faire son djandjouya de
son côté, qu’elle n’a pas pris soin de moi, j’avais gros sur le cœur. Elle n’avait que
pour objectif l’argent et l’argent. Quand elle me parlait, je ne l’écoutais pas. Je la
respectais mais je n’écoutais pas ce qu’elle me disait.

La relation entre ma mère et moi n’était pas ça. J’ai connu ma mère lorsque
j’avais sept à huit ans. Ce jour-là, je revenais de l’école et j’ai vu une dame assise
au salon. Je l’ai salué et j’ai regagné ma chambre. Quelques minutes plus tard le
boy m’a appelé pour me dire que la dame voulait me voir. Lorsque je suis arrivé,
elle m’a appelé par mon nom : « Zébès, pardon ». Je lui ai répondu : « madame est
ce que vous me connaissez et puis vous avez dit mon nom » […]. Elle s’est mise à
couler des larmes. J’ai pensé à l’une des nombreuses go9 de mon père […]. Je lui
ai demandé encore : « vous coulez les larmes pourquoi ? Mon papa vous à fait
quoi ?

9
Terme dans l’argot ivoirien (nushi) qui signifie une copine, une petite amie, une personne avec qui
l’on a des rapports intimes.

31
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Je pensais que c’était une bordelle de mon père. Et elle m’a répondu : « non,
j’attends ton père ». Elle n’a pas osé me dire que j’étais son fils. Je suis reparti
jouer dans ma chambre. Lorsque mon père est arrivé, il m’a fait appeler et m’a dit :
« voici ta maman » et j’ai répondu : « mais madame, tu es venu, je t’ai demandé !
Il faillait me dire que tu étais ma maman ? Ou bien tu voulais qu’il vienne me le
dire ? Papa c’est maman ? Ah ! Maman bonjour ». Et je suis reparti m’amuser dans
ma chambre, car mes jeux me préoccupaient. A son départ mon père m’a demandé
de l’accompagner, j’ai refusé et je me suis mis à pleurer.

Quelques jours après, elle est revenue avec son grand frère celui qui avait
défendu mon père. Il habitait Koumassi et était régulier chez nous à la maison. Elle
lui avait expliqué la situation et le lendemain ils sont venus voir mon père pour
qu’il me raisonne. C’est ainsi que j’ai commencé à la voir.

 Zébès et frère
Le père de Zébès n’a eu que deux enfants, notre enquêté et son frère ainé
qu’il a eu un an avant Zébès avec la femme d’un chef de village. Quant à sa mère,
elle a eu six (6) autres enfants qu’il dit ne pas les connaître.

Zébès : Je m’entendais avec mon grand frère, mais souvent il y avait des
petits palabres entre nous. Je le frappais très souvent. Au quartier, je le défendais
la plupart du temps, bien que je fusse son petit frère. Je me mesurais aux personnes
de la même promotion que lui et souvent plus âgées. Il disait : « tu vas voir mon
petit frère viendra te frapper », et cela me donnait la force. A la maison je disais
que si dehors tu m’appelles pour te défendre, c’est que tu ne peux rien me faire.

32
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1.3.Un fils à papa10


Zébès a eu une enfance très mignardée, rien ne lui manquait.

Zébès : […] Nous partions à l’école en voiture et mon père nous donnait
beaucoup d’argent. Depuis la classe de CP1 mon père nous donnait l’argent de
poche pour le mois. Mon père nous avait inscrits au centre culturel français (CCF)
où nous avions accès au cinéma et à la bibliothèque. En ce temps-là, tout le monde
rêvait d’aller au cinéma et nous fréquentions les endroits où les blancs envoyaient
leurs enfants. Aussi chacun avait sa chambre et dans chacune, nous avions tous les
jouets qu’on souhaitait.

1.4.Une éducation dans un environnement de laisser- faire


Le père de Zèbès ne s’est pas investi à plein-temps dans l’éducation de son
fils. Dès son jeune âge son géniteur les laissait faire, son frère et lui. A part les
besoins alimentaires et financiers, le père les laissait faire ce qu’ils voulaient.

1.4.1- Un manque de suivi de la part du père


Zébès : Mon père nous apprenait les bonnes manières. Comme un bon
instituteur, nous étions très polis et il nous a appris les manières de se tenir à table.
En tout cas, il nous a mis à l’aise. Comme il n’avait pas de femme, il nous apprenait
à connaître la vie.

Depuis la classe de CP1, il nous donnait l’argent du mois. Mais lorsqu’il le


mettait à notre disposition, le mien finissait toujours avant le soir. Il a décidé, à la
suite de ma mauvaise gérance de remettre mon argent au boy pour qu’il me le
remette chaque matin pour la journée. J’étais devenu comme l’enfant du boy, alors
que mon grand frère n’avait pas ce problème. Puisqu’il y avait tout à la maison, il
gérait bien son argent.

10
Terme en langage familier qui signifie un enfant dont le père est à ses petits soins.

33
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Pour acheter les fournitures scolaires, jusqu’au CE2, il nous faisait


accompagner par le boy, pourtant il pouvait nous accompagner ou bien acheter
lui-même. Mais il mettait l’argent dans nos mains, accompagné du boy, et pour
l’achat des cahiers et livres lorsqu’il y avait plusieurs prix, il nous demandait de
faire notre choix. Après la classe de CE2, il ne nous faisait plus accompagner pas
le boy, nous-mêmes partions acheter nos fournitures. Il arrivait souvent que je ne
fisse pas d’achat et je lui faisais croire que l’argent était perdu. Il me grondait et
le lendemain il m’en remettait pour aller les acheter.

1.4.2- Un abonné à l’école buissonnière


Avec un père instituteur Zébès a fréquenté de bonnes écoles. Mais très tôt,
il a commencé à manquer les cours à l’école, pour retrouver ses amis, sans que son
père ne le soupçonne. Ainsi, ses résultats scolaires étaient de mauvais.

Zébès : Mon père après m’avoir récupéré m’a mis « au jardin »11. Quand
je devais faire le CP1, il m’a inscrit dans l’école où il enseignait […] J’ai fréquenté
l’école jusqu’en classe de CM2. Il était véhiculé, donc on partait à l’école en
voiture, sauf quand je refusais d’emprunter la voiture parce que j’avais commis
une gaffe et après une punition je me fâchais. L’école était juste à moins de trois
cents mètres de la maison. A l’école tellement j’avais l’argent j’achetais les
friandises pour mes amis. J’avais tout.

Il nous déposait en voiture à l’école avant de partir au travail. Ils nous


déposaient devant le portail de l’école et il ne cherchait pas à savoir si nous étions
entrés dans nos différentes classes. Lorsqu’il nous déposait et qu’il s’en allait, je
sortais de la classe et je partais où je voulais.

A midi, comme il venait nous chercher, je m’arrangeais à être toujours là à


temps. Il nous disait toujours qu’il viendrait nous chercher, quand il ne pouvait pas
il nous le signifiait. Dans mes ballades, je m’arrangeais à demander l’heure aux
passants et lorsqu’il était presque l’heure je courais pour aller à l’école.

11
Terme dans le langage familier qui signifie l’école maternelle (préscolaire)

34
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

J’attendais que les élèves sortent de la classe pour me fondre à la masse ? Il arrivait
très souvent, que je sautais la clôture, à la vue du véhicule de mon père devant le
portail. Parce qu’il restait toujours dehors à nous attendre, il ne rentrait jamais à
l’intérieur l’école.

Quand on était dans l’école où il enseignait, je ne faisais pas l’école


buissonnière. C’est lorsqu’il est devenu conseiller pédagogique à l’inspection que
je faisais cela. Sincèrement je n’aimais pas l’école. Pour que j’aille c’était à une
condition ; si j’avais bien mangé. Si j’avais ce que je voulais, je ne me faisais pas
supplier pour aller à l’école. Lorsque je demandais quelque chose que je ne
l’obtenais pas, je ne disais rien. Dès qu’il nous déposait à l’école je me retournais
à la maison et je n’aillais pas en classe tant que mon cœur n’était pas tranquille
[…].

L’école buissonnière, je la faisais lorsque j’avais commencé à avoir des


camarades du quartier en classe de CM1. Il y avait un petit marigot où est construit
actuellement le nouveau pont12 à Anoumanbo. C’était à cet endroit que mes
camarades aimaient aller pêcher. A l’école dans nos causeries, chaque jour ils
disaient que : « hier la pêche était bonne hein ! Il y a des femmes qui ont acheté le
poisson ! Et moi je répondais : « han bon ! Moi aussi je sais pêcher ». C’est ainsi
que lorsque mon père me déposait surtout les après-midi que j’allais retrouver mes
amis. Je leur donnais de l’argent pour qu’ils achètent des lignes pour la pêche. Très
souvent aussi, nous allions jouer au football. Franchement, j’aimais beaucoup
jouer au football […]. Les camarades du quartier qui n’avaient pas eu la chance
de partir à l’école à cause du manque de moyen des parents (les enfants des boys
et bonnes), au lieu de mettre le match un jour où il n’y a pas de cour, les samedis
et dimanches mettaient les matchs les jours où je partais à l’école. Et comme
j’aimais tellement le football, lorsqu’on me dépose à l’école je courais pour aller
jouer au football avec les amis. C’est dans ces conditions que je faisais l’école
buissonnière.

12
Le Pont Henri Konan BEDIE

35
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1.4.4- Un élève turbulent


Le récit fait par Zébès révèle qu’il a été un élève très turbulent, bavard et brouillon.

Zébès : A l’école j’étais très turbulent. Très bavard, même lorsque dans la
classe personne n’ouvrait la bouche, moi j’avais mon nom sur la liste des bavards
d’office. Toute la classe savait que « tchocotchoco13 » j’allais bavarder. Une fois,
en classe de CE2, le maître a apporté un paquet de biscuit « gaufrette ». Lorsqu’il
est entré en classe, il a dit : « Zébès, si tu n’as pas bavardé inutilement jusqu’à dix
heures, temps de recréation, je te donne ce biscuit avec une pièce de 25 francs ».
Je me suis concentré, j’ai fait un effort sur moi et je n’ai pas bavardé jusqu’à
l’heure de la récréation.

1.4.5- Des mauvais résultats à l’école primaire


Les résultats scolaires de Zébès à l’école primaire étaient mauvais.
Toutefois, le statut14 de son père au sein de l’établissement qu’il fréquentait faisait
qu’il était toujours admis en classe supérieure.

Zébès : Du CP1 au CM2 j’étais médiocre, c’était difficile d’avoir la


moyenne en classe. Je ne sais pas si c’était parce que mon père était le directeur
de l’école, mais mes maîtres s’arrangeaient pour me faire passer en classe
supérieure. Mon père récupérait mes résultats et me disait : « toi tu ne veux pas
travailler ? Tu deviendras vagabond hein ! » Lorsque l’année suivante je me suis
retrouvé en classe supérieure, je disais à mon père : « mais, je suis en classe
supérieure ».

En vérité, en fin d’année lorsqu’on faisait les classements, on citait


beaucoup de noms avant qu’on ne me cite. Au CM2, là j’étais très nul. C’est
pourquoi j’ai fait trois fois la classe de CM2. J’ai été incapable d’avoir le CEPE

Terme dans l’argot ivoirien (nushi) issu de la langue malinké qui veut dire : quel que soit alpha
13

Le père de Zébès était le directeur d’école primaire que fréquentait Zébès


14

36
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

les deux premières années […]. Après la deuxième fois, il m’a envoyé à Bingerville
où j’ai eu le CEPE et l’entrée en classe de sixième.

1.5.Quand le fiston gagne l’affection des vieux pères du quartier


Au cours des matchs de football, Zébès est repéré par des vieux pères du
quartier (Marcory). Ces vieux pères étaient en réalité des gangsters qui avaient leur
quartier général dans les environs de l’air de jeu de Zébès et ses amis. Faisant
preuve de courage, Zébès est sélectionné par ceux-ci pour effectuer certaines
courses du gang.

Zébès : Au quartier, j’étais un grand footballeur et je partageais beaucoup


avec mes amis. Mes amis et moi avions l’habitude de jouer au foot sur un terrain
et non loin de là, il y avait une maison inachevée couverte d’un toit, il y manquait
seulement les portes et les fenêtres. Il y avait des « vieux pères » du quartier qui s’y
retrouvaient pour fumer la drogue. Ils avaient besoin souvent de certaines choses
comme la nourriture et bien d’autres. Quand on jouait, ils venaient nous regarder
et j’avais une façon de crier sur mes camarades et lorsque l’un d’entre eux me
tapait je le frappais quel que soit sa forme et sa taille. C’est ainsi que les « vieux
pères » m’ont repéré.

Tu sais les enfants pour les blaguer c’est très facile ; il suffit de leur
promettre une pièce pour qu’il fasse toutes les courses que tu veux et avec
promptitude. J’étais en première année de CM2, j’avais entre 10 et 11 ans. Ils ont
commencé à m’envoyer et me donnaient de l’argent.

Ma première mission, c’était d’aller faire une commission à une fille qu’un
des gangsters courtisait. Le père de cette dernière était sévère, mais j’ai pu faire
la commission. Je suis devenu leur « fiston15 » Lorsqu’on jouait au football et qu’on
avait soif, nous ne pouvions pas partir à la maison prendre de l’eau, car les parents
refusaient qu’on sorte avec les bidons d’eau de la maison pour donner à nos amis.
Comme les « vieux pères » m’envoyaient et me donnaient de l’argent, je partais les

15
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie un enfant bien aimé, un individu moins âgé à qui l’on
porte toute confiance

37
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

voir pour qu’ils me donnent de l’argent pour acheter de l’eau pour mes amis et moi
et souvent des galettes.

J’ai commencé à m’habituer aux « vieux pères » et quand ils ne


m’appelaient pas pour m’envoyer, moi-même je les retrouvais dans leur « ghetto16 »
et je leur disais : « vieux père aujourd’hui je suis moisi17 hein ». C’est ainsi qu’ils
ont vu en moi un enfant courageux, et ils m’ont pris comme leur envoyé spécial.

Un jour, nous étions dans le « ghetto » et l’un d’entre eux a senti la présence
des policiers. Je ne sais pas si c’était par magie, mais ils m’ont remis un sachet
noir que j’ai fourré dans ma culotte. Je portais un tee-shirt qui m’arrivait juste
avant les genoux et ils m’ont dit de sortir. À la sortie, j’ai dépassé des gens au
nombre de 4 à 5 personnes qui entraient dans la maison inachevée et comme ils
n’avaient pas porté d’uniforme de policier, je n’ai pas eu peur. J’étais assis dehors
à les attendre quand les policiers sont sortis avec eux. Ne sachant rien, je partais
vers eux pour leur remettre leur colis lorsque l’un d’entre eux a commencé à me
faire signe pour m’empêcher d’aller à leur rencontre, d’autant plus que pour moi
il fallait leur retourner ce qu’ils m’avaient confié plus tôt.

Plus tard, ils sont venus chez nous à la maison pour récupérer leur paquet.
Sans que je ne le sache, le colis en question était de la drogue, c’est quelque temps
après dans leur causerie qu’ils me l’ont dit. Ils me montraient des armes et des
objets qu’ils avaient et m’expliquaient les risques quand on les possédait. Mais moi,
je n’avais pas peur, je continuais toujours de les fréquenter.

1.6.Quand l’initiation aux activités criminelles commence avec le jeton 18de


la go19 de papa
Zébès s’est initié au vol à la maison. Il a commencé à voler l’argent dans le
sac à main des amantes de son père.

16
Terme en argot ivoirien qui signifie territoire
17
Terme en argot ivoirien (nushi) qui veut dire : être sans argent
18
Terme du langage familier qui fait allusion à l’argent
19
Terme en argot ivoirien qui signifie L’amante

38
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Zébès : Dans ma deuxième année au CM2, je devais avoir entre 12 et 13 ans.


Lorsque mon père venait avec ses copines, ils s’assoyaient au salon. En ces lieux,
il y avait un petit réfrigérateur dans lequel il y avait la sucrerie et la bière, et une
bibliothèque où il y avait des livres et des bouteilles de liqueurs. Il les recevait là et
ensemble ils prenaient un pot. Très souvent au moment de rentrer en chambre avec
ces filles, elles laissaient leur sac au salon et comme je savais qu’il allait leur
remettre de l’argent après avoir fini, ou qu’il leur avait déjà donné, je prenais ce
qui était dans leur sac à main.

La chance pour moi, il leur remettait de l’argent au moment où il les


raccompagnait soit dans sa voiture ou en taxi. Elles se rendaient probablement
compte lorsqu’ils s’étaient séparés, et comme elles avaient eu assez d’argent elles
ne lui signifiaient pas la perte d’argent mais quelques rares fois, certaines le lui
faisaient savoir et il répondait : « mon fils Zébès, je sais qu’il est voyou, mais il ne
peut pas faire ça, il ne manque de rien ». Il me défendait sans que je ne le sache
puisque ce n’était pas les mêmes filles qui venaient à la maison. Il est venu un jour
avec une fille et les deux ont fait un plan pour voir si ce que les filles disaient était
fondé. Ils ont laissé le sac de la fille au salon et sont entrés dans la chambre.

Comme d’habitude je laissais la porte entre-ouverte pour les voir passer et


j’attendais dix (10) à quinze (15) minutes pour opérer. Je suis allé au salon. Ce
jour-là il y avait de l’argent dans une poche et dans une enveloppe. J’ai tiré un gros
billet dans l’enveloppe. Je connaissais les gros billets.

Après mon opération, j’ai déposé l’argent dans un coin au pied de mon lit
que j’avais fait fabriquer par le menuisier de mon père lors d’un des travaux de
mon père. Auparavant, lorsque je volais, je le mettais dans le matelas, mais le boy
dans ces nettoyages a découvert.

C’était au environ de dix-neuf(19) heures et vingt (20) heures. D’habitude


lorsque mon père finissait avec ses copines, ils ne perdaient pas le temps. Après
deux (2) à trois (3) minutes, il les raccompagnait. Comme c’était un piège, ce jour-
là après avoir fini, ils sont revenus au salon regarder un film. La fille n’a pas bien
fouillé son sac et peu de temps après qu’il l’ait raccompagnée, elle est revenue à la

39
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

maison lui dire qu’elle a perdu de l’argent. Mon père lui a dit simplement de rentrer
chez elle qu’il allait régler cette affaire. Sur le champ il n’a pas réagi. Il m’a même
proposé qu’on achète du poulet rôti et moi j’ai répondu : « papa je veux, j’aime
ça ». Il a acheté, nous l’avons mangé puis il m’a donné une bouteille de sucrerie
comme si c’était une fête. Il m’a dit que le lendemain qu’il allait me donner
beaucoup d’argent pour acheter tout ce que je voulais et je suis allé me coucher.

Aux environs d’une heure et deux heures du matin pendant que je dormais
paisiblement, il m’a réveillé et m’a dit : « Zébès vient ». Il s’est assis au salon et a
allumé la télévision. J’avais attaché mon drap et en dessous je portais un caleçon.
Il m’a demandé d’aller chercher de l’eau dans la cuisine.

Lorsque je suis entré dans la cuisine, j’ai aperçu quelque chose allumé sur le
gaz. C’était un couteau. Le temps de me retourner il était derrière moi. Il était bien
musclé et m’a poussé à l’intérieur de la cuisine. Il m’a dit : « déshabille-toi et
donne-moi le drap ! Je lui ai demandé : « Papa j’ai fait quoi ? ». Il a répliqué :
« Qu’est-ce que je ne te donne pas et tu m’humilies ! Les pauvres filles qui viennent
ici, c’est leur argent que tu voles ». J’ai dit : « Papa ce n’est pas moi ! Papa, ce
n’est pas moi ! ». Il a dit : « tu dis quoi, nous sommes combien dans la maison ?
Habituellement le boy est présent, aujourd’hui nous étions deux dans la maison.
Personne n’est entré ici, jusqu’à ce que j’accompagne la dame ». Et j’ai avoué :
« papa c’est moi, papa c’est moi qui ai pris ». Et il reprit : « donc habituellement
c’est toi qui prends ».

J’ai cru qu’il allait me pardonner, il a pris le couteau qui était devenu rouge
et l’a tapoté sur tout mon corps. Dans la nuit toutes les parties de mon corps qui
ont été touchées par le couteau se sont enflées avec un liquide à l’intérieur. Le
lendemain, j’ai été hospitalisé à la clinique l’Harmattan et j’y ai passé 2 jours et
j’ai fait une semaine sans aller à l’école.

40
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1.7.De la maison au marché : la mise en pratique des compétences de voleur


Après la sévère punition qui lui a été infligée par son père, Zébès craignant
de nouveau une réprimande, commence à voler en dehors du cadre familiale.

Zébès : La première fois où j’ai volé dehors c’était au marché. C’était juste
après que mon père m’ait sévèrement puni avec le couteau chaud. C’était toujours
dans ma deuxième année de CM2. Je ne pouvais plus voler à la maison car il y
avait un « danger ». L’un de mes petits camarades avait sa mère qui vendait du
poisson fumé et de l’attiéké au marché de Marcory. Nous avions mûri l’idée depuis
un bon moment, mais comme dans mes « racketage20 » les « vieux pères » me
donnaient de l’argent, nous n’avions pas mis en exécution. Il m’avait raconté dans
les moindres détails où sa mère mettait l’argent de son commerce. Il avait dit que
le fric se trouvait sous la couverture de la table. Sous le premier sachet, il y avait
les jetons et sous le deuxième les billets. Sa mère me prenait comme son fils.

Nous sommes allés à son commerce et elle nous a servi du poisson, mais son
attiéké était fini. Comme nous avions faim elle est allée en chercher chez une autre
commerçante juste à côté et au même moment mon ami était allé chercher de l’eau.
J’ai donc profité de leur absence pour mettre ma main sous le deuxième sachet et
j’ai pris tout ce que ma main avait touché et j’ai fourré dans mon caleçon.

Quand elle est revenue, une dame est venue acheter du poisson pour une
somme de 2000 francs et lui a tendu un billet de 5000 francs. Lorsqu’elle a voulu
faire la monnaie à sa grande surprise, il n’y avait rien. Elle s’est mise à chercher
partout mais ne l’a pas exprimé. Nous lui avons demandé : « mais maman tu
cherches quoi ? ». Elle nous a répondu : « rien ». Mon ami ne savait pas que j’avais
opéré et moi je voulais le « maloniser21 ». Je lui ai demandé d’aller manger ailleurs
mais il ne voulait pas et il m’a dit : « on n’a pas pris encore l’argent, attendons
d’abord ».

Sa mère qui ne trouvait pas son argent est allée chercher de la monnaie chez
les femmes d’à côté pour le remettre à la cliente. À son retour elle a cherché encore

Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie demandé de l’argent


20
21
Terme en argot ivoirien (nushi) qui veut dire : doublé, cacher une vérité

41
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

dans tous les coins mais n’a pas osé nous fouiller parce qu’elle ne pouvait pas
s’imaginer que des enfants pouvaient poser un tel acte. Quand nous avons fini de
manger, sur la route mon ami m’a dit : « je sais que c’est toi qui a pris l’argent que
ma maman cherche là ! Pourquoi tu me mens ? » Et je lui ai répondu : « non je ne
te mentais pas, c’est moi qui ait pris, si je te disais, tu allais me dire de déposer,
c’est parce que j’ai pris tout que je ne voulais pas te le dire sur le champ, tu allais
me dire de remettre, alors qu’en rendant, elle allait nous attraper ».

Nous nous sommes éloignés et nous avons compté l’argent. Il y avait des
billets de 500 francs, 1000 francs, je pense que l’argent pouvait atteindre 7000
francs. Le soir à la maison, la mère de mon ami lui a demandé : « ton ami là, je
pense que c’est lui qui a pris l’argent » et mon ami lui a répondu : « la vieille, son
papa a l’argent, il lui donne tout, il ne peut pas faire ça ! ».

2. Une adolescence controversée (13 -18 ans)


2.1. La rupture des liens avec ses amis de la classe de CM2
Après l’obtention de l’entrée en sixième, Zébès est contraint de se séparer de
ses amis de la classe de CM2, avec qui ils ont été affectés dans le même
établissement à Yopougon. Cette séparation fut particulièrement douloureuse pour
Zébès qui rentre en conflit avec son père.

Zébès : Ma troisième fois de CM2 à Bingerville était très intéressante.


J’avais beaucoup d’amis et nous avons fait quatre-vingt-dix-neuf pour cent de
succès à l’entrée en sixième. Notre maître était très rigoureux et là-bas j’étais à
l’internat. Nous avons tous été affectés à Yopougon.

C’était loin et pour mon père le bus allait me fatiguer, parce qu’il travaillait
au Plateau et il ne pouvait pas me déposer à chaque fois à l’école vu la distance
entre Marcory et Yopougon. Entre-temps, mon grand frère avait été affecté au
CEG de Port-Bouët et dans le même moment, avait obtenu son concours d’entrée
à l’EMPT. Il est entré à l’EMPT et comme nous avions le même nom, mon père
sans ma permission a fait mon transfert de Yopougon à Port-Bouët. Du coup,

42
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

j’avais perdu tous mes amis de classe de CM2 de Bingerville. Or, je voulais à tout
prix rester avec mes amis à Yopougon avec mes amis et mon père s’y est opposé.
C’est ainsi que mon père et moi avons commencé notre palabre.

2.2. Des problèmes avec l’administration et les professeurs du CEG de Port


Bouët
Au collège, selon les dire de Zébès, il rencontre des problèmes avec
l’administration et les professeurs suite à son comportement belliqueux.

Zébès : Avant, les directeurs mettaient clandestinement des élèves qui


n’étaient pas orientés ou avaient été renvoyés dans certaines classes. C’était la
plupart du temps les protégés des directeurs ou des professeurs. Et lorsque la
grande Direction22 des collèges venait faire les contrôles, le professeur ou les
éducateurs venaient leur dire de sortir.

Au cours des contrôles, le contrôleur citait les noms des élèves affectés par
l’État. Et moi qui ne savais rien de tout ça, j’ai signalé l’absence de mon voisin. À
partir de ce moment, j’ai commencé à avoir des problèmes avec l’administration.

En classe de sixième, sans que je ne le sache, mon professeur d’anglais du


nom de Fatou sortait avec mon père. Nous avions commencé l’école dans le mois
d’octobre et un samedi midi du mois de novembre, je suis rentré à la maison et j’ai
aperçu une personne à la cuisine. Comme il n’y avait pas de femme à la maison,
j’avais pensé au boy et je suis rentré dans ma chambre car il n’était pas encore
l’heure pour aller jouer dans le quartier avec mes amis.

Lorsque mon père est arrivé, il m’a appelé pour que je vienne à table prendre
le repas. En sortant de ma chambre, j’ai entendu mon professeur dire à mon père
qu’il y avait un élève de ce nom où elle enseignait qui était très voyou et qui causait
beaucoup de problèmes aux professeurs et à l’administration, mais qu’il ne
s’agissait pas de moi. Mon père lui a ensuite dit que je fréquentais le CEG et que
c’était moi. Il lui a dit tout mon nom et lui a précisé que j’étais le seul qui portait

La direction régionale de l’éducation nationale


22

43
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

ce nom. J’étais dans le couloir quand j’ai entendu toute leur causerie. Je venais à
la salle à manger car mon père obligeait tout le monde à manger ensemble à table.
Elle a continué à dire que : « cet enfant nous fout la merde à l’école ». Elle parlait
mal de moi et étant dans le couloir « mon cœur était chaud 23 ». Arrivé à la table à
manger, je ne l’ai pas salué et mon père m’a demandé pourquoi je ne l’ai pas salué.
Je lui ai répondu : « mais si je fous le désordre à l’école ce n’est pas chez moi que
je ne vais pas l’exercer». Et mon père m’a conseillé de ne pas parler ainsi. Il m’a
calmé et j’ai repliqué ensuite que j’avais compris tout ce qu’elle avait dit et j’ai
ajouté : « toi tu viens manger la nourriture de mon père et c’est toi qui parles mal
comme ça ! Papa je ne mange pas tant qu’elle est là ». Je me suis levé et je suis
allé dans ma chambre. Sincèrement, au collège si je n’avais rien eu c’était des
points en moins sur ma conduite.

2.3. Le refus de participer au cours d’anglais


Suite à l’altercation entre Zébès et son professeur d’anglais, il refuse de
participer aux cours d’anglais dispensés par cette dernière.

Zébès : Après avoir quitté la table mon père est venu me trouver en chambre
pour me raisonner. Je lui ai dit : « à partir d’aujourd’hui si c’est elle qui prend ma
classe, je ne fais plus son cours ». Effectivement, je n’ai plus fait le cours de cette
dame. Mais en reconnaissance à mon père, elle me donnait toujours 11 de moyenne
dans sa matière, bien que je n’assistais plus à ces cours d’anglais. Elle a tout fait
pour me ramener à la raison et a même pris l’année suivante la classe où j’étais.
Ce qui a fait que j’étais très nul en anglais.

En classe de quatrième où elle n’était plus mon professeur d’anglais, j’étais


plus que nul en anglais. Même les cours d’anglais de la classe de sixième m’étaient
étrangers. J’étais livré à moi-même. C’était un homme qui nous prenait et comme
j’étais nul, à chaque fois il cherchait à m’humilier devant toute la classe. Or j’avais
des petites copines dans la classe. Et, pour ne pas avoir honte devant mes petites

23
Expression en argot ivoirien (nushi) qui veut dire : être en colère

44
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

camarades, je ne participais plus à ses cours. A force de ne plus suivre les cours
d’anglais, mon niveau était bas dans l’ensemble. En mathématique et en science
physique j’avais de bonnes moyennes environ quinze (15) sur vingt (20). Ces
matières étaient mes matières de base.

2.4. Un élève avec un capital guerrier


Au collège, Zébié était un bagarreur. Il ne reculait pas devant les élèves
quel que soit leur âge et leur niveau d’étude.

Zébès : Au collège je me bagarrais beaucoup. Souvent je défiais les élèves


de la classe de quatrième et de la troisième, qu’ils ne pouvaient pas me frapper.
Les élèves avaient peur de se battre avec moi parce que si tu me frappais le premier
jour, toutes les fois où nous allions nous croiser, nous allions nous battre jusqu’à
ce que je puisse un jour battre la personne. Ce qui faisait qu’on m’évitait.

2.5. La rechute dans les vols à la maison


Après avoir fait oublier son père de ses vols, Zébès a repris.

Zébès : Après que mon père m’ait brûlé la première fois, je me suis fait
oublier à la maison pendant un bon moment. Mais en classe de cinquième, j’ai
refait surface.

Je sortais de ma chambre et mon père et ses sœurs parlaient d’une affaire


d’héritage de leur père défunt. Mon père avait deux sœurs, une vivait dans la
maison de mon père à Cocody et l’autre, l’ainée à Port-Bouët avec son mari, mon
père était le seul garçon après le décès de leur frère. L’ainée ne m’aimait pas du
tout parce que j’avais séjourné chez elle pendant un temps où j’avais voulu une nuit
coucher avec sa fille.

Ce jour-là, j’avais cru entendre une histoire de vente de forêt et d’argent.


Je ne savais pas si le pognon était là où pas mais j’avais mis un plan en tête. Après
avoir discuté un peu au salon, ils se sont levés et sont allés manger à la pâtisserie

45
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

de mon père qui était juste à côté. Les sœurs de mon père ont laissé leurs sacs au
salon. Elles ne savaient pas que j’étais dans ma chambre. Il y avait une enveloppe
dans le sac d’une d’entre elles et je l’ai prise pour la cacher dans mon petit coin de
la maison.

C’était un dimanche et le boy n’était pas là car c’était son jour de repos. A
leur retour, ils ont discuté un peu et au moment de partir, ils se sont rendu compte
que l’enveloppe avait disparu. Ils ont cherché partout, ils sont repartis à la
pâtisserie et revenus bredouilles. Je ne savais pas s’il y avait de l’argent ou pas.
Peu de temps après mon père s’est rappelé que je dormais. Sa sœur aînée lui a
rappelé : « mais, toi tu penses que ton fils dort, va le réveiller ! Va le fouiller ! Entre
nous trois si quelqu’un n’a pas pris qui l’a fait alors ? S’il dort, toi-même tu le
connais ! ». J’ai fait comme si je dormais, j’ai laissé couler ma salive sur mon
visage comme si j’étais plongé dans une léthargie. Mon père m’a réveillé et je suis
allé au salon. J’ai salué ses sœurs et l’aînée ne m’a pas répondu. Mon père m’a
dit : « Zébié, ce que je t’ai fait la dernière fois ne t’a pas suffi ». J’ai répondu :
« papa tu m’as fait quoi » il a repris : « il y a une enveloppe qui a disparu, où est
l’enveloppe ? ». Je lui ai dit : « je viens de me réveiller, je ne sais pas ». À même
temps sa sœur aînée qui a repris : « toi Zébès tu ne peux pas changer un jour ! ».
Mon père lui a répondu : « pardon, tu n’as pas de preuve, il ne faut pas accuser
mon fils ». J’ai ensuite dit: « papa tu as vu, quand j’étais chez elle et je t’ai dit
qu’elle n’est pas bonne là ! Tu as vu non ! ».

Après ces échanges, l’autre sœur m’a pris et m’a emmené dans la cuisine
pour me questionner. Elle m’a demandé : « Zébès, l’enveloppe que tu as prise là,
ce sont des papiers qui s’y trouvent, ce n’est pas de l’argent ». Je lui ai répondu :
« tantie c’est moi qui aie pris, si mon papa sait, il va me tuer, donc fait comme si tu
allais avec moi dans la chambre pour causer et je vais te remettre ». Nous sommes
allés dans ma chambre et je le lui ai remis. De retour au salon, elle leur a fait savoir
que ce n’était pas moi qui avais pris.

L’ainée lui a répondu : « tu es partie avec lui dans la cuisine, vous êtes
repartis dans sa chambre. Donc tu veux dire que où tu es arrêtée là, Zébès ne t’a

46
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

pas remis quelque chose ! Je sais que tu lui as signifié que ce n’était pas de l’argent.
Il sait que l’enveloppe était fermée, si elle était ouverte, s’il n’avait pas vu de
l’argent, il allait laisser, mais comme c’est fermé c’est pourquoi il a prise. Donc de
te fouiller alors ? ».

Elle lui a rétorqué : « ce n’est pas la peine de me fouiller, je me suis rendu


compte que c’était dans mon sac ».

Mon père lui a dit : « tout à l’heure, nous nous sommes bien fouillés, alors que ce
sont des papiers ».

L’ainée : « toi ton fils, c’est bien que tu ne l’envoies pas au village, ce qu’il
m’a montré chez moi pendant une semaine seulement là ! C’est mon fils aussi […]
il sait ce qu’il a fait ». Dans la nuit encore mon père m’a réveillé, et m’a enjoint
comme la première fois d’aller chercher quelque chose dans la cuisine. Je lui ai
répondu que je ne partais pas. Il m’a sommé : « tu es sûre que tu ne vas pas ? ». Je
cherchais une issue de sortie, mais toutes les portes étaient closes. Il m’a
« sagba »24comme un petit mouton et m’a emmené dans la cuisine. Il m’a brûlé
comme la première fois sans trop exagérer. J’ai fait deux semaines sans aller à
l’école, parce que je frimais trop à l’école, j’étais en cinquième.

2.6. Des fugues qui inquiètent le père.


Zébès fuguait très souvent afin d’inquiéter son père.

Zébès : Après mes nombreuses gaffes à la maison, il arrivait souvent que je


fuyais la maison pour ne pas avoir affaire avec mon père ou de l’inquiéter. Lorsque
mon père m’a brûlé la deuxième fois et qu’il m’a dit qu’il n’allait plus me toucher,
j’ai fui de la maison. Après deux (2) à trois (3) jours il me cherchait car il ne
supportait pas mon absence.

Dehors, je dormais chez mes amis. Quand je partais chez eux, le soir venu, je
faisais semblant d’avoir sommeil et lorsque le père de mon ami me demandait de

24
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie attraper, saisir

47
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

rentrer, mon ami disait de me laisser dormir et que mon père savait que j’étais chez
eux et le lendemain sa mère allait m’accompagner. Le lendemain venu, je quittais
très tôt leur maison pour le domicile d’un autre ami ou je faisais la même scène. Je
ne restais pas chez un même ami durant deux (2) jours. Quand je dormais dans la
rue, j’étais content de passer la nuit à la belle étoile avec mes amis.

2.7. L’expérience de la rue


En tant que chef de groupe Zébès commence à passer des nuits à dormir au
marché pour tenir compagnie à ses amis.

Zébès : Mon père ne m’a jamais jeté à la rue, c’est moi qui fuyais et dormais
chez mes amis. Toutes les fois où j’ai dormi dehors c’était de mon bon vouloir, et à
cause de mes amis. Mon père n’était pas informé de cela. Très tôt le matin, je
rentrais à la maison comme si de rien n’était.

2.8. Exclusion du CEG de Port-Bouët


Eu égard à ses mauvais résultats scolaires, Zébès est renvoyé du collège de
Port-Bouet.

Zébès : En classe de quatrième, j’ai perdu ma bourse et j’ai été renvoyé de


l’école. J’ai fait croire à mon père que je passais en classe de troisième. Je suis allé
en vacances chez le frère de ma mère à Koumassi. Ma mère n’y était pas en
permanence, elle venait là de temps en temps.

En fin des vacances, mon père a reçu mon bulletin de fin d’année et a
constaté que j’étais renvoyé. Il m’a indiqué que si je lui avais dit plutôt il aurait vu
ses collègues et amis pour me maintenir au CEG. Mais que ce n’était pas grave
qu’il allait contacter sa copine professeur pour plaider mon cas auprès du
directeur. Je lui ai répondu que je ne savais pas et qu’au calcul des moyennes je
passais en classe supérieure. Et comme j’ai été renvoyé je ne voulais plus aller dans
ce collège.

48
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

2.9. Un goût pour le risque


Pour se faire plaisir Zébès prend un risque énorme en se mettant en danger
ainsi que son frère.

Zébès : Un jour j’ai mis mon grand frère en danger. J’avais entre seize (16)
et dix-sept (17) et j’étais en classe de quatrième je pense. Dans le temps les enfants
avaient des difficultés pour accéder au stade Félix Houphouët Boigny.

Lorsque mon frère venait en congé, il passait déposer ses affaires à la


maison et partait chez une des Maîtresses de mon père à Koumassi qui l’aimait
bien. Comme j’étais voyou, elle préférait mon grand frère qui était très calme car
il n’avait nulle part où aller. Il ne connaissait pas ses parents maternels. Chaque
fois qu’il venait en congé et qu’il avait le temps, je prenais un stylo et une feuille
pour lui demander certaines informations sur les militaires. Pour lui je
m’informais, or j’avais mon plan en tête. Je lui demandais : « grand frère quand tu
as une épaulette où il y a un trait c’est quoi ? Et quand tu as un « V » ça veut dire
quoi ? Qui est supérieure et qui ne l’est pas ? Comment on fait la salutation chez
les militaires ? ». Avant de partir chez la maîtresse de notre père il rangeait sa
tenue dans sa chambre. Et moi, à son insu je prenais sa tenue d’école militaire pour
aller regarder les matchs au stade. Son épaulette était blanche et il m’avait montré
la salutation militaire.

Lorsque je devais sortir avec sa tenue, je la mettais dans un sachet, et je


mettais sous ma chemise comme si j’étais trop rassasié. Je déposais dans un endroit
sûr et je revenais prendre les chaussures qui allaient avec la tenue et je disais au
boy que mon frère m’avait envoyé cirer ses chaussures. Je m’habillais dehors et
j’empruntais le bus. Une fois un gendarme m’a félicité et m’a même donné une
somme de 1000 francs tellement que j’étais bien habillé et a exprimé : « c’est bien
mon petit, il faut bien travailler à l’école, demain tu seras notre supérieur ».

J’ai utilisé la tenue trois fois et c’est la troisième que j’ai été pris. Mon frère
et moi nous nous ressemblions sauf que lui est de teint noir et moi clair. J’étais
assis en train de regarder le match et il y avait un ami de mon père qui m’avait vu.
Ce jour-là l’Asec avait gagné l’Africa. Mon père supportait l’Asec, mon frère et

49
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

moi supportions l’Africa. Comme il aimait les petits débats, il a son ami qui est
venu lui rendre visite. Le monsieur assis en train de causer avec mon père me fixait.
Ce jour-là mon frère était présent car il devait repartir le lendemain à l’école. J’ai
dit à mon frère : « mais pourquoi le tonton là me regarde comme ça ! », et le
monsieur qui ne suivait pas trop la causerie de mon père lui a demandé : « excuse-
moi, mais tes deux enfants sont tous à l’EMPT ? Moi je croyais que c’était le noir
là seulement ». Mon père lui a répondu que c’était mon grand frère. Le monsieur
répète : « j’ai vu un enfant qui ressemble à celui qui a le teint clair ». Sur le coup
j’ai répondu : « non hein ! Ce n’est pas moi tu m’as vu où ? Tu veux que mon papa
me frappe ». Si j’étais resté tranquille le monsieur allait penser qu’il avait vu
quelqu’un d’autre. Et mon père qui me demande : « tu as quel problème », le
monsieur qui réplique : « c’est que c’est lui que j’ai vu ». Mon père a demandé à
mon frère d’aller vérifier sa tenue. Comme il avait peur de moi, dès qu’il a vu sa
tenue à la place où il avait laissée, il a confirmé à mon père que c’était là. Mais
mon papa lui a demandé de venir avec la tenue et de sentir. Quand il a senti, il a
soupçonné que quelqu’un l’avait portée. J’ai nié les faits et après insistance de mon
père j’ai avoué et il m’a demandé de ne plus recommencer car je risquais de faire
renvoyer mon grand frère de l’école militaire. Je n’avais pas peur et je faisais plein
de faux coup comme ça.

2.10. Le rêve de footballeur professionnel brisé


Le seul domaine où Zébès était fort était le football. Et, Sa seule ambition,
était celui d’être un footballeur professionnel.

Zébès : Après mon renvoi, du CEG de Port-Bouet, mon père m’a inscrit au
collège Pascal qui se trouvait entre Marcory et Koumassi. J’y ai repris la classe de
quatrième. C’est dans cette école que j’ai rencontré Obou Arsène qui est devenu un
grand footballeur quelques années après. Il était dans l’équipe cadette de l’Africa
sport national et l’équipe l’avait inscrit dans cette école. J’aimais jouer au football
et je rencontrais très souvent Obou Arsène dans les comités et les tournois de

50
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

football. C’est ainsi qu’il m’a envoyé à l’Africa sport national dans l’équipe des
cadets.

2.11. Des exclusions répétées dans des écoles privées


Afin d’obtenir le BEPC, le père de Zébès l’a inscrit dans plusieurs collèges
privés. Mais, par son attitude récalcitrante il est renvoyé de ces établissements.

Zébès :Une fois j’allais à l’entraînement et un professeur m’a énervé j’ai


« gâté là-bas25 ». L’année scolaire n’était pas finie et j’ai été renvoyé de l’école.

L’année qui a suivi, mon père m’a inscrit au collège Nobel à Marcory. Dans
cette école j’ai été inscrit en classe de troisième. J’ai échoué au BEPC et bien qu’on
payait mes cours, le collège a refusé de me prendre l’année suivant tellement j’étais
voyou. J’ai été reçu plus tard au collège Voltaire, là encore j’ai échoué et j’ai été
renvoyé.

3. De l’école à l’expérience dans un gang


3.1. Echec scolaire et abandon de la formation professionnelle
Zébès : Mon père voulait que j’obtienne coûte que coûte le BEPC, mais après
mes échecs je lui ai demandé de m’inscrire dans un centre de formation pour faire
l’électricité. Il s’est renseigné et a trouvé un centre de formation à Singrobo. Au
sein de ce centre il y avait plusieurs filières et moi je devais choisir.

Personnellement, je voulais faire de l’électricité ou la mécanique car je


n’aimais pas les travaux agricoles. Par contre mon père voulait que je fasse la
filière agricole parce qu’il voulait à la fin de ma formation créer une structure pour
moi. Mais je me suis trompé, car pour moi l’agriculture signifiait champ et village
or quand je faisais mes gaffes, mon père me menaçait de me renvoyer au village. Il

25
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie semer la zizanie

51
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

disait au lieu de rester à Abidjan à ne rien faire et devenir un bandit, c’était mieux
de m’envoyer au village « attraper la machette »26.

La peur de se retrouver au village de ne pas voir les opportunités dans le


domaine de l’agriculture l’envoie à fuir l’établissement pour se retrouver chez son
oncle à Abobo.

Zébès : Le fait qu’il m’ait dit de faire une formation en agriculture ne m’a
pas inspiré confiance. Il m’a remis de l’argent pour acheter tout ce que je voulais
et est allé me déposer au centre de formation à Singrobo. Dès qu’il s’est retourné
je suis allé à la gare routière. J’ai emprunté un véhicule et je me suis retourné à
Abobo chez mon oncle maternel. Il venait de déménager de Koumassi à Abobo,
parce qu’il avait perdu son emploi et ne pouvait plus faire face aux charges à
Koumassi où il résidait avec sa famille. Je suis resté chez lui pendant toute l’année
où j’étais censé suivre la formation à Singrobo. Pour mon père j’étais en formation.
Il n’est pas parti prendre de mes nouvelles ni de mes résultats.

En fin d’année, il s’est rendu au centre de formation pour me chercher, et a


sa grande surprise les professeurs lui ont dit : qu’il y avait ce nom inscrit, mais
qu’ils ne m’ont jamais vu.

3.2. La bonne impression faite au club d’amis


Les qualités de bon joueur lors d’un match de football, impressionnent les
membres du club d’amis du Mavou qui tombe sous le charme de Zébès. Ainsi ils
mettent des stratégies pour l’inclure dans leur équipe de football.

Zébès : Après ma fuite du centre de formation, je me suis retrouvé à Abobo


chez mon oncle qui était dans le temps à Koumassi. Il avait un fils du nom de Claude

26
Figure de style qui veut dire aller au champ

52
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

qui était très voyou. Quand je partais chez eux à Koumassi je me plaignais très
souvent de lui qu’il était très bandit. Il a commencé les « sciences »27 avant moi.

Dans mes débuts à Abobo, je fréquentais les jeunes du bas28. Il y avait un tournoi
de football qui était organisé dans le quartier et nous avons constitué une équipe
de football du nom « les 11 frères de Gagnoa ». Au cours du tournoi, nous avons
rencontré l’équipe du « Mavou » (gang). J’étais remplaçant au début de match
étant nouveau dans le groupe. Nous étions menés 3 buts à 0.

Lorsque je suis rentré en milieu de match, j’ai tout fait et nous avons retiré
2 buts. L’autre équipe avait du mal à m’arrêter, j’ai fatigué leur défense. Entre-
temps, mon cousin Claude avec qui je vivais en bas avec ses parents passait la
majeure partie de son temps en Haut (Mavou). Pendant le match, lorsque
j’impressionnais les supporters et les membres de l’équipe du Mavou, mon cousin
Claude se vantait que j’étais son grand frère. Il leur a raconté que lorsqu’il faisait
ses gaffes, c’était mon père qui venait le libérer. Après le match ils ont commencé
à me faire la cour afin que j’intègre leur équipe. J’ai commencé à les fréquenter.
Tellement qu’il a parlé de moi et pour me maintenir dans leur staff, ils ont trouvé
une copine pour moi.

3.3. Le courage et l’autorité manifestés par Zébès devant les membres du


groupe
Au cours d’une bagarre entre le cousin de Zébès et une amie du quartier,
Zébès impose son autorité à celui-ci, considéré comme un bandit de grand chemin.

Zébès : Mon petit frère (cousin) Claude depuis l’âge de 6 à 7 ans fréquentait
les gangsters à Koumassi. Il gardait leurs armes, lorsque la police était à leur
poursuite. Après m’avoir présenté à ses amis lors du match où je les ai
impressionnés, je ne marchais pas trop avec eux, parce que je ne les connaissais
pas.

27
Terme en argot ivoirien (nushi) qui désigne l’activité criminelle
28
Une indication pour désigner les environ du camp commando d’Abobo.

53
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Un jour de retour de Marcory dans mes « djaboudjabou »29, je suis tombé


sur une bagarre. C’était mon cousin et la fille qui avait trouvé une copine pour moi.
D’après les explications, mon cousin est arrivé au petit commerce de la fille et il
voulait des oranges. Elle lui a dit qu’il n’y avait pas de monnaie. Il lui a
répondu qu’elle ne savait pas combien d’oranges il allait acheter et elle lui parle
comme s’il y avait une histoire entre eux. Elle lui a répliqué : « je ne suis pas la
seule vendeuse d’orange dans le coin ». A son tour il a répondu : « moi on ne me
parle pas comme ça ». Au même moment où elle a soulevé son couteau il a répondu :
« si on ne te parle pas comme ça, tu vas me faire quoi ».

Mon petit frère était un individu qui ne tardait pas à piquer avec un couteau,
c’était sa spécialité. Il avait tout le temps son canif sur lui et à cause de cela, tout
le monde avait peur de lui au quartier personne n’osait l’affronter. Lorsque la fille
a brandi son couteau, il lui a déclaré : « quand je prends un couteau ce n’est pas
pour faire peur mais pour l’utiliser, si tu veux, dépose le couteau, moi je vais
prendre et te piquer ». Quand elle a déposé le couteau, il a pris et l’a piqué son
côté. Il y avait du monde et les frères de la fille étaient présents. Comme c’était leur
ami et qu’ils avaient peur de lui, ils ne lui ont pas fait d’histoire. Ils ont dit que
c’était leur sœur qui avait tort. Mais il y avait un autre jeune qui voulait se battre
avec mon petit frère et c’est à ce moment que je suis arrivé. J’ai demandé à mon
cousin ce qui se passait. Lorsqu’il a fini de me raconter et que j’ai compris qu’il
avait exagéré, je l’ai giflé et frappé. Je lui ai demandé de se mettre en genou devant
tout le monde pendant qu’il avait les deux couteaux en main, ce qu’il a fait. Je lui
ai demandé encore de déposer le couteau de la fille et de mettre son couteau en
poche. Il saignait et n’a pas réagi. A ce moment, j’ai épaté tout le monde. Celui qui
traumatisait tout le quartier, et un homme aux mains nues, est arrivé à le calmer.
Je lui ai demandé de rentrer à la maison et de ne plus mettre son pied dans le
secteur de Mavou jusqu’à nouvel ordre. Ce qu’il a respecté pendant 6 mois, et sur
demande des jeunes du quartier Mavou ; je lui ai dit de revenir dans la zone. Selon
ces jeunes, il défendait le quartier lorsqu’il était présent. C’était à partir de cette

Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie la recherche d’argent


29

54
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

histoire que tout le quartier m’a respecté, et la majorité des jeunes m’écoutait et
me suivait.

3.4. La charité comme moyen de construction du leadership personnel


Le récit de vie de Zébié, nous a montré que sa charité a été l’un des facteurs
qui lui a permis d’être un leader dès son enfance et d’intégrer le gang.

Zébès : quand je partais jouer avec mes amis, je partageais ce que j’avais.
Ce qui faisait que mon argent finissait vite, parce que je partageais beaucoup, je
suis devenu le chef de groupe. Quand on avait soif, j’achetais de l’eau et même les
galettes quand on avait faim. Le jour où je n’avais pas d’argent pour acheter des
choses pour le groupe, je partais voir les « vieux pères » pour leur demander de
l’argent […].

Ce qui m’a motivé à intégrer le groupe, c’était la volonté d’aider. Je n’avais


pas les moyens, mais je voulais trouver les moyens pour aider les membres du
groupe. Toute mon enfance, j’ai été très à l’aise. Je ne manquais de rien, mais dès
que je voyais mes amis souffrir parce que les parents n’avaient rien ou ceux-ci n’en
possédaient pas ou encore ne leur venaient pas en aide, ça m’irritait. Je prends
donc le risque d’aller voler pour partager avec eux. Lorsque certains n’ont pas de
portable, je leur offre mon portable et je vais voler après dans le bus pour avoir un
autre.

3.5. L’activité de pickpocket comme gagne-pain


Pour avoir de l’argent en permanence, Zébès appliquait sa compétence en
matière de vol dans les transports en communs.

Zébès : Depuis mon arrivée à Abobo, pour avoir de l’argent je volais dans
les bus de la SOTRA et dans les gares routières et les gares de gbaka30. Dans mes
débuts je jouais dans le club espoir de Koumassi. Mais ce que je gagnais ne me

30
Véhicule de transport en commun comprenant plus 8 places qui assure la liaison intercommunale
dans la ville d’Abidjan

55
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

suffisait pas. Je gagnais 60.000 francs et souvent j’inventais des histoires pour que
le responsable me donne de l’argent, comme j’étais le meilleur joueur.

C’est lorsque j’empruntais le bus pour aller à l’entraînement que j’ai


commencé à voler dans le bus. Je volais les téléphones portables et l’argent.
Actuellement c’est ce que je fais pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma petite
famille.

Nous sommes organisés en groupe de deux ou trois personnes. Lorsque le


véhicule gare, on crée un cafouillage et lorsque les gens luttent pour monter, nous
opérons. Lorsque l’un d’entre nous réussit à prendre quelque chose il remet à son
compagnon qui lui descend pour ne pas être repéré. Celui qui a opéré continue
avec le véhicule, descend au prochain arrêt et va au point de rendez-vous fixé. J’ai
été plusieurs fois attrapé et je suis même très connu par les agents de la SOTRA
surtout à la gare nord. Mais c’est ce que je peux faire, quand je suis pris, je me fais
oublier un peu et je laisse mes petits sur le terrain. Après quelques semaines, je
reviens et j’opère.

56
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

II. FACTEURS A L’ORIGINE DU BASCULEMENT DE


ZEBES DANS LES ACTIVITES CRIMINELLES

Cette seconde partie met en lumière les facteurs qui sont à la base de
l’intégration de Zébès dans le milieu de la violence. Nous parlerons de la situation
familiale, de l’éducation, le contrôle parental et des habitudes au cours de la vie de
Zébès.

1- La famille monoparentale
Zébès a grandi dans une famille mono parentale. Les seules personnes
présentes étaient le major d’home et la cuisinière. Zébès et son frère au cours de
leur éducation n’ont connu que des successions de femmes.

Zébès : […] Mon père avait l’habitude d’envoyer des femmes à la maison.
Le matin pour le petit-déjeuner, il y avait une femme, à midi pour faire la sieste une
autre femme était présente, le soir pour dormir il envoyait encore une autre. Ce
n’était pas les mêmes femmes qui défilaient à la maison.

2. L’absence de l’autorité parentale dans l’éducation de Zébès


Zébès a eu une enfance gâtée, choyée. Son père lui donnait tout ce qu’il
voulait. Mais il n’a pas suivi l’éducation de son fils comme nous l’a signifié Zébès
au cours des entretiens. Il nous a fait savoir que s’il est devenu ce qu’il est
aujourd’hui c’est la faute de son père. : « Si je suis ce que je suis aujourd’hui c’est
la faute de mon père […] ». Tout petit son père le laissait faire ce qu’il voulait.

Zébès : Mon père ne s’invitait jamais dans nos chambres pour voir si j’y
étais ou si c’était propre. Quand il passait et que la porte était entre-ouverte il
disait que la chambre sentait et demandait au boy de la nettoyer le lendemain. Il ne
nous contrôlait pas et n’aimait pas nous embrouiller. Ce qui m’a permis de dormir
dehors à son insu.

57
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Le défaut qu’il avait aussi c’était qu’il ne demandait jamais les quittances
des achats même quand il nous envoyait pour acheter des choses pour lui. Il nous
apprenait à être des responsables et à nous débrouiller seuls. C’est mon grand frère
qui a tout compris et aujourd’hui il est lieutenant-colonel. Si mon père suivait un
peu mon éducation comme j’étais brouillon et turbulent contrairement à mon frère,
j’allais mieux me comporter.

Le récit de Zèbès, fait savoir qu’à part les privations de goûter, de certaines
friandises et les refus de partir au cinéma, il n’a pas connu de punitions rigide pour
lui faire savoir qu’il avait commis une faute et qu’il ne devait plus le refaire. Certes
les corrections avec le couteau chaud étaient sévères, mais il n’y a pas eu de suivi
pour contrôler ses forfaits.

Zébès : Pour mon père, la correction n’était pas la chicote. Sincèrement à


la maison, mon frère et moi étions gâtés par notre père. Il y avait un réfrigérateur
à la maison où on avait tout ce qu’on voulait. Lorsque mon père n’était pas content
de moi ou qu’il me disait de faire quelque chose que je ne voulais pas, il me
punissait à sa manière, par exemple : « reste dans ta chambre, tu n’iras pas au
cinéma ! Tu ne prendras pas ton chocolat ! Tu ne prendras pas ton goûté ! Tu ne
prendras pas ton yaourt ! ». Souvent lorsque je faisais des gaffes à la veille d’une
fête, il me disait : « tu n’auras pas de cadeau ! ». Ainsi il achète soit un vélo pour
mon frère et confisque ou cache ce qu’il a acheté pour moi pendant quelques
heures. Mais je savais toujours qu’il allait me donner, donc cela ne me faisait pas
peur. Je me souviens que pour me faire mal, il faisait préparer un plat que je
n’aimais pas et mon plat préféré le riz gras au poulet. Au moment de manger il me
disait que je n’avais pas droit à mon plat préféré. C’était ce genre de punition.
Sinon il ne corrigeait personne en tant que tel.

Aussi, Zébès n’a pas eu de correction lorsqu’il volait dehors. Son père le
libérait à chaque fois qu’il était pris.

58
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Zébès : Mon père m’a toujours soutenu dans tout ce que je faisais […].
Lorsque je volais dehors avec mes amis et que nous étions pris par la police, que
l’affaire soit grave ou pas, il venait me faire sortir. Il utilisait ses relations du PDCI
pour m’extraire. Lorsqu’il s’agissait d’une petite histoire, tout le groupe était
libéré, mais si c’était grave j’étais libéré seul. Il disait : « mon fils ne manque de
rien, il ne peut pas faire ce genre de chose ».

Une fois j’ai volé dans un supermarché au Plateau et j’ai été pris. J’avais
17 ans. Il est venu et a commencé à crier sur les agents de police parce qu’il m’avait
mis en prison. Il leur a dit que je ne manque de rien et que c’est parce que j’avais
oublié l’argent à la maison. Il me disait toujours que si j’étais pris par la police de
ne jamais avouer mes actes […].

Après m’avoir brûlé la deuxième fois, mon père m’a confié qu’il n’allait plus
jamais me toucher, mais je n’allais plus avoir l’occasion de voler à la maison. Aussi
si je volais dehors, j’allais avoir des problèmes, mais étant donné qu’il était mon
père avec les moyens et les relations qu’il avait, il ne pouvait pas me laisser en
prison. Parce qu’il ne voulait pas avoir honte. Il faisait sortir de prison les enfants
de ses amis et même des inconnus et les gens diront qu’il est incapable de faire
sortir son propre fils […].

Ce n’est pas parce que mon père n’avait pas de moyen, mais il n’y avait pas
de suivi. Il ne demandait pas mes bulletins scolaires, mes relevés de classe.

Quand il nous remettait de l’argent pour nos achats, il ne cherchait pas à


voir ce qu’on avait acheté. Que tu aies acheté ce que tu voulais ou pas, il ne
s’occupait plus. Son objectif c’était de nous satisfaire. Je pense que cette façon de
faire c’était une satisfaction en mal, parce qu’il n’y avait pas de contrôle, ni de
suivi. Avant qu’il ne meure, il avait un frère qui lui avait dit : « ce n’est pas que tu
manquais d’argent, mais tu as trop gâté tes enfants ».

59
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Lorsque le père de Zébès a commencé à savoir que son fils avait commencé
à avoir des fréquentations non appropriées et des activités malsaines, des mesures
de recadrage n’ont pas été mise en place par le père.

Zébès : Mon père avait commencé à soupçonner que je faisais des bêtises
après quelque temps parce que je ne lui demandais plus de l’argent. Il nous donnait
chaque mois de l’argent de poche et je dilapidais pour moi. Puis je volais pour mon
frère ou je lui arrachais de force comme je pouvais le frapper.

Il a donc commencé à nous donner de l’argent chaque semaine et il me


demandait de lui faire à chaque fois le point de mon argent pour voir si ce n’était
pas fini. Il avait commencé à nous contrôler un peu. Il faisait tout pour ne pas que
je fasse des gaffes sur mon frère ou en ville. Quand il a commencé à me demander,
je disais que l’argent n’était pas fini, sachant que j’aimais trop l’argent et que bien
qu’il y avait tout à la maison, j’achetais des friandises dehors, il a su que j’étais
devenu une autre personne. Pour lui, l’affaire n’était pas claire31. Il a commencé à
me corriger à sa manière en me privant de ce que j’aimais. Pour mon père la
correction n’était pas la chicotte.

3. Un goût excessif pour l’argent


En plus de sa mauvaise gestion, son goût effréné pour l’argent l’a entrainé à
beaucoup fréquenter les gangsters et même à voler de l’argent à la maison.

Zébès : Quand j’ai connu mes « vieux pères » et que j’avais plus d’argent
pour acheter des choses pour mes amis et moi, je partais leur quémander souvent.
Ils me donnaient de gros billets. La première fois ou je me suis dit que telle somme
d’argent est à moi seul, c’était avec eux. Mon père me donnait certes de l’argent
de poche soit 20.000 francs ou 30.000 francs pour mes achats. Mais lorsque les
gangsters me remettaient 5000 francs, je me disais que c’était à moi seul. Je pouvais
faire de ça ce que je voulais, soit déchirer ou dépenser sans rendre compte à

31
Terme en langage familier et en argot (nushi) qui veut dire que le père a commencé à soupçonner
qu’il avait des fréquentations malsaines

60
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

quelqu’un. A la maison mon père avait commencé à me demander les comptes de


ce qu’il me donnait par semaine pour ne pas que je prenne l’argent de mon frère
[…].

Un jour les « vieux pères » m’ont demandé si mon père n’avait pas d’argent
à la maison. Je leur ai dit qu’il y en avait et ils m’ont demandé de voler et d’envoyer.
Mon père avait l’habitude de rentrer du travail avec une petite mallette où il prenait
souvent de l’argent pour remettre à ses copines. Un jour de retour de son travail,
il a déposé la mallette dans sa chambre et est sorti. J’ai volé et je suis parti donner
aux « vieux pères ». Ils m’ont remis beaucoup d’argent et j’ai fui pour aller chez
mon oncle à Koumassi. Le lendemain il est allé me chercher. Ma mère y était ce
jour-là, elle a dit que c’était de sa faute qu’il m’avait trop habitué à l’argent.

4. Une vie de dépendance


Depuis son enfance jusqu’à son âge adulte, il a toujours dépendu de son père.
Après la mort de son père, son grand frère lui vient en aide.

Zébès : Pour moi, toute ma vie j’allais avoir de l’argent de mon père.
Jusqu’à ce qu’il meure en 2004, il me donnait la somme de 50.000 francs chaque
fin de mois comme argent de poche. Pendant les fêtes, il me donnait la somme de
100.000 francs pour que je fête avec ma petite famille. Il se foutait que mon frère
et moi travaillions ou pas. Mais mon frère lui a dit de ne plus lui en donner parce
qu’il avait une très bonne situation financière […].

Aujourd’hui, c’est mon grand frère qui s’occupe de moi. Depuis la mort de
notre père, il me soutient. Chaque fin de mois, il me donne de l’argent pour ne pas
que je fasse des gaffes. Pour la scolarité de mes enfants, il me donne de l’argent et
aussi pour les fêtes. Quand il apprend que l’un de mes enfants est malade il
m’appelle pour me remettre de l’argent pour les soins. Même quand je ne lui envoie
pas d’ordonnance médicale. Mon premier fils est en France avec sa mère depuis 5
ans. Mais je lui ai fait toujours croire qu’il était avec moi ici et il me donnait de
l’argent pour lui. C’est dernièrement qu’il a appris cela et s’est fâché contre moi.

61
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

À cause de cela il ne m’a pas remis de l’argent avant d’aller en mission au Mali et
je n’ai pas encore inscrit mon fils.

5. Un rêve de footballeur brisé par le père


Au cours de nos entretiens, Zébès à plusieurs fois mentionné qu’il aimait le
football. Il a plusieurs fois proposé à son père de l’inscrire dans un centre de football
ou de l’envoyer en Europe pour être footballeur. Mais son père disait qu’il n’y avait
pas d’avenir dans le football. Après l’une de nos entrevues, nous lui avons demandé
quel était son rêve depuis qu’il était tout petit. Il a baissé la tête pendant un moment
et nous a répondu : « j’ai toujours rêvé d’être footballeur, même le grand
SimpliceZinsou à tout fait pour que je joue à l’Africa sport national, mais mon père
n’a jamais voulu. ».

[…] Après mes échecs au CM2, je disais à mon père que je voulais jouer au football.
Depuis la classe de CP1, j’aimais le football, je jouais dans les comités et les
tournois du quartier. Mais mon père refusait.

6. L’influence des amis sur les choix de Zébès


Les fréquentations de Zébès ont été une base de son insertion dans le gang.

Zébès : La première fois où j’ai dormi c’était pour soutenir mes amis.
Certains de mes amis avaient des problèmes à la maison parce que leur mère n’était
plus avec leur père, et la femme de leur père ne leur donnait pas à manger. Ainsi,
ils dormaient au marché de Marcory. J’ai donc décidé volontairement de leur tenir
compagnie comme ils étaient mes amis. Après ce jour, j’ai vu que cela était
intéressant, je venais passer souvent des nuits avec eux quand mon père était en
mission ou même s’il était là, en cachette. Je leur apportais de quoi manger, je
partais voir mes « vieux pères » gangsters. Ils me donnaient de l’argent et j’achetais
de la nourriture et d’autres choses dont mes amis avaient besoin.

62
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

III. LES SIGNIFICATIONS DE L’APPARTENANCE DE


ZEBES A UN GANG
Cette partie met en évidence les significations que Zébès donne à son
appartenance à la Cobra Force et à son investissement dans les activités criminelles.

1. Un sens au-delà d’un cercle d’amis


Zébès : Le gang était pour moi comme une famille. Je pouvais faire tout ce
que je voulais. On se sentait en sécurité et partout où je passais, les gens me
connaissaient. Le gang me donnait une certaine autorité, un pouvoir, est ce que tu
vois. J’avais mis tout ce que je suis32 dans ce groupe.

Tellement que j’étais connu, lors de la crise postélectorale, j’ai été sauvé de
justesse. Les FRCI m’avaient pris et m’avaient mis dans le coffre du véhicule, après
m’avoir bien frappé. Ils m’ont emmené devant leur chef et il s’est trouvé que ce
dernier me connaissait. Moi, je ne le connaissais pas. Il m’a dit : « Zébès, c’est toi !
Mais il y a quoi ! Libérez-le c’est mon vieux père ». Il m’a remis des habits et m’a
demandé d’intégrer son groupe de FRCI. Mais moi les affaires de corps habillé je
n’aimais pas surtout avec cette histoire de politique.

2. Les « sciences »comme activités lucratives


L’objectif de Zébès lorsqu’il pratiquait les sciences était d’avoir de
l’argent.

Zébès : On se met dans ça pour avoir de l’argent. Tout ce qu’on faisait


c’était pour avoir de l’argent et survenir aux besoins du groupe et à nos charges à
la maison. Certains d’entre nous avaient des copines, et des enfants avec qui ils
vivaient.

Quant à une intervention de l’Etat par rapport à une prise en charge ou un


financement pour une activité, selon Zébès peut-être 25% des individus dans les
sciences vont accepter.

Expression pour signifier qu’il s’est investi personnellement dans ce gang


32

63
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Zébès : Si l’Etat venait à nous dire qu’il allait financer nos projets où
trouver du travail pour nous, je pense que cela allait être difficile. Seulement, un
petit nombre de personnes va vouloir alors que beaucoup n’ont pas de diplôme.
Aussi parce que l’argent que les jeunes gagnent dans les sciences est important.
Pour une seule opération s’ils n’ont rien eu ce n’est pas moins de 200 000 frs. Moi
par rapport à mon activité je ne gagne pas plus de 100 000 frs. Car les téléphones
et autres ne rapportent pas gros.

3. L’activité de pickpocket comme gagne pains quotidien


A savoir quelle activité pratique-t-il dans le gang et depuis la dislocation du
gang ? Zébès nous a répondu qu’il exerce dans son domaine de compétence qui est
le vol dans les lieux publics et transport en commun.

Zébès : Dans le gang, bien j’étais chef, je me cherchais33. Je partais à la


gare nord et sud de la SOTRA pour mes business. Je volais les portes monnaies, les
téléphones portables […].

Actuellement, pour m’en sortir je vais travailler de temps en temps


à la zone industrielle de Yopougon. Mais là-bas, il ne paye pas bien surtout en
vacance, à cause de leurs protégés, on ne gagne pas de quoi à faire. Pour m’en
sortir alors, je vais dans mes Zones habituelles, à la gare nord, souvent à la gare
sud mais là-bas ce n’est pas mon territoire. Je vais aussi dans les gares routières.
Quand les cars arrivent, au moment où les passagers récupèrent leurs bagages, on
profite pour voler. Pour voler on ne va jamais seul. Dans les bus j’ai été pris
plusieurs fois. Aujourd’hui, si tu demandes aux contrôleurs de la gare nord de la
SOTRA s’ils connaissent un certain Zébès, ils te diront qui je suis. Mais quand je
suis dans les problèmes comme ça, c’est mon grand frère qui vient me faire sortir.
La dernière fois où j’ai été pris, j’ai été frappé au point où mon œil était enflé et
fermé. Après ma bastonnade, le contrôleur général qui me connait très bien, m’a
mis nu dans son bureau et lorsqu’un bus arrivait à la gare, il me mettait dehors afin

33
Terme en argot ivoirien (nushi) qui veut dire chercher de l’argent

64
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

que les usagers me voient et que j’ai honte. Il m’a dit qu’il allait m’humilier afin de
ne plus mettre les pieds à la gare. Cela fait environ deux semaines, mais j’attends
un peu d’être oublié, pour repartir car c’est de ça je vie. Actuellement c’est la
rentrée et je n’ai même pas encore payé la scolarité de mon fils qui est en classe de
cinquième et acheté les fournitures scolaires. Mon frère est actuellement en
mission et il est fâché avec moi, sinon c’est lui qui payait tout.

4. L’opinion que se font les gangsters de leurs activités selon Zébès


Les gangsters sont conscients qu’ils posent des actes négatifs et certains
vont même se convertir au christianisme.

Zébès : un temps j’ai décidé d’aller à l’église et certains membres du gang


m’ont suivi. On sait très bien que ce que nous faisons n’est pas bien. C’est pourquoi
pour aller opérer, certains prennent la drogue et ceux qui ne la prennent pas
consomme l’’alcool.

Quand le matin je me lève et que je vais dans mes sciences je sais que je
peux ne plus revenir, que je peux être tué. Je vis au jour le jour. Mais quand on veut
changer de vie c’est difficile.

Un jour après ma conversion je partais à l’église à Marcory j’ai emprunté


le bus. J’ai vu de l’argent à l’intérieure du sac d’une dame. J’ai piqué l’argent et
quand elle se lamentait j’ai commencé à évangéliser dans le bus. Arrivé à l’église
j’ai fait une offrande.

De plus, étant donné qu’ils étaient conscients de leurs actes ils ouvraient une
caisse qui était alimentée par des cotisations pour soudoyer les agents de police en
cas d’arrestation d’un membre.

Zébès : quand ils ont ouvert le 32ième arrondissement, quatre de nos gars
ont été arrêtés et on a géré sans l’apport des parents… avec l’argent de la caisse
qui était garnie par nos cotisations.

65
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

5. Une structuration du gang selon les aspirations personnelles de Zébès


5.1. La réorganisation du club d’amis en gang
Zébès : Au départ le gang « cobra force » n’était pas un gang. Ce n’était
qu’un simple groupe de jeunes qui participait aux tournois de football, organisait
des soirées entre jeunes en décembre ou en fin d’année scolaire, en outre des
activités sportives pour les parents et enfants.

Lorsque j’ai intégré le groupe et que la majorité des jeunes m’aimait bien,
je leur ai dit : « c’est vrai que c’est un simple club de jeunes, mais on va chercher
à se réorganiser, instaurer des cotisations, avoir des cartes de membre afin qu’à la
rentrée, si certains parmi nous avaient des difficultés ou les parents n’avaient pas
les moyens pour leurs besoins scolaires, que nous puissions les aider et plus tard
les parents allaient nous rembourser ». C’est ainsi que j’ai constitué un petit groupe
pour aller parler aux parents et ils y ont adhéré.

Nous organisions souvent des soirées, pour ceux qui avaient obtenu des
diplômes (BAC, BEPC). Lorsque nos petits frères voulaient participer à un tournoi
on les inscrivait et on louait des maillots pour eux […]. J’ai organisé de telle sorte
que le groupe ait un fond pour être autonome, lorsqu’il veut organiser une activité.
Mais les activités criminelles ont été intégrées au fur et à mesure. Tout a commencé
lorsqu’on participait aux tournois. Il arrivait que parmi les supporters, une bagarre
éclatait ou qu’il y avait des histoires entre notre et équipe et une autre ou encore
qu’il y avait un règlement de compte. Nous avons donc constitué un groupe d’auto-
défense pour défendre l’association.

5.2. Signification du nom« cobra force »


Zébès : Au départ le gang s’appelait Mavou à cause de l’équipe de football.
Jusqu’à présent c’est le nom du quartier. Le gang était organisé comme une
entreprise, et comme un moment donné le groupe avait du mal à participer aux
tournois, nous avons voulu donner un nouveau nom qui correspondait à notre
volonté de toujours gagner. Tu sais ! On faisait tout pour remporter les tournois de

66
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

football. On mettait tout en place, je dis bien tout. Même si notre équipe était faible
par rapport à l’adversaire, on m’était tout en place pour remporter le match. (Rire)

[…] Une année, lors d’un match de demi-finale d’un tournoi vers le château
d’eau (Abobo avocatier château d’eau), on était mené et le match était presque fini.
Il y avait un « vieux père » qui est actuellement en France. Il est allé déboucher le
château d’eau et l’eau a jailli sur le terrain. Le match a été arrêté et nous avons
rejoué quelques jours après sur un autre terrain. Nous étions encore menés et
c’était 1 à 0. Il restait quelques minutes lorsque l’un de nos supporters, un membre
du groupe est parti de la foule et est venu gifler l’un de nos joueurs sur le terrain.
Sur le coup nous avons dit que c’était un supporter de l’équipe adverse. Sur le
champ nous avons créé une bagarre générale. On a repris encore le match et nous
avons remporté en fin de compte le tournoi.

À cause de notre façon de faire, lorsqu’on participait à un tournoi les autres


équipes refusaient d’y participer. Et même lorsque l’équipe changeait de nom,
lorsqu’ils voyaient un à deux joueurs, ils refusaient d’y participer. C’est ainsi qu’on
a voulu changer le nom du gang. Plusieurs noms ont été proposés comme « dragon,
scorpion etc. », mais nous avons préféré « cobra force ». En ce moment-là les films
chinois étaient en vogue et les enfants aimaient regarder ce genre de films. Dans
ces films le serpent cobra était difficile à tuer et lorsqu’il engageait un combat, il
en sortait toujours vainqueur. Pour enlever la mauvaise réputation que le groupe
avait et pour le groupe de sécurité qu’on avait mis sur pied nous avons choisi à
l’unanimité le nom « cobra force ».

5.3. La stratégie d’attribution de responsabilité au sein du gang


Zébès : Il y avait un chef considéré comme le président que j’étais. J’avais
un adjoint, un conseiller. Il y avait aussi deux conseillers du gang, un trésorier, un
commissaire aux comptes et tous les responsables de section. C’était tous ceux-là
qui constituaient le staff des responsables. C’était comme un gouvernement, une
association et une entreprise. Nous étions même reconnus par la police comme une
association légale […].

67
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

J’ai été choisi parce que les jeunes s’avaient que si je dirigeais le groupe je
n’allais pas dépenser leur argent puisque, je partageais déjà et après mes
« sciences » dans les bus je partageais avec eux. Aussi depuis que je suis petit je
dirigeais des groupes d’amis.

Dans le groupe en fonction de la façon de faire, la personnalité et le


courage, surtout le courage les membres à l’unanimité décidaient quelle personne
devait être responsable. S’il y avait une responsabilité à prendre, les membres
influents (responsables) se réunissaient et proposaient un membre puis consultaient
les membres de la section pour voir s’ils étaient favorables. L’âge, ne comptait pas
dans le choix […]. Il fallait être courageux, avoir un charisme de dirigeant. Car il
ne devait pas prendre les décisions sur des coups de tête, il devait savoir consulter
les membres et prendre ses responsabilités […].

Il y avait un chef du nom de « Gnangnan ». Il n’avait pas de force. Il était


petit de forme et de taille. Mais lorsqu’il disait un mot tout son staff exécutait. Il
avait le courage et il avait « la bouche34 ». Il avait la qualité de rassembleur.
Actuellement il est en prison à la MACA et même étant en prison il est chef. Il a des
gardes de corps et est respecté. Le responsable donne l’exemple. Lorsque le groupe
allait en mission ou allait pour une bagarre, les chefs « montaient sur le terrain ».
Ils ne restaient pas au quartier à attendre les éléments. Pour être chef de gang ou
un responsable d’un groupe dans le gang, il fallait être violent, meneur d’homme
et être un ancien dans le groupe. La responsabilité dans un gang n’est pas une
question d’âge.

5.4. Les différentes branches du gang


Zébès dans le souci de venir en aide à ses amis, a organisé le club d’amis, en
une association qui s’est transformée en gang avec des activités criminelles.

34
Terme en nushi qui signifie avoir la grande gueule

68
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

5.4.1- La section sport


Zébès : Les personnes de cette section étaient chargées d’inscrire le groupe
aux tournois de football organisés dans la commune d’Abobo. Ils constituaient
l’équipe et trouvaient les équipements (maillots), l’eau au cours des matchs pour
les tournois. Ils organisaient aussi des activités sportives pour les enfants et les
parents, par exemple le jour de la fête de mères, ils organisaient des matchs de
football pour les mamans du quartier.

5.4.2- La section sécurité


Zébès : Il y avait les travailleurs. En réalité les personnes de ce groupe
travaillaient effectivement. Ils étaient chargés de surveiller le quartier surtout le
marché, les magasins et boutiques contre les voleurs. Ils étaient comme des vigiles.
C’était un moyen pour mettre de l’argent dans la caisse, parce que chaque mois,
les commerçants du marché et les boutiquiers versaient de l’argent pour leurs
services. La somme variait selon la taille du magasin. La somme partait de 2000
francs à 25000 francs. Ils surveillaient souvent même les magasins des Libanais.
Mais la plupart du temps je leur demandais de demander aux commerçantes du
marché ce qu’elles pouvaient payer pour ne pas qu’il y ait des histoires au moment
de payer. Lorsque ceux-ci ne donnent pas ce qu’ils ont promis au groupe, nous
pillions leurs magasins. Comme nous avions déclaré le groupe au commissariat de
police, nous ne pouvions pas faire savoir que c’était nous. Donc le groupe montait
un plan où ceux qui étaient chargés de surveiller étaient ligotés et bastonner à sang
souvent. Ce plan était fait avec l’accord de ces derniers.

Le matin lorsque le propriétaire du commerce venait, il les envoyait à


l’hôpital et leur donnait de l’argent souvent même. Quand c’était comme ça, ceux
qui prenaient le risque d’être frappés au moment du partage recevaient beaucoup.

69
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

5.4.3- La section collecte


Zébès : À cause de notre façon de fonctionner, le groupe était craint dans la
hcommune d’Abobo. Ce qui faisait que le quartier (Mavou) était sécurisé. Comme
le groupe surveillait le quartier, alors j’ai mis un petit groupe sur pied pour aller
vers les parents pour une petite contribution. Cette aide permettait de protéger le
quartier contre les voleurs, les agressions, puisque nous-mêmes étions les bandits
à l’insu des parents. L’argent servait à acheter la nourriture, le café et d’autres
choses pour maintenir les jeunes qui surveillaient.

5.4.4- La section défense


Zébès : Elle était chargée de prendre la défense des membres du gang, y
compris les jeunes du quartier. La section était composée des « bagarreurs ». Par
exemple lorsqu’un pays était attaqué, il y avait des militaires qui commençaient,
ensuite les autres corps armés venaient en soutien. C’était de cette façon nous
étions organisés. Les éléments étaient les premiers à agir en cas d’attaque ou
lorsqu’on devait aller se battre dans les autres quartiers.

5.4.5- La section règlement de compte


Zébès : Au cas où le groupe avait affaire à un individu, les membres de la
section étaient chargés d’analyser et de réagir. Ils étaient aidés par les membres
de la section défense parce que très souvent, les règlements de comptes finissaient
par des bagarres.

5.4.6- La section affaire sociale


Zébès : Ce qui m’a motivé à réorganiser le club, c’était le fait de s’entraider
entre nous, et d’aider les jeunes qui n’avaient pas de moyens. Nous avions mis une
caisse sur pied ou chaque mois nous cotisions pour l’alimenter. L’argent de la
caisse servait à aider les personnes qui étaient dans des difficultés. Donc pour
mieux gérer la caisse et pour donner l’argent à ceux qui en avaient vraiment besoin,

70
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

nous avons mis la section affaire sociale. Les membres se chargeaient d’étudier la
demande des personnes qui nous sollicitaient et ils transmettaient aux chefs leurs
avis en vue de décaisser l’argent ou non.

5.5. Les activités criminelles


5.5.1- L’introduction de braquage à main armée
Zébès : Mon petit frère Claude (cousin) était craint dans le secteur et
certains jeunes du secteur voulaient l’affronter. Selon les dires, il était très fort dans
la manipulation avec les couteaux au cours des bagarres. Ainsi un jeune du nom de
Cheik Mo, qui lui était fort dans les braquages avec les couteaux, l’a approché pour
qu’il fasse une fusion pour agresser les gens. Un jour, lors de l’une de leur
opération, ils se sont fait tabasser par un individu avec leurs couteaux en main. Je
ne sais pas si c’était un maître de karaté, mais ils se sont faits « désciencer35 » et
ils ont dû me demander pardon afin que ce dernier ne les envoie pas à la police.

Après cet affront, mon petit frère (cousin) a dit à son complice Cheik Mo
que je connaissais un Burkinabé qui faisait louer des armes aux Braqueurs, et si je
partais le voir il n’allait pas me prendre de l’argent. Mais ils ont eu peur de moi
craignant ma réaction et ne m’en ont pas parlé. Le « fiston36 » Cheik Mo ayant peur
de se faire tabasser à nouveau avec son couteau a agressé un policier au niveau de
la cité policière (Abobo SOGEFIHA) et lui a arraché son arme. Ils ont commencé
à braquer avec une seule arme mais c’était difficile d’opérer. Toute cette histoire
se déroulait à mon insu. Lorsqu’ils ont eu l’arme les deux « fistons » ont intégré
quelques éléments de la section sécurité. Au cours des réunions du groupe, lorsque
je disais qu’on avait besoin d’argent et que je demandais des cotisations, Cheik Mo
et mon petit frère Claude payaient pour eux et leurs éléments en plus des cotisations
mensuelles. J’ai commencé à me poser la question : « c’est quelle affaire ça ! ».

35
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie se faire battre ;
Terme en argot ivoirien (nushi) qui désigne un individu moins âgé à qui l’on porte toute confiance
36

71
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

À la maison, j’ai posé la question à mon frère Claude sur leurs sources de
revenue. A ma grande surprise, il m’a dit qu’il pensait que c’était moi qui leur avais
fourni les armes pour braquer. Dans la nuit je suis allé chercher Cheik Mo. Quand
je l’ai retrouvé, il était « fourré37 ». Je lui ai demandé : « où tu as eu cette arme ? ».
Il m’a dit qu’il avait agressé un policier et a pris son arme, parce qu’un jour au
cours d’une de leur opération, ils ont été bien frappés par une espèce de maître
chinois.

Aussi, lorsqu’ils agressaient s’ils ont trop eu c’était 50.000 francs ou


100.000 francs, ils ont donc décidé d’attaquer les domiciles, mais ils ont eu peur
de me le dire. Je lui ai dit : « fallait me dire ! Tu n’avais pas besoin de tomber sur
un policier. Moi, si tu veux le mal, je t’accompagne dans le mal avec succès ! Si tu
veux le bien aussi, je t’accompagne ! Selon ce que tu veux, je te donne ». Sur le
coup il a profité pour m’informer qu’ils opéraient avec des membres de la sécurité.
Je lui ai dit qu’il y avait de problème et que moi-même j’étais un pickpocket, s’ils
voulaient ensemble nous allions organiser le groupe pour bien opérer afin d’avoir
beaucoup d’argent dans la caisse. Je lui ai donné rendez-vous le lendemain matin
pour aller voir mon « vieux père » burkinabé.

Nous sommes allés à Koumassi « sans fil38 » pour prendre des armes. Mon
« vieux père » était content de me revoir. Il m’a demandé si c’était moi avait envoyé
mon petit frère Claude et son ami la première fois. Je lui ai dit non que je n’étais
pas au courant, parce qu’il avait refusé de leur louer les armes. Il leur avait dit que
cette « science » est risquée. Si l’un d’entre eux se faisait tuer la première fois, ils
allaient jeter les armes et fuir. Mais comme je suis venu, il allait nous donner. Il
nous a demandé combien d’armes nous voulions ; je lui ai dit trois avec quatre mois
de location. Cheik Mo avait déjà une arme et comme ils étaient cinq, il fallait avoir
au total quatre. Sur le terrain, il y a toujours un qui n’a pas d’arme pour lui
permettre de récupérer les gains. Ça lui permet d’être libre Comme j’étais son
« bon petit39 », comme cadeau, il nous a laissés un mois de location gratuite, et

37
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie cacher une arme sous les vêtements portés
38
Quartier précaire de Koumassi
39
Terme en argot ivoirien (nushi) qui désigne un individu moins âgé à qui l’on fait confiance

72
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

nous a dit : « après chaque moi envoyez mes trucs, parce que c’est de ça je vis.
Dans les mois cherchez votre argent à même temps. Si vous n’avez pas eu pour
vous, si vous venez vous allez me donner mon argent, parce que si vous avez eu des
milliards, vous n’allez pas venir me donner des millions. Si la date arrive que vous
ne venez pas avec mes armes, je vais me renseigner, je vais vous trouver et je vais
vous créer des problèmes, moi quand on tire sur moi ça ne rentre pas ». C’est ainsi
que les « boss40 » ont été créés.

Cheik Mo et mon frère géraient ce groupe de braqueur. Pour opérer, ils


partaient dans les autres communes comme Cocody, Marcory, Yopougon. Ils
guettaient les maisons et ils partaient opérer. Quand ils revenaient c’était avec de
grosses sommes ou des bijoux très chers. Quand le groupe avait besoin d’une forte
somme, c’était à eux qu’on faisait appel.

5.5.2- Les agressions


Zébès : Souvent aussi on agressait des inconnus dans la rue. On n’avait pas
affaire aux habitants du quartier. Si la personne était un nouveau dans le quartier,
on lui souhaitait bonne arrivée en volant chez lui ou en l’agressant. Il arrivait que
des filles soient violées mais c’était rare. Une agression se déroulait à trois ou
quatre personnes. La victime était dépouillée de tout et si elle n’était pas calme,
elle était passée à tabac ou piquée avec un couteau pour la « calmer ».

5.5.3- L’organisation avant les opérations


Zébès : Pour les opérations, les victimes sont choisies au hasard en général,
et il est rare d’avoir pitié. Pour ne pas avoir pitié il fallait se mettre sous excitants
(drogue, alcool). Quelle que soit l’activité, il était proscrit de les commettre sur les
amis. Lorsque cela arrivait et que l’ami signalait à son ami, membre de gang, dans
un temps record, les objets lui étaient restitués, car « chien ne mange pas chien ».

40
Terme dans le langage des gangsters qui désigne les braqueurs

73
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

6. Les modes d’adhésion au gang


6.1. Les liens d’amitié
Dans le gang de Zébès, l’adhésion était la plupart du temps une volonté
personnelle des jeunes.

Zébès : On ne faisait pas d’affiche pour faire appel à des nouveaux. Les
jeunes des quartiers environnants enviaient notre groupe. Parce que nous étions
très organisés et on défendait les habitants du quartier, même s’ils ne fréquentaient
pas le groupe. Personne ne pouvait quitter un autre quartier pour frapper un
habitant du quartier Mavou. Ainsi, pour avoir la protection du gang, pour être en
sécurité, pour être défendu, certains jeunes demandaient à intégrer le groupe. En
général, ceux qui voulaient intégrer le gang avaient des connaissances au sein du
groupe ou cherchaient à y avoir des amis. Le groupe était tellement craint dans la
zone que les personnes qui voulaient intégrer le groupe n’osaient pas venir
directement. Ils passaient toujours par quelqu’un.

6.2. La sélection
Zébès : lorsqu’on participait à un tournoi de football, on (le gang) détectait
les bons joueurs pour l’équipe de football. De la même façon j’ai été approché par
les jeunes du Mavou lorsque je jouais avec les 11 frères, c’était de la même manière
le groupe faisait la cour aux bons joueurs dans les tournois. Certains éléments,
après les tournois on cherchait à les rencontrer. On passait par tous les moyens
pour qu’il intègre le groupe. S’il refusait je demandais qu’une fille lui fasse la cour
et cette technique marchait très bien.

Une fois après un match, il y avait un très bon joueur du nom de willy qui
nous avait fatigués. Nous avons dit d’intégrer notre équipe mais il a refusé. J’ai
demandé à l’une de nos petites qui aimait bien le groupe, du nom de Dadier rose
de faire tout pour que ce dernier intègre l’équipe de football. Elle l’a séduit, a
couché avec lui et après elle l’a convaincu pour jouer avec nous. Ce genre de
recrutement, c’était plus l’équipe de football. Dans les autres sections c’était rare

74
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

de faire la cour, parce que le groupe était déjà convoité par les jeunes des autres
quartiers.

7. Les stratégies de formation et d’intégration des nouveaux membres


7.1. Le brigandage
Zébès : Lorsque quelqu’un voulait entrer dans le groupe, il fréquentait le
groupe afin de savoir ce qu’on faisait. Après un moment, nous lui demandions ou
il nous demandait à être un membre du groupe. Les chefs du groupe lui donnaient
rendez-vous dans un maquis et l’un d’entre nous lui disait d’aller prendre le
portable ou quelque chose qui nous plaisait, sur la table d’un inconnu. A lui de se
débrouiller pour nous l’apporter. Il n’y avait pas de lieu et d’heure fixe, tout
dépendait de notre inspiration.

7.2. Le vol chez soi


Zébès : On l’envoyait après le premier test chez lui à la maison pour
prendre soi la bouteille de gaz, de l’argent ou quelque chose de précieux. Par
exemple si c’était la fin du mois et que les parents l’avaient envoyé effectuer une
course. Je pouvais lui dire de détourner l’argent et d’expliquer qu’il avait perdu.
Après le vol, l’individu est soupçonné, souvent même frappé. S’il ne nous dénonce
pas il intègre le groupe.

7.3. La bagarre
Zébès : Le groupe se retrouvait sur le terrain UESO, aujourd’hui nommé
terrain « Gervihno » pour une séance de bagarre. On formait un cercle et selon le
physique du nouveau membre on lui trouvait un adversaire avec qui il devait se
battre. Ils se battaient jusqu’à ce qu’un d’entre eux signe forfait.

75
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

7.4. Les cankes41 (scarification)


Zébès : Il arrivait aussi que certains fassent des cankes pour se protéger.
Ces derniers faisaient des cankes pour ne pas se faire battre comme canke soleil,
bélier, un « coup gbolo42, anti-balle, anti fer etc. mais c’étaient des actions
individuelles. […]

Moi je ne l’ai jamais fait et je n’ai jamais demandé à quelqu’un de le faire.


Moi je crois en Dieu, donc les pratiques mystiques ne m’intéressaient pas. Je sais
que la plupart des bosses (braqueurs) avec Cheik Mo faisaient les cankes d’anti-
balle. Ceux qui aimaient se battre faisaient les cankes de bagarre (bélier, soleil, un
coup gbolo) […]. Ils ne faisaient pas ces pratiques ensemble chacun opérait de son
côté avec son marabout. Certains même, se rendaient au Mali ou au Burkina pour
faire ce genre de trucs surtout contre les couteaux et les balles.

8. Les étapes d’intégration


Zébès : […] C’était après cinq à six moi que le groupe pouvait considérer
un nouveau comme membre actif du gang. Avant de l’associer aux réunions, de lui
attribuer le montant de sa cotisation et qu’il ait un mot à dire, il subissait plusieurs
étapes.

 Première étape : le nouveau devait fréquenter le groupe pendant un certain


nombre de temps soit cinq à six mois.
 Deuxième étape : après les mois d’observation, le groupe faisait passer des
épreuves. On commençait par le brigandage dans les maquis ou dans la
rue, le vol chez soi et la bagarre !
 Troisième étape : ce qui se passait dans la nuit, était plus considéré que ce
qui se passait dans la journée au cours de la nuit on demandait au nouveau
de participer à l’agression d’un inconnu. On pouvait lui demander de violer
une jeune fille qui passait seul dans un couloir. Mais le plus souvent, on

41
Terme en argot ivoirien (nushi) qui fait allusion aux scarifications dans le but d’avoir une
protection mystique
42
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie knock-out (KO)

76
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

demandait au nouveau de participer à un vol ou un braquage à main armée.


Son rôle était de surveiller les environs lors de l’opération afin d’éviter les
intrus et de prendre le butin puis le déposer au lieu de rendez-vous. Le lieu
de rendez-vous était une maison inachevée qui est aujourd’hui la maison du
joueur Traoré Lassina.
 Quatrième étape : Lorsque l’individu passait les épreuves, chaque chef de
section, l’observait. Après le temps d’observation les chefs lui demandaient
dans quelle section il pouvait se sentir à l’aise. Si cela ne correspondait pas
à ses qualités, nous lui faisions une proposition.
 Cinquième étape : toutes les épreuves se faisaient au cours de cinq à six
mois. La dernière étape est la cotisation et la carte de membre. Les
cotisations étaient fixées en fonction de la situation familiale des membres.

9. Les rituels selon l’âge


43
Zébès : La majorité des épreuves était pour les jeunes. Si un « doyen »
voulait intégrer le groupe, il ne passait pas d’épreuve, d’autant plus que c’était par
l’intermédiaire d’un membre du groupe qu’il venait et avec l’âge il n’avait rien à
prouver. Sauf que la seule chose qu’on lui faisait faire c’était de tester son aptitude
à pouvoir garder le silence. Après une opération, on lui demandait de garder les
objets volés ou le butin. C’est en fonction de cela qu’on pouvait le juger apte à être
membre du gang.

10. La signification sociale des rituels


Zébès : Le groupe ne voulait pas se mettre en danger, parce que les
personnes qui venaient, on ne les connaissait pas. Les épreuves servaient de tests
pour sceller la confiance.

43
Terme du langage familier qui désigne Une personne âgée, un adulte, une personne plus âgée

77
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

10.1. Le courage
Le brigandage dans le gang « cobra force » permettait de tester le courage
et à ne pas avoir peur au cours d’une opération.

Zébès : Cette épreuve, c’était juste pour tester son courage et sa capacité à
exécuter une mission. S’il est en difficulté face à celui qu’il devait brigander, nous
venons à son secours et nous faisons comme si nous n’étions pas au courant de
cette histoire pour éviter les problèmes. Mais le fait d’échouer ne voulait pas dire
qu’il avait échoué à l’épreuve.

10.2. Le silence
L’aptitude des aspirants à garder le silence au cas où ils étaient pris par les
agents de sécurité était le souci majeur du gang. Tout au long de l’entretien sur la
signification sociale des rituels d’intégration, Zébès a longtemps parlé du silence.

Zébès : En général ceux qui voulaient intégrer le groupe, étaient déjà


connus comme des bandits chez eux à la maison. Le fait de l’envoyer chez lui voler
quelque chose était pour tester son aptitude à garder le silence. S’il arrivait un jour
qu’au cours d’une mission qu’il soit pris, il ne faudrait pas qu’il dévoile le nom ou
qu’il dénonce le groupe. Et pour le savoir, le groupe envoyait le nouveau chez lui
en famille pour voler.

Lorsque les parents s’en rendaient compte il était frappé, questionner, punis
et certains parents les faisaient mettre en garde à vue. Il devait déclarer ce qu’il
avait volé. Certains membres du groupe faisaient exprès pour passer chez le
nouveau pour prendre des informations sur la tournure de l’histoire afin de voir
s’il n’avait pas dit le nom d’un élément. S’il était à la gendarmerie ou à la police
les membres du groupe trouvaient des filles pour aller lui donner à manger.

Le fait de lui envoyer à manger c’était pour lui dire qu’on était fière de lui
et que le groupe le soutenait. Même si l’on était prêt à t’égorger tu ne devais jamais
dénoncer et dire le nom d’un membre. Actuellement il y a l’un de mes petits du nom
de « Gnangnan » qui est à la MACA qui a été pris. Lorsqu’on l’a attrapé, il n’a pas

78
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

dit le nom de ses complices. Présentement il est chef à la MACA. Il y a plusieurs de


nos amis qui ont été pris, mais ils n’ont jamais dit le nom d’un de leur complice. Ils
ont été frappés et même condamnés à cinq ans de prison, mais ils ont gardé silence
et sont sortis après leur peine.

10.3. La force
Zébès :Le gang « cobra force » se bagarrait très souvent, ce qui faisait qu’il
était craint dans la zone. Les bagarres entre gangs rivaux étaient très fréquentes.
Zébès nous a montré de nombreuses cicatrices sur son corps suite à des bagarres
avec des gangs rivaux (les zaionnais). Il fallait donc être capable de se bagarrer afin
de ne pas mettre en péril les missions.

Le fait de se battre était une manière de tester le degré de combativité, la


force et l’endurance. Sur le terrain, c’était les plus forts qui partaient pour les
bagarres et les règlements de compte. On choisissait les « guerriers » pour les
« gnaga de gbonhi44 » parce qu’on ne savait pas à qui on avait affaire et la force
de l’autre « gbonhi45 ». Donc pour aller faire une bagarre dans un autre quartier,
on n’allait pas prendre les nullards pour aller se faire battre ! Pour pouvoir vaincre
l’autre groupe il fallait choisir les meilleurs, les combattants. C’était dans cette
optique qu’on faisait un test d’abord pour détecter les « guerriers ».

11. Le gang « cobra force »


11.1. Les règles du gang
Zébès : Le gang avait sa façon de fonctionner. Il y avait des règles de vie.

D’abord :

1 : le respect mutuel. Que tu sois chef ou pas, tu devais respecter tout le monde et
les parents des membres du groupe. S’il arrivait qu’un ami ou le parent d’un

44
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie bagarre en groupe
45
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie groupe

79
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

membre avait affaire au groupe ou à un élément, une fois su, on avait plus le droit
de le toucher. Celui qui s’entêtait à enfreindre la règle, en tout cas il allait avoir
une sanction selon son acte. Si on était clément, c’était juste une amende sinon on
le frappait. « C’est ce qu’on a appelé chien ne mange pas chien ».

2 : les cotisations. Lorsque la date limite était passée les membres qui n’avaient
pas d’argent pouvaient plaider pour un autre délai après avoir démontré par A plus
B qu’ils ont grouillé sans rien avoir. On accordait tout au plus une semaine. Mais
si on devait partager de l’argent ceux qui n’étaient pas à jour n’en bénéficiaient
pas.

3 : le groupe pouvait se retrouver quelque part soit dans un maquis et par exemple
parmi les membres le chef était le moins âgé. Si un autre membre, quel que soit son
titre dans le groupe arrivait, le plus petit du groupe se levait pour lui remettre la
chaise, tant bien qu’il soit le chef. Il partait chercher une autre chaise pour
s’asseoir. Les moins âgés se levaient pour remettre les chaises aux plus âgés. Cette
façon de fonctionner faisait la force du groupe. S’il y avait un problème entre deux
personnes, le moins âgé s’arrangeait pour présenter des excuses à son aîné, sinon
lorsque cela arrivait aux oreilles des chefs, le moins âgé était sanctionné.

4 : si un membre avait des problèmes d’argent, il devait aviser les responsables une
semaine avant par écrit au secrétariat du groupe. Le secrétariat l’envoyait aux
affaires sociales pour voir si c’était possible et quel montant le groupe devait
décaisser. Si le groupe ne pouvait pas, deux jours avant le rendez-vous on lui faisait
appel pour lui dire qu’on ne pouvait rien faire pour lui.

11.2. Les doyens


Zébès : Les doyens étaient les plus âgés du groupe. Même si j’étais le
responsable, ceux qui étaient plus âgés que moi étaient mes doyens mais pas des
responsables. Quand il s’agissait de prendre des décisions, l’âge ne comptait pas
ils n’avaient pas de mot à dire. Ils donnaient juste des conseils et ce qu’ils

80
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

pensaient. Mais comme on les respectait, avant les prises de décision on écoutait
ce qu’ils pensaient et les responsables prenaient les décisions.

11.3. Les réunions


Zébès : Chaque mois, il y avait deux grandes réunions qu’on appelait « la
réunion des règlements ». À ces réunions on parlait des problèmes du groupe, des
litiges entre les membres du groupe et les litiges autour des partages de butin. Il y
avait des réunions de crises. Là c’était pour régler les problèmes urgents, liés à des
éléments arrêtés ou tués.

12. Les conditions sociales des membres du gang


Zébès : Au sein du gang, il y avait toute sorte de personnes. Il y avait des
personnes qui avaient des parents pauvres et d’autres riches. Les gens venaient
intégrer le gang parce qu’ils aimaient notre façon de fonctionner. Mon père était
riche mais j’étais chef de gang. Il y avait deux jeunes aussi qui habitaient le quartier
dont le père était très riche, il avait des immeubles. Certains avaient des parents
pauvres.

Aussi il y avait même des étudiants en licence et des fonctionnaires


(instituteurs, policiers) qui étaient membre du groupe. Ils étaient membres avant de
travailler et ils y sont restés, sauf le président de l’équipe de football qui a connu
le groupe étant fonctionnaire. Il y avait un policier qui après la crise n’a pas rendu
sa kalachnikov […] l’arme servait pour opérer. Les activités du gang se faisaient
avec l’appui des policiers qui y étaient affiliés. De même quand on partait dans les
autres quartiers pour une bagarre ou une intervention on sortait vainqueur parce
qu’il y avait des policiers.

81
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

13. Le rôle des femmes


Zébès : Il n’y avait pas de femme en tant que tel dans le gang. On avait des
« go46 » et « fistine 47
» qui aimaient notre « gamme48 et nos sciences » et nous
soutenaient. Dans la structure qu’on avait mise en place il n’y avait pas de branche
de femme ou des tâches confiées aux femmes. Elles ne cotisaient pas et n’avaient
pas de carte de membre. Elles nous venaient seulement en aide. Mais il y avait des
« go » qu’on envoyait sur terrain pour convaincre un joueur ou un bon élément
pour intégrer le gang.

Comme je l’avais dit, il y avait une fille du nom de Dadié Rose qui aimait le
groupe. Cette fille nous a marqués, elle était très belle avec une belle forme. Mais
il y a quelques années, elle est décédée. Elle connaissait tous les membres du
groupe, et assistait souvent aux réunions. Elle était comme une sœur. Elle nous
aimait tellement qu’elle était prête à tout faire pour qu’on obtienne tous les bons
joueurs. Elle était capable de draguer et coucher avec eux pour les emmener à
intégrer notre équipe. Quand le groupe était « moisi49 » elle nous disait : « restez
tranquille, il y a un monsieur qui m’embrouille beaucoup là, on dirait qu’il est un
50
« peu en forme ». Elle appelait un homme et lui disait de venir lui donner une
bière. Ils buvaient et mangeaient et elle lui proposait d’aller à l’hôtel. Elle nous
appelait et donnait le nom de l’hôtel dans lequel ils étaient.

En pleine nuit sans que ce dernier ne sache, elle ouvrait la porte et des
éléments entraient pour les braquer. Ils prenaient tout sur le monsieur et la fille, et
l’un d’entre les braqueurs pouvait coucher avec elle, comme s’il la violait afin de
lever tout soupçon sur elle. On faisait de telle sorte que le monsieur ne se doute de
rien, et même va chercher à soigner la fille et lui donner un peu d’argent par
rapport à l’agression. Elle organisait des coups comme ça mais n’était pas membre
du gang. Je peux dire qu’elle était une sympathisante, elle nous venait en aide.

46
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie copine ou petite amis
47
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie petite sœur
48
Terme en argot ivoirien (nushi) qui veut dire : une façon de faire
49
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie ne pas avoir d’argent
50
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie avoir un peu d’argent

82
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

C’était elle qui avait trouvé le président de notre équipe de football. C’était un
instituteur qui aimait l’équipe et lors d’un de nos matchs, dans la foule ce dernier
a échangé avec elle. À la fin du match il nous a remis 5000 francs pour acheter du
« bandji51 » et le même jour elle a dormi avec lui. A la suite de leur relation, elle
lui a demandé de devenir le président de l’équipe. Il assurait les besoins de l’équipe,
surtout en frais de participation, en maillots et en eau […].

Souvent aussi nos « go » pouvaient rencontrer un « wah52 ». Elle nous faisait


signe de venir. Deux ou trois éléments s’y rendaient. Si elle savait qu’il n’avait pas
trop d’argent elle profitait de la présence des éléments pour ne pas partir avec lui.
Elle les présentait comme ses frères et demandait à son « gaou 53 » de payer de la
boisson. Mais au cas contraire, les éléments s’asseyaient à côté pour consommer
quelques bières et lorsqu’ils se levaient, ils les suivaient. La fille sachant qu’il y a
des éléments derrière, le faisait passer dans des couloirs bizarres qu’en temps
normal refuserai d’y mettre les pieds. Mais comme il va vouloir montrer son
courage à la fille, il va s’engager dans ce couloir. Les hommes, lorsqu’ils sont avec
une fille, ils veulent montrer leur courage. Les éléments les attaquaient et les
dépouillaient de tout et pouvaient même la gifler pour ne pas attirer les soupçons
sur la fille. Après elle retrouvait le groupe pour prendre sa part. A part la
complicité, elles nous servaient de liaison lorsque nos amis étaient en prison.
Lorsqu’un élément était emprisonné, on demandait à nos « go », de lui apporter à
manger, de prendre de ses nouvelles, et de lui transmettre nos messages.

14. Le langage et les signes


Zébès : Le gang « cobra force » n’avait pas de signe ni de code. La seule
chose c’est qu’on aimait bien s’habiller. Comme de bon ivoirien, on utilisait le
« nushi » pour s’exprimer entre nous.

51
Terme en argot ivoirien qui désigne le vin de palm
52
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie celui qui a de l’argent et le gaspille
53
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie personne se qualifiant par sa naïveté hors du commun

83
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Quand il y avait une situation où seuls les membres du gang devaient être
informés, on utilisait des termes codés. Par exemple lorsqu’on sentait la présence
d’un danger, soit des gens qui nous cherchaient pour la bagarre et qu’on était dans
un maquis, celui qui sentait le danger ou était se levait puis disait : « la base est
mieux ». Cela voulait dire : « dans les 2 minutes qui suivent tout le monde doit se
rendre au quartier général ». Mais tous nos termes découlaient du « nushi ».

84
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

DISCUSSION
Cette dernière partie porte un regard plus théorique sur le phénomène à l’étude. Les
résultats présentés au chapitre précédent seront discutés à la lumière des travaux
empiriques recensés et de la théorie de la socialisation. Ce chapitre mettra en lien
l’itinéraire social de Zébès et son adhésion à un gang. Enfin, des pistes de recherche
et d’intervention seront proposées.

85
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

I. UNE CARRIERE DE GANGSTER FAÇONNE


DURANT UN PARCOURS DE VIE
Cette première section discute des événements qui ont marqué la vie de
Zébès. Il démontre que la situation sociale des jeunes gangsters n’est pas toujours
précaire. Ainsi, l’adhésion des jeunes aux gangs découle de certains évènements
survenus durant la trajectoire sociale.

1. La désunion familiale comme source de déséquilibre pour l’enfant


1967 se situe dans la période où la Côte d’Ivoire connaissait le boom
économique (Proteau, 2002). Né dans une atmosphère de conflit qui a créé une
séparation entre son père et sa mère. Ce qui a eu impact sur lui, à un point où à l’âge
de 3 ans il est privé de l’affection maternelle en plus de l’allaitement dont il n’a pas
bénéficié à sa naissance. Selon Danyko et al (2002), Hamel et al (2003,), la plupart
des jeunes susceptibles d’intégrer les gangs ont été élevés par un seul parent. .
L’absence d’une mère au foyer est l’une des situations qui a marqué Zébès tout au
long de son parcours de vie. Les bonnes conditions dans lesquelles il vit, lui permet
d’avoir un physique de guerrier qui lui donne l’aptitude de se battre avec son frère,
de se mesurer à ces amis et d’avoir le goût de la bagarre.

Par ailleurs, notre enquêté, présente sa mère comme une femme


inconsciente, qui ne se souciait pas de son bien-être. Il emploie des termes en nushi
(djandjou, allé dans ses gazoiles), exprimant la haine face à sa mère. La relation
entre sa mère et lui était très tendue et ne la respectait pas. Avec son père c’était la
parfaite entente. Son père lui apportait assistance et protection. Les conditions
sociales de la famille de Zébès étaient bonnes car son père était un baron54 du PDCI.
Contrairement à De Latour (2001) qui dépeint des conditions socio-économiques
difficiles des ghettomen. Dans les années 70, c’était le parti unique et les personnes
appartenant à ce parti politique, en particulier les responsables de section
bénéficiaient de certains privilèges et des postes administratifs qui leur assuraient
de bonnes conditions sociales.

54
Terme dans le jargon ivoirien qui désigne un cadre du parti politique PDCI

86
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

2. La préadolescence comme période d’imitation et d’adoption de


mauvaises habitudes
Zébès a fréquenté de bonnes écoles puisque son père était un instituteur à la
base. Toutes les conditions pour la réussite scolaire étaient réunies. Mais un manque
de suivi dans l’éducation de celui-ci a été observé à un point où, il ne partait pas à
l’école à l’insu de son père. Les résultats scolaires au primaire étaient médiocres,
mais, par le statut de son père, il est admis en classe supérieure durant tout le cursus
primaire. À la suite de ses nombreuses balades buissonnières, il fait la rencontre des
gangsters en classe de CM2. Les contacts avec les membres de gangs surviennent
généralement à la préadolescence (Reiboldt, 2001). L’étude menée par Hamel et
collaborateurs (1998), note que la plupart les jeunes entraient en contact avec les
gangs vers la fin de l’école primaire.

3. L’adolescence une période d’affirmation de la personnalité sous


influence de l’environnement social
De même qu’à l’école primaire, les résultats scolaires au collège n’étaient
pas bons. Zébès refusait de participer à certains cours et avait des problèmes avec
l’administration de l’école. Selon les résultats, turbulent, bagarreur et impoli il est
renvoyé en classe de quatrième. Son père l’inscrit dans plusieurs écoles privées où
par son attitude, il est renvoyé. Tout comme Hamel et al (2003), les jeunes affiliés
éprouvent des difficultés au plan académique. L’absentéisme scolaire, les punitions,
les suspensions et les expulsions surtout dans les années de collège sont également
communs aux jeunes affiliés aux gangs.

Les échecs scolaires et la reprise de classe d’au moins une année au primaire
ont marqué le parcours scolaire des jeunes qui intègrent les gangs. La situation qu’a
vécue notre enquêté rejoint les résultats de Danykoet al. (2002). Les jeunes affiliés
aux gangs sont plus enclins à s’absenter de l’école sans raison valable et à vivre des
échecs scolaires.

Les amis comptaient beaucoup pour Zébès. De son enfance à son


adolescence, il s‘était beaucoup lié à ces amis au point où, il est entré en conflit

87
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

avec son père, suite à son transfert au CEG de Port-Bouët. Lorsqu’il faisait des
fugues, il se réfugiait chez ses amis. En tant que chef de groupe, il porte assistance
à ses amis, puis il leur venait en aide. L’environnement social hors de la maison
(amis, et connaissances) influence les attitudes et les choix des jeunes (Hamel et al,
2003). Comptant, sur ses amis, Zébès fait des fugues pour obtenir refuge chez ses
amis et fréquente les gangsters dans le souci de se procurer de l’argent.

4. Le vol comme moyen lucratif


Dès le bas âge, son père le responsabilise et lui donne de l’argent de poche
par mois. Il développe la cupidité, qui l’emmène à fréquenter de plus en plus les
gangsters et adopte des stratégies pour s’en procurer lorsqu’il est en manque. Ainsi,
il commence à voler à la maison, puis à la suite d’un excès, il est vivement
réprimandé par son père. Avec la correction que lui a infligée son père, il commence
à voler hors de la maison dans le souci de ne plus subir des physiques de la part son
père.

Malgré la première punition, Zébès a continué à voler à la maison. Les crises


d’adolescence conjuguée avec les besoins d’argent ont emmené Zébès à continuer
ses forfaits à la maison et en ville. Il avait le goût du risque. Ces données nous
montrent que les jeunes susceptibles d’avoir un profil de gangsters, semble
commencer dès le bas âge à intérioriser les actes (vol, bagarre, acte criminel). Ces
habitudes sont intériorisées dans le processus de socialisation comme principe
d’action de l’acteur. Zébès développe des stratégies, fondées sur un petit nombre de
dispositions acquises par socialisation, adaptées aux nécessités du monde social
(sens pratique) bien qu’elles soient inconscientes (Bourdieu, 2002).

88
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

5. Difficulté d’orientation dans le tissu social


Après l’échec scolaire, le père de Zébès l’inscrit dans un collège
professionnel en agriculture. À l’insu de son père, il fuit l’établissement et se
retrouve chez son oncle à Abobo. L’opinion négative de notre enquêté sur
l’agriculture l’a entrainé dans une logique de fuite. Il refuse les relais de la
formation professionnelle et le travail agricole. À l’instar, des jeunes ivoiriens dans
les années 80, Zébès considère le travail agricole comme une activité dévalorisante.
Dans l’imaginaire social de ceux-ci travailler à la fonction publique ou dans « un
bureau » était un prestige, une affirmation de soi, ce que nous dit De Latour (2001).
Selon elle les jeunes ont une caricature négative de la zone rurale. Ce qui se rapporte
à la tradition, au village, fait l’objet d’un rejet comme si c’était un risque pour un
retour à une vie précaire loin de la modernité était toujours présent. Cette vision
traduit bien la difficulté d’orientation que rencontrent les jeunes pour avoir un
emploi.

En résumé, les conditions sociales dans lesquelles Zébès a grandi étaient


agréables. Il ne manquait de rien. Le seul problème qu’il a rencontré au cours de
son itinéraire social a été le manque d’affection maternelle. Les jeunes affiliés aux
gangs ne sont tous pas issus de milieux socio-économiques défavorisés. La rupture
familiale (séparation des parents) de même que les problèmes des parents et
l’instabilité matrimoniale des parents sont des expériences qu’ont vécues certains
jeunes affiliés aux gangs.

Les évènements qui ont marqué Zébès ont imprimés en lui certains
sentiments (colère, manque d’attention) et des expériences qui ont participés à la
construction d’une identité de gangster.

L’encadrement des parents est souvent insuffisant et manque de rigueur.


L’intégration de Zébès dans la violence a été le fait des facteurs de son
environnement social.

89
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

En outre, l’expérience familiale dépeinte par Zébès illustre les principes de


la théorie de la socialisation. En se basant sur cette théorie, il est tout à fait
intelligible de mentionner que la construction de l’identité de gangster de Zébès
découle d’une construction depuis l’enfance. L’identité est ce qui se construit dès
l’enfance intègre des messages qui lui permettent de se projeter dans l’avenir à la
fois en tenant compte du passé, de la mémoire collective transmise par la famille,
mais aussi d’aspirations façonnées par des modèles alternatifs (par exemple, des
aspirations à la mobilité sociale). Ces jeunes vont se construire une identité en
décalage avec celle que leur renvoient leurs parents. Ce qui créée souvent une
distance entre générations et est porteur de tensions, de conflits. L’échec, l’écart
entre les aspirations et les résultats peuvent provoquer de véritables déchirements
pour les jeunes dont l’identité ne correspond plus à celle de leur milieu d’origine,
mais ne correspond pas non plus aux objectifs qu’ils s’étaient fixés. (Bolliet et al,
2008.).

Son discours reflète le conditionnement classique, opérant et par


observation à un jeu dans l’apprentissage des comportements déviants.

90
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

II. LES FACTEURS DE DESOCIALISATION PAS


TOUJOURS LIES A LA SITUATION ECONOMIQUE
DES PARENTS
Cette deuxième section illustre les facteurs qui ont conduit Zébès dans un
gang. Elle montre que le basculement de Zébès dans la violence est d’origine
familiale, d’un manque de suivi dans l’éducation, du décrochage scolaire et des
liens d’amitié.

1. La désunion des parents, difficilement conciliable avec une


socialisation réussie dans le cadre familial

A l’instar de Maxson et al, 1998 et Hamel et al, 1998, sur les jeunes
affiliés aux gangs au Canada, la désunion familiale est facteur majeur dans le
virement de ceux-ci dans la violence. La famille, premier espace de socialité dans
le cas de Zébès a eu un impact sur la construction de son identité sociale. Très tôt
il est confronté à un manque d’affection maternelle. La rupture familiale
(séparation des parents) de même que les problèmes des parents et l’instabilité
matrimoniale des parents sont des expériences qu’ont vécues certains jeunes
affiliés aux gangs nous dit Patton (1998). De ce faite, l’absence d’un des parents
(père ou mère) au foyer dans l’encadrement des enfants en cas de déviance
constaté, est un élément prépondérant. La transmission des valeurs passe par une
emprise du cadre familial et social, dès la plus tendre enfance, sur les actes de la
vie quotidienne. Mais contrairement, à Hamel et al, (1998), au Canada et Patton
(2002) sur les jeunes afro-américains, Zébès a été éduqué par son père.
Cependant, la désunion familiale constitue un facteur important dans le manque
d’encadrement des jeunes.

Il décrit un sentiment de rejet, de rancune et ce particulièrement pour sa


mère (Fleury, 2008). La présence d’une mère au cours de son éducation aurait aidé
Zébès à avoir une socialisation réussie dans un cadre familiale.

Au sein de leur famille, plusieurs jeunes affiliés ne trouvent pas


l'encadrement et le soutien émotionnel dont ils ont besoin (Maxson el al, 1998). La

91
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

supervision et la discipline parentale dont ils bénéficient sont fréquemment


inadéquates.

Par ailleurs, les conditions sociales dans lesquelles notre interlocuteur a


vécu, étaient favorables. Mourani, (2009) ; Danyko et al, (2002) ; Fleury, (2008) ;
Hamel et al (2002), font état de milieux socioéconomiques défavorisés des jeunes
affiliés aux gangs. Avec les données de notre enquête, les conditions des jeunes qui
intègrent les gangs ne sont pas toujours telles que décrites dans les études. Certains
de ceux-ci proviennent de familles à niveau social favorable.

2. Le mode ou style d’encadrement : coercitif ou laisser-faire


Avec un père constamment absent, très tôt Zébès est responsabilisé, car il
est chargé de gérer son argent de poche du mois et de faire ce qui lui plairait.
Comme les participants de plusieurs études (Danyko, 2002 ; Hamel et al, 1998 ;
Fleury, 2008), Zébès a confié avoir manqué d’encadrement et de suivi. Il faisait ce
qu’il voulait, partait où il le souhaitait sans qu’il ne soit réprimandé.

Son discours révèle le lien entre cette absence de l’autorité parentale et l’affiliation
au gang (Danyko, 2002). Livré à lui il extériorise ses facultés à être responsable,
puis dirige un groupe d’enfants. Il découvre le milieu de la violence sans être
soupçonné par son père. Le laxisme dans l’éducation des enfants est un facteur qui
participe à la déviance des jeunes dans les gangs.

Les corrections, Zébès n’en a pas eu en tant que telle au cours de son
éducation. Corriger un enfant ne signifie pas maltraitance ou punition physique.
Nous rappelons justement que l’autorité est un pouvoir doté d’une dimension
magique ou sacrée qui doit susciter une adhésion sans condition de ceux à qui elle
s’adresse. Les parents doivent exercer leur autorité, car si les mauvaises habitudes
de l’enfant ne sont pas limitées, alors un boulevard s’ouvre. Il subissait des
privations alimentaires (gouté) et des distractions (cinéma) en général, mais
seulement à deux (2) reprises son père a usé de violences physiques.

92
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Zébès savait que son père n’était pas du genre à corriger après une gaffe. Au
cours de nos entretiens, il nous fait savoir que son père le soutenait dans tous ces
méfaits. Son père lui apprenait à nier les faits lorsqu’il était pris par la police. Au
regard de ce que nous a dit notre interlocuteur, le trop grand amour pour les enfants
est source de déviation. Les corrections servent plus ou moins à recadrer l’attitude
des enfants et de participer à la construction de leurs identités sociales. Cette
correction est pareille que de la violence familiale dont parle Danyko et al (2002)
dans son étude qui sont entre autres que les sermons, le retrait de privilège sont les
formes de punitions et des coups (fessés), qui sont des causes du virement es jeunes
dans la violence. Dans le cas de notre étude, nous notons que cette formes de
corrections que nous jugeons mineurs, devrait participer à recadrer les enfants sans
toutefois être excessives. En confession, il nous dit que si son père l’avait laissé une
seule fois en prison, lorsqu’il avait commencé à voler dans les supermarchés, il ne
serait pas aujourd’hui un gangster. Ce qui nous fait dire que le manque de contrôle
et la perte de l’autorité parentale sont des facteurs importants dans la déviation des
jeunes dans les activités criminelles.

3. L’argent comme source de déviation


Certaines données de nos entretiens nous montrent que dès le bas âge Zébès
avait un goût excessif pour l’argent. En possession de fortes sommes d’argent, il
dilapidait en une journée et volait celui de son frère. A cours d’argent, il cherchait
des moyens pour s’en procurer. Selon Hamel (1998), le gang est d’abord un groupe
d’amis partageant des réalités et des problèmes semblables et le besoin d’argent est
une quête permanente. Aussi le gang est un cadre où l’on se donne les moyens
d’obtenir de l’argent.

L’intégration de Zébès dans un gang est le fruit d’une recherche permanente


d’argent. Pour ne pas avoir à demander de l’argent à son père et d’être soumis à des
interrogations sur la gestion de son argent de poche, il se tournait vers « les vieux
pères » du quartier (Marcory) en contrepartie de ses services.

93
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

De l’enfance à l’âge adulte, Zébès a toujours dépendu de son père. Lorsqu’il


avait un besoin. Chaque fin de mois, il recevait de l’argent. N’ayant pas d’activité,
Cette dépendance l’a entraîné à trouver des méthodes parallèles (vol) pour subvenir
à ces besoins. Il devient alors un pickpocket et y demeure toujours.

4. La socialisation difficile dans les périodes sensibles de la construction


de la personnalité sous l’influence des pairs.
Les résultats scolaires de Zébès étaient nuls durant son cursus scolaire. Il a
arrêté l’école puis s’est enfui. Les chercheurs mentionnent qu’en rompant les liens
avec le milieu scolaire, les jeunes associés aux gangs se marginalisent.

Pour leur part, Hamel et al. (1998) constatent que les jeunes associés aux
gangs font face à plus de difficultés scolaires, manquent plus souvent l’école et sont
davantage susceptibles de croire qu’ils sont perçus négativement (délinquants,
colériques ou ayant des problèmes personnels) par leurs enseignants. Ce profil tel
que mentionné par Hamel et al. (1998) correspond à celui de Zébès.

Comme dans l’étude de Patton (1998), il affirme avoir agressé un élève et


un professeur au collège. Cette attitude témoigne de l’affirmation de l’identité
masculine qui est mentionné par la majorité des recherches sur les gangs. Les jeunes
dans le processus de construction de la personnalité cherchent à démontrer aux yeux
de leurs amis, qu’ils peuvent défier l’autorité parentale et Etat, à travers les
responsables de l’administration et les professeurs. Ainsi le premier pan de
socialisation issu de cadre familiale est mis à mal et l’individu se resocialise sous
l’impulsion des amis et des milieux fréquentés.

5. La non prise en compte de l’aspiration des jeunes dans la construction


de leur carrière
Le seul domaine où il se sentait mieux et où il produisait de bons résultats
était le football. Mais son père a refusé qu’il fasse carrière dans le football, car n’y
voyant pas d’avenir. Ainsi, le fait que les parents imposent aux jeunes leurs choix

94
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

ou leurs aspirations parait être un problème dans le processus de socialisation de


ceux-ci.

Le fait que le père de Zébès ait refusé que son fils pratique le football, serai
l’une des causes qui l’ait entrainé dans le milieu de la violence puisqu’il n’avait pas
d’autre qualification et compétence. Tenir compte des aspirations des jeunes dans
la construction d’un profil de carrière est très importante. Cela permet aux jeunes
de construire leurs identités sociales en tenant compte de leurs capacités sous
l’impulsion des parents.

6. Les premiers cercles de sociabilités comme espaces de construction


d’un autre soi ou de compensation de la socialisation défaillante de la
famille
Les amis ont été une courroie de liaison pour Zébès en milieu de la violence.
Avec ses amis, il pratiquait l’école buissonnière, il a commencé à voler, à connaitre
le milieu de la rue et à intégrer un gang. Selon Bibeau, (2003), l’appartenance à un
gang se définit autour d’un réseau d’amis. Cette appartenance s’exprime d’abord
par un style : une façon de bouger, de s’habiller, de parler et de se tenir en groupe.
Le gang est d’abord un groupe d’amis qui partage des réalités et des problèmes
semblables qui sont généralement, menace à l’endroit de sa personne, problèmes
familiaux, besoin d’argent (Mourani, 2009). Chez les jeunes le suivisme est
beaucoup fréquent. Le fait de ne pas pratiquer certaines activités (vol, tatouage, acte
de vandalisme, graffiti, bagarre, viol), permettait d’être stigmatisé par ses amis.

Depuis l’enfance de Zébès à Marcory, il avait des amis avec qui il s’est initié
à la vie de la rue, puis il fréquentait des gangsters pour qui il avait un fort
engagement. L’intégration dans les gangs se fait par les réseaux d’amis, comme
nous l’a dit notre enquêté au cours de son récit de vie. Le fort engagement envers
les camarades délinquants et relations sociales dans la rue ont été des éléments
stimulateurs dans l’adhésion de Zébès à un gang.

95
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

En somme, l’affiliation aux gangs est un processus complexe impliquant, en


interaction, des facteurs familiaux, individuels et sociaux. Résultant d’une plus
grande vulnérabilité aux plans social, familial et personnel, les facteurs de
l’affiliation de Zébès à un gang répondent à des besoins fondamentaux au cours de
sa trajectoire sociale.

Les causes de sa déviance dans le milieu de la violence se sont fondées


depuis l’enfance. Ce sont le manque de suivi, le besoin d’argent, l’environnement
social notamment le cercle d’amis, le décrochage scolaire et l’absence de l’autorité
parentale. Pour les jeunes issus de familles aisées, la trop grande dépendance à
l’argent est un facteur important dans la déviation. Face à un besoin, des stratégies
sont mises en œuvre pour s’en procurer et cela ne peut se faire que de façon illicite.
Aussi, l’environnement social compte pour beaucoup dans l’adhésion des jeunes à
la violence. Les fréquentations et les amis sont des facteurs important. A l’antipode
de l’éducation des parents, les amis et connaissance apprennent certaines valeurs de
la vie qui sont intériorisées par les jeunes.

Les propos de Zébès illustrent le développement de stratégie dans le souci


de faire face à ces envies et besoins quotidiens. Le rôle des socialisations primaires
(enfance, adolescence) et secondaire (âge adulte) est très important dans la
construction d’une carrière sociale. Chacune des socialisations vécues va être
incorporée (les expériences étant elles-mêmes différentes selon la classe d’origine)
ce qui donnera les grilles d’interprétation pour se conduire dans le monde. Au cours
de son itinéraire social il incorpore des attitudes que sont les vols, la fréquentation
des gangs et le milieu de la rue par le biais de ses amis. Il est incorporé dans la
matrice des comportements individuels, et permet de rompre avec le déterminisme
supra-individuel.

96
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

III. LE GANG COMME ESPACE DE RESOCIALISATION


Dans cette section, nous parlerons des significations que Zébès donne à son
appartenance au gang et à l’organisation du gang.

1. Le gang comme une seconde famille


Pour Zébès le gang a été une expérience qu’il souhaite revivre, car il se
sentait comme dans une seconde famille. Auprès du gang et de ses membres, les
jeunes trouvent un soutien moral qu’ils ne recevaient pas dans la cellule familiale.
Selon De Latour (2001), quelle que soit la fragilité des liens dans le ghetto, le
sentiment d’appartenance est suffisamment fort pour remplacer temporairement la
famille d’origine qui ne répond plus aux nouvelles attentes. Zébès au cours de son
parcours de vie, a manqué d’affection maternelle et de l’attention de la part de son
père. Les relations qui existaient entre son père et lui étaient purement en rapport
avec ses besoins matériels (alimentaires, argent, fournitures scolaire etc.).

Le gang est d’abord un groupe d’amis partageant des réalités et des


problèmes semblables : menace à l’endroit de sa personne, partage de sentiments,
problèmes familiaux, besoin d’argent (Perreault et Bibeau, 2003). Au sein du gang,
Zébès partage les mêmes envies et les mêmes aspirations que ses copains. Tous les
excès peuvent être partagés, les excès de plaisir, comme les excès de détresse, la «
sale vie55 » comme la « belle vie56 » (De Latour, 2001).

En outre, les jeunes qui adhéraient au gang comme nous l’a signifié Zébès,
éprouvaient un grand besoin d’appartenance et de protection. Les individus qui
adhéraient aux gangs cherchaient une protection contre les difficultés de la vie et
contre les milieux hostiles. Le gang se propose comme une protection, comme
l’aurait fait une famille responsable.

55
Terme argot ivoirien qui désigne la pauvreté, la galère
56
Terme en argot ivoirien qui fait allusion aux bonheurs, à la richesse

97
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

2. Un système d’entraide au sein du gang


Le discours de Zébès mentionne la question de charité. Il n’admettait pas
que certaines personnes aient des difficultés à survenir à leurs besoins primaires
(alimentaires et scolaires). A bas âge il a commencé à porter assistance à ses amis
et même, est allé jusqu’à dormir à la belle étoile avec eux dans le but de partager
leur souffrance.

Selon lui, son appartenance au gang a été suscité par une volonté d’aider et
de s’entraider entre membre du groupe, car lui aussi avait des besoins. Lorsqu’il
volait, il partage son butin avec les membres de son gang et cherchait des moyens
pour survenir aux besoins des autres. Ce sentiment d’être utile et de participer à
l’épanouissement de ses amis lui donne une certaine satisfaction. Il considère ses
actes comme utiles pour sauver des âmes en détresse. Au sein du gang il crée une
branche nommée affaire sociale pour résoudre les problèmes des membres en
difficulté. Il le signifie lui-même au cours de l’entretien qu’il a été porté à la tête du
groupe grâce à son élan de charité.

Tel que mentionné par De Latour (2001), Au sein du gang les liens étaient
forts. « Au ghetto, […] les sentiments, les mouvements du cœur sont au centre du
lien entre frères de sang » De Latour (2001, p16). Le gang remplaçait
temporairement la famille biologique bien que dans le cas de Zébès son père ne
l’avait chassé de la cellule familiale et même continuait de le soutenir
financièrement.

3. Un sens d’appartenance au-delà du profit


Zébès fut, l’élément clé de la transformation du club d’amis en gang. Les
caractéristiques qui ont permis qu’il soit choisi comme chef de gang, sont la
générosité, le courage, la force et l’autorité. Ainsi ces caractéristiques se
rapprochent de celles qu’a énumérées De Latour (2005) sur les membres du
« ghetto ». Le gangster est un guerrier qui a gros cœur57, le possesseur

57
Terme en argot ivoirien (nushi) qui signifie être vaillant, être courageux

98
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

d’objets/signes de pouvoir, le donateur généreux. Le courage lié à la générosité va


de pair avec une valeur cardinale : le respect imposé à travers le défi. Selon nos
observations sur le terrain et le témoignage de son vieux père58, Zébès était très
respecté et craint. Cela parce qu’il fut chef avec le « don de soi »59.

Patton (1998) observe qu’en plus de répondre à un besoin d’appartenance et


de recherche d’identité, l’affiliation leur procure un sentiment de pouvoir et de
contrôle nécessaire pour se protéger d’un milieu hostile. En tant que responsable de
gang Zébès avait des responsabilités, de l’autorité et un pouvoir qui lui donnait la
sensation de se sentir important.

4. Une construction de carrière de gangster en tant que pickpocket


L’activité pratiquée par Zébès depuis son adhésion au gang est le vol dans
les transports en commun. Il le pratique en temps plein et fait de cette activité sa
source de revenue pour faire face à ses besoins et ceux de sa petite famille.

Contrairement à De Latour (2005), il n’est pas vu comme un guerrier furieux


et sans pitié, un grand crâne brûlé60, un dangereux, un têtu. Dans certaines études
et certains films de fiction sur les gangs, par exemple Scarface 61, le chef de gang à
l’image d’un caïd, d’un criminel et sans état d’âme (DE Latour 2001). Etant à
l’antipode de l’image décrit dans les études, Zébès se voit comme un homme
charitable et courageux qui donne sa vie pour ses amis. Il faut aussi noter que, la
position sociale de son père a participé à cette ascension à la tête du groupe, car
quelques soient ses gaffes son père le sortait de prison.

Cependant, au cours de ces activités de vol, Zébès a eu à faire à la police et


aux services de contrôle dans les gares de la SOTRA. Il a plusieurs fois été mis en
garde à vue, mais à cause de son père et son frère, il n’a pas eu affaire à la justice

58
Il s’agit de notre introducteur auprès de Zébès
59
Ce terme énuméré par le vieux père de Zébès signifie le don de sa personne, une personne avec
s’implique personnellement dans la vie de ses membres
60
Terme en argot ivoirien (nushi) qui désigne un bandit de grand chemin
61
Un film américain sur les gangs de l’acteur AI Pacino titré Scarface [Palma, 1983]

99
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

et il n’a pas été mis en maison de correction. Plusieurs fois, il a été bastonné et
humilié en public surtout à la gare nord de la SOTRA. Selon Haut (2010) la majorité
des jeunes affiliés aux gangs ont eu affaire aux services de police suite à des actes
antisociaux et la majorité des chefs de gang finissent par faire de la prison, après
démantèlement de leur organisation (Haut, 2010). Certes Zébès n’a pas eu ce même
sort que ses amis tués, emprisonnés ou en exil, mais il a plusieurs fois eu affaire aux
services de police. Il a même été sauvé de justesse par un chef des FRCI après le
conflit armé de l’élection de 2010.

5. Le gang : une organisation au-delà d’un club d’amis


Le gang « cobra force » au départ était un club d’amis qui se constituait en
équipe de football pour les tournois. Avec l’arrivé de Zébès, il va connaître une
mutation en association de jeunes du quartier qui deviendra plus tard un gang avec
l’introduction des activités violentes et criminelles. Le gang a été structuré comme
une entreprise et la majorité des gangs étudiés (Hamel et al, 1998 ; Mourani 2009),
ont été mentionnés comme des groupes parfaitement structurés et organisés. Par
contre nos données sur le gang « cobra force » vont à l’encontre de celles de De
Latour (2001) sur les gangs en Côte d’Ivoire. Elle nous a montré un univers moins
structuré où la seule façon de faire régner l’ordre était la force. Dans ces ghettos
c’était la loi du plus fort.

Pour Zébès le gang était une entreprise, tel qu’il nous l’a décrit. L’étude de
De Latour (2001) faisait plus allusion à l’espace, au territoire (ghetto) où les jeunes
délinquants se retrouvaient pour affirmer leur singularité, partager leur joie, leur
peine et trouver des stratégies pour faire face aux difficultés du moment. Le gang
« cobra force » partait au-delà du simple territoire. Il était un groupe bien structuré
à l’image des mafias comme nous l’a décrit Mourani (2009). Zébès s’est projeté
dans une construction d’organisme à l’image des gangs dans les films américains.

Le gang tel que structuré par Zébès, répond à un souci de construction d’une
identité factice. Après sa fuite de l’école professionnelle, Zébès n’avait plus d’issu

100
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

de sortie. Après plusieurs tentatives pour s’insérer dans certains clubs de football
tel que l’espoir de Koumassi, il se met à l’activité criminelle62. De Latour (2001) et
Bibeau (2003) affirment que les jeunes affiliés aux gangs les utiliseraient pour
atteindre des rêves. Le rêve de Zébès était de devenir un grand footballeur. Ne
pouvant atteindre ses objectifs, il structure le club d’amis en association qui
deviendra un gang après introduction des activités criminelles. Le souci est de se
procurer des sous puis de survenir aux besoins des membres du gang. Le gang
pratiquait des activités licites (sécurité, protection, équipe de football) et des
activités illicites braquage à main armée, brigandage, vol, agression physique, viol).

6. Les activités criminelles comme réponses aux besoins d’argent


Le gang est définit comme un groupe d’amitié comprenant des adolescents
et des adultes qui partagent des intérêts, avec un territoire plus ou moins clairement
défini dans lequel vivent la plupart des membres. Le territoire de la « cobra force »
était le quartier avocatier. La pratique des activités criminelles étaient à but lucratif.
Le gang est un espace où le besoin d’argent est commun aux membres (Maxon et
al, 1998).

Le phénomène des gangs fait son apparition en Côte d’Ivoire dans les
alentours des années 80. A cette période correspond, une phase de crise
économique avec l’avènement du PAS. Le coût social de ces programmes étant la
stagnation des salaires, la réduction du pouvoir d’achat, l’augmentation du
chômage, les licenciements, la privatisations d’entreprises publiques,
l’augmentation des prix des produits de base, la réduction des aides sociales
au logement, à la santé, à l’éducation et la limite les possibilités d’accès des
jeunes à des emplois décents (N’goran et al, 2014). Ainsi certains jeunes se
regroupent au sein des groupes à caractère criminel afin de répondre à leurs besoins.
Le gang devient un espace d’affirmation et de recherche de moyens de survie. Tous
les moyens étaient bons pour se procurer de l’argent. En plus des activités licites

62
Il exerçait en tant que pickpocket à la gare nord de la SOTRA

101
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

comme assurer la sécurité des commerces plusieurs activité criminelles sont


organisées (les braquages à main armée, les agressions) pour se faire le maximum
de gains. .

7. Les systèmes d’incubation des codes et valeurs (les rituels


d’intégration)
Les rituels de socialisation des criminels particulière dans les gangs sont des
systèmes symboliques qui permettent de formater les nouvelles recrues aux normes
et valeurs du groupe. Selon l’étude biographique de l’ex chef de gang « Cobra
force » nommé Zébès, l’intégration au sein du gang était un processus. Tel que
mentionné par Fleury (2008), L’appartenance à un gang se définit autour d’un
réseau d’amis, ce qui fut son cas. Depuis son enfance, il a fréquenté des gangsters
et avec ses amis fréquenté le milieu de la rue. Comme l’a mentionné De Latour
(2001), la confiance et le courage sont les qualités recherchées par les gangsters.
Ainsi faisant preuve de charité, montrant son courage et sa domination sur une
personne craint et à cause du statut social de son père (directeur de cabinet au
ministère de la femme et secrétaire général de la section du PDCI de Marcory), il
est accepté et désigné comme responsable du groupe.

A l’instar, des gangs aux Canada (Corriveau, 2009) et aux Etats unis (Haut
et al, 2010), l’intégration d’une nouvelle recrue passe par la commission d’un acte
de violence. A la différence, les rituels soumis étaient, la bagarre entre le postulant
et un membre choisi en fonction du gabarit de celui-ci.

Cette pratique avait pour objectif de tester la force physique. Ensuite, il était
soumis à un test où il devait commettre un vol au domicile familiale ou de détourner
l’argent que les parents lui avait remis pour effectuer des courses soit pour payer
les factures en complicité avec les membres du gang. L’objectif visé était de tester
sa capacité à ne pas dénoncer ses complices après avoir été pris. Aussi, la nouvelle
recrue devait commettre des agressions des passants ou violer des filles pour
montrer les capacités à accomplir une mission avec promptitude, et pour terminer

102
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

se livrer au brigandage et la participation à un braquage à main armée pour une


intégration complète dans le milieu de la violence.

À côté de ces formes de rituels, certaines personnes avaient recours à des


pratiques mystiques. Comme les guerriers d’autrefois, la force physique est très
souvent « travaillée » en dehors de quelques ghettomens comme Zébèsqui ne s’en
remettaient qu’à Dieu. Chacun se protégeait et c’était une affaire privée qui faisait
souvent appel aux secrets de famille ou aux connaissances de chaque groupe
ethnique. Les boucliers étaient : anti-fer, disparition, anti-coups, anti-balles. Ils
étaient ingurgités, se portaient, s’étalaient sur la peau, se glissaient dans le sang par
petites coupures dermiques (De Latour, 2001).

8. La loi du plus fort pas forcement une règle au sein des gangs
Pour être responsable au sein du gang « cobra force », il fallait avoir
certaines qualités, dont le courage, le sens de la responsabilité et être un
rassembleur, comme l’a mentionné De Latour (2001). Mais contrairement à De
Latour (2001) qui note que le ghetto était un monde où les plus forts pouvaient
toujours dominer par la terreur, par les rapports de forces et régner en maître avec
la soumission des autres, le gang cobra force utilisait un autre moyen pour la gestion
du groupe.

Le gang cobra force fonctionnait comme une association. Il y avait des chefs
de section en fonction des domaines d’activités. Les responsables étaient proposés
en conclave. Cette façon de fonctionner comme l’a signifié Zébès avait pour but de
créer une cohésion, une entente et une stabilité au sein du groupe. Ainsi le chef était
respecté par tous et avait plus de pouvoir et d’autorité. En plus, les décisions étaient
prises en conclave.

En résumé, Zébès au sein du gang se sentait dans une seconde famille. Le


gang lui a fourni plus de soutien affectif que sa famille dysfonctionnelle, bien
qu’elle puisse avoir les moyens. Au sein des gangs, les jeunes partagent les mêmes

103
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

difficultés et créent des liens pour se sentir comme des frères issus d’une même
famille traduite en ce terme nushi « frère sang »63.

La difficulté commune aux membres du gang était le besoin d’argent. Ainsi,


il met en place une stratégie associative qui a consisté à ouvrir une caisse. Cette
caisse alimentée avec les cotisations mensuelles des membres issues des butins des
activités criminelles. Les activités criminelles ne sont donc pas vues comme des
actions malsaines par eux mais comme des moyens pour subvenir à des besoins.

Le but des activités criminelles était de faire de l’argent, en plus de certaines


activités licites (la surveillance des commerces) qui ne rapportait pas assez pour
tous les membres du gang. Les braquages à mains armées et les agressions
physiques ont été introduites pour renflouer la caisse. Les jeunes affiliés aux gangs
utiliseraient la violence pour atteindre des rêves comme avoir des biens, de l’argent
et pouvoir démontrer une richesse.

Le gang « cobra force » a été l’expression des pensées et de vison de Zébès.


Au-delà, de la quête de profit, le gang conférait à Zébès un pouvoir et des
responsabilités. N’ayant pas d’autre alternative après ses échecs, il se construit une
identité au sein du gang qui lui donne le statut de leader. Il modèle le gang comme
une entreprise où la sécurité et l’épanouissement des membres est l’objectif.

63
Terme en argot ivoirien nushi qui signifie : frère de sang/ frère de même famille ou un ami intime

104
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

CONCLUSION GENERALE
A travers le récit d’un ex-chef de gang abidjanais, notre étude a mis en
évidence la spécificité des situations dans le basculement des jeunes dans la
criminalité. A priori, le basculement des jeunes dans les activités criminelles
organisées était justifié et encouragé par les conditions économiques des parents.
Cette étude suggère que l’intégration des jeunes dans le milieu de la violence
découle du processus construit durant le parcours de vie des individus. L’affiliation
aux gangs est un processus complexe impliquant, des facteurs familiaux,
individuels et sociaux.

Dans une vue synoptique de l’étude que nous avons mené pendant un mois
environ sur l’intégration des jeunes dans la violence, c’est cette substance que nous
avons recueillie. Toutefois, il convient de rappeler les principales démarches qui
ont fondé cette investigation. En effet, la réalisation de cette présentation intitulé
« Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo » s’est faite sous la direction d’une question
centrale : Quelle est la trajectoire sociale des jeunes qui s’investissent dans la
violence criminelle ? Pour mieux l’expliquer, nous avons dégagé trois (3) questions
particulières.

Toutes ces démarches s’inscrivaient dans l’objectif de comprendre la


construction processuelle de la carrière de criminelle à partir de l’exemple d’un
chef de gang. La précision de cet objectif quelque peu général s’est fait par rapport
aux questions élaborée auparavant. Il importe également de souligner qu’au cours
de notre investigation, nous avons utilisé plusieurs techniques parmi lesquelles nous
avons : la recherche documentaire et les entretiens.

Concernant la méthode, nous avons utilisé l’approche biographique et comme


théories d’analyse, celles de la socialisation. De manière générale nous pouvons
récapituler les résultats comme suit : malgré la bonne situation socio-économique
des parents et les dispositions favorables à la réussite, Zébès bascule dans la
criminalité. Ensuite, l’exemple de Zébès montre que l’adhésion des jeunes aux
gangs résulte de plusieurs facteurs intra et extra familiaux durant le parcours de vie.

105
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Ce sont la désunion des parents, l’absence de l’autorité parentale, l’environnement


social en dehors du cadre familial et le manque d’orientation après les échecs
scolaires qui ont favorisé le déclassement social de celui-ci, jusqu’à l’intégration
dans un gang. Et enfin, le gang représentait pour lui une seconde famille. Elle était
pour lui un espace où il pouvait s’affirmer et être important.

Toutefois elles ne sauraient fonder par induction des conclusions


généralistes. Notre intension en investigation dans cette tâche est de contribuer à la
recherche dans le domaine de la violence criminelle. Nous souhaiterons par ailleurs
que les produits de notre présent travail servent à d’autres études.

Que resterait-il donc à faire pour continuer la recherche ?

A notre sens, il serait indispensable que des enquêtes semblables à la nôtre,


plus approfondies soient menées sur plusieurs individus de profils différents en
Côte d’Ivoire afin de mieux appréhender les facteurs susceptibles de favoriser
l’intégration des jeunes dans la violence criminelle. Mentionnons, à titre d’exemple:

• Mutation des gangs de 1999 à 2014 en Côte d’Ivoire;

• Nouvelle forme de criminalité : cas des microbes à Abidjan.

Seule une comparaison des résultats obtenus par ces enquêtes autoriserait à
généraliser et permettrait de vérifier ou non nos résultats.

L’apport du sujet de recherche dans la société ivoirienne.


Notre sujet de recherche se situe dans le champ disciplinaire de la socio
économie, gouvernance et développement. Il apporte une contribution dans le
domaine du développement. Le problème de la violence est un frein au
développement économique et social du pays.

En Côte d’Ivoire, la situation de la violence urbaine a pris une proportion


incommensurable. Depuis les années 90, passant par la crise politique de 1995, le
coup d’état du 19 décembre 1999, les élections présidentielles de 2000, la rébellion
armée de 2002 et la crise postélectorale 2010-2011. La violence a pris de l’ampleur
et connait de nouvelles formes conditionnées par la réalité sociale des moments. La

106
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

recrudescence de la violence en Côte d’Ivoire aboutit à plusieurs préoccupations


d’ordre politique, économique et social, surtout avec le phénomène des microbes
qui bat son plein. Les braquages, les vols à main armée, les kidnappings sont de
véritables freins pour les investisseurs étrangers et nationaux.

En outre, la sécurité est un indicateur de mesure de la bonne gouvernance et


de la stabilité des pays, notre étude sur les gangs permet d’apporter un aperçu et des
réponses sur les causes qui favorisent l’intégration des jeunes dans la violence en
général et dans les gangs en particulier.

107
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

BIBLIOGRAPHIE

I- DOCUMENTS METHODOLOGIQUES
Durkheim E. 1999. Les règles de la méthode sociologique, 10ème édition, Paris
Quadruge/ PUF, p.34

N’DA P. 2006. Méthodologie de la recherche : de la problématique à la discussion


des résultats, Edition Universitaires de Cocody (EDUCI), 3ème édition revue
et complétée,

Quivy R.et Kampenhout L.V. 1988. Manuel de recherche en sciences sociales,


Paris, Dunod, .287

II- DOCUMENENTS SPECIALISES


Amani Y. C.2.014. Logiques d’adaptation sociale des loubards à Abidjan (côte
d’ivoire): vers une perspective critique, EuropeanScientific Journal,November
Edition vol. 8, No.26 ISSN: 1857.

Annick. P, 1993. La Socialisation politique, Paris, Armand Colin.

Besse L et al. 2012. « Françoise Tétard ou l'histoire comme pratique »,


Agora débats/jeunesses/1 N° 60, p. 21-33. DOI : 10.3917/agora.060.0021

Baudelot. C, Establet. R, 1971. L’école capitaliste en France, Paris, Maspero.

Bourdieu P. 2000. Esquisse d’une Théorie de la pratique. Paris, Editions du seuil

Bolliet. D, Schmitt. JP, 2008. La socialisation, Bréal 2e édition.


Le Breton D. (2012), L'interactionnisme symbolique, Paris, PUF, Coll. Manuels

Corriveau P. 2009. La violence dans l’univers des gangs : du besoin de protection


à la construction identitaire masculine, in revue de l'IPC, volume 3 : p. 117-134.

108
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Danyko, S., A. Arlia, J. Martinez. 2002. « Historical Risk Factors Associated with
Gang Affiliation in a Residential Treatment Facility: A Case/ConlTolStudy».
Resie/entialTreatmentfor Children and Youth, vol. 20, no. 1, pp. 67-77.

De Latour E, 2001. Métaphores sociales dans les ghettos Côte d’Ivoire, Presses de
Sciences Po,Autrepart, 2001/2 n°18, p. 151-167. DOI: 10.3917/autr.018.0151

De Latour E. 2001. « Du ghetto au voyage clandestine : la métaphore héroïque »,


Presses de Sciences Po,Autrepart, 2001/3 n° 19, pp. 155-176.

De Latour E. 2005. « La jeunesse ivoirienne “guerriers”, “chercheurs”,


“créateurs” », Presses de SciencesPo,Etude, 2005/4 Tome 402, pp.471-482

De Tessières S. 2012. « Enquête nationale sur les armes légères et de petit calibre
en Côte d’Ivoire Les défis du contrôle des armes et de la lutte contre la violence
armée avant la crise post-électorale », Rapport spécial, Institut de hautes études
internationales et du développement 47, Avenue Blanc, 1202Genève, Suisse

Dorais M. 1993. « Une expérience de recherche qualitative: La méthodologie de


tous les hommes le font ». Revue de sexologie, vol. l, no. l, pp. 125-141.

Dubar C. 1998. « La construction sociale de l’insertion professionnelle », revue


française de pédagogie, Edition et société, n° 7/2001/1, 2 000. pp. 158-162.

Dubar C. 2000. La crise des identités. L’interprétation d’une mutation, Paris,


presses Universitaires de France.

Dusonchet. A. 2002. Images et mirages culturels de la réalité des gangs de jeunes


dans la presse francophone montréalaise. (Mémoire de maîtrise non publié).
Université de Montréal.

Fleury E. 2008. Exploration des perceptions et de l'expérience de jeunes hommes


associés aux gangs quant aux rapports de genre et à la sexualité. Université du
Québec à Montréal, Service des bibliothèques.

Guy. R, 1970. « L’action social », Introduction à la Sociologie générale, tom1

109
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Hamel S.et al. 2003. « Analyse de la construction d’une innovation sociale ; le cas
de la jeunesse et gang de rue »,in nouvelles pratiques sociales, vol 16, n° 2, pp 52-
79.

Haut. F, Raufer. X, 2010. « Gang et réseaux dans les lieux de détention », Notes
d’alerte, département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines,
institut de criminologie de Paris-université, Paris II Panthéon-Assas

Hébert J. al. 1998. « Jeunesse et gangs de rue ».' Revue de littérature (Phase 1).
Rapport présenté au Service de Police de la Communauté Urbaine de Montréal.
Montréal: Institut de Recherche pour le Développement social des Jeunes, 100 p.

Julie. D, 2004, « Que se passe-t-il à la récré ? » in Sciences humaines, « l’enfant »


Hors Série n°45,

Maxson, C. et al. 1998. « Vulnerability to Street Gang Membership: Implication


for Practice ». Social Service Review, p. 70-91.

Mourani. M. 2009. Gangs de rue inc: leurs réseaux au Canada et dans les
Amériques, Les Éditions de l’Homme, division du Groupe Sogidesinc., filiale du
Groupe Livre Quebecor Média Inc. (Montréal, Québec)

Patton. P. L. 1998. «The Gangsta in Our Midst». The Urban Review, vol. 30, no. l,
p. 49-76

Perreault, M. et G. Bibeau. 2003. La gang: une chimère à apprivoiser. Marginalité


et transnationalité chez les jeunes Québécois d'origine afro-antillaise. Montréal:
Éditions du Boréal, p. 386

Pirie, G. 2007. Reanimating a comatusgoddess: reconfiguring central. CapeTown.


Urban Forum, 18(3), pp. 125-151.

Prince J. 2008. « Intervenir auprès des jeunes à risque d’adhérer à un gang de rue
: un guide à l’intention des intervenants communautaires ».Société de criminologie
du Québec pour la Direction de la prévention et du soutien (DPS), ministère de la
Sécurité publique du Québec. Bibliothèque et Archives nationales du Québec

110
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Proteau L. 2002. Passions scolaires en Côte d’Ivoire. École, État et société, Paris,
Karthala, coll. Hommes et sociétés.

Reiboldt, W. 2001.”Adolescent Interactions with Gangs, Family, and Neighbors:


An Ethnographic Investigation.” Journal of Family Issues, 22 (2): 211-247

Richez J C. 2012. « Cinq contributions autour de la question de la participation des


jeunes ». Observation de la jeunesse et des politiques de jeunesse. INJEPS-2012/02

Thonbeny, T. P, et al. 2003. Gangs and Delinquancy in Deve!opmentalPenpective.


Cambridge: Cambridge UniversityPress.

Wortley S. 2010. « Identification des Gangs de rue: dilemmes à propos de la


définition et répercussions sur les politiques », Rapport n°016. Université de
Toronto.

III- WEBOGRAPHIE

« Gang de rue » in http://www.afxnex.com / gangs et mutation

« Gang, cause et mutations » in http://www.google.ci consulté le 25 mars 2214

Encyclopédie libre « jeunesse », inwww.wikipédia.com consulté le 15 septembre


2014

Pajares F. 2002. “Overview of Social cognitive Theory and of Self-efficacy,


available” at: www.emory.edu/EDUcation/MFP/eff.html, consulter le 17 octobre
2014.

« Interactionnisme symbolique » in www.wikipédia.com, consulté le 9 juin 2012


http://ci.undp.org / rapport violence/décembre 2013).

PASU (2014), « rapport du PASU » in http//www.koaci.com/rapport pasuviolence/

111
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

« Situation sécuritaire en Côte d’Ivoire », in


http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/7720583, consulté le 25 novembre 2013

« Groupe à caractère violents » in http :// www.societecrimino.qc.ca, consulté 23


février 2014.

http://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2012-1-page-21.htm

« Gang et violence urbaine » in


http://books.google.ci/books?hl=fr&lr=&id=aK1uh7YSoscC&oi=fnd&pg=PA97
&dq=causes+d'adhésion+aux+gangs, consulté le 6 septembre 2014.

« Qu’est-ce qu’un jeune » in


http://www.isabelcarvalho.blog.br/pub/capitulos/jeunesse.pdf, consulté le 6
septembre 2014.

« Centre national de prévention du crime, 2007) »


http://www5.statcan.gc.ca/acces/archive.action, consulté le 7 septembre 2014.

« Centre canadien de la statistique juridique, 2008) »


.http://www5.statcan.gc.ca/acces/archive.action, co

112
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

Table des matières


INTRODUCTION ........................................................................................... 1
1. 1. Contexte de l’étude ...................................................................................... 2
2. Problématique .................................................................................................. 5
3. 3. Objectifs ....................................................................................................... 8
4. Cadre conceptuel de l’étude ............................................................................. 8
4.1. Trajectoire sociale ........................................................................................ 8
4.2. Jeune ............................................................................................................. 9
4.3. Engagement ................................................................................................ 10
5. Revue critique de littérature ........................................................................... 10
5.1. Causes de l’intégration des jeunes aux gangs de rue .................................. 11
5.2. Crise du lien intrafamilial, cause du basculement des jeunes dans la
criminalité .......................................................................................................... 12
5.3. Motivations des jeunes qui s’engagent dans les activités criminelles
organisées .......................................................................................................... 14
MATÉRIELS ET MÉTHODES .................................................................... 17
1. Matériels ........................................................................................................ 18
1.1. Lieu de l’enquête .................................................................................... 18
1.2. Recherche documentaire ........................................................................ 20
1.3. Entretiens ................................................................................................ 21
1.4. Technique de sélection et critères de choix de l’enquêté ....................... 21
1.5. Analyse de données ................................................................................ 22
2. Méthodes et théories d’analyse ...................................................................... 22
2.1. Approche biographique .............................................................................. 22
2.2. Théorie d’analyse ....................................................................................... 23
RÉSULTATS DE L’ETUDE ........................................................................ 27
I. LES EVENEMENTS AYANT FAÇONNE LA VIE DE ZEBES DE SON
ENFANCE A L’AGE ADULTE .......................................................................... 28
1. L’enfance de Zébès (0 à 13 ans) .................................................................... 28

113
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

1.1. Une naissance dans un contexte de vives tensions entre les parents de la
mère de Zébès et son père ................................................................................ 28
1.2. Une enfance sous la couverture du père et loin de la mère .................... 29
1.3. Un fils à papa .......................................................................................... 33
1.4. Une éducation dans un environnement de laisser- faire ......................... 33
1.5. Quand le fiston gagne l’affection des vieux pères du quartier ............... 37
1.6. Quand l’initiation aux activités criminelles commence avec le jeton de la
go de papa .......................................................................................................... 38
1.7. De la maison au marché : la mise en pratique des compétences de voleur
41
2. Une adolescence controversée (13 -18 ans) ................................................... 42
2.1. La rupture des liens avec ses amis de la classe de CM2 ............................ 42
2.2. Des problèmes avec l’administration et les professeurs du CEG de Port
Bouët ................................................................................................................. 43
2.3. Le refus de participer au cours d’anglais .................................................... 44
2.4. Un élève avec un capital guerrier ............................................................... 45
2.5. La rechute dans les vols à la maison .......................................................... 45
2.6. Des fugues qui inquiètent le père. .............................................................. 47
2.7. L’expérience de la rue ................................................................................ 48
2.8. Exclusion du CEG de Port-Bouët ............................................................... 48
2.9. Un goût pour le risque .............................................................................. 49
2.10. Le rêve de footballeur professionnel brisé ............................................... 50
2.11. Des exclusions répétées dans des écoles privées ...................................... 51
3. De l’école à l’expérience dans un gang ......................................................... 51
3.1. Echec scolaire et abandon de la formation professionnelle........................ 51
3.2. La bonne impression faite au club d’amis .................................................. 52
3.3. Le courage et l’autorité manifestés par Zébès devant les membres du
groupe ................................................................................................................ 53
3.4. La charité comme moyen de construction du leadership personnel ........... 55
3.5. L’activité de pickpocket comme gagne-pain .............................................. 55

114
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

II. FACTEURS A L’ORIGINE DU BASCULEMENT DE ZEBES DANS LES


ACTIVITES CRIMINELLES ............................................................................... 57
1- La famille monoparentale .............................................................................. 57
2. L’absence de l’autorité parentale dans l’éducation de Zébès ....................... 57
3. Un goût excessif pour l’argent ....................................................................... 60
4. Une vie de dépendance .................................................................................. 61
5. Un rêve de footballeur brisé par le père ......................................................... 62
6. L’influence des amis sur les choix de Zébès ................................................. 62
III. LES SIGNIFICATIONS DE L’APPARTENANCE DE ZEBES A UN
GANG ................................................................................................................... 63
1. Un sens au-delà d’un cercle d’amis ............................................................... 63
2. Les « sciences » comme activités lucratives .................................................. 63
3. L’activité de pickpocket comme gagne pains quotidien ................................ 64
4. L’opinion que se font les gangsters de leurs activités selon Zébès ............... 65
5. Une structuration du gang selon les aspirations personnelles de Zébès ........ 66
5.1. La réorganisation du club d’amis en gang .................................................. 66
5.2. Signification du nom« cobra force » .......................................................... 66
5.3. La stratégie d’attribution de responsabilité au sein du gang ...................... 67
5.4. Les différentes branches du gang ............................................................... 68
5.5. Les activités criminelles ............................................................................. 71
5.5.3- L’organisation avant les opérations ........................................................ 73
6. Les modes d’adhésion au gang ...................................................................... 74
6.1. Les liens d’amitié ....................................................................................... 74
6.2. La sélection ................................................................................................. 74
7. Les stratégies de formation et d’intégration des nouveaux membres ............ 75
7.1. Le brigandage ............................................................................................. 75
7.2. Le vol chez soi ............................................................................................ 75
7.3. La bagarre ................................................................................................... 75
7.4. Les cankes (scarification) ........................................................................... 76
8. Les étapes d’intégration ................................................................................. 76

115
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

9. Les rituels selon l’âge .................................................................................... 77


10. La signification sociale des rituels ............................................................. 77
11. Le gang « cobra force ».............................................................................. 79
11.1. Les règles du gang .................................................................................... 79
11.2. Les doyens ................................................................................................ 80
11.3. Les réunions ............................................................................................. 81
12. Les conditions sociales des membres du gang ........................................... 81
13. Le rôle des femmes .................................................................................... 82
14. Le langage et les signes ............................................................................. 83
DISCUSSION ................................................................................................ 85
I. UNE CARRIERE DE GANGSTER FAÇONNE DURANT UN
PARCOURS DE VIE ............................................................................................ 86
1. La désunion familiale comme source de déséquilibre pour l’enfant ............. 86
2. La préadolescence comme période d’imitation et d’adoption de mauvaises
habitudes ............................................................................................................... 87
3. L’adolescence une période d’affirmation de la personnalité sous influence de
l’environnement social .......................................................................................... 87
4. Le vol comme moyen lucratif ........................................................................ 88
5. Difficulté d’orientation dans le tissu social ................................................... 89
II. LES FACTEURS DE DESOCIALISATION PAS TOUJOURS LIES A LA
SITUATION ECONOMIQUE DES PARENTS .................................................. 91
1. La désunion des parents, difficilement conciliable avec une socialisation
réussie dans le cadre familial ................................................................................ 91
2. Le mode ou style d’encadrement : coercitif ou laisser-faire .......................... 92
3. L’argent comme source de déviation ............................................................. 93
4. La socialisation difficile dans les périodes sensibles de la construction de la
personnalité sous l’influence des pairs. ................................................................. 94
5. La non prise en compte de l’aspiration des jeunes dans la construction de leur
carrière................................................................................................................... 94
6. Les premiers cercles de sociabilités comme espaces de construction d’un
autre soi ou de compensation de la socialisation défaillante de la famille............ 95

116
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

III. LE GANG COMME ESPACE DE RESOCIALISATION ....................... 97


1. Le gang comme une seconde famille ............................................................. 97
2. Un système d’entraide au sein du gang ......................................................... 98
3. Un sens d’appartenance au-delà du profit...................................................... 98
4. Une construction de carrière de gangster en tant que pickpocket.................. 99
5. Le gang : une organisation au-delà d’un club d’amis .................................. 100
6. Les activités criminelles comme réponses aux besoins d’argent ................. 101
7. Les systèmes d’incubation des codes et valeurs (les rituels d’intégration) . 102
8. La loi du plus fort pas forcement une règle au sein des gangs .................... 103
CONCLUSION GENERALE ............................................................................. 105
Quelques pistes de recherche ....................................... Erreur ! Signet non défini.
L’apport du sujet de recherche dans la société ivoirienne. ................................. 106
IV. BIBLIOGRAPHIE ................................................................................... 108
Table des matières ............................................................................................... 113
ANNEXES ........................................................................................................ I

117
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de
gang de la Cobra Force à Abobo

ANNEXES

I
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

Rituels d’intégration des jeunes dans le gang «cobra force » à Abobo, biographie d’un chef de gang
Première phase: enfance et l’éducation
Récit biographique
Questions clés Questions subsidiaires de Types Sources Instrume Méthode
recadrage du récit d’informatio nt de d’analyse
ns collecte
1- Naissance - En quelle année est tu né ? Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
« cobra force » discours
- Où est tu né ?
2- Situation familiale - Quel travail faisait ton père ?
Parles-nous de vos parents ? - ta mère ?
- Vivait-il ensemble pendant Ex membre de
ton enfance ? si non chez qui « cobra force »
est tu resté ? pourquoi ? Photos, documents Interviews Analyse
Descriptif de
- Qualité des relations entre tes personnels discours
parents ?
- As-tu des frères ?
- Qualité des relations avec tes
frères ?
- Relation avec ton père ?
- Relation avec ta mère ?
3- Education - Voyais-tu tous les jours tes Ex membre de
parents ? « cobra force »

II
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

Comment était ton enfance ? - Quelle a été la qualité de ton Photos, documents Analyse de
personnels
éducation ? Descriptif Interviews discours

Deuxième phase : scolarité et le virage dans la violence


4- Parcours scolaire ? - Où as-tu fait l’école ?
Parles-nous de ton parcours - Comment allais-tu à Ex membre de
scolaire ? l’école ? « cobra force »
- Avais-tu de quoi à Photos, documents Analyse de
manger à l’école ? personnels
Descriptif Interviews discours
- Comment étais-tu à
l’école ?
- Aimais-tu allé à
l’école ?
- As-tu fait la
maternelle ?
- Quels ont été tes
résultats du CP1 au
CM2 ?
- As-tu obtenu le CEPE ?
- Comment à été ton
cycle secondaire
(collège) ?
- En quelle classe as-tu
arrêté l’école ?
pourquoi ?

III
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

5- Rencontre de la violence - A quel âge as-tu connu


Evénements ayant fait le milieu de la
changer votre vie ? violence ?
- Comment as-tu connu le
milieu de la violence ? Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
« cobra force » discours
- Tes parents le savaient-
ils?
- Quelle était ta mission ?
6- Adhésion à la violence - Pourquoi n’as-tu pas
quitté le milieu de la Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
violence ? « cobra force » discours
- Qu’est ce qui t’a attiré
dans ce milieu ?
Troisième phase : l’expérience dans le gang
7- Intégration à un gang - Comment as-tu connu le
gang ?
- Qui t’a introduit au sein
du gang ?
- A quel âge as-tu intégré
le gang ?
- Qu’est-ce qui t’a Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
motivé à y entrer ? « cobra force » discours
- Qu’est-ce qui t’a été
demandé avant
d’intégrer ce gang ?
- Y a-t-il eu des
conditions particulières

IV
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

qui t’ont été imposées ?


Lesquelles ?
8- Les rituels d’intégration - Quelles épreuves as-tu
dans les gangs fait pour intégrer le
gang ?
- Y a-t-il d’autres rituels ?
si oui lesquels ?

- Qui choisit les rituels ?


Pourquoi ?

- Y a-t-il des étapes


pendant l’initiation ? si
oui lesquels et quels
sont les rituels a chaque
étapes ?
- Est ce qu’il ya des
Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
épreuves selon l’âge de
« cobra force » discours
l’individu ?
- si oui lesquelles ?
- Comment se passe les
initiations ?
- Ya-t-il des étapes à
franchir et des épreuves
à faire pour gravir les
échelons au sein du
groupe ?

V
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

-
9- Significations sociales des - Pourquoi faut-il poser
rituels des actes de bravoure/ou
subir des épreuves avant
d’entrer dans le gang ?
- Est-ce que tous les actes
de bravoure ont la Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
même signification ou « cobra force » discours
valeur ? Pourquoi ?

10- Organisation et - Comment est organisé


fonctionnement du gang le gang ?
- Pourquoi le gang
s’appelle « cobra
force » ?
- Comment le chef est
choisi ?
- Est-ce que l’âge ou
l’ancienneté intervient
dans le choix du chef de
gang ? Si non,
pourquoi ?

- Quelles sont les


Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
activités du gang ?
« cobra force » discours

VI
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la Cobra Force à Abobo

- Comment le groupe
s’organise quand il doit
mener des actions de
terrain/attaques ?

- Des femmes dans le


gang ? Leurs rôles et
fonctions ?

11- Codes et valeurs du gang - Y a-t-il un langage


spécifique aux membres
du gang ? si oui lequel ?
- Quels sont les codes et
signes du gang ?
- Pourquoi l’usage de ces
codes et signes Descriptif Ex membre de Interviews Analyse de
spécifiques ? « cobra force » discours
- Quelles sont les règles
de vie que les membres
du groupe doivent
respecter ?
-

VII
Trajectoire sociale des jeunes criminels en Côte d’Ivoire: biographie d’un chef de gang de la
Cobra Force à Abobo

Image 2 : carte géographique de la ville d’Abidjan

Source : Centre de cartographie et de télédétection du BNETD, 2013

VII

Vous aimerez peut-être aussi