Réfugiés Dans Relations Internationales 1944-1951
Réfugiés Dans Relations Internationales 1944-1951
Réfugiés Dans Relations Internationales 1944-1951
Depuis le XIXe siècle et la première Guerre mondiale, les personnes déplacées et les réfugiés
constituent un problème récurrent des entrées et des sorties de guerre, puis bientôt du temps de paix. Les deux
guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945 semblent avoir apporté une échelle démographique au problème
des déplacements de population qui a changé la nature même de l’enjeu pour les Etats et pour la société
internationale. Il ne s’agit plus de milliers ou centaines de milliers mais de millions d’individus, par exemple
plus de 2 millions de Français et Belges au 2e semestre 1914 et 5,5 millions de Russes pour les premiers mois de
guerre ; après 1944, les déplacements contraints de population se chiffrent également en million quand les
statistiques sont établies et fiables (12 à 14 millions d’Allemands, déplacés et expulsés par exemple 1944-1951).
En second lieu, il faut distinguer les déplacés, les apatrides et les réfugiés. Ces catégories répondent à
des politiques et des définitions juridiques distinctes, fixées progressivement par un droit international qui doit
être considéré, selon la juriste R. Maison, davantage comme un élément d’action que de connaissance. Voilà qui
en relativise le concours qu’il peut prêter à l’historien. Ces catégories se sont définies à partir du traditionnel
droit des gens, puis, à compter de la première Guerre mondiale, par l’action des Etats puis de la SDN à partir de
1921, avec le dossier des apatrides et des déplacés bénéficiant des « passeports Nansen ». De fait, la société
internationale a désormais dû prendre en compte des déplacés durables, sinon permanents (réfugiés politiques).
Entre les conventions de Genève 1949 et surtout de 1951, la définition du réfugié moderne a continué de se
préciser : est considéré comme réfugié l’individu qui a quitté le territoire, le lieu de sa nationalité et qui ne peut
pas y revenir. Par des brouillages épistémologiques entre le droit, la sociologie et l’histoire, comment reconnaître
la figure du réfugié sous les traits du déplacé, de l’apatride, de l’émigré, de l’exilé, du clandestin ? Et pourtant,
qui peut dire que les personnes déplacées n’ont pas été durablement, au-delà d’un problème inédit et permanent
de politique internationale, une catastrophe humaine du siècle ? Victime, le réfugié est une figure glorieuse et
positive à l’image des exilés et déplacés des années 1970-1990 qui semblaient défier le destin des dictatures et
des totalitarismes ; fugitif, il est l’image noire, doloriste, suspecte d’une histoire des immigrations économiques
qui hante la mauvaise conscience occidentale.
Deux questions sont posées : comment le phénomène historique est-il devenu un problème de politique
internationale à la fin de la Seconde Guerre mondiale et quelles réponses le système international a-t-il apporté à
un défi désormais récurent ? (1) Un problème de la société internationale et un enjeu du droit international (2).
Michael Marrus, « Personnes déplacées » in Jean-Pierre Azéma, François Bédarida (dir.), 1938-1948, Les années
de tourmente, dictionnaire critique, Flammarion, 1995, p. 683-691.
M. Marrus, Les Exclus : les réfugiés européens au XXe siècle, Calmann-Lévy, 1986.
Olivier Forcade, Philippe Nivet (dir.), Les Réfugiés en Europe du XVIe s. au XXe siècle, Paris, NME, 2008.
M. Korinman, « La longue marche des organisations de réfugiés allemands depuis 1945 », in Hérodote, 1er trim.
1993, p. 41-66.
O. Forcade (dir.), « Les Déplacements de population en Europe dans les années 1940 », HES, 2022/1, p. 1-134.
Stéphane Dufoix, Politiques d’exil : Hongrois, Polonais, Tchèques en France après 1945, PUF, 2002.
Olivier Forcade et alii (dir.), Exils intérieurs. Les Evacuations à la frontière franco-allemande en 1939-1940,
PUPS, 2017, 397 p.
Pawel Sekowski, O. Forcade & Rainer Hudemann de Prace Historyczne, 2019, Numer 146 (3), « Migrations,
Migrants and Refugees in 19th-21st Centuries in the Interdisciplinary Approach », p. 517-672.
Les populations déplacées et réfugiées constituent désormais un enjeu permanent de la politique internationale,
moins à l’intérieur des Etats qu’entre les Etats. Celui-ci s’écrit encore en termes de relations économiques,
diplomatiques et juridiques. L’Organisation internationale des réfugiés traite plusieurs dizaines de millions
d’individus déplacés de la fin de la guerre au début des années 1950. L’ONU et le droit international se saisissent
de l’enjeu, au travers du HCR et d’un nouveau droit conventionnel que tous les Etats ne ratifient ni n’appliquent
à fond.
1
1° Un nouveau problème de la politique internationale : les personnes déplacées et
réfugiés
1.1 Avant 1945, une grande pauvreté des catégories juridiques nationales/internationales
a/Si la SDN s’est emparée de la question des déplacés et des réfugiés à partir de 1920, elle n’a
pu résoudre la question sur le plan du droit. Ce sont donc les Etats, et les collectivités locales
qui se sont efforcées d’apporter des réponses sanitaires, alimentaires improvisées à une
question essentiellement posée en temps de guerre dès 1914 : le déplacé, à l’instar de 2M de
Belges et Français évacués ou déplacés de l’été et de l’automne 1914, est une figure noire de
notre imaginaire national. Ces expériences nationales des déplacements de population, et
l’ampleur que l’après-guerre leur donna par le redécoupage des frontières des Etats, installe la
question comme un problème, certes inédit, mais désormais permanent des relations
internationales, à l’instar des populations échangées en Grèce et Turquie entre 1920 et 1923 (2
à 3 millions), ou entre Pologne et Allemagne en Haute-Silésie en 1920-1922 (1,2 millions
d’Allemands déplacés, puis 1 million de Polonais en 1921-22). Un haut-commissariat des
réfugiés à la SDN fut créé, confié à un haut-commissaire aux réfugiés, Fridjof Nansen
(passeports pour les apatrides), puis un comité intergouvernemental des réfugiés de 1938 à
1947 : délivrance de visas/statuts/immunités aux réfugiés et apatrides, transferts et
réinstallation de réfugiés, assistances aux populations en liaison avec les organisations
bénévoles, les Etats et les ONG et le CICR comme les comités nationaux. Par exemple, quel
statut donner à des enfants orphelins et quelle nationalité leur reconnaître ? C’est précisément
la paralysie progressive de la SDN qui gela le règlement des questions des réfugiés dans les
années 1930. C’est là la 1ère nouveauté. La 2nde est la nécessité d’anticiper une situation
internationale d’évacuation de ses ressortissants en cas d’invasion du territoire national.
b/C’est pourquoi la France avait prévu un service extraordinaire du temps de guerre pour les
déplacés et les réfugiés qui fut mis en place en septembre 1939. Ainsi, 200 000 Mosellans et
400 000 Alsaciens dont les Strasbourgeois durent quitter en quinze jours leur habitation au
début de septembre 1939, dans une large improvisation administrative en dépit de l’existence
du Service central aux réfugiés rattaché à la vice-présidence du conseil, activé en 1939. Dans
le gouvernement de Paul Reynaud, un sous-secrétariat d’Etat aux réfugiés fut
symboliquement confié à un « homme des frontières », Robert Schuman (né en 1886 à
Luxembourg, Français en 1918, futur député de la Moselle et min AE 1948-1953) du 21 mars
au 11 juillet 1940. Les Alsaciens-Mosellans, comme en 1914, furent envoyés dans les
départements de l’Ouest et du centre (Corrèze, Vienne et Haute-Vienne, Charente), comme
l’avaient été Français et belges en 1914 et 19181. Comment considérer et traiter les déplacés
français dès le 10 mai 1940, mais ensuite Belges et luxembourgeois fuyant l’offensive
allemande ? Il n’y avait pas simplement des Français déplacés, mais des étrangers demandant
refuge et sinon asile. Mais ces mesures furent dépassées très vite par l’ampleur d’un
déplacement de population qui concerna en mai-juin 1940 8 millions de Français soit un 1/5e
de la population nationale. L’administration politique et militaire se trompa donc en France
sur l’ampleur et la durée du phénomène, situation qui allait se répéter pendant la guerre dans
d’autres pays et sur d’autres fronts.
c/-On le voit, les premières politiques à l’égard des populations déplacées étaient d’abord
nationale et ensuite largement improvisées par l’Etat et les villes. Il y a par ailleurs lieu de
différencier l’histoire des déplacements contraints de population, nationale ou étrangère, en
temps de paix et en temps de guerre. La Seconde Guerre mondiale pose à nouveau le débat, en
1
François Roth, Robert Schuman. Du Lorrain des frontières au père de l’Europe, Fayard, 2008, p. 205-222.
2
de nouveaux termes. Leur caractère commun est de s’attacher aux personnes en mouvement
en raison du comportement d’un Etat. Dans le droit conventionnel des réfugiés, c’est la
persécution qui justifie l’engagement d’Etats tiers vis-à-vis du réfugié. Dans le droit de la
guerre, c’est encore l’Etat belligérant, la Puissance occupante, qui se trouve limitée dans son
action de déplacement des populations civiles. Est en fait un réfugié toute personne fuyant son
lieu habituel de vie pour se mettre à l’abri. Le péril peut avoir des causes diverses :
économiques, sociales, climatiques, politiques, guerrières. En droit, la qualité de réfugié est
réservée à certaines de ces personnes seulement.
3
L’ampleur et la durée des déplacements et des retours fit rapidement avec les pays libérés et
ceux occupés par les alliés un problème sanitaire et alimentaire avant d’être politique et
diplomatique : la fin de la guerre a été l’un des plus grands mouvements de déplacement de
populations dans l’histoire démographique, se chiffrant par dizaines de millions d’individus
déplacés, rapatriés, évacués ou refusant de rentrer dans leur pays d’origine ce qui était, en tous
cas sur le plan diplomatique, une nouveauté.
a/En Europe centrale et orientale, la découverte des camps fut largement médiatisée à l’Ouest
et passée sous silence à l’Ets par Moscou pour mettre l’accent non sur la destruction des Juifs
d’Europe, mais sur l’héroïsme du peuple soviétique face au fascisme. Pour Moscou et les
nouveaux gvts, les expulsions de Volksdeutschen et- transferts à grande échelle de
populations doivent aider à consolider les territoires redéfinis dans l’après-guerre : ex à Yalta
et Potsdam en repoussant de 240 km frontière sov à l’Ouest jusqu’à la ligne Curzon pour
annexer région ukrainienne et biélorusse, avec contrepartie d’une extension du territoire
polonais vers une ligne Oder/Neisse à l’ouest, soit 1,4 M de Polonais concernés par ce
déplacement.
b/Au 2e semestre 1945, le pb fut confié à l’United nations relief and rehabilitation
administration (UNRRA), ou adm des nations unies pour assistance et réadaptation établi
4
depuis 1943 entre alliés Il concernait 44 pays dont URSS. Mais URSS refusa de le laisser
opérer dans sa zone. 1ère org vraiment internationale, avec soutien américain, dirigée par
ancien maire de New York La Guardia. Action contestée par Moscou en 1945-1946.
Comprenant que de nb civils allaient être laissés pour compte, Anglais et Américains créèrent
l’IRO (International Refugee Organization) (OIR). Conçue dès 1946, approuvée par l’ONU le
15 décembre 1946, elle naquit à la mi-1947. Entre 1947 et 1951, elle réinstalla plus d’un
million d’individus. Elle a fonctionné jusqu’en février 1952. Aux EU (0, 5 M), Australie (0,
13), Israël (0, 16), Canada, Europe ouest : fin des personnes déplacées de la guerre. La
question n’avait pas fini d’empoisonner les relations Est-Ouest, l’URSS cherchant à fixer les
populations en fermant le dispositif de l’OIR aux déplacés d’Europe centrale et orientale.
c/Le cas allemand démontre l’intérêt national à régler la question, les organisations locales se
transformant en lobby très actif pour défendre les droits des populations. Ce sont aussi les
alliés, dans leurs zones d’occupation militaires respectives, qui eurent à traiter ces problèmes,
en considérant qu’ils devaient au mieux relever d’organisation internationale. D’où
l’accélération de la création de l’OIR par ailleurs. La situation allemande était désastreuse :
0,5 M morts et 5 M de sans-abris par destruction de l’infrastructure urbaine par les
bombardements alliés, rejoints par les évacués de guerre et les expulsés d’après-guerre
comme les 3M d’Allemands des Sudètes, soit un quart de la population allemande entre 1945
et la fin des années 1940. Des millions avaient fui l’avance soviétique à l’Est (Pol, Roumanie,
Tchécoslovaquie, Youg, URSS), constituant des expulsés. A Potsdam en juillet 1945, le pb de
ces expulsions acceptés était de les réguler à l’ouest entre zones d’occupations occ (3 M) et
celle soviétique (2M en novembre 1945), en cherchant un équilibre. Flux d’expulsés
allemands continue jusqu’au début des années 1950, soit 12 M d’Allemands réfugiés
(Vertriebene) au total entre 1945-1951 déracinés selon le ministère allemand des réfugiés,
dont 1/3 encore en zone soviétique en 1950/ et 2/3 à l’Ouest. 9,6 millions avaient fui d’Est en
Ouest.
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2.2 Le réfugié dans le droit conventionnel
a/En droit conventionnel des réfugiés, selon l’article premier de la Convention de Genève du
28 juillet 1951 « relative au statut des réfugiés », modifiée par un protocole de 1967, la qualité
de réfugié doit être reconnue à « toute personne [...] qui craignant [...[ avec raison d’être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain
groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et
qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays [...] »
(article 1er). Il y a trois éléments donc pour reconnaître un réfugié au sens juridique du terme,
au sens de la Convention de 1951 : l’émigration, le risque de persécution, la « carence ou la
perversité des autorités de l’Etat national du réfugié qui devraient, normalement, assurer sa
protection ».2 On peut certes ajouter que la Convention de l’Organisation de l’unité africaine
de 1969 donne une définition un peu plus large du réfugié ; elle n’est toutefois que
d’application régionale.3 On peut aussi signaler que les Etats demeurent libres d’accueillir au
séjour des personnes qui ne relèvent pas de la définition de la Convention de 1951. En droit
français, par exemple, et parfois sous l’influence du droit communautaire, on rencontre aussi
la catégorie des réfugiés constitutionnels, la catégorie des personnes massivement déplacées,
ou celle des personnes exposées dans leur pays à la peine de mort, à la torture. Pour certaines
de ces catégories, la protection accordée est inférieure à celle dont bénéficie le « réfugié
conventionnel ».4
b/En outre, contrairement à ce que l’on pourrait d’abord penser, la Convention internationale
de 1951 ne confère pas un droit d’asile aux personnes relevant de la définition qu’elle propose
du réfugié. Elle n’impose pas, en d’autres termes, aux Etats qui l’ont ratifiée d’admettre ces
personnes sur leur territoire. La Convention se limite à confier la reconnaissance de la qualité
de réfugié aux autorités nationales, qui exercent un filtrage des demandes et qui consentent ou
non au séjour des réfugiés (en France, il s’agit de l’Office français de protection des réfugiés
et apatrides, OFPRA, dont les décisions sont susceptibles de recours devant une juridiction
administrative, la Commission des recours des réfugiés). Elle impose en revanche directement
aux Etats de ne pas appliquer des sanctions pénales pour entrée ou séjour irréguliers aux
réfugiés arrivant directement du territoire où leur vie ou liberté était menacée (article 31) Elle
impose aussi aux Etats de ne pas les renvoyer sur les frontières de ce territoire (principe de
non refoulement) (article 33). Elle impose enfin aux Etats, s’ils consentent au séjour des
réfugiés, le contenu minimal du statut dont ils doivent bénéficier (articles 12 à 30).
c/Pour ce qui est du droit international de la guerre, il n’existe pas plus de définition
spécifique du réfugié que de distinction apparente entre le réfugié et la personne déplacée. Ils
relèvent d’un régime beaucoup moins individuel que celui de la convention de 1951 et sont
saisis comme membres de la « population civile ». La IVe Convention de Genève de 1949
pose des interdictions qui limitent le déplacement forcé de celle-ci. Il n’y a pas de droit
individuel des personnes déplacées qui soit clairement défini, sauf peut-être le droit à un
recours en cas de détention, mais plutôt des obligations s’imposant aux Etats belligérants,
particulièrement en territoire occupé. Ces obligations visent notamment à empêcher une
recomposition démographique de la population civile ; elles sont inscrites à l’article 49 de la
IVe Convention de Genève qui précise : « Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi
que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la
Puissance occupante ou dans celui de tout autre Etat, occupé ou non, sont interdits, quel
2
Marie-Laure Niboyet & Géraud de Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, Paris, LGDJ, 2007, p.
657.
3
Denis Alland & Catherine Teitgen-Colly, Traité du droit de l’asile, Paris, PUF, 2002, p. 91 à 97.
4
Droit international privé, op. cit., p. 661-662.
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qu’en soit le motif. /Toutefois, la Puissance occupante pourra procéder à l’évacuation totale
ou partielle d’une région occupée déterminée si la sécurité de la population ou d’impérieuses
raisons militaires l’exigent. Les évacuations ne pourront entraîner le déplacement de
personnes protégées qu’à l’intérieur du territoire occupé, sauf en cas d’impossibilité
matérielle. La population ainsi évacuée sera ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités
dans ce secteur auront pris fin. (...) /La Puissance occupante ne pourra procéder à la
déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population dans le territoire occupé par
elle » (c’est nous qui soulignons).
Conclusion
-Les déplacés sont devenus, par la force de la guerre, un problème permanent et de grande
échelle intéressant la politique nationale des Etats puis devenant enjeu de politique
internationale dès le règlement des conflits.
-Par ailleurs, l’émergence d’un droit conventionnel a internationalisé les enjeux des personnes
déplacées et réfugiées, en passant du droit des gens à une catégorisation naissante du droit
international après la Seconde Guerre mondiale