Le Journal Du Seducteur - Document Pedagogique

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 5

Compte rendu

« L’amour fou »
Ouvrage recensé :

Le journal du séducteur de Danièle Dubroux

par Michel Euvrard


24 images, n° 85, 1996-1997, p. 34-35.

Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante :


http://id.erudit.org/iderudit/23556ac

Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.

Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique

d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents

scientifiques depuis 1998.

Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected]

Document téléchargé le 4 September 2012 10:19


DANIÈLE DUBROUX

U amour fou
PAR M I C H E L EUVRARD

LE J O U R N A L D U SÉDUCTEUR DE D A N I È L E D U B R O U X

L e journal du séducteur est en premier


lieu ce livre de Kierkegaard trouvé dans
l'appartement de la grand-mère, Diane
Drémond (Micheline Presle), dont la lecture
a amené Grégoire Moreau (Melvil Poupaud)
à entreprendre la rédaction d'un mémoire de
maîtrise sur le philosophe. Diane Drémond,
tragédienne à la retraite, cloîtrée dans son
appartement de la rue Mazarine (Paris VIe),
où elle répète à huis clos les grands rôles de
sa carrière en vue d'un hypothétique retour
sur les planches, l'avait prêté auparavant à
Hugo (Jean-Pierre Léaud), le prof de lettres
de Grégoire, éperdument amoureux d'elle
depuis.
Grégoire l'a prêté à Charlotte (Karin
Viard), son amie, qui l'oublie sur un banc de
l'amphi où, au lieu d'écouter le cours (sur la
communication, assez jargonneux, merci),
elle essaie sans succès de rédiger une lettre
de rupture à l'adresse de Grégoire, observée
dans son dos par Claire Conti (Chiara Mas- Grégoire (Melvil Poupaud).
troianni), qui ramasse le livre et, le lende-
main, rencontre Grégoire dans un café, rue
Mazarine, pour le lui rendre mais comme ils Diane, a sacrifié pour elle famille et carriè- Amalric), un copain de fac de Claire, héber-
en parlent, Grégoire le lui prête. re, transformé une pièce de son apparte- gé temporairement dans l'appartement
Le journal du séducteur ne fait pas ment en «temple de Diane» et tenté, sans d'Anne (Danièle Dubroux), mère de Claire
grande impression sur Claire, qui le prête à succès, d'adapter pour elle Le journal du et médecin (de nuit): ses parents viennent de
son «psy», Hubert Markus (!), à qui elle est séducteur à la scène; mais il se flatte d'avoir prendre leur retraite et de quitter et mettre
venue confier qu'elle est, par contre, fort réussi l'adaptation de Madame Bovary du- en vente leur pavillon en bord de Marne
attirée par Grégoire. (Markus est le petit quel, «pour éviter le vaudeville», il a élimi- (Claire et Grégoire viendront y noyer au
homme qu'on voit dans la séquence pré- né Charles! Charlotte commet accidentelle- clair de lune le cadavre, conservé au congé-
générique dufilm,le cou maintenu par une ment un meurtre pour défendre Grégoire, lateur, de la victime de Charlotte).
minerve, promené par un infirmier dans les puis, ayant rompu avec lui, succombe au Sébastien, apprenti séducteur peu
petites rues du sixième arrondissement, en mysticisme, aventure qui la mènera — du convaincu, peu convaincant, ayant échoué à
quête du lieu ou de la personne qui lui ren- moins Grégoire l'annonce-t-il à Claire — au séduire Claire, se rattrape avec Anne: ils
draient la mémoire et son identité. Le film suicide. sont les seuls à n'avoir pas lu Le journal du
est le flash-back qui raconte, entre autres, Dans un remake burlesque de ce meur- séducteur et la liaison qu'ils entament échap-
l'accident qui a mis Markus dans ce fâcheux tre, Claire assommera Markus, alors que, pe à l'emprise et aux illusions romantiques
état!) victime «d'un fort contre-transfert», — ris- de la séduction.
Passant ainsi de main en main, Le jour- que du métier peu apprécié par sa femme — Le journal du séducteur est enfin le
nal du séducteur agit «comme un philtre il agresse Grégoire. film qui raconte ce qui arrive à tous ces per-
d'amour» — maléfique, prétend Diane, et Le journal du séducteur (débutant) sonnages, un film minutieusement agencé
de fait: Hugo, amoureux fou et transi de est aussi celui que tient Sébastien (Mathieu et construit, sous les dehors du caprice et du

34 N °85 24 IMAGES
DANIÈLE D U B R O U X

«Danièle Dubroux acclimate sur


la rive gauche, d'une manière
inédite dans le cinéma français,
la comédie loufoque
américaine.»
Hugo (Jean-Pierre Léaud) et
Claire (Chiara Mastroianni).

primesaut, enchanté et enchanteur, séduisant l'on pense, en particulier, au psychanalyste prêtait à des numéros flamboyants (ainsi la
au possible! Sur «le mystère de la séduction: découragé): enseignant sauté, chercheur séquence de travestisme).
pourquoi certains êtres ont une espèce de scientifique halluciné (Robert, le voisin de Danièle Dubroux a pris beaucoup de
charisme, d'ascendant sur les autres?»2. palier de Grégoire joué par Serge Merlin), risques; elle joue sur un registre très éten-
Pourquoi, comment savoir? Le mystère, étudiants en philo et en psycho, comédien- du, du burlesque au dramatique, fait évoluer
comment l'aborder? Danièle Dubroux, qui ne à la retraite, tous citoyens du sixième beaucoup de personnages très différents, des
«aime travailler à partir d'un cinéma de arrondissement. Dubroux acclimate sur la très fous (Hugo et les deux patients de
genre, le thriller ou la comédie, pour mieux rive gauche, d'une manière inédite dans le Markus) au jeune premier romantique impé-
en désamorcer les codes, et créer la surpri- cinéma français, la comédie loufoque amé- nétrable et las (Grégoire) et à la très raison-
se»', le fait par le biais, effectivement, de la ricaine style «Vous ne l'emporterez pas avec nable Claire, des acteurs de trois généra-
comédie et, un peu, du thriller (dans l'épi- vous». tions; elle accumule les épisodes inattendus,
sode où l'on découvre le cadavre et son Quant à la séduction, à défaut de pou- parfois incongrus, et réussit à doser si exac-
immersion nocturne qui peut, au premier voir en expliquer le mystère, Dubroux don- tement, à équilibrer si rigoureusement
abord, paraître exagérément incongru et ne à voir son fonctionnement: fantasque, tous ces éléments que le film trouve
hors ton). Le livre de Kierkegaard passe de arbitraire, subjectif; jeux de l'amour et du d'emblée et maintient tout du long un ton
main en main comme le chapeau de paille hasard, parfois dangereux; comédie des drôle, touchant, aérien et juste, tout à fait
d'Italie ou le billet de loterie de René Clair, erreurs, parfois cruelle. Travailler selon les original, un «ton Dubroux». Elle nous
le chat chez Klapisch, le faucon maltais dans codes de la comédie ne l'empêche pas, on l'a offre, sans doute pour la première fois,
le thriller de Huston; il est le fil sur lequel vu, de faire intervenir des préoccupations une œuvre de maturité et de maîtrise. De
«coulissent» dirait Paul Warren, les événe- plus graves, la vieillesse, le suicide, la folie, surcroît: délicieuse. •
ments imprévisibles, «surprenants» du film. la mort, sans que le ton en soit alourdi. La
La nature de l'objet mis en circulation légèreté allègre du film tient à la construc- 1. Télérama n° 2407, 28 février 1996.
détermine cependant en quelque sorte sinon tion du scénario, qui entrecroise d'une façon 2. Ibidem.
le genre dufilm,du moins son ton particu- très serrée les fils qui associent les person- 3. Ibidem.
lier et le milieu où vivent les personnages: nages, le plus souvent deux à deux; à un
un livre de Kierkegaard n'est ni un billet de montage très elliptique, qui interrompt
loterie ni un chat, facilement associés à beaucoup de séquences avant leur conclu-
l'entrain bon enfant des milieux populaires, sion, dès que le spectateur en a vu assez LE J O U R N A L D U SEDUCTEUR
de Montmartre dans les années 30 chez Clair, pour savoir ce qui va se passer, et à une France 1996. Ré. et scé.: Danièle Dubroux.
de la Bastille aujourd'hui chez Klapisch, il direction d'acteurs très précisément dosée: Ph.: Laurent Machuel. M o n t : Jean-François
n'est pas non plus une statuette précieuse, les personnages secondaires, Léaud, Merlin, Naudon. Mus.: Jean-Marie Senia. Int.: Chiara
enjeu d'une intrigue de malfaiteurs interna- M a s t r o i a n n i , Melvil Poupaud, Mathieu
Presle «en font» beaucoup, les principaux,
Amalric, Danièle Dubroux, Hubert Saint
tionaux chez Huston. Il induit des person- Poupaud, Mastroianni, relativement très Macary, Serge Merlin, Micheline Presle, Jean-
nages et un milieu décalés par rapport au peu, tandis qu'Amalric réussit à jouer pres- Pierre Léaud, Karin V i a r d . 95 minutes.
genre, un peu comme chez Woody Allen (si que avec réticence un rôle volubile qui se Couleur. Dis!. : K. Films Amérique.

24 I M A G E S N°85 35
LE JOURNAL DU SEDUCTEUR
de Danièle Dubroux, avec Chiara Mastroiani, Melvil Poupaud, H. Saint Macary (1996, France,
100min)
Telle une alchimiste, Danièle Dubroux mélange les genres : sa décoction dégage un tenace
parfum d’ivresse ludique.
Comme son personnage du psy qui a perdu la mémoire, Le Journal du séducteur est un film qui
revient sur ses traces. A la fois sur les lieux (le Quartier latin) d’une intrigue qui s’est déjà déroulée
et sur tous les genres qui ont inspiré la cinéaste. Pour cette démarche d’arpenteur inspiré, Dubroux
n’a qu’une confiance modérée dans la psychologie. En revanche, elle croit au pouvoir de l’alchimie.
Aussi complexe que savoureuse, cette démarche consiste à opérer des mélanges nouveaux dont la
saveur unique respectera le goût de tous les éléments de base. Sur le comptoir qui lui tient lieu de
paillasse, le professeur Dubroux a aligné les différentes fioles à partir desquelles elle va créer son
élixir de bonheur. D’une belle couleur ambrée, sa liqueur se nomme “romanesque”. Dans le lointain
Danemark, on l’appelle aquavit. Le soir, au coin du feu, cette eau-de-vie accompagne la lecture du
philosophe, un certain Kierkegaard. Pas un gai le Sören, mais il a écrit un livre qui porte le plus
beau titre du monde : Le Journal du séducteur, un ouvrage parfois aride, talisman pour pénétrer
dans un univers merveilleux. Mais Dubroux a un dernier atout dans sa manche : la comédie. Bien
inspirée par son maître Buñuel, elle sait que l’élégance suprême est de faire rire tout en parlant de
choses graves comme l’angoisse, le désir ou la mort. Son film change sans arrêt de registre, de
Lubitsch à Bergman, de Kierkegaard à Labiche. Et c’est bien à une entreprise de pure séduction que
nous convie Dubroux. Dans ce réseau de fausses pistes, rien n’est jamais sûr et tout peut arriver.
D’ailleurs, tout arrive.
Les inrocks

Dubroux, je te séduis, moi aussi «Le Journal


du séducteur», film aérien sur l'alchimie du
déclic amoureux.
Écrire à propos du Journal du séducteur n'est pas précisément un cadeau pour deux raisons. La
première est que la séduction, ça ne s'explique pas. La seconde est que le film de Danièle Dubroux
est très, très, vraiment très séduisant.
Le Journal du séducteur est ainsi un film à propos de quelque chose d'immatériel, quelque chose
d'ineffable mais dont on sait bien, pourtant, que ça existe: la séduction. C'est pourtant un film
extrêmement concret, pratique, lisible et transparent comme l'eau limpide d'un lac ensoleillé. Un
film qui se vit avec les sens et la raison, parce qu'il résout son paradoxe originel (parler de ce qui est
inénarrable) en s'attaquant non pas à l'éventuelle théorie sentimentale qui se dessine derrière les
rapports de séduction, ni même aux mystérieuses propriétés chimiques dont seraient doués les
séducteurs, mais en se cantonnant à filmer la séduction à l'oeuvre, en décrire l'état, les effets, la
magie et les emboîtements.
Ce que Danièle Dubroux met en branle chez ses personnages, c'est en quelque sorte un face-à-face
personnel et général, de chacun et de tous, avec la séduction: si nous étions tous, simultanément,
chasseur ou gibier, impliqués dans des mécaniques séductrices, il est fort probable que le monde
réel ressemblerait beaucoup au monde fictif que la cinéaste met en scène. Et la vie y gagnerait sans
doute énormément: malgré les beignes imprévues et les chausse-trappes macabres, la petite société
d'allumés captée par la bienveillante caméra de Dubroux a quelque chose de très enviable.
Chacun à sa fenêtre, les personnages du Journal du séducteur semblent vaporiser sur le monde les
enzymes d'une folie douce et contagieuse, assez irrésistible et jubilatoire, qui les place dans cet état
amoureux abolissant tous les autres. Qu'il s'agisse de la radieuse Claire (Chiara Mastroianni), du
ténébreux Grégoire (Melvil Poupaud), du rugueux Hugo (Jean-Pierre Léaud), du lunaire Sébastien
(Mathieu Amalric, à propos duquel on ne sait plus en quels termes exulter) et de tous les autres,
chacune des créatures de Dubroux semble progressivement s'incliner vers son plus haut point de
dinguerie naturelle, exactement au diapason de celle qui les met en scène.
Il ne faudrait pas s'imaginer pour autant que le Journal du séducteur soit une mer de folie démontée.
Ce qui d'emblée séduit, c'est au contraire la tenue très exemplaire du film, qu'une dynamo balèze
semble innerver de A à Z et qu'un scénario solidissime charpente sans que jamais ses poutres ne
soient apparentes (pas le genre de la maison, vraisemblablement).
Que ce scénario fasse généreusement référence à Sören Kierkegaard ne devrait intimider personne:
il s'agit là, bien plus qu'une invitation à visiter les fondements philosophiques du concept d'angoisse
existentielle, un prétexte érudit, un petit point scintillant où miroite la vanité des artifices d'un
apprenti séducteur. Dans le même ordre d'idée, la question de la culture lacano-freudienne,
abondamment mise à contribution, est au fond de seconde importance, même si elle permet la
lecture de certains jeux de mots et sous-tend manifestement le choix des patronymes usités dans le
film (Hubert Markus, pour un psy, est-ce assez éloquent?).
C'est qu'en fait, plus que les détails de son histoire et de son argument, on retient avant tout du
Journal du séducteur sa définition, sa mousse et le beau tournemain qui permet à cette mousse de
prendre. Il s'agit en effet de qualités physiques, sportives d'une certaine manière: bien calée dans
son sprint, Danièle Dubroux semble nous souffler d'un seul trait sa comédie aérodynamique.
A cet égard, le personnage qu'elle s'est accordé, celui de la mère de Claire, pourrait d'ailleurs nous
en apprendre encore plus long que son film sur son rapport aux autres, au monde et à la vie, si elle
n'avait elle-même tenu à limiter l'impact et l'importance du rôle. Il n'empêche, la manière qu'a ce
personnage de fendre l'espace avec toute l'insolence de son nez profilé pour la bise est un excellent
indicateur de ce qui palpite si fort et si bien dans le cinéma de Dubroux: une suspension des êtres à
leur meilleur, une allure flottée, une façon d'être qui emprunte à la danse et qui donne à ce film, très
jeune mais jamais «générationnel», très drôle mais jamais mesquin, très séduisant mais jamais
putain, son air si particulièrement oxygéné et respirable.
Tous les personnages de Dubroux oscillent ainsi entre l'évanescence d'une plume portée par les
tourbillons et la belle exactitude d'un pendule terrestre fermement relié aux éléments. C'est aussi
une définition possible de la séduction, qui est évidemement affaire de légèreté. Le Journal du
séducteur est en effet un film comique et léger mais néanmoins riche en fibres; il nourrit l'âme et on
n'en retient que le meilleur: un voyage souriant aux confins de la sagesse et de la folie, valeurs
réversibles par le seul effet de la séduction et de l'amour.

Par SEGURET Olivier - libération

Vous aimerez peut-être aussi