Thrombocytemie Essentielle: I. Generalites

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THROMBOCYTEMIE ESSENTIELLE

Cours d’hématologie en Master 1 Médecine


Présenté par Dr LEDAGA

OBJECTIFS
1. Définir une thrombocytémie essentielle
2. Evoquer une TE
3. Citer les examens complémentaires à réaliser pour le diagnostic de la TE
4. Enumérer les complications d’une TE
5. Connaitre les phases d’évolution d’une TE
6. Enoncer les principes du traitement

PLAN
I. GENERALITES
a. DEFINITION
b. EPIDEMIOLOGIE
c. PHYSIOPATHOLOGIE
II. DIAGNOSTIC POSITIF
a. ASPECTS CLINIQUES
b. EXAMENS COMPLEMENTAIRES
c. CRITERES OMS 2016 POUR LE DIAGNOSTIC DE LA TE
d. PRONOSTIC ET EVOLUTION
III. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
IV. PRINCIPE DU TRAITEMENT

I. GENERALITES
a. Définition
Syndrome myéloprolifératif caractérisé par une thrombocytose chronique avec hyperplasie
mégacaryocytaire et mégacaryocytes (MK) géants.
Diagnostic parfois délicat : il n'existe à ce jour aucun marqueur spécifique, et c'est souvent un
diagnostic d'exclusion.

b. Epidémiologie
Touche l’adulte (50 – 60 ans) avec une égale fréquence de sexe.
Autre petit pic de fréquence vers 30 ans (femmes).
Incidence = 1 à 2.5 / 100 000 H/an.

c. Physiopathologie
La thrombocytémie essentielle est un trouble clonal des cellules souches hématopoïétiques qui
entraîne une augmentation de la production de plaquettes. La thrombocytémie essentielle se produit
habituellement avec des pics bimodaux; un pic précoce chez les jeunes femmes et un pic plus tardif
après 50 ans chez la femme et chez l'homme.
Une mutation de l'enzyme Janus kinase 2 (JAK2), JAK2V617F, est présente chez environ 50% des 1
patients; JAK2 est un membre de la famille des enzymes tyrosine kinase et est impliquée dans la
transduction du signal de l’érythropoïétine, de la thrombopoïétine et du granulocyte colony-
stimulating factor (G-CSF) entre autres. D'autres patients ont des mutations de l'exon 9 du gène de la

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calréticuline (CALR) et certains ont des mutations somatiques acquises du gène du récepteur de la
thrombopoïétine (MPL).
Certains syndromes myélodysplasiques (p. ex., anémie réfractaire avec sidéroblastes en couronne et
thrombocytose [RARS-T] et le syndrome 5q-) peuvent se manifester initialement par une numération
plaquettaire élevée.

La thrombocytémie peut entraîner


 Occlusions microvasculaires (habituellement réversibles)
 Thrombose des gros vaisseaux
 Saignements
Les occlusions microvasculaires impliquent souvent de petits vaisseaux des extrémités distales
(provoquant une érythromélalgie), l'œil (provoquant une migraine oculaire) ou le système nerveux
central (provoquant une accident ischémique transitoire). Tous les patients ne présentent pas de
symptômes microvasculaires même lorsque la numération plaquettaire est élevée.
Le fait que le risque de thrombose des grands vaisseaux cause d'une thrombose veineuse profonde
ou d'une embolie pulmonaire soit augmenté dans la thrombocythémie essentielle n'est pas clair, en
particulier parce que les plaquettes sont principalement impliquées dans la thrombose artérielle et
qu'il n'y a pas de corrélation entre la numération plaquettaire et la thrombose des gros vaisseaux.
Le risque hémorragique est plus élevé lorsque l'hyperplaquettose est extrême (c'est-à-dire, environ
1,5 millions de plaquettes/mcL [1,5 millions × 109/L]);); il est dû à un déficit acquis en facteur von
Willebrand, lui-même dû au fait que les plaquettes adsorbent et protéolysent les multimères du von
Willebrand de haut poids moléculaire induisant un syndrome de von Willebrand acquis.

II. DIAGNOSTIC POSITIF


a. Aspects cliniques
Dans 2/3 des cas : affection asymptomatique, découverte avec un hémogramme.
Dans 1/3 des cas les signes cliniques sont dominés par les accidents thrombotiques /
hémorragiques :
Les thromboses sont les plus fréquentes, 3 fois plus souvent artérielles (cerveau, cœur, rein,
membres inférieurs) que veineuses (membres inférieurs, porte, hépatique, pulmonaires). Des
microthrombi peuvent provoquer des troubles de la microcirculation : érythromélalgie, maux de
tête, paresthésie, ischémie des extrémités (pas de relation entre risque thrombotique et N° PLT).
Les hémorragies s’observent surtout si la N° PLT est > 1500 G/L (relation entre risque
hémorragique et N° PLT) : parfois cutanées, souvent muqueuses (tractus gastro-intestinal en premier
lieu, uro-génital, épistaxis). Elles sont +/- sévères, sauf si associées à la prise d’anticoagulants
(aspirine, autres, …)
Une splénomégalie de volume modéré est présente dans 1/3 des cas (il faut toujours apprécier le
volume splénique à l’imagerie si le patient doit être traité).

b. Aspects biologiques

1. Hémogramme
- N° PLT > 450 G/L, chronique (=vérifiée sur 2 hémogrammes après 1-2 mois), > 1000 G/L dans la
moitié des cas.
Morphologie plaquettaire : parfois présence de PLT géantes avec raréfaction des granulations, 2
fragments de MK (surtout quand N° PLT > 1000 G/L)
- Leucocytes.

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Une hyperleucocytose (> 10 G/L ou > 15 G/L selon les études) est associée à un risque accru
de thrombose = c'est une polynucléose neutrophile (dépasse rarement 15 G/L; retrouvée dans ½
cas).
Discrète myélémie (<5%) possible. Parfois discret excès de polynucléaires basophiles
(rarement > 3%) et/ou d’éosinophiles (mais < 1 G/L).
- Hémoglobine.
Absence d’anémie dans la plupart des cas.
Parfois anémie hypochrome microcytaire secondaire à des hémorragies répétées (à
différencier de l’hypochromie microcytaire de certaines maladies de Vaquez)

2. MYÉLOGRAMME ET BIOPSIE OSTÉO-MÉDULLAIRE

Moelle : richesse normale ou augmentée.


Les MK sont en nombre augmenté (+/- selon la N° PLT), et au moins quelques uns ont une taille
géante et un noyau hypersegmenté.

BOM : cellularité médullaire normale ou augmentée, avec adipocytes rares. Les MK sont nombreux
(taille augmentée et noyau multilobé avec aspect en « ramure de cerf »), dispersés au hasard ou
parfois regroupés en petits amas.
La myélofibrose collagène est absente, et la fibrose réticulinique est absente ou modérée

Hormis les anomalies des MK, il n’y a pas d’anomalie quantitative ou qualitative des autres lignées
myéloïdes.

3. Cytogénétique et biologie moléculaire.

- Caryotype : anormal dans 15 à 20% des cas. Les anomalies retrouvées sont peu spécifiques
(trisomie 3, 1q-, 20q-, 21q-) sans valeur pronostique clairement établie, elles affirment la clonalité de
la maladie.
- Recherche d’un réarrangement BCR-ABL : systématique pour éliminer les formes
thrombocytémiques de LMC. Il est absent dans la TE habituelle.
- Mutation du gène JAK2 V617F : présente dans 50-60 % des cas. 3
La mutation est retrouvée à l’état hétérozygote. Un haplotype particulier de JAK2 est
impliqué dans la susceptibilité accrue à la TE, indépendamment du statut mutationnel de JAK2

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Une plus grande fréquence de thromboses veineuses et une hémoglobine un peu plus
élevée ont été rapportées chez les patients mutés JAK2.
- Mutation du gène MPL W515 K/L : retrouvée dans 5 % des cas. = mutations activatrices du
récepteur de la TPO.
- Mutation du gène de la calréticuline (CALR) : retrouvée dans 25 % des cas.
Les patients mutés CALR ont une numération plaquettaire plus élevée, hémoglobine un peu
plus basse, risque thrombotique plus faible (= risque id. à celui des 15 % de patients qui n'ont aucune
de ces 3 mutations). Si la mutation confère une survie plus prolongée, le risque d'évolution en
myélofibrose est augmenté.
- Au total : seulement 15 % des TE ne présentent aucune mutation des gènes JAK2, MPL, et
CALR

4. Autres examens (biologiques).

- Biopsie ostéomédullaire (BOM). Augmentation du nombre des MK et présence de MK matures de


taille anormalement grande, sans augmentation des lignées érythroblastique et granulocytaire, ni
d'augmentation globale ni d'augmentation des éléments les plus immatures. La présence d'une
myélofibrose (discrète) au diagnostic définit la TE préfibrotique (pronostic plus péjoratif).

- Culture in vitro des progéniteurs hématopoïétiques.


Une croissance spontanée des progéniteurs érythroblastiques et mégacaryocytaires est observée
dans la majorité des cas. L’aspect est identique ou proche de celui de la Maladie de Vaquez et ne
permet pas le diagnostic différentiel, mais il n’y a pas de croissance spontanée dans les
thrombocytoses réactionnelles.
- Dosage de la thrombopoïétine sérique (TPO). Normal, un peu élevé ou un peu diminué (en général
bas dans les thrombocytoses réactionnelles).
- Absence de syndrome inflammatoire (CRP, fibrinogène = normaux)
- Hémostase.
Temps de saignement normal chez la majorité des patients.
Anomalies fréquentes de l’agrégation plaquettaire à l'adrénaline, à l’ADP, au collagène, mais pas à la
ristocétine ou l’acide arachidonique.
Parfois agrégation plaquettaire spontanée.
Présence d’anomalies des glycoprotéines plaquettaires [excès de glycoprotéine IIIb (CD 36)]
Une N° PLT > 1500 G/L augmente le risque hémorragique plus que celui de thrombose,
probablement en empêchant la formation de multimères du facteur Willebrand (comparable aux
rares thrombocytoses réactionnelles majeures). Rechercher une maladie de Willebrand acquise
(contre indique le ttt à l’aspirine).

- Examens non réalisés pour le diagnostic.


- Hyperuricémie : dans 30 % des cas.

Remarque.
Fausse hyperkaliémie, fausse élévation des LDH, de la phosphorémie, et/ou des phosphatases
acides sériques en cas de thrombocytose majeure : artéfact de coagulation dans le tube qui entraîne 4
l’analyse des composants des PLT avec ceux du plasma.

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c. Critères OMS 2016 pour le diagnostic de la TE

Critères majeurs:

1. Numération plaquettaire > 450 G/L

2. BOM montrant une prolifération principalement de la lignée mégacaryocytaires avec nombre


augmenté de grands mégacaryocytes matures au noyau hyperlobé. Pas d’augmentation significative
ou de hiatus dans la lignée granulocytaire ou érythroblastique, et absence d’augmentation (ou très
mineure = grade 1) des fibres de réticuline

3. Pas de critères OMS évoquant une LMC BCR-ABL1+, une PV, une SMC (splénomégalie myéloïde
chronique), un syndrome myélodysplasique ou une autre néoplasie myéloïde

4. Présence d’une mutation JAK2, CALR ou MPL

Critère mineur: Présence d’un marqueur clonal ou absence de signe en faveur d’une thrombocytose
réactionnelle

Le diagnostic de TE nécessite soit l’ensemble des 4 critères majeurs, soit les trois premiers et le
critère mineur

d. Pronostic et évolution

Espérance de vie.
Normale pour certains auteurs,
Raccourcie (de 5 à 10 ans) pour d’autres.

Evolution

- Risque thrombotique et risque hémorragiques doivent être contrôlés

- Risque d'évolution en une autre hémopathie myéloïde :

Vers une myélofibrose avec métaplasie myéloïde, d’aspect proche d’une SMC : environ 10 % à
10 ans

Vers une LAM/SMD = 2 à 5 % à 10 ans (risque lié seulement en partie à une chimiothérapie
préexistante; hydroxyurée = non leucémogène)

Stratification du risque
Facteurs de risque : âge > 60 ans
thromboses documentée(s), érythromélalgie résitant à l'aspirine
N° PLT > 1500 G/L
diabète et HTA avec traitement
Hémorragie préalable reliée à la TE
TE à haut risque : 1 seul des critères suffit
TE de faible risque = pt de < 40 ans avec aucun des critères 5
TE de risque intermédiaire : pt de 40 - 60 ans avec aucun des critères de risque

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III. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
- Les thrombocytoses réactionnelles

- Les thrombocytoses des autres syndromes myéloprolifératifs.


- Leucémie myéloïde chronique : N° PLT rarement > 1000 G/L, associée à une polynucléose
neutrophile très importante et une myélémie (présence du chromosome Philadelphie) ;
- Maladie de Vaquez : N° PLT rarement > 600 G/L associée à une hémoglobine élevée ;
- Splénomégalie myéloïde chronique : N° PLT parfois > 1000 G/L, associée à une
splénomégalie, une érythromyélémie, des anomalies morphologiques des GR.

- Les thrombocytoses des syndromes myélodysplasiques et des LA myéloïdes :


- Syndrome 5 q- : N° PLT jusque 600 G/L, avec anémie souvent macrocytaire ;
- ARSI / thrombocytose (fait partie des syndromes myéloprolifératifs / myélodysplasiques) :
la N° PLT est parfois > 1000 G/L, associée à une anémie et un excès de sidéroblastes en couronne ;
mutation de JAK2 V617F dans 2/3 des cas ;
- Syndromes myélodysplasiques et LAM avec anomalie chromosomique en 3q (q21 et/ou
q26) (rare, N° PLT pas constamment élevée).

- Exceptionnelles thrombocytoses familiales : présence d’une mutation activatrice portant sur


le gène de la TPO ou de son récepteur (MPL).

IV. PRINCIPES DU TRAITEMENT


Il faut un traitement si le risque thrombotique est élevé (âge > 60 ans) et/ou ATCD de thrombose.
On utilise en première intention : hydroxyurée + aspirine.

Pour les patients de risque intermédiaire (âge = 40 – 60 ans, absence d’ATCD de thrombose), ou
présence d’un ou plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire (tabac, obésité, HTA, excès de
cholestérol, diabète, thrombophilie, …) (qu’il faut également contrôler) : aspirine (discussion sur
l’utilisation ou non d’hydroxyurée).

Pour les patients de risque faible (âge < 60 ans, pas d’ATCD de thrombose, pas de risque
cardiovasculaire) : aspirine seule ou abstention thérapeutique.

L’anagrélide (qui diminue le nombre et la ploïdie des MK) est prescrit en seconde ligne et chez les
patients réfractaires à l’hydroxyurée.
L’interféron alpha est proposé en première ligne avant 40 ans ou en cas de grossesse (pas d’effet
leucémogène).
Le risque hémorragique (surtout si N° PLT > 1500 G/L) sera contrôlé avec un cytoréducteur.

Critères de réponse clinico hématologique au traitement.


Réponse complète :
N° PLT < 400 G/L et absence de signes liés à la maladie (anomalies microvasculaires, prurit, maux de
tête) et taille splénique normale à l’imagerie, et N° leucocytes < 10 G/L.
Réponse partielle : pts ne répondant pas à tous les critères de réponse complète, et N° PLT < 600 G/L
ou diminution de la N° PLT < à 50% de la valeur de départ.
Absence de réponse : pts ne répondant pas aux critères précédents. 6
Critère de réponse complète histologique : disparition de l’hyperplasie mégacaryocytaire anormale.

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