Le Journal Du Seducteur - Document Pedagogique
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« L’amour fou »
Ouvrage recensé :
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U amour fou
PAR M I C H E L EUVRARD
LE J O U R N A L D U SÉDUCTEUR DE D A N I È L E D U B R O U X
34 N °85 24 IMAGES
DANIÈLE D U B R O U X
primesaut, enchanté et enchanteur, séduisant l'on pense, en particulier, au psychanalyste prêtait à des numéros flamboyants (ainsi la
au possible! Sur «le mystère de la séduction: découragé): enseignant sauté, chercheur séquence de travestisme).
pourquoi certains êtres ont une espèce de scientifique halluciné (Robert, le voisin de Danièle Dubroux a pris beaucoup de
charisme, d'ascendant sur les autres?»2. palier de Grégoire joué par Serge Merlin), risques; elle joue sur un registre très éten-
Pourquoi, comment savoir? Le mystère, étudiants en philo et en psycho, comédien- du, du burlesque au dramatique, fait évoluer
comment l'aborder? Danièle Dubroux, qui ne à la retraite, tous citoyens du sixième beaucoup de personnages très différents, des
«aime travailler à partir d'un cinéma de arrondissement. Dubroux acclimate sur la très fous (Hugo et les deux patients de
genre, le thriller ou la comédie, pour mieux rive gauche, d'une manière inédite dans le Markus) au jeune premier romantique impé-
en désamorcer les codes, et créer la surpri- cinéma français, la comédie loufoque amé- nétrable et las (Grégoire) et à la très raison-
se»', le fait par le biais, effectivement, de la ricaine style «Vous ne l'emporterez pas avec nable Claire, des acteurs de trois généra-
comédie et, un peu, du thriller (dans l'épi- vous». tions; elle accumule les épisodes inattendus,
sode où l'on découvre le cadavre et son Quant à la séduction, à défaut de pou- parfois incongrus, et réussit à doser si exac-
immersion nocturne qui peut, au premier voir en expliquer le mystère, Dubroux don- tement, à équilibrer si rigoureusement
abord, paraître exagérément incongru et ne à voir son fonctionnement: fantasque, tous ces éléments que le film trouve
hors ton). Le livre de Kierkegaard passe de arbitraire, subjectif; jeux de l'amour et du d'emblée et maintient tout du long un ton
main en main comme le chapeau de paille hasard, parfois dangereux; comédie des drôle, touchant, aérien et juste, tout à fait
d'Italie ou le billet de loterie de René Clair, erreurs, parfois cruelle. Travailler selon les original, un «ton Dubroux». Elle nous
le chat chez Klapisch, le faucon maltais dans codes de la comédie ne l'empêche pas, on l'a offre, sans doute pour la première fois,
le thriller de Huston; il est le fil sur lequel vu, de faire intervenir des préoccupations une œuvre de maturité et de maîtrise. De
«coulissent» dirait Paul Warren, les événe- plus graves, la vieillesse, le suicide, la folie, surcroît: délicieuse. •
ments imprévisibles, «surprenants» du film. la mort, sans que le ton en soit alourdi. La
La nature de l'objet mis en circulation légèreté allègre du film tient à la construc- 1. Télérama n° 2407, 28 février 1996.
détermine cependant en quelque sorte sinon tion du scénario, qui entrecroise d'une façon 2. Ibidem.
le genre dufilm,du moins son ton particu- très serrée les fils qui associent les person- 3. Ibidem.
lier et le milieu où vivent les personnages: nages, le plus souvent deux à deux; à un
un livre de Kierkegaard n'est ni un billet de montage très elliptique, qui interrompt
loterie ni un chat, facilement associés à beaucoup de séquences avant leur conclu-
l'entrain bon enfant des milieux populaires, sion, dès que le spectateur en a vu assez LE J O U R N A L D U SEDUCTEUR
de Montmartre dans les années 30 chez Clair, pour savoir ce qui va se passer, et à une France 1996. Ré. et scé.: Danièle Dubroux.
de la Bastille aujourd'hui chez Klapisch, il direction d'acteurs très précisément dosée: Ph.: Laurent Machuel. M o n t : Jean-François
n'est pas non plus une statuette précieuse, les personnages secondaires, Léaud, Merlin, Naudon. Mus.: Jean-Marie Senia. Int.: Chiara
enjeu d'une intrigue de malfaiteurs interna- M a s t r o i a n n i , Melvil Poupaud, Mathieu
Presle «en font» beaucoup, les principaux,
Amalric, Danièle Dubroux, Hubert Saint
tionaux chez Huston. Il induit des person- Poupaud, Mastroianni, relativement très Macary, Serge Merlin, Micheline Presle, Jean-
nages et un milieu décalés par rapport au peu, tandis qu'Amalric réussit à jouer pres- Pierre Léaud, Karin V i a r d . 95 minutes.
genre, un peu comme chez Woody Allen (si que avec réticence un rôle volubile qui se Couleur. Dis!. : K. Films Amérique.
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LE JOURNAL DU SEDUCTEUR
de Danièle Dubroux, avec Chiara Mastroiani, Melvil Poupaud, H. Saint Macary (1996, France,
100min)
Telle une alchimiste, Danièle Dubroux mélange les genres : sa décoction dégage un tenace
parfum d’ivresse ludique.
Comme son personnage du psy qui a perdu la mémoire, Le Journal du séducteur est un film qui
revient sur ses traces. A la fois sur les lieux (le Quartier latin) d’une intrigue qui s’est déjà déroulée
et sur tous les genres qui ont inspiré la cinéaste. Pour cette démarche d’arpenteur inspiré, Dubroux
n’a qu’une confiance modérée dans la psychologie. En revanche, elle croit au pouvoir de l’alchimie.
Aussi complexe que savoureuse, cette démarche consiste à opérer des mélanges nouveaux dont la
saveur unique respectera le goût de tous les éléments de base. Sur le comptoir qui lui tient lieu de
paillasse, le professeur Dubroux a aligné les différentes fioles à partir desquelles elle va créer son
élixir de bonheur. D’une belle couleur ambrée, sa liqueur se nomme “romanesque”. Dans le lointain
Danemark, on l’appelle aquavit. Le soir, au coin du feu, cette eau-de-vie accompagne la lecture du
philosophe, un certain Kierkegaard. Pas un gai le Sören, mais il a écrit un livre qui porte le plus
beau titre du monde : Le Journal du séducteur, un ouvrage parfois aride, talisman pour pénétrer
dans un univers merveilleux. Mais Dubroux a un dernier atout dans sa manche : la comédie. Bien
inspirée par son maître Buñuel, elle sait que l’élégance suprême est de faire rire tout en parlant de
choses graves comme l’angoisse, le désir ou la mort. Son film change sans arrêt de registre, de
Lubitsch à Bergman, de Kierkegaard à Labiche. Et c’est bien à une entreprise de pure séduction que
nous convie Dubroux. Dans ce réseau de fausses pistes, rien n’est jamais sûr et tout peut arriver.
D’ailleurs, tout arrive.
Les inrocks