Sango Et Le Bata1

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Gilbert Rouget

Notes et documents pour servir à l'étude de la musique yoruba


In: Journal de la Société des Africanistes. 1965, tome 35 fascicule 1. pp. 67-108.

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Rouget Gilbert. Notes et documents pour servir à l'étude de la musique yoruba. In: Journal de la Société des Africanistes. 1965,
tome 35 fascicule 1. pp. 67-108.

doi : 10.3406/jafr.1965.1391

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1965_num_35_1_1391
NOTES ET DOCUMENTS POUR SERVIR
A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA

PAR
G. ROUGET

C'est à Pierre Verger que ces documents doivent d'exister, sans lui ils n'auraient
jamais été recueillis. C'est en sa compagnie qu'en des sanctuaires dont il était le
seul étranger à connaître le calendrier et où il était également le seul à être reçu, j'ai
pu enregistrer les musiques dont il va être question. C'est dans son grand ouvrage
Notes sur le culte des orisa et vodun [Dakar, IQ57), que parurent la description
des cérémonies auxquelles ces musiques se rapportent et les premières versions,
abrégées, des textes figurant ici. On aura sans cesse à s'y référer. C'est à lui enfin
que je dois d'avoir rencontré le Dr. Adeagbo I. Akinjogbin, professeur à l'Université
de ïfe, grâce auquel ces textes ont été complétés et revus 1, au cours des réunions
que nous avons tenues tous trois, à Paris d'abord, à Ibadan ensuite, et tout au
long d'une correspondance passant, entre autres, par Londres et Bahia. Qu'ils
veuillent bien accepter l'un et l'autre d'être cités en tête de ce travail : si les docu
ments publiés ont quelque valeur et si l'on trouve quelque intérêt aux notes qu'on
va lire, c'est d'abord à eux deux qu'on le devra.

Note liminaire.

Cet article a principalement pour objet de situer les deux chants pour Shango
dont on lira plus loin l'analyse musicale par Claude Laloum, et d'en donner les
textes. Analyses et textes ne prendront, à leur tour, tout leur sens que si l'on
écoute la musique à laquelle ils se rapportent. Celle-ci figure sur un disque inti
tulé Fête pour l'offrande des premières ignames à Shango 2 et présentant une vue

1. Remercions également M. Chidjou S. Ramanou, de l'Institut de Recherches Appliquées du


Dahomey, à Porto- Novo, qui nous a accompagnés, P. Verger et moi, à Sakété, en 1964., pour mettre
au point d'ultimes détaUs de traduction.
2. Ce disque (microsillon 33 tours 30 cm, n° LD.2) a été publié, en tirage très limité, aux Éditions
du Département de la musique du Musée de l'Homme. Les deux chants étudiés ici, » Chant pour
Shango et Oya », « Devises de Shango (orikl) », en ont été extraits et reportés sur le petit disque
encarté plus loin.
Les documents qui y sont reproduits ont été enregistrés en septembre 1952, au cours d'une
mission que m'avaient accordée le Musée de l'Homme et l'Institut Français d'Afrique Noire. Les
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d'ensemble de la musique d'une cérémonie saisonnière enregistrée chez des
Nago, sous-groupe Yoruba, au Dahomey. Notes, textes, analyses et disque
forment donc les quatre volets complémentaires d'une publication qui cons
titue un tout.
Le premier des deux chants étudiés est celui qui compose le début de la partie
centrale de cette cérémonie. Le second, en revanche, ne se rattache pas à cet
ensemble. Il appartient au cycle des chants qu'on peut entendre au cours du
culte rendu chaque semaine à Shango, et représente donc un aspect essentiel
du répertoire extrêmement varié attaché à cet orisha. Pour leur grande beauté
musicale, ces deux pièces sont les parties les plus importantes du disque. Sans
avoir la même valeur esthétique, celles qui les entourent — récitation, batteries,
danses — ont à d'autres égards de l'intérêt, notamment celui de fournir des
données comparatives permettant de mieux les situer.
La première partie de cet article groupe quelques observations sur le dérou
lement de la cérémonie d'offrande des ignames, notamment sur le moment où
se sont déclenchées les transes, qu'il est intéressant de considérer dans leur
rapport avec la musique. On trouvera ensuite quelques remarques sur les tam
bours bàtd, étroitement liés, comme on sait, au culte de Shango.
La seconde est constituée par les textes, transcrits et traduits, des deux
chants dont on vient de parler, et par l'exposé des principes qui ont présidé à
leur mise en forme, condition préalable à l'analyse structurale qui en est ensuite
esquissée. Ils sont précédés par celui d'une prière qu'il a paru bon de faire figu
rer ici à la fois parce qu'elle soulève, elle aussi, des problèmes de mise en forme
et parce que récitée — et donc entonnée d'une manière particulière — , débou
chant de plus sur une partie déclamée, elle constitue un maillon de cette chaîne
ininterrompue qui va du parlé au chanté en passant par différents degrés inte
rmédiaires et dont une étude musicale ne peut pas ignorer l'existence.
On sait à quels sommets de l'art ont atteint les bronzes, les ivoires, les bois
sculptés des Yoruba. Dans le domaine de la musique, leur chant sacré atteint
souvent à des réussites comparables. Comme toute œuvre d'art véritable, nos
deux pièces chantées, qui sans être de qualité exceptionnelle sont cependant
tout à fait représentatives de ce répertoire *, se suffisent donc parfaitement à
elles-mêmes. Toute personne pourvue d'une certaine sensibilité musicale en
découvrira par conséquent la beauté, pour peu qu'elle y mette assez de soins,
sans qu'il soit besoin d'explications ni de commentaires. Mais quelle que soit
la forme d'art en cause, il est toujours passionnant d'essayer de comprendre

enregistrements ont été faits sur un magnétophone Tolana, que m'avait prêté l'U. N. E. S. С. О., à
la vitesse de 76 cm/s, avec un microphone Mélodium à ruban.
1. On en aura d'autres aperçus en écoutant le disque Ogoun, dieu du fer, dont la musique a été
enregistrée elle aussi en pays Nago par l'auteur de ces lignes, en compagnie, ici encore, de Pierre
Verger. Un autre fragment figure à la face II du disque intitulé Pondo Kakou, précédé d'une bat
terie pour un autre Ogoun. Un rituel pour Osun, enregistré cette fois en Nigeria chez des Yoruba
Ijesha et montrant un aspect différent de cette musique liturgique, n'a pas encore été publié.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 69
« comment c'est fait ». C'est à cela surtout qu'est consacré le présent travail.
L'étude de Claude Laloum entreprendra de le faire sur le plan le plus import
ant,celui de l'analyse musicale pure. Au présent article ne reviendra que l'ana
lysedes textes. Les deux ensemble permettront de juger des rapports de la
musique et des paroles, aspect essentiel de cette recherche.
Dans une étude dont il a bien voulu me communiquer le manuscrit l, Nicolas
Ruwet, s'inspirant du souci qu'ont eu les linguistes structuralistes de rendre
le plus explicite possible le choix de leurs procédures, montre combien il serait
important de faire porter l'effort sur ce point en musicologie. Sans avoir été
spécialement conçues pour répondre à ce programme, les analyses qu'on va lire,
celle de la musique comme celle du texte, s'accompagnent néanmoins, chacune
en proportion de sa complexité, d'un exposé sommaire — et très incomplet —
des procédures de découverte qui ont été utilisées. Mais, ajoutons-le, c'est le
seul caractère qu'elles aient en commun. Elles ont été menées tout à fait sépa
rément.
On ne manquera pas de noter la disproportion qu'il y a entre l'analyse de la
musique, si détaillée, et celle du texte, si sommaire. Cela tient en partie à ce
que celle-ci n'a guère été menée que dans la mesure où elle était indispensable
à celle-là ; cela tient surtout à ce que pour pousser plus loin l'analyse des
textes, la poursuivre sur différents niveaux et, finalement, lui donner le degré
de finesse qu'ont atteint celle déjà fameuse d'un sonnet de Baudelaire 2, ou
plus récemment encore cette autre d'un sonnet de Louise Labé 3, modèles que,
toutes choses égales, on aurait aimé suivre, il aurait fallu connaître la langue
et la littérature yoraba, travailler sur un matériel plus abondant et disposer
de données comparatives. Ce n'était malheureusement pas le cas. Mais puis
qu'on compare ces entreprises, qu'ils soit permis de faire remarquer que la
difficulté s'augmentait ici de ce que les textes en cause ne sont pas écrits. Il fal
lait donc, avant toutes choses, découvrir leur forme et choisir les moyens de la
traduire. C'est à cela qu'on s'est appliqué, dans l'espoir que si la voie choisie
s'avérait bonne cet effort contribue à susciter la constitution d'un corpus de
musique chantée dont toutes les pièces, publiées suivant un même principe,
soient immédiatement comparables et puissent par conséquent servir à l'ét
ablissement d'une typologie, celle-ci n'étant elle-même, bien entendu, qu'un
élément pour l'élaboration d'une esthétique scientifique de la musique, but
lointain, о combien !, de toute cette quête.

1. « Procédures de découverte en musicologie », à paraître dans Liber Amicorum A. Souris,


Revue belge de Musicologie.
2. R. Jakobson et Cl. Lévi-Strauss, « Les Chats » de Baudelaire, in : L'Homme, II, i, 1962.
3. N. Ruwet, Analyse structurale d'un poème français, in : Linguistics, 3, 1964.
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FÊTE POUR L'OFFRANDE


DES PREMIÈRES IGNAMES A SHANGO,
DIEU DE LA FOUDRE

Les lignes qui suivent sont destinées à compléter l'écoute du disque portant ce titre
et dont on vient de parler, en commentant successivement les plages dont sont composées
sis deux faces.

Deux populations se côtoient dans la région d'Adja Wèrè 1, village où a été


enregistrée cette fête : les Adja, d'une part, de l'autre les Nago (ou Anago),
ceux-ci parlant un dialecte yoruba. Aux confins de ce petit village, dans le
quartier habité par les Nago, se trouve une simple maison rectangulaire, aux
murs de terre de barre et au toit de chaume. Rien ne paraît la distinguer des
autres. C'est là qu'est le sanctuaire de Shango, orisha protecteur de la collecti
vité. En cette année 1952, dans la nuit du 7 au 8 septembre, on s'y réunit pour
lui offrir le fruit des premières récoltes d'ignames, cérémonie qui doit précéder
toute consommation des nouveaux tubercules 2.
A la tombée du jour, les gens commencent à s'assembler autour de la maison.
Dehors, près de la porte se sont installés les trois joueurs de tambour bâta 3.
Jouant d'abord de manière très décousue, s'interrompant pour bavarder, pour
accorder leurs tambours, pour allumer une cigarette, ils s'échauffent peu à peu.

Face I.
Plage 1. Pendant toute la durée des préparatifs qui ont lieu dans le sanc
tuaire, les tambourinaires font entendre des batteries * plus ou moins longue-
1. Sur certaines cartes Adjaouré ; à huit kilomètres à l'ouest de Pobè, ville qui est elle-même,
таг la rcute, à soixante-treize kilomètres au nord de Porto-Novo.
2. Pour une description plus détaillée de cette cérémonie, voir Pierre Verger, Notes..., p. 316-321.
En 1958, puis en 1964, j'ai assisté à des cérémonies semblables en pays Gù, à Porto-Novo. Mais
c'est en décembre qu'elles eurent lieu. Les ignames étaient offertes non pas aux divinités mais aux
morts, aux kûviti.
De cette fête des prémices A. Adandé écrit (« Le maïs et ses usages dans le Bas-Dahomey »,
Bulletin de VIF AN, XV, 1, 1953, p. 226-229) '• « En principe il devrait y en avoir une à chaque
production agricole. Mais une telle pratique serait dispendieuse [...] les Yoruba célèbrent la fête de
l'igname, car ce sont eux qui ont importé ce tubercule dans le pays. »
A. Métraux (Le vaudou haïtien, p. 200), a donné d'intéressants détails sur la fête des ignames
le « manger-.v«w », en Haïti. Les rites qu'il décrit sont plus compliqués que ceux qu'on a pu obser
verà Adja Wèrè. Comme en Haïti, cependant, la cérémonie s'est étendue sur deux jours. A l'excep
tion des batteries de bàtâ, les enregistrements dont il va être question ont tous été faits pendant
la première partie de la première nuit de cette fête.
3. On trouvera plus loin quelques remarques sur ces tambours.
4. Celles qui constituent le premier et le troisième enregistrements de la face A du disque n'ont
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 71
ment entrecoupées de silences. Ces batteries sont en général des devises pour
saluer les dieux.
Plage 2. Les dignitaires du culte et les initiés, hommes et femmes, s'étant
petit à petit réunis à l'intérieur, près de l'autel où sont groupés, adossés au mur,
les objets du culte, la gardienne du sanctuaire procède à la divination par la
noix de kola. La réponse ayant été favorable, l'assistance fait entendre des
acclamations rituelles. Un prêtre de Shango prononce alors une prière, reprise
en chœur par toute l'assistance. C'est la seconde partie de cette prière qui cons
titue la plage 2. On en trouvera le texte plus loin, dans la deuxième partie de
cet article.
Plage 3. Le sanctuaire est maintenant plein à craquer. Brusquement, près
4e l'autel, la gardienne du temple, iyâ Sàngo « mère de Shango », entonne un
chant. La musique — chants et tambours, parfois seulement l'un ou l'autre —
ne s'arrêtera plus désormais de la nuit, mais la période la plus dramatique, et
à tous points de vue la plus intéressante, est celle qui s'écoulera entre le moment
où la gardienne du temple s'est mise à chanter et celui où, les dieux s'étant
manifestés, l'assemblée tout entière se retrouvera dehors, Shango ayant en
personne chanté la salutation obligée à Eshou. C'est précisément cette période
que reproduit intégralement, sans interruption ni montage, la plage 3. On y
reviendra plus loin.

Il était impossible d'enregistrer cette musique et de consigner à la fois ce qui se pass


ait. On ne pourra donc qu'indiquer grosso-modo à quoi correspondent les principaux
épisodes musicaux qui composent cette plage. Les temps indiqués sont calculés à partir
du début de la plage 3, au moment précis où commence le chant.

o'o". La gardienne du sanctuaire, iyâ Sàngo, se met à chanter l.


o'42". Après avoir chanté une longue strophe — (i) de notre texte — , qui
restera la seule de ce genre, iyâ Sàngo lance la première phrase d'une strophe
d'un autre type (и). Désormais le chant sera responsorial — soliste et chœur
alternés — et consistera en une suite d'airs, répétés chacun un plus ou moins
grand nombre de fois.
2'22". On entend quelques coups de tambour bâta, très vite interrompus 2.
La batterie reprendra peu après, cette fois définitivement.

pas été enregistrées ce soir-là, mais le lendemain. Elles n'en sont pas moins représentatives du type
de batterie qu'on battait en attendant que commence la cérémonie. Il aurait été intéressant d'enre
gistrer la totalité de ces batteries. Le magnétophone utilisé, qui, répétons-le, défilait à 76 cm/s,
interdisait qu'on puisse y songer.
1. Les paroles de ce chant et de ceux qui suivront, jusqu'à з'45*> ont été intégralement notées
et traduites, on en trouvera le texte et les commentaires plus loin (p. 94 à 101) dans la deuxième
partie de cet article, sous le titre « Chant pour Shango et Oya ». La transcription et l'analyse de
la musique constituent, rappelons-le, la première partie de l'étude de Cl. Laloum.
2. L'interruption tient simplement à ce que quelques personnes pleines de bonnes intentions,
dans la crainte que le tambour ne soit trop près de mon microphone ont fait signe aux musiciens de
s'arrêter.
72 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
З'гз". Entrée du hochet sçrç 1.
4/34". iyâ Sàngo ayant la voix complètement cassée, — c'est une femme qui
n'est plus jeune — son fils Orobadade 2, voué également à Shango, la relaie et
assure la partie solo du chant. C'est donc lui qui maintenant choisit l'encha
înement des airs.
4'59". Orobadade entonne un deuxième air. On distingue le nom de Yemoja,
divinité des eaux douces et salées et mère de Shango 3.
Il chante : « Yemoja ne connaît pas la bataille... Yemoja, viens soutenir ma
voix, l'amusement, la joie... * »
5'i7". Il entonne un troisième air. Exhortant Shango pour qu'il vienne, il
chante : « Ne dors pas à la maison, oh ! mari à'Oya. »
5'56". Une trompe 5 qui était jusque-là restée silencieuse fait brusquement
irruption. Les gens sont tassés les uns contre les autres. Il fait extrêmement
chaud. Le chant est souvent confus. Les roulements pressés des tambours
bàtd joints aux accents véhéments du trompettiste e créent une atmosphère
tendue. On chante :
« Sàngo porte-moi au dos que nous sortions ensemble
Oh ! homme robuste comme un osé [double hache] .
Laissez-moi sortir avec le père
II sort avec nous et il revient avec nous à la maison
Laissez-moi sortir dehors avec Woru [nom de Sàngo] » 7.
6'57". On entend, mêlées au chant, des salutations déclamées par une partie
de l'assistance. Un orisha s'est manifesté.
8'o2". De nouvelles salutations éclatent et couvrent cette fois le chant. Une
seconde possession vient de se produire. Un orisha est monté sur la tête d'une
des personnes présentes. C'est Oya (PI. I 2). On l'acclame longuement. La
trompe semble avoir des accents triomphants pour saluer son arrivée.
8'28". Comme la prière 8, les salutations se terminent par les mots okô wo,
obo wo, atoto wo y a, litt. : « pénis, regarde ! vulve, regarde !, prépuce, regarde ! »,
pour : « hommes, femmes, enfants, regardez ! »

1. Ce hochet, fait d'une calebasse piriforme, au col allongé, contenant des graines, est un instr
umentconsacré propre à Shango, d'une grande importance rituelle. On l'a entendu pendant la prière.
C'est un hochet du même type qu'on entend pendant Yoriki, dernière plage de la face II.
2. Cf. P. Verger, op. cit., photo 45 et ici PI. 1,5. C'est lui qu'on voit danser devant le tambour
bàtd.
3. Cf. P. Verger, Notes..., p. 291 et suivantes.
4. Ibid., p. 320.
5. Trompe traversière (ipè), de petites dimensions, faite d'une simple corne d'antilope droite,
peu évasée, percée d'une ouverture près de la pointe et ne comportant pas de trou d'intonation.
Cf. note p. 75.
6. On l'entendra, il fait irrésistiblement penser à Armstrong, ce qui est d'autant plus intéressant
que l'instrument est aussi « primitif » qu'on peut le souhaiter : simple corne d'animal démunie
bien entendu de tout mécanisme.
7. P. Verger, ibid.
8. Cf. plus loin le texte de la prière, lignes 39-40-41 et note.
NOTES POUR SERVIR A i/ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 73
8'45". Iyá Sàngo prononce une adresse à l'intention de Oya qui répond par
un cri. Nouvelles salutations pour Oya.
0/14". Orobadade se remet à chanter et entonne une nouvelle fois un air
pour Yemoja :
« Yemoja ! venez danser dans l'enceinte,
venez danser dans la joie. »

L'assemblée est très remuante, on parle, on s'agite. Certains s'occupent à


calmer les dieux qui viennent de prendre possession de leurs « chevaux ».
Secoués de convulsions ceux-ci rugissent et se débattent.
9/30". Lentement, les gens sortent du sanctuaire. Les tambours s'arrêtent
et vont s'installer dehors, près de la porte, sous un toit de feuillage qu'on a pré
paré pour les abriter, le lendemain, des ardeurs du soleil.
9/40". Grand cri de transe.
io'o2. Dehors, iyá Sàngo ayant récupéré sa voix reprend son rôle et mène
à nouveau les chants.
ic/30. La trompe sonne une dernière fois. L'enthousiasme se calme. Les
chants sont de plus en plus décousus.
ю'50. Iyá Sàngo parle aux orisha, puis entonne un nouvel air. « ase un »
(merci !), répondent les orishas qui crient de temps à autre et dont on entend
aussi parfois la pâmoison. Les chants se sont tus. Les tambours continuent
cependant à battre. On entend un moment au premier plan le hochet sçrç. Au
milieu des conversations, petit à petit chacun prend sa place dehors.
i2'4O. Iyâ Sàngo reprend les chants et entonne successivement trois airs.
Cris des orisha et salutations à Oya.
I4'oo". Iyd Sàngo interrompt le chant et s'adressant à Oya et Shango, elle
dit :

oko Oya gbóná j obore gbóná / iyá ото a bá onílé pa ilè то / opalemó bàràbàràj
àrà, àrà-o-e...
« le mari de Oya est chaud (amoureux)/ la femme (litt. la vulve) est chaude
(amoureuse) / mère des enfants, elle aide le maître de la maison à nettoyer par
terre / elle nettoie par terre rapidement / merveille, merveille... »
Cri d'un des deux orisha. Nouvelles salutations pour Oya.
14'ю". D'une voix toute cassée, sinon gâtifiante, Shango chante l'air de
rigueur pour saluer Eshou. L'assemblée répond en entonnant un air qui a déjà
été chanté quelque temps avant. Ici commence véritablement la suite de
danses qui durera jusqu'à l'aube.
Face II. La suite des dix chants différents — dix airs — qui composent les
quatre premières plages de cette face, a été « montée » de manière à montrer,
en raccourci, l'aspect musical d'une fête de ce genre, l'épisode des transes une
74 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
fois passé. Les dieux étant là, on s'installe dans une atmosphère de liesse tout
à fait détendue. Les danses se succèdent jusque tard dans la nuit, (PI. I 5),
entrecoupées d'arrêts au cours desquels Shango et Oya répondent aux saluta
tions, bénissant ceux qui viennent se prosterner à leurs pieds г, répondant « ase
un, ase un » (merci ! merci !) à leurs souhaits, donnant eux-mêmes, de leurs voix
chevrotantes, le signal des airs à chanter.
Chants et danses reprendront vers midi, pendant qu'on cuit et qu'on prépare
les nouvelles ignames dont on va faire grande consommation au cours du long
repas communiel par lequel s'achèvera la fête.

* *
II n'est évidemment pas question de s'appuyer sur un seul document, serait-
il comme celui-ci intégral et enregistré dans des conditions de « naturel » à tout
prendre satisfaisantes, pour proposer des conclusions générales sur le déclenche
ment des possessions yoruba vues dans leurs rapports avec la musique. Ce
document est d'ailleurs loin d'avoir été étudié avec la minutie qu'il faudrait
pour cela : ni l'identification des batteries — qui appelaient-elles, que disaient-
elles ? — ni celle des appels de la trompe n'ont été faites. Semblable travail
serait en vérité considérable. Bien d'autres éléments manquent encore. Quant
au texte chanté, on Га dit, une petite partie seulement en a été établie.
L'un des enseignements qu'on peut cependant en retirer concerne le temps
requis en la circonstance pour passer de l'état, disons « normal », à l'état de
transe et pour s'installer dans le monde nouveau ainsi créé, où hommes et dieux,
familièrement mêlés, parlent, chantent et dansent ensemble. Si l'on ne tient
compte ni de la préparation psychologique qu'ont certainement été la divina
tion — déjà dialogue avec les dieux ou les ancêtres — et la prière, ni du fait que
les tambours battaient déjà depuis quelque temps avant que ne commence la
cérémonie stricto sensu, ce passage a duré ce jour-là quatorze minutes environ.
C'est le temps qui sépare le moment où iyá Sangó s'est mise à chanter (il n'y
avait alors pas trace de possession dans l'air, si j'ose dire) et celui où Shango lui-
même, après avoir pris possession un peu brutalement d'une des personnes pré
sentes, son elegun, et s'être progressivement intégré à l'assistance, a entonné de
sa voix chevrotante le chant auquel devait répondre un refrain très gai et qui a
marqué le début des danses. Il n'est pas possible, on en a dit la raison tout à
l'heure, de préciser à quel moment s'est produite la première transe, mais le
premier grand cri caractéristique s'est fait entendre 8'45" après le début du
chant de iyá Sàngô. Il répondait aux salutations à Oya. Or, écrit Pierre Verger
dans la relation qu'il fait de cette cérémonie, Oya s'est manifestée peu après
Shango. Il est vraisemblable que les salutations qu'on distingue peu avant cor-
1. Cf. P. Verger, ibid., photo 58. On y voit Oya, cette nuit-là précisément, en train de bénir des
fidèles.
NOTES POUR SERVIR A L ETUDE DE LA MUSIQUE YORUBA /O
respondent à son arrivée. Le déclenchement des transes attendues ce jour-là
s'est donc produit en moins de huit minutes. Plus tard, au cours des danses, à
mesure que la nuit s'avancera et que les participants seront plus nombreux, il
s'en produira bien d'autres. Dans le brouhaha et la gaieté générale, elles passe
rontpresque inaperçues. Shango, dieu de la foudre et Oya son épouse, déesse du
Niger, sont là, héros de la cérémonie, les autres orisha ne seront ce soir-là que
des comparses.
Le développement de la musique est marqué par une phase de paroxysme,
qui commence avec l'entrée de la trompe dont l'intrusion est tout à fait abrupte
et quasi jurioso. Les tambours semblent alors rivaliser avec elle pour créer cet
état de tension qui suscitera la transe. Que ipè, le nom de cette trompe \ soit
le mot qui signifie « appel », est significatif. Trompe et tambours « parlent »,
comme on sait. Mais ce qu'il est intéressant de constater ici, c'est qu'ils le font
avec une grande intensité émotionnelle. Aussitôt les possessions accomplies, la
trompe se tait. Sans doute n'a-t-elle plus de rôle à jouer. On ne l'entendra plus
de la nuit.
L'atmosphère dramatique se détend donc dès après l'arrivée des dieux. Une
certaine confusion règne pendant un moment, le temps qu'il faudra pour quitter
le sanctuaire en accompagnant Shango et Oya — tout secoués encore de trem
blements, rugissants, poussant parfois le cri aigu de la transe, répondant aux
salutations qu'on leur adresse —, et pour aller avec eux s'installer dehors. Pen
dant qu'on se transporte à l'extérieur les tambours se taisent. La trompe con
tinue quelque temps encore de sonner. Les chants cependant ne se sont pas
interrompus. Plus tard, ce sera l'inverse, et pendant toute la nuit lorsque entre
deux danses, ou entre deux airs, on s'arrêtera de chanter, les tambours conti
nueront de battre, serait-ce au ralenti, serait-ce, disons-le, n'importe comment.
Il est clair qu'il s'agit d'assurer la continuité de cet état particulier où baigne
tout entière l'assemblée — peut-être de l'état de possession lui-même ? — en
maintenant vivante cette palpitation qu'engendre la musique et qui est sans
doute sa vertu essentielle.
Après cette baisse de tension, de quelques minutes, la musique renoue avec
ce qu'elle était peu avant à l'intérieur du sanctuaire. Une nouvelle vague d'émot
ion emporte l'assistance. Les chants retrouvent leur ferveur, les dieux rugissent
et aboient ; on les acclame. Ce n'est qu'après l'air rituel pour Eshou, messager
des dieux, chanté par Shango en personne, que la musique s'établit définit
ivement dans la forme qu'elle conservera désormais, celle d'une suite d'airs
de danse entièrement dépourvus de caractère dramatique.
La voix de Shango, chevrotante et brisée par la vieillesse, qu'on entend à
la fin de la face I du disque et, à plusieurs reprises, face II, mérite qu'on en dise
un mot. Elle est évidemment celle du personnage, celle d'un ancêtre sans âge,

i. Abraham, op. cit. « ipè... act of calling... trumpet ».


76 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
celle du roi légendaire de Oyo. Comme le montre la photographie de Pierre
Verger 1, sans être jeune, l'homme en qui s'incarnait Shango cette nuit-là était
loin d'être un vieillard. C'était lui qui avait prononcé la prière qui figure au
début du disque. En l'écoutant on pourra juger de la transformation qu'a subi
sa voix en même temps qu'il changeait de personnalité, ce qui pose, une fois
encore, le problème des « aspects théâtraux » de la possession, dont ont parlé
tant d'auteurs, en particulier Roger Bastide 2 et Michel Leiris 3.
D'une manière générale les possessions qu'on peut voir au bas Dahomey,
en des occasions comme celle-ci, chez les Aja comme chez les Yoruba, se manif
estent au début par des mouvements convulsifs, une agitation un peu hagarde,
une démarche saccadée, de temps à autre ce bruit si particulier du souffle le
ntement repris après une brusque expiration et faisant vibrer l'air au passage
entre les lèvres, sorte de pâmoison souvent suivie d'un cri aigu et bref, tenant
beaucoup de l'aboiement du chien. Rapidement ces signes disparaissent et la
présence du dieu ne se devine guère plus, à part certains détails vestimentaires
caractéristiques, qu'à quelques bizarreries, tels que des battements de paupières
plus accentués que d'habitude, des yeux qui roulent, la pointe de la langue qui
sort légèrement de la bouche entrouverte et fait de rapides va-et-vient d'une
commissure à l'autre. A cela s'ajoutent, bien entendu, les particularités du com
portement correspondant au caractère de chaque divinité. Jamais cependant
ces transes n'ont la violence, le déchaînement, l'aspect si brutalement « hors
de soi », des possessions qu'on peut voir par exemple dans les films de J. Rouch,
notamment dans les Maîtres fous. Au point qu'on peut se demander dans quelle
mesure il est légitime d'employer le même mot pour recouvrir deux états aussi
différents l'un de l'autre. Au demeurant on ne voit pas quel caractère commun
on pourrait trouver entre les airs de danse des génies songhay et ceux des divi
nités yoruba, non plus d'ailleurs qu'entre les deux chorégraphies, si éloignées
aussi, qui y répondent.

Notes sur les tambours bâta.


Les tambours bàtd sont connus. William Bascom en a donné une brève des
cription, illustrée de plusieurs photographies, dans la notice qui accompagne
son disque Drums of the Yoruba of Nigeria 4. Laoye I, Timi of Edç 5 indique som-

1. Op. cit., photo 47.


2. Le Candomblé de Bahia (rite nag*>), notamment le chapitre « La structure de l'extase ».
3. La possession et ses aspects théâtraux chez les Éthiopiens de Gondar.
4. Ethnie Folkways Library Album 441, New York, 1953.
5. Chef de Èdè, en Nigeria, grand défenseur de la musique traditionnelle yoruba et bien que
chrétien s'intéressant à la musique pour les orisha, tambourinaire à ses heures, il a écrit divers
articles sur les tambours « parlants ». Pour les étrangers de passage il fait volontiers exécuter des
démonstrations de batterie par les musiciens qui sont à son service. Ce fut le cas pendant une visite
que nous lui fîmes, P. Verger et moi, en 1958, et au cours de laquelle furent recueillis de sa bouche
les quelques détails qui figurent plus loin.
NOTES POUR SERVIR A b'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 77
mairement comment on en joue dans son article « Yoruba drums » 1, où figurent
les dessins des quatre instruments composant un ensemble complet de tam
bours bâta. Anthony King 2 en a parlé, incidemment, pour les comparer aux
tambours en forme de sablier, à tension variable, dùndun. Fernando Ortiz enfin
a consacré aux tambours bàtd de Cuba un chapitre entier de son grand ou
vrage 3. Je me contenterai d'indiquer en quoi ceux d'Adja Wèrè s'écartent de
ce qui a déjà été dit — au passage on s'arrêtera sur quelques problèmes soulevés
par ces comparaisons — et j'ajouterai certains détails sur cette curieuse parti
cularité qu'ont les tambours bàtd d'être bègues.
Le mot bàtd désigne non pas un tambour mais bien une batterie de tambours,
composée de trois instruments au moins, semble-t-il (les auteurs divergent sur
ce point, on va le voir), de même forme mais de tailles différentes. Ces tambours
à caisse de bois et à deux peaux, sont caractérisés par le fait que les deux memb
ranes sont de dimensions très inégales * et qu'à l'inverse de ce qu'offrent plu
sieurs types de tambours africains, la petite membrane n'est pas seulement là
pour permettre l'attache et la tension de l'autre, elle est également battue.
Photographies ou dessins, les figurations reproduites par W. Bascom, le
Timi de Èdè et F. Ortiz donnent des tambours bàtd des images remarquable
ment concordantes en ce qui concerne leur facture. On est en droit de penser
qu'elles nous mettent en présence de ce qu'on pourrait en appeler la forme
canonique : fût allongé ayant une base beaucoup plus large que l'autre et s'étré-
cissant progressivement entre les deux de manière asymétrique, de sorte que
l'étranglement ne divise pas la caisse en deux parties égales mais se trouve
beaucoup plus près de la petite base que de la grande.
L'attache, indirecte, est d'un type peu usuel en ceci que la peau est enroulée
autour d'un cerceau (?) de telle manière qu'elle se replie non pas vers l'exté
rieur mais bien vers l'intérieur. Les deux membranes forment ainsi un gros
bourrelet autour des deux extrémités de l'instrument. Pour ce qui est du plus
grand ou des deux plus grands tambours d'un ensemble bàtd, la caisse est
comme corsetée, souvent sur la majeure partie de sa longueur, par une lanière
de cuir enroulée autour d'elle en spirale serrée et recouvrant le laçage de ten
sion qui court d'une membrane à l'autre. Ces tambours (parfois les deux,
parfois le plus grand seulement) portent des clochettes de cuivre 6 attachées
autour des deux membranes. Pour ce qui est du ou des deux plus petits tam
bours de l'ensemble bàtd, la lanière enroulée autour de la caisse n'en enserre
qu'une petite partie, là où elle est étranglée, et il n'y a pas de sonnailles.
r. Odu, A journal of yoruba and related studies, n° 7, Ibadan, 1959, p. 5-14.
•г. Yoruba sacred music from Ekiti, Ibadan, 1961, p. 2-3.
3. Los Instrumentas de la Música Afrocubana, vol. IV, Habana, 1954, ch. XVI, Los Tambores
bimembranófonos. Los « batá » (p. 205-342).
4. De l'ordre de 30 cm de diamètre pour la plus grande membrane, de moins de la moitié pour
la plus petite, ceci pour le grand tambour, les rapports restant à peu près les mêmes pour les autres
qui sont de tailles décroissantes.
5. Ou des sonnailles en forme de clochettes ?
78 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Les tambours bàtd d'Adja Wèrè diffèrent sensiblement de la forme cano
nique du bàtd telle qu'elle vient d'être définie. Comme le montrent les photos
de P. Verger (PI. II 2, 3), la caisse, moins allongée et s'amincissant plus
abruptement du côté de la petite membrane est légèrement bombée au centre.
L'attache est doublement indirecte en ce sens que la peau est repliée autour
d'un mince cerceau (?) qui sert de point d'appui au système de tension et que
ce système est lui-même fait de deux éléments : au bord des deux peaux, entre
cerceau et caisse, sont accrochées des petites boucles en cuir et c'est entre ces
deux séries de boucles que le lacis de tension proprement dit fait va-et-vient
d'une membrane à l'autre. Il est difficile de dire si ce lacis, lui-même en cuir,
est en forme de W, ou de Y : un cordon, également en cuir, ceinture la caisse
une ou deux fois en son milieu et l'enserre, mais sans en réunir régulièrement
les passes deux à deux. Pas de lanière enroulée en spirale autour de la caisse.
Pas de sonnaille. Il semble qu'on ait affaire ici à une forme fruste, peut-être
paysanne, de l'instrument. Les bàtd photographiés par \V. Bascom sont en
effet de facture à la fois plus compliquée et plus soignée. Ce sont d'ailleurs
écrit-il, des instruments de professionnels. Sauf erreur, les tambourinaires
d'Adja Wèrè n'en étaient pas. Quant aux tambours bàtd de Sakété photogra
phiés par P. Verger (PI. II 2 et 3), ils semblent être à mi-chemin entre les
uns et les autres.
En ce qui concerne le nombre d'instruments dont est normalement compos
ée la batterie des bàtd, les auteurs divergent. \V. Bascom note (op. cit., p. 5)
que la batterie qu'il a enregistrée x était de trois instruments, mais précise
qu'il peut s'en adjoindre d'autres, parmi lesquels le gúdúgúdú. Selon le Timi
de Èdè une batterie complète de tambours bàtd se compose de quatre instru
ments. Le gúdúgúdú qui est d'une toute autre facture et qui appartient norma
lement à l'ensemble dùndun n'est pas mentionné. F. Ortiz écrit qu'à Cuba
l'ensemble bàtd est formé de trois tambours 2. A Adja Wèrè la batterie était
composée de trois instruments, le dernier n'étant pas du type bàtd. Ce tro
isième tambour était à une seule peau, à boutonnières, fixée par de grands
piquets. Il faisait partie d'une paire. Il y avait donc en tout quatre instruments,
deux bàtd et deux autres tambours, mais le quatrième ne fut joué à aucun
moment, sans doute faute de tambourinaire.
Les quatre instruments décrits par le Timi of Edç portent, par ordre décrois
sant de taille, les noms suivants : iyd ilù bàtd (mère tambour bàtd), émêlé abo,
émélé ako, kudi 3, ce dernier tambour étant de même taille que ako, mais ayant
r. Vraisemblablement celle qui figure page 5, au centre.
2. « Los batd son très, todos ellos bimembranófonos, de la misma forma de caja, pero de tamaňos
distinctos (figura 332) » (op. cit., p. 206). Notons-le au passage, les tambours de cette figure 332
b'ont pas la forme canonique du batd : leur caisse est tronconique et l'attache est « en filet ». Ils sont
différents de ceux que l'auteur prendra constamment comme référence dans la suite de sou étude
et qui sont, eux, extrêmement proches de ceux que reproduisent W. Bascom et le Timi de Ede
(cf. notamment les figures 336, 340, 341).
3. Les tons sont ceux qu'indique Abraham.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 79
un son différent, on verra pourquoi plus loin. Lui-même nous a traduit émélé l
par « accompagnement », émélé abo par « accompagnement femelle » et émélé
ako par « accompagnement mâle ». W. Bascom donne les mêmes noms, avec
la variante dialectale ômèlé pour émélé. A Cuba 2, où ihï est le nom commun
africain du tambour, le plus grand des bàtd s'appelle également iyd « mère », les
deux autres portent différents noms parmi lesquels omelé 3, le second tambour
étant « Omelé Enkô », qui est évidemment le ómélé ako « accompagnement
mâle», qu'on vient devoir. En revanche le nom de kudi n'est nulle part ment
ionné par F. Ortiz. Il ne m'a pas non plus été indiqué à Adja Wèrè, où les
noms des trois tambours étaient iyd pour le plus grand, pour le second akogbe,
dont je ne saurais préciser les tons, mais où il faut selon toute vraisemblance
reconnaître ako « mâle », et ómélé pour le troisième.
A Èdè, le grand tambour (iyd Un bâta, mère tambour bàtd), le second (émélé
abo, accompagnement femelle) et le quatrième (kudi) portent un emplâtre cir
culaire en cire, collé au centre de la grande membrane, le troisième (émélé ako,
accompagnement mâle) seul n'en porte pas, nous a dit le Timi, confirmant ce
que montrent les dessins publiés dans son article. Si, bien qu'ils aient l'un et
l'autre la même taille, kudi a un son plus terne (« dull ») — c'est-à-dire plus
grave sans doute — et émélé ako un son plus aigu (?) (« sharp »), c'est précis
émentparce que le premier porte un emplâtre et que le second n'en a pas, nous
a-t-il précisé.
A Adja Wèrè les deux premiers tambours bàtd portaient également chacun
un emplâtre, le troisième n'en portait pas 4. Il en va de même à Cuba 5. En ce
qui concerne les tambours bàtd dont on peut voir la photographie dans la notice
de \V. Bascom 6, le premier et le troisième, dont on sait qu'ils sont respective
ment iyd ilu et kudi portent chacun des traces d'emplâtre, on reviendra plus
loin sur ce point. Quant au second, il porte nettement un emplâtre. C'est donc,
si l'on se rapporte à ce que dit le Timi de Èdè, un ómélé abo, un tambour d'a
c ompagnement femelle.
L'emplâtre (iro) 7 que portait le grand tambour bàtd de Adja Wèrè était en
forme de couronne (PI. II 3), comme celle qu'on peut voir sur les photographies
reproduites par F. Ortiz (fig. 334 et 335). Le tambourinaire l'avait mis en place
avant de se mettre à jouer. On remarquera que contrairement aux deux petits
tambours bàtd (émélé abo et kudi) dont les dessins figurent dans l'article du
1. Abraham (op. cit.) donne pour émélé :•« Small drum which acts as an undertone to the rhythm
of larger drum. » A. King (op. cit., p. 10) écrit des tambours Aguda et Kànàngô de l'ensemble
dùndûn que lorsqu'ils ont le rôle de soutien rythmique on les nomme Émélé A guda et Émélé Kànàngô.
2. F. Ortiz, op. cit., p. 210.
3. A Trinidad, les tambours de Shango forment un ensemble de trois instruments qui ne porte
pas le nom de bàtd, mais le plus petit des trois s'appelle omnele (G. E. Simpson, « The Shango cuit
in Nigeria and in Trinidad », American Anthropologist, 64, 1962, p. 1208).
4. Rappelons-le, ce dernier faisait office de bàtd mais n'en était pas réellement un.
5. Cf. F. Ortiz, op. cit., fig. 333, 334 et 335.
6. Op. cit., p. 3, photo du bas.
7. Mot dont je ne saurais indiquer les tons.
80 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Timi et qui portent chacun un emplâtre (lequel est, notons-le, en forme de
cercle plein et non de couronne), le grand tambour, lui, ne montre que des
traces d'emplâtre. Il en est de même, semble-t-il, pour celui qui figure sur la
photographie de W. Bascom, on vient de le dire. Il semble donc que pour ce
qui est de iyd ilu la coutume soit de ne pas laisser l'emplâtre collé en perma
nence sur la membrane. C'est une pratique peu courante, sauf erreur, et il serait
intéressant d'en savoir la raison.
Des peintures géométriques de couleur rouge, grossièrement tracées et plus
qu'à moitié effacées, ornaient la grande membrane des deux tambours bàtd vus
dans ce village. Malheureusement, aucune information n'a été recueillie à ce
sujet.
Les deux instruments contenaient, enfermé dans la caisse, un de ces tout
petits grelots de cuivre, d'à peine un centimètre de diamètre, que les initiés de
certains orisha portent cousus au pagne ou attachés au bracelet lorsqu'ils sont
en costume de fête. Ce petit grelot, saworo, tressaute sous l'effet des vibrations
de la membrane et donne au tambour un timbre un peu brouillé 4
\V. Bascom et le Timi de Èdè s'accordent pour écrire que les deux grands
tambours bàtd sont toujours battus à main nue du côté de la grande membrane
et à l'aide d'une languette de cuir du côté de la petite, les troisième et quatrième
tambours, qui ne sont que « simple accompagnement » 2, n'étant battus que sur
une seule peau, à l'aide de deux baguettes de cuir précise \V. Bascom, ce qui,
soit dit en passant, est une caractéristique du gúdúgúdú.
La photo de P. Verger (PI. II i) prise à Sakété montre également deux grands
tambours battus de la manière qu'on vient de dire, le troisième n'étant frappé
que d'un côté. Les grands tambours bàtd que j'ai vus à Porto-Novo pour une
sortie de « Revenants » — les Egúngún 3 bien connus — étaient également
frappés, sur la petite peau, à l'aide d'une languette de cuir. Cette particularité
est donc caractéristique des bàtd. On dira plus loin ce qu'il en est à Cuba. A
Adja Wèrè nos bàtd étaient battus des deux côtés à main nue. C'est là un écart

1. Ce grelot est à rapprocher des clochettes de cuivre dont on a parlé plus haut. Abraham, dans
son dictionnaire, donne pour saworo : « Small shells round the dimdún drums. » Serait-ce que grelots
ou clochettes en cuivre étaient à l'origine des cauris ? A Cuba, les sonnailles et clochettes attachées
autour du tambour iyd, portent le nom de chaguoró (F. Ortiz, op. cit., p. 230), ce qui est évidemment
le même mot.
2. Timi of Ede, op. cit., p. 10.
3. Que les tambours bàtd soient réservés d'une part aux cérémonies pour Shango, dieu de la
foudre — au cours desquelles, notons-le, ils peuvent cependant faire entendre les devises de n'im
porte quel orisha, précision que je dois au Timi de Ede — d'autre part à celles des Egúngún, esprits
des morts, est curieux et pose un problème. A tout hasard versons à ce dossier cet autre fait : à
Ede — toujours de la même source — le tambour d'eau igba, qu'on joue en l'honneur des ancêtres
et des morts, est également battu à la fête annuelle pour Shango.
P. Verger (op. cit., p. 507), précise qu'à défaut de tambour bàtd les Egúngún dansent au son
« des tambours ogbon ». Ce tambour (ogbon à Ouidah, kósó en Nigeria) est apparenté à la fois au
tambour bàtd et au dùndûn, en ce sens que s'il est bien à tension variable comme le second, il n'a
en revanche qu'une peau et sa caisse, par son asymétrie, est proche de celle du bàtd. C'est ce tambour
qu'on entend dans la Musique des Revenants (disque Contrepoint EXTP 1026) enregistré également
en 1952, à Ouidah, ici encore en collaboration avec Pierre Verger.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 81
notable par rapport à ce qui doit sans doute être considéré comme la forme
canonique du jeu des bàtd. Il mérite d'être signalé et n'est pas sans importance
du point de vue musical. Si l'on compare nos enregistrements d'Adja Wèrè
avec ceux du disque publié par W. Bascom, on s'aperçoit en effet que les tam
bours n'ont pas du tout le même timbre. Les premiers ont une sonorité ronde
et douce, les seconds un son rèche et métallique, qui tient à ce que la languette
de cuir fouette en quelque sorte une membrane qui est à la fois petite et très
tendue.
A Cuba, F. Ortiz écrit x que les tambours bàtd sont toujours battus des deux
côtés et à main nue. Il mentionne 2 cependant qu'en un certain endroit de Cuba,
à Matanzas, les tambourinaires « créoles » ont inventé « il y a longtemps », pour
éviter de trop s'abîmer la main, de frapper la petite membrane à l'aide d'une
« main artificielle » faite d'un morceau de gros cuir. Cette technique fut bientôt
abandonnée, ajoute-t-il, comme ne permettant pas d'obtenir les mêmes sonor
ités qu'à main nue. Lorsqu'il écrivait son chapitre sur les bàtd, F. Ortiz n'avait
pas encore pris connaissance des faits rapportés par W. Bascom et publiés
seulement un an avant la sortie de son propre ouvrage. Il aurait sinon consi
déré, très certainement, comme il semble raisonnable de le faire, que la tech
nique en usage un temps à Matanzas n'avait pas été inventée localement, mais
bien au contraire qu'elle était venue d'Afrique avec l'instrument, ce qui est
d'autant plus vraisemblable qu'il s'agit précisément d'une région où, suivant
Lydia Cabrera 3, les traditions « lucumi » — c'est-à-dire yoruba — sont restées
particulièrement pures.
Dans une batterie classique de tambours bàtd les deux plus grands instr
uments sont battus, on l'a déjà dit, des deux côtés. Nos tambours d'Adja Wèrè
s'écartaient là encore du modèle en ceci que s'ils étaient souvent joués de cette
manière, il arrivait aussi qu'ils soient battus sur une seule peau. Dans le pre
mier cas ils étaient ou bien suspendus horizontalement, de manière à reposer
devant le tambourinaire à hauteur des mains, ou bien posés en travers des
cuisses; dans le second ils étaient tenus entre les jambes, la petite base repo
sant ou non à terre, la grande membrane étant alors seule à être battue.
La manière de les suspendre (PI. I 5 et PI. II 2) était assez particulière et
mérite qu'on la signale. Elle est identique à celle que montre une photographie,
publiée par Curt Sachs 4, de tambourinaires malgaches battant des « tambours
sur cône » d'un type somme toute assez voisin de celui de nos bàtd : la lanière
de suspension, attachée aux deux extrémités du tambour passe non pas autour
du cou ou de l'épaule du tambourinaire, comme c'est généralement le cas, mais

1. Op. cit., p. 214.


2. Ibid., p. 251.
3. Musica de los cultos africanos en Cuba, Recogida рог Lydia Cabrera, Grabación рог Josefina
Tarafa. Notice pour quatorze disques microsillons publiés par ces deux auteurs. Le disque 2 notam
ment,offre plusieurs airs pour « Changé, Oyá, Yemayá y Oshun », accompagnés de bàtâ.
4. Les instruments de musique de Madagascar, planche X.
Société des Africanistes. 6
82 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
bien autour des reins. A. King {op. cit., p. 2) décrit la manière classique de
porter l'instrument. C'est celle des musiciens de Saketé (PI. II 1) et c'est éga
lement celle que montrent les photographies de W. Bascom : le tambour est
suspendu devant le batteur, en travers et à hauteur du bas-ventre, par une
large bande d'étoffe passant en sautoir autour d'une épaule. Le brin de devant
est celui qui est attaché au tambour du côté de la petite base. Il est un peu plus
court que l'autre, de sorte que le tambour est légèrement incliné, la petite memb
rane — celle qui est battue avec la languette de cuir — étant plus haut que
la grande. Ceci pour les deux grands tambours bàtd. Le ou les autres sont su
spendus de manière un peu différente.
Le tambour bàtd a ceci de très particulier qu'il est bègue, chose inattendue
pour un tambour « parlant » К Le Timi nous a donné à ce sujet les précisions
suivantes 2 : « Pour produire un ton sur un tambour bàtd il vous faut jouer
les deux membranes ensemble, bàtâ est supposé être un bègue. Si quelqu'un
veut dire « bàtd » sur le tambour bàtd, c'est [bà-â-td] 3 (qu'il dit), s'il veut dire
ojô, c'est [o-ô-jâ] (qu'il dit) ... Quand une personne est bègue elle ne peut pas
dire un mot d'un seul coup. Le bàtd est comme ça. Il dit [bà-â-td] parce que,
à la différence du dùndun, vous jouez les deux membranes simultanément 4
pour produire un ton. » Ces informations hâtivement recueillies ne suffisent
pas, bien entendu, pour expliquer comment se réalisent les tons de la langue
lorsqu'ils sont tambourinés. Mais ici encore elles montrent qu'il y a là un
problème. Anthony King, dans le bref parallèle qu'il fait entre dùndun et bàtd (on
sait que le dùndun, tambour à tension variable, est l'instrument idéal pour tra
duire les tons modulés si abondants en yoruba), note que pour le bàtd la seule
manière de faire varier la hauteur est le « muting », disons le blocage, de la peau.
Quel rôle joue alors la double attaque des membranes ? Comment fonctionne-
t-elle à l'intérieur de l'opposition frappe bloquée/frappe non bloquée 6 ? Quels
rapports peut-elle avoir avec la réalisation des tons modulés ? Autant de ques
tions qui se posent. F. Ortiz indique brièvement qu'une des particularités de
la technique consiste à étouffer l'une des deux peaux pendant qu'on frappe

1. « The Iya Ilu Bata though suited for talking does so with some difficulty being a stammerer »
(Timi of Ede, op. cit., p. 10).
A propos du bàtd comme bègue, P. Verger m'écrit qu'une histoire ďlfá appartenant au signe
(odu) Iwori Oyeku rapporte les faits suivants : un canard portant le pagne d'Eégun (« Revenant » ;
on y a déjà fait allusion) sans avoir fait les sacrifices prescrits, danse au son du bàtd. Celui-ci dit :
« Le canard peut tout faire. Il peut manger, il peut boire, il peut monter sans ailes au plafond... »
A la troisième fois, le pagne se déchire et le canard, au lieu de faire ces choses miraculeuses, dit tout
honteux, en bégayant : ha ha ha ha то bd awo je, « ha ha ha ha j'ai gâté le secret ».
2. Traduites de l'interview enregistré 2 qu'il nous a accordés et qui s'est faite en anglais.
3. Prononcé de manière saccadée, avec une courte occlusion glottale entre les deux a-a-. De
même pour [o-ô-jo].
4. Ceci est évidemment à rapprocher de ce qu'écrit F. Ortiz lorsqu'il parle de « la concordancia
que debe mantenerse entre las dos membranas del tambor » {ibid., p. 234).
5. Le fonctionnement de cette oppositio 1 vue dans ses rapports avec les tons de la langue a été
étudié par l'auteur de ces lignes dans « Tons du langage en Gun (Dahomey) et tons du tambour »
Revue de musicologie, L, 1964. Il ne s'agissait pas, heureusement, d'un tambour bègue.
Planche I

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Illustration non autorisée à la diffusion

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Illustration non autorisée à la diffusion

Illustration non autorisée à la diffusion Illustration non autorisée à la diffusion

Sakété. 1. Igá Sàngô, chanteuse principale de Voriki, à côté de l'autel. — Adja Wèrè. 2. On entoure Ода qui vient de se manifester.
— 3. Ода danse. — 4. Sàngô s'est arrêté de danser et contemple la scène avec bienveillance. — 5. Or'obadade danse au son du bàid.
Pholos P. Verger.
Planche II

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Un ensemble classique de quatre tambours bàtd à Sakété pour la fête de Shango. Pholo P. Verger.

Illustration non autorisée à la diffusion

Les tambours bâta d'Adja Wèrè. Photos P. Verger.


NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 83
l'autre *. Une étude complète du jeu des tambours bàtd serait à faire. Elle
aurait à tous points de vue le plus grand intérêt.
Reste à savoir si les bàtd enregistrés à Adja Wèrè et qui n'étaient battus, rap
pelons-le, qu'à mains nues, étaient également bègues, ce que je ne pourrais
malheureusement pas dire.
Contrairement à ce qui est en principe caractéristique des bàtâ, où le premier
tambour parle et le second répète ce qu'il dit 2, à Adja Wèrè le grand tambour
iyá seul parlait, faisant entendre les énoncés tambourinés calqués sur ceux de
la langue parlée, saluant les orisha en prononçant leurs orikï ou devises. Les
deux autres tambours ne faisaient entendre que des formules rythmiques en
forme à'ostinato, comme cela est si fréquent en Afrique 3.
Les deux membranes étant de dimensions inégales, il s'ensuit qu'on obtient
des graves en frappant la grande membrane, et des aigus en frappant la petite.
La question se pose de savoir si le tambourinaire dispose son tambour de
manière à avoir les graves à sa gauche et les aigus à sa droite — ce qui est en
général le cas lorsque le jeu d'un instrument de musique donne lieu à une divi
sion de son registre entre les deux mains — ou s'il fait au contraire l'inverse.
Des travaux sur les tons du tambour chez les Gû m'ont amené à parler briève
ment, ailleurs 4, de cette question qui n'est pas sans intérêt puisqu'elle soulève
un problème général de latéralité — naturelle ou culturelle ? — liée à des faits
d'acoustique et de musisque et risquant d'avoir des retentissements sur les
techniques instrumentales 5. F. Ortiz pose d'ailleurs lui-même le problème
puisque après avoir dit (op. cit., p. 239) qu'à Cuba le jeu est à mains nues, il
précise qu'en général le tambourinaire tient son instrument de sorte que la
grande membrane soit à sa droite et la petite à sa gauche et fait alors remarquer
qu'à l'inverse du piano les sons graves sont joués par la main droite et les sons
aigus par la main gauche.
Le Timi de Èdè (op. cit., p. 10) écrit que la membrane de droite est jouée avec
1. « Cuando se percute una membrána su sonido dépende no sólo del lugar en que sea golpeada,
y de la forma del golpe sino de si el otro auâ, el opuesto al percutido, esta о no « tapado ». Se dice
« tapar el auô » cuando se coloca la mano sobre él para que no vibre par la resonancia del otro
cuero, ni este reciba a su vez las ondas intensas de la tapada. Esta técnica de cuero tapado y cuero
libre produce una mayor sutileza y complejidad en las sonoridades de los batd » {op. cit., p. 234.)
2. Timi de Èdè (op. cit., p. 10) : « The Bata is so talkative that even in playing dance music, the
Iya Ilu keeps on talking and the Emele Abo keeps on repeating what it is saying. The other drums
in the Bata are mere accompaniments. »
3. Anthony King, dans la description qu'il en donne, non pour le jeu des bàtd, d'ailleurs, mais
bien pour celui des dùndûn (« Employments of the » Standard pattern » in Yoruba Music »), African
Music, Journal of the African Music Society, vol. 2, n° 3, i960, p. 51-54), traite précisément d'un
aspect de la relation 7/5 qui tient une si grande place dans les analyses de С Laloum.
4. Op. cit., p. 10.
5. Il faudrait d'abord, bien entendu, établir les faits et s'assurer que la tendance à confier le
grave à la gauche et l'aigu à la droite est bien, comme cela semble à première vue, universelle.
Citons d'ores et déjà deux exceptions. K. P. Wachsmann, dans une étude récemment parue (« Some
speculations concerning a drum chime in Buganda », Man, January-February 1965, n° 1), parle
en détail du fameux « carillon de tambours » (drum chimes) de l'Uganda, ensemble royal qui se
compose de quinze tambours dont douze, rangés en ligne, sont battus par quatre tambourinaires
assis les uns à côté des autres. Les tambours les plus grands et donc les plus graves sont à leur droite,
84 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
la paume de la main droite et, on l'a vu, qu'une « courroie de cuir est utilisée
de la main gauche pour jouer de la membrane gauche ». La « courroie de cuir »
servant exclusivement et sans exception à battre la petite membrane, cela veut
dire que les aigus sont battus à gauche et les graves à droite. A Adja Wèrè
(PL II 2) les deux bàtâ étaient joués, eux, avec la grande membrane à droite.
Dahomey, Nigeria, Cuba, les faits sembleraient donc partout concorder.
Si l'on y regarde de plus près cependant, on s'aperçoit qu'il n'en est rien. Sur
les huit personnages portant des tambours bàtâ et photographiés par W. Bas-
com, sept font l'inverse de ce qui vient d'être dit. Un seul porte son bàtâ avec
la grande membrane à droite (op. cit., p. 5, photo du centre, musicien du
centre portant ómélé). Comme le montre la photographie prise par P. Verger à
Sakété (PL II, 1), le tambourinaire de gauche a la grande membrane à sa gauche
et celui qui lui fait face fait l'inverse, il l'a donc, lui, à sa droite. (Au second
plan, au centre, le troisième tambourinaire maintient son bàtâ plus incliné et
le frappe d'une seule main ; à droite, le quatrième a son bàtâ suspendu vert
icalement). Deux photographies reproduites par F. Ortiz (fig. 340 et 341), de
deux ensembles différents de bàtâ montrent également, chacune, qu'un des
tambourinaires a la grande membrane à sa gauche. C'est qu'il s'agit de gau
chers, précise l'auteur (op. cit., p. 232), qui ajoute que rien n'empêche les gau
chers de faire l'inverse de ce qui est habituel en la matière, la position du tam
bour n'étant pas rituelle. Il en voit la preuve dans le « fait » curieux que les
olubatâ (joueurs de bàtâ) de Matanzas jouent de leurs instruments avec la
chacha (petite membrane) à droite. Or Matanzas, on l'a vu tout à l'heure,
serait précisément un lieu de bonne tradition yoruba. On constate en défini
tivequ'à Cuba comme en Afrique les faits sont extrêmement contradictoires.
Si la règle veut que pour les bàtâ les graves soient à droite, les exceptions sont
trop nombreuses pour ne pas poser un problème.
La technique du bàtâ, on vient de le voir est très particulière, F. Ortiz г insiste
lui-même sur ce point. De sa description, comme de celle du Timi de Èdè, il
ressort que les deux peaux ne fonctionnent pas, en fait, comme les deux termes

les plus petits à leur gauche. Toujours en Uganda, mais chez une population voisine, un carillon
de tambours, cette fois de sept instruments seulement, est en revanche disposé, je dirais norma
lement, c'est-à-dire avec les graves à gauche [loc. cit., fig. 5). De même la série des six « tambours
de roseaux », dont K. P. Wachsmann indique également la disposition, en notant, là encore (fig. 6
et 8), que les graves sont à gauche. Ces trois « carillons » sont rapprochés du xylophone pour diffé
rentes raisons. Or le xylophone est précisément un instrument où, comme pour le piano, les graves
sont toujours à gauche. La disposition inverse qu'offre le premier « carillon de tambours », avec ses
graves à droite, se présenterait comme une exception à la règle. A quoi tiendrait-elle ? K. P. Wachs
mannn'en propose pas d'explication. Serait-ce parce qu'il s'agit des tambours du roi ? Pure hypot
hèse. Chez les Gun, le tambour d'eau sihù qui est fait de deux demi-calebasses renversées et flo
ttant sur un plan d'eau, offre également cette inversion : les graves sont obtenus en frappant la
calebasse de droite. Ici l'inversion tiendrait-elle à ce qu'il s'agit d'un instrument funéraire ? Expli
cation très plausible, pour toutes les raisons que l'on sait, mais cette fois encore pure hypothèse.
Peu importe d'ailleurs, les exemples qu'on vient de citer l'ont été surtout pour montrer qu'un pro
blème se pose.
1. Ibid., p. 234.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 85
d'une opposition grave /aigu : elles sont frappées simultanément et de telle
manière qu'elles réagissent l'une sur l'autre. Pour les deux grands tambours
bàtâ (les autres « ne sont qu'accompagnement »), l'essentiel est de parler, donc
de reproduire les tons de la langue. C'est ce que fait la grande membrane,
laquelle n'est en réalité spécialisée ni dans le grave ni dans l'aigu : elle délivre
les deux. Л. King x le dit expressément puisqu'il écrit qu'on en modifie la hau
teur en bloquant (« muting ») la peau. Les sons aigus fournis par la petite memb
rane ne sont pas du même ordre. Selon toute apparence ils n'interviennent
que pour moduler — d'une manière qui reste à décrire — ceux que produit la
grande. Au demeurant, frappée à l'aide d'une languette de cuir, objet sans rigi
dité, cette peau ne peut rendre qu'un seul son, lequel est lui-même d'une qual
ité nécessairement différente de celle qu'on obtient à main nue. Les deux memb
ranes des tambours bàtâ ne sont donc pas entre elles dans une relation d'oppos
ition, mais bien de complémentarité. D'où, croyons-nous, la neutralisation de
l'opposition gauche/droite et la liberté qui en résulte pour le tambourinaire de
mettre à sa guise la grande membrane à droite ou à gauche. Si c'est bien ainsi
que s'entend la technique du bàtâ, la règle générale des graves à gauche et des
aigus à droite ne serait ni confirmée ni infirmée : elle n'aurait pas ici son appli
cation, la division du registre en deux parties, grave et aiguë, fournies respec
tivement par la grande et la petite membrane de l'instrument, n'étant en réa
lité qu'illusoire.
Les photographies semblent confirmer cette hypothèse. En effet, parmi toutes
celles dont on a parlé, sur six photos montrant non pas des tambours isolés mais
bien des ensembles bàtâ, les quatre photos les plus représentatives 2 montrent
que les deux grands tambours — encore une fois, ceux qui parlent — sont tenus
à l'inverse l'un de l'autre, de sorte que lorsque l'un des deux a la grande memb
rane à droite, l'autre l'a à gauche et réciproquement. Comme on peut voir
(PI. II, i), à Sakété les batteurs des deux grands bàtâ se font face, de sorte que,
leurs tambours étant inversés, l'un renvoie à l'autre son image comme un
miroir : les deux mains gauches sont d'un côté, les deux mains droites de l'autre.
Les trois autres photos (W. Bascom et F. Ortiz, cf. note ci-dessus) montrent
des tambourinaires disposés non pas face à face mais côte à côte. Dans les trois
cas, les deux grands tambours étant là encore inversés l'un par rapport à l'autre,
ce sont les grandes membranes — celles qui parlent — qui sont côte à côte. Si
les deux musiciens changeaient de place pour se faire face, ils auraient leurs
tambours dans la même position réciproque que ceux de Sakété. Il est peu vrai
semblable que ces coïncidences soient fortuites. De plus, on l'a dit, ce sont dans
les trois cas les deux grandes membranes qui sont côte à côte. Il est peu pro-
1. Op. cit., p. 2-3. •
2. Ce sont : la photographie de P. Verger (pi. II, 1) celle de W. Bascom (op. cit., p. 5, au centre)
et les deux de F. Ortiz [op. cit., fig. 340 et 341). Ne le sont pas : celles d'Adja VVèrè (pi. II, 2) mont
rant des bàtâ peu classiques et celle de W. Bascom (op. cit., p. 5, en haut) montrant une partie
seulement d'un ensemble de six bàtâ.
86 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

bable, ici encore, que ce soit fortuit. Tout se passe donc comme si les deux musi
ciens veillaient à rapprocher le plus possible les deux mains qui jouent de la
grande membrane, celles qui, par conséquent, font parler le tambour. Peut-être
faut-il en chercher la raison dans le fait que, selon le Timi, l'un des deux tam
bours bàtd répète ce que dit l'autre. Ainsi s'expliquerait qu'à la singularité
d'être bègues et de se répéter l'un l'autre, les tambours bàtd joignent celle
d'être disposés en miroir, ce qui n'est en somme qu'une autre façon de se faire
écho.
II
TROIS TEXTES1 LITURGIQUES {fragments).

PRIÈRE A SHAXGO,
A L'OCCASION DE LA FÊTE DES PRÉMICES

ф i. La transcription utilisée pour les textes qui suivent est celle du « Yoruba btandard », telle
qu'elle est fixée par une tradition déjà ancienne ; elle s'écarte souvent de la réalité phonétique.
L'orthographe est celle qu'on emploie en général lorsqu'on fait usage de cette transcription.
Rappelons que le signe p note la labio-vélaire kp, partenaire sourde de gb ; ? l'affriquée généralement
notée š ou c, souvent réalisée comme une chuintante, partenaire sourde de / ; e et о les voyelles
d'un degré plus ouvert que e et o. Les signes ['] et ['] notent respectivement les tons haut et bas ;
le ton moyen se reconnaît à l'absence de signe. Les voyelles nasalisées sont notées par le digramme
[voyelle orale + n].
2. Chaque phrase, hormis 33 qui n'est pas répétée, est d'abord dite par l'officiant puis reprise en
chœur par l'assistance. Puis, de 34 à la fin, c'est seulement le chœur qui déclame, chaque phrase
n'étant plus dite qu'une fois.
88 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Récité
i Olú Kàso k'a dé ire
2 Apailaàpà
3 Erin-f odo-rin
4 Gbengbelekú
5 Ekùn igbô A dá
6 0 pa ikinî, pa Ikeîdôgbàn
7 k'a dé ire
8 Idé owo ni kl a dé
9 Idé aya ni kl a dé
IO Idé ото ni kl a dé
li ki a má ďldé ikú
12 ki a má d'idé arùn
13 ki a má d'idé ejô
14 ki a má d'idé ofà
15 ki a má d'idé enia má njije ohun pa'ni ju kulo
'

i6 ki a má r'ejô oba
17 ki a má lu ofin oyinbô
i8 ki a má t'eje ото araiyé
19 enúmó lenu f'oni
20 àufà lenu f'ôdï
21 séré k'o má bo lowo baba
22 asç ki 0 má ya то awon adôsù l'ori
23 asèjè f'owô páwú
24 elewi re ni k'o wolé
25 elewi gbèdi k'o ml s'ehln
26 fun 'kùn ото ndè, ko rô
27 akêpè
28 afûnjl
29 k'àna k'olà
30 k'àna owô k'olà
31 k'àna aya k'olà
32 k'àna ото k'olà
33 gbogbo awon y' 0 wà k'o wa gbo t'orisa ohun kan ki 0 mi s'enikan won kedere
Déclamé Chœur
34 k'awà
35 or i sa 'i Mçgbà
36 orim baba mi ma dé
37 b'o wà were, e kú were
38 b'o wà wàrà, e kú wàrà
39 okô wà
40 obà wà
41 atoto wà y a
42 epa, e Oya
43 epé k'awà
44 k'awà
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 89
Récité
1 Roi de Koso, que notre arrivée soit heureuse
2 A-les-mains-dans-une-gibecière
3 Marche-aussi-pesamment-que-l'éléphant
4 Obstiné
5 Léopard de la forêt de Ada
6 II tue le premier [et] tue le vingt -cinquième
7 que notre arrivée soit heureuse
8 qu'à notre arrivée il y ait de l'argent
9 qu'à notre arrivée il y ait des femmes
10 qu'à notre arrivée il y ait des enfants
11 qu'à notre arrivée il n'y ait pas la mort
12 qu'à notre arrivée il n'y ait pas la maladie
13 qu'à notre arrivée il n'y ait pas de procès
14 qu'à notre arrivée il n'y ait pas de perte
15 qu'à notre arrivée il n'y ait pas de nourriture plus empoisonnée que la mort
16 qu'il n'y ait pas de procès avec le roi
iy qu'il n'y ait pas de rencontres avec la loi des Européens
18 qu'il n'y ait pas de sang humain versé
ig garder le silence assure la paix
po médire amène les inimitiés
21 que le hochet ne tombe pas [des mains] de nos pères
22 que le pagne ne se déchire pas au-dessus des initiés
23 la nourriture est saisie [et portée à la bouche] avec la main
24. que seul entre celui qui est de bon augure
25 que celui qui est de mauvais augure s'écarte
26 que les femmes n'accouchent pas prématurément
27 grâce
28 pardon
2Q que le chemin s'ouvre
30 que le chemin de l'argent s'ouvre
jr que le chemin des femmes s'ouvre
32 que le chemin des enfants s'ouvre
33 qu'aucun de ceux venus vénérer l'orisha ne rencontre le malheur, aucun d'eux

;
Déclamé Chœur

I
34 venez regarder !
35 l'orisha de Mogba
36 . l'orisha mon père est arrivé
3j si vous risquez un œil, vous risquez la mort
38 si vous risquez un œil, vous risquez la mort
3Q hommes ! regardez !
40 femmes ! regardez !
41 enfants ! regardez !
42 hourrah ! Oya !
43 assemblez-vous et venez regarder !
44 venez regarder !
90 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

Prière.
Notes.
1. Olú Koso « Roi de Koso », synonyme de Oba Koso dont on parlera plus loin
(Chant pour Shango et Oya, 16). « Que notre arrivée soit heureuse » signifie :
« puissions-nous arriver heureusement — litt. avec chance — à la fin de l'année
qui s'ouvre aujourd'hui. »
2. àpà « gibecière, sac », est le làbà de Shango, dans laquelle se trouve sa provision
de pierres de foudre. Deux làbà sont en général pendus au mur, dans le sanctuaire,
de part et d'autre de l'autel x.
j. « Éléphant » se retrouvera dans Yoriki (64).
5. « Léopard » : en pays yoruba et ajâ, ce fauve est à l'origine de la royauté. Figure
également dans l'oriki (14).
21. Sur le hochet séré, voir plus haut, page 72 note 1.
22. Allusion aux pagnes qu'on déploie pendant certaines cérémonies pour en dé
rober les épisodes secrets à la vue du public.
23. Le sens de cette phrase est resté obscur.
35. Mogba : prêtre principal de Shango. Les Mogba ont été invoqués au début,
dans la première partie de la prière qui ne figure pas ici. Sur le rôle important
des Mogba dans la fête annuelle de Shango à Ekiti, voir Anthony King {op. cit.),
pages 5-6.
ЗУ, з8. Litt. « si vous regardez vite — i. e. si vous épiez — vous mourrez vite » :
malheur à qui voudrait surprendre le secret de l'orisha.
were, wàrà : variantes d'un mot formé manifestement par onomatopée. Cf. :
A Dictionary of the Yoruba Language « Wàrawàra, Wàrawèré, adv. hastily... ».
Зд, 4°> 41' Littéralement : « pénis, regarde ! vulve, regarde ! prépuce, regarde ! »
A. Akinjogbin considère qu'il n'y a là que métaphore et qu'il faut traduire
« hommes, regardez ! femmes, regardez ! enfants, regardez ! ».

Ce texte 2 constitue la seconde moitié d'une prière dont la version intégrale


a été publiée par Pierre Verger dans ses Notes pour le culte des orisha, p. 382-
387 3. La première moitié, qui a été dite de manière hésitante et au cours de
laquelle le hochet, si intéressant pour sa manière de scander le texte, n'a fait
que tardivement son entrée, ne méritait pas d'être publiée sur disque.
Dans son ensemble, elle est composée, la sémantique du texte et la répéti
tionde certains éléments l'indiquent, par un certain nombre de segments qui
se font suite et qui peuvent être à bon droit considérés comme autant d'unités4.
Pour mieux les faire apparaître, on les a séparés, dans la présente transcript
ion, par des espacements, mais c'est pur artifice : rien, ni dans la diction de
l'officiant, ni dans celle du chœur, ne marque qu'il y a lieu de faire ces divisions.

1. Cf. Joan Wescottet Peter Morton-Williams, The symbolism and ritual context of the Yoruba :
Laba Shango, Jl. of the Royal Anthropological Institute, 1962, p. 23-27.
2. Face I, plage 2 du disque. Fête pour l'offrande des premières ignames à Shango (cf. page 71).
3. La comparaison entre le texte des Notes... et celui-ci montre quelques divergences de détail,
résultat de mises au point successives. Le sens général et la structure de la prière restent cependant
à tous égards les mêmes.
4. Sur les principes suivis pour dégager ces unités, voir plus loin pages 98-99.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 91
Du point de vue formel, la première partie de la prière, qui ne figure pas ici,
(i à 29 des Notes...), ne présente pas de traits notablement différents de ceux
de la seconde, l'analyse ne perdra donc rien à n'opérer que sur cette dernière.
Rappelons cependant que la première partie débute comme il se doit par une
salutation à Esu. Devises et formules propitiatoires se succèdent ensuite, à
mesure que sont invoqués les quatre Mogba (prêtres de Shango), Oba (i. e.
Roi-Shango), puis différents orisha, О gun, Yansan, Osun, Yetnoja, Omolu,
Ogun encore.
Le début de la seconde moitié de la prière — celle du disque — est faite d'une
série de cinq orikï x — salutations en forme de devises — précédés par le sou
hait « que notre arrivée soit heureuse » et de l'apostrophe « Roi de Koso », qui
montre qu'on s'adresse maintenant à Shango.
Vient ensuite un quatrain (7, 8, 9, 10) où l'on souhaite, dans l'ordre, de l'ar
gent, des femmes, des enfants : de l'argent pour avoir des femmmes, des femmes
pour avoir des enfants, car ce sont eux, en fait, qui comptent, précise A. Akin-
jogbin. Une variante de structure identique formule le même vœu à la fin de
la prière. La suite 2Ç, 30, 31, 32 constitue en effet un autre quatrain dont la
première phrase « que le chemin s'ouvre » répond à « que notre arrivée soit
heureuse » et dont les trois phrases suivantes sont, comme en 8-ç-io, la répé
tition de la première phrase complétée par « de l'argent », « des femmes », « des
enfants ».
La même formule optative — « qu'à notre arrivée » — sert à constituer la
séquence suivante, de cinq phrases, mais cette fois le souhait est exprimé de
manière négative : « qu'il n'y ait pas », inversement symétrique du « qu'il y ait »
de la séquence précédente.
L'optatif négatif, si l'on peut ainsi dire, se perpétue dans la séquence de
trois phrases qui suit, assurant ainsi une continuité d'expression de l'une à
l'autre.
Le distique iç-20 rompt la chaîne des souhaits en énonçant un double apho
risme dont les deux aspects — côté bénéfique, côté maléfique — sont complé
mentaires, et semblent en cela répondre, en la résumant, à l'alternance positif-
négatif des séquences qui précèdent.
L'organisation des phrases 21-26 apparaît moins clairement que dans ce qui
a été vu jusqu'ici. 21-22 constitue un distique d'optatifs négatifs se rapportant
l'un et l'autre à la bonne marche des cérémonies pour les orisha. 23 exprime une
idée dont le rapport avec le contexte nous échappe. L'opposition bénéfique-

1. P. Verger a donné dans ses Notes... (p. 307-310), une longue liste d'oriki Sàngô, où apparaissent
quelques-uns de ceux qui figurent ici, 4 et 6 notamment. Certains de ces orikï ont été repris dans
le recueil Textes sacrés ď Afrique, Germaine Dieterlen éd., précédés d'une introduction sur le stns
du mot orikï.
Sur Yorikï comme genre poétique, voir le numéro spécial de Black Orpheus : « Yoruba poetry.
Traditional Yoruba Poems collected and translated by Bakare Gbadamosi and Ulli Beier. » Les
textes n'y figurent malheureusement qu'en version anglaise.
92 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
maléfique fonde le distique 24-25, fait de deux optatifs présentant success
ivement les deux aspects opposés du même contenu (« entre qui est de bon
augure »/« s'écarte qui est de mauvais augure »).
27-28 rétablissent le vocatif essentiel à l'expression de la prière et sont donc
ici d'une grande importance. On les a traités comme formant un distique. C'est
qu'en effet, si l'on pose le principe de considérer ici comme unité tout élément
répété ou repris, il faut séparer aképè et afunji, « grâce » et « pardon », puisqu'ils
sont chacun dits par l'officiant puis répétés en chœur par l'assistance. En même
temps, placés dans le contexte ils constituent une paire : c'est la première fois
que ces mots apparaissent depuis le début de la prière. Ils en annoncent la
fin, semble-t-il, laquelle s'exprime en un quatrain qui reprend le thème essent
iel— sa fréquence le montre — de la prière, suivi par une phrase d'envoi
d'une forme qui n'avait pas non plus été rencontrée jusqu'à présent. Elle ne
sera pas répétée par le chœur et cela mérite d'être noté.
La partie déclamée en chœur, sur laquelle débouche en quelque sorte la prière
est tout entière organisée autour du mot « Regardez ». Elle débute et finit par
le même appel : « venez regarder ! » qui encadre des unités groupées en dou
blets (35-36 et 37-38) ou en tercet 59, 40, 41, à l'exception des deux dernières
(42, 43), dont la seconde est dite non point par le chœur mais bien par une
femme seule. Ici la définition d'unité de prosodie, qui fonde le découpage en
phrases et leur disposition en séries, est la même que celle dont on s'est servi
pour la prière parlée qui précède : elle s'appuie sur les répétitions ou les
reprises que présente le texte.
L'analyse structurale qui vient d'être esquissée suffit, si sommaire qu'elle
soit, à établir qu'on est en présence de textes dont la mise en forme est un carac
tèreessentiel. Celle-ci opère au niveau de grandes unités qui groupent des séries
de phrases et qu'on pourrait peut-être nommer des versets. Les principes de
cette organisation en versets restent à dégager — ils ne pourront l'être vala
blement qu'en opérant sur un beaucoup plus large corpus — , il n'en reste pas
moins que ces versets existent.
Reste à savoir s'il serait ou non légitime de parler également de « vers ». Cer
taines alternances de tons, ou encore de timbres vocaliques, pourraient induire
à parler de versification. Le verset 11 à 15 présente une alternance Ton Haut
— Ton Bas /Ton Haut — Ton Bas suivi d'une désinence sur Ton moyen qui ne
semble pas fortuite. Le verset 37-38 utilise l'alternance des timbres eja (were-
were jwara-wara) pour des effets prosodiques évidents. Mais cela ne suffit pas à
établir qu'il s'agit de vers dont la composition obéit à un système. Tout au
plus peut-on dire que des appariements de tons ou de timbres vocaliques con
tribuent parfois à la délimitation des versets x.

1. Sur l'alternance des tons constituant un système de rimes voir E. L. La^ebikan « Tone in
Yoruba poetry », Odu, n° 2, p. 35-36, Ibadan 1955 (?). Voir aussi S. A. Q. Babalola, The content and
form of yoruba ijala, thèse présentée à l'Université de Londres, 1963, qui consacre de longs déve-
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 93
II y aurait beaucoup à dire sur l'intonation — « récité », « déclamé » —
caractéristique de ces deux espèces, qui toutes deux offrent des degrés inte
rmédiaires entre « parlé » — « parlé-chanté » et « chanté ». Versons-les au dossier
de l'art de la parole en Afrique noire, dont l'étude est à peine commencée 1.
Dans cette région du golfe du Bénin la déclamation dont on a ici un exemple
en constitue un important aspect.

CHANT POUR S FIA N GO ET OYA *


(Voir p. 94).

loppements à l'étude de la prosodie (au niveau de la poétique) des chants de chasseurs. H. Wolff
(voir plus loin, p. 103, à propos de Vorîki) mentionne l'existence de « characteristic tone patterns»
pour les oríki personnels. Il est certain que dans des langues comme le yoruba le jeu des tons fait
partie des procédés poétiques. Dans quelle mesure, suivant quels principes ? on est encore bien peu
renseigné sur ce sujet. Rappelons que D. С Simmons a décrit une poétique fondée sur les schémas
tonologiques chez les Ibibio : « Erotic Ibibio tone riddles », Man, June 1956, p. 79-82.
1. Cf. J. Berry, Spoken Art in West Africa, An Inaugural Lecture, School of Oriental and African
Studies, London 1961.
2. Face A du disque eicarté plus loin.
94 SOCIETE DES AFRICANISTES
Solo.
1 ' ô ni, bá wa se é, a kb le dá a se o
2 Sàngô oko Oya, AtóMétb
3 onilê ori ïgànna, bá wa se é, a kb le dá a se
4 àwa kb tilè mç 'hun oyin fi úse afá
5 Sàngô ni Atótímaťií
6 àwa kb то 'hun bbrè fi {se ipé
7 Qya ni Atótímaťií
8 àwa kb то 'hun kan ti Ajómágbodó fi ise orb ni ïwàrun,
9 Sàngô, bí isu bá pa ara dà, a di iyán
10 àgbàdo pa ara dà, a di àmalà
11 onilê ori ïgànna pa ara dà, ô di ïyonu о
12 Oya, úgbó o,
Chœur.
(ii)
13 a fi ègbé jo Olqrb, úgbó Ы то ti nwí Oya úgbó bí то ti úwí
14 Aladó Olqrb, úgbó Ы то ti úwí ídó, úgbó Ы то ti úwi
15 \jà ègbé Olqrb, úgbó bí то ti úwí \yá, úgbó Ы
(iii)
16 ilèkè l'ère, àyan lé'ri Oba Kbso
17 e wo àyan lé'ri Oni Sangó ïlèkè l'ère, ere Oba Koso
18 àyan lé'ri Oba Oyó Mekk I'ere, ere Oba Kbso
19 àyân lé'ri Oni Sàngô ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
(iv)
20 iwbrb, e kú orb, gbogbo ïwbrb ïtè то kiyín ode ïwbrb, e kû orb,
21 \wbrb Alàdô, e kú orb
22 iwbrb, ç kú orb, ïwbrb, e kú orb
23 ïwbrb, e kú orb,
24 iwbrb Ajàgbé, e kú orb ïwàrb, e kú orb, iwbrb, e kú orb
25 ïwbrb, ç kú orb
(v)
26 Alálejb, 6 dé 0, Onírorb a l'ô l'bde
2j À lado l'olôde b, ó dé o, Onirorb a l'ô l'bde
28 iba l'olôde b, ó dé 0, Onirorb a l'ô l'bde
2ç baba l'olôde b, ô dé 0, Onirorb baba l'ô l'bde
(vi)
30 Oba wa, gbogbo ilè, t'ô fi dé bkun Otè Oba ria, ni gbogbo ilè, t'ô fi de bkun Otè
31 Sàngô Г Oba wa, ní gbogbo ilè, t'ô fi dé bkun Ùtè baba wa, ni gbogbo Щ, t'ô fi dé bkun Otè
32 baba wa, ni gbogbo il}, t'ô fi dé bkun Ôtè baba wa, ni gbogbo ilè, t'ô fi dé bkun Ôtè
(vii)
33 ïlèkè l'ère, àyan l'érl Oba Kbso
34 e wo àyan l'êri Onipedé ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
35 e wo àyan l'êri Bamgbadé ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
36 e wo àyan l'êri Oni Sàngô ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
(viii)
37 Morópólú, ç bá mi wá kàn
38 Morópólú, m'o r'ôhun l'ôdê...
Solo
(i)
/ il dit, aide-nous, nous ne pouvons pas le faire seuls
j Shango, mari de Oya, Chez-qui-on-trouve-secours
j maître de la maison en haut du mur, aide-nous, nous ne pouvons pas le faire seuls
/ nous ne savons pas comment les abeilles font le miel
/j Shango est Toujours-frais
6 nous ne savons pas comment, le porc-épic fait pousser ses piquants
7 O\a est Toujours-fraîche
S nous ne savons pas comment fait Ajomagbodo pom que le ciel soit propice
•s Shango, quand l 'igname change, il devient pâte d'igname
то quand le maïs change, il devient pâte a mala
ir quand le maître de la maison en haut du mur change, il devient du tracas
/.-.' Ova, écoute
Chœur.
j 3 celle qui se tient aux côtés de Oloro, écoute pendant que je parle Oya, écoute pendant que je parle
T4 Alado Oloro, écoute pendant que je parle Ido, écoute pendant que je parle
/5 celle qui combat aux côtés do Oloro. écoute pendant que je parle mère, écoute pendant que je parle
li")
/6 les perles sont des richesses, l'arbre est au-dessus du Roi de Koso
i/ vous voyez, l'arbre est au-dessus du Prêtre de Shango les perles sont des richesses, richesses du Roi de Koso
18 l'arbre est au-dessus du Roi de Oyo les perles sont des richesses, richesses du Roi de Koso
tq l'arbre est au-dessus du Prêtre de Shango les perles sont des richesses, richesses du Roi de Koso

initiés. le salut de la cérémonie vous tous initiés je vous salue pour la fête initiés, le salut de la cérémonie
!

!
initiés de Alado, le salut de la cérémonie
initiés, le salut de la cérémonie initiés, le salut de la cérémonie
! i ! ! !
23 initiés, le salut de la cérémonie

!
24 initiés de Ajagbe, le salut de la cérémonie initiés, le salut de la cérémonie initiés, le salut de la cérémonie
initiés, le salut de la cérémonie
!

!
11 y pii.ihci-, V. v- t-.-:it Г--; .CS^CU! Л<~ Of festoi"
\J-Ho vi}f fn^tnyrpTf" il Vient •>O44PSSfU"î г] О Oj"n
-

lestojp
Í

père est le les toy ant, il vient, Possesseur de Oro festoie


JQ père est le festoyant, il vient, Possesseur de Oro père festoie
(vi)
notre roi, dans toutes les terre?, aussi loin que l'océan Ote notre roi dans toutes les terres, aussi loin que l'océan Ote
ji Shango ei t noire roi. dans toutes les teires, aussi loin que l'océan Ote notre père dans toutes les terres, aussi loin que l'océan Ote
notre père, dans toutes les terres, aussi loin que 'océan Ote notre père dans toutes les terres, aussi loin que l'océan Ote
l

(vu)
soin (jes h hisses, aibie e:->l <iu -dessus du [\oi de Koso
\nib vî>v«'/, i'arbir csl au-dessus du Possesseur du rhombe les perles sont des richesses, richesses du Roi-de-Koso
i

'.■(■! ■■ ii'.c,' ■!!•<■'- ,11! ji "-',! ■ <ic \ id с II! il ,'i M lit с Г la les perles '.'tit des ru 1н-; чгч пс|к»,ч^ du К'' и di- T\<im>
vous voyez, l'arbre est au-dessus du prêtre de Shango
'.
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1
r

i
I

'i

les reries sont des richesses, richesses du Roi-de-Koso

-\r m
j'ai vu quelque chose dehors
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 9Г)

Notes.
3. « Maître de la maison en haut du mur » : c'est là une des formules insolites comme
on en rencontre si souvent dans les orikï. Leur caractère énigmatique tient dans
la plupart des cas à ce qu'on a perdu le souvenir des faits plus ou moins véri
tables auxquels se rapportaient à l'origine ces devises. Souvent aussi les bizar
reries de ce genre sont des symboles, des métaphores, parfois des onomatopées
dont on a perdu la clé. Shango, personnage fantasque, aurait-il construit un
jour une maison « en haut d'un mur » ? Tel que le décrit P. Verger, il est dans son
caractère de faire toutes sortes d'extravagances. Peut-être cet otikï fait-il allu
sion à l'une d'entre elles ?
S. Ajomagbodo : personnage non identifié.
10. Phrase déroutante : le maïs ne peut évidemment pas se transformer en amala,
c'est-à-dire en pâte d'igname. A. Akinjogbin tendrait à croire qu'il s'agit ici soit
d'une erreur de la chanteuse, soit d'une inconséquence du texte due à l'obliga
tion de respecter la rime par alternance de ton, laquelle voudiait ici un ton bas.
P. Verger croirait volontiers, au contraire, qu'on est ici encore en présence d'une
allusion à la fantaisie de Shango, lequel serait bien capable de changer le maïs
en pâte d'igname.
11. Quand Shango s'agite — i. e. quand il y a de l'orage — les gens sont inquiets.
13. Olóro : zélateur de Oro ? Cf. Abraham (op. cit.), article Oro (2). Sur les rapports
de Shango et de Oro, voir plus bas, à propos de Oniroro 26.
14. Aladô : un des noms de Shango repris par le chœur sous la forme abrégée de
Ida. Il revient plus loin en 21 et en 27.
16. ere « profit » c'est-à-dire richesses. Les perles dont il est question sont rangées
en une série de filières pendant à partir d'une frange serrée autour du front du
roi. Elles tombent ainsi devant son visage et le dissimulent en partie x. Si au lieu
de ere « profit » (P. Verger) on « entend eré (A. Akinjogbin), il faut alors traduire
« amusement » et de là '( ornement ».
16. (O-ba-ko-so) a fait couler beaucoup d'encre. On peut en effet l'interpréter Oba
Koso « Roi de Koso », Koso étant une ville a en rapport avec Shango. On peut
également comprendre Oba ko so (roi pas pendu), « Le Roi ne s'est pas pendu »,
ce qu'auraient dit les partisans de Shango en affirmant, après sa disparition, qu'il
ne s'était pas pendu, d'où la formule Oba so, Oba ko so « Roi pendu, Roi pas
pendu » qui lui est à présent fréquemment associée. Pierre Verger 3 n'est pas
convaincu de l'authenticité de cette formule qui constitue « un jeu de mots sur
1. Cf. Jacques Bertho « Coiffures-masques à franges de perles chez les rois yoruba de Nigeria et
du Dahomey », Noies africaines, n° 47, juillet 1950, pages 71-74.
Le jour de leur sortie les novices de certains orisa ou vodÀ en portent de semblables ; une photo
de novices de Sakpata en montre un exemple (cf. G. Rouget, « Un chromatisme africain », V Homme,
I, 3, 1961, p. 33). En Guinée, chez les toma, les nouvelles excisées portent une voilette du même
genre, mais qui n'est pas en perles (cf. la photo 4 de la jaquette du disque Musique Toma, enregis
trement P. D. Gaisseau, J. Fichter, Musée de l'Homme, LD 2, Contrepoint M. C. 20 097).
2. Fut-elle construite après la mort de Shango, d'où son nom, l'était-elle au contraire avant ?
Les textes dont on dispose ne s'accordent pas sur ce point. Abraham semble considérer la première
hypothèse comme acquise et dans son grand dictionnaire yoruba prend toujours soin d'écrire
Kà-so le nom de cette ville, comme pour en souligner l'étymologie. En revanche, à côté des textes
à l'appui de cette thèse P. Verger cite (Notes..., p. 306) un mythe qu'il a recueilli à Kétou, suivant
lequel « Sango est venu au monde à Koso... », ailleurs (ibid., p. 332) il reproduit un passage du
Rév. Bowen où on pi'Ut lire « Sango était né à Ife et régnait à Ikoso... » et plus loin (ibid., p. 335) il
en donne un de Dennet indiquant que « Shango est le grand Orisha du Ala fin de Oyo ou Oba Kuso,
roi de Kuso (une colline près de Oyo)... ».
3. Notes..., p. 333-334-
96 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
le titre de Shango » et dont la fortune remonterait, selon lui, à la publication en
yoruba d'un « livre à l'usage des écoles protestantes », comportant une version
du mythe reprise de celles qui avaient été publiées antérieurement en anglais.
Là où P. Verger inclinerait à voir une mauvaise plaisanterie destinée à tourner
Shango en dérision et perfidement répandue par un missionnaire mal intentionné,
M. Palau-Marti (1964, page 256) voit une expression symbolique chargée de signi
fication : « ... Le roi s'est pendu, le roi ne s'est pas pendu... cette. double propos
ition est un axiome qui résume la notion de roi en Afrique... (et) qui sert à pré
senter en coexistence dans la synchronie des notions de mort et de vie, sans
qu'il y ait en cela aucune contradiction puisque le système du roi échappe à la
logique ordinaire 1. »
Toute opinion sur le débat étant mise à part, fallait-il ici traduire Oba Koso
par « Roi de Koso » ou par « Roi pas pendu » ? La question se posait d'autant plus
que le contexte — àyan l'eri Oba Kôso « l'arbre est au-dessus de Oba Kàso » —
pouvait faire pencher vers la seconde interprétation. En effet àyan 2, (rendu sim
plement par « arbre » dans notre traduction), est précisément l'arbre où Shango
se serait pendu 3. Mais en même temps c'est du bois de cet àyan qu'est faite la
double hache osé, portée par les prêtres de Shango et important attribut de cette
divinité. L'histoire ne dit pas si Shango s'est pendu précisément à cet arbre
parce qu'on l'utilisait pour faire son osé ou si, à l'inverse, on y taille son osé parce
qu'il s'y serait pendu. Rien ne permet donc de décider ici si àyan est une réfé
rence à la pendaison de Shango ou bien à sa double hache symbolique. Exami
nonsle reste du contexte. Dans cette strophe, Oba Koso alterne avec Oba Oyo
« Roi de Oyo ». Koso permutant avec Oyo, il y a bien des chances pour qu'il ap
partienne à la même classe lexicale, celle d'un nom de ville. C'est déjà un argu
ment de poids pour préférer « Roi de Koso » à « Roi pas pendu ». Mais il y a plus.
Les phrases ayân l'eri Oba Kàso et ayân l'eri Oba Oyo, « l'arbre est au-dessus de
Oba Koso /de Oba Oyo », ont pour variante ayân l'eri OníSangó « l'arbre est au-
dessus du Prêtre de Shango ». Ici toute allusion à la pendaison d'un prêtre de
Shango est exclue : il n'en a jamais été question nulle part. Rien n'indique par
conséquent que, dans ce texte tout au moins, il faille traduire Oba Koso par « Roi
pas pendu », bien au contraire. Ajoutons que Oba Koso « Roi de Koso » a pour
variante Olú Koso « chef de Koso », qu'on a rencontré plus haut 4 et qui, sauf
erreur, n'est jamais compris «chef pas pendu ». S'il a paru utile de consacrer tant
de place à cette discussion c'est d'abord parce qu'un problème était posé. Il fallait
justifier la solution choisie, et cela d'autant plus qu'elle s'écarte de celle qui est
le plus souvent acceptée, notamment dans les ouvrages où il est question de la
musique pour Shango 5. C'est aussi parce que l'occasion a paru bonne de montrer
que lorsqu'un texte de ce genre pose des problèmes d'interprétation, sa mise en

r. Montserrat Palau Marti «Oba só, Oba kà só (Le roi s'est pendu, le roi ne s'est pas pendu) »,
VIe Congrès International des Sciences Anthropologiques et ethnologiques, II 2, Paris 1964,
P. 253-257.
2. Afrormosia laxiflora (Leguminosae) (Abraham, 1958, p. 86) ; « petit arbre ou arbuste des
savanes boisées ou forêts sèches » (précision due à l'obligeance de R. Sillens) qu'il ne faut pas con
fondre avec àyàn, Disthemonanthus ou « African Satinwood » [loc. cit.).
3. Ibid., p. 491.
4 .Prière 1.
5. Le Timi de Èdè, dans son article sur les tambours yoruba [op. cit., p. 6) écrit : « ... the Yoruba
god Shango has many Orikis, for example : Oba Koso. The king did not hang. » Anthony King
[op. cit., p. 5), qui parle assez longuement de ce suicide, ajoute « He was further given the title
of « Oba Kôso » which means « the King does not hang himself... ».
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 97
forme met en évidence des données susceptibles de fournir au débat d'utiles indi
cations.
24. Ajagbe : ce nom fait pendant à Alado (21). Sans doute est-ce ici encore, par
conséquent, un des noms de Shango.
26. Onirorô « Possesseur de Oro ». Oro est-il un orisa, comme le note Abraham ?
P. Verger lui assigne une place à part dans ses Notes... (p. 520) et en dit : « Oro
[...] a le pouvoir de communiquer avec les morts. [Il] se manifeste par des plaintes
stridentes, des hululements et des cris inarticulés. Lorsqu'il se fait entendre, de
nuit ou de jour, les femmes et les non-initiés doivent se terrer dans les maisons
[...]. Oro jouait autrefois un rôle de justicier. » Sa voix est celle du rhombe. Shango
qui est nommé ici « Possesseur-de-Oro » sera plus loin appelé « Possesseur-du-
Rhombe ». On verra dans l'orikï (60) le nom de Oro permuter avec celui de Shango.
D'une légende, « Fa et la fête de l'igname », rapportée par Maupoil 1, il ressort
que la première apparition de Oro est liée précisément aux événements qui furent
à l'origine de l'institution de la fête des ignames.
30. Oba ria : dialectal de Oba wa.
34. Oni-pe-dê : possesseur-rhombe-venir (A. Akinjogbin).
37. Moropolu : non identifié.

Ce texte est celui du chant, ou plutôt de la suite de chants par laquelle a


débuté la partie centrale de la cérémonie pour l'offrande des premières ignames
à Shango. Il correspond aux premières trois minutes quarante-huit secondes de
la face I plage 3 du disque 2. On en trouvera plus loin, page 133, la transcription
musicale, qui est l'œuvre de Claude Laloum, et qui s'arrête à la ligne 2ç.
La mise en pages du texte est fondée sur l'application systématique de trois
règles :
1. L'alternance de la voix solo et du chœur se traduit par une division de la
page en deux colonnes : à gauche le solo, à droite, en regard les réponses du
chœur. Cette disposition met en évidence un certain nombre de caractères
formels distincts pour chacun des deux groupes — ce qui, soit dit en passant,
suffit à démontrer qu'elle n'est ni arbitraire ni sans objet.
2. Verticalement la suite du texte — qui doit être lu, bien entendu de haut
en bas et de gauche à droite, sans tenir compte ni des blancs ni des irrégula
rités de la marge — est divisée en un certain nombre de segments séparés les
uns des autres par un interligne supplémentaire et marqué par les repères i, ii,
iii, etc. Ces espacements ne correspondent à aucune interruption du chant,
celui-ci n'en comportant pas, hormis les pauses de la chanteuse soliste. Ils
indiquent seulement un découpage, au niveau des plus larges unités de contenu.
Celles-ci sont délimitées à la fois par la substance et par la forme. Le chant
comporte en effet, comme on peut voir, un grand nombre de répétitions et de
reprises 3, strictes ou variées, la variation portant sur une partie plus ou moins

1. La géomancie à l'ancienne Côte des Esclaves, p. 355.


2. Disque Fête pour l'offrande des premières ignames à Shango, cf. plus haut page 71. Même
pièce, rappelons-le, que celle qui compose la face A du disque encarté plus loin.
3. Tout en conservant au mot « répétition » son sens général, peut-être ne serait-il pas inutile
Société des Africanistes. 7
98 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
grande de l'énoncé. C'est le fait pour ces répétitions et ces reprises d'être toutes,
groupées autour d'une même substance qui constitue le critère d'unité. Pour
la commodité on appellera cette unité une strophe.
3. Le découpage en « lignes » correspond aux unités de contenu d'un autre
ordre. Ici, le critère formel est le suivant : tout énoncé qui sera l'objet d'une
répétition ou d'une reprise — stricte ou variée — est considéré comme une
unité. Corollairement, tout énoncé qui ne sera l'objet ni de l'une ni de l'autre
sera aussi considéré comme une unité.
Les deux règles précédentes opèrent en somme sur les deux axes classiques
de l'analyse linguistique, la première sur celui du paradigme, la seconde sur
celui du syntagme.
Pour faciliter le repérage des unités ainsi dégagées, on a disposé en dessous
les unes des autres les phrases formant paradigme de telle sorte que les él
éments identiques s'ordonnent en des séries verticales. Cela conduit parfois,
rançon du système, à écrire des lignes discontinues x.
Répétitions, reprises et groupements en séries sont des traits manifestement
si importants de la composition du texte qu'il a paru indispensable de respecter
leur agencement dans la traduction et de conserver par conséquent pour celle-
ci, à quelques détails près, la même disposition générale.
Dans le cadre d'une analyse très sommaire, dégageons quelques caractères
marquants de la structure de ce texte.
La composition du long texte chanté en solo et constituant la première partie
de cette suite {1-12) diffère de toutes les autres. On verra, en lisant plus loin
l'analyse de С Laloum, qu'il en va de même pour la musique. Cette différence
tient peut-être essentiellement à ce qu'il s'agit ici d'un texte en mouvement, où
chaque énoncé présente un progrès par rapport au précédent ; les relations
paradigmatiques entre les composants successifs sont donc plus lâches et plus
espacées que pour les autres parties, qui sont statiques et ne se développent
pas.
Cette première partie se subdivise en trois segments. Appelons-les versets 2.
Ils sont tous trois construits de la même manière. Si on compare pour le pre
mier j à 3 (« il dit, aide-nous nous ne pouvons pas le faire seuls » — « maître de
la maison en haut du mur, aide-nous, nous ne pouvons pas le faire seuls ») pour
le second 4 à 8 (« nous ne savons pas comment les abeilles font le miel » — « nous
ne savons pas comment fait Ajomagbodo pour que le ciel soit propice »), pour
le troisième 9 à jj (« Shango quand l'igname change il devient pâte d'igname »
de distinguer entre répétitions stricto sensu et reprise, en posant que dans le premier cas la (ou les)
réexposition de l'énoncé est immédiate et que dans le second elle (ou elles) est différée.
1. A ceci près que le texte n'était pas traduit et qu'on ne disposait donc pas de référence au sens,
ce sont ces principes qui ont servi à la mise en forme d'un chant de nouvelle initiée de Sakpata
dans mon article « Un chromatisme africain », L'Homme, I, 3, 1961, p. 37.
2. Strophe, verset, encore une fois ces mots sont ici de pure commodité. Dans le domaine qui
nous occupe une terminologie fondée exclusivement sur les caractères intrinsèques des unités à
définir et sur leurs rapports avec le contexte reste à mettre au point.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 99
— « quand le maître de la maison en haut du mur change il devient du tracas »)
on constate que chaque fois le dernier énoncé présente un élargissement par
rapport au premier.
Cela dit, les deux premiers versets (1-3 et 4-8) présentent des structures
identiques à ceci près que la seconde est un redoublement de la première. En
effet dans le premier verset, qui est un tercet, un orikî s'insère entre la pre
mière et la troisième ligne (2, entre г et 3), dans le second verset, qui est qui
naire, un orikï s'insère entre la première et la troisième ligne (5, entre 4 et 6)
et un second orikï, variante du premier, entre la troisième et la cinquième
ligne (7 entre 6 et 8).
Le troisième verset (g-10-ii) est à première vue différent des deux autres.
En fait sa structure est voisine de celle du verset précédent, qui se compose
on vient de le voir de trois -f- deux lignes (4-6-8 et 5-7). Les trois lignes 4-6-8
ont en commun d'exprimer un procès de transformation (« faire du miel »,
« pousser des épines », « rendre propice ») rapporté chaque fois à un sujet diffé
rent. Les deux premiers (abeilles, porc-épic) appartiennent au règne animal, le
troisième (Ajomagbodo, homme ou dieu, peu importe) au genre humain. Les
trois lignes ç-io-11 sont composées suivant le même modèle et connotent aussi
une transformation qui cette fois concerne, pour les deux premières des végé
taux (igname, maïs), pour la dernière un dieu (possesseur de la maison en haut
du mur, c'est-à-dire Shango). Il n'y a pas lieu de tenir compte, dans l'analyse de
ce tercet, du mot Shango par lequel débute la ligne 9 : on s'adresse à Shango,
on le nomme, mais ce n'est pas de lui qu'il est question dans la suite de la phrase.
Il y est simplement juxtaposé et se trouve en somme par rapport au tercet
g-10-ii dans la même situation que les deux oriki 5 et 7 — là aussi des noms —
par rapport au tercet 4-6-8.
La troisième phrase (11) de ce tercet qui est le dernier de la strophe, com
mence par les mêmes mots (« possesseur de la maison en haut du mur ») que la
troisième phrase (3) du premier tercet. Ainsi la fin de la strophe comporte-
t-elle un rappel du début qui donne son unité à cette suite de trois versets
différents.
La phrase 12, qui anticipe sur ce que va chanter le chœur, forme la transi
tionentre cette première longue strophe, seule de ce genre, et celles qui vont
suivre.
Celles-ci ont en commun d'être composées de deux parties complémentaires
solo-chœur, alternant suivant la technique dite en ethno-musicologie « res-
ponsoriale ». Toutes sont composées suivant le même scheme : la réponse du
chœur est une répétition ou une reprise, totale ou partielle, variée ou non, de
l'énoncé du solo. Ce premier énoncé est ensuite répété un certain nombre de
fois. Ses reprises sont parfois partielles et toujours variées pour la partie en
solo, la variation affectant le début ou la fin de l'énoncé, parfois les deux,
jamais le centre. En revanche elles ne sont pas toujours variées pour la partie
100 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
en chœur, et lorsqu'il y a variation, celle-ci ne porte que sur une petite partie
de l'énoncé, presque toujours le début, une fois le centre (21 Alado), jamais la
fin.
Le type de complémentarité reliant le solo au chœur varie avec chaque
strophe et mérite qu'on s'y arrête.
ii : la symétrie des deux parties est remarquable. Solo et chœur divisent
en effet leurs énoncés en deux segments, le premier varié (terme d'adresse
chaque fois différent), le second immuable (« écoute pendant que je te parle »),
il s'ensuit que Oya, femme de Shango, à qui l'on s'adresse, est six fois nommée
de manières différentes.
iii : le chœur reprend le début et la fin de la première moitié de l'énoncé du
solo, le résumant en quelque sorte, et en même temps le modifiant un peu. La
phrase ainsi obtenue sera reprise deux fois sans variation. Le solo fait alterner
les variantes de fin d'énoncé.
iv : offre une disposition nouvelle : après l'exposé des deux énoncés complé
mentaires (20 : solo + chœur), le chœur chante continûment, interrompu une
seule fois par le solo. La dissymétrie de cette strophe n'est qu'apparente. En
fait, la première phrase (20) étant mise à part (elle est seule de son espèce), la
suite {21-25) s'organise en deux segments parfaitement symétriques débutant
chacun par un terme d'adresse : « initiés de Alado » (21) et « initiés de Ajagbe »
(24), le premier étant dit par le chœur, le second par le solo.
v : comme pour iii l'énoncé du solo se divise en deux segments le premier est
varié, le second immuable. Celui du chœur est formé suivant un processus voi
sin de celui qui a servi à former le chœur de iii : il résume le solo, mais cette
fois en en conservant seulement le premier segment, lequel est d'abord présenté
sous une forme abrégée et n'est exposé en entier qu'à la quatrième répétition
{29).
vi : seule strophe où les deux parties, celle du solo et celle du chœur qui lui
répond, sont presque identiques. Mais comme toujours c'est la partie solo qui
comporte le plus de variantes. Elles se trouvent en début d'énoncé et portent
sur le terme d'adresse (Roi /Shango-Roi /père). Le chœur n'en reprend que
l'essentiel et réduit la permutation aux deux seuls termes Roi/père.
vit est la reprise pure et simple de in, à ceci près que les variantes de fin
d'énoncé — variantes qui portent ici encore sur les noms — font apparaître
d'autres titres de Shango et qu'au lieu d'alterner, comme pour iii, chaque
reprise est une variante. En revanche le chœur reprend exactement ce qu'il a
chanté auparavant à la strophe iii.
viii. Ce texte n'est là que pour montrer qu'il s'agit d'une nouvelle strophe.
Il est incomplet, il n'y a donc rien à en dire.
La suite du texte n'a pas été établie, le chant devenant trop confus pour
qu'on puisse en faire une notation musicale satisfaisante. Au demeurant,
hormis l'intérêt qu'elle a pour elle-même elle n'apporterait, sauf erreur, rien de
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 101
bien nouveau pour l'étude de la forme. Il s'agit en effet d'une succession de
strophes chantées dans la manière de celles qu'on vient d'analyser sommaire
ment 1.
i. Les textes des chants que donne A. King, dans la seconde partie de son chapitre « Music in
honour of Sangó » (op. cit., p. 18-24), n'ont pas été vus dans la même perspective que celle qui nous
a occupés ici et n'ont par conséquent pas été mis en forme de telle sorte qu'ils puissent fournir des
éléments de comparaison avec nos modèles strophiques.
On trouvera d'autre part quelques textes de chants pour Shango dans le volume Xango publié
par Oneyda Alvarenga et la Discoteca Publica Municipal de Sao Paulo, pour accompagner une
série de disques où figurent ces musiques.
Rappelons enfin que Simone Dreyfus-Roche a enregistré au Brésil des batteries et des chants
pour Shango, qui ont été édités sur disque par le Département d'ethnomusicologie du Musée de
l'Homme et Contrepoint (Brésil, vol. 2, Bahia, 30 cm, 33 t.).

ORÎKÎ SÀNGO*
(Voir p. 102).

* Face В du disque encarté plus loin.


102 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES

(i)
S i 'tori aibàâmb- 2 ejék'a jo se
Ch 3 'tori a-ibàâmà- -e- 4 e-jék'â-
5 ejêk'a jo se-o--e
6 'tori a...
(ii)
S 7 Gbaru mura 8 elêdùn là bàjê 9 a kê yan 'ô tó- pa won je 10 ko pa won то ii èru 'à
b'èkê 12 onigege-e-e-e-e aťayinbó wá
13 ilè má je ey\i gbe 14 ikú l'ekùn, ikû ti ûkun 'то l'ôorun 15 ikú ti nà 'ni nà 'ni kl 0 ta
fi ni s'aya
16 p'èkéje k'drun- о ma iy olôri ajê-e-e-e-e-e-e-e-e-egùn- bi Arbni
18 jówó iç то gbó Ы o ti wi 20 Sangó o fi àfé fohùn
21 то gbó bl o ti wi
Ch 22 alárá yee, a-lárá yee-o 23 iye-iye 24 то gbó Ы o ti wi
25 fare se 'lú wa- - 26 mo-gbó bi o ti wi
27 то gbó bi o ti wi-o- 28 Sán- -gó o
S 29 то gbó Ы o ti wi 30 Sangó o fi àfê fo
Ch 31 iye 32 mo-gbó Ы 0-
33 то gbó Ы o ti wí-o-e 34 Sangó o
(iii)
S 35 Gbaru můra 36 elédùn là bàjê 37 a kê yan 'ô tó- pa won je 38 oko mi l'ó là'po bdèdè
то ото léhïn ô-o-ç-p-o-rùn wewewe
39 Sàngo ma là mi l'àrùn mo-0-0-0-0-0 be ç
40 elêgbèrin à-o-o-o-o-o-go 41 a ri kinikini ninu eniti use ni
42 p'èké je k'drun- о ma 43 olôri ajê-e-e-e-e-e-e-e-e-egùn bi Arbni
Ch 44 fare se'lû 45 çbakoba ko 46 sebi Sàngo ni rè-o
4У iye- - 48 ç-bako
49 obakpba kó- - 50 se-bi Sàngo ni rè
S 51 çbakoba ko 52 sebi Sàngo ni rê-o
Ch 53 iye- -54 o-bako-
55 çbakoba kó- - 56 .se-bi Sàngo ni rè
(iv)
S 57 Sàngo fê pè'rû
58 ekùn fojú taná 59 Olúwa e-e-e-emi fé pè'rû
Ch 60 Orb, ó fê pè
61 ô fê pè'rû-e- -
62 a ç kúro- ó fê pè'rû
(v)
S 63 Sàngo fê pè'rû
64 erin a-a-atô bá-a-a-a-а jém àiyê 65 e pè, Éwêgbè-e-e-e-emi fê pè'rû
Ch 66 Orb, ô fê pè
67 ó fê pè'rû-e
68...'...
Devises de Shangu.
i'i
S / dans l'incertitude 2 agissons ensemble
Ch 3 dans l'incertitude 4 agissons
5 agissons ensemble
t> dans l'incertitude
.

("J
S 7 Gbaru brise 8 le possesseur de la hache détruit 9 il crie [et fait grand j fracas avant de les tuer 10 lorsqu'il ne les tue plus 11
le menteur n'a plus peur 12 possesseur de l'étoffe rouge qui vient de l'Européen
13 la terre ne le mange pas pour toujours 14 Mort-Léopard, Mort qui envoie l'enfant dormir 15 Mort qui meurtrit maintes lois
avant de prendre épouse
16 il anéantit le menteur, que le ciel le sache ij chef [qui a] le pouvoir du talisman comme Aroni
18 de grâce iç j 'ai entendu ce que tu as dit 20 Shango parle en sifflant
21 j'ai entendu ce que tu as dit
Ch 22 possesseur de la foudre, possesseur de la foudre 23 mère, mère 24 j'ai entendu ce que tu as dit
2 ^ bénis notie ville 26 j'ai entendu ce que tu as dit
27 j'ai entendu ce que tu as dit 28 Shango
2Q j'ai entendu ce que tu as dit 30 Shango parle en sifflant
31 mère 32 j'ai entendu ce que tu as dit
33 j'ai entendu ce que tu as dit 34 Shango
(111)
S 35 Gbaru brise 36 le possesseur de la hache détruit 37 il crie [et fait grand] fracas avant de les tuer 38 mon mari a fendu en mor
ceaux le poteau de la véranda jusqu'au cou de l'enfant
3Q Shango, ne me lends pas le cou, je te prie
40 il a huit cents gourdins 41 il voit clair dans le cœur du malfaiteur
42 il anéantit le menteur, que le ciel le sache 43 chef [qui aj le pouvoir du talisman comme Aroni
44 bénis notre ville 45 ce n'est pas n'importe quel roi 46 n'est-il pas Shango
4j mère 48 ce n'est !pas] n'importe quel roi
4P ce n'est pas n'importe quel roi 50 n'est-il pas Shango
57 ce n'est pas n'importe quel roi 52 n'est-il pas Shango
-, 3 Hi(vn- v/ rt* n'est pas' n'importe quel roi
'

5Ť ce n'est pas n'importe quel roi çn n'est-il pas Shango


(ni
S 57 Shango veut appeler à adorer
Ch 5.V Léopard aux yeux Julgurants 59 mou seigneur veut appeler à adorer
ho Oro, il veut appeler
ôi il veut appeler
(>j... (?). il veut appeler à adorer
.

(v)
S (13 Shango veut appeJei à adorer
С h Ó4 Kléphant-qui-mamtient -en-vie 65 vous appelez, Leuilles-suutenez-moi veut appeler à adorer
t)f> Oro, il veut appeler
0/ ii veut appeler a adorer
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 103
Notes.
7. G baru : un des noms de Shango.
8. La double hache stylisée (osé) et la « hache de foudre » (edùn àrâ, cf. plus loin 22)
— ou pierre de foudre (i. e. hache néolithique) — sont, rappelons-le, les attributs
de Shango.
9. Fracas : celui du tonnerre, bien entendu.
12. Dans le sanctuaire de Sakété le socle sur lequel est posée l'effigie de Shango est
ceint d'une étoffe d'un rouge éclatant : rouge et blanc sont les couleurs de cet
orisha.
13-15. Toute initiation au culte d'un orim (ou d'un vodu) commence nécessair
ement par la mort du nouveau zélateur. C'est de cette mort symbolique « pas pour
toujours » qu'il s'agit ici. Shango est Mort, en tant qu'il tue, et Léopard, car il
est roi (cf. plus haut la prière, j « Roi de Koso », 5 « Léopard de la forêt de Ada »).
Il tue (« envoie l'enfant dormir ») pour faire un novice, puis il le met longuement à
l'épreuve (« meurtri maintes fois ») pendant sa réclusion, avant d'en faire son
« épouse ».
17. « Aroni est un être surnaturel, un très petit homme qui connaît le secret de
Osanyin — entité des feuilles et des herbes. Il a une seule jambe, un seul bras,
un œil au milieu du front. C'est lui qui a donné le feu aux hommes » (P. Verger,
Notes sur le culte des Ori§a..., p. 165).
38. Dans sa brutalité, la foudre a fendu à la fois le poteau de la véranda et le crâne
de celui qui y était adossé.
5J. ... veut appeler à adorer : ... veut convier ses fidèles à venir l'adorer.
60. Oro : voir plus haut (p. 97) 26, à propos d Onirorà.

Ce chant x a été enregistré le vendredi 29 août 1952 dans la matinée, à Sa


kété 2, dans le sanctuaire de Shango, à l'occasion du culte qu'on y rend, comme
partout ailleurs, tous les quatre jours — tous les cinq jours, suivant le compte
africain — à la divinité. Ce n'est que le début d'une pièce beaucoup plus longue
— elle dure environ dix minutes — qui n'a pas toujours été bien chantée. Ce
fragment a été choisi pour la qualité de l'exécution, presque parfaite de bout
en bout, et parce qu'il représente musicalement un tout 3.
La soliste est la gardienne du sanctuaire, iyâ Sàngo « mère de Shango », le
chœur est composé d'une dizaine de femmes, toutes prêtresses du dieu de la
foudre. Un homme, dignitaire du culte, agite le hochet de Shango (sç'rç) dont
on a parlé plus haut 4.
La mise en pages du texte obéit aux mêmes principes que ceux qui ont réglé
1. C'est un. peu abusivement que le chant dont il va être maintenant question est présenté ici
sous le nom de orikl. Si la majeure partie du texte, on va le voir, est bien en effet composée ďoríki,
il s'y ajoute en effet des éléments qui n'en sont pas.
Le mot orikl, qu'il semble adéquat de traduire « devise », comme on l'a fait plus haut, recouvre
un genre littéraire complexe dont H. Wolff (« Rarà : A Yoruba Chant », Journal of African Lan
guages, I, i, 1962, p. 51), définit un certain nombre d'aspects et de conditions d'emplois. Il ajoute :
« Spoken orikï is definitely a form of poetry. Analysis of this type of discourse must await the anal
ysis of Yoruba intonation patterns. »
2. A une trentaine de kilomètres au nord de Porto-Novo.
3. Rappelons-le, cette pièce est celle qui figure à la face II du disque Fête pour l'offrande des
premières ignames à Shango, cf. plus haut pages 67-68.
4. Cf. prière, 21 et note s'y rapportant.
104 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
celle du chant précédent, à ceci près qu'ici on n'a pas disposé solo et chœur
suivant deux colonnes séparées. Cela aurait abouti à une grande perte de place
et n'aurait eu aucun avantage, au contraire. La disposition adoptée, qui cette
fois distribue solo et chœur sur un axe unique, met mieux en évidence les para
digmes et fait mieux ressortir les rapports structuraux des deux parties suc
cessives de la strophe.
Les ornements, c'est-à-dire les syllabes ajoutées sur lesquelles on vocalise,
ont été transcrits de la manière suivante :
i° Lorsque l'ornement est chanté legato, deux cas se présentent : ou bien la'
voyelle ajoutée est la même que la précédente, dans ce cas elle est rendue par
un trait d'union ; ou bien elle est différente, dans ce cas elle est rendue par la
lettre notant habituellement cette voyelle, précédée d'un trait d'union.
2° Lorsque l'ornement est chanté staccato, un seul cas se présente : la voyelle
ajoutée est toujours la même que la précédente, elle est rendue par la lettre
correspondante précédée d'un trait d'union.
Il en résulte quatre combinaisons qui doivent se lire, si l'on prend pour
exemple a et e :
a- = [aa]
a-e = [ae] legato
a- -e = [aae]
a-a-a-a = [a a a a] staccato

II était utile de distinguer ces deux types d'ornement : leur distribution à


l'intérieur de la strophe est un trait important de la stylistique en question.
Cette pièce est composée, comme on peut le voir, d'une suite de i + 2 +
2 strophes, où :
i constitue une unité formelle qu'on ne retrouvera pas par la suite,
ii et iii constituent deux strophes dont la structure est identique (elle est
faite de deux parties ayant entre elles les mêmes rapports) mais qui diffèrent
un peu l'une de l'autre dans le détail des formes,
iv et v constituent deux versions variées d'une même strophe, laquelle est
différente des précédentes.
De i, qu'on peut considérer comme un exorde, on ne dira rien puisqu'il est
unique en son genre. Notons seulement que les ornements vocalises — plus
nombreux dans la réponse en chœur que dans le solo — sont du type legato,
lequel ne se rencontre que dans les parties de la strophe que C. Laloum appelle
« chantées ».
Les strophes ii et iii reproduisent le même modèle structural, lequel se com
pose de deux parties bien distinctes qu'on examinera l'une après l'autre.
La première (7 à iy pour la strophe ii, 35 à 43 pour iii) est chantée exclus
ivement par la soliste. Les ornements vocalises sont presque uniquement du
type staccato (12 onîgege-e-e-e-e, ij et 43 aje'-e-e-e-e-e-e-e-e-egùn, 38 o-o-o-p-p-rùn,
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 105
39 mo-o-o-o-o-o). Le texte est une suite de phrases — des oriki — n'offrant ni
reprise, ni répétition x. Si l'on compare les deux strophes, on voit que cette
première partie se subdivise en trois éléments, initial, médial et final. Le texte
de l'élément initial est identique pour les deux strophes (7, 8, 9 et 35, 36,37),
celui de l'élément final également (16, iy et 42, 43), en revanche celui de l'él
ément médial n'est pas le même pour ii (10 à 15) et pour iii (38 à 41).
La seconde moitié du modèle (18 à 34 et 44 à 56) est chantée en majeure
partie par le chœur. Les ornements vocalises sont exclusivement du type
legato. A l'inverse de la première partie elle est caractérisée par la constante
répétition d'une même phrase, laquelle est composée de deux éléments. Le
premier, qu'on pourrait appeler principal, fournit les reprises et les répétitions
les plus nombreuses, le second, qu'on pourrait appeler complémentaire, est
moins fréquemment repris. Ce sont respectivement то gbç Ы 0 ti wi « j'écoute
pendant que tu parles », principal, et Sàngo 0 fi ofé fohùn « Shango parle
en sifflant », complémentaire, pour la strophe ii; obakoba kç> « [ce n'est] pas
n'importe quel roi », principal, et sebi Sàngo ni rè « n'est-il pas Shango », complé
mentaire, pour la strophe iii.
Cette unité constamment répétée est précédée d'un élément initial variable
qui est tantôt : jowç « de grâce » (18) qui n'apparaît qu'une fois, en ii, tantôt
iya « mère » (23, 31 et 47, 53) précédé une fois par alárá « possesseur de la foudre »
(22), tantôt fare se 'lu (wa) « bénis notre ville » (25 et 44). C'est l'existence de
cet élément variable, joint au fait que les répétitions sont plus nombreuses
pour ii que iii, qui est responsable de la variété de la forme pour cette seconde
partie du modèle strophique.
Les strophes iv et v sont construites suivant un autre modèle structural que
les deux précédentes. De plus, la manière de répéter le modèle n'est pas la
même. Pour ii et iii il s'agit, on Га vu, de deux strophes différentes reproduis
ant, en le variant un peu dans sa forme, le même modèle. Elles sont différentes
parce qu'elles n'ont en commun qu'une petite partie du texte. Pour iv et v
c'est l'inverse : la plus grande partie du texte de iv et reprise par v, la variation
ne portant que sur un seul élément de la strophe, le terme d'adresse, lequel est
plus long, notons-le au passage, en v {64-6$ « Éléphant-qui-maintient-en-vie
[...] Feuille-soutenez-moi ») qu'en iv {58-59 « Léopard-aux-yeux fulgurants,
mon seigneur ») et de plus s'augmente d'une unité verbale « vous appelez »,
empruntée à l'autre élément de la strophe. A l'inverse des deux précédentes, iv
et v doivent donc être considérées non pas comme deux strophes différentes,
mais bien comme deux versions, variées, de la même strophe.
Si dissemblables qu'ils soient — un regard sur le texte suffit pour le voir —
les deux modèles strophiques, celui de ii, iii et celui de iv et v, ont en commun
1. Les deux strophes comportent des textes en partie identiques, autrement dit certaines phrases
de ii sont reprises dans iii. La reprise se situe donc non pas à l'intérieur du modèle, mais au niveau
de ses deux réalisations successives.
106 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
un trait fondamental de leur structure, celui d'être constitué de deux éléments
complémentaires qui sont entre eux dans les mêmes rapports. En effet, les
strophes iv et v (second modèle) se réduisent d'une part au nom de Shango et à
ses orikl, qui permutent — premier élément — de l'autre à « veut appeler à
adorer », réduit parfois à « veut appeler » — second élément. La correspon
dance entre les deux modèles s'établit de la manière suivante : le premier él
ément du second modèle est la réplique des deux suites à'ortkî qui composent
dans le premier modèle, en ii, les phrases 7 à iy et en iii 55 à 43 ; le second
élément est la réplique de {ii) «j'ai entendu ce que tu as dit, Shango parle
en sifflant », parfois réduit à « j'ai entendu ce que tu as dit », et {iii) « ce n'est
pas n'importe quel roi, n'est-il pas Shango », parfois réduit à « ce n'est pas
n'importe quel roi ». La disposition de ces deux éléments diffère un peu
d'un modèle à l'autre : dans le premier modèle le premier élément est
entièrement groupé dans la première partie de la strophe, le second dans
la seconde, dans le deuxième modèle les deux éléments alternent pendant
la première partie de la strophe. Cette réserve faite, on voit qu'il faut en
effet considérer le deuxième modèle comme une réplique en réduction du
premier : sa structure est la même, mais ses éléments sont réduits et leur dispo
sition légèrement différente.
Pour ce qui est maintenant de la sémantique, si l'on se place au niveau des
relations entre « qui parle » et « ce dont on parle », on constate que la première
partie de chacune des deux strophes du premier modèle {y-17 pour ii et 35-
43 pour iii) exprime des faits qui sont extérieurs à celui qui les énonce : on
chante les attributs de Shango (« possesseur de l'étoffe rouge... », « il a huit cents
gourdins »), son comportement (« il crie et fait grand fracas avant de tuer »),
son rôle de justicier (« il anéantit le menteur »), etc. La phrase 3g (« Shango,
ne me fends pas le cou, je te prie ») fait seule exception, puisqu'elle établit un
rapport entre Shango et celui qui parle, mais outre qu'il n'est pas abusif de
n'y voir qu'une parenthèse introduite par ce qui précède (« mon mari... a fendu
le cou de l'enfant »), le rapport en question est négatif et ne contredit donc pas
l'orientation générale de cette première partie. La seconde partie, en revanche,
traduit une situation où le locuteur est impliqué, soit explicitement (« j'écoute
pendant que tu parles»), soit implicitement (« ce n'est pas n'importe quel roi »),
dans ce cas, en effet, il intervient pour émettre un jugement de valeur, d'abord,
puis pour le confirmer : « n'est-il pas Shango. » Ajoutons les vocatifs « mère,
mère », et les prières « de grâce », « bénis notre ville », qui établissent également
des rapports entre celui qui chante et celui qu'on invoque. Pour ce qui est des
strophes iv et v, les textes en sont si courts qu'à eux seuls ils ne permettraient
pas de dégager ces rapports, mais la comparaison avec les strophes ii et iii per
met de les y déceler et montre qu'ils y sont les mêmes. C'est l'opposition de ces
deux situations — la première où celui qui parle est neutre, la seconde où au
contraire il intervient — et des deux styles qui les traduisent, que cherche à
NOTES POUR SERVIR A b'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 107
exprimer la distinction récit /discours x qui figure dans la colonne « sémant
ique» du tableau récapitulatif de la structure générale de cet orikï (plus loin,
page 135). On verra en s'y reportant qu'à chacune de ces deux situations corre
spond un ensemble défini de traits musicaux différents. C'est précisément cette
correspondance qu'il était important de dégager. On retiendra notamment que le
récit s'exprime par le « parlé-chanté », le discours au contraire par le « chanté ».
Entre les deux existe une zone de transition, de « modulation », celle du « réci
tatif », qui correspond au passage de l'un à l'autre, soit qu'on passe effectivement
du récit au discours (18-21 et 44-46, dans le premier modèle strophique), soit
qu'on touche trop fugitivement au domaine du récit (58 et première partie
de 5Q, 64 et première partie de 65, second modèle) pour avoir le temps de
s'établir dans la « psalmodie ».
Les deux types d'ornements — staccato [legato — dont on a longuement
parlé, se distribuent aussi suivant la distinction récit /discours, ceux qui sont
chantés staccato se rencontrent exclusivement dans le récit (7-17 et 35-43 pour
le premier modèle ; 55 et premier élément de 5g, 64 et premier élément de 65
pour le second modèle), ceux qui sont chantés legato presque uniquement dans
le discours.
1. Ces termes m'ont été suggérés par N. Ruwet, qui lui-même les doit à l'enseignement d'E. Ben-
veniste au Collège de France. La distinction qui nous occupe pourrait également se formuler dans
les termes qu'a proposés Bùlher pour désigner les trois fonctions du langage : suivant cette terminol
ogie,notre texte remplirait, lorsqu'il est récit, la fonction référentielle, lorsqu'il est discours, la
fonction conative. Cela rejoindrait ce que fait remarquer R. Jakobson — auquel j'emprunte le
renvoi à Bùlher — lorsqu'il écrit (Essais de linguistique générale, trad.N. Ruwet, p. 216) : « .... La
fonction magique ou incantatoire peut se comprendre comme la conversion d'une « troisième per
sonne » absente ou inanimée en destinataire d'un message conatif. » Les parties de Yorîki qui cor
respondraient alors au conatif sont bien en effet incantatoires.
Mais il importe peu ici de savoir quels termes conviendraient le mieux. L'essentiel est de poser
la question et de montrer qu'elle est d'importance lorsqu'il s'agit de traiter des rapports entre texte
et musique.

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