Ordredumonde PDF
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ISBN : 978-2-493295-17-0
L’Islam
et
l’ordre du monde
Le testament de Malek
Bennabi
« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens,
les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du
chasseur ».
(Proverbe africain)
Dédicace
5
INTRODUCTION
Quête de sens dans un monde de plus
en plus incertain
7
a coûté la vie à plusieurs millions d’autres et provoqué
des ravages socio-économiques dans le monde entier,
engendrant ainsi une inquiétude croissante quant à la
durabilité d’un ordre international conçu, façonné et
érigé dans une large mesure par les vainqueurs de la
Seconde Guerre mondiale.
Cet ordre a connu une érosion constante et est
aujourd’hui brutalement remis en question. C’est le
moins que l’on puisse dire. Le théoricien politique de
l’université de Stanford et auteur du best-seller La fin
de l’histoire et le dernier homme, Francis Fukuyama, avoue
n’avoir « jamais vu une période où le degré d’incerti-
tude quant à l’aspect politique que prendra le monde
de demain est plus grand qu’aujourd’hui ». La gestion
chaotique des efforts de lutte contre cette pandémie,
tant dans les pays développés que dans ceux en dévelop-
pement, a mis en lumière des questions fondamentales
sur la compétence des gouvernements, la montée du
nationalisme populiste, la mise à l’écart de l’expertise,
le déclin du multilatéralisme et jusqu’à l’idée même de
« démocratie libérale ».
Pourtant, cette crise majeure n’est pas intervenue
sans signes avant-coureurs ni avertissements. De fait, une
année entière avant l’apparition de la pandémie, plus
précisément le 9 novembre 2018, le Secrétaire général
des Nations Unies, M. Antonio Guterres, a prononcé un
discours pour le moins prémonitoire lors d’un débat
ouvert du Conseil de sécurité intitulé « Renforcement du
multilatéralisme et rôle des Nations Unies ». Il est intéressant
de noter que cet événement a eu lieu quelques jours seule-
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ment avant la commémoration du 100ème anniversaire de
la fin de la Première Guerre mondiale, un conflit qui fut
une tragédie planétaire colossale et un effrayant présage
des décennies sanglantes qui allaient suivre. Dans ce dis-
cours qui sonnait comme un appel urgent à la vigilance,
M. Guterres a déclaré que les efforts multilatéraux étaient
mis à rude épreuve, dans un contexte caractérisé, entre
autres, par la multiplication des conflits, la progression
du changement climatique, l’aggravation des inégalités
et l’augmentation des tensions commerciales, sans parler
de la permanence du risque de prolifération des armes
de destruction massive et des dangers potentiels liés aux
nouvelles technologies. En conséquence, l’anxiété, l’in-
certitude et l’imprévisibilité augmentent dans le monde
entier, la confiance est en déclin au sein des nations et
entre elles, et les gens perdent confiance dans les insti-
tutions politiques, tant au niveau national que mondial.
Soulignant que du fait de ces évolutions négatives, des
idéaux et des efforts importants ont été sapés et des ins-
titutions clés ont été malmenées, le Secrétaire général
a observé qu’il semble souvent que plus la menace est
globale, moins nous sommes capables de coopérer. Il a
donc tiré la sonnette d’alarme de cette situation péril-
leuse face à la montée de défis globaux pour lesquels des
approches globales sont essentielles et urgentes.
Face à un contexte aussi difficile, M. Guterres ne voit
pas de meilleure solution que le retour à la coopération
internationale au sein d’un système multilatéral réformé,
revigoré et renforcé ; un système qui doit être davantage
mis en réseau aux niveaux régional et international et plus
inclusif, grâce à des liens plus étroits avec la société civile
9
et les autres parties prenantes afin d’être mieux adapté et
outillé pour garantir la paix et la prospérité pour tous sur
une planète saine.
Hélas, plus de deux ans après ce discours sage et
visionnaire, le monde est encore loin d’avoir atteint les
objectifs escomptés visant à renforcer le multilatéralisme
et mieux défendre ainsi la sécurité collective et le bien-
être des citoyens du monde. De même, aucun change-
ment significatif n’est intervenu au sein du Conseil de
sécurité, devant lequel M. Guterres a exposé son plan.
En tant qu’organe diplomatique le plus puissant du
monde, il continue de se trouver au cœur de la politique
mondiale. Toutefois, et bien qu’il n’y ait pratiquement
aucune limite à son autorité, sa performance globale,
hormis concernant la raison même de son existence, à
savoir la préservation des intérêts et de la paix entre ses
cinq membres permanents dotés du droit de veto, il a
maintes fois anéanti l’espoir de la communauté inter-
nationale de construire un monde plus pacifique, plus
juste et plus prospère.
Compte tenu de la gravité des défis mondiaux,
rendus encore plus pressants par les implications géopo-
litiques, économiques et sociales de la pandémie de la
Covid-19, les décideurs devraient réfléchir à la manière
de faire de cette crise mondiale aiguë une opportunité de
changement positif. Pour reprendre les mots de Noam
Chomsky, l’un des intellectuels publics les plus éminents
de notre époque, « nous devons nous demander quel
monde sortira de cette crise » et « quel est le monde dans
lequel nous voulons vivre ».
10
Cette question ô combien lancinante a été exami-
née avec brio, selon une perspective islamique, par l’un
des plus grands penseurs des temps modernes, l’Algérien
Malek Bennabi1. De tous les écrits, de plus en plus nom-
breux, que nous avons pu consulter, nous n’avons pas
trouvé meilleurs présentation et hommage à la pensée
de cet érudit exceptionnellement visionnaire que celle de
Muhammad Adnan Salim.2 Comme lui, nous sommes
convaincus que le moment est venu de traduire dans les
faits la pensée éclairée de Malek Bennabi en matière de
renaissance civilisationnelle, tout comme est arrivé l’ins-
tant historique propice pour sa relance. En cet âge de
mondialisation et d’explosion du savoir, la conscience de
l’Homme est prête à s’en saisir et l’histoire humaine est
de plus en plus disposée à l’accueillir.
Nous sommes conscients aujourd’hui de la grande
responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis de cet instant histo-
rique favorable et de la nécessité de faire sortir la pensée
de Malek Bennabi des tours d’ivoire où les élites intel-
lectuelles l’ont confinée, en la fredonnant vainement. Il
faut impérativement la placer entre les mains des gens
ordinaires dans la société. Car la parole est dépourvue
de toute force si elle reste enfermée dans une tour et ne
13
étournez, Il vous remplacera par un peuple autre que
d
vous, et ils ne seront pas comme vous »5.
Assurément, le monde musulman n’a pas été
capable, à ce jour, de répondre aux aspirations de Malek
Bennabi. Il n’a pas avancé d’un iota à cet égard et se
trouve aujourd’hui confronté à des défis majeurs qui
le menacent dans son existence même ; qui le sous-esti-
ment au point de l’ignorer ; qui se moquent de lui au
point de le ridiculiser ; qui exigent tellement de lui qu’il
en devient un subordonné ; qui le traitent comme un
mineur ne sachant pas gérer ses affaires ; qui exercent sur
lui la tutelle d’un maître tyrannique aspirant à mettre la
main sur ses ressources et ses richesses, à oblitérer son
identité, à le séparer de son environnement, à couper ses
liens avec son histoire, à marginaliser sa langue, à abâ-
tardir ses valeurs, à dilapider son héritage, à hébéter ses
émotions, à lui faire ignorer son appartenance, à effacer
sa mémoire, à le faire fondre dans un moule qui n’est
pas le sien, à occuper ses terres, à exiler ses enfants et à
implanter des éléments étrangers dans son corps en vue
de remplacer le nom « monde musulman », son appella-
tion historique dont il continue d’être fier, par les noms
de « Grand Moyen-Orient » selon le projet américain,
ou de « Partenariat euro-méditerranéen » selon le projet
européen.
16
CHAPITRE PREMIER
Ordre international, ordre mondial et
ordre du monde
20
durant toutes les périodes précitées, permettant ainsi,
autant que faire se pouvait, la prévalence de rapports
structurés bannissant le désordre générateur de guerres
et de violence.
Le rapport de la RAND Corporation indique que
depuis 1945, les États-Unis, grands bénéficiaires de la paix
retrouvée, ont poursuivi leurs intérêts mondiaux à travers
la création et le maintien des institutions économiques
internationales, des organisations bilatérales et régio-
nales de sécurité et des normes politiques libérales. Ces
mécanismes d’ordonnancement sont souvent appelés
collectivement « l’ordre international ». Toutefois, ces der-
nières années, des puissances montantes ont commencé à
contester la pérennité et la légitimité de certains aspects
de cet ordre, ce qui, à l’évidence, est perçu comme un défi
majeur par rapport au leadership mondial des États-Unis
et à leurs intérêts stratégiques vitaux. Trois risques essen-
tiels sont ainsi identifiés par les rédacteurs du rapport :
– certains États leaders considèrent que de nom-
breux composants de l’ordre existant sont conçus
pour restreindre leur pouvoir et perpétuer l’hégé-
monie américaine ;
–
la volatilité due aux États faillis ou aux crises
économiques ;
–
des politiques intérieures changeantes à une
époque marquée par une croissance lente et une
inégalité rampante.
21
Kissinger et la Realpolitik
Deux ans avant la publication de cette étude, Henry
Kissinger, le vieux routier de la diplomatie américaine
crédité d’avoir officiellement introduit la « Realpolitik »
(la politique étrangère réaliste fondée sur le calcul des
forces et l’intérêt national) à la Maison Blanche pendant
qu’il était Secrétaire d’État sous l’administration de
Richard Nixon, avait examiné de manière plus approfon-
die le thème de l’ordre mondial dans un livre-phare11.
D’emblée, M. Kissinger y affirme qu’aucun « ordre
mondial » véritablement planétaire n’a jamais existé.
L’ordre tel que le définit notre époque a été inventé en
Europe Occidentale il y a quatre siècles, à l’occasion d’une
conférence de la paix qui s’est tenue en Westphalie, une
région d’Allemagne, « sans que la plupart des autres conti-
nents ou civilisations en prennent conscience ni ne soient
appelés à y participer ». Cette conférence, rappelons-le,
avait fait suite à un siècle de conflits confessionnels et de
bouleversements politiques à travers toute l’Europe cen-
trale qui avaient fini par provoquer la « Guerre de Trente
Ans » (1618-1648), une guerre totale aussi effroyable que
vaine ayant fait périr près du quart de la population d’Eu-
rope centrale en raison des combats, des maladies et de
la famine.
Cela étant, les négociateurs de cette paix de
Westphalie ne pensaient pas poser les fondements d’un
système applicable au monde entier. Comment auraient-
23
Au terme de sa réflexion mêlant analyse historique
et prospective géopolitique, M. Kissinger tire des conclu-
sions importantes concernant l’ordre international actuel
et pose des questions essentielles quant à son devenir.
La pertinence universelle du système westphalien, dit-il,
tenait à sa nature procédurale, c’est-à-dire neutre sur le
plan des valeurs, ce qui rendait ses règles accessibles à
n’importe quel pays. Sa faiblesse avait été le revers de sa
force : conçu par des États épuisés par les saignées qu’ils
s’infligeaient mutuellement, il n’offrait pas de sentiment
de direction ; il proposait des méthodes d’attribution
et de préservation du pouvoir, sans indiquer comment
engendrer la légitimité.
Plus fondamentalement, M. Kissinger affirme que
dans l’édification d’un ordre mondial, une question clé
porte inévitablement sur la teneur de ses principes uni-
ficateurs, laquelle représente une distinction cardinale
entre les approches occidentales et non occidentales de
l’ordre. Fort pertinemment, il fait observer que depuis
la Renaissance, l’Ouest a largement adopté l’idée que le
monde réel est extérieur à l’observateur, que la connais-
sance consiste à enregistrer et à classer des données avec
la plus grande précision possible, et que la réussite d’une
politique étrangère dépend de l’évolution des réalités
et des tendances existantes. Par conséquent, la paix de
Westphalie « incarnait un jugement de la réalité — et plus
particulièrement des réalités de pouvoir et de territoire
sous forme d’un concept d’ordre séculier supplantant les
préceptes de la religion ».
24
À l’opposé, les autres grandes civilisations contem-
poraines concevaient la réalité comme immanente à
l’observateur et définie par des convictions psycholo-
giques, philosophiques et religieuses. De ce fait, tôt ou
tard, estime-t-il, tout ordre international doit affronter la
conséquence de deux tendances qui compromettent sa
cohésion : une redéfinition de la légitimité ou une modi-
fication significative de l’équilibre des forces. L’essence
de ces bouleversements est que « s’ils sont généralement
étayés par la force, leur principal moteur est psycholo-
gique. Les agressés se voient mis au défi de défendre non
seulement leur territoire, mais les hypothèses fondamen-
tales de leur mode de vie et leur droit moral à exister et à
agir d’une manière qui, avant d’être contestée, avait paru
inattaquable ».
À l’instar de nombreux autres penseurs, politolo-
gues et stratèges, notamment occidentaux, M. Kissinger
considère que les évolutions multiformes en cours dans
le monde sont porteuses de menaces et de risques sus-
ceptibles d’engendrer une forte montée des tensions. Le
chaos menace « parallèlement à une interdépendance
sans précédent, en raison de la prolifération des armes
de destruction massive, de la désintégration des États, des
effets des ravages environnementaux, de la persistance
des pratiques génocidaires et de la diffusion de nouvelles
technologies qui risquent de porter les conflits au-delà
de la compréhension ou du contrôle humains ».
C’est la raison pour laquelle notre époque se livre
à une recherche obstinée, presque désespérée parfois,
d’un concept d’ordre mondial, affirme-t-il, non sans
25
L’ouvrage est disponible en livre papier ici : https://albayyinah.fr/civilisations/4063-l-islam-et-lordre-
du-monde-amir-nour-heritage.html
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