Manuel
Manuel
Manuel
en sciences sociales
5e édition
entièrement revue et augmentée
Maquette de couverture :
Atelier Didier Thimonier
Maquette intérieure :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)
© Dunod, 2017
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-076785-4
Table des matières
Avant-propos à la cinquième édition ....................................................................................................... 11
3
Manuel de recherche en sciences sociales
4
Table des matières
5
Manuel de recherche en sciences sociales
6
Table des matières
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Manuel de recherche en sciences sociales
8
Table des matières
9
Manuel de recherche en sciences sociales
10
Avant-propos à la cinquième édition
Chaque nouvelle édition du Manuel a apporté des améliorations subs-
tantielles afin de l’adapter de manière continue aux besoins des étudiants,
jeunes chercheurs et enseignants en sciences sociales. Ces besoins évoluent
avec le contexte sociétal, dont la transformation rapide impose un renou-
vellement des thématiques. En même temps, les outils méthodologiques
se développent (grâce notamment à l’informatique et au numérique) et les
chercheurs doivent être en mesure d’en tirer profit.
11
Manuel de recherche en sciences sociales
en sciences sociales sur laquelle cette cinquième édition insiste plus que
les précédentes.
12
Avant-propos à la cinquième édition
D’autres améliorations ont été apportées au fil des pages, notamment les
ressources disponibles sur Internet pour la phase exploratoire ainsi que pour
l’analyse des informations, et une actualisation des bibliographies spéciali-
sées afférentes aux différentes étapes de la démarche.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
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Manuel de recherche en sciences sociales
marqué par le genre et qui peut donc désigner aussi bien une femme qu’un
homme. À une exception près toutefois : la recherche sur le rapport au
corps dans les soins infirmiers présentée en fin d’ouvrage, où la dimension
de genre et de sexe est centrale et doit être soulignée.
14
Objectifs
et démarche
Sommaire
1. Les objectifs ........................................................................................................ 17
2. La démarche .......................................................................................................23
1. Les objectifs
17
Manuel de recherche en sciences sociales
Le présent ouvrage a été conçu pour aider tous ceux qui, dans le cadre de
leurs études, de leurs responsabilités professionnelles ou sociales, souhaitent se
former à la recherche en sciences sociales ou, plus précisément, entreprendre
avec succès un travail de fin d’études ou une thèse, des travaux, des analyses
ou des recherches dont l’objectif est de comprendre plus profondément et
d’interpréter plus justement les phénomènes de la vie collective auxquels ils
sont confrontés ou qui, pour une raison ou une autre, les interpellent.
Pour les motifs exposés plus haut, il nous a semblé que cet ouvrage devait
être entièrement conçu comme un support de formation méthodologique
au sens large, c’est-à-dire comme une formation à la conception et à la
mise en œuvre d’un dispositif d’élucidation du réel. Cela signifie que nous
18
Objectifs et démarche
aborderons dans un ordre logique des thèmes tels que la formulation d’un
projet de recherche, le travail exploratoire, la construction d’un plan d’inves-
tigation ou les critères de choix des techniques de recueil, de traitement et
d’analyse des données. Ainsi, chacun pourra, le moment venu et en toute
connaissance de cause, faire judicieusement appel à l’une ou l’autre des
nombreuses méthodes et techniques de recherche au sens strict afin d’éla-
borer lui-même, à partir d’elles, des procédures de travail correctement
adaptées à son projet. Le moment venu, nous l’y aiderons.
Sur le plan didactique, cet ouvrage est directement utilisable. Le lecteur qui
le souhaite pourra, dès les toutes premières pages, appliquer à son propre
travail les recommandations proposées. Les différentes parties du Manuel
peuvent être expérimentées soit par des apprentis chercheurs isolés, soit
en groupe ou en salle de cours, avec l’encadrement critique d’un ensei-
gnant formé aux sciences sociales. Il est toutefois recommandé de le lire
une première fois entièrement avant d’effectuer les travaux d’application,
de sorte que la cohérence d’ensemble de la démarche soit bien saisie et que
les suggestions soient appliquées de manière souple, critique et inventive.
Une telle ambition peut sembler une gageure : comment peut-on proposer
un manuel méthodologique dans un domaine de recherche où, chacun le
sait, les dispositifs d’investigation varient considérablement d’une recherche
à l’autre ? Ne court-on pas le risque d’imposer une image simpliste et très
arbitraire de la recherche en sciences sociales ? Pour plusieurs raisons, nous
pensons qu’une telle critique ne peut résulter ici que d’une lecture super-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
19
Manuel de recherche en sciences sociales
Dans ce but – et c’est une deuxième précaution – les pages de cet ouvrage
invitent constamment au recul critique, de sorte que le lecteur soit régu-
lièrement amené à réfléchir avec lucidité au sens de son travail au fur et à
mesure de sa progression. Les réflexions que nous proposons au lecteur se
fondent sur notre propre expérience de chercheurs, de formateurs d’adultes
et d’enseignants. Elles sont donc forcément subjectives et inachevées.
Nous espérons harmoniser ainsi les exigences d’une formation pratique
qui réclame des repères méthodologiques précis et celles d’une réflexion
critique qui discute la portée et les limites de ces repères.
20
Objectifs et démarche
21
Manuel de recherche en sciences sociales
Tout cela mérite qu’on s’y attarde et que l’on s’y forme ; c’est à cette
formation que notre livre s’est principalement consacré. Mais il s’agit rare-
ment de recherches qui contribuent à faire progresser les cadres conceptuels
des sciences sociales, leurs modèles d’analyse ou leurs dispositifs métho-
dologiques. Il s’agit d’études ou d’analyses, plus ou moins bien menées
selon la formation du « chercheur », son imagination et les précautions
dont il s’entoure pour mener ses investigations à terme. Ce travail peut
être précieux et contribuer grandement à la lucidité des acteurs sociaux
sur leurs propres pratiques dont ils sont les auteurs ou sur les événements
et les phénomènes dont ils sont les témoins, mais il ne faut pas lui accorder
un statut inapproprié.
Si cet ouvrage peut épauler certains lecteurs engagés dans des recherches
d’une relative envergure, il vise aussi à aider ceux qui, malgré des ambi-
tions plus modestes, sont néanmoins déterminés à étudier les phénomènes
sociaux avec un souci d’honnêteté intellectuelle, de compréhension et de
rigueur.
22
Objectifs et démarche
2. La démarche
Pour y parvenir, voyons tout d’abord ce qu’il ne faut surtout pas faire…
mais que l’on fait hélas souvent : la fuite en avant. Elle peut prendre diverses
formes parmi lesquelles nous n’aborderons ici que les plus courantes : la
gloutonnerie livresque ou statistique, l’impasse aux hypothèses et l’emphase
obscurcissante. Si nous nous attardons ici sur ce qu’il ne faut pas faire, c’est
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
23
Manuel de recherche en sciences sociales
24
Objectifs et démarche
Il n’est pas rare d’entendre un étudiant déclarer qu’il compte faire une
enquête par questionnaire auprès d’une population donnée alors qu’il n’a
pas d’hypothèse de travail et, à vrai dire, ne sait même pas ce qu’il cherche.
On ne peut choisir une technique d’investigation que si l’on a une idée de
la nature des données à recueillir. Cela implique que l’on commence par
bien définir son projet.
c. L’emphase obscurcissante
Ce troisième défaut est fréquent chez les chercheurs débutants qui sont
impressionnés et intimidés par leur nouvelle fréquentation des universités
ou d’écoles supérieures et par ce qu’ils pensent être la Science. Pour s’as-
surer une crédibilité, ils croient utile de s’exprimer de manière pompeuse
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
25
Manuel de recherche en sciences sociales
Dans le domaine qui nous occupe, plus que dans n’importe quel autre,
il n’est de bon travail qui ne soit une quête honnête de la vérité. Non pas
la vérité absolue, établie une fois pour toutes par les dogmes, mais celle
qui se remet toujours en question et s’approfondit sans cesse par le désir
de comprendre plus justement le réel dans lequel nous vivons et que nous
contribuons à produire.
Cela suppose que, loin de se laisser guider par ses idées préconçues et
de chercher à les démontrer à tout prix, l’apprenti chercheur accepte de se
laisser surprendre par ses propres investigations et de voir ses schémas de
pensée déstabilisés au fil de son travail. Cet état d’esprit n’est pas simplement
affaire de bons sentiments ; il est surtout affaire de méthode. En effet, c’est
en respectant certains principes méthodologiques qu’il se placera lui-même
dans une situation favorable à la découverte, voire à la surprise. Nous y
reviendrons.
26
Objectifs et démarche
Une démarche est une manière de progresser vers un but. Chaque recherche
est une expérience singulière. Chacune est un processus de découverte qui
se déroule dans un contexte particulier au cours duquel le chercheur est
confronté à des contraintes, doit s’adapter avec souplesse à des situations
imprévues au départ, est amené à faire des choix qui pèseront sur la suite
de son travail. Pour autant, il ne s’agit pas de procéder n’importe comment,
selon sa seule intuition ou les seules opportunités du moment. Dès lors que
l’on prétend s’engager dans une recherche en sciences sociales, il faut « de
la méthode ». Cela signifie essentiellement deux choses : d’une part, il s’agit
de respecter certains principes généraux du travail scientifique ; d’autre part,
il s’agit de distinguer et de mettre en œuvre de manière cohérente les diffé-
rentes étapes de la démarche. En mettant davantage l’accent sur la démarche
que sur les méthodes particulières, notre propos a une portée générale et peut
s’appliquer à toute forme de travail scientifique en sciences sociales. Quels
sont donc les principes et les étapes d’une recherche en sciences sociales ?
27
Manuel de recherche en sciences sociales
Au fur et à mesure que les gestes et opérations de base seront bien acquis,
nous ferons place, dans les pages qui suivent, à la démarche inductive, à ses
principes et à sa conduite.
28
Objectifs et démarche
Étape 2 L'exploration
Étape 3 La problématique
CONSTRUCTION
Étape 5 L'observation
Pour comprendre l’articulation des étapes d’une recherche aux trois actes
de la démarche scientifique, il nous faut tout d’abord dire quelques mots
des principes que ces trois actes renferment et de la logique qui les unit.
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Manuel de recherche en sciences sociales
La rupture
Si nous choisissons de traiter un sujet donné, c’est forcément parce qu’il
nous intéresse. Nous en avons presque toujours une connaissance préalable
et souvent une expérience concrète. Peut-être même sommes-nous dési-
reux de réaliser notre recherche pour mettre au jour un problème social
ou pour défendre une cause qui nous tient à cœur. Un futur travailleur
social qui a fait un stage dans une école dite « difficile » peut souhaiter
étudier la violence scolaire à laquelle il a été confronté et contribuer ainsi
à la recherche de modes d’intervention adéquats. Un étudiant en socio-
logie militant dans une association de prévention du VIH (virus du sida)
peut vouloir étudier les processus de discrimination auxquels sont expo-
sées certaines catégories de personnes contaminées. Un étudiant ou une
étudiante dont un des parents est un professionnel de la justice peut vouloir
mettre à profit sa proximité avec l’univers judiciaire pour réaliser son travail
de fin d’études. Une future politologue engagée dans un parti politique
dominé par les hommes s’intéressera aux conditions de participation des
femmes à la vie des partis. Les exemples sont innombrables.
Cet intérêt, cette connaissance et cette expérience ne sont pas a priori une
mauvaise chose, au contraire. On ne part pas de rien, on a quelques idées
intéressantes, on connaît parfois déjà des choses très pointues sur le sujet,
on connaît des personnes qui peuvent nous informer et nous aider à nouer
des contacts utiles, on a peut-être même déjà lu des textes intéressants sur
le sujet et, surtout, on est animé par une plus ou moins forte motivation.
Mais en même temps, cet intérêt, cette connaissance et cette expérience
recèlent quelques dangers et peuvent présenter des inconvénients.
30
Objectifs et démarche
Lorsque nous abordons l’étude d’un sujet quelconque, notre esprit n’est
pas vierge ; il est chargé d’un amoncellement d’images, de croyances, d’aspi-
rations, de schémas d’explication plus ou moins inconscients, de souvenirs
d’expériences agréables ou douloureuses, à la fois collectives et person-
nelles, qui préformatent notre approche de ce sujet. Ce préformatage est
déjà présent dans le fait que c’est ce sujet-là et pas un autre qui a été choisi ;
il est susceptible de marquer la recherche dans toutes ses étapes. Il faut donc
être vigilant. Légion sont les mémoires et thèses de fin d’études où l’auteur
ne parvient pas à prendre suffisamment de recul avec sa propre expérience
et avec ses propres catégories de pensée a priori.
recul avec les idées préconçues autant qu’avec les catégories de pensées
du sens commun, c’est-à-dire celles qui sont généralement admises dans
une collectivité donnée (par exemple une société nationale, une commu-
nauté confessionnelle ou une catégorie professionnelle) que certains auteurs
parlent carrément de rupture épistémologique, soit de rupture dans l’acte
de connaissance. Pour eux, notamment G. Bachelard, il doit y avoir rupture
radicale entre le sens commun et ses préjugés d’une part et la connaissance
scientifique d’autre part.
31
Manuel de recherche en sciences sociales
32
Objectifs et démarche
La construction
La rupture ou, moins radicalement dit, la démarcation ne s’obtient pas
seulement dans le recul réflexif. Elle se concrétise positivement dans le
deuxième acte de la recherche en sciences sociales, celui de la construction,
qui consiste à reconsidérer le phénomène étudié à partir de catégories de
pensée qui relèvent des sciences sociales, à se référer à un cadre concep-
tuel organisé susceptible d’exprimer la logique que le chercheur suppose
être à la base du phénomène. Il s’agit de « reconstruire » les phénomènes
sous un autre angle qui est défini par des concepts théoriques relevant des
sciences sociales. C’est grâce à ce cadre théorique que le chercheur peut
construire des propositions explicatives du phénomène étudié et prévoir le
plan de recherche à installer, les opérations à mettre en œuvre et le type de
conséquences auxquelles il faut logiquement s’attendre au terme de l’obser-
vation. Il ne peut y avoir, en sciences sociales, de constatation fructueuse
sans construction d’un cadre théorique de référence. On ne soumet pas
n’importe quelle proposition à l’épreuve des faits. Les propositions expli-
catives doivent être le produit d’un travail rationnel fondé sur la logique
et sur un système conceptuel valablement constitué (cf. J.-M. Berthelot,
L’Intelligence du social, Paris, PUF, 1990, p. 39).
La constatation
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Une proposition n’a droit au statut scientifique que dans la mesure où elle
est susceptible d’être vérifiée par des informations sur la réalité concrète.
Cette mise à l’épreuve des faits est appelée constatation ou expérimentation.
Elle correspond au troisième acte de la démarche.
33
Manuel de recherche en sciences sociales
Les trois actes de la démarche scientifique ne sont pas indépendants les uns
des autres. Ils se constituent au contraire mutuellement. Ainsi par exemple,
la rupture ne se réalise pas uniquement en début de recherche ; elle se pour-
suit dans et par la construction. En revanche, celle-ci ne peut se passer
des étapes initiales principalement consacrées à la rupture. Tandis que la
constatation puise sa valeur dans la qualité de la construction.
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Objectifs et démarche
35
Première
étape
La question
de départ
Sommaire
1. Objectifs .............................................................................................................40
2. Une bonne manière de s’y prendre ......................................................................41
3. Les critères d’une bonne question de départ .....................................................42
4. Et si vous avez encore des réticences… ............................................................. 57
Étape 1 La question de départ
Étape 2 L'exploration
Les entretiens
Les lectures
exploratoires
Étape 3 La problématique
Étape 5 L'observation
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Manuel de recherche en sciences sociales
1. Objectifs
Le premier problème qui se pose au chercheur est tout simplement celui
de savoir comment bien commencer son travail. Il n’est pas facile en effet
de parvenir à traduire ce qui se présente couramment comme un centre
d’intérêt ou une préoccupation relativement vague en un projet de recherche
opérationnel. La crainte de mal entamer le travail peut amener certains à
tourner en rond pendant fort longtemps, à rechercher une illusoire sécurité
dans une des formes de fuite en avant abordées précédemment ou encore à
renoncer purement et simplement à l’entreprise. Au cours de cette étape, nous
montrerons qu’il existe une solution à ce problème du démarrage du travail.
40
La question de départ ■ Première étape
Tout d’abord, il n’est pas inutile de signaler que les auteurs les plus réputés
n’hésitent pas à énoncer leurs projets de recherche sous forme de questions
simples et claires, même si ces questions sont en réalité sous-tendues par
une réflexion théorique très consistante. En voici trois exemples bien connus
des sociologues :
tion de départ de son travail et ce qui lui a servi de premier axe central.
41
Manuel de recherche en sciences sociales
42
La question de départ ■ Première étape
étape au sérieux. Ce qui peut être facile lorsque un critère est présenté
isolément le sera beaucoup moins lorsqu’il s’agira de respecter l’ensemble
de ces critères pour une seule question de départ : la vôtre. Ajoutons que
ces exemples ne sont pas de pures inventions de notre part. Nous les avons
tous entendus, parfois sous des formes légèrement différentes, dans la
bouche d’étudiants. Si, sur des centaines de questions insatisfaisantes à
partir desquelles nous avons travaillé avec eux, nous n’en avons finalement
retenu ici que sept, c’est parce qu’elles sont très représentatives des défauts
courants et parce que, ensemble, elles couvrent bien les objectifs poursuivis.
Question 1
43
Manuel de recherche en sciences sociales
Commentaire
Cette question est embrouillée et relativement longue. Elle comporte des
suppositions et se dédouble sur la fin, de sorte qu’il est difficile de percevoir
exactement ce que l’on cherche à comprendre en priorité. Il est préférable
de formuler la question de départ d’une manière univoque et concise afin
qu’elle puisse être comprise sans difficulté et aider son auteur à percevoir
clairement l’objectif qu’il poursuit.
Question 2
Commentaire
Cette question est beaucoup trop vague. À quels types de changements
pense-t-on ? Qu’entend-on par « la vie des habitants » ? S’agit-il de leur vie
professionnelle, familiale, sociale, culturelle ? Fait-on allusion à leurs condi-
tions de déplacement ? À leurs dispositions psychologiques ? On pourrait
aisément allonger la liste des interprétations possibles de cette question
trop floue qui informe très peu sur les intentions précises de son auteur,
pour autant qu’elles le soient.
Il existe un moyen fort simple pour s’assurer qu’une question est bien
précise. Il consiste à la formuler devant un petit groupe de personnes en se
gardant bien de la commenter ou d’en exposer le sens. Chaque personne
du groupe est ensuite invitée à expliquer la manière dont elle a compris la
question. La question est précise si les interprétations convergent et corres-
pondent à l’intention de son auteur.
44
La question de départ ■ Première étape
la même manière par chacun sans être pour autant limitée à un problème
insignifiant ou très marginal. Considérons la question suivante : « Quelles
sont les causes de la diminution des emplois dans l’industrie wallonne au
cours des années quatre-vingt ? » Cette question est précise en ce sens que
chacun la comprendra de la même manière, mais elle couvre néanmoins
un champ d’analyse très vaste (ce qui, comme nous le verrons plus loin,
posera d’autres problèmes).
Une question précise n’est donc pas le contraire d’une question large ou
très ouverte, mais bien d’une question vague ou floue. Elle n’enferme pas
d’emblée le travail dans une perspective restrictive et dépourvue de possi-
bilités de généralisation. Elle permet simplement de savoir où l’on va et de
le communiquer aux autres.
Bref, pour pouvoir être traitée, une bonne question de départ sera précise.
Question 3
Commentaire
Cette question est beaucoup trop large et on peut craindre que le chercheur
débutant ne puisse y répondre que par des généralités. Ce qu’on appelle le
sous-développement recouvre une très grande diversité de réalités et de
processus, de sorte que les contributions scientifiques les plus utiles à son
sujet portent le plus souvent soit sur des situations précises (par exemple
un ensemble de villages confrontés à des conditions particulières dans un
pays du tiers-monde), soit sur des mécanismes particuliers (par exemple
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
45
Manuel de recherche en sciences sociales
Question 4
Commentaire
Si vous pouvez consacrer au moins deux années complètes à cette recherche,
si vous disposez d’un budget de plusieurs centaines de milliers d’euros, d’un
bon réseau de collègues dans les autres pays européens disposés à collaborer
et d’une équipe de collaborateurs compétents, efficaces et polyglottes, vous
avez sans doute une chance de mener ce genre de projet à bien et d’aboutir
à des résultats suffisamment détaillés pour être de quelque utilité. Sinon, il
est préférable de restreindre vos ambitions.
Les conditions de faisabilité sont de divers ordres qui doivent être tous
pris en considération par le chercheur : ses connaissances de base sur la
question, ses compétences techniques, la possibilité de récolter le maté-
riau indispensable (ici sans doute une enquête par questionnaire ou des
interviews de chefs d’entreprise) et d’effectuer les démarches préalables,
la capacité de convaincre les personnes clés d’apporter leur concours et
d’organiser éventuellement des réunions préparatoires, la capacité de
trouver les documents utiles, le budget nécessaire (notamment en frais de
déplacement), les moyens logistiques (comme un support informatique
pour le traitement des données), mais aussi, dans certains cas, la capacité
46
La question de départ ■ Première étape
Bref, pour pouvoir être traitée, une question de départ doit être réaliste,
c’est-à-dire en rapport avec les ressources personnelles, matérielles et
techniques dont on peut d’emblée penser qu’elles seront nécessaires et sur
lesquelles on peut raisonnablement compter.
Question 5
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Commentaire
Au premier abord, on peut craindre qu’une telle question n’attende qu’une
réponse purement descriptive qui aurait pour seul objectif de faire état des
données d’une situation. Un danger supplémentaire est d’en rester à du
« vécu » anecdotique, sans parvenir à saisir les processus sociaux qui sous-
tendent les modes de vie et comportements décrits.
47
Manuel de recherche en sciences sociales
En dépit des apparences, il s’agit donc d’autre chose que d’une « simple
description », soit, pour le moins, d’une « description construite » qui
trouve parfaitement sa place dans la recherche en sciences sociales et qui
nécessite la conception et la mise en œuvre d’un véritable dispositif concep-
tuel et méthodologique. Une « description » ainsi conçue peut constituer
une excellente recherche et une bonne manière de s’y engager. Beaucoup
de recherches connues se présentent d’ailleurs, d’une certaine manière,
comme des descriptions construites à partir de critères qui rompent avec
les catégories de pensée généralement admises et qui conduisent par là à
reconsidérer les phénomènes étudiés sous un regard neuf. La Distinction,
critique sociale du jugement de Pierre Bourdieu (Paris, éditions de Minuit,
1979) en est un bon exemple : la description des pratiques et dispositions
culturelles y est menée à partir du point de vue de l’habitus et d’un système
d’écarts entre les différentes classes sociales.
48
La question de départ ■ Première étape
Question 6
Commentaire
L’auteur d’une telle question a en fait pour projet de procéder à un ensemble
de prévisions sur l’évolution d’un secteur de la vie sociale. Ce faisant, il se
nourrit des plus naïves illusions sur la portée d’un travail de recherche en
sciences sociales. Un astronome peut prévoir longtemps à l’avance le passage
d’une comète à proximité du système solaire parce que sa trajectoire répond
à des lois stables auxquelles elle n’a pas la capacité de se soustraire par elle-
même. Il n’en va pas de même en ce qui concerne les activités humaines,
dont les orientations ne peuvent jamais être prévues de manière certaine.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
49
Manuel de recherche en sciences sociales
prochaines mieux que ne le ferait le commun des mortels. Mais ces pressen-
timents portent très rarement sur des événements précis et ne sont jamais
conçus que comme des éventualités. Ils se fondent sur leur connaissance
approfondie de la société telle qu’elle fonctionne aujourd’hui et non sur des
pronostics hasardeux.
Cela signifie-t-il que la recherche en sciences sociales n’ait rien à dire qui
intéresse l’avenir ? Certainement pas, mais ce qu’elle a à dire relève d’un autre
registre que celui de la prévision. En effet, tout d’abord, une recherche bien
menée permet de saisir les contraintes et les logiques qui déterminent une
situation ou un problème, elle permet de discerner la marge de manœuvre
des acteurs sociaux et met au jour les enjeux de leurs décisions et de leurs
rapports sociaux. Ensuite, un bon chercheur qui s’intéresse à la probléma-
tique du changement social (ou politique ou culturel) tentera de discerner,
dans ce qui est déjà là, la réalité en train d’advenir, la réalité en germes
en quelque sorte, comme des formes émergentes d’action collective (par
exemple à travers le fonctionnement et l’évolution des réseaux sociaux)
ainsi que les nouveaux thèmes et enjeux qui apparaissent dans les débats de
société. Enfin, un chercheur qui adopte une perspective historique pourra
mettre le présent en regard du passé et tenter de saisir des évolutions, mais
aussi des ruptures dans les processus en cours. Bref, de plusieurs façons, la
recherche en sciences sociales interpelle directement l’avenir et acquiert
une dimension prospective, mais il ne s’agit pas de prévision au sens strict
du terme. En dehors de telles perspectives, des prévisions faites à la légère
risquent fort de n’avoir que très peu d’intérêt et de consistance. Elles laissent
leurs auteurs désarmés face à des interlocuteurs qui, pour leur part, ne
rêvent pas, mais connaissent leurs dossiers.
50
La question de départ ■ Première étape
Question 7
Commentaire
Qu’entend-on par « socialement juste » ? La réponse sera radicalement
différente selon que l’on considère que la justice consiste à faire payer par
chacun une quote-part égale à celle des autres, quels que soient ses revenus
(comme c’est le cas pour les impôts indirects sur les produits de consom-
mation), une quote-part proportionnelle à ses revenus, ou une quote-part
proportionnellement plus importante au fur et à mesure de l’accroissement
de ses revenus (c’est l’imposition progressive, généralement en application
pour les impôts directs). Cette dernière formule, considérée comme juste
par certains car elle contribue à atténuer les inégalités, sera jugée injuste
par d’autres qui estimeront que, de cette manière, le fisc leur extorque bien
plus qu’aux autres le fruit de leur travail, de leur habileté ou des risques
qu’ils ont osé prendre.
51
Manuel de recherche en sciences sociales
52
La question de départ ■ Première étape
et leurs effets aux discours de ceux qui les engagent est une façon de les
évaluer à partir de critères non subjectifs.
53
Manuel de recherche en sciences sociales
Conclusion
54
La question de départ ■ Première étape
premier fil conducteur, cet exercice est aussi, pour lui, l’occasion de clarifier
et de préciser ses attentes et son projet. Celui qui décide de consacrer une
part importante de son temps à l’étude d’un sujet particulier, dans le cadre
de ses études, de son travail de fin d’études voire d’une thèse de doctorat, ne
choisit pas ce sujet au hasard ; pour lui ce sujet doit être important et valoir
la peine d’être étudié pour des raisons qui dépassent des considérations
purement scolaires ou académiques. Il peut s’agir de raisons personnelles
liées à une expérience de vie passée, à une passion pour une cause ou pour
un phénomène particulier, voire à un projet de vie. Il peut également s’agir
de raisons liées à un engagement dans un projet collectif à caractère social,
culturel ou politique, ou encore à une opportunité qu’il serait dommage de
manquer. Tout cela est parfaitement légitime et même heureux, à condition
que le chercheur soit au clair avec lui-même. Plutôt que de se draper dans
une illusoire neutralité, le chercheur en sciences sociales doit être capable
d’expliciter de manière réflexive les dimensions morales et politiques de son
travail, souvent tues et, le cas échéant, de changer d’orientation s’il s’avère
que ses raisons pour aborder tel ou tel sujet n’en sont pas de bonnes, qu’elles
sont de nature à l’aveugler ou à compromettre son impartialité. L’effort
pour éviter les formulations tendancieuses de la question de départ et les
discussions qu’on peuvent avoir à ce sujet peuvent efficacement contribuer
à prendre du recul à l’égard des idées préconçues ou des mauvaises raisons.
55
Manuel de recherche en sciences sociales
Résumé de la 1re étape
La question de départ
La meilleure manière d’entamer un • La qualité de faisabilité : réaliste.
travail de recherche en sciences sociales • Les qualités de pertinence : vraie ques-
consiste à s’efforcer d’énoncer le projet tion, aborder l’étude de ce qui existe,
sous la forme d’une question de départ. fonder l’étude du changement sur celle
Par cette question, le chercheur tente de ce qui existe, avoir une intention de
d’exprimer le plus exactement possible ce compréhension des phénomènes étudiés.
qu’il cherche à savoir, à élucider, à mieux
Outre qu’elle doit permettre au chercheur
comprendre. La question de départ servira
de démarrer son travail en lui procurant
de premier fil conducteur à la recherche.
un premier fil conducteur, le travail de
Pour remplir correctement sa fonction, formulation de la question de départ
la question de départ doit présenter des doit être pour lui l’occasion de clarifier
qualités de clarté, de faisabilité et de ses propres attentes et intentions, et
pertinence : de les évaluer de manière réflexive et
• Les qualités de clarté : concise et autocritique.
univoque, précise, d’ampleur raisonnable.
56
La question de départ ■ Première étape
Aucune importance car cette question n’est pas définitive. D’autre part,
que voulez-vous « problématiser » si vous êtes incapable de formuler clai-
rement votre objectif de départ ? Cet exercice vous aidera au contraire à
mieux organiser vos réflexions qui s’éparpillent pour l’instant dans trop de
directions différentes.
Sans doute, mais vos réflexions ne seront pas perdues pour autant. Elles
resurgiront plus tard et seront exploitées plus vite que vous ne le pensez. Ce
qu’il vous faut maintenant, c’est une première clef qui permette de canaliser
votre travail et de ne pas disperser vos précieuses réflexions.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Si telle est votre intention, elle est respectable, mais vous en êtes déjà à
penser « problématique ». Vous avez éludé la question de départ.
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Manuel de recherche en sciences sociales
58
Deuxième
étape
L’exploration
Sommaire
1. Objectifs ............................................................................................................62
2. La lecture ...........................................................................................................62
3. Les entretiens exploratoires ..............................................................................82
4. La place des méthodes exploratoires dans le processus de recherche ..............100
Étape 1 La question de départ
Étape 2 L'exploration
Les entretiens
Les lectures
exploratoires
Étape 3 La problématique
Étape 5 L'observation
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Manuel de recherche en sciences sociales
1. Objectifs
Au cours du chapitre précédent, nous avons appris à formuler un projet
de recherche sous la forme d’une question de départ appropriée. Jusqu’à
nouvel ordre, cette question de départ constitue le fil conducteur du travail.
À présent, le problème est de savoir comment nous y prendre pour atteindre
une certaine qualité d’information ; comment explorer le terrain pour conce-
voir une problématique de recherche. C’est l’objet de ce chapitre.
2. La lecture
Ce qui est vrai pour la sociologie devrait l’être pour tout travail intellectuel :
dépasser les interprétations établies qui contribuent à reproduire l’ordre des
choses afin de faire apparaître de nouvelles significations des phénomènes
étudiés qui soient plus éclairantes et plus pénétrantes que les précédentes.
62
L’exploration ■ Deuxième étape
63
Manuel de recherche en sciences sociales
Le choix des lectures doit être réalisé avec beaucoup de soin. Quels que
soient le type et l’ampleur du travail, un chercheur ne dispose jamais que
d’un temps de lecture limité. Certains ne peuvent y consacrer que quelques
dizaines d’heures, d’autres plusieurs centaines mais, pour les uns comme
pour les autres, ce temps sera toujours d’une certaine manière trop court en
regard de leurs ambitions respectives. Rien n’est dès lors plus désespérant
que de constater, après plusieurs semaines de lecture, que l’on n’est guère
beaucoup plus avancé qu’au départ. L’objectif est donc de faire le point
sur les connaissances intéressant la question de départ en exploitant au
maximum chaque minute de lecture.
Premier principe
Partir de la question de départ. Le meilleur moyen de ne pas s’égarer
dans le choix des lectures consiste en effet à avoir une bonne question
de départ. Tout travail doit avoir un fil conducteur et, jusqu’à nouvel
ordre, c’est la question de départ qui remplit cette fonction. Sans doute
serez-vous amené à la modifier au terme de votre travail exploratoire et
64
L’exploration ■ Deuxième étape
Deuxième principe
Éviter de surcharger le programme de lectures. Il n’est pas nécessaire – ni
d’ailleurs, le plus souvent, possible – de tout lire sur un sujet car, dans une
certaine mesure, les ouvrages et articles de référence se répètent mutuelle-
ment et un lecteur assidu se rend vite compte de ces répétitions. Dans un
premier temps, on évitera donc autant que possible de lire d’emblée des
« briques » énormes et indigestes avant d’être certain de ne pouvoir s’en
dispenser. On s’orientera davantage vers les ouvrages et articles de revues en
sciences sociales qui présentent des repères théoriques et une réflexion de
synthèse dans le domaine de recherche concerné. Il est, en effet, préférable
de lire de manière approfondie et critique quelques textes bien choisis que
de lire superficiellement des milliers de pages.
Troisième principe
Rechercher dans la mesure du possible des documents dans lesquels les
auteurs ne se contentent pas de présenter des données, mais qui comportent
des éléments d’analyse et d’interprétation de ces données.
65
Manuel de recherche en sciences sociales
Quatrième principe
Veiller à recueillir des textes qui présentent des approches diversifiées du
phénomène étudié. Non seulement il ne sert à rien de lire dix fois la même
chose mais, en outre, le souci d’aborder l’objet d’étude sous un angle éclairant
implique que l’on puisse confronter des perspectives différentes. Ce souci doit
inclure, du moins pour les recherches d’un certain niveau, la prise en compte
de textes plus théoriques qui, sans porter forcément de manière directe sur
le phénomène étudié, présentent des problématiques et des modèles d’ana-
lyse susceptibles d’inspirer des hypothèses particulièrement intéressantes.
(Nous reviendrons plus loin sur la problématique, le modèle d’analyse et
sur les hypothèses.)
Cinquième principe
Se ménager à intervalles réguliers des plages de temps consacrées à la
réflexion personnelle et aux échanges de vues avec des collègues ou avec
des personnes d’expérience. Un esprit encombré n’est jamais créatif.
66
L’exploration ■ Deuxième étape
67
Manuel de recherche en sciences sociales
bien à faire assez rapidement le point sur les connaissances relatives à la ques-
tion de départ. Dans cette perspective, il importe avant tout de savoir ce que
l’on cherche. Qu’elles soient physiques ou numériques, les bibliothèques de
sciences sociales dignes de ce nom possèdent des milliers de références. Sans
écarter totalement l’idée d’un apprentissage par essai et erreur, on conviendra
qu’il est hasardeux d’espérer découvrir, au détour d’une promenade à travers
les rayons ou d’une navigation sur Internet, la référence idéale qui réponde
exactement aux attentes. Ici aussi, il faut une méthode de travail dont la
première étape consiste à préciser clairement le genre de textes recherchés.
En ce domaine comme dans d’autres, la précipitation peut se payer très cher.
68
L’exploration ■ Deuxième étape
• Dans certains pays, il existe des catalogues recensant les fonds des prin-
cipales bibliothèques universitaires nationales. C’est par exemple le cas
de « Sudoc » en France ou d’« Unicat » en Belgique. Ces catalogues sont
particulièrement utiles si l’on veut avoir accès à une ressource rare.
Ensuite, les bibliothèques scientifiques ou académiques comportent
des répertoires spécialisés généralement disponibles sur Internet
comme l’Academic Search Premier, l’International Political Sciences
Abstracts, l’International Bibliography of Social Sciences, la SAGE
Encyclopedia of Science Research Methods, ou la Sociology Database.
Il s’agit de bases de données bibliographiques répertoriant les publica-
tions parues dans un domaine et, pour certaines d’entre elles, donnant
directement accès aux contenus en fonction des abonnements sous-
crits par les bibliothèques. Pour ce qui est des revues où sont publiés les
articles écrits par les chercheurs, les mêmes bibliothèques souscrivent
aussi à des abonnements à des plateformes éditoriales comme Cairn,
JSTOR ou Sage Journals Online qui gèrent des bouquets de revues
scientifiques, tout comme Revues.org (dont les revues sont intégrées
dans la plateforme OpenEdition Freemium qui propose aussi des
e-books) et Persée qui ont en plus l’avantage d’être en accès libre. Les
bibliothèques offrent ainsi un accès aisé à une multitude de revues et
leurs utilisateurs n’ont pas à se soucier des formalités d’abonnement.
En fonction des abonnements institutionnels contractés, l’accès à ces
outils à partir d’un site universitaire (ou de chez soi via un proxy ou
le VPN de l’université) offre généralement bien plus de possibilités
qu’une connexion privée. L’accès en ligne aux revues les plus anciennes
y est généralement gratuit. Google Scholar est aussi un outil large-
ment utilisé, mais il convient de noter que le niveau de fiabilité de ses
références n’est pas toujours équivalent à celui des bases de données
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Manuel de recherche en sciences sociales
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L’exploration ■ Deuxième étape
L’objectif principal de la lecture est d’en retirer des idées pour son propre
travail. Cela implique que le lecteur soit capable de faire apparaître ces
idées, de les comprendre en profondeur et de les articuler entre elles de
manière cohérente. Avec l’expérience cela ne pose généralement pas trop
de problèmes. Mais cet exercice peut présenter des difficultés majeures
pour ceux dont la formation théorique est faible et qui ne sont pas habitués
au vocabulaire (certains diront au jargon) des sciences sociales. C’est à eux
que sont destinées les pages qui suivent.
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Manuel de recherche en sciences sociales
a. La grille de lecture
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L’exploration ■ Deuxième étape
② Néanmoins, cette première comparaison est encore trop sommaire. Malgré d’incon-
testables similitudes, les milieux sociaux dans lesquels vivent les habitants de ces
différents pays ne sont pas identiquement les mêmes. La civilisation de l’Espagne et
celle du Portugal sont bien au-dessous de celle de l’Allemagne ; il peut donc se faire
que cette infériorité soit la raison de celle que nous venons de constater dans le
développement du suicide. Si l’on veut échapper à cette cause d’erreur et déterminer
avec plus de précision l’influence du catholicisme et celle du protestantisme sur la
tendance au suicide, il faut comparer les deux religions au sein d’une même société.
Provinces Provinces
Provinces
à minorité Suicides Suicides où il y a Suicides
à majorité
catholique : par million par million plus de par million
catholique :
moins de d’habitants d’habitants 90 % de d’habitants
50 à 90 %
50 % catholiques
Palatinat Basse- Haut-
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Manuel de recherche en sciences sociales
④ Contre une pareille unanimité de faits concordants, il est vain d’invoquer, comme le
fait Mayr, le cas unique de la Norvège et de la Suède qui, quoique protestantes, n’ont
qu’un chiffre moyen de suicides. D’abord, ainsi que nous en faisions la remarque au
début de ce chapitre, ces comparaisons internationales ne sont pas démonstratives,
à moins qu’elles ne portent sur un assez grand nombre de pays, et même dans ce cas,
elles ne sont pas concluantes. Il y a d’assez grandes différences entre les populations
de la presqu’île scandinave et celles de l’Europe centrale, pour qu’on puisse comprendre
que le protestantisme ne produise pas exactement les mêmes effets sur les unes et
sur les autres. Mais de plus, si, pris en lui-même, le taux des suicides n’est pas très
considérable dans ces deux pays, il apparaît relativement élevé si l’on tient compte
du rang modeste qu’ils occupent parmi les peuples civilisés d’Europe. Il n’y a pas de
raison de croire qu’ils soient parvenus à un niveau intellectuel supérieur à celui de
l’Italie, loin s’en faut, et pourtant on s’y tue de deux à trois fois plus (90 à 100 suicides
par million d’habitants au lieu de 40). Le protestantisme ne serait-il pas la cause de
cette aggravation relative ? Ainsi, non seulement le fait n’infirme pas la loi qui vient
d’être établie sur un si grand nombre d’observations, mais il tend plutôt à la confirmer.
⑤ Pour ce qui est des juifs, leur aptitude au suicide est toujours moindre que celle des
protestants : très généralement, elle est aussi inférieure, quoique dans une moindre
proportion, à celle des catholiques. Cependant, il arrive que ce dernier rapport soit
renversé ; c’est surtout dans les temps récents que ces cas d’inversion se rencontrent
[…]. Si l’on songe que, partout, les juifs sont en nombre infime et que, dans la plupart
des sociétés où ont été faites les observations précédentes, les catholiques sont en
minorité, on sera tenté de voir dans ce fait la cause qui explique la rareté relative
des morts volontaires dans ces deux cultes. On conçoit, en effet, que les confessions
les moins nombreuses, ayant à lutter contre l’hostilité des populations ambiantes,
soient obligées, pour se maintenir, d’exercer sur elles-mêmes un contrôle sévère et de
s’astreindre à une discipline particulièrement rigoureuse. Pour justifier la tolérance,
toujours précaire, qui leur est accordée, elles sont tenues à plus de moralité. En dehors
de ces considérations, certains faits semblent réellement impliquer que ce facteur
spécial n’est pas sans quelque influence […].
⑥ Mais, en tout cas, cette explication ne saurait suffire à rendre compte de la situation
respective des protestants et des catholiques. Car si, en Autriche et en Bavière, où le
catholicisme a la majorité, l’influence préservatrice qu’il exerce est moindre, elle est
encore très considérable. Ce n’est donc pas seulement à son état de minorité qu’il
la doit. Plus généralement, quelle que soit la part proportionnelle de ces deux cultes
dans l’ensemble de la population, partout où l’on a pu les comparer au point de vue du
suicide, on a constaté que les protestants se tuent beaucoup plus que les catholiques.
Il y a même des pays comme le Haut-Palatinat, la Haute-Bavière, où la population est
presque tout entière catholique (92 et 96 %) et où, cependant, il y a 300 et 423 suicides
protestants pour 100 catholiques. Le rapport même s’élève jusqu’à 528 % dans la Basse-
Bavière où la religion réformée ne compte pas tout à fait un fidèle sur 100 habitants.
Donc, quand même la prudence obligatoire des minorités serait pour quelque chose
dans l’écart si considérable que présentent ces deux religions, la plus grande part en
est certainement due à d’autres causes.
74
L’exploration ■ Deuxième étape
⑨ C’est dans la nature de ces deux systèmes religieux que nous les trouverons.
Cependant, ils prohibent tous les deux le suicide avec la même netteté ; non seulement
ils le frappent de peines morales d’une extrême sévérité, mais l’un et l’autre enseignent
également qu’au-delà du tombeau commence une vie nouvelle où les hommes seront
punis de leurs mauvaises actions, et le protestantisme met le suicide au nombre de
ces dernières, tout aussi bien que le catholicisme. Enfin, dans l’un et l’autre cultes, ces
prohibitions ont un caractère divin : elles ne sont pas présentées comme la conclusion
logique d’un raisonnement bien fait, mais leur autorité est celle de Dieu lui-même.
Si donc le protestantisme favorise le développement du suicide, ce n’est pas qu’il le
traite autrement que ne fait le catholicisme. Mais alors, si, sur ce point particulier, les
deux religions ont les mêmes préceptes, leur inégale action sur le suicide doit avoir
pour cause quelqu’un des caractères plus généraux par lesquels elles se différencient.
⑩ Ainsi, s’il est vrai de dire que le libre examen, une fois qu’il est proclamé, multiplie
les schismes, il faut ajouter qu’il les suppose et qu’il en dérive, car il n’est réclamé
et institué comme un principe que pour permettre à des schismes latents ou à demi
déclarés de se développer plus librement. Par conséquent, si le protestantisme fait à la
pensée individuelle une plus grande part que le catholicisme, c’est qu’il compte moins
de croyances et de pratiques communes. Or, une société religieuse n’existe pas sans
un credo collectif et elle est d’autant plus une et d’autant plus forte que ce credo
est plus étendu. Car elle n’unit pas les hommes par l’échange et la réciprocité des
services, lien temporel qui comporte et suppose même des différences, mais qu’elle
est impuissante à nouer. Elle ne les socialise qu’en les attachant tous à un même
corps de doctrines et elle les socialise d’autant mieux que ce corps de doctrines est
75
Manuel de recherche en sciences sociales
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L’exploration ■ Deuxième étape
b. Le résumé
Faire le résumé d’un texte consiste à mettre en évidence ses idées principales
et leurs articulations de manière à faire apparaître l’unité de la pensée de
l’auteur. C’est le but premier des lectures exploratoires et c’est donc l’abou-
tissement normal du travail de lecture.
On entend dire parfois que certains ont l’esprit de synthèse, comme s’il
s’agissait d’une qualité innée. C’est évidemment absurde. L’aptitude à rédiger
de bons résumés est surtout affaire de formation et de travail. La qualité
d’un résumé est directement liée à la qualité de la lecture qui l’a précédée.
Bien plus, la méthode de réalisation d’un résumé devrait constituer la suite
logique de la méthode de lecture. C’est en tout cas de cette manière que
nous procéderons ici.
77
Manuel de recherche en sciences sociales
Chacun peut faire ce travail par lui-même sans trop de difficulté car la
grille de lecture en donne les moyens et oblige en même temps à s’imprégner
véritablement du texte étudié. Il restera enfin à rédiger le résumé de manière
assez claire pour que quelqu’un qui n’aurait pas lu le texte de Durkheim
puisse s’en faire une bonne idée globale à la seule lecture du résultat de
votre travail. Même si vous n’avez aucunement l’intention de le communi-
quer, cet effort de clarté est important. Il constitue à la fois un exercice et
un test de compréhension car, si vous ne parvenez pas à rendre votre texte
compréhensible pour les autres, il y a de fortes chances qu’il ne le soit pas
encore parfaitement pour vous.
Durkheim analyse l’influence des religions sur le suicide. Grâce à l’examen de données statistiques
qui portent principalement sur les taux de suicide de différentes populations européennes de
religions protestante et catholique, il aboutit à la conclusion que le penchant pour le suicide est
d’autant plus fort que la cohésion de la religion est faible.
En effet, une religion fortement intégrée comme le catholicisme, dont les fidèles partagent de
nombreuses pratiques et croyances communes, les protège davantage du suicide qu’une religion
faiblement intégrée comme le protestantisme, qui accorde une place importante au libre examen.
78
L’exploration ■ Deuxième étape
Bien entendu le modèle de grille de lecture qui a été présenté ici est parti-
culièrement précis et rigoureux. Il demande que l’on y consacre du temps et
donc que les textes ne soient ni trop longs, ni trop nombreux. Dès lors, dans
de nombreux cas, d’autres grilles de lecture plus souples et plus adaptées
à chaque projet particulier doivent pouvoir être imaginées. Cependant, il
faut se méfier des fausses économies de temps. Lire mal deux mille pages
ne sert strictement à rien ; bien lire un bon texte de dix pages peut aider à
faire véritablement démarrer une recherche ou un travail. Ici plus qu’ail-
leurs il faut se presser lentement et ne pas se laisser impressionner par les
interminables bibliographies que l’on trouve à la fin de certains ouvrages.
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Manuel de recherche en sciences sociales
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L’exploration ■ Deuxième étape
81
Manuel de recherche en sciences sociales
Pour cette raison, il est essentiel que l’entretien se déroule de façon très
ouverte et très souple et que le chercheur évite de poser des questions trop
nombreuses et trop précises, de manière à ne pas limiter a priori les aspects
du problème à prendre en compte. Bien menés, les entretiens exploratoires
devraient moins conforter le chercheur dans ses idées préconçues que
l’amener à les remettre en cause.
82
L’exploration ■ Deuxième étape
concerné. Nous avons déjà évoqué leur utilité à propos du choix des
lectures. Ils peuvent aussi nous aider à améliorer notre connaissance
du terrain en nous exposant non seulement les résultats de leurs
travaux, mais aussi la démarche entreprise, les problèmes rencontrés
et les écueils à éviter. Ce genre d’entretien ne demande pas de tech-
nique particulière, mais il sera d’autant plus fructueux que la question
de départ sera bien formulée et permettra à votre interlocuteur de
cerner avec précision ce qui vous intéresse.
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Manuel de recherche en sciences sociales
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L’exploration ■ Deuxième étape
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Manuel de recherche en sciences sociales
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L’exploration ■ Deuxième étape
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Manuel de recherche en sciences sociales
c. Le contexte de l’entretien
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L’exploration ■ Deuxième étape
Il n’est d’ailleurs pas rare que, passionnée par son sujet et se trouvant bien
avec l’interviewer, la personne interviewée accepte ou manifeste son désir
de prolonger l’entretien au-delà de la limite convenue au départ.
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Manuel de recherche en sciences sociales
d. Le premier contact
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L’exploration ■ Deuxième étape
e. La conduite de l’entretien
Comme il faut bien démarrer par une première question, celle-ci touchera
au thème et/ou à la situation de la personne interviewée. Elle appellera
d’emblée une « réponse » à caractère narratif et/ou qui implique quelques
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Manuel de recherche en sciences sociales
– « Quand les pouvoirs publics ont pris telle décision, quelles ont été
les réactions dans votre quartier ? »
Dans le même esprit, il ne faut pas craindre les silences. Ils effrayent
toujours l’interviewer débutant aux yeux de qui quelques secondes semblent
une éternité. Quelques petites pauses dans un entretien peuvent permettre
au répondant de réfléchir plus calmement, de rassembler ses souvenirs, de
contrôler une émotion et, surtout, de se rendre compte qu’il dispose d’une
importante marge de liberté. Vouloir combler frénétiquement le moindre
silence est un réflexe de peur et une tentation aussi courante que néfaste car
elle conduit à multiplier les questions et à étouffer l’expression libre. Ces
silences ne sont pas des vides ; il s’y passe beaucoup de choses dans la tête de
celui que l’on interviewe, surtout si le thème le touche de près et intimement.
Bien souvent, il hésite à en dire davantage. Il convient alors de l’encourager
92
L’exploration ■ Deuxième étape
par un sourire ou par toute autre attitude très réceptive, car ce qu’il dira juste
après ce silence peut être essentiel (Ruquoy, op. cit., p. 79).
93
Manuel de recherche en sciences sociales
Vous observerez bien vite qu’un même comportement de votre part face
à des interlocuteurs différents ne conduit pas forcément au même résultat.
Le succès d’un entretien dépend de la manière dont fonctionne l’interac-
tion entre les deux interlocuteurs. Un jour votre interlocuteur sera très
réservé ; le lendemain il sera particulièrement bavard et vous éprouverez
toutes les peines du monde à l’empêcher de parler de n’importe quoi. Un
94
L’exploration ■ Deuxième étape
Les recommandations qui ont été faites plus haut constituent des règles
générales qu’il faut s’efforcer de respecter. Mais chaque entretien n’en reste
pas moins un cas d’espèce au cours duquel l’interviewer doit adapter son
comportement avec souplesse et à-propos. Seule la pratique peut apporter
le flair et la sensibilité qui font le bon interviewer. Enfin, il faut souligner
qu’une attitude de blocage systématique ou sélectif de la part de votre
interlocuteur constitue souvent une indication en elle-même qui demande
à être interprétée comme telle.
Les entretiens exploratoires n’ont pas pour fonction de vérifier des hypo-
thèses, ni de recueillir ou d’analyser des données précises, mais bien d’ouvrir
des pistes de réflexion, d’élargir les horizons de lecture et de les préciser, de
prendre conscience des dimensions et des aspects d’un problème auxquels
le chercheur n’aurait sans doute pas pensé spontanément, à partir de la
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
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Manuel de recherche en sciences sociales
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L’exploration ■ Deuxième étape
Elle devient alors discours, “tant bien que mal” » (L. Bardin, L’Analyse de
contenu, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2007, p. 224).
Son interlocuteur le lui rend bien lorsqu’il tente d’amener l’entretien sur
son propre terrain, celui où il se sent le plus à l’aise, voire valorisé. Parfois,
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Manuel de recherche en sciences sociales
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L’exploration ■ Deuxième étape
des méthodes différentes. L’essentiel ici est de ne pas oublier que nous
proposons les entretiens comme moyen de rupture et comme ressource pour
construire la problématique de recherche, mais qu’ils peuvent aussi bien
conduire au renforcement des préjugés s’ils sont effectués « en touriste » et
exploités superficiellement. Il est donc vital, pour la recherche, de féconder
les entretiens par des lectures et réciproquement, car c’est de leur complé-
mentarité que résultera la problématique de recherche.
1. Préparation
• Définissez clairement les objectifs de personnes à rencontrer, leur
des entretiens. Pour rappel, il s’agit nombre (très peu pour une première
moins de rassembler des informations phase, par exemple entre trois et cinq),
précises que de mettre en lumière la manière de vous présenter, le maté-
les aspects importants du problème, riel (carnet de bord, enregistrement…).
d’élargir les perspectives théoriques, • Préparez le contenu du travail : les
de trouver des idées, de se rendre préoccupations centrales des entre-
compte de la manière dont le problème tiens, la manière de les engager
est vécu, etc. et d’en présenter les objectifs aux
• Mettez au point les aspects pratiques personnes que vous rencontrerez, le
du travail : les personnes ou les types guide d’entretien.
2. Réalisation
Effectuez le travail en veillant à vite vos observations complémentaires
conserver vos enregistrements dans éventuelles.
de bonnes conditions et à noter au plus
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3. Exploitation
• Écoutez et réécoutez tous vos enregis- • Étudiez ce que les entretiens vous
trements en prenant des notes (c’est apportent en tant que source d’infor-
fou ce que vous découvrirez encore à mation, en tant que processus et en
chaque écoute supplémentaire !). tant qu’interaction.
• Si possible, faites écouter vos enre- • Essayez, pour conclure, d’articuler ces
gistrements par l’un ou l’autre de vos idées les unes aux autres. Dégagez les
collègues. Racontez-leur vos expé- idées principales. Regroupez les idées
riences et demandez-leur de réagir à complémentaires. Bref, structurez les
vos idées. résultats de votre travail.
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Manuel de recherche en sciences sociales
Dans la pratique, il est rare que les entretiens exploratoires ne soient pas
accompagnés d’un travail d’observation ou d’analyse de documents. Par
exemple, lors d’un travail sur la situation des musées à Bruxelles et en
Wallonie, l’un d’entre nous a été amené à rencontrer de nombreux conser-
vateurs. Comme les entretiens se déroulaient généralement dans les musées
mêmes, il n’a évidemment pas manqué de les visiter et d’y revenir afin de
se rendre compte par lui-même de leur atmosphère, de leur conception
didactique ou de la manière dont les visiteurs du moment s’y comportaient.
De plus, ses interlocuteurs institutionnels lui ont remis des documents sur
leur propre musée ou sur le problème général qui les préoccupait.
100
L’exploration ■ Deuxième étape
Dans une démarche déductive, telle que présentée ici, l’exploration constitue
une étape en tant que telle, qui a une consistance certaine et dont on ne
peut pas faire l’économie, surtout si l’on envisage de mettre en œuvre par
la suite un dispositif de recherche où il est difficile de revenir en arrière, par
exemple appuyé sur une enquête par questionnaire.
101
Manuel de recherche en sciences sociales
Nous reviendrons plus loin sur les scénarios de recherche non linéaire
et en donnerons un exemple dans la deuxième application concrète en fin
de volume.
102
L’exploration ■ Deuxième étape
mises en œuvre dans les étapes suivantes. Dans de nombreux cas en effet,
une exploration préalable du sujet évite d’opter trop vite et exclusivement
pour une méthode, comme l’entretien compréhensif, qui n’est pas forcé-
ment la plus adéquate ni suffisante à elle seule (voir les étapes 5 et 6).
Résumé de la 2e étape
L’exploration
Le projet de recherche ayant été provi- et d’interprétation, approches diversi-
soirement formulé sous la forme d’une fiées, plages de temps consacrées à la
question de départ, il s’agit ensuite réflexion personnelle et aux échanges de
d’atteindre une certaine qualité d’infor- vues. De plus, la lecture proprement dite
mation sur l’objet étudié et de trouver les doit être effectuée à l’aide d’une grille
meilleures manières de l’aborder. C’est de lecture appropriée aux objectifs pour-
le rôle du travail exploratoire. Celui-ci suivis. Enfin, des résumés correctement
se compose de deux parties qui sont structurés permettront de dégager les
souvent menées parallèlement : d’une idées essentielles des textes étudiés et
part un travail de lecture et d’autre part de les comparer entre eux.
des entretiens ou d’autres méthodes Les entretiens exploratoires complètent
appropriées. utilement les lectures. Ils permettent au
Les lectures préparatoires servent chercheur de prendre conscience d’as-
d’abord à s’informer des recherches pects de la question auxquels sa propre
déjà menées sur le thème du travail et expérience et ses seules lectures ne l’au-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
à situer la nouvelle contribution envi- raient pas rendu sensible. Les entretiens
sagée par rapport à elles. Grâce à ses exploratoires ne peuvent remplir cette
lectures, le chercheur pourra en outre fonction que s’ils sont peu directifs car
mettre en évidence la perspective qui lui l’objectif ne consiste pas à valider les
paraît la plus pertinente pour aborder idées préconçues du chercheur, mais bien
son objet de recherche. Le choix des à en imaginer de nouvelles. Les fonde-
lectures demande à être fait en fonc- ments de la méthode sont à rechercher
tion de critères bien précis : liens avec dans les principes de la non-directivité
la question de départ, dimension raison- de Carl Rogers, adaptés en vue d’une
nable du programme, éléments d’analyse application dans les sciences sociales.
103
Manuel de recherche en sciences sociales
Trois types d’interlocuteurs intéressent enfin, chaque entretien peut être analysé
ici le chercheur : les spécialistes de comme une interaction révélatrice entre
l’objet étudié, les témoins privilégiés et la personne interviewée et le chercheur.
les personnes directement concernées. Les entretiens exploratoires sont
L’exploitation des entretiens est triple. souvent mis en œuvre en même temps
D’abord, les propos entendus peuvent que d’autres méthodes complémentaires,
être abordés directement en tant que telles que l’observation et l’analyse de
source d’information ou de contenus ; documents.
ensuite, chaque entretien peut être Au terme de cette étape, le chercheur
décodé en tant que processus au cours peut être amené à reformuler sa ques-
duquel l’interlocuteur exprime sur lui- tion de départ d’une manière qui tienne
même une vérité plus profonde que compte des enseignements de son
celle qui est immédiatement perceptible ; travail exploratoire.
104
Troisième
étape
La
problématique
Sommaire
1. Objectifs ...........................................................................................................108
2. Exemples de problématiques .............................................................................109
3. Le concept comme outil de problématisation ....................................................127
4. Les deux temps d’une problématique ................................................................138
Étape 1 La question de départ
Étape 2 L'exploration
Les entretiens
Les lectures
exploratoires
Étape 3 La problématique
Étape 5 L'observation
107
Manuel de recherche en sciences sociales
1. Objectifs
Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment procéder à l’explora-
tion. Il s’agit maintenant de prendre du recul ou de la hauteur par rapport
aux informations recueillies et de maîtriser les idées rassemblées afin de
préciser les grandes orientations de la recherche et de définir une problé-
matique en rapport avec la question de départ.
108
La problématique ■ Troisième étape
2. Exemples de problématiques
Le premier exemple illustre le fait que, pour étudier une même question
de départ, différentes problématiques sont envisageables, qu’il faut donc
commencer par les découvrir et ensuite faire des choix en connaissance de
cause. Il est important d’en prendre ici connaissance car il servira de base
à une des principales applications illustrant l’étape suivante, consacrée à la
construction du modèle d’analyse.
l’œuvre dans les organismes touchés par le virus ainsi que ses modes de
transmission, et à mettre au point des réponses médicales. Dès qu’il fut
clair que, outre la transmission mère-enfant, le VIH se transmettait essen-
tiellement par injections intraveineuses et par les relations sexuelles, les
sciences sociales furent également mobilisées pour mieux comprendre les
comportements à risque, en vue de les éviter. C’est en grande partie sur la
base de ces travaux que des campagnes de prévention ont été lancées dans
de nombreux pays, en particulier au cours des années quatre-vingt-dix.
109
Manuel de recherche en sciences sociales
La plupart des toutes premières enquêtes réalisées ont adopté une problé-
matique qui semblait s’imposer par le bon sens. Elle reposait sur l’idée que
l’individu se comporte de manière rationnelle, en fonction de ses intérêts.
S’il a une connaissance correcte du risque et des modes de transmission, s’il
adopte une attitude responsable (ne pas s’exposer inutilement à des situa-
tions à risque pour la santé) et s’il n’a pas de croyances naïves dangereuses
110
La problématique ■ Troisième étape
avec leur vision des choses sur le compte d’une faiblesse passagère ou, s’ils
se renouvelaient, d’une situation de crise des repères moraux (que Emile
Durkheim a appelée anomie) chez certains individus considérés comme très
minoritaires et « irrécupérables ». C’était toutefois un peu court.
En effet, les enquêtes ont révélé que, parmi celles et ceux qui encourraient
régulièrement ou occasionnellement des risques, on comptait nombre de
personnes aux propos et aux réponses très sensés, qui semblaient avoir
111
Manuel de recherche en sciences sociales
b. La trajectoire de vie
112
La problématique ■ Troisième étape
c. La dynamique de la relation
113
Manuel de recherche en sciences sociales
114
La problématique ■ Troisième étape
Ces processus symboliques peuvent avoir une grande influence sur les
comportements, notamment pour ce qui nous intéresse ici, les comporte-
ments face au risque de contamination par le VIH, et favoriser la prise de
risque. Quelques exemples parmi beaucoup d’autres possibles : dans un
contexte social et culturel de domination masculine, les femmes peuvent se
voir imposer des rapports sans protection avec des hommes qui multiplient
les partenaires ; si des autorités religieuses influentes condamnent l’utilisa-
tion du préservatif en tablant sur une fidélité conjugale plus qu’incertaine, le
risque de rapports non protégés peut augmenter ; un contrôle social sévère,
voire un climat de répression à l’égard de l’homosexualité peuvent encou-
rager les pratiques clandestines non protégées. C’est pourquoi, certains
chercheurs ont choisi pour problématique l’impact de ces processus symbo-
liques sur les comportements à risque.
115
Manuel de recherche en sciences sociales
116
La problématique ■ Troisième étape
117
Manuel de recherche en sciences sociales
Le moins qu’on puisse dire est que, dans l’atmosphère ambiante, les
réponses étaient « téléphonées ». Quand on ne cesse de répéter sur toutes
les ondes et dans tous les journaux que la justice dysfonctionne, qu’elle
est trop lente, qu’elle protège sans doute les puissants… qui va marquer
son désaccord avec de telles propositions, sinon une petite minorité de
citoyens ? Les réponses à de telles questions superficielles ne peuvent être
elles-mêmes que superficielles, chacun ne faisant que répéter les mêmes
banalités. De plus, les opinions qu’elles expriment sont trop directement
influencées par l’actualité immédiate et donc éphémères. Par ailleurs,
les notions utilisées sont floues : qu’est-ce qu’un « dysfonctionnement » ?
Qu’est-ce qui serait trop lent dans le fonctionnement de la justice : les
retards dans la prise en charge des dossiers à cause de leur accumulation,
ou leur traitement à partir du moment où ces dossiers sont pris en charge ?
Autre problème, la justice est ici jugée comme un tout homogène, alors
118
La problématique ■ Troisième étape
119
Manuel de recherche en sciences sociales
120
La problématique ■ Troisième étape
121
Manuel de recherche en sciences sociales
Certaines enquêtes sur les modalités de mise en scène de soi sur les sites
du Web 2.0 vont montrer au contraire toute la diversité des stratégies
déployées par les usagers. L’enquête Sociogeek, du nom du collectif (consul-
tants de Faber Novel, experts de la Fondation Internet Nouvelle Génération,
122
La problématique ■ Troisième étape
Tous les usagers ne mettent donc pas en évidence sur le Net la même
facette d’eux-mêmes ; de toute évidence, ils sélectionnent les traits identi-
taires qu’ils choisissent d’exposer ou de dissimuler. Cette recherche montre
aussi que ces diverses modalités d’exposition de soi renvoient à des carac-
téristiques sociodémographiques spécifiques. Ainsi, à titre d’exemple, les
femmes et les catégories fortement diplômées sont sur-représentées parmi
ceux qui privilégient les clichés en rapport avec les thèmes ritualisés de
longue date en photographie. Les différentes formes de présentation de soi
sont aussi diversement distribuées selon le nombre d’amis sur les réseaux
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
sociaux, la préférence pour une sociabilité tournée vers des personnes que
l’on rencontre dans la vie réelle ou vers des inconnus, le type de plateforme
mobilisée par les usagers…
1. http://sociogeek.admin-mag.com/resultat/Show-off-an-social-networks-ICWSM09.pdf
123
Manuel de recherche en sciences sociales
Les modes de sélection d’amis du Web sont tout aussi variés : les critères
mobilisés pour ce faire diffèrent, l’ordre et l’importance de ceux-ci sont
variables, certaines stratégies de sélection sont en affinité avec des variables
sociodémographiques spécifiques (hommes/femmes, orientation homo/
hétérosexuelle, niveau de diplôme élevé/moins élevé…), mais aussi avec les
façons de s’exposer personnellement sur Internet. En ce sens, la présentation
de soi apparaît comme un élément de définition des autres avec lesquels il
s’agit de nouer des relations.
124
La problématique ■ Troisième étape
2.4 Le suicide
125
Manuel de recherche en sciences sociales
Bien entendu, ceci ne signifie pas que le suicide ne puisse être valablement
étudié sous un angle psychologique, mais c’est à cette manière sociologique
inédite de poser le problème que Durkheim va s’attacher. Certes, la notion
de problématique est présentée ici d’une manière qui correspond prati-
quement (pour Durkheim tout au moins) à l’approche spécifique d’une
discipline (la sociologie) par opposition à une autre (la psychologie), mais les
exemples précédents montrent que des problématiques différentes peuvent
être envisagées au sein d’un même champ disciplinaire.
Pour y parvenir, il importe d’être au clair avec soi-même, avec ses propres
motivations et idées préconçues sur le phénomène étudié. Il faut éviter de
laisser sa propre réflexion s’emprisonner dans des catégories de pensée
qui semblent aller de soi tant elles sont devenues des évidences et de se
laisser piéger par des mots utilisés à tout bout de champ comme « dysfonc-
tionnement », « intégrisme », « intégration », « gouvernance », « exclusion
sociale », « crise », etc., sans être lucide et critique sur ce qu’implique le
fait de les utiliser. Lorsqu’on étudie des opinions, des représentations ou
des pratiques, il faut éviter de les étudier pour elles-mêmes, comme si elles
tombaient du ciel ; il importe au contraire de les resituer dans leur contexte,
de les saisir dans leur genèse et leurs fonctions, de montrer comment
elles sont liées à des positions sociales, à des rapports de forces et à des
126
La problématique ■ Troisième étape
127
Manuel de recherche en sciences sociales
128
La problématique ■ Troisième étape
129
Manuel de recherche en sciences sociales
3.1 Interaction
130
La problématique ■ Troisième étape
3.3 Système
Poursuivant sa réflexion, notre chercheur sera sans doute frappé par le fait
que les comportements de chaque professionnel impliqué ont un impact
direct ou indirect sur les comportements de l’ensemble des autres, de sorte
qu’à chaque changement dans le comportement de l’un d’entre eux c’est, de
manière plus ou moins sensible, l’ensemble du « système » qui se réajuste.
131
Manuel de recherche en sciences sociales
3.4 Champ
132
La problématique ■ Troisième étape
133
Manuel de recherche en sciences sociales
3.6 Fonction
Ce ne sont pas que des documents qui circulent dans le réseau des profes-
sionnels, ce sont aussi des justiciables souffrant de troubles mentaux qui
passent de main en main : un jour chez le juge, la semaine suivante chez le
psychiatre, quelques jours plus tard chez le médecin et les infirmiers d’un
hôpital psychiatrique pour une mise en examen, un peu après au parloir
avec le thérapeute, le travailleur social ou l’avocat, à leur sortie chez le
psychologue pour un suivi thérapeutique, avant de se retrouver devant le
médecin et devant le juge, sans oublier peut-être quelques passages devant
134
La problématique ■ Troisième étape
135
Manuel de recherche en sciences sociales
Certains de ces concepts avaient déjà été évoqués plus haut, dans les
exemples de problématiques proposés. Parmi les problématiques envisa-
gées pour étudier les comportements face au risque de contamination par
le VIH, les concepts d’interaction, de système social et de réseau avaient
136
La problématique ■ Troisième étape
été utilisés. Ceci montre que ces concepts peuvent être exploités utilement
pour étudier une diversité de phénomènes et que le chercheur débutant a
donc intérêt à bien les maîtriser.
La liste est longue des concepts avec lesquels l’exercice pourrait être pour-
suivi, par exemple socialisation, hiérarchie de crédibilité, interdépendance,
statut et rôle, violence symbolique, adaptation secondaire, bureaucratie,
carrière morale, contradiction, contrôle social… Certains sont des concepts
centraux d’une discipline (dans nos exemples, la sociologie), d’autres ont été
développés au sein d’une théorie particulière d’une discipline. L’important
est de comprendre combien les concepts sont bien plus que des définitions
du dictionnaire des sciences sociales ; ils impliquent une « conception » de
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
137
Manuel de recherche en sciences sociales
138
La problématique ■ Troisième étape
Pour organiser de manière ordonnée les pistes mises au jour dans l’étape
exploratoire, l’étudiant ou le chercheur peut se référer tout d’abord aux
repères conceptuels fournis plus haut et s’aider, s’il a la possibilité d’aller
plus loin, des cours ou ouvrages théoriques auxquels il a accès.
Pour pouvoir servir à tous les lecteurs quel que soit leur sujet, les repères
théoriques proposés ci-dessus revêtent un caractère général. Mais ses
lectures exploratoires auront forcément conduit le chercheur vers une
littérature spécifique au domaine particulier qui l’intéresse, par exemple la
sociologie de la famille, la psychosociologie des entreprises ou l’analyse de
la participation politique.
Par exemple, le chercheur débutant qui se lance dans une recherche sur
l’échec scolaire découvrira vite que ce sujet a déjà été abordé à partir de
diverses problématiques, notamment : les mécanismes de reproduction
des inégalités, liés aux ressources financières et culturelles des parents ;
l’écart plus ou moins important entre la culture de l’école (ses valeurs, ses
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
139
Manuel de recherche en sciences sociales
Lorsqu’on aborde une question dans le cadre d’un travail de fin d’études
ou d’une recherche, le minimum est de s’informer des grandes lignes du
champ scientifique dans lequel ce travail ou cette recherche s’inscrit. Le
champ des possibilités d’une discipline comme la sociologie, la science
politique, la communication, l’anthropologie, la psychologie sociale ou
l’économie (avec leurs multiples domaines spécialisés) est très étendu et
aucun chercheur ne peut le maîtriser dans son entièreté. Mais on peut
demander à ceux qui s’engagent dans un travail de recherche d’être capables
de situer les limites de l’approche qu’ils envisagent de retenir. Le propre du
scientifique, censé avoir été formé à la systématique et aux fondements de
sa discipline, n’est pas de tout savoir de cette discipline ou de cette sous-
discipline mais de ne pas ignorer l’existence de ce qu’il ne maîtrise pas et
de pouvoir dès lors situer correctement son approche dans l’espace des
approches possibles.
140
La problématique ■ Troisième étape
Trancher ne signifie pas s’enfermer dans une vision obtuse. Tout ce qui
a été lu, entendu et vu au cours de l’étape exploratoire sera tôt ou tard
exploité, d’une manière ou d’une autre. Les perspectives théoriques non
explicitement retenues pour la problématique ne seront pas oubliées pour
autant ; elles resteront comme au repos, en réserve, dans les notes et dans
le cerveau, prêtes à être réactivées le moment venu. Mais on ne peut pas
tout prendre en compte de toutes les manières possibles ; un fil conducteur
est nécessaire pour donner sens et cohérence au travail. Il est tissé de la
question de départ d’abord, de la problématique ensuite, des hypothèses
de recherche enfin… qui s’entrelacent dans la continuité.
141
Manuel de recherche en sciences sociales
142
La problématique ■ Troisième étape
5. Sans confondre cette étape avec la suivante, il peut être utile de prendre
également en compte les perspectives de la problématique en termes
d’opérationnalisation. Certaines approches très alléchantes intellec-
tuellement peuvent ne pas se prêter facilement à la construction précise
d’un modèle d’analyse opérationnel. Le risque est alors soit d’en rester à
des considérations abstraites, soit de ne pas parvenir à articuler correc-
tement des spéculations théoriques et des observations de terrain
effectuées de manière confuse.
143
Manuel de recherche en sciences sociales
144
La problématique ■ Troisième étape
Étape 2 L'exploration
Étape 3 La problématique
CONSTRUCTION
L’interactionÉtape 4 manifeste
qui se La construction
entreducesmodèle d'analyse étapes se retrouve
trois premières
aussi dans les étapes suivantes. Ainsi, en aval, la problématique n’arrive
réellement à terme qu’avec la construction du modèle d’analyse (étape 4).
La construction se distingue de 5la problématisation
Étape L'observation par son caractère opéra-
tionnel car cette construction doit servir de guide à l’observation (étape 5).
145
Manuel de recherche en sciences sociales
Résumé de la 3e étape
La problématique
La problématique est l’approche ou la • Dans un deuxième temps, on choisit
perspective théorique qu’on décide et on explicite sa propre problématique
d’adopter pour traiter le problème posé en connaissance de cause. Choisir, c’est
par la question de départ. Elle est une adopter un cadre théorique qui convient
manière d’interroger les phénomènes bien au problème et qu’on est en mesure
étudiés. Construire sa problématique de maîtriser suffisamment. Pour expli-
revient à répondre à la question : citer sa problématique, on redéfinit le
sous quel angle vais-je aborder ce mieux possible l’objet de sa recherche
phénomène ? en précisant l’angle sous lequel on
Concevoir une problématique peut se décide de l’aborder et en reformulant
faire en deux temps. la question de départ de manière à ce
qu’elle devienne la question centrale de
• Dans un premier temps, on fait le point
la recherche.
sur les problématiques possibles, on en
élucide les caractéristiques et on les Formulation de la question de départ
compare. Pour cela, on part des résul- (devenue au fil du travail la question
tats du travail exploratoire. À l’aide de centrale de la recherche), lectures, entre-
repères fournis par les cours théoriques tiens exploratoires et problématisation
et/ou par des ouvrages et articles de constituent en fait les composantes
référence, on tente de mettre au jour complémentaires d’un processus en
les perspectives théoriques qui sous- spirale où s’effectue la rupture et où
tendent les approches rencontrées et s’élaborent les fondements du modèle
on peut en découvrir d’autres. d’analyse qui opérationnalisera la pers-
pective choisie.
146
La problématique ■ Troisième étape
147
Quatrième
étape
La construction
du modèle
d’analyse
Sommaire
1. Objectifs ...........................................................................................................152
2. En quoi consiste le modèle d’analyse ? ..............................................................153
3. Deux voies pour s’y prendre concrètement .......................................................175
4. Deux applications… à suivre..............................................................................184
Étape 1 La question de départ
Étape 2 L'exploration
Les entretiens
Les lectures
exploratoires
Étape 3 La problématique
Étape 5 L'observation
151
Manuel de recherche en sciences sociales
1. Objectifs
Le travail exploratoire a pour fonctions d’élargir les perspectives d’analyse,
de prendre connaissance avec la pensée d’auteurs dont les recherches et
les réflexions peuvent inspirer celles du chercheur, de mettre au jour des
facettes du problème auxquelles il n’aurait sans doute pas pensé par lui-
même et, au bout du compte, d’opter pour une problématique appropriée.
152
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
2.1 Le suicide
Comme nous l’avons vu plus haut, Durkheim voit dans le suicide un phéno-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
153
Manuel de recherche en sciences sociales
Par cette définition précise, Durkheim entend éviter les confusions qui
conduiraient à prendre en compte ce qui ne doit pas l’être, par exemple
les cas de personnes se donnant accidentellement la mort, et à omettre
ce qui doit être pris en compte, par exemple les cas de personnes qui
recherchent et acceptent leur propre mort sans la provoquer matérielle-
ment elles-mêmes, comme le soldat qui se sacrifie volontairement sur un
champ de bataille ou le martyr qui refuse d’abjurer sa foi jusque dans la
mort. En réduisant au maximum les risques de confusion, cette définition
de la notion de suicide permettra à Durkheim de comparer valablement les
taux de suicide de différentes régions d’Europe. Quant au taux de suicide,
il est égal au nombre de cas correspondant à cette définition qui appa-
raissent au cours d’une année dans une société donnée, pour un million
ou cent mille habitants.
154
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Mais avant d’en arriver là, nous constatons que cette hypothèse établit
une relation entre deux concepts : celui de taux de suicide qui a déjà été
défini, et celui de cohésion sociale qui demande à être précisé.
Le degré de cohésion d’une société peut en effet être étudié sous divers
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
155
Manuel de recherche en sciences sociales
Celle-ci peut être assez aisément estimée à l’aide de ce qu’on appelle des
indicateurs. En effet, l’importance relative de la solidarité ou au contraire
de l’individualisme des fidèles se manifeste concrètement, selon Durkheim,
par la place du libre examen dans la religion considérée, par l’importance
numérique du clergé, par le caractère légal ou non de nombreuses pres-
criptions religieuses, par l’emprise de la religion sur la vie quotidienne ou
encore par la pratique de nombreux rites en commun. Grâce à ces indica-
teurs qui constituent des traits facilement observables, Durkheim rend le
concept de cohésion sociale opérationnel. Par suite, son hypothèse pourra
être confrontée à des données d’observation.
Les relations entre les éléments dont il vient d’être question peuvent être
représentées dans la figure 4.1.
1. Cette hypothèse établit une relation entre deux concepts : d’une part le
concept de taux de suicide et d’autre part le concept de cohésion sociale.
Chacun de ces concepts correspond à un phénomène, c’est-à-dire à
quelque chose qui se manifeste, se donne à voir (ou à entendre, à sentir…)
et peut donc faire l’objet d’une observation : respectivement, d’une part, le
fait que des personnes se donnent bel et bien la mort et que ces suicides
soient plus ou moins nombreux dans la société et, d’autre part, le fait que
les membres d’une société soient plus ou moins individualistes.
156
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Hypothèse
3. Grâce aux indicateurs et à la mise en relation des deux concepts par une
hypothèse, il sera possible d’observer si les taux de suicide de différentes
sociétés varient bien avec leur degré de cohésion sociale. Ainsi mis en
relation et opérationnalisés, le taux de suicide et la cohésion sociale
pourront être appelés, pour cette raison, des variables. (On notera qu’en
analyse de données, il est fréquent de désigner par « variable » ce que
nous appelons ici « indicateur ».)
157
Manuel de recherche en sciences sociales
La cohésion sociale dont, par hypothèse, les variations sont censées expli-
quer les variations du taux de suicide, sera appelée variable explicative,
tandis que le taux de suicide dont, par hypothèse, les variations sont censées
dépendre des variations de la cohésion sociale, sera appelé variable dépen-
dante. Cette relation est symbolisée par la flèche horizontale sur le schéma
précédent.
Hyp. 1 :
Hyp. 2 :
Hyp. 3 :
158
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
entre les ambitions et les moyens pour les satisfaire provoque inévitable-
ment de graves conflits internes pouvant conduire au suicide.
159
Manuel de recherche en sciences sociales
160
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
161
Manuel de recherche en sciences sociales
162
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
non par sa position supérieure dans la hiérarchie, mais bien par sa position
de centralité. Elle montre surtout en quoi un acteur qui n’a pas forcément
un pouvoir formel, institué, à forte visibilité, par exemple un membre du
Cabinet de ce ministre, peut avoir un important pouvoir effectif parce que
tout ou presque passe par lui et qu’il est un passage obligé pour ceux qui
veulent prendre contact avec le ministre qu’il sert.
163
Manuel de recherche en sciences sociales
Sans prétendre être complet, notamment sur les indicateurs qui doivent
être retenus en fonction de chaque situation de recherche particulière,
on peut représenter comme suit la conceptualisation propre à ce modèle
d’analyse.
164
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
165
Manuel de recherche en sciences sociales
166
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Dimension 1
C
O
N
C Dimension 2
E
P
T
Dimension 3
D’abord parce que l’hypothèse traduit par définition cet esprit de décou-
verte qui caractérise tout travail scientifique. Fondée sur une réflexion
théorique et sur une connaissance préparatoire du phénomène étudié (étape
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
167
Manuel de recherche en sciences sociales
Sous les formes et les procédures les plus variées, les recherches se
présentent toujours comme des va-et-vient entre une réflexion théorique (la
problématique et le modèle d’analyse) et un travail empirique (l’observation
et l’analyse des informations). Les hypothèses constituent les charnières de
ce mouvement ; elles lui donnent son amplitude et assurent la cohérence
entre les parties du travail.
Une hypothèse est une proposition qui anticipe une relation entre deux
termes qui, selon les cas, peuvent être des concepts ou des phénomènes.
Une hypothèse est donc une proposition provisoire, une présomption, qui
demande à être vérifiée. Elle peut prendre plusieurs formes différentes. Les
plus courantes sont les suivantes :
168
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Première forme
L’hypothèse se présente comme l’anticipation d’une relation entre un
phénomène et un concept capable d’en rendre compte.
Deuxième forme
Dans cette deuxième forme, certainement la plus courante dans la recherche
en sciences sociales, l’hypothèse se présente comme l’anticipation d’une
relation entre deux concepts ou, ce qui revient au même, entre les deux
types de phénomènes qu’ils désignent.
c. La « falsifiabilité » de l’hypothèse
Sous ces deux formes, l’hypothèse se présente comme une réponse provi-
soire à la question de départ de la recherche (progressivement revue et
169
Manuel de recherche en sciences sociales
L’hypothèse doit donc être formulée sous une forme observable. Cela
signifie qu’elle doit indiquer, directement ou indirectement, le type d’obser-
vations à rassembler ainsi que les relations à constater entre ces observations
afin de vérifier dans quelle mesure cette hypothèse est confirmée ou infirmée
par les faits. Cette phase de confrontation de l’hypothèse à des données
d’observation se nomme la vérification empirique.
Une hypothèse peut être testée lorsqu’il existe une possibilité de décider, à
partir de l’examen de données, dans quelle mesure elle est vraie ou fausse.
Cependant, même si le chercheur conclut à la confirmation de son hypo-
thèse au terme d’un travail empirique conduit avec soin, précaution et bonne
foi, son hypothèse ne peut être considérée pour autant comme absolument
et définitivement vraie.
170
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
171
Manuel de recherche en sciences sociales
Première condition
Pour être falsifiable, une hypothèse doit revêtir un caractère de généralité.
Ainsi, les hypothèses de Durkheim sur le suicide peuvent encore être testées
aujourd’hui à partir de données actuelles ou récentes. Cela n’aurait pas été
possible si Durkheim avait formulé ses hypothèses sur le modèle suivant :
« Le taux de suicide particulièrement élevé en Saxe entre les années 1866
et 1878 est dû à la faible cohésion de la religion protestante » (à partir d’un
tableau de Durkheim, op. cit., p. 14). Non seulement une telle hypothèse
ne nous aurait pas appris grand-chose sur le suicide comme phénomène
social en tant que tel et nous n’aurions pas estimé utile de tester aujourd’hui
encore une telle hypothèse. Mais, même si telle était notre intention, nous
aurions éprouvé les pires difficultés pour y procéder en raison du fait qu’il
s’agit d’un phénomène local et singulier à propos duquel il nous serait d’ail-
leurs difficile de recueillir de nouvelles données plus fiables que celles dont
disposait Durkheim à son époque.
172
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Deuxième condition
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Une hypothèse ne peut être falsifiée que si elle accepte des énoncés contraires
qui sont théoriquement susceptibles d’être vérifiés. La proposition « Plus
la cohésion sociale est forte, plus le taux de suicide est faible » accepte au
moins un contraire : « Plus la cohésion sociale est forte, plus le taux de
suicide est élevé. » La vérification, fût-elle partielle et très locale, d’une telle
proposition conduirait à infirmer tout ou partie de l’hypothèse de départ.
Pour que cette hypothèse soit falsifiable, il est donc indispensable que de
tels énoncés contraires puissent être formulés.
173
Manuel de recherche en sciences sociales
174
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Deux voies sont a priori possibles pour construire les concepts et hypo-
thèses qui composeront le modèle d’analyse de sa propre recherche. La
première, généralement en affinité avec une démarche déductive, consiste
à emprunter à une théorie existante ses concepts et hypothèses générales,
tout en les adaptant avec pertinence au phénomène étudié. Nous l’appel-
lerons théorisation empruntée et parlerons de concepts systémiques au
sens où ils s’inscrivent dans un système théorique existant (P. Bourdieu,
J.-C. Chamboredon et J.-C. Passeron, op. cit.). La seconde voie, davantage
en affinité avec une démarche inductive, consiste à « bricoler » ses propres
concepts et hypothèses, au départ de la recherche ou au fur et à mesure
de son avancement. Nous l’appellerons théorisation bricolée et parle-
rons alors de concepts opératoires isolés. Dans la réalité d’une recherche
concrète, où il s’agit de conjuguer l’exigence de cohérence théorique et
celle de souplesse et d’inventivité dans un contexte chaque fois singulier,
le chercheur combine souvent les deux formes de théorisation : il construit
sa propre voie tout en empruntant des éléments à des théories existantes
ou à des recherches antérieures de qualité portant sur le même ordre de
phénomènes. On distinguera néanmoins ici ces deux voies pour bien faire
apparaître leurs caractéristiques respectives, pour repérer leurs avantages et
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
175
Manuel de recherche en sciences sociales
176
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
177
Manuel de recherche en sciences sociales
178
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Toutes ces idées peuvent produire des hypothèses que l’on pourrait
confronter à l’observation mais qui, traitées indépendamment les unes des
autres selon le schéma ci-dessous, ne permettraient pas de comprendre
l’interaction entre les facteurs de la réussite scolaire.
Plus le niveau d’études des parents est élevé, plus leur position profes-
sionnelle sera importante (H1) et plus les revenus seront élevés (H5). En
même temps, le niveau d’éducation, associé à ce niveau d’études, devrait
accroître la conscience des besoins de l’enfant ainsi que l’intérêt qu’on porte
à ses études (H2). En outre, il devrait favoriser un contexte culturel propice
au développement intellectuel de l’enfant (H3).
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Mais ce n’est pas tout. L’hypothèse (H4) introduit une autre condition.
On peut supposer qu’une profession élevée soit affectée de contraintes qui
réduisent effectivement les possibilités de s’intéresser au travail scolaire des
179
Manuel de recherche en sciences sociales
enfants. Enfin, il faut encore concevoir des hypothèses alternatives pour les
familles dans lesquelles le niveau d’études des deux parents est différent.
180
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
181
Manuel de recherche en sciences sociales
Cette distinction radicale est contestée par certains auteurs qui privi-
légient une théorisation bricolée au fur et à mesure de l’avancement de la
recherche, soit dans une démarche inductive, pour éviter de trop orienter
et cadrer d’emblée les investigations.
En réalité, les choses sont plus complexes et plus nuancées. Une approche
déductive fondée sur les concepts empruntés ne tombe pas du ciel et ne
se décide pas entièrement d’entrée de jeu ; elle se prépare le plus souvent
au cours de la phase exploratoire, qui doit être caractérisée par un souci
d’ouverture et de questionnement. De plus et surtout, lorsqu’elle est correc-
tement menée, l’observation impose au chercheur sa propre « loi », celle de
la mise au jour d’une réalité qui sait parfois résister aux schémas les mieux
construits. (Dans l’étape suivante, on reviendra sur la place de la surprise
dans une recherche bien menée.) Inversement, celui qui adopte une approche
inductive et bricole progressivement son modèle d’analyse n’en est pas moins
armé d’un ensemble de connaissances théoriques implicites qu’il mobilisera
peu ou prou en cours d’investigation. Une structuration et une formalisation
minimales de sa démarche l’aideront à retomber sur ses pattes lorsque, errant
à dessein sur le terrain de ses observations, il se retrouvera quelque peu égaré.
182
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
L’essentiel est que, dans tous les cas, la logique de l’enquête en sciences
sociales reste la même : confronter des observations concrètes et des
hypothèses théoriques, de sorte que les unes et les autres s’éclairent et se
nourrissent mutuellement. Finalement, ce qui fait la valeur d’un concept,
c’est sa capacité heuristique, c’est-à-dire en quoi il nous aide à découvrir
et à comprendre.
Bref, un modèle d’analyse n’est pas figé dans le marbre au terme de cette
4e étape. Dans le prolongement des orientations données par la probléma-
tique, il procure à la recherche un cadre opérationnel, sans constituer pour
autant une conclusion anticipée. Il est dès lors possible et même probable
que les hypothèses devront être reconsidérées en cours de route en fonction
des découvertes successives et que l’outillage conceptuel subira le même
sort. C’est le sens des boucles de rétroaction dans le schéma des étapes.
confrontées les unes aux autres avec attention, si les entretiens et les obser-
vations exploratoires ont été exploités comme il se doit, alors le chercheur
dispose normalement de nombreuses notes de travail qui l’aideront consi-
dérablement dans l’élaboration du modèle d’analyse. Au fur et à mesure de
l’avancement du travail exploratoire, des concepts clés et des hypothèses
majeures sortiront progressivement du lot, ainsi que les liens qu’il serait
intéressant d’établir entre eux. Comme la problématique, le modèle d’ana-
lyse se prépare en fait tout au long de la phase exploratoire.
183
Manuel de recherche en sciences sociales
184
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Le cadre ici retenu est celui des recherches sur les comportements sexuels
et attitudes face au risque du sida. On exposera successivement deux
exemples de conceptualisation renvoyant à des problématiques évoquées
dans l’étape précédente et qui ont fait l’objet de nombreuses recherches
concrètes : le premier est l’explication des comportements par les connais-
sances, croyances et attitudes ; le second par l’influence du réseau social.
Les exemples se concentrent sur la conceptualisation des déterminants des
comportements.
En outre, il n’est pas certain qu’un comportement sexuel puisse être défini
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
185
Manuel de recherche en sciences sociales
186
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
187
Manuel de recherche en sciences sociales
188
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
tion que les individus ont des comportements effectifs des membres de leur
réseau et peuvent porter par exemple sur ce qui, en matière de conjugalité et
de vie sexuelle, doit être montré, peut être montré, ne doit pas être montré
ou doit absolument rester secret. L’hypothèse est que les normes pratiques
sont les plus déterminantes.
189
Manuel de recherche en sciences sociales
190
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
191
Manuel de recherche en sciences sociales
192
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Parmi les nombreuses recherches qui ont étudié les attentes des citoyens à
l’égard de la justice (voir l’étape précédente, La problématique), l’une d’elle
visait à étudier les ressorts du Mouvement blanc. Ce mouvement s’est créé
en Belgique dans le courant des années quatre-vingt-dix à la suite d’une série
d’enlèvements et d’assassinats d’enfants très médiatisés, dont la tristement
célèbre « affaire Dutroux ». Durant des mois, le Mouvement blanc a mobilisé
des centaines de milliers de personnes autour des thèmes de la protection des
enfants et de ce qu’il était convenu à l’époque d’appeler les « dysfonctionne-
ments » de la justice. La couleur blanche, qu’arboraient tous les participants
aux manifestations, symbolisait la pureté des enfants victimes.
L’idée qu’il fallait se tourner vers les participants à cette action collec-
tive afin de saisir le sens qu’ils donnaient à leurs actions s’est rapidement
193
Manuel de recherche en sciences sociales
imposée aux chercheurs. La question de départ retenue fut dès lors : « Quelle
est la signification de ce mouvement pour ceux qui y ont pris part ? » Pour
y répondre, les chercheurs ont opté pour une approche compréhensive
(consistant à décoder le sens que les acteurs attribuent à leur participation)
et davantage inductive qui donne un statut fort au terrain. Cette option
requiert qu’en début de processus au moins, le modèle d’analyse ne soit
pas trop élaboré et que les concepts retenus soient marqués du sceau de
l’ouverture afin de pouvoir accueillir la diversité des vécus subjectifs. Tel
est le cas du concept de plainte sociale.
Dans cette perspective, quatre hypothèses ont été formulées, qui corres-
pondent à quatre objectifs complémentaires. Dans une optique plutôt
inductive, les hypothèses sont formulées d’une manière qui ouvre chacune
sur une large palette de possibilités.
194
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
Objectif et hypothèse 1
Le premier objectif est d’enregistrer la plainte sociale dans sa diversité et
sa complexité. L’hypothèse correspondante est que, loin de l’évidence de
l’homogénéité du mouvement, on a affaire à une plainte sociale complexe
et diversifiée. Prendre au sérieux cette hypothèse implique de dégager la
plainte de son cadre strictement juridique – la question du juste et de l’in-
juste ne se limite pas à « rendre la justice » – et de faire place aux réalités
sociales mouvantes dans lesquelles s’enracine le juridique (les affects collec-
tifs, les inégalités sociales, les violences physiques ou symboliques, etc.).
Objectif et hypothèse 2
Le deuxième objectif est d’étudier les caractéristiques sociales des popula-
tions qui portent la plainte. L’hypothèse correspondante est qu’il existe une
relation entre les diverses formes de la plainte et les caractéristiques sociales
des groupes qui les portent. Cette hypothèse requiert de s’intéresser aux
liens éventuels entre les diverses variantes de la plainte et les conditions de
vie spécifiques des populations qui les expriment.
Objectif et hypothèse 3
Le troisième objectif est de comprendre l’agencement des diverses plaintes.
L’hypothèse correspondante est qu’il s’est constitué une large coalition des
demandes sociales diversifiées autour de la question fédératrice des enfants
disparus. Cette hypothèse conduit à se demander en quoi les gens se sont
reconnus dans les drames à l’origine du Mouvement blanc.
Objectif et hypothèse 4
Le quatrième objectif est d’étudier la notoriété et le crédit des relais
individuels ou institutionnels appelés à traduire la plainte. L’hypothèse
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
195
Manuel de recherche en sciences sociales
Résumé de la 4e étape
La construction du modèle d’analyse
Le modèle d’analyse constitue le prolon- perpétuelle des acquis provisoires de la
gement naturel de la problématique. Il connaissance.
articule, sous une forme opérationnelle, La conceptualisation, ou construction
les pistes et les repères qui seront des concepts, constitue une construc-
finalement retenus pour présider au tion abstraite qui vise à rendre compte
travail d’observation et d’analyse. Il est du réel. À cet effet, elle ne retient pas
composé d’hypothèses et de concepts tous les aspects de la réalité concernée
étroitement reliés entre eux pour former mais seulement ce qui en exprime l’es-
ensemble un cadre d’analyse cohérent. sentiel du point de vue des objectifs de la
Une hypothèse est une proposition qui recherche. Il s’agit donc d’une construc-
anticipe une relation entre deux termes tion-sélection. La construction d’un
qui, selon les cas, peuvent être des concept consiste à désigner les dimen-
concepts ou des phénomènes. Elle est sions qui le constituent et, ensuite, à en
donc une proposition provisoire, une préciser les indicateurs, grâce auxquels
présomption, qui demande à être vérifiée. ces dimensions pourront être mesurées.
L’hypothèse sera donc confrontée, dans La construction du modèle d’analyse peut
une étape ultérieure de la recherche, à consister en une théorisation empruntée
des données d’observation. ou en une théorisation bricolée, souvent
Pour pouvoir faire l’objet de cette véri- en une combinaison des deux.
fication empirique, une hypothèse doit Les concepts systémiques sont des
être falsifiable. Cela signifie d’abord éléments de systèmes théoriques
qu’elle doit revêtir un caractère de géné- préexistants et il est important de les
ralité, et ensuite qu’elle doit accepter saisir en tenant compte de leurs articu-
des énoncés contraires qui sont théo- lations avec les autres concepts de ces
riquement susceptibles d’être vérifiés. systèmes. Ils se caractérisent, en prin-
Ces critères doivent être appliqués cipe, par un degré de rupture plus élevé
avec pertinence aux sciences sociales avec les idées préconçues et les illu-
en tenant compte de leurs spécificités sions de la transparence. Les concepts
par rapport aux sciences naturelles, en opératoires isolés sont construits
respectant l’esprit de tout travail scienti- empiriquement à partir d’observations
fique, notamment la remise en question directes ou d’informations rassemblées.
196
La construction du modèle d’analyse ■ Quatrième étape
197
Cinquième
étape
L’observation
Sommaire
1. Objectifs ..........................................................................................................202
2. Observer quoi ? La définition des données pertinentes ....................................205
3. Observer qui ? Le champ d’analyse et la sélection des unités d’observation .... 207
4. Observer comment ? Les instruments d’observation
et la collecte des données .................................................................................213
5. Panorama des principales méthodes de recueil des informations .....................235
Étape 1 La question de départ
Étape 2 L'exploration
Les entretiens
Les lectures
exploratoires
Étape 3 La problématique
Étape 5 L'observation
201
Manuel de recherche en sciences sociales
1. Objectifs
L’observation comprend l’ensemble des opérations par lesquelles le modèle
d’analyse (constitué d’hypothèses et de concepts avec leurs dimensions et
leurs indicateurs) est soumis à l’épreuve des faits, confronté à des données
observables. Au cours de cette phase, de nombreuses informations sont
donc rassemblées. Elles seront analysées systématiquement au cours de
l’étape suivante. Comme en physique ou en chimie, l’observation peut
prendre la forme de l’expérimentation, mais nous n’en parlerons pas ici
car les conditions d’application de l’expérimentation sont trop rarement
réunies en recherche en sciences sociales.
202
L’observation ■ Cinquième étape
203
Manuel de recherche en sciences sociales
204
L’observation ■ Cinquième étape
2. Observer quoi ?
La définition des données pertinentes
De quelles données un chercheur a-t-il besoin pour tester ses hypothèses ?
205
Manuel de recherche en sciences sociales
En outre, il faut aussi faire porter l’observation sur les indicateurs des
hypothèses complémentaires. Pour estimer correctement l’impact d’un
phénomène (la cohésion de la société) sur un autre (le suicide), il ne suffit pas
d’étudier les relations entre les deux seules variables annoncées par l’hypo-
thèse. La prise en considération de variables de contrôle est indispensable car
les corrélations observées, loin de traduire des liens de cause à effet, peuvent
résulter d’autres facteurs qui relèvent du même système d’interaction. Par
exemple, pour pouvoir établir l’impact de la religion sur le suicide, il faut
vérifier si la variable socio-économique, en particulier la profession, n’est pas
plus déterminante que la religion, les protestants se retrouvant davantage que
les catholiques dans des fonctions de cadres liées à l’industrie et aux affaires,
où les valeurs individualistes (responsabilité personnelle, liberté de penser,
esprit d’entreprise…) sont davantage présentes. Il faudra donc récolter un
certain nombre de données relatives à d’autres variables que celles explici-
tement prévues dans les hypothèses principales.
Pour éviter au chercheur d’être submergé par une masse trop volumineuse
de données difficilement contrôlables, cet élargissement de la récolte des
données sera néanmoins mené avec parcimonie. Sur quelque phénomène
que ce soit, il est possible de produire ou de récolter une infinité de données.
Mais quelle signification leur attribuer si elles ne s’inscrivent pas dans le
cadre d’un modèle d’analyse ? En recherche sociale, il s’agit au contraire de
se concentrer sur les données utiles à la vérification des hypothèses. Ces
données nécessaires sont appelées très justement les données pertinentes.
206
L’observation ■ Cinquième étape
207
Manuel de recherche en sciences sociales
3.2 L’échantillon
208
L’observation ■ Cinquième étape
au premier chef, leurs structures et les systèmes de relations sociales qui les
font fonctionner et changer, et non, pour eux-mêmes, les comportements
des unités qui les constituent. Toutefois, l’étude d’un ensemble nécessite
souvent de passer par l’étude de ses éléments constitutifs. Pour connaître
les tendances présentes dans une population, concernant par exemple les
opinions politiques, il sera indispensable d’examiner les opinions d’un
échantillon d’individus qui composent cette population. Pour connaître
le mode de fonctionnement d’une entreprise, il faudra, le plus souvent,
interroger ceux qui en font partie, même si l’objet d’étude est constitué par
l’entreprise elle-même et non par son personnel. Pour étudier l’idéologie
d’un journal, il faudra analyser les articles publiés, même si ces articles ne
constituent pas, en eux-mêmes, l’objet de l’analyse.
209
Manuel de recherche en sciences sociales
Le mot « population » doit donc être compris ici dans son sens le plus large,
celui d’ensemble d’éléments constituant un tout. L’ensemble des factures
d’une entreprise, des livres d’une bibliothèque, des élèves d’une école, des
articles d’un journal ou des clubs sportifs d’une ville constituent autant
de populations différentes. La recherche de Durkheim portait sur l’inté-
gralité de la population considérée puisque ses analyses se fondaient sur
des données statistiques nationales. Cette formule s’impose souvent dans
deux cas qui se situent aux antipodes l’un de l’autre : soit lorsque le cher-
cheur, analysant des phénomènes macrosociaux (les taux de suicide par
exemple) et étudiant la population en tant que telle, n’a dès lors pas besoin
d’informations précises sur le comportement des unités qui la composent,
mais uniquement des données globales disponibles dans les statistiques,
soit lorsque la population considérée est très réduite et peut être étudiée
entièrement en elle-même.
210
L’observation ■ Cinquième étape
b. Deuxième possibilité :
étudier un échantillon représentatif de la population
211
Manuel de recherche en sciences sociales
Cette formule est sans doute la plus courante. Lorsque un chercheur souhaite
étudier par exemple la manière différenciée dont plusieurs journaux rendent
compte de l’actualité économique, la meilleure solution consiste à analyser
dans le détail quelques articles de ces différents journaux qui portent sur
les mêmes événements, de manière à procéder à des comparaisons signifi-
catives. Vouloir constituer un échantillon représentatif de l’ensemble des
articles de chaque journal sur une base aléatoire est théoriquement possible,
mais exigerait un échantillon très vaste, vu la grande diversité des thèmes et
formats d’articles, et l’analyse de son contenu réclamerait un travail extrê-
mement long et laborieux.
Ainsi par exemple, dans une recherche intensive sur les différents modes
de réaction d’une population à la rénovation de son quartier, on cherchera
à diversifier au maximum les types de personnes interrogées à l’intérieur
de cette population, en tenant compte notamment de critères d’âge, de
genre, de situation familiale, d’occupation, de condition socio-économique
et d’origine culturelle. En diversifiant au maximum les profils, le chercheur
se donne les plus grandes chances de recueillir les réactions les plus variées
et les plus contrastées. Au fur et à mesure que les interviews s’accumulent et
révèlent leurs enseignements, l’apport de chaque interview supplémentaire
sera de moins en moins original. Bien que le chercheur ait veillé à diversifier
212
L’observation ■ Cinquième étape
213
Manuel de recherche en sciences sociales
214
L’observation ■ Cinquième étape
215
Manuel de recherche en sciences sociales
216
L’observation ■ Cinquième étape
Cet exemple montre que, les modalités de réponse proposées font partie
intégrante de la question et interviennent directement dans le processus de
production des données. Des ouvrages de méthode traitent spécifiquement
de cette question (notamment Lorenzi-Cioldi F., Questions de méthodologie
en sciences sociales, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997).
217
Manuel de recherche en sciences sociales
218
L’observation ■ Cinquième étape
219
Manuel de recherche en sciences sociales
plus déterminant que d’autres. Certains indicateurs ont pu dès lors être mis
entre parenthèses, ce qui a permis d’alléger le questionnaire.
220
L’observation ■ Cinquième étape
des sujets moins sensibles, celui de la sexualité est un bon cas de figure car
il permet de mieux saisir la nature d’une difficulté qui se pose, à des degrés
généralement moindres, pour d’autres questions. Dans les sociétés contem-
poraines, la grande majorité des comportements sexuels relève, sinon de
l’intime, à tout le moins de la sphère privée. Accepter de révéler ces actes à
l’occasion d’une enquête ne va donc pas de soi. Le caractère indiscret d’une
enquête sur les comportements sexuels des individus peut d’ailleurs réduire
considérablement le taux de réponses.
221
Manuel de recherche en sciences sociales
222
L’observation ■ Cinquième étape
Ce problème de légitimité est plus aigu encore pour les étudiants qui
effectuent une recherche dans le cadre d’un travail universitaire que pour
les chercheurs professionnels. De quel droit un étudiant se permet-il d’ex-
plorer la vie d’autres personnes à seule fin d’obtenir son diplôme ? A-t-il
reçu une formation et acquis une expérience suffisantes pour cela ? S’est-il
seulement informé des principes éthiques et des règles déontologiques en
vigueur ? Chacun doit bien mesurer ici ce qu’il est en mesure de faire, tandis
que ceux qui encadrent le travail doivent se rendre compte de leur propre
responsabilité.
223
Manuel de recherche en sciences sociales
224
L’observation ■ Cinquième étape
225
Manuel de recherche en sciences sociales
226
L’observation ■ Cinquième étape
La présentation de la recherche
Concernant la présentation de la recherche, préalable à l’entretien propre-
ment dit, il est important de préciser et d’insister sur le statut respectif du
chercheur et de la personne interviewée. C’est bien cette dernière qui doit
occuper la position haute (voir étape 2 : L’exploration) et il convient de le
lui faire comprendre.
sables de ces actes, les problèmes de cipé à l’une ou l’autre de ces actions et
l’enquête, etc. qui acceptent de nous en parler, de nous
Ce qui nous intéresse, c’est de dire pourquoi elles ont entrepris cette
comprendre l’ensemble des motifs, des démarche et comment elles l’ont vécue.
raisons, des sentiments qui ont poussé Si l’on veut comprendre ce que la popu-
les gens à réagir, la manière dont ils ont lation veut dire, il semble indispensable
vécu ces événements. Les manifestations de lui donner la parole.
227
Manuel de recherche en sciences sociales
Le guide d’entretien
La question introductive a une importance capitale car elle doit tout à la
fois rappeler l’objet de l’entretien et être construite de façon à engager la
personne interrogée dans une dynamique de conversation dont elle doit
devenir l’acteur principal. Il faut éviter de lui demander son nom, son âge,
sa profession, etc., sur le mode du questionnaire administratif. De telles
questions, auxquelles on répond par quelques mots, risquent d’installer
définitivement la personne interrogée dans un échange où elle attend des
questions très précises appelant des réponses brèves. La question intro-
ductive de la recherche sur le Mouvement blanc est la question 1 du guide
d’entretien, repris plus loin. Elle s’est révélée très pertinente et a parfaite-
ment rempli son rôle.
Question 1 (introductive). Avant d’aborder la question de vos réactions aux événements qui ont
marqué la Belgique depuis l’été 1996, est-ce que vous pourriez me dire qui vous êtes ? Je propose
que vous fassiez un petit film de votre vie, comme si vous étiez metteur en scène, en insistant
sur ce qui vous paraît important.
Question 2. Pour aller vers le thème central de l’entretien, pourriez-vous de même me raconter
vos participations à des manifestations, à des mobilisations collectives ? Autrement dit, est-ce,
ou non, la première fois que vous participez à une action de ce genre ?
Question 3 (si la personne a pris part à la Marche blanche). Pouvez-vous raconter la journée de
la Marche blanche et dire ce que vous en avez retenu ?
☞
228
L’observation ■ Cinquième étape
☞
Question 4 (si la personne n’a jamais participé à des actions collectives auparavant [voir ques-
tion 2]). Qu’est-ce qui vous a décidé à faire quelque chose cette fois-ci ? Pouvez-vous raconter
quand, comment et pourquoi cela s’est décidé ?
Question 5 (si la personne a déjà participé à des actions collectives auparavant [voir question 2]).
Quelles sont les autres actions auxquelles vous avez participé par le passé ?
Question 6 (si la personne a déjà participé à des actions collectives auparavant [voir question 2].
Pour vous, est-ce que ces différentes actions se situent dans la même ligne, dans la même
optique ou philosophie, ou au contraire certaines d’entre elles sont-elles spécifiques, différentes ?
Qu’est-ce qui vous a décidé à faire quelque chose cette fois-ci ?
Question 7. Est-ce que vous avez hésité à participer ? Autrement dit, y avait-il des raisons qui
vous poussaient plutôt à ne pas participer ? Si oui, lesquelles et pourquoi ?
Question 9. Par cette/ces action(s), que vouliez-vous exprimer ou manifester ? Pour qui participez-
vous ? Qu’est-ce que vous voulez dire et à qui ? Qu’est-ce que vous attendiez ?
Question 10. Avez-vous l’impression que ce que vous avez fait a servi à quelque chose ? Le
referiez-vous ?
Question 11. Au moment où vous avez entrepris cette/ces action(s), pensiez-vous qu’elle(s)
pouvai(en)t faire changer certaines choses ? Si oui, lesquelles ? Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Est-ce que vous referiez la même chose ?
Question 12. Selon vous, qu’est-ce qui est nécessaire pour opérer ces changements, pour
qu’ils puissent se réaliser ? Quels sont les freins au changement et quels sont les espoirs de
changement ?
Question 13. Est-ce que vous avez suivi les projets de réforme de la Justice, de la Police et de la
Gendarmerie ? Qu’est-ce que vous en pensez ? À votre avis, est-ce que c’est nécessaire ?
Question 14. Vous avez participé à… (voir question 2). Y a-t-il des activités auxquelles vous auriez
pu participer et auxquelles vous avez décidé de ne pas participer ? Si oui, lesquelles et pourquoi ?
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Question 15. Si vous étiez face à un responsable politique, que voudriez-vous lui dire ?
Question 16. De façon globale, si on reprend l’ensemble des événements, quels sont les respon-
sables de la situation ?
Question 17. Des différentes personnes qui ont occupé la scène publique ces derniers temps,
quelles sont celles qui vous sont apparues comme susceptibles de relayer vos espoirs de
changements ?
Question 18 (finale). Comment expliquez-vous que le Mouvement blanc soit arrivé à mobiliser
autant de gens ?
☞
229
Manuel de recherche en sciences sociales
☞
Question 19 (finale). À votre niveau, vous êtes-vous reconnu(e) dans certaines personnes qui ont
joué un rôle important ces derniers temps ? Si oui, lesquelles et pourquoi ?
Question 20 (ultime). Arrivé(e) en fin d’entretien, avez-vous l’impression que quelque chose
d’important n’a pas été dit, que nous avons oublié un aspect important des choses et que vous
souhaiteriez ajouter ? Avez-vous un dernier message que vous aimeriez faire passer ?
H1 x x x x x x x x x x
H2 x x x x x x x x x x x x x
H3 x x x x x x x
H4 x x x x x x x x x x x x x
230
L’observation ■ Cinquième étape
Pour s’assurer que les questions seront bien comprises et que les réponses
correspondront bien aux informations recherchées, il est impératif de tester
les questions. Cette opération consiste à les soumettre à un petit nombre
de sujets appartenant aux différentes catégories d’individus composant
l’échantillon.
231
Manuel de recherche en sciences sociales
232
L’observation ■ Cinquième étape
Avant d’aborder, dans les pages qui suivent, le panorama des principales
catégories de méthodes de collecte de données, il est bon d’insister sur
233
Manuel de recherche en sciences sociales
234
L’observation ■ Cinquième étape
235
Manuel de recherche en sciences sociales
Le terme « méthode » n’est plus compris ici dans le sens large de dispositif
global d’élucidation du réel, mais bien dans un sens plus restreint, celui
de dispositif spécifique de recueil ou d’analyse des informations, destiné à
tester des hypothèses de recherche. En ce sens strict, l’entretien de groupe,
l’enquête par questionnaire ou l’analyse de contenu sont des exemples de
méthodes de recherche en sciences sociales.
236
L’observation ■ Cinquième étape
a. Présentation
237
Manuel de recherche en sciences sociales
b. Variantes
Les enquêtes par internet sont aussi de plus en plus fréquemment utili-
sées pour les recherches en sciences sociales, particulièrement pour les
recherches quantitatives. L’intérêt principal est la possibilité de toucher un
public très large pour un coût très faible. Mais les problèmes sont nombreux.
Il est notamment très difficile de réaliser un échantillon aléatoire et d’ob-
tenir une qualité suffisante au niveau des réponses (voir à ce propos l’article
de D. Frippiat et de N. Marquis « Les enquêtes par Internet en sciences
sociales : un état des lieux », Population, 2010, vol. 62, n° 2).
238
L’observation ■ Cinquième étape
d. Principaux avantages
e. Limites et problèmes
239
Manuel de recherche en sciences sociales
f. Méthodes complémentaires
g. Formation requise
• Techniques d’échantillonnage.
• Techniques de rédaction, de codage et de dépouillement des ques-
tions, y compris les échelles d’attitude.
• Gestion de réseaux d’enquêteurs.
• Initiation aux programmes informatiques de gestion et d’analyse de
données d’enquêtes (R, SPSS, SPAD, SAS…).
• Statistique descriptive et analyse statistique des données.
• Dans le cas le plus courant où le travail est effectué en équipe et où il
est fait appel à des services spécialisés, il n’est pas indispensable que
240
L’observation ■ Cinquième étape
5.2. L’entretien
a. Présentation
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
241
Manuel de recherche en sciences sociales
b. Variantes
242
L’observation ■ Cinquième étape
243
Manuel de recherche en sciences sociales
mais sous une forme qu’il sera libre de choisir à chaud selon le dérou-
lement de la conversation. Dans ce cadre relativement souple, il posera
néanmoins de nombreuses questions à son interlocuteur.
d. Principaux avantages
e. Limites et problèmes
244
L’observation ■ Cinquième étape
245
Manuel de recherche en sciences sociales
f. Méthodes complémentaires
g. Formation requise
246
L’observation ■ Cinquième étape
a. Présentation
Il s’agit ici d’une méthode au sens strict, basée sur l’observation visuelle,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
247
Manuel de recherche en sciences sociales
b. Variantes
248
L’observation ■ Cinquième étape
249
Manuel de recherche en sciences sociales
• Ces objectifs diffèrent en partie avec les différentes formes que peut
prendre l’observation. D’une manière générale toutefois, et par défini-
tion pourrait-on dire, la méthode convient particulièrement à l’analyse
250
L’observation ■ Cinquième étape
d. Principaux avantages
e. Limites et problèmes
251
Manuel de recherche en sciences sociales
f. Méthodes complémentaires
252
L’observation ■ Cinquième étape
g. Formation requise
253
Manuel de recherche en sciences sociales
a. Présentation
b. Variantes
254
L’observation ■ Cinquième étape
255
Manuel de recherche en sciences sociales
256
L’observation ■ Cinquième étape
d. Principaux avantages
e. Limites et problèmes
• L’accès aux documents n’est pas toujours possible. Dans d’autres cas,
le chercheur a effectivement accès aux documents mais, pour une
raison ou une autre (caractère confidentiel, respect du souhait d’un
interlocuteur…), il ne peut en faire état.
257
Manuel de recherche en sciences sociales
f. Méthodes complémentaires
g. Formation requise
258
L’observation ■ Cinquième étape
259
Manuel de recherche en sciences sociales
1. http://www.education.gouv.fr/cid1925/les-sciences-sociales-et-leurs-donnees.html
260
L’observation ■ Cinquième étape
Résumé de la 5e étape
L’observation
L’observation comprend l’ensemble des par exemple un questionnaire d’enquête,
opérations par lesquelles le modèle un guide d’interview ou une grille d’ob-
d’analyse est confronté à des données servation directe.
observables. Au cours de cette étape, 2. Tester l’instrument d’observation
de nombreuses informations sont donc avant de l’utiliser systématiquement, de
rassemblées. Elles seront systématique- manière à s’assurer que son degré d’adé-
ment analysées dans l’étape suivante. quation et de précision est suffisant.
Concevoir cette étape d’observation
3. Le mettre systématiquement en
revient à répondre à trois questions :
œuvre et procéder ainsi à la collecte des
Observer quoi ? Qui ? Comment ?
données pertinentes.
• Observer quoi ? Les données à rassem-
Dans l’observation, l’important n’est
bler sont celles utiles à la vérification
pas seulement de recueillir des infor-
des hypothèses. Elles sont déterminées
mations qui rendent compte du concept
par les indicateurs des variables. On les
(via les indicateurs), mais aussi d’ob-
appelle les données pertinentes.
tenir ces informations sous une forme
• Observer qui ? Il s’agit ensuite de qui permette de leur appliquer ulté-
circonscrire le champ des analyses rieurement le traitement nécessaire
empiriques dans l’espace géographique à la vérification des hypothèses. Il
et social ainsi que dans le temps. Selon est donc nécessaire d’anticiper, c’est-
le cas, le chercheur pourra étudier soit à-dire de s’inquiéter, dès la conception
l’ensemble de la population considérée, de l’instrument d’observation, du type
soit seulement un échantillon représen- d’information qu’il fournira et du type
tatif ou significatif de cette population. d’analyse qui devra et pourra être
• Observer comment ? Cette troisième envisagé.
question porte sur les instruments de Le choix entre les différentes méthodes
l’observation et la collecte des données de recueil des données dépend des hypo-
proprement dite. L’observation comporte thèses de travail et de la définition des
en effet trois opérations : données pertinentes qui en découle. En
1. Concevoir l’instrument capable de outre, il faut tenir compte des exigences
fournir les informations adéquates et de formation nécessaires à une mise en
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
261
Manuel de recherche en sciences sociales
262
Sixième
étape
L’analyse
des
informations
Sommaire
1. Objectifs ..........................................................................................................266
2. Deux exemples ................................................................................................. 267
3. Les trois opérations de l’analyse des informations ..........................................284
4. Panorama des principales méthodes d’analyse des informations .....................292
Étape 1 La question de départ
Étape 2 L'exploration
Les entretiens
Les lectures
exploratoires
Étape 3 La problématique
Étape 5 L'observation
265
Manuel de recherche en sciences sociales
1. Objectifs
Le but de la recherche est de répondre à la question de départ… qui a sans
doute bien évolué en chemin. À cet effet, le chercheur formule des hypo-
thèses et procède aux observations qu’elles requièrent. Il s’agit ensuite de
constater si les informations recueillies correspondent bien aux hypothèses
ou, en d’autres termes, si les résultats observés correspondent aux résultats
attendus par hypothèse. Le premier objectif de cette phase d’analyse des
informations est donc la vérification empirique.
Mais la réalité est plus riche et plus nuancée que les hypothèses qu’on
élabore à son sujet. Une observation sérieuse met souvent en évidence
d’autres faits que ceux auxquels on s’attendait et d’autres relations que
l’on ne peut tenir pour négligeables. Dès lors, l’analyse des informations a
une deuxième fonction : interpréter ces faits inattendus, revoir ou affiner
les hypothèses afin que, dans les conclusions, le chercheur soit en mesure
de suggérer des améliorations de son modèle d’analyse ou de proposer des
pistes de réflexion et de recherche pour l’avenir. C’est le deuxième objectif
de cette nouvelle étape.
Une fois encore nous partirons ici d’exemples concrets, de sorte que les
principes de la mise en œuvre de cette étape apparaissent clairement. Pour
bien montrer la continuité entre l’observation et l’analyse, les deux exemples
retenus seront les mêmes que dans l’étape précédente : les comportements
sexuels et attitudes face au risque du sida et le Mouvement blanc. Dans le
premier, l’analyse sera quantitative ; dans le second, elle sera qualitative. À
partir de ces deux exemples, les trois opérations de l’analyse des informa-
tions pourront être précisées. Enfin, un panorama des principales méthodes
d’analyse des informations sera présenté. Ainsi, au fil de cette étape, des
enseignements généralisables seront progressivement dégagés, qui pourront
être appliqués dans le cadre de recherches très différentes.
266
L’analyse des informations ■ Sixième étape
2. Deux exemples
267
Manuel de recherche en sciences sociales
Pourcentages en colonnes. Lire : parmi les personnes qui perçoivent la fidélité pour la vie
comme la norme pratique en vigueur dans leur famille proche, 72 % déclarent également
la fidélité pour la vie comme leur propre norme idéale de couple ; en revanche parmi ces
mêmes personnes, 24 % ont comme modèle idéal la fidélité tant qu’on est avec quelqu’un
et 4 % un modèle laissant place aux écarts.
P < 0.000 désigne les probabilités associées au test du khi-carré.
268
L’analyse des informations ■ Sixième étape
proche tableau par tableau est possible ; elle a cependant aussi ses limites,
sur lesquelles nous reviendrons ci-dessous. Après avoir testé l’hypothèse
partielle de l’influence normative du cercle familial sur les normes idéales
d’ego, le chercheur peut faire de même pour celles ayant trait à l’influence
normative du cercle amical d’abord, du cercle des collègues ensuite. Les
tableaux correspondants, non repris ici, montrent également une relative
correspondance entre les normes pratiques du cercle amical et du cercle
des collègues d’une part et les normes idéales des individus d’autre part.
269
Manuel de recherche en sciences sociales
Ce tableau montre que lorsque les trois cercles présentent une même
norme (homogénéité normative), la probabilité est grande qu’ego adopte
cette norme comme son idéal : au total, 47 % ont opté pour la fidélité pour
la vie, mais ce pourcentage passe à 89 % chez celles et ceux qui voient
cette norme dominer dans les faits dans leurs trois cercles ; dans l’échan-
tillon, 45 % ont opté pour la fidélité tant qu’on est avec quelqu’un, mais
ce pourcentage passe à 78 % chez celles et ceux qui voient cette norme
dominer dans l’ensemble de leur réseau social ; et même pour le modèle
laissant place aux écarts conjugaux, très minoritairement choisi (8 % des
répondants), une homogénéité normative au sein du réseau allant en ce
sens fait passer ce pourcentage à 47 %, soit 6 fois plus ! Un effet cumulatif
semble donc bien à l’œuvre.
270
L’analyse des informations ■ Sixième étape
Pourcentages en colonne. Lire : parmi les personnes qui perçoivent la fidélité pour la vie
comme la norme pratique en vigueur dans les trois cercles (homogénéité normative), 89 %
déclarent la fidélité pour la vie comme leur propre norme idéale de couple, 10 % la fidélité
tant qu’on est avec quelqu’un, etc.
P < 0.000 désigne les probabilités associées au test du khi-carré.
271
Manuel de recherche en sciences sociales
Les variables-tests
Relativement à l’influence du réseau social sur les normes idéales d’ego,
l’hypothèse du rôle potentiellement déterminant du contrôle social des diffé-
rents cercles a également été formulée. Cette hypothèse peut être articulée
à celle qui vient d’être discutée. Cela revient à dire : on a vu que les normes
d’ego étaient largement en correspondance avec les normes pratiques de son
réseau, et principalement de celles de son cercle familial, mais ces chiffres
ne cachent-ils pas d’autres relations plus pertinentes ? C’est ici que se pose
le problème de l’analyse des relations entre les variables et leur signification.
Les variables-tests que le chercheur va faire intervenir sont notamment
celles qui renvoient aux hypothèses complémentaires formulées dans la
phase de construction du modèle d’analyse, et donc, pour notre exemple, le
contrôle social familial tel que perçu par ego. Le tableau 6.3 ci-contre intro-
duit la variable-test « contrôle social familial » et distingue les situations où
ego perçoit le contrôle familial comme étant faible et celles où il le ressent
comme étant fort.
272
L’analyse des informations ■ Sixième étape
Les questions portant sur les connaissances comme celles portant sur les
comportements sont nombreuses. On pourrait certes produire un premier
tableau croisant les réponses à la première question de connaissance (par
exemple : « D’après vous, la transmission du virus du sida est-elle possible
lors de rapports sexuels vaginaux ? ») avec celles à la première question
relative aux comportements (par exemple : « Lors de votre premier rapport
sexuel, avez-vous utilisé un préservatif ? »), et procéder ainsi de suite. Une
telle façon de travailler peut vite s’avérer fastidieuse : en effet, une douzaine
273
Manuel de recherche en sciences sociales
274
L’analyse des informations ■ Sixième étape
275
Manuel de recherche en sciences sociales
276
L’analyse des informations ■ Sixième étape
thèse que les individus donnent sens à leurs démarches de façons variées, en
fonction d’enjeux perçus et définis différemment par les uns et les autres.
277
Manuel de recherche en sciences sociales
a. La grille d’analyse
Pour analyser le contenu des entretiens, les chercheurs ont élaboré une
grille d’analyse. Celle-ci a plusieurs fonctions. Tout d’abord, elle instaure un
intermédiaire objectif entre le chercheur et son matériau. Le contenu des
entretiens ne sera pas analysé en fonction des valeurs et de la subjectivité
du chercheur, mais bien en fonction des éléments et de la structure de la
grille. Ce que le chercheur pourra dire de son matériau résultera de l’appli-
cation de cette grille à ce matériau, non de ses inclinaisons du moment.
Utiliser systématiquement la même grille pour analyser l’ensemble des
entretiens d’une enquête (ou de n’importe quel autre matériau comme des
documents) est une exigence de rigueur. La rigueur consiste en effet en
une adéquation entre les enseignements dégagés et ce qui autorise à les
affirmer, en l’occurrence, l’utilisation systématique d’une même grille d’ana-
lyse. Ensuite, en appliquant systématiquement cette même grille d’analyse
à l’ensemble des entretiens réalisés, les contenus de ces derniers pourront
être organisés et comparés sur une base stable et objective. Enfin, si elle est
bien conçue, la grille d’analyse permet de saisir les enjeux que les acteurs
dégagent des mobilisations, ainsi que le sens qu’ils confèrent à leurs actions.
Elle permet de dépasser les propos individuels pour en faire émerger les
logiques sociales, c’est-à-dire les cohérences implicites entre une série de
représentations et de pratiques qui font que les choses ne se passent pas
n’importe comment et contribuent à certaines orientations collectives (voir
Remy J., Voyé L. et Servais É., 1978, Produire ou reproduire ? Une sociologie
de la vie quotidienne, tome I, Bruxelles, éditions Vie ouvrière, p. 93).
278
L’analyse des informations ■ Sixième étape
Pour Greimas, tout discours ou récit s’organise autour d’un enjeu, qu’il
appelle une quête. L’analyse de la structure du discours doit permettre
de faire émerger sa signification. Toujours selon Greimas, les structures
possibles sont assez peu nombreuses, étant donné que tant les rôles tenus
par les « personnages » que les relations qu’ils entretiennent entre eux sont
en nombre limité. Les rôles distingués dans toute quête sont au nombre de
six : le destinateur, l’objet, le destinataire, l’adjuvant, le sujet et l’opposant.
Les « personnages » qui jouent ces rôles peuvent être aussi bien des êtres
humains que des objets matériels ou des êtres moraux (comme la vertu
ou la force du mal par exemple). Ce qui importe, ce n’est pas leur nature,
mais leurs rôles narratifs dans le récit de quête, c’est-à-dire leur(s) sphère(s)
d’action. C’est pourquoi Greimas les appelle « actants ». Un même person-
nage ou actant peut jouer des rôles différents et plusieurs actants peuvent
jouer un même rôle (occuper un même statut actantiel). Les relations que
les actants peuvent entretenir entre eux sont au nombre de trois : des rela-
tions de communication, de désir et de pouvoir. Ces relations mettent les
actants en interaction deux à deux.
Axe de la communication
Axe
du
Axe du pouvoir
Exprimé très rapidement, l’actant sujet et l’actant objet sont unis par une
relation de désir : le sujet est le personnage qui, ressentant un manque, va
279
Manuel de recherche en sciences sociales
Ce schéma a donc été mobilisé en tant que grille d’analyse dans la mesure
où il permettait d’étudier d’une part, le rôle et la place que chaque personne
s’assignait dans son propre discours et, d’autre part, sa définition spécifique
de l’enjeu. Ci-dessous, nous allons analyser deux extraits assez contrastés
afin de montrer la pertinence de cette grille.
280
L’analyse des informations ■ Sixième étape
Axe de la communication
Commémorer L’ensemble
- Les sentiments suscités
le deuil du peuple
par les événements : honte,
culpabilité
- L’identification aux
Axe du
parents
L’ampleur La rupture
du mouvement Soi d’unanimisme
Axe du pouvoir
281
Manuel de recherche en sciences sociales
Axe de la communication
[La faible
politisation du
La proximité mouvement]
Soi en tant L’insistance sur
idéologique entre
que militant la dimension
le mouvement et lui
sentimentale
Axe du pouvoir des démarches
282
L’analyse des informations ■ Sixième étape
Dans cette recherche sur les ressorts du Mouvement blanc, les idéaux-
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types ont été construits en se focalisant sur trois points : l’horizon de l’action
entreprise du point de vue du locuteur ; le rôle et la place que le locuteur
s’assigne dans son propre discours et l’identification du destinataire de l’ac-
tion ; les enjeux identifiés par le locuteur. Chaque type est construit à partir
de plusieurs entretiens. Il est probable qu’aucun d’entre eux ne corresponde
exactement à un type particulier car un type n’est pas une catégorie dans
laquelle une situation, une pratique ou un individu entre entièrement ou
non, mais plutôt un repère par rapport auquel on peut les situer comme
283
Manuel de recherche en sciences sociales
Destinataire de
Horizon de l’action Enjeux
l’action
284
L’analyse des informations ■ Sixième étape
peuvent s’agencer les unes aux autres de manières diverses. Ces trois opéra-
tions sont : primo, la préparation des données ou informations ; secundo, la
mise en relation des données ou informations ; tertio, la comparaison des
résultats obtenus aux résultats attendus par hypothèse. Pour exposer chacun
de ces points, on se placera alternativement dans le scénario d’une analyse
quantitative et dans celui d’une analyse qualitative.
Pour tester une hypothèse, il faut d’abord exprimer chacun de ces deux
termes par une mesure précise, afin de pouvoir examiner leur relation.
Dans la préparation des données, la description et l’agrégation des données
visent précisément à cela. Décrire les données d’une variable revient à en
présenter la distribution à l’aide de tableaux ou graphiques, mais aussi à
exprimer cette distribution par une mesure synthétique. Dans cette descrip-
tion, l’essentiel consiste donc à bien mettre en évidence les caractéristiques
de la distribution de la variable.
285
Manuel de recherche en sciences sociales
Les variables qualitatives sont soit nominales, soit ordinales. Une variable
est dite nominale si ses modalités ne présentent pas d’ordre naturel, ou, ce
qui revient au même, si tout ordonnancement des modalités reste purement
arbitraire. C’est le cas de la variable nationalité pour laquelle on peut certes
opérer un classement des modalités (présenter les différentes nationalités
par ordre alphabétique, par exemple), mais dont le caractère arbitraire appa-
raît pour peu que l’on procède à une traduction qui change du coup l’ordre
initial. Quand la variable nominale ne compte que deux modalités (par
exemple le sexe), on parle de variable nominale dichotomique. Une variable
est dite ordinale si ses modalités sont ordonnées, mais sans que l’on ait une
mesure de l’importance de l’écart entre deux modalités successives. C’est
le cas d’une variable telle que le degré d’accord à l’égard d’une opinion et
dont les modalités seraient par exemple : pas du tout d’accord, plutôt pas
d’accord, plutôt d’accord, tout à fait d’accord. Les quatre modalités sont
clairement ordonnées, mais rien n’est précisé quant aux distances qui les
séparent les unes des autres et il serait sans doute hasardeux de prétendre
que les modalités sont équidistantes. Enfin, il existe des variables, dites
quantitatives, et dont les modalités ont une valeur numérique. Lorsque l’on
mesure la taille d’un individu, que l’on dénombre les enfants d’une famille,
que l’on enregistre le pourcentage obtenu à l’examen de mathématiques
par un élève, etc., les différentes valeurs récoltées (1,80 m, 3 enfants, 71 %)
n’ont rien d’arbitraire et indiquent bien plus qu’un ordre entre les modalités.
Chaque réponse est ici signifiée par un nombre qui renvoie à une métrique
permettant de mesurer des écarts entre les réponses des différents individus.
286
L’analyse des informations ■ Sixième étape
la même manière que les variables quantitatives. Pour décrire une variable
par une expression synthétique, on utilisera par exemple les pourcentages
si elle est nominale, la médiane si elle est ordinale et la moyenne si elle
est continue. Il faut y penser au moment de l’élaboration des instruments
d’observation car il n’est pas indifférent que les réponses obtenues donnent
à la variable un caractère nominal, ordinal ou continu. C’est à cela notam-
ment que nous faisions allusion lorsque nous avons parlé d’anticipation des
réponses lors de la formulation des questions.
287
Manuel de recherche en sciences sociales
288
L’analyse des informations ■ Sixième étape
l’est pas, pour l’affiner. Par exemple, dans l’exemple précédent, l’introduc-
tion de la variable-test « contrôle social familial » a permis de nuancer la
relation observée entre le modèle familial et le modèle d’ego.
Ceci n’est qu’un cas particulier d’un problème général, celui de la perti-
nence des variables prises en considération. Si deux variables A et B, sans
lien entre elles, sont étroitement dépendantes d’une autre variable C, toute
variation de celle-ci entraînera des variations parallèles des deux premières.
Si on ne connaît pas l’existence de C, la cooccurrence de A et B sera inter-
prétée comme l’expression d’une relation directe entre elles, alors qu’elle
n’est que le reflet de leur dépendance à l’égard de C. L’ouvrage de R. Boudon,
Les Méthodes en sociologie (Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1969), comporte
plusieurs illustrations des relations possibles entre variables.
289
Manuel de recherche en sciences sociales
290
L’analyse des informations ■ Sixième étape
291
Manuel de recherche en sciences sociales
Ce que l’on trouve alors est toujours bien plus nuancé que l’hypothèse, qui
n’en aura pas moins joué son rôle.
Étape 5 L'observation
292
L’analyse des informations ■ Sixième étape
a. Présentation
293
Manuel de recherche en sciences sociales
sont pas toujours bien maîtrisées ; ceci est d’autant plus dommageable que
certaines constituent la base de techniques plus sophistiquées (ainsi, la
corrélation linéaire est la mesure de base des modèles de régression linéaire).
Les analyses multivariées mobilisent des techniques mathématiques plus
complexes, dont les variantes sont extrêmement nombreuses et produites
quasiment en continu, mais dont les bases sont parfois anciennes également.
Les moyens de calcul des ordinateurs permettent cependant des dévelop-
pements sans précédents. Les principales familles de techniques sont : les
analyses factorielles, qui visent à révéler les covariations entre variables
ou modalités, les analyses classificatoires, dont l’objectif est de constituer
des classes d’individus homogènes et différentes entre elles, les modèles
de régression, qui cherchent à évaluer l’effet spécifique d’une variable
(indépendante) sur le phénomène social étudié (la variable dépendante),
pendant que toute une série d’autres variables (indépendantes) sont main-
tenues constantes. Cette liste est évidemment sommaire et laisse de côté
des méthodes en plein essor comme l’analyse en réseau par exemple (Social
Network Analysis). Pour chacune de ces techniques et méthodes, on ne peut
qu’encourager le lecteur à se référer à des ouvrages spécialisés.
b. Variantes
294
L’analyse des informations ■ Sixième étape
• Par définition, elle convient pour toutes les recherches axées sur l’étude
de relations entre des phénomènes susceptibles d’être exprimés en
variables quantitatives. Dès lors, elle s’applique généralement très
bien aux recherches menées dans une perspective d’analyse causale.
Mais ce n’est guère exclusif. Par exemple, dans le cadre du paradigme
systémique, une corrélation entre deux variables sera interprétée,
non comme une relation de causalité, mais comme une covariation
entre composantes d’un même système qui évoluent conjointement
(M. Loriaux, « Des causes aux systèmes : la causalité en question », in
R. Franck, dir., op. cit., p. 41-86).
• L’analyse statistique des données s’impose dans tous les cas où ces
dernières sont recueillies à l’aide d’enquêtes par questionnaire où
les questions sont dites « fermées », c’est-à-dire lorsque les répon-
dants doivent choisir entre un petit nombre de réponses préformulées
(de type oui/non, toujours/souvent/rarement/jamais). Il faut donc
se référer aux objectifs pour lesquels cette méthode de recueil des
données convient elle-même.
d. Principaux avantages
295
Manuel de recherche en sciences sociales
e. Limites et problèmes
f. Méthodes complémentaires
g. Formation requise
296
L’analyse des informations ■ Sixième étape
297
Manuel de recherche en sciences sociales
a. Présentation
L’analyse de contenu porte sur des messages aussi variés que des œuvres
littéraires, des articles de journaux, des documents officiels, des programmes
audiovisuels, des déclarations politiques, des rapports de réunion et, bien
entendu, des comptes rendus d’entretiens semi-directifs. Le choix des
termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur mode d’agencement, les
thèmes qu’il aborde et sa façon de les développer, la construction même de
son « discours » constituent des sources d’information à partir desquelles le
chercheur tente de mettre au jour et de reconstituer des processus sociaux,
culturels ou politiques (par exemple la socialisation et l’évolution des idées
au sein d’une population, la manière dont certains problèmes sont traités
au niveau collectif, les relations entre dirigeants religieux ou politiques et
leurs fidèles ou électeurs potentiels, les tensions et conflits au sein d’une
collectivité quelconque, etc.).
298
L’analyse des informations ■ Sixième étape
leur donne sens (comme dans la recherche sur la Marche blanche présentée
plus haut). Dans ce but, les méthodes d’analyse de contenu impliquent la
mise en œuvre de procédures techniques relativement précises, comme le
calcul des fréquences relatives ou des cooccurrences des termes utilisés.
Seule l’utilisation de méthodes construites et stables permet en effet au
chercheur d’élaborer une interprétation qui ne prenne pas pour repères ses
propres valeurs et sa subjectivité. La méthode et ses procédures constituent
en quelque sorte un intermédiaire entre la réflexion du chercheur et son
matériau grâce auquel il peut objectiver les enseignements qu’il en retire et
éviter par là les interprétations arbitraires et versatiles.
Les progrès récents des méthodes d’analyse de contenu ont été favorisés
par les progrès de la linguistique, des sciences de la communication et de
l’informatique. Pour ce qui concerne plus particulièrement la recherche
sociale proprement dite, ils doivent beaucoup à R. Barthes, C. Lévi-Strauss
et A. J. Greimas notamment.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
299
Manuel de recherche en sciences sociales
b. Principales variantes
Sans prétendre régler toutes les questions de démarcation entre les diffé-
rentes méthodes d’analyse de contenu, nous proposons ici de distinguer
trois grandes catégories de méthodes selon que l’examen porte principa-
lement sur certains éléments du discours, sur sa forme ou sur les relations
entre ses éléments constitutifs. À l’intérieur de chaque catégorie, nous nous
limiterons à l’évocation de quelques-unes des principales variantes. Les
variantes énumérées sont celles que distingue L. Bardin dans L’Analyse de
contenu, Paris, PUF, 2009.
300
L’analyse des informations ■ Sixième étape
301
Manuel de recherche en sciences sociales
302
L’analyse des informations ■ Sixième étape
d. Principaux avantages
e. Limites et problèmes
Il est difficile de généraliser ici car les limites et les problèmes posés par ces
méthodes varient fortement de l’une à l’autre. Les différentes variantes ne
sont guère équivalentes et ne sont donc pas interchangeables. Dans le choix
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
303
Manuel de recherche en sciences sociales
f. Méthodes complémentaires
g. Formation requise
304
L’analyse des informations ■ Sixième étape
305
Manuel de recherche en sciences sociales
306
L’analyse des informations ■ Sixième étape
Comme nous l’avons rappelé plus haut, la distinction entre les méthodes
de recueil et les méthodes d’analyse des informations n’est pas toujours nette.
Mais, plus largement encore, nous voyons que la construction théorique
et le travail empirique ne se suivent pas forcément dans l’ordre chronolo-
gique et séquentiel, en particulier dans l’observation anthropologique et
dans l’entretien compréhensif. Il apparaît donc de plus en plus nettement
que la démarche de recherche ne consiste pas à appliquer un ensemble de
recettes précises dans un ordre prédéterminé, mais bien à inventer, à mettre
en œuvre et à contrôler un dispositif original qui bénéficie de l’expérience
antérieure des chercheurs et réponde à certaines exigences d’élaboration.
Une telle démarche ne peut s’apprendre que par sa pratique car elle relève
essentiellement d’un savoir-faire.
307
Manuel de recherche en sciences sociales
308
L’analyse des informations ■ Sixième étape
son attitude (son âge, son sexe, son ethnie et sa psychologie influençant les
rôles qu’il doit endosser à chaque étape de la démarche). Il doit aussi réfléchir
aux types de données à observer, à noter et à retenir pour l’analyse. Il n’y a
pas de règle en la matière. Tout dépend de l’expérience et de l’appréciation
du chercheur. Par conséquent, ce dernier doit être initié à de nombreuses
méthodes qu’il doit relativiser les unes par rapport aux autres. Cette pluralité
méthodologique permet la triangulation dont il a été question plus haut.
Son approche doit rester flexible et il doit considérer sans relâche qu’il
fait lui-même partie intégrante de la situation observée : il réagit d’une telle
manière plutôt que d’une autre, il commet des erreurs, il est plus ou moins
chanceux, etc. Inlassablement, le field researcher doit réfléchir à l’impact
de son rôle sur le déroulement de sa recherche sans négliger pour autant
sa question de départ et ses hypothèses (R.G. Burgess, In the Field. An
Introduction to Field Research, London & New York, Routledge, 1984).
309
Manuel de recherche en sciences sociales
Plan de recherche
ou opérationalisation
Hypothèse
Observations
et conceptualistion
Analyse
des informations
310
L’analyse des informations ■ Sixième étape
311
Manuel de recherche en sciences sociales
312
L’analyse des informations ■ Sixième étape
Résumé de la 6e étape
L’analyse des informations
L’analyse des informations est l’étape • La troisième opération consiste à
qui traite l’information obtenue par l’ob- comparer les relations observées aux
servation pour la présenter de manière à relations théoriquement attendues par
pouvoir comparer les résultats observés hypothèse et à mesurer l’écart entre
aux résultats attendus par hypothèse. les deux. Si l’écart est nul ou très faible,
Cette étape comprend trois opérations : on pourra conclure que l’hypothèse est
confirmée ; sinon il faudra examiner d’où
• La première opération consiste à
vient l’écart et tirer des conclusions
préparer les données et informations.
appropriées.
Cela revient, d’une part, à les présenter
(agrégées ou non) sous la forme requise Les principales méthodes d’analyse des
par les hypothèses et, d’autre part, à les informations sont l’analyse statistique
présenter de manière à permettre leur des données et l’analyse de contenu.
analyse. La field research constitue un exemple
de mise en œuvre complémentaire de
• La deuxième opération consiste à
différentes méthodes d’observation et
mesurer les relations entre les variables,
d’analyse des informations.
conformément à la manière dont ces rela-
tions ont été prévues par les hypothèses.
1. Quelles sont les variables impliquées 2. Comment les analyser en fonction des
par les hypothèses ? hypothèses et, le cas échéant, de la grille
2. Quelles sont les informations qui d’analyse ?
correspondent aux variables ou qui 3. Selon quels critères construire la
doivent être agrégées pour pouvoir typologie (dans la mesure où cet outil
décrire les variables ? est utilisé) ?
3. Comment exprimer les données pour 4. Dans quelle mesure les résultats
bien mettre en évidence leurs caracté- obtenus correspondent-ils aux hypo-
ristiques principales ? thèses ? Quels sont les résultats qui ne
concordent pas et comment les expliquer ?
313
Septième
étape
Les conclusions
Sommaire
1. Objectifs ...........................................................................................................318
2. Rappel des grandes lignes de la démarche méthodologique...............................318
3. Nouveaux apports de connaissances .................................................................319
4. Perspectives pratiques .....................................................................................321
Étape 1 La question de départ
Étape 2 L'exploration
Les entretiens
Les lectures
exploratoires
Étape 3 La problématique
Étape 5 L'observation
317
Manuel de recherche en sciences sociales
1. Objectifs
La conclusion d’un travail est une des parties que les lecteurs lisent souvent
en premier lieu. Grâce à cette lecture des quelques pages de conclusion,
le lecteur pourra en effet se faire une idée de l’intérêt que la recherche
présente pour lui, sans devoir lire l’ensemble du rapport. À partir de ce
diagnostic rapide, il décidera de lire ou non le rapport tout entier ou, éven-
tuellement, certaines de ses parties. Il convient donc de rédiger la conclusion
avec beaucoup de soin et d’y faire apparaître les informations utiles aux
lecteurs potentiels.
C’est ce type de schéma qui est généralement en vigueur dans les réunions
scientifiques (colloques, conférences, workshops…).
318
Les conclusions ■ Septième étape
Les nouvelles connaissances relatives à l’objet sont donc celles que l’on
peut mettre en évidence en répondant aux deux questions suivantes :
319
Manuel de recherche en sciences sociales
320
Les conclusions ■ Septième étape
4. Perspectives pratiques
Tout chercheur souhaite que son travail serve à quelque chose. Souvent
même, il l’a entamé soit à la demande de tiers, comme c’est le cas pour les
deux applications de la démarche qui sont reprises plus loin. Parfois, le
chercheur exerce lui-même des responsabilités (dans une institution ou
une association) ou il milite dans un mouvement social et souhaite mieux
321
Manuel de recherche en sciences sociales
Il est souvent attendu des recherches en sciences sociales que leurs résul-
tats puissent directement se traduire par des décisions et des actions. Cela
n’est possible que lorsque l’étude engagée est de caractère très technique,
par exemple dans les études de marché. Mais, en règle générale, les liens
entre recherche et action ne sont pas aussi immédiats.
322
Les conclusions ■ Septième étape
323
Deux
applications
de la démarche
Sommaire
1. Objectifs .......................................................................................................... 327
2. Application n° 1 : Le rapport au corps dans la relation de soin .......................... 327
3. Application n° 2 : Les modes d’adaptation au risque de contamination
par le VIH dans les relations hétérosexuelles ................................................... 355
1. Objectifs
La première application concerne la compréhension d’une attitude, le
rapport au corps dans la relation de soin ; la seconde traite de l’explication
de comportements, les modes d’adaptation au risque de contamination par
le virus du sida dans les relations hétérosexuelles.
327
Manuel de recherche en sciences sociales
328
Deux applications de la démarche
2.2 L’exploration
a. Les lectures
de faire une synthèse de ces différents travaux, mais de progresser vers une
construction conceptuelle. Dans ce processus, le concept de « culture soma-
tique » de L. Boltanski (« Les usages sociaux du corps », Annales, 1, 1971,
205-233) a joué un rôle clé. La culture somatique d’un groupe spécifique
est en quelque sorte le rapport au corps légitime et valorisé par celui-ci,
c’est-à-dire le système de règles qui régule les conduites relatives au corps
au sein du groupe. Nous inspirant de cette perspective, mais en y apportant
une inflexion interactionniste à nos yeux plus à même de saisir ce qui se
329
Manuel de recherche en sciences sociales
Parallèlement aux lectures, les étudiant(e)s ont réalisé des entretiens explo-
ratoires semi-directifs auprès d’une part, de professionnel(le)s du soin au
sens large (infirmier[e]s pour la plupart, mais aussi quelques médecins) et,
d’autre part, de patients ayant besoin de soins. Dans les deux cas, il s’agissait
de se centrer sur l’interaction entre soigné(e) et soignant(e), et d’observer
dans quelle mesure la relation de soin était susceptible de révéler le rapport
au corps des différent(e)s intervenant(e)s.
330
Deux applications de la démarche
331
Manuel de recherche en sciences sociales
Les éléments saillants des entretiens avec les patient(e)s sont les suivants :
– Les patient(e)s opposent la relation de soin idéale à la relation de soin
mal vécue. La première est faite d’attention, de personnalisation de la
relation, d’un souci d’expliquer ce qui se passe, et de compétence. La
seconde se caractérise par le manque d’attention (des professionnel[le]
s distant[e]s et qui parlent entre eux/elles, des médecins « courants
d’air ») et de personnalisation (« n’être perçu qu’à travers sa maladie »,
« être des objets de soin », « n’être qu’un numéro de chambre », « être
réduit à un corps sans intimité »), le sentiment d’être incompris, et
parfois même l’inquiétude nourrie par les contradictions entre les
différent(e)s intervenant(e)s.
– La question de la gestion de la pudeur est importante, mais est à
articuler à celles de la dépendance, de la souffrance et des actes profes-
sionnels à poser. Plusieurs personnes soulignent par exemple que la
douleur fait passer les préoccupations relatives à la dépendance et à
la pudeur au second plan.
– Plusieurs patient(e)s se disent co-responsables et donc partenaires de
la gestion de la pudeur.
– Lorsqu’il s’agit de rendre compte de leur propre pudeur, les patient(e)
s le font la plupart du temps en se référant à leur histoire familiale
(famille « très catholique », « réservée »), alors que l’absence de pudeur
est renvoyée à la profession des intervenant(e)s (« c’est leur métier »).
– Nombre de patient(e)s se disent conscient(e)s que le cadre d’exercice
du soin prédétermine la marge de liberté des intervenant(e)s, que, par
exemple, ce qui est possible lors de soins à domicile ne l’est pas dans
un service d’urgence.
– Si le sexe des médecins semble assez souvent indifférent, en raison
notamment de leur faible proximité, plusieurs patient(e)s évoquent
leur préférence pour des infirmières plutôt que des infirmiers, allant
parfois jusqu’à naturaliser les « compétences féminines » (attention,
douceur, délicatesse, gentillesse).
Tant les lectures que les entretiens ont ouvert de multiples pistes d’ana-
lyse. En cela, la phase exploratoire a parfaitement rempli son rôle. Toutes
ces pistes ne pourront bien évidemment pas être développées ici.
332
Deux applications de la démarche
2.3 La problématique
a. Faire le point
formatrices. Ainsi, il fut décidé de se concentrer sur les seuls soins infir-
miers, et sur les étudiant(e)s plutôt que sur le cadre de leurs interventions.
Sans nier l’intérêt de telles recherches, on écartait de ce fait des compa-
raisons interprofessionnelles ou des analyses en termes d’organisation ou
de dispositifs de soins.
333
Manuel de recherche en sciences sociales
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Deux applications de la démarche
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Manuel de recherche en sciences sociales
a. Modèle et hypothèses :
les effets de la socialisation familiale
336
Deux applications de la démarche
b. Les indicateurs
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Manuel de recherche en sciences sociales
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Deux applications de la démarche
H3
H1 H2.2
Socialisation
par la formation Rapport au corps
professionnelle dans la relation au soin
339
Manuel de recherche en sciences sociales
340
Deux applications de la démarche
de sa génération
– Degré d’aisance projeté en situation
d’effectuer la toilette intégrale de
quelqu’un défini en fonction de son
affection (blessure, brûlure…)
– Degré d’aisance projeté en situation
d’effectuer la toilette intégrale de
quelqu’un défini en fonction de son degré
de souffrance
341
Manuel de recherche en sciences sociales
2.5 L’observation
b. L’instrument d’observation
342
Deux applications de la démarche
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Manuel de recherche en sciences sociales
344
Deux applications de la démarche
proches ou
inconnues
345
Manuel de recherche en sciences sociales
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Deux applications de la démarche
a. La cartographie du corps
les gestes posés sur toutes les parties du corps considérées étaient jugés
« pas du tout délicats » et « 10 » lorsqu’ils étaient tous jugés « très délicats ».
347
Manuel de recherche en sciences sociales
Si l’on compare les valeurs des indices de synthèse calculées pour les
étudiantes et les étudiants, on n’observe pas de différence statistiquement
significative. Ce résultat peut paraître contre-intuitif dans la mesure où,
lors des entretiens exploratoires, plusieurs étudiantes avaient exprimé leur
malaise à l’idée de devoir faire la toilette de patients masculins, alors que
l’on n’avait pas enregistré de témoignages correspondants chez les étudiants.
Cette apparente incohérence entre les données d’entretien et les données
d’enquête s’explique en fait par le caractère globalisant d’un indice. L’indice
PIC ici concerné agrège des réponses qui évoquent des situations différentes,
et il nous indique que globalement les écarts entre étudiantes et étudiants
ne sont pas statistiquement significatifs. Il masque ainsi, comme le montre
bien le tableau 8.7, de potentiels écarts plus spécifiques.
Ce tableau montre que les réticences féminines et masculines face aux soins
d’hygiène ne sont pas tout à fait semblables ; s’interroger sur la dimension
genrée des approches semble donc pertinent.
348
Deux applications de la démarche
Légende : *** = Xi2 sig. 0.001 ; ** = Xi2 sig. 0.01 ; * = Xi2 sig. 0.05 ; ° = Xi2 n.s. 0.05.
Lecture : 56,4 % des étudiantes se disent « très mal à l’aise » à l’idée de devoir demander
l’aide d’un homme proche pour qu’il leur lave entièrement le corps.
Légende : *** = Xi2 sig. 0.001 ; ** = Xi2 sig. 0.01 ; * = Xi2 sig. 0.05 ; ° = Xi2 n.s. 0.05.
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Manuel de recherche en sciences sociales
les pourcentages sont nettement plus réduits du côté des étudiants que
des étudiantes, où ils sont très importants, signe que celles-ci différencient
nettement les situations évoquées.
À partir de ces résultats, il semble bien que, pour les dimensions étudiées,
les étudiantes et les étudiants aient un rapport au corps différent. Peut-on
y voir la trace de la socialisation familiale ?
Chez les étudiants des deux sexes qui sont déjà en couple, le ou la parte-
naire a incontestablement un statut privilégié. L’intimité partagée au
quotidien n’y est pas pour rien ; elle tend à rendre la demande d’aide plus
aisée. Arrive ensuite, tant pour les étudiantes que pour les étudiants, la
figure de la mère, qui a habituellement assumé un tel rôle de dispensa-
trice de soin au cours de l’enfance. Là s’arrêtent les points de convergence.
Pour les autres figures familiales, les étudiantes développent clairement
une approche genrée : le pourcentage de malaise est à son maximum pour
les quatre figures masculines ; les écarts entre les figures masculines et
féminines d’une même génération sont importants. Chez les étudiants,
l’approche est davantage générationnelle et les écarts entre les différentes
figures familiales bien plus réduits.
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Deux applications de la démarche
Légende : *** = Xi2 sig. 0.001 ; ** = Xi2 sig. 0.01 ; * = Xi2 sig. 0.05 ; ° = Xi2 n.s. 0.05.
Légende : *** = Xi2 sig. 0.001 ; ** = Xi2 sig. 0.01 ; * = Xi2 sig. 0.05 ; ° = Xi2 n.s. 0.05.
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Manuel de recherche en sciences sociales
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Deux applications de la démarche
Légende : *** = Xi2 sig. 0.001 ; ** = Xi2 sig. 0.01 ; * = Xi2 sig. 0.05 ; ° = Xi2 n.s. 0.05.
Lecture : les étudiantes qui ont une expérience de douche ou de bain avec leur père
lorsqu’elles étaient enfants sont 55,9 % à se dire « très mal à l’aise » à l’idée de devoir lui
demander qu’il leur lave entièrement le corps ; ce pourcentage monte à 67,3 % chez celles
qui n’ont pas vécu une telle expérience. L’écart entre ces pourcentages est significatif au
seuil de 0.001.
353
Manuel de recherche en sciences sociales
354
Deux applications de la démarche
355
Manuel de recherche en sciences sociales
est exposée de manière détaillée dans l’ouvrage de D. Peto, J. Remy,
L. Van Campenhoudt et M. Hubert, sida : l’amour face à la peur. Modes
d’adaptation au risque du sida dans les relations hétérosexuelles (Paris,
L’Harmattan, 1992).
Fin des années quatre-vingt, début des années quatre-vingt-dix, le sida appa-
raît à tous comme un risque majeur, mais la médecine reste impuissante à
l’endiguer. Il n’existe pas de vaccin et la trithérapie n’a pas encore été mise au
point. La prévention reste considérée comme la meilleure manière de faire
face au risque. Les sciences sociales sont alors appelées à la rescousse pour
conseiller les campagnes de prévention. On leur demande de rendre compte
de la connaissance que la population a des risques de contamination, de la
manière dont le risque est pris ou non en compte dans les relations sexuelles
notamment, en particulier dans les groupes dits « à risque » et de proposer
des pistes pour une prévention efficace.
La question de départ a dès lors été formulée comme suit : « Comment les
adultes, en particulier ceux qui ont plusieurs partenaires sexuels ou changent
de partenaires, réagissent-ils au risque du sida et pourquoi beaucoup d’entre
eux persistent-ils à courir des risques ? »
L’objectif de cette recherche était double : d’une part, elle constituait une
étude exploratoire visant à préparer une prochaine enquête à grande échelle
portant sur l’ensemble de la population belge ; d’autre part, vu l’urgence,
elle devait aider déjà à dégager des perspectives pour des campagnes de
prévention.
356
Deux applications de la démarche
3.2 L’exploration
a. Les lectures
Les chercheurs sont partis assez désarmés. D’abord parce que la demande
était très large, ensuite parce qu’on disposait de très peu d’études préa-
lables sur ce problème relativement nouveau. Néanmoins, les toutes
premières enquêtes réalisées dans les pays voisins, des articles qui en
discutaient les approches théoriques et des résultats commençaient à être
disponibles. Comme on l’a vu dans l’étape 3 (La problématique), la plupart
des premières enquêtes (notamment KABP) s’inscrivaient dans le para-
digme de l’individu rationnel. On en a également vu les limites. Mais à
cette époque, les alternatives au paradigme de l’individu rationnel étaient
encore balbutiantes.
Dès le début de la recherche, nombreux ont été les contacts, les discus-
sions et les entretiens avec des personnes concernées, notamment des
responsables associatifs ou institutionnels et des professionnels du secteur
socio-sanitaire en contact quotidien avec une grande diversité de publics
en demande de conseils, de soins ou d’aide. De plus, les entretiens avec
des personnes correspondant au profil défini par la question de départ ont
commencé immédiatement, en vue de construire progressivement la problé-
matique de la recherche. Même si la succession des étapes de la démarche a
été suivie dans les grandes lignes, le scénario n’a pas été strictement linéaire,
dans la mesure où il y a eu un va-et-vient constant entre les entretiens, la
problématique et le modèle d’analyse.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Il est vite apparu combien l’activité sexuelle mettait en jeu des dimen-
sions complexes de la personne, des relations humaines et de la culture. Elle
implique les partenaires dans ce qu’ils ont de plus essentiel : le sens qu’ils
donnent à l’existence, leur rapport aux autres, en particulier aux personnes
de l’autre sexe, leur équilibre personnel, leur rapport à leur propre corps et
à celui de l’autre, leurs émotions, leur mode d’intégration sociale… Dans ce
jeu complexe, prendre ou ne pas prendre un risque peut obéir à des raisons
357
Manuel de recherche en sciences sociales
358
Deux applications de la démarche
Enfin, il est apparu que, dans la plupart des cas, les partenaires n’op-
taient pas pour une solution extrême, comme si l’alternative était soit
de se protéger toujours et systématiquement soit de ne pas se protéger
du tout. Ils s’adaptaient au risque selon des modalités variées. Ceux qui
avaient modifié leurs comportements en raison du risque du VIH n’avaient
que très rarement supprimé purement et simplement tout risque de
contamination, par exemple en se limitant à un seul partenaire sexuel
absolument sûr ou en utilisant systématiquement le préservatif. Le plus
souvent, la modification des comportements se faisait de manière hési-
tante et nuancée, différenciée selon les partenaires et les circonstances.
Bref, chacun et chacune s’adaptait au risque avec lequel il ou elle faisait
une sorte de compromis. Dès lors, la question de départ a été reformulée
de la manière suivante : « Quels sont les modes d’adaptation au risque
de contamination par le VIH dans les relations hétérosexuelles, dans
le chef d’adultes qui ont plusieurs partenaires sexuels ou changent de
partenaires ? »
3.3 La problématique
rendre compte de cette diversité sans être pour autant éclatée. Les facteurs
ont été appelés dans la recherche « facteurs d’intelligibilité » en raison du
fait que, d’une manière ou d’une autre, ils étaient supposés contribuer à
rendre les comportements intelligibles, sans préjuger de la nature précise
de la relation qui les reliait aux comportements. Les hypothèses générales
consistaient en un petit nombre d’idées à avoir à l’esprit pour élaborer l’ap-
proche théorique, par exemple le fait que l’interaction sexuelle constitue
une réalité spécifique irréductible aux partenaires ou encore l’autonomie
359
Manuel de recherche en sciences sociales
360
Deux applications de la démarche
3. Le réseau social des partenaires : le réseau est ici compris dans son sens
large, comme système de relations personnelles (familiales, profession-
nelles, amicales…) dans lequel chaque partenaire est impliqué. Il offre
des ressources mobilisables (le « capital social ») et détermine un espace
de contraintes et d’opportunités (notamment en matière sexuelle).
Deux opérations doivent alors être menées. Sur le plan théorique, il s’agit de
déterminer les critères de construction des types (soit les facteurs d’intelligi-
bilité et leurs principales dimensions, ainsi des différents modes d’adaptation
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
au risque). Cette première opération faite (ce sera l’objet de l’étape suivante),
sur le plan empirique, il s’agira ensuite de construire les différents types qui
émergent des entretiens en tant que « typiques » d’une facette du problème
de l’adaptation au risque du VIH. On peut alors faire des hypothèses spéci-
fiques pour chaque type et, par là, concevoir des scénarios et des messages
de prévention adaptés. À partir de là, chaque cas concret doit pouvoir être
situé soit, s’il s’en rapproche fort, par sa proximité avec un type particulier,
soit par sa position intermédiaire entre deux ou plusieurs types distingués.
361
Manuel de recherche en sciences sociales
362
Deux applications de la démarche
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Manuel de recherche en sciences sociales
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Deux applications de la démarche
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Manuel de recherche en sciences sociales
3.5 L’observation
366
Deux applications de la démarche
Tous les entretiens ayant été réalisés directement par un des membres de
l’équipe de chercheurs ; l’interviewer avait une connaissance approfondie
des questions de recherche et de la problématique. Cette proximité avec
l’approche de l’objet est essentielle dans la mesure où l’interviewer peut, à
chaque moment, avoir les meilleures questions à l’esprit et relancer l’inter-
viewé sur les pistes les plus intéressantes. Avec un sujet aussi délicat, même
dans ces conditions, il y a, comme on l’a vu, une proportion relativement
importante d’entretiens peu utilisables.
367
Manuel de recherche en sciences sociales
b. La construction de la typologie
Chaque type était expliqué de manière détaillée, résumé sur une fiche
et illustré par les cas des personnes interviewées qui s’en rapprochaient
le plus. Pour chaque type, des questions spécifiques pour la prévention
étaient posées. À titre d’exemple, on ne reprendra ici que la fiche corres-
pondant au type 4, qui est courant bien que se présentant sous des modalités
diverses. Les personnes concernées partagent la caractéristique de scinder
leur monde intime en deux : celui des partenaires sexuels considérés comme
sûrs où le risque est pris en considération de manière variée et souvent
aléatoire, et celui des partenaires jugés dangereux où une protection stricte
est appliquée.
368
Deux applications de la démarche
369
Manuel de recherche en sciences sociales
Position et statut dans le cycle de la vie Phases de quête d’un mode de vie
ou phase de célibat.
Sexe Indifférencié.
Bien d’autres enseignements qu’il serait trop long d’exposer ici ont pu être
dégagés sur les rapports entre genres, la manière dont la communication
était régulée par des normes sociales, l’influence normative du réseau des
proches, les tensions normatives en matière de sexualité et la manière dont
le sida était venu perturber un jeu social intime déjà complexe sur lequel
370
Deux applications de la démarche
Cette étude peut mettre en avant deux catégories de résultats : primo, les neuf
types reprennent bien une grande part des situations problématiques liées à
la protection contre le VIH dans le champ des relations hétérosexuelles. Mis
à part certaines situations très particulières (mais pas forcément rares) qui
nécessitent des recherches spécialisées (violence intraconjugale, prostitution
et traite des femmes, viols…), la plupart des situations concrètes peuvent
sinon se retrouver dans un des types, du moins être situées à l’intersection
de deux ou plusieurs types. Pour autant, le tableau n’est pas absolument
exhaustif ; les types ne représentent que quelques cas induits par le travail
empirique parmi tous les cas théoriquement possibles (selon une combina-
toire des facteurs d’intelligibilité), ce qui, logiquement et stricto sensu, est
censé caractériser une typologie. Le choix de multiplier (de manière raison-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
371
Manuel de recherche en sciences sociales
Le fait que la typologie ait finalement porté sur des individus et non
sur des relations peut sembler paradoxal pour une approche qui se veut,
pour une large part, « relationnelle ». La prise en compte de la trajectoire
personnelle et de la position dans le cycle de vie rendait difficile une typo-
logie strictement relationnelle. L’individu est, pour l’essentiel néanmoins,
caractérisé par le système relationnel (tant au niveau de l’interaction sexuelle
que du réseau social) où il est impliqué.
372
Récapitulation
des opérations
Manuel de recherche en sciences sociales
Étape 1
La question de départ
Étape 2
L’exploration
Étape 3
La problématique
374
Récapitulation des opérations
Étape 4
La construction
du modèle d’analyse
Étape 5
L’observation
Étape 6
L’analyse des informations
Étape 7
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
Les conclusions
• Rappeler la démarche
• Présenter les résultats en mettant en évidence :
– les nouvelles connaissances
– les perspectives pratiques
375
Bibliographie
377
Manuel de recherche en sciences sociales
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Glossaire
379
Manuel de recherche en sciences sociales
380
Glossaire
381
Manuel de recherche en sciences sociales
382
Glossaire
383
elle est ordinale si ses modalités sont Une variable-test a pour fonction de
ordonnées, mais sans que l’on ait une s’assurer que la relation supposée par
mesure de l’importance de l’écart entre l’hypothèse principale n’est pas falla-
deux modalités successives (par exemple cieuse. (R. Boudon, P. Lazarsfeld)
« pas du tout d’accord », « plutôt pas
Vérification empirique : mise à l’épreuve
d’accord », « plutôt d’accord », « d’ac-
des hypothèses à partir de l’observa-
cord »… avec une opinion). Une variable
tion et de l’analyse des informations
quantitative est une variable dont les
récoltées.
modalités ont une valeur numérique
(par exemple la taille ou le revenu).