Alpha T7 Le Masque de La Trahison Gwen Wood
Alpha T7 Le Masque de La Trahison Gwen Wood
Alpha T7 Le Masque de La Trahison Gwen Wood
Wood
Alpha
Le masque
de la trahison
Tome 7
DU MÊME AUTEUR
Alpha – La guerre des loups – Tome 1 – Partie 1, coll. FantasyLips, juillet 2018
Alpha – La guerre des loups – Tome 1 – Partie 2, coll. FantasyLips, août 2018
Alpha – Le chant mortel – Tome 2, coll. FantasyLips, septembre 2018
Gwen Wood est originaire d’Occitanie où elle vit encore aujourd’hui dans un
petit village. C’est sa mère qui lui transmet le goût pour les livres dès son plus
jeune âge, développant au fil de ses lectures une préférence pour la fantasy,
mettant en scène vampires et loups-garous.
Durant sa scolarité au lycée, l’envie d’écrire la prend soudainement et devient
vite une véritable passion, si bien que deux mois plus tard, la jeune femme
achève l’écriture de son premier roman.
Suite à la publication de ce dernier sur une plateforme de lecture et d’écriture,
les commentaires des lecteurs nourrissent son envie de progresser et d’aller plus
loin. C’est ainsi qu’elle décide de retravailler son premier texte pour donner
naissance à Alpha : La guerre des loups, premier tome de la saga.
Les flashs des appareils photo me brûlaient les yeux. Les photographes, les
paparazzis et les journalistes me bombardaient de tous les côtés à l’aide de leur
matériel de compétition. Je me forçais à garder la tête haute et à continuer à
sourire. Difficile quand les deux loups-garous qui vous accompagnaient ne
cessaient de gronder à vos côtés, et qu’ils luttaient pour ne pas repousser tous les
reporters. Dur dur la vie de célébrité…
— Madame Teller ! m’interpella un homme armé d’un calepin sur ma droite.
Comment vivez-vous la fin de votre grossesse ? N’est-ce pas trop éprouvant de
porter un enfant métamorphe ? Votre bébé naîtra-t-il humain ou change-peau ?
— N’avez-vous pas peur qu’il soit la cible des extrémistes ? me demanda une
femme aux cheveux châtains en levant le bras.
— Avez-vous conscience qu’il sera le symbole d’un nouveau monde ?
renchérit un autre journaliste dont les lunettes lui tombaient sur le nez.
Ça fait beaucoup de questions d’un coup ça…
Réajustant ma position sur ma chaise, je me raclai la gorge discrètement et me
penchai légèrement en avant pour parler dans le micro qui avait été installé
devant moi. Ce n’était pas la première conférence de presse à laquelle j’assistais
depuis la Révélation, mais je n’étais toujours pas à l’aise avec cet exercice.
Devoir répondre aux questions d’inconnus sur mon couple, sur ma meute et sur
mon enfant à naître me mettait toujours mal à l’aise, à tel point d’ailleurs que ma
gorge en devenait sèche et mes mains moites.
— Ma grossesse s’est très bien déroulée jusqu’ici, répondis-je finalement
d’une voix légèrement rauque, je vous remercie, et je vis très bien la fin de celle-
ci. Nick et moi sommes impatients de tenir notre enfant dans nos bras. Nous
avons conscience qu’il sera le visage d’une nouvelle ère de notre société, mais
nous avons à cœur de le préserver de la haine que la Révélation a pu engendrer
chez certains individus. Et bien sûr, nous mettrons tout en œuvre pour le protéger
des extrémistes qui ont pu proférer des menaces à son encontre.
Avec un sourire, je me reculai de nouveau et inspirai profondément, profitant
du fait que les reporters étaient occupés à noter soigneusement mes réponses
pour souffler une seconde. Sam à ma droite et Walter à ma gauche étaient tendus
comme des arcs, les poings crispés sur leurs cuisses respectives. Leurs
mâchoires étaient bien trop serrées pour qu’ils puissent parler.
— Votre compagnon n’est pas présent aujourd’hui, intervint un jeune homme
à la tenue impeccable à l’avant de l’assemblée formée par les journalistes. Est-ce
parce qu’il devait se rendre à la réunion au sommet organisée à la maison
blanche ? Y sera-t-il pour débattre des nouvelles lois mises en place pour les
métamorphes, les fées et les sorcières ?
Je me passai la langue sur les lèvres avant de répondre.
— Comme tout le monde le sait déjà, commençai-je, les représentants des
communautés surnaturelles ont été conviés à participer à une réunion en
compagnie du président, pour mettre en place les mesures les concernant. Nick,
en tant que dirigeant lycan, y a donc été invité. De nombreuses réformes vont
suivre la sortie de l’ombre des supra-humains, notamment afin de leur assurer
une vie paisible et de les intégrer pleinement à la société.
Encore une fois, mes déclarations furent notées avec attention. Le petit être
qui terminait sa croissance dans mon ventre choisit ce moment précis pour
m’asséner un coup de pied digne d’un karatéka. Je grimaçai. Sam se pencha vers
moi.
— Nous devrions rentrer maintenant, me dit-il au coin de l’oreille, ça fait plus
d’une heure et demie que nous sommes ici, et tu as besoin de repos.
Ça, je n’allais pas le nier ! J’étais épuisée, et je mourrais de faim ! Depuis que
nous étions arrivés à Little Rock ce matin, j’avais une folle envie de hot-dog au
ketchup. Il fallait vite que j’en avale un si je ne voulais pas me retrouver
complètement obsédée par l’idée d’en manger un. Ce qui était déjà plus ou
moins le cas.
Je hochai la tête.
— Très bien, allons-y.
Satisfait, le quatrième Gamma de la Meute du Soleil se pencha en avant et
trouva la force de desserrer les lèvres pour s’adresser à la foule. Le bruit
incessant des appareils photo, les flashs et les voix des journalistes
commençaient à taper sur le système de mes accompagnants, plus sensibles que
les humains sur ce point-là. Les deux hommes avaient les traits tirés et les
muscles de leurs corps étaient si bandés qu’ils s’en retrouvaient encore plus
menaçants qu’à l’accoutumée. Il était temps pour nous de rentrer.
— Mesdames et messieurs, déclara Sam d’une voix forte, nous avons passé
un bon moment à vos côtés mais nous devons désormais clore cette conférence
de presse. Répondre à vos questions fut un plaisir. Je vous remercie.
Tirant sa chaise vers l’arrière alors que les journalistes réclamaient encore une
dernière question tous en même temps, Sam fronça les sourcils et se mit debout,
rapidement imité par Walter. Je remerciai les reporters et me levai à mon tour.
Mon ventre proéminent était lourd, j’avais mal au dos, si bien que je dus me
passer une main sur les reins pour tenter d’apaiser la douleur qui s’y était
installée. Debout sur la grande estrade, je balayai du regard une dernière fois la
salle qui avait été mise à notre disposition pour l’occasion. Baignée dans la
lumière d’une journée d’hiver grâce aux immenses baies vitrées qui en faisaient
tout le tour, je me rendis compte du monde qui était entassé ici. La salle était
bondée, les caméras de télévision qui avaient retranscrit la conférence en direct
côtoyaient les journalistes armés de calepins, de stylos ou encore de dictaphone.
Il y avait tant de gens qu’on ne voyait même plus le sol. C’était impressionnant !
Une main se posa dans mon dos. Je me retournai et croisai le regard sombre
de Walter qui m’invitait à rejoindre la double porte derrière nous. Je lui souris et
m’apprêtais à le suivre lorsqu’une voix s’éleva au-dessus de toutes les autres.
— Espèce de salope à métamorphes ! hurla un homme dans la foule.
Tournant les talons, je cherchai du regard l’individu qui avait osé m’insulter,
prête à lui répondre, mais la foule était trop dense pour me permettre de le
trouver. Cependant, lorsque des cris s’élevèrent dans l’assemblée et que tout le
monde se coucha au sol, un homme resta debout, au milieu de tous. Il avait une
arme à la main et, l’air fou, la braquait dans ma direction. L’atmosphère était
lourde, les émanations de peur, de panique et de colère planaient tout autour de
nous. J’avais l’esprit engourdi à cause de toutes ces énergies, si bien d’ailleurs
qu’il me fut impossible de réagir tout de suite. Mais avant de me laisser
l’occasion de faire quoi que ce soit, Walter me plaqua au sol alors qu’un coup de
feu retentissait.
En état d’alerte, je tombai à genoux, les bras fermement serrés autour de mon
ventre. L’odeur du sang chatouilla mon odorat devenu hypersensible à cause de
la grossesse. Les yeux écarquillés, je me tournai vers Walter, qui avait couvert
mon corps du sien, et le vis lentement glisser sur le côté jusqu’à s’effondrer au
sol. Il grogna, une main plaquée sur l’épaule. Je criai son nom en me jetant à son
chevet.
— Parle-moi, Walter ! lui intimai-je. Dis-moi que ça va !
Le Gamma serra les dents et se redressa sur un coude alors que les agents de
sécurité qui avaient été déployés à l’occasion de la rencontre avec la presse
s’affairaient à neutraliser l’individu armé. Sam s’accroupit à nos côtés, un talkie-
walkie dans une main.
— Tout le monde va bien ? Merde, Walty !
— Ça va, maugréa le brun en s’asseyant. La balle n’est pas ressortie, il va
falloir la retirer.
Horrifiée, je tendis la main vers le loup mais me vit arrêter par ses soins. Il
s’empara de mon poignet de sa main libre pour m’empêcher de le toucher.
— Non, ne me soigne pas, grommela-t-il, tu dois garder toute ton énergie
pour l’accouchement.
— Et il n’est pas pour tout de suite ! plaidai-je en fronçant les sourcils.
Laisse-moi t’aider !
— Non, insista-t-il en se levant difficilement une fois que Sam eut la
confirmation que l’extrémiste avait été mis hors d’état de nuire. Il faut qu’on
sorte d’ici, comment un de ces enfoirés a-t-il pu entrer ici, putain ?
Nous remettant debout, je tentai de calmer mon inquiétude, mais c’était
compliqué au vu de tout le sang que perdait le tatoué. Nous devions soigner son
épaule au plus vite !
— Je croyais que vous aviez fouillé tous les invités de cette conférence,
cracha sèchement Sam à l’un des agents en uniforme.
L’homme d’un bon mètre quatre-vingt, à la carrure baraquée et au regard
sévère, recula d’un pas lorsque les yeux du loup qui sommeillait en Sam
remplacèrent les siens. Les deux loups-garous étaient sous pression. Ils
mesuraient le risque que nous venions de courir à cause de l’incompétence des
personnes supposées assurer notre protection et luttaient aussi bien l’un que
l’autre pour empêcher leurs bêtes d’émerger. Je sentais à travers le lien qui
m’unissait à la meute que Walter avait énormément de mal à calmer sa moitié
animale, qui s’agitait à l’intérieur de lui, paniquée par le coup de feu dont
l’homme avait été la victime.
— Nous l’avons fait ! plaida son interlocuteur en essayant de garder l’air
confiant. Je ne sais pas ce qui s’est passé !
Rapidement, les journalistes qui s’étaient couchés au sol pour se protéger du
cinglé qui s’était immiscé en eux se relevèrent, micros en main. Un brouhaha
s’éleva dans la salle, chacun voulait savoir si j’allais bien. Le fauteur de trouble
avait été évacué, les agents de sécurité commencèrent à ordonner aux médias de
quitter la pièce.
— Vous avez intérêt à trouver rapidement ce qui s’est passé, pesta
dangereusement Sammy en faisant un pas menaçant vers l’homme aux cheveux
rasés. Parce qu’il va me falloir un coupable sur lequel me faire les griffes et si je
n’en trouve pas je les ferai sur vous.
Là-dessus, Walter et lui m’entraînèrent en dehors de la pièce par la double-
porte qui se trouvait dans notre dos. Nous traversâmes le couloir qui s’étendait
devant nous au pas de course pour rejoindre l’ascenseur qui se trouvait au bout.
J’y entrai essoufflée, une main sur le ventre ; j’avais tendance à me fatiguer très
vite depuis que j’étais entrée dans mon cinquième mois de grossesse. En fait, la
fatigue avait débuté dès le milieu du deuxième mois, et elle n’avait cessé
d’augmenter depuis. J’allais rapidement avoir besoin de reprendre des forces.
J’avais eu l’espoir que la fusillade à la conférence de presse n’arrive pas
jusqu’aux oreilles de Nick, à ce moment-là à Washington. Mais sachant qu’elle
avait été retranscrite en direct, je savais qu’il y avait peu de chance que ça lui
échappe. Mes espoirs se ratatinèrent comme de vieilles crêpes pas fraîches quand
Sam déboula dans la suite de l’hôtel où nous nous étions arrêtés à Little Rock, le
visage fermé. Walter releva les yeux pour le regarder se diriger vers moi à
grandes enjambées. Il me tendit le portable en tentant d’esquisser un sourire
rassurant, pas très réussi, soit dit en passant.
— C’est pour toi.
Couchée dans l’immense lit king size de la chambre, le dos appuyé contre
deux coussins dodus, je me mordis les lèvres et jouai nerveusement avec la
couverture remontée sur mes jambes. Walter, remis de sa blessure grâce à mes
soins qu’il avait finalement acceptés, se leva pour quitter la partie chambre et se
rendre dans le petit salon attenant. J’attrapai le téléphone nerveusement. Sam
s’éclipsa pour nous laisser, à Nick et moi, un semblant d’intimité, et rejoignit
Walter en prenant soin de refermer les portes coulissantes qui séparaient les deux
parties de la suite. Je portai l’appareil à mon oreille.
— Nick, lançai-je sans avoir eu besoin d’une confirmation concernant
l’identité de mon correspondant.
— Dis-moi que tu vas bien, Poppy, ou je vais devenir fou, gronda-t-il d’une
voix si grave qu’elle laissait transparaitre toute sa colère et sa rage profonde.
Je soupirai et remontai la couverture sur mon ventre rond pour le recouvrir.
— Je vais bien Red, je t’assure. Plus de peur que de mal. Encore un taré anti-
métamorphes qui cherchait à se faire remarquer en brandissant une arme dont il
ne savait pas se servir. Les extrémistes devraient prendre des cours parce
qu’honnêtement, rater leur cible à chaque fois qu’ils tentent des attentats, ça
frôle le ridicule.
À l’autre bout du fil, l’Alpha poussa un grognement sourd qui me certifia que
ma blague avait fait un bide. Détendre l’atmosphère n’était vraiment pas mon
fort.
— Ce fils de pute a atteint Walter, répliqua-t-il, ce qui signifie qu’il ne tirait
pas si mal que ça, tu aurais pu être touchée !
— Mais ce ne fut pas le cas, plaidai-je, je vais très bien.
— Tu es épuisée, dit-il en ressentant ma fatigue à travers notre lien d’âme-
sœur. Sam m’a dit que c’était toi qui avais soigné Walter. Tu n’aurais pas dû.
Je fronçai les sourcils, et retirai de mon front le gant frais que le Gamma
accidenté m’avait posé sur la tête pour tenter d’apaiser la migraine qui avait
assailli mon crâne. Ce n’était pas très efficace, à mon plus grand regret.
— Je n’aurais pas laissé Walter se vider de son sang sans rien faire, rétorquai-
je en fermant les yeux. J’étais déjà fatiguée de toute façon, alors un peu plus ou
un peu moins n’aurait rien changé. Je vais me reposer, ça ira mieux dans
quelques heures.
— Tu arrives à terme Poppy, marmonna mon compagnon mécontent.
L’accouchement est proche, tu ne peux pas te permettre d’être faible au moment
où tu mettras au monde notre enfant. Tu sais ce qui pourrait t’arriver si jamais…
— Pour la millième fois Nick, le coupai-je, sentant que l’inquiétude
commençait à le gagner, tout va bien se passer. Je vais bien, je suis couchée dans
un lit moelleux, protégée dans une chambre d’hôtel hors de prix, accompagnée
de deux de nos Gammas. Sans compter les agents lycans postés devant la porte
et ceux en faction autour de l’hôtel. Nous restons ici encore ce soir et dès
demain, nous prenons la route pour Springdale.
— Je prends l’avion dès ce soir pour venir te retrouver à Little Rock, déclara-
t-il soudain, me faisant rouvrir les yeux brusquement.
— Hors de question ! m’exclamai-je en me redressant. Tu es à Washington
pour deux jours, et les enjeux de ta visite là-bas sont importants. Il en va du futur
des créatures surnaturelles, et plus particulièrement des lycanthropes et des
métamorphes. Tu ne peux pas tout envoyer promener dès qu’un cinglé essaye de
me buter.
— Bien sûr que je le peux, cracha-t-il, tu es ma femme. Je ne veux prendre
aucun risque.
— Ce n’était qu’une erreur de parcours, le rassurai-je, le reste de la
conférence s’est très bien déroulé, et je n’ai perçu aucune hostilité dans les
questions des journalistes. Et les surnaturels ont la cote auprès des médias. Ne
fiche pas tout en l’air en faisant passer le président des États-Unis au second
plan. Tu sais à quel point les Trump sont susceptibles !
Nick marmonna dans sa barbe, agacé, et poussa un juron.
— J’ai besoin d’être auprès de toi.
Je soupirai de nouveau.
— Et moi donc, répondis-je. Mais nous serons bientôt ensemble, nous
n’avons plus qu’un jour à tenir, et demain soir, nous serons réunis. Ce n’est pas
infaisable.
— Ça ne veut pas dire que ce soit plus facile. Le bébé sera là dans très peu de
temps, et je ne veux surtout pas être loin quand il arrivera. Nous ne pouvons pas
nous le permettre.
J’acquiesçai. J’avais fini par comprendre que pour le bien de l’accouchement,
Nick allait devoir se tenir près de moi le moment venu. Déjà parce qu’il était
mon mari et le père de mon enfant, mais aussi parce qu’il y avait de gros risques
que je n’y survive pas. C’était un fait que j’avais assimilé, et que je gérais
beaucoup mieux que mon âme-sœur. Si je voulais faire voir le jour à mon bébé
sans perdre la vie, j’allais devoir compter sur l’aide de Nick, qui me transmettrait
son énergie à travers notre lien pour me permettre de tenir le coup le jour J. Je
pouvais donc comprendre son appréhension permanente et ses réticences à l’idée
de s’éloigner de moi à cette période.
Ceci dit, il n’était pas non plus nécessaire de paniquer. Tout se passerait bien,
nous faisions tout pour cela.
— Le bébé est pour le moment bien au chaud dans mon ventre, le rassurai-je,
et nous allons très bien tous les deux. Je te le promets.
Il y eut un silence à l’autre bout du fil, Nick inspira profondément.
— Je veux savoir qui était ce type, dit-il finalement, et comment il est parvenu
à se faufiler dans la foule des journalistes alors que le bâtiment tout entier était
censé être placé sous haute surveillance.
— Sam y travaille, lui assurai-je. Il s’est entretenu avec le chef de la sécurité
et cherche à savoir comment ça a pu arriver.
— Bien, grogna-t-il. Comment va Walter ?
Je souris.
— Furax, comme tu peux t’en douter. La conférence de presse a été longue
pour nos deux Gammas, tu auras le plaisir de découvrir leurs têtes respectives
quand tu regarderas les rediffusions à la télévision.
Je pus presque l’entendre sourire sur l’autre ligne.
— Oh mais je ne les ai pas loupés, dit-il, tout comme je n’ai pas manqué la
fusillade.
Je serrai les lèvres. Nick était prêt pour ruminer toute la soirée, peut-être
même des jours. Ou semaines, le connaissant.
— Comment s’est passée la réunion au sommet ? m’enquis-je alors pour
changer de sujet.
Le loup-garou inspira un grand coup.
— Assommante, mon loup s’est profondément ennuyé. Mais disons que cela
a été constructif. Le président nous laisse, à nous les dirigeants supra-humains
comme il nous appelle, les pleins pouvoirs sur nos sociétés respectives ainsi que
sur les membres de nos communautés. Nous serons donc leurs référents directs
en cas de problème, de délit ou autre.
Je hochai la tête.
— C’est une bonne nouvelle !
— C’est vrai, mais nous ne nous attendions pas à autre chose de leur part. Les
humains cherchent à se détacher au plus possible des surnaturels. Le
gouvernement ne pense pas pouvoir gérer des supra-humains et préfère prendre
ses distances vis-à-vis de nous.
— Mais dans le fond, ce n’est pas plus mal, n’est-ce pas ? Après tout, je vois
mal les lycans se soumettre aux lois humaines, idem pour les autres surnaturels.
Le fait que vous ayez la main mise sur vos sociétés rassurera sans doute les
vôtres.
Je marquai une pause et sifflai entre mes dents lorsque l’apprenti boxer dans
mon bidon me fila un énième coup de pied.
— Quelque chose ne va pas ? s’alarma instinctivement mon mari.
Je passai une main sous mon tee-shirt et massai ma peau tendue, là où j’avais
senti le pied de mon bébé me percuter. Cet enfant allait nous donner du fil à
retordre, à nous comme à tous ceux qui chercheraient à s’en prendre à lui plus
tard. Il était déjà très doué pour les coups de pieds.
— Ton enfant fait des siennes, lâchai-je en souriant malgré tout. Un vrai
footballer, ou une footballeuse.
Nous avions décidé de ne pas connaître le sexe de notre bébé avant
l’accouchement. C’était un choix réfléchi, afin que nous gardions la surprise
jusqu’au bout. Les membres de la Meute avaient fait des paris pour savoir s’il
s’agissait d’une petite nana ou d’un petit mec. La majorité penchait pour un
garçon. Évidemment, ils espéraient, tout comme les proches de la famille de
Nick, que ce soit un héritier à placer sur le trône de la société lycane plus tard.
Pour ma part, je me fichais bien de son sexe à partir du moment où il était en
forme et en bonne santé. Bien sûr, j’espérais que Nick soit satisfait, et quelque
chose me disait qu’il espérait tout de même que ce soit un garçon.
— Il bouge beaucoup, c’est bon signe, s’enorgueillit-il, fier comme un étalon.
L’enfant dégage à travers toi une puissance déjà telle que je sais qu’il naîtra
Alpha, ce qui est très rare pour un enfant hybride.
— Avec un père comme toi, il ne pourra naître qu’Alpha, affirmai-je. Un loup
Alpha à qui j’apprendrai l’art de la chasse. Un vrai être unique en son genre !
Cette fois-ci, je sus avec certitude qu’il souriait. Notre lien fut traversé d’un
sentiment de joie qui balaya les mauvais événements de la journée du revers de
la main. Je me sentis soudainement beaucoup mieux.
— J’ai hâte de rentrer, annonça Nick, tu me manques Poppy.
Je me mordis la lèvre inférieure.
— Toi aussi tu me manques.
À ce moment-là, quelqu’un toqua à la porte de la chambre.
— Room service ! cria Sam depuis le petit salon.
— Va manger Evans, m’intima l’Écossais, et repose-toi. La journée a été
longue.
— Je tuerais pour un hot-dog.
Le lycan laissa échapper un rire grave et rauque qui me mit du baume au
cœur.
— Alors j’espère que Sam a eu la bonne idée d’en commander au moins un,
tu es irritable quand tu n’as pas ce que tu veux.
Je me renfrognai, aimant pouvoir nier. Malheureusement, il avait raison,
j’avais tendance à me transformer en monstre dès que je ne pouvais pas manger
ce que je voulais. Leah m’avait affirmé que c’était tout à fait normal, et Logan
avait confirmé. Il avait été la victime des fringales de sa compagne quand elle-
même avait attendu le petit Hunter.
— Ce n’est pas de ma faute, notre bébé me transforme en ours grognon dès
que je n’ai pas ce dont j’ai envie ! C’est aussi lui qui fait de moi une véritable
fontaine quand je regarde un film triste ou que je lis une revue sur la souffrance
animale !
Il pouffa de nouveau.
— Ne t’inquiète pas, la grossesse est bientôt finie. En attendant, va manger, tu
dois reprendre des forces. Et sache que je ne vais pas oublier ce qui s’est passé
aujourd’hui, et qu’il va me falloir un coupable sur lequel passer mes nerfs à vif,
compris ?
Je soupirai longuement. Ça pour être compris, ça l’était ! Et je plaignais
l’abruti qui avait osé se pointer à la conférence de presse arme à la main. Entre
les griffes de Sammy, les poings de Walter et la fureur de Nick, il n’était pas sorti
de l’auberge, ça c’était sûr !
2
— Je veux connaître le nom de l’homme qui vous a tiré dessus, tonna Nick le
lendemain matin alors que nous étions tous rassemblés autour de la table du
petit-déjeuner.
Après avoir passé une soirée en amoureux, loin des soucis que mon mari avait
préféré mettre de côté, nous nous étions levés au petit matin. Le bébé, qui avait
la bougeotte, m’avait empêchée de dormir une bonne partie de la nuit, Nick
s’était senti obligé de me masser le ventre tendrement jusqu’à ce que notre petit
se calme enfin. Ce qu’il avait fini par faire aux alentours de 2 heures du matin.
J’avais eu du mal à comprendre ce que Leah avait voulu dire en affirmant que les
bébés lycans étaient plus vifs que les enfants humains. J’avais commencé à piger
quand le mien s’était mis à faire la fiesta dans mon ventre !
Ryan, arrivé une heure plus tôt les bras chargés de cadeaux pour le petit être
qui n’allait pas tarder à montrer le bout de son nez et qu’il considérait comme
son neveu, releva la tête de son assiette d’œufs brouillés en entendant
l’injonction de mon mari. Nick avait les mâchoires si serrées en repensant à la
conférence de presse qui avait tourné à l’eau de boudin, qu’il en avait l’air
encore plus menaçant que d’habitude. Je savais bien que cette tête de mule
n’avait pas l’intention d’abandonner l’affaire, il avait juste laissé passer la soirée
avant d’attaquer en force plus tard.
— Il s’appelle Mason Bailey, gronda Sam en fronçant les sourcils alors que
Walter faisait de même. Cet enfoiré avait revendiqué sur sa page Facebook qu’il
appartenait à un groupe d’extrémistes anti-supra-humains et plus
particulièrement, anti-métamorphes. Un catho-facho classique. Même si selon
moi, affirmer dans ses tweets que les surnaturels sont des insultes au Seigneur,
des êtres contre nature et des suppôts de Satan ne sont que des foutaises. Ce mec
se sert de Dieu pour déverser sa haine sur ceux qui le dérangent, à savoir tous
ceux qui sont différents de lui.
— Comment a-t-il pu entrer dans le bâtiment ? gronda mon compagnon, qui
avait horreur des humains haineux.
La Révélation avait été accueillie par la population comme l’annonce du
siècle. Elle avait été perçue comme un événement qui allait tout changer. Et si la
majorité avait bien reçu la nouvelle, quoi qu’avec un peu de réticence tout de
même, certains avaient au contraire considéré que les supra-humains n’étaient
rien d’autre que des monstres qui n’avaient rien à faire parmi les humains, rien à
faire sur Terre tout simplement. Ces gens-là, souvent les mêmes que ceux qui
affirmaient haut et fort qu’ils étaient racistes, homophobes et antitout ce qui
n’était pas comme eux, avaient commencé à s’allier quand le gouvernement
avait apporté son soutien aux surnaturels. Indignés, ces groupes d’insurgés
avaient organisé des manifestations afin de témoigner de leur colère et de leur
indignation vis-à-vis du comportement jugé « passif » des hautes instances,
histoire de débuter les hostilités. Mais rapidement, l’indignation s’était
transformée en haine et la violence n’avait fait qu’augmenter.
Les manifestations avaient laissé place à des actions plus virulentes. Des
supra-humains, et plus particulièrement des métamorphes, avaient été victimes
d’attentats brutaux et d’attaques sauvages. Les humains responsables de ces
assauts n’avaient pas été identifiés, pas clairement en tout cas. Cependant, nous
avions vu naître sur les réseaux sociaux des pages regroupant des anti-supra-
humains, sur lesquelles ces tarés racistes déversaient leur haine et revendiquaient
certaines des attaques.
Malgré toute la bonne volonté des autorités humaines et celle des
informaticiens surnaturels qui s’étaient lancés à la recherche de ces individus, il
avait été impossible de remonter jusqu’à eux. Les agressions persistaient de ce
fait, ne cessant d’augmenter. Je détestais entendre aux informations que des
métamorphes avaient été attaqués à la sortie d’un restaurant ou d’une boîte de
nuit. J’étais en pétard contre tous ces extrémistes aux idées étroites et aux QI
inexistants. Mon sang se mettait à bouillir à chaque fois que je pensais à eux.
L’animosité des membres de la meute, et plus précisément de mon mari, à leur
égard était tout aussi forte que la mienne. Le simple fait de parler de l’un d’entre
eux faisait tourner en rond le loup de mon compagnon comme une bête en cage
prête à charger.
— Apparemment, commença Walter, certains agents de sécurité de la
compagnie qui a été engagée à l’occasion de la conférence de presse n’étaient
pas étrangers des extrémistes, et plusieurs d’entre eux fricotaient avec ces
groupes de tordus. Le gars qui est entré dans le bâtiment avec la ferme intention
de tuer Poppy était de mèche avec certains des agents, qui l’ont laissé passer
délibérément. Ceux-là ont été arrêtés et sont pour le moment détenus derrière les
barreaux en attendant d’être jugés par la justice humaine.
Nick grogna de mécontentement, ses poings étaient fermement crispés sur la
table. Un loup dominant, Alpha de surcroît, aimait régler ses comptes lui-même.
La perspective d’égorger les hommes qui avaient osé mettre en danger sa
compagne, son bébé à venir ainsi que ses Gammas avait réjoui mon âme-sœur,
qui se trouvait désormais lésé et privé de son droit le plus fondamental : venger
les siens. Walter avait tout de même pris une balle, nom de nom ! Ces types
méritaient une bonne leçon pour leur stupidité ! Et malheureusement, ce n’était
pas à nous de les juger. Ils étaient humains et seraient donc confrontés à leurs
lois, ce qui valait nettement mieux pour eux.
— Il va falloir que nous mettions la main sur ces enculés d’extrémistes,
grommela-t-il, sur ceux qui tirent les ficelles et qui organisent ces opérations.
J’aimerais être le premier à les trouver, histoire de leur régler leur compte avant
que la justice humaine ne s’en mêle.
Ryan fronça les sourcils.
— Ça pourrait être dangereux de se charger de leur cas maintenant, non ? dit-
il. Les projecteurs sont tous dirigés vers vous, le moindre faux pas ou la moindre
suspicion à votre encontre pourrait tout foutre en l’air, vous ne croyez pas ?
J’acquiesçai alors que l’Écossais marmonnait dans sa barbe un truc qui
ressemblait à un « je t’en pose des questions, moi ? » Je levai les yeux au ciel.
Décidément, Nick, comme Aiden, ne se ferait jamais à la présence de Ryan.
— C’est très pertinent, répondis-je en lui posant une main sur l’épaule. Nous
ne ferons assurément rien qui puisse envoyer valser tous les efforts fournis par
les lycans et les surnaturels depuis la Révélation. N’est-ce pas Nick ?
L’intéressé maugréa de nouveau, je soupirai devant son air renfrogné. Il
n’allait pas abandonner, et certainement pas en rester là.
— Je vais rendre visite à Rocky aujourd’hui, continuai-je en fourrant dans ma
bouche une cuillère de céréales, histoire de voir s’il n’a pas des informations
concernant les extrémistes.
Nick faillit s’étouffer avec son café. Il avala de travers, toussa jusqu’à en
avoir les joues rouges, et se tourna vers moi pour me fusiller du regard alors que
tout le monde le dévisageait avec insistance.
— Tu ne quittes pas cette maison, Evans ! dit-il, catégorique. Tu n’es pas en
sécurité seule dans les rues, les extrémistes sont prêts à tout pour s’en prendre à
toi. La preuve, tu as failli te faire tirer dessus lors d’une conférence de presse
pourtant étroitement surveillée !
J’arquai un sourcil et m’appuyai contre le dossier de ma chaise sans le quitter
des yeux.
— Personne ne sait que j’ai des relations à Rogers, répliquai-je calmement en
posant mon bol de Lucky Charms sur mon ventre rond. Je ne risque rien si je
vais au Teddy’s. J’y serai en sécurité, des sortilèges ont aussi été posés là-bas.
Kaja avait protégé tous les lieux où je passais le plus de temps : la ferme de
mon grand-père, le bar où je travaillais et même le supermarché où je faisais mes
courses ! Ma sage-femme sorcière attitrée, et mon amie désormais, n’avait rien
laissé au hasard et s’était assurée, sous la supervision de Nick, que je sois en
sécurité où que je puisse aller. Je ne risquais donc rien en allant manger un
burger avec Rocky au Teddy’s ! D’autant qu’Arlene, qui était heureuse de jouer
le rôle de grand-mère de substitution pour mon bébé, ne laisserait personne
toucher à l’un de mes cheveux. Elle était aussi protectrice que Nick !
— Je ne veux pas te voir dehors dans les prochains jours, décréta l’Alpha en
pinçant les lèvres. Le bébé veut sortir, il sera là très bientôt. Tu dois être auprès
des tiens, notamment auprès de moi lorsque tu mettras notre enfant au monde.
Que feras-tu si tu accouches au Teddy’s ?
— Il te faudra seulement quinze minutes pour arriver jusqu’à moi te
connaissant, lançai-je.
— Quinze minutes pourraient amplement suffire pour te coûter la vie, gronda-
t-il sourdement en découvrant les dents. J’ai envoyé un message à Kaja en me
levant ce matin, elle ne sera là que demain, ce qui signifie que pour le moment,
tu n’as pas de sage-femme à disposition pour t’aider à l’accouchement.
— Je n’ai pas l’intention de rester enfermée ici jusqu’à la fin de ma grossesse,
soupirai-je, je vais finir par devenir dingue si je ne peux pas voir Arlene, Al,
Rocky ou Dovie. Mon grand-père me manque, Teller.
Comprenant que ne pas voir mes proches me faisait véritablement de la peine,
Nick pencha la tête sur le côté en m’observant d’un air attristé. Son loup poussa
un couinement en percevant ma tristesse.
— Ils pourraient te rendre visite ici ? me proposa-t-il en posant une main sur
la mienne.
— Al déteste être ici, déplorai-je. La vie en communauté, ce n’est pas son
truc. Il ne ferait que grogner et demander à s’en aller.
Le roux fronça les sourcils, irrité, mais à la manière dont il tordait ses lèvres,
je sus qu’il allait craquer. Je savais bien que le regard de femme enceinte
attristée était capable de faire des miracles.
— Je serais bien venu avec toi, commença-t-il comme à contrecœur, mais
Mark me presse depuis plusieurs jours pour que je lui octroie une entrevue. Je ne
peux pas remettre ça à plus tard éternellement.
Je hochai la tête.
— Je comprends, Sam pourrait m’accompagner, dis-je en jetant un coup d’œil
au Gamma.
L’homme aux cheveux bruns esquissa un sourire.
— Rocky est sympa, répondit-il en haussant une épaule, et Arlene sera sans
doute ravie de me voir au bar.
Je ne pus m’empêcher de sourire en entendant ces mots. Ma patronne
semblait effectivement ne pas être insensible aux charmes ravageurs du beau
lycan, et cela malgré le fait qu’il aurait largement eu l’âge d’être son fils. Elle
flirtait comme une ado avec le loup-garou dès lors qu’il entrait dans son bar,
mais c’était bon enfant, rien de sérieux évidemment.
— Prends un autre Gamma avec toi en plus de Sammy, m’ordonna le
highlander en s’appuyant contre le dossier de sa chaise. Je ne veux prendre
aucun risque concernant ta sécurité.
— Je pourrais les accompagner ! intervint Max, le nouveau venu, avec
entrain. Ça fait des mois que je m’entraîne avec vous tous, et mon loup et moi
aimons beaucoup Poppy ! On pourra prêter main-forte à Sam si jamais il se
passe quoi que ce soit.
L’adolescent avait les yeux brillants, il était tellement enthousiaste et
volontaire que ça m’atteignit en plein cœur. Je souris et me tournai vers Nick. Je
ne fus pas étonnée de le voir réticent.
— Max, commença-t-il calmement, ton entraînement de Gamma ne fait que
commencer et il va te falloir des années pour perfectionner ton savoir-faire en
matière de combat. Les ennemis qui menacent ma compagne sont complètement
fous et prêts à tout pour faire le mal.
Le jeune lycan sembla déçu. Il baissa les yeux et retourna à ses céréales, la
mort dans l’âme. Je fronçai les sourcils et me redressai difficilement en appuyant
mes paumes contre les côtés de mon siège.
— Mais je suis sûre que tu t’en sortiras très bien, Max, ajoutai-je en faisant
les gros yeux à mon compagnon, le défiant de me contredire. Et puis, je ne cours
aucun risque en me rendant au Teddy’s. Ça te fera sortir comme ça et, tu verras,
Arlene fait de super burgers !
L’espoir renaquit dans le regard du jeune garou, son sourire s’évanouit malgré
tout quand il jeta un coup d’œil à son Alpha pour voir s’il était d’accord. Il parut
alors nerveux. J’avais beau être sa femelle Alpha, l’autorité de référence ici, à la
meute, c’était Nick. S’il disait non alors que je disais oui, ce serait quand même
non pour ses loups. Sauf s’ils faisaient preuve de bon sens et qu’ils n’avaient pas
envie que je leur mette une balle en argent dans le derrière ! Mais Max était
peut-être un peu trop jeune et un peu trop nouveau pour comprendre que la
femme enceinte que j’étais n’était pas pour autant sans défense, et que je pouvais
me montrer aussi féroce que mon mari. Je lui laissais quelques semaines pour le
comprendre.
Heureusement, Nick, qui n’était pas dénué de discernement, savait qu’il valait
mieux éviter de me contrarier. Aussi, il soupira longuement en comprenant que
je n’en démordrais pas, et hocha la tête à l’attention du jeune garçon.
— Très bien, marmonna-t-il d’une voix renfrognée. Néanmoins, au moindre
problème, vous m’appelez. Si vous sentez que quelque chose ne va pas, vous me
téléphonez et vous rentrez tout de suite à la maison. Est-ce que c’est clair ?
— Je ne sors jamais sans mon arme Red, répondis-je, je saurais me défendre
en cas de problème.
Le rouquin gronda. Je levai les mains en signe de paix lorsque, agacé, il laissa
échapper des émanations de domination qui firent augmenter la température
ambiante. Tous les loups autour de la table se raidirent devant la colère sourde de
leur chef.
— OK, OK… je t’appellerai, lui promis-je.
— Bien, se calma-t-il. Ne rentre pas trop tard, sinon je vais m’inquiéter.
J’acquiesçai. Nous terminâmes notre déjeuner tranquillement en bavassant de
choses et d’autres.
Sam, Max, Ryan et moi arrivâmes au Teddy’s aux alentours de 10 heures.
Nous poussâmes les portes du bar après nous être garés devant et fûmes
immédiatement accueillis par Arlene, qui avait entendu la voiture.
— Casper ! s’écria-t-elle en venant me prendre dans ses bras comme si je ne
l’avais pas vu depuis des mois. J’ai vu la conférence de presse à la télé !
Comment va Walter ?
Reculant d’un pas pour me laisser respirer, la quinquagénaire aux cheveux
flamboyants et aux vêtements colorés encadra mes joues de ses paumes et planta
ses yeux dans les miens. Elle avait l’air soulagée de me voir encore en vie, et en
forme. Arlene se faisait beaucoup trop de mouron à mon sujet. Comme la plupart
de mes proches d’ailleurs, inquiets à l’idée que je ne survive pas à
l’accouchement ou que je n’arrive pas à terme. Toutes ces attentions et cette
inquiétude constante me donnaient parfois envie de fuir à toutes jambes, histoire
de vivre la fin de ma grossesse tranquillement, sans pression. Je n’allais pas
mourir, et c’était frustrant de voir tout le monde agir comme si ça allait être le
cas.
— Walter va bien, rétorquai-je en me forçant à sourire, il est un peu en rogne,
mais ça passera dans quelques jours. Salut Dovie ! m’exclamai-je alors en
contournant ma patronne pour échapper à son regard doux.
Arlene avait le chic pour me dévisager comme si c’était la dernière fois
qu’elle me voyait. Ça me mettait mal à l’aise.
— Salut Pop ! me répondit la métamorphe en relevant les yeux du verre
qu’elle était occupée à nettoyer avec un torchon humide. Comment vas-tu ?
— Impec ! Rocky n’est pas encore arrivé à ce que je vois.
La brune secoua la tête, ce qui eut pour effet de faire voleter sa queue de
cheval qui descendait jusqu’au bas de son dos.
— Il ne devrait pas tarder, je vais te préparer un truc à boire.
— Tu es un amour.
En attendant l’arrivée de mon ami informaticien, mes camarades et moi nous
installâmes dans un coin du bar, autour d’une table en bois sur laquelle Dovie
plaça des cafés et un jus d’orange pour moi. Arlene et elle s’installèrent à nos
côtés ; nous discutâmes de tout et de rien pendant une bonne demi-heure avant
que Max ne prenne la parole pour me poser une question qui fit naître un sourire
sur mon visage.
— Comment vous êtes-vous rencontrés avec Nick ? me questionna-t-il après
qu’Arlene lui eut raconté des anecdotes sur mon mariage, le plus beau auquel
elle avait assisté selon elle.
Soutenant le regard curieux de l’adolescent, je sentis mon sourire s’élargir en
me remémorant la première fois que j’avais vu Nick. Jamais je ne pourrai oublier
ce que j’avais ressenti lorsque ses iris argentés s’étaient posés sur moi.
— C’est dans ce même bar que j’ai rencontré Teller, lui expliquai-je en
balayant la salle presque vide des yeux. J’avais 18 ans, je servais des bières
lorsqu’il est entré ici avec Loki et un autre des Gammas. À l’époque, il vivait au
Texas, et il était Lieutenant.
— Qu’est-ce qu’il venait faire en Arkansas alors ? s’enquit Dovie, très
attentive.
La panthère était assez fleur bleue sur les bords et raffolait des histoires
d’amour. Il suffisait de la voir pleurer devant des comédies romantiques pour le
comprendre. Elle paraissait tout aussi curieuse que Max de savoir comment j’en
étais arrivée à devenir la femelle Alpha de la Meute du Soleil. Ce qui pouvait se
comprendre. Après tout, j’étais partie pour devenir une chasseuse solitaire et
servir des whiskys dans un bar pour le restant de mes jours. Sans trop savoir
comment, j’étais devenue une femme comblée et je vivais avec des loups-
garous !
— Il venait pour Steven, leur dis-je en jetant un coup d’œil à Sam, qui serra
les poings et les mâchoires en repensant à son ancien camarade de meute.
La perte d’un ami et d’un camarade était très difficile pour les loups-garous,
qui étaient tous liés les uns aux autres par leur meute. La mort de Steven, qui
s’appelait en fait Jake Scott, avait été très compliquée à supporter pour les loups
de la Meute du Soleil. Ils avaient tous eu l’impression d’avoir manqué à leur
devoir, de ne pas avoir suffisamment protégé le gamin qu’ils avaient tous adopté.
La pilule était difficilement passée, et même encore aujourd’hui, il arrivait à mon
compagnon de se sentir coupable en repensant à Steven, qu’il retrouvait un peu
en Max.
Tous les membres de la meute se montraient très protecteurs envers le
nouveau venu. Ils veillaient à ce qu’il ne manque de rien, à ce qu’il se sente bien,
à l’aise et intégré. Ils faisaient également attention à ce que les journalistes ne lui
tournent pas autour, et à ce que les menaces qui pouvaient être émises à son
encontre sur les réseaux sociaux ne lui soient pas transmises. Tout ceci, c’était en
grande partie parce que le jeune garou leur rappelait le garçon disparu. Max,
comme Steven, était un ado ; son comportement faisait remonter des souvenirs
chez ses compères, qui ne voulaient surtout pas qu’une autre tragédie arrive à
l’un des leurs. Ce qui les poussait à se montrer plus attentifs.
— Steven ? répliqua Ryan.
Sam gronda. Repenser à tout ce qui s’était passé lors de la mort de Steven lui
faisait du mal.
— C’était un solitaire, annonçai-je, il est né à Détroit, sous le nom de Jake
Scott. Sa mère était très jeune et elle n’était pas capable de s’occuper
correctement de son fils. Son mari était alcoolique, et il avait un sale
tempérament. Jake a servi de punching-ball pour son géniteur pendant une bonne
partie de sa vie, mais un jour il en a eu assez, et il a pris la fuite. Il a quitté sa
meute sans prévenir, et de fil en aiguille, il s’est retrouvé ici, à Rogers. Al l’a
surpris en train de traîner autour de chez lui, et au bout de quelques jours, il lui a
proposé de venir à la ferme. Quand il a appris que Jake, qui se faisait alors
appeler Steven, était un lycanthrope, il a fait appel à Nick.
— Nick a accepté de l’intégrer à la meute, continua Sammy. Alors il est venu
ici à Rogers sous la demande du vieil Al.
— Il venait au bar pour parler de lui avec mon grand-père, poursuivis-je, ce
fut la première fois que nos regards se croisèrent. Nick a tout de suite su que
j’étais son âme-sœur, mais il ne m’a pas tout de suite Revendiquée. Il lui a fallu
quatre ans pour se décider, gloussai-je.
— Il voulait éviter que Poppy ne soit la cible de ses ennemis, lâcha le Gamma
quand Max demanda pourquoi cela lui avait pris autant de temps. Il avait peur
qu’elle soit utilisée contre lui, que quelqu’un s’en prenne à elle pour lui faire du
mal. Ceci dit, quand Steven a été assassiné et que Poppy est venue aider à
retrouver son assassin, Nick a décidé d’arrêter de lutter contre son besoin
d’union. Après tout, Poppy est son âme-sœur et on ne peut résister longtemps à
l’appel du lien.
Je souris, et caressai tendrement mon ventre. Sam avait raison, rien ne pouvait
se mettre en travers du chemin de deux âmes-sœurs, pas même le temps. Même
si quatre ans avaient été nécessaires à Nick pour qu’il se décide à faire savoir à
tous que j’étais sa compagne légitime, tout était rentré dans l’ordre.
— Steven a été assassiné ! s’écria Max, comme horrifié.
Je hochai tristement la tête.
— Par les sbires d’un homme appelé Hector Miller, acquiesçai-je. La mère de
Steven s’est suicidée peu après la fuite de son fils. Son mari a considéré que tout
était de la faute de Steven et qu’à ce titre, il devait payer pour la mort de son
âme-sœur. Il a engagé un tueur à gages, l’Alpha d’une meute illégale, pour se
charger de son cas. Comme Hector avait en plus une dent contre Nick, et qu’il
cherchait depuis des années à se venger de lui pour de vieilles querelles passées,
il a sauté sur l’occasion de s’en prendre à l’un de ses loups. Peu de temps après
ça, Hector s’en est pris à moi. Après de longues investigations et beaucoup
d’énergie dépensée, nous sommes parvenus à l’arrêter. En ce qui concerne le
père de Steven, Nick m’a affirmé s’en être chargé. Je ne lui ai jamais demandé
aucune explication à ce sujet. Un Alpha se réserve le droit de venger l’un des
siens si nécessaire.
Mes amis installés autour de la table hochèrent la tête en signe d’assentiment ;
je bus une gorgée de mon jus d’orange. Toute cette histoire me semblait dater
d’une éternité, alors que ce n’était qu’il y a deux ans et des brouettes. Mais de
l’eau avait coulé sous les ponts depuis, et tout ça était derrière moi, derrière
nous.
— Comment un loup peut-être l’âme-sœur d’une humaine ? s’interrogea alors
l’adolescent.
Quand Sam grogna, le jeune homme écarquilla les yeux.
— Oh, excuse-moi Poppy ! Je ne voulais pas dire que votre union n’était pas
légitime ou…
Je ne pus m’empêcher de pouffer devant son air désolé, presque affolé.
— Rassure-toi Max, il n’y a pas de mal, et je sais que ce n’était pas ton
intention. Beaucoup m’ont déjà posé la question et pour être honnête, je n’ai pas
de réponse à t’apporter, si ce n’est que l’amour n’a pas de frontière et que la
nature ne décide pas de relier deux âmes en fonction de leur race. Je ne suis pas
une louve, et je doute pouvoir en devenir une un jour, mais Nick n’en reste pas
moins mon âme-sœur. Nous sommes faits l’un pour l’autre.
— J’aimerais bien connaître une telle connexion avec ma compagne plus tard,
soupira Max. Il ne doit rien exister de plus beau que de savoir qu’on a trouvé
notre moitié, celle ou celui qui nous acceptera tel qu’on est, avec nos défauts,
nos qualités, notre passé…
Un voile traversa le regard du garçon lorsqu’il parla de son passé. La douleur
qu’il ressentit alors traversa le lien de meute, nous frappant de plein fouet Sam et
moi. Nous échangeâmes un regard et posâmes respectivement nos mains sur son
épaule et son bras.
— Ne t’en fais pas Max, je suis sûre que tu rencontreras un jour une fille qui
t’acceptera avec tes bagages, aussi lourds soient-ils. Ça fait partie du deal :
quand on aime, on aime sans concession.
Il sourit.
— Heureusement, pour le moment, je préfère me concentrer sur mon
apprentissage de Gamma. J’aimerais vraiment arriver au bout de la formation.
Arlene porta sa tasse de café à ses lèvres parfaitement maquillées, puis braqua
sur l’apprenti Gamma un regard plein de compassion.
— Je suis sûre que tu y arriveras mon grand, tu es bien entouré, je ne me fais
pas de souci là-dessus.
Max passa une main dans ses cheveux ébouriffés de couleur sombre, un petit
sourire timide aux coins des lèvres.
— Oui j’ai de la chance d’avoir été aussi bien accueilli par vous tous, dit-il.
— Tu fais partie de la famille maintenant, affirma Sammy en croisant ses bras
contre son torse, prendre soin de toi c’est notre devoir.
Max parut soudain mal à l’aise, il se gratta la nuque.
— Ouais, mais je n’aimerais pas que les extrémistes ou même d’autres
créatures s’en prennent à vous à cause de moi, souffla-t-il. Vous savez, je ne suis
pas stupide. Je sais que la vidéo a créé un véritable raz de marée, et que
beaucoup m’en veulent personnellement pour avoir été l’instrument qui a servi à
révéler notre existence au monde. Je sais que certaines meutes de loups en
désaccord avec la Révélation vous ont envoyé des menaces et exigent qu’on me
remette à eux sous peine de vous voir attaqués. Je n’ai pas envie que vous me
serviez d’armure contre eux. Pas en plus alors que tu vas bientôt accoucher,
Poppy.
Je fronçai les sourcils et inspirai un grand coup.
La Révélation avait fait naître des rébellions et des oppositions chez les deux
camps : chez les humains comme chez les surnaturels. Et oui, certains en avaient
après Max, qu’ils jugeaient responsable de tout ce cirque médiatique. Mais
aucun des supra-humains n’était assez bête pour mettre ses menaces à exécution
nous concernant. Nick était plus dangereux que jamais, boosté à bloc par la
nouvelle condition des siens et par l’arrivée future de son héritier, ou héritière.
Personne de sain d’esprit n’attaquerait Nikolas Teller maintenant, ce serait du
suicide. Les seuls que nous avions à craindre, c’était les humains, car ils étaient
stupides et irréfléchis. Mais chaque chose en son temps. Nous faisions tout ce
que nous pouvions pour éradiquer la menace que les extrémistes représentaient,
et même si ça allait nous prendre du temps, nous finirions par obtenir gain de
cause. Nous étions déterminés.
— Max, dis-je en plongeant mes iris dans les siens, tu es l’un des nôtres
désormais, et si quelqu’un en a après toi, c’est à nous qu’il devra se frotter. Les
membres d’une même meute se serrent les coudes et nous faisons face à
l’adversité tous ensemble. La haine devrait finir par s’apaiser un jour ou l’autre.
En tout cas, nous allons tout faire pour que la colère des uns et des autres se
calme, ça je peux te l’assurer.
— En tout cas, renifla Arlene en croisant les bras contre sa poitrine généreuse,
il n’y a pas intérêt à ce que je voie l’un de ces trouducs’ vous chercher des
noises, parce qu’il va se retrouver avec une balle enfoncée bien profondément
dans le rectum, ça je vous le dis !
— Si je ne l’ai pas lacéré de mes griffes avant, renchérit Dovie en lorgnant ses
ongles.
— Ou si je ne l’ai pas étranglé avant, concéda Ryan en hochant la tête.
Je souris, touchée par l’entrain de mes amis.
— Tu vois Max, lança Sam en s’étirant comme un chat, la famille passe avant
tout ici. Et gare à l’abruti qui aura l’audace de venir s’en prendre à l’un des
nôtres ! Il serait réduit en miettes avant même d’avoir eu le temps de lever le
petit doigt.
Pour appuyer son propos, le loup montra les crocs, et nous laissa entrevoir les
yeux jaunes de son loup. Tout avait été dit.
5
Rocky Garcia était un vieil ami. Un des seuls avec qui j’avais grandi. Je
l’avais toujours connu, nos parents ayant été voisins et camarades de chasse
pendant des années. Nous avions passé beaucoup de temps tous les deux quand
nous étions enfants. Et aussi loin que je m’en rappelais, j’avais toujours trouvé
Rocky différent, spécial. Il était très intelligent, trop pour être complètement à
l’aise en société, ce qui expliquait son besoin constant de solitude. Très vite, ses
parents avaient compris qu’il n’était pas fait pour la chasse. Mon ami était un
intellectuel, il réfléchissait énormément, il était doué pour la théorie et la
programmation, un peu moins pour le terrain. Rocky n’était pas un bon chasseur
à proprement parler ; le sang, la mort, toutes ces choses le répugnaient et il
n’avait jamais aimé se servir des armes à feu ou se battre au corps à corps. Alors
à la place, il avait préféré suivre la voie de ses parents sans pour autant
emprunter le chemin traditionnel. Il ne traquait pas sur le terrain, mais aidait les
chasseurs en récoltant des informations sur leurs proies, et cela en mettant à jour
continuellement la base de données qu’il avait lui-même créée. Celle-ci
rassemblait tout un tas d’informations sur les créatures dont nous devions nous
méfier. Il cherchait dans les journaux des affaires étranges sur lesquelles nous
devions nous pencher et qui s’avéraient généralement avoir un rapport avec le
surnaturel. En clair, Rocky était indispensable aux traqueurs de Rogers, qui
comptaient beaucoup sur lui et qui avaient fini par l’accepter malgré sa
différence.
Je n’avais pas vu Rocky depuis plusieurs semaines. Bien sûr, je l’avais eu au
téléphone, car nous nous appelions au moins deux fois par semaine depuis que
j’avais déménagé chez mon grand-père à mes 14 ans. Mais le revoir me mit du
baume au cœur. Un large sourire se forma sur mon visage dès lors qu’il poussa
les portes du Teddy’s, les bras chargés de sacs de shopping.
— Garcia, je ne te savais pas accro aux fringues ! s’exclama Sammy en le
voyant arriver dans notre direction.
Le jeune homme aux cheveux noirs qui venait de faire son entrée dans le bar
s’arrêta à hauteur de notre table et m’adressa un grand sourire. Je me levai pour
le prendre dans mes bras.
— Aux vêtements, pas vraiment, répondit-il quand je le relâchai, mais les
vêtements de bébé, ça c’est une autre histoire ! Depuis que je sais que je vais
devenir parrain, je ne cesse de faire les boutiques pour gâter le petit chasseur qui
va voir le jour.
En entendant ces mots, Sam et Ryan s’indignèrent simultanément, ils
poussèrent des exclamations en se redressant sur leurs chaises.
— Ce sera moi le parrain ! gronda le Gamma en montrant les crocs.
Ryan lui lança un regard courroucé.
— Non, ce sera moi, intervint-il.
— J’ai entendu dire que Nick aimerait que ce soit Loki, plaida Max en se
grattant l’arcade.
— Ce n’était pas supposé être Mark ? renchérit Dovie.
Je soupirai, puis haussai les sourcils en me rasseyant lourdement. Toute cette
histoire de parrain et marraine n’allait pas être une mince affaire. Tous les
membres de la meute voulaient recevoir cet honneur, tout comme mes proches
amis chasseurs d’ailleurs. Dave et Don avaient bien failli se taper dessus un soir
pour savoir qui serait le parrain du bébé. Ils avaient beaucoup trop bu et cela
avait bien failli mal finir si Bram et Seth, chargés de ma sécurité ce jour-là,
n’étaient pas intervenus pour calmer le jeu. Cette grossesse prenait des
proportions démesurées.
— Nous n’avons pas encore déterminé qui serait le parrain, lâchai-je
soupirant, ni la marraine d’ailleurs. Nick et moi n’avons pas encore statué sur ce
point.
Rocky gloussa, il posa tous ses paquets à côté de ma chaise.
— Au moins, nous savons qui ne sera pas sur la liste des potentielles
marraines…, pouffa-t-il en s’installant sur la chaise précédemment occupée par
Arlene.
Ma patronne nous avait délaissés quelques minutes plus tôt pour s’affairer
derrière les fourneaux et préparer nos burgers.
— Tu parles sans doute de mes sœurs, compris-je en interceptant le coup
d’œil qu’il lança dans ma direction.
— Tout juste. Il paraît qu’elles ne t’ont même pas appelée quand la nouvelle
s’est propagée.
Je souris. Un sourire amer qui fit froncer les sourcils des deux lycans qui
m’accompagnaient et qui sentaient probablement mes ressentiments à l’égard de
mes frangines. Dovie pencha la tête sur le côté en m’observant attentivement.
Elle ne connaissait pas mes sœurs, tout comme les membres de la meute
d’ailleurs, qui avaient eu la chance de ne jamais les croiser.
— Oh elles m’ont appelée, répliquai-je en relevant la tête, un soir, alors que
Nick et moi étions sur le point de nous coucher. Mais pas pour nous féliciter,
ajoutai-je, pour se plaindre.
— Se plaindre ? répéta Ryan, curieux.
Lui les connaissait, et il savait à quel point nous nous entendions mal, elles et
moi. Nous étions trop différentes pour qu’il en soit autrement.
Mes sœurs n’avaient jamais témoigné aucun intérêt pour la chasse, elles
étaient soudées et avaient toujours rêvé de s’en aller quand elles étaient plus
jeunes. Elles ne m’avaient jamais aidée face à la colère de mon père, et pour ça,
je ne leur en voulais pas vraiment. Nous étions jeunes, et mon géniteur était
violent. Toutes deux avaient trouvé un moyen de se protéger de sa folie, et elles
s’étaient refermées sur elles-mêmes, prenant la poudre d’escampette dès qu’il
leur avait été possible de le faire. Désormais, l’une d’elles, Lizzie, était mariée,
et vivait dans l’Oklahoma avec son époux et ses deux enfants. L’autre, Katty,
s’était fiancée il y a peu, pour ce que j’en savais. Les jumelles vivaient proches
l’une de l’autre, loin, très loin de la chasse et des créatures surnaturelles.
— Des journalistes ont tapé à leurs portes pour tenter de leur soutirer des
informations sur moi, expliquai-je. Mon identité n’est un secret pour personne et
les reporters cherchent à savoir le maximum de choses sur la jeune femme que je
suis. Donc bien sûr, ils cherchent tous à obtenir des interviews de mes proches
ou des membres de ma famille pour savoir quel genre de personne je suis. Elles
n’étaient pas très contentes.
— Tous des charognards, marmonna Dovie en fronçant les sourcils.
Je haussai une épaule.
— Il faut bien qu’ils gagnent leur vie. Pour le moment, ce sont les articles sur
la Révélation qui rapportent gros, et tout le monde veut sa part du gâteau. Je ne
suis pas étonnée de les voir essayer de chiper le plus d’infos possible sur les
différentes têtes d’affiche de cet événement historique.
— Tu n’as pas peur que ton père soit interrogé ? me questionna Sammy. Cet
enfoiré pourrait raconter des saletés sur toi pour tenter de ternir ton image auprès
des médias.
Je ricanai.
— Je ne crois pas qu’il s’y risquera, répondis-je, Al lui a rendu une petite
visite quelques jours après que l’existence des créatures a été révélée. Il
souhaitait le mettre en garde, et lui dire que si jamais il voyait une seule
déclaration calomnieuse à mon encontre venant de lui dans les journaux, il lui
ferait la peau lui-même.
Les hommes réunis autour de la table hochèrent la tête de concert en signe
d’approbation.
— Al est très soucieux de ton bien-être, constata la métamorphe en souriant.
Il t’aime profondément, ça se voit.
Je souris. Al, derrière son air bourru, était très consciencieux, et faisait
particulièrement attention à mon bien-être. À bien des égards, je le considérais
plus comme mon père que comme mon grand-père. Il m’avait élevée, appris tout
ce que je savais et je lui en serai toujours reconnaissante.
— Al est un vieux grincheux, déclara Arlene en revenant en salle, un plateau
dans les mains. Mais il aime Poppy de tout son cœur, il n’a d’ailleurs aucun mal
à le reconnaître. Quiconque oserait toucher aux cheveux de sa petite fille se
verrait frapper par son courroux.
La patronne du Teddy’s déposa devant nous des assiettes pleines. L’odeur
alléchante des burgers et des frites me chatouilla les narines, je me mordis la
lèvre inférieure en attrapant la bouteille de ketchup qui trônait au centre de la
table.
— Je me suis renseigné sur la fusillade de la conférence de presse, lança alors
l’informaticien en retrouvant tout son sérieux.
— Tu as trouvé quelque chose ? s’enquit le Gamma.
Rocky fronça les sourcils.
— Disons que de nombreux groupes d’extrémistes sur Facebook revendiquent
l’attaque qui a eu lieu à Little Rock, démêler le vrai du faux est difficile. Les
vrais extrémistes, je ne parle pas des adolescents et des trolls qui commentent sur
les réseaux sociaux uniquement pour insulter les supra-humains, sont prudents.
Ils utilisent des adresses IP volées et des VPN{1} pour mener les investigateurs
sur de fausses pistes. Les trouver sera compliqué, mais quelque chose me
chiffonne un peu.
Je fronçai les sourcils et reposai le hamburger dans lequel je m’apprêtais à
mordre.
— Quoi donc ?
Rocky parut soudain mal à l’aise, il se gratta la nuque.
— Eh bien, c’est juste que j’ai réussi à entrer dans un forum privé réservé aux
opposants des supra-humains. Je n’y suis pas resté longtemps, le site a
rapidement été désactivé quand le gérant s’est rendu compte qu’il y avait un
intrus, mais suffisamment en tout cas pour m’apercevoir que je connaissais
certains des pseudos.
— Comment ça ?
— Eh bien, certains des pseudos qui étaient utilisés sur ce forum par des
utilisateurs de celui-ci étaient les mêmes que ceux de certains chasseurs qui se
servent de notre base de données.
Sam et moi échangeâmes un regard en coin.
— Tu veux dire que… que des chasseurs pourraient faire partie des
extrémistes ? me risquai-je, révulsée par cette idée.
Je n’étais pas sans savoir que les traqueurs n’étaient pas les meilleurs amis
des créatures surnaturelles. Après tout, nous étions là pour botter le cul des êtres
récalcitrants qui mettaient en danger les êtres humains, et jusqu’alors,
l’anonymat de ces créatures. Ça pouvait être agaçant parfois, nous devions
toujours être disponibles pour exécuter les sales besognes, nous en prenions
plein la tronche, nous n’étions que rarement remerciés et parfois, il nous arrivait
de nous retrouver pourchassés par des proches des créatures que nous avions
vaincus. De ce fait, j’étais au courant des rancunes que certains chasseurs
pouvaient avoir à l’égard des surnaturels. Néanmoins, de là à imaginer que des
collègues pouvaient se rallier à des tarés comme les extrémistes, je ne pouvais
pas le croire ! Mes semblables étaient bourrus, mais ils n’étaient pas des racistes.
— Je ne sais pas Poppy, me répondit Rocky, l’air gêné. Je vais faire de mon
mieux pour me renseigner là-dessus et te tenir au courant. Mais tu sais aussi bien
que moi que les coïncidences n’existent pas, et nous savons aussi bien l’un que
l’autre que beaucoup des nôtres mûrissent depuis des années des ressentiments
profonds à l’égard de créatures de toutes races.
— Peut-être que certains profitent du fait que les créatures soient enfin à
découvert pour s’en prendre à elles, proposa Ryan.
Je gardai le silence, pensive. Je ne pensais aucun chasseur du coin capable de
s’allier avec des enfoirés semblables à celui qui avait tenté de nous assassiner
lors de la conférence de presse. Mais il y avait des chasseurs partout, et j’en
connaissais plusieurs que la traque avait fini par ronger au point de les rendre
légèrement cinglés. Ceux-là pouvaient-ils œuvrer pour la chute des surnaturels ?
Je n’étais pas sûre de vouloir le savoir. Car si c’était vrai, quelqu’un allait devoir
se charger de leur cas, et je n’avais aucune envie de tuer un autre chasseur. Billy
m’avait suffi.
— Ne te fais pas trop de bile pour ça Poppy, me conseilla Dovie en posant
une main sur mon épaule, me tirant ainsi de mes pensées. Quoi qu’il puisse
advenir, nous ferons face tous ensemble. D’autant que, même si des chasseurs
sont impliqués dans les actions des extrémistes, les nôtres sont décidés à
s’intégrer, à faire leur place maintenant qu’ils ne sont plus obligés de se cacher.
Ils ne laisseront pas des groupes d’individus complètement toqués foutre en l’air
ce que nous avons mis si longtemps à mettre en place. Ça ne change rien.
Bien au contraire, cela changeait tout.
Les humains lambda n’étaient pas suffisamment entraînés, concis et
organisés, pour faire suffisamment de mal autour d’eux. Ils en faisaient, ah ça
oui ! Mais l’impact de leurs assauts répétés n’était pas très important, et les
supra-humains visés finissaient toujours par s’en remettre. Grâce au Ciel ! Les
chasseurs, c’était une autre paire de manches. Nous étions tous des tueurs nés,
des individus entraînés pour agir avec efficacité et toujours viser juste. Les
nôtres étaient précis dans leurs attaques, particulièrement disciplinés, et ils
avaient un sang froid sans pareil. Si tuer une créature surnaturelle était difficile
pour les humains, pour nous, les traqueurs, c’était une habitude. De ce fait, si
certains d’entre eux trempaient dans ces magouilles infâmes et fricotaient avec le
mal, alors nous avions du souci à nous faire. Ils allaient nous donner du fil à
retordre, et les arrêter pourrait s’avérer compliqué. Car lorsque nous avions
quelque chose en tête, nous ne l’avions pas ailleurs, malheureusement.
Refusant néanmoins de céder à la panique, afin d’éviter de me créer du stress
inutile et d’agiter mon bébé, je souris à la brune et mordis dans mon burger sans
rien ajouter. Mais je n’en pensais pas moins à l’intérieur, et prévoyais déjà de
remettre ma casquette de chasseuse. Celle-ci, je l’avais laissée de côté quelques
semaines plus tôt pour me concentrer sur ma grossesse, et m’éviter de prendre
des risques tant que mon enfant n’était pas sorti de mon ventre. Mais afin de
découvrir la vérité, j’allais devoir faire ce que je savais faire de mieux : chasser.
Et cette fois, ma cible n’était autre que mes propres camarades.
Un sourire étira mes lèvres. Je me rendis compte à ce moment-là, alors que je
préparais dans mon esprit la reprise du travail, que celui-ci m’avait manqué.
J’étais excitée, et très emballée à l’idée de mettre un terme à des mois d’accalmie
et de convalescence forcée. C’était une première !
Sam, Max et moi retournâmes à la maison après avoir passé une bonne partie
de la journée au Teddy’s. En compagnie de nos amis, nous avions discuté,
regardé tous les vêtements pour bébé que Rocky avait achetés, et avions ri en
voyant les affaires excentriques et unisexes qu’il avait choisies. Je l’avais
remercié pour toutes ces attentions, et lui avait fait promettre de me tenir au
courant avant de m’en aller.
Le trajet jusqu’à Springdale fut tranquille. Sam roula prudemment, attentif à
ce qui se passait sur la route et aux alentours, de crainte sans doute que notre
véhicule soit attaqué par des tarés qui auraient pu nous suivre. Il poussa un
profond soupir de soulagement quand nous nous garâmes devant la villa
principale du territoire.
— Mark est encore là, remarqua-t-il en lorgnant l’immense Jeep rutilante à
côté de laquelle nous nous étions immobilisés, c’est étonnant.
Mark Teller était le frère aîné de mon compagnon, l’Alpha de la Meute Sirius
et nouveau Lieutenant du Sud. Il avait été nommé à ce poste par mon mari, qui
n’avait vu personne d’autre de mieux placé pour veiller à la sécurité des loups-
garous de la zone sud des États-Unis. C’était moi qui lui avais soufflé l’idée, et
je n’en étais pas peu fière. Mark était un bon Alpha, il était très dominant,
comme tous les membres de la famille Teller, et il prenait soin des membres de
sa toute nouvelle meute. Alors même si Nick avait hésité à le promouvoir au
rang de Lieutenant, de peur que certains voient cela comme du favoritisme,
j’avais plaidé la cause de Mark, certaine qu’il était l’individu parfait pour
endosser de telles responsabilités. D’autant que mon beau-frère était un homme
de confiance, à qui j’aurais confié ma vie sans aucune hésitation. Il était un atout
de taille pour la société lycane, et surtout pour la politique menée par Nick.
L’avoir dans notre manche du côté du sud était une bonne chose, et un choix
stratégique judicieux.
— D’habitude, il ne traîne pas quand il a des affaires à gérer ailleurs, rajouta-
t-il en allant récupérer dans le coffre les sacs de shopping que nous avait remis
l’informaticien.
Max se racla la gorge pour attirer notre attention, nous nous tournâmes vers
lui.
— Hum, j’aimerais essayer de trouver Bram pour voir s’il ne veut pas
s’entraîner un peu avec moi, dit-il, les joues légèrement rougies par la gêne. Ça
ne vous dérange pas si je ne vous accompagne pas à l’intérieur ?
Sam esquissa un sourire en me coulant un regard en coin. Je penchai la tête
sur le côté en observant l’adolescent.
— Pas le moins du monde Max, lui assurai-je, va. Bram sera content de
continuer ton apprentissage.
Le jeune loup hocha la tête, allégé d’un poids, et nous remercia avant de
tourner les talons, filant au pas de course vers la forêt. Nous restâmes un moment
plantés là, à le regarder s’éloigner. Ce fut Sam qui rompit le silence.
— Il n’est pas encore tout à fait à l’aise avec l’idée d’être libre, soupira-t-il,
les mâchoires serrées.
J’acquiesçai.
— Il va lui falloir du temps pour accepter son passé et tirer un trait sur des
années d’esclavages suivies de mois de solitude. Mais je ne m’en fais pas trop
pour lui, Max est un garçon solide et il semble très heureux d’être ici. Nous
l’aiderons à s’épanouir.
Le Gamma inspira un grand coup. Je posai une main sur son bras.
— Allez Sammy, allons voir ce que Mark avait de si important à dire à Red.
6
J’entrai sans frapper dans le bureau de mon mari, privilège offert par la
marque de Revendication qui décorait mon cou. Nick releva immédiatement la
tête, sachant qu’il s’agissait de moi et m’étudia attentivement lorsque je refermai
la porte derrière moi.
— Tout s’est bien passé ? me demanda-t-il d’un ton grave.
— Évidemment, je t’avais dit qu’il n’était pas nécessaire de se faire du
mouron.
Ignorant l’air renfrogné de mon compagnon, je me tournai vers Mark, qui se
levait de son siège pour venir m’embrasser. Le grand brun aux yeux gris se
pencha sur moi après m’avoir rejoint en deux enjambées seulement. Il entoura
mes épaules de ses bras musclés pour me serrer contre lui. Il avait le sourire
jusqu’aux oreilles, ce qui faisait ressortir la grande cicatrice qui barrait sa joue
droite. Contrairement à Nick, Mark souriait beaucoup, et malgré son allure de
gros dur et son bon mètre quatre-vingt-dix-huit, il avait toujours l’air avenant.
— Evans ! s’exclama-t-il en me frottant le dos. Je suis ravi de te voir en
forme, j’avais peur que tu ne sois alitée pour la fin de ta grossesse.
Je grommelai en me détachant de lui. Alitée ? Et puis quoi encore ?
— Je me serais sans doute servie de mon Glock pour me tirer une balle dans
la tête si j’avais été contrainte de rester couchée pendant des semaines, répliquai-
je en fronçant les sourcils.
L’Écossais assis à son bureau poussa un grognement menaçant en entendant
ces mots. Loki esquissa un sourire qui échappa à son Alpha, mais pas à moi.
— Du calme Teller, repris-je en allant saluer le premier Gamma de Mark qui
l’avait accompagné, si je suis encore capable de râler, tu n’as pas à t’inquiéter.
— Comment s’est passé la rencontre avec Rocky ? me questionna-t-il en
mettant de côté ma réplique moqueuse. A-t-il pu t’en dire plus sur les
extrémistes qui veulent notre peau ?
Je soupirai et me laissai tomber dans l’un des fauteuils en cuir face à lui.
— Malheureusement non. Ces enfoirés sont organisés et protègent bien leurs
arrières, ils utilisent de nombreux stratagèmes pour maintenir leur identité
secrète. Mais il bosse sur la question et, avec l’aide de Logan, il tente de percer
leurs défenses pour les trouver. Ce n’est qu’une question de temps.
Je préférais garder pour moi les révélations sur les chasseurs qu’il m’avait
faites tant que je n’avais pas plus d’informations à ce sujet. Nick ne deviendrait
que plus paranoïaque s’il savait que des traqueurs pouvaient être impliqués dans
les actions de groupes d’extrémistes. Je pouvais dire adieu à ma liberté s’il
venait à l’apprendre trop tôt.
— Ces contestataires sont une plaie, marmonna Mark en prenant place à mes
côtés. Mais nous savions que la Révélation apporterait son lot d’opposants, nous
y étions préparés.
— Oui, mais il n’empêche que les avoir dans les pattes commence à me taper
sur le système, grogna Nick en passant une main dans sa masse de cheveux
cuivrés. Ils se montrent de plus en plus agressifs et beaucoup de supra-humains,
surtout des métamorphes, se font attaquer gratuitement. La sécurité des miens est
primordiale, et si nous ne parvenons pas à mettre la main sur eux, je vais finir
par perdre patience. Surtout avec la nouvelle que tu viens de m’annoncer.
Ma curiosité s’éveilla brusquement. Je me redressai légèrement sur mon
fauteuil.
— Quelle nouvelle ? m’enquis-je en me tournant vers l’aîné des Teller.
Les deux frères échangèrent des regards nerveux, tout comme Loki et Danny,
le premier Gamma de Mark d’ailleurs. Je fronçai davantage les sourcils devant
leur réticence à me confier leurs affaires.
— Qu’est-ce que vous me cachez tous les quatre ? lançai-je en plantant mes
pupilles dans celles de ma moitié.
L’intéressé se racla la gorge.
— Poppy, commença-t-il aussi calmement que possible, tu ne devrais pas te
préoccuper des histoires de la société surnaturelle pour le moment. Ça ne fera
que te causer du souci, et dans ton état, ce n’est pas…
— Pour la millième fois Nikolas je ne suis pas malade, je suis enceinte !
maugréai-je, furieuse d’être traitée comme une petite chose fragile. Je sais
parfaitement gérer mes émotions, alors au lieu de me couver comme si j’étais un
œuf en verre, dis-moi de quoi il en retourne avant que je ne me fâche pour de
bon !
Je ne pouvais pas blâmer Nick d’être si inquiet pour moi, il avait connu
plusieurs humaines qui n’avaient pas survécu à leur accouchement et il ne
voulait pas que ça m’arrive. OK, je le comprenais. Mais bon sang, qu’est-ce que
ça pouvait être énervant d’être surprotégée au point de devoir hausser le ton pour
être tenue informée des affaires importantes de sa propre communauté ! Je
n’avais jamais été une assistée, j’étais une jeune femme indépendante qui savait
prendre soin d’elle, merde ! Quand allait-il enfin le comprendre ?
— Très bien, souffla-t-il, soucieux de ne pas me mettre en colère. Dis-lui tout,
Mark.
L’Alpha de la Meute Sirius s’installa plus confortablement dans son siège
avant de se tourner vers moi. Sa mine était fermée, grave, je sentais que ce qu’il
avait à me dire n’était pas anodin et que cela lui causait beaucoup d’inquiétude.
— Comme tu n’es pas sans le savoir Poppy, dit-il, je suis désormais le
Lieutenant du Sud, ce qui signifie que j’ai à ma charge la sécurité de tous les
habitants lycans de cette zone.
J’acquiesçai, impatiente qu’il en vienne aux faits.
— Depuis plusieurs semaines, poursuivit-il, je reçois des signalements de la
part d’Alphas locaux qui m’informent de la disparition de certains membres de
leur meute, ou même, pour certains, de leur propre progéniture.
Je pinçai les lèvres.
— Comment ça ? Des loups-garous disparaissent dans les environs ? C’est ce
que tu veux me dire ?
Il fit un geste positif du menton.
— Oui, mais pas n’importe quels loups, tous les disparus sont des gamins
entre 7 et 16 ans. Je me suis entretenu avec plusieurs chefs de meute, j’ai
rencontré des familles dont les enfants avaient mystérieusement disparu à la
sortie de l’école ou lors d’une sortie au parc, parfois même alors qu’ils se
trouvaient simplement aux abords de leur territoire. Il semble on ne peut plus
évident qu’il s’agit ici d’enlèvements et non de simples fugues.
Serrant mes poings contre mes cuisses, je me tournai vers Nick pour croiser
son regard impassible.
— Tu es au courant de cette histoire depuis combien de temps ? l’interrogeai-
je, la gorge nouée.
Le simple fait d’imaginer des enfants innocents victimes d’enlèvement faisait
monter chez moi un dégoût profond qui tordait douloureusement mes entrailles.
Je ne supportais pas de savoir un gamin en danger, et ça depuis toujours. Ce
sentiment s’était renforcé à l’annonce de ma grossesse, comme si l’instinct
maternel me poussait à me montrer plus dure et sauvage à l’encontre des
agresseurs d’enfants.
— Presque trois semaines maintenant, avoua-t-il d’une voix rauque.
Je ne pus retenir une exclamation de colère mêlée à de l’incompréhension.
— Tu n’as pas jugé bon de m’en parler avant ? éructai-je. J’aurais pu me
charger d’enquêter, je suis douée pour les cas de disparition !
Le loup soupira.
— C’est bien ça le problème, tu aurais voulu t’occuper toi-même de cette
affaire, et je ne pouvais pas te laisser faire.
— Si tu n’avais pas envie que je m’en occupe moi-même, j’aurais demandé à
Al de s’en charger !
— Il est déjà au courant, répliqua mon âme-sœur en soutenant mon regard
furibond. Je lui ai fait part de la situation dès que j’ai appris pour les disparitions.
Al travaille main dans la main avec les différentes sociétés surnaturelles depuis
des années, et son savoir-faire est sans pareil. J’ai jugé bon de le prévenir, et de
le mettre sur le coup avec plusieurs de nos agents lycans, et Ryan, bien
évidemment, puisqu’il suit désormais ton grand-père comme son ombre.
Mon cœur rata presque un battement. J’ouvris la bouche sous le coup de la
surprise, mais ne parvins pas à parler tout de suite, comme sous le choc.
— Ryan savait ? finis-je par demander.
Il gronda.
— Oui.
— Qui d’autre était au courant ?
— Ça n’a aucune importance, trancha-t-il fermement. Désormais, toi aussi tu
sais. Mais je ne veux pas que tu te penches là-dessus. Nous nous sommes mis
d’accord pour dire que la traque était proscrite jusqu’à ce que tu aies mis notre
enfant au monde.
— Nous étions également d’accord pour ne rien nous cacher ! répliquai-je en
sentant la colère faire naître de petits frissons aux extrémités de mes doigts et de
mes orteils. Mais tu as encore jugé bon de me tenir à l’écart pour me ménager !
Une tension palpable se mit à grimper le long de mon corps rendu raide par la
rage. Je la sentis me chatouiller la nuque et faire dresser les petits poils que
j’avais à cet endroit. Je pris de profondes inspirations pour essayer de me calmer,
comme me l’avait appris Sombre lors des nombreux entraînements qu’il m’avait
donnés au tout début de ma grossesse, quelques jours après la bataille qui avait
fait rage sur le territoire de la meute. Je savais me contrôler, mais la force que
m’octroyait la présence de mon bébé ne rendait pas les choses faciles. Au
contraire, cela ne faisait qu’accentuer mon envie de sauter au cou de mon mari
pour l’étrangler.
— Calme-toi Poppy, m’intima le roux en percevant mon irritation bestiale,
mon devoir est de te protéger et de tout faire pour te permettre de donner
naissance à notre fils, ou notre fille, dans les meilleures conditions.
— Tu n’avais pas le droit de me tenir à l’écart d’une affaire comme celle-ci,
lui fis-je remarquer en me levant pour me mettre à faire les cent pas.
Bouger m’aidait à canaliser mon énergie débordante, j’avais envie de montrer
les dents et de tous les étriper pour leur sollicitude exacerbée. La chasseuse en
moi ne demandait qu’à s’insurger et à leur prouver à tous que je n’étais pas
qu’une pauvre petite chose délicate qu’il fallait à tout prix tenir à l’écart des
soucis des adultes.
Finalement, me tirer loin d’ici pour vivre la fin de ma grossesse
tranquillement n’était pas une si mauvaise idée.
— Combien d’enfants à ce jour ont disparu ? continuai-je en mettant de côté
mes ressentiments pour me concentrer sur ce qu’il y avait de vraiment important.
— Je ne veux pas que tu…
— Si tu refuses de me le dire, Nick, je me mettrai à chercher des réponses
moi-même, le coupai-je en croisant mes bras contre ma poitrine, tu as vraiment
envie que je me donne ce mal ? Toi qui sembles si soucieux de mon bien-être…
Le lycan montra les crocs, piqué par mon agressivité. La bête qui sommeillait
en lui n’aimait pas ma façon de me dresser face à eux. Après tout, il restait un
dominant qui ne supportait que difficilement les contestations.
— Ne joue pas à ça avec moi Evans, gronda-t-il dangereusement en signe
d’avertissement. Je veux bien te laisser aller au Teddy’s sous la protection de nos
Gammas, te laisser bouder quand tu n’as pas ta dose de chocolat chaud
quotidienne, mais je ne reviendrai pas sur ma décision cette fois. Il en va de la
sécurité de notre enfant et je ne te laisserai pas jouer avec elle comme tu le fais
généralement avec ta vie.
Ses paroles acerbes prononcées avec autant de véhémence à mon égard me
piquèrent au vif. Je me redressai lentement et laissai retomber mes bras le long
de mon corps.
— Nikolas, intervint Mark en voyant que les paroles de son cadet m’avaient
blessée.
— Reste en dehors de ça, Mark, le prévint le highlander sans me quitter des
yeux. C’est entre ma femme et moi. Je t’interdis de jouer avec la vie de mon
bébé Poppy, rajouta-t-il pour moi, cette fois.
Je fis de mon mieux pour ne pas lui montrer que ses mots me faisaient mal et
gardai la tête haute sans me démonter.
— En fait, ce qui t’inquiète, compris-je, ce n’est pas tant que je pourrais me
mettre en danger en fourrant mon nez dans des affaires de loups-garous, c’est
plutôt que je puisse mettre ton enfant, en danger c’est ça ?
L’Alpha écarquilla légèrement les yeux en comprenant où je voulais en venir,
son visage se défit presque aussitôt de l’animosité qu’il affichait jusqu’alors.
— Non ce n’est pas ce que j’ai dit, je…
— J’ai parfaitement compris merci, l’interrompis-je sèchement, profitant de le
voir déstabilisé pour attaquer à mon tour. Si tu crains que je ne sois pas
responsable au point de jouer avec la vie de ton bébé, alors je vais attendre les
quelques jours qu’il me reste avant de le mettre au monde pour me lancer dans
une chasse et pour jouer avec ma vie comme je sais si bien le faire généralement.
Oh que c’était un coup bas ! Ça, je le savais bien, je le compris en voyant son
visage se décomposer progressivement. Mais c’était plus fort que moi, quand je
me sentais attaquée, il n’était pas dans mon habitude d’encaisser les coups sans
les rendre. Ça me venait du mauvais caractère des Evans.
Sans lui laisser le temps de répondre, je tournai les talons, et sortis en trombe
du bureau, ignorant l’ordre qu’il me lança de revenir tout de suite. À la place, je
descendis les marches de l’escalier, traversai le couloir au rez-de-chaussée,
m’arrêtai à la cuisine et attrapai dans le frigo une brique de lait à la fraise avant
de partir comme une furie vers notre chambre à coucher. J’étais impatiente d’en
finir avec cette grossesse, histoire que tout le monde me lâche enfin la grappe !
Heureusement qu’elle n’avait pas duré neuf mois ! Je n’aurais jamais tenu aussi
longtemps.
J’entendis trois coups portés contre la porte des toilettes dans lesquelles je
m’étais enfermée pour pleurer discrètement, ou presque, et boire ma brique de
lait à la fraise. Ça faisait près d’une heure que je m’étais cloîtrée dans les w.c. de
la salle de bain pour laisser libre cours aux larmes provoquées par les hormones.
Dès que j’étais contrariée, mon corps avait besoin de me le faire savoir en me
faisait chialer comme une petite fille devant un bon vieux Bambi. Ça aussi,
j’avais hâte que ça se termine. Toute cette histoire commençait à me coûter cher
en mouchoirs !
— Poppy, ne m’oblige pas à défoncer cette porte, laisse-moi entrer, me
demanda mon compagnon, à court de patience.
Ça faisait au moins quinze minutes qu’il cherchait à me faire ouvrir la porte
de ces fichues toilettes, mais il était hors de question pour moi de le laisser me
voir comme ça, le visage dégoulinant de larmes injustifiées. Si j’avais eu une
raison de pleurnicher, ça aurait pu aider, mais je n’en avais aucune ! Tout était
une question de contrariété, Nick m’avait dit non et ça avait suffi pour me faire
exploser en sanglots sitôt la porte de la chambre refermée. J’étais épuisée par
mes propres sautes d’humeur. Grrr.
— Va-t’en ! criai-je en tirant un coup sec sur le papier toilette pour en
découper un morceau et me moucher bruyamment le nez.
La petite poubelle à côté des w.c. était pleine de mouchoirs usagés et de
papier toilette dont je m’étais servi pour me moucher une fois que j’avais
manqué de Kleenex. Assise par terre, recroquevillée dans le petit espace aux
murs et au sol en marbre, je ramenai mes jambes contre mon ventre rond et jetai
nonchalamment les morceaux de papier dont je venais de me servir. Cette crise
de larmes avait fini par me donner faim, j’entendis mon ventre grognasser de
mécontentement. C’était la cerise sur le gâteau !
— J’ai une part de gâteau au chocolat dans la main Poppy, m’appâta le
lycanthrope, qui savait comment y faire quand les hormones prenaient le dessus.
J’entends ton estomac crier famine d’ici, laisse-moi entrer.
— Tu peux te le mettre où je pense ton gâteau ! fulminai-je, pas décidée à me
laisser amadouer aussi facilement.
Mon mari marmonna un juron et tenta pour la centième fois de tourner la
poignée des toilettes. S’il s’acharnait contre elle de cette façon toutes les cinq
secondes, il allait finir par l’arracher et me condamner à l’enfermement éternel
dans ces toilettes en marbre noir.
— Evans, je commence à perdre patience, me mit-il en garde. Ouvre-moi
cette porte où je vais faire un carnage et l’arracher de ses gonds pour te sortir de
force.
— Tu n’oserais pas, tu risquerais de blesser ton bébé dans la volée.
Essuyant mon visage du revers de mes mains, je reniflai tristement et appuyai
ma tête contre le mur en laissant retomber mes jambes. J’étais fatiguée
maintenant, et je voulais qu’il me fiche la paix. C’était trop demander, un peu
d’intimité dans cette baraque de fous ?
— Poppy, soupira-t-il, comme abattu, c’est notre bébé, me corrigea-t-il, et je
ne voulais pas insinuer qu’il était plus important que toi à mes yeux, simplement
que je ne voulais prendre aucun risque vous concernant.
Je ne répondis rien, et fermai simplement les yeux. Comment allais-je bien
pouvoir sortir de cette maison et enquêter de mon côté sur les disparitions des
enfants lycans sans attirer l’attention de Nick s’il était tout le temps sur mon
dos ? N’avait-il pas un dossier à traiter au lieu de chercher à se racheter
bêtement ? D’autant qu’il n’avait rien à se faire pardonner, si ce n’était bien sûr
son manque de confiance en moi, et ses insinuations concernant mon
comportement irresponsable vis-à-vis de ma propre progéniture ! Chasser ?
Mais Poppy tu n’y penses pas ! Tu te fiches donc autant de la sécurité de notre
bébé ? Quelle mauvaise mère tu fais là !
Non mais quel enfoiré !
— Ne m’ignore pas, grogna-t-il.
Quand il vit que je ne répondais toujours pas, il jura plus fort cette fois, et
posa au sol ce qui me sembla être une assiette. Après quoi, je vis légèrement
tourner la poignée en métal sur le côté, quelques secondes avant que la porte ne
soit violemment tirée en arrière, et arrachée sans sommation.
Hébétée, je sursautai en me terrant dans mon coin. Je regardai la porte voler à
travers la salle de bain.
— C’est une très mauvaise idée de m’empêcher de venir te consoler Evans,
déclara le change-peau en réajustant ses vêtements.
Il parlait comme si tout était normal, comme s’il ne venait pas d’arracher une
porte – de cinquante kilos au bas mot – de ses gonds. Son air était calme, seules
ses joues légèrement rougies par la colère et ses muscles bandés à l’extrême
pouvaient laisser entrevoir la rage qui animait véritablement son corps. Il
récupéra la petite assiette qu’il avait laissée par terre, et entra dans les toilettes
pour venir se glisser tout contre moi. Je l’étudiai avec attention lorsqu’il s’assit
en soufflant.
— Tu viens de bousiller une porte à 1500 dollars, Nick.
— Elle se dressait en travers de mon chemin et m’empêchait d’accéder à ma
compagne. À quoi tu t’attendais, au juste ?
Je secouai la tête de gauche à droite, estomaquée.
— Tu as vraiment un grain, tu le sais ça ?
Au lieu de me répondre, le loup me tendit l’assiette à dessert sur laquelle se
trouvait une part de gâteau au chocolat qu’avait préparée Leah la veille.
— Je t’ai apporté à manger, dit-il d’un ton léger. Pour me faire pardonner.
Je plissai les paupières et examinai le gâteau d’un œil méfiant. J’avais faim,
mais l’accepter reviendrait à capituler, et je voulais lui montrer que son refus de
m’impliquer dans une affaire qui concernait directement la sécurité des
lycanthropes, donc de notre peuple, me mettait sacrément en rogne. Autant que
ses allusions concernant mon immaturité parentale.
Je relevai donc le menton et essayai tant bien que mal de me dresser sur mes
jambes pour me relever.
— Tu peux te le garder ton maudit gâteau.
Une moue boudeuse déforma les lèvres du chef de meute. Il posa l’assiette sur
le couvercle de la cuvette des toilettes et me retint par le bras pour m’empêcher
de m’en aller. Il bloqua l’encadrement de la porte de sa jambe, et me força à
rester collée contre lui, les fesses appuyées sur le sol. La chaleur de son corps me
réconforta presque immédiatement, apaisant la tempête qui faisait rage au fond
de moi.
— Ne sois pas en colère, me supplia-t-il presque.
— Trop tard.
— Je t’aime, Evans.
Je levai les yeux au ciel.
— Ça ne va pas te sauver cette fois.
Il grommela.
— Non, ce que je veux dire, c’est que je t’aime, et que ta sécurité est tout en
haut de mes priorités. Je n’aime pas quand tu vas à l’encontre de mes décisions
et de mes efforts pour te maintenir en vie. Ça me coûte beaucoup d’énergie de
canaliser la tienne, et Dieu seul sait à quel point tu en as ! Tu veux toujours
courir partout, aider le monde entier à gérer ses problèmes, en oubliant que tu es
toi-même humaine, et que porter secours aux autres te fatigue énormément,
même si tu refuses de l’admettre. Tu n’es pas en sucre, tu n’es pas malade, et je
sais que ça t’agace de nous voir te couver comme on le fait, mais à partir du
moment où nous te voyons te surmener, notre nature surprotectrice nous pousse
à prendre soin de toi. C’est rageant, je peux le comprendre, mais nous sommes
des loups-garous, et c’est un facteur déterminant dans l’équation.
— Votre algorithme me fout en rogne, j’ai envie de partir m’isoler sur une île
déserte pour échapper à votre inquiétude constante ! Arlene me traite comme si
j’allais mourir demain ! Elle n’arrive pas à me regarder sans avoir les larmes aux
yeux !
Le loup fronça le nez et serra les lèvres.
— Je vais finir par t’interdire d’aller au Teddy’s si ça continue comme ça,
marmonna-t-il.
— Tu fais exactement pareil, plaidai-je en plongeant mon regard dans le sien.
C’est frustrant et j’en ai marre ! Je voulais juste avoir un bébé, je pensais que ma
grossesse serait fantastique, paisible, que nous serions fous de joie à l’idée
d’avoir un enfant, mais je vois que je suis la seule à être calme et sereine. Tout le
monde me dévisage dès que mon bébé me donne des coups de pieds, prêt à
bondir pour défendre ma vie. C’est fatigant.
Nick garda le silence quelques instants, et enroula simplement mes épaules
d’un bras pour m’attirer à lui. Je résistai, mais ne luttai pas longtemps, sachant
pertinemment que ma colère était exacerbée par mes hormones de femme
enceinte. Ce n’était pas le moment de se fâcher l’un contre l’autre, surtout que
j’avais bien l’intention de lui tirer les vers du nez concernant cette histoire
d’enlèvement.
Aussi, je me laissai aller contre son large torse brûlant, et posai ma joue
contre sa poitrine. Il se détendit seulement lorsqu’il me sentit à sa merci totale,
soulagé de me voir à l’aise entre ses bras. Son loup s’en vit très satisfait.
— Je suis désolé, s’excusa-t-il, sincère. Je ne savais pas que tu souffrais
autant de la situation, je t’assure que je suis plein de joie et très fier de te voir te
dandiner avec ton ventre pr…
Je lui donnai une tape sur l’épaule pour le réprimander, il esquissa un sourire.
— Aïe.
— Premièrement, je ne me dandine pas, et deuxièmement, si tu avais
l’intention de dire que mon ventre était gros, tu vas te prendre mon poing sur le
nez.
Je n’avais pas énormément grossi durant ces cinq derniers mois, en tout et
pour tout, je n’avais pris que six minuscules petits kilos pour ma grossesse. Kaja
m’avait expliqué que c’était tout à fait normal, car le bébé puisait énormément
dans mes réserves. Malgré tout, mon enfant était en parfaite santé, et mon ventre
s’était bien développé. Ceci dit, je n’aimais pas trop qu’on me fasse remarquer
que je ne voyais plus mes pieds ! Après tout, j’étais encore une femme et je
voulais plaire à mon compagnon, qu’il soit fier de la compagne qu’il avait à ses
côtés. Il y avait tellement de nanas bien fichues qui lui tournaient autour, je ne
voulais pas qu’il se mette à les lorgner, même inconsciemment !
Ma moitié se mit à rire et me souleva sans effort pour me poser sur ses cuisses
et enfouir son nez dans le creux de mon cou. Il inspira profondément, emplissant
ses narines de mon parfum. Il était maintenant parfaitement détendu, toute trace
de colère avait disparu de son corps. Son loup s’étira à l’intérieur de lui, content
d’avoir récupéré sa femelle, je sentis son contentement à travers notre lien.
— Tu es si belle, souffla-t-il tout contre mon oreille avant de me mordiller le
lobe de celui-ci. Surtout quand tu es en colère.
Je grognai.
— Mouais, dis-je, sceptique.
— Je vais faire un effort, me promit-il en relevant le visage, et ne plus te
laisser croire que je suis trop anxieux pour être heureux.
— Tu vas me laisser bosser ?
Un éclair de mécontentement traversa ses yeux gris, il plissa les paupières.
— Non, tonna-t-il, catégorique.
Je me mordis la lèvre inférieure.
— Même à distance ? insistai-je.
Il releva le menton, intéressé.
— Comment ça ?
— Eh bien, commençai-je en caressant son torse du bout du doigt, je suis
douée pour les affaires d’enlèvement, tu en as déjà été le témoin, je crois. Je
pourrais me renseigner un peu sur cette enquête, et travailler depuis la maison ?
Ou rester dans les environs ?
— Je ne veux pas te voir traîner dehors à chasser des individus dont nous
ignorons tout. Ce serait au-dessus de mes forces Evans, et je vais devenir dingue.
Tu veux me voir devenir dingue ?
Pourquoi pas ?
— Non, je sais que ça finit toujours mal quand tu laisses ton loup dicter ta
conduite. Mais si nous travaillons en équipe, toi et moi, comme au bon vieux
temps, ça devrait apaiser ta bête, non ?
Le rouquin soupira.
— Je suis débordé Poppy, les médias sont braqués sur moi. Je ne peux pas
enquêter ouvertement sur une affaire aussi grave que celle-ci de peur d’alerter la
population et de pointer les projecteurs sur nous.
Je haussai une épaule.
— Depuis quand tu refuses de faire face à un défi ?
Appâter Poppy Evans, c’était hyper facile : apportez-lui un gâteau au chocolat
et elle sera à même de vous écouter. Appâter un loup-garou dominant, c’était
presque aussi simple : mettez-le au défi de réaliser quelque chose. Les lycans ne
résistaient pas à l’appel des challenges, ils étaient dotés d’un instinct de
compétitivité extrême qui les forçait à se montrer braves et toujours prêts à
relever des défis. Je savais que si j’asticotais Nick Teller, il ne résisterait pas à
l’attractivité de la compétition.
Et à en croire l’éclat qui brillait dans son regard brumeux, je sus que j’avais
vu juste et que j’avais atteint sa corde sensible de dominant. Parfait.
— Qu’est-ce que tu proposes ? gronda-t-il en me serrant plus fermement
contre lui.
Je souris. J’avais encore une fois gagné.
7
Mark était reparti chez lui, à Fayetteville, peu de temps après que j’eus quitté
le bureau pour me réfugier aux toilettes. Il ne put ainsi pas répondre à mes
questions concernant les disparitions d’enfants lycans dans les environs.
Heureusement, Nick était très bien informé à ce sujet. Étant l’Alpha du Nord,
chef de tous les loups d’Amérique, il était tenu au courant de l’ensemble des
affaires qui concernaient les lycanthropes. Ce fut pour cette raison qu’il avait été
le premier avisé lorsque des garous avaient commencé à signaler des disparitions
inquiétantes. Il avait tous les éléments à sa disposition pour éclairer ma lanterne.
Réunis dans son bureau, en tête à tête, Nick plaça devant moi un fin dossier
en carton puis se laissa couler dans son fauteuil.
— Tout ce que nous savons pour le moment se trouve dans cette pochette, dit-
il, l’air maussade. Al est sur le coup depuis deux semaines environ, mais il n’y a
pas énormément de pistes à suivre.
— Il y a toujours une piste à suivre, plaidai-je en m’emparant des documents
pour les poser sur mes cuisses.
Assise sur mon siège en cuir, je me calai aussi confortablement que possible,
un coussin dans mon dos, et ouvris la pochette sans attendre. Je sentis les traits
de mon visage se durcir lorsque je compris que le problème était bien plus gros
que ce que je pouvais imaginer.
Vingt-sept enfants, âgés de 7 à 16 ans, avaient disparu aux alentours de
l’Arkansas durant les trois semaines qui venaient de s’écouler. Ce qui faisait à
peu près 9 gamins enlevés chaque semaine. C’était énorme ! Comment cela
avait-il pu arriver ?
— Les enfants sont enlevés dans les environs de leur territoire, expliqua
l’Alpha d’une voix grave, non loin de chez eux. Ce sont tous des métamorphes,
mais de différentes espèces : des lionceaux, des louveteaux, des renardeaux… Il
n’y a pas de type prédéfini, aucun lien entre les disparus si ce n’est leur espèce
de change-peau.
Effectivement, les victimes potentielles venaient de villes différentes,
éloignées les unes des autres. Les enfants ne fréquentaient pas les mêmes écoles,
pas les mêmes parcs et a priori, les familles touchées par ce fléau n’avaient
aucun lien entre elles.
— Vous pensez qu’il s’agit des extrémistes, n’est-ce pas ?
Dans le cadre actuel, et si nous prenions en compte l’environnement instable
dans lequel les supra-humains et les humains évoluaient en ce moment, il n’était
pas impossible que ces enlèvements soient le fruit d’un esprit dérangé prêt à tout
pour s’en prendre aux métamorphes. Les change-peau étaient ceux qui avaient le
plus morflé lors de la Révélation. Ils avaient été jugés par une partie de la
population comme des animaux indignes de faire partie d’une société civilisée,
des monstres qu’il fallait à tout prix éloigner des femmes, qu’ils pourraient
violer, des enfants, qu’ils pourraient dévorer, et des personnes âgées, qu’ils
pourraient chercher à exploiter. Bien évidemment, tout ceci n’était que les
affabulations de certains individus pas très clairs dans leur tête. Il subsistait
néanmoins de nombreux préjugés qu’il allait falloir défaire progressivement,
avec le temps. Les métamorphes en prenaient plein la tronche sur les réseaux
sociaux, et parfois même à la télévision. Les menaces proférées à leur encontre
allaient bon train, et même si pour le moment les attaques dont ils étaient
victimes étaient relativement minimes, il n’était pas improbable que l’heure de
l’hésitation fût passée. Et que les extrémistes avaient décidé de passer à l’action.
— C’est notre piste la plus solide en effet, répondit le lycan.
L’homme marqua une pause. Je relevai la tête pour le regarder en face. Il avait
l’air d’avoir envie de me dire quelque chose ; ses lèvres serrées, ses sourcils
froncés et sa mâchoire contractée témoignaient d’une réflexion profonde qui
semblait l’animer. Je penchai la tête sur le côté.
— Dis-moi tout, Red, l’enjoignis-je calmement. Je sais que je peux vous
aider, que je peux les retrouver, mais pour ça, je dois être au courant de tout ce
dont tu as à disposition.
C’était même primordial pour le bien de mon enquête.
— Je crains que si je te délivre tout Poppy, tu sois ébranlée par la nouvelle. Je
ne suis pas sans savoir que tu détestes les affaires liées aux enfants.
Je soupirai et refermai le dossier que je n’avais que partiellement épluché
pour le poser sur le bureau.
— J’encaisserai Nick, vas-y, arrache le pansement.
Le visage du loup se durcit davantage, il soupira.
— Certains des enfants ont été retrouvés, m’annonça-t-il. Leurs cadavres ont
été jetés, abandonnés comme de vulgaires ordures près de leurs territoires,
histoire que les membres de leurs meutes les retrouvent. Ils avaient été torturés et
portaient des traces de maltraitance sévère. Tous ont été abattus par des armes à
feu. Les supra-humains ne tuent pas comme ça, et ils ne s’en prennent pas aux
enfants, sauf dans de rares cas. La piste des extrémistes est donc parfaitement
plausible.
Cette révélation fut comme prendre un coup de massue en pleine tête. Mon
cœur se serra douloureusement dans ma poitrine au point de m’en couper le
souffle. Mon cerveau, assailli par des images toutes plus horribles les unes que
les autres, parut comme se fissurer sous le poids de mon imagination. J’avais le
souffle coupé et une envie de vomir telle que je dus me poser une main sur les
lèvres. Plus j’en savais sur cette affaire, et plus elle semblait s’enfoncer dans les
ténèbres, dans la noirceur de l’âme humaine, et des dérives que pouvaient avoir
les esprits malades d’individus malsains.
— Je savais que je n’aurais pas dû t’en parler, gronda mon mari en venant
s’accroupir à côté de moi.
Le lycan s’était levé et approché de moi sans faire de bruit, si bien que je ne
l’avais pas senti arriver. La chaleur que diffusèrent ses paumes quand il les posa
sur mes joues m’apaisa presque immédiatement, fonctionnant comme un
anesthésiant sur mes sentiments affolés. J’enserrai ses poignets entre mes doigts
et fermai les yeux pour tenter de mettre de l’ordre dans mes idées. J’avais déjà
enquêté sur des meurtres d’enfants, je pouvais le faire, je savais comment m’y
prendre pour mettre de côté mes émotions quand c’était nécessaire ; les
chasseurs étaient doués pour ça. Mais ces derniers temps, gérer mes sentiments
était quelque peu compliqué, j’allais devoir faire appel à tout mon savoir-faire
pour m’en sortir et retrouver l’enfoiré qui avait fait ça. J’allais le massacrer.
— Non, tu as bien fait, murmurai-je en soulevant les cils, tu aurais même dû
m’en parler bien avant. Mais ce qui est fait est fait, alors autant se mettre au
travail sans attendre.
La réticence de mon compagnon s’infiltra à travers notre lien d’union.
J’écartai ses paumes de mon visage.
— Nous avons un accord Evans, dit-il. Je veux bien te laisser enquêter à
distance sur cette affaire, notamment en gardant contact avec les chasseurs sur le
coup. Je t’accompagnerai personnellement si tu désires rencontrer les Alpha et
les familles qui ont fait appel à Mark pour résoudre ce problème, mais en
contrepartie…
— Je ne fais pas trop d’effort, terminai-je à sa place, pas trop de souci, et je
veille à me reposer suffisamment pour garder le maximum de force. C’est un
accord et je le respecterai.
Il se détendit.
— Al a-t-il rencontré les familles des victimes ? lui demandai-je alors qu’il se
relevait.
Nick acquiesça.
— Oui, il l’a fait, mais il n’a rien pu m’apporter de concret, si ce n’est que les
armes à feu utilisées pour abattre les enfants étaient toutes différentes selon les
lésions laissées par les balles.
— T’en a-t-il fait une liste ?
Il hocha de nouveau la tête dans un signe positif.
— Elle se trouve dans le dossier. Certaines des familles se sont laissées
convaincre par ton grand-père de faire examiner leurs enfants par Carson,
histoire de voir ce qu’il pourrait tirer de leur autopsie.
Carson Davis était un ancien chasseur reconverti dans le milieu médical, et
plus précisément, dans la médecine médico-légale. Il travaillait à Little Rock au
Baptist Health Medical Center. Même s’il avait renoncé à une vie de danger pour
se ranger et profiter de sa femme Édith, il continuait à aider les traqueurs dès lors
qu’ils en avaient besoin. Il procédait à des analyses poussées sur les cadavres
qu’on lui amenait parfois, et nous aidait à déterminer les causes de décès, entre
autres, quand celles-ci n’étaient pas évidentes. C’était lui qui avait trouvé la
présence d’un poison extrêmement rare dans l’organisme de mon oncle Dane
lorsqu’il avait été massacré par Billy Fisher, un autre chasseur. Son aide nous
serait précieuse dans cette affaire, c’était une bonne chose que des métamorphes
aient accepté de faire confiance aux traqueurs pour les aider.
— Les résultats t’ont-ils étaient communiqués ?
La mâchoire de l’Alpha se contracta au point de faire tressauter un muscle
sous sa peau lisse. Je compris que la réponse était négative.
— Pas encore.
— Oh.
Curieux. Carson était pourtant un rapide d’habitude. Il allait falloir que je lui
passe un petit coup de fil pour voir ce dont il retournait exactement.
— Al m’a expliqué que les analyses de sang mettaient plus de temps à être
décortiquées quand il était question des métamorphes. Notre métabolisme est
différent du vôtre, ce qui signifie que si les enfants ont été drogués ou
empoisonnés, il se pourrait qu’il ne reste aucune trace dans leur organisme,
ajouta-t-il. Il faut attendre.
— Je vois. Je vais éplucher le dossier en détail, lui annonçai-je en lorgnant la
pochette en carton d’un œil réticent, et téléphoner à Al pour voir où il en est. Il
n’aime pas qu’on le presse ou qu’on s’immisce dans ses traques d’habitude, mais
il va devoir faire avec pour cette fois. Comment te sens-tu ? m’enquis-je alors,
sachant qu’il devait être difficile pour Nick de faire face à une telle enquête.
Nikolas Teller était un dur à cuire. Un vrai dur à cuire. Il savait gérer ses
émotions et ne se laissait que rarement dépasser par elles. Les seuls moments où
il pétait véritablement les plombs, c’était lorsque je le faisais sortir de ses gonds,
ou que les personnes qui lui étaient chères étaient en danger. Sinon, quand il
s’agissait de faire son travail et de diriger sa société, il s’y prenait d’une main de
maître et ne laissait rien venir le perturber. En apparence tout du moins.
Même s’il avait l’air d’une armoire à glace parfois dénuée de sentiment
affectif, Nick était un homme aimant, qui adorait prendre soin des autres, les
mettre à l’abri du besoin et du danger. Ça faisait partie de sa nature, et même s’il
refusait de l’entendre, il était profondément gentil. Il s’épuisait souvent à la tâche
en cherchant à tout diriger pour assurer à son peuple une vie paisible et
sécuritaire. Il ne se plaignait jamais et encaissait tous les coups qu’il pouvait
recevoir. Mais je savais, parce qu’il ne pouvait rien me cacher, que dès lors qu’il
arrivait quelque chose à l’un des siens, même s’il ne le connaissait pas
personnellement, il se sentait coupable et indigne d’avoir accédé au rang si
convoité d’Alpha du Nord. Il voyait chaque attaque contre ses semblables
comme un échec personnel, et il ne supportait pas les échecs. Ça lui foutait le
cafard et son moral retombait comme une vieille crêpe pas fraîche, même s’il
n’en laissait rien paraître à l’extérieur. De plus, il aimait véritablement les
enfants. Pour le comprendre, il suffisait de le voir jouer discrètement avec le
petit Hunter quand personne ne regardait, le voir réconforter sa petite sœur Judy
au téléphone quand elle avait une peine de cœur, et chantonner des chansons
contre mon ventre pour que notre bébé les entende quand il me pensait
endormie. Savoir que des gamins se faisaient enlever loin de leur famille,
torturer et tuer devait l’ébranler plus qu’il n’était prêt à le reconnaître.
Comme je m’y étais attendue, le loup-garou se ferma comme une huître, et ne
laissa rien apparaître sur son visage si ce n’était une dureté extrême qui crispa
ses traits.
— Les émotions n’ont pas leur place dans une affaire aussi grave, répondit-il
d’une voix rocailleuse. Ce que je ressens n’a aucune importance, seuls les
résultats en auront. Nous devons retrouver les responsables de ce carnage avant
qu’ils ne fassent plus de dégâts.
Je fis un geste positif du menton et me levai de mon siège en soupirant.
— Tu as raison.
Contournant le bureau après avoir récupéré les documents que Nick avait mis
à ma disposition, je m’approchai de l’Écossais qui s’était réinstallé sur sa grande
chaise de bureau. Je lui passai une main dans les cheveux avant de déposer un
baiser sur son front. Il grogna, mécontent à l’idée d’être réconforté alors qu’il
estimait, en bon dominant, ne pas en avoir besoin, mais il ne me repoussa pas
pour autant. Je souris, et lui pinçai la joue pour tenter d’effacer la grimace qui
déformait ses lèvres.
— On va les trouver ces enfoirés Teller, lui promis-je. Il n’y a pas une traque
que nous n’avons pas su résoudre lorsque nous étions ensemble. On fait une
équipe de choc, tu te rappelles ?
Il marmonna dans sa barbe.
— J’aurais aimé que l’équipe de choc ne reprenne pas du service tant que
mini-nous n’était pas sorti de sa tanière, ronchonna-t-il. À croire qu’avoir un
moment de répit dans cette vie, ce serait trop demander !
Je haussai une épaule et me mis en marche vers la sortie.
— Que veux-tu, Red ? Nous sommes voués à affronter perpétuellement le
danger, et à ne pas avoir de vacances, j’ai fini par me faire à l’idée.
— Tu devrais me donner la recette de ta relativité alors, parce que je crois que
je m’y ferai jamais, répliqua-t-il en décrochant son téléphone, sans doute pour
prévenir Loki que notre entrevue était terminée.
Je me tournai vers lui après avoir ouvert la porte du bureau et lui glissai un
sourire.
— Tu devrais tenter la thérapie du cookie, lui proposai-je, il n’y a aucun mal
que le chocolat ne peut aider à éradiquer. C’est connu.
Ignorant son grondement sceptique, je fis de mon mieux pour ne pas pouffer
devant son air mécontent et sortis dans le couloir, bien décidée à faire face à la
dure réalité qui se profilait au loin et qui menaçait de me faire plonger en eau
trouble jusqu’au cou. Quelque chose en moi me disait que cette chasse allait être
différente, brutale, sauvage, sanglante, et qu’il valait mieux que je sois bien
accrochée pour éviter d’être emportée par la vague de noirceur qui semblait
frapper les métamorphes et toute la société depuis la Révélation. Mais l’adversité
ne m’avait jamais fait peur et je n’avais pas une seule fois hésité à me remonter
les manches pour une cause qui en valait la peine. Le combat serait rude, mais
j’étais bien décidée à remporter la partie une fois de plus.
Sur vingt-sept victimes, onze avaient été retrouvées décédées. La plus jeune,
une petite fille, avait 8 ans, et n’allait pas tarder à souffler ses neuf bougies. Le
plus âgé était un garçon, 14 ans au compteur. C’était horrible. Le dossier
contenait des photos de leurs cadavres couverts de bleus, de coupures et de sang.
J’eus plusieurs fois des hauts le cœur en observant ces photographies et en lisant
les témoignages des familles qui avaient eu le malheur de voir se produire un
drame dans leurs rangs. Des mères et des pères étaient effondrés, privés de leur
progéniture à jamais. C’était déplorable.
Les meutes touchées par ce phénomène étaient essentiellement regroupées
entre l’Arkansas et l’Oklahoma. Les villes ciblées étaient suffisamment
éloignées les unes des autres pour que les victimes n’aient pas de lien entre elles,
mais étaient malgré tout plutôt proches d’un point de vue géographique. Il
n’allait pas être difficile d’établir un périmètre, une zone de traque où concentrer
nos efforts. Selon moi, les individus responsables devaient forcément agir en
groupe. Plusieurs victimes avaient disparu en même temps, à quelques heures de
route les unes des autres. Alors à moins d’avoir la capacité de se dupliquer, ce
qui n’était pas impossible s’il s’agissait d’une créature surnaturelle, la
probabilité que le responsable soit solitaire me paraissait mince. Il devait s’agir
d’une équipe organisée, qui avait probablement pris soin d’étudier ses proies
avant de passer à l’attaque. Certains des disparus avaient été kidnappés à
seulement quelques mètres de leurs parents, alors que ceux-ci étaient occupés à
refaire les lacets de leur dernier petit lors d’une journée au parc. Ils s’étaient
donc montrés efficaces et discrets, assez en tout cas pour ne pas attirer l’attention
de métamorphes toujours sur leurs gardes.
Un autre élément me chiffonnait. Les enfants métamorphes étaient très
prudents. Ils ne réfléchissaient pas comme les gamins humains, leurs sens étaient
particulièrement aiguisés, ce qui signifiait que dès qu’un individu éprouvait des
sentiments néfastes à leur encontre, leur instinct leur dictait de fuir et de ne pas
faire confiance à ces personnes-là. Or, ici, les témoignages étaient formels.
Aucune des familles, ou membres de meute, n’avaient entendu les gosses crier.
Sinon, la clique aurait rappliqué à leur rescousse bien sûr. Tout s’était fait en
silence, ils avaient simplement disparu sans laisser de trace, pour être retrouvés,
pour certains, morts aux alentours de chez eux.
Les extrémistes n’avaient pas des têtes particulièrement attrayantes. Les
cinglés qui hurlaient haut et fort que les métamorphes étaient des monstres
avaient vraiment l’air de ce qu’ils étaient au fond d’eux : des dérangés du
ciboulot. Les humains lambda n’étaient pas capables de masquer leurs
sentiments au point de ne pas alerter un petit métamorphe méfiant, à moins
d’être un véritable sociopathe entraîné. Alors comment avaient-ils fait pour
parvenir à mettre la main sur plusieurs d’entre eux sans les faire hurler à l’aide ?
Tout ceci me semblait louche.
Malheureusement, faute de pouvoir sortir du territoire, au risque de mettre
davantage en rogne la boule de nerfs qu’était mon compagnon, j’allais devoir
réfléchir à une autre solution pour trouver des réponses à mes questions.
Réajustant ma position sur le canapé du salon d’Alexeï, chez lequel j’étais
venue me réfugier pour être tranquille, je tendis le bras vers la table basse et
récupérai mon téléphone portable, qui allait sans aucun doute devenir mon
meilleur ami durant les prochains jours. Je ne pouvais peut-être pas sortir de
chez moi, mais qui disait que c’était nécessaire pour mener à bien une enquête ?
La technologie moderne me permettrait de faire mes petites investigations de
mon côté sans me soucier du danger. C’était une solution alternative, mais pour
le moment, c’était déjà mieux que rien.
Aussi, je cherchai dans mon répertoire le numéro de l’homme qui pourrait
m’en apprendre davantage, et peut-être confirmer mes doutes avant de porter
l’appareil à mon oreille. Mon interlocuteur répondit à la troisième sonnerie.
— Carson Davis à l’appareil, j’écoute.
8
Bram et moi prîmes la route aux alentours de 17 h 30. Le soleil était bien
descendu dans le ciel, les routes étaient désertes. Nous roulâmes donc
tranquillement jusqu’à Rogers dans un silence paisible qui me permit de
somnoler sans être dérangée. Lorsque nous nous arrêtâmes à l’une des petites
stations-service à l’entrée de Rogers, il faisait nuit. Je me réveillai en entendant
le moteur se couper.
— Je n’en ai pas pour longtemps, me prévint Bram en défaisant sa ceinture.
— Tu ne veux pas que je t’accompagne ?
Un petit sourire éclaira le visage du loup, il ouvrit sa portière.
— Je sais encore faire le plein d’une voiture, Evans. Reste au chaud, j’en ai
pour une minute.
Là-dessus, l’homme s’extirpa du véhicule et referma rapidement la portière
derrière lui afin que l’air frais ne rentre pas à l’intérieur de la Jeep. Je me calai
dans mon siège en cuir, la ceinture encore accrochée, et réajustai ma veste en
maille épaisse sur ma poitrine. Je n’avais qu’une hâte, arriver chez Al pour lui
soutirer les informations qu’il avait cherché à garder pour lui. J’avais bien
compris ce que Carson avait voulu me faire comprendre : les balles en argent,
l’argent liquide retrouvé dans l’organisme des enfants assassinés et le mélange
Carfentanil et anesthésiant parlaient d’eux même. Mais je n’avais pas envie de
croire que la piste sur laquelle il avait voulu m’amener était dirigée vers des
individus que je côtoyais depuis toujours. C’était impossible. Il devait forcément
y avoir une autre explication. Sans doute Al allait-il pouvoir éclairer ma lanterne.
Alors que j’étais perdue dans mes pensées, les phares d’une voiture
éclairèrent le petit habitacle dans lequel j’étais enfermée à l’abri du froid. Je n’y
prêtai pas attention, et attrapai mon portable dans la poche de ma salopette en
jean avec la ferme intention de prévenir mon grand-père de mon arrivée
imminente à la ferme. Mais alors que je m’apprêtais à taper mon SMS, un coup
de feu fendit l’air, me faisant sursauter. Dans cet instant de panique, je lâchai
mon téléphone qui retomba au sol dans un bruit sourd. Je me tournai tant bien
que mal pour regarder derrière moi et tenter d’apercevoir Bram. Ne le voyant pas
à travers les vitres, je poussai un juron et débouclai ma ceinture au même
moment où ma portière s’ouvrait à la volée. Pensant qu’il s’agissait du lycan, je
me tournai vers elle, pleine d’incompréhension, mais découvris à la place du
brun un homme que je ne connaissais pas.
— Qu’est-ce que…
Avant de me laisser le temps de lui poser la moindre question, l’inconnu
m’agrippa par le bras et me tira de force à l’extérieur du véhicule. Sous le coup
de la surprise, je fus incapable de réagir et chutai au sol. Je tombai à genoux,
mon bras toujours fermement maintenu par l’homme, et aperçus avec horreur le
corps tordu de douleur de Bram, qui se tenait le ventre couché sur le sol en
grondant. Une tache rouge se propageait sous son tee-shirt gris. Il s’était fait tirer
dessus et les hommes rassemblés autour de lui, trois en tout, s’apprêtaient à
recommencer.
— Tu vas crever sale chien ! lança l’un d’eux en pointant un
Smith & Wesson 686 droit sur le visage de mon ami.
Folle d’inquiétude, je poussai un hurlement de terreur profonde lorsqu’il retira
la sécurité de son arme. Je levai instinctivement une main et envoyai nos
assaillants valser à l’aide d’une onde de choc puissante qui les frappa de plein
fouet et les fit voler dans les airs. Ils retombèrent sur le béton lourdement en
grognant, sonnés. Celui qui me tenait le bras desserra légèrement sa prise, me
laissant le soin de me relever brusquement puis d’écraser ma paume contre son
visage.
Être dotée de pouvoirs divins était un avantage considérable face à mes
ennemis. Ces dons, qui n’auraient pas dû m’être octroyés, m’avaient été offerts
par Phobétor, dieu grec des cauchemars. Me les approprier avait pris du temps et
avait nécessité un entraînement que Sombre, le dieu en question, m’avait donné
juste après la bataille contre Marcel Jay White. À ce moment-là, il était encore
dans le corps d’emprunt d’un jeune humain, et il vivait à temps plein à la meute
avec nous tous. Mais une essence divine n’étant pas faite pour une enveloppe
corporelle terrestre, il avait commencé à perdre ses forces et à user le véhicule
qu’il avait choisi.
Ne voulant pas tuer l’humain à qui il avait emprunté son corps, il avait été
contraint de le laisser s’en aller, et avait été obligé de trouver une autre
alternative pour rester avec nous. Pour ce faire, il avait sollicité l’aide de Kaja,
mon amie sorcière et sage-femme attitrée, qui l’avait mis en relation avec un
nécromancien quelque temps avant qu’il ne se sépare de l’enveloppe qui lui
permettait de se mouvoir sur Terre. Ce nécromancien s’était servi de sa magie
noire pour créer un corps factice à l’aide d’une multitude de sacrifices dont je
n’avais jamais eu envie de connaître la nature. Ce corps, plus vrai que nature et
correspondant à son apparence divine, lui avait permis de demeurer avec nous un
peu plus longtemps et de poursuivre mon apprentissage.
Sombre avait passé les premiers mois de ma grossesse à m’apprendre à
contrôler mes capacités, à guérir les blessures à l’aide de mon essence divine, à
me servir de ma puissance pour faire griller les neurones de mes ennemis, leur
envoyer des décharges électriques et les neutraliser à l’aide d’ondes de choc. Il
m’avait également appris à endormir mes victimes et à les plonger dans des
cauchemars traumatisants.
J’avais assimilé au mieux tout ce qui m’avait été enseigné. Au bout de deux
mois et demi, je savais correctement me défendre et répliquer aux attaques de
Sombre, qui restaient malgré tout bien plus puissantes que les miennes. Mais
voyant que cela devenait de plus en plus difficile de me servir de mes pouvoirs à
cause de l’énergie que cela me faisait dépenser, Nick m’avait demandé d’arrêter
de m’en servir le temps que ma grossesse se termine. J’avais consenti à ne plus
les utiliser jusqu’à ce que j’arrive à terme, sachant pertinemment que mon bébé
était le plus important.
Cependant, malgré ma promesse, ce soir était un cas de force majeure. Bram
était blessé, il avait besoin de mon aide et j’avais quatre ennemis sur les bras
dont il fallait que je neutralise. L’essence divine qui coulait dans mes veines était
ma seule arme contre mes opposants et j’avais bien l’intention de m’en servir.
Me relevant sur mes jambes, les doigts écrasés contre le visage de mon
ennemi, je laissai l’énergie affluer dans ma paume et me concentrai afin
d’envoyer une décharge suffisamment puissante pour achever ma cible. Je sentis
l’électricité traverser ma peau pour s’insinuer à travers celle de mon adversaire.
J’atteignis son système nerveux et le réduisis en miettes à la seule force de ma
volonté. L’individu écarquilla les yeux, son corps fut alors pris de tremblements
à mesure que ses globes oculaires se gorgeaient de sang, qui se mit rapidement à
dégouliner le long de ses joues et s’écoula de son nez sur ses lèvres. Il tomba à
genoux à son tour. Je m’écartai sur le côté pour le voir s’écrouler face contre
terre, raide mort.
Sans perdre de temps, je me jetai près de Bram dont le visage était déformé
par la douleur. Il avait les yeux fermés et les mâchoires serrées. Paniquée, je me
focalisai sur la tache rougeâtre qui trempait son tee-shirt, et posai mes mains sur
ses avant-bras pour tenter de les lui faire desserrer. Je devais poser mes mains à
même la blessure pour pouvoir la soigner, il fallait qu’il lâche prise.
— Bram, l’appelai-je, sachant que son loup devait chercher à émerger pour
prendre le contrôle de la situation, il faut que tu desserres tes bras !
— Non ! gronda-t-il difficilement. Brûle !
Brûle ? Eh merde !
— C’est une balle en argent, compris-je à mi-voix en jetant un coup d’œil aux
zigotos que j’avais envoyés valdinguer et qui commençaient à se relever.
— Encore… dedans !
Bordel de merde !
L’argent était le point faible des loups-garous, leur kryptonite personnelle. Les
fées avaient le fer, les vampires le bois, et les lycans avaient l’argent. Ce métal
brûlait leur chair, provoquant des douleurs atroces qui pouvaient être fatales aux
garous. Si je ne retirais pas la balle logée dans l’abdomen de Bram, ses organes
internes finiraient par fondre, et il mourrait dans d’horribles souffrances. Je
devais la retirer, mais je ne pouvais pas le faire alors qu’il était conscient. Son
loup ne supporterait pas la douleur de sa moitié humaine, et chercherait à s’en
prendre à moi. Il fallait que je l’endorme, c’était la seule solution.
— Je suis désolé Bram, soufflai-je en posant une main sur son front, et en
faisant sombrer le loup dans un sommeil profond.
Mes pouvoirs ne me permettaient pas seulement de plonger mes victimes dans
leur pire cauchemar, j’avais également la capacité de les endormir tout court et
de les plonger dans le noir absolu. Je n’étais pas capable de créer des rêves, ces
dons ne m’appartenaient pas, mais au moins, Bram ne serait pas forcé d’affronter
ses peurs les plus obscures. Il serait plongé dans l’obscurité jusqu’à ce que je le
réveille, c’était déjà mieux que rien.
Voyant le corps solide de mon ami se détendre, j’écartai ses bras de son ventre
alors que nos détracteurs se dirigeaient vers nous, armes braquées sur moi. Ils
étaient à contre-jour, la lumière des phares de leur gros 4 x 4 dans leur dos.
Celle-ci m’aveuglait au point que je ne distinguais pas leurs visages, seulement
qu’ils portaient des vêtements de style militaire.
— Écarte-toi de lui sale petite conne ! m’ordonna celui qui se trouvait en
avant des autres. Les chiens dans son genre doivent tous crever.
— Les seuls chiens que je vois ici, répliquai-je en posant une main sur le
ventre ferme de Bram, c’est vous. Je vous conseille de vous rendre avant que je
perde patience et que je vous achève tous.
Relevant le tee-shirt poisseux et collant du lycan au-dessus de son nombril
sans me détourner de la silhouette sombre qui se dressait devant nous, je lorgnai
d’un coup d’œil la plaie qui saignait en abondance. Si la balle n’était pas
ressortie, j’allais devoir plonger mes doigts dans la blessure pour la sortir moi-
même. Je n’étais pas le genre de nana à avoir une pince à épiler sur moi. Quelle
poisse !
— Tu as intérêt à t’éloigner de ce lycan, Evans, cracha l’homme en faisant un
pas en avant, ton allégeance n’est-elle plus tournée vers ta famille ? Baiser avec
un chien a-t-il fait de toi l’une d’entre eux ?
Plissant les yeux, je cherchais à distinguer le visage de cet agresseur dont la
voix me semblait étrangement familière. Je ne le reconnus que lorsqu’il
s’accroupit pour me faire face, son Smith & Wesson braqué sous mon menton.
Mon cœur se serra dans ma poitrine, une bile remonta le long de ma gorge
lorsque je reconnus Andrew Flores, fils de Freddy Flores, un chasseur et
collègue de travail.
— Eh ben alors, Casper, tu ne salues pas ton vieil ami ? me demanda-t-il.
Sentant la rage monter en moi comme de la lave en fusion, je serrai les dents
et fis de mon mieux pour contrôler ma respiration rapide. Carson disait vrai, tout
ce qu’il avait cherché à me faire comprendre était vrai : des chasseurs étaient bel
et bien impliqués dans cette histoire de disparitions. Des chasseurs s’étaient bel
et bien associés à des extrémistes pour allier leur savoir-faire à la folie de ces
racistes anti-métamorphes. Rocky n’avait donc pas halluciné, il avait bien
reconnu les pseudos de certains des nôtres sur un forum réservé aux opposants
des supra-humains. Bordel de putain de merde ! Qu’avais-je bien pu faire au Bon
Dieu pour me retrouver dans une situation aussi délicate ?
— Lâche le loup Evans, et suis-nous sans faire d’histoires, ou tu le regretteras.
Le traqueur baissa lentement les yeux vers mon ventre rond qui se profilait
derrière le jean de ma salopette. Il esquissa un sourire mauvais et braqua le
canon de son arme sur mon abdomen. Ma rage ne s’en fit que plus grande ; des
picotements me chatouillèrent la nuque. Je poussai un grondement menaçant à
l’intention de mon adversaire.
— Tu n’as quand même pas envie que je tue le bâtard qui grandit dans ton
ventre avant qu’il ne soit sorti, si ?
Retroussant la lèvre supérieure pour lui montrer les dents, geste impulsif qui
m’avait accompagné tout au long de ma grossesse, je levai discrètement ma
main libre et plaçai ma paume vers le ciel. Il était hors de question que je tue des
individus aussi précieux dans ma quête de réponses concernant les meurtres des
enfants et les actions des extrémistes, mais il était aussi hors de question que je
les laisse s’en aller en toute impunité.
— Tu n’aurais jamais dû menacer mon enfant, et tirer sur Bram, sale fils de
pute.
Sans lui laisser le temps de réagir, je fermai mon poing, emprisonnant les
esprits de nos trois assaillants dans ma paume. Tous trois tombèrent au sol,
inertes, plongés contrairement à Bram dans des cauchemars mis en place par la
partie la plus noire de mon imagination. Je ne m’autorisai à respirer que
lorsqu’ils furent hors d’état de nuire. Les neutraliser m’avait coûté beaucoup
d’énergie, j’avais la tête qui tournait et un goût de sang dans la bouche. Mais
sachant que Bram mourrait si je ne faisais rien, j’ignorai la fatigue et plongeai
sans hésiter deux doigts dans le trou causé par la balle en argent. Je la cherchai,
faisant abstraction de mon dégoût et de mes craintes de blesser le lycan. Lorsque
je mis le doigt dessus, je la saisis fermement pour l’extraire du corps du loup.
Après quoi, je posai une main sur la plaie et puisait dans mes réserves pour
réparer les dégâts que le coup de feu et l’argent avaient causés.
Contrairement à Alexeï, je ne soignais pas les blessures internes et externes en
faisant appel à l’énergie de la nature et des émanations qui planaient autour de
nous. Cette énergie qui me permettait de sauver les blessés provenait de mon
propre corps. Je piquais à mon être la force dont il disposait pour guérir ce qui
avait besoin de l’être, ce qui me laissait généralement lessivée, complètement sur
les rotules. Cette fois-ci n’échappa pas à la règle. Lorsque j’en eus terminé avec
Bram et que je le sus hors de tout danger, je me laissai couler en arrière et
appuyai mon dos contre la carrosserie de la Jeep. Mes paupières étaient lourdes,
mes muscles étaient douloureux, je n’avais plus de force, mais j’allais pourtant
devoir en retrouver un peu pour réveiller mon ami et parvenir à récupérer mon
téléphone tombé dans la voiture.
Appuyant mes paumes contre le béton rugueux sous mon corps, je me hissai
tant bien que mal sur mes jambes et parvins à me mettre sur pieds. Courbée en
deux, le dos douloureux, je m’appuyai contre la voiture et avançai non sans
difficulté vers la portière côté passager encore ouverte. Une secousse me tordit le
ventre une première fois, me stoppant dans ma progression brusquement. Je
serrai les dents et enserrai mon ventre d’un bras.
— Putain, grognai-je en serrant les dents avant de me remettre en route.
À la vitesse d’une tortue, j’enjambai le cadavre couché au sol et me penchai
difficilement en avant pour essayer de chercher mon portable. Une deuxième
secousse me serra les muscles du ventre. Je hurlai de surprise en sentant ma peau
se contracter, et serrai les cuisses. Un liquide se mit alors à couler le long de mes
jambes ; je baissai les yeux et constatai que le jean ample de ma combinaison
était trempé : ce n’était pas du sang, c’était de l’eau, ou en tout cas ça y
ressemblait. Je compris de quoi il s’agissait quand une nouvelle contraction me
crispa en deux et me força à serrer les dents plus fort pour éviter de crier. Non,
non, non, non ! Pas maintenant ! Pas tout de suite !
Des bruits de pas rapides se firent entendre dans mon dos, je fis de mon
mieux pour me redresser, le ventre si dur qu’il en était excessivement
douloureux. Je vis l’employé de la station-service débouler dans ma direction à
grandes enjambées. Il s’immobilisa quand il aperçut les corps qui jonchaient le
sol.
— Bordel, souffla-t-il, qu’est-ce qui s’est passé ?
— Je suis de la police, mentis-je, pliée en deux. Il faut que vous appeliez à un
numéro pour moi, il s’agit du chef de la police de Rogers, vous avez de quoi
noter ?
Perdu, l’homme âgé d’une quarantaine d’années ne trouva pas la force de me
répondre tout de suite. Je criai une nouvelle fois lorsqu’une contraction plus
violente que les autres me fit tomber à genoux. Paniqué, le gardien de la station
se précipita vers moi, il posa une main sur mon épaule.
— Vous êtes blessée ? me demanda-t-il d’une voix qui transparaissait la
nervosité.
— Non…, grondai-je. Je viens de perdre les eaux.
Je me ménageai un silence le temps de reprendre mes esprits et regardai
autour de moi. La situation ne pouvait pas être pire ! Il avait fallu que mini Teller
décide de sortir maintenant, alors que je manquais de force, que j’étais loin de la
meute, et que Nick n’était pas là pour l’accueillir. Dire qu’il avait eu toute la
fichue journée pour le faire ! Il fallait que je prenne une décision désormais, que
je fasse un choix.
— Vous savez quoi, dis-je dans un grondement, oubliez le numéro, et aidez-
moi à entrer dans la voiture. Vous allez me conduire quelque part.
10
Je me sentais bien. J’avais chaud, mon corps était détendu, allongé sur une
surface moelleuse qui devait être un matelas aux draps particulièrement soyeux.
Je ronronnai de plaisir en m’étirant, les paupières chatouillées par une lumière
douce qui me força à sortir du sommeil. Je ne savais pas comment j’étais arrivée
jusqu’au lit, tout ce dont je me souvenais, c’était d’être partie avec Bram à
Rogers pour retrouver Al. Nous nous étions arrêtés à la station-service pour faire
le plein, mais ensuite… c’était le trou noir. M’étais-je endormie en chemin ?
C’était probable, j’avais la capacité de m’endormir très facilement ces derniers
temps.
Soulevant les cils lentement, j’inspirai profondément et rivai mon regard
embué vers la lumière. Il me fallut quelques battements de paupières pour me
rendre compte que quelque chose clochait, que je n’étais pas chez moi.
Me redressant difficilement sur mes coudes, les membres engourdis,
j’observai avec attention l’immense balcon découpé dans la pierre qui s’étendait
derrière une alcôve sculptée dans la roche. Je fronçai les sourcils, surprise, et
repoussai les couvertures en satin qui recouvraient mon corps. Je portais une
longue chemise de nuit faite d’un tissu écru, vaporeux et délicat. Je posai une
main sur ma poitrine et caressai l’étoffe légèrement transparente qui laissait
entrevoir mes seins. Je ne possédais pas ce genre de vêtements, je ne m’étais
jamais considérée assez féminine pour m’autoriser à en porter. Mes cheveux
blonds étaient détachés, ils glissaient sur mes épaules et entre mes omoplates. Je
portai une main à mon front, avant d’inspirer profondément. Où étais-je ?
— Enfin réveillée, lança alors une voix douce et suave que je crus d’abord
être celle de Sombre. Les humains sont de vraies marmottes.
Cherchant des yeux mon interlocuteur, je lorgnai sans m’attarder l’immense
chambre dans laquelle j’avais été installée. Le plafond était haut, les murs étaient
en pierre et de hautes colonnes recouvertes de lierre s’élevaient aux quatre coins
de la pièce. Ce fut en étudiant les lieux que je le vis, l’homme qui m’avait parlé,
installé avec classe dans un fauteuil ancien. Tous les muscles de mon corps se
raidirent brusquement lorsque je reconnus ses cheveux d’un blond miel
ravissant, sa peau claire de porcelaine, ses pommettes hautes, ses lèvres
sensuelles et surtout, ces yeux d’un doré éclatant. Ma gorge se fit soudainement
sèche, je n’en croyais pas mes yeux.
— Morphée, soufflai-je, sous le choc.
Un petit sourire étira les lèvres du dieu des rêves, qui se leva de son fauteuil
avec grâce.
— Ravi de voir que tu ne m’as pas oublié, dit-il, comme satisfait. Moi non
plus, je ne t’ai pas oubliée. Difficile de ne pas se souvenir d’un si beau visage.
Hébétée, je me levai prestement du lit, trop rapidement à en croire mes
jambes, qui chancelèrent légèrement. Néanmoins, je parvins à rester debout et
me redressai lentement pour faire face au frère de Sombre, qui se déplaçait dans
la chambre à la manière d’un prédateur.
— Vous étiez censé être endormi, lançai-je, sur la défensive.
L’homme haussa une épaule désinvolte et plaça ses mains derrière son dos en
m’étudiant de haut en bas. Ma robe dévoilait subtilement mon corps nu en
dessous ; le regard doré de la divinité se para d’un voile alors qu’il me regardait
avec attention. Je fis de mon mieux pour ne pas couvrir ma poitrine de mes bras.
Cela lui aurait fait comprendre que j’étais nerveuse en sa présence, or, montrer à
un prédateur qu’il nous intimidait, c’était signer son arrêt de mort. Et je n’étais
certainement pas du genre à me laisser manger par les loups, bien au contraire !
— Mes parents en ont décidé autrement, expliqua-t-il, je suis désormais
assigné à résidence, ici même, ajouta-t-il en écartant les bras.
Jetant des regards autour de moi, je rivai mon attention sur l’immense alcôve
ouverte qui donnait sur le balcon en pierre. Un pan de mur entier était découpé
sur l’extérieur, ce qui permettait à la chambre d’être baignée dans la lumière
éclatante du jour. Il faisait chaud, suffisamment en tout cas pour que des frissons
ne viennent pas chatouiller ma peau partiellement couverte, comme cela aurait
dû être le cas au mois de décembre.
— Où sommes-nous ? le questionnai-je, mettant de côté mes ressentiments à
son égard pour me concentrer sur l’essentiel. Qu’est-ce que je fais là ?
Morphée s’immobilisa à moins d’un mètre de moi, il braqua son regard dans
le mien et sourit de nouveau.
— Tu ne te souviens pas ? me demanda-t-il.
Je plissai les paupières.
— De quoi devrais-je me souvenir au juste ?
Le fils de la déesse de la nuit et du dieu du sommeil baissa progressivement
les yeux sur mon ventre. Il le fit si lentement que je fus obligée de suivre la
direction que prenaient ses iris. Un hoquet de surprise m’échappa lorsque je
découvris avec horreur que mon ventre était aussi plat qu’une planche ferme.
J’étais à deux doigts de me mettre à hurler lorsque tous mes souvenirs revinrent
à la charge simultanément, menaçant de griller mes neurones.
Bram et moi étions bien allés à Rogers, nous nous étions bel et bien rendus à
la station-service. Mais tout avait basculé lorsque quatre hommes armés nous
avaient attaqués. L’un d’eux était un chasseur. Ils avaient tiré sur le loup, qui
s’était effondré. Pour le sauver, j’avais été obligée d’utiliser mes dons.
Neutraliser nos ennemis et réparer les dégâts causés par la balle en argent qui
s’était nichée dans l’abdomen de Bram m’avait coûté toute mon énergie, et
c’était malheureusement à ce moment-là, dans mon pire état de faiblesse, que la
poche des eaux avait cédé. Jerry, l’employé de la petite station, m’avait conduite
jusqu’au Teddy’s, où j’avais donné naissance à mon bébé, ma fille.
Ma fille.
— Oh mon Dieu, murmurai-je, je suis morte.
Bien sûr que je l’étais. Je n’avais pas survécu à l’accouchement, j’avais senti
mon corps se détendre, mes forces m’abandonner et mon cœur cesser de battre.
Je n’avais même pas cherché à lutter tant la fatigue avait été grande. J’étais
morte. C’était une évidence. Merde.
— Oui, tu l’es, affirma le blond en se laissant tomber sur le matelas du grand
lit à baldaquin. Enfin, plus ou moins.
— Plus ou moins ? répliquai-je, abattue. Comment pourrais-je être plus ou
moins morte ?
Il soupira, ennuyé par ma question.
— Les humains, vous êtes si simples d’esprit. Je me demande bien pourquoi
Phobétor s’obstine à prendre soin de toi, tu es une chose fragile, sans aucun
intérêt si ce n’est les attributs dont dispose ton corps alléchant. Peut-être
souhaite-t-il t’avoir dans son lit ? Sans doute est-ce pour ça qu’il te prête autant
d’attention.
— C’est Sombre qui est derrière tout ça ? rétorquai-je, pleine d’espoir.
— Qui d’autre ? maugréa mon interlocuteur.
— Où est-ce que je suis ? insistai-je.
— Nous sommes au cœur même de l’Olympe, répondit un nouvel intervenant
dans mon dos.
Faisant volte-face, je vis pour la première fois depuis des semaines le visage
de Sombre, dieu des cauchemars et ami fidèle. Mon cœur s’en gonfla de joie.
Sombre avait vécu à la meute avec nous quelque temps encore après avoir
investi le corps factice crée par la magie. Mais alors qu’il était heureux, qu’il
s’était intégré aux loups, son père l’avait rappelé à l’ordre. Un matin, Sombre
nous avait annoncé à tous qu’il devait s’en aller. Son paternel avait appris pour
les dons qu’il m’avait confiés, et cela représentait une infraction à leurs lois.
Cependant, sachant que j’avais gardé le secret sur les agissements de Morphée
lorsque celui-ci avait enfermé l’âme de plusieurs enfants dans son Monde Noir,
Hypnos avait consenti à ne pas faire de scandale à ce sujet, ordonnant
simplement le retour immédiat de son fils à l’Olympe.
La nouvelle m’avait brisé le cœur. Avec le temps, Sombre était devenu un très
bon ami, un soutien de taille lorsque les lycans de la Meute du Soleil agissaient
comme des mères poules surprotectrices. Devoir lui dire au revoir m’avait fait
pleurer pendant des heures, Nick avait été obligé de me caresser les cheveux et
de me murmurer des mots réconfortants au creux de l’oreille jusqu’à ce que je
parvienne à trouver le sommeil. Les hormones dues à la grossesse m’avaient
déjà transformée en fontaine à eau à ce moment-là.
C’était la première fois que je le revoyais depuis au moins un mois et demi. Il
s’était passé tant de choses depuis le jour où nous nous étions dit au revoir que
cela me paraissait remonter à une éternité. Je ne pus m’empêcher de sourire en
regardant le grand brun appuyé contre la rambarde en pierre du balcon. Il tenait
dans une main un plateau en or rempli de fruits et de fromages, ainsi que d’un
petit pain qui semblait être aux figues.
— Salut Sombre, dis-je à mi-voix, tu as l’air en forme.
Un sourire de côté fit son apparition sur le visage diaphane de la divinité aux
cheveux noirs. Il s’avança vers moi et posa le plateau sur une table de chevet en
marbre avant de venir me serrer dans ses bras.
La véritable apparence de Phobétor était loin de celle de l’adolescent qu’il
avait emprunté pour se mouvoir sur Terre. Le vrai Sombre était grand, tout aussi
grand que Nick ; il avait les cheveux d’un noir intense, une peau d’un blanc de
porcelaine, des traits fins à la fois d’une douceur extrême et d’une dureté sans
nom. Il était un guerrier aux muscles saillants et à la carrure intimidante. Cela
avait surpris tout le monde à la meute et au Teddy’s, quand il s’était pointé dans
le corps que lui avait confectionné le nécromancien. Il collait parfaitement à ce à
quoi il ressemblait réellement. Mais pour moi, peu importait son apparence. Il
était, dans ce corps comme dans un autre, un ami qui s’était toujours montré
fidèle.
— Tu m’as manqué, soufflai-je en le serrant contre moi quand il me souleva
de terre pour me plaquer contre lui.
— Toi aussi Evans, m’assura-t-il en déposant un baiser contre ma joue. J’ai
bien cru que je ne te reverrais pas avant des siècles quand je suis parti pour
l’Olympe sous les ordres de mon père, mais voilà que tu décides de mourir
seulement quelques semaines après mon départ. Quelle aubaine !
Me reposant au sol délicatement, celui qui m’avait enseigné l’art du contrôle
divin caressa mon visage du bout du doigt et plongea son regard dans le mien.
La ressemblance avec Morphée était flagrante, j’avais presque oublié avec le
temps à quel point leurs traits étaient semblables. C’était frappant. Ce qui rendait
leurs différences au niveau du comportement encore plus étonnantes !
— Alors je suis bien morte, hein ?
J’étais anéantie. Je ne voulais pas croire que c’était la fin, que je ne reverrais
jamais Nick, que je ne verrais jamais grandir ma fille, que je ne pourrais plus
partager de moments avec les membres de la meute, avec mon grand-père, mes
amis… Mon mari avait raison, j’avais minimisé les risques que je prenais en
portant l’enfant d’un loup. Et encore une fois, mon habitude de prendre les
choses à la légère m’avait porté préjudice. Je n’avais même pas pu dire au revoir
à Nick…
— On peut dire ça, marmonna Sombre en me contournant pour se jeter à son
tour sur le lit, juste à côté de son frère.
Je me tournai vers les deux hommes affalés nonchalamment sur leurs flancs,
et croisai mes bras contre ma poitrine, sans vraiment comprendre où ils voulaient
en venir tous les deux.
— Je pourrais avoir une réponse claire, pour une fois ? les pressai-je, irritée.
— Disons que ton cœur a cessé de battre, m’éclaira Sombre, il a arrêté de
fonctionner moins de quelques minutes après que tu as donné naissance à ta fille,
qui est magnifique, soit dit en passant. Ton âme a quitté ton corps, et
normalement, tu aurais dû être emportée par la mort. Mais disons… disons que
je n’étais pas d’accord.
— Phobétor a volé ton âme à la faucheuse, renchérit Morphée d’un air las, ce
qu’il n’avait strictement pas le droit de faire.
Je fronçai les sourcils.
— Mais pourquoi avoir volé mon âme ? m’enquis-je.
Sombre soupira.
— Pour que Nick ait le temps de faire repartir ton cœur, pardi ! Au moment
où nous parlons, ton corps terrestre se trouve encore au Teddy’s. Les membres de
la meute sont arrivés avec Nick auprès de toi, et ils cherchent à tout à prix à te
faire revenir grâce à leurs énergies.
Ma poitrine se serra.
— Tu as vu Nick ? l’interrogeai-je, la gorge serrée.
Mon ami acquiesça d’un air désolé. J’en déduisis que ça ne devait pas être
beau à voir. Nick devait être effondré, au point d’en perdre la raison. J’espérais
qu’il allait tenir le coup, ne serait-ce que pour notre bébé et pour tous les loups
qui comptaient sur lui.
— Il perd le nord sans toi, Poppy. Et il s’épuise à te transmettre des forces.
Mais il n’abandonne pas, il n’abandonnera jamais.
— Que se passera-t-il s’il n’arrive pas à faire repartir mon cœur ?
Les deux frangins échangèrent un regard en coin. Morphée serra les lèvres.
— Ton âme ne pourra pas repartir vers son corps, et tu resteras bloquée ici.
Enfin, jusqu’à ce que père et mère le découvrent et te remettent à la faucheuse.
— Père et mère ne sauront rien, plaida Sombre en jetant un coup d’œil
courroucé au blond. C’est bien pour ça que je t’ai demandé de la planquer chez
toi. Personne ne vient jamais te voir, la solitude est ta punition pour les crimes
que tu as commis.
Alors c’était vrai. Morphée était véritablement assigné à résidence pour ses
péchés. Bien fait.
— Je me demande encore pourquoi j’ai accepté de te filer un coup de main,
grommela le faiseur de rêves. Après tout, c’est à cause de vous deux que je suis
obligé de rester dans cette prison dorée, incapable de sortir au risque d’être
châtié par notre mère, qui me ferait plonger dans les ténèbres éternelles.
— C’est uniquement à cause de toi si tu en es là, répliquai-je en plissant les
yeux, les enfants n’avaient rien demandé.
À l’entente de ces mots, l’homme m’adressa un regard assassin, mais n’ajouta
rien. Il se contenta de serrer les lèvres d’un air mécontent.
— Je ne veux pas mourir, déclarai-je après un moment de silence. Il me reste,
trop de choses à faire ! Je ne peux pas abandonner mon mari, ma fille, mes amis
et ma famille sans leur dire au revoir, sans essayer d’arranger les choses !
— Malheureusement, cette fois, tu ne peux rien faire, Evans. Tu dois laisser
ton époux. Qu’est-ce qui t’a pris de gaspiller autant d’énergie ? Tu savais bien
pourtant qu’il fallait que tu la gardes pour l’accouchement. Les choses auraient
pu se passer différemment.
Je me mordis la lèvre inférieure et secouai la tête de gauche à droite.
— Bram avait besoin de moi, me justifiai-je en serrant mes bras contre ma
poitrine. Tous les membres de la meute sont comme ma famille. Ils sont…
agaçants parfois à se montrer surprotecteurs, ils râlent tout le temps, et la plupart
du temps pour rien. Mais au-delà de ça, si on fait abstraction de leur mauvais
caractère, ils sont aussi très attentionnés, attachants, pleins de bonnes intentions.
Je les aime tous, et je serais prête à donner ma vie pour chacun d’entre eux,
comme ils le feraient pour moi. Je n’avais pas le choix.
Sombre fronça les sourcils.
— Tu es si douée pour t’oublier au profit des autres, Poppy, dit-il amèrement,
oubliant trop souvent que tu n’es pas invincible.
— Je sais très bien ce que je suis, Sombre, tranchai-je fermement, et surtout,
ce que je ne suis pas. Je ne suis pas aussi forte que vous deux, je n’ai pas les
capacités d’une louve et je ne suis pas immortelle. Mais si j’ai la possibilité
d’aider ceux qui me sont chers et ceux qui en ont besoin, alors c’est mon devoir
de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour y arriver. Je ne me surestime pas, et
je savais que ma dépense d’énergie aurait son lot de conséquences, mais…
Je fus brusquement stoppée dans mon discours par un coup qui sembla être
porté contre ma poitrine. Surprise, je me pliai en deux, le souffle court et les
yeux écarquillés. C’était comme si on venait de me donner un coup de poing en
plein sur les nichons. Ça faisait un mal de chien.
— Bordel, qu’est-ce qui se passe ?
— Oh oh, je crois que ça commence…, lança Phobétor en se levant du lit
brusquement.
— Qu’est-ce qui commence ? le questionnai-je en portant une main à ma
poitrine, où une vive chaleur commençait à se répandre.
Rapidement, la douleur qui avait suivi le choc se transforma en une sensation
agréable et réconfortante. Je ne compris pas tout de suite de quoi il s’agissait,
jusqu’à ce que je ressente leur présence au sein même de mon être. Je les sentis
tous très distinctement : Loki, Alex, Aiden, Seth, Logan, Leah, Rebecca, Daryl,
Sam et même Max. Leur essence était autour de moi, m’enveloppait dans une
étreinte chaude et rassurante. Le lien de meute refit surface au creux de ma
poitrine, rapidement suivi par un lien plus fort encore.
— Nick, haletai-je en sentant son énergie m’envahir. Je le sens, c’est lui…
Ce fut à ce moment-là que je vis mes jambes disparaître. Elles se
désintégrèrent pour se transformer en poussière, une poussière dorée qui grimpa
rapidement jusqu’à mes genoux. J’étais en train de disparaître.
— Poppy ! m’appela alors Sombre en posant ses paumes contre mes épaules
pour attirer mon attention. La meute a réussi, ton cœur est reparti, tu vas
maintenant regagner ton corps. Cependant, avant d’y aller, je veux que tu
m’écoutes attentivement.
Le souffle court et la poitrine en feu, je plantai mes yeux dans ceux du dieu
des cauchemars, lui offrant toute mon attention malgré le bourdonnement qui
faisait frémir mes oreilles. J’avais l’impression d’imploser sous le coup d’une
surcharge d’énergie intense, c’était à la fois déroutant, douloureux et
terriblement agréable.
— Je sais que tu enquêtes sur une affaire difficile ma douce, dit-il prestement.
D’ici, je garde un œil sur toi constamment en attendant de revenir sur Terre. Il va
falloir que tu te montres prudente, que tu restes sur tes gardes et que tu te méfies
plus de tes alliés que de tes ennemis. Tu comprends ? Cette fois, ma jolie, le loup
est dans la bergerie.
Voyant que mon corps partait en poussière, Sombre encadra mon visage de
ses paumes et déposa un dernier baiser sur mon front.
— Je te remercie pour tout ce que tu m’as appris, souffla-t-il contre mon
oreille, pour tout ce que tu m’as offert. Je te promets de revenir pour toi, de
revenir te voir. Ne m’oublie pas.
Ce fut la dernière chose que j’entendis avant que la poussière ne me
désintègre complètement et que je plonge dans les ténèbres une nouvelle fois.
12
— Alors les chasseurs seraient bel et bien impliqués dans ces enlèvements et
meurtres d’enfants, grommela Loki, les bras croisés contre sa poitrine.
Je soupirai. L’idée me faisait énormément de peine, mais je ne pouvais nier
l’évidence plus longtemps. C’était inutile à ce stade.
— Ouais, reconnus-je en triturant le bas de mon pull pour échapper aux
regards de mon compagnon et de son Bêta. C’est moche, mais c’est
apparemment la vérité.
Nick gronda fermement. Sa colère agitait son loup et transparaissait à travers
les mouvements de son corps et les émanations de rage qui se dégageaient de lui.
Même si nous nous étions écartés du groupe tous les trois, Daryl, Walter et
plusieurs autres Gammas nous lançaient régulièrement des œillades curieuses,
attentifs à ce que nous nous disions tout en respectant notre intimité. Nick et moi
parlions en gardant un œil sur Winter, couchée dans un lit parapluie que nous
avions installé au milieu du salon. Al et Arlene étaient penchés au-dessus d’elle
et l’admiraient tendrement en proférant des sons admiratifs à chaque fois qu’elle
se tournait ou qu’elle soupirait.
— Il se pourrait aussi que des chasseurs soient à l’origine du mouvement
extrémiste, poursuivis-je, honteuse, et que certains d’entre eux soient les
investigateurs des attaques que des métamorphes ont subies depuis la
Révélation. J’ai vraiment du mal à y croire, mais c’est plutôt logique en fait. On
n’a pas arrêté de se demander comment des humains avaient pu être informés de
la position des bars pour métamorphes, comment ils avaient pu trouver des
victimes à tabasser. Ça expliquerait aussi qu’ils arrivent si bien à rester cachés, à
échapper au contrôle de Logan et Rocky. Les chasseurs sont expérimentés, ils
sont prudents, doués pour effacer leurs traces et pour se fondre dans la masse. Ils
sont organisés et ils savent mener des assauts. Et puis, si on ajoute à ça les
découvertes de Carson dans l’organisme des gamins, ça coule de source.
Mon mari, qui avait sans aucun doute perçu ma gêne et ma déception,
s’approcha de moi et enroula mes épaules d’un bras.
— Il va falloir que je prévienne les Lieutenants, ainsi que Dick Larson pour
qu’il soit au courant du danger que courent ses semblables, lança-t-il alors.
Relevant brusquement la tête, j’attrapai le tee-shirt de l’Écossais et le serrai
entre mes doigts pour attirer son attention. Il baissa les yeux sur moi et planta ses
iris gris dans les miens.
— Non, ne fais pas ça, lui demandai-je. Si jamais les lycans et les
métamorphes apprennent que des chasseurs sont impliqués dans des disparitions
et des assassinats d’enfants, ils se vengeront sur les traqueurs sans chercher à
savoir si ceux qu’ils attaquent sont coupables ou non ! Cela fait des années que
les tensions entre les chasseurs et les surnaturels ne font qu’augmenter. Nous
avons depuis toujours la lourde tâche de préserver l’anonymat de la société
surnaturelle, de mettre un terme aux agissements de ceux qui la menacent et de
sauver les humains des individus trop dangereux pour rester en libre mouvement.
Nombre de supra-humains nous voient comme des moins que rien, des gêneurs
qu’il faut éliminer. Ce sera l’occasion pour tous les ennemis des chasseurs de se
mettre à nos trousses pour nous faire la peau.
Nick retroussa le nez et fronça les sourcils. Ses doigts serrés contre mon
épaule se crispèrent.
— Qu’est-ce que tu proposes alors ? Tu aimerais qu’on maintienne les
métamorphes et les lycans dans l’ignorance ? Qu’on ne les mette pas en garde du
danger qu’ils courent, eux comme leur progéniture ? Qu’ils continuent de servir
de défouloir pour des chasseurs aigris et complètement cinglés ? J’ai à ma charge
la sécurité de la société lycane, Poppy, et les traqueurs sont en train de la mettre
en danger. Je ne peux pas rester impassible face à une telle situation.
J’acquiesçai.
— Ce n’est pas ce que je te demande, répondis-je en secouant la tête.
J’aimerais juste que tu ne mentionnes pas les chasseurs si jamais tu venais à
prévenir les métamorphes et les lycans qu’un danger rôde. Al et moi sommes sur
le coup, on va se charger des chasseurs récalcitrants, je te le promets. Mais pour
agir avec efficacité, nous devons être sûrs que nous ne risquons pas nos vies en
sortant de chez nous. Nous ne serons plus en sécurité dehors si vos homologues
apprennent pour les nôtres. Je sais que cacher des choses à ta société et à tes
alliés doit te révulser, Red, mais Al et moi sommes plus compétents que tous les
chasseurs extrémistes réunis. On va les trouver, et leur faire la peau avant qu’ils
puissent faire plus de mal. Ce n’est qu’une question d’une semaine ou deux.
Nick plissa les paupières.
— Tu comptes sortir et enquêter sur le terrain personnellement ? me
questionna-t-il, l’air contrarié.
Je penchai la tête sur le côté. Je n’en avais pas vraiment envie. L’idée de les
laisser, lui et ma fille qui venait juste de naître, pour traquer une bande d’enfoirés
ne me réjouissait pas des masses. Mais si je voulais être sûre de ce qui se passait
dans les environs, alors avais-je le choix ?
— C’est la meilleure solution pour obtenir des résultats probants, répondis-je
gravement. Comme tu me l’as dit récemment, dans une situation aussi critique,
les sentiments personnels que l’on peut ressentir importent peu. Seule l’issue
compte.
Le fait que je me serve de ses paroles contre lui sembla particulièrement
agacer le loup, qui retira son bras de mes épaules lentement pour me regarder
presque froidement. À travers notre lien, je sentais sa réticence et son inquiétude.
Le masque d’insatisfaction qu’il plaquait sur son visage n’était qu’un leurre, sa
manière à lui de cacher son appréhension grandissante. Il ne voulait pas me voir
quitter la meute, il n’avait aucune envie que je m’éloigne de lui, pas alors que je
venais de donner naissance à notre fille.
Leah Tucker Bell, l’une des deux seules louves qui vivaient à la meute,
m’avait déjà expliqué, alors que je lui avais exprimé mes inquiétudes concernant
l’après-grossesse, que les loups-garous se montraient encore plus attachés à leur
femelle après l’accouchement de celle-ci. Généralement les couples
connaissaient une baisse de régime à la suite d’une naissance. Le changement du
corps de la femme pouvait engendrer une baisse de libido, des insécurités au sein
du couple et j’en passe. Je m’étais évidemment posé tout un tas de questions au
cours de ma grossesse. J’avais eu peur que mon corps change trop, comme
toutes les femmes, que mon compagnon finisse par moins me désirer, qu’il
s’éloigne de moi… Mais Leah m’avait rassurée.
Premièrement, elle m’avait expliqué que le corps reprenait rapidement sa
forme initiale après la naissance d’un enfant surnaturel. L’énergie et l’effort que
demandait l’accouchement faisaient subir au corps une sorte d’entraînement
intensif, et généralement, dans les jours qui suivaient la sortie du bébé, les kilos
fondaient comme neige au soleil. C’était plutôt rassurant à ce niveau-là, même si
je n’avais pas énormément grossi et que je ne remarquais aucun changement réel
au niveau de celui-ci, si ce n’était un abdomen encore légèrement gonflé.
Concernant l’intimité et le sexe après la gestation, elle m’avait encore une fois
affirmé, et elle parlait d’expérience, que tout se remettait en place très
rapidement en dessous de la ceinture. Mais elle était une louve, donc ses
capacités de guérison étaient plus efficaces que les miennes. Bon, j’avais un
guérisseur à la meute, et j’étais moi-même capable de m’autoguérir. Mais Nick
trouverait-il le sexe toujours aussi agréable maintenant ? Je l’espérais
sincèrement.
Deuxièmement, et point le plus important selon moi, les sentiments amoureux
ne décroissaient pas après l’arrivée d’un nouveau-né au sein du couple. Là-
dessus, elle était formelle ! Bien au contraire, ils grandissaient et devenaient plus
solides que jamais ! Les lycans éprouvaient pour leur femelle une véritable
reconnaissance après l’accouchement. Ils voulaient garder leur femme près
d’eux, les protéger, les couver et les chérir plus qu’ils ne l’avaient jamais voulu
auparavant. La réaction défensive que Nick affichait aujourd’hui en disait long
sur la question et finalement, ça me rassurait énormément de le voir si désireux
de me garder à ses côtés.
— Que fais-tu de Winter ? me questionna-t-il alors. Elle a besoin de sa mère à
ses côtés, ne serait-ce que pour être nourrie.
Je fis la moue. Se servir de Winter contre moi était un sacré coup bas.
— Je pourrais tirer mon lait si je m’absente trop longtemps, dis-je à regret. Je
ferai en sorte de ne pas m’en aller plus de trois heures d’affilée. Tu sais, je n’ai
pas envie de quitter mon bébé tout de suite, rien que d’y penser, ça me déchire le
cœur, mais si nous voulons éviter un bain de sang, il va nous falloir mettre toutes
les chances de notre côté.
— Je n’ai pas envie de me séparer de toi, maugréa-t-il. Pas maintenant.
J’acquiesçai.
— Moi non plus. Mais des chasseurs menacent la sécurité des métamorphes,
des lycans, des supra-humains et même des autres traqueurs. Il faut les arrêter. Je
vais faire de mon mieux pour que tout se règle rapidement.
Loki m’adressa un regard compatissant. Nick, lui, continuait de me maudire
intérieurement, je pouvais le comprendre à son regard assassin. Il ressemblait à
un enfant à qui on cherchait à retirer son jouet préféré. Il faisait la tronche, peu
convaincu par mes tentatives de persuasion, mais il finirait par céder, ça, je le
savais aussi. La sécurité de la société lycane était en jeu, la vie de plusieurs
dizaines d’enfants innocents également. Il savait que les chasseurs étaient les
mieux placés pour s’attaquer à d’autres chasseurs. De ce fait, il finirait par
entendre raison, et me laisser traquer sans chercher à me retenir.
À ce moment-là, le portable de l’Alpha sonna dans la poche de son jean, il
soupira en s’en emparant difficilement.
— Seth, lança-t-il à l’attention du Gamma en charge de la sécurité du
territoire ce matin. Je vois, répondit-il après un instant de silence, oui… Je sors
les accueillir. Merci de m’avoir prévenu.
— Que se passe-t-il ? lui demandai-je une fois qu’il eut raccroché.
— Mes grands-parents et Kaja viennent d’arriver, dit-il. Ils ont hâte de voir le
bébé.
Et vu la tête qu’il faisait, l’idée de partager sa fille avec quelqu’un d’autre ce
matin ne le réjouissait pas du tout.
Kaja était une sorcière. Depuis des années, elle collaborait main dans la main
avec les différents dirigeants supra-humains, posait des sortilèges quand ils en
avaient besoin, aidait à régler des affaires relatives à la magie et faisait profiter
les autres de son expertise en matière de sorcellerie. C’était elle qui, notamment,
avait aidé Nick à invoquer Hypnos lorsque j’avais été enfermée par Morphée
dans son Monde Noir. Elle avait grandement contribué à nous sauver la vie, à
Sombre et moi, et rien que pour cela, je lui étais reconnaissante. Mais en plus de
tout ce qu’elle avait fait pour la meute, la femme s’était portée volontaire pour
veiller à la bonne évolution de ma grossesse. Pendant des semaines, elle était
venue régulièrement à Springdale pour suivre la croissance du bébé, et c’était
elle qui devait initialement m’aider à mettre Winter au monde. Les choses
s’étaient faites autrement, mais je n’oublierai jamais toute l’attention qu’elle
m’avait témoignée, et avec le temps elle était devenue comme une amie pour
moi. La revoir me faisait très plaisir.
— Poppy ! s’écria-t-elle de son accent polonais prononcé en venant me
prendre dans ses bras. Je n’arrive pas à croire que tu as donné naissance à un
enfant lycan sans l’aide d’une sage-femme sorcière ! Comment te sens-tu ?
— Écarte-toi de ma belle-petite-fille, vieille sorcière ! cracha la voix
tranchante d’Ella Teller, femme de l’ancien Alpha du Nord et grand-mère de
mon compagnon.
Ella Teller était une louve dominante. Au premier abord, elle avait l’air d’une
vieille femme aigrie, à la parole sèche et au regard perçant. Mais ce n’était
qu’une façade. La carapace de mamie Teller était solide ; elle avait enduré de
nombreuses choses au cours de sa vie, avait dû partager son mari et ses enfants
avec une société lycane tout entière, et avait été obligée de s’endurcir pour ce
que le rôle de première dame lycane exigeait d’elle. Mais au fond, et ce que
j’avais appris d’elle au cours des mois et des années où je l’avais côtoyée plus ou
moins régulièrement, c’était qu’elle avait grand cœur et que la famille signifiait
tout pour elle.
Nous avions pris un mauvais départ lors de notre première rencontre.
Méfiante à mon égard, elle s’était montrée brutale, irritante et agaçante, faisant
tout son possible pour me faire sortir de mes gonds, allant même jusqu’à se faire
passer pour une vieille gâteuse. Finalement, c’était Nick qui avait failli péter une
durite. Sa grand-mère s’était donc découragée, de peur de le faire vriller du
mauvais côté de la force. Malgré tout, même si ça n’avait pas été gagné
d’avance, Ella avait fini par se faire à l’idée que je n’allais pas m’en aller, et que
j’étais partie pour faire ma vie aux côtés de son petit angelot d’un mètre quatre-
vingt-quinze. Nick était persuadé qu’elle m’aimait bien, et même si cela restait
encore à prouver, je ne l’avais jamais contredit, voyant que cela lui faisait plaisir
de penser qu’elle m’appréciait.
Cependant, ce qui était incontestable, c’était qu’Ella ne semblait pas du tout
apprécier la sorcière qui s’écartait lentement de moi pour fusiller la louve du
regard. Et cela était réciproque.
— Teller, répliqua la Polonaise en relevant le menton pour lorgner sa rivale
d’un regard mauvais alors qu’elle s’approchait de nous à grandes enjambées.
Toujours aussi agréable à ce que je vois.
Jetant un coup d’œil interrogatif à mon compagnon, celui-ci secoua la tête de
gauche à droite en réprimant difficilement un sourire. Je retournai au combat de
coqs, ou plutôt de poules, qui se jouait devant la maison.
— Garde ton hypocrisie pour toi Kaja, gronda Ella en venant se placer devant
elle. Explique-moi plutôt pourquoi tu n’étais pas auprès de Poppy durant les
derniers jours de sa grossesse ? N’étais-tu pas supposée te charger de sa sécurité
ainsi que de celle de mon arrière-petit-fils ?
Nick n’avait pas dit à ses grands-parents ni à son frère et sa sœur, que notre
enfant était une fille. Ella avait toujours clamé haut et fort que ce serait un
garçon, surtout parce que le bébé dégageait une puissance incroyable alors qu’il
n’était même pas né. Manque de bol pour elle, il s’agissait d’une fille.
— Arrête d’attaquer les gens comme un pitbull, ma caille, marmonna Vincent
Teller en s’approchant de nous à son tour, les bras chargés de paquets. Poppy et
le bébé vont bien, alors rentre tes griffes et viens saluer tout le monde.
Vincent Teller était le portrait craché de Clint Eastwood. À le voir ainsi, en
jean et en simple chemise alors qu’il faisait moins de trois degrés dehors était
assez comique. Il était très difficile de l’imaginer en loup-garou rude et sévère.
L’ancien Alpha du Nord avait une réputation qui le précédait ; il était longtemps
resté au sommet de la chaîne alimentaire des lycanthropes et sa puissance était
légendaire. Tout le monde semblait le craindre, et cela même encore aujourd’hui
alors qu’il coulait des jours paisibles avec sa femme et sa meute. Pour ma part,
Vincent s’était toujours montré particulièrement attentif et attentionné à mon
égard. Surtout après que je l’avais aidé à gérer le problème des sirènes à
Fredericksburg.
— Poppy a failli mourir ! s’écria Ella en serrant les poings. Tout ça parce
qu’une sorcière n’a pas été capable de suivre correctement sa grossesse !
— Ce n’est pas de sa faute, Ella, intervins-je en m’approchant des deux
femmes pour poser mes mains sur leurs épaules, après avoir enlacé Vincent.
C’est uniquement de la mienne.
— J’avais une affaire à régler au sein de mon essaim, se défendit la sorcière.
Si j’avais su que Poppy était sur le point d’accoucher, je ne serais pas partie
quelques jours.
— Tu n’as pas besoin de te justifier, affirmai-je alors que Vincent saluait son
petit-fils ainsi que les membres de la meute, Al, Arlene, Dovie et Ryan réunis sur
le perron. Mon accouchement a été provoqué par un stress intense et une
dépense énergétique considérable. Personne n’est responsable, si ce n’est les
hommes qui nous ont attaqués, Bram et moi.
— Attaqués ? s’écrièrent les deux femmes en chœur.
Je soupirai et fis abstraction des grondements multiples qui s’élevèrent dans
mon dos.
— Et si on parlait de tout ça à l’intérieur ? proposai-je. Leah a fait du café.
Les deux adversaires se lorgnèrent d’un œil mauvais durant quelques
secondes, puis décidèrent d’un accord tacite de mettre leur mauvaise humeur de
côté pour se concentrer sur l’essentiel : faire la connaissance de Winter.
— Très bien, concéda Ella en réajustant son pull couleur sapin, montre-moi
mon arrière-petit-fils.
Je me mordis la lèvre inférieure et jetai un regard par-dessus mon épaule pour
croiser celui de mon mari. Il souriait jusqu’aux oreilles, visiblement impatient de
détromper sa grand-mère. Ça allait donner…
— Une fille ? s’étonna Ella en regardant le bébé qui dormait paisiblement
dans son lit parapluie. C’est une fille ?
Je n’arrivais pas à savoir si elle était déçue ou extrêmement contente
d’apprendre la nouvelle. Vincent était aux anges. Il avait fondu comme un
marshmallow au-dessus d’un feu de camp quand il avait vu la minuscule
créature paisiblement endormie. Ella, elle, était restée silencieuse un moment
avant de commencer à répéter en boucle : « une fille ? », « c’est une fille ? » Ça
faisait au moins cinq minutes qu’elle ne cessait de le scander, comme si elle ne
trouvait rien d’autre à dire.
Je n’avais absolument pas été déçue en apprenant que mon bébé était une
fille. Bien sûr, j’en avais entendu des belles quand j’étais enceinte ! Tout le
monde espérait qu’il s’agirait d’un garçon, car cela aurait donné un héritier à
Nick, un enfant à mettre sur son trône lycan à la fin de son règne. Un garçon
aurait perpétué la lignée des mâles dominants de la famille Teller. Eh oui, toute
la pression qui avait été mise sur mes épaules par différents représentant lycans
et surnaturels avait été difficile à supporter à certains moments. Heureusement,
Nick ne m’avait jamais fait, et il ne m’avait jamais laissé penser qu’il serait déçu
s’il ne s’agissait pas d’un mâle. De ce fait, quand Arlene m’avait annoncé que
mon petit trésor était une louve, j’avais été la plus heureuse du monde. Comme
mon compagnon l’était aussi, comme je pouvais le sentir et le voir à chaque fois
qu’il observait son bébé. Néanmoins, je savais que la nouvelle allait en décevoir
plus d’un, et cette perspective me dérangeait en mon for intérieur. Car je n’avais
pas envie que notre enfant subisse perpétuellement les remarques d’individus qui
lui répéteraient sans cesse qu’elle aurait dû être un garçon. Winter n’était pas une
déception, et elle ne devrait jamais se sentir comme une source de désillusion
pour les autres.
Sentant mon instinct maternel se manifester, je me dirigeai vers le lit
parapluie d’un pas tendu et posai une main sur l’épaule d’Ella qui nous tournait
le dos. Je voulais l’éloigner de la petite, qui allait finir par se réveiller à force
d’entendre la vieille femme répéter la même chose en boucle. Mais alors que je
posais mes doigts sur son bras, je sentis les tremblements de son corps et
constatai avec étonnement que le visage de la louve était baigné de larmes. Elle
pleurait chaudement sans quitter des yeux Winter, qui commença à agiter ses
jambes potelées.
— Tout va bien, Ella ? m’enquis-je en me penchant vers elle.
Sans crier gare, la femme me prit dans ses bras et me serra si fort contre elle
qu’elle me coupa le souffle. Ce que j’avais pris pour de la déception n’en était en
fait pas, Ella était tout aussi heureuse que Vincent, si ce n’était plus.
— Oh Poppy, j’ai toujours su que ce serait une fille ! sanglota-t-elle. Je l’ai
toujours dit ! N’est-ce pas Vincent !
L’intéressé arqua un sourcil en me lançant un regard dans le dos de son
épouse. Il haussa une épaule désinvolte et retourna à la contemplation de son
arrière-petite-fille.
— Elle est si belle ! Elle a l’air si douce ! Je n’aurais jamais cru que tu
réussirais à faire un bébé aussi parfait !
Merci. Je n’étais pas sûre de pouvoir prendre ça comme un compliment.
— Ça on peut dire que c’est une belle réussite ! poursuivit-elle en me
relâchant pour aller serrer son petit-fils dans ses bras. Sors-moi ce maudit
appareil photo, Teller ! cria-t-elle à l’attention de son mari. Je veux immortaliser
ce moment.
— C’est vraiment fantastique, Poppy, me félicita Kaja en pressant ma main
dans la sienne. Tu as vraiment eu beaucoup de chance de survivre à
l’accouchement.
J’acquiesçai et eus une petite pensée pour Sombre, qui avait volé mon âme à
la faucheuse pour permettre aux membres de la meute et à Nick d’avoir le temps
de faire repartir mon cœur, afin que je puisse réintégrer mon corps. Sans lui, sans
son aide, je ne m’en serais jamais sortie. Mais je préférais ne pas penser à ça
pour le moment. J’avais effectivement de la chance d’avoir de si bons amis,
toujours prêts à me sortir des situations difficiles dans lesquelles je me fourrais.
À l’avenir, j’allais devoir me montrer prudente.
— J’ai été bien entourée, dis-je en me tournant vers Arlene qui me rendit mon
sourire.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’agression, Bram ? demanda alors
Vincent en bombardant Winter de photos sans utiliser le flash.
Nick et les Gammas grognèrent en repensant à l’attaque que nous avions
subie, Bram et moi, à la station-service. Al me jeta un regard depuis le canapé,
un regard qui en disait long. Je me tournai alors vers mon compagnon et le
suppliai des yeux de ne rien dire au sujet des chasseurs. Nul besoin de parler, il
avait compris le message.
Finalement, Nick parla à son grand-père des disparitions et des meurtres
d’enfants métamorphes et lycans. Il omit cependant, à grand-peine, de parler de
nos découvertes sur les traqueurs, affirmant simplement qu’ils n’avaient pour le
moment aucune piste si ce n’était que lui et son frère soupçonnaient les
extrémistes d’être responsables de ces attaques. Je l’avais remercié d’une caresse
sur la cuisse, à laquelle il avait répondu par un grognement mécontent. Il s’était
calmé quand il était venu le moment de changer la couche de Winter. Nous nous
étions occupés de notre fille ensemble pour la première fois, sous les regards
attendris de nos amis et de notre famille. Après quoi Al avait commencé à se
racler la gorge, me signifiant qu’il était peut-être temps d’aller rendre une petite
visite aux trois idiots endormis dans son salon. J’avais senti mon cœur se
déchirer en mille morceaux lorsque j’avais compris que j’allais devoir laisser ma
fille derrière moi pendant quelques heures, pour aller tenter de réparer les bêtises
de traqueurs stupides. Je comprenais désormais les femmes qui m’avaient
expliqué au cours de ma grossesse que s’éloigner de son enfant, ne serait-ce que
quelques heures, était comme un déchirement pour nous, les mamans. Le mot
prenait maintenant tout son sens. Mais je ne pouvais pas me montrer égoïste, des
mères attendaient désespérément le retour de leur propre enfant, et l’une de nos
seules chances de les retrouver était d’interroger les hommes que j’avais
emprisonnés dans leurs cauchemars.
Pourquoi faire ce qui était juste était toujours si difficile ?
15
Rocky arriva en trombe chez Freddy après avoir roulé comme un fou depuis
Fort Smith. Alors qu’une heure et quinze minutes séparaient sa ville de Rogers,
il déboula chez Flores en moins de quarante minutes. Sans doute avait-il grillé
tous les feux rouges. Malheureusement, il s’était dépêché pour rien, la vidéo du
dark net s’était terminée quelque temps plus tôt, mettant un terme au supplice du
petit garçon qui avait été attaché à une chaise ainsi qu’au nôtre.
— Où est l’ordinateur ? cria l’informaticien en sortant de son véhicule qu’il
avait garé en travers de la pelouse défraîchie et partiellement couverte de neige
qui s’étendait devant la maison.
Je soupirai.
— À l’étage, dans le bureau, répondis-je depuis le perron où je m’étais assise.
La vidéo est terminée et la Red Room a disparu du site internet. Mais il y a des
fichiers, plusieurs dizaines de vidéos implantées dans le serveur qui diffusent en
continu des contenus déjà filmés.
Rocky cracha un juron, furieux, et rejoignit la maison en se maudissant
d’avoir été si long.
Si nous l’avions immédiatement appelé après avoir découvert le direct publié
sur le dark web, c’était parce qu’il aurait été capable de remonter jusqu’au lieu
où était filmée la séance de torture. Mais la vidéo s’était terminée, et le direct
avait été interrompu. Impossible donc de s’introduire dans le réseau pour
escalader le fil de celui-ci. Je ne savais pas s’il allait pouvoir faire grand-chose
désormais. Peut-être parviendrait-il à retrouver les administrateurs de la page.
C’était tout ce que nous pouvions espérer.
— Rocky, le stoppai-je alors qu’il s’apprêtait à ouvrir la porte d’entrée.
Le chasseur se retourna, la mine sévère et les mâchoires contractées. Je lui
tendis le bout de papier plié que j’avais jusqu’alors gardé dans mes mains.
— Tiens, ça te sera sans doute utile pour retrouver une partie des abrutis qui
ont adhéré au mouvement extrémiste.
Il fronça les sourcils et attrapa le morceau de feuille que je lui tendais,
curieux.
— Qu’est-ce que c’est ?
— J’ai jugé bon de noter tous les pseudos qui s’affichaient sur le fil de la
discussion qui avait lieu en dessous de la vidéo, lui expliquai-je. Si certains
concordent avec des pseudos utilisés sur la base de données des chasseurs, alors
nous aurons sans doute des noms, et donc des coupables à arrêter.
Le jeune homme inspira profondément et embrassa la feuille de papier que je
lui avais donnée avant de la coller contre sa poitrine.
— Tu es un génie.
Je fis de mon mieux pour sourire, mais me rendis vite compte que les muscles
de mon visage étaient trop crispés pour que j’y arrive. Aussi me contentai-je de
grimacer.
— Je sais. Vas-y, Al est en haut. Il essaye de décrypter le charabia que Freddy
a marqué sur les murs, voir si ça mène à une piste.
Le brun acquiesça et tourna les talons pour entrer en coup de vent dans la
bâtisse. Quand je fus de nouveau seule, j’expirai tout l’air que j’avais maintenu
dans mes poumons, et les emplis de nouveau avec la fraîcheur de la brise qui
soufflait dehors. Je profitai du calme pour lorgner les alentours, les épaules
rentrées afin de parer au froid, les mains dans les poches et le nez coulant.
Freddy habitait dans un coin isolé, il n’avait pas de voisin proche. Sa maison
se trouvait dans un cul-de-sac, la rue était calme devant moi. Je tendis l’oreille, à
l’affût du moindre bruit, d’un mouvement quelconque. Sam avait quitté la
maison une quinzaine de minutes plus tôt. La vidéo avait été insoutenable pour
lui comme pour nous. Voir un enfant se faire malmener et torturer comme s’il
s’était agi d’un prisonnier de guerre ou d’un dangereux individu avait été très
difficile, il avait ressenti le besoin de laisser émerger son loup pour tenter de se
calmer. Les vêtements qu’il avait abandonnés étaient pliés à mes côtés ; je leur
jetai un coup d’œil en soupirant tristement.
J’étais complètement sous le choc. Je savais que le monde ne tournait pas
rond, qu’une bonne partie des individus qui peuplaient cette planète étaient
complètement cinglés et que les dérives de ces personnes pouvaient faire
beaucoup de mal autour d’eux. Il y avait des tarés partout. Mais de là à voir des
adultes massacrer, au sens propre, des gamins même pas pubères, c’était insensé.
Insupportable. Voir ce petit louveteau attaché et bâillonné, torturé, électrocuté,
tailladé, frappé, le voir pleurer, supplier silencieusement et hurler sous le scotch
qui lui retenait la bouche avait été une épreuve infernale de laquelle je n’étais
pas ressortie indemne. Il m’avait été impossible de parler pendant plusieurs
minutes après que la vidéo fut arrêtée, de crainte de fondre en larmes ou de
vomir mes tripes. Ça avait été comme si j’avais ressenti chaque coup que prenait
le garçonnet, comme si les gifles qu’on lui avait assénées m’avaient
personnellement touchée.
J’aurais voulu appeler Nick, entendre le son de sa voix, l’écouter me dire que
tout allait bien et que nous allions retrouver ces enfants disparus. Enfin, ceux qui
avaient la chance d’être encore en vie. Mais je m’étais rétractée. Mon inquiétude
et ma peine l’auraient alerté. Il s’occupait du bébé, il devait donc être détendu et
tenu à l’écart de ce qui se passait ici, dans l’immédiat en tout cas. D’autant que
j’étais une grande fille et que je savais gérer mes émotions quand celles-ci
cherchaient à m’envahir, à prendre le dessus. J’avais été entraînée pour ça, et je
m’étais perfectionnée tout au long de ma vie.
Me passant une main sur le visage, je laissai de côté ma peine et ma
souffrance pour me concentrer sur ce qu’il y avait de plus important : l’enquête
en cours.
Le bureau de Freddy était encombré de tout un tas de dossiers, de documents
et de feuilles volantes. Une bonne partie de tout ce bazar concernait les
disparitions et les meurtres des enfants métamorphes. J’avais récupéré une pile
de papiers sur le bureau du traqueur, et je l’avais emportée avec moi sur le
perron. Rester inactive étant impossible, je m’en emparai et posai le tout sur mes
genoux pour éplucher tout ça.
À première vue, les notes de Freddy Flores que j’avais sous les yeux
n’avaient aucun rapport avec l’affaire sur laquelle nous enquêtions. La plupart
ressassaient les faits de traques effectuées par des chasseurs au cours des deux
dernières années, et qui n’avaient abouti à aucun résultat, apparemment. Ces
enquêtes concernaient des disparitions de métamorphes qui s’étaient étalées sur
les vingt-quatre derniers mois. Des collègues s’étaient penchés sur ces
phénomènes, mais n’ayant pas réussi à trouver de piste solide, ils avaient
abandonné leurs recherches. Sauf que, si j’en croyais les annotations de Freddy,
ce n’était pas un hasard si nos semblables n’avaient rien trouvé, car selon l’ami
de mon grand-père, les responsables de toutes ces disparitions étaient en fait un
groupe de traqueurs expérimentés qui avaient fait en sorte d’effacer leurs traces.
Si j’en croyais ce que j’avais entre les mains, les vingt-sept enfants qui
avaient été enlevés et, pour certains, assassinés, n’étaient pas les seules victimes
des chasseurs qui s’étaient lancés dans cette traque aux métamorphes. Il y en
avait eu d’autres au cours des précédentes années, des enlèvements plus espacés,
et pas forcément des enfants. Mais selon lui, les responsables étaient les mêmes.
La seule différence était qu’avec les années, ces enfoirés étaient devenus plus
nombreux, et plus sûrs d’eux aussi.
En tout et pour tout, le nombre de leurs victimes réelles semblait s’élever à
une cinquantaine de jeunes métamorphes, qu’ils soient lycans ou d’une autre
espèce de change-peau. Le mode opératoire était le même : enlèvement,
séquestration et mise à mort. La raison des agissements de ces individus, qui
n’étaient pas nommés dans les papiers de Flores, serait la vengeance. Les
chasseurs qui faisaient ça avaient une dent contre les surnaturels, et plus
précisément contre les métamorphes. Voyant qu’il était plus difficile de s’en
prendre à des adultes, trop sauvages et imprévisibles, ces enfoirés avaient décidé
de jeter leur dévolu sur des gosses pour faire d’une pierre deux coups. Tuer des
enfants, c’était condamner les parents à une vie de regrets et de souffrance.
Quelle horreur…
Sentant que ma tête allait exploser, je repoussai les documents et fis tomber
une feuille sans le vouloir. Celle-ci voleta dans l’air, portée par la brise, et atterrit
aux pieds des marches du perron, dans la neige. Je fronçai les sourcils et
grommelai en me penchant en avant pour la récupérer. Je découvris avec stupeur
qu’elle contenait une liste de noms, une liste de chasseurs, ainsi qu’une adresse.
Je me relevai d’un bond, complètement abasourdie, et récupérai mes affaires en
quatrième vitesse avant de retourner en courant vers la maison.
Je trouvai Al et Rocky installés, sans grande surprise, dans le bureau de
Flores. L’informaticien était occupé à pianoter frénétiquement sur le clavier de
l’ordinateur alors qu’Al épluchait un dossier avec attention. Je fis irruption dans
la pièce, brandissant la feuille que j’avais dans la main comme un trophée.
— J’ai des noms ! criai-je, pleine d’espoir. Une liste !
Al et Rocky relevèrent immédiatement la tête pour braquer leurs regards sur
moi. Je souris et agitai la feuille sous leurs nez.
— Freddy avait établi une liste des chasseurs ayant des rancunes sévères
envers les métamorphes, expliquai-je. Il avait commencé à enquêter sur eux, sur
leurs déplacements, il les a suivis pendant des semaines. La plupart des noms ont
été rayés. Certains sont barrés en rouge, d’autres en noir, je pense que c’est un
code.
— Fais-moi voir, m’intima mon grand-père en me prenant le document des
mains. Oui, ça coïncide, affirma-t-il alors en allant récupérer un journal en cuir
marron posé sur le bureau.
— Coïncide avec quoi ? m’enquis-je en fronçant les sourcils.
— Freddy a marqué dans son journal tout un tas de choses sur les chasseurs
extrémistes, lâcha le vieil homme en posant une fesse sur le coin du bureau. Il dit
que, ce que je savais déjà, les traqueurs n’étaient pas les suiveurs, mais les
meneurs du mouvement qui a explosé après la Révélation.
Je croisai mes bras contre ma poitrine.
— Tu veux dire que ce serait les chasseurs qui seraient à l’origine de ce
mouvement ? supputai-je. Que ce serait eux qui l’auraient créé ?
Un grognement s’éleva dans mon dos. Je jetai un regard par-dessus mon
épaule et découvris Sammy, qui avait repris forme humaine et s’était rhabillé. Il
avait la mine sombre, dure, l’air furieux. Ses muscles saillants étaient contractés
sous son tee-shirt moulant, mais il semblait d’attaque. Bon début.
— Tous les chasseurs ne sont pas comme ces enfoirés, répliqua Al en glissant
un coup d’œil au lycan. Les créateurs de ce mouvement sont une minorité. Une
dizaine d’individus seulement, dispatchés sur tout le territoire américain. Ces
abrutis ont embarqué des humains cinglés dans leur délire, et ils ont constitué
leur petite armée de détraqués. Au sommet de la chaîne alimentaire, il y a un
chasseur, mais nous ne connaissons pas son nom. En revanche, Freddy a trouvé
celui de certains de ses soldats.
L’homme marqua une pause et me tendit le journal en cuir.
— Là-dedans, reprit-il, Flores explique qu’il s’est mis à la recherche de ces
individus, qu’il a étudié leur comportement et en a tiré des conclusions. Les
noms rayés en noir sur ta liste sont ceux qui ont été innocentés par Freddy, ceux
qui ne sont pas barrés sont ceux encore en liberté, et pour les noms barrés en
rouge, il s’agit de ceux que ce vieux bougre a éliminés lui-même. Il ne néglige
aucun détail dans son carnet et explique qu’il tentait de limiter les dégâts en
éliminant le plus de chasseurs impliqués possible.
Je me mordis la lèvre inférieure et inspirai un grand coup. Toutes ces
informations faisaient bourdonner mes oreilles et me donnaient la migraine.
J’allais avoir besoin d’une aspirine.
— Il faisait justice lui-même, soufflai-je. Quel abruti.
— Il savait que son fils était impliqué, marmonna Al. Il pensait qu’en faisant
le ménage tout seul, il empêcherait les chasseurs de mettre le nez dans ses
histoires et de découvrir qu’Andrew était un taré. Freddy est un vieux croûton,
mais il aime son gosse plus que tout. Il ne laisserait jamais personne lui faire du
mal, même s’il savait que ce que faisait son rejeton était mal. Maintenant qu’il
sait que nous sommes tous au courant, il doit chercher à gagner du temps et à
s’enfuir le plus loin possible pour qu’on ne touche pas à son gamin.
— Qu’est-ce qu’on fait alors ? gronda Sam, les poings serrés.
Al fit claquer sa langue sur son palais, agacé par le comportement du loup-
garou.
— Freddy a noté une adresse, dis-je en montrant du doigt la feuille que tenait
toujours mon grand-père. On devrait peut-être aller voir ce qui s’y cache.
— Si j’en crois les notes du journal, reprit Al, les mecs dont les noms ne sont
pas barrés, ceux qui sont impliqués dans les disparitions et les meurtres des
enfants, se rendaient régulièrement sur un terrain vague protégé par une grille.
Freddy n’a jamais pu aller voir ce qui s’y trouvait, ni ce qu’ils allaient y faire,
mais il a noté l’adresse dans son carnet, et elle correspond à celle marquée sur ta
feuille. Je propose qu’on aille voir ce qui s’y cache.
Sam et moi échangeâmes un regard en coin. Il sembla peser le pour et le
contre, évaluer les risques.
— Nick me tuera s’il sait que je t’ai fait prendre des risques sans le prévenir.
— Mais si jamais on trouve les enfants, il sera obligé de nous remercier au
lieu de nous trucider, répliquai-je. Tant qu’à faire, maintenant qu’on est lancés,
autant aller jusqu’au bout.
Le Gamma soupira et haussa une épaule.
— On n’a qu’à y aller, dit-il. Je ferai un rapport à Nick en rentrant et prendrai
la responsabilité de mes décisions en cas de problème.
Je lui pressai le bras et lui adressai un sourire pour lui signifier que je ne
laisserai jamais Nick faire quoi que ce soit contre lui, même en cas de
complications, puis me tournai vers mon grand-père.
— Bien, alors allons-y.
Nous nous garâmes devant une grille en métal rouillé qui entourait un terrain
vague dont l’herbe rase était couverte de neige. Au milieu de celui-ci, à plusieurs
mètres devant nous, se trouvait une caravane. Al, Sam et moi sortîmes de la
Jeep. Nous refermâmes les portières d’un même geste avant de nous approcher
du portail cadenassé. Une grosse chaîne le maintenait fermé.
— J’ai une pince coupante dans le coffre, lança Al à l’attention du Gamma.
Va me la chercher, tu veux ?
Je fronçai les sourcils et secouai la tête de gauche à droite avant de
m’approcher du portail.
— Pas besoin, dis-je en posant une main sur la chaîne.
Fermant les paupières, je me concentrai sur le flux d’énergie qui parcourait
mon corps pour canaliser toute sa force dans ma paume. Une vive chaleur s’en
dégagea alors. Chaleur qui, rapidement, embrassa le métal qui se mit à fondre.
Rapidement, la chaîne laissa sa place à une coulée de métal fondu. Je reculai une
fois le travail fini et ouvris le portail en le poussant d’un coup sec. Il céda en
grinçant.
— Voilà, lançai-je en m’époussetant les mains, rien de plus facile !
Effectuant un demi-tour pour regarder mes accompagnants en face, je posai
mes poings contre mes hanches et esquissai un sourire devant leur air étonné.
— C’est… surprenant, hésita Sam en haussant les sourcils.
Je hochai la tête.
— Surprendre c’est mon activité préférée, raillai-je. Allez, en route !
Nous marchâmes jusqu’à la caravane qui se trouvait au centre du terrain d’un
pas déterminé. Lorsque nous y arrivâmes, nous l’étudiâmes curieusement, avec
méfiance. Elle était en mauvais état et à mon avis, ne devait pas avoir roulé
depuis un moment.
— Il faut faire attention, elle n’est peut-être pas vide, lâcha le chasseur en
sortant son arme.
Faisant de même, je retirai la sécurité de mon Glock et tournai la tête vers le
Gamma, qui se chargea de se placer devant la porte afin de l’ouvrir. Il attendit
mon signal, et lorsque je hochai la tête, ouvrit subitement la petite porte
coulissante pour me permettre d’entrer. Je m’engouffrai à l’intérieur de la
caravane, le canon braqué devant moi, et ne pus retenir un gémissement lorsque
mes narines furent envahies par une odeur rance répugnante. Je portai une main
à mon visage et plissai les yeux en étudiant l’intérieur de l’habitation. Des
assiettes sales, des papiers usagés, des boîtes de plats préparés périmés et
d’autres conneries du genre à l’aspect douteux étaient étalés sur le sol. Sam fut
contraint de rester dehors, son odorat surdéveloppé l’empêchait d’avancer.
— Bordel, mais c’est quoi cette puanteur ? gronda Al en se couvrant le nez de
l’avant-bras.
— C’est répugnant.
Décidant d’avancer malgré ma répulsion, je pris soin de ne pas marcher
n’importe où et m’approchai progressivement d’une petite porte au fond du
mobile home qui menait sans doute à la chambre, mon arme solidement en main.
Quand je fus à sa hauteur, je posai une main, à regret, sur la poignée et la fis
lentement coulisser sur le côté. Un parfum désagréable de transpiration, de pisse
et encore d’autre chose que je n’osais déterminer m’agressa les sens. Je plissai
les yeux et braquai mon regard sur le matelas posé au sol. Je pointai mon arme
vers celui-ci quand je découvris qu’un homme y était allongé, visiblement
endormi. Enfin, a priori.
— Bordel, c’est qui celui-ci ? pesta mon grand-père en entrant dans la
chambre.
Fronçant les sourcils, j’étudiai le corps étalé sur le ventre à quelques
centimètres du sol. Je pris alors conscience, en observant plus attentivement la
scène, que l’inconnu était accroché au radiateur par un poignet à l’aide d’une
paire de menottes. Le métal était si serré autour de sa peau qu’il lui entaillait la
chair à vif. Ensuite, il n’était pas du tout un inconnu. Ça aussi, j’en pris
conscience assez rapidement en reconnaissant le tatouage d’aigle qui marquait
son dos. Je baissai mon arme instinctivement, et donnai un coup dans le bras de
mon grand-père.
— Quoi ? grommela l’intéressé.
J’avalai difficilement ma salive et tournai lentement autour du matelas pour
mieux analyser le visage de l’homme. Ses cheveux blonds et gras étaient collés
entre eux et recouvraient son front. Je les écartai, dégageant son visage
boursouflé couvert de bleus. Sa lèvre était fendue en deux, son œil visible était
gonflé et avait pris une teinte jaunâtre. Mais même ainsi, sale, abîmé et
ensanglanté, je le reconnus sans effort. Un nœud m’obstrua la respiration. Je
relevai la tête pour croiser le regard du traqueur.
— C’est Nash.
17
Nash Fisher était le frère de Billy Fisher, le chasseur qui avait tué mon oncle.
Il était également mon ex-petit ami. La dernière fois que je l’avais vu, c’était il y
a plus d’un an. Nous avions pris des chemins différents après avoir arrêté son
frère. Ce dernier était tellement remonté après les traqueurs, qu’il en était arrivé
à tuer les siens pour se venger des années de sous-estimation dont il avait été
victime. Nash avait préféré s’en aller après la mort de son cadet ; il avait
emmené sa mère avec lui, et tous les deux n’avaient plus jamais remis les pieds à
Rogers après leur départ. Je n’avais pas eu de nouvelles de lui en quatorze mois,
et pour être honnête, je n’avais pas cherché à en avoir. Il s’était passé tellement
de choses depuis que Dane était mort, que j’avais eu l’impression de vivre
plusieurs vies. J’avais fini par mettre Nash dans un coin de ma tête, et par ne
plus penser à notre amitié ni à notre relation passée.
Bien sûr, le retrouver m’avait fait un choc, surtout dans une position aussi
délicate !
Nash avait été battu. Il avait été tabassé, salement amoché, et affamé si l’on
en croyait son corps amaigri. Il avait été attaché et retenu prisonnier dans cette
caravane miteuse et insalubre. Je dus guérir ses blessures pour qu’il se réveille
enfin. Quand il souleva les cils, il sursauta sous le coup de la surprise avant de se
redresser d’un bond.
— Du calme, lui dis-je en posant mes mains sur son torse dénudé. Tout va
bien Nash, c’est Poppy.
Al, Sam et moi avions ramené le chasseur chez Freddy Flores pour nous
occuper de lui. La maison n’étant qu’à quelques minutes du terrain vague, nous
avions eu tout le loisir de le soigner en cours de route. Il s’éveilla donc sur le
canapé du salon du père d’Andrew, complètement paniqué. Quand il me
reconnut, il sembla s’apaiser. Je plongeai mes yeux dans les siens.
— Poppy ? s’étonna-t-il en fronçant les sourcils. Mais qu’est-ce que… qu’est-
ce que tu fais ici ?
Il tourna la tête dans tous les sens et comprit qu’il n’était plus dans la
caravane.
— Qu’est-ce que je fous ici ?
— La vraie question, intervint Al en se décollant du mur contre lequel il était
appuyé, c’est plutôt, qu’est-ce que tu foutais dans cette caravane ?
Nash se redressa difficilement sur le canapé. Il se passa une main sur le visage
et secoua la tête de gauche à droite comme pour mettre ses idées en ordre. Il était
sale, ses cheveux étaient gras, il avait les traits tirés et il semblait perdu. Je
n’osais imaginer ce qu’il avait vécu.
— J’étais à Knoxville, dans le Tennessee, expliqua-t-il malgré tout, quand j’ai
appris que des chasseurs trempaient dans de sales affaires. Les bruits courent
dans les bars, et j’ai entendu dire que plusieurs traqueurs de Rogers s’amusaient
à enlever des gosses métamorphes et à leur faire subir des trucs pas cool. Je me
suis dit que c’était l’occasion de retourner au bercail.
— Pourquoi tu ne m’as pas appelée ? lui demandai-je.
— J’ai appris que tu attendais un bébé, rétorqua-t-il en plantant ses iris verts
dans les miens. Je t’ai vue à la télé.
Oh.
— Tu es sacrément en forme pour une jeune maman, ajouta-t-il en m’étudiant
de haut en bas.
Je me mordillai l’intérieur de la joue et détournai la tête pour ne pas avoir à
supporter son regard de braise. Il me mettait mal à l’aise.
— Je n’allais pas t’appeler pour t’occuper de ça avec moi, Nick m’aurait fait
la peau, reprit-il. Et je n’avais plus beaucoup d’amis dans les environs après ce
qu’a fait Billy. Je suis revenu dans le coin, et j’ai enquêté tout seul. J’ai
découvert l’implication de plusieurs gars du coin dans les affaires des
extrémistes, notamment celle d’Andrew Flores, ce fils de pute.
— C’est lui qui t’a attrapé ? s’enquit Sam en haussant les sourcils depuis le
fauteuil où il était assis.
Sam n’aimait pas beaucoup Nash Fisher. Il était un loup de la Meute du
Soleil, l’un des meilleurs amis de Nick Teller, qui était mon âme-sœur, mon mari
et le père de ma fille. Autrement dit, la loyauté qu’il lui vouait était sans faille.
De ce fait, lorsqu’un autre homme que son Alpha me faisait des avances, ce dont
Nash ne pouvait s’empêcher, Sam montrait les crocs pour défendre le territoire
de son camarade. Aussi les deux hommes ne s’étaient jamais appréciés. Ce qui
expliquait les œillades mauvaises que le Gamma envoyait au chasseur amoché.
— Ouais, c’est lui, avoua-t-il. J’ai entendu parler d’un bar, à Searcy, dans
lequel des chasseurs faisaient subir des trucs à des gamins. Des trucs qu’ils
foutent sur le net.
— Qui t’a parlé de ça ? le questionna mon grand-père.
Le regard de mon ex-petit-ami se fit méfiant, il dévisagea Al pendant un
moment sans rien dire.
— Je connais des vampires du coin, des types pas très fréquentables…, dit-il.
Ils savent plus ou moins tous ce qui se passe sur le dark web, vu que leur
commerce se trouve dessus. Je les ai appelés et je leur ai demandé s’ils savaient
quelque chose au sujet des enlèvements des gosses métamorphes. Ils m’ont parlé
du RedRoom.
Mon cœur se serra dans ma poitrine à l’entente de ce nom. La séance de
torture infantile à laquelle nous avions assisté me revint en mémoire. Je serrai
mes bras contre mon buste.
— C’est le nom du bar ? supputa Sam.
Nash acquiesça.
— Oui. J’y suis allé. Mais à peine avais-je mis un pied à l’intérieur que je me
suis fait attaquer par un groupe de trois abrutis mené par Andrew Flores. Il m’a
assommé, et quand je me suis réveillé, j’étais dans cette caravane de merde.
— Combien de temps tu y es resté ? le questionnai-je.
Le blond haussa une épaule.
— J’en sais rien, deux semaines, répondit-il, peut-être plus. Ils me filaient à
manger quand ils y pensaient, et je devais pisser et chier dans un seau. Vous
imaginez ?
Nash marqua une pause et inspira profondément. Ses yeux étaient voilés par
des ombres qu’avaient fait naître les mauvais traitements dont il avait été
victime. Il allait avoir du mal à avaler la pilule, mais il s’en remettrait. Nash était
un dur à cuire.
— Bref, je dois retrouver ce connard et leur faire la peau à lui et à ses trois
crétins.
Si les trois crétins étaient bien ceux auxquels je pensais, l’un d’eux était mort
et les deux autres avaient été emportés par Freddy avec Andrew…
— Ça va être difficile, avançai-je en me raclant la gorge, disons qu’Andrew
est introuvable pour le moment.
— Comment ça, introuvable ? répéta-t-il, les dents serrées.
Sam, Al et moi échangeâmes des regards en coin. Nous décidâmes dans un
accord silencieux de tout lui raconter, en commençant par le début de toute cette
histoire, lorsque Al avait appris pour les disparitions. Nous lui parlâmes de mon
agression à la station-service, de mon accouchement précipité et de tout ce qui
avait suivi. Nous terminâmes par ce qui nous avait amenés ici, et la manière dont
nous avions mis la main sur lui. Quand nous en eûmes fini, Nash soupira.
— Eh ben, cette histoire craint plus que ce que j’imaginais, souffla-t-il.
Freddy est vraiment un enfoiré.
— Il protège son fils, rétorquai-je en faisant les cent pas dans le salon. Le
problème, c’est que si l’on en croit le schéma que Flores a effectué dans son
journal, Andrew serait un proche de celui qui mène la danse. Le seul dont il nous
manque l’identité.
— Alors il faut qu’on le retrouve.
— Plus facile à dire qu’à faire, marmonna Al. Freddy est doué pour
disparaître. Pour le moment, ce qu’on a de mieux à faire, c’est de mettre à sac le
bar. La vidéo que nous avons vue en direct était une Red Room, et je ne crois pas
que ce soit une coïncidence que ce bar pour traqueurs se nomme justement
comme ça. On devrait aller y faire un tour. On y trouvera sans doute certains des
gars cités par Freddy dans son carnet.
Je hochai la tête. Cependant, nous ne pouvions pas attaquer un bar rempli de
traqueurs cinglés sans aide, à seulement quatre. Il allait nous falloir des renforts.
— OK, commençai-je, on devrait y aller. Mais avant, il faut que je passe un
coup de fil.
Searcy était à quatre heures de route de Rogers. Il était aux alentours de
14 heures lorsque nous prîmes la route en compagnie des alliés qui nous avaient
rejoints. Le temps que nous allions là-bas et que nous repartions, je n’allais sans
doute pas être à Springdale pour le dîner. Heureusement, j’avais tiré assez de lait
pour permettre à Nick de nourrir notre fille jusqu’à mon retour. Je devais
néanmoins prévenir mon mari de mon départ, et ça, c’était une tout autre
histoire. Je composai son numéro avec la boule au ventre. Il répondit à la
seconde.
— Tout va bien ? me demanda mon compagnon de sa voix à l’accent si sexy.
Je m’humectai les lèvres.
— Oui, tout va bien, le rassurai-je sans pour autant que ce soit tout à fait la
vérité. J’ai juste un imprévu.
Son grognement me fit sourire.
— Un imprévu ? Tu n’es pas blessée au moins ?
— Non, non, je vais très bien, mais Al, Sam et moi avons trouvé une piste qui
mène jusqu’à Searcy. On a décidé d’aller y faire un tour. Je ne serai donc pas
rentrée pour le dîner.
Un silence se fit à l’autre bout du fil. Je m’enfonçai dans mon siège en cuir et
regardai par la fenêtre de la Jeep.
— Pourquoi ne pas m’avoir prévenu avant de te mettre en route ? tonna-t-il,
visiblement irrité.
J’arquai un sourcil.
— Comment sais-tu que je suis en route ?
— J’entends le bruit du moteur à travers le téléphone, tu aurais dû m’appeler
plus tôt.
Je soupirai.
— Je sais, mais c’était trop dur. Si je t’avais appelé, tu m’aurais donné envie
de rentrer tout de suite à la maison. Or, si nous voulons boucler cette enquête au
plus vite, je ne dois pas hésiter. Comment va Winter ?
Le chef de meute poussa un juron.
— Elle va bien. Elle ne pleure pas beaucoup et dort la plupart du temps, sauf
quand elle a faim. Elle ne me quitte pas une seule seconde, j’ai installé le lit
parapluie dans mon bureau.
Je souris à cette idée, et me calai correctement dans mon fauteuil. Nick était
un bon père, je ne pouvais pas être plus fière de lui.
— D’accord. Vous me manquez tous les deux.
— Toi aussi tu me manques, Poppy. Ne prends pas de risque inconsidéré et ne
quitte pas Sam d’une semelle. Je ne sais pas ce que vous allez faire à Searcy, et
je ne te poserai aucune question pour l’instant. Je te fais entièrement confiance,
mais à ton retour, j’attends des explications.
Je pouffai.
— Je te ferai un rapport complet, gloussai-je.
Le loup-garou gronda sur l’autre ligne, de satisfaction cette fois.
— Parfait, convint-il. Fais attention.
— Toujours.
Là-dessus, je raccrochai et laissai tomber mon portable sur mes cuisses. Un
silence pesant s’était abattu dans la Jeep. Ce fut Nash qui le rompit le premier.
— Eh ben, je n’aurais jamais cru que tu te transformerais un jour en
guimauve, Evans. C’est affligeant.
Je levai les yeux au ciel et lui jetai un coup d’œil dans le rétroviseur pour le
fusiller du regard.
— Ne sois pas si cynique, Fisher. J’ai hâte de voir comment tu seras lorsque
tu auras rencontré ta moitié et que tu auras un bébé. On en reparlera à ce
moment-là.
Le visage du chasseur, nettoyé du sang et de la crasse par la douche qu’il avait
prise chez Flores, se durcit considérablement. Il soutint mon regard sans
broncher.
— Pendant un moment, j’étais persuadé d’avoir rencontré ma moitié,
m’asséna-t-il. C’était une sensation très agréable.
— Mais Poppy n’était pas ta moitié, renchérit Sam en croisant ses bras contre
sa poitrine. Elle est revenue à sa véritable âme-sœur. Tu aurais dû t’en remettre
depuis le temps.
Al marmonna dans sa barbe et serra ses mains autour du volant. Cette
conversation l’ennuyait fortement.
— Si vous avez l’intention de vous crêper le chignon pour savoir qui mérite
de partager sa vie avec ma petite-fille, je vous invite à sortir de ma caisse en
marche, bougonna-t-il. Je n’ai pas l’intention de subir ça pendant quatre heures.
Au moins, le message avait le mérite d’être clair.
— Je n’ai pas l’intention de débattre à ce sujet, intervint le blond en haussant
les épaules. Poppy est heureuse et c’est tout ce qui m’importe. D’autant qu’il
paraît qu’un ange est né de cette union, dit-il en se tournant vers moi.
En guise de renfort, et sachant que les loups ne feraient pas de quartier si je
les prévenais, j’avais téléphoné aux seuls amis que j’avais en dehors des
membres de la meute. Dave, Don, Elias, Arlene, Dovie et Ryan avaient accepté
de nous rejoindre à Rogers pour faire la route jusqu’à Searcy, et nous prêter main
forte si les choses tournaient mal au RedRoom. La première chose que ma
patronne avait faite en arrivant chez Freddy et en découvrant Nash avait été de
lui parler de Winter. Elle lui avait montré des photos, avait venté sa beauté, son
calme et sa peau douce. Le chasseur avait regardé tous les clichés avec beaucoup
d’admiration.
— Winter est magnifique, convint Al en relevant le menton. Un petit amour à
qui je me ferai un plaisir d’apprendre l’art de la chasse et du maniement du
fusil !
— Ça, ça attendra un peu, je crois, lançai-je.
Pour le moment, je voulais que notre fille grandisse à l’écart de la violence et
de la mort. Elle était trop précieuse pour être jetée en pâture à la rudesse de ce
monde trop vite.
— Elle est très belle. Mais, je n’arrive pas à comprendre pourquoi tu es là,
Poppy ? Qu’est-ce que tu fais dans cette voiture alors que ta fille et ton mari
attendent ton retour dans ta jolie maison ?
Ses paroles me piquèrent au vif comme un reproche. Je pinçai les lèvres et
fronçai les sourcils.
— Des gamins ont été enlevés, Nash. Des gosses et des ados qui sont sans
doute terrifiés à l’heure qu’il est. Leurs familles attendent leur retour. Des mères,
comme moi, sont abattues à l’heure qu’il est et pleurent sans doute leur
progéniture. Si Winter avait été enlevée et qu’elle était détenue entre les mains
de monstres capables de tout, j’aimerais qu’une personne compétente se charge
de m’aider à la retrouver. Je ne peux pas rester les bras croisés alors que j’ai la
possibilité de les aider. Quand bien même ma fille et mon mari me manquent au
point d’en avoir les entrailles toutes retournées, je ferai tout mon possible pour
aider ceux qui en ont besoin.
Là-dessus, je retournai à la contemplation de la route alors que dans mon dos,
Sam grognait en signe d’approbation. J’avais la gorge nouée et des larmes me
brûlaient les yeux. Être loin des êtres que j’aimais le plus au monde était si dur
que j’en ressentais des douleurs physiques. Je me sentais vide et je voulais plus
que tout rentrer chez moi. Mais je ne pouvais pas m’y résoudre avant d’avoir été
jusqu’au bout. Et heureusement, nous avions une piste solide à suivre. Une piste
que j’allais me dépêcher d’exploiter avant de rentrer chez moi et de me blottir
dans les bras de mon mari et de câliner ma fille.
18
Le RedRoom était un bar miteux qui se trouvait au fond d’une petite ruelle
étroite de la ville de Searcy, en Arkansas. C’était un lieu peu fréquentable, et
uniquement côtoyé par les chasseurs de la région. Il faisait nuit, la ruelle n’était
pas éclairée, ce qui rendait l’atmosphère encore plus lugubre qu’elle ne l’était
habituellement. Je fronçai les sourcils et tirai mon arme de la ceinture de mon
jean.
— Qu’est-ce qu’on fait au juste ? s’enquit Ryan.
Regroupés dans la ruelle qui faisait face à celle dans laquelle se trouvait le
RedRoom, les chasseurs, Sam, Dovie et moi, nous préparions à l’assaut qui allait
avoir lieu. Nous chargions nos armes respectives tandis que le Gamma et la
panthère retiraient leurs vêtements pour muter. Seul Ryan était nerveux, il
n’avait jamais participé à un règlement de comptes entre traqueurs, ce qui le
rendait plutôt anxieux. Ce qui pouvait parfaitement se comprendre sachant que
cette histoire allait sans doute se terminer en bain de sang. Car une chose était
sûre : nous les chasseurs, nous ne faisions pas les choses à moitié.
— On fonce dans le tas, répondit Don en chargeant soigneusement son canon
à pompe.
— Vise juste, gamin, renchérit Dave en lui claquant une tape sur l’épaule.
J’acquiesçai.
— Et surtout, ne perds pas ton sang froid, lui dis-je en souriant. Nous allons
profiter du fait qu’ils ne s’attendent pas à notre offensive pour attaquer avec
efficacité. L’effet de surprise jouera en notre faveur.
— Attendez, vous voulez dire qu’on va juste entrer dans ce bar et canarder
tout le monde ? s’exclama-t-il à mi-voix. C’est pas un peu risqué ? On ne sait
même pas combien ils sont là-dedans !
Nash soupira, ennuyé, et jeta un coup d’œil accusateur à mon grand-père.
— Depuis quand est-ce qu’on amène les novices en mission ? grommela-t-il
en réajustant le jean trop grand qu’il avait piqué dans la commode de Freddy.
Ryan lui rendit son regard mauvais, puis se redressa de toute sa hauteur, vexé
par les paroles du blond aux airs de James Dean.
— Je suis plus un novice, cracha-t-il en fronçant les sourcils. Ça fait des mois
que je m’entraîne avec Al et Poppy.
— Alors si c’est le cas, arrête de faire dans ton pantalon et prends ce flingue,
soupira l’autre en lui mettant dans les mains un Beretta 92.
— Ce qu’il faut que tu saches au sujet des chasseurs, Wallace, intervint Al en
se tournant vers son apprenti, c’est que lorsqu’ils doivent régler leur compte, ils
le font sans se poser de question. Les enfoirés qui sont dans ce bar ont mis en
danger notre intégrité, nos vies, ils ont fait du mal à des êtres innocents et ils
continueront à en faire tant que nous ne les arrêterons pas. C’est clair pour tout le
monde ?
Nous opinâmes tous du chef, hormis Sam et Dovie, qui avaient été remplacés
par une panthère noire et un loup au pelage chocolat. Maintenant que tout avait
été dit, que nous étions prêts à l’attaque et parés à toute éventualité, nous ne
perdîmes pas plus de temps et traversâmes la route pour nous diriger d’un pas
décidé vers le bar.
Lorsque nous poussâmes les portes du RedRoom, nous fûmes accueillis par
une forte odeur de whisky, de bière, et de tabac. Une musique country tournait en
arrière-fond dans la salle aux murs et au sol en bois. Une quinzaine de clients
étaient rassemblés près du bar et autour de tables en bois. Aucun ne prêta
attention à nous, tous trop perdus dans leurs discussions ou dans leurs pensées.
Mais les choses changèrent lorsque je pointai mon arme vers la chaîne hi-fi qui
diffusait la chanson dans un coin de la salle et que je tirai dedans pour la faire
taire. La détonation fit sursauter les clients qui, alertés, levèrent la tête pour nous
dévisager. Nous relevâmes tous nos armes pour les pointer sur nos prochains
adversaires avant de les laisser réagir.
— Salut bande d’enfoirés ! lâchai-je avec hargne. Il paraît que certains d’entre
vous aiment torturer des gamins. Voyons voir ce que vous valez face à des
adultes en pleine possession de leurs moyens !
Il n’en fallut pas plus pour que tout parte en vrille. Les chasseurs de Searcy se
levèrent de leurs chaises et renversèrent leurs tables pour se protéger des balles
qui se mirent à fuser dans tous les sens. Certains sortirent leurs Glock pour nous
attaquer en retour, d’autres cherchèrent à s’échapper par la porte arrière pour se
soustraire à notre assaut. Je me concentrai sur eux, accroupis au sol, et visai leurs
jambes pour les empêcher de courir. Je tirai dans le mille à chaque fois, faisant
tomber sur le plancher trois abrutis qui cherchaient à fuir.
En plus d’être des monstres, ces types étaient des lâches. Chouette, on allait
se marrer !
Alors que je cherchais à me redresser, je reçus un grand coup brutal sur les
mains qui me fit lâcher mon arme. Surprise, je relevai la tête et découvris un
grand gaillard en blouson de cuir qui brandissait un plateau en bois au-dessus de
lui. Il l’abattit durement sur ma tête, me faisant chuter au sol en grognant. Je
sentis un liquide chaud couler sur mon front. Du sang. Génial…
— T’aurais pas dû venir ici salope ! hurla-t-il en voulant me frapper de
nouveau.
Roulant sur le côté, j’évitai le coup qu’il voulut me porter et lui écrasai
violemment mon pied en plein visage quand il se pencha légèrement en avant.
Le talon de ma chaussure percuta sur son nez qui se brisa sur le coup. Il lâcha
son plateau et recula de plusieurs pas en grondant. Du sang giclait de la fracture
qui avait fait dévier son nez de plusieurs centimètres, je saisis la plaque de bois
avec laquelle il m’avait frappée et me relevai pour lui rendre la pareille. Le
plateau s’abattit sur sa joue et fit tourner l’individu sur lui-même avant qu’il ne
s’effondre sur le flanc. Je me penchai au-dessus de lui et le frappai jusqu’à ce
qu’il perde connaissance. Après quoi je portai une main à mon front, et tâtai
prudemment la plaie qui déchirait ma peau. Cet abruti n’y était pas allé de main
morte ! Au moins, désormais, il n’aurait plus la force de s’attaquer à qui ce soit.
Et ça pour une heure ou deux peut-être.
Entendant un rugissement sauvage dans mon dos, je me retournai et constatai
que la bataille faisait rage dans le bar. Dovie et Sam sautaient de chasseur en
chasseur pour sauver la mise à nos alliés quand ils étaient en mauvaise posture.
Ils mordaient, griffaient et éventraient leurs proies lorsque celles-ci cherchaient à
leur tirer dessus, semant le sang et les boyaux sur leur passage. Arlene, qui avait
abandonné les jupes serrées et les couleurs pour aujourd’hui, se servait de son
Remington comme une pro, tirant sur tout ce qui bougeait. Ryan se battait au
corps à corps avec un baraqué aux cheveux rasés. Les coups pleuvaient de tous
les côtés ; des cris, des râles et des gémissements s’élevaient dans la salle à
mesure que le combat gagnait en intensité. L’adrénaline excitait les traqueurs qui
se montraient plus brutaux, plus sauvages.
Lorsque Dovie se vit attaquée par deux individus en même temps, je ramassai
mon arme en quatrième vitesse et pointai le canon vers celui qui cherchait à la
prendre par surprise. Je pressai alors la détente. La déflagration fut tonitruante,
j’atteignis ma cible en pleine poitrine. Une tache rougeâtre se forma sur son tee-
shirt et se propagea rapidement, l’homme tomba à genoux et s’écroula face
contre terre. Cela permit à la métamorphe de prendre le dessus sur son autre
assaillant, qu’elle égorgea sans effort d’un coup de crocs. J’inspirai
profondément avant de me lancer de nouveau dans la bagarre, avec la ferme
intention d’aider mes camarades. Même si m’en prendre à des chasseurs me
retournait l’estomac.
Finalement, nous eûmes rapidement le dessus sur nos ennemis. L’effet de
surprise nous permit de remporter la bataille sans gros efforts. Les chasseurs
avaient tous bus, ils n’étaient pas préparés à l’action et leurs corps n’étaient pas
complètement réveillés. De ce fait, nous fûmes plus vifs, plus précis, et sortîmes
victorieux de cette bagarre avec, certes, des blessés, mais aucun mort à notre
actif. Alors que sur les quinze combattants du clan adverse, seuls trois en
ressortirent vivants. La bagarre du RedRoom resterait dans ma mémoire comme
un bain de sang effroyable où nous, traqueurs, avions été obligés de nous
entretuer pour le bien de la communauté.
Je savais ce qu’avaient fait ces hommes, ce dont ils s’étaient rendus
coupables, mais ce n’était pas plus facile pour autant. C’était même pire.
Nous attachâmes nos otages à des chaises à l’aide des liens qu’avait emportés
Dave dans son pick-up. Nous nous plaçâmes devant eux pour les interroger.
Seuls Nash, Don, Elias et Ryan ne participèrent pas aux hostilités, préférant aller
fouiller les lieux afin de s’assurer que les enfants n’étaient pas retenus
prisonniers quelque part dans cet endroit sordide.
— Où sont les gamins ? éructa Al en massant sa mâchoire endolorie.
L’un des trois hommes attachés devant nous cracha par terre et releva le
menton. Il avait l’arcade sourcilière explosée, la lèvre gonflée et des bleus sur les
joues. Son visage ressemblait à une tomate boursouflée.
— Va te faire foutre, vieux sac à merde ! répondit-il.
Furieuse, je fis un pas en avant pour lui faire ravaler ses mots mais Arlene me
devança. Elle se dirigea vers lui et lui envoya son poing en plein sur le nez. Son
coup fut si violent qu’il en bascula sur sa chaise et tomba à la renverse. Nous
restâmes tous interdits.
— Répète ça encore une fois sale petit con et je te jure que le prochain sera
pour tes burnes, tu piges ?
Ma patronne attrapa le type par le col et le releva sans effort aucun, replaçant
les pieds de sa chaise sur le sol. Le gars avait l’air sonné, abasourdi, il secoua la
tête une fois remis en place et regarda autour de lui. L’un de ses camarades était
encore dans les vapes. Il ne fallait jamais sous-estimer la puissance d’un plateau
en bois. Quant à l’autre, il n’avait plus l’air de savoir comment il s’appelait tant
Ryan s’était acharné sur lui. Et malheureusement pour nous, le seul capable de
répondre à nos questions semblait récalcitrant à cette idée. Ce n’était pas gagné.
— Où sont les gamins ? répéta Al en faisant un pas menaçant dans sa
direction. Nous savons que les traqueurs du coin sont impliqués dans ces
histoires d’enlèvements et de meurtres. Nous avons des noms, et un traqueur très
doué pour retrouver ses proies est déjà sur leurs traces. Ce soir, nous en avons
éliminé certains, mais nous nous doutons que vous n’étiez pas tous ici. D’autres
doivent forcément garder un œil sur les gosses que vous avez enlevés. Où sont-
ils ? Qui est votre chef ?
— Pourquoi est-ce que vous vous inquiétez pour ces monstres ? répliqua alors
notre opposant. Tous les surnaturels sont des plaies, des cailloux dans nos
chaussures, vous le savez aussi bien que moi ! En éliminer certains ne nous fera
pas de mal.
Je serrai les poings, et dus retenir Sam pour qu’il ne lui fonce pas dessus.
— Ces monstres comme tu dis, pestai-je avec colère, sont des êtres vivants !
Vous vous en prenez à des enfants incapables de se défendre, parce que ce serait
trop difficile pour vous d’affronter les adultes ! Est-ce que vous arrivez à vous
regarder dans un miroir ? À dormir en paix ?
L’homme tourna la tête vers moi et esquissa un sourire ensanglanté.
— Tiens donc, mais qui vois-je ? La pute de Nick Teller, la salope aux loups-
garous. Tu m’étonnes que tu prennes leur défense, tu baises sans doute tous les
chiens de la Meute du Soleil. D’ailleurs, il me semble qu’aux dernières
nouvelles, tu étais en cloque, mais à en croire ton ventre plat, tu as largué ton
rejeton. Dis-moi, ton bébé, c’était un chiot quand il est né ou un humain ?
Cette fois, ce fut au tour de Sam de me retenir de lui sauter dessus. On pouvait
médire à mon sujet autant qu’on voulait, mais il m’était insupportable d’entendre
des âneries pareilles au sujet de mes amis, de mon mari et de ma fille.
— Vous savez très bien que les enfants lycans naissent humains, fulminai-je,
que les métamorphes ne transmettent pas de maladies, qu’ils ne sont pas des
animaux ! Mais bien sûr, vous jouez là-dessus, sur ces mensonges, pour attiser la
haine des extrémistes humains que vous avez embrigadés dans vos histoires !
Vous cherchez à faire exploser en éclats la société telle qu’elle est maintenant,
tout ça parce que votre haine de la différence vous rend aigris !
— Ma femme et mes trois gosses ont été assassinés par un métamorphe
renard que j’avais traqué, lança-t-il en serrant les lèvres. Il qui m’avait suivi
jusqu’à chez moi pour se venger de l’avoir empêché de faire ses petits trafics de
drogue dure pour change-peau. Tu appelles ça de la haine pour la différence ?
Non petite conne, je veux faire la peau à tous ces enfoirés parce que ce sont des
animaux sans morale, qui tuent pour le plaisir. C’est dans leurs gènes. Si on
laisse ces fils de putes faire partie de notre monde, ils se débrouilleront pour se
l’approprier. Ils doivent comprendre qu’ils ne seront jamais les bienvenus chez
nous et qu’ils s’exposent à de graves représailles si jamais ils cherchent à s’y
introduire de force.
Je secouai la tête de gauche à droite.
— Vous êtes répugnants, complètement fêlés ! Vous tuez des gamins tout ça
parce que vous avez des rancunes envers les surnaturels. Mais ces gosses, ils ne
sont pas responsables des agissements d’une minorité de leurs semblables. Il
existe des tarés partout, la preuve en est !
— Où sont les gamins ? insista Dave en faisant craquer ses phalanges.
— Je ne vous le dirai pas.
— Oh que si tu vas le dire, lâchai-je en baissant les yeux vers la panthère
noire assise à mes côtés, parce que si tu ne dis rien, je vais demander à mon amie
de te déchiqueter les burnes. Tu imagines la puissance de sa mâchoire se
refermant sur tes bijoux de famille ?
Le chasseur déglutit difficilement et jeta un coup d’œil inquiet à la
métamorphe.
— Vous n’oseriez pas.
— Tu te trompes, sale enfoiré, je ne reculerai devant rien pour venger des
enfants. Alors tu as intérêt à cracher le morceau si tu ne veux pas que tes couilles
remontent jusque dans ta gorge.
À ce moment-là, Ryan, Nash et Don revinrent de leur ronde. Ils effectuèrent
des signes négatifs pour nous signifier qu’ils n’avaient rien trouvé. Comme le
traqueur gardait le silence, je caressai la tête de Dovie, qui comprit le message.
Elle se dressa sur ses pattes en poussant des grondements vibrants et gutturaux.
Notre prisonnier commença à transpirer de peur à mesure que la bête
s’approchait de lui.
— Ne la laissez pas approcher ! s’écria-t-il.
— Alors dis-nous où sont les enfants ! cria Arlene. Ils sont forcément quelque
part en attendant d’être torturés et tués ! Où sont-ils ?
— Je ne vous le dirai pas, bande de cinglés ! hurla le détenu en commençant à
gigoter sur sa chaise pour tenter de se libérer. Je vais tous vous buter !
— Ça, je ne crois pas, ricanai-je alors que la métamorphe se plaçait entre ses
jambes et découvrait ses canines pointues.
Dans un feulement sourd, Dovie mit en garde une dernière fois le chasseur,
qui essaya de reculer. Il était solidement attaché, Dave était doué pour les nœuds.
— Non ? Toujours rien ? minaudai-je en haussant une épaule. Dommage.
Inclinant la tête en arrière, prête à mordre, Dovie s’apprêtait à planter ses
crocs dans l’entrejambe du traqueur lorsqu’il l’arrêta en criant.
— Non ! Attendez ! Je vais tout vous dire ! Les gamins sont retenus dans un
entrepôt, ils sont retenus là-bas en attendant d’être transportés dans un autre
endroit où ils sont torturés en direct sur internet. C’était une idée d’Andrew
Flores, mais cet abruti a disparu et on ne sait pas où il est passé.
— Où les gamins sont-ils amenés après l’entrepôt ?
— J’en sais rien ! dit-il, paniqué. Au-dessus de nous, il y a un chasseur. C’est
lui qui gère notre groupe d’extrémistes, on ne sait pas qui c’est, juste qu’il se fait
appeler « le Patron ». Le seul à être en contact avec lui, c’est Andrew. Nous, on
doit enlever les gamins et les amener à l’entrepôt, Flores se charge ensuite de les
amener au Patron. C’est lui qui les torture et qui les tue. Ensuite, Andrew et ses
deux cousins nous ramènent les cadavres, et c’est à nous de les déposer chez eux
pour que leurs parents les découvrent. On n’est jamais en contact avec le Patron,
mais c’est lui qui prend toutes les décisions, et Andrew est son chien de garde.
Je serrai les poings, folle de rage, et inspirai profondément pour me calmer.
— Très bien, donne-nous l’adresse de l’entrepôt. Combien de chasseurs
gardent le bâtiment ?
— Cinq, répondit-il immédiatement. Ils font des rondes. Les gosses sont
drogués alors ils ne bougent pas et ne font pas de bruit.
Rester insensible face à des paroles pareilles était impossible. La rage monta
en moi si rapidement que je la sentis m’envahir. Cependant, je me retins
d’intervenir, ce n’était pas à moi de les tuer, cet honneur revenait aux change-
peau. Aussi, j’échangeai un regard avec Sam, et dès lors que le chasseur nous
communiqua l’adresse de l’entrepôt, lui donnai mon feu vert. Lui et Dovie
n’attendirent pas davantage. Le Gamma muta en une série de craquements d’os,
puis ils se jetèrent sur eux et en firent des lambeaux de chair sanguinolente.
Je ne détournai pas les yeux un seul instant durant toute la durée de
l’exécution, et me délectai des hurlements de mes ennemis. Jamais je n’avais
éprouvé une aussi grande satisfaction en voyant la mort de si près.
Ils étaient des chasseurs, mais ils étaient aussi des monstres, et mon travail,
c’était d’éliminer les monstres, de les supprimer de la surface de la Terre. Jamais
je n’avais été aussi contente de faire mon job.
19
Le lendemain matin, je me réveillai avec une seule idée en tête : rendre une
petite visite à ma mère et à son connard de mari. Quand je me levai, j’eus la
bonne surprise de découvrir que Judy Teller, ma belle-sœur, s’était glissée dans
mon lit à la place de Nick, remplaçant ainsi son frère dans le rôle de radiateur
humain.
— Elle ne t’avait pas vue hier à son arrivée, lança la voix rauque de mon
compagnon alors que je caressais affectueusement les cheveux de sa cadette
endormie. Elle voulait être là quand tu te réveillerais.
Tournant la tête sur la droite, j’esquissai un large sourire en voyant l’Écossais
assis dans le fauteuil près de la fenêtre, occupé à donner le biberon à Winter. Je
repoussai les couvertures sans réveiller l’adolescente couchée à mes côtés et me
mis sur pieds pour me diriger vers le père et sa fille.
— Salut toi, soufflai-je en me glissant sur les cuisses de ma moitié et en
enroulant un bras autour de ses larges épaules. Bien dormi ?
Me penchant en avant, je pressai mes lèvres contre les siennes et me redressai
ensuite pour contempler l’adorable bébé qui, les yeux grands ouverts, me suivait
du regard depuis que j’étais sortie du lit. Je caressai sa joue tendrement.
— Tu as beaucoup bougé cette nuit, répondit le lycan en braquant ses yeux
gris sur moi, tu as fait des cauchemars ?
Plus ou moins.
— Non, ça devait être la fatigue. Je me sens déjà beaucoup mieux.
Nick acquiesça. Il frotta sa joue contre ma poitrine.
— D’accord.
Il se ménagea une pause puis écarta le biberon lorsque Winter lui signifia par
ses gigotements qu’elle était repue. Je la lui pris des mains pour lui faire faire
son rot moi-même. Nick fronça les sourcils, mais ne protesta pas. Aussi, plaçant
délicatement ma fille contre ma poitrine, je commençai à lui tapoter le dos en
souriant. Elle sentait si bon et elle était si belle que je ne pouvais m’empêcher de
ressentir une profonde satisfaction en tenant mon bébé contre moi. J’avais
retrouvé ma place. Cependant, j’allais encore devoir m’en aller pour faire mon
travail et tenter de mettre un point final à cette histoire.
— J’ai hâte que Mark rencontre Winter, lança l’Alpha. Finalement, tu l’as
intercepté avant qu’il ne puisse arriver ici. Il devait se rendre à une réunion avant
de venir directement ici, mais vous avez retrouvé les gamins avant. Je n’arrive
toujours pas à y croire.
Je me mordis la lèvre inférieure et rivai mon regard sur la forêt qui s’étendait
devant moi. Nick avait l’air satisfait de notre travail. Treize enfants allaient
pouvoir retrouver leurs familles, c’était fantastique, mais ce n’était pas assez.
— Trois d’entre eux sont encore retenus prisonniers quelque part, soufflai-je
en caressant le dos de la petite louve contre moi. Je ne trouverai pas le repos tant
que je ne les aurai pas trouvés. Nick, nous n’avons pas trouvé le petit garçon que
nous avions vu sur la vidéo. Il était encore en vie à la fin de la séance de torture,
il doit être quelque part, tout proche. Il faut que je le retrouve.
À ce moment-là, Winter fit son rot. Nick et moi baissâmes les yeux sur elle.
— Qu’est-ce que tu comptes faire, alors ? Les agents lycans sont désormais
sur les traces de Flores. Rocky n’a apparemment pas dormi de la nuit, ce qu’il
m’a avoué lui-même lorsque je lui ai téléphoné ce matin pour avoir des
nouvelles, toujours occupé à essayer de trouver tous les chasseurs qui ont adhéré
au mouvement extrémiste d’Andrew et des autres. Nous n’avons aucune piste
sur l’endroit où pourrait se cacher Freddy, et tous les chasseurs de Rogers sont
dorénavant sur le coup. Alors qu’est-ce que tu veux faire de plus ?
Je soupirai et me levai pour me mettre à faire les cent pas dans la chambre
tout en berçant ma fille, qui semblait trouver ça plus amusant que reposant.
— Je vais aller voir Rocky moi-même aujourd’hui, mentis-je, peut-être qu’il
ne veut pas informer les loups de ses découvertes, s’il en a, et qu’il cache des
informations importantes. Il ne me mentira pas à moi, et ne cherchera pas à me
taire quoi que ce soit.
Nick gronda, comprenant que cela signifiait que j’allais m’en aller de la
maison, encore une fois. Il n’était évidemment pas emballé à cette idée.
— Je crois que tu es déterminée à aller jusqu’au bout, marmonna le
lycanthrope. Ce n’est vraiment pas ton genre de déléguer tes tâches aux autres,
n’est-ce pas ?
J’esquissai un sourire. Non, ce n’était effectivement pas mon genre.
— Je sais que tu aimes ma détermination.
Un éclair de fierté traversa le regard brumeux de mon mari. Il inspira
profondément et se laissa couler dans son fauteuil.
— J’essaye encore de déterminer si je dois t’arracher tous tes vêtements pour
te féliciter de te montrer si brave ou te flanquer la fessée.
Je souris.
— Ça ne revient pas un peu au même ? susurrai-je d’une voix sensuelle.
— Vous êtes vraiment des gros cochons tous les deux, lâcha la voix endormie
de Judy.
Tournant simultanément la tête vers elle, Nick et moi découvrîmes que la jolie
rouquine était réveillée. La jeune fille frottait ses yeux gonflés par le sommeil,
ses lèvres s’étirèrent en un large sourire quand elle releva la tête pour nous
regarder tour à tour. Heureusement, nous avions eu la bonne idée de ne pas nous
endormir nus, son frère et moi.
— Vous savez, si vous avez besoin de vous donner des fessées, je pourrais
tout à fait être capable de garder Winter en attendant.
Laissant échapper une exclamation faussement outrée, je jetai un coup d’œil à
mon mari, qui grommelait dans sa barbe en secouant la tête.
— Judy ! m’écriai-je en haussant les sourcils. Les jeunes filles de ton âge ne
sont pas supposées tomber sur des conversations de cet ordre.
L’adolescente bondit hors du lit pour venir sautiller vers moi gaiement, elle
tendit les bras dans ma direction pour me demander l’autorisation de porter sa
nièce. Je la lui calai correctement dans les bras, en faisant attention à sa nuque
fragile.
— Je suis plus mature qu’il n’y paraît, je sais ce que c’est le sexe, rajouta la
jeune fille, manquant de faire suffoquer son aîné.
Préférant ne pas participer à cette conversation, Nick s’empressa de quitter la
chambre, marmonnant qu’il nous attendrait en bas. Quand il fut sorti et que nous
entendîmes ses pas dans les escaliers, Judy et moi nous mirent à rire.
— Je savais que ça suffirait à le déstabiliser, gloussa la rousse en s’asseyant
sur le lit avec mille et une précautions. Impossible de parler de sexe avec Nick
Teller. Tu aurais dû le voir quand, gamine, je lui ai demandé comment on faisait
les bébés. Il est devenu tout rouge et j’ai cru un instant qu’il allait s’évanouir tant
il retenait sa respiration.
Je pouffai en m’imaginant la scène. Nick avait beau aimer le sexe, il n’était
certainement pas prêt à parler de ça avec sa sœur cadette. Elle était sa princesse,
pas question donc de lui parler de fougue, de plaisir et de désir physique. Il
préférerait se tirer une balle en argent dans le pied, ça c’était certain.
— Quoi qu’il en soit, si tu as besoin de moi pour garder la petite pendant
que… vous faites vos affaires. N’hésite surtout pas ! Je ferais une super baby-
sitter !
Croisant mes bras contre ma poitrine, je réfléchis un instant à la question.
Laisser mon bébé entre les mains d’une ado de 17 ans ne m’emballait pas des
masses, même si je savais que Judy était consciencieuse et qu’elle ne ferait
jamais rien pour nuire à Winter. Mais sous la supervision de Leah, Ella et
Rebecca, il n’y avait aucun risque à ce qu’elle garde un œil sur ma fille pendant
que je m’occupais de régler mes problèmes familiaux une bonne fois pour
toutes.
— Tu sais quoi, il se pourrait que j’aie besoin de ton expertise en matière de
babysitting aujourd’hui, donc si tu es partante, je veux bien te confier Winter,
sous plusieurs conditions, évidemment.
Ma belle-sœur avait des étoiles dans les yeux. Elle s’apprêtait à me remercier,
mais je l’arrêtai dans sa course.
— Une seconde, ne te réjouis pas trop vite. Il faut encore convaincre Nick.
— Je ne vais pas la quitter d’une semelle, m’assura mon mari pour la
centième fois en serrant fermement sa tasse de café dans sa main.
Le grand frère ne cessait de lorgner sa cadette alors qu’elle berçait sa fille
dans ses bras. Il n’avait pas été emballé à l’idée de lui confier son enfant, et
même s’il avait fini par y consentir pour seulement une heure ou deux, je savais
qu’il ne pourrait pas se résoudre à confier sa progéniture à une adolescente. Pas
alors qu’il avait une vidéoconférence avec une célèbre chaîne nationale
aujourd’hui même pour annoncer la naissance du bébé au monde.
— Ça, je m’en doute, pouffai-je en lui caressant le bras pour essayer de le
détendre.
Réunis dans la cuisine, Nick et moi observions nos invités et les membres de
notre meute rassemblés dans le salon. Tous admiraient la jolie rouquine bercer sa
nièce avec tendresse. La scène était attendrissante, enfin sauf pour mon
compagnon, tendu comme un arc. Il avait vraiment beaucoup de mal à s’éloigner
de sa fille ne serait-ce que de quelques mètres, et il n’était assurément pas
content de devoir la voir passer de bras en bras. Elle était à lui, à nous, et chacun
de ses grognements était fait pour le faire comprendre à tous.
— Tu es prêt pour la conférence vidéo ? lui demandai-je pour changer de
sujet tout en buvant une gorgée de chocolat chaud.
Le chef de meute soupira et se tourna vers moi pour plonger ses yeux dans les
miens.
— Je déteste devoir sourire devant des caméras et répondre aux questions de
journalistes trop curieux. Mais le monde entier attendait l’arrivée de ce bébé,
nous ne pouvons plus taire sa venue au monde plus longtemps.
Je souris et lui pressai affectueusement le bras sans le quitter du regard.
— Je suis sûre que tu t’en sortiras très bien. Prends exemple sur Loki, il est
très doué pour parler en public devant une foule en délire.
Le Bêta s’en sortait toujours très bien lors de conférences de presse,
notamment parce qu’il était entraîné à affronter n’importe quelle situation et à
adapter son comportement en fonction. Une vraie machine de guerre.
— Le sang-froid de Loki est bien meilleur que le mien, reconnut-il. Et comme
tu ne seras pas près de moi, garder mon calme s’avérera bien plus compliqué que
prévu.
Je penchai la tête sur le côté, puis reposai mon mug sur le plan de travail.
— Je n’en aurai pas pour longtemps, cette fois. Rocky a dormi chez Freddy
cette nuit et ce n’est qu’à trente minutes d’ici. Je vais y passer la journée et
rentrerai dans l’après-midi.
— Très bien, gronda le loup, appelle-moi si tu as du nouveau, et même si tu
n’en as pas d’ailleurs. Si je n’entends pas le son de ta voix aujourd’hui, je vais
devenir fou.
Effectuant un geste positif du menton, j’enroulai mes bras autour de la taille
de mon mari et me collai contre lui avant de poser ma joue contre ses pectoraux
saillants. Je n’avais, encore une fois, aucune envie de partir de chez moi. Je
voulais rester ici et profiter d’un moment en famille. Je voulais rire avec mes
amis, plaisanter avec le grand-père de Nick spécialement venu de la Nouvelle-
Orléans pour l’occasion, répondre aux piques de sa femme, jouer avec mon bébé
et embrasser mon compagnon aussi souvent que j’en avais envie. Mais je
détenais une information capitale sur l’identité du chef des chasseurs radicaux,
un élément qui me permettrait de l’arrêter et de le neutraliser une bonne fois
pour toutes. Alors les instants de bonheur attendraient, j’avais des enfants à
sauver.
Il me fallut près de quatre heures et demie pour arriver jusqu’à Pine Bluff, la
ville où j’avais grandi et où vivaient mes parents. Je détestais cet endroit. Il s’y
était passé trop de choses pour que je puisse l’apprécier. Les souvenirs de mon
enfance ratée refaisaient toujours surface dès lors que je passais devant le
panneau vert « Welcome to Pine Bluff ». Je me forçai à les mettre de côté et
serrai mes doigts autour du volant pour m’obliger à me concentrer sur ma route.
Revoir ma mère, et mon père, après tout ce qui s’était passé, après tout ce que
j’avais appris sur mon géniteur, me donnait la nausée. Ce fut avec la boule au
ventre que je me garai devant la maison familiale des Evans.
La dernière fois que j’étais venue ici, les choses avaient mal fini. John et moi
nous étions battus et si Nick n’était pas arrivé à temps, je l’aurais tué, j’en aurais
été capable. Mon père était un monstre qui ne pensait qu’à lui et que l’alcool
avait rendu à moitié fou. Il tapait sur ma mère depuis qu’ils étaient mariés,
m’avait frappée pendant des années, et il me frapperait encore aujourd’hui si je
n’étais pas parvenue à partir de chez moi quand j’avais 14 ans. Lors de ma
dernière visite dans le coin, je m’étais juré de ne jamais revenir ici. Et pourtant,
j’étais là, devant le perron, prête à toquer. La vie nous réservait parfois de drôles
de surprises.
Ce fut ma mère qui ouvrit la porte d’entrée après que j’eus frappé. Quand elle
me vit, ses grands yeux verts fatigués s’écarquillèrent. Elle me sauta dessus,
m’obligeant à reculer sur le perron.
— Poppy ! s’écria-t-elle en se mettant à pleurer. Poppy, je n’y arrive plus !
Fronçant les sourcils, je répondis à l’étreinte de ma mère malgré mes
réticences. Le bleu qu’elle arborait sur la mâchoire ainsi que son arcade
sourcilière abîmée ne m’avaient pas échappé, elle semblait aussi avoir perdu du
poids. Elle qui n’était déjà pas bien épaisse…
— Qu’est-ce qui se passe maman ? lui demandai-je, même si j’avais une
petite idée sur la question.
— Ton père… il ne va pas bien… il fait des choses à des enfants et… je ne
peux plus participer à ça ! hoqueta-t-elle en me serrant fermement contre elle
avec désespoir.
Je fronçai les sourcils et laissai retomber mes bras le long de mon corps. Alors
tout ceci était bien la vérité. John, cet enfoiré…
— Où est-il, maman ? la questionnai-je en tirant lentement mon Glock de la
ceinture de mon jean.
Lorsque ma génitrice prit conscience que j’étais armée, elle se jeta à genoux
devant moi et s’agrippa à mon tee-shirt.
— Non, Poppy ! Ton père… il est malade ! Il a besoin d’être soigné, pas
d’être tué ! Il peut s’améliorer, devenir un homme meilleur, je pourrais l’aider à
aller mieux…
J’agrippai d’une main l’un des poignets de ma mère, la forçant à lâcher prise.
Elle s’était toujours bercée d’illusions au sujet de mon père, pensant qu’il restait
au fond de lui une part d’humanité qu’elle pouvait faire remonter à la surface si
elle y mettait suffisamment de volonté. Mais John Evans avait une case en
moins. Ses problèmes mentaux résultaient d’une pathologie, et quoi qu’elle
s’acharne à faire pour tenter de le faire changer, elle n’y parviendrait jamais. Des
années de consommation excessive de drogues et d’alcool avaient fait empirer
les choses. Désormais, plus rien ne pouvait le sauver, si ce n’était la mort. John
avait dépassé les bornes, et il devait payer pour ses méfaits.
— Maman, dis-moi où il est, la sommai-je. Tu sais ce qu’il fait subir aux
enfants, n’est-ce pas ? Tu dois forcément le savoir. Penses-tu qu’il soit encore
quelqu’un de bien ? Qu’il reste une part d’humanité chez lui, même après ça ?
Pourquoi est-ce que tu continues à t’accrocher à un type comme lui ? Après tout
le mal qu’il t’a fait et qu’il continue de te faire ?
Ça me dépassait. Je n’arrivais pas à comprendre. Qu’est-ce qui pouvait la
pousser à faire ça ? À subir ça continuellement, jour après jour ?
— Je l’aime, Poppy, sanglota ma mère, le visage trempé de larmes. Il a été le
premier amour de ma vie et il n’a pas toujours été comme ça. Il était… doux, au
début. Puis il a changé. Et au fond de moi, je me suis persuadée que c’était de
ma faute, que j’avais dû faire quelque chose de mal pour qu’il en arrive à devenir
comme ça ! Si je l’avais fait changer, alors je pouvais peut-être inverser le
processus…
Ma mère explosa en sanglots. Elle me lâcha et baissa la tête pour échapper à
mon regard. Son corps maigre tremblait comme une feuille, mais je ne parvenais
pas à la réconforter. C’était au-dessus de mes forces.
— Quand je lui ai dit oui, c’était pour la vie, poursuivit-elle. Je n’ai pas le
droit de l’abandonner quand il est au plus mal.
Je soupirai et fermai les yeux un instant pour tenter de calmer la fureur qui
faisait bouillir mon sang. Ces pleurs résonnaient dans ma tête comme un disque
rayé insupportable. J’allais exploser, je le sentais.
— Maman, j’ai eu un bébé, déclarai-je alors en soulevant les cils.
Sarah Evans releva brusquement la tête pour me regarder en face ; elle avait
l’air surprise, comme si elle ne savait pas. Ce n’était pas étonnant, nous ne nous
donnions plus de nouvelles, et John l’empêchait de regarder la télé ou de lire les
journaux pour la priver des distractions que cela pourrait lui créer. Il voulait
qu’elle soit sans cesse sur ses gardes, en attente des pluies de coups qu’il ferait
abattre sur elle dès lors que la tension deviendrait insupportable pour lui et le
fasse éclater comme une bulle de savon. Elle ne devait donc pas savoir pour le
bébé.
— Quoi ?
Je hochai la tête.
— Oui, j’ai eu un bébé, maman. Une fille, Winter. Elle est magnifique, et tu
sais quoi ? Quand j’ai appris pour les disparitions et les meurtres des enfants
métamorphes, je me suis tout de suite imaginée à la place des parents de ces
gosses. J’ai imaginé Winter, la chair de ma chair, prisonnière d’individus comme
John et ça m’a terrifiée. Ça m’a rendue folle de rage aussi. Je me suis imaginé
ces gamins affolés, loin de leurs familles, malmenés par des chasseurs aussi
grands et baraqués que des géants pour eux. Ils doivent avoir si peur. Tu ne veux
pas être davantage complice de ça, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas, en ton âme et
conscience, consentir à ce massacre qui finira très mal si je ne l’arrête pas. Tu es
une mère toi aussi, une grand-mère maintenant. Que ferais-tu si on s’en prenait à
moi ? À Winter ? Un être innocent dépourvu de haine et de méchanceté ?
L’ancienne chasseuse serra les lèvres et s’effondra encore un peu plus dans sa
peine. Elle était déplorable, mais je ne pouvais pas l’en blâmer, même si j’en
avais très envie au fond de moi. Sarah avait vécu une vie entière de souffrance,
et elle en était en grande partie responsable puisqu’elle avait laissé faire son mari
sans broncher. L’emprise que mon père avait su établir autour de son être était
dure à briser, ça allait prendre du temps.
— Maman, la suppliai-je presque, dis-moi où…
— Au sous-sol, finit-elle par déclarer difficilement, ton père est au sous-sol de
la maison, avec trois enfants métamorphes…
La femme se couvrit le visage des mains, les épaules secouées par les pleurs.
Je me mordis la lèvre inférieure et inspirai profondément.
— Je suis désolée, Poppy… Je suis si désolée…
Sans lui accorder de réponse, ou de pardon, je contournai ma mère et me
dirigeai vers la porte d’entrée, armée de mon Glock. J’avais une réponse : un
lieu, une cible et des otages à sauver. Tout ce qu’il me restait à faire, c’était agir.
Cela faisait des années que j’aurais dû arrêter mon géniteur, mais le manque de
courage m’en avait empêchée. Ma lâcheté prenait fin aujourd’hui.
Aussi, sans me laisser le temps d’hésiter ou de faire demi-tour, j’entrai dans la
maison où j’avais grandi et refermai derrière moi, bien décidée à ne laisser
personne me mettre des bâtons dans les roues cette fois.
21
Je connaissais ces murs par cœur. Je les avais arpentés pendant toute mon
enfance. J’avais couru pour échapper à mon père entre les pièces de la petite
maison défoncée que mes parents avaient achetée quand ils étaient plus jeunes.
J’avais fait des parties de cache-cache mémorables ici avec Nash, Billy et Rocky.
Parce que oui, la vie n’avait pas toujours été horrible à Pine Bluff. Il y avait eu
des moments de joie parmi les temps sombres, courtes périodes qui m’avaient
permis de survivre à l’Enfer que je subissais ici.
Enfant, je craignais mon père. Il était fort, il représentait l’autorité et il avait la
main lourde quand il s’y mettait. Je fuyais donc la maison tant que possible,
passant la plupart de mes semaines à la ferme de mes grands-parents, en
compagnie de ma grand-mère et d’Al, profitant de la tranquillité qui y régnait
pour me ressourcer. Mais je n’étais plus en enfant désormais, et je ne pouvais
plus fuir. Je n’en avais plus l’énergie. John Evans était une raclure de la pire
espèce qu’il fallait anéantir. Et cette fois, j’allais m’en charger personnellement.
Arrivant devant la porte en bois qui menait au sous-sol, je pris une profonde
inspiration et posai une main sur la poignée avant de la faire glisser sur le côté
pour l’ouvrir. Elle grinça, je me faufilai dans l’entrebâillement de celle-ci pour
descendre les marches qui s’enfonçaient jusqu’à la cave. Le cœur battant et
l’arme à la main, je braquai mon canon droit devant moi en arrivant dans à
l’étage inférieur, les membres légèrement fébriles. J’eus la désagréable surprise
d’y trouver mon père cagoulé, tournant autour d’une gamine d’environ 13 ans
solidement attachée à une chaise, devant une caméra en marche. Il avait
visiblement prévu de tourner une autre de ces petites vidéos macabres. Mais il
n’était pas dans mes plans de le laisser agir en toute impunité.
Quand l’homme entendit la dernière marche de l’escalier grincer, il
s’immobilisa et stoppa son discours devant l’objectif pour se tourner vers moi. Je
vis la stupeur dans son regard quand il me reconnut, et qu’il comprit que son
heure était venue.
— Ne fais pas un geste, John, dis-je en pointant mon flingue contre sa
poitrine, la partie est finie.
La jeune fille attachée sur la chaise en bois se mit à se débattre et à hurler
sous le scotch qui lui cisaillait les joues, en me suppliant du regard de faire
quelque chose. Je l’ignorai, préférant ne pas quitter le chasseur des yeux. Celui-
ci retira sa cagoule, se sachant démasqué, et découvrit son visage au teint jauni
par la drogue et l’alcool. Il sourit, un sourire aux dents pourries qui creusèrent
encore plus les traits marqués de sa face. Un rire rauque, grinçant et mauvais lui
échappa.
— Bordel de merde, si je m’attendais à ça, dit-il. C’est cette salope de Sarah
qui t’a laissé entrer chez moi, c’est ça ?
— Je t’interdis de traiter ma mère de salope, crachai-je, fulminante. La seule
que je vois ici, c’est toi.
— Comment tu m’as trouvé ? me questionna-t-il en se redressant. Comment
tu as su ? C’est Andrew, c’est ça ?
Je souris.
— Tu n’as jamais su t’entourer, John. Faire craquer un homme, c’est très
facile, surtout quand ils sont aussi faibles que Flores et toi. T’en prendre à des
gosses ? Sérieux ? Tu n’as rien trouvé de mieux pour prouver ta virilité ? Pour
asseoir ton pouvoir, ou celui que tu crois avoir plutôt ?
La mine de mon opposant se durcit davantage, il serra ses poings gantés de
cuir et fronça les sourcils.
— Lâche-moi ce flingue, Dean. La dernière fois que tu en as pointé un sur
moi, ça s’est mal fini.
C’était vrai. À 14 ans, j’avais cherché à assassiner mon père pour défendre ma
mère. Mais le flingue que j’avais à cette époque n’avait pas fonctionné et mon
géniteur s’était jeté sur moi pour se venger. Il m’avait tabassée et avait entrepris
de m’étrangler pour me faire taire à jamais. C’était Curtis Fisher qui était venu
me sauver la mise, et après cette histoire, je n’avais plus remis les pieds chez
moi, Al décidant de me faire venir à la ferme définitivement. J’avais perdu le
combat ce soir-là, mais j’étais encore une gamine peu expérimentée à cette
époque. Les choses avaient changé depuis, je n’étais plus aussi fragile qu’avant.
— Cette fois, c’est pour toi que ça va mal finir. Je vais te tuer, John. Pour
maman, pour Katty et Lizzie, pour les gamins que tu as torturés et assassinés,
pour Al que tu as toujours déçu, et enfin pour moi. Cette fois tu ne t’en sortiras
pas. À quoi pensais-tu en rameutant des chasseurs et des humains pour faire
partie de cette mascarade morbide ?
— Mascarade morbide ? répéta-t-il, furieux. Pauvre idiote, il en va de l’avenir
de l’humanité ! Les surnaturels deviennent plus nombreux de jour en jour, ils
pullulent dans nos rues et ils sortent maintenant à découvert par la faute de ton
chien de mari ! Ils vont nous envahir, nous tuer ou nous transformer pour faire de
nous des monstres comme eux ! Ils méritent ce qu’il leur arrive, et ce qui
continuera de leur arriver même après ma mort ! Nous sommes nombreux et
nous ne lâcherons pas le morceau. Cette Terre est la nôtre, ils doivent le
comprendre.
— Tu ne tues pas des enfants et tu ne les tortures pas dans ta cave comme un
vaurien parce que tu as peur que les supra-humains nous envahissent, c’est
uniquement pour ton propre plaisir. Parce que tu t’es senti rabaissé un nombre
incalculable de fois en ratant tes traques, en te faisant vaincre par des
métamorphes. La haine que tu attises n’est que le reflet de ta médiocrité, John.
Tu n’as aucune valeur, aucun sentiment, et tu te venges sur des enfants innocents
parce que tu sais très bien au fond de toi que tu serais incapable de t’en prendre à
leurs parents. Tu es une lopette, sale enfoiré de trou du cul, et tu crèveras seul ici,
comme le chien que tu es.
Et encore, le traiter de chien était une insulte à la race animale. M’enfin…
— Ferme ta gueule ! hurla-t-il alors en sortant une lame de sa poche pour la
placer sous la gorge de l’adolescente. Tu ne sais rien de moi, Poppy ! Tu ne vaux
pas mieux que tous ces animaux, tu ne comprends rien car ton intelligence est
limitée, anesthésiée par l’emprise des créatures avec lesquelles tu t’accouples !
Regarde-toi, tu n’es qu’une vulgaire pute au service d’un lycan qui ne t’aime
même pas ! Tu écartes les cuisses quand il t’ordonne de te coucher sur le dos, et
tu ne penses plus à réfléchir avec ta tête après ça. Sinon, tu saurais que tout ce
que tu dis est un ramassis de conneries !
Ça, c’était la meilleure de l’année ! C’était moi qui disais des conneries
alors ? La bonne blague !
— Je vais tous les crever jusqu’au dernier, rajouta-t-il en pressant sa lame
contre la gorge délicate de la métamorphe.
— Lâche-la, John, ou je te jure que tu vas le regretter.
— Vas-y, tue-moi Poppy, et je lui trancherai la gorge comme la vulgaire truie
qu’elle est dans un dernier geste.
Bon, très bien.
Abaissant mon arme lentement, je soupirai et plaçai le Glock dans ma main
droite.
— Voilà, c’est bien Poppy, tu reconnais enfin ton maître.
Je pouffai, et levai ma main gauche pour claquer dans mes doigts. Dès lors, le
couteau que tenait le traqueur lui glissa des mains et atterrit dans la mienne, joli
tour que m’avait enseigné Sombre.
— La télékinésie, c’est vraiment un don très pratique, lui fis-je remarquer en
observant le couteau entre mes doigts. Dommage que tu ne saches pas en faire
usage.
À ce moment-là, John poussa un grondement de rage en tirant de sa ceinture
une arme à feu que je n’avais pas vue jusqu’alors. Instinctivement, je relevai
mon Glock pour le braquer sur lui avant qu’il n’ait le temps de me tirer dessus.
La scène sembla se dérouler au ralenti. John et moi nous visâmes simultanément,
décidés à aller jusqu’au bout, mais alors que je m’apprêtais à tirer, une
détonation explosa tout près de mon oreille, me faisant lâcher mon arme au sol
sous le coup de la surprise. Je me retournai d’un bond et découvris ma mère
debout au pied de l’escalier, un fusil sans doute beaucoup plus lourd qu’elle
entre les mains. Elle avait le regard brillant de détermination et une mine sévère
que je ne lui avais pas vue depuis des années. Quand je tournai les talons pour
regarder John, je le vis s’effondrer sur le sol bétonné, une partie du visage
ensanglantée. Il tomba face contre terre et ne se releva plus. Ma mère l’avait
achevé, mettant ainsi un terme à ses agissements monstrueux.
Je fus incapable de réagir pendant plusieurs secondes après le tir. Ma tête
tournait en raison de la détonation qui m’avait sans doute abîmé un tympan.
J’étais sous le choc, complètement abasourdie par ce que venait de faire ma
mère. Elle l’avait tué. Elle l’avait fait. Putain.
Ce fut le cri déchirant de celle-ci qui me sortit de ma torpeur. Sarah s’écroula
à genoux, tremblante et en pleurs. Elle hurlait de douleur, prenant pleinement
conscience qu’elle venait de tuer l’homme avec lequel elle avait vécu plus de
vingt-cinq ans. Je secouai la tête et n’attendis plus une seconde avant d’aller
détacher la fille qui pleurait tout autant que ma génitrice. Je coupai les cordes à
l’aide du couteau de mon père, et la libérai de ses liens avant de la prendre dans
mes bras pour la consoler. Nous restâmes de longues secondes dans les bras
l’une de l’autre. Je la berçai contre moi pour faire cesser ses sanglots.
— Où sont les autres ? lui demandai-je quand elle commença à se calmer.
— L… là-bas ! répondit-elle en pointant du doigt une porte en métal dans le
fond de la cave.
Je me levai alors, et me dirigeai vers celle-ci à grandes enjambées avant de
revenir sur mes pas pour exploser la caméra qui tournait encore. Après quoi
j’allai ouvrir la porte pour trouver, entassés dans une petite remise pas plus
grande qu’un placard à balais, deux enfants d’une dizaine d’années visiblement
inconscients. L’un d’eux était le petit garçon de la red room.
— Il… il nous droguait ! pleura l’adolescente en se couvrant le visage de ses
mains. Il nous a fra… frappés.
— Je sais ma puce, je sais, soufflai-je en attrapant l’un après l’autre les
enfants endormis pour les allonger au sol avant de sortir mon téléphone de ma
poche et de le lui tendre. Tu sais t’en servir, n’est-ce pas ?
Elle acquiesça.
— Bien, alors sors d’ici, et va dans mon répertoire. Tu y trouveras le numéro
d’un homme appelé Mark Teller. Appelle-le, et dis-lui où tu te trouves et que
c’est Poppy qui lui demande de venir tout de suite. Tu peux faire ça ?
La jeune fille hocha de nouveau la tête, et s’empara de l’appareil avant de
partir en courant vers l’escalier, passant devant ma mère effondrée sans la
regarder. J’inspirai un grand coup, et me relevai les manches avant de
commencer à soigner les petits métamorphes qui étaient dans un sale état.
Néanmoins, ils respiraient, ils allaient vivre.
— Bon sang Evans, pesta Mark Teller, les bras croisés contre sa poitrine, près
de deux heures plus tard. Je n’arrive pas à croire que tu sois venue ici toute
seule ! Nick va te tuer !
Sandy, la jeune fille à qui j’avais demandé de prévenir mon beau-frère, était
parvenue à le joindre et à lui raconter tout ce qui était arrivé ici. Le Lieutenant,
qui vivait dans les environs et qui était resté dans le coin après que nous ayons
retrouvé les enfants la veille, était arrivé en quatrième vitesse avec deux SUV
blindés de loups enragés et prêts à en découdre. Malheureusement pour eux, tout
s’était déjà réglé sans eux et le Patron, comme mon père aimait à se faire
appeler, avait été neutralisé. Les enfants avaient immédiatement été pris en
charge par l’Alpha et ses hommes. Quant à ma mère, il avait été difficile de lui
faire quitter la cave. Un loup avait dû la contraindre à l’aide de ses dons de
persuasion pour y parvenir. Elle était désormais assise à l’arrière de ma Mustang,
tel un zombie.
— Je sais. Je vais l’appeler et tout lui expliquer.
Assise sur les marches du perron, je soupirai, et jetai un coup d’œil à la
montagne de documents que j’avais récupérée en fouillant la maison et le bureau
de mon géniteur. Certains concernaient des humains qui avaient adhéré au
mouvement extrémiste, je les avais tous rassemblés en une pile pour la remettre
à Mark. L’autre moitié était pour moi, pour les chasseurs de Rogers, car elle
contenait des informations sur les traqueurs qui s’étaient rangés du mauvais côté
de la force. Grâce à ces papiers, à tous ces noms, nous allions pouvoir agir en
toute discrétion en évitant de braquer les projecteurs sur notre communauté et les
dérives de certains de nos membres.
— Tiens, lui dis-je en tendant au grand brun les informations sur les
extrémistes humains, ça devrait te servir pour protéger les tiens.
Mark fronça les sourcils.
— Tu as trouvé ça ici ?
Je hochai la tête.
— Ouais. John était en fait le meneur de groupe des extrémistes de la région,
de l’état de l’Arkansas et d’une partie de l’Oklahoma. C’était lui, avec l’aide de
l’esprit détraqué d’Andrew Flores, qui avait eu l’idée des enlèvements et des
meurtres pour faire « payer » les métamorphes. Je crois que c’était juste une
excuse pour laisser libre cours à leur haine et à leurs déviances.
Le lycan gronda. Il remit les documents à son premier Lieutenant, qui les
emporta dans son véhicule.
— Qu’est-ce que tu vas faire de ta mère ? me questionna-t-il. Elle était
complice.
J’acquiesçai. Ma mère savait tout ce qui se passait ici et elle n’avait
strictement rien fait pour empêcher son mari d’agir. Elle méritait d’être punie
pour ses crimes, mais je ne pouvais pas me résoudre à la laisser entre les mains
de loups-garous. Ils la tortureraient et la tueraient. Je ne voulais pas que ça
arrive. Une part de moi, une minuscule part de mon être, la voyait encore comme
ma mère. Elle n’était certainement pas à la hauteur de ce titre, mais elle l’était
malgré tout.
— Une voisine va l’héberger en attendant que ma sœur Katty vienne la
chercher, elle passera quelque temps chez elle pour se remettre. Je sais qu’elle a
fait du mal, Mark, rajoutai-je en voyant sa mine désapprobatrice, mais c’est ma
mère et elle était sous l’emprise d’un homme violent qui l’a complètement
asservie au fil des années. Je lui en veux, mais je ne peux pas la…
— Je comprends, me coupa l’homme en posant une main sur mon épaule. On
va se charger de tout maintenant, Poppy. Tu veux que j’appelle Nick moi-même
pour lui expliquer la situation ?
Je secouai la tête de gauche à droite.
— Non, c’est à moi de le faire. Je te remercie d’être venu, Mark. Tiens-moi au
courant pour les gamins, j’aimerais avoir de leurs nouvelles à l’occasion.
Le Lieutenant soupira.
— Ça marche. En revanche, c’est à moi de te remercier Poppy. Je ne sais pas
ce qu’on aurait fait si toi et les chasseurs vous ne nous aviez pas prêté main-
forte. À ce titre, l’implication de certains des vôtres ne sera pas mentionnée dans
le rapport que je ferai au conseil et aux familles de ceux qui n’ont pas eu la
chance de survivre.
Je le remerciai. Les traqueurs auraient été dans la panade si les familles
avaient appris pour ceux qui avaient basculé du mauvais côté. J’étais soulagée de
savoir que la crise pouvait encore être gérée, et qu’on avait une chance de ne pas
aggraver les choses.
— Je vais m’occuper de tout ça, on se voit bientôt Evans. Tu es sûre que tu ne
veux pas que je reste avec toi ?
J’acquiesçai une nouvelle fois.
— Sûre et certaine, va, et emporte-moi le corps de cet enfoiré loin d’ici,
lançai-je en lorgnant du coin de l’œil les hommes du loup-garou qui chargeaient
dans le coffre d’un 4 x 4 le corps de mon père emballé dans un drap.
— On va faire disparaître le cadavre, il ne restera plus aucune trace de lui
après cette histoire, affirma-t-il en descendant les marches du perron.
Ce n’était pas une mauvaise chose. Il n’y aurait aucune tombe, aucun
enterrement, aucun dernier hommage, il ne le méritait pas. J’espérais en mon for
intérieur qu’il soit en ce moment même en train de brûler en Enfer, là où était sa
place.
Lorsque Mark s’en alla, je me rassis à ma place et composai le numéro de
mon mari. Il décrocha, comme toujours, dès la deuxième sonnerie.
— Ah, Poppy, dit-il en soupirant, c’est la dernière fois qu’on propose à Judy
de faire du babysitting, j’ai dû montrer les crocs pour qu’elle me rende ma fille !
Les femmes sont dingues avec Wi…
— Nick, le coupai-je alors, préférant ne pas penser à ma fille maintenant de
peur de fondre en larmes. Il faut que je te dise quelque chose et je sais d’avance
que ça ne va pas te plaire.
22
Winter se dressait sur ses petites jambes avec détermination, le regard vif et
l’air décidé. Elle vacilla dans mes bras, mais ne tomba pas. Elle garda la tête
tournée vers son père qui, assis sur le tapis à moins d’un mètre de nous, tendait
ses grands bras musclés vers sa progéniture. Lui aussi avait les yeux brillants
d’une fierté qu’il ne cherchait pas le moins du monde à cacher. Il était heureux,
et il suffisait de le voir encourager sa fille pour le comprendre.
— Allez Winnie, tu peux le faire ! s’enthousiasma le lycan.
La petite fille sourit, tout excitée à l’idée de se déplacer seule, et fit un
premier pas en avant alors que je la tenais encore sous les aisselles. Elle
paraissait stable, aussi je desserrai lentement ma prise pour la laisser effectuer les
quelques centimètres qui la séparaient de son père toute seule. Winter fit ses
premiers pas d’une démarche incertaine sous les regards ébahis des membres de
la meute réunis dans le salon. Tous retenaient leur souffle alors que la petite
louve d’à peine dix mois et demi marchait vers son papa. Émerveillée par ma
fille, je gardai les yeux rivés sur elle sans pouvoir m’en détacher. Quand elle
parvint à atteindre Nick, après s’être démenée pour mettre un pied devant l’autre,
elle poussa un cri de joie et se jeta entre les biceps du grand roux sous les
applaudissements de nos camarades.
— Bravo ma beauté ! s’exclama le highlander en soulevant sa fille au-dessus
du sol avant de déposer un baiser contre son front.
— Nos enfants grandissent beaucoup trop vite, lança Leah en essuyant la
petite larme qui coulait au coin de son œil.
Logan, installé à côté d’elle, Hunter sur ses genoux, hocha la tête en caressant
les cheveux de son fils. Le louveteau qui avait fêté ses 2 deux ans quelques jours
plus tôt tapait dans ses petites mains et scandait « Bravo Win ! » pour féliciter sa
camarade de jeu. Il souriait de toutes ses petites dents.
— Je suis d’accord, soupirai-je en rejoignant ma moitié et ma fille, qui tirait
sur ses cheveux roux.
Nick se pencha en avant pour m’embrasser. Je ne me défilai pas et caressai sa
joue en pressant mes lèvres contre les siennes.
— Winnie grandit beaucoup trop vite à mon goût, déplorai-je en chatouillant
le ventre de l’intéressée.
Elle gloussa en me réclamant un câlin, que je lui offris immédiatement.
— J’ai l’impression que le temps où je lui donnais le sein, c’était hier !
Nick glissa une main sur mon bras pour me réconforter et caressa les cheveux
blonds vénitiens de notre fille qui, tout comme les siens, étaient épais et bouclés.
— Bientôt, Winter aura 20 ans et elle ne pensera plus qu’à sortir avec des
garçons et…
— La ferme Sam, le stoppa mon mari. Ne dis plus un mot, sauf si tu veux que
je broie tous les os dont dispose ton corps.
Le Gamma, qui aimait asticoter son Alpha sur le sujet sensible qu’était la
future vie amoureuse de sa fille, esquissa un sourire en coin et croisa les bras
contre son torse en se laissant couler dans le canapé. Il semblait très amusé par la
mine renfrognée de son ami, qui tirait désormais une tronche de dix pieds de
long. Nick ne voulait pas penser au fait que Winter deviendrait une jeune femme
tôt ou tard et qu’elle finirait un jour où l’autre par rencontrer sa moitié et voler
de ses propres ailes. C’était trop tôt, elle était encore son bébé, et il en resterait
ainsi pour les trente prochaines années, minimum.
Rebecca, assise gracieusement non loin de Sammy, leva les yeux au ciel en
étudiant mon âme-sœur et ses sourcils froncés. Seth et elle échangèrent des
coups d’œil railleurs.
Secouant la tête de gauche à droite, je tentai de masquer le sourire qui me
brûlait les lèvres et redonnai toute mon attention à ma fille. Elle caressait mon
visage de ses doigts riquiqui en babillant joyeusement.
J’étais très impressionnée par la vitesse incroyable avec laquelle les enfants
métamorphes se développaient. Oh, ils ne grandissaient pas plus rapidement que
les autres enfants, ne devenaient pas adultes en quelques mois. Mais en ce qui
concernait la parole, la marche ou la réflexion, les bambins change-peau
battaient des records.
À dix mois et deux semaines, Winter était déjà très éveillée. Elle avait
commencé à se déplacer à quatre pattes à seulement sept mois, à se dresser sur
ses guibolles à neuf mois, et à marcher à dix. Elle savait dire quelques mots, ses
premiers avaient d’ailleurs été « mama », « papa » et « non ». Ce dernier étant de
loin son préféré. Elle le prononçait souvent lorsque son père essayait
désespérément de lui donner sa purée de brocolis. Elle préférait largement celle
de carottes.
J’étais très fière de notre fille. Winnie était magnifique, ses grands yeux
vairons pouvaient suffire à attendrir le plus féroce des lycans, elle était très
souriante et très câline. Mais je n’avais pas envie de la voir grandir trop vite. Elle
était à moi, à nous, et un instinct particulièrement primitif me poussait à vouloir
la garder pour nous encore un moment. Le plus longtemps possible. D’autant
que le monde restait encore dangereux, là dehors, et que sa protection comptait
plus que tout pour moi. Et bien sûr, il était nettement plus facile de protéger une
enfant qu’une adolescente, ou une jeune adulte.
Heureusement, j’avais encore le temps de penser à tous les cheveux blancs
qu’elle allait me donner en grandissant.
Alors que j’étais perdue dans mes pensées, la porte d’entrée de la villa
s’ouvrit. Je jetai un regard par-dessus mon épaule pour voir Loki James, le Bêta
aux cheveux de lion et parrain de notre petite merveille. Il se dirigea dans notre
direction, la mine fermée et le regard sombre. Je fronçai les sourcils et me
relevai, Winter dans les bras.
— James, tu as loupé les premiers pas de ta filleule, déclarai-je en souriant au
nouveau venu.
Le géant aux yeux de glace s’immobilisa dans le salon et braqua ses iris d’un
bleu arctique sur la petite fille occupée à mâchouiller le col de mon tee-shirt
GhostBusters.
— Vraiment ? Cette puce se sert de ses petites pattes pour gambader, hein ?
Bientôt, elle courra après Hunter dans toute la maison.
Le louveteau en question applaudit de nouveau, visiblement emballé à l’idée
de courir avec Winnie. Leah essuya sa joue sur laquelle était étalé du chocolat.
Le petit s’était régalé en mangeant un bout de brownie apporté plus tôt dans la
journée par Arlene, ma patronne. Elle était aussi littéralement folle de celle
qu’elle considérait comme sa petite-fille. Les deux enfants, ainsi qu’Aiden et
Seth, qui étaient un peu comme nos grands ados, avaient savouré ce gâteau sans
oublier de s’en mettre partout.
— Est-ce que tout va bien, Loki ? s’enquit Nick, qui voyait bien que quelque
chose tiraillait son bras droit.
Le mâle sembla soudainement gêné. Il jeta un coup d’œil à Leah, les lèvres
serrées, et se pencha en avant pour regarder Hunter.
— Eh, bonhomme, lança-t-il en souriant, qu’est-ce que tu dirais d’aller jouer
avec ta maman dans le jardin ?
— Oh oui ! cria le garçonnet en descendant des cuisses de son papa.
Il tira sur la main de sa maman avec entrain.
— Jouer maman ! Jouer maman !
Leah jeta un coup d’œil interrogateur à Loki, mais se leva malgré tout.
— Emportez Winter avec vous, proposa le Bêta. Dans quelques minutes,
l’atmosphère du salon devrait être alourdie par des vibrations, il sera mieux pour
les enfants qu’ils soient dehors à ce moment-là.
Ne comprenant pas vraiment ce qui se passait, je plaçai Winter entre les bras
de Leah et déposai un baiser sur le front de ma fille avant que la louve ne
l’emmène sur la terrasse à l’arrière de la maison. Lorsque la baie vitrée fut
refermée et que nous nous retrouvâmes entre adultes, Nick exigea des
explications de son meilleur ami.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Le blond se massa la nuque et prit place sur l’accoudoir d’un des trois gros
canapés en cuir.
— J’ai reçu un coup de téléphone de Mark, qui m’a lui-même expliqué avoir
reçu un appel du premier ministre.
Abasourdie, je secouai la tête de gauche à droite et croisai mes bras contre ma
poitrine.
— Le premier ministre ? Qu’est-ce qu’il voulait ?
Loki soupira.
— Apparemment, la CIA{3} a découvert l’existence d’un laboratoire
clandestin où des scientifiques avaient décidé d’organiser de petites expériences
illégales sur des métamorphes, dans le but de percer les mystères de notre ADN.
Grâce à des organisations d’extrémistes, qui se chargeaient pour eux d’enlever
des métamorphes, très souvent solitaires. Ils étaient ensuite amenés au labo et
retenus dans des cages en attendant d’être utilisés pour les expérimentations.
Mon cœur se serra dans ma poitrine à l’entente de ces révélations
monstrueuses. Nick, qui sentit mon malaise, enroula un bras autour de mes
épaules et me colla contre lui pour m’envelopper dans une étreinte rassurante. Je
n’arrivais pas à croire que les extrémistes avaient encore frappé. Nous qui
pensions qu’ils s’étaient calmés après la mort de plusieurs chasseurs à la tête de
certains de ces groupes radicaux. Chasseurs que mes confrères et moi avions
personnellement éliminés.
— Que s’est-il passé ? La CIA a-t-elle pris des mesures ? s’interrogea Nick,
dont le grondement sourd fit vrombir sa poitrine.
— Oui, bien sûr. Le gouvernement a ordonné un assaut, et plusieurs des
scientifiques et des membres du personnel ont été arrêtés, même si certains
d’entre eux sont parvenus à s’en aller avant d’être attrapés. Des otages ont été
libérés, malheureusement, plusieurs ont été également abattus avant que les
agents des autorités humaines parviennent à entrer dans le laboratoire. Les
médecins ne voulaient pas qu’ils parlent, alors ils ont essayé d’éliminer les
otages susceptibles de témoigner des horreurs qu’ils ont vécues au sein de
l’établissement du cauchemar.
Horrifiée, je fermai les yeux et me pinçai l’arête du nez alors que les loups
réunis dans le salon proféraient des grondements bestiaux. Loki avait raison, en
quelques secondes, l’atmosphère se chargea d’une électricité si palpable qu’elle
m’en donna mal au crâne. Je dus m’asseoir pour pallier aux vertiges qui me
saisissaient. Je n’étais pas aussi résistante aux vibrations de domination que mes
camarades lycans. Nick me caressa tendrement les cheveux, mais je sentais sa
main trembler de colère au sommet de mon crâne.
— Le premier ministre ne savait pas qui appeler, continua Loki, alors il a opté
pour le représentant lycan de la zone sud ainsi que le représentant métamorphe
de cette même zone. Mark m’a immédiatement appelé. Les victimes qui s’en
sont sorties vont devoir être prises en charge, et aucune n’a souhaité être
récupérée par des autorités humaines. Ils vont être envoyés dans des meutes le
temps de l’enquête sur le laboratoire. Mark voulait savoir si nous étions prêts à
accueillir des individus lycanthropes dans nos rangs quelque temps.
Daryl roula des épaules, visiblement tendu.
— Des solitaires, ici ?
Je lui coulai un regard en coin. Les préjugés sur les loups solitaires avaient la
dent dure. Daryl, premier Gamma de la Meute du Soleil, responsable de la
sécurité des loups qui la constituait, ne voyait pas d’un très bon œil
l’hébergement de garous sans attaches. Quand bien même ils auraient vécu le
pire.
— Nous sommes d’accord, déclarai-je précipitamment, nous ne pouvons pas
laisser des victimes sans protection et sans aide extérieure alors qu’ils viennent
de vivre le pire. N’est-ce pas, Red ?
L’Alpha paraissait hésitant.
— S’ils ont vécu le pire, répondit-il, il se pourrait que leurs loups soient
devenus agressifs, imprévisibles et je ne veux pas risquer que Winter et Hunter
soient mis en danger.
Je serrai les lèvres.
— Ils seront bien encadrés et ne resteront jamais seuls avec les enfants. Nous
avons déjà géré des crises pires que celle-ci. Et encore une fois, je ne resterai pas
sans rien faire alors que des loups traumatisés attendent d’être accueillis et
rassurés. Ma décision est prise, affirmai-je en me levant. Loki, appelle Mark, et
dis-lui que nous sommes assurément disposés à prendre en charge les membres
de notre communauté.
Nick soupira et entoura mes hanches d’un bras avant de m’attirer à lui. Il
planta ses yeux gris dans les miens en esquissant un sourire.
— Tu es vraiment une tête de mule, Evans, tu le sais ça ? me demanda-t-il.
Je souris et me hissai sur la pointe des pieds, le visage incliné de sorte à lui
réclamer un baiser.
— Je sais que tu aimes ça.
Le loup attrapa mon menton entre deux doigts et se pencha en avant pour
frôler mes lèvres des siennes. Sa bouche était douce, soyeuse, sensuelle et
aguicheuse. Je me pelotonnai davantage contre lui.
— Je suis contraint de l’avouer, murmura-t-il avant de m’embrasser.
Ignorant les grognements désapprobateurs de Daryl et Walter, les deux
grognons attitrés de la meute, je me lovai contre mon compagnon et savourai le
baiser qu’il m’offrit. Après quoi je revins sur mes pieds et frottai ma joue contre
le torse massif de mon mari.
— Bon, alors très bien, intervint Loki, je vais téléphoner à Bram et je me
chargerai personnellement de l’accueil de nos invités le temps de leur séjour sur
notre territoire. Mais en attendant, j’aimerais voir ma filleule faire ses premiers
pas. Les soucis peuvent attendre encore une ou deux heures.
Nick et moi échangeâmes alors un regard complice et nous embrassâmes une
dernière fois avant de rejoindre Leah à l’extérieur de la maison. Nous fûmes
suivis de près par nos amis, qui n’avaient aucune envie de manquer les pas
encore hésitants de la petite Teller.
Je ne savais pas ce qui nous attendait encore, la vie était pleine de surprises et
la nôtre était surtout pleine de problèmes. Mais encore une fois, je savais
qu’ensemble, nous serions prêts à faire face à tous les obstacles qui pouvaient se
dresser devant nous. Nous tous, nous étions une famille, et nous serrer les coudes
faisait partie de nos habitudes. Quoi que l’avenir nous réservât, nous ferions
face. Nous serions prêts.
FIN
Remerciements
Eh bien voilà, nous y sommes. Après sept tomes d’Alpha, des mois passés à
retranscrire les aventures de Poppy, de Nick et de tous leurs camarades, des
semaines difficiles où les doutes m’empêchaient d’écrire et où vos
encouragements me poussaient à continuer, je suis à la fois triste et heureuse de
vous partager ma gratitude.
Pour commencer, j’aimerais remercier ma mère. Elle ne m’a jamais
abandonnée, m’a toujours poussée à suivre mes rêves, à ne pas baisser les bras.
Ma mère m’encourage dans tout ce que je fais, me porte sans cesse vers le haut
et ne me demande rien en échange de son soutien, si ce n’est d’être heureuse.
Sans elle, Alpha n’aurait pas vu le jour. C’est d’ailleurs elle qui m’a donné l’idée
d’écrire sur les loups-garous !
J’aimerais également remercier ma bêta-lectrice et amie, Manue. Toujours là
pour moi quand je suis au fond du seau, et que je remets tout ce que je fais – ou
écris – en question. C’est un amour, je l’adore, et je ne la remercierai jamais
assez d’être à mes côtés – ou presque – au quotidien.
Je dois dire un grand merci à mes grands-parents, ainsi qu’à mes oncles,
François et Alain, qui me témoignent une fierté qui me fait à chaque fois chaud
au cœur. Merci d’être toujours derrière moi, quoi qu’il arrive.
Merci à Emma ! Qui ne m’a jamais tenu rigueur d’annuler une journée entre
copines pour me permettre de terminer mon chapitre. Tu es une amie formidable,
et je suis heureuse de t’avoir dans ma vie !
Un grand merci à l’équipe des éditions Lips & Co. ! Évidemment ! Je n’y
croyais pas quand j’ai reçu leur appel, une après-midi d’été, pour me dire que
mon roman avait plu et que la maison d’édition était prête à l’accueillir. J’étais
aux anges, si bien qu’il m’a fallu plusieurs jours pour que j’y croie réellement.
(Plusieurs mois en fait, je n’y ai vraiment cru qu’à la sortie du premier tome.)
Merci à Amandine, qui s’est montrée très patiente envers moi ! Elle m’a
poussé à me dépasser et à donner le meilleur de moi-même.
Un immense merci à Sophie ! Ma super correctrice ! Habituellement,
j’entends souvent les auteurs dire que les corrections sont pour eux les moments
les plus difficiles. Eh bien ce n’est pas mon cas ! J’ai adoré corriger ces romans
avec toi, Sophie, et j’ai hâte de m’attaquer à d’autres ! Tu as effectué un travail
formidable sur mes bouquins, m’aidant à les rendre meilleurs pour le plus grand
bonheur de mes lecteurs !
J’enjoins le même merci à Shirley, à Caroline, et à tous ceux qui, chez
Lips & Co., ont contribué à la publication de mes romans et à leur mise en
avant ! Je suis impatiente de vivre de nouvelles aventures avec vous, d’autant
que je suis sûre qu’elles seront pleines de surprises !
Je dois également remercier mon père, qui n’est malheureusement plus de ce
monde aujourd’hui, et qui m’a toujours, jusqu’à la fin, encourager à suivre mon
chemin. Je n’oublierai jamais la fierté dans ses yeux quand il a tenu mon premier
roman entre ses mains. Je suis sûre qu’il me regarde avec la même fierté dans le
regard, où qu’il soit désormais.
Je remercie aussi tous les lecteurs, et notamment ceux qui me suivaient sur
Wattpad à mes débuts ! Vos commentaires quotidiens, qui faisaient boguer mon
téléphone tant ils étaient nombreux, me faisaient chaud au cœur et continuent de
faire mon bonheur. Vous êtes tous adorables ! Et j’ai hâte de vous faire découvrir
d’autres univers, d’autres personnages. N’oubliez pas de vous armer d’ail,
d’oignons, de pieux en bois et de croix en argent, car mes livres sont toujours
remplis de créatures mystérieuses et légèrement agressives sur les bords. On ne
sait jamais à quoi s’en tenir avec moi, mieux vaut prévenir que guérir.
Et pour finir – le mot de la fin –, je te remercie, toi, qui lis ceci. Merci d’en
être arrivé jusqu’ici, d’avoir apprécié mes romans, de les avoir suivis avec autant
d’engouement. Sans toi, les Alpha, et les livres qui viendront après, n’auraient
pas eu la chance de grandir et d’en arriver là. Je te suis profondément
reconnaissante d’avoir osé ouvrir les pages de mes histoires, et de te plonger
dans mon univers légèrement déjanté. Si tu es triste de refermer ce chapitre de la
saga Alpha, ne t’en fais pas, les membres de la Meute du Soleil n’ont peut-être
pas dit leur dernier mot…
{1}
Abréviation de « Virtual Private Network », soit en français « réseau privé virtuel ». Il s’agit d’un
système permettant de créer un lien direct entre deux ordinateurs distants, en isolant ce trafic.
{2}
Cujo est un chien enragé dans le roman de Stephen King du même nom.
{3}
Central Intelligence Agency. Il s’agit d’une agence de renseignements la plus connue des États-Unis.