Les Enigmes de La Guerre - Allard Paul - Paris - 1933

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LES-ÉNIGMES
LA GUERRE
OUVRAGES DE PAUL ALLARD
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PAUL ALLARD |

LES ÉNIGMES
LA GUERRE
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ÉDITIONS DES PORTIQUES


144, Avenue des Champs-Élysées
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Tous droits de reproduction, traduction, adaptation
réservés pour tous pays, y compris l'U. R. S. S.
Copyright by Evmioxs nes Ponrtiques, 1933.
PRIXTED IN FRAKCE,
: QUI A VOULU LACHER NANCY ?
>

Dans un chapitre de l’Oreille fendue


des Généraux limogés pendant la guerre)(Histoire .
l'ambition de rechercher pourquoi le générj'ai eu
Castelnau ne fut pas, malgré ses demandes al de
‘tées, nommé Maréchal de France, répé-
.
Cette publication m’a valu d'ent
sion d’une série de documents dontrer létat en posses-
— fidèle aux consignes du général de -major -
Castelnau
— interdit encore aujourd’hui, près de
après, la révélation. Îls appartiennent vingt ans
principaux exécutants du génér à l’un des
al de Castel-
nan : le général Léon Durand, comm
2° groupe de Division de réserve, ancieandant le
du Conseil supérieur de la Guerre. n membre
|
Exécutant. exécuté puis ue, aussitôt après
Nancy sauvé, le général Léon Durand
fendue par le général de Castelnau eut l'oreille
! ,
Le général Durand est'aujourd’hui
ses deux fils, par un noble senti décédé, et
filiale, ont voulu rétablir la vérité ment de .piété
Journal personnel des marches en publiant le
leur père.’ ct opérations de
CT -
L’Etat-Major de l'Armée ayant exigé
ment la suppression d’une vingtaine. formelle- :
les plus carac de pages —
téristiques — de ses mémoires, le.
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 13

Non moins ému que lui, je lui réponds : « Nous .


tiendrons! »' -
Devant le veto du ministère de la Guerre, le
général. Durand, avec une haute noblesse de
caractère, déclare : « De mon entretien avec le
général de Castelnau, je suis prêt à supprimer
celte phrase : « Nous sommes les sacrifiés! »
. mais le reste du récit, je ne puis. IL fait autant
d'honneur au général de Castelnau qu'à moi-
même. Il confirme le rôle qui m’a été donné et
- qui, jusqu’à la fin, a guidé ma conduite et sou-
tenu mes efforts! » :
Revenant à son Quartier Général, le général |
Durand eut une surprise. 11 apprend que le Quar-
tier Général du général de Castenau est parti
après avoir brûlé les archives, les cartes, y com-
pris celles, à grande échelle, des environs .de
Nancy, qui se trouvaient dans les chambres des
officiers! | | out
« Cet autidafé a fâcheusement impressionné
mes officiers, et, plus encore, les
hommes de
. troupe de mon Quartier Général. Je ne peux pas
supprimer ce passage. Je ne peux pas
véracité des faits qui caractérisent un étatnier la
regrettable. Je n’en parlerais pas si ce d'âme
devait pas servir à mettre en garde, récit ne.
contre tout ce qui peut atteindre pour l’avenir,
le moral de
Parmée! US : oo
« Pendant que j'étais au Quartier
20° corps — continue le général Durand Généra ldu
général de: Castelnau — Je .
était venu au mien, à la
caserne Blandan. En mon: absence, il donna à
mon chef d'état-major ses directives pour .
taque à exécuter le l’at-
endemain, l’ordre
de Ia 2° armée que je regrette de ne d'attaque
pas avoir,
Mais qui doit se trouver dans les archives,
terminant par ces mots : « On compte et se
général sur le
Durand ».
On compte ? Je me demande qui était cet on
?
16 ‘LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

que Ja tâche incombant aux troupes que vous


commandez depuis Je début de la campagne vous
a imposé des fatiques extraordinaires à la suite
_ desquelles vous n’avez pas toujours montré dans
votre commandement toute la pondération né-
cessaire. Il me paraît utile que vous preniez du
repos pendant quelque temps! »
LA VERITE SUR L'AFFAIRE DREYFUS

Au début de la guerre, vers le mois


1914,
d'octobre .
nous recûümes, à la Censure,
un coup de
téléphone mystérieux : . ‘ ‘
— Allo!? Le Bureaude la Presse? Ici,
dacteur en chef de. Est-ce que nous le ré-
parier de l'affaire Dreyfus? pouvons
— Non, monsieur, impossible!
là-dessus, une consigne formelle. LeNous avons,
colonel Dreyfus a prié le Gouvernement lieutenant-
ignorer son engagement de laisser . :
volontaire dans l’armée
française. | : :
— Ï ne s’agit pas du
. de M. Louis Louis-Dreyfus,colon el Dreyfus, mais
le gros importateur
/ … de blé. Vous savez micux
que
affaire Dreyfus! Ravitaillement moi qu’il y a une .
t même pis! de l'Allemagne.
: ° |
So, Et notre interlocuteur essayait
L des J'enselgnements comp de nous tirer
léme
" *n'étions pas chargés d’informntaires. Mais nous
er les journaux.
… 7 Impossible! Nous avons
, également, reçu -
les instructions les plus précises
parler de cette affaire-Jà : il ne faut pas -
Le

. 2 EE .

PARRAIOTES,
— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 11
entretien a été provoqué par la mission que
m'avait donnée le général de Castelnau. J'avais
écrit le 21 août l’ordre de préparer la retraite de
mes troupes au-delà de Toul : je suis envoyé
le général de Castelnau à M. Mirman. À la par
mande de M. Mirman, je fais un court appel de-
la population. Est-ce cct appel qu’on me Tepro-à
che ? Et si on me le reproche, est-ce parce
a dérangé tout le plan de l'Etat-Major ? qu’il
Le général Durand confie à ses fils .
cument qu’il leur « laisse en: héritage un do-
lettre de M. Mirman qui déclare : «J'es >» : une
bien qu’un jour cette page sera père
Lorrains sauront avec précision écritela
et que les
dérante que vous avez prise dans lapart prépon-
Nancy. défense de
Ces événem ents, les Français
aussi, dans doivent
tout le pays, les connaître.
Man remet aux fils du général Duran > M. Mir-
qu'il a écrites au soir du 22 août sur d les notes
‘ Samedi 22 août 1914. G son carnet : .
-Cherai-je ce soir à Nancy ou heures 1/2 : Cou-
à Toul? Serai-je
fusillé ? .
+ 11 heures 1/2 : Un capitaine de : LE
du général de Castelnau vient m’ann l'état-major
général oncer que le
se retire à Pont-Saint-Vincent.
commente pas. : [1 ne
- _ … =
« 1 heure 1/2 : Que se passe-
sonnel des postes vient de partir t-il ? Le per-
teur. Le service télégraphique avec le direc-
Cest donc la fin? Si vite ? J'avisest interrompu.
de la Banque pour mettre les e le directeur
. Nous allons préparer nos-afraires caisses à l'abri.
énéral va nous aviser, je pense.et attendre. Le
rons. Et s’il oublie? Nous atten-
L °
« 7 heures : Coup de théâtre! Le
rand me donne des nouvelles rassurgénéral Du-
tente. Je me montre en ville. Malgr antes. .Dé-
&nèments que je leur donne, le maire é etles rensei-
MM. Laurent l’adjoint:
et Maringer, s’en vont. Comme:le
#
12 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
départ des postes avait produit en ville une émo-
tion profonde, je conseille au général Durand
d'adresser à la population une courte proclama-
tion. Plus tard, j’ai su que, au G.Q.G., on avait
raillé le geste : « Mes troupes et moi, sommes
Jà! >» « Un peu là! »… dirent les railleurs em-
busqués. Critique aisée pour qui travaille loin
‘du canon sans contact immédiat avec les popu-
lations! »

se

Le dimanche 23 août, le général Durand note


sur son journal des marches et opérations, cet
émouvant entretien avec le général de Castelnau
.dont on lui demande formellement l’échoppage :
: — Le lendemain, dès la première heure, je me
“rends auprès du général de Castelnau. J'avais
appris qu’il venait de connaître la mort de son
fils, jeune sous-lieutenant au 4° batailion de
chasseurs, tué à Morhange. Je le trouve au télé-
phône en conversation avec le général Dubail.
J’admire la netteté et la précision avec lesquelles,
sans carte sous les yeux, le général, frappé dans
ses plus chères affections, fait entendre ses di-
rectives. : . LU
Quand il eut fini, je lui témoïignai toute la part
que je prends à sa douleur. Alors, en pleine effu-
sion et sous l'empire d’une grande émotion, il
me dit : « Nous sommes les sacrifiés! Et, par
surcroît, je perds mon fils. C’est trop! » I] m'ex-
pose, ensuite, la situation de son armée.
-e Je ne sais pas encore si je pourrai me main-
tenir sur la Meurthe ou sur la Mortagne, ou si
je ne serai pas obligé de me replier sur Ïa Moselle
pour couvrir la trouée de Charmes. En tout cas
— ajoute-t-il en me serrant les mains — ne lä-
chez pas pied, sinon, mon armée est perdue! »
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 13

Non moins ému que lui, je lui réponds : « Nous .


tiendrons! »' -
Devant le veto du ministère de la Guerre, le
général. Durand, avec une haute noblesse de
caractère, déclare : « De mon entretien avec le
général de Castelnau, je suis prêt à supprimer
celte phrase : « Nous sommes les sacrifiés! »
. mais le reste du récit, je ne puis. IL fait autant
d'honneur au général de Castelnau qu'à moi-
même. Il confirme le rôle qui m’a été donné et
- qui, jusqu’à la fin, a guidé ma conduite et sou-
tenu mes efforts! » :
Revenant à son Quartier Général, le général |
Durand eut une surprise. 11 apprend que le Quar-
tier Général du général de Castenau est parti
après avoir brûlé les archives, les cartes, y com-
pris celles, à grande échelle, des environs .de
Nancy, qui se trouvaient dans les chambres des
officiers! | | out
« Cet autidafé a fâcheusement impressionné
mes officiers, et, plus encore, les
hommes de
. troupe de mon Quartier Général. Je ne peux pas
supprimer ce passage. Je ne peux pas
véracité des faits qui caractérisent un étatnier la
regrettable. Je n’en parlerais pas si ce d'âme
devait pas servir à mettre en garde, récit ne.
contre tout ce qui peut atteindre pour l’avenir,
le moral de
Parmée! US : oo
« Pendant que j'étais au Quartier
20° corps — continue le général Durand Généra ldu
général de: Castelnau — Je .
était venu au mien, à la
caserne Blandan. En mon: absence, il donna à
mon chef d'état-major ses directives pour .
taque à exécuter le l’at-
endemain, l’ordre
de Ia 2° armée que je regrette de ne d'attaque
pas avoir,
Mais qui doit se trouver dans les archives,
terminant par ces mots : « On compte et se
général sur le
Durand ».
On compte ? Je me demande qui était cet on
?
14 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
Pourquoi cet appel à ma personnalité ? Enigme
que je n’ai pas encore éclaircie. En tout cas, à
Mon avis, cet appel n’était pas à sa place dans un
ordre d'opérations. Il révèle la gravité de la si-
. tualion et la confiance qu’on met en moi. Je-ne
puis le supprimer. » | |
*
+

À la date du’ 29 août, le général Durand note :


« Je reçois de la 2° armée l’ordre n° 52 qui se
termine ainsi : « Rechercher moins à obtenir u
- Succès qu’à éviter un échec. » . |
. On reste confondu, commente le général de-
vant la lecture d’une pareille phrase qui ne peut
que paralyser les efforts — Je suis prêt, pour-
tant, à supprimer ce souvenir, bien qu’il soit
caractéristique de certains esprits prêts à se glo-
‘rifier d’un succès si un subordonné réussit, ou à
rejeter sur lui les conséquences s’il a échoué.
Et nous voici au 8 septembre, jour tragique.
< Dans Ia matinée, mon chef d'état-major
m'apporte de la 2° Armée J’ordre verbal de pré-
parer et de signer, d'avance, l'ordre de retraite
sur la rive gauche de la Meurthe.Je m'étonne :
qu'un ordre de cette importancé ne me soit pas
onné par écrit. Et je dis à mon chef d’état-
major: « De quoi s’agit-il ? Combattra-t-on ? Si
on combat, je ne puis établir, d'avance, des
ordres de retraite. Si on ne combat pas, s’il n’y
‘a pas d'ordre écrit donné, ce n’est plus la guerre :
c’est un Kriegspil. Préparez ce Kriegspil, colo-
nel! Maïs, quant à signer cet ordre de retraite,
jamais! J'aurai toujours le temps de le signer
- quand il me sera donné! » |
Comme on lui demande de supprimer ce pas:
sage compromcttant, le général Durand proteste :-
< Non, je re puis supprimer ce récit, ou alors,
‘TX.
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE : 15
autant ne rien dire. Je dis la vérité,
. tout!» et c'est
- … .
Voici un dernier fait qui entra
du général Durand et qu'on demaîna la disgrâce
nde à ses fs,
encore aujourd'hui, de dissimuler
, Le . |
. 1 se place le 12 Septembre. La situa
rétablie. La bataille de Nancy est gagné tion est
nemi est en retraite, e. L’en-
& À 13 heures 30, la 2° Armée -
me prescrit, par
téléphone, de faire suivre, énergiqu
nemi. Sur ma demande, on me confiement l’en-
€ énergiquement ». Alors, je
rme le mot
donne
trois divisionsde pousser en avant l’ordre à mes
ments mixtes de cavalerie, d'arti des détache- :
terie allégée,
llerie et d’infar-
Mais, au moment
lancé, le général de Castelnau où cet ordre était
par le général Campagnon, queme fit connaître,
- avait été dépassée, qu'il ne s'agi son intention
suivre l'ennemi ssait que de faire
par des déta
Pour conserver le contact. chements très légers
Alors, je modifie— mais |
— mes ordres précédemment avec quel regret!
Comment ?
donnés! » ce
Voilà -qu’on lui reproche,
nant, d’avoir poursuivi trop mainte-
. nemi en retraite ? Et qu'on énergiquement l’en-.
cache avoir reçu cet exige-de lui qu'il
ordre énergique du général
de Castelnau ?
& Je | _
ne puis! J'ai été,
moi-même, sur le ver-
sant de Surneville, Une senti
coup de fusil. Quelle fuite désonelle m'a tiré un
mands sur la Seille ! De là mes rdonnée des Alle-
a$ PU poursuivre énergiquemen regrets de n'avoir
utin nous aurions ramassé !» t l'ennemi! Quel
Et voilà pourquoi, dix jours * .
Durand recevait la visite, après , le général
demie du soir, d’un officier vers sept heures et
la part de Joffre, lui envoyait
d'état-major qui, de
€ Il résulte des Tapports qui cette lettre :_
n'ont été fournis
par le général de Castelnau
et le général Dubail.
16 ‘LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

que Ja tâche incombant aux troupes que vous


commandez depuis Je début de la campagne vous
a imposé des fatiques extraordinaires à la suite
_ desquelles vous n’avez pas toujours montré dans
votre commandement toute la pondération né-
cessaire. Il me paraît utile que vous preniez du
repos pendant quelque temps! »
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 31
confidentiel le journal Stampa. J'informais mon
agent à Turin que ce journal, qui n'avait pas une
attitude favorable à notre pays, venait d’être in-
terdit en France, On n1a reproché d’avoir usé
après la déclaration de la guerre d’un code se-
. Cret. Mais j'avais remis, préalablement, à plu-
sieurs ministères et À la Süûrcté générale des
exemplaires de ce code avec leur clef. 0,
— Comment avez-vous expliqué la fameuse
dépêche « Chevaux »7. . |
-— Un _-
haut fonctionnaire du -Quai d'Orsay,
M. Gout, m'avait avisé qu’il s’opérait,
Scan- de
‘dinavie, des expéditions suspectes vers l’Alle-
magne. J'en prévins mon agent danois. Celui-ci
avait, déjà, avec ue rare perspicacité,
empêché
le navire allemand Helen d’atteindre son port
‘allemand avec sa cargaison et l'avait dérouté
vers'un port norvégien, .
Lorsqu'on me mit sous les yeux Ja dépêche
« Chevaux » j'en fis, immédiatement, traduir
par un traducteur juré de la Légation du Dane- e,
mark, la fameuse mention de l'emplo
yé de Co-
penhague, et, au lieu de la fausse traduction
Contrôle télégraphique : « Raccourcissez un du
le censeur verra ». il traduisit : « peu
peu : le censeur doit la voir. »-I Relen ez-là un
s'agi
censeur danois, au départ! ssait du
- —-

- GALLIENT SAUVE DREYFUS

Mais il y a mieux! C’est pour


je faillis être inculpé! Vous savezun qu'on
tréma que
reprochait — et c’est là-dessus que nous
prit ses mesures — la dépêche « Somm M. Millerand
seuls à véndre, mais Danemark, Suèd es -pas
Ce n'est pas « mais » Que nous eavion aussi. »
mais maïs! Fante d'un point supplémentais écrit,
le ïi, le sens de la dépêche était comp re sur
lètement
32 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
détourné! Tout cela apparut lumineusement à
l'enquête. Je suis heureux d'apprendre par vous
ue M. Tannery veut bien me décerner, aujour-
’hui, un brevet d’acquittement! Le général Gal-
liéni n'avait pas attendu si longtemps. Dès le
5 décembre 1915, il écrivait au Président de la
Commission du Budget :.
« Il faut qu'après cette enquête, la, situation
soit nette; la suspicion qui, depuis de longs mois,
. pèse sur la maison Louis Dreyfus, paralyse ses
affaires et lui porte un préjudice moral et maté-
riel énorme. Les conséquences de cette suspicion
nuisent au renom de la nation dans plusieurs
pays .neutres qui considéraient cette maison
comme un pourvoyeur indispensable en temps
normal, et à plus forte raison dans les temps pré-
sents, et qui, ne connaissant pas les motifs du
brusque arrêt de ses affaires, accusent la France
de contribuer sciemment à les priver des denrées
_les plus nécessaires.
Aucune des nombreuses opérations dont on a
fait, avec une entière bonne foi, mais avec moins
de perspicacité, grief à la maison Louis Dreufus,
et qui ont laissé planer sur elle le soupçon de fa-
voriser le ravitaillement de l'Allemagne, ne. peut
être retenue. Dans le commerce international, il
se présente forcément ‘des difficultés de tout
ordre au moment des hostilités; mais les divers
télégrammes saisis ou retardés ont, tous, été ex-
pliqués sans qu’il reste place à l’'ambigütté ou au
doute. Les actes et les écrits des chefs de la mai-
son Louis Dreyfus, avant et depuis la mobilisa-
tion, sont en opposilion avec une suspicion qui
n'a que trop duré : aucune des nombreuses opé-
rations que l’on avait cru contraires à leur devoir
de citoyen français ne peut'justifier cette accusa-
ion. »
= LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 5.

FT —.
+

— N'avez-vous pas eu votre revanche, mon-


sieur le Député? Est-ce que votre adversaire,
M. Tannery, n’a pas été, par suite de celte affaire,
€ limogé », débarqué, expédié comme planton à
Oran? ° Lo
— Je ne sais pas. Je ne m’en préoccupe pas.
Je sais seulement que mon ami Clemenceau —
l'hostilité de Millerand mon ancien avocat contre
mot, est due, en grande partie, à l'amitié qu'avait
pour moi l'Homme enchaîné — dès qu’il arriva .
au pouvoir, releva M. Tannery de ses fonctions.
J'ajoute ce simple détail : le censeur du Contrôle
télégraphique chargé de constituer mon dossier
était. Pierre Lenoir... >
LES SECRETS DU CARNET B.

— D'où vient cette expression : Carnet B? —


ai-je demandé aux discrets fonctionnaires de la
Sûreté générale. Pourquoi B? oo :
— Parce que, avant lui,.il y avait le Carnet A!
— Merci de cette explication lumineuse! Mais
encure ? _
— Le Carnet B. ayant été supprimé, fut mis
à la page et remplacé par le Carnet B. Le Car-
net B. n'était, d’ailleurs, pas du tout un carnet :
c'était un simple répertoire de feuilles volantes:
détachées, sur lesquelles figuraient les noms des
individus à mettre immédiatement en état d’ar-
restation préventive comme étant suspects de sa-
boter la mobilisation. :
‘En regard de leurs noms, figuraient les motifs
de cette suspicion. Le répertoire B. était jalouse:
ment conservé dans un coffre-fort du 4° Bureau
de la Sûreté générale. S’il avait fonctionné, les
télégrammes étaient tout prêts à être expédiés
aux préfets qui, d'accord avec les généraux com-
. mandants des régions militaires, et la police de
sûreté, auraient immédiatement arrêté les ins-
crits au Carnet B. et.les auraient mis dans un
camp de concentration. -
36 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

- Le Carnet B. contenait deux grandes divisions.


La première contenait les individus suspects
d'espionnage, c'est-à-dire ceux que les services
+

de contre-espionnage, civils ou militaires, avaient


- pu-reconnaître comme étant en relations avec les
puissances'centrales ou autres et qui, à ce titre,
devaient être surveillés plus particulièrement.
Dans ce cas, les inscriptions étaient faites par
les autorités civiles, d’accord avec l'autorité mili-
taire. Cette division comportait elle-même deux
sections : d’une part, les Français, et, de l’autre,
les étrangers. . | . |
. La deuxième division comprenait les individus
« dangereux au point de vne social »,'les révolu-
tionnaires, les partisans de l’action directe, syn-
dicalistes ou partisans du saboiage, en cas de mo-
bilisation, ou antimilitaristes.
Combien .d’individus étaient-ils inscrits au
Carnet B? à - |
On a dit trois mille. Ce chiffre est exagéré. Il
y avait dix-sept cent soixante-dix « Français
‘ dañgereux au point de vue social » et cent qua-
rante-neuf Français suspectés d’être
A
en relations
avec des nations étrangères. .
Quant au nombre des étrangers, il était illi-
“mité.
On sait que, dans une pensée d’union sacrée,
M. Malvy n’appliqua pas ces prescriptions. D'une
part, il suspendit l'effet normal des « lois. laï-
ques ». Par contre-partie, il suspendit, également.
les mesures de répression à l’égard des révolu-
tionnaires, des anarchistes et des syndicalistes.
Avant de proposer cette grave mesure a
Conseil des Ministres, Malvy alla trouver Clemen-
ceau qui était alors chef du parti radical et lui
demanda son avis. Clemenceau le reçut comme
————— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 37
un chien dans un jeu de quilles. Il se mit dans
une colère noire : | cs
— Fourrez-moi tout ce monde-là en prison!
Vous seriez un criminel de ne pas le faire!
Malvy en fut tout retourné et il en parla à
Viviani, président du Conseil, et c’est, en réalité, .
Viviani qui prit la responsabilité de ne pas appli-
quer le Carnet B. n .
Viviani s’en est ainsi expliqué : « Il y avait de .
tout sur le Carnet B., des espions auxquels, bien
entendu, il'a été appliqué, maïs aussi des ou-
vriers, des avocats, des députés suspects pour
avoir défendu les libertés syndicales. Il y avait
. des écrivains, comme Almereyda et comme
” M. Hervé. Que fallait-il faire?
À l'unanimité, il fut décidé qu’il né serait pas
appliqué.
: ’ai pensé qu’il n’était pas possible, au moment .
où la classe ouvrière marchait à la frontière,
d'envoyer quelques-uns de ses membres dans des
camps de concentration. J’ai pensé qu’il n’était
pas possible d'appliquer la loi de 1849. Ai-je eu
raison? Mes collègues du Gouvernement eurent-
ils raison avec moi d'agir de la sorte? Les faits ”
répondent. Il aurait pu y avoir, parmi ces
hommes inscrits au Carnet B. des criminels qui
se livrent à des actes de sabotage? Mais la mobi-
lisation, vous le savez, Messieurs, s’est faite dans
des conditions admirables. Nous avons, certes,
traversé des heures d'inquiétude. Je ne le nie pas.
Il aurait pu arriver que, parmi les individus ins-
crits au Carnet B. quelques criminels s’échap-
passent pour se livrer contre la mobilisation à
quelques attentats. Je Pavais bien prévu. Mais un
homme politique n’est pas un magistrat. Il pense.
Il choisit ses responsabilités. Oh! je sais qu’on
les prend quelquefois facilement en obéissant à .
la consigne. Mais au-dessus de la consigne, il y a
la conscience, |
38” LES ÉNIGMESDE LA GUERRE
La mobilisation . s’est. faite admirablement.
. Tandis que l’état-major.avait prévu 13 % de dé-
faillants parmi les hommes appelés sous les dra-
peaux, la proportion ne fut que de 1 3/4 %.Il
faut en rendre hommage à la France entière,à
: Ja République une et indivisible, à tous les partis
qui, dès le premier jour, ont aperçu que c'était :
la guerre de l’autocratie contre la liberté. Mais,
tout de même, comme s’il s'était produit un évé-
nement malheureux, il serait retombé sur ma
tête, j'ai peut-être le droit de dire ‘que le Gou-.
vernement dont j'étais le chef n’a rien fait pour
décourager les consciences et porter atteinte à la
- concorde nationale. CS
On me dit : « Il aurait peut-être fallu faire
- des démarcations. » Mais le temps et le crité-
rium pour établir des catégories manquaient!
Devais-je arrêter, avec Almereyda, Gustave
Hervé et Merle qui faisaient partie de la même
catégorie, Merle qui a, depuis, si brillamment
- accompli son devoir. Et d’autres qui venaient
d'être condamnés pour des actes outranciers?
Des écrivains que je pourrais nommer, parce que
des indicateurs les ont signalés, en sortant d’une
. réunion où ils ont entendu un discours il y a dix
ans, dés indicateurs qui ne signent même pas et
ne sont pas capables de se présenter en justice
Pour appuyer le document sans signature qu'ils
ont apporté! ="
C’est cela que j'aurais appliqué? Non! Je ne
* me défends pas, je revendique toute ma respon-
sabilité. C’est moi qui ai agi. C’est moi qui n'ai
pas voulu appliquer le Carnet B. - =
24 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
baisse — Prévoyons combinaison échouera si or-
donnez pas immédiatement comme télégraphié
hier. > ce DS -
Télégramme éminemment suspect! Destina-
taire en Espagne! Mots incompréhensibles
comme Buenos, tisserand! combinaison qui
échouera! Et enfin. + baromètre: baisse » cela
ne veut rien dire, sinon dans un langage confi-
dentiel! Pas de doute : M. Louis Dreyius a, en
Espagne, des complices comme en Hollande!
Duant à la dépêche + Dusseldorf >, la voici
dans toute son horreur :
« Cabaner Dusseldorf vampirisme Barcelone. »
‘Elle était de M. Dreyfus de Paris à M. Dreyfus,
de Londres.
Aucune hésitation : MM. Dreyfus et Cie entre-
tenaient des relations avec l'Allemagne puisque
Dusseldorf est en Allemagne! -
s
L'IMPORTATION DES ÉCUREUILS -:

Forts de ces présomptions, les censeurs se mi-


rent à guetter, avec une passion accrue, les télé-
grammes de M. Louis. : :
Le 5 septembre, ils tombent de nouveau en
arrêt sur la dépêche « Ecureuil ».
De Bordeaux, M. Louis Louis-Dreyfus télé-
graphie à M. Corinaldi à Turin :
& Importation écureuil interdite. > Louis.
« Ecureuil » est certainement un mot de code!
Imaginer que M. Louis Louis-Dreyfus
besoin de gaspiller son argent pour éprouv e le
inform
M. Corinaldi que les écureuils ne peuven er
être importés t pas
en Italie serait fou! Il'est mani-
feste que ce mot « écureuil » désigne
un objet ou
une denrée suspecte. Hypothèse d'autant plus
plausible .qu'à ce moment, lItalie
neutre. est encore
.
44 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
ceau — je m’en souviens — me disait : « Ce sont
deux garçons intelligents. » : .
Par la suite, Clemenceau ne me reprocha ja-
mais d’avoir cédé à mes instances.

MILLERAND, BRIAND INSCRITS AU CARNET B. |

J’insistai encore auprès de M. Pierre Laval :


— Mais pourquoi avez-vous été inscrit au
Carnet B? . :
— Ah! pourquoi? Je-n’en sais exactement
‘rien. Qu'est-ce qui avait aitiré lattention sur
moi? J'étais avocat, simple avocat: je n'étais ni
maireni député puisque je n’ai été élu qu’en
1914. Ai-je, dans une réunion publique, prononcé
des paroles imprudentes ? Ai-je dit, par exemple,
comme tout le monde le disait dans notre mi-
-lieu < Poincaré, c’est la guerre! » C’est bien
possible. Cela aurait suffi!
. € Maïs il y a autre chose : j'étais avocat de la
C.G.T. Et toute la C.G.T. — Jouhaux en tête —
était sur le Carnet B..On m'aura, en qualité
d'avocat, compris dans la tournée. Il suffisait
-d’être pacifiste. Croyez bien qu’à côté d'Hervé, il
. Y avait Aristide Briand, et qu’à côté de Jouhaurx,
il y avait. Millerand!
& Tout-cela .
me paraît bien vieux, aujour-
dhuil - . . " :
< Ce qui est le plus important, peut-être, c’est
mon rôle inconnu au sein de la Commission
l’Armée, Dans votre livre sur les Coraités de
secrets,
vous avez révélé au public que j'ai été le premi
à parler des mutineries. er
Je ne’ vous le reproche
pas, et je n’en rougis pas. Je vous prie
ment de seule-
dire que le texte des Comités
n'était pas revu par les orateurs et que, secret
de-ci
s
de-là, on est obligé de redresser quelque peu
le
texte que vous avez publié. C’est moi, donc, qui,
LES ENIGMES DE LA GUERRE. 45
au moment des mutineries, ai obtenu qu'aucune. ‘
exécution de soldats n'ait lieu sans l'avis du mi-
nistre. Un jour, un seul jour, j'ai sauvé neuf
têtes. Et, après guerre, en 1920, alors qu’à Ro-
mainville, je donnais une conférence publique,
"j'ai vu un citoyen monter à la tribune et me
donner l’accolade : c'était un soldat mutin que
j'avais sauvé. » |

L'ANARCHISTE QUI VEUT RESTER EN PRISON... |


. y a un département français où furen
cutées les mesures prescrites par le Carnett exé-
c’est le département du Nord. B. :
.
M. Renaudel, quand il lapprit, protesta ‘
lemment. On fit une enquête qui établit vio-
vingt-six syndicalistes inscrits au Carne que
avaient été jetés en prison à Lille, puis, t B.
l'offensive lors de
allemande, transférés
Paris, à la à
Santé. - |
Malvy fut prévenu et donna l'ordre de 1.
lâcher, Mais un fait piquant se produisit les re-
détenus — qui étaient du service armé : les -
naïent pas du tout à sortir de prison — ne te-
rent des ordres écrits. Une dact logra et ils exigè-
liste des vingt-six libérés malgré phe fit la
Comble de malheur! Sur sa page, eux.
que vingt-cinq. Et le vingt-sixième elle n’en tapa _
son. Renaudel, de nouveau resta en pri-
protester : « Est-ce qu’on se préve nu, se mit à
f.. de moi? dit-il :
il y en a encore un! »
On fit une enquête. Le vingt-si | °
lait pas s’en aller : c'était l'an xième ne vou- :
choux. Il était inscrit au verso archiste Brout-
comprenait la liste de ses vingt-cide la page qui
et la dactylographe n’avait pas pris nq camarades,
la peine de
u-fait de cette mesure de
evint suspect à ses amis,
QUEL FUT LE ROLE 7
DE LA FRANC-MAÇONNERIE
PENDANT LA GUERRE ?:

RÉQUISITOIRE

« Cest la franc-maçonnerie
Suerre. L’attentat de Serajevo estquiun a crime
voulu la
fonnique! 3 ‘
ma-
. .
Précisant cette accusation, l’archevêq
Bordeaux, Monseigneur Andrieux, ue de
écrit dans un
Message : « C’est la franc-maçonneri e ui, d’ac-
cord avec l'Allemagne, a déterminé cet
table fléau. C’est elle qui, après épouvan-
ur nous empêcher de vaincre, avoir tout fait
a cherché,
-
es Manœuvres les plus perfides, à nous par
de recueillir les fruits de la victoi empêcher
re! » |
€ l'autre côté de la barricade, le général
dendorf, lui-même, accuse la franc Lu- ,
-maçonnerie
£ d'être la cause exclusive du déchaîneme
guerre, > Un ex-maçon ne lui a-t-il nt de la
qu'il avait assisté,-en 1913, à de
pas avoué
nombreuses « te-
nues > où des plans de conflagrat ion
urent élaborés? Ce maçon aurait vaineunive ment
rselle
testé auprès du comte Bohma, Grand Maîtr pro-. :
la loge de Prusse. Mais Ludendorf ayant elancé de
28 LES ÉNIGMESDE LA GUERRE

l'agent danois, après avoir. proposé l’exportation


sur l'Allemagne, ajoutait :
e Du reste, sommes pas seuls vendre mais Da-
nemark, Suède, Bunge Muller vendirent aussi
mais naturellement quatrième partie de notre
quantité, » ,
Cette dépêche fut portée au ministre de la
Guerre lui-même, M. Millerand, comme étant une
pièce capitale constituant une sorte d’aveu dé-
sinvolte. Nous ne sommes pas seuls! La Suède
et le Danemark aussi! etc.
C'est à ce moment-là que le sursis accordé à
M. Louis Louis-Dreyfus fut annulé et que ses
télégrammes furent saisis d'office par la Censure
et non transmis à l'intéressé. Dans cette série
figure la dépêche « Lires pour Trésor français ».
. & Pouvons mettre disposition Trésor français
million lires si besoin s'exprime immédiatement. :
Calculons rentrée jusque fin octobre succursale
Gênes environ deux millions lires. » 7.
: Ce télégramme, considéré comme suspect, ne
. fut jamais remis à la maison Dreyfus. Et c’est
-plus tard que M. Louis Louis-Dreyfus en put
-donner l'explication. : | |
Le ministre des Finances avait besoin de lires
italiennes. Il le fit connaître à M. Dreyfus qui
câbla, à ce sujet, à un de ses directeurs, M. Rap-
paport, qui se trouvait en Italie,
M. Dreyfus se déclaraiten mesure de mettre,
immédiatement, à la disposition du-Trésor fran-
çais, d’abord un million de lires, et, ensuite, deux
milhons. La suspension de ce télégramme empê-
cha l'opération demandée par le Mouvement gé-
néral des fonds. FT
LES ÉNIGMESDE LA GUERRE 29

ACCUSÉ SANS LE SAVOIR

Or, le réquisitoire que vous venez de lire et


dont, jour par jour, était saisi M. Millerand, fut
entièrement ignoré de-M. Dreyfus. .
& Qu'on agisse ainsi à l'égard d’un interdit de .
séjour, d’un condamné de droit commun — me
déclare M. Louis Louis-Dreyfus, je le comprends.
On le surveille. On lui tend une souricière. C’est.
justice! Mais, même en temps de guerre, il me
semble inadmissible de procéder de la sorte
Végard d’une maison -française dont l’honora-à
bilité est au-dessus de tout soupçon. En Angle-
terre, il n’en était. pas de même. Lorsqu e
conirôle télégraphique avait un doute, on faisaitle
immédiatement venir le suspecté. On lui remet-
tait les textes incriminés et on lui demandait
« Expliquez franchement ce que cela veut dire, :-
Pour en arriver là, il fallut des mois »
mois. Et même des années! Le contrôleuret des
“néral de l’armée Audibert fit, également, gé-
enquête. Et son
M. Raynaud, député, ancien ministre,
fut chargé, en 1919, d'étudier rétrospectivem
le fonctionnement du contrôle télégraphique. ent
Cest ainsi que, peu à peu, j'ai
même temps que mes col aborateurs,été à amené, en
les mystérieux télégrammes. expliquer
| |

M. LOUIS DREYFUS EXPLIQUE L'ÉNIGME

< Batterie de cuisine ? » Eh bien!


sait d’une batterie de cuisine et nonoui, il s’ agis-
batterie d’artillerie! Elle me fut envoyéepas d’une.
à Bordeaux le 10 septembre 1914. de Paris
|
Envoyer dactylographe avec draps, peign :
serviettes toilette? Eh Bien. oui, il s'agi oïirs,
ssait d’une
e
‘80-—— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE:
dactylographe et d’un paquet renfermant des
draps, des peignoirs et des serviettes de toilette
qui, effectivement, arrivèrent à Bordeaux.
— Et les mots « Elysée pour moi >? Monsieur
le Député? Faut-il croire que le Président de la
République avait pris votre défense? M. Poin-
caré mécrit-il pas, dans ses Mémoires, qu'il a
reçu votre visite un jour que vous êtes venu pro-
poser au Gouvernement d’utiliser les « services
‘intéressés » pour obtenir de l'Angleterre une plus
grande latitude de frêt et régler les questions des
banques italiennes? . - :
— Ma visite à M. Poincaré est de beaucoup
postérieure. Elle date de 1916. Non : Elysée pour
moi a une explication beaucoup plus prosaïque! :
Mes bureaux étaient et sont encore rue de la
.. Banque. Je voulais-éviter une confusion, c’est-
_à-dire empêcher qu’on m'envoyât du linge de
bureau, mais bien du linge personnel de mon do-
micile privé, rue de l'Elysée! |
—. Mais alors, pourquoi avez-vous rayé, fina-
lement, les trois mots « Elysée pour moi »?
— Parce que je me suis ravisé! Je me suis
dit que mes employés ne commettraient pas la
confusion que je redoutais et ne remettraient pas
à la dactylographe du linge de bureau au lieu de
linge personnel. . | SU .
— Et « Baromètre baisse »? |
— Cela voulait dire que le baromètre baïs-
sait! Nous faisions, mon frère et moi, connaître à
notre agent qu’en République Argentine, le temps
était couvert et que le baromètre menaçait de
baisser. Il est.de notoriété publique que les pluies
détériorent le maïs. Or, le maïs que nous offrions
à nos clients comportait une plus-value puisque
la pluie ne pouvait pas les atteindre.
.-- Et l’'écureuil? .
— Ah! l’écureuil. J'avoue que c'était un mot
de passe. L’écureuil signifie, dans notre langage
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 31
confidentiel le journal Stampa. J'informais mon
agent à Turin que ce journal, qui n'avait pas une
attitude favorable à notre pays, venait d’être in-
terdit en France, On n1a reproché d’avoir usé
après la déclaration de la guerre d’un code se-
. Cret. Mais j'avais remis, préalablement, à plu-
sieurs ministères et À la Süûrcté générale des
exemplaires de ce code avec leur clef. 0,
— Comment avez-vous expliqué la fameuse
dépêche « Chevaux »7. . |
-— Un _-
haut fonctionnaire du -Quai d'Orsay,
M. Gout, m'avait avisé qu’il s’opérait,
Scan- de
‘dinavie, des expéditions suspectes vers l’Alle-
magne. J'en prévins mon agent danois. Celui-ci
avait, déjà, avec ue rare perspicacité,
empêché
le navire allemand Helen d’atteindre son port
‘allemand avec sa cargaison et l'avait dérouté
vers'un port norvégien, .
Lorsqu'on me mit sous les yeux Ja dépêche
« Chevaux » j'en fis, immédiatement, traduir
par un traducteur juré de la Légation du Dane- e,
mark, la fameuse mention de l'emplo
yé de Co-
penhague, et, au lieu de la fausse traduction
Contrôle télégraphique : « Raccourcissez un du
le censeur verra ». il traduisit : « peu
peu : le censeur doit la voir. »-I Relen ez-là un
s'agi
censeur danois, au départ! ssait du
- —-

- GALLIENT SAUVE DREYFUS

Mais il y a mieux! C’est pour


je faillis être inculpé! Vous savezun qu'on
tréma que
reprochait — et c’est là-dessus que nous
prit ses mesures — la dépêche « Somm M. Millerand
seuls à véndre, mais Danemark, Suèd es -pas
Ce n'est pas « mais » Que nous eavion aussi. »
mais maïs! Fante d'un point supplémentais écrit,
le ïi, le sens de la dépêche était comp re sur
lètement
54 - LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

siennes. Le Grand-Orient de France s’est fait le


serviteur des volontés gouvernementales.
Voulez-vous quelques faits symboliques? La
grande loge de France a été surprise par Ja dé-
claration de la guerreau moment même où elle
étudiait les modalités d’un rapprochement fran-
co-allemand. Dès les premiers jours de la guerre,
elle démolit, en un tournemain, la loge Gocthe,
qui était composée d'Allemands habitant Paris et
qui s'étaient placés sous sa juridiction. Elle lui
vola ses livres de procès-verbaux, ses archives,
et sa bibliothèque!
À Saint-Quentin, lorsque la ville fut occupée
ar les troupes allemandes, les franc-maçons
allemands envahirent la loge maçonnique, saisi-et
rent, d'autorité, la clef du temple, les objets,pour
convoquèrent les maçons français, nonpu pas êlre une
une cérémonie fraternelle qui aurait maçonnique
grandiose apothéose de la frate rnité
réalité, une
en pleine bataille, mais qui fut, en vainqueurs
injonction blessante des enva hiss eurs
aux envahis vaincus. rancune
Quant aux Belges, ils gardèrent s unequi, au cri
tenace aux franc-maçons alle mand
de détresse poussé par le Gran d Maitre de la
Magn ette , répondirent
franc-maçonnerie belge
par un silen ce mépr isan t.
comme Îes
Et les maçons allemands, envoûtés mens onge s offi-
intellectuels Allemands par les me fer, que les
. ciels. Ils.affirmaicen t, dur cont
te sur les prison-
Belges jetaient de l'eau bouillan
niers Allemands!
“+

M. Albert Lan-
e Et, ici même? — continue Maitre était,
cc temple dont le Grand
toine. Dans Pcigné, lorsque
le général
au début de la guerre, intervint dans la
Je roi Ferdinand de Bulgarie
- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 53
guerre’ aux Côtés de l'Allemagne, quelle fut l’at-
titude de notre loge? Elle comptait, sur ses
contrôles, un <« atelier » établi en Bulgarie : la:
loge Zarya. Elle ne douta pas un seul instant que
ses membres n’eussent approuvé la volonté per-
sonnelle du roi Ferdinand et, sans autre forme de
procès, elle la raya de ses contrôles malgré mes
amicales protestations auprès du général Peigné
à qui je dis : « Mon cher Grand Maître, vous
ne Savez pas si les maçons bulgares approuvent
la politique du Roi? » Mais non! l'outes les
uissances maçonniques .des nations, rompant
eurs attaches fraternelles, se jetèrent dans la.
mêlée en s’excommuniant réciproquement! Et la
cassure définitive vint le jour où, en 1916, les
maçons italiens préconisèrent l'intervention dans
la guerre, malgré l'opposition des socialistes de
la Péninsule. | ne
Voilà les vrais crimes de la franc-maçonnerie.
Tout le.reste n’est que légende!
L’attentat de Serajevo? |
Oui, certains des auteurs responsables appar-
tenaient à des sociétés secrètes. Et, dans le lan-
gage courant, dès qu’on dit « société secrète ».
on pense à la franc-maçonnerie! En réalité, deux
seulement des conspirateurs étaient franc-ma-
cons. rc |
Raspoutine franc-maçon? |
Autre erreur! Lui aussi faisait partie d’une
société secrète : la secte des « Khlyst » qui n’a
aucun rapport avec la franc-macônnerie.
La franc-maçonnerie à amené'le bolchevisme?
Nous n'avons pas d’ennemi plus terrible!
Sauf le fascisme. Fo ou
Tenez, voyez en quels termes la IIIe Interna-'
tionale :a excommunié la franc-maçonnerie.
Trotsky y déclara : e La franc-maçonneri
e est
une plaie sur le corps du communisme frança
Cette plaie, il faut la cautériser. Aux exhortatiois. :
ns .
06 — LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
des antagonistes de classe, la franc-maçonnerie
oppose des formules mystiques sentimentales, ct,
comme l'Église, elle les accompagne d’un rituel
de carème… La lumière? oui! Le soleil? oui! Le
_grand jour? oui mais non pasce soleil de carton
dans une loge obscure! » |

JOFFRE ET LA FRANC-MAÇONNERIE

Une dernière questionne brûlait les lèvres :


— Et Joffre? Est-il vrai que vous avez, jus-
. qu’en décembre 1916, défendu Joffre parce qu’il
était franc-maçcon? Et ‘d’abord, était-il franc-
maçon?
Votre question ne.me gêne pas — répondit
°M. Albert Lantoine. Et voici la vérité, toute la
vérité.
e Par une trahison d’un des nôtres — elles ne
- sont malheureusement pas rares! — un journal
ui nous a, toujours, poursuivi de sa haine :
a Libre parole, eut connaissance de la liste
complète de nos adhérents. Il était en train de la
ublier — ce qui provoquait, d’ailleurs, des ren-
vois d'employés, des suspicions, etc. — lors-
qu'éclata la guerre. Et La Libre parole en était
précisément à. Joffre. Voici la fiche du frère
Joffre :
« Joffre, Joseph, Jacques, Césaire. Général de
division, énit .”. (initié) le 25 novembre 1875 à la
loge Alsace-Lorraine. Or .:. (Orient) de Paris.
Com .-. (compagnon) le 28 décembre 1876. Maitre
le 26 décembre 1877. Honoraire en 1893. >
« Vous voyez que l'activité maçonnique de
Joffre était en sommeil au moment où il parvint
à ses hautes fonctions. Maïs il ne renia jamais
ses sympathies maçonniques. En 1919, au cours
d'un voyage en Suisse, 11 fut reçu à la Chaux
. par le frère Jeanneret, avocat. Parmi les délé-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 57
gations, se irouvaient celles de Ja loge. maçon-
nique. Des maçons, témoins de l'entrevué, atfir-
mèrent que, lorsque le délégué de Ia loge s’appro-
cha de Joffre, celui-ci, malgré la présence du
public « profane »,. se « mit à l’ordre d'ap-
prenti ». . | | oo
« Le soir, M. Jeanneret eut, sur la franc-maçon-
nerie, une conversation avec Joffre qui se donna
comme franc-macçon, affirma qu’il était resté de
cœur très attaché à la franc-maçonnerie, malgré
ses voyages qui avaicnt réduit de beaucoup son
activité de militant. .
« Deux ans plus tard, le 31 juillet 1921, Joffre
fut appelé à Monnetier-Mornex (Haute-Savoie)
pour l'inauguration d’un monument aux morts,
et il fut convié à la « tenue » des loges « Fra-
ternité-» de Genève, l'Allobrogie d'Annecy, et
FPAvenir du Chablais. Il assista enfin à 1
solsticiale où le bulletin maçonnique l'Acacia fête
gnala
si-
sa présence.
— Est-il exact que vous layez soutenu de
efforts vos
auprès du Gouvernement lorsqu'il
nacé d’avoir l’orcille fendue? N'est-ce pas fut me-
l'appui
maçonnique qui explique, en une certaine
sure, qu'il ait fallu de longues attaques me-
lui, au Comité
contre -
Secret, pour arriver à l’écarter
du Haut Commandement?
— Nous ne nous SOMMES DAS
mogcage du général Joffre, réponditOPposés au li-
Il nous est apparu qu'à un certain
M. Lantoine.
n'était plus défendable. Au reste, par moment, il
le plus vigoureusement attaqué au qui fut-il
du Sénat? Par un autre franc-maçon Comité Secret
M. Paul Doumer. illustre: :
-.
60 LES ÉNIGMES
-
DE LA GUERRE

l'Etat. C’est-la collection complète des Zntercep-


tés...
‘ Sur les Interceptés, l'Angleterre vient de jeter
un trait de lumière. Oh! faible, il est vrai. Le
lieutenant H. C. Hoy, secrétaire privé du direc-
teur de la Naval Intelligence britannique, a ré-
cemment, en effet, dans « 40 O.B. : la Chambre
secrète de l’'Amiraulé », entr’ouvert le mystère
‘ des interceptés en ce qui concerne la marine bri-
tannique. D
C’est dans la mystérieuse « Chambre 40. O.B. »
que furent captés, par les décripteurs anglais, les
radio-télégrammes secrets concernant les zeppe-
lins, les sous-marins, et aussi les communications
de l’Allemagne avec ses agents secrets dans les”
pays neutres. | |
C’est la Chambre 40. O.B. qui réussit le plus
beau coup de filet de la guerre : celui qui « ra-
mena » les célèbres messages Zimmermann d’où
devait dériver l'intervention américaine. Les ra-
dios par lesquels M. Zimmermann, secrétaire
d'Etat allemand aux Affaires étrangères, invitait.
par un langage soi-disant secret,le comte Berns-
dorff, ambassadeur allemand à Washington, à
commencer la lutte sous-marine sans restriction
ct à faire intervenir le Mexique contre les Etats-
Unis, entraînèrent définitivement la décision du
Président Wilson dès que celui-ci eut la preuve
irrécusable que ces messages étaient authenti-
ques. To

CENT MILLIONS DE MOTS CAPTÉS


Mais nous avons S eu, F
nous aussi,
aussi notre \ Cham-
bre 40 O.B.! ’ fussi,
Elle était située dans un-petit bure notre Cha
Jévard Saint-Germain où travaillaient,au du bou-
au début
de la guerr e, trois offici£ ers ?. ct, à la‘ fin,
D. , cent cin Ces
—————— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— (jf

quante spécialistes qui, près de l'état-major, cap-


faient et déchiffraient deux cents radios ennemis
par jour, ce qui, pour toute la durée de la guerre,
d’après les calculs du général Cartier, fait cent
millions de mots! -
€ Le vrai vainqueur de la-Marne — écrit ‘
Figaro, en pleine guerre, dans un article qui,le
échappant à la Censure, provoqua la plus
émotion parce qu’il informait l'ennemi d'un vive
cret qu'il ne devait pas connaître — Je vrai se-
queur de la Marne, c’est la radio! »
vain-
Après avoir poursuivi à fond, dans ce
ultra-secret, mon enquête, je me demanddomain
e
é
si
véritable vainqueur de ln guerre, ce n’est pas le
général Cartie
le
r, chef du bureau central de TSF.
ct du chiffre. ‘ . . |

M. POINCARÉ ET LES INTERCEPTÉS

, Son collaborateur le plus cher, M. Riviè


Jourd'hui haut magistrat à Caen, voulut re, au-
récem
ment révéler, dans un volume, les -
secrets du
Chiffre,. que personne, : jusqu'ici, en Franc
découverts, sauf par bribes et d’une manière e, n’a
Pirique, puisque de l'extérieur. Il consulta em-
Ministres de la Guerre et des Affaires étran les
gères
et aussi M. Poincaré. _
L'ancien Président de la République attachait.:
tn effet, une telle importance aux intercepté
que chaque matin, son premier travail était des
dépouiller la collection des deux cents télég
mes Captés la veille. Signalons, en passant, ram-
de l'autr
que,
e côté des tranchées, Ludendorf procé-
ait au même travail, mais avec beaucoup moïns
de succès. - . - .
Si vous lisez avec attentioles
n souvenirs de
Al. Poincaré, vous verrez ue, de ci, de là, figure,
entre parenthèses, un chiffre : c’estla référence
62 LES ÉNIGMES DE LÀ GUERRE
au fameux volume d’interceptés qui lui a été
247

remis par M. le général Cartier.


Un jour, M. Poincaré fut assez heureux de
signaler au général Galliéni, alors ministre de la
Guerre, une erreur de copie qui aurait pu avoir
de graves réperéussions. D’après un radio alle-
mand déchiffré, le ministère
de la Guerre avait
crü devoir annoncer au général Sarrail qu’une
division allemande se dirigeait vers Stroumitza.
Allemande? Le fait était capital! C'était l’Alle-
magne elle-même qui, avec toutes ses forces, fon-
. Gait sur notre armée de Salonique!
” Mais c’était une erreur de décryptement. Cette
division était, non pas allemande, mais bulgare.
Une rectification fut aussitôt envoyée par radio
en vuc de redresser cette erreur qui risquait
d’alarmer gravementet inutilement notre armée
- d'Orient.
Or, consulté, il y a peu de temps, sur l’oppor-
tunité de la publication entreprise par M. Ri-
vière, M. Raymond Poincaré répondit sans hé-
siter : « Il n'y a, à mon avis, que des avantages
à faire connaître, dans leur vérité, la cruauté ct
la fourberié des ordres secrets adressés par l’AI-
lemagne à ses représentants pendant la guerre :
n'est-ce pas dans un intercepté que figure l’ordre,
de Berlin, de torpiller, sans laisser de traces? »
Mais tel ne fut pas l’avis du Quai d'Orsay qui
opposa à M. Rivière un veto formel, appuyé bien-
tôt par celui -de notre état-major général.
M. Rivière s’est incliné. - :
Le général Cartier, qui a bien voulu.
corder, à maintes reprises, des nvac-
-

entrevues, n’est
pas loin de partager l'avis de M.
estime que l'ouverture de ces archives ‘Poincaré. Il
crètes, à condition qu’elle soit ultra-se-
fon et esprit critique, éclaireraitfaite avec précau-
la guerre et ses
dessous. un jour nécessaire et éclaircirait bien
es mystères, + -..
s
40 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

pas. C'était de bonne guerre. Car Malvy croyait


ainsi atteindre, par ricochet, Clemenceau. J'étais
clémenciste, et je ne m’en cachais pas. On me Je
reprochait assez! C'était homme qu’il fallait à
ce moment-là!
Et M. Pierre Laval évoque la période émou-
vante, angoissée, des mutineries, des grèves in-
quiétantes dans le personnel des usines travail-
lant pour la défense nationale, à Billancourt, à
Saint-Etienne. Et ce n’est pas sans fierté-qu'i
explique la cordialité et la confiance des rapports
qu’il avait — lui, jeune député socialiste — avec
le Tigre, et grâce auxquels il empêcha la répres-
sion et sût faire prévaloir la conciliation.
La confiance! La cordialité des rapports entre
ces deux hommes : l'Ancien, qui allait prendre le
pouvoir, et le jeune qui allait le prendre plus
fard! Elle était de notoriété publique, et quand
on interroge les parlementaires de cette époque,
ils content volontiers des anecdotes à ce sujet :
« Comme ce serait beau — disait Clemenceau
‘ Pierre Laval — si nous pouvions finir la guerre
ensemble! Si je pouvais la finir avec la collabo-
ration des représentants des milieux ouvriers! >
Vint la chute de Painlevé et le Cabinet Cle-
.menceau. Un accident survenu à Pierre Lava
l'empêcha d'assister à la réunion du groupe par”
lementaire. Et c’est Ernest Laffont qui, dans
l'enthousiasme, fait voter un ordre du jour dé-
clarant que le ministère Clemenceau était un défi
à laclasse ouvrière et un péril pour la défense
nationale.
A ce moment-là, ne disait-on pas qu’Albert
Thomas rêvait d’avoir le portefeuille des Af-
faires étrangères (à défaut de la Guerre) et qu’il
souhaitait la présidence du Conseil, encouragé
qu’il était par ses collègues impatients et avide
du pouvoir? :
Nouvelle réunion le lendemain, au 4° Bureau
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ai
de la Chambre. Pierre Laval est présent. On ne
lui fait plus grief d’être clémenciste. On l'écoute
avec attention. La veille, le groupe a décidé qu'on
ne participerait pas au Gouvernement Clemen-
ceau. Que va dire Pierre Laval? Dira-t-il qu’il
est à même d’offrir les portefeuilles des Finances
à Albert Thomas, de l'Agriculture à Compère-
Morel, du Travail. à Groussier, de la Marine à
Bouisson? Et que lui-même sera chargé, comme
collaborateur du ministre de l'Intérieur, des ser-
vices de ia Police? Non : Laval ne dira pas cela.
J1 s’inclinera devant la décision de ses collègues
et regrettera qu'elle ait été prise. L.
— Pendant vingt ans au moins — dit-il —
vous allez, par cette erreur de tactique, changer
l'axe de la direction politique de notre pays. Cle-
menceau tiendra à finir la guerre et il la ga-
gnera! » ‘ | |
On Pécoute avec scepticisme, et, parce qu’il a
dit que, respectueux de la discipline, il ne parti-
ciperait pas, on ne le contredit pas trop. Mais
le sourire de Sembat, les espoirs d'Albert Tho-
mas ne tombent pas devant les démonstrations
du jeune député d’Aubervilliers. -.,
‘Cest le côté politique des rapports entre
Pierre Laval et Clemenceau. Voici un autre côté
plus passionnant : c’est l’influence que ces rap-
ports eurent sur la politique sociale. Clemen-
cean avait reproché à Malvy, non seulement la
non-application du CarnetB. mais ses rapports
tendancieux avec les milieux ouvriers, avec Jou-
haux et Merheim. La grève de Saint-Etienne dure
depuis quelque temps. Les fusils vont partir. -
Andrieu, militant syndicaliste, pouvait payer chè-
rement sa foi de militant et les excès auxquels
elle l’a entraîné pendant que les ennemis sont
sur le territoire. Des incidents se produisent à la
Chambre. Ne dit-on pas.que Brizon veut revol-
veriser Clemenceau? _: _ °
42 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
. Laval, posté en haut de l'escalier qui, de la
Cour d'honneur, aboutit au Salon de la Pair,
attend Clemenceau avant linterpellation. Is
vont ensemble dans le Cabinet des Ministres, et,
pendant vingt minutes, le jeune essaie de con-
vaincre l’ancien. : |
& Vous ne connaissez pas les milieux ouvriers,
et si vous — avec votre autorité, votre réputation
— laissiez tomber de vos lèvres les paroles de
pardon, personne ne dirait que c’est de votre part
un acte de faiblesse! >» © .
‘ Clemenceau rudoie Laval :
< Des soldats se font tuer : le moins qu'on
puisse demander aux ouvriers c’est d’obéir! » |
Et Pierre Laval, qui prévoit le drame, se fait
encore plus pressant. Clemenceau commence à
réfléchir. : | . .
« J’enverrai
un Préfet intelligent : François
(qui était dans le Cher). » | ‘ .
. J'avais compris. La colère de Clemenceau était
tombée. Et, à la répression, seraient substituées,
J'en étais sûr, d’autres mesures moins brutales.
Andrieu fut renvoyé pendant quelque temps au
Puy, dans son régiment, Et tout rentra dans
l’ordre. | | .
. — Îl faut désormais — dis-je à Clemenceau
—— que vous ayez dés contacts avec les représen-
tants de la C.G.T... Il faut que vous voyiez Jou-
‘haux'et Merheim! (Je lui demandais, en somme,
de faire ce qu’il avait reproché à Malvy d’avoir
fait). Il le faut pour mieux assurer l’ordre à l'in-
- térieur et éviter, à l'avenir, des «+ accidents
>
comme ceux qui auraient pu se produire à Saint:
Etienne. ‘
Cela n’alla pas tout seul : c'était beaucoup lui
demander en une fois. Mais Clemenceau — qui
venait de décider la solution pacifique des grèves,
ne se contenta pas de cette demi-mesure. Il me
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE. 43
dit : « C’est bien : je les recevrai. Je compte sur
vous pour les voir et les informer! » .
Je le remerciai et je ne dois pas vous dissi-
muler que j'étais ému : Clemenceau venait de
me payer largement le tribut d’admiration et de
confiance que j'avais pour lui. a
Négociateur volontaire, il me restait à accom-
plir l’autre partie de ma mission. Ni Jouhaux —
et encore moins Merheïm — n'était au courant
de la démarche que je venais de faire. Ni l’un
ni l’autre ne m’avait chargé de solliciter pour lui
une entrevue. Je vis d’abord Jouhaux et le mis
au courant. Il me conseilla de voir Merrheim,
‘ sans tarder, ° ‘
C'est ainsi qu'après l’entrevue que j'avais eue
avec Clemenceau dans le Cabinet des Ministres,
j'en eus une autre dans un bureau de la rue
Grange-aux-Belles, avec Merrheim qui était as-
sisté de Loriot et de Doumercq. J’expliquai l’ini-
tiative que j'avais prise, et l'urgence de la ré-
ponse que je devais à Clemenceau, Ce fut une
grosse surprise pour ces militants!
— 1] faut que vous sachiez bien — insistai-je
— que si j’ai été autorisé par Clemenceau à vous
dire qu’il désirait vous voir, il faut que vous sa-
chiez également que ce n’est pas sans hésitation
qu’il n’a permis de faire cette démarche!
— Nous prendrons ce soir une décision — me
dit Merrheim — à la Commission exécutive.
Le lendemain, une délégation des ouvriers de
Montluçon se présentait au Cabinet de M. Cle-
menceau et Merrheim figurait parmi les délé-
gués. |
Depuis, les contacts furent nombreux. Jou-
haux et Merrheim eurent, souvent, l’occasion de
se rendre à la rue Saint-Dominique. La liaison
était solidement établie. Parlant des deux chefs
du mouvement syndicaliste ouvrier, Clemen-
” 68 LES ÉNIGMES DÉ LA GUERRE ———-
reconstituer : celui des communications avec les
sous-marins.

L'ARMÉE FRANÇAISE À L'ÉCOUTE


Or — et ceci n’est pas assez connu et doit être
proclamé — dès le début de la guerre, l’état-.
major de l’armée française, grâce au général Car-
tier,- fut à l'écoute et elle entendit tout ce qui
se disait de l'autre côté des tranchées. Elle put
lire. à livre ouvert dans le jeu-ennemi. Elle y
était, d’ailleurs, prête dès avant la guerre.
| Avant la guerre — m'expliquele général
Cartier — nous n'avions pas eu lPoccasion d’en-
tendre un poste de campagne allemand. Par
contre, nous étions. familiarisés avec les émis-
sionsde certains postes de place et, notamment,
avec les émissions de Metz, Strasbourg et Co-
logne, qui avaient fait de nombreux: exercices
dont nous avions profité pour apprendre les rè-
gles de service et surtout les abréviations de la
‘radiotélégraphie militaire allemande. Nous avions
ainsi reconnu la contexture des radiotélégram-
mes militaires chiffrés et pu déterminer le prin-
cipe du système cryptographique employé. |
Aussi, les premiers radiotélégrammes émis par
les postes de campagne ennemis furent-ils iden-
- tifiés aisément par nos spécialistes. Dès le. pas-
sage de la frontière, les émissions radiotélé-
graphiques des armées ennemies se multipliè-
rent, et il devint nécessaire d’en répartir l'écoute
entre les postes dont nous disposions alors, de
manière à recevoir, notamment, les communica-
tions simultanées qui étaient relativement nom-
breuses. : | : -
L'examen des nombreux’ radiotélégrammes
interceptés, qui nous parvenaient,
,
télégraphique-
ment, de tous nos postes d'écoute dans un délai
LES ENIGMES DE LA GUERRE. 45
au moment des mutineries, ai obtenu qu'aucune. ‘
exécution de soldats n'ait lieu sans l'avis du mi-
nistre. Un jour, un seul jour, j'ai sauvé neuf
têtes. Et, après guerre, en 1920, alors qu’à Ro-
mainville, je donnais une conférence publique,
"j'ai vu un citoyen monter à la tribune et me
donner l’accolade : c'était un soldat mutin que
j'avais sauvé. » |

L'ANARCHISTE QUI VEUT RESTER EN PRISON... |


. y a un département français où furen
cutées les mesures prescrites par le Carnett exé-
c’est le département du Nord. B. :
.
M. Renaudel, quand il lapprit, protesta ‘
lemment. On fit une enquête qui établit vio-
vingt-six syndicalistes inscrits au Carne que
avaient été jetés en prison à Lille, puis, t B.
l'offensive lors de
allemande, transférés
Paris, à la à
Santé. - |
Malvy fut prévenu et donna l'ordre de 1.
lâcher, Mais un fait piquant se produisit les re-
détenus — qui étaient du service armé : les -
naïent pas du tout à sortir de prison — ne te-
rent des ordres écrits. Une dact logra et ils exigè-
liste des vingt-six libérés malgré phe fit la
Comble de malheur! Sur sa page, eux.
que vingt-cinq. Et le vingt-sixième elle n’en tapa _
son. Renaudel, de nouveau resta en pri-
protester : « Est-ce qu’on se préve nu, se mit à
f.. de moi? dit-il :
il y en a encore un! »
On fit une enquête. Le vingt-si | °
lait pas s’en aller : c'était l'an xième ne vou- :
choux. Il était inscrit au verso archiste Brout-
comprenait la liste de ses vingt-cide la page qui
et la dactylographe n’avait pas pris nq camarades,
la peine de
u-fait de cette mesure de
evint suspect à ses amis,
QUEL FUT LE ROLE 7
DE LA FRANC-MAÇONNERIE
PENDANT LA GUERRE ?:

RÉQUISITOIRE

« Cest la franc-maçonnerie
Suerre. L’attentat de Serajevo estquiun a crime
voulu la
fonnique! 3 ‘
ma-
. .
Précisant cette accusation, l’archevêq
Bordeaux, Monseigneur Andrieux, ue de
écrit dans un
Message : « C’est la franc-maçonneri e ui, d’ac-
cord avec l'Allemagne, a déterminé cet
table fléau. C’est elle qui, après épouvan-
ur nous empêcher de vaincre, avoir tout fait
a cherché,
-
es Manœuvres les plus perfides, à nous par
de recueillir les fruits de la victoi empêcher
re! » |
€ l'autre côté de la barricade, le général
dendorf, lui-même, accuse la franc Lu- ,
-maçonnerie
£ d'être la cause exclusive du déchaîneme
guerre, > Un ex-maçon ne lui a-t-il nt de la
qu'il avait assisté,-en 1913, à de
pas avoué
nombreuses « te-
nues > où des plans de conflagrat ion
urent élaborés? Ce maçon aurait vaineunive ment
rselle
testé auprès du comte Bohma, Grand Maîtr pro-. :
la loge de Prusse. Mais Ludendorf ayant elancé de
48 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
ubliquement cette accusation, fut poursuivi par
e comte Bohma et fut condamné par le tribunal
civilde Gotha à 500 marks d'amende pour dif-
famation.
%

« Cest la franc-maçonnerie qui a voulu la


guerre mondiale en créant l’Entente cordiale avec
l'Angleterre >» — déclare, de son côté, M. Max
Doumic, frère de l'académicien.
e C’est la franc-mac onnerie qui s’est opposée,
endant de longs mois, au limogeage du frère
‘ ? . #

offre... C’est la franc-maçonnerie qui a préparé


le bolchevisme. Le fourrier du bolchevisme:
Raspoutine, était un franc-maçon à la solde de
PAllemagne! » ee
« C'est la franc-maçonnerie qui a-fait échouer
tous les projets de paix séparée. Sous prétexte
u’un descendant des Bourbons : le Prince Sixte,
’accord avec de hauts dignitaires de l’Eglise, a
voulu sauver la monarchique Autriche-Hongrie,
la franc-maçonnerie française, cédant à la pres-
sion de la franc-maçonnerie italienne, imposa
+

son veto au faible Ribot qui, auparavant, avait


reçu le signal de détresse du frère Léon Bour-
geois. »
Cette accusation a été longuement développée,
sous le titre « Histoire d’une pair maçonnique »
par M. Robert Vallery-Radot qui déclare, en
- outre, que si la paix de 1919 ne fut pas ce que la
-France désirait qu’elle fût, la faute en revient à
Wilson, docile instrument des Juifs franc-ma-
çonsde Wall Street.
LES ÉNIGUES PE LA-GUERRE _73
apporté ce témoignage d’un neutre impartial et
averti : :
& On sait, aujourd’hui, que le service crypto-
graphique de l'armée allemande, pendant -la
guerre de 1914-1918, n’a pas été à la hauteur de
- sa tâche. Les nombreux décryptements, si lourds.
de conséquences, opérés dès le 1* octobre 1914
par les experts militaires français, et, plus tard
également par les Anglais, témoignent claire- -
ment d’une organisation défectueuse comme de
l'emploi de systèmes de chiffrement d’une sécu-
rité insuffisante. » D
Quelles sont les causes profondes — se de-
mande M. Gylden — de cette carence, étonnante :
-_ pour qui connaît l’admirable organisation des
- autres services du grand état-major allemand?
Fait curieux et extraordinaire : l'Allemagne
” :pécha, ici, par routine et inertie. Alors qu’il y
avait’ une “école cryptographique française de .
première valeur, formée dans ce centre d’études
que fut la Commission militaire: de -cryptogra-
phie, VAllemagne n’avait presque rien prévu dans
ce domaine! Elle vivait sur lacquis! D'autre part,
le personnel chargé du Chiffre n’était pas spécia-
lisé : il se-recrutait.. simplement, par voie de
désignation. : | PU
- . Enfin, les cloisons étanches qui séparaient
l'état-major de tout contact avec les « civils »
éliminaient une collaboration qui, en France,
s’est montrée très fertile. À notre service du
Chiffre, furent, en effet, mobilisés des professeurs
connaissant les langues étrangères, des norma-
. liens, des polytechniciens, et, pour les sections
orientales : Turque, bulgare, et grecque, des
moines. _
On cite parmi les as du Chiffre le romancier
Marc Chadourne
.
et le capitaine Bessière qui con-.
naïssait à fond dix langues étrangères et qui,
outre une science technique inégalable, avait,
50 _LES ÉNIGMES DE LA: GUERRE —

La maçonnerie qui, par essence, est une force


internalionale et humanitaire ayant des ramif-
cations dans les deux camps, créa, tout d’abord,
en faveur des prisonniers de guerre, une œuvre
admirable à la. tête de laquelle fut placé M. Quar-
tier la Tente. Partout où il put faire intervenir,
soit un Président de loge, soit un franc-maçon
notoire, ce bureau international des relations ma-
onniques bénéficia de concours bienveillants des
eux côtés des tranchées, au profit des uns et des
autres. . : ‘ -
ce Mais ma mission, à moi, fut d’un autre
ordie. Je m’aperçus que la France faisait ne
guerre incomplète. Alors qu’il y-avait en Suisse
5.710 agents allemands de renseignements, nous,
_‘nous n’avions rien! Notre frontière était ouverte.
Notre Deuxième Bureau n’avait rien prévu pour
la Suisse. Je signalai cette carence aux Pouvoirs
Publics. Le Deuxième Bureau ne me l'a jamais
pardonné.
& J'étais très connu.en Suisse. Il me suffisait |
de fairele signe de reconnaissance maçonnique
pour mobiliser aussitôt, non seulement les ma-
_çons alliés, mais aussi les maçons allemands.
C’est ainsi qué j’ai pu avoir des renseignements
militaires et diplomatiques de la plus haute im-
ortance, notamment, en août 1916, sur Vétat
d'esprit de l’armée allemande. J’ai pu dénoncer
également, en me procurant des documents acca-
blants, les agissements de M. Von Papeñ qui
était, à ce moment-là v- le fait va vous paraître
invraisemblable! — en Fran Ï is, À
Y'Hôtel Scribe. |France, en prein Paris
€ Vous comprenez que les Allemands ne me
ardonnèrent pas une telle action. Ils m’appe-
aient. « l’homme-au-ruban-rouge ». Ils me dé-
noncérent, aux Suisses et exigèrent mon arres-
10. - ‘ Lo :
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 1
< Jamais nous n’arréterons M. Fabiani! >» —
déclara au ministre d'Allemagne le président du
Conseil d'Etat. Et le propriétaire de l'Hôtel Sa-
voy, AT. Sumser, fut même contraint de me faire
des excuses publiques parce que des Allemands,
dans son hôtel, m'avaient manqué de respect. .
— Mais ces histoires extraordinaires, pourquoi
ne les avez-vous pas racontées?
— Ah! voilà! J'ai commis l'imprudence d’an-
noncer que j'allais publier mes mémoires .
J'avais chez moi, à Nice, 97, quai des
Etats-Unis,
groupé les 5.000 documents que j'avais conservés
et, en plein jour, je fus cambriolé! Tous
documents ont été enlevés. Les portes mes
apparteme de mon
nt avaient été découptes au vilebre-
quin. Jamais je n'ai pu réussir à découvrir
coupables. Je reste convaincu que Ia les
nérale, d'accord avec Ja police vaticane,Süreté gé-
plus grande mauvaise volonté. y mit la
€ Parmi les documents volés, il y avait,
un projet de traité secret entre PAllemag en effet,
Vatican. L'Allemagne promit, à un ceriain ne et le
ment, au Pape, de lui faire accorder mo-
Souverain. en même temps qu'une le titre de
Si vous ne me croyez pas, Tisez les indemnité.
d'Ertrberger! » Mémoires

CE QUE DIT ERTZHERGER

Dans ses mémoires, M. Ertz


effectivement un long chapitre à berg er consacre
l'acl
traine et peu connue de ] a franc-maço ion souter-
dant la guerre. nnerie pen-
€ Des circonstances favorables — décla
re-t-
— Me mirent à même d'étre exactement renseil
i-
gné, pendant toute la pucrre, suT ce qui se passa
dans la maçonnerie internationale, »
# DE LA GUERRE
52 = LES ÉNIGMES

. J'ai su plus tard, au siège même du Rite écos-


sais, rue de Puteaux, que M. Ertzberger avait,- s
en effet, pu se procurer d'importants rapport
secrets émanant de la franc- maçonn erie.
A la vérité, M. Ertzberger ne parle pas du pro-ct
jet de traité secret élaboré entre l'Allemagne Îles plus
le Vatican, mais il donne les précisions qu'eut la
complè tes sur le rôle consid érable
franc-maçonnerie dans l'inte rventi on de l'Italie
aux côtés de l'Entente. : .
e Les relations entre le Grand Orient de Paris
et le Grand Orient de Rome ont atteint énergi leur apo
ée au mois d'août 1914, avec l'appui e. L’ac- que
’an franc -maço n : l'amb assad eur Barrèr
.pris une
‘tion de la maçonnerie italienne avaititalien fut
“telle ampl eur que le Gouv erne ment
obligé de demander au Grand Orient contr de Rome de
itati on e lAlle-
modérer sa campagne d’exc ionnage
magne ct de rédui re son systè me d'esp
qui inquiétait l'opi nion publi que itali enne. >
franc-
Ertzberger affirme, d’autre part, que la la
italienne, qui fut la cause de
maçonnerie tâches
guerre, considérait comme une de ses
une
principales d'empêcher ce. qu’elle appelait ».
« paix prém atur ée », une € paix allem ande
contr e les effort s paci
C'est pourquoi elle lutta par
du aint-Siège, ardemment soutenue
fiques
lui
le Grand Orient de Paris qui, le 16 mai-1916, es
adressa les injonctions les plus formelles, porté
à Rome par deux de ses membres, M. Debierre
et M. Combes junior. | 7
* Enfin, la fran c-ma çonn erie franç aise aurait,
une dernière fois, fait pression sur la franc-ma-
“connerie italienne au Congrès-organisé à Paris,
fe 27 anvier 1917, sous la présidence de M. Pi-
et où étaient convoqués les délégués com-
chon
de tous les pays de l’Entente et où les
muns
délégués de la franc-maçonnerie italienne expo-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 53
strent la thèse du général Cadorna selon laquelle
Italie refuserait d'envoyer ses troupes sur d’au-
tres fronts que le sien, avant la conquête de
Trieste et du Trentin. -

AU SEIN DU TEMPLE

Tel est l'essentiel de l'exposé d’Ertzerberger.


Je lai mis sous les yeux du représentant le
plus qualifié du Rite écossais, M: Albert Lan-
toinc, qui a bien voulu me recevoir au temple
de la rue de Puteaux, dans la: bibliothèque .où
- Sont conservées les archives secrètes de la franc-
maçonnerie, à côté de la salle même où se réunit
-le Suprème Conseil,
_M. Albert Lantoine ne se cache pas d’avoir
un long passé de militant macon. Il est, en outre
— et, pour moi, c’est un des plus précieux appuis
— l'historien de la franc-maçonnerie. -
Dans son œuvre capitale, introuvable dans le
commerce : « Iram couronné d’épines », M. Al-
bert Lantoine a dit, avec un courage et une indé-
pendance que ne soupçonnent pas les ennemis de
la franc-maçonnerie, ce qu’i pensait de son :
action pendant la guerre. A
« La franc-maconnerie — me déclare M. Lan-
toine s’est distinguée, pendant la guerre, par
.le reniement scandaleux de tous ses principes de
solidarité universelle! A peine la guerre fut-elle
déclarée qu’elle mit « en cave » ses discours
humanitaires. Si elle ne les a pas détruits, c'est
qu'elle pensait que l'orage passé, ils pourraient
resservir. La franc-maçonnerie, soi-disant inter-
nationale, a fait, en réalité, pendant toute la
guerre, figure de garde nationale.
Les Obédiences allemandes se sont agenouil-
lées devant leur empereur. Le Grand-Orient de
- Belgique a jeté Panathème sur les loges prus-
54 - LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

siennes. Le Grand-Orient de France s’est fait le


serviteur des volontés gouvernementales.
Voulez-vous quelques faits symboliques? La
grande loge de France a été surprise par Ja dé-
claration de la guerreau moment même où elle
étudiait les modalités d’un rapprochement fran-
co-allemand. Dès les premiers jours de la guerre,
elle démolit, en un tournemain, la loge Gocthe,
qui était composée d'Allemands habitant Paris et
qui s'étaient placés sous sa juridiction. Elle lui
vola ses livres de procès-verbaux, ses archives,
et sa bibliothèque!
À Saint-Quentin, lorsque la ville fut occupée
ar les troupes allemandes, les franc-maçons
allemands envahirent la loge maçonnique, saisi-et
rent, d'autorité, la clef du temple, les objets,pour
convoquèrent les maçons français, nonpu pas êlre une
une cérémonie fraternelle qui aurait maçonnique
grandiose apothéose de la frate rnité
réalité, une
en pleine bataille, mais qui fut, en vainqueurs
injonction blessante des enva hiss eurs
aux envahis vaincus. rancune
Quant aux Belges, ils gardèrent s unequi, au cri
tenace aux franc-maçons alle mand
de détresse poussé par le Gran d Maitre de la
Magn ette , répondirent
franc-maçonnerie belge
par un silen ce mépr isan t.
comme Îes
Et les maçons allemands, envoûtés mens onge s offi-
intellectuels Allemands par les me fer, que les
. ciels. Ils.affirmaicen t, dur cont
te sur les prison-
Belges jetaient de l'eau bouillan
niers Allemands!
“+

M. Albert Lan-
e Et, ici même? — continue Maitre était,
cc temple dont le Grand
toine. Dans Pcigné, lorsque
le général
au début de la guerre, intervint dans la
Je roi Ferdinand de Bulgarie
- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 53
guerre’ aux Côtés de l'Allemagne, quelle fut l’at-
titude de notre loge? Elle comptait, sur ses
contrôles, un <« atelier » établi en Bulgarie : la:
loge Zarya. Elle ne douta pas un seul instant que
ses membres n’eussent approuvé la volonté per-
sonnelle du roi Ferdinand et, sans autre forme de
procès, elle la raya de ses contrôles malgré mes
amicales protestations auprès du général Peigné
à qui je dis : « Mon cher Grand Maître, vous
ne Savez pas si les maçons bulgares approuvent
la politique du Roi? » Mais non! l'outes les
uissances maçonniques .des nations, rompant
eurs attaches fraternelles, se jetèrent dans la.
mêlée en s’excommuniant réciproquement! Et la
cassure définitive vint le jour où, en 1916, les
maçons italiens préconisèrent l'intervention dans
la guerre, malgré l'opposition des socialistes de
la Péninsule. | ne
Voilà les vrais crimes de la franc-maçonnerie.
Tout le.reste n’est que légende!
L’attentat de Serajevo? |
Oui, certains des auteurs responsables appar-
tenaient à des sociétés secrètes. Et, dans le lan-
gage courant, dès qu’on dit « société secrète ».
on pense à la franc-maçonnerie! En réalité, deux
seulement des conspirateurs étaient franc-ma-
cons. rc |
Raspoutine franc-maçon? |
Autre erreur! Lui aussi faisait partie d’une
société secrète : la secte des « Khlyst » qui n’a
aucun rapport avec la franc-macônnerie.
La franc-maçonnerie à amené'le bolchevisme?
Nous n'avons pas d’ennemi plus terrible!
Sauf le fascisme. Fo ou
Tenez, voyez en quels termes la IIIe Interna-'
tionale :a excommunié la franc-maçonnerie.
Trotsky y déclara : e La franc-maçonneri
e est
une plaie sur le corps du communisme frança
Cette plaie, il faut la cautériser. Aux exhortatiois. :
ns .
06 — LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
des antagonistes de classe, la franc-maçonnerie
oppose des formules mystiques sentimentales, ct,
comme l'Église, elle les accompagne d’un rituel
de carème… La lumière? oui! Le soleil? oui! Le
_grand jour? oui mais non pasce soleil de carton
dans une loge obscure! » |

JOFFRE ET LA FRANC-MAÇONNERIE

Une dernière questionne brûlait les lèvres :


— Et Joffre? Est-il vrai que vous avez, jus-
. qu’en décembre 1916, défendu Joffre parce qu’il
était franc-maçcon? Et ‘d’abord, était-il franc-
maçon?
Votre question ne.me gêne pas — répondit
°M. Albert Lantoine. Et voici la vérité, toute la
vérité.
e Par une trahison d’un des nôtres — elles ne
- sont malheureusement pas rares! — un journal
ui nous a, toujours, poursuivi de sa haine :
a Libre parole, eut connaissance de la liste
complète de nos adhérents. Il était en train de la
ublier — ce qui provoquait, d’ailleurs, des ren-
vois d'employés, des suspicions, etc. — lors-
qu'éclata la guerre. Et La Libre parole en était
précisément à. Joffre. Voici la fiche du frère
Joffre :
« Joffre, Joseph, Jacques, Césaire. Général de
division, énit .”. (initié) le 25 novembre 1875 à la
loge Alsace-Lorraine. Or .:. (Orient) de Paris.
Com .-. (compagnon) le 28 décembre 1876. Maitre
le 26 décembre 1877. Honoraire en 1893. >
« Vous voyez que l'activité maçonnique de
Joffre était en sommeil au moment où il parvint
à ses hautes fonctions. Maïs il ne renia jamais
ses sympathies maçonniques. En 1919, au cours
d'un voyage en Suisse, 11 fut reçu à la Chaux
. par le frère Jeanneret, avocat. Parmi les délé-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 57
gations, se irouvaient celles de Ja loge. maçon-
nique. Des maçons, témoins de l'entrevué, atfir-
mèrent que, lorsque le délégué de Ia loge s’appro-
cha de Joffre, celui-ci, malgré la présence du
public « profane »,. se « mit à l’ordre d'ap-
prenti ». . | | oo
« Le soir, M. Jeanneret eut, sur la franc-maçon-
nerie, une conversation avec Joffre qui se donna
comme franc-macçon, affirma qu’il était resté de
cœur très attaché à la franc-maçonnerie, malgré
ses voyages qui avaicnt réduit de beaucoup son
activité de militant. .
« Deux ans plus tard, le 31 juillet 1921, Joffre
fut appelé à Monnetier-Mornex (Haute-Savoie)
pour l'inauguration d’un monument aux morts,
et il fut convié à la « tenue » des loges « Fra-
ternité-» de Genève, l'Allobrogie d'Annecy, et
FPAvenir du Chablais. Il assista enfin à 1
solsticiale où le bulletin maçonnique l'Acacia fête
gnala
si-
sa présence.
— Est-il exact que vous layez soutenu de
efforts vos
auprès du Gouvernement lorsqu'il
nacé d’avoir l’orcille fendue? N'est-ce pas fut me-
l'appui
maçonnique qui explique, en une certaine
sure, qu'il ait fallu de longues attaques me-
lui, au Comité
contre -
Secret, pour arriver à l’écarter
du Haut Commandement?
— Nous ne nous SOMMES DAS
mogcage du général Joffre, réponditOPposés au li-
Il nous est apparu qu'à un certain
M. Lantoine.
n'était plus défendable. Au reste, par moment, il
le plus vigoureusement attaqué au qui fut-il
du Sénat? Par un autre franc-maçon Comité Secret
M. Paul Doumer. illustre: :
-.
58 ——- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

M, MANDEL, LA FRANC-MAÇONNERIE
ET L’ALSACE-LORRAINE

— Puisque vous êtes en train de redresser les


légendes, conclut M. Albert Lantoince, déclarez
donc, une fois pour toutes, en notre nom, que
le général S arrail n’était pas franc-maçon, mais
ici,
seulement sympathisant. Il venait souvent —
- rue de Puteaux, voir son ami Peigné, mais
au
et je le regrette — il n'était pas inscrit
contrôle. :
« Ce qui va peut-être le plus vous étonner, après
c'est que la franc-maçonnerie, aussitôt de pré-
Y'armistice, fut officiellement chargée
régime de
arer, pour PAlsace-Lorraine, un français,
aïcité scolaire calqué sur le régime
d'ailleurs —
e Pour cette étude — qui échouaMandel.
elle reçut des subventions. .. de M.
LE MYSTERE DES INTERCEPTES

Les vrais secrets de la guerre ne sont décidé-


ment enfouis ni dans les archives du Service -
Historique de l'Armée, ni dans celles de la Cen-
sure... :
Trois hommes les possèdent.
M. Raymond Poincaré, le général Cartier,
M. Rivière, président de la Cour d'Appel de Caen.et
… Et trois services officiels qui les étouffent
au plus profond de leurs dossiers confidentiel
s :-
la Présidence du Conseil, le Ministèr
e
‘de Ja
Guerre, et le Quai d'Orsay. |
… Et il y a, aussi, M. Maurice Paléologue
cien ambassadeur de France en , an-
Russi
dant la guerre, fut directeur du e,myst qui, pen-
« Service des Travaux réservés ». érieux

re

Les secrets de la guerre sont


contenus dans
quatre exemplaires d’un volume que’M.
ral Cartier — qui dirigea, pendant toutes le géné-
tilités, le- Service du Chiffre — remit, les hos-
départ, aux ministres de la Guerre, à son
étrangères, au président du Conseil etdesau Affaires
chef de-
60 LES ÉNIGMES
-
DE LA GUERRE

l'Etat. C’est-la collection complète des Zntercep-


tés...
‘ Sur les Interceptés, l'Angleterre vient de jeter
un trait de lumière. Oh! faible, il est vrai. Le
lieutenant H. C. Hoy, secrétaire privé du direc-
teur de la Naval Intelligence britannique, a ré-
cemment, en effet, dans « 40 O.B. : la Chambre
secrète de l’'Amiraulé », entr’ouvert le mystère
‘ des interceptés en ce qui concerne la marine bri-
tannique. D
C’est dans la mystérieuse « Chambre 40. O.B. »
que furent captés, par les décripteurs anglais, les
radio-télégrammes secrets concernant les zeppe-
lins, les sous-marins, et aussi les communications
de l’Allemagne avec ses agents secrets dans les”
pays neutres. | |
C’est la Chambre 40. O.B. qui réussit le plus
beau coup de filet de la guerre : celui qui « ra-
mena » les célèbres messages Zimmermann d’où
devait dériver l'intervention américaine. Les ra-
dios par lesquels M. Zimmermann, secrétaire
d'Etat allemand aux Affaires étrangères, invitait.
par un langage soi-disant secret,le comte Berns-
dorff, ambassadeur allemand à Washington, à
commencer la lutte sous-marine sans restriction
ct à faire intervenir le Mexique contre les Etats-
Unis, entraînèrent définitivement la décision du
Président Wilson dès que celui-ci eut la preuve
irrécusable que ces messages étaient authenti-
ques. To

CENT MILLIONS DE MOTS CAPTÉS


Mais nous avons S eu, F
nous aussi,
aussi notre \ Cham-
bre 40 O.B.! ’ fussi,
Elle était située dans un-petit bure notre Cha
Jévard Saint-Germain où travaillaient,au du bou-
au début
de la guerr e, trois offici£ ers ?. ct, à la‘ fin,
D. , cent cin Ces
88 - LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

Quelles imprudences n’ont pas commises les


journaux! Et quelle ignorance manifesta le ser-
vice — auquel j'ai appartenu — chargé de les
contrôler! - : .
Au service du Chiffre, les plus minutieu ses
récautions étaient prises. Les radios interceptés
étaient transmis, au fur et à mesure de leur.
- émission, et étaient, aussitôt, répartis entre les
sections chargées de les étudier, Des interprètes
et des cryptologues faisaient_les traductions
ou
les déchiffrements. Les dactylographes les ta-
paient sur des papiers spéciaux. Discipline im-
itoyable! Service de jour et-de nuit très pénible!
a plupart des radiotélégraphistes venant du
‘ front demandaient à y retourner, malgré le dan-
ger plus grand, pour échapper à. la discipline
sévère. E |:
Les officiers étaient soumis à Ia même
disei-
line du secret. Il leur était, particulièrement
Interdit de prendre la moindre note, de conserver ,
. Sur eux, la moindre trace écrite ,
avaient déchiffré, un par un, sansde ce qu'ils
d’ailleurs, l’ensemble d’un décryptement.connaitre,
Or, malgré toutes ces précautions,
de graves indiscrétions furent commise une série .
s dont les
directeurs du service de Chiffre conserve
core aujourd’hui le souvenir. nt en-
Un des collaborateurs du général | -
.colonel Cartier, le
Givierge, a dressé, contre
son ignorance en matière de Chiffre, la Censure et
réquisitoire : « La Censure a un véritable
: secret de nos déchiffrements. bien mal gardé le
que les censeurs, aussi mal On Peut déplorer
ses que l'opinion publique, informés de ces cho-
aient laissé Passer .
des notes qui ont été utilisées par
mal fait tnconsidérément l'ennemi, Le .
par des bavards est
bien plus grave ge le tort causé
par les espions
que l'on a fusillés! > -. - .
Dès le 3 octobre 1914, le G.Q.G. à propos
d’une :
62 LES ÉNIGMES DE LÀ GUERRE
au fameux volume d’interceptés qui lui a été
247

remis par M. le général Cartier.


Un jour, M. Poincaré fut assez heureux de
signaler au général Galliéni, alors ministre de la
Guerre, une erreur de copie qui aurait pu avoir
de graves réperéussions. D’après un radio alle-
mand déchiffré, le ministère
de la Guerre avait
crü devoir annoncer au général Sarrail qu’une
division allemande se dirigeait vers Stroumitza.
Allemande? Le fait était capital! C'était l’Alle-
magne elle-même qui, avec toutes ses forces, fon-
. Gait sur notre armée de Salonique!
” Mais c’était une erreur de décryptement. Cette
division était, non pas allemande, mais bulgare.
Une rectification fut aussitôt envoyée par radio
en vuc de redresser cette erreur qui risquait
d’alarmer gravementet inutilement notre armée
- d'Orient.
Or, consulté, il y a peu de temps, sur l’oppor-
tunité de la publication entreprise par M. Ri-
vière, M. Raymond Poincaré répondit sans hé-
siter : « Il n'y a, à mon avis, que des avantages
à faire connaître, dans leur vérité, la cruauté ct
la fourberié des ordres secrets adressés par l’AI-
lemagne à ses représentants pendant la guerre :
n'est-ce pas dans un intercepté que figure l’ordre,
de Berlin, de torpiller, sans laisser de traces? »
Mais tel ne fut pas l’avis du Quai d'Orsay qui
opposa à M. Rivière un veto formel, appuyé bien-
tôt par celui -de notre état-major général.
M. Rivière s’est incliné. - :
Le général Cartier, qui a bien voulu.
corder, à maintes reprises, des nvac-
-

entrevues, n’est
pas loin de partager l'avis de M.
estime que l'ouverture de ces archives ‘Poincaré. Il
crètes, à condition qu’elle soit ultra-se-
fon et esprit critique, éclaireraitfaite avec précau-
la guerre et ses
dessous. un jour nécessaire et éclaircirait bien
es mystères, + -..
s
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 63
Quant à M. Paléologue, avec mille regrets, il
s’est excusé de ne ouvoir, étant lié par le secret
professionnel, m’aider de sa haute compétence
dans lé déchiffrement, a posteriori, des Travaux
Réservés et la prospection du secteur le plus $e-
cret de cette guerre des ‘ondes : les Verts.

\ s

LES SECRETS DU CHIFFRE


À tâtons, pénétrons dans le domaine des
terceptés. in-
| ns
Qu'est-ce que lé Chiffre? ce
|
C'est une technique redoutable. |
… En temps de guerre, 1l peut en
LL
d’une bataillé— il en est résulté résulter le sort
bataille! — Je sort d’un transport le desort d’une
d’une population menacée par des avion troupes,
d’une négociation diplomatique.-Et c’est s, l'issue
petit bureau du boulevard Saint sur ce
Convergea, du mond -Germain que
e en guerre, tout ce qui cir-
tulait dans les airs, soit par
fil, ou par téléphone,
le Chiffre étant étroitement lié au service
radio téléphonique cet radio télég d’écoute
qu'au Deuxième Bureau et à tous raphique, ainsi
’espionnage et de contre-espionnage.:les services
.
_ Le Chiffre, c’est, pour un chef
un ‘ambassadeur éloigné de son d'arm ée, pour
âtiaché militaire, naval ou diplo Pays, pour un
un agent secret, le moyen de Corrematique, pour
mént avec le Gouvernement ou
spondre libre- .:
avec le chef, dans
l'espoir ou avec la certitude de
ue par eux, grâce à un code secretn'être compris
ance préalablement combiné. : de correspon-
Il ÿ a mille méthodes de confection |
codes secrets, soit à l’aide de dicti ner des.
onnaires spé-
ciaux, soit à l’aide de grilles, de super
de signes conventionnels, étc.. Il y a positions
des codes
4
GÈ LES ENIGMES DÉ LA GUERRE =

secrets dont l'élaboration a coûté des centaines


ns.
de milliers de francs, et même des millio
c'est donc
-- Chiffrer un document, au départ,
‘traduire un texte clair en un texte dont le sens
véritable ne sera compréhensible, à l’arrivée, queà
pour celui qui en connaît la clef et qui, grâce
elle, pourra le déchiffrer. Le
Déchiffrer un cryptogramme, c’est Popération
inverse. C’est trouver, grâce à l'application des
conventions formant le chiffre, le texte clair pri-
.. . .
mitif. - .
Voulez-vou s quelq ues exemp les? En voici un
qui serait invraisemblable si le général Cartier
ne me l'avait confirmé en riant. Un procédé em-
ployé pour chiffrer un document, c’est de le la
. {ransposer à l’envers, c’est-à-dire en écrivant
dernière lettre la première, etc... etc. .
Or, au début de la guerre, les Allemands uti-
lisèrent, pour la transmission de leurs ordres mi-
litaires, ce procédé qui semblait réservé aux
amoureux des petites annonces!
— En septembre 1914 — me raconte le gé-
néral Cartier — nos postes d'écoute intercep-
tèrent un texte dont voici l'équivalent en fran-
çais :
semmo pruas eltel etocs edrio secsn oruas uon |.

Je dois reconnaître que nous ne découvrimes


‘la malice de nos ennemis que lorsque nous inter-
ceptâmes, quelques instants après, un autre texte
de même longueur, émis par le même poste que
-le premier et adressé au même correspondant :
nousa urons cesoi rdesc otele ttesa uxpom mes
- En comparant ces deux texteset en remar-
quant qu'ils étaient constitués par les mêmes
lettres écrites en sens inverse, les mots du second -
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 65
texte se détachèrent subitement et nous ]ûmes,
notre grand étonnement, car les circonstances
ne nous semblaient pas de nature à provoquer
des facéties de cette nature! cette nouvelle qui
n'avait aucun caractère militaire :
nous aurons ce soir des côltelettes aux pommes
On voit qu’en septembre 1914, la discipline
radiotélégraphique n’était pas très sévère chez
les Allemands! Ces fantaisies imprudentes indi-
quaïient chez les Allemands une curieuse men-
talité et une méconnaissance absolue de notre
service cryptographique! . :
Il y a un autre procédé dont se servirent,
fré-
quemment, les prisonniers pour recevoir des nou- :
velles que noire censure n’aurait pas laissé
passer. Parmi les objets que les prisonniers de
guerre pouvaient recevoir, on avait classé des
livres de lecture, romans ou ouvrages
scienti-
fiques, qui n'étaient l'objet, à leur arrivée,
d'un examen rapide. : : que
|
Or, il se trouva que, sur l’ un de
Temarqua que des lettres étaient ces livres, on
Comme elles ne formaient pas de motsouli gnées.
apparte-
nant à une langue connue, On me
livre en question pour examen. Je fus transmit le :
frappé par
ce détail que, lorsque deux lettres consécut
étaient
ives
marquées
, elles étaient précédées,
‘intervalle de quelques lettres, du -bigram à un
me CH,
bien connu des cryptologues. En relevant les let-
tres qui précédaïent, à l'intervalle ci-dessus
celles soulignées, je lus le texte secret ,
écrit en allemand. Le système
qui était
consistai
signaler les lettres qu’il fallait retenir, ten donc à
gnant celles qui les suivaient à un nombre souli-
tervalles convenu qui étaitla clef du Systèmed’in- .
Voici un exemple de cette cryptographie :
La commission sénatoriale ‘de 1a. marine s’est
- o :
- 66 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

réunie hier, sous la présidence de M.-de Kergue-


zec, pour étudier les circonstances dans les-
quelles s’est produite la catastrophe du « Dix-
mude ». Répondant aux questions posées, le mi-
nistre a fait un certain nombre de déclarations
dont la commission d’enquêtea pris acte.»
Il suffit de lire les lettres prècédant de trois
intervalles toutes celles qui sont soulignées ici
pour reconstituer ce texte : « Toute la famil... »
Il y a, enfin, des conventions par
numériques,
exemple, celle d'après laquelle il faut compier,
pour Îa traduction en clair, seulement les lettres
portant les numéros convenus : 2, 5; 9 par
exemple. On peut varier à l'infini ces conventions
numériques. . tt
Voici un exemple assez curieux du décrypte-
ment effectué dans des conditions où le système
cryptographique employé semblait assurer une
sécurité presque absolue. L. |
Un agent étranger, dont nous connaissions le
nom de guerre, avait quitté l'Allemagne pour le
Mexique, en passant par Rio-de-Janeiro, Buenos-
-Aires, Santiago, envoyant, de chacune de ces
‘villes, des télégrammes chiffrés qui arrivaient
jusqu’à Madrid par câbles et lignes terrestres et
étaient transmis, de là, à Berlin par T.S.F. Nous
interceptions avec soin tous les radiotélégram-
nes adressés à Berlin, et nous avions la collec-
tion complète de ceux de l’agent en question.
Quelques-uns de ces radios étaient
en Jangage
clair, d’autres en. langage convenu, d’autres
étaient chiffrés avec un dictionnaire dont nous
n'avionspu établir la contexture en raison du
nombre insuffisant des groupes de chiffres cons-
tituant les radios chiffrés sus-visés. CS
Or, un jour, l’un de ces derniers radios conte-
nait la série suivante : 100.000, 15.671, 46.798,
15.671, 56.168, 501, 46.728... . |
L'un de mes crvptologues, en présence des ré-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 67
étitions des groupes 15.671 et 46.728, émit l'avis
Êue cette série pourrait bien signifier 100.
: 100,000
36.659-15.671 46.728 15.671 56.168 501 46.728
" P -E S E T A S
Cette hypothèse concordait bien, d’ailleurs,
avec d’autres demandes analogues de l'agent
expéditeur, Comme le mot pesetas dans le
hypothèse était cas où -
exacte, était chiffré par lettres
successives, il en résullait, évidemment,
dictionnaire employé ne contenait pas que le
ce n'était donc pas un dictionnaire espagnol ce mot :
un dictionnaire chiffré du comm , ni
erce, ni vraisem-
blablement un dictionnaire chiffré
aurait prévu plusieurs groupes secret, qui .
représenter la lettre E et la lettr différents pour
vint de comparer les groupes du e S. L'idée me
numéros des pages et lignes d’un radio avec les
naire anglo-français que j'avais petit diction-
reau, La coïncidence était ‘parf dans mon bu-
Nous pûmes, donc, décrypteraite.
Correspondance secrète sans peine la
de cèt
tard, arrêté par les Anglais agent, qui fut plus
en Europe, avec de faux alors qu'il revenait
Papiers, sur un bateau
neutre, St -
« Le grand problème - L
,
l'entrée dans le code. On c’est ce qu’on appelle
n'entre däns le code
qu’à l’aide de patients Tecoupem
met, le plus souvent, cette ents. Ce qui per-
dans les télégrammes Mili entrée, c’est Pemploi.
taires ou diplomati.
ucs, de formules Stéréotypées
€... Je m'empresse de vous : « J'ai l ionneur
tion du bureau d’origine, informer...» Indica-
tion de service portant en-tê numérolage, indica-
formules finales, voilà la basete des télégrammes,
mettant l’entrée. des hypothèses per-
C'est ainsi que nous sommes _
Premier dicti Onnaire alle entrés dans le
mand que nous pûmes
” 68 LES ÉNIGMES DÉ LA GUERRE ———-
reconstituer : celui des communications avec les
sous-marins.

L'ARMÉE FRANÇAISE À L'ÉCOUTE


Or — et ceci n’est pas assez connu et doit être
proclamé — dès le début de la guerre, l’état-.
major de l’armée française, grâce au général Car-
tier,- fut à l'écoute et elle entendit tout ce qui
se disait de l'autre côté des tranchées. Elle put
lire. à livre ouvert dans le jeu-ennemi. Elle y
était, d’ailleurs, prête dès avant la guerre.
| Avant la guerre — m'expliquele général
Cartier — nous n'avions pas eu lPoccasion d’en-
tendre un poste de campagne allemand. Par
contre, nous étions. familiarisés avec les émis-
sionsde certains postes de place et, notamment,
avec les émissions de Metz, Strasbourg et Co-
logne, qui avaient fait de nombreux: exercices
dont nous avions profité pour apprendre les rè-
gles de service et surtout les abréviations de la
‘radiotélégraphie militaire allemande. Nous avions
ainsi reconnu la contexture des radiotélégram-
mes militaires chiffrés et pu déterminer le prin-
cipe du système cryptographique employé. |
Aussi, les premiers radiotélégrammes émis par
les postes de campagne ennemis furent-ils iden-
- tifiés aisément par nos spécialistes. Dès le. pas-
sage de la frontière, les émissions radiotélé-
graphiques des armées ennemies se multipliè-
rent, et il devint nécessaire d’en répartir l'écoute
entre les postes dont nous disposions alors, de
manière à recevoir, notamment, les communica-
tions simultanées qui étaient relativement nom-
breuses. : | : -
L'examen des nombreux’ radiotélégrammes
interceptés, qui nous parvenaient,
,
télégraphique-
ment, de tous nos postes d'écoute dans un délai
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 69.
relativement court— puisqu'il était générale-
ment compris entre trente minutes et une heure
— permit de faire assez. vite un classement
postes entendus : ‘© des
a) Certains postes avaient chacun | une série.
de correspondants, toujours les mêmes :
les identifiâmes comme des postes de comm nous
. dement, les autres, appartenant à des unitésan-
bordonnées ;» su-
_
D) Les postes subordonnés, Pt ‘qui faisaiende
- fréquentes émissions, furent t
considérés comme
desservant des divisions de cavalerie, opéra
notre territoire: nt sur
c) Les postes subordonnés n’émeSe. ‘
rarement étaient vraisemblablement ttant : que
tés. se déplaçant moins rapidement ceux d’uni-
Mée
: corps d’ar-
ou divisions. . -
IT va sans dire que les radiotélég ue -
mis étaient généralement chiffrés. rammes enne-
quelquefois des Mais il y avait.
mots clairs soit des noms géo-
graphiques, soit des mots qui n'avaient
compris par le correspondant. pas été.
des radiotélégrammes complèteme Il y avait même
avec la signature de l'expéditeur nt en clair,
. : Fo
C'est ainsi que nous sûmes,
ques jours seulement, que von au bout de -quel-
dait le corps de cavalerie des Marwitz comman-
von Richthofen commandait, indicatifs S’et que ‘
sion du corps des indicatifs au moins, une divi-
C'est aussi par .des radios . _-
un poste du groupe L, que en clair, émis par
deux divisions de cavalerie nous apprîimes que
Woëvre, -sans doute par avaient pénétré en
Savançaient vers Verdun Audun-le-Roman, et
-Xivry-Circourt, où l’une des par Malavillers et
tallé son quartier général. Je divisions avait ins-
dire nos sentiments d'ango n’ai pas besoin de
isse en apprenant
ainsi Cette nouvelle qui nous parve
en même temps qu’à l'état-major allem nait à Paris
and à qui -
70 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —

elle était adressée et qui était encore ignorée de


notre G.Q.G. coupé à ce moment de toute com-
munication directe avec la frontière violée. |:
La marche débordante par la Belgique put être
suivie pour ainsi dire, heure par heure, chaque
nom géographique rélevé dans les radios alle-
mands nous donnant le front atteint par. len-
nemi et nous permettant de jalonner, sur la carte,
-les étapes successives de cette offensive qui avan-
cait-avec une vitesse impressidnnante, bouscu-
lant les forces adverses sans être sensiblement
ralentie par leur résistance, qui, vue à travers
les: ondes hertziennes, nous semblait alors sin-
gulièrement timide et inefficace!
Puis, ce fut le passage de notre frontière Nord
et la descente vers Paris, également jalonnée par
les points géographiques successivement afteints
et que nous donnaient, en clair, les radiotélé-
grammes interceptés. .
Dès le 21 août 1914, furent découverts, dans
un zeppelin tombé à Celles — et sur un cadavre
allemand — à Fontenoy-la-Joute, nrès de Bac-
carat., d’imnortants documents relatifs au chiffre
utilisé par le G.O.G. allemand ainsi qu’un carnet
‘portant l’indication des clefs utilisées.
‘C'est grâce à ce fait que nous pûmes lire tous
les radios lancés du G.O.G. allemand aux armées
en campagne. Nous avions pu repérer, avec.une
exactitude ‘absolue, l’échelonnement des-armées
allemandes : 1° armée von Kluck: 2° armée,
etc...; 2° corps de cavalerie Marwitz, etc... etc.
Le 2 sentembre 1914, à vingt-quatre heures,
captation du radio G.Q.G. allemand nrécisant la
manœuvre de la ligne droite von Kluck, Le 3,
tous les ordres de détail de von Kluck et du
- Kronprinz sont saisis. Le 6 septembre, amu-
sante erreur d'orthographe dans un radio du
-G.Q.G. allemand : « D’après un ordre d'armée
de Choffre (au lieu de Joffre) qui vient d’être
_—- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 101

est devenu le chef de l'Etat. Mes relations per-


sonnelles, anciennes, avec lui me permettaient
d’aller le trouver en toute confiance. Je lui expo-
sai, très nettement, le but de ma visite. Je lui
demandai sil existait des raisons graves qui em-
pêchassent d'accepter le concours de Bolo dans
une société anonyme. Le Président de la Répu-
blique me répondit qu’en effet, il avait, autre-
fois, refusé un passeport à Bolo pour le Véné-.
zuéla, mais que cela ne visait nullement la
personnalité de Bolo sur laquelle il n'avait aucun
renseignement défavorable. | .
« Quelque jemps après, je revis M. le Prési-
dent de la République qui, entre temps, avait
reçu la visite du président Monier. | me confirma
que M. Monier lui avait donné sur Bolo les ren-
seignements les plus complètement favorables.
— Dans mon désir de vérité absolue — ajoute
M. Dumesnil sur une question de M. Mornet —
je dois vous dire que j'ai vu M. le Présidentde
la République, non pas une fois, mais huit ou
dix fois. » =
M. Mornet insiste : e M. le Président de la
République vous a dit qu’il n'avait rien à dire
contre Bolo? _.
— Oui, qu'il ne connaissait aueun grief, »
M. Mornet :.« Au cours d’une autre visite,
M. le Président vous a-t-il dit que M. Monier lui .
avait fourni de bons senseignements sur Bolo,
et que, dans l'intervalle, Bolo avait souscrit ces
actions ? » |
Dumesnil : « Parfaitement! »

© MISSION EN ESPAGNE
Le 11 octobre 1916, M. Poincaré adressa à
Charles Humbert cette convocation :
«<-Mon cher sénateur et ami : je serais heureu
102 ——_— LES ÉNIGMES DE.LA GUERRE

de causer quelques minutes avec vous. Pourriez-


vous venir me voir vendredi dans la. matinée?
” Votre heure serait la mienne. Votre très dévoué :
Poincaré. » |
Charles Humbert se rendit à cette convocation.
Au procès Charles Humbert, M. Poincaré, dont
la mémoire fut défaillante, avait soutenu que
l'initiative de cette démarche appartenait, non
pasà lui, maïs à Charles Humbert. Il dut recon-
naître, par la suite, qu’il s'était trompé. Effec-
tivement, il note dans ses Mémoires : « Les in-
trigues suspectes se développent. Charles Hum-
bert a pris, en Espagne, un rendez-vous mysté-
rieux. Il doit, paraît-il, être présenté au Roi. Je
l'ai prié de venir causer avec moi avant cette
rencontre. Il paraît qu’il a beaucoup hésité avant
. d’entreprendre ce voyage. Mais — ajoute-t-il —
je suis malin : je ne me laisserai pas rouler! »
‘ Au cours de cette entrevue, M. Poincaré donna
à Charles Humbert une commission pour Al-
phonse’XIIT : ses remerciements pour une épin-
gle de cravate que lui avait donnée le roi -
d'Espagne — cadeau que la Censure reçut l’ordre
de dissimuler, . . ‘
Or, l’homme qui avait réussi à obtenir pour
Charles Humbert une audience d’Alphonse XIII
m'était autre que Bolo. : |
Comment Bolo était-il entré en rapports avec
Alphonse XIII? .
Par l'intermédiaire de M. Coggia, préfet des
‘ Basses-Pyrénées. | .
Lorsque Charles Humbert, se rendant en Es-
pagne, passa à Biarritz, Bolo se joignit à lui, l’in-
troduisit à Saint-Sébastien auprès de son ami
M. le préfet Coggia, et l’accompagna auprès du
roi. - ct
Par la suite, M. Coggia fut limogé «-pour rai-
sons de santé > par M. Poincaré qui, à la date du
21 novembre 1917, note : « Pams vient me faire
LES ÉNIGUES PE LA-GUERRE _73
apporté ce témoignage d’un neutre impartial et
averti : :
& On sait, aujourd’hui, que le service crypto-
graphique de l'armée allemande, pendant -la
guerre de 1914-1918, n’a pas été à la hauteur de
- sa tâche. Les nombreux décryptements, si lourds.
de conséquences, opérés dès le 1* octobre 1914
par les experts militaires français, et, plus tard
également par les Anglais, témoignent claire- -
ment d’une organisation défectueuse comme de
l'emploi de systèmes de chiffrement d’une sécu-
rité insuffisante. » D
Quelles sont les causes profondes — se de-
mande M. Gylden — de cette carence, étonnante :
-_ pour qui connaît l’admirable organisation des
- autres services du grand état-major allemand?
Fait curieux et extraordinaire : l'Allemagne
” :pécha, ici, par routine et inertie. Alors qu’il y
avait’ une “école cryptographique française de .
première valeur, formée dans ce centre d’études
que fut la Commission militaire: de -cryptogra-
phie, VAllemagne n’avait presque rien prévu dans
ce domaine! Elle vivait sur lacquis! D'autre part,
le personnel chargé du Chiffre n’était pas spécia-
lisé : il se-recrutait.. simplement, par voie de
désignation. : | PU
- . Enfin, les cloisons étanches qui séparaient
l'état-major de tout contact avec les « civils »
éliminaient une collaboration qui, en France,
s’est montrée très fertile. À notre service du
Chiffre, furent, en effet, mobilisés des professeurs
connaissant les langues étrangères, des norma-
. liens, des polytechniciens, et, pour les sections
orientales : Turque, bulgare, et grecque, des
moines. _
On cite parmi les as du Chiffre le romancier
Marc Chadourne
.
et le capitaine Bessière qui con-.
naïssait à fond dix langues étrangères et qui,
outre une science technique inégalable, avait,
.74 LES ENIGMES DE LA GUERRE
pour « entrer » dans un code, un flair et une in-
tuition extraordinaire.
Il faut ajouter que l'état-major allemand com-
mit la lourde faute psychologique de mépriser
l'adversaire. C’est ce qui explique les étranges
fantaisies auxquelles se livra son service du chif-
frement. C’est ce qui explique les imprudences
sans nombre que commirent les Allemands du
front français: Les radiogrammes venant du
quartier général allemand — demeuré, d'ail-
- leurs, souvent, très loin des armées en bataille —
ne parvenaient qu'avec une extrême lenteur.
« Certains — note M. Gylden — d’une impor-
tance capitale, mirent vingt-quatre heures à par-
venir à leur destinataire! Les stations allemandes
les plus importantes : celles de la Direction Su-
prême, et celles des Quartiers généraux d’armées,
passaient des heures et, parfois, une grande
partie de la journée à écouter les émissions pos-
sibles des stations amies. . |
. Il n’était même pas question du décryptement
des télégrammes militaires français et anglais!
Comment aurait-on pu décrypter, en effet,
que ce genre d'activité militaire tout spécial, puis-
n'était même pas enseigné au grand état-major
avant la déclaration de la guerre, et qu'aucun
Ouvrage n’en avait posé les jalons raisonnés
. Cela n’empêcha pas l'écoute, bien entendu, ?
dans l'espoir, bien vain, de surprendre des mais
en langage clair! radios
. | D
+ Et le silence — presque absolu —
militaires français et anglais, facilité des postes
lisation de lignes télégraphiaues intactes,par l’uti-
- une tâche de ce genre bien illusoire! rendait
. |
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 75

LE CHIFFRE RUSSE.
I n’y eut qu'un autre Etat en guerre pour
avoir été aussi insuffisant en cette matière essen-
tielle : c’est la Russie. Les Russes commirent
les fautes exactement identiques à celles des Al-
lemands.. _ = °
« Le parallélisme est frappant — note M. Gyl-
den — avec cette différence que les fautes russes
furent infiniment plus nombreuses et plus
graves! Les stations de T.S.F. étant centrées en :
campagne avec l’organisation la plus défectueuse,
pendant les premières semaines de la guerre, les
. Stations russes radiographiaient en langage clair.
De nombreux ordres d'opérations furent captés
par les Allemands dont deux télégrammes extré-
mement importants peu avant la bataille de Tan-
nenberg. » : - - |
Le général autrichien Max Ronge, qui était
chef du service de renseignements du G.O.G.
autrichien et de l’'Evidenz Bureau, écrit : e Une -
Source vraiment incalculable de renseignements
s’offrit à nous par la radiotélégraphie russe qui
fut utilisée aussi imprudemment que celle
Allemands sur le front français au début de des
guerre, » la
- |: Lo
Le service officiel des archives allemandes fait
la mênie constatation : « Nous étions extraordi-
nairement bien renseignés sur les dispositifs
des
Russes. Depuis Tannenbersg, ils ne transmettaient
plus que des télégrammes chiffrés, mais le pro-
fesseur et interprète Deubner était parvenu, de
même que l’état-maior général aütrichien,
et au
prix d’incessants efforts, à décrypter les
clefs
russes. En conséquence, les radios russes, tant
qu'ils purent être captés, n’avaient plus de
crets pour les hauts commandements allemands se-
_

' -
76 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
et autrichiens. Des interruptions, pour la plupart
courtes, n’eurcnt lieu que lorsque les Russes
changèrent de clef. jusqu’à ce que la nouvelle
clef ait été décryptée. » ‘ "
L'opinion du général Ronge mérite également
d'être reproduite : « Les Russes agirent exacte-
ment comme si nous ne disposions pas d’appa-
reils' similaires ni ne pouvions nous adapter à
leurs longueurs d’ondes. Nous n'utilisions nos
stations de T.S.F, que bien plus rarement et très
prudemment pour des transmissions d’ordres :
par contre nous les utilisions grandement pour
l'écoute. Quelle joie lorsque télégrammes sur té-
légrammes nous parvinrent en langage clair!
Quelle joie plus grande encore, lorsque des mots
isolés apparurent chiffrés! Mes décrypteurs exer-
cés se jetèrent avec passion sur ces énigmes.
Beaucoup de passages chiffrés se révélèrent par
le sens des messages,.d’autres, par comparaison
‘avec la retransmission des mêmes télégrammes
en Tangage clair à d’autres stations, d’autres en-
core par les réponses en clair aux télégrammes.
ÎIl'arriva que des rapports détaillés, compre-
nant l’ensemble des dispositifs russes depuis la
Baltique jusqu’à la Mer Noire, furent captés, ct
que l'importance des renseignements provenant
de cette source fut plus grande encore au cours
de l'avance en Pologne qu’au cours des grandes
bataïlles en Prusse orientale. On reste stunéfait:
devant les immenses conséquences, perpétuées
tout au long de la guerre, qui proviennent de Ia
faillite complète du Chiffre russe comme de celle,
presque aussi complète, de la T.S.E.» .
- Le général Dupont mentionne l'importance
extrême attachée par le général Ludendorff aux
rapports fournaliers des décryptements de radios
russes : des décisions très importantes prises par
le maréchal Hindenburg, notamment la retraite
vers Ja Silésie après l'avance en Pologne, furent
s
108 ———- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

à ce propos, il a eu ce mot : e Tout cela est


inspiré par la famille d’un condamné à mort! »
Et moi, la victime — puisqu'on m'a tout pris,
non seulement l'argent e suspect », mais ma for-
tune personnelle — je continue à souffrir de la |
même rancune! C’est en vain que je réclame jus-
tice : la Justice reçoit des ordres d’en-haut! >
*x
x

Ces attaques passionnées — prélude, sans


‘doute, d’une demande en revision — je les ai
soumises au jugement impartial des deux ma-
gistrats qui poursuivirent jusqu’au bout l'affaire
Bolo : M. Bouchardon et M. Mornet. . -
— La revision du procès Bolo? s’écrie M. Bou-
chardon. C’est unc plaisanterie! Je mourrai
avant! Il a reçu douze millions de l'Allemagne,
c’est
un fait! Nous avons les documents. Et si
nous l’avions laissé faire, le Journal, acheté par
lui, aurait, sous le pavillon patriotique.< Des ca-
nons! Des munitions! > entrepris une campagne
en faveur,de PAllemagne! Au reste, c'était un.
être abject. Un Pranzini! — ajoute M. Bouchar-
don, qui achève une étude sur. Pranzini.
M. le conseiller Mornet, à qui je soumets la
thèse exposée par M. Caillaux, dans e Mes pri-
sons » « Bolo n'était pas un traître, mais un
escroc >, me répond : .… | :
— Escroc?-Non! S'il n’avait eu que le projet
de soutirer de l’argent, à l'Allemagne sans contre-
partie, il aurait prévenu le Gouvernement. Il au-
rait pu le faire. Il devait le faire. Avec-toutes
ses hautes relations!
— Oui — insinuai-je — n’était-il pas chargé
de mission par le Gouvernement? Par M. Poin-
caré? N’a-t-il pas été un agent du Ministère des
Affaires étrangères ? _-
A ces mots, M. Mornet devint plus prudent,
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 109
— Oui, M. Poincaré l’a reçu, mais il ne s’y
est pas trompé. Il se méfiait. C’est lui qui insista
auprès du Gouvernement pour que Bolo fût
l’objet d’une surveillance étroite. On ne pouvait
pas l'arrêter : il n’y avait pas de preuves. L’ins-
.-truction aurait abouti à un non-lieu. L'enquête
en Suisse, l'enquête en Italie, ne donnèrent que
eu de chose. Et, dans les rapports venus d'Italie,
il y avait des erreurs, une banque prise pour
l'autre. Florence à la place de Turin!
« C’est alors que nous envoyâmes une commis-
sion rogatoire en Amérique, mais les Etats-Unis,
qui étaient neutres, ne répondirent pas. Par
contre, dès que l'Amérique vint se ranger à nos
côtés, la situation changea. Et alors, c’est l’ar-
rivée foudroyante des télégrammes ‘américains!
— Vous savez qu’on a mis en doute l’authen-
ticité de ces télégrammes? Etait-ce des radios, ou
des télégrammes par fil?
— Ah! voyons, peu importe! C’éfaient des .té-.
légrammes qui nous étaient communiqués par le
Gouvernement américain et cette garantie nous
suffisait. . mi -
— Ne contiennent-ils pas, cependant, une
erreur? . oo
— Oui, une : Par erreur, le nom de Bolo avait
été ajouté à l’un d’eux. Mais, par d’autres docu-
- ments, nous eûmes la confirmation qu’il s’agis-
sait bien de Bolo.
.— Et sa mission en Espagne? Etait-elle offi-
cielle? (et je résume à M. Mornet la conversation
que je viens d’avoir avec M. Coggia). .°
_— M. Coggia? Méfiez-vous de ce qu’il vous dit.
Quand il vint déposer, on lui posa cette simple
question : | | Le | |
— Est-ce que vous connaissiez Bolo?
— Très peu. -
— Ï ne vous a jamais écrit? LU
— Non. Ou, alors, des choses insignifiantes.
110 —— LES ÉNIGNES DE LA GUERRE

« Cest alors que je mis sous les yeux de


M. Coggia une lettre par laquelle il remerciait
Bolo d’un prêt de 40.000 francs. ° .
— Oui, mais — dis-je — M. Coggia, comme
les autres, croyait en Bolo, sous la haute garanti
e
- du président Monier?
— Le président Monier!.
Au-nom de son .ex-collègue emporté dans la
tourmente Bolo, M. Mornet s’émeut :
— Nous l’avions assez mis en garde?
voulait rien savoir! C'était un provincial, Il naïf ne
et puéril, peu habitué à Paris et qui fréquen
tait
tous les mondes, surtout le monde des affaires
« Bolo — me disait-il — il a des-automobiles!. .
une vie somptueuse! » — « Raison de plus pour
vous méfier » lui répondais-je.
< Et, avant qu’il vint témoigner à la Cour,_
lui avais fait dire de ne pas « faire je
. Déjà, il avait reçu un coup : la Cour lede fendant ».
“l'avait destitué. Mais il ne m’écouta pas.Cassati
Et
on
._ présenta comme étant la plus grande victime se il
temps modernes! Le malheureux : il en des
= de chagrin! >» est mort
: |
LA TZARINE
A-T-ELLE TRAHI L'ENTENTE ?

C'est par fidélité à l'alliance russe


que nous
sommes entrés dans la gucrre..
En pleine guerre, au cours de l'ann .
ée trouble,
le Matin voulut publier, le 19 mai 1917;
révélant qu’en 1905, Nicolas IT avait un article
‘Gui llaume II, un accord secret contr
signé, avec
terre. Cet article fut soumis à M. e lAngle-
qui n’y Jules Cambon
vit pas d’inconvénients
à la Censure de le laisser passer.ct donna l’ordre
Le lendemain, le Matin revint -.
mettant à Ja Censure une interàview la charge sou-
volsky, ancien où M. Is-
ministre des Affaires étrangères
. du tzar, avouait que l'accord avait bel et bien été
signé entre les deux: Souverains, mais que les
ministres responsables, dès
connu, s’étaient opposés à son exécuw’ils Pavaient
Peut-être M. Iswolsky espéra tion. Le
bien voir des révolutionnairesit-il, ainsi, se faire
Savœu rétrospectif? Son interviewrusses par ce dé- -
M. Ribot s’y étant opposé et ayant ne parut pas, .
M. Iswolsky par M. Jules Camb fait convoquer
Quelques jours après, le 30 on. . -
Son retour de Londres, remitmai 1917, M. Ribot,
traité russo-allemand secr à M, Poincaré le :
Iswolsky. et dont avait parlé
- te
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——- {13
&-
prévenu .s'était contenté d'attaquer la charo ne
allemande! > Et il entendait, par là, l'impéra-
trice. » . _. .
+
x

Alexandra Fedéorovna, princesse de Hesse,


fut, comme la plupart des reines de guerre, par-
“ tagée-cntre deux devoirs, entre deux Patries
la sienne et celle de son mari. Mais la sienne :
lemportait dans son cœur au point qu’on peut
légitimement se demander, aujourd'hui, si elle
n'a pas, au sens technique et littéraldu mot,
‘trahi l'Entente. | ‘
Citons, à la barre du tribunal, tous les témoins
.
Direz-vous que Trotsky est suspect?
qui établit une évidente symétrie entre le Trotsk y
dernier
couple des Romanof et je dernier couple
français à l’époque de la grande révolutroyal
Trotsky qui compare l’Autrichienne Marie-ion,
loinctte et la Hessoise Alexandra, en accordAn-
à cette dernière plus de mépris que de ant
M. Paléologue, ambassadeur de France pitié?
trograd, fut évidemment à Pé-
mieux
Trotsky puisque, au jour le jour, il placé . que
Cour des Tzars, les faits essentiels nota, à la
aussitôt, par télégrammes chiffrés, qu’il signalait
ment français. au Gouverne-
. [ :
En voici quelques-uns concer nant . « la
Niemka'> VAllemande à ropos
culait, parmi les gens d peuplede laquelle cir-
légende : « Les mariages qu’on russe, cette
après les funérailles sont voués célèbre aussitôt
Viemka a le mauvais œil. ». au malheur : la
Le 19 août 1916, M. Paléologu LOS
Quai d'Orsay e télégraphie au
: « Voici mescon clusions.: la ca-
.Marilla de limpératrice s'efforc
la diplomatie russe une orientae d'imprimer à
- réconciliation avec l'Allemagne. tion nouvelle :
8
114 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
29 Août : Kokowtsof, ancien Président du
Conseil, est inquiet du renvoi ‘de. Sazonov.
e L’impératrice — dit-il — est désormais toute-
puissante. Sturmer, incapable, vaniteux, a su la
rendre. Il l'informe de tout, la consulté sur tout,
entretient dans lidée que l'empereur n’a de
- comptes”à rendre qu’à Dieu. C’est une névrosée,
une malade, une hallucinée. »
Et il répand les infâmes rumeurs qui circulent
_à propos de ses relations avec Raspoutine.
14 Septembre : « Raspoutine et Sturmer se
voient continuellement. Ils tiennent des conci-
liabules, le soir, aux endroits les plus secrets
de Pétrograd, à la forteresse Saint-Picrre-Saint-.
Paul, et dans la chambre de Mlle Nikitine. Ce
sont deux scélérats qui perdent le régime. »
10 Décembre : « L'impératrice est une ‘aber-
rante déséquilibrée, instrument politique tout-
puissant de la conspiration que je flaire autour
de moi. Sa camarilla est constituée parla Wi-
roubova, le général Woyeikow, Sturmer, le prince
Andronikov. 7 _.
Par qui cette camarilla est-elle dirigée?
A mon avis par quatre personnes : le .métro-
olite Pitrim, l’ancien directeur de la police Bie-
etzy, Stcheglovitow et enfin Manus. » -

MANUS
Manus! Voilà le chaînon!
M. Paléologue, dans le livre qu’il vient de pu-
blier, et qui est consacré à Alexandra Fedeo-
rovna, écrit :! : ‘
< Nécessairement, j'avais organisé autour de
Raspoutine’ un service de surveillance et d’in-
formation : je crois pouvoir dire que j'étais
bien renseigné sur ses faits et gestes: or, jamais
on ne m'a signalé qu’il ait, d’une manière quel-
— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 115
conque, poussé l’empereur à négocier sous main
avec les puissances germaniques une paix sé-
parée. : -
æ Je ne le considérais donc pas comme un
agent de l'Allemagne au sens exact du mot, c’est-
à-dire comme un'espion de l'Allemagne, comme
un intermédiaire et un porte-parole de l’Alle-
magne, Cela dit, je ne doute pas que, par des
“intermédiaires, l'Allemagne se soit ‘beaucoup
servi de lui pour se renseigner sur les secrets
de la stratégie et de diplomatie russes. L’un de
ces intermédiaires, le banquier juif Manus,
n’était bien connu. Chaque semaine, il offrait un
diner au starctz, qui rencontrait là des généraux, :
des aïdes-de-camp de l'empereur, des hauts fonc-
tionnaires et, naturellement, aussi quelques jolies
femmes complaisantes. On .buvait, toute la nuit.
Echauffé par le vin, Raspoutine bavardait, pé-
rorait intarissablement. Alors, tout ce qu'il avait :
appris dans ses conversations avec les souve-
rains, tout ce qu’ils Iui avaient confié ou qu'il
avait surpris de leurs opinions, de leurs projets,
de leurs espoirs, de leurs inquiétudes, il déba-
goulait tout cela, en son langage pittoresque!
Et, le lendemain, un rapport circonstancié par-
lait pour Stockholm, d'où le ministre d’Âlle-
magne le transmettait à Berlin. » Un
. Cest de l’impératrice elle-même que Raspou-
tine tenait les renseignements _les plus confi-
dentiels. , |
Nous n’en connaissons la nature et l'impor-
tance que depuis la publication des lettres adres-
sées, pendant la guerre par l'impératrice à l'em-
pereur ct que nous allons analyser, |
116 ———— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

COMMENT ELLE ÉTAIT RENSEIGNÉE


« À lire ces lettres— écrit M. Paléologue —
où se débattent les plus graves secrets de la Dé-
fense nationale, où fa vie même de la Russie est
en jeu, comment ne pas frémir lorsqu'on sait
dans quelle société de bambocheurs, de fri-
pouilles, d’espions, de bandits l'Homme de Dieu
s’enivrait chaque soir! »
Chaque mercredi, Raspoutine déjeunait chez
. Manus, Manus, agent secret de l'Allemagne, d'ori-
gine hébraïque, pourvu d’une fortune considé-
rable, autorisé à résider à Pétrograd où il distri-
buait à toutes mains les fonds allemands!
. Manus avait gagné tout le clan de Raspoutine.
En relations constantes avec Stockholm — c’est-
_à-dire Berlin — il menait une vive campagne en
vue de la réconciliation de l'Allemagne et-de la
Russie. Chez Manus, se rencontraïent, en même
temps que Raspoutine, l’aide-de-camp de Fem-
pereur, l’amiral Nilow, qui était invité en raison
de sa magnifique tenue sous le vin, le sénateur
Bieletzy. dont l'influence était grande -sur
YOkrana et sur l’impératrice. :
‘ *,
*k*

Dans ses lettres intimes à son. grand Agou »,


au « précieut Bousy », au e Petit garçon bleu »
(c'est ainsi que Sunny l’Ensolcillée le appelait
Tzar de toutes les Russies) elle le renseigne sur la
France et ses alliés d’après les lettres qu’elle re-
çoit de son frère, Ernie de Hesse, de sa sœur
aînée Victoria, princesse de Battenberg et on
imagine dans quel sens! ?
Le 1* septembre 1914, elle lui écrit. pour lui
——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE - 85

EN ESPAGNE
‘ L’interception et le déchiffrement des radios
échangés entre l'Allemagne et les neutres était,
pour nous, particulièrement importante et. dé-
licate. -. n
Comment ces communications secrètes étaient-
elles, techniquement, organisées? Avec l'Espagne,
par les lignes Kænigwushausen-Aranjuez et Kœ-
nigwusterhausen-Carabancel, d’une part, et par
les lignes Pola-Barcelone ct Vienne-Barcelone,
- d'autre part. - :
Avec les Etats-Unis, par les lignes Nauen-Say-
ville et Hanovre-Tuckerton : elles furent, natu-
rellement, interrompues quand les Etats-Unis se
: rangèrent à nos côtés contre l'Allemagne.
Avecla Grèce par la ligne Sofia-Athènes.
Ces communications furent toujours très acti-
-ves. Leur interception exigea une organisation
spéciale pour être aussi complète que possible
à l'abri de toute perturbation atmosphérique. et
Les centres d'écoute furent, donc, placés
de nos grandes stations émettrices pour loin
pas gènés par elles. Ils furent, de plus, n'être
Sur tout répartis
le territoire, dans des régions assez
gnées l’une de l’autre pour n'être éloi- |
pas affectées,
en même temps, par des perturbations
Deux écoutes au moins, furent affectées locales.
communication. Elles furent pourvues à chaque
tallations -les plus sensibles et les des ins-
tionnées pour pouvoir recevoir les plus perfec-
plus faibles et enregistrer les émissionssignaux les
rapides. les plus
Se Lt LT
C’est surtout avec l'Espagne que
bataille des ondes secrètes. Les trois fut active la
dirigeant les nombreux agents allemands personnages
en Espagne étaient l'ambassadeur opérant
Prince Rati-
86 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
bor, l’attaché militaire von Kallé, et l’attaché
. naval, capitaine de corvette-von Krohn, qui fut
remplacé par l’enscigne Steffan lorsqu'ilse fût
* par trop compromis avec Mme Marthe Richard.
Îs avaient des intelligences dans tous les milieux
de la péninsule, depuis les aventuriers à tout
faire et les mercantis à tout vendre, jusqu’à cer-
tains personnages occüpant de hautes situations
dans la politique ou la finance. ‘
. L'Espagne fut le plus important théâtre d’opé-
rations pour les agents allemands.”"Ils y évo-
luaient presque ouvertement. Ils avaient organisé
des centres de renseignements sur.les points les
plus intéressants de Îa-côte. Leurs informateurs .
envoyaient chaque jour, par téléphone ou par
télésramme, les iridications les: plus complètes
sur les mouvements des navires alliés ou neutres.”
Maïs, heureusement pour nous, ces renscigne-
ments précieux ne pouvaient être transmis à
“Berlin que par T.S.F. : notre service d’écoute les
interceptait intégralement, et, même, plus cor-
rectement que le service destinataire allemand
. qui était plus éloigné et dans de moins bonnes
conditions de réception! ee .
Les radios transmis de Madrid à Berlin com-
-prenaïent aussi les câblogrammes provenant des
onctionnaires et agents allemands de l'Amérique
du Sud, et cette retransmission nous dévoila des
entreprises de grande envergure organisées con-
tre les Etats-Unis, par des agents installés au
Mexique, contre les Indes, le Japon et le Transsi-
bérien par des agents opérant en Chine.
L'activité allemande ne manquait pas de
s’exercer dans notre Afrique du Nord. Elle se
manifesta surtout au Maroc par des envois
d'armes et d'argent qui, bien que surveillés par
nos croisières, parvinrent toujours à destination.
L’ancien sultan Abdul Hamid, qui résidait en
Espagne, sollicité de se rendre au Maroc pour
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 87
. L ‘
soulever ses partisans contre nous, se déroba au
dernier moment. Mais Abd, Malek ct Raïssouli,
largement subventionnés, entretinrent, dans le
Maroc espagnol, une agitation qui inquiéta quel-
.quefois sérieusement le résident général, |
Une expédition hardie fut même tentée dans
‘le Sous pour amener au prétendant El Hiba des
armes et des instructeurs transportés par un.
sous-marin : cette expédition échoua lamentable-
ment, et son chef, Proebster, fut, ensuite, empri-
sonné en Espagne. | |
IL y avait, même, en Espagne, quelques Turcs
sur lesquels les Allemands comptaient pour agir
sur leurs correligionnaires musulmans du Maroc
et d'Algérie. L'un d’eux fit partie de l'expédition
de Proebster dans le Sous. Ils ne semblent pas
avoir donné beaucoup de satisfaction à leurs em- :
ployeurs, qu'ils fatiguèrent et indisposèrent par
leurs continuelles demandes de subsides pécu-
niaires. Lo
— Je regrette, personnellement — conclut, sur
ce point, le général Cartier — que la publication
de cette correspondance soit, encore aujourd’hui,
interdite. Etalte au grand jour, elle édifierait le
monde sur certains procédés allemands et sur les
concours qu'ils avaient pu acheter chez nous.
. et ailleurs!
< D'autant plus — ajouta l’éminent techni-
cien — que le « danger » d’une telle publication
est, à mon avis, atténué par le fait que des indis-
crétions ont — dès le début de la guerre — ré-
vélé, en partie, à nos adversaires, que nous con-
naïissions le secret de leurs chiffres.

UNE OFFENSIVE CONTRE LA CENSURE

— Oui, dès le temps de guerre, et malgréla


Censure! |
88 - LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

Quelles imprudences n’ont pas commises les


journaux! Et quelle ignorance manifesta le ser-
vice — auquel j'ai appartenu — chargé de les
contrôler! - : .
Au service du Chiffre, les plus minutieu ses
récautions étaient prises. Les radios interceptés
étaient transmis, au fur et à mesure de leur.
- émission, et étaient, aussitôt, répartis entre les
sections chargées de les étudier, Des interprètes
et des cryptologues faisaient_les traductions
ou
les déchiffrements. Les dactylographes les ta-
paient sur des papiers spéciaux. Discipline im-
itoyable! Service de jour et-de nuit très pénible!
a plupart des radiotélégraphistes venant du
‘ front demandaient à y retourner, malgré le dan-
ger plus grand, pour échapper à. la discipline
sévère. E |:
Les officiers étaient soumis à Ia même
disei-
line du secret. Il leur était, particulièrement
Interdit de prendre la moindre note, de conserver ,
. Sur eux, la moindre trace écrite ,
avaient déchiffré, un par un, sansde ce qu'ils
d’ailleurs, l’ensemble d’un décryptement.connaitre,
Or, malgré toutes ces précautions,
de graves indiscrétions furent commise une série .
s dont les
directeurs du service de Chiffre conserve
core aujourd’hui le souvenir. nt en-
Un des collaborateurs du général | -
.colonel Cartier, le
Givierge, a dressé, contre
son ignorance en matière de Chiffre, la Censure et
réquisitoire : « La Censure a un véritable
: secret de nos déchiffrements. bien mal gardé le
que les censeurs, aussi mal On Peut déplorer
ses que l'opinion publique, informés de ces cho-
aient laissé Passer .
des notes qui ont été utilisées par
mal fait tnconsidérément l'ennemi, Le .
par des bavards est
bien plus grave ge le tort causé
par les espions
que l'on a fusillés! > -. - .
Dès le 3 octobre 1914, le G.Q.G. à propos
d’une :
r

———— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE -— 123


_ perdu, et il pâtit parce que, elle, elle touchait des
pots de vin.» :
Quand il est question de nommer, à sa place,
Polivanov, elle lui écrit : «Il ne me plait pas-du
tout! je préfèrcrais Soukhomlinov, bien que Pa-
livanov soit plus intelligent, mais je doute qu’il
nous soit aussi dévoué. Soukhomlinov a commis
une grande faute : c’est de montrer, à droite et à
gauche, la lettre confidenticlle que tu lui avais
écrite. Certains en ont pris copie. Je comprends
qu’il ait fait cela pour montrer que tu es resté bon
pour lui jusqu’au bout, mais les autres ne doi-
vent pas connaître les raisons pour lesquelles il
est parti, à l'exception, pourtant, de son men-
songe à Peterof, quand.il a déclaré que nous
étions prêts, et que nous avions assez d’obus
pour soutenir le choc alors que nous n’en avions
pas assez! Cest sa plus grande faute : les pots de
vin de sa femme ont fait le reste! >
Quand Soukhomlinov fut arrêté, mis en accu-
sation pour haute trahison, Notre Ami dit à Ania
(fille du tzar) : « Ce n’est pas bien, > Et la tza-
rine commente : « Je trouve qu’on a agi injus-
tement avec lui.»
Quelques jours après, après la prisede Kowel,
Notre Ami demanda, à cette occasion, au {zar,
par l'intermédiaire de la tzarine, de mettre Souk-
omlinov en liberté sous caution : « Donne cet
“ordre confidentiellement, sans bruit, » Et elle ré
pète, le lendemain :-« Mon chéri, je ten prie,
.tu peux autoriser Soukhomlinoy à vivre chez
Jui. > | Lie _ °
Notre Ami invoque l'Evangile et le pardon des .
offenses : « Il ne faut jamais avoir peur de
libérer un prisonnier, de remettre un pêcheur :
dans la bonne voie :: par leurs souffrances,
prisonniers deviennent supérieurs à nous devant les
ieu. Donne l’ordre qu’on l'élargisse sans
bruit
194 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
soi-
‘et. .qu’on le garde dans sa maison où il sera
né. »
8 « Télégraphie de suite à Sturmer! » « EtAyant elle-
Jui dicte le texte mêm edu télég ramme :
_pris connaissance ‘du dossier de l'enquête con-l
cernant l’ancien ministre de la Guerre, générae
Soukhomlinov, j'estime que l’accusation manqu
absolument de base et que, en conséquence, l'af-
faire doit être rayée. > Il faut que cela soit fait in-.
avant l’ouverture de la Douma —
demain,
siste-t-elle. Et se rendant compte qu’elle exagère,
- elle lui dit”: « Je sens que je suis cruelle en
insistant ainsi auprès de toi, mon doux ange par
-4jent? Mais toute ma foi est en Notre Ami qui
ne pense qu’à toi, à Baby et à la Russie. >

NICOLAS LIMOGÉ -
Indulgent pour les fautes du-traître Soukhom-
linov, Notre Ami est impitoyable pour le chef
suprême de l'armée russe : le grand-duc Nicolas,
et, par l'entremise de l'Ensoleillée, il va peu
peu miner € Nicolacha », comme ils Pappellent
dans l'intimité. | | -
Dès septembre 1914, elle écrit au tzar : « Nico-
lacha est loin d’être intelligent : il est obstiné et
les autres le mènent, Dieu veuille que je me
trompeet que ce choix soit heureux!.… Grigori
. t'aime jalousement et ne supporte pas que Na-
tatcha joue un rôle quelconque. »
Plus loin, elle répète que Nicolacha est loin
d'être intelligent. Pourquoi? Parce qu’il s’est
dressé contre l’Homme de Dieu; aussi ses œu-
vres ne peuvent pas être bénies et ses actes ne
peuvent pas Être justes. >
inalement, Notre Ami eut la pea Nuiat-
cha. On sait que cet événement _P dont A aa
caré redouta les conséquences — eut des “réper-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— 195

cussions funestes sur la conduite de la guerre.


Par la suite, la tzarine eut entre les mains une
lettre dans laquelle le grand-duc Nicolàs faisait
pressentir les événements qui se préparaient et
dont il tenait pour responsables l’impératrice et
Raspoutine. Et elle écrit au tzar : e Jai lu sa
lettre avec un profond dégoût. Il fallait l'arrêter
au beau milieu de son discours, lui dire que s’il
se permet de toucher encore une fois à ce sujet
et ke parler de moi, tu l’enverras en Sibérie, car
c’est une véritable trahison! » .

—ADMIRATION DE L’ALLEMAGNE

Auprès du tzar, l'Ensoleillée défend tout ce qui .


est allemand. Elle est pleine d’admiration pour
l'organisation militaire allemande, l’ingéniosité
sans scrupules de sa diplomatie. Elle défend les
prisonniers allemands « Par humanité, et aussi
pour qu’on ne puisse pas dire de mal à propos
de notre traitement des prisonniers, je voudrais
que tu donnes des ordres sévères, avec menace
e punition pour ceux qui ne les exécuteront pas
& Mais, ajoute-t-elle amèrement, je n'ai pas le
droit d'intervenir puisque je suis une « Alle- :
mande > comme quelques canailles continuent
de m’appeler pour entraver mon action! >»
Elle est indignée d'apprendre qu’on a enlevé
leurs épaulettes aux officiers allemands prison-
nicrs. « Cela a produit en Allemagne un accès de
fureur et je-le comprends très bien. Pourquoi
humilier les prisonniers? C’est un de ces ordres
injustes lancés par le Quartier Général en 1914!
Dieu soit loué qu’on le révoque maintenant. Eux,
les Allemands, il faut le dire, ils améliorent
Situation de nos prisonniers. J'ai vu des photo-la
graphics de nos blessés prises par Max à Saalem.
propriété de la tante Marroussia, grande-du-
126 -—— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
.chesse: Maximilianovna, princesse de Bade,
femme du prince Guillaume de Bade) dans le
jardin, près d’une petite isba dans laquelle Max
jouait étant enfant, Ils ont l’air bien nourris et
gais. La haine des Allemands est déjà, en grande
- partie, dissipée et la nôtre est entretenue artif-
ciellement par le hideux Novoie Vrémial »
Lorsque tombe l'anniversaire de Guillaume Il,
elle demande au'tzar que les prisonniers alle-
mandsen Russie puissent le fêter de la même
façon que les nôtres, en Allemagne, ont fêté la
naissance du tzar.
D : ‘ L 1%*

< C’est vraiment énorme — s’écrie-t-elle un


Jour — ce que les Allemands peuvent faire! On
ne peut qu'admirer leur organisation systéma-
tique. Si notre < machine » fonctionnait aussi
bien que la leur, sûrement la guerre serait déjà
terminée! Nos généraux ne sont pas suffisam-.
. ment préparés bien que beaucoup d’entre eux
aient fait la guerre au Japon tandis que les Alle-
mands n’ont-pas eu de guerre depuis bien long-
temps! Les Allemands ne sont jamais en retard
tandis que les Alliés perdent leur temps en con-
versations sur la Roumanie et que les Bulgares
font leurs préparatifs. Nos diplomates se condui- :
sent d’une façon pitoyable, »

CONSEILS DE. STRATÉGIE


Et voici que, sous l’influenec de -Raspoutine,
elle se met à donner au tzar les conseils militaires
‘les plus précis. :
Elle a une curiosité étrange, pour une . femme :.
« Est-il vrai qu’on forme de nouveaux régiments
pour les envoyer en France? » Et puis : « Quand,
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 93
d'Allemagne à Buenos-Aires, le comte de Lux-
bourg. Ces documents étaient relatifs au voyage
de \ Caïillaux en Amérique du Sud. Il a été
incontestablement établi que, dans l’un de .ces
télégrammes, se sont glissécs deux graves erreurs
de traduction. Alors que, d’après le texte, le
comte de Luxbourg aurait dit à ses chefs de
Berlin : « M.-Caillaux nous met en garde » le
texte réel était : « M. Caillaux met en garde »,
ce qui exclut l’idée d’une communication faite,
directement, par M. Caillaux au ministre d’Al-
lemagne. ,
L’autre est plus importante et constitue un
véritable faux. L'a rès le premier texte, l’attaché
naval allemand à Rio-de-Janeiro aurait télégra-
phié, à propos de M. Caillaux, à l’amirauté à
Berlin : « Capture indésirable », ce qui laissait
entendre que M.-Caïllaux jouissait, de la part de
l'Allemagne d’une véritable immunité. Le texte
réel était : e Capture très désirable ». :
Il fut établi que cette « erreur » n’était pas le
fait du Gouvernement français, mais qu’elle avait _ *
été commise par les déchiffreurs américains.
— Comment — ai-je demandé au colonel De-
france, directeur du Service du Chiffre au Minis-
tère de la Guerre — peuvent se produire de telles
erreurs? : |
— Il peut y avoir des erreurs d'écoute, un
chiffre étant pris pour un autre."Ou des erreurs
de traduction, ou d'interprétation. Ou, enfin, des
erreurs de copie, mais celles-ci sont les plus
rares.
« Croyez bien que nous sommes, ici, dans ce
service ultra secret, obsédés par l'affaire Dreyfus
et hantés par la crainte de commettre une erreur.
\

— D'autant plus fâcheuse qu’elle est inconnue -


des intéressés? |
7 Oui : je vous ai parlé de l'affaire Dreyfus! .

7
94 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

QUELQUES SECRETS DES VERTS


e, nous
Grâce aux Verts captés pendant la guerrins neu*
fûmes rens eign és sur l'att itude de certa
que, le
tres ct de certains alliés. C’est” ainsi franç ais fut
93 juillet 1916, le Gouverne ment
tre l'Al lema gne ct l'Esp agne, il y
informé qu'en des sous-
avait d'actives négociat ions au sujet
marins. L'Allemagne offrait à l'Espagn e de dé+
avec ses sous -mar ins si V'An-
fendre ses côtes
gleterre voulait lui forcer la main. roi Al-
Nous apprimes également que le militaire :
phonse XIII avait fait venir l'att aché
pouss
allemand et Jui avait dit qu’il était latrès neutr alité
ar l’Entente en vue d'ab ando nner
ait très diffic ile. Il lui
et que sa situation deven in nombre
dema ndai t, en écha nge, un certa
gnole. |
d'avantages pourla population espaait à entre r
- Au moment où la Roum anie hésit
t que
en guerre, c’est un Vert qui nous appri et
directement, avec Bucarest
Pitalie négociait,
qué le roi Ferdinand avait fait porter par un
général roumain des propositions au roi Victor-
Émmanuel d'Italie. . _
Sur l'attitude de la Grèce, nous fümés con$-
tamment renseignés par le déchiffrement des
télégrammes du roi Constantin et de la reine
Sophie de Grèce, notamment, le jour où Autri nous
sûmes que des méde cins Alle mand s et -
_chiens, appelés par.le roi Constantin allaient
partir sur ün torpilleur grec pour Cavalla, et, de
là, emporter des plis pour l’Allemagne. t
Un diplomate, le conte ©. qui avait- offer
mission
au Quai d'Orsay de sc charger d’üne
confidentielle, ne l’obtint pas parce d’un Vert
gne.
nous apprit qu'il était à la solde de l'Allema ren-
Parfois, il était impossible d'utiliser les
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 95
“Seignements provenant des Verts par crainte
d'en révéler la source ou l’origine. Un Vert donna
au Gouvernement français le nom d’un député
qui aurait livré à l'Allemagne les débats des Co-
-mités Secrets. Un autre aurait prouvé qu’un:
rédacteur du Bonnet Rouge négociait à Barcelone
avec des Espagnols pro-germains. : ,
< Viviani le fait filer — écrit M. Poincaré
dans ses « Mémoires > — maïis,-n’ayant que le
témoignage du consul allemand de Barcelone
connu par les Verts et impossible à produire, il
ne sait comment procéder à une arrestation. »
C'est aussi par un Vert que M. Poincaré apprit
qu'un agent ilalien en France, M. Salvago Ragpi,
annonçait, régulièrement, au Gouvernement ita-
lien limminence d’une crise présidentielle en
France. |
M. Poincaré était, par les Verts, renseigné sur
les dessous de la politi uc et de la diplomatie.
n jour, Mme et Mille Iswolsky viennent, fort
attristées, lui dire leur angoisse de voir venir le
moment où elles seront obligées de crier misère.
« Cependant — d’après les Verts,
M. Poincaré — Iswolsky a 18.000 roubles note de
pension et la famille est installée à Biarritz dans
une villa qui lui appartient! » ‘
Cest par un télégramme déchiffré que
M. Poincaré apprit que les Allemands avaient
Pris comme otage un de ses parents, |

LES VERTS ET LA PAIX 7


. Les Verts rendirent, enfin, les plus
vices à Clemenceau lors de Ja négocgrand s ser-
iation du
Traité de Paix.
< Lorsque les Allemands arrivèrent à - Ver-.
sailles — me raconte le général Cartier
— ils.
avaient, pour correspondre avec Berlin, un
132 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
des dénonciations anonymes que je cache chez
: moi des espions russes — je suis ici prisonnière,
c’est-à-dire que je n'ose pas quitter mon jardin,
et c'est chez moi que sont-venues me voir trois
personnes : deux Allemands et un Autrichien —
tous les trois hommes influents qui m'ont prié
de demander à Votre Majesté si « à présent que
tout le monde est convaincu de l’héroïsme des
Russes et que la position de tous les combattants
est à peu près égale, vous, Sire, ne voudriez pas
être non seulementle Tzar d’une armée victo-
rieuse maïs encorele Tzar de la paix. C’est vous
qui, le premier, avez eu l’idée de la paix inter-
nationale et c’est sur l'initiative de Votre Ma-
jesté qu’un Congrès de la Paix fut appelé à La
Haye. Il suffit maintenant d’une seule parole
. puissante prononcée par vous et les fleuves, les
euves de sang, arréteront leur horrible cours.
Ni ici, en Autriche, ni en Allemagne, il n’ya la
moindre haine pour la Russie, pour les Russes:
‘. en Prusse, l'Empereur, l’armée, la flotte recon-
naissent l’héroïsme ct les qualités de notre
armée; dans ces deux pays, il y a un parti impor-
tant qui est pour la paix solide avec la Russie.
Tout périt maintenant, les hommes érissent, la
richesse du pays périt, le commerce, le bien-être,
-t après, c’est la terrible race jaune : contre elle,
ilnya qu'un seul rempart, c’est la Russie. La.
Russie qui vous a à sa tête, Sire! Une seule pa-
role, et, à vos nombreuses couronnes, vous
ajouterez la couronne de l'immortalité. »
« J'ai été stupéfaite quand on m'a exprimé
tout cela. A l’observation que je fis : « Qu’y puis-
je? s'il me fut répondu : « À: présent, il est
impossible d’agir par la voie diplomatique. Faites
|
donc connaître notre conversation au Tzar russe,
et il suffira alors que le plus fort des potentats
prononce, sans avoir été vaincu, une
arole, et
certainement tous iront au-devant de ui, > J'ai
+ 134 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
à Sazonov qui me répondit en avoir reçu une
toute pareille, de même que l'Empereur. Je ne
pus m'empêcher de demander à Sazonov com-
. ment il pouvait permettre que cette demoiselle
Vassiltchkova conservât son titre de demoiselle
.. d'honneur de Sa Majesté l’Impératrice. »
Deux mois.après, le 27 mai, le Tzar est saisi,
ar les mêmes moyens, de transmission,
d’une
nouvelle lettre privée de la princesse Vassiltch-
kova qui, cette fois ,
lui écrit de Berlin : |
" « J’ose vous écrire encore, et, cette fois de
Berlin, où l’on me demanda de venir (pour être
lus-près de la. vérité, on vint me chercher à
{lein-Wartenstein) sous prétexte que je pourrais
voir mon neveu qui est prisonnier ici en Alle-
magne, et en réalité, pour que je transmette à
Votre Majesté les conversations que j'ai eues ici.
- Votre Majesté n’ignore pas que, depuis le mois
d'août, je suis plus ou moins prisonnière à Klein-
° Wartcñstein; il m'est défendu de sortir de mon
jardin. lei, en Allemagne, je suis absolument libre,
j'ai toutes les libertés, dont n'usent pas les autres
étrangers à Berlin et en Allemagne, et cela au
su de l’empereur Guillaume, qui est au courant
des bontés pour nioi de Votre Majesté et de Sa
Majesté l'Impératrice. Un , .
< Déjà, dès la fin de février, on est venu à
. Klein-Warlenstein pour me parler de la paix —
comme je l'ai écrit à Votre Majesté. A présent,
on peut voir — pas officiellement, cela .va de
APPin

soi— mais on devine, en entendant les conver-


sations, que le désir dé la paix avec la Russie est
devenu beaucoup plus fort. Beaucoup de gens ici.
sont venus chez moi : le ministre des Affaires
étrangères, von Jagov, que je connaïs depuis
té à ABLE due ae mes,

longtemps, est venu plusieurs fois et a parlé lon-


‘ guement de la situation présente. Plus que cela,
c’est à sa demande et à son su que je transmets
d
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— 135
nos conversations, Je cherche à vous les trans-
mettre en français, car elles ont eu lieu en fran-
çais, et vous verrez que l’Allemagne désire sin-
. rèrement terminer la guerre au plus vite, et
devenir, non pas l’ennemic, mais l’amie et l’alliée
de la Russie. Lo Le.
«En Allemagne,on a besoin d’une Russie
forte et monarchiste, et les deux maisons impé-
riales voisines doivent soutenir les traditions
anciennes d’amilié et de monarchie. La conti-
nuation de la guerre est considérée comme un
danger pour la dynastie. On reconnaît parfaite-
ment bien ici que la Russie ne veut pas
la France, l'Allemagne comprend que c’estlâcher une
question d'honneur pour la ussie. et elle ne fera
pas d'objection à une entente équitable, »
‘Puis, se faisant l'écho d’une légende que l’on
retrouve à toutes les pages de la correspondance
de la Tzarine avec le Tzar, elle accuse
maçonnerie de préparer un complot interlanatio franc-
contre les dynasties : nal
« La guerre avec l'Italie ne fait peur
sonne. à per-
Dès l'automne, le sud du Tyrol a été
envahi de troupes autrichicnnes ct les
aussi y ont envoyé des troupes. On Allemands .
source sûre que Ja guerre avec l'Ital a a pris-de
nisée avec de l’argent anglais et ie a ll orga-:
tiques, francs-maçons, radicaux etles tutti
chefs poli-
‘dont le vrai but est de renverser quanti,
Jes trônes, ont
reçu quelques millions de lires. Au
suppose ici que Votre Majesté a été surplus, on
l'intervention de opposée à
l'Italie en cette guerre, >» .
À Ia fin de cette lettre, elle avoue v’avant
d'écrire, élle a pris contact avec le grand-du
Hesse :- c de
. L °
+ Le grand-duc de Hesse ayant appr
j'étais à Francfor is que
t, m'a télé
Pour m inciter à déjeuner à grapolfs
hié sans tarder,
garten. Il est
136 -—_ LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —
inutile de dire avec quel amour il a parlé de.
vous et de l’Impératrice, avec quelle sincérité il
aspire à la paix, et comme il S’est réjoui de ce
ue von Jagov se soit décidé à me parler fran-
chement, Lu | ‘
-- « Cette lettre parviendra à Tsarkoïe-Sélo et
sera transmise à l’aide-de-camp de service pour
être remise à Votre Majesté en mains propres.
-J’ose demander qu’on ordonne de me donner une
réponse, que je pourrai transmettre à von
Jagov. Je vais l’attendre ici — et, après, hélas!
je serai obligée de rentrer à Klein-Wartenstein
. que je n'ai pas le droit de quitter avant la fin de
‘ la guerre. Si, du haut du trône, Votre Majesté
décide de prononcer le mot de « paix » elle dé-
cidera du sort des peuples, et si elle envoie une
‘ personne de confiance, une autre sera en même
temps envoyée d’ici pour entrer en pourparlers
directs. >» ce :
Et, dans un post-scriptum, elle ajoutait insi-
dieusement : °- : |
& Si Votre Majestéé a le désir que je lui trans-
mette personnellement tout ce que j'ai vu et
entendu ici, en Allemagne, le voyage à Tsarskoïe-
Sélo me sera facilité de toutes façons. »
I1 faut croire que le Tzar répondit à cette
: demande, car, à la stupéfaction de tous, la négo-
ciatrice vint d'Allemagne et fit son apparition à
Pétrograd au mois de décembre suivant.
- Un envoyé spécial était allé la chercher à Tor-
neo et on lui avait réservé des chambres à
l'Hôtel Astoria. ‘Sazonov déclara que c'était
l’ordre de Tsarskoïe-Selo, où elle était reçue en
cachette.
Rozinko, averti, prévint le Ministère de lInté-
rieur et la Commission du Budget où fut soulevée
Ja question de la paix séparée. Après la séance,
le. ministre de l’Intérieur Khvostoff confia À Ro-
N

———— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— 137


zinko que Mlle Vassiltchkova:se rendait
rement, en cachette, à Tsarskoïe- réguliè-
avait cru devoir faire lui-même une Selo et qu’il
dans la chambre de l'Hôtel Astoria, perquisition :
Parmi les papiers qu’il confisqua, se
des documents prouvant qu'elle avait trouvaient
dam chez l’empereur Guillaume été à Post-
des instructions de Bethmann-Holveg IT et avait reçu
nière d’agir à Pétrograd. Il déco sur la ma-
la preuve uvrit également
qu’elle avait séjourné un mois
prince de chez le
Hesse d’où elle
Pour les deux sœurs du rapp orta deux lettres
prince : l’impératrice
Feodorovna et la grande-duche sse
à Grande-Duchesse avait cru devoElisabeth.
sans la décacheter,
ir renvoyer,
la lettre de son frère
. -
M. Maurice. Paléologue
les intrigues de la Princesse,Surveillait étroitement
n° 1 de l’année 1916, il Par son télégramme
tient, de nouveau, le.
Quai d'Orsay au courant ef,
vier 1916, l'Impératrice écri ce même jour, 5 jan-
de la mesure prise à l'égard t au Tzar à propos
avait été déchue, tout de la Princesse, qui
de même, de son titr
dame d’honneur : e de
: |
.€ Ah! On se sent
Si
las! Chez Paul, Miti
Benkendorf a raconté a
1 apporté des lettres que Marie Vassiltchkova
Tzarine) à dit qu’elle d'Erni : Ania (fille de la
n’en
soutenu que c'était vrai. savait rien, Paul a
Qui lé lui a dit? .
. Tous trouvent juste
Signe de dame d'honneurqu’on lui ait retiré l’in-
lement, je trouve que , mais, moi, personnel- :
neur personnelles : Ja mes autres dames d’hon- ‘
conduites si vilainement,Tuchev et Lili, qui se
sont
- tion bien plus qu’elle. méritaient cette puni-
horrible de la princesse: On a Publié une lettr .
Galitzine qui e
d'être une espionne, accuse
* Marie Vassiltchkova
moi, Je n’en crois rien! mais,
» .
L'Empereur était, paraît-il, assez mécont |
ent
138 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
des intrigues de Mile Vassiltchkova. Donna-t-il,
comme le bruit en courut, l’ordre de l'exiler à
- Solvitchejodsk? Il ne semble pas, en tout cas,
que cet ordre ait été exécuté car elle continua
à habiter la propriété de sa sœur : Mme Milora-
dovitch, dans le Gouvernement de Tchernigof.

ee
LE PRINCE SIXTE DE BOURBON
A-T-IL VOULU -
RENVERSER LA REPUBLIQUE ?

, CHEZ LE # DESCENDANT DES TYRANS ».

— « Le descendant des iyrans! » c’est M. Jean. ‘


Longuet qui m'a ainsi baptisé! > — me déclare,
en riant, le plus sympathique des prétendants
au trône de France, Sixte, prince Le Bourbon
Parme, fils du duc Robert de Parme et de Marie-
Antonia, princesse de Bragance, frère de Zita,
ex-impératrice d'Autriche, ex-reine. de Hongrie,
descendant de Louis XIV, d'Henri IV et de saint Le
Louis. ‘ Ÿ |
Quelle galerie des ancêtres! Les voici tous
autour de moi, dans ce noble salon de la rue de -
Varenne où l’homme qui a failli, en 1917, donner
à la France l’Alsace-Lorraine et, au monde, la
paix, m’accueille, la main tendue. - |
“+

— Nous avons tous deux — me dit le prince


Sixte — un point commun : le même amour de
la vérité historique.
J'ai lu avec passion vos
140 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
e Secrets de la Censure » et vos « Dessous de la
Guerre ». ce
- J’interrompis le Prince : Uoe . |
- — Pardon, Monseigneur, sur la guerre, il n’y
‘a qu'un livre qui compte : celui-ci. .
. Êt je tirai de ma poche : « l'Offrede paix sé-
parée de l'Autriche > par le prince Sixte de Bour-
on Parme. : | . _
— Oh! non — protesta, élégamment, celui qui :
connut les « secrets de l'Empereur ». Il est illi-
-sible! C’est un simple recueil de documents!
Le Prince fit un geste : ‘ Fo.
. — Voici les originaux! . .
. .‘ Et nous nous mîmes à feuilleter, ensemble,
. deux énormes in-folios luxueusement reliés :
— Voici des lettres autographes de l’empereur ‘
Charles, celles que j'ai soumises à MM. Poincaré
_et Lloyd George; les Icttres de ina mère, la du-
chessede Parme, de ma sœur Zita, de ma cou-
sine germaine, la reine Elisabeth de Belgique, .
les télégrammes de Clemenceau, la note du comte
Czernin.… Tout y est!
— Permettez, Monseigneur, à un démocrate
d'émettre Pespoir que ces documents uniques ne
restent pas la propriété de la famille des Bour-
bon. Ils sont à Ia Nation française.
— Sans doute, — me répondit le Prince, —
mais il s’y mêle trop de choses intimes pour que
-je songe.— pour le moment, du moins, — à m'en
dessaisir. Et ils sont ma justification. Ils attestent
-_ Ja loyauté de mes négociations, la sincérité de
. Pempereur Charles et de ma sœur.
* \
** N

— De tout cela — continue Ie Prince en se


laissant aller au gré de ses souvenirs devait
sortir la paix. Et quelle paix! Une paix française
| et non pas américaine! 300.000 Français auraient
————— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 141
été sauvés. Cent milliards! Et il n’y aurait pas eu
_ de révolution russe. on
J’enchaïînai :
— Le trône d'Autriche serait resté debout!
Vous-même, Monseigneur, — insistai-je — vous
y auriez peut-être gagné un trône : celui de la
France! ‘ oc nou
Et, avant que le Prince ait eu le temps de
répondre, j’accumulai mes arguments : :
— Certains journaux allemands vous en ont
accusé. Vous n’auriez, le 26 mai 1914, soutenu
devant la Faculté de Droit de l’Université de
Paris, votre thèse de doctorat : «-Le traité
. d'Utrecht et les lois fondamentales du Royaume »
que pour affirmer, vous, descendant de Phi- .
lippe V, « tout plein de mystique bourbon-
nienne », vos droits à la couronne de France.
Vous auriez, selon M. Richard Fester, auteur de
+. La politique de l'Empereur Charles et le tour- .
nant de la guerre >», essayé de gagner,à votre
cause Castelnau et Joffre. Vous auriez trouvé en-
- M. Jules Cambon, secrétaire général du Ministère
des. Affaires étrangères, qui vous introduisit au-
près de M. Poincaré, votre. « Talleyrand ». .
« Récusez-vous ces insinuations allemandes?
Certains de vos défenseurs sont assez compro-.
mettants : le baron Charles de Werkimann, qui
fut le dernier secrétaire de l’empereur Charles,
votre ; beau-frère, n’a-t-il pas écrit que c’est.
« Pambition des Bourbon » et l'esprit de devoir
qui firent germer en votre esprit, pendant la
-Suerre, la pensée de rendre à la France des
vices plus grands qu'aucun Français n'aurait ser-
pu
le faire? Et que vos vues furent plus claires,
ce décisif tournant de la guerre, que celles desà
hommes d'Etat français qui, à ce moment, te-
naient la barré du Gouvernement? |
« M. Valery-Radot ne vous. loue-t-il pas
d’avoir, en négociant la paix séparée de l’Au-
x
149 ——— LES ÉNIGMES DÉ LA GUERRE
e poetit-
triche, montré que vous éliez le « dign révél é, en
>? Que vous avie z
fils de Louis XIV et des chefs
face des diplomates de carr ière
ires ou cons titu tion nels , une intel-
d'Etat hérédita nes où l'on
ligence lucide des choses européen ires : de la race
reconnaî t les e vert us héré dita
? .
capétienne » ie-t-il pas,
€ Ce même apologiste ne vous assoc Loui s XIV > à
vous < le Bour bon en qui parl e
rrai ne, chef de
votre beau-frère, le Habsbourg-Lo nt des comtes
la maison de Lorraine, descenda r, par l’Alle-
itue
d'Alsacé, qui voulait faire rest Lorraine telles
x
magne, à la France l'Alsace et
1814? Ne voit-il
que nous les possédions jusqu'en ret de la- fameuse
as, enfin, un symb ole conc
s, dans cette jonction,
nternationale des Dynastie us les diploma-
ai-delà les trar iché ès et par- dess
Bour bon et d’un Habsbourg
jes officielles, d’un tair es >».
es parl emen
«-loin des niaises idéologi
sx

Et je continuai : .
vieux-
— Si, par la volonté du seul Ribot e le les
Monsieur-qui-avait-vu-70 >», furent rompucs
entre Paris et Vienne, en
négociations nouées Roi et de
lcine guerre, par l'intermédiaire du— parce que
a Reine des Belges, c’est — dit-on mode, eut
Ribot, vieux républicain de l'ancienne
peur... .
« Il eut peur pour la République! oo
.e La République, c'était la guerre... :
e Lt la monarchie— sous la forme de deux
: Sixte et Xaviet, à qui la France avait
Princes et
refusé l'honneur de combattre dans ses rangs
aurait
belge,
qui s'étaient engagés dans l'armée temps
apporté à Ja République, en même que la
paix, PAlsace-Lorraine?
« Le vieil idéologue consulta, dans son désar-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 143 -

“roi, Léon Bourgeois. Et d’aucuns prétendent que


Léon Bourgeois, haut dignitaire de la frane-ma-
çonnerie, reçut, de la puissante société secrète,
le signal de détresse: : .
&« Dans ces négociations, il n’y avait pas que
des trônes à sauver! Il y avait aussi des
e curés >»! Monseigneur Travers, les Pères Jé-
suites, l'Autriche papiste, le Souverain Pontife
lui-même !--: .
< Et puis, il y avait, Sa Majesté très catho-
lique le Roi d’Espagne qui,à notre attaché mili-
taire, le général Denvignes, faisait, secrètement,
la même offre, de sauver l'Autriche en la sépa-

:
rant de Allemagne — offre que Denvignes

\
consigna sur des papiers secrets, perdus dans un
taxi et trouvés, place de l'Opéra, par Florelle,
l'interprète de l'Opéra de Quatré-Sous!
& Et Ia franc-maçonnerie française aurait,
elle-même, alerté sa sœur latine : Ia maçonnerie
italienne, véritable instigatrice de l'entrée de-
l'Italie aux côtés de l’'Ententel! | Le
& Et le « juif Sydney > Sonnino aurait, par
crainte, opposé à la Conférence de Saint-Jean-de-
Maurienne son veto formel à la paix séparée au-
trichienne! - :
+
*+

— Le Tigre, lui aussi, eut peur de vous, Mon-


Seigneur! Le vieux Jacobin, recevant secrète-
ment, le 7 avril 1918, votre ami intime M. Georges ©
Pinet de Manteyér, qui était notre chef d'équipe
à la Censure, ne lui demanda-t-il pas .brusque-
ment, en clignantde l'œil : - | |
— Vos princes?... Est-ce qu'ils ne veulent pas
mettre par terre le régime républicain?
-< Sur la table de Clemenceau, M. de Manteyer
apereut des lettres saisies par la censure postale
et qui suppliaient Clemenceau de se méfier de
144 —— LES ÉNIGMES
-DE LA GUERRE
-Sixte < Prince très ambitieux et qui veut re-
monter sur le trône 5. Fo
dx

Avec un sourire narquois, le Prince me laissait


parler. Il s’amusait follement:
— Oh! On m'a bien accusé d’être un vulgaire
espion, un indicateur de l’Entente! Le 12 mars
1917, jour de mon entrevue avec l’empereur.
Charles, je lui aurais extorqué des rensecigne-
- ments sur la situation militaire de l’Autriche et
même sur sa situation économique. Alors qu’au
- contraire, il fut entendu entre nous, dès les pre-
miers mots, que pas une parole ne serait pro-
noncée sur les opérations en cours!»
Le Prince devint grave: : :
— C'est la suite de labominable campagne
menée en Allemagne et ailleurs, même en France,
malgré la censure, contre ma sœur Zita, et la
- « clique des Parme », contre la Reïne de Bel-
gique. Comment la censure française — à la-
quelle vous avez appartenu a-t-elle, en juin
1917, laissé passer, dans des journaux français, :
des attaques dans le genre de celles que j'ai rele-
vées sous ce titre : « Les Princesses Boches nous
f… la poisse. > -
e Princesses Boches!… Lisez l'article. Il
s’agit, à côté de « Tinette, la femme de Tino »,
roi de Grèce, à côté de la « Tzarine entièrement
raspoutinée », des Princesses viennoises dont il
était aisé de décéler la véritable personnalité...
< Un grand journal n’a-t-il pas, vers la même
époque, dangereusement découvert l’impératrice
Zita, au risque de la faire assassiner, elle et toute
sa famille, par les Allemands? La vérité, c’est
que, dès les premiers mots de ma conversation
avec l'empereur Charles, il fut entendu, entre
nous, qu'aucune parole touchant la situation mi-
x

LES ÉNIGMES DE LA GUERRE -——— 145

litaire, morale ou économique des belligérants ne :


serait prononcée. La vérité, c’est que mon voyage : -
de la frontière suisse à Vienne fut effectué
en
wagon strictement fermé et que le seul rensei-.
gnement économique que j'ai pu puiser, au .
cours de mon voyage,a trait à une orange! Une
orange que je fis acheter par un officier de garde.
Il me la rapporta emballée dans un papier de soie
portant la-marque de la firme italienne Palermo,.
d'où je déduisis que, malgré la guerre, l'Italie
continuait à faire du commerce avec l’Autriche..
— Est-il exact, Monseigneur; qu'au cours de
votre voyage en Suisse, votre présence ait été
signalée à l’Allemagne, dans des conditions ro- .
manesques? Lä comtesse de Mérode qui nouait, :
elle, une autre négociation : ‘celle qui. faillit
joindre le baron von Lancken à M. Aristide
Briand, aurait précisément occupé, dans le Pull-”
man traversant l’Helvétie, votre propre compar-
timent et elle aurait été informée par le contrô-
leur de votre personnalité ?
— Légende! Légende! — protesta le Prince.
Légende, aussi, celle contre laquelle le Roï des ,
Belges: protesta auprès de.M. Poïncaré.et qui,
d’après les rumeurs, établissait un lien entre ma
_ présence en Suisse et celle de la Reïne Elisabeth
de Belgique. : CO TT
— Comment expliquez-vous, Monseigneur, ce.
détail étrange qui inquiéta M. Poincaré : ces
lettres que voici, et qui contenaïent la paix du”
monde, ces lettres de votre beau-frère Charles, :
pourquoi sont-elles écrites au crayon? "..
— Ce n’est pas au crayon. Regardez de près. :
C’est au stylomine. L'Empereur, à la suite d’une
chute de cheval, s'était foulé le poignet et écrivait
plus facilement avec cet instrument. Et voilà
- tout! Le mystère n’est pas là, mais bien dans les
raisons profondes qui agirent sur M. Ribot... .
. € Cest là le centre de l'énigme. Depuis quinze
| —. .10
146 ———— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
ans que ces événements se sont déroulés, j'en
cherche vainement l'explication. Nous pouvions
faire la paix. Nous le devions. Sans doute, il était
lus facile, pour un homme d'Etat, de faire des
effets de tribune. e On les aura! Jusqu’au bout!
Je fais la_guerre! » Il ne fallait pas faire la
guerre pour la guerre, mais pour la paix!
« On na objecté : … .
© — Soit! L'Autriche aurait fait la paix séparée.
Et puis après? L'Allemagne se serait jetée sur
: elle! , : |
__ Tout de même! C'eût été autant d’ennemis
de moins contre nous! L'Allemagne n'aurait pas
u faire tête à tous. À la suite de l'Autriche, la
ulgarie, la Turquie auraient lâché... :
2 Et l'Autriche? Est-ce qu’elle aurait attaqué
‘VAllemagne? . .
— Jamais! Ce point était bien précisé, et par
l'Empereur, et par M. Poincaré. Mais le front
autrichien. s’écroulait. Nous n'avions plus be-
soin de, l'intervention américaine. Le bolche-
visme ne se fût pas développé. Nous aurions
‘signé une paix vraiment française... : ‘
_— Et votre beau-frère eût conservé son trône...
Et vous-même... . ‘ -
— Ab! vous y revenez! .:
Le Prince paraissait beaucoup s'amuser.
- — Vous ne connaissez pas cet autre dossier :
celui des coupures de journaux. |
-_ — Quelle fut l'attitude de la presse? Est-il
exact que vous ayez été soutenu par l'Action
française? E °
— Je suis un Bourbon : M. Daudet soutient les |
. d'Orléans. Non, le journal qui m’encensa le plus, .
c'est l'Humanité. Mon plus sympathique thuri”
féraire, ce fut M. Jean Longuèt qui écrivit :
« S'il est exact que le « descendant des ty-
rans > pouvait nous apporter la paix en 1917
Vive le Roi! > : "
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 149

nand de Bulgarie, M. Hans Roger Madol, ne lui .


: consacre que cette rapide allusion : fi
« Au début de février 1915,le duc de Guise,
prince de Bourbon, Orléans, neveu de Ferdinand,
arrive à Sofia, avec une mission secrète de Del-
cassé. Il doit faire son possible pour gagnerle
Roi à la cause française. Il lui parle des devoirs
de Ferdinand comme petit-fils de Louis-Philippe.
Ferdinand, après lui avoir laissé longuement la
parôle, lui dit :. | D oc Te
— Maintenant que la mission dont tu es
chargé a pris fin, redeviens mon neveu! .
Et il ne parle plus de la guerre. Comment
pourrait-il faire une autre politique que bulgare?
Doit-il rappeler les origines allemandes du roi
d'Angleterre, de l’Impératrice russe, etc?.… En
France, on lui fait de vifs reproches pour son
manque de sentiment? Ferdinand avoue qu'il -
enche beaucoup plus du côté de la France qui
’a si bien reçu en 1910 et à laquelle tous ses
chers souvenirs le lient! Du côté austro-allemand
il n’a pas de tels liens, maïs il doit laisser de
côté tout sentiment personnel pour suivre uni-
quement ce qui lui semble dans l'intérêt de.son
pays. .

QUESTIONS D'ARGENT

Il n’oublie pas le sien propre Car, dans les .


négociations secrètes qui vont se nouer,‘il est
aussi souvent question de subventions person-
nelles, d’indemnisations et d'emprunts que de
-rectifications de frontièreset d’ + aspirations
nationales >».
Quelque temps avant la guerre, Ferdinand
avait engagé une grande partie de sa fortune pri-
vée, et il s’ingéniait à faire ouvrir des crédits À
LA TZARINE
A-T-ELLE TRAHI L'ENTENTE ?

C'est par fidélité à l'alliance russe


que nous
sommes entrés dans la gucrre..
En pleine guerre, au cours de l'ann .
ée trouble,
le Matin voulut publier, le 19 mai 1917;
révélant qu’en 1905, Nicolas IT avait un article
‘Gui llaume II, un accord secret contr
signé, avec
terre. Cet article fut soumis à M. e lAngle-
qui n’y Jules Cambon
vit pas d’inconvénients
à la Censure de le laisser passer.ct donna l’ordre
Le lendemain, le Matin revint -.
mettant à Ja Censure une interàview la charge sou-
volsky, ancien où M. Is-
ministre des Affaires étrangères
. du tzar, avouait que l'accord avait bel et bien été
signé entre les deux: Souverains, mais que les
ministres responsables, dès
connu, s’étaient opposés à son exécuw’ils Pavaient
Peut-être M. Iswolsky espéra tion. Le
bien voir des révolutionnairesit-il, ainsi, se faire
Savœu rétrospectif? Son interviewrusses par ce dé- -
M. Ribot s’y étant opposé et ayant ne parut pas, .
M. Iswolsky par M. Jules Camb fait convoquer
Quelques jours après, le 30 on. . -
Son retour de Londres, remitmai 1917, M. Ribot,
traité russo-allemand secr à M, Poincaré le :
Iswolsky. et dont avait parlé
- te
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 153

mandant de ne pas en parler) qu'il serait bon ,


que j'aille en personne parler au Roi et que Je
lui expose les raisons qui doivent pousser la Bul-
garie à se mettre du côté de la Triple Entente.
. Ces raisons sont toujours les mêmes : la Bulgarie
ne peut pas rester toujours neutre, elle doit
choisir entre les deux voies. Du point de vue de
l'intérêt du peuple, il n'y a aucun doute que ce :
choix doit se faire pour la Russie, et alors la
Bulgarie peut s'attendre à tous les avantages de
la part des alliés : argent, munitions, aide.
Radoslavov partage mon avis, mais il ne peut
- rien, paraît-il, contre l’indécision du roi. Îl a
insisté surtout sur ce qu’il faudrait expliquer
au roi que ce n’est pas seulement le bien de la
* Bulgarie qui dépend de sa décision, mais aussi
celui de la dynastie. J’ai compris, dans ce qu’il
: m’a dit, que Îe roi redoute son peu de popularité
à notre. Cour et, en général, en Russie. Je trouve
que c’est le moment psychologique pour in-.
uencer le roi mais je n’ose pas cacher l'envers
de cette question.: son amour-propre maladif
‘peut expliquer ces démarches, comme un moyen :
de pression sur lui, d'autant plus qu’on attend,
ici; -un de ces jours, l’arrivée du duc de Guise,
{ils du duc de Chartres, envoyé par la famille
d'Orléans pour raisonner le roi. >»
C’est M. de Panañieu, ambassadeur de France,
ui, confidentiellement, avait appris à son col-
lègue de Russie l’arrivée du duc de Guise. Il avait ”
. recu de Delcassé l’ordre officiel d’en prévenir le
- roi Ferdinand. _…_
Quand celui-ci en fut avisé, il envoya son se-
crétaire chez M. de Panaficu et notre représen- :
tant, aux questions qui lui furent posées par le
secrétaire royal, déduisit que le roi n’était pas
très chaud et: manifestait quelque nervosité à
l'idée d’être entrepris par c fui que l’on désigna,
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——- {13
&-
prévenu .s'était contenté d'attaquer la charo ne
allemande! > Et il entendait, par là, l'impéra-
trice. » . _. .
+
x

Alexandra Fedéorovna, princesse de Hesse,


fut, comme la plupart des reines de guerre, par-
“ tagée-cntre deux devoirs, entre deux Patries
la sienne et celle de son mari. Mais la sienne :
lemportait dans son cœur au point qu’on peut
légitimement se demander, aujourd'hui, si elle
n'a pas, au sens technique et littéraldu mot,
‘trahi l'Entente. | ‘
Citons, à la barre du tribunal, tous les témoins
.
Direz-vous que Trotsky est suspect?
qui établit une évidente symétrie entre le Trotsk y
dernier
couple des Romanof et je dernier couple
français à l’époque de la grande révolutroyal
Trotsky qui compare l’Autrichienne Marie-ion,
loinctte et la Hessoise Alexandra, en accordAn-
à cette dernière plus de mépris que de ant
M. Paléologue, ambassadeur de France pitié?
trograd, fut évidemment à Pé-
mieux
Trotsky puisque, au jour le jour, il placé . que
Cour des Tzars, les faits essentiels nota, à la
aussitôt, par télégrammes chiffrés, qu’il signalait
ment français. au Gouverne-
. [ :
En voici quelques-uns concer nant . « la
Niemka'> VAllemande à ropos
culait, parmi les gens d peuplede laquelle cir-
légende : « Les mariages qu’on russe, cette
après les funérailles sont voués célèbre aussitôt
Viemka a le mauvais œil. ». au malheur : la
Le 19 août 1916, M. Paléologu LOS
Quai d'Orsay e télégraphie au
: « Voici mescon clusions.: la ca-
.Marilla de limpératrice s'efforc
la diplomatie russe une orientae d'imprimer à
- réconciliation avec l'Allemagne. tion nouvelle :
8
114 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
29 Août : Kokowtsof, ancien Président du
Conseil, est inquiet du renvoi ‘de. Sazonov.
e L’impératrice — dit-il — est désormais toute-
puissante. Sturmer, incapable, vaniteux, a su la
rendre. Il l'informe de tout, la consulté sur tout,
entretient dans lidée que l'empereur n’a de
- comptes”à rendre qu’à Dieu. C’est une névrosée,
une malade, une hallucinée. »
Et il répand les infâmes rumeurs qui circulent
_à propos de ses relations avec Raspoutine.
14 Septembre : « Raspoutine et Sturmer se
voient continuellement. Ils tiennent des conci-
liabules, le soir, aux endroits les plus secrets
de Pétrograd, à la forteresse Saint-Picrre-Saint-.
Paul, et dans la chambre de Mlle Nikitine. Ce
sont deux scélérats qui perdent le régime. »
10 Décembre : « L'impératrice est une ‘aber-
rante déséquilibrée, instrument politique tout-
puissant de la conspiration que je flaire autour
de moi. Sa camarilla est constituée parla Wi-
roubova, le général Woyeikow, Sturmer, le prince
Andronikov. 7 _.
Par qui cette camarilla est-elle dirigée?
A mon avis par quatre personnes : le .métro-
olite Pitrim, l’ancien directeur de la police Bie-
etzy, Stcheglovitow et enfin Manus. » -

MANUS
Manus! Voilà le chaînon!
M. Paléologue, dans le livre qu’il vient de pu-
blier, et qui est consacré à Alexandra Fedeo-
rovna, écrit :! : ‘
< Nécessairement, j'avais organisé autour de
Raspoutine’ un service de surveillance et d’in-
formation : je crois pouvoir dire que j'étais
bien renseigné sur ses faits et gestes: or, jamais
on ne m'a signalé qu’il ait, d’une manière quel-
— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 115
conque, poussé l’empereur à négocier sous main
avec les puissances germaniques une paix sé-
parée. : -
æ Je ne le considérais donc pas comme un
agent de l'Allemagne au sens exact du mot, c’est-
à-dire comme un'espion de l'Allemagne, comme
un intermédiaire et un porte-parole de l’Alle-
magne, Cela dit, je ne doute pas que, par des
“intermédiaires, l'Allemagne se soit ‘beaucoup
servi de lui pour se renseigner sur les secrets
de la stratégie et de diplomatie russes. L’un de
ces intermédiaires, le banquier juif Manus,
n’était bien connu. Chaque semaine, il offrait un
diner au starctz, qui rencontrait là des généraux, :
des aïdes-de-camp de l'empereur, des hauts fonc-
tionnaires et, naturellement, aussi quelques jolies
femmes complaisantes. On .buvait, toute la nuit.
Echauffé par le vin, Raspoutine bavardait, pé-
rorait intarissablement. Alors, tout ce qu'il avait :
appris dans ses conversations avec les souve-
rains, tout ce qu’ils Iui avaient confié ou qu'il
avait surpris de leurs opinions, de leurs projets,
de leurs espoirs, de leurs inquiétudes, il déba-
goulait tout cela, en son langage pittoresque!
Et, le lendemain, un rapport circonstancié par-
lait pour Stockholm, d'où le ministre d’Âlle-
magne le transmettait à Berlin. » Un
. Cest de l’impératrice elle-même que Raspou-
tine tenait les renseignements _les plus confi-
dentiels. , |
Nous n’en connaissons la nature et l'impor-
tance que depuis la publication des lettres adres-
sées, pendant la guerre par l'impératrice à l'em-
pereur ct que nous allons analyser, |
116 ———— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

COMMENT ELLE ÉTAIT RENSEIGNÉE


« À lire ces lettres— écrit M. Paléologue —
où se débattent les plus graves secrets de la Dé-
fense nationale, où fa vie même de la Russie est
en jeu, comment ne pas frémir lorsqu'on sait
dans quelle société de bambocheurs, de fri-
pouilles, d’espions, de bandits l'Homme de Dieu
s’enivrait chaque soir! »
Chaque mercredi, Raspoutine déjeunait chez
. Manus, Manus, agent secret de l'Allemagne, d'ori-
gine hébraïque, pourvu d’une fortune considé-
rable, autorisé à résider à Pétrograd où il distri-
buait à toutes mains les fonds allemands!
. Manus avait gagné tout le clan de Raspoutine.
En relations constantes avec Stockholm — c’est-
_à-dire Berlin — il menait une vive campagne en
vue de la réconciliation de l'Allemagne et-de la
Russie. Chez Manus, se rencontraïent, en même
temps que Raspoutine, l’aide-de-camp de Fem-
pereur, l’amiral Nilow, qui était invité en raison
de sa magnifique tenue sous le vin, le sénateur
Bieletzy. dont l'influence était grande -sur
YOkrana et sur l’impératrice. :
‘ *,
*k*

Dans ses lettres intimes à son. grand Agou »,


au « précieut Bousy », au e Petit garçon bleu »
(c'est ainsi que Sunny l’Ensolcillée le appelait
Tzar de toutes les Russies) elle le renseigne sur la
France et ses alliés d’après les lettres qu’elle re-
çoit de son frère, Ernie de Hesse, de sa sœur
aînée Victoria, princesse de Battenberg et on
imagine dans quel sens! ?
Le 1* septembre 1914, elle lui écrit. pour lui
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— 117

recopier spécialement un passage de la lettre .


qu’elle vient de recevoir d'Allemagne :
« Nous avons vécu des journées angoissantes
pendant la retraite des armées alliées en France.
Tout à fait entre nous (ma chérie, ne raconte
cela à personne!) les Français,au début, ont
laissé l’armée anglaise supporter tout le choc
d’une forte aftaque allemande de flanc. Si les
troupes anglaises avaient été moins résistantes,
‘non seulement elles, mais toutes les forces fran-
çaises eussent été défaites. Maintenant, on a
remédié à cela. Deux généraux français, qui

4
étaient en faute, ont été cassés par Joffre et rem-
placés par d’autres. L’un d’eux avait dans sa
poche six lettres non décachetées du comman-
dant en chef French. L'autre, à un appel de
secours, fit répondre que ses chevaux étaient tro
fatigués. Maintenant, c’est déjà de l’histoire, mais
qui à coûté la vie et la liberté à beaucoup de bons
officiers “et soldats! Par bonheur, on a réussi a
cacher cela, et très peu savent ce qui s’est passé. »
Lorsque les aviateurs français se mirent à jeter
des bombes: sur Carlarhue, elle en reçoit par
Daisv ces informations : -
& Les Français se sont mis à jeter des‘ bombes
sur le Palais, et, tous, à cinq heures du matin,
ont couru dans les caves. Comme c’est triste que
ce soit juste sur le Palais, et, après, ce sera le
tour de Mayence, du bon vieux musée : chaque _
contrée aura son tour! »- | .
Après la première attaque allemande par les
gaz, Ernie, son frère, lui fait part de son senti-
ment de révolte, mais il dit qu’au début de
Sep-
tembre 1914, quand il s’est trauvé près de Reims
< les Anglais ont employé des gaz ». ,
Voici comment elle commente
de septembre 1915 : « Dieu soitnotre offensive
loué! .Voilà
Maintenant que les Français commencent
vailler! > Et elle répète, le lendemain à tra-.
: « Dieu
x
118 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —

soit loué! ils ont enfin commencé! » (M. Mes-


simy.m'’a, à ce propos, déclaré : « Si Joffre, pen-
dant toute l’année 1915, a lancé ses inutiles et
meurtrières attaques de « grignotage » c'est sim-
plement pour faire plaisir aux Russes.)

PAUVRE TINOÏ
La nièce de l’impératrice, Alice, femme du
rince André de Grèce, née princesse de Batten-
erg, lui écrit qu’on aime les Anglais à Salo-
nique; les officiers sont courtois, les hommes sc
conduisent. bien. « Avec les Français, je le re-
grette, elle dit qu’il en va tout autremént! Dans
‘une petite ville, ilsse sont conduits, avec les
‘femmes d’une façon aussi ignoble que les Alle-
mands en Belgique! Leurs officiers, à Salonique
— à commencer par le général — sont grossiers
- et insolents même avec André (prince André de
Grèce). > ‘ ‘ |
Et elle se met à faire le siège du faible « Petit
garçon bleu >» pour qu’il intervienne, en Grèce,
en faveur de ce pauvre Tino. ‘ . ‘
« Je ne puis comprendre ce que signifie cet
ultimatum à la Grèce : sûrement les Anglais ct
Jles Français sont derrière! À mon simple esprit,
cela parait injuste et criminel. Je ne puis me re-
présenter comment Tino sortira de cette pénible
situation. » . | .
Elle reçoit un «e charmant télégramme >» de
Tino. Lo .
e Moi aussi, je lui ai écrit : Nickÿ (le prince
royal de Grèce) me l’a demandé. »
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 119

.FAIS RÉVOQUER SARRAIL!


Lorsque Briand, malgré l'influence qu’exerce
sur lui la princesse Geôrges de Grèce —-dont la -
tzarine s’étonne qu’elle ait pu partir de Copen-
hague pour la Grèce en passant par la France,
l'Allemagne et l'Italie — se décide à être un peu
plus énergique, la tzarine écrit au {zar : « Nos
diplomates agissent d’une façon injuste. Si l’on
jette Tino dehors ce sera de notre faute. Com-
ment osons-nous nous mêler de la politique inté- -
ricure du pays.et chasser le Gouvernement, et
intriguer pour mettre à sa place un révolution-
naire? Il nie semble que, si tu pouvais obliger le
Gouvernement français à révoquer Sarraïl, tout se
calmerait d’un coup, là-bas. C’est une abominable
intrigue de la franc-maçonnerie, à laquelle appar-
tient le général francais. Venizelos et de nom-
- breux Grecs riches d’Éurope, ete... qui a réuni les
fonds et même payé le Nowoïé Vrémia et d’autres
journaux pour imprimer de mâäuvais articles et
- ne pas publier les bons concernant Tino et la
Grèce! >» ’ LS
À la Suite d’une nouvelle lettre de-Nicky, elle
supplie le tzar de parler sécrètement de cela à
Sturmer : -
« Nous poussons les gens à la République, -
nous, des orthodoxes? C'est vraiment Fonteux!
Ne peux-tu pas prier le Président Poincaré de
rappeler Sarrail et demander à la France et à
l'Angleterre (c’est mon idée, à moi, de défendre
Tino, le roi) au lieu de prendre parti pour Veni-
zelos, révolutionnaire et franc-maçon? Fais venir
Sturmer, puisqu'il est difficile d’écrire cela!
Donne lui de sévères instructions. Nous agissons
très mal et je comprends que le pau Ti
failli devenir fou, à de 7e pauvre Tino aitÎ
2

- ‘166 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

“x

Entre temps, se plaidait une affaire purement


civile dont l’origine était dans un conflit d'in-
térêts. 7 5 . »:
Ici, il nous faut faire un pas en arrière.
En mai -1904, fut constituée une société
d’études destinée à mettre. en valeur d'impor-
tants gisements miniers au Chili, concédés par
le Gouvernement de ce pays, à M. Carbonnel,
ingénieur-conseil du Creusot. Cette société com-
prend: notamment, le comte Armand, le marquis
e..Chasseloup-Laubat, ct M. Schneider, du
Creusot, ainsi que-M. Carbonnel.
Des missions furent envoyées au Chili. Des
terrains miniers furent achetés. Des usines et
des hauts fourneaux furent construits. Une puis-
sante ‘affaire fut montée. Elle attira l'attention
‘de nombreux spéculateurs qui, après louver-
_ture du canal de Panama, tentèrent d'obtenir
: la jouissance ou la propriété de mines jadis sans
valeur et, tout d’ün coup, devenues désirables.
De France, de Belgique, et d'Allemagne, s'aigui-
sèrent les appétits s’excrcèrent des tentatives de
chantage ! Des négociations furent nouées.
"Et, le 6 septembre 1913, le comte Armand et.
© M. Carbonnel vendirent à Paris, devant le consul
. général du Chili, à une société allemande de la
.… Rbur : la Gutchoffnungshütte, pour une valeur
de 5.600.000 francs, payés comptant, une partie.
. des concessions que la Société des Hauts Four-
neaux, Forges ct Aciéries du Chili prétendait se
- voir attribuer après avoir refusé de les acquérir.
Le procès commença peu avant la guerre,
au
Chili et en France. h . ‘
La guerre éclate. ” .
. Que devait faire le comie Armand ? Où était
son devoir ? :
LES ÉNIGMES DE. LA GUERRE ——— 107

Le cas Armand dépasse singulièrement sa


personnalité. C'est tout le procès de l’interna-
tionalisme des affaires qui, en l’espèce, fut évo-”
qué. Ses adversaires ne manquèrent pas de re-
procher à M. Carbonnel et au comte Armand
- d’avoir, peu de temps avant la guerre, reçu près
de six millions des Allemands.Ët la justice leur
reprocha, par un premier jugement, d’avoir, en
vendant des mines à l'ennemi, favorisé ses en-
treprises belliqueuses. oi -.
Mais le procès vint én appel.M. l'avocat gé-
néral Godefroy qui occupait le -siègedu minis-
tère public, n'hésita pas à proclamer devant la
Cour d'appel de Paris : - | 0
e Certes, dans tous les problèmes de capita-
lisme, on voit des Françaiset des Allemands
amalgamés les uns aux autres. Mais ils n’ont .
agi qu’à l’instigation du gouvernement de notre :
propre pays. Reportons-nous au Livre jaune pu-
lié par notre ministère des Affaires étrangères ! -
A toutes les pages, on y voit, affirmée, non seu- .
lement la légitimité, mais l’opportunité d’asso-
ciations de ce genre entre Français et Alle-
mands. M. Pichon, ministre des Affaires étran- ”
gères explique à M. Jules Cambon combien il
est désirable de voir de tels rapprochements. Et,”
à la suite de ces communications, M. Cambon
écrit à M. de Kiderlen, ministre allemand :
-e.Je puis vous assurer que le gouvernement
français verra toujours avec faveur les associa-
tions d'intérêts se poursuivre entre les nationaux
de nos deux pays. > _ .
Et le prince Radolin télégraphie de Paris, où .
il représente Allemagne, au princede Bülow,
chancelier de PEmpire, le 27 avril 1905, à la
suite d’une conversation des plus intimes qu’il .
eut avec: M. Rouvier, président du Conseil :
. < M. le président du Conseil est venu diner
à l'ambassade :.il m’a déclaré qu’il avait une
. . LU #0

.168—— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE


vive admiration pour notre empereur. Deux fois
de suite, il m'a dit que la France veut la paix
-à-tout prix et qu’elle ne nourrit plus aucune
.idée de revanche. Il m’a demandé, enfin, si un
‘accord sur le Maroc ne pourrait pas s’ébauchér
entre nous par une négociation de cabinet à ca-
binet.… Dix minutes avant le dîner, j'avais reçu
la visite d’un confident de M. Rouvier qui m’as-
surait que le président du Conseil laisserait très
volontiers tomber M. Delcassé.… »
"Voilà ce qu’affirmaient les agents les plus
autorisés de la diplomatie française ! s’écria
- “M. l'avocat général Godefroy. Et alors, je me de-
mande si le rôle du comte Armand peut être
critiqué alors qu'il s'agissait d’affaires traitées,
soit au Maroc, soit ailleurs, avec des sujets de
l'empereur d'Allemagne, avec l’encouragement
du gouvernement français et même avec ses sub-
ventions |: : | . : ‘
— Nos sociétés métallurgiques les plus sé-
rieuses — déclara au nom du comte Armand,
. M. Georges de Ségogne, avocat à la Cour de Cas-
‘| sation — ont, par la force des choses, été les
clientes ou ont eu pour clients les Allemands :
ainsi, les usinesdu bassin de Briey vendaient
en Allemagne du minerai de fer et en recevaient
le coke, le charbon, les produits chimiques.
La Société de l'Ouenza, en Algérie ? Sous l'œil
et avec l'appui du gouvernement français et du
.. gouvernement général de l’Algérie, furent con-
-clues des conventions, par M. Schneider, du
Creusot. Des décrets les approuvèrent qui étaient
signés Briand, Millerand, Clemenceau, qui, tous,
savaient que les Allemands faisaient partie du
‘syndicat organisé par le Creusot.
L'Union des Mines marocaines ? À côté du :
comte Armand, voisinaient au Conseil d’admi-
nistration : pour la France, M. Eugène Schnei-
der; pour l'Angleterre, M. Bonar Law ; pour
——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 169
l'Allemagne, MM. Thyssen et Krupp! Et M° Mor-
nard, avocat à la Cour de Cassation, ajouta :
— Il est permis de rappeler, d'autre art, que
la Société de Châtillon-Commentry ‘a fabriqué,
our le compte de l'Italie, alors engagée dans
es liens de la Triple-Alliance, un matériel d’ar-
tillerie perfectionné (matériel Depot, perfection-
nement de notre matériel de 7/5) et que ces
* contrats de la Compagnie Châtillon-Commentry,
d’ailleurs licitesen vertu de la loi du 14 août
1885 sur l'exportation des armes de guerre,
furent, publiquement, approuvés devant le Par-
lement Ê 23 juin 1913 par le ministre de la :
Guerre, M. Millerand.…. . ‘
": Cest ainsi que s’écroula lédifice accusateur
constitué par « des fonctionnaires de police ne +
connaissant rien aux affaires industrielles
d'avant-guerre et se limitant à des apparences
superficielles et trompeuses… >:
. Lorsque, le 31 mars 1922, la Cour d’Appel de
‘Paris, sur les conclusions de A. l’avocat-vênéral
Godefroy, annula le jugement correctionnel qui
avait condamné M. Carbonnel, le comte Armand
était mort. , . . EE
æ L’accusation portée. contre ces deux
hommes — déclare M. Godefroy — est la même.
Si le survivant succombe, la mémoire du mort
‘en demeurera ternie. Si M. Carbonnel sort absout,
la sentence qui l’accabla lavera la mémoire du
‘comte Armand et fera justice de l’accusation qui
assombrit les derniérs jours de sa vie. » |
. Du même coup, M. lavocat-général Godefroy .
fit justice d’autres rapports de police secrets éta-
blis contre le comte Armand « par des agents
occasionnels se trouvant en Suisse et gravitant .
autour de la Légation... Ces agents diplomatiques
ne voyaient pas sous un jour favorable l'activité
d'agents occultes comme le comte Armand parce
qu'ils n'étaient pas renseignés exactement sur la
: . © 7 4
194 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
soi-
‘et. .qu’on le garde dans sa maison où il sera
né. »
8 « Télégraphie de suite à Sturmer! » « EtAyant elle-
Jui dicte le texte mêm edu télég ramme :
_pris connaissance ‘du dossier de l'enquête con-l
cernant l’ancien ministre de la Guerre, générae
Soukhomlinov, j'estime que l’accusation manqu
absolument de base et que, en conséquence, l'af-
faire doit être rayée. > Il faut que cela soit fait in-.
avant l’ouverture de la Douma —
demain,
siste-t-elle. Et se rendant compte qu’elle exagère,
- elle lui dit”: « Je sens que je suis cruelle en
insistant ainsi auprès de toi, mon doux ange par
-4jent? Mais toute ma foi est en Notre Ami qui
ne pense qu’à toi, à Baby et à la Russie. >

NICOLAS LIMOGÉ -
Indulgent pour les fautes du-traître Soukhom-
linov, Notre Ami est impitoyable pour le chef
suprême de l'armée russe : le grand-duc Nicolas,
et, par l'entremise de l'Ensoleillée, il va peu
peu miner € Nicolacha », comme ils Pappellent
dans l'intimité. | | -
Dès septembre 1914, elle écrit au tzar : « Nico-
lacha est loin d’être intelligent : il est obstiné et
les autres le mènent, Dieu veuille que je me
trompeet que ce choix soit heureux!.… Grigori
. t'aime jalousement et ne supporte pas que Na-
tatcha joue un rôle quelconque. »
Plus loin, elle répète que Nicolacha est loin
d'être intelligent. Pourquoi? Parce qu’il s’est
dressé contre l’Homme de Dieu; aussi ses œu-
vres ne peuvent pas être bénies et ses actes ne
peuvent pas Être justes. >
inalement, Notre Ami eut la pea Nuiat-
cha. On sait que cet événement _P dont A aa
caré redouta les conséquences — eut des “réper-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— 195

cussions funestes sur la conduite de la guerre.


Par la suite, la tzarine eut entre les mains une
lettre dans laquelle le grand-duc Nicolàs faisait
pressentir les événements qui se préparaient et
dont il tenait pour responsables l’impératrice et
Raspoutine. Et elle écrit au tzar : e Jai lu sa
lettre avec un profond dégoût. Il fallait l'arrêter
au beau milieu de son discours, lui dire que s’il
se permet de toucher encore une fois à ce sujet
et ke parler de moi, tu l’enverras en Sibérie, car
c’est une véritable trahison! » .

—ADMIRATION DE L’ALLEMAGNE

Auprès du tzar, l'Ensoleillée défend tout ce qui .


est allemand. Elle est pleine d’admiration pour
l'organisation militaire allemande, l’ingéniosité
sans scrupules de sa diplomatie. Elle défend les
prisonniers allemands « Par humanité, et aussi
pour qu’on ne puisse pas dire de mal à propos
de notre traitement des prisonniers, je voudrais
que tu donnes des ordres sévères, avec menace
e punition pour ceux qui ne les exécuteront pas
& Mais, ajoute-t-elle amèrement, je n'ai pas le
droit d'intervenir puisque je suis une « Alle- :
mande > comme quelques canailles continuent
de m’appeler pour entraver mon action! >»
Elle est indignée d'apprendre qu’on a enlevé
leurs épaulettes aux officiers allemands prison-
nicrs. « Cela a produit en Allemagne un accès de
fureur et je-le comprends très bien. Pourquoi
humilier les prisonniers? C’est un de ces ordres
injustes lancés par le Quartier Général en 1914!
Dieu soit loué qu’on le révoque maintenant. Eux,
les Allemands, il faut le dire, ils améliorent
Situation de nos prisonniers. J'ai vu des photo-la
graphics de nos blessés prises par Max à Saalem.
propriété de la tante Marroussia, grande-du-
126 -—— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
.chesse: Maximilianovna, princesse de Bade,
femme du prince Guillaume de Bade) dans le
jardin, près d’une petite isba dans laquelle Max
jouait étant enfant, Ils ont l’air bien nourris et
gais. La haine des Allemands est déjà, en grande
- partie, dissipée et la nôtre est entretenue artif-
ciellement par le hideux Novoie Vrémial »
Lorsque tombe l'anniversaire de Guillaume Il,
elle demande au'tzar que les prisonniers alle-
mandsen Russie puissent le fêter de la même
façon que les nôtres, en Allemagne, ont fêté la
naissance du tzar.
D : ‘ L 1%*

< C’est vraiment énorme — s’écrie-t-elle un


Jour — ce que les Allemands peuvent faire! On
ne peut qu'admirer leur organisation systéma-
tique. Si notre < machine » fonctionnait aussi
bien que la leur, sûrement la guerre serait déjà
terminée! Nos généraux ne sont pas suffisam-.
. ment préparés bien que beaucoup d’entre eux
aient fait la guerre au Japon tandis que les Alle-
mands n’ont-pas eu de guerre depuis bien long-
temps! Les Allemands ne sont jamais en retard
tandis que les Alliés perdent leur temps en con-
versations sur la Roumanie et que les Bulgares
font leurs préparatifs. Nos diplomates se condui- :
sent d’une façon pitoyable, »

CONSEILS DE. STRATÉGIE


Et voici que, sous l’influenec de -Raspoutine,
elle se met à donner au tzar les conseils militaires
‘les plus précis. :
Elle a une curiosité étrange, pour une . femme :.
« Est-il vrai qu’on forme de nouveaux régiments
pour les envoyer en France? » Et puis : « Quand,
——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 127
- approximativement, commencera ton offensive :
de la Garde?» oi. ‘
Il faut croire que le tzar a répondu à son
désir, car elle lui répond : « Merci pour les ren-
seignements concernant nos plans Bien en
tendu, je n’en dirai rien à personne! »_
Elle s'inquiète, tout de même, de penser que
les officiers peuvent lire ses lettres au tzar. Elle
lui demande de prendre toutes précautions de
discrétion. | co
« Notre Ami s’intéressa un jour au problème
de l'appel des réservistes de la deuxième -caté-
goric. Cette question tient beaucoup à cœur à
Notre Ami. Il ne faut pas appeler ces réservistes.
Si l'ordre est déjà donné dis à Nicolatcha que tu
insistes pour qu'il soit révoqué et qu’on tem-
porise en ton-nom.'>
Et le lendemain : - ° .
€ Je t'en prie, mon ange, attends le plus long-
temps possible : ne permets pas qu’un seul
homme de la deuxième catégorie soit appelé! »
L'ordre est donné. Elle en remercie le tzar.
e Grâce à Dieu, Nicolatcha a compris au sujet de
la deuxième catégorie! » .

RASPOUTINE CONSEILLER MILITAIRE SUPRÊME

Notre Ami, eut une nuit, une vision à la suite


de laquelle la tzarine transmit à son mari la
demande suivante : « Notre Ami te prie d'or-.
donner l'offensive près de Riga. I dit que c’est
nécessaire, sans quoi, les Allemands se fortific-
ront pendant tout l'hiver, et, plus tard, pour
éloger, il faudra des combats Sanglan les
tandis que, maintenant, à lPimproviste,ts,nous
sans fin,
réus-
Sirons à les faire déloger. »
Tr
uand les Allemands se mirent à envoyer des
- troupes et de l'artillerie en Bulgarie,
elle posa à
128 -— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE :

son mari des questions confidentielles : « Quand


nous passerons à l'offensive, s’ils attaquent par
derrière la Roumanie, qui nous défendra? Peui-
être envoice-t-on la Garde sur la droite de Keller
pour nous couvrir dans la direction d’Odessa! >
. Notre Ami daigna, un jour, envoyer sa béné-
diction à toute l’armée orthodoxe. À ce propos,
elle écrit : « Notre Ami demande que nous ne
fassions pas de grande offensive au Nord pour
le moment parce que, dit-il, si nous continuons
à remporter des succès au Sud, d'eux-mêmes ils
remonteront au Nord ou entreprendront de ce
côté une offensive qui leur coûtera de grosses
ertes. Si, au contraire, c’est nous qui prenons
’offensive, nos pertes seront très lourdes. Il dit
que c’est un conseil. » ,
_ Le jour où elle lui envoie, en épouse pré-
voyante, des suppositoires, elle lui rappelle qu’il
doit donner l’ordre d’ajournerla mobilisation
de la jeune classe jusqu’au 15 septembre si
possible. Enfin, lors de l'offensive Broussilof,
Notre Ami manifeste un très vif mécontente-
ment : « Pourquoi Broussilof n’a-t-il pas obéi à
ton ordre d'arrêter l’offensive? Notre Ami dit
que tu étais inspiré d’en-haut pour cet ordre,
ainsi que pour celui concernant la traversée des
Karpathes avant l'hiver. Il dit que, maintenant,
il y aura des pertes inutiles! Alors, pourquoi,
obstinément, se jeter contre un mur? On ne fera
que se casser la tête pour rien et sacrifier des
hommes comme des mouches. Tous disent que
c’est un nouveau Verdun, qu’on sacrifie des mil-
licrs de vies pour rien, par pure obstination.
Donne, de nouveau, l’ordre à Broussilof d’arrêter
cette boucherie inutile. Les inférieurs sentent que
les chefs eux-mêmes ne croient pas au succès
là-bas. Tes plans étaient si sages! Notre Ami les
avait approuvés. » Te
.LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 1929.

| PAIX SÉPARÉE
Arrêter la boucherie! Peut-être avait-elle rai-
son. Mais comment? | . ”
Par une paix séparée. L'idée en germa à plu-
sieurs reprises dans les cercles impériaux de
Pétrograd-inspirés par Notre Ami. .
Il ÿ eut, d’abord, l'affaire Protopopov. Proto-'
popov, protecteur de l’Impératrice et de Raspou-
tine, député, un des leaders du bloc progressiste,
7 se rendit, dans l'automne de 1916, à Stockholm
où, par l'intermédiaire de Niklioudov, ambassa-
deur de Russie en Suède, il entra en conversation
avec le diplomate allemand Warburg. Il est éta-
bli, d’ailleurs, que Protopopov avait partie liée
avec Raspoutine et Sturmer et que c’est Ras-
poutine qui l’introduisit auprès de l’Impératrice. -
l'entra vite en faveur : il avait avec l’Impéra-
trice des points communs : c'était un m stique,
il s’adonnait à la nécromancic et souffrait de
troubles nerveux, indice d’une aralysie générale.
Le 5 octobre 1916, M. Palédlogue fut informé
par un haut fonctionnaire de la Cour que Stur-
mer, Raspoutine, et Protopopoy n'avaient,
par
eux-mêmes, qu'une importance secondaire.
Ils
n'étaient que « de simples instruments entre les
mains d'un syndicat anonyme peu nombreux, .
mais très puissant qui exigeait la paix par peur
de la révolution. » Par Sturmer et par Raspou-
line, ce syndicat tenait l’Impératrice, et, par lIm- -
pératrice, l'Empereur. >
Et voilà à quelles mains était confié le sort
la Russie! .A Raspoutine, thaumathurge de
tique! A Protopopov, politicien, névropathe!mys-
à Alexandra Fedeorovna, une mystique Et
quée’ Niklioudov, ambassadeur ‘de détra- |
Russie en
uède, a raconté, pour se disculper, son rôle
9
130 — LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
dans l'affaire Protopopov : « Il faisait partie
d’une délégation de la Douma et il vint me dire :
« Monsieur le Ministre, je dois vous prévenir que, .
chez les Polok, j'aurai une très intéressante con-
versation avec un Allemand, un riche négociant
de Hambourg. » — « Mais, monsieur Protopopov
: — Jui répondis-je — je puis vous dire tout de
suite ce que vous raconiera.ce négociant alle-
mand : il déplorera la guerre, insinucra qu'avec
quelques petites concessions de notre part, la
. paix pourrait survenir. > — « Oui, mais n'est-ce
pas intéressant, monsieur le Ministre,de savoir
ce que pense un Allemand bien placé? >
. — Je fus choqué de son insistance — note
Niklioudov — mais je ne pouvais m’opposer à
ce qu’il entrât en conversation avec Warburg,
fils du célèbre Warburg de Hambourg, attaché à ”
la Légation allemande de Stockholm. > Certains
prétendent que l’entrevue fut suscitée par le mi:
nistre d'Allemagne à Stockholm, von Lucius, qui
délégua, à sa place, son conseiller de légation
“Warburg.
. Prolopopov, par contre, pour se dégager, sou-
tint que lentrevue eut lieu, non pas malgré
Niklioukov, mais sur sa persistante insistance.
Niklioukov protesta ct offrit sa démission, mais
ce ne fut qu’un geste et il resta en fonctions.
. L'affaire éclata à la Douma, dénoncée par Mi-
lioukov dans un discours qui fut interdit
par la
Censure parce qu’il met directement en cause
l'Impératrice,et où il demanda-: « Est-ce que
vous avez agi par sottise,ou par trahison? »
.Le Gouvernement russe ne trouva, pour ainsi
dire, pas de défenseurs à la Douma. Il interdit
la reproduction des discours qui y furent pro-
,

noncès. Mais ils furent répandus. secrètement


par millions d'exemplaires, à l’arrière et au front.
« Le retentissement de ces débats fut tel — écrit
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— j3i
Trotsky — que les agitateurs, eux-mêmes, en.
frissonnèrent}i » ….

L’AFFAIRE VASSILTCHKOVA |
L'affaire Vassiltchkova touche de plus près
.
encore l’Impératrice elle-même puisque c’ést sa
Propre dame d'honneur : la princesse Vas-
Silichkova, qu’elle appelle dans l’intimité Masha,
qui, demeurée en Autriche, sert d’intermédiaire
entre Guillaume Il'et Nicolas IL en vue d’une
tentative de paix séparée.
Le 9 mars 1915, la Tzarine écrit de Tsarskoïe
Selo à son doux ange :: . ci
,< Je joins à ma Ietire une lettre de Masha
(d'Autriche). On-l'a priée de t’écrire dans l'in-
térêt de la paix... Je ne sais s’il te convient qu’elle
l'écrive, mais je ne puis refuser'si elle me
demande. C’est mieux qu’elle l'envoie ainsi quele
par les domestiques. >» ©
- M. Maurice Paléologue, ambassadeur
Franc e,
de
secrètement prévenu, avertit le
d'Orsay Quai
par son télégramme chiffré N° 1,568
€ L’Impératrice fait lentement le siège du :
Tzar. >»
La lettre que Masha faisait parvenir,
grâce à
la complicité de l’Impératrice, au Tzar, venai
Klein Wartenstein Œutriche), Nous ne t de
naissons que depuis la publication, par la con-
cheviks, des documents diplomatiques les bol-
russes conservés à Pétrograd dans secrets .
du Ministère des Affaires étrangères, les archives
- : En voici quelques extraits :
& En cette triste époque, je suis,
semble, la seule Russe ayant accèsà ceauprè qu'il me
-Vous, Majesté, et se trouvant en pays s de
au Surplus, ennemi;
comme la famillede
Skoropadsky passe l'été ici, et commemon neveu
il y a eu.
132 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
des dénonciations anonymes que je cache chez
: moi des espions russes — je suis ici prisonnière,
c’est-à-dire que je n'ose pas quitter mon jardin,
et c'est chez moi que sont-venues me voir trois
personnes : deux Allemands et un Autrichien —
tous les trois hommes influents qui m'ont prié
de demander à Votre Majesté si « à présent que
tout le monde est convaincu de l’héroïsme des
Russes et que la position de tous les combattants
est à peu près égale, vous, Sire, ne voudriez pas
être non seulementle Tzar d’une armée victo-
rieuse maïs encorele Tzar de la paix. C’est vous
qui, le premier, avez eu l’idée de la paix inter-
nationale et c’est sur l'initiative de Votre Ma-
jesté qu’un Congrès de la Paix fut appelé à La
Haye. Il suffit maintenant d’une seule parole
. puissante prononcée par vous et les fleuves, les
euves de sang, arréteront leur horrible cours.
Ni ici, en Autriche, ni en Allemagne, il n’ya la
moindre haine pour la Russie, pour les Russes:
‘. en Prusse, l'Empereur, l’armée, la flotte recon-
naissent l’héroïsme ct les qualités de notre
armée; dans ces deux pays, il y a un parti impor-
tant qui est pour la paix solide avec la Russie.
Tout périt maintenant, les hommes érissent, la
richesse du pays périt, le commerce, le bien-être,
-t après, c’est la terrible race jaune : contre elle,
ilnya qu'un seul rempart, c’est la Russie. La.
Russie qui vous a à sa tête, Sire! Une seule pa-
role, et, à vos nombreuses couronnes, vous
ajouterez la couronne de l'immortalité. »
« J'ai été stupéfaite quand on m'a exprimé
tout cela. A l’observation que je fis : « Qu’y puis-
je? s'il me fut répondu : « À: présent, il est
impossible d’agir par la voie diplomatique. Faites
|
donc connaître notre conversation au Tzar russe,
et il suffira alors que le plus fort des potentats
prononce, sans avoir été vaincu, une
arole, et
certainement tous iront au-devant de ui, > J'ai
LES ÉNIGMES
DE LA GUERRE — 1859

ici, tenez, rue Bonaparte, où vous êtes. Elle a fait


connaissance de ma femme — ma première
femme — ajouta le général Messimy — car je
suis divorcé. . .
€ Un jour, je la rencontrai à Nice. Je réussis à
Péviter. Mais au casino de Monte-Carlo, brusque-
ment, nous nous sommes trouvés nez à nez.
— Oh! cher ami, que je suis contente de vous
voir! Nous allons nous promencr ensemble!
— Non, je regrette infiniment : je rentre à
Paris.
— Ah! Quand?
— Tout de suite! . |
« Eh bien! vous me croirez si vous voulez. Je
ne suis parti que le lendemain, et je l'ai trouvée
dans mon train! Elle était installée dans mon
lit-salon comme chez elle! Nous n’étions que tous
les deux. Et, mon Dieu, je ne sais pas ce qui
serait arrivé si, à Cannes, un ami à moi n'était
monté. Vo
e C’est un peu ridicule, n'est-ce pas, ce rôle de
Joseph que j'ai joué? Mais c’est la vérité! Il ne
s’est rien passé d'autre entre nous!
— Et pendant la gucrre,' monsieur le Mi-
nistre? |
— Ah! Dès les premiers jours de la guerre,
elle m’écrivit une longue lettre par laquelle elle
m'offrait, d’une manière assez vague, ses services
pour la France.
< Je compris, tout de même, qu'elle voulait
faire partie de notre espionnage.
< Je ne répondis pas. Elle récidiva, prétendant
que, par ses relations internationales ct sa con-
naissance des langues étrangères, elle pouvait
nous être très utile. Je transmis sa demande aux
services compétents. Qu’en ont-ils fait? Je ne le
Sais pas, car, vous ne l’ignorez pas : dès les pre-
micrs jours de septembre 1914, je quittai le Mi-
nistère. J'ai, tout de même, la conviction — et
186 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
mon brave ami le commandant Ladoux me la
avoué — qu’elle était au service du 2° Bureau!
. — Et qu'avez-vous déclaré à son procès?
— Je ne suis pas venu, car j'étais àu front.
Dans une lettre adressée au Président du Conseil
de guerre, je disais ce que je viens de vous rap-
peler, déclarant très nettement que, à ma con-
naissance, rien ne me faisait croire qu’elle pou-
vait être une espionne, ct qu’elle ne m’avait tiré
ou cherché à tirer aucun renseignement. M. de
Margerie.fit, je crois, la même déclaration. Mais
je n'ai pas su ce qu’on lui reprochaïit, ct je ne
e sais pas encore. .
_— Lui avez-vous adtessé des Îettres, vous,
monsieur le Ministre? | .
— Oui. :
. — Savez-vous quel parti elle en a tiré? On
nva affirmé qu’elle les a montrées à Mlle le Doc-
teur pour lui inspirer confiance.
— Cest bien possible! _
— C'étaient des lettres à en-tête?
—. Oui. - n
— Et signées? :
Ici, M. Messimy prit un temps, et me dit :
— Selon une vieille coutume à moi, que con-
naissent bien tous mes amis, elles étaient signées
de la première et de la dernière lettre de mon
nom — qui est long — y. Et je sais que cela a
fait une équivoque avec un de mes collègues,
M. Malvy? Séverine me l’a assez durement re-
proché!... »

MATA-HARI ET LA PRINCESSE GEORGE

D'après un bref communiqué officiel, publié au


lendemain de sa condamnation, le 25 juillet 1917
Mata-Hari a été accusée, d’abord, d'avoir livré
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 187

aux agents d’une puissance cnnemic des ren-


seiynements sur la politique intérieure. .
Comment des renseignements sur la politique
intérieure ont-ils pu entrainer la peine capitale?
Et quels sont ces renseignements?
Ladoux Y fait allusion : d'après le fameux
radio capté, Mata-Hari aurait indiqué, pour se
faire valoir aux yeux des Allemands, qu'elle con-
naissait € {es relations d’élroite sympathie qui
unissaient un homme d'Etat français X.. et une
princesse étrangère. » ‘
— C'est une plaisanterie! — me déclare
M. Maunoury, qui était, alors, directeur du Ca-
binc! du Préfet de police. Effectivement, dans
son dossier, il y avait une coupure du Cri de
Paris relative à un secret de Polichinelle — que
vous dissimuliez, vous, à la Censure, qui‘courait
les salons parisiens, et qui a mème cu son écho
aux Comités secrets — l'influence qu'avait, sur
Aristide Briand, la princesse George de Grèce,
née Marie Bonaparte. > :
Un secret d'Etat? M. Poincaré l’étale tout au
long de ses Mémoires!
Exemples : 1915 : e Briand, renseigné par
le prince et la princesse Gcorge de Grèce, affirme
d'il n'ÿ a aucun accord entre la Grèce ct la
ulgaric.. >»
1916 : e Tous les ministres ct moi, nous
cSsavons d'ouvrir les yeux à Briand sur Ja du-
plicité du Roi de Grèce. Mais il a fait déjeuner
c Prince de Serbie avec le prince Gcorge
princesse Marie, ct il croit tout arrangé! > et Ia
Jules Cambon me raconte : « Je parie que
‘Briand est allé déjeuner chez le prince George
de Grèce et qu'il met la princesse Varie au cou-
rant de Ja situation et qu'il la consulte. >»
Etc. etc. |
La Tzarine en parle également. Elle s'étonne
que la princesse George de Grèce ait pu, libre-
136 -—_ LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —
inutile de dire avec quel amour il a parlé de.
vous et de l’Impératrice, avec quelle sincérité il
aspire à la paix, et comme il S’est réjoui de ce
ue von Jagov se soit décidé à me parler fran-
chement, Lu | ‘
-- « Cette lettre parviendra à Tsarkoïe-Sélo et
sera transmise à l’aide-de-camp de service pour
être remise à Votre Majesté en mains propres.
-J’ose demander qu’on ordonne de me donner une
réponse, que je pourrai transmettre à von
Jagov. Je vais l’attendre ici — et, après, hélas!
je serai obligée de rentrer à Klein-Wartenstein
. que je n'ai pas le droit de quitter avant la fin de
‘ la guerre. Si, du haut du trône, Votre Majesté
décide de prononcer le mot de « paix » elle dé-
cidera du sort des peuples, et si elle envoie une
‘ personne de confiance, une autre sera en même
temps envoyée d’ici pour entrer en pourparlers
directs. >» ce :
Et, dans un post-scriptum, elle ajoutait insi-
dieusement : °- : |
& Si Votre Majestéé a le désir que je lui trans-
mette personnellement tout ce que j'ai vu et
entendu ici, en Allemagne, le voyage à Tsarskoïe-
Sélo me sera facilité de toutes façons. »
I1 faut croire que le Tzar répondit à cette
: demande, car, à la stupéfaction de tous, la négo-
ciatrice vint d'Allemagne et fit son apparition à
Pétrograd au mois de décembre suivant.
- Un envoyé spécial était allé la chercher à Tor-
neo et on lui avait réservé des chambres à
l'Hôtel Astoria. ‘Sazonov déclara que c'était
l’ordre de Tsarskoïe-Selo, où elle était reçue en
cachette.
Rozinko, averti, prévint le Ministère de lInté-
rieur et la Commission du Budget où fut soulevée
Ja question de la paix séparée. Après la séance,
le. ministre de l’Intérieur Khvostoff confia À Ro-
LES ÉNIGMES DE LA GUERNE —— 191
— Un Hollandais? lui ai-je demandé.
— Oui, |
EU. Le général Cartier, confirmant :
— Les Hollandais étaient coutumiers du fait!
De nombreux agents Hollandais, violant In nou-
tralité, {ransporlaient, pour le compie
de l'AI-
lemasne, des courriers secrets!
ELM, Maunoury, directeur du Cabinet du Pré-
fet de police m'a'dit : € Dans les filatures
Mata-Hfari fut l'ebjet, on remarqua qu'elledont
rendait, souvent, dans une maison où se
se {trouvait
un service du consulat de Hollande. On
qu'elle recevait de l'argent par ce canal, el pensait
envoyail
qu’elle
ses notes, Mais ce n’est qu'une hypo-
thèse! »
Hypothèse contre laquelle proteste, mais sans
autre précision, l'Am assade de Hollande 4
Paris.
Hypothèse que, seul, M. le général Boucabc
peut confirmer ou infirmer.. ille
Je lui pose carrément la question :
— La complicité directe d'un diploma
andais? Je ne crois pas. Elle utilisa, te hol-
ment, la valise diplomatique, pour faire certaine
de France en Hollande, où résidait parvenir,
Cérrespondance. Mais, cela, c'était sa famille, sa
Ceile correspondance régulier. si
était familiale,
positte CE Vraisemblable, c'est qu'elle Ce qui est
3 Comilatance des abusa de
représentants hollandais à
Paris, 4 leur ineu el en leur
dois vous dire que, d'une manière complicité. Car je
Gouvernement hollandais en énérale, le
montrait {rès cor-
rect. Il interdisait, formellement,
tristes de participer, de prés 4 «es como
ou de loin, à l'es-
fionnate ennemi.
192: LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

CE QUE DÉCLARE M. BOUCHARDON

Continuons notre instruction. Nous voici de-


. vant celui qui en fut chargé, de cette instruc-
tion, officiellement : M. le conseiller Bouchardon.
— Le dossier Mata-Hari? Il est tout petit :
comme ça! (Et M. Bouchardon m’indiqua, entre
le pouce et l'index, l'épaisseur d’une mince
| pincée.) |
Quand M. Mornet se leva pour requérir, voici
comment il commença : « Messieurs, je n'ai ja-
mais élé aussi embarrassé. Pourquoi? Parce que
rien n'est plus difficile que de démontrer que
deux et deux font quatre! ». La culpabilité de
Mata-Hari? C’est deux et deux font quatre! Elle
a recu de l'argent de l'Allemagne! .
— Oui, monsieur le Conseiller, mais si elle en
a reçu, également, de la France? ‘
—. Bien sûr!'Elles disaient toutes cela! Elles
recevaient de l’argent de tous les côtés,-ces man-
geuses d'hommes! Elle couchait avec des offi-
ciers supérieurs! Avec des diplomates! Elle a
. dépensé un million-or! D’où le tenait-elle? Con-
naissez-vous ses relations avec le grand banquier
Rousseau? Elle l’a ruiné! .
- : — Soit! Mais ça ne prouve pas sa culpabilité!
Qu’a-t-elle fait? ° .
Ah! Ah! voyez le dossier! :
- — On le cache! . ee
— Voyez la plaidoirie!
— Elle a disparu!
—. Oh! au’ reste — ajouta M. Bouchardon —
elle ne vous aurait rien appris! Clunet n’avait pas
vu le dossier. Il plaida dans les nuées, en mys-
tique. C'était un croyant! Et sa cliente? Un ange
de vertu! -
- Il l’aimait, n’est-ce pas?
TT LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 193
— Je ne sais pas, En tout cas, il lui
loujours le bras. Et c'était bien ridic donnait
Propos, vous savez ce qu’on vient ule! Ah! à
dans le département de l'Indre? de découvrir,
pas Hollandaise, que son charme Qu'elle n'était
une duperie de plus! Que exolique était
mentunc fille D. avant passé c'éta it tout simple-
à Buzancais (Indre)
Une partie de sa jeunesse où elle
Mme Rousseau. > se faisait appeler

Manifestement, M. Bouchardon,
agisirat, en très habile
cherche à détourner mon attention.

INTERVIEW DE M. MORNNET

Son collèvue, M. Mornel, est moins initié à Ja


lcchnique du cuisinage.
— Oui, deux ct deux
ainsi que j'ai commencé font quatrc! C'est bien
mon réquisitoire! Je la
revois, loujours, devant
rable comédienne. Oh! cllemoi, C'était une admi-
n'élait pas jolie, mais
te avait le « je ne sais quoi
mystere el de l'exotisme : le sez » © prestige du
on dil aujourd'hui! Elle nous appeal, comme
les plus précis sur < Le grand donnait les détails
disait, qu'elle em Hoyait dans jen > comme clle
cxCcplionnelles, Vous save ‘les circonstances
surtout, dans les milicux Miliz qu'elle travaillait,
sades! Elle séduisait les offi taires et les ambas-
une facilité d'autant plus ciers supérieurs, avec
élit plus avancé. Elle se grande que leur âge
dé > un pénéral price vanta d'avoir « pos-
< les grandes inlimités 3. 1]à ce qu'elle appelait
li. je ne sais quels talents fallait entendre, par
C'était, Céalement,
spé ciaux! >
des crises de nerfs provune éminente spécialiste
oquées. Combien de fois
13
7 196 - LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
se présentait à ces malheureux comme étant, elle-
même, une victime des Allemands. Elle entrail
dans leur cellule où elle jouait le rôle de « motte
. ton ». Ensuite, elle venait près de moi pour m'in-
* viter à lui communiquer des renseignements.
.,.+ Dites-moi ce qu'ils ont fait, insinuait-clle
J’interviendrai aupres de mes amis Allemands! .
Mais je me méfiais terriblement d'elle! Je »
lui répondais pas, : ne
— Vous a“t-elle dit qu’elle était attachée
2° Bureau français? au
. .
— Oui. Mais, malgré cela, je me tenais
défensive. sur la
Elle avait une façon de croiser
jambes! lex
Et puis, elle était trop familière avec
Behrens, le célèbre banquier de Hambo
était chef de détention à da prison Saint-urs qui
— Avez-vous eu la preuve de sa trahiso Gills)
melle? n for.
:
. — Le commandant Ladoux, au
avait donné les noms de six agents départ, Jui
‘auxquels elle devait rendre visite,
en Belgique
et dont cine
étaient suspects au 2° Bureau,
car ils ne lui don.
naient que des renseignements
trouvés. Le sixième était un agenterronés OÙ ccn-
lant, à la fois, pour la France etdouble travail.
pour l'All
magne. Or, quinze jours après son départ,
double fut l'asent
fusillé par les Allemands : jes cin}
autres ne furent Päs inquiétés.
Comme
Hari était seule à connaitre leurs noms, Matae
trés vraisemblable que c’est i] et
les Allemands. Elle donnait, elle qui a renscisn£
reau, deux autres certitudes de ce fait, au à à.
cinq agents non inquiétés : la Première, que les
au service de l’Allemagne, étaient exclusivemen!
sixième, qui donnait et la SCconde, que
de faux renscignemont le
. Ja France, trompait ésalem ent l'Allemagne 3
d’une tierce uissance dNea
qu’il était au service
cn eûmes
bientôt 1a preuve Par lntell
vice qui informa le 2 e Bureau igence Ses.
qu'une
, to espionne
DIN ÉNICUIA pi ta cn in
ietsnde du nets de Matallars avait brûlé
culs tédentaires en Bcliique. un
J'ai loufeurs eu l'idée que c'est clle
a até 4 PAlemasne Franck qui
et Hachkclinana, fu
tft 4 Anve rs, pas Je n'en al jamais
j'en
eu la
N'étetaotn pas fatersenu dans J'affaire
Cas)? deinandaiie, OUT
racine en Jui désienan Âerininer, À
t hi tour con pore
it Léatant en donne place
eur un mur, au ante
tr fous des Pilies el Fran
cais fueittés
Non pus ditecteinent, grais Ji
Attente centnbué
Jéietute, On n dit qu'un eold
rise fs een a
de Purnler auss
AN ir tefuté de Lireg eur Miea iCancété fuullé
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ire sd nver J'anterité Alle


rsande, nous avons
Te 4 des eshinssatione et
j'eus Dientt Ja
coite Jus der saut été cher
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Veséestis de trie Cuseit, Je ju ureunis
Le ue fuites chatsé de
Irllunde et
effeiel qor
tes Vettres
Petitritees,
ists
tiients, Jl fit ace.
î rjnepal etant sss acute
:.
Ut Ur su frise 4 et estate
4

‘198 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

: — Mata-Hari est venue lui offrir ses services.


Elle demanda son avis à son chef, le colonel Ni-
colaï qui lui dit : « Mettez-laà l'essai! » Les
en effet, soumis à toute
candidats-espions étaient,
“une série d'épreuves et d’examens. C’est la mé-
thode. expérimentale allemande! |
Mata-Hari fut mise en rapport avec les milicux
- Jes plus divers. Elle exerça ses-talents de séduc-
tion. Elle joua la comédie de l’espionnage. Bref,
ellé fit des répétitions générales de son métier.
Mille le Docteur en fut satisfaite et remit un
rapport assez favorable à Nicolaï. Mais quand
Mata-Hari exerça, réellement, son métier, Mlle le
Docteur éprouva une vive déception. Elle nom-
ait Mata-Hari e Un obus qui n'éclate pas! > Et
- lorsqu'elle fut prise, étant alléeen Espagne, mal-
. gré Mile le Docteur, et poussée par des besoins
d'argent, Mlle Schragmuller déclara :°e Nous
en avions tous assez! Oui, nous tous : Français;
Allemands, Anglais. Et nous avons, tous, ap-
plaudi au courage du capitaine Ladoux qui nous
en a débarrassés! » .

- T7: ‘ :. A VINCENNES
-* Qu'est devenule corps de Mata-Hari?
Elle est, la-bas, à Vincennes, au Nouveau Ci-
metière, pas très loin de la Caponnière où elle
est morte. | -
Le peloton d’exécution est composé de zouaves..
. L'un d’eux, tin jeune « bleu » de vingt ans,
tombe; soudain, évanoui sur le sol. Les onze
autres l’ajustent. Mata-Hari refuse de se laisser
bander les yeux. Elle regarde ses exécuteurs dans .
le blanc des yeux. . :
. Au moment mênie où le sous-officier com-
mandant le peloton lève le sabre et s’écrie : « En .
joue! >» elle agite la main dans un dernier geste
‘LES ÉNIGMES .DE LA GUERRE —— 199
d'adieu vers l'aumônier, vers la supérieure de:
Saint-Lazare, et vers son vieil avocat!
Est-ce ce geste féminin
hommes du peloton? Un fait qui cxtr
intimida les
produisit, Les soldats, qu n'étaient aord inaire se
de, Mata-Hari, manquèrent,
qu’à dix pas
presque tous, Jeur
ut.
Volontairement? On ne le
Cas, sur les onze balies, trois croit
seul
pas. En tout
gnirent, et une seule traversa emen t Vattei-
balle-là qui détermina la mort le decœur. C’est cette
Mata-Hari..
Si cette balle n'avait pas atteint
aurait son but, il
fallu reco mmencer l'exécution!
tomba, la tête inclinée sur la poitrine. Elle
Alors, on vit le spectacle le ‘
qui soit. Devant son corps, dans Îaplus pathétique
boue, les reli-
gicuses et l’aumônicer se prosternèren
quant Dieu! t en invo- |
. | /
*
**

: Je demande au conservateur
du Nouveau Ci-
metière de Vincennes : ‘
— Où est-elle? .
| :
t avec son impassibilité professionne
— lle : _
Là! Elle a été jetée dans cette fosse
Mune, aussitôt après l'exécution. com-
Gertrude Zelle dort sous cette herb Marguerite- .
temps que quatorze autres espions. e, en même :
— Mais — insistai-je— il n’y a pas de US
Il n’y a pas d'in croix?
dication? - :
à
— C’est défendu! L’annéc dernière
glais sont venus ct ont manifest , des An-
d'édifier un monument commémor é l'intention .
atif, mais on
leur a refusé l'autorisation. C’est
défendu! ? répéta énergiquementledéfe ndu! C’est
Gard
Morts... ien des
Fo
POURQUOI LEON DAUDET
© FUT-IL ARRETE ?

Car M. Léon Daudet fut, pendant la guerre, .


mis en état d’arrestation.
Oh! pas pour.lon gtemps! Pour vingt-quatre
heur
es seulement -
Le 30 octobre 1917, M. Poincaré reçut
par laquelle M. Charles Maurras lui révélune lettre
ait qu'à
la suite de deux articles publiés par M.
Daudet, dans l’Actition Française, Léon
ils
fous les deux e mis pendant vingt-quatreavaien t été,
Aux arrêts par la police ». N heures, .
.

,*.Ne pas’ parler d’arrestations possibles à


le Action Française », telle est la consigne que
Nous recumes, à la Censure, au moment de l’Af-:
faire des Panoplies. Et, à l’époque,
nous avons
OUS cru qu’il s'agissait de cette ridicule histoire
de complot contre la sûreté de l'Etat connue sous
le nom d’Affaire des Panoplies.
Fi
Mais il y avait autre chose!
Lorsque M. Malvy comparut en Haute-Cour,
Un sénateur. juge interpella, soudain, en ces ter-
mes, un témoin important : M. le colonel Goubet,
ancien chef du 2° Bureau DS .
— À la-Commission d’enquête, M. le colonel
Goubet a déclaré qu’il avait demandé Varres-.
x

LES ÉNIGMES DE LA GUERRE -——— 145

litaire, morale ou économique des belligérants ne :


serait prononcée. La vérité, c’est que mon voyage : -
de la frontière suisse à Vienne fut effectué
en
wagon strictement fermé et que le seul rensei-.
gnement économique que j'ai pu puiser, au .
cours de mon voyage,a trait à une orange! Une
orange que je fis acheter par un officier de garde.
Il me la rapporta emballée dans un papier de soie
portant la-marque de la firme italienne Palermo,.
d'où je déduisis que, malgré la guerre, l'Italie
continuait à faire du commerce avec l’Autriche..
— Est-il exact, Monseigneur; qu'au cours de
votre voyage en Suisse, votre présence ait été
signalée à l’Allemagne, dans des conditions ro- .
manesques? Lä comtesse de Mérode qui nouait, :
elle, une autre négociation : ‘celle qui. faillit
joindre le baron von Lancken à M. Aristide
Briand, aurait précisément occupé, dans le Pull-”
man traversant l’Helvétie, votre propre compar-
timent et elle aurait été informée par le contrô-
leur de votre personnalité ?
— Légende! Légende! — protesta le Prince.
Légende, aussi, celle contre laquelle le Roï des ,
Belges: protesta auprès de.M. Poïncaré.et qui,
d’après les rumeurs, établissait un lien entre ma
_ présence en Suisse et celle de la Reïne Elisabeth
de Belgique. : CO TT
— Comment expliquez-vous, Monseigneur, ce.
détail étrange qui inquiéta M. Poincaré : ces
lettres que voici, et qui contenaïent la paix du”
monde, ces lettres de votre beau-frère Charles, :
pourquoi sont-elles écrites au crayon? "..
— Ce n’est pas au crayon. Regardez de près. :
C’est au stylomine. L'Empereur, à la suite d’une
chute de cheval, s'était foulé le poignet et écrivait
plus facilement avec cet instrument. Et voilà
- tout! Le mystère n’est pas là, mais bien dans les
raisons profondes qui agirent sur M. Ribot... .
. € Cest là le centre de l'énigme. Depuis quinze
| —. .10
LES ÉNIGMES DE LA "GUERRE — 205
Quatre copies seulement en étaie
pour le Présiden nt faites: Une .
t de la Ré ublique, qui, ponc-
tuellement, anxieusement, aque matin, les étu-
diait, les confrontait,. les’
annotait: (c’est, en
grande partie, grâce à elle que
aujourd'hui publier ses MémoiresM.). Poincaré peut.
Président du Conseil: une Une pour le
Affaires étrangères: une pourpour le ministre des :
Général, le Grand Quartier
| . ., Fe
Or, un jour, en 1918, 7
général Cartier, directeur
Mandel téléphona au
du Chiffre :
— Etes-vous sûr, mon géné
dist ral, d’avoir bien
ribué vos Quatre copies?
— Maïs oui, comme à l'ordina
ire! |
— ‘1 en manque une. Savez-vo
— Non. : .
us où elle est?
ee ee
— À l'Action Françaisel .
On fit une enquête. |
- Communiquée à l'ActionC’était exact. Elle avait été
taire, membre de ce PartFrançaise par un secré-
frappé. i, qui fut durement
| M
- Que n’avait-on agi plus ei
Je signale, ici, d'après tôt! cn
les déclarations de
TT
M. Georges Lefenestre,
dir
€ police, qui appartint ecteur à la Préfecture
M. Léon Daudet a demand au 2° Bureau, que
é, à plusieurs reprises,
:

* _IMPRUDENCES

Le 11 avril 1917, Léon Daudet, dans son


nal, parla, à mots couverts, dans l'Ac
jour-
Çaise, de « certains ‘échanges tion Fran-
de cor
dont ont eu vent, comme moi, ceurespondance
chargés de la Défense National x qui .sont
Cette allusion — sans dang e’ ». |
er à condition
à

COMMENT LA . REPUBLIQUE
CHARGEA D’UNE MISSION SECRETE
L’HERITIER DU TRONE DE FRANCE

Monseigneur le prince Sixtede Bourbon-Parme


fut chargé, sur initiative de son beau-frère, Fem-
pereur Charles I#, de sa sœur limpératrice Zita,
.de sa cousine germaine la Reine des Belges, de
rapprocher, secrètement,la France et l’Autriche.
Et cette mission était d'autant plus extraordi- .
naire que la qualité de Frariçais et l'honneur de:
porter les armes pour la France lui étaient refu-
sés, du moins officiellement, car, dans l'intimité, .
MAI. Poincaré et Aristide Briand ne manquaient
pas d'assurer au descendant des Bourbon qu'ils
.le considéraient comme « un bon et loyal Fran- -
QËs 2
£ Les détails de la mission Sixte sont aüujour-
d’hui connus. Il n’en est pas de même d’une :
autre ambassade confidentielle qui fut confiée :
.par la République. au Roi de France. : -
Combien de Français savent que-Monseigneur
le duc de Guise était, au Quai Orsay, en 1915,
Persona gratissima, et qu’il fut envoyé, incognito,
par le Ministère
des Affaires étrangères en Bul-
garie afin d'obtenir du roi Ferdinand,
son oncle,
qu’il se range à’nos côtés? . ‘ |
2
148 ‘LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

É Re

Le prince Sixte ayant bien voulu me recevoir


_j'ai pensé que le duc de Guise consentirait à me
l'aire le même honneur et j'ai sollicité de sa bien-
veillance une audience, proposant d’aller, en Bel-
gique: lui rendre visite sur sa terre d’exil..
. Mais, par le chef de sa Maison, le duc de Guise
nva répondu : - :
« Monseigneur le duc de Guise me prie de
vous accuser réception de votre lettre du 13 mai
et de vous exprimer ses vifs regrets de ne pou-
voir donner satisfaction au désir que. vous lui
avez exprimé. .
_ « D'une part, en cffet, Il n’a jamais cherché à
‘savoir ce qu’avaient pu dire de sa mission en
Bulgarie telles ou telles publications et Il ne
pourrait donc vous fournir aucune indication à
ce sujet. D'autre part, Il s’est toujours refusé —
car on le lui a déjà demandé à plusieurs reprises
— à donner le moindre détail sur sa mission,
cette réserve étant motivée par des raisons
d'ordre personnel. : D
« Malgré tout le plaisir qu’Il aurait eu de s’en-
tretenir avec un Français et un historien de
votre qualité, le Prince estime donc qu’il n’y à
aucune raison pour vous de vous astreindre à
un déplacement qui ne vous permettrait nulle-
ment d’atteindre le but que vous vous proposiez.
« Le Prince n’est d’ailleurs pas en ce moment
‘ en Belgique. ‘
eut z croi re, Monsieur,
« Veuille à mes sentiments
très distingués. » ‘
*
++

La mission du duc de Guise eut lieu en £ vri


1915. L'historiographe le plus récent de Fan
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 149

nand de Bulgarie, M. Hans Roger Madol, ne lui .


: consacre que cette rapide allusion : fi
« Au début de février 1915,le duc de Guise,
prince de Bourbon, Orléans, neveu de Ferdinand,
arrive à Sofia, avec une mission secrète de Del-
cassé. Il doit faire son possible pour gagnerle
Roi à la cause française. Il lui parle des devoirs
de Ferdinand comme petit-fils de Louis-Philippe.
Ferdinand, après lui avoir laissé longuement la
parôle, lui dit :. | D oc Te
— Maintenant que la mission dont tu es
chargé a pris fin, redeviens mon neveu! .
Et il ne parle plus de la guerre. Comment
pourrait-il faire une autre politique que bulgare?
Doit-il rappeler les origines allemandes du roi
d'Angleterre, de l’Impératrice russe, etc?.… En
France, on lui fait de vifs reproches pour son
manque de sentiment? Ferdinand avoue qu'il -
enche beaucoup plus du côté de la France qui
’a si bien reçu en 1910 et à laquelle tous ses
chers souvenirs le lient! Du côté austro-allemand
il n’a pas de tels liens, maïs il doit laisser de
côté tout sentiment personnel pour suivre uni-
quement ce qui lui semble dans l'intérêt de.son
pays. .

QUESTIONS D'ARGENT

Il n’oublie pas le sien propre Car, dans les .


négociations secrètes qui vont se nouer,‘il est
aussi souvent question de subventions person-
nelles, d’indemnisations et d'emprunts que de
-rectifications de frontièreset d’ + aspirations
nationales >».
Quelque temps avant la guerre, Ferdinand
avait engagé une grande partie de sa fortune pri-
vée, et il s’ingéniait à faire ouvrir des crédits À
150. LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ————

la Bulgarie. Jusqu’alors, ‘il s'était toujours


adressé à la France pour obtenir des emprunts
et les banques françaises déclaraient que la con-
ditions sine qua non pour obtenir un emprunt,
c'était une convention militaire de la Bulgarie
avec la Russie. |
Le 29 avril 1914, Iswolsky télégraphiait à Sa-
zonof : - | _
e Doumergue me confirme à l'instant qu'il a
interdit aux banques françaises de fournir les
moyensde contracter un emprunt de la Bulgarie.
en Allemagne. D’après les informations que le
Gouvernement français a reçues de Berlin, les
tractations y sont demeurées sans résultat, ce
que Doumergue altribue au refus des banques
françaises. > -
La lutte devint très serrée entre Paris et Ber-
lin. Qui gagneraït, par l'emprunt, la Bulgarie?
La France fut sur le point de faire au Roi, per-
sonncllement, une avance de 100 millions. La
banque
. Périer offrit même 200 millions. Mais
la Disconto Gessellchaft et 1a maison Warbourg,
- de Hambourg, étaient disposées à donner 500 mil-
lions. Le Roi; dont les sentiments français étaient
bien connus, puisqu’il ne manquait pas une occa-
sion d'affirmer qu'il avait du sang français dans
les veines (Bismark disait de lui : e Il est plus
Orléans que Cobourg! >) essaya encore d'ob-
tenir une offre plus avantageuse de Paris; mais
Berlin gagna la manche en juillet 1914. II concé-
dait à l’Allemagne des avantages considérables,
mais purement économiques. À ce moment-là, la .
Banque Péricr parla d’avancer 700 millions, mais
il était trop tard : l'accord était signé, à Berlin.
_—— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 151

L 7 7 : . . MT

ENTRE DEUX FEUX


La guerre éclate. En novembre 1914, la Tur- :
.quie se range aux côtés de l'Autriche et de FAI-
lemagne. Par suite de cet événement, la situa-
tion de la Bulgarie se trouvait de nouveau chan- .
gée. L'Allemagne envoya chez Ferdinand, à Sofia,
le duc Jean Albert de Mecklembourg et le conseil-
ler secret von Rosenberg: Le Roi Albert de
Belgique, sur la demande de M. Delcassé lui
adresse son beau-frère, le duc de Vendôme, qui
lui donne l'assurance que, si ses propriétés
_étaient confisquées nous l’indemniserions.
Quant au tzar Nicolas IL, il est invité par l’'En-
” tenté à user lui aussi de son influence auprès de
Ferdinand. Mais, de son ton las ct fataliste, Ni-
colas II répond : « Que voulez-vous que je fasse?
J'ai, déjà,-payé deux fois ses dettes! » -
Or, par une source confidentielle, la France
entre en possession d’une lettre adressée par Fer-
dinand à l’un de ses amis. Elle est remplie de
récriminations contre la France. Il nous reproche
d’avoir, en 1913, donné Cavalla à la Grèce, d’avoir
mis, en janvier 1914, la plus grande mauvaise
volonté à laisser placer sur notre marché l’em-
prunt bulgare.Il faut le faire revenir sur ses
mauvaises impressions. if
M. Poincaré fait venir le Président du Conseil
. de 1914, M, Gaston Doumergue, qui explique : -
— Si je-n’ai pas consenti immédiatement à
l'admission de l'emprunt bulgare, c’est parce
qu'une loi suspendaiït l’autorisation des emprunts
trangers. C’est aussi parce que Stephen Pichon ‘
avait, par priorité, formellement promis lad- .
mission à la cote des emprunts tures et grecs.
En avril 1914, j’ai insisté auprès des banques,
mais elles ont refusé. Ferdinant, en réalité, cher-
© 152 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

che des prétextes pour justifier sa mauvaise bu-


meur. » NT
L'Entente adresse, alors, à Ferdinand, cette
“proposition concrète : « Si la Bulgarie est d'ac-
. cord pour se joindre aux puissances de l'En-
tente, contrela Turquie, elles lui garantirontla
ossession de la-ligne Enos Maritza, la partie de
.la Macédoine au sud dufleuve Vardar, et, au
sud de la ligne fixée par le traité serbo-bulgare :
datant de la première guerre balkanique, elles ”
- . Jui assurent, d s à présent, leur aide financière.» *
_ Et Delcassé — dont la plus grande erreur —
celle qui devait provoquer sa chute irrémédiable
— fui d’être aveuglé, même contre nos alliés
serbes et roumains, à l’égard de la Bulgarie —
‘ va jouer une carte. royale.
Il croyait aux influences dynastiques, à l’In-
ternationale des Têtes couronnées. Il .s’imagina
que le due de Guise pourrait mieux que notre
ambassadeur ordinaire, décider le Roi.

-L'ENVOYÉ DE DELCASSÉ
‘+... ÉT. DE LA FAMILLE D'ORLÉANS
. Le 28 janvier 1915, M. Savinsky, ambassadeur
de Russie à Sofia, adressa au ministre des Af-
faires étrangères en Russie un télégramme chiffré
où, pour la première fois, il mentionnait l’ar- .
rivée imminente du duc de Guise. :
+ Rodoslavov, président du Conseil bulgare,
m'a dit que le Roï n’était décidé à rien et préfé-
rait attendre un peu. À l'observation que je lui
fis qu’il y avait déjà beaucoup de temps de perdu
. sans cela et que, retarder encore, c’est-à-dire em-
pêcher notre travail de rapprochement entre les
erbes ct les Bulgares, serait nuisible aux inté--
rêts mêmesde la Bulgarie, Radoslavov m'’ex-
prima (comme étant sa pensée à lui et me .de-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 153

mandant de ne pas en parler) qu'il serait bon ,


que j'aille en personne parler au Roi et que Je
lui expose les raisons qui doivent pousser la Bul-
garie à se mettre du côté de la Triple Entente.
. Ces raisons sont toujours les mêmes : la Bulgarie
ne peut pas rester toujours neutre, elle doit
choisir entre les deux voies. Du point de vue de
l'intérêt du peuple, il n'y a aucun doute que ce :
choix doit se faire pour la Russie, et alors la
Bulgarie peut s'attendre à tous les avantages de
la part des alliés : argent, munitions, aide.
Radoslavov partage mon avis, mais il ne peut
- rien, paraît-il, contre l’indécision du roi. Îl a
insisté surtout sur ce qu’il faudrait expliquer
au roi que ce n’est pas seulement le bien de la
* Bulgarie qui dépend de sa décision, mais aussi
celui de la dynastie. J’ai compris, dans ce qu’il
: m’a dit, que Îe roi redoute son peu de popularité
à notre. Cour et, en général, en Russie. Je trouve
que c’est le moment psychologique pour in-.
uencer le roi mais je n’ose pas cacher l'envers
de cette question.: son amour-propre maladif
‘peut expliquer ces démarches, comme un moyen :
de pression sur lui, d'autant plus qu’on attend,
ici; -un de ces jours, l’arrivée du duc de Guise,
{ils du duc de Chartres, envoyé par la famille
d'Orléans pour raisonner le roi. >»
C’est M. de Panañieu, ambassadeur de France,
ui, confidentiellement, avait appris à son col-
lègue de Russie l’arrivée du duc de Guise. Il avait ”
. recu de Delcassé l’ordre officiel d’en prévenir le
- roi Ferdinand. _…_
Quand celui-ci en fut avisé, il envoya son se-
crétaire chez M. de Panaficu et notre représen- :
tant, aux questions qui lui furent posées par le
secrétaire royal, déduisit que le roi n’était pas
très chaud et: manifestait quelque nervosité à
l'idée d’être entrepris par c fui que l’on désigna,
218 —- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

— J'en receyais autre chose: des-renseigne-


ments, des renseignements de toute nature. Ma
présence en territoire neutre — et aussi en terri-
toir- ennemi, car j'allai à plusieurs reprises à
Berlin — me permettait de savoir ce qui se pas-
sait. Je connaissais les cargaisons des bateaux.
Je savais qui ravitaillait l'Allemagne. Je dénon-
çais les neutres, les mauvais neutres et aussi les
mauvais Français. Je communiquais au 2° Bu-
reau des renseignements sur la guerre sous-ma-
rine, sur la Bertha.. | DE .
— Vos.chefs étaient-ils au courant?
— Oui, le commandant Ladoux, M. Tannery.
Mais ils ne me dèmandaient pas de détails.
J'avais une entière autonomie jusqu’au moment
où je passai sous les ordres du général Bouca-
beille, notre attaché militaire en Hollande.
+. —— Pour.en revenir à Albert Ballin, quelle opi-
‘nion avait-il de vous?
. — 1 n'eut jamais de méfiance. Je le rencon-
trais à peu prés tous les mois. Nous déjeunions
ensemble à Rotterdam à la poissonnerie Sauer .
_et nous bavardions librement. Combien de fois
me déclara-t-il son hostilité-à la guerre? Mais il
était surtout préoccupé par le problème des res- -
ponsabilités de la guerre.Il voulait absolument
me convaincre de l'innocence de l’Allemagne.
— Vous parla-t-il de cette fameuse tentative
de paix dont il fut l’animateur? L
— Non, car j’évitais ces conversations de peur
| de révéler, malgré moi, à Albert Ballin, des faits
. qu’il ignoraït ou de montrer mes tendances.
— L’avez-vous rencontré en Allemagne?
.—— Non : c'était toujours en Hollande. Il venait
visiter mon magasin, auquel était annexée une
agence de renseignements militaires. C'était un
charmeur. Il n'avait rien de l'Allemand tradi-
tionnel. Il détestait les Prussiens. Il était Juif et
———— LES ÉNIGMES.DE-LA GUERRE —— 919
Hambourgeois : deux raisons pour ne pas aimer :
la Prusse! CT Le
— Mais enfin, pour qui vous prenait-il, vous?
I savait que vous étiez Français? Il ne trouvait
pas extraordinaire votre présence en Hollande?
° M. Crozier sourit : - Ù .
— Îl me prenait... il faut dire le mot — pour
un traître à mon pays, pour un mercanti qui pré-
férait rester_à l'abri, chez les neutres et gagner :
de l'argent plutôt que d’aller se faire tuer dans
les tranchées, ce. or
— Et vous avez pu jouer votre rôle jusqu’au
boùût? - ‘ : -. .
— Jusqu'au bout! Il ne s’est jamais méfié.
& On a dit en Allemagne qu’il avait trahi son
pays. Qu’en pensez-vous?
— Il Ja trahi si: vous voulez! mais sans le:
- vouloir, sans le savoir. Au reste, tout cela n’est
que. des mots. Si je vous disais que, depuis la
guerre, je retourne librement en Allemagne où
l'on sait, maintenant, que je les ai roulés? |
& Je suis même allé en Allemagne avec le gé-
néral Boucabeïille,
mon ancien chef. Nous avons
été reçus avec beaucoup de.considération. Les
Allemands sont'très « fair play ». Et ils ont |
bien voulu nous dire leur admiration, au général
Boucabeille et à moi pour notre cran: ’
— C'était de bonne guerre — disent-ils en
riant, Quel dommage que vous ne soyez pas Alle- .
mands! > Ils ont même connu notre rôle, non
seulement dans la guerre économique, mais dans
la guerre politique. Car nous avons participé au
mouvement révolutionnaire allemand. J'ai fait
parlie de leur comité révolutionnaire. Après la
guerre, dans les procès qu’ils ont intenté aux
communistes, ils ont trouvé des pièces où j'étais
cité ct, fort courtoisement,
par l'intermédiaire du
Ministère de la ‘Guerre, ils m'ont demandé de
venir témoigner contre les communistes et de
156 — LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —————

INTER POCULA -
Peu de temps après la visite du duc de Guise,
l’attaché militaire de la Légation turque de Sofia
— Kemal Pacha — se laissa aller à boire, plus
que de raison, à un dîner offert par Mme Suliane
Pétrow, épouse de l’ancien Président du Conseil
bulgare. . -
e Si vous entrez en guerre à nos côtés — pro-
posa Kemal. Pacha au général Pétrow — vous
aurez Andrinople et Tchaltadja! Et vous aurez
aussi. Constantinople! >» à
À ce moment, son chef, Fethy Bey, ministre de
Turquie, lui imposa violemment silence et l'in-
-vita à-aller cuver, ailleurs, son vin.
"

_ L'ART D’ACHETER UN ROI


Ensuite, ce fut le prince de Hohenlohe qui vint,
au nom de l’Allemagne, faire de nouvelles offres
à Ferdinand. Le 6 septembre 1915, un traité d’al-
liance secret — et dont le secret ne fut pas percé
par les représentants de l’Entente — fut signé
entre la Bulgarie et les puissances centrales.
Pour masquer sa trahison, Ferdinand fut
-obligé de faire un grand sacrifice. Sa fortune,
10 millions, était déposée à la Banque d'Angle-
terre. Pour_ne pas attirer l'attention de l'En-
tente, il fut contraint de Pabandonner. Le Gou-
‘vernement allemand lui fit une offre à laquelle
on avait également songé de notre côté. On lui
garantissait, pour le cas où l'affaire tournerait
mal, comme dédommagement de ses biens perdus
pour la cause des puissances centrales, de « se
charger des dépenses d’une vie conforme à son
rang. » Ce n’est que plusieurs années plus tard
224 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

‘villon noir », tout en me mettant en garde contre


certaines exagérations imaginatives.
. — Joseph Crozier fut, effectivement, un de
ceux qui m’aidèrent à préparer la révolution alle-
mande. - . |
— Oui, mon général, j'ai vu, chez M. Crozier,
des lettres, toutes récentes, de vous, regrettant
l’ordre qui, de Paris, vint tout arrêter alors que
tout était prêt. oo
— C'est exact. J’avais l'habitude — continue,
en souriant, le général Boucabeille. Je suis un
spécialiste des révolutions! . Avant Ja guerre
j'avais opéré en Chine. J'étais parti là-bas en
mission avec quatre officiers. Je pris contact avec
le chef des révolutionnaires chinois.
— Ce que je veux connaître — lui dis-je —
c’est l'étendue du.mouvement que vous préparez,
les effectifs que vous avez en mains, le nombre
de vos affiliés. | :
Et alors, eut lieu un véritable miracle. Mes
uatre officiers et moi, nous parcourûmes la
hine du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, sans
une arme, sans un sou, et nous apprimes tout.
Comment? Simplement parce que nous avions
le précieux mot de passe de la révolution!
* Quand nous arrivions dans un village, nous
prenions contact avec ün. affilié et, immédiate-
ment, grâce au mot de passe, il nous mettait en
relations. Nous allions dans les réunions, et, avec
une certaine habitude, nous faisions le décompte
‘ des révolutionnaires. :
J’agis de la même façon pour la révolution
“allemande. Nous pouvions compter en Hollande
sur trois éléments. D’abord, les Juifs hollandais
qui nous mirent en relation avec les Juifs alle:
mands.-Et puis avec les catholiques. Dans ce
domaine, je puis vous donner ce simple détail :
nous avons acheté, pour un million de marks.
un grand journal catholique rhénan dont je ne
LS ÉNIGNES DIE LA GUINUE e 225
Yeux Pas vous donner fc Nom, mais qui pour
suivit, malyré Ja censure allemande, une catne
Pagne favorable à nos desscins.

Enfin, nous iobilishines, À notr


dléments avancés d'Allemusne e ecrvice, Îles
: sochalistes, Apure
liste
s, républicains, J'eus
plus importants d'entre cux.des chlrevucs avec Jes
Nous avons fondé, acc cux, Île Jour
Kampf où nous soutentons les idées nal Der
Cuines cl
répubti.
socialidles ré indues sur
dans Je front et
l'intéricur de M'Afemasne,

Elle Gouvernement hollandais 1] ne
pas d'un mauvais œil ces Intri VOVail
gues® ?
— D Jes isnorait, J'ifoute que Je
ent Gouverne
hollandais 4 été trés Corre
cels, par nécessité et par besoin,ct ace nous, Et,
Lillement de La Hollande ait, en puisque le ravie
entre nos nains,
quelque eorte
Et aussi pour une autre paicon, Fiju
que, un jour. je reçua jerane rers os
d'un Hollanda
lement fa visite
is où eoidjicunt tel qui appela
Un décument it
d'un intérét ca tal C'était
écurie plan de mobilioution bollandaiee Je
faut sous
dire « ue, pendant Ja guerre. — il
Linden té elite AU prem Ja Hot
ier échelon, Je
euritine Teprétentant l'inteme
ntion.
Ce plan pouvait avoir un pros
tre. Je Gabin inférét prur
accueil à cet
Je pris ses précuntions pr hiosn
des
ine tineférient,
es interresatoires, des ciquéles, recrinessents,
ue ces documents éfalent auth ef je conitatai
entiques, Je dis
Cene à men infesfocuteur de
Etain 4 Je Je recevsais en tétefever re lende.
ner d'an dettes
crlahoratenurs céécinhité, J'al 4
vus dite peine beunie de
que j'allais isninédintesnent fouser Je
.
RE —_—————
226 —— LES ÉNIGMES DE LA GUER
je lui
rmée ên Hollande et
. généralissime de l'a UT
dis : - !
agents m'a apporté ceci
©! Yoïlà! Un de vos ve
Sursaut.… ‘
_—- Impossible! -
._ — Tenez, voilà! à l'évidence. : |
‘1 dut se ren dre Le lende-
ani säm es un piè ge.
__ Alors, nous orgun Ca itaine français, mais un
main, ce n’est pas hollandais qui vint. L'a
utre
général d'état-major l’a rrêta. -—
ne se méfia pas. On sim ple , le Gouvernement
ce fait si
“Eh bien! De une reconnaissance pro
-
hollandais m'a gardé en moi. : : :
fonde. Il eut confiance incidents, notamment
‘Avec quelques petits .
celui-ci. .
mes col lab ora teu rs me désigna,
. Un jour, un de hommes qui depuis le matin,
dela fenêtre, deux dormir sur un banc.
faisaient semblant de qu'ils
suspects! Qu'est-ce
. — Jls me semblent ‘
veulent? es,
r à côté de ces deux homm
11 alla s’allonge ne heure, les deux
sur l'herbe. Au bout ez.d’uis s’en allèrent. Mais
-hommes en eurent ass :
, et comme cela, toute
vit
mon bonhomme les, sui finalement, ils entrèrent
,
la matinée. Si bien que .
où ils se firent connaitre
dans un commissariaters hollandais. Je fis des
C'étaient deux polici nement qui les .désap-
observations -au Gouverj'avais toute liberté..
prouva et m'assura que nds? |
— Et. vos collègues allematravaillaient de leur
_— Nous les ignori ons . Ils
les uns
nies officielles,
côté. Dans les cérémo
aut res de Pautre! Et nous ne nous
d’un côté, les -
saluions pas. à
ema nds éta ien t, d’ailleurs, employés
. Des All t une femme don t je ne
“notre service, notammen e vint me déclarer-:
peux pas révéler le nom. Ell
Lt

— LES ÉNIGMES DELA GUERRE —— 161


comte Armand fut reçu premier à l'Ecole Mili- ”
taire de Saint-Cyr, puis, ‘après une brillante car-
“rière en Afrique, démissionna en 1896. Il s’inté-
, ressa alors aux affaires de prospections et d’ex-
ploitations minières. _
À ce moment là le Maroc offrait aux ambi-
tions et aux intérêts publics et privés un champ .
d'activité encore inexploité, La France y était di-
rectement intéressée par suite du voisinage
immédiat de l’Algérie. Bientôt notre accord de
1904 avec l'Angleterre, qui liquidait tout un
passé de rancunes et éliminait la plupart de nos
sujets de friction, nous ouvrait au Maroc des.
perspectives immenses ; encore ne faut-il pas ou- :
lier que nous n’y avions alors, malgré cela,
aucun droit. officiel. Notre protectorat ne date
que de 1912. D'ailleurs le Maroc fut pour l’Alle-
magne jüsqu’en 1912 l’occasion de toutes les dé-
monstrations, de toutes les alertes (Tanger, :
Algésiras, Agadir) de toutes ses « Machtproben »
(épreuves de forces) -qui témoignaient qu’un
jour ‘elle n’hésiterait. pas à aller jusqu’àla
guerre. _ ‘ |
De même, en face des intérêts privés français .:
au Maroc, se dressaient de puissants adversaires
allemands : Krupp, Thyssen, les frères Mannes- : :
mann. La France, prudente ct sage, évitait de son .
mieux tous les points de frictions et veillait à les” :
écarter, même dans les entreprises privées : il
ne fallait pas, en effet, arriver au Maroc, à propos .
des concessions minières, à un Fachoda écono-.
mique. C’est pourquoi le gouvernement français .
invita les groupes’ françaisà ne pas se heurter.
avec les groupes allemands, maïs au contraire À
s'entendre et à se rapprocher d’eux (ainsiM. Eu- -
gène Schneider voisina avec MM. Thyssen et
Krupp dans le conseil d'administration de -:
l'Union des Mines marocaines). Parallèlement, et
dans le même but, le gouvernement français uti-
Le : à Le . Lu 11
162 —_— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

Jisait les relations personnelles existant entre


français et allemands : c’est ainsi que le comte
‘Armand, membre du Comité des Houillères et
membre du Conseil de Surveillance du Creusot,
lié avec le prince de Radolin, ambassadeur d’Al-
-_ lemagne à Paris (lequel avait é ousé une Polo-
- maise, la comtesse Oppersdorf, fille d’une Talley- se
. -rand-Périgord) fut tout naturellement invité à r.
servir de ses relati ons pour négoci er et discute
des intérêts français et allemands au Maroc.
| C’est dans ces conditions que le 5 janvier 190
. Je comte Armand exposait au prince de Radolin.
- ambassadeur d’Allemagne, lentente intervenue
_entre le Creusot, Châtillon-Commentry, Krupp,
- Thyssen et les Anglais, pour exploiter des mines
au Maroc et les chemins de fer nécessaires.
: ” Une note, corrigée aux Affaires étrang ères le
8 janvier par M. de Chérizey, approuvée .par du :
: M. Revoil, puis par M. Rouvier, président
Conseil, était remise, le 12 janvier, au prince de
Radolin. _- ‘
- De cette note naissait l’entreprise de l'Ouenza
qui, pendant des années, devait connaître les plus
‘ grandes vicissitudes. | .
Le comte Armand, poursuivant ses négocia-
- tions, devait rencontrer tout. naturellement les
- membresde l'ambassade d'Allemagne à Paris,
dont le baron de Schoen, successeur du prince de de
Radolin, et le baron de Lancken, secrétaire
l'ambassade. .
Vint la grande guerre. Quoi qu'il ne fût -plus
astreint à aucune obligation militaire — il avait
51. ans — le comte Armand reprit volontairement
du service dans l’armée dès le début de la guerre. ‘
apres quelques mois passés dans l'inspection des
dépôts de cavalerie, il reçut le commandement
d’un escadron du 9° Dragons, et partit pour le
front, où il se battit dans plusieurs secteurs et
notamment plus d’un an devant Verdun. Il fut
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 163
promu chef d’escadron au front, et le 30 juillet
1916 il recevait la Légion d'honneur aux armées. .
‘Le 16 février 1917 il fut, sur la demande d’un |
général, affecté au Deuxième Bureau du Minis-
tère de la Guerre. C’est là; qu’on songea à utiliser
ses” alliances de famille pour entrer en pourpar-
lers avec l'empire austro-hongrois en. vue d’en-
traîner celui-ci dans une paix séparée. A cet effet, :
le comte. Armand fut chargé de rencontrer en
Suisse le comte Revertera, son parent par al-
liance, marié d’ailleurs à une Italienne, et envoyé
par le comte Czernin, ininistre des Affaires étran-
gères d’Autriche-Hongric. La mission du comte
Armand-était diplomatique et militaire. Tous les
. ordres qu'il reçut et exécuta étaient signés soit
par, M. Painlevé, ministre de la Guerre, ‘soit du
général Foch, chef d’Etat-Major général. |
Sur les négociations Armand-Revertera la lu-
mière est aujourd’hui, je crois, pleinement faite
grâce à la publication des documents .authen-
tiques, par le prince Sixte de Bourbon-Parme
dans son livre : « L’offre de paix séparée de l'Au-
triche ». Même aux yeux les plus prévenus contre .
le comte Armand, il apparait, aujourd’hui, net- .
tement qu’il n’a fait qu’exécuter des ordres et
qu'ilne les a, en rien, outrepassés ni trahis !
Le prince Sixte de RBourbon-Parme, à qui j'ai .
parlé des négociations du comte Armand, m'a
assuré de sa conviction qu’elles n’ont été entre-
prises que pour torpiller la sienne qui — le fait
est patent aujourd’hui, et M. Poincaré le déclare,
nettement, dans ses Mémoires — était de beau-
coup la plus sérieuse de toutes celles qui se tra-
maient à ce moment-là. L'empereur Charles Le
d'Autriche, apprenant, en effet, que d’autres irac-
tations avaient lieu,à son insu, entre son mi-
nistre des Affaires étrangères, le comte Czernin,
et le gouvernement français fut très fâcheu-
sement impressionné.”Il eut peur d’un piège. Il:
164 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

fut convaincu qu’on voulait le tâter puisqu'on


n'avait pas répondu à ses propositions formelles
du printemps 1917 et qu’il avait nettement mar-
qué qu’il ne voulait d'autre intermédiaire que
son beau-frère le prince Sixte.
Je ne crois pas qu’il y eut, de la part du gou-
de
vernement français, une volonté formelle
« torpiller », comme dit le prince Sixte, une né-
gociation par l’autre. La vérité, c'est qu’elles se
Sont entrecroisées, très fâcheusement par suite
du vice essentiel de notre organisation : le com
des services. D'un côté, il y avait
partimenage
*Etat-Major français qui proposait à l'Autriche,
par l'intermédiaire du comte Armand, une ja
… séparée, lui garantissant son unité et même,
et de la
jonction à son territoire de la Silésie
y
Bavière. Et, de l’autre, il Fi avait le Quai d'Orsa
qui, par l'intermédiaire du rince Sixte, faisait
l'Autriche, sensiblement les mêmes proposi-
à
tions, à condition que la France obtint Alsace-
Lorraine de 1814 et que notre alliée la Russie, :
alors fidèle, réalisât son ambition ‘millénaire
Constantinople. La faute considérable qui fut
commise à l'époque est que M. Ribot ne mit pas
M. Painlevé au courant des négociations Sixte el
que M. Painle vé, les ignora nt, lança impru dem-
ignorait
ment, le comte Armand, qui, de son côté,
les propositions de l’empereur Charles ! Celui-ci
eut la sensation d’être berné en recevant des pro-
positions françaises identiques aux siennes
propres qu’on avait & laissé tomber > ! C’est alors
que, furieux d’avoir été joué, il se rejeta dans les
bras de l'Allemagne... :
Le 4 avril 1918, le communiqué autrichien ré-
vélait que des négociations avaient été engagées
‘entre le comte Armand et le comte Revertera.
On se souvient de la riposte énergique de Cle-
menceau : « Le comte Czernin a menti! > fai-
sant connaître par la presse les conditions dans
234 -——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
Quelques jours après, nous apprenions qu’une
opération de bomhardement sur Jœuf avait été
faite de nuit, par une escadrille de la 2° Armée.
Mes camarades et moi, nous nous réjouissions
grandement à la pensée que le vœu que nous fai-
: sions depuis si longtemps de voir bombarder ces
établissements dont les fumées insolentes nous
- énervaient, avait été réalisé, et nous étions heu-
“reux de pouvoir en féliciter le chef de la
2e Armée, |
Mais, quelques jours après, nous constatâmes
qu'aucun bombardement n’avait suivi le nremier..
Je me rendis donc à l'état-major de Souilly pour
. m’informer des raisons de l'arrêt subit des oné-
rations. Le chef d'état-major me fit connaître
.que, après le bombardement de Jœuf, le général
Guillaumat avait recu l’ordre de cesser les opé-
rations. | L
._ Dès lors, ie décidai d’en saisir, directement,
‘le ministre de la Guerre. Je demandai audience .
au général Lvautey qui apnrouva ma démarche
et me dit qu’il allait immédiatement rechercher
. d'où émanaîit l’ordre reçu par le général Guil-
laumat. > . ‘
: Cette enquête du général Lyautey n'eut pas de
résultat, Et M. Ernest Flandin conclut :
— Pendant vingt-sept mois, les Allemands ont
‘pu, sans être gênés, extraire des millions de
tonnes de minerai de fer pour leurs usines de
guerre. Il y avait donc un moven d'abréger la
guerre, et ce moyen a été négligé pendant plus
‘de deux ans! > - ‘
« Les. Allemands l'ont d'ailleurs, reconnu —
ajouta M. Barthe — puisque, dans une circulaire
confidentielle, nrésentée au chancelier de l’Ern-
pire par les métallurgistes allemands, ils expli-
quent : « Heureusement pour nous, les Français
n'ont pas réussi à détruire la distribution sidé-
LES ÉNIGMES
DE LA GUERRE —— 235

ce
ÿ
rurgique des deux côtés de la frontière franco-
allemande. Œtant ‘donné lapprovisionnement
insuffisant de notre artillerie ct de nos munitions,
la guerre eût été décidée en peu de mois, à notre
désavantage. » . | -

TIREZ! MAIS TIREZ DONC!

. Au Comité Secret du 28 novembre 1916,


M. Engerand chercha à savoir du Gouvernement
d'où venaient les obstacles apportés depuisle
début de la guerre, à |’ e exploitation des mines
de fer ct à la production de la fonte en France ».
“< C’est la question essentielle qui domine la :
conduite. de la guerre. L’âme de la guerre, c’est:
le minerai de fer. Or, l'Allemagne le tire presque
entièrement de notre bassin lorrain. Les Alle-
mands avouent, que si l’extractiondu minerai
: lorrain était doublée, la guerre, pour eux, serait
perdue. Je demande au Gouvernement s’il ne se-
rait pas possible, précisément, en apportant le
trouble que redoutent les métallurgistes- alle-
mands, de contrarier l'effort métallurgique qu’ils
ortent actuellement à leur maximum. Si, au
début de la guerre, nous avions pu conserver,
inviolée notre frontière de Longwy à Briey, nous .
tenions sous le canon toute la production de-
minerai de fer de l’Allemagne et la guerre ne
pourrait pas se prolonger. C’est une question.
_ angoïssante et qu’il faudra élucider après la
guerre! Je pense à ces industriels de chez nous
qui.ont laissé, là-bas, leurs mines, sur ce coin
… de Longwy, ce champ de.bataille éternel! Quelles
doivent être leurs angoisses à la pensée que le
fruit de leur travail est. exploité contre leur pa-.
trie! C’est une situation atroce à laquelle nous
986 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
compatissons de tout cœur. Maïs, au-dessus des
amitiés, il y a le sort du pays. Et, véritablement,
s’il est prouvé que c’est de ce coin que les Alle-
mands tirent, actuellement, une notable partie
du fer qu’ils déversent sur nous, s’il est prouvé
qu'en agissant sur ce point essentiel, on peut
rapper la guerre dans son âme, je suis sûr qu'ils
seraient les premiers à nous crier, commele
zouave héroïque : « Tirez! Mais tirez donc! >
- C’est à ce moment que M. Albert Lebrun dis-
--tingua, entre les parties du bassin de Briey
exploitées par les Allemands deux secteurs.
‘Il affirma que les Allemands exploïitaient, non
pas le bassin français, mais la région de la Lor-
raine allemande. : «

LA THÈSE DU COMITÉ DES FORGES


Cette explication donnée par M. Lebrun fut
développée dans un mémoire confidentiel remis
par le Comité des Forges au Gouvernement Île
0 avril 1917 : E ‘
-_ € Prenant la partie pour le tout, on a donné
le nom de bassin de Briey, fragment de la partie
française du gisement lorrain-luxembourgeoïs —
exposèrent MM. Théodore Laurent, Villain, Sé-
pulchre, et Fould, au nomdu «e Comité des
orges et mines de fer de Meurthe-et-Moselle >
— au gisement tout entier. On a, ainsi, laissé
ignorer au public que la partie de ce gisement.
constituée en Luxembourg et .en Lorraine an-
nexée, défendue par les canons des camps re-
tranchés de Metz et de Thionville, produit, à
elle seule, plus de 28 millions de tonnes de mi-
nerai de fer par an (exactement 28.469.000
tonnes en 1919 alors que la partie française
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 93}
occupée par l'ennemi ne produit, en temps nor-
mal, que 18 millions de fonnes. Ainsi inexacte-
ment documenté, le public ne s’est pas rendu
compte que c’est cette partie lorraine-luxembour-
gcoise qui alimentait, en temps de paix, la sidé-
rurgie allemande, et non point, comme on l’a
tant de fois prétendu, le bassin de Bricy qui ne
fournissail que 4 % du minerai consommé par
les usines d’outre-Rhin (1.560.000 tonnes sur une
consommation de 38 millions de tonnes). C’est
encore cette partie lorraine-luxembourgeoise qui
assure, à l'heure actuelle, pour la plus grande
part, le plein rendement des usines métallurgi-
ques allemandes. >
Le Comité des Forges ne croit pas devoir dis-
cuter la question de savoir pourquoi nos malheu-
reuses richesses sont restées, avant la guerre,
sans défense militaire : nous nous contentons
de déclarer que, dès le début des hostilités, nous
avons toujours fourni aux Etats-Majors de nos
armées tous les renseignements que nous possé-
dions sur nos usines. Il nous suffira dé dire que
les seules cartes qui existent aujourd'hui, don-
nant, au point de vue métallurgique et minier,
les détails les plus précis sur ces régions, ont
été dressées, depuis le début de la guerre, par
les soins du Comité des Forges de France sur
les indications et les documents que nous lui
avons fournis. |
Les premiers exemplaires de ces cartes ont été
immédiatement envoyés au général en chef ct au
commandant des armées de l'Est et nous ont
valu de leur part des remerciements pour l'envoi
de documents < du plus grand intérét ct qui sc-
ront, le moraent venu, d'une haute utilité ».
Enfin, répondant à l'appel pathétique, bien que
secret, de M, Engerand, le Comité des Forges,
le 30 avril 1917, déclarait : + Nos canons el nos
240 — LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —:
“Enfin, l'action militaire offensive contre la
région y est prévue. Un paragraphe C. traite de
e l’utilisation défensive du bassin ferrifère ». Il
-débute ainsi : e« Dans le cas où, pour reprendre
. la région minière métallurgique, il serait néces-
“ saire de procéder à une attaque directe. » .
. Et, comme si on avait voulu ne rien laisser
à l’imprévu, un dernier paragraphe traite de
& l'occupation des mines et usines >. On escomp-
tait, donc, le succès et les instructions données
à nos troupes en vue de son éventualité contras-
.tent singulièrement avec celles que reçurent et
."exécutèrent les Allemands. On y lit, en effet.:
e La première mesure à prendre sera d'obtenir :
Le respect absolu des troupes pour toutes ces ins-
‘tallations, qu’elles soient allemandes ou fran-.
çaises, » . .
Le Ministère de la Guerre et l'Etat-Major ne se
sont pas bornés à ces considérations générales,
insuffisantes peut-être pour guider les aviateurs,
les artilleurs ou les commandants d’unités dans
les actions qu’ils auraient pu entreprendre. Ils y
ont ajouté toute une série de cartes et de plans,
représentant un travail remarquable et consi-
‘ dérable; cartes détaillées et schématiques des ré-
gions intéressées, cartes des réseaux de distribu-
- tions électriques et des voies de communications,
cartes des chemins de fer,.et surtout plans mi-
nutieux et complets de toutes les usines impor-
tantes d’un côté et de l’autrede l’ancienne fron-
-tière, sans distinction, pouvant être utilement
* bombardées, avec indication des. parties vitales
de ces usines; hauts fourneaux, centrales vapeur
ou électriques, machines soufflantes, qu'il était
particulièrement intéressant d’atteindre.
Pour être juste, il faut dire que, dans cette
série, les installations de MM. de Wendel celles,
sises en France comme celles sises en Lorraine
annexée, figurent à leur place.
éme LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
-—— 94{
‘Il est donc incontestable que
la charge et la Tespon ceux qui avaient
sabilité des opérations
mili-
Thionville, qu’ils ont organisé
et l’autre. ct préparé l’un
- .
Les . Allemands s’attendaient-ils, eux -
‘bombardement de leu ,
Ce n’est pas douteux. rs mines et de leurs usià nesun.
?
lées qui ont eu lieu lesLes quelques tentatives iso-
ava ien t, malgré le
mis en éveil. Partout peu de
dégâts occasionnés,
sures de protection ava des me-, .
- Principales des machin ient été prises. Les pièces
par des revêtements bét es ava ien t été recouvertes
OUrNAUX, mis sons abrionnés, les silos des hauts
galeries pour le Person , de longues et solides
nel ont été creusées
tout, L'attaque éta
it donc par-
éScomptée par nos enn prévue par nous,
emis. -
Voilà un point nettem |
pourquoi a'a-t-on pas ent réglé. Reste l'autre :
sive? > Passé à l'exécution
inten- ©
| ot :
\

ON NE BOMBARDE PAS : POURQUOI? |


Le général X.. — porte-
‘:. Major français — parole du haut état-
va nous l'e xpliquer : il estime
que l'affaire de Briey :
. qu’on ne croit ».. est « beaucoup plus sim
ple
1° Pour défendre le.
-: lait construire des bassin de Briey, il fal-
for .
nous le permettait-il? ts : le traité de Francfort
L’A
pas élevé des protestation llemagne n’aurait-elle
s véhémentes? oi
2° Le bassin de -Br
des avantages straté iey offrait-il aux militaires
giques ou
tactiques?
” Le général X... répond
< Tou carrément : non!
s les ans, les profes
seurs.de PEcole Mi-
- |
16
249 ———— LES ÉNIGMES DELA GUERRE ———

. Jitaire Supérieure de guerre y conduisaient leurs


élèves. C’est le sol et ses accidents qui les intéres-
saient, et non le sous-sol. Le bassin de Briey ne
figurait pas sur le Badeker du stratège. Nos offi-
ciers n’ont pas subi, comme en Allemagne, les :
suggestions des industriels. C’était un petit coin
de terre pareil aux autres à leurs yeux.
— Maïs alors, pourquoi n'avoir pas détruit les
usines lorsqu'elles furent en marche? Avoir
arrêté le travail? - Lo
: — Voilà lä question sous son vrai jour — ré-
pond le général X... Et il répète sa formule : La
- guerre-est une affaire de conventions. Pendant
des siècles,la guerre fut un jeu magnifique et
terrible entre professionnels. On se battait sui-
vant les règles de l’art. Telle manœuvre avait-
elle réussi? L’adversaire. s’avouait vaincu. Et
puis, la convention a été foulée aux pieds du jour
où on s’est battu — pendant trois ans — de tran-
chée à tranchée, sans se soucier d’être tourné
ou
non! Mais, malgré cela, les conventions tacites
: n’en existaient pas moins. »

‘ ‘ © LE G.Q.G. EST TABOU

. De ces conventions, le général X... cite un nou-


vel exemple :°« C’est ainsi qu’on s'est, le plus
souvent, abstenu de bombarder les grands états-
majors lorsqu'ils n'étaient pas sur un lieu de pas-
sage. ou sur un point de concentration ferrée des
troupes. Lorsque Compiègne — à partir du 21
mars— reçui, toutes les nuîts, la visite des go-
thas, le Palais — où était installé le G.Q.G. —ne
reçut pas une seule torpile. Les Allemands bom- |
bardaïent la gare, les ponts sur l'Oise, les carre-
fours de routes : visiblement ils épargnaient le
Grand Quartier Général. » UT
QUELS SONT LES CRIMES DE MATA-HARI ?

Tout a été dit sur Mata-Hari.


Sauf ce qu'elle a fait. Lt |
J'ai la prétention d’avoir lu tout ce qui a été
écrit sur la célèbre « danseuse espionne »,-soit
ses vies romancées par Gomez Garillo, Charles-
Henri Hirsch, etc... soit les ouvrages documen-
taires dont le dernier en date : « La vraie Mata-
Hari > par notre confrère hollandais Charles :
Heymans, est certainement le plus documenté,
soit, enfin, ce qu’en ont écrit ses accusateurs:
deux pages du capitaine Bouchardon, rapporteur
de.son procès, dans la Revue de Gendarmerie, et
quatre pages de l’homme qui fit arrêter Mata-
Hari, le commandant Ladoux, dans ses æ Chas-
seurs d’espions-». os
Et je déclare tout net que je suis aussi avancé
qu'avant. Je ne sais pas ce qu’a fait Mata-Hari.
* Personnene sait ce qu’a fait Mata-Hari! Inter-
rogez un Français moyen, ou même un homme
averti. Posez-lui nettement la question : « Quels
sont les crimes de Mata-Hari? > I] n’en sait rien!
_ est convaincu qu’elle est coupable, mais il ne
sait pas pourquoi. Elle a donné des renseigne-
ments à l'Allemagne? Lesquels? | TT
174 — LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

*
+r

Vous avoucrez que cette énigme mérite d’être


élucidée, . ‘ |
: IH ya — je n'hésite pas à le dire — un intérêt
national, car, à létranger, et notamment en Alle-
magne, une campagne de réhabilitation continue
. en faveur de Mata-Hari, et contre la France,
- accusée d’avoir exécuté une innocente, que ses
‘défenseurs n’hésitent pas à rapprocher — à sa-
crilège! — de miss Cawell. |
. . Et, à mon avis, il n’y a pas de meilleur moÿen .
de mettre fin à cette campagne que d'ouvrir les
dossiers, et, documents ‘en mains,de prouver,
d’une manière irréfutable : e Mata-Hari a fait
ceci! Mata-Hari a fait cela! F... nous Ja paix! »

56, BOULEVARD rAsPAIL!


Malheureusement, ce point de vue — qui me
semble celui du bon sens — n’est pas partagé
Par les autorités militaires et: judiciaires qui
conservent le dossier de Mata-Hari, soigneuse-
ment cadenassé dans un coffre-fort secret, à
Pabri des investigations indiscrètes des repor-
_ters. =. _
.: Le dossier de Mata-Hari? Il est 56, boulevard
- Raspail, à la prison du Cherche-Midi, au siège
du Conseil de Guerre. 56, boulevard Raspail!
C’est dans cette prison sinistre que furent incar-
cérés le capitaine Dreyfus, le colonel Picard, et,
£
dant — Chacun son tour
Eadoux: tour! — le Je brave’ comman -
e très aimable gardien du
| Hari, le colonel Lacroix, à-qui dossi Mata-
ons ci-dessus, les partage. Malh j'expose Tes ra
est lié par le devoir Professionnel i
sement, ï
: LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 175 .

— Je regrette infiniment, mais il vous faut une


permission du ministrede la Guerre!
— de l'ai demandée. Et voici ce qu’il m’a ré-
pondu. (J'avais, en effet, demandé M. Porte,
directeur de la Justice militaire, communication .
_ du dossier de Mata-Hari) - °
& J'ai l'honneur de vous faire connaître que
les dossiers de procédure ayant un caractère se-
_cret, il ne m'a pas paru possible de vous auto-.
riser à consulter les documentsse trouvant dans
les dossiers des affaires d'espionnage instruites,
pendant la guerre, par les Conseils de guerre de
aris. » . Le
— Ah! vous voyez! — me déclare le colonel
Lacroix, Cela m'est impossible! Mes chefs vous
l'ont refusé! . LS
— Mais vous. l’avez, ce dossier, mon colonel?
. — Oui.. . :. É
— Vous l'avez étudié?
— Oui, Lo ot ei ‘
— Et alors, en toute bonne foi, est-ce qu’il
y à des preuves de sa culpabilité? -
Le colonel Lacroix me regarda : . :
:— H n'y a pas de preuves palpables, tangibles,
absolues, irréfutables, c’est certain! Et puis, ‘.|
contrairement à ce qu’on a dit, il my a pas
d'aveux! Elle n’a rien avoué. Elle a protesté de
son amour pour Ja France. Elle a déclaré qu’elle
était au service de la France comme au service
de l'Allemagne. »

*k

Ah! Ah! voici qui est troublant!


toujours douté. Mata-Hari l’a toujoursOn dit.
s’en était
- elle fut arrêtée par l’Inlelligence Service, Quand
senté par Sir Basil Thomson, chef du repré-
contre-
€Spionnage britannique pendant la guerre, elle
lui dit avec force : « Je suis une espionne,
oui,
17G -—- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

mais pour le compte de vos Alliés, les Fran- :


çais! > | ‘ |
s— raiso nnent ses défens eurs — si
.Et alor re
Mata-Hari était un « agent double », peut-êt
n’a-t-elle commis que des imprudences, Peut-
être a-t-elle livré aux Allemands plus qu'elle n'en
Richard,
. recevait," et c’est tout! Mme Marthe
célèbr e agent double , m’a avoué, avec une
notre
souriante franchise, qu’elle aurait pu, elle laaussi,
Ca-
Mata-Hari, sa carrière à
terminer, comme
plutôt que de la voir couro nnée par le
ponnière,
. ruban de la Légion d'honneur! .

‘UN RÉCIT DE M. BOUCHARDON


‘Donc, rien à faire : le dossier de Mata-Hari,
soie ans après la guerre, est toujours confiden-
iel! . ‘ -
_ Mais si nous nous tournions du côté de la
illustre
défense? On sait avec quelle passion son pour
, défen dit sa client e, la-
avocat, M° Clunet
quelle il nourrissait un amour véritable dont le
souvenir amuse beaucoup, aujourd’hui, M. le
“conseiller Boüchardon :
_. +-Je revois toujours ces deux robes — M€
confie l’éminent magistrat, qui me fait l'honneur
de me recevoir dans son austère appartement
de la rue de Rome : celle de Clunet et celle de
Mata-Hari, Elles s’affairaient l’une à côté de
l’autre : c'était un peu ridicule!
« Quand nous fûmes arrivés là-bas, à Vin-
cennes, c’est Clunet qui était chancelant et pâle.
Elle, elle protestait toujours de son innocence!
Le devoir de Clunet était d'accompagner jusqu’au
poteau sa cliente. Je le lui rappelai. | .
— Je ne peux pas! Je ne peux pas! — répé-
tait-il en sanglotant. Pauvre enfant!
Et il l’'embrassait longuement sur la bouche. -
248 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
À

. [ 4

- L’INTERNATIONALE DES TÊTES COURONNÉES

Cette solidarité militaire, plus forte même que


la haïne, se complète d’une sorte de solidarité
dynastique. : Le
‘ Par-dessus les tranchées, les armées et les
peuples en guerre, subsista, pendant les hosti-
lités, une forte et puissante Internationale des
Têtes Couronnées.. Se
‘ Si les Grands Quartiers Généraux ne se bom-
bardaïent pas entre eux, il en est de même des
palais royaux! Aucun roi, aucun chef d'Etat,
aucun général en chef, n’est mort à Ja guerre,
ni de la guerre, sauf ce maladroit de Kitchener.
- que d’aucuns croient victime de l’Intelligence
Service et de qui, l’impératrice Alexandra Feodo-
rovna fait cette oraison funèbre : e Raspoutine
dit que c’est bon pour nous que Kitchener ait
- péri, car, plus tard, il aurait fait beaucoup de mal
à la Russie.Et aussi qu’il re faut pas regretter
“qu'avec lui aient disparu des documents. »
.: Avec quelle indignation, par contre, la même
Tzarine écrit à son « cher petit garçon bleu »,
‘le Tzar : + C’est honteux, de jeter des bombes
: d'aéroplane sur la villa habitée par le roi Albert!
Grâce à Dieu, il n’y a pas eu de victimes, mais
je n'ai jamais su qu'on ait essayé de tuer un sou-
verain parce qu'il est l'ennemi pendant la
guerrel> . | |
Avec quelle âpreté elle intervient auprès du
Tzar pour ce pauvre Tino! « Nos diplomates
agissent d’une manière honteuse et injuste. Si
lon jette Tino dehors, ce sera de notre faute. Si
. tu pouvais obliger le Gouvernement français à
révoquer Sarrail, tout se calmerait Jà-bas- C’est
une abominable intrigue de la franc-maconnerie _
— à laquelle appartiennent le général français, :
178 ——— LES ÉNIGMESDE LA GUERRE —

Mata-Hari : Margucrite-Gertrude Zelle) demeu-


rant à Rotterdam, Rochussenstraat, n° 199.
Et, au nom des trois, le frère aîné m'a écrit
dans ce français approximatif :
e Comme frère ainé, j'ai le regret d'avoir à
vous dire que je n’ai aucune trace. C'est un grand
intérêt pour nous de dévoiler pleinement cette.
- affaire et je vous serais très reconnaissant si
;

vous auriez l’occasion de nous aider.


,« Moi, personnellement, je n'ai jamais cru que
ma sœur était coupable. Pendant le procès, j'ai
‘tâché de me mettre en relations avec elle, par
‘l'entremise d'un avocat de La Haye, mais, mal-
heureusement, sans résultat.
-e Aussitôt que la sentence a été prononcée,
j'ai demandé à notre ministre des Affaires étran-
gères de e me procurer une copie des accusations
portées contre elle, et de me faire savoir les mo-
tifs de la sentence. Or, le 15 février 1915, j'ai
-reçu une lettre de notre ministre me disant qu'il
était impossible de me procurer ce que je deman-
dais, que les démarches de notre ambassadeur à
Paris étaient restées sans résullat. .
« Je vous en supplie, Monsicur, si vous avez
du nouveau à nous apprendre, dites-le, car vous
- comprenez combien nous suivons avec assion
toutes vos recherches tendant à dire la vérité! >
7 Te de

La vérité! Pourquoi ne pas la dire toute?


Quelles puissantes raisons d'Etat s'opposent donc
à ce qu’elle soit dévoilée toute nue
Les frères de Mata-Hari me signalent ainsi une
nouvelle piste : l'Ambassade de Hollande à Paris
ui, entre la condamnation et l’exécution, inter-
vint, énergiquement, auprès de la justice fran-
çaise. | : .
85, Rue de Grenelle, au siège de l'Ambassade
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 179
néerlandaise, il y a, aussi, un dossier Mata-Hari.
Si. j’ailais le voir? : | |
Un aimable secrétaire d'ambassade me l'a mon-
tré. Il est très mince. Il y a quelques lettres de
lPespionne demandant de l'argent, et aussi l’in-
tervention du ministre des Affaires étrangères,
M. Loudon, qui, par une curieuse coïncidence,
est aujourd’hui ambassadeur de Hollande à Pa-
ris. Dans ces lettres, Mata-Hari protesté de son
innocence, Elle dit qu'elle est l’objet d’une ven-
geance. Elle paraît sûre de son acquittement.
Pourquoi? Parce qu’elle croyait à la puissance :
de ses hautes protections. Et, aussi, parce qu’elle
ne croyait pas que le-?° Bureau la brûlerait!
Et puis, il ÿ a autre chose, un nouveau mys-
tère. -C’est peut-être, la raison profonde pour
laquelle Je dossier de Mata-Hari n’est pas pu-
ié.….

LE MYSTÈREDU RADIO
On sait, aujourd'hui, que. si Mata-Hari fut
arrêtée en Espagne, c’est parce que le comman-
dant Ladoux lui a tendu un piège. Ayant de forts
soupçons sur elle, il fit semblant de la charger
d'une mission en Suisse, et, de là, en Allemagne.
Mais il réussit à la convainere que le plus sûr
chemin, pour elle, était. de passer par l'Espagne.
Pourquoi? Parce que notre service du Chiffre
avait découvert le code secret des correspon-
dances échangées, par radio, entre Berlin-ct le
chef du contre-espionnage allemand en Espagne :
Von Kallé. ‘-
. < Très certainement — se dit Ladoux — elle
ira, Si clle est au service de l'Allemagne, dès son
arrivée à Madrid, voir Von Kallé qui recevra,à
son sujet, des instructions. >
Ce n'était pas mal raisonné puisque les faits
180 — LES. ÉNIGMES DE LA GUERRE

confirmèrent cette hypothèse. Effectivement, le


général Cartier, chef du Service du Chiffre, capta
un radio, un certain radio visant l'agent H. 21
c’est ainsi que Mata-Hari était désignée par les
services de la fameuse Mlle le Docteur, la mÿs- .
térieuse directrice de l’espionnage allemand).
Que disait ce radio?
Ladoux, avant sa mort, n'a dit : .
. — Je n’en ai pas gardé le texte exact. Mais
le voici, approximativement: : « L'agent H. 21
vient d'arriver à Madrid : il a réussi à se faire
embaucher par les services français, mais il a
été refoulé par la croisière anglaise et il demande”
des instructions.et de l'argent. >.
Le récit du commandant Ladoux est-il exacl?
.— Non! — m'ont répondu très nettement cer
tains.de ses. collaborateurs que je ne peux pas
désigner autrement. Ladoux a commis des
erreurs dans le récit du piège qu’il a tendu à
Mata-Hari. Depuis longtemps, elle était signalée
. et suivie, notamment par M. H.…, officier avia”
teur, à qui le 2° Bureau délivra de faux certificats
de blessures et qui devint son amant. Il n’en tira
rien... : ON No

Comme les Anglais insistaient pour son arres-


‘tation, Ladoux fit venir Mata-Hari, lui proposa
de faire partie du 2° Bureau et d’aller en mission
en passant par Lisbonne et l'Espagne.
Là-bas, elle prit contact avec Von Kallé et
lui dit : « Je viens d’être attachée au 2° Bureau
français. > Von Kallé demanda, alors, son avis
à Berlin et Berlin aurait répondu par un radio
dont le texte diffère sensiblement de celui de La-
doux : € Bon agent d’avant-guerre. Ne nous a
rien donné depuis la.guerre. Versez-lui tout de
même 15.000 pesetas!:>
— Est-ce le texte exact? — aï-je demandé au
général Cartier. Le
. — Très sincèrement, je ne sais pas. Si je le
‘ :: Imprimé pour les ŒE
ÉDITIONS des PORTIQUES
sur les presses de l'imprimerie
HENRY MAILLET
3 et 3b5, rue de Chatillon, Parie

©7379 2-84
182
4 —_ LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——

- Voici l’homme qui l’a arrêtée : M. Priollet, qui


était, pendant la guerre, chef du service d’espion-
nage du camp rctranché de Paris et qui est, au-
jourd'hui à fa Préfecture de police, directeur de
a Brigade mondaine, qui a pour but de réprimer
‘Ja prostitution et le trafic des stupéfiants.
— Je me rappelle cet événement — me confie
M. Priollet, dans son cabinet de la Police judi-
ciaire — comme si.c’était aujourd’hui. Dés le
lever du jour, accompagné de deux inspecteurs,
je me présente dans la chambre occupée à PEly-
sée-Palace par Margucrite-Gertrude Mac de Léod,
née Zelle, et que nous avions dépistée comme
étant l’AgentH. 21. Le
_ Vous savez que sa présence à Paris nous fut
dénoncée grâce au déchiffrage d’un message en-
voyé.par T.S.F, de Berlin à Madrid et la priant
de se rendre, immédiatéement, à une ambassade
neutre, à Paris, pour y toucher une importante
somme d'argent en pesetas.
Nous entrons dans Ia chambre. Assise sur son
lit, elle est en train de prendre son petit déjeuner.
©: — Oh! monsieur le Commissaire — me dit
cette exquise femme du monde qui me connais-
Sait-bien — si j'avais su, je vous aurais fait pré-
parer un chocolat! _ ‘
. — Madame — répondis-je courtoisement : je
- mai pas coutume de prévenir de mes visites.
. — Permettez-moi, du moins, d’achever ma
toilette. Le :
Rejetant les draps, elle bondit hors du lit, dis-
paru, et revint peu de temps après. complète-
ment nue. | L
Pourquoi essaya-t-elle sur moi le fameux geste
qui réussit à Phryné? Je ne sais. En tout cas, sa
vue me laissa absolument froid, je réemarquai
que, par rapport à son buste, elle avait les jambes
. trop longues. Or,.je n'aime pas les femmes qui
“LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 183

“ont les jambes trop longues. Je la priai très


poliment d'aller s'habiller. -
— Vous ne devez pas avoir chaud — lui dis-je.
Nous étions, en effet, le 13 février.
. Elle s'habilla très docilement et revint au bout
d’un moment, toujours souriante, bien qu'elle
s'attendit à son arrestation. .
— Je sais — me dit-elle — que les messieurs
aiment les friandises : voulez-vous me per-
mettre? 7
Elle me tendit un casque allemand rempli de
crottes de chocolat et noué d’une faveur bleue et
rouge : c’étaient les couleurs russes.
— C'est mon ami, le capitaine Vadime de Mas-
seloff, qui combat sur le front français, à la
1 compagnie du 1® régiment russe, qui vient
de me les envoyer. :
J'acceptai, non seulement de prendre une
crotte de chocolat, mais aussi le casque dont elle
me fit cadeau en y ajoutant deux vases de cuivre
fabriqués à laide d'obus. . -
— Tenez — aouta M. Priollet : je les ai con-
servés précieusement dans ce placard!
— Mais — insistai-je — vous a-t-elle fait des
aveux?
— Non! aucun! Elle protestait de son nmour
pour la France. Maïs, ajouta, avec sce ticisme,
M. Priollet : ils disaient tous la même chose! Et
fous, dès qu’ils étaient pris, offraient leurs ser-
vices au 2° Bureau! >

MATA-HARI ET LE GÉNÉRAL MESSIMY

Si — pour le moment, du moins — nous ne


pouvons pas prouver ce qu’elle a fait, nous allons
pouvoir établir ce qu’elle n’a pas fait.
Parmi ses amis, clle comptait les plus hautes
personnalités militaires, politiques, et diplomati-
184 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
ques. À son procès, certains d’entre eux ont eu
le courage de venir déposer ou d’adresser au Pré-
sident du Conseil de guerre des lettres servant
de témoignagé. , :
. Les deux plus illustres témoins à décharge de
.:Mata-Hari furent M. de Margerie et le général
Messimy. Tous deux, en parfaits galants hommes,
déclarèrent que, jamais, Mata-Hari n’avait pro- -
fité de ses relations avec eux pour leur tirer I
moindre renseignement d'ordre militaire ou di-
plomatique. _- CT
‘ Le général Messimy, dont le nom a été, en
-particulier, prononcé dans cette affaire, n’a pas
hésité à me déclarer avec une netteté toute mi-
‘Jlitaire et une verdeur d’une extraordinaire jo-
vialité : _
‘— Mata-Hari? Oui, je l’aï connue. Pas aussi
intimement qu’on a bien voulu le dire, croyez-le!
Mais je lai bien connue. Depuis? Et le général
Messimy chercha dans ses souvenirs. Depuis
1906 exactement, grâceau Père Guimet, . mon
compatriote de Lyon, qui,le premier, .eut l’idée
de la révéler comme danseuse exotique. Elle dan-
sait merveilleusement. Elle n’était pas jolie. Elle
était autre chose. C'était une créature splendide
et-mystérieuse. Je la rencontrais souvent au bois
où je faisais du cheval. Elle me Jançait des sou-
rires engageants. Mais. je n’en tirais pas un
: orgueil excessif: je me doutais bien que ce n’était
pas à ma personne qu’elle en voulait, mais plutôt
à ma fonction, à mon prestige. Depuis, je me
suis demandé si ce n’était pas parce que J'étais
ministre de la Guerre. Car je l’ai été deux fois :
au moment d'Agadir et en‘août 1914!
€ Des amis me mirent en garde contre
contre cette terrible mangeuse d'hommes” elle,
était, surtout, une mangeuse d'argent. Elle qui me
bombardaït de lettres, d’invitations. Elle réussit
mème à s’immiscer dans ma vie. Elle est
venue
LES ÉNIGMES
DE LA GUERRE — 1859

ici, tenez, rue Bonaparte, où vous êtes. Elle a fait


connaissance de ma femme — ma première
femme — ajouta le général Messimy — car je
suis divorcé. . .
€ Un jour, je la rencontrai à Nice. Je réussis à
Péviter. Mais au casino de Monte-Carlo, brusque-
ment, nous nous sommes trouvés nez à nez.
— Oh! cher ami, que je suis contente de vous
voir! Nous allons nous promencr ensemble!
— Non, je regrette infiniment : je rentre à
Paris.
— Ah! Quand?
— Tout de suite! . |
« Eh bien! vous me croirez si vous voulez. Je
ne suis parti que le lendemain, et je l'ai trouvée
dans mon train! Elle était installée dans mon
lit-salon comme chez elle! Nous n’étions que tous
les deux. Et, mon Dieu, je ne sais pas ce qui
serait arrivé si, à Cannes, un ami à moi n'était
monté. Vo
e C’est un peu ridicule, n'est-ce pas, ce rôle de
Joseph que j'ai joué? Mais c’est la vérité! Il ne
s’est rien passé d'autre entre nous!
— Et pendant la gucrre,' monsieur le Mi-
nistre? |
— Ah! Dès les premiers jours de la guerre,
elle m’écrivit une longue lettre par laquelle elle
m'offrait, d’une manière assez vague, ses services
pour la France.
< Je compris, tout de même, qu'elle voulait
faire partie de notre espionnage.
< Je ne répondis pas. Elle récidiva, prétendant
que, par ses relations internationales ct sa con-
naissance des langues étrangères, elle pouvait
nous être très utile. Je transmis sa demande aux
services compétents. Qu’en ont-ils fait? Je ne le
Sais pas, car, vous ne l’ignorez pas : dès les pre-
micrs jours de septembre 1914, je quittai le Mi-
nistère. J'ai, tout de même, la conviction — et
186 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
mon brave ami le commandant Ladoux me la
avoué — qu’elle était au service du 2° Bureau!
. — Et qu'avez-vous déclaré à son procès?
— Je ne suis pas venu, car j'étais àu front.
Dans une lettre adressée au Président du Conseil
de guerre, je disais ce que je viens de vous rap-
peler, déclarant très nettement que, à ma con-
naissance, rien ne me faisait croire qu’elle pou-
vait être une espionne, ct qu’elle ne m’avait tiré
ou cherché à tirer aucun renseignement. M. de
Margerie.fit, je crois, la même déclaration. Mais
je n'ai pas su ce qu’on lui reprochaïit, ct je ne
e sais pas encore. .
_— Lui avez-vous adtessé des Îettres, vous,
monsieur le Ministre? | .
— Oui. :
. — Savez-vous quel parti elle en a tiré? On
nva affirmé qu’elle les a montrées à Mlle le Doc-
teur pour lui inspirer confiance.
— Cest bien possible! _
— C'étaient des lettres à en-tête?
—. Oui. - n
— Et signées? :
Ici, M. Messimy prit un temps, et me dit :
— Selon une vieille coutume à moi, que con-
naissent bien tous mes amis, elles étaient signées
de la première et de la dernière lettre de mon
nom — qui est long — y. Et je sais que cela a
fait une équivoque avec un de mes collègues,
M. Malvy? Séverine me l’a assez durement re-
proché!... »

MATA-HARI ET LA PRINCESSE GEORGE

D'après un bref communiqué officiel, publié au


lendemain de sa condamnation, le 25 juillet 1917
Mata-Hari a été accusée, d’abord, d'avoir livré
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 187

aux agents d’une puissance cnnemic des ren-


seiynements sur la politique intérieure. .
Comment des renseignements sur la politique
intérieure ont-ils pu entrainer la peine capitale?
Et quels sont ces renseignements?
Ladoux Y fait allusion : d'après le fameux
radio capté, Mata-Hari aurait indiqué, pour se
faire valoir aux yeux des Allemands, qu'elle con-
naissait € {es relations d’élroite sympathie qui
unissaient un homme d'Etat français X.. et une
princesse étrangère. » ‘
— C'est une plaisanterie! — me déclare
M. Maunoury, qui était, alors, directeur du Ca-
binc! du Préfet de police. Effectivement, dans
son dossier, il y avait une coupure du Cri de
Paris relative à un secret de Polichinelle — que
vous dissimuliez, vous, à la Censure, qui‘courait
les salons parisiens, et qui a mème cu son écho
aux Comités secrets — l'influence qu'avait, sur
Aristide Briand, la princesse George de Grèce,
née Marie Bonaparte. > :
Un secret d'Etat? M. Poincaré l’étale tout au
long de ses Mémoires!
Exemples : 1915 : e Briand, renseigné par
le prince et la princesse Gcorge de Grèce, affirme
d'il n'ÿ a aucun accord entre la Grèce ct la
ulgaric.. >»
1916 : e Tous les ministres ct moi, nous
cSsavons d'ouvrir les yeux à Briand sur Ja du-
plicité du Roi de Grèce. Mais il a fait déjeuner
c Prince de Serbie avec le prince Gcorge
princesse Marie, ct il croit tout arrangé! > et Ia
Jules Cambon me raconte : « Je parie que
‘Briand est allé déjeuner chez le prince George
de Grèce et qu'il met la princesse Varie au cou-
rant de Ja situation et qu'il la consulte. >»
Etc. etc. |
La Tzarine en parle également. Elle s'étonne
que la princesse George de Grèce ait pu, libre-
188 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

ment, aller de France en Suède, en traversant


l'Allemagne. : LS
Pourquoi? Parce que la princesse Marie et le
prince : George, son mari, recevaient du Quai
d'Orsay des missions confidentielles! On le sait
aujourd’hui grâce à la publication, par les bol-
cheviks, des documents diplomatiques secrets
russes."Le prince George de Grèce avait, notam-
ment, négocié l’entrée solennelle à Constantinople
d'un régiment grec ayant à sa tête le roi Cons-
-tantint |
Briand était furieux des bruits qui couraient :
e.Je sais qu’on prétend que mes relations avec le
prince et la princesse George m'ont aveuglé et
paralysé, et qu’on ajoute même à ces insinuations
des calomnies odieuses! »
Et il décidade vider l’abcès en Comité secret.
Sa grande ennemie : l'Action Française, avait
manigancé contre li un vrai complot. Très sou-
vent, Briand allait voir Ja princesse George dans
sa villa de Saint-Cloud. Et, comme il fallait assu-
rer sa protection, des agents le suivaient et se
postaient,en permanence, à la sortie de la villa.
Un jour, la Préfecture de police fut prévenue
- que l'Action Française avait organisé un acci-
dent, une collision d’automobiles, pour bien
prouver que Briand — « Tonton », comme l'ap-
pelaient, familièrement, les enfants de la prin-
cesse George —"allait la voir.
. Mais la Préfecture put déjouer à temps cette
manœuvre. ‘ - :
Et voilà ce que Mata-Hari aurait pu livrer aux
Allemands. .
Passons aux choses plus sérieuses : écoutons
les témoins à charge : -
———— LES ÉNIGNES DE LA GUERRE —-— 189

DÉCLARATIONS DU GÉNÉRAL BOUCABEILLE


+

M. Emile Massard, dans son livre : « Les


espionnes à Paris > met en cause, à propos de
Mata-Hari et du gouvernement hollandais. M. le
général Boucabcille qui fut, pendant la gucrre,
notre attaché militaire à Amsterdam, et, en même
lemps, à la tête d'un très important service de
Renseignements. -
— Je n'ai pas répondu à M. Massard — me
déclare le général Boucabeille, Mes chefs me l'ont
interdit par application de Ja loi sur l'espion-
nage qui nous inpose un délai de trente ans pour
loule publication concernant ces affaires.
Mais je puis, sans manquer à mon devoir, vous
raconter comment — Je jour même où j'ai pris
mon service d'atlaché militaire en Hollande —
mon attention fut attirée, au moment où j'exa-
minais les demandes de passeports pour la
France, par ce mot étrange : Mata-Hari,
Mata-Hari? Cela me rappelait quelque chose?
Je fis venir le policier qui s'occupait des cnquétes
de ce genre :
— Mala-Hari? me dit-il : une danseuse! Une
grue quelconque!
— Oh! alors, elle n'a pas besoin d'aller en
France! °
Et je lui refusai son passeport.
Or, le même jour, un autre document tomba
sous mes ÿeux. Pour nous rendre compte des
allées et venues des neutres, des ennemis ct aussi
des autres, nous découpions, dans la presse lo-
Cale, la liste des passagers empruntant, au départ
de Hollande, des paquebots. Êt qui est-ce que je
vis, ce jour-là, sur la liste? Mata-Hari!
Je fis revenir mon policier : « C'est ttrange!
lui dis-je. Elle nous demande un passeport porr
190
—— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —
aller en France,et elle s’en va à Vigo! C’est donc
qu’elle a un puissant intérêt à quitter la Hol-
lande. A aller en Espagne, et, sans doute, de là,
en France! : |
J'envoyai, aussitôt, un. télégramme à Paris.
Vous savez comment, parla suite, elle fut arrê-
tée. On me demanda un rapport sur l’activité de
Mata-Hari en Hollande. Voici Pessentiel de mon
rapport : : _
°: 1° J'établis qu'elle était la maitresse de Von
. Kraemer, chef de l’espionnage allemand en Hol-
lande. (Cela ne prouve rien : Mme Richard était
. la maîtresse de Von Kron);
2° Qu'elle avait reçu la mission de trans-
porter, en Espagne, pour les Allemands, des
moyens secrets de communication : codes, mou-
choirs, etc... | :
3° Enfin, qu'elle allait, en Espagne, pour y
négocier des titres belges volés par les Alle-
mands. ‘ | ‘ ’
..- — Une dernière question, mon général : on
. m'a affirmé qu'elle avait un complice! Un mysté-
rieux complice appartenant à ja diplomatie! Et
que c'était, précisément, à cause de ce complice
que la France et Ja Hollande refusaient, encore
aujourd’hui, de publier le dossier? »
‘7 Effectivement, d’après mon enquête, ce n’est
pas à cause du-radio ni du secret du Chiffre alle-
mand que l’on cache le dossier de Mata-Hari. Le
général Cartier, directeur du service du Chiffre
lui-même, m'a dit : « Mais non, il n’y a aucun
inconvénient à révéler, aujourd’hui, aux Alle-
mands, qu’en 1917, nous connaissions le secret
de leur chiffre! » Et san successeur actuel, le
colonel de France, m'a précisé que la série des
- radios Berlin-Von Kallé.n’avaient rien de confi-
. dentiels. - :
—. C'est à cause de la complicité d’un haut
diplomate — m'a avoué M, Bouchardon.
LES ÉNIGMES DE LA GUERNE —— 191
— Un Hollandais? lui ai-je demandé.
— Oui, |
EU. Le général Cartier, confirmant :
— Les Hollandais étaient coutumiers du fait!
De nombreux agents Hollandais, violant In nou-
tralité, {ransporlaient, pour le compie
de l'AI-
lemasne, des courriers secrets!
ELM, Maunoury, directeur du Cabinet du Pré-
fet de police m'a'dit : € Dans les filatures
Mata-Hfari fut l'ebjet, on remarqua qu'elledont
rendait, souvent, dans une maison où se
se {trouvait
un service du consulat de Hollande. On
qu'elle recevait de l'argent par ce canal, el pensait
envoyail
qu’elle
ses notes, Mais ce n’est qu'une hypo-
thèse! »
Hypothèse contre laquelle proteste, mais sans
autre précision, l'Am assade de Hollande 4
Paris.
Hypothèse que, seul, M. le général Boucabc
peut confirmer ou infirmer.. ille
Je lui pose carrément la question :
— La complicité directe d'un diploma
andais? Je ne crois pas. Elle utilisa, te hol-
ment, la valise diplomatique, pour faire certaine
de France en Hollande, où résidait parvenir,
Cérrespondance. Mais, cela, c'était sa famille, sa
Ceile correspondance régulier. si
était familiale,
positte CE Vraisemblable, c'est qu'elle Ce qui est
3 Comilatance des abusa de
représentants hollandais à
Paris, 4 leur ineu el en leur
dois vous dire que, d'une manière complicité. Car je
Gouvernement hollandais en énérale, le
montrait {rès cor-
rect. Il interdisait, formellement,
tristes de participer, de prés 4 «es como
ou de loin, à l'es-
fionnate ennemi.
192: LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

CE QUE DÉCLARE M. BOUCHARDON

Continuons notre instruction. Nous voici de-


. vant celui qui en fut chargé, de cette instruc-
tion, officiellement : M. le conseiller Bouchardon.
— Le dossier Mata-Hari? Il est tout petit :
comme ça! (Et M. Bouchardon m’indiqua, entre
le pouce et l'index, l'épaisseur d’une mince
| pincée.) |
Quand M. Mornet se leva pour requérir, voici
comment il commença : « Messieurs, je n'ai ja-
mais élé aussi embarrassé. Pourquoi? Parce que
rien n'est plus difficile que de démontrer que
deux et deux font quatre! ». La culpabilité de
Mata-Hari? C’est deux et deux font quatre! Elle
a recu de l'argent de l'Allemagne! .
— Oui, monsieur le Conseiller, mais si elle en
a reçu, également, de la France? ‘
—. Bien sûr!'Elles disaient toutes cela! Elles
recevaient de l’argent de tous les côtés,-ces man-
geuses d'hommes! Elle couchait avec des offi-
ciers supérieurs! Avec des diplomates! Elle a
. dépensé un million-or! D’où le tenait-elle? Con-
naissez-vous ses relations avec le grand banquier
Rousseau? Elle l’a ruiné! .
- : — Soit! Mais ça ne prouve pas sa culpabilité!
Qu’a-t-elle fait? ° .
Ah! Ah! voyez le dossier! :
- — On le cache! . ee
— Voyez la plaidoirie!
— Elle a disparu!
—. Oh! au’ reste — ajouta M. Bouchardon —
elle ne vous aurait rien appris! Clunet n’avait pas
vu le dossier. Il plaida dans les nuées, en mys-
tique. C'était un croyant! Et sa cliente? Un ange
de vertu! -
- Il l’aimait, n’est-ce pas?
TT LES ÉNIGMES DE LA GUERRE — 193
— Je ne sais pas, En tout cas, il lui
loujours le bras. Et c'était bien ridic donnait
Propos, vous savez ce qu’on vient ule! Ah! à
dans le département de l'Indre? de découvrir,
pas Hollandaise, que son charme Qu'elle n'était
une duperie de plus! Que exolique était
mentunc fille D. avant passé c'éta it tout simple-
à Buzancais (Indre)
Une partie de sa jeunesse où elle
Mme Rousseau. > se faisait appeler

Manifestement, M. Bouchardon,
agisirat, en très habile
cherche à détourner mon attention.

INTERVIEW DE M. MORNNET

Son collèvue, M. Mornel, est moins initié à Ja


lcchnique du cuisinage.
— Oui, deux ct deux
ainsi que j'ai commencé font quatrc! C'est bien
mon réquisitoire! Je la
revois, loujours, devant
rable comédienne. Oh! cllemoi, C'était une admi-
n'élait pas jolie, mais
te avait le « je ne sais quoi
mystere el de l'exotisme : le sez » © prestige du
on dil aujourd'hui! Elle nous appeal, comme
les plus précis sur < Le grand donnait les détails
disait, qu'elle em Hoyait dans jen > comme clle
cxCcplionnelles, Vous save ‘les circonstances
surtout, dans les milicux Miliz qu'elle travaillait,
sades! Elle séduisait les offi taires et les ambas-
une facilité d'autant plus ciers supérieurs, avec
élit plus avancé. Elle se grande que leur âge
dé > un pénéral price vanta d'avoir « pos-
< les grandes inlimités 3. 1]à ce qu'elle appelait
li. je ne sais quels talents fallait entendre, par
C'était, Céalement,
spé ciaux! >
des crises de nerfs provune éminente spécialiste
oquées. Combien de fois
13
, 194 — Les ÉNIGMES DÉ LA GUERRE —
lui ai-je dit, au cours des audiences : « Je nc
parlerai que lorsque vous aurez eu votre crise.
Allons! Dépêchez-vous! » .
Et elle Favait!… . .
—— Oui, mais des preuves, monsieur le Conscil-
ler? En aviez-vous en mains! | |
— Nous avions des chèques — me répond,
‘ avec une grande énergie, M. Mornet. Nous avions
des documents bancaires. En dix-huit mois, elle
a reçu 40.000 marks-or. de l’Allemagne, à une
époque où le mark valait 1 fr. 25!
., — Et de la France? Est-ce qu’elle en a reçu de
l'argent? | .
— Je ne sais pas. Elle a demandé à faire partie
- de nos services. Elle aurait pu en être. Elle avait
entortillé un officier supérieur Français qui fit
Spécialement le voyage de Madrid à Paris pour
venir diré au Ministère, avec ravissement : « J'ai
fait connaissance, à Madrid, d’une femme!
D'une femme exceptionnelle. Elle peut nous
- rendre des services considérables! > :
Alors, on lui mit sous les yeux, à ce brave mili-
. taire,des documents — c'était un peu avant son
arrestation. —'J1 en fut assommé, et, l'oreille
basse, il reprit le train pour Madrid.
— Mais, enfin, monsieur l'Avocat général,
qu’a-t-elle fait? A-t-elle avoué?
— Non, elle n’a pas avoué. C'était une spécia-
liste des renseignements de sous-marins.
— Mais encore! ‘ Fe
. — Ëlle signalaït aux Allemands
tous nos cour-
riers maritimes. Elle a, très certaineme
torpillages sur 11 conscience... nt, des
— Mais ’
pourquoi ne le dit-on Pas? Pourquoi
cache-t-on le dossier? Ce n'est pas Ie Chiffre
n'est-ce pas? T b à ,
— Non : les secrets du Chiffre : ‘ou:
d'hui des secrets de verre. Sont aujour-
— Alors, des complicités diplomat
iques?
ee LLS ÉNIGMELS DIS LA GUENME = 195
M, Mornet sourit, ct se récusa :
-— Oui, je crois qu'elle n'a pu opérer que
prüce à cerlaines imimunités.. Lille ne pouvait
rca oir À Paris de l'arsent de l'Allemagne que
par l'entremise de l'Ambassade, Des documents
€ prouvent, EU nous ne voulons pas avoir d'en-
nuis avce Ja Hollande, N'est pas vrai?
Et, d'accord avec M. fouchardon, M. Mornct
conclut :
— Elle a été mal défendue, Sa dernière vice-
lime, ce fut son avocat. Pauvre Clunct! »

NATACHAINE EX HELGIQUI

J'af suivi Ja piste de MatacHari en Helrique,


Car ce fut un de tes plus actifs (héätres d'épée
rations,
À Bruxelles, j'ai té reçu par M, Hrarsine qui.
lors de la déportation du boursmestre Adolghe
Max, en remplit Les fonctions.
— J'ui formellement refueé d'être nommé
boursineutre par les Allemande, comme ils me
Pont demande — qe raconte M. Hrasine, Main
je n'ai puise refuter, dans V'intérél de mes coine
patriotes à assumer Ja Diniton entre l'auterité
inilaire afemande ct cuve, Je dois 4 Ja \erité de
dire que Les ousersenrs allemands de Hrurelles
Ont CE d'ute parfaite correction,
Cest dans Pesercie de ques fenclions que je
fn fr ecsnnicanre de Mutacflars C'tad une
fessier citiordissirement eduitunte ct
daniereute, Je Vi seuse nt rencontrée la Kane
mluntur alieriinde, rue de la fi où elle
oet phase
+

née de ou fu tite
irinande, fluseurs d'entre eux datent,
Sterne, Pile sénctrant, griee Leur,
eiiert à la prison SuintGites 4 élan
‘ tés Lolites et fraricais, fie
7 196 - LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
se présentait à ces malheureux comme étant, elle-
même, une victime des Allemands. Elle entrail
dans leur cellule où elle jouait le rôle de « motte
. ton ». Ensuite, elle venait près de moi pour m'in-
* viter à lui communiquer des renseignements.
.,.+ Dites-moi ce qu'ils ont fait, insinuait-clle
J’interviendrai aupres de mes amis Allemands! .
Mais je me méfiais terriblement d'elle! Je »
lui répondais pas, : ne
— Vous a“t-elle dit qu’elle était attachée
2° Bureau français? au
. .
— Oui. Mais, malgré cela, je me tenais
défensive. sur la
Elle avait une façon de croiser
jambes! lex
Et puis, elle était trop familière avec
Behrens, le célèbre banquier de Hambo
était chef de détention à da prison Saint-urs qui
— Avez-vous eu la preuve de sa trahiso Gills)
melle? n for.
:
. — Le commandant Ladoux, au
avait donné les noms de six agents départ, Jui
‘auxquels elle devait rendre visite,
en Belgique
et dont cine
étaient suspects au 2° Bureau,
car ils ne lui don.
naient que des renseignements
trouvés. Le sixième était un agenterronés OÙ ccn-
lant, à la fois, pour la France etdouble travail.
pour l'All
magne. Or, quinze jours après son départ,
double fut l'asent
fusillé par les Allemands : jes cin}
autres ne furent Päs inquiétés.
Comme
Hari était seule à connaitre leurs noms, Matae
trés vraisemblable que c’est i] et
les Allemands. Elle donnait, elle qui a renscisn£
reau, deux autres certitudes de ce fait, au à à.
cinq agents non inquiétés : la Première, que les
au service de l’Allemagne, étaient exclusivemen!
sixième, qui donnait et la SCconde, que
de faux renscignemont le
. Ja France, trompait ésalem ent l'Allemagne 3
d’une tierce uissance dNea
qu’il était au service
cn eûmes
bientôt 1a preuve Par lntell
vice qui informa le 2 e Bureau igence Ses.
qu'une
, to espionne
DIN ÉNICUIA pi ta cn in
ietsnde du nets de Matallars avait brûlé
culs tédentaires en Bcliique. un
J'ai loufeurs eu l'idée que c'est clle
a até 4 PAlemasne Franck qui
et Hachkclinana, fu
tft 4 Anve rs, pas Je n'en al jamais
j'en
eu la
N'étetaotn pas fatersenu dans J'affaire
Cas)? deinandaiie, OUT
racine en Jui désienan Âerininer, À
t hi tour con pore
it Léatant en donne place
eur un mur, au ante
tr fous des Pilies el Fran
cais fueittés
Non pus ditecteinent, grais Ji
Attente centnbué
Jéietute, On n dit qu'un eold
rise fs een a
de Purnler auss
AN ir tefuté de Lireg eur Miea iCancété fuullé
MUC tit aurait té
ll ct que
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5 la,
PA
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ire sd nver J'anterité Alle


rsande, nous avons
Te 4 des eshinssatione et
j'eus Dientt Ja
coite Jus der saut été cher
s quitise Jeune
Veséestis de trie Cuseit, Je ju ureunis
Le ue fuites chatsé de
Irllunde et
effeiel qor
tes Vettres
Petitritees,
ists
tiients, Jl fit ace.
î rjnepal etant sss acute
:.
Ut Ur su frise 4 et estate
4

‘198 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

: — Mata-Hari est venue lui offrir ses services.


Elle demanda son avis à son chef, le colonel Ni-
colaï qui lui dit : « Mettez-laà l'essai! » Les
en effet, soumis à toute
candidats-espions étaient,
“une série d'épreuves et d’examens. C’est la mé-
thode. expérimentale allemande! |
Mata-Hari fut mise en rapport avec les milicux
- Jes plus divers. Elle exerça ses-talents de séduc-
tion. Elle joua la comédie de l’espionnage. Bref,
ellé fit des répétitions générales de son métier.
Mille le Docteur en fut satisfaite et remit un
rapport assez favorable à Nicolaï. Mais quand
Mata-Hari exerça, réellement, son métier, Mlle le
Docteur éprouva une vive déception. Elle nom-
ait Mata-Hari e Un obus qui n'éclate pas! > Et
- lorsqu'elle fut prise, étant alléeen Espagne, mal-
. gré Mile le Docteur, et poussée par des besoins
d'argent, Mlle Schragmuller déclara :°e Nous
en avions tous assez! Oui, nous tous : Français;
Allemands, Anglais. Et nous avons, tous, ap-
plaudi au courage du capitaine Ladoux qui nous
en a débarrassés! » .

- T7: ‘ :. A VINCENNES
-* Qu'est devenule corps de Mata-Hari?
Elle est, la-bas, à Vincennes, au Nouveau Ci-
metière, pas très loin de la Caponnière où elle
est morte. | -
Le peloton d’exécution est composé de zouaves..
. L'un d’eux, tin jeune « bleu » de vingt ans,
tombe; soudain, évanoui sur le sol. Les onze
autres l’ajustent. Mata-Hari refuse de se laisser
bander les yeux. Elle regarde ses exécuteurs dans .
le blanc des yeux. . :
. Au moment mênie où le sous-officier com-
mandant le peloton lève le sabre et s’écrie : « En .
joue! >» elle agite la main dans un dernier geste
‘LES ÉNIGMES .DE LA GUERRE —— 199
d'adieu vers l'aumônier, vers la supérieure de:
Saint-Lazare, et vers son vieil avocat!
Est-ce ce geste féminin
hommes du peloton? Un fait qui cxtr
intimida les
produisit, Les soldats, qu n'étaient aord inaire se
de, Mata-Hari, manquèrent,
qu’à dix pas
presque tous, Jeur
ut.
Volontairement? On ne le
Cas, sur les onze balies, trois croit
seul
pas. En tout
gnirent, et une seule traversa emen t Vattei-
balle-là qui détermina la mort le decœur. C’est cette
Mata-Hari..
Si cette balle n'avait pas atteint
aurait son but, il
fallu reco mmencer l'exécution!
tomba, la tête inclinée sur la poitrine. Elle
Alors, on vit le spectacle le ‘
qui soit. Devant son corps, dans Îaplus pathétique
boue, les reli-
gicuses et l’aumônicer se prosternèren
quant Dieu! t en invo- |
. | /
*
**

: Je demande au conservateur
du Nouveau Ci-
metière de Vincennes : ‘
— Où est-elle? .
| :
t avec son impassibilité professionne
— lle : _
Là! Elle a été jetée dans cette fosse
Mune, aussitôt après l'exécution. com-
Gertrude Zelle dort sous cette herb Marguerite- .
temps que quatorze autres espions. e, en même :
— Mais — insistai-je— il n’y a pas de US
Il n’y a pas d'in croix?
dication? - :
à
— C’est défendu! L’annéc dernière
glais sont venus ct ont manifest , des An-
d'édifier un monument commémor é l'intention .
atif, mais on
leur a refusé l'autorisation. C’est
défendu! ? répéta énergiquementledéfe ndu! C’est
Gard
Morts... ien des
Fo
POURQUOI LEON DAUDET
© FUT-IL ARRETE ?

Car M. Léon Daudet fut, pendant la guerre, .


mis en état d’arrestation.
Oh! pas pour.lon gtemps! Pour vingt-quatre
heur
es seulement -
Le 30 octobre 1917, M. Poincaré reçut
par laquelle M. Charles Maurras lui révélune lettre
ait qu'à
la suite de deux articles publiés par M.
Daudet, dans l’Actition Française, Léon
ils
fous les deux e mis pendant vingt-quatreavaien t été,
Aux arrêts par la police ». N heures, .
.

,*.Ne pas’ parler d’arrestations possibles à


le Action Française », telle est la consigne que
Nous recumes, à la Censure, au moment de l’Af-:
faire des Panoplies. Et, à l’époque,
nous avons
OUS cru qu’il s'agissait de cette ridicule histoire
de complot contre la sûreté de l'Etat connue sous
le nom d’Affaire des Panoplies.
Fi
Mais il y avait autre chose!
Lorsque M. Malvy comparut en Haute-Cour,
Un sénateur. juge interpella, soudain, en ces ter-
mes, un témoin important : M. le colonel Goubet,
ancien chef du 2° Bureau DS .
— À la-Commission d’enquête, M. le colonel
Goubet a déclaré qu’il avait demandé Varres-.
202 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

tation de M. Léon Daudet. Je voudrais qu’il nous


dise dans quelles circonstances et pour quelles
causes. » . : = - ‘
* MA:le colonel Goubet, soudain très embarrassé :
— Nous avions remarqué...
. Puis, s’arrêtant brusquement : -
— Messieurs, je vais être obligé de parler
d’une affaire dont je ne puis parler publique-
ment. ee. . à
Alors, un grand nombre de sénateurs deman-
dèrent le huis clos. I} fut prononcé. :
C'était le 23-juillet 1918. M. Léon Daudet, rap-
pelant . cette audience secrète, ironisa en ces
- termes : . L
_— Cest Painlevé qui, flanqué de son Goubet,
a communiqué ce délire au Sénat, dans une
séance à huis clos. :
Que fut-il dit? Pourquoi ces secrets? Quelle est
cette énigme?

L'ALOUETTE BRÛLÉE

Le 31 juillet 1917, l'Action Française publia —


seule dans toute la presse — un article daté de
* Saint-Sébastien et intitulé :-e Un accident inté-
ressant ». ‘
< Îl nous revient d’Espagne une nouvelle qui
paraît jeter une vive lumière sur le fonctionne-
. Iment de l’espionnage allemand entre Paris, Saint-
Sébastien et Carthagène.… | °
* Nous lisons, en effet, dans le FZeraldo de Ma-
drid, daté du 8 juillet, que, dans un récent acci-
dent d'automobile, survenu près de la-frontière
franco-espagnole, il ÿ a eu quatre blessés graves.
Ce sont : MM. Hans Von Krohn, capitaine de
corvette de lPétat-major allemand: Davoicheny, .
Joseph, propriétaire, né à Gori (Russie) ct natu-
s

LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 203


ralisé en France; Ernest Reny, chauffeur,
ct, E
enfin, Mme Vve de Richer, née Marthe Betenfcld,
née à Blamont (France). oo
Apprenez, maintenant — continuait l'Action :
Française — que M. Von Krohn est le grand maî-
tre de l’espionnage allemand ex Espagne. C’est
lui qui organise les torpillages sur les côtes d'Es-
pagne. On ne sera päs étonné. de mon insistance
à m'enquérir des personnalités des trois com-
pagnons du chef d'espionnage boche.Il n’est pas
impossible de savoir qui sont exactement MM. Da- .
voicheny Joseph, et René Eënest.
Et Mme Veuve de Richer, née Betenfeld. Est-il
impossible de savoir quel était le but du voyage
en Espagne de cette femme et de ces trois
hommes? » Fe JL
Ce premier article, qui n’attira pas spéciale- -
ment l'attention de la Censure, fut suivi d’un se- :
cond daté du 11 août 1917, où Léon Daudet dé-
clarait : : ‘ et
& La Sûreté générale n’a pas répondu à mes
questions concernant Von Krohn et Mme de
Richer, Pourtant, on me signale que le commis-
saire du Boulou, où.la veuve de Richer se fit
fortement remarquer, pourrait donner des ren-
seignements sur cette mystérieuse personne qui
se recommandede M. Maunoury, directeur du :
Cabinet du Préfet de police.
* Que fait-à Madrid cette femmeau visage dur
et qui porte des ‘habits d'homme? Elle s’est fait
remarquer à Madrid de l'allemand Von Krohn,
puis survint DavoichenyCes . trois personnages :
sont restés enfermés des heures entières. Les
journaux madrifènes ne parlent pas de cette
affaire, mais un Français curieux a appris que
. Mme de Richer a traversé la frontière en fraude,
qu’elle a eçu un télégramme de Davoicheny
€ Je suis sans nouvelles, Que faire? Venez! » :
. i.

204 —LES ÉNIGMES DÉ LA GUERRE


Et le ‘commissaire du Boulou a été intimidé
‘par la menace des puissants amis de Mme de Ri-
cher. »° :
ce
sx

Les < puissants amis » de Mme de Richer —


alias Mme Marthe Richard, l’ « espionne au ser-
vice de la France » dont le commandant Ladou
a retracé toute la carrière, couronnée par x
le ru-
bon rouge de Ia Légion d’honneur — n'étaient
autres que ses chefs du2 Bureau. .
«Cette indiscrétion — note-le commandant
Ladoux —— et cette indignation, d’ailleurs,
com-
préhensible, nous a alors fortement
me demandais moi-même à quoi corregênés! Je
spondait
.
cette expédition nocturne, sur les suites
. uelle la presse espagnole et les journaux defran-
la-:
çais se turent avec un parfait ensemble,
excep-
tion faite pour l'Action Française. >
Quant à Mme Marthe Richard, elle m'a racont -
qu'ayant é -
eu, récemment, l’occasion de rencon-
trer dans un salon M. Léon Daudet,
clara à brûle pourpoint : « Si je suis elle lui dé-
en vie, avouez que ce n’est pas votre aujourd’hui
faute! »

L'AFFAIRE RATIBOR
Le 2 octobre de cette année,
façon, une affaire qui provoqua éclat a, de la même
une émotion dont
le général Cartier, et son succ
France, n’ont Pas perdu le esse ur, le colonel de
souvenir : l'affaire
Ratibor. . 0
M. le général Cartier m’a raconté comment
cryplogrammes allemands captés
les
militaires, par nous —
diplomatiques, navals, aériens,
— étaient etc.
immédiatement. traduits et
ans les conditions recopiés
de secrets les plus minu-
teUses.
°
LES ÉNIGMES DE LA "GUERRE — 205
Quatre copies seulement en étaie
pour le Présiden nt faites: Une .
t de la Ré ublique, qui, ponc-
tuellement, anxieusement, aque matin, les étu-
diait, les confrontait,. les’
annotait: (c’est, en
grande partie, grâce à elle que
aujourd'hui publier ses MémoiresM.). Poincaré peut.
Président du Conseil: une Une pour le
Affaires étrangères: une pourpour le ministre des :
Général, le Grand Quartier
| . ., Fe
Or, un jour, en 1918, 7
général Cartier, directeur
Mandel téléphona au
du Chiffre :
— Etes-vous sûr, mon géné
dist ral, d’avoir bien
ribué vos Quatre copies?
— Maïs oui, comme à l'ordina
ire! |
— ‘1 en manque une. Savez-vo
— Non. : .
us où elle est?
ee ee
— À l'Action Françaisel .
On fit une enquête. |
- Communiquée à l'ActionC’était exact. Elle avait été
taire, membre de ce PartFrançaise par un secré-
frappé. i, qui fut durement
| M
- Que n’avait-on agi plus ei
Je signale, ici, d'après tôt! cn
les déclarations de
TT
M. Georges Lefenestre,
dir
€ police, qui appartint ecteur à la Préfecture
M. Léon Daudet a demand au 2° Bureau, que
é, à plusieurs reprises,
:

* _IMPRUDENCES

Le 11 avril 1917, Léon Daudet, dans son


nal, parla, à mots couverts, dans l'Ac
jour-
Çaise, de « certains ‘échanges tion Fran-
de cor
dont ont eu vent, comme moi, ceurespondance
chargés de la Défense National x qui .sont
Cette allusion — sans dang e’ ». |
er à condition
206 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
u’elle n’aille pas plus loin —- était faite à propos
e l'affaire Gaston Routicr. :
En Espagne, près du prince Ratibor et près
de l’attaché naval allemand Von Krohn, évoluait,
à cette époque, un Français (très probablement
un agent double) Gaston Routier, qui proposait
‘ aux représentants de l'Allemagne de fonder, avec
leur participation, un journal pacifiste : le Jour-
nal de la Paix. .
Le Chiffre vient de « décrypter. > un radio alle-
mand secret d’où il ressort que Routier va venir
en France, à Hendaye, visiter sa femme, infir-
. mière-major à l’hôpital. Léon Daudet, qui l’a su
‘=— on devine grâce à quelles complicités — saisit:
l'occasion de sommer les autorités d’arrêter ce
- misérable Routier lors de son passage en France.
Se figure-t-on bien le tracas que peut donner
un article pareil à la malheureuse Censure?
-. L’échopper? C’est faire hurler Daudet que
. nous sommes de mêche avec le « traître Malvy ».
: Le laïsser passer?-C’est apprendre aux Alle-
mands que nous lisons leurs télégrammes confi-
dentiels! | : 7
Le Bureau de la Presse, entre deux maux,
choisit le moindre. Artistement « découpé 5, le
papieren question paraît. Il ne contient plus
d’allusionsà Routier, à ses agissements, ni à. des
déplacements. Peut-être que s'ils l’épluchaient
de plus près, les Allemands se trouveraient aler-
tés plus qu’il ne le faudrait sur l'Espagne. Ils ne
._de font pas : ils ne le sont pas. Daudet, natu-
rellement,. nous traite de « malfaisants com-
plices >. L'essentiel, c’est que, pour quelque
temps, nous lui faisons lâcher son dada.
Pourquoi le renfourche-t-il trois mois après?
Quelle mouche l'a piqué? En août, il « remet
ça » g des termes aventureux. .
€ On se demande comment et pourauoi
M. Malvy, ministre de lIntérieur, et Ë Sûreté
— LES ÉNIGMESDE LA GUERRE —— 507
générale, dûment avertis de ce ue .tram
concert Gaston Routier et Von Krohn ent de
lignes censurées) ne font rien. (ici, cinq.
J’ai averti Ma- |
ginot. J'ai signalé au ministre patri
inaire impunité dont jouit Gaston ote l'extraor-
Routier. » .
Cette expression. « extraordinaire
— que la censure laisse subsister — impunité >
une bourde signalée. Des gens averti était, déjà,
vaient-ils pas supposer que cette sne pou- .
traordinaire provenait du fait que impunité Ex- ..
Routier était
TT

notre agent, ce ui le livrait immédiatement


représailles de aux
Von Krohn? ” -..
u moins, était échoppée lallusion i
nait cinq lignes — au fait que nous — qui te-
les allées el venues de Gaston Routi connaissions
radios allemands. er grâce aux
: - :
Ce soir-là, le Bureau de
fait son devoir. Mais ce devoilar, Presse a encore :
semaine,
de semaineen
va devenir de plus en plus difficile. .

30 SEPTEMBRE 1917 . LL .
Echopper Daudet? C'est l'ordre d’un
tremblant ou d’un Bonifas
Painlevé
énervé! Mais on.
comprend que, à Poccasion,
un cens
que Buloz — de l’équipe Mercier — seeur hésite,
“ FeSponsabilités en suppriman sente des
tout le-papier de Daudet surt, le 29 septembre,
D'autant que l’hypothèse Rout «
ier. :
n’effleure même Pas notre agen t double >
espr
Le malheur, c’est qu’à Dau it. 7
det lui-même, per-
Sonnc, semble-t-il, ne la Suggère.
Sa colère devant un échopp Imaginez donc
tient plus. La rage létouifrage si brutal. I n'y
craie dévolu, lui seul, au salue.t dePossible qu'il se
on empêche de faire la lumière! la France! Ah!
nion! . d'alerter l’opi-
L
D'où cette idée folle de frapper un / Le
coup, de
: 208 ——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
=
mettre les points sur les i. Voici le texte qui nous
parvient dans la nuit du 30 septembre (mais-non
pas signé Daudet, ce qui aurait attiré l’attention)
et très tard, après minuit, et dont on réclame le
visa comme d’un filet de peu d'importance, et
“qu'on est peut-être décidé à publier, en tout cas!
Voici, dis-je les lignes capitales d’un article
< Crimes contre la Patrie >» (titre bien trouvé) :
que, par une aberration inouiïe, un de nos ca-
marades laisse passer. ® -
« Des télégrammes échangés entre le Gouver-
nement allemand et le prince de Ratibor, am-
bassadeur de France à Madrid, ont été saisis.
L’ambassadeur y indique au chancelier qu’il a
accepté les propositions qui lui ont été faites par
Gaston Routier. Lé marché de trahison est
conclu et lapparition du Journal de la Paix est
imminente. . ee
‘ Le prince .
de Ratibor est autorisé à assurer
3.000 pesetas par mois à Routier, à condition
“son journal puisse passer en France et y être que
tribué. » dis-
|
Vous avez bien lu! Ces phrases sont,
mêmes, d’une précision qui confond. Que ensera-ce
elles-
pour ceux qui constatent. qu’elles sont emprun-
tées mot par mot au radio allemand secret. de
la veille! Emotion du Grand Quartier! Stupeur
des Affaires étrangères! Painlevé'est assailli,
lit, par de terrifiants coups de téléphone. au
même met
Lui-
en branle le Bureau, la Préfecture
olice. On de
fait saisir, dans tous les kiosques,
es numéros de l'Action Françai
se : on avise
-toutes les régions, on tente l'imposs ible, par la
bonhomie et Ia menace, dont
Nusillard alterne
en maître, pour empêcher Ia reprodu
passage. Le capitaine Schoell, chef ction de ce
montante, de l’équipe
va consacrer sa journée
éliminer les lignes dangereuses, IL à repérer, à
a gain de
cause. Celles-ci n’auront Paru, en
résumé, que
s

LES ÉNIGMES DE
GUERRE LA 209
dans un petit nombrede numéro
Française, ceux qui ont été achetés sde PAction
abonnés avant ou servis aux
huit heures. Hélas! cela aura.
suffi. Le 2 octobre — le lendemai
d'écoute rendent tous compte n — les postes :
cadiographique allemand.a cessé que le langage
gible. d’être intelli-
| .

: L'ENTREVUE DAUDET-PAINLEVÉ .
k
Quelles sanctions furent prises?
fonde stupeur, le censeur fauti À notre pro-
Taisons son nom. Il se cacha
f ne « sauta » pas.
son chef d'équipe qui, de fait, sous l’autorité de . .
JEUX — un
avait eu sous les
quart de seconde — Ja morasse
que Nusillard s’opposa personnellement à voiret
frapper. .. re : ‘
Léon Daudet fut convoqué ainsi
Maurras par. M. Painlevé, au que M. Charles
Guerre, à six heures du Soir... Ministère de la
. . oo
Le lieutenant Praince était spéc
à l'Action Française de la part iale ment venu
Conseil. du Président du
Daudet ‘et |
« Le Président demande à MM.
Maurras de vouloir bien veni
r aussitôt le voir. »
Ils partirent en auto, furent reçu
recteur du Cabinet, M. Péca s par le di- .
ud, ‘aujourd’hui
directeur de l'Ecole Normale supé
Cloud. Ils furent introduits rieure de Saint-
dans le cabinet de
M. Painlevé où étai ent déjà MM. Steeg et Raoul
Perret. -
. Quand tout le monde fut
en proie à une vive émotion, assi s,lé Président,
se-mit à déployer
l'Action Française, et, du “doïgt, désigna
Quatre lignes fatales,
Îes
quatre
M. Painlevé — qui risquent de ligne s — récisa
révéler le Chiffre,
et, par suite, un agent.
Le Cu
210 ——— LES ÉNIGMES DE: LA GUERRE ————
Voici ce que répondirent MM: Daudet et
Maurras : 7. ‘ .
1° Ils firent remarquer que ces lignes n’avaicnt
pas été remarquées ni visées par la censure;
2° Elles parlaient d’un fait déjà antérieure-
ment indiqué dans l'Action Française;
3° Ils dirent que ce fait remontait au commen-
cement de l’hiver ou au printemps dernier, que
c'était de l’histoire ancienne qui ne pouvait ré-
véler le Chiffre, les chiffres étant changés fré-
quermment. +
Et M. Léon Daudet précisa : -
.— C'est à la suite d’un article du journal
.espagnol'El Liberal et d’une démarche collective
. des commerçants et industriels français résidant
_ en Espagne, que j'ai dénoncé.Gaston Routier, dès
le 20 avril. .Il est absolument invraisemblable
que les Allemands aient attendu d’avril à octobre
pour changer leur chiffre. L |
D'autre part, jamais les Allemands n’ont voulu -
- croire que leur Chiffre était connu de nous, tel-
lement leur confianceet leur aveuglement dans
le secret de leurs éommunications était extraor-
dinaire. . . .
Ce qui a varié, ce n’est pas leur chiffre, mais
les combinaisons du chiffre. |
-‘Or, ces combinaisons étaient changées tous
les six mois. : E :
Je répète que jamais les Allemands n’ont cru
que leur Chiffre était découvert. Ils ont simple-
ment cru que quelques-unes de leurs dépêches
avaient été volées dans un bureau.
. Et la preuve qu’ils n’avaient pas changé leur
. Chiffre, c’est que nous avons continué à lire cer-
tains de leurs radios, notamment en 1918 ceux
- de l’attaché naval allemand. :
= Devant ce raisonnement — que M. Painlevé
eut le tort de ne pas vérifier — le Président parut
un instant déconcerté. Et il déclara:
777 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 211.
— Puisque le renscignemen
t contenu dans ces

avais le projet, mais je vous incite à Ja plus


même! »
ê

POURQUOI ALBERT
BALLIN
S'EST-IL SUICIDE ?
. -

Chez un officier Fra is


* Bureau, et chargé, nça
pen
ayant appartenu au
mission de contre-espio dan t Ja guerre, d’une
seph Crozier, j'ai vu unnnage en Ho lande, M. Jo-
extraordinaire. document qui m'a paru
D L
C'est une : Photographie
grand magnat de l'arme d'A lbe rt Ballin,
teur de Ja puissante ment allemand, direc-Ie
Merica Linie ». compagnie & Hambourg .
- M. Crozier me montre
Tiant, et, du doigt, m'i ce document en sou-
ndique, au verso, cet te
< En. souven
ÂL. Crozier, » : ir reconnaissant, à mon ami
| ‘ |
— De quelle date? dem
andai-je. .
— 1915. . |
. 7 Quoi, 1915? En pleine _
cier Français? Vous aviez guerre? Vous, offi-
des relations avec le
néral du ravitaillement
quoi vous témoigne-t-il de l'Allemagne? Et pour-
sa reconnaissance? »
4
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ———
914 ——

. mA

avant l'armis-
- Le 9 novembre 1918, deux jours mystérieuse-
tice, Albert Ballin. disparaissait
M. Bernard
ment. Son historiographe allemand,
dix ans, sous Ses
“Huldermann, qui fut, pendant
à la tête de la
ordres, son secrétaire général, |
Hambourg America, écrit : |
ce cœur, qui avait battu si
e Le 9 novembre,
ardemment pour l'Empire et I Empereur, brisé
-sous le poids des soucis et de la douleur, avait
| - .
cessé de battre. » qu'il
. Les journaux: allemands: déclarèrent
s'était volontairement donné la mort.
_ Le prince de Bulôw, qui fait pas grand éloge-de |
ne croit qi se soit
son esprit fin, réaliste, quelques jours .
_ suicidé. Pourtant, il déclare que,
une
avant sa mort, il avait reçu d’Albert Ballin
“e lettre désespérée», où il se rendait nettement
c'était
“compte que la défaite de l'Allemagne, alle-
lécroulement de Ia marine marchande
mande, et, en particulier, de la Harpagl!
en
Pendant la guerre, Albert Ballin passait i
Allemagne pour. anglophile. Constamment
tendit à une paix de conciliation. Mais la censure $es
allemande interdisait ou maquillait toutes |
déclarations. .
Il avait, avant la guerre, et il conserva, pen
dant la guerre, de puissantes relations interna-
tionales. C’est par lui que passa la tentalitve de
aix la plus riche d’espoirs. Il la transmit au
Kaiser et au chancelier. Elle allait aboutir à une
prise de contact lorsque, malgré lui, malgré ses
conseils répétés, éclata l'ordre de la guerre sous-
marine à outrance qui, en provoquant linter-
vention américaine, décida de la défaite alle-
mande..
——'LES ÉNIGMES DE LA- GUER—RE915
Du côté français, Albert Ballin était
vu d'un
œil favorable. ‘. Li
Après la mort de François-Joseph,
. l'arrivée sur le trône du jeune empereur lorsque
les 1* suscita des espoirs de paix séparée, Char- |
mystérieuse entrevue eut lieu entre le prince une
Sixte de Bourbon-Parme et M. Jules Cambo
crétaire général du Ministère des Affaires n, se-
gères. étran-
_ Lo : _
< Eh bien! voilà de grands événements
s’écria M. Jules Cambon. Personne plus que ! —
ne pourra plus agir.sur votre beau-frère. vous
pendant tout le déjeuner, M. Cambon dével Et, »
cette idée que l’empereur. Guillaume oppa
sonnellement responsable de la guerre, était per-
mais qu’il.
y avait été poussé par tout le parti militaire,
la noblesse prussienne, et par la grand par
trie ‘allemande « sauf Albert Ballin ». e indus-
-
\

Sauf Albert Ballin! Si ce « grand Allemand »


était considéré avec quelque sympathie,
côté Sa compagnie jouissait de certainsde notre
ges. privi-"
°. . . D
J'en ai eu, tout récemment, la révél
un Français dont le nom comporte ation par
le sien :
M. Grunebaum Ballin, président du Conse
Préfecture, collaborateur fidèle d’Aristide il de
Briand,
chargé de mission à Salonique pendant la guerre ,
uis, en 1919, chef de cabinet de M. Fernand
ouisson, alors Haut-Commissaire . aux trans- ::
ports maritimes.
Lorsque vint le moment de désig
Bués techniques à la Conférence ner les délé-
de la Paix,
M. Grunebaum Ballin fut nommé membre de la
ommission de Ja .
marine marchande en raison
* Sa compétence en matière de Code marit ime.
— Un scandale inouï! — proclama un journal
hostile. Un Boche délégué de la France au
Congrès de la Paix! Oui, un Boche, M. Grune-
216 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
il est parent
Pbaum-Ballin, est né à Francfort et
du fameux Albert Ballin! m-
7 Cest faux! — m'a déclaré M. Grunebau son pa-
ni de loin, je ne suis
Ballin, Ni de près, et, plus tard, jy
rent. Mon nom est Grunebaum — de Ballin
ai ajouté ce no m — bien fran çais
le n’ayant
qui est celui d’une branche de ma rfamil de la Ham-
‘ aucu n lien avec l’anc ien dire cteu
bourg America. .
attaqué, -
Le plus curieux, c'est qu e si j'ai été borais avec
c’est parc e que j'ai, alors q u e je colla
Fernand -Bouisson, mis fin à un <e scandale
inouï ».… la présence, pend ant la guerre, Sur nos
de comm erce , de nomb reux marins alle-
. bateaux aien t meilleurs
_mands-que nos arma teur s juge
c’est surt out parce
que les marins français. Et
que: à mon arrivée au Cabinet de Bouisson, j'ai
sommeil,
écouvert un dossier. Un dossier, en de guerre,
qui me révéla que, depuis quatre ans ce d’émi-
en plein Paris, fonctionnait une agenla Hamburg
gration allemand e sous l'ég ide. de
” America!
+
**x

connaissais beaucoup Albert Ballin


… — de
“avant la guerre — me raconte M. Josep h Cro-
d’af-
zier. J'avais avec lui d’excellentes relationsRotter
faires. Lorsq ue je fus charg é, d’abo rd à -
dam, puis-à La Haye, d'une mission d’espion- .
nage, dont j'ai raconté les péripéties dans < En
mission chez l'ennemi », j’ai pensé tout naturel-
lement à utiliser, pour le plus grand bien de Ia
France, mes relations allemandes.
C’est ainsi que je repris contact avec Albert
Ballin, en même temps, d’ailleurs, qu'avec M. Von
-
Bary, directeur d'une grosse maison d’alimenta
tion de l'Amé rique du Sud, contr ôlée par la Dis-
.
conto Gessellchaft et qui avait des succursales à
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——.917
Anvers, à Amsterdam, et à Berlin, et avec M. Pe-
tersen, frère de'ce Petersen qui vient d’être
+ dégommé » par Hitler. LT |
Albert Ballin était le directeur de la Zentral
Einkaufs Gessellchaft — Société de ravitaille-
ment de lAllemagne à responsabilité limitée
dépendant du Comité d'achat d'Empire pour le
compte duquel la Hamburg America faisait des
“achats aux neutres.
Je fis l'acquisition à Rotterdam.— le Ham-
bourg de la guerre — d’une fabrique de. savon :
la N. V. Stoomzecp Fabrik Venus, et J'insta
à Dusseldorf une succursale de cette fabriqllai ue. .
. Pour plus de précautions et pour maquiller mon
jeu, je fis inscrire ma fabrique Venus sur
« liste noire > des Anglais et je n’arrangeai pourla .
le faire savoir aux Allemands qui entrèrent, ainsi,
en confiance. - Fe o
Ma fabrique de savon me permit de fournir, à
la connaissance et sur l’ordre de mes chefs, l’AI-
lemagne d'huile et de graisse. Elle en avait
besoin impérieux pour ses explosifs. » un
À ce mot, je ne
|
pus m’empêc er de sursauter :
— Comment? Ses explosifs? Le 2° Bureau ra
vitaillait l'Allemagne de matières explos ives dont
mouraient nos soldats? . 0
— Oui, dit M. Joseph Crozier qui,
nement professionnel, trouve toutes par entrai-’.
naturelles
ces combinaisons de nature à choquer le: Fran-
çais.moyen. C’est la guerre! C’est la guerre se- .
crète! L co 7
— Maïs, en contre-partie, que receviez-vJe
— "D'abord de l'argent, beaucoup d’argent. ous?
‘ Allemands me payaient très cher mes-‘huile Les
mes graisses. Et cela alimentait lä caisse s et
mission. -Je ‘n’ai pas. coûté cher au 2 Burede ma
au!
.— Soit! Mais vous ne m’empêcherez pas de
ire que cet argent se payaïit avec le sang de nos
soldats! _
“ |
218 —- LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

— J'en receyais autre chose: des-renseigne-


ments, des renseignements de toute nature. Ma
présence en territoire neutre — et aussi en terri-
toir- ennemi, car j'allai à plusieurs reprises à
Berlin — me permettait de savoir ce qui se pas-
sait. Je connaissais les cargaisons des bateaux.
Je savais qui ravitaillait l'Allemagne. Je dénon-
çais les neutres, les mauvais neutres et aussi les
mauvais Français. Je communiquais au 2° Bu-
reau des renseignements sur la guerre sous-ma-
rine, sur la Bertha.. | DE .
— Vos.chefs étaient-ils au courant?
— Oui, le commandant Ladoux, M. Tannery.
Mais ils ne me dèmandaient pas de détails.
J'avais une entière autonomie jusqu’au moment
où je passai sous les ordres du général Bouca-
beille, notre attaché militaire en Hollande.
+. —— Pour.en revenir à Albert Ballin, quelle opi-
‘nion avait-il de vous?
. — 1 n'eut jamais de méfiance. Je le rencon-
trais à peu prés tous les mois. Nous déjeunions
ensemble à Rotterdam à la poissonnerie Sauer .
_et nous bavardions librement. Combien de fois
me déclara-t-il son hostilité-à la guerre? Mais il
était surtout préoccupé par le problème des res- -
ponsabilités de la guerre.Il voulait absolument
me convaincre de l'innocence de l’Allemagne.
— Vous parla-t-il de cette fameuse tentative
de paix dont il fut l’animateur? L
— Non, car j’évitais ces conversations de peur
| de révéler, malgré moi, à Albert Ballin, des faits
. qu’il ignoraït ou de montrer mes tendances.
— L’avez-vous rencontré en Allemagne?
.—— Non : c'était toujours en Hollande. Il venait
visiter mon magasin, auquel était annexée une
agence de renseignements militaires. C'était un
charmeur. Il n'avait rien de l'Allemand tradi-
tionnel. Il détestait les Prussiens. Il était Juif et
———— LES ÉNIGMES.DE-LA GUERRE —— 919
Hambourgeois : deux raisons pour ne pas aimer :
la Prusse! CT Le
— Mais enfin, pour qui vous prenait-il, vous?
I savait que vous étiez Français? Il ne trouvait
pas extraordinaire votre présence en Hollande?
° M. Crozier sourit : - Ù .
— Îl me prenait... il faut dire le mot — pour
un traître à mon pays, pour un mercanti qui pré-
férait rester_à l'abri, chez les neutres et gagner :
de l'argent plutôt que d’aller se faire tuer dans
les tranchées, ce. or
— Et vous avez pu jouer votre rôle jusqu’au
boùût? - ‘ : -. .
— Jusqu'au bout! Il ne s’est jamais méfié.
& On a dit en Allemagne qu’il avait trahi son
pays. Qu’en pensez-vous?
— Il Ja trahi si: vous voulez! mais sans le:
- vouloir, sans le savoir. Au reste, tout cela n’est
que. des mots. Si je vous disais que, depuis la
guerre, je retourne librement en Allemagne où
l'on sait, maintenant, que je les ai roulés? |
& Je suis même allé en Allemagne avec le gé-
néral Boucabeïille,
mon ancien chef. Nous avons
été reçus avec beaucoup de.considération. Les
Allemands sont'très « fair play ». Et ils ont |
bien voulu nous dire leur admiration, au général
Boucabeille et à moi pour notre cran: ’
— C'était de bonne guerre — disent-ils en
riant, Quel dommage que vous ne soyez pas Alle- .
mands! > Ils ont même connu notre rôle, non
seulement dans la guerre économique, mais dans
la guerre politique. Car nous avons participé au
mouvement révolutionnaire allemand. J'ai fait
parlie de leur comité révolutionnaire. Après la
guerre, dans les procès qu’ils ont intenté aux
communistes, ils ont trouvé des pièces où j'étais
cité ct, fort courtoisement,
par l'intermédiaire du
Ministère de la ‘Guerre, ils m'ont demandé de
venir témoigner contre les communistes et de
220 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
de
dire;si oui ou non, je les avais achetés avec
l'argent français. Minis-
< Mais le Ministère de la Guérre et-le l’auto-
tère des Affaires étrangères m'ont refusé
un :
risation d’aller en Allemagne témoigner dans été
._ procès où ma situation aurait tout de même
des plus délicates. » | et
Et M. Joseph Crozier, qui n’a cessé, pendant COM-
cette conversation, de regarder avec
toute
plaisance la photographie de son ami Albert
conclut en me déclarant qu’à son avis,
allin,
s’il s’est suicidé, c’est parce qu’il avait le cœur
- Jourd, non seulement e souciset de déception
patriotique, mais aussi, peut-être, de remords...
POURQUOI CLÉMENCEAU, APRES AVOIR
< FINANCE » LA REVOLUTION ALLEMANDE,
: L'A, FINALEMENT, ARRETEE..

Le 10 janvier 1918, Clemenceau recevait


Hansi.. ce UT oi
Hansi, le fameux caricaturiste Alsacien,
fit :
partie, pendant la guerre, du 2° Bureau. Il était-
chargé, en même tem s que M. Tonnelat, aujour- :
d’hui professeur de langues et littératures ger-
| Mmaniques à la Sorbonne, de la propagande conire-
le moral ennemi. - . .
Et Hansi proposa, ce’ jour-là, au Tigre, un pro-
gramme hardi de démoralisation, par diffus
dans les tranchées allemandeset g Varrière,ion, de
tracts, de journaux, de brochures, nettement
antidynastiques, républicaines et même socia-
listes! D
Clemenceau fut séduit par ce programme dont
l'objectif immédiat était son vieil ennemi Guil-
laume II et lobjectif lointain... la Révolution
El ‘ mande. Et il mit en rapport Hansi et le maréchalle-
al
Pétain.
À partir de mars 1918, ce fut un ‘bombarde-
ment intensif, par. tous les moyens : ballonnets;
obus lance-tracts; avions; de documents — vrais
222 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
des -
ou faux — tendant à enfoncer dans le crâne eur
_Feldgrau, que, s’ils se débar rassa ient du Seign
dc la Guerre, ils auraient droit à une bonne petite-
paix honorable. .-
Le mois de mai 1918 fut le point culminant et
de cette activité, peu’ connue, du 2° Bureau
. dont les effets furents tels que le maréchal Hin- alle-
.denburg jetaun cri d'alarme : « Au peuple reux
mand > contre cet empoi sonne ment dange
de l'esprit allemand : « C’est un feu roulant de
papiers imprimés destinés à miner notre moral. qui
L'ennemi jette, non seulement des bombes t...
tuent le corps, mais des tracts qui tuent l'espri
Wilson, Lloyd George et Clemenceau se frottent
les mains. » _

nn | x

. Vers la même date, Clemenceau recevait un


autre officier du 2° Bureau, M. Joseph Crozier
_— alias le lieutenant Desgranges — qui opérait,
lui, « sur le tas > en Hollande et en Allemagne.
. C’est Clemenceau qui l'avait envoyé « en mis-
sion spéciale > dès février 1918. Et M. Crozier
s'était insinué dans les milieux minoritaires alle-
mands, par l'intermédiaire des minoritaires hol-
landais. ‘ :
M. Joseph Crozier a fait, dans son livre « En
mission chez l'ennemi » le récit de ses romancs-
ques aventures. Il me les a confirmées, à moi-
même, m’assurant que les socialistes allemands
dont il avait capté la confiance n'’ignoraient pas
sa qualité de Français et d’attaché du 2° Bureau.
— Et ils ne vous ont pas exécuté?
M. Crozier sourit : .
— Nous étions — et nous sommes restés —
_les meilleurs amis du monde, Îls avaient trop
besoin de moi, vous comprenez! Do
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE . 298
‘ Et, d’un geste familier du pouce
l'index, M. Crozier me fit frotté contre
comprendre qu’il les
tenait. par l’argent.

+
+

J'ai beau, par profession,


Toutes ces histoires d’es ionnêtreage
assez cuirassé.
quées. Elles sentent le c iqué. m'ont l'air tru-
.
Le récit de M. Joseph rozie
Soumettre à un homme qui, lui,r, je suis allé le
emballer par la folle du logis et ne se laisse pas
sans offenser M. Crozier — prés qui — soit dit.
surface que lui. : ente une autre
- . :
Il le reconnaît, d’ailleurs, bien volontie
qu'il s’agit de son chef. M. le rs, puis -
beille, pour lequel il professe unegénéral Bouca-
nération.
véritable vé-
: ec et
Le général Boucabeille fut, d'abord, ue
Cabinet du général Galliéni, sous les chef de
uel il fit d’héroïques cam agnes colon ordres du-. :
ant la guerre, il devint le collabor
iales. Pen-
ateur direct
de Clemenceau et fut nommé attaché
en Hollande. militaire
Il eut, là-bas, un rôle
et inconnu. Il a écrit ses mémo considérable
attend, pour les publier, que la presires
crip
. Mais ïl
tenaire exigée par la loi sur ’espionn tion tren-
révolue.... age soit
oo .
M. le général Boucabeille a bien voulu,
pour-
tant, m'évoquer ses souvenirs. 11 évite, seulemen
de prononcer des noms propres. Certains t,
Mille agents qu’il entretenait en Holl des six
Sont-ils pas encore en service? D’autres ande ne:
| Pas des parents en Allemagne? Et ne
n’ont-ils :
exercer, pourr ait-on
là-bas, cont
re eux, des représailles?
Dès que je lui parle de M. Grozier, le géné _
Boucabeille me confirme l'exactitude — ral
— de « En mission chez l'ennemi » et duen gros _.
« Pa-
224 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE

‘villon noir », tout en me mettant en garde contre


certaines exagérations imaginatives.
. — Joseph Crozier fut, effectivement, un de
ceux qui m’aidèrent à préparer la révolution alle-
mande. - . |
— Oui, mon général, j'ai vu, chez M. Crozier,
des lettres, toutes récentes, de vous, regrettant
l’ordre qui, de Paris, vint tout arrêter alors que
tout était prêt. oo
— C'est exact. J’avais l'habitude — continue,
en souriant, le général Boucabeille. Je suis un
spécialiste des révolutions! . Avant Ja guerre
j'avais opéré en Chine. J'étais parti là-bas en
mission avec quatre officiers. Je pris contact avec
le chef des révolutionnaires chinois.
— Ce que je veux connaître — lui dis-je —
c’est l'étendue du.mouvement que vous préparez,
les effectifs que vous avez en mains, le nombre
de vos affiliés. | :
Et alors, eut lieu un véritable miracle. Mes
uatre officiers et moi, nous parcourûmes la
hine du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, sans
une arme, sans un sou, et nous apprimes tout.
Comment? Simplement parce que nous avions
le précieux mot de passe de la révolution!
* Quand nous arrivions dans un village, nous
prenions contact avec ün. affilié et, immédiate-
ment, grâce au mot de passe, il nous mettait en
relations. Nous allions dans les réunions, et, avec
une certaine habitude, nous faisions le décompte
‘ des révolutionnaires. :
J’agis de la même façon pour la révolution
“allemande. Nous pouvions compter en Hollande
sur trois éléments. D’abord, les Juifs hollandais
qui nous mirent en relation avec les Juifs alle:
mands.-Et puis avec les catholiques. Dans ce
domaine, je puis vous donner ce simple détail :
nous avons acheté, pour un million de marks.
un grand journal catholique rhénan dont je ne
LS ÉNIGNES DIE LA GUINUE e 225
Yeux Pas vous donner fc Nom, mais qui pour
suivit, malyré Ja censure allemande, une catne
Pagne favorable à nos desscins.

Enfin, nous iobilishines, À notr


dléments avancés d'Allemusne e ecrvice, Îles
: sochalistes, Apure
liste
s, républicains, J'eus
plus importants d'entre cux.des chlrevucs avec Jes
Nous avons fondé, acc cux, Île Jour
Kampf où nous soutentons les idées nal Der
Cuines cl
répubti.
socialidles ré indues sur
dans Je front et
l'intéricur de M'Afemasne,

Elle Gouvernement hollandais 1] ne
pas d'un mauvais œil ces Intri VOVail
gues® ?
— D Jes isnorait, J'ifoute que Je
ent Gouverne
hollandais 4 été trés Corre
cels, par nécessité et par besoin,ct ace nous, Et,
Lillement de La Hollande ait, en puisque le ravie
entre nos nains,
quelque eorte
Et aussi pour une autre paicon, Fiju
que, un jour. je reçua jerane rers os
d'un Hollanda
lement fa visite
is où eoidjicunt tel qui appela
Un décument it
d'un intérét ca tal C'était
écurie plan de mobilioution bollandaiee Je
faut sous
dire « ue, pendant Ja guerre. — il
Linden té elite AU prem Ja Hot
ier échelon, Je
euritine Teprétentant l'inteme
ntion.
Ce plan pouvait avoir un pros
tre. Je Gabin inférét prur
accueil à cet
Je pris ses précuntions pr hiosn
des
ine tineférient,
es interresatoires, des ciquéles, recrinessents,
ue ces documents éfalent auth ef je conitatai
entiques, Je dis
Cene à men infesfocuteur de
Etain 4 Je Je recevsais en tétefever re lende.
ner d'an dettes
crlahoratenurs céécinhité, J'al 4
vus dite peine beunie de
que j'allais isninédintesnent fouser Je
.
RE —_—————
226 —— LES ÉNIGMES DE LA GUER
je lui
rmée ên Hollande et
. généralissime de l'a UT
dis : - !
agents m'a apporté ceci
©! Yoïlà! Un de vos ve
Sursaut.… ‘
_—- Impossible! -
._ — Tenez, voilà! à l'évidence. : |
‘1 dut se ren dre Le lende-
ani säm es un piè ge.
__ Alors, nous orgun Ca itaine français, mais un
main, ce n’est pas hollandais qui vint. L'a
utre
général d'état-major l’a rrêta. -—
ne se méfia pas. On sim ple , le Gouvernement
ce fait si
“Eh bien! De une reconnaissance pro
-
hollandais m'a gardé en moi. : : :
fonde. Il eut confiance incidents, notamment
‘Avec quelques petits .
celui-ci. .
mes col lab ora teu rs me désigna,
. Un jour, un de hommes qui depuis le matin,
dela fenêtre, deux dormir sur un banc.
faisaient semblant de qu'ils
suspects! Qu'est-ce
. — Jls me semblent ‘
veulent? es,
r à côté de ces deux homm
11 alla s’allonge ne heure, les deux
sur l'herbe. Au bout ez.d’uis s’en allèrent. Mais
-hommes en eurent ass :
, et comme cela, toute
vit
mon bonhomme les, sui finalement, ils entrèrent
,
la matinée. Si bien que .
où ils se firent connaitre
dans un commissariaters hollandais. Je fis des
C'étaient deux polici nement qui les .désap-
observations -au Gouverj'avais toute liberté..
prouva et m'assura que nds? |
— Et. vos collègues allematravaillaient de leur
_— Nous les ignori ons . Ils
les uns
nies officielles,
côté. Dans les cérémo
aut res de Pautre! Et nous ne nous
d’un côté, les -
saluions pas. à
ema nds éta ien t, d’ailleurs, employés
. Des All t une femme don t je ne
“notre service, notammen e vint me déclarer-:
peux pas révéler le nom. Ell
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— 297
-« Mes compatriotes m'ont chargée d’une mission
en France. Je viens vous en informer, »
— Laquelle? : |
— Il s’agit d’aller porter ces douze mouchoirs.
Et elle me les confia.
. Evidemment, il ne portaient aucune trace.
- Elle m’indiqua l'adresse de l'intermédiaire
chargé de les faire parvenir à Paris à qui de
roit. - ct. oi. .
— Combien vous donne-t-on?..
— Tant! 5 4
: Je doublai la somme et lui dis :. ie
— Restez ici : je me charge de tout. » Aussitôt,
je luifis fabriquer des faux passeports, de faux
illets de chemin de fer, de fausses notes d'hôtel. . :
Elle présenta le tout aux Allemands qui crurent
qu’elle avait effectivement fait son voyage.
Quant aux mouchoirs, il fallut quatre mois
pour les traiter chimiquement. Ils révélaient des ‘
secrets de communications. .:

À ce moment je mets sous les jeux du général


Boucabeille les télégrammes qu’il adressait à Jo-
seph Crozier. Il m'en confirme l'authenticité,
Celui-ci, par exemple : - 7
& P.N, 210. - - . Le
Vous avez signalé que les organes minori- .
taires P.M... de Berlin, LV.
. de Stuttgart, A.P. de
Brême,.ne disposent que. de ressources très limi-
tées ne leur‘permettant pas d'assurer leur pro-.
pagande dans des conditions aussi favorables que
es socialistes gouvernementaux, Voudriez-vous
VOUS assurer quelle serait la meilleure façon de .
les toucher en vue de leur faire accepter une:
intervention financière de notre part, eur per-
mettant, ainsi, de continuer la utte- par une
diffusion, non seulemént plus grande de leurs
998 = jEs ÉNIGMES DE LA GUÈRRE
anisa-
organes, mais couvrant aussi les frais d’org
gne de
tion des réuni ons et les frais de campa
leurs candidats aux différentes élections. ?
Quelles sommes seraient ainsi nécessaires
Quel moyen de les faire passer? contrôle
. Éventuellement, et si possible quel
pourrions-nous exercer ? o
.& BOUCABEILLE, ?
,

- Et cet autre: « En retour, le qu'il manifeste. Ap-


prouvé. Mais ne pens ez-v ous pas serait bon
essés un mot moin s Vio-
de conseiller aux intér S'ils mettaient
lent que ‘« révol ution naire »?
= € évolutionniste? » Ils effaroucheraien t moins de
cert aine ment quant au
gens et en bénéficieraient ‘
nomb re des adhér ents. .
‘Je ne vois aucun inconvénient nisez à adopter le
que vous préco .
mode de relations ABEILLE. >»
< BOUC
no-
Et, enfin, je lui montre la lettre que, le 10 de
ait
vembre 1918, veille de l'armistice, il recev
°son subordonné :
Lt

« Mon général, « ‘
Je n’ai pas encore vu le Président du Conseil,
à cause des événements actuels qui absorbent
tout son temps. Par contre, j’ai eu un long en-
tretien, hier, avec le colonel Herscher.
L'entourage du Président est devenu opposé
à toute propagande révolutionnaire et à notre
immixtion dans ces milieux.
_ Les événements qui se déroulent avec fant de
rapidité en ce moment prouvent que nous avions
- raison. La Révolution allemande a bien éclaté au
indiqué par nous, et on ne sait pas en-
. moment
core exactement si c'est celle qui a provoqué la
débécle militaire , ou bien si c’est le contraire
Cette révolution se fait avec les éléments que
+
LES ÉNIGMES DE LS GUERRE —— 999 -
nous connaissons, el, comme nous l'avons prédit,
elle ira ainsi jusqu'aux plus extrêmes limites. >
— Eh oui! Tout cela est exact — m'assure le
général Boucabeille, Je ne m'explique toujours
pas, aujourd’hui, pourquoi — sous l'effet de
quelle pression politique — le Gouvernement a,
soudain, arrêté, net, notre action révolutionnaire.
Elle aurait, certainement, réussi, Mais, en haut
lieu, on a pris peur! »
+
. ++

M. Tonnelat va, lui, nous donner l'explication


de ce < dégonflage >» du Tigre.
Il a cu peur du bolchevisme!
— Nos chefs — déclare M. Tonnelat — n'ont
as voulu continuer notre tâche. Le moment
tait, pourtant, particulièrement favorable. -Le
peuple allemand était prêt à demander des
comptes à ses dirigeants... Les frontières étaient
ouvertes. Il n’était plus besoin de ballonnets, de
tracts ou d'avions! Mais nos chefs ont été litté-
ralement hypnotisés par cette crainte du bolche-
visme qui, dès le lendemain de l'armistice, leur
a fait commettre tant de fautes! »
Y AVAIT-IL, ENTRE LES-BELLIGERANTS, :
DES ENTENTES TACITES ?
| LA GUERRE EST UNE CONVENTION

« Faire la guerre — quoi qu’on dise — est une


affaire de convention : entre les belligérants, il
existait des ‘ententes tacites. Dans certains sec-
teurs, les hommes pouvaient, à certaines heures,
vaquer à leurs affaires, se nettoyer, aller chercher
de l’eau, sans qu’on entende un coup de fusil. Il
a même fallu réagir contre ce fait que'des com-
battants évitaient soigneusement le coup de ca-.
non qui pouvait éveiller le secteur. » Fo
Cette appréciation — cette constatation — d'u
fait que tous les combattants ont connu, émane .
d’un général qui, tout en gardant un anonymat
nécessaire, affirme qu’il expose + le point de
vue du commandement français >. |:
..— Pourquoi n’a-t-on pas bombardé Briey? de-
mande-le « général X...-> au nom du G.Q.G.
Parce qu’il y avait des accords tacites… Dans
ces conventions, il y avait un point de vue d’in-
térêt général qui montre bien que, dans les entre-
prises les plus déraisonnables, comme la guerre, .
la sagesse fait entendre sa voix. 2 .
& Eh oui! — continue le général X..., il y'a .
=

932 —_ LES ÉNIGMESDE LA GUERRE —


de
beaucoup de cette sagesse dans la questionands
Briey. À portée de nos avions, les Allem
exploitaient les usines de Briey.. Mais’ nous, ‘à
ortée de leur canon, nous en exploitions d’au-
La sécurité des uns protégeait, dans la
- tres!
mesure du possible, la sécurité des autres.
vrai,
Comme tout est relatif, cela n’alla pas, à dire
sans beaucoup de bombes de part et d'autre. ll
a pu y avoir une consigne-générale concernant
Briey et cette consigne doit être traduite de cette :
manière : « Foutez-leur donc la paix, pour qu’ils
. ‘nous laissent tranquilles! »

LE NON BOMBARDEMENT DE BRIEY

Quelques jours après cet article sensationnel,


M. Fernand Engerand, l’initiateur de: l'affaire
de Briey, exposa devant le Parlement sa thèse
bien connue, et qu’on peut résumer ainsi :
« Avant. la guerre, ce fut une faute « sans
nom etisans pareille » que d’avoir laissé se
concentrer sur la frontière — une frontière aussi
menacée — presque toute notre production mé-
tallurgique et minière, c’est-à-dire l’un des élé-
ments essentiels de la défense nationale. Com-
ment les Gouvernments n’ont-ils pas songé à dé-
congestionner ce point névralgique situé sous le
canon de.Metz et à favoriser la création d’autres
centres métallurgiques sur des points moins
exposés? °
. De plus, dès le début de la guerre, le 6 août
. 1914, ce point de notre frontière où était l’âme.
de notre métallurgie fut ouvert, abandonné, sans
défense et sans combat. .
Et M. Poincaré constate, dans ses mémoi :
e L'occupation du bassin de Briey ne serait rien
—— LES ÉNIGMES DE LA: GUERRE —— 998 |
moins qu’un désastre puisqu'il mettrait, en leurs .
mains, d'innombrables richesses métallurgiques
et minières dont l'utilité peut être immense pour
_ celui des belligérants qui les détiendra. »
Or, l'abandon du bassin de Briey :— le fait
est, aujourd’hui, historiquement établi — ne ré-
sulta pas du fameux recul des dix kilomètres
ordonné par M. Viviani, pour de hautes raisons
diplomatiques. Le général chargéde la défense :
de cette région : le général Verreaux, révéla que .
Sa consigne, contènue dans l'enveloppe à ouvrir
en cas de mobilisation, lui prescrivait d’aban--
donner Briey sans combat. en |
L’Allemagne, elle, se rendit compte de l’im-
portance de Briey puisque, un jour avant la dé-
- Claration de guerre, l'état-major allemand fai-
sait occuper la partie du bassin de Briey enclose
dans le Grand-Duché de Luxembourg. »

se
e

“M. Ernest Flandin, député, vint confirmer les


. déclarations: de M.. Engerand. Mobilisé dans le
secteur de Briey, il reçut, en décembre 1915, les
articles — fortement dchoppés ar la censure —
que M. Engerand publia dans le Correspondant.
—"Mon attention fut attirée par l’extraordi-
naire avantage qu'avait, pour les Allemands,
l'exploitation du minerai dans le bassin de
Briey. II me sembla, donc, que j'avais le devoir
d'agir, et, le 23 décembre 1915, je me rendis au
Quartier Général de Souilly, auprès du général
Guillaumat qui était mon chef et qui comman-

dait la 2° Armée. Je lui demandai s’il ne serait.


pas possible de faire intervenir l’aviation de la
* Armée. Je lui remis une carte détaillée des
bassins de Briey sur laquelle étaient indiqués les
principaux établissements en pleine activité... :
,
234 -——— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
Quelques jours après, nous apprenions qu’une
opération de bomhardement sur Jœuf avait été
faite de nuit, par une escadrille de la 2° Armée.
Mes camarades et moi, nous nous réjouissions
grandement à la pensée que le vœu que nous fai-
: sions depuis si longtemps de voir bombarder ces
établissements dont les fumées insolentes nous
- énervaient, avait été réalisé, et nous étions heu-
“reux de pouvoir en féliciter le chef de la
2e Armée, |
Mais, quelques jours après, nous constatâmes
qu'aucun bombardement n’avait suivi le nremier..
Je me rendis donc à l'état-major de Souilly pour
. m’informer des raisons de l'arrêt subit des oné-
rations. Le chef d'état-major me fit connaître
.que, après le bombardement de Jœuf, le général
Guillaumat avait recu l’ordre de cesser les opé-
rations. | L
._ Dès lors, ie décidai d’en saisir, directement,
‘le ministre de la Guerre. Je demandai audience .
au général Lvautey qui apnrouva ma démarche
et me dit qu’il allait immédiatement rechercher
. d'où émanaîit l’ordre reçu par le général Guil-
laumat. > . ‘
: Cette enquête du général Lyautey n'eut pas de
résultat, Et M. Ernest Flandin conclut :
— Pendant vingt-sept mois, les Allemands ont
‘pu, sans être gênés, extraire des millions de
tonnes de minerai de fer pour leurs usines de
guerre. Il y avait donc un moven d'abréger la
guerre, et ce moyen a été négligé pendant plus
‘de deux ans! > - ‘
« Les. Allemands l'ont d'ailleurs, reconnu —
ajouta M. Barthe — puisque, dans une circulaire
confidentielle, nrésentée au chancelier de l’Ern-
pire par les métallurgistes allemands, ils expli-
quent : « Heureusement pour nous, les Français
n'ont pas réussi à détruire la distribution sidé-
LES ÉNIGMES
DE LA GUERRE —— 235

ce
ÿ
rurgique des deux côtés de la frontière franco-
allemande. Œtant ‘donné lapprovisionnement
insuffisant de notre artillerie ct de nos munitions,
la guerre eût été décidée en peu de mois, à notre
désavantage. » . | -

TIREZ! MAIS TIREZ DONC!

. Au Comité Secret du 28 novembre 1916,


M. Engerand chercha à savoir du Gouvernement
d'où venaient les obstacles apportés depuisle
début de la guerre, à |’ e exploitation des mines
de fer ct à la production de la fonte en France ».
“< C’est la question essentielle qui domine la :
conduite. de la guerre. L’âme de la guerre, c’est:
le minerai de fer. Or, l'Allemagne le tire presque
entièrement de notre bassin lorrain. Les Alle-
mands avouent, que si l’extractiondu minerai
: lorrain était doublée, la guerre, pour eux, serait
perdue. Je demande au Gouvernement s’il ne se-
rait pas possible, précisément, en apportant le
trouble que redoutent les métallurgistes- alle-
mands, de contrarier l'effort métallurgique qu’ils
ortent actuellement à leur maximum. Si, au
début de la guerre, nous avions pu conserver,
inviolée notre frontière de Longwy à Briey, nous .
tenions sous le canon toute la production de-
minerai de fer de l’Allemagne et la guerre ne
pourrait pas se prolonger. C’est une question.
_ angoïssante et qu’il faudra élucider après la
guerre! Je pense à ces industriels de chez nous
qui.ont laissé, là-bas, leurs mines, sur ce coin
… de Longwy, ce champ de.bataille éternel! Quelles
doivent être leurs angoisses à la pensée que le
fruit de leur travail est. exploité contre leur pa-.
trie! C’est une situation atroce à laquelle nous
986 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
compatissons de tout cœur. Maïs, au-dessus des
amitiés, il y a le sort du pays. Et, véritablement,
s’il est prouvé que c’est de ce coin que les Alle-
mands tirent, actuellement, une notable partie
du fer qu’ils déversent sur nous, s’il est prouvé
qu'en agissant sur ce point essentiel, on peut
rapper la guerre dans son âme, je suis sûr qu'ils
seraient les premiers à nous crier, commele
zouave héroïque : « Tirez! Mais tirez donc! >
- C’est à ce moment que M. Albert Lebrun dis-
--tingua, entre les parties du bassin de Briey
exploitées par les Allemands deux secteurs.
‘Il affirma que les Allemands exploïitaient, non
pas le bassin français, mais la région de la Lor-
raine allemande. : «

LA THÈSE DU COMITÉ DES FORGES


Cette explication donnée par M. Lebrun fut
développée dans un mémoire confidentiel remis
par le Comité des Forges au Gouvernement Île
0 avril 1917 : E ‘
-_ € Prenant la partie pour le tout, on a donné
le nom de bassin de Briey, fragment de la partie
française du gisement lorrain-luxembourgeoïs —
exposèrent MM. Théodore Laurent, Villain, Sé-
pulchre, et Fould, au nomdu «e Comité des
orges et mines de fer de Meurthe-et-Moselle >
— au gisement tout entier. On a, ainsi, laissé
ignorer au public que la partie de ce gisement.
constituée en Luxembourg et .en Lorraine an-
nexée, défendue par les canons des camps re-
tranchés de Metz et de Thionville, produit, à
elle seule, plus de 28 millions de tonnes de mi-
nerai de fer par an (exactement 28.469.000
tonnes en 1919 alors que la partie française
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 93}
occupée par l'ennemi ne produit, en temps nor-
mal, que 18 millions de fonnes. Ainsi inexacte-
ment documenté, le public ne s’est pas rendu
compte que c’est cette partie lorraine-luxembour-
gcoise qui alimentait, en temps de paix, la sidé-
rurgie allemande, et non point, comme on l’a
tant de fois prétendu, le bassin de Bricy qui ne
fournissail que 4 % du minerai consommé par
les usines d’outre-Rhin (1.560.000 tonnes sur une
consommation de 38 millions de tonnes). C’est
encore cette partie lorraine-luxembourgeoise qui
assure, à l'heure actuelle, pour la plus grande
part, le plein rendement des usines métallurgi-
ques allemandes. >
Le Comité des Forges ne croit pas devoir dis-
cuter la question de savoir pourquoi nos malheu-
reuses richesses sont restées, avant la guerre,
sans défense militaire : nous nous contentons
de déclarer que, dès le début des hostilités, nous
avons toujours fourni aux Etats-Majors de nos
armées tous les renseignements que nous possé-
dions sur nos usines. Il nous suffira dé dire que
les seules cartes qui existent aujourd'hui, don-
nant, au point de vue métallurgique et minier,
les détails les plus précis sur ces régions, ont
été dressées, depuis le début de la guerre, par
les soins du Comité des Forges de France sur
les indications et les documents que nous lui
avons fournis. |
Les premiers exemplaires de ces cartes ont été
immédiatement envoyés au général en chef ct au
commandant des armées de l'Est et nous ont
valu de leur part des remerciements pour l'envoi
de documents < du plus grand intérét ct qui sc-
ront, le moraent venu, d'une haute utilité ».
Enfin, répondant à l'appel pathétique, bien que
secret, de M, Engerand, le Comité des Forges,
le 30 avril 1917, déclarait : + Nos canons el nos
238 ——_— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
avions peuvent détruire nos usines et nos mines :
nous serons les premiers à nous incliner devant
cette nécessité si le sacrifice de nos biens peut
amener une heure plus tôt la victoire et l'écra-
sement de l'ennemi héréditare qui, depuis près
d’un demi-siècle, tient captive la moitié de notre
patrie lorraine. Nos confrères et.lés populations
entre les mains de l’ennemi ont l’âme
- restées
assez française pour envisager de pareilles éven-
tualités, quelles qu’en soient les conséquences.
Nous autres, gens des Marches lorraines, nous.
sommes habitués, de longue date, à voir notre
ays foulé aux pieds par l'ennemi. Ce n’est pas
a première fois qu’il sera sacrifié poux protéger,
dans la grande patrie française, es heureuses
provinces qui, depuis des siècles, n'ont jamais .
connu les horreurs de lPinvasion. .
Mais ce que nous ne saurions supporter plus
longtemps, c’est que des compatriotes apparte-
nant à des régions plus heureuses meitent en
.suspicion notre patriotisme : nous ne doutons
pas du leur, nous entendons que le nôtre soit
;

. respecté.
Î ne faudrait pas qu’en présentant le bassin de
Briey comme le principal réservoir. dont l’Alle-
magne tire toute sa force militaire, alors que les
usines métallurgiques françaises, non seulement
- sont arrêtées, mais encore complètement déman- .
telées, on-assurât, sans le vouloir, la préserva-
.tion de cette autre partie du. bassin lorrain, de
ces mines et de ces usines, de capitaux et de per-
sonnel allemands,-situés en territoire annexé, et
qui, à l'heure actuelle, travaillent à plein rende-
.ment pour l’armée allemande. »

LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 239.

© L'ÉTAT-MAJOR PRÉPARE LE BOMBARDEMENT EN 1917


Après cette: intervention, le Ministère de la
Guerre édita, en 1917, par les soins du Service
géographique de l'Armée, un volume de.plus de
deux cents pages sous le titre : « Régions com-
prises entre la Meuse et le Rhin. >» .
C'est une monographie fort documentée de. .
toutes les exploitations minières d’Alsace-Lor- |
raine, avec des indications détaillées sur leur ori-
gine, leur fonctionnement, leur valeur. ‘
Le chapitre premier s'intitule : « La région du
fer », et, à la page 29, on trouve un sous-cha-
- pitre VIIT : Considérations militaires. Le para- .
graphe À fait connaître ce que sont devenues les
exploitations métallurgiques de Lorraine pendant .
la guerre, l’utilisation qu’en ont faite les Alle-
y

mands, et le paragraphe B celui qui importe, en .


l'occasion, traite des Objectifsde bombardement.
Les auteurs — en fait, le Ministère de la Guerre
et l'état-major. général — y ont accumulé tous .
les renseignements permetiant une efficace ‘atta-
que aérienne de la région. Voici quelques extraits
pris au hasard : :
« Dans le bassin de Briey, les puits et che-
valements des usines présentent des objectifs
très restreints... LL
Si on s’attaquait au transport des minerais ou
aux points de communication, on entraverait,
peut-être encore plus sûrement, les opérations... 2
. Viennent, ensuite, les indications d'ordre ma- .
tériel extrêmement circonstanciées : la liste des
“usines avec l’origine de leurs capitaux, la liste
des points intéressants à atteindre sur les voies
de communication. Ainsi : « À Thionville,
aiguilles sud et le pont métallique portent les les
voiles de Fontoy. » . :
-
. | En) "BISLIOTCA :
FVNDATIVNE! F1
ZE] VNIVERSITARE :
1) CAROL 1.

Secta
Rae —” |
éme LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
-—— 94{
‘Il est donc incontestable que
la charge et la Tespon ceux qui avaient
sabilité des opérations
mili-
Thionville, qu’ils ont organisé
et l’autre. ct préparé l’un
- .
Les . Allemands s’attendaient-ils, eux -
‘bombardement de leu ,
Ce n’est pas douteux. rs mines et de leurs usià nesun.
?
lées qui ont eu lieu lesLes quelques tentatives iso-
ava ien t, malgré le
mis en éveil. Partout peu de
dégâts occasionnés,
sures de protection ava des me-, .
- Principales des machin ient été prises. Les pièces
par des revêtements bét es ava ien t été recouvertes
OUrNAUX, mis sons abrionnés, les silos des hauts
galeries pour le Person , de longues et solides
nel ont été creusées
tout, L'attaque éta
it donc par-
éScomptée par nos enn prévue par nous,
emis. -
Voilà un point nettem |
pourquoi a'a-t-on pas ent réglé. Reste l'autre :
sive? > Passé à l'exécution
inten- ©
| ot :
\

ON NE BOMBARDE PAS : POURQUOI? |


Le général X.. — porte-
‘:. Major français — parole du haut état-
va nous l'e xpliquer : il estime
que l'affaire de Briey :
. qu’on ne croit ».. est « beaucoup plus sim
ple
1° Pour défendre le.
-: lait construire des bassin de Briey, il fal-
for .
nous le permettait-il? ts : le traité de Francfort
L’A
pas élevé des protestation llemagne n’aurait-elle
s véhémentes? oi
2° Le bassin de -Br
des avantages straté iey offrait-il aux militaires
giques ou
tactiques?
” Le général X... répond
< Tou carrément : non!
s les ans, les profes
seurs.de PEcole Mi-
- |
16
249 ———— LES ÉNIGMES DELA GUERRE ———

. Jitaire Supérieure de guerre y conduisaient leurs


élèves. C’est le sol et ses accidents qui les intéres-
saient, et non le sous-sol. Le bassin de Briey ne
figurait pas sur le Badeker du stratège. Nos offi-
ciers n’ont pas subi, comme en Allemagne, les :
suggestions des industriels. C’était un petit coin
de terre pareil aux autres à leurs yeux.
— Maïs alors, pourquoi n'avoir pas détruit les
usines lorsqu'elles furent en marche? Avoir
arrêté le travail? - Lo
: — Voilà lä question sous son vrai jour — ré-
pond le général X... Et il répète sa formule : La
- guerre-est une affaire de conventions. Pendant
des siècles,la guerre fut un jeu magnifique et
terrible entre professionnels. On se battait sui-
vant les règles de l’art. Telle manœuvre avait-
elle réussi? L’adversaire. s’avouait vaincu. Et
puis, la convention a été foulée aux pieds du jour
où on s’est battu — pendant trois ans — de tran-
chée à tranchée, sans se soucier d’être tourné
ou
non! Mais, malgré cela, les conventions tacites
: n’en existaient pas moins. »

‘ ‘ © LE G.Q.G. EST TABOU

. De ces conventions, le général X... cite un nou-


vel exemple :°« C’est ainsi qu’on s'est, le plus
souvent, abstenu de bombarder les grands états-
majors lorsqu'ils n'étaient pas sur un lieu de pas-
sage. ou sur un point de concentration ferrée des
troupes. Lorsque Compiègne — à partir du 21
mars— reçui, toutes les nuîts, la visite des go-
thas, le Palais — où était installé le G.Q.G. —ne
reçut pas une seule torpile. Les Allemands bom- |
bardaïent la gare, les ponts sur l'Oise, les carre-
fours de routes : visiblement ils épargnaient le
Grand Quartier Général. » UT
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ——— 943
Cette affirmation du général X.. lui valut une
- énergique protestation de M. le commandant de .
Grandmaison, député : : | _
: — Vous accusez, en somme, de pusillanimité,
- des officiers d’état-major? Or, j’estime, que si la
place de certains d’entre eux, qui étaient chargés
de liaison avec l'avant, était d’être, le plus sou-
‘ vent possible, en contact immédiat avec les
com-
baittants sur la. ligne de feu, par contre, les off-
ciers préposés à la mise en mouvement des
rouages si compliqués d’une armée et même d’un
corps d'armée, devaient être placés dans une sé- :
‘curité relative leur permettant de faire ‘œuvre
utile. >» . | ee
Le général X..., dont les déclarations furent
‘lobjet au - Parlement. d’une interpellation de
M. Renaudel, riposta : : oi |
— Je n’ai pas dit — comme M. Renaudel me
l'a fait dire — ‘qu’on s'était abstenu, de part
d'autre, de bombarder les états-majors, maiset
:. qu’on s'était abstenu, Le plus souvent, de les
barder lorsqu’iüs n'étaient Pas sur un lieubom-:
Passage ou Sur un point de concentration ferrée de
des troupes. Il va sans dire que, de ce fait, les :
états -majors de brigade-et de. division qui se
trouvaient -isolément dans la zone de mouv
ement
des troupes subissaient le sort de ces derniè res.
Et aussi certains états-majors de corps
d'armée.
Il est même arrivé qu’en pleine bataille, un
tier général d'armée, quar-
par exemple,
‘ Souilly pendant la bataille de Verdun, celui se
de
trouv au cœur de la circulation des convoi
soit
encore qu'il ait été, malencontreusement, s,placé ou
près d’un camp d'aviation, ce qui n'était pas
. Pour lui servir de garantie. fait
oi Le
€ On a même vu — conclut M. le génér
— Je G.Q.G. lors du 21 mars, se trouve al X..
Coup, à vingt kilomètres de l’ennemi:ar, tout à :
lors que
- D4d = LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ———-
- : : UE
Compiègne était traversé par les troupes et l’ar-
tillerie. Et alors, les Allemands — qui n’avaient
pas bombardé, ni Chantilly, ni Beauvais et qui,
par la suite, ne bombardèrent pas Provins—
multiplièrent, à ce moment-là, les expéditions sur
Compiègne. Mais comme. le Palais, siège du
G.Q.G. était, par sa masse, extrêmement visible
et suffisamment éloigné des ponts de l'Oise et de
la gare, il ne reçut pas de projectiles. Ÿ
— Alors, les états-majors s’entendaient entre
eux? ——
-— Non — répond le général X..., mais il tombe
- sous le’ sens que le fait de bombarder un état-
major placé en arrière du front — pour la ré-
sultat illusoire de gêner le travail des bureaux
et de semer-la panique — n’est pas un but mili-
taire qui vaille la peine d'exposer des appareils
et des pilotes, plus utiles aïlleurs. Sans compter
‘que ce jeu attire, toujours, des représailles fort
gênantes et qui n’ont rien à voir avec les opéra-
tions. La reconnaissance spontanée de cette vé-
rité d'expérience par les deux adversaires qui ont
le souci d'utiliser les moyens dont ils disposent
pour le maximum de rendement, constitue, pro-
prement,ce qu’on appelle des accords tacites. »
\-

POURQUOI N’A-T-ON PAS DÉMOBILISÉ


L'ARMÉE ALLEMANDE?
. < De cet esprit conventionnel qui régna
jours dans la guerre — tant qu’elle sera faite tou-
par
. des soldats de carrière — continue le généra
Voici un autre exemple : c’est l'armistice lqui X...
. nous le fournir. On se demandait de toutes va
Parts : Pourq
uoi n'a-t-on pas démobilisé l'armée
allemande? Mais tout simplement
parce que, se-
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE —— 245
lon une règle de dignité militaire immémoriale,
tout adversaire qui a fait preuve de bravoure et
de ténacité a droït à ce qu’on appelle les honneurs
de la guerre. Le maréchal Foch a jugé que l'ar-
mée allemande avait mérité cette concession,
alors que les Autrichiens, en mauvais soldats .
qu'ils dtatent, ne le méritaient pas. Et je vous
affirme que pas un militaire n’a trouvé que le
maréchal Foch avait tort. » e ST
Cette noble attitude du vainqueur de la guerre
à l'égard des vaincus se manifesta d’une autre
manière : le maréchal Foch donna des ordres
formels pour que l’arrivée à Retondes des pléni-
potentiaires allemands, le 11 novembre 1918, soit
entourée d’une absolue discrétion. .C'est-ainsi
qu'aucun photographe ne fut présentà cet évé-
nement historique, à la demande énergique du .
maréchal Foch qui fit prendre toutes les précau-.
tions pour qu'aucune photographie ne fut prise, .
qu’elle soit officielle ou privée. .
Cette concession à l’armée allemande, le maré-
chal Foch la prolongea au-delàde l'armistice.
— Il est de l’intérêtde tous — écrit-il par l’in- :
termédiaire de Recouly dans le Mémorial — que
l’armée allemande rentre en ordreen Allema-
gne. » Loue .
. Et, au moment de la préparation de Ja confé-
rence dela paix, c’est.le maréchal Foch qui sauva
l’armée allemande. e
Le général Bliss, représentant militairé des
Etats-Unis au. Conseil Supérieur de la Guerre,
se faisant l'interprète fidèle de la pensée du Pré-
sident Wilson, demanda le « désarmement total
el la démobilisation complète des forces actives
allemandes. » oo TT
* Qui prit la responsabilité -—
M. Monteilhet, dans sa savante étude : «demand
La
e:
paix
par le désarmement >» — de repousser la propo-
4
2\

___ 246 -—— LES ÉNIGNES DE LA GUERRE —

. sition du général Bliss sans, même,la soumettre


aux chefs des gouvernements alliés? C’est le ma-
réchal Foch. Obéissant à l'instinct du militaire
professionnel, solidaire de ses + camarades »,
sans distinction de drapeau, il procède au sauve-
_tage de l’armée allemande menacée d’une des-
truction qui entraînerait bientôt la disparition
de l’armée française.Il se refuse énergiquement
à imposer à l’ennemi des + humiliations nou-
velles ». Il met, également, sous sa protection la.
flotte allemande. Mais les Anglais passent outre.
- à ses objections, et les bateaux allemands sont
immédiatement livrés ou séquestrés. . : -
-"- Les arguments du maréchal Foch sont très
- nets. Il déclare « inopérante, parce que incontrô-
lable > la clause de démobilisation qui, .cepen-
dant, a figuré dans les armistices ture, bulgare,
autrichien. Le contrôle sera bien autrement dif-
ficile sur le territoire allemand. Prétextes que
tout cela! reconnaît M. Tardieu. Le maréchal
veut conserver entre les mains « de gros effectifs
mobilisés » pour dominer la situation : la démo-
bilisation allemande devait être accompagnée de
la démobilisation française. Mais, dans sa vo-
lonté de rehausser son commandement «+ jus-
qu’au bout », il joue vraiment la difficulté: de
l’autre côté du Rhin, jusqu’à la ratification du
traité de Versailles, les Allemands. disposeront,
encore, d’une armée d’un million d'hommes sur
laquelle s’appuiera le comte de Brockdorff-Rant-
._Zau pour tenir tête à Clemenceau durant les mois
de mai et de juin 1919.
À ces égards, inspirés par la solidarité inter-
nationale, il ÿ a une autre raison : c’est dans
- l'existence des militaires par-delà la frontière
- que les militaires d’en-deca trouvent leurs pro-
pres raisons de vivre. Les militaires
pas n’ont
le goût du suicide. « J’ai la conviction — déclara
LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 247
M. Margaine à la Chambre lors-de la discussion:
du Traité de Versailles — que les états-majors
“alliés s’en sont rapportés à l'état-major français,
principal intéressé. Si, comme j'ai le droit de le
supposer, c’est l'état-major français qui a rédigé
la partie militaire du traité,je puis dire qu’il a
organisé l’Allemagne militaire. » -
M. Claussat : € C’est évident! Il lui fallait
- justifier sa propre existence! » |
-La même idée est reprise par Marcel Sembat : ,

< Comment il se fait que le Gouvernement n’ait


pas dit à l'Allemagne de désarmer? On ne le lui .
a pas dit parce qu’il aurait fallu ajouter : e Nous
‘ désarmons, nous-mêmes. Tout est Jà.-» -
Le désarmement de l'Allemagne devait être, :
en effet, le prélude du désarmement général.
-Voici lopinion de M. Marcel Cachin, non pas
d’un Cachin devenu depuis un des chefs du Parti
. Communiste, mais d’un Cachin chargé alors de la
rubrique de la politique étrangère dans une im-
portante revue bourgeoise : « Au terme de la
guerre, le peuple français n’attendait pas seule- :
- ment le désarmement de l’Allemagne. Sans doute,
“notre peuple voulait-il qu'on brisât le militarisme
prussien, de tous le plus odieux et le plus agres-
sif, mais ce qu’il voulait, ce n’était pas la fin
du militarisme allemand seulement : c'était la
fin de tous.les militarismes!… Il fallait dire à
Allemagne : Nous allons vous désarmer d’abord,
parce que, hier, vous avez pêché devant l’uni-..
vers; mais, demain, vous pouvez être assurés,
_vous que nous obligeonsau désarmement com-
- plet, que le désarmement sera universel. » . :
248 —— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE
À

. [ 4

- L’INTERNATIONALE DES TÊTES COURONNÉES

Cette solidarité militaire, plus forte même que


la haïne, se complète d’une sorte de solidarité
dynastique. : Le
‘ Par-dessus les tranchées, les armées et les
peuples en guerre, subsista, pendant les hosti-
lités, une forte et puissante Internationale des
Têtes Couronnées.. Se
‘ Si les Grands Quartiers Généraux ne se bom-
bardaïent pas entre eux, il en est de même des
palais royaux! Aucun roi, aucun chef d'Etat,
aucun général en chef, n’est mort à Ja guerre,
ni de la guerre, sauf ce maladroit de Kitchener.
- que d’aucuns croient victime de l’Intelligence
Service et de qui, l’impératrice Alexandra Feodo-
rovna fait cette oraison funèbre : e Raspoutine
dit que c’est bon pour nous que Kitchener ait
- péri, car, plus tard, il aurait fait beaucoup de mal
à la Russie.Et aussi qu’il re faut pas regretter
“qu'avec lui aient disparu des documents. »
.: Avec quelle indignation, par contre, la même
Tzarine écrit à son « cher petit garçon bleu »,
‘le Tzar : + C’est honteux, de jeter des bombes
: d'aéroplane sur la villa habitée par le roi Albert!
Grâce à Dieu, il n’y a pas eu de victimes, mais
je n'ai jamais su qu'on ait essayé de tuer un sou-
verain parce qu'il est l'ennemi pendant la
guerrel> . | |
Avec quelle âpreté elle intervient auprès du
Tzar pour ce pauvre Tino! « Nos diplomates
agissent d’une manière honteuse et injuste. Si
lon jette Tino dehors, ce sera de notre faute. Si
. tu pouvais obliger le Gouvernement français à
révoquer Sarrail, tout se calmerait Jà-bas- C’est
une abominable intrigue de la franc-maconnerie _
— à laquelle appartiennent le général français, :
-LES ÉNIGMES DE LA GUERRE -— 249
Venizelos et de nombreux grecs d'Egypte — qui
a jeté les ponts et payé les journaux pour im-
primer de mauvais articles et. ne pas publier le- -
bon concernant Tino et la Grèce. » . _
Et, quelques jours plus tard, en septembre
1916, au moment où l’Entente se débat au milieu
des pires difficultés, elle écrit encore à son mari :
« Ne veux-tu pas prier le Président Poincaré
de rappeler Sarrail et demander à la France et
à l'Angleterre de défendre Tino le roi au lieu de
prendre parti pour Venizelos? Nous agissons très
mal et-je comprends que ce pauvre ait failli
devenir fou. >» °° _ :
Elle intervient, enfin, à maintes reprises pour. -
que les prisonniers allemands en Russie puissent
êter l’anniversaire de Guillaume II « de la même:
façon que les nôtres, en Allemagne, ont fêté ton
jour de naissance ». : ne :

. {NADVERTANCE D'AVIATEUR
Poussé par un égal sentiment de solidarité
dynastique, le prince Sixte de Bourbon supplie,
à maintes reprises, au cours de ses entrevues
avec M. Poincaré, le Président de la République, .
de « sauver le Tzar». Et le Prince insiste auprès
- de M. Jules Cambon sur la nécessité et Ia conve- .
nance de faire des efforts pour sauver l’Empe-. : :
-reur de Russie. Fe Fe
M. Poincaré le. promet.-Et quand M. Miliou-.
koff négocia avec Sir Buchanam, ambassadeur
d'Angleterre en Russie, le départ du Tzar (projet :
abandonné sur le veto de Lloyd George) il fut
entendu, par l'intermédiaire d’un pays neutre,
que l'Allemagne n’attaquerait pas le croiseur.
transportant {a famille impériale. . LS
L’impératrice Zita raconte elle-même que, lors
250 LES ÉNIGMES DE LA GUERRE ———
de la fameuse entrevue de Homburg, elle se trou-
_vait au salon après le déjeuner et regardait cette
assemblée où il y avait deux Empereurs, deux .
Impératrices, les états-majors au complet ct les
principaux ministres des deux pays. « Je pen-
Sais à part moi — dit-elle — que, si par aven-
ture, une bombe tombaitau milieu de nous, elle
ferait un fameux travail. L’impératrice Augusta,
la bonne épouse de Guillaume II, me voyant son-
geuse, me demanda : « À quoi penses-tu? Je lui
dis Ja vérité : « Ach! c'est vrai — répondit-elle
sur un ton très effrayé, Si les Français savaient
qui est ici, ils seraient bien capables de venir
nous bombarder. | |
— Quant à cela — lui dis-je — je n’en crois -
rien: Les Français ne voudraient sûrement pas
. jeter des bombes sur deux femmes. Naturelle-
ment, des bévues peuvent être commises par des
-_ jeunes gens désireux de se signaler. Ainsi, quand,
à l’anniversaire du Roi des Belges, des aviateurs
allemands bombardèrent sa villa et risquérent de
tuer sa femme, ce fut certainement par inad-
verlance. >

-EGARDS POUR GUILLAUME II ET SON ÉPOUSE

M. Poincaré cite, également, un cas curieu


de.ce qu’il appelle la « courtoisie internatio-x
nale >». « Le Gouvernement français a jugé pré-
férable, lors de l'occupation de Corfou par les
troupes françaises, de ne pas”installer le Quar-
. tier Général à l’Achilleion « cette belle propriété
de Guillaume II que ma femme et moi, nous
avons, autrefois admirée, du dehors, pendan
t un
inoubliable séjour dans l'ile, >
. En -
vertu de cette même courtoisie interna-
tionale, la. censure ‘française interdit formel
le-
— LES ÉNIGMES DE LA GUERRE 251

ment des photographies représentant plusieurs


officiers français qui, ayant pénétré dans l’Achil-
. leion, se sont assis sur un lit jadis occupé par la
femme de Guillaume I. - ne
Pas de crimes de lèse-majesté pendant la
guerre! FT ee.
Ni après la guerre, si l’on en juge par les
traitements de faveur dont bénéficièrent, malgré :
les promésses les plus solennelles au peuple, Fer-.
- dinand de Bulgarie, le roi félon et le seigneur.
de la guerre lui-même. … |
A t l - | V E R TT
IISA|
g e n r c | = 1987
À 2007

T À
[VERIFIGA
À. 2017
‘ :: Imprimé pour les ŒE
ÉDITIONS des PORTIQUES
sur les presses de l'imprimerie
HENRY MAILLET
3 et 3b5, rue de Chatillon, Parie

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