Sango Et Le Bata1
Sango Et Le Bata1
Sango Et Le Bata1
Rouget Gilbert. Notes et documents pour servir à l'étude de la musique yoruba. In: Journal de la Société des Africanistes. 1965,
tome 35 fascicule 1. pp. 67-108.
doi : 10.3406/jafr.1965.1391
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1965_num_35_1_1391
NOTES ET DOCUMENTS POUR SERVIR
A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA
PAR
G. ROUGET
C'est à Pierre Verger que ces documents doivent d'exister, sans lui ils n'auraient
jamais été recueillis. C'est en sa compagnie qu'en des sanctuaires dont il était le
seul étranger à connaître le calendrier et où il était également le seul à être reçu, j'ai
pu enregistrer les musiques dont il va être question. C'est dans son grand ouvrage
Notes sur le culte des orisa et vodun [Dakar, IQ57), que parurent la description
des cérémonies auxquelles ces musiques se rapportent et les premières versions,
abrégées, des textes figurant ici. On aura sans cesse à s'y référer. C'est à lui enfin
que je dois d'avoir rencontré le Dr. Adeagbo I. Akinjogbin, professeur à l'Université
de ïfe, grâce auquel ces textes ont été complétés et revus 1, au cours des réunions
que nous avons tenues tous trois, à Paris d'abord, à Ibadan ensuite, et tout au
long d'une correspondance passant, entre autres, par Londres et Bahia. Qu'ils
veuillent bien accepter l'un et l'autre d'être cités en tête de ce travail : si les docu
ments publiés ont quelque valeur et si l'on trouve quelque intérêt aux notes qu'on
va lire, c'est d'abord à eux deux qu'on le devra.
Note liminaire.
Cet article a principalement pour objet de situer les deux chants pour Shango
dont on lira plus loin l'analyse musicale par Claude Laloum, et d'en donner les
textes. Analyses et textes ne prendront, à leur tour, tout leur sens que si l'on
écoute la musique à laquelle ils se rapportent. Celle-ci figure sur un disque inti
tulé Fête pour l'offrande des premières ignames à Shango 2 et présentant une vue
enregistrements ont été faits sur un magnétophone Tolana, que m'avait prêté l'U. N. E. S. С. О., à
la vitesse de 76 cm/s, avec un microphone Mélodium à ruban.
1. On en aura d'autres aperçus en écoutant le disque Ogoun, dieu du fer, dont la musique a été
enregistrée elle aussi en pays Nago par l'auteur de ces lignes, en compagnie, ici encore, de Pierre
Verger. Un autre fragment figure à la face II du disque intitulé Pondo Kakou, précédé d'une bat
terie pour un autre Ogoun. Un rituel pour Osun, enregistré cette fois en Nigeria chez des Yoruba
Ijesha et montrant un aspect différent de cette musique liturgique, n'a pas encore été publié.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 69
« comment c'est fait ». C'est à cela surtout qu'est consacré le présent travail.
L'étude de Claude Laloum entreprendra de le faire sur le plan le plus import
ant,celui de l'analyse musicale pure. Au présent article ne reviendra que l'ana
lysedes textes. Les deux ensemble permettront de juger des rapports de la
musique et des paroles, aspect essentiel de cette recherche.
Dans une étude dont il a bien voulu me communiquer le manuscrit l, Nicolas
Ruwet, s'inspirant du souci qu'ont eu les linguistes structuralistes de rendre
le plus explicite possible le choix de leurs procédures, montre combien il serait
important de faire porter l'effort sur ce point en musicologie. Sans avoir été
spécialement conçues pour répondre à ce programme, les analyses qu'on va lire,
celle de la musique comme celle du texte, s'accompagnent néanmoins, chacune
en proportion de sa complexité, d'un exposé sommaire — et très incomplet —
des procédures de découverte qui ont été utilisées. Mais, ajoutons-le, c'est le
seul caractère qu'elles aient en commun. Elles ont été menées tout à fait sépa
rément.
On ne manquera pas de noter la disproportion qu'il y a entre l'analyse de la
musique, si détaillée, et celle du texte, si sommaire. Cela tient en partie à ce
que celle-ci n'a guère été menée que dans la mesure où elle était indispensable
à celle-là ; cela tient surtout à ce que pour pousser plus loin l'analyse des
textes, la poursuivre sur différents niveaux et, finalement, lui donner le degré
de finesse qu'ont atteint celle déjà fameuse d'un sonnet de Baudelaire 2, ou
plus récemment encore cette autre d'un sonnet de Louise Labé 3, modèles que,
toutes choses égales, on aurait aimé suivre, il aurait fallu connaître la langue
et la littérature yoraba, travailler sur un matériel plus abondant et disposer
de données comparatives. Ce n'était malheureusement pas le cas. Mais puis
qu'on compare ces entreprises, qu'ils soit permis de faire remarquer que la
difficulté s'augmentait ici de ce que les textes en cause ne sont pas écrits. Il fal
lait donc, avant toutes choses, découvrir leur forme et choisir les moyens de la
traduire. C'est à cela qu'on s'est appliqué, dans l'espoir que si la voie choisie
s'avérait bonne cet effort contribue à susciter la constitution d'un corpus de
musique chantée dont toutes les pièces, publiées suivant un même principe,
soient immédiatement comparables et puissent par conséquent servir à l'ét
ablissement d'une typologie, celle-ci n'étant elle-même, bien entendu, qu'un
élément pour l'élaboration d'une esthétique scientifique de la musique, but
lointain, о combien !, de toute cette quête.
Les lignes qui suivent sont destinées à compléter l'écoute du disque portant ce titre
et dont on vient de parler, en commentant successivement les plages dont sont composées
sis deux faces.
Face I.
Plage 1. Pendant toute la durée des préparatifs qui ont lieu dans le sanc
tuaire, les tambourinaires font entendre des batteries * plus ou moins longue-
1. Sur certaines cartes Adjaouré ; à huit kilomètres à l'ouest de Pobè, ville qui est elle-même,
таг la rcute, à soixante-treize kilomètres au nord de Porto-Novo.
2. Pour une description plus détaillée de cette cérémonie, voir Pierre Verger, Notes..., p. 316-321.
En 1958, puis en 1964, j'ai assisté à des cérémonies semblables en pays Gù, à Porto-Novo. Mais
c'est en décembre qu'elles eurent lieu. Les ignames étaient offertes non pas aux divinités mais aux
morts, aux kûviti.
De cette fête des prémices A. Adandé écrit (« Le maïs et ses usages dans le Bas-Dahomey »,
Bulletin de VIF AN, XV, 1, 1953, p. 226-229) '• « En principe il devrait y en avoir une à chaque
production agricole. Mais une telle pratique serait dispendieuse [...] les Yoruba célèbrent la fête de
l'igname, car ce sont eux qui ont importé ce tubercule dans le pays. »
A. Métraux (Le vaudou haïtien, p. 200), a donné d'intéressants détails sur la fête des ignames
le « manger-.v«w », en Haïti. Les rites qu'il décrit sont plus compliqués que ceux qu'on a pu obser
verà Adja Wèrè. Comme en Haïti, cependant, la cérémonie s'est étendue sur deux jours. A l'excep
tion des batteries de bàtâ, les enregistrements dont il va être question ont tous été faits pendant
la première partie de la première nuit de cette fête.
3. On trouvera plus loin quelques remarques sur ces tambours.
4. Celles qui constituent le premier et le troisième enregistrements de la face A du disque n'ont
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 71
ment entrecoupées de silences. Ces batteries sont en général des devises pour
saluer les dieux.
Plage 2. Les dignitaires du culte et les initiés, hommes et femmes, s'étant
petit à petit réunis à l'intérieur, près de l'autel où sont groupés, adossés au mur,
les objets du culte, la gardienne du sanctuaire procède à la divination par la
noix de kola. La réponse ayant été favorable, l'assistance fait entendre des
acclamations rituelles. Un prêtre de Shango prononce alors une prière, reprise
en chœur par toute l'assistance. C'est la seconde partie de cette prière qui cons
titue la plage 2. On en trouvera le texte plus loin, dans la deuxième partie de
cet article.
Plage 3. Le sanctuaire est maintenant plein à craquer. Brusquement, près
4e l'autel, la gardienne du temple, iyâ Sàngo « mère de Shango », entonne un
chant. La musique — chants et tambours, parfois seulement l'un ou l'autre —
ne s'arrêtera plus désormais de la nuit, mais la période la plus dramatique, et
à tous points de vue la plus intéressante, est celle qui s'écoulera entre le moment
où la gardienne du temple s'est mise à chanter et celui où, les dieux s'étant
manifestés, l'assemblée tout entière se retrouvera dehors, Shango ayant en
personne chanté la salutation obligée à Eshou. C'est précisément cette période
que reproduit intégralement, sans interruption ni montage, la plage 3. On y
reviendra plus loin.
pas été enregistrées ce soir-là, mais le lendemain. Elles n'en sont pas moins représentatives du type
de batterie qu'on battait en attendant que commence la cérémonie. Il aurait été intéressant d'enre
gistrer la totalité de ces batteries. Le magnétophone utilisé, qui, répétons-le, défilait à 76 cm/s,
interdisait qu'on puisse y songer.
1. Les paroles de ce chant et de ceux qui suivront, jusqu'à з'45*> ont été intégralement notées
et traduites, on en trouvera le texte et les commentaires plus loin (p. 94 à 101) dans la deuxième
partie de cet article, sous le titre « Chant pour Shango et Oya ». La transcription et l'analyse de
la musique constituent, rappelons-le, la première partie de l'étude de Cl. Laloum.
2. L'interruption tient simplement à ce que quelques personnes pleines de bonnes intentions,
dans la crainte que le tambour ne soit trop près de mon microphone ont fait signe aux musiciens de
s'arrêter.
72 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
З'гз". Entrée du hochet sçrç 1.
4/34". iyâ Sàngo ayant la voix complètement cassée, — c'est une femme qui
n'est plus jeune — son fils Orobadade 2, voué également à Shango, la relaie et
assure la partie solo du chant. C'est donc lui qui maintenant choisit l'encha
înement des airs.
4'59". Orobadade entonne un deuxième air. On distingue le nom de Yemoja,
divinité des eaux douces et salées et mère de Shango 3.
Il chante : « Yemoja ne connaît pas la bataille... Yemoja, viens soutenir ma
voix, l'amusement, la joie... * »
5'i7". Il entonne un troisième air. Exhortant Shango pour qu'il vienne, il
chante : « Ne dors pas à la maison, oh ! mari à'Oya. »
5'56". Une trompe 5 qui était jusque-là restée silencieuse fait brusquement
irruption. Les gens sont tassés les uns contre les autres. Il fait extrêmement
chaud. Le chant est souvent confus. Les roulements pressés des tambours
bàtd joints aux accents véhéments du trompettiste e créent une atmosphère
tendue. On chante :
« Sàngo porte-moi au dos que nous sortions ensemble
Oh ! homme robuste comme un osé [double hache] .
Laissez-moi sortir avec le père
II sort avec nous et il revient avec nous à la maison
Laissez-moi sortir dehors avec Woru [nom de Sàngo] » 7.
6'57". On entend, mêlées au chant, des salutations déclamées par une partie
de l'assistance. Un orisha s'est manifesté.
8'o2". De nouvelles salutations éclatent et couvrent cette fois le chant. Une
seconde possession vient de se produire. Un orisha est monté sur la tête d'une
des personnes présentes. C'est Oya (PI. I 2). On l'acclame longuement. La
trompe semble avoir des accents triomphants pour saluer son arrivée.
8'28". Comme la prière 8, les salutations se terminent par les mots okô wo,
obo wo, atoto wo y a, litt. : « pénis, regarde ! vulve, regarde !, prépuce, regarde ! »,
pour : « hommes, femmes, enfants, regardez ! »
1. Ce hochet, fait d'une calebasse piriforme, au col allongé, contenant des graines, est un instr
umentconsacré propre à Shango, d'une grande importance rituelle. On l'a entendu pendant la prière.
C'est un hochet du même type qu'on entend pendant Yoriki, dernière plage de la face II.
2. Cf. P. Verger, op. cit., photo 45 et ici PI. 1,5. C'est lui qu'on voit danser devant le tambour
bàtd.
3. Cf. P. Verger, Notes..., p. 291 et suivantes.
4. Ibid., p. 320.
5. Trompe traversière (ipè), de petites dimensions, faite d'une simple corne d'antilope droite,
peu évasée, percée d'une ouverture près de la pointe et ne comportant pas de trou d'intonation.
Cf. note p. 75.
6. On l'entendra, il fait irrésistiblement penser à Armstrong, ce qui est d'autant plus intéressant
que l'instrument est aussi « primitif » qu'on peut le souhaiter : simple corne d'animal démunie
bien entendu de tout mécanisme.
7. P. Verger, ibid.
8. Cf. plus loin le texte de la prière, lignes 39-40-41 et note.
NOTES POUR SERVIR A i/ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 73
8'45". Iyá Sàngo prononce une adresse à l'intention de Oya qui répond par
un cri. Nouvelles salutations pour Oya.
0/14". Orobadade se remet à chanter et entonne une nouvelle fois un air
pour Yemoja :
« Yemoja ! venez danser dans l'enceinte,
venez danser dans la joie. »
oko Oya gbóná j obore gbóná / iyá ото a bá onílé pa ilè то / opalemó bàràbàràj
àrà, àrà-o-e...
« le mari de Oya est chaud (amoureux)/ la femme (litt. la vulve) est chaude
(amoureuse) / mère des enfants, elle aide le maître de la maison à nettoyer par
terre / elle nettoie par terre rapidement / merveille, merveille... »
Cri d'un des deux orisha. Nouvelles salutations pour Oya.
14'ю". D'une voix toute cassée, sinon gâtifiante, Shango chante l'air de
rigueur pour saluer Eshou. L'assemblée répond en entonnant un air qui a déjà
été chanté quelque temps avant. Ici commence véritablement la suite de
danses qui durera jusqu'à l'aube.
Face II. La suite des dix chants différents — dix airs — qui composent les
quatre premières plages de cette face, a été « montée » de manière à montrer,
en raccourci, l'aspect musical d'une fête de ce genre, l'épisode des transes une
74 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
fois passé. Les dieux étant là, on s'installe dans une atmosphère de liesse tout
à fait détendue. Les danses se succèdent jusque tard dans la nuit, (PI. I 5),
entrecoupées d'arrêts au cours desquels Shango et Oya répondent aux saluta
tions, bénissant ceux qui viennent se prosterner à leurs pieds г, répondant « ase
un, ase un » (merci ! merci !) à leurs souhaits, donnant eux-mêmes, de leurs voix
chevrotantes, le signal des airs à chanter.
Chants et danses reprendront vers midi, pendant qu'on cuit et qu'on prépare
les nouvelles ignames dont on va faire grande consommation au cours du long
repas communiel par lequel s'achèvera la fête.
* *
II n'est évidemment pas question de s'appuyer sur un seul document, serait-
il comme celui-ci intégral et enregistré dans des conditions de « naturel » à tout
prendre satisfaisantes, pour proposer des conclusions générales sur le déclenche
ment des possessions yoruba vues dans leurs rapports avec la musique. Ce
document est d'ailleurs loin d'avoir été étudié avec la minutie qu'il faudrait
pour cela : ni l'identification des batteries — qui appelaient-elles, que disaient-
elles ? — ni celle des appels de la trompe n'ont été faites. Semblable travail
serait en vérité considérable. Bien d'autres éléments manquent encore. Quant
au texte chanté, on Га dit, une petite partie seulement en a été établie.
L'un des enseignements qu'on peut cependant en retirer concerne le temps
requis en la circonstance pour passer de l'état, disons « normal », à l'état de
transe et pour s'installer dans le monde nouveau ainsi créé, où hommes et dieux,
familièrement mêlés, parlent, chantent et dansent ensemble. Si l'on ne tient
compte ni de la préparation psychologique qu'ont certainement été la divina
tion — déjà dialogue avec les dieux ou les ancêtres — et la prière, ni du fait que
les tambours battaient déjà depuis quelque temps avant que ne commence la
cérémonie stricto sensu, ce passage a duré ce jour-là quatorze minutes environ.
C'est le temps qui sépare le moment où iyá Sangó s'est mise à chanter (il n'y
avait alors pas trace de possession dans l'air, si j'ose dire) et celui où Shango lui-
même, après avoir pris possession un peu brutalement d'une des personnes pré
sentes, son elegun, et s'être progressivement intégré à l'assistance, a entonné de
sa voix chevrotante le chant auquel devait répondre un refrain très gai et qui a
marqué le début des danses. Il n'est pas possible, on en a dit la raison tout à
l'heure, de préciser à quel moment s'est produite la première transe, mais le
premier grand cri caractéristique s'est fait entendre 8'45" après le début du
chant de iyá Sàngô. Il répondait aux salutations à Oya. Or, écrit Pierre Verger
dans la relation qu'il fait de cette cérémonie, Oya s'est manifestée peu après
Shango. Il est vraisemblable que les salutations qu'on distingue peu avant cor-
1. Cf. P. Verger, ibid., photo 58. On y voit Oya, cette nuit-là précisément, en train de bénir des
fidèles.
NOTES POUR SERVIR A L ETUDE DE LA MUSIQUE YORUBA /O
respondent à son arrivée. Le déclenchement des transes attendues ce jour-là
s'est donc produit en moins de huit minutes. Plus tard, au cours des danses, à
mesure que la nuit s'avancera et que les participants seront plus nombreux, il
s'en produira bien d'autres. Dans le brouhaha et la gaieté générale, elles passe
rontpresque inaperçues. Shango, dieu de la foudre et Oya son épouse, déesse du
Niger, sont là, héros de la cérémonie, les autres orisha ne seront ce soir-là que
des comparses.
Le développement de la musique est marqué par une phase de paroxysme,
qui commence avec l'entrée de la trompe dont l'intrusion est tout à fait abrupte
et quasi jurioso. Les tambours semblent alors rivaliser avec elle pour créer cet
état de tension qui suscitera la transe. Que ipè, le nom de cette trompe \ soit
le mot qui signifie « appel », est significatif. Trompe et tambours « parlent »,
comme on sait. Mais ce qu'il est intéressant de constater ici, c'est qu'ils le font
avec une grande intensité émotionnelle. Aussitôt les possessions accomplies, la
trompe se tait. Sans doute n'a-t-elle plus de rôle à jouer. On ne l'entendra plus
de la nuit.
L'atmosphère dramatique se détend donc dès après l'arrivée des dieux. Une
certaine confusion règne pendant un moment, le temps qu'il faudra pour quitter
le sanctuaire en accompagnant Shango et Oya — tout secoués encore de trem
blements, rugissants, poussant parfois le cri aigu de la transe, répondant aux
salutations qu'on leur adresse —, et pour aller avec eux s'installer dehors. Pen
dant qu'on se transporte à l'extérieur les tambours se taisent. La trompe con
tinue quelque temps encore de sonner. Les chants cependant ne se sont pas
interrompus. Plus tard, ce sera l'inverse, et pendant toute la nuit lorsque entre
deux danses, ou entre deux airs, on s'arrêtera de chanter, les tambours conti
nueront de battre, serait-ce au ralenti, serait-ce, disons-le, n'importe comment.
Il est clair qu'il s'agit d'assurer la continuité de cet état particulier où baigne
tout entière l'assemblée — peut-être de l'état de possession lui-même ? — en
maintenant vivante cette palpitation qu'engendre la musique et qui est sans
doute sa vertu essentielle.
Après cette baisse de tension, de quelques minutes, la musique renoue avec
ce qu'elle était peu avant à l'intérieur du sanctuaire. Une nouvelle vague d'émot
ion emporte l'assistance. Les chants retrouvent leur ferveur, les dieux rugissent
et aboient ; on les acclame. Ce n'est qu'après l'air rituel pour Eshou, messager
des dieux, chanté par Shango en personne, que la musique s'établit définit
ivement dans la forme qu'elle conservera désormais, celle d'une suite d'airs
de danse entièrement dépourvus de caractère dramatique.
La voix de Shango, chevrotante et brisée par la vieillesse, qu'on entend à
la fin de la face I du disque et, à plusieurs reprises, face II, mérite qu'on en dise
un mot. Elle est évidemment celle du personnage, celle d'un ancêtre sans âge,
1. Ce grelot est à rapprocher des clochettes de cuivre dont on a parlé plus haut. Abraham, dans
son dictionnaire, donne pour saworo : « Small shells round the dimdún drums. » Serait-ce que grelots
ou clochettes en cuivre étaient à l'origine des cauris ? A Cuba, les sonnailles et clochettes attachées
autour du tambour iyd, portent le nom de chaguoró (F. Ortiz, op. cit., p. 230), ce qui est évidemment
le même mot.
2. Timi of Ede, op. cit., p. 10.
3. Que les tambours bàtd soient réservés d'une part aux cérémonies pour Shango, dieu de la
foudre — au cours desquelles, notons-le, ils peuvent cependant faire entendre les devises de n'im
porte quel orisha, précision que je dois au Timi de Ede — d'autre part à celles des Egúngún, esprits
des morts, est curieux et pose un problème. A tout hasard versons à ce dossier cet autre fait : à
Ede — toujours de la même source — le tambour d'eau igba, qu'on joue en l'honneur des ancêtres
et des morts, est également battu à la fête annuelle pour Shango.
P. Verger (op. cit., p. 507), précise qu'à défaut de tambour bàtd les Egúngún dansent au son
« des tambours ogbon ». Ce tambour (ogbon à Ouidah, kósó en Nigeria) est apparenté à la fois au
tambour bàtd et au dùndûn, en ce sens que s'il est bien à tension variable comme le second, il n'a
en revanche qu'une peau et sa caisse, par son asymétrie, est proche de celle du bàtd. C'est ce tambour
qu'on entend dans la Musique des Revenants (disque Contrepoint EXTP 1026) enregistré également
en 1952, à Ouidah, ici encore en collaboration avec Pierre Verger.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 81
notable par rapport à ce qui doit sans doute être considéré comme la forme
canonique du jeu des bàtd. Il mérite d'être signalé et n'est pas sans importance
du point de vue musical. Si l'on compare nos enregistrements d'Adja Wèrè
avec ceux du disque publié par W. Bascom, on s'aperçoit en effet que les tam
bours n'ont pas du tout le même timbre. Les premiers ont une sonorité ronde
et douce, les seconds un son rèche et métallique, qui tient à ce que la languette
de cuir fouette en quelque sorte une membrane qui est à la fois petite et très
tendue.
A Cuba, F. Ortiz écrit x que les tambours bàtd sont toujours battus des deux
côtés et à main nue. Il mentionne 2 cependant qu'en un certain endroit de Cuba,
à Matanzas, les tambourinaires « créoles » ont inventé « il y a longtemps », pour
éviter de trop s'abîmer la main, de frapper la petite membrane à l'aide d'une
« main artificielle » faite d'un morceau de gros cuir. Cette technique fut bientôt
abandonnée, ajoute-t-il, comme ne permettant pas d'obtenir les mêmes sonor
ités qu'à main nue. Lorsqu'il écrivait son chapitre sur les bàtd, F. Ortiz n'avait
pas encore pris connaissance des faits rapportés par W. Bascom et publiés
seulement un an avant la sortie de son propre ouvrage. Il aurait sinon consi
déré, très certainement, comme il semble raisonnable de le faire, que la tech
nique en usage un temps à Matanzas n'avait pas été inventée localement, mais
bien au contraire qu'elle était venue d'Afrique avec l'instrument, ce qui est
d'autant plus vraisemblable qu'il s'agit précisément d'une région où, suivant
Lydia Cabrera 3, les traditions « lucumi » — c'est-à-dire yoruba — sont restées
particulièrement pures.
Dans une batterie classique de tambours bàtd les deux plus grands instr
uments sont battus, on l'a déjà dit, des deux côtés. Nos tambours d'Adja Wèrè
s'écartaient là encore du modèle en ceci que s'ils étaient souvent joués de cette
manière, il arrivait aussi qu'ils soient battus sur une seule peau. Dans le pre
mier cas ils étaient ou bien suspendus horizontalement, de manière à reposer
devant le tambourinaire à hauteur des mains, ou bien posés en travers des
cuisses; dans le second ils étaient tenus entre les jambes, la petite base repo
sant ou non à terre, la grande membrane étant alors seule à être battue.
La manière de les suspendre (PI. I 5 et PI. II 2) était assez particulière et
mérite qu'on la signale. Elle est identique à celle que montre une photographie,
publiée par Curt Sachs 4, de tambourinaires malgaches battant des « tambours
sur cône » d'un type somme toute assez voisin de celui de nos bàtd : la lanière
de suspension, attachée aux deux extrémités du tambour passe non pas autour
du cou ou de l'épaule du tambourinaire, comme c'est généralement le cas, mais
1. « The Iya Ilu Bata though suited for talking does so with some difficulty being a stammerer »
(Timi of Ede, op. cit., p. 10).
A propos du bàtd comme bègue, P. Verger m'écrit qu'une histoire ďlfá appartenant au signe
(odu) Iwori Oyeku rapporte les faits suivants : un canard portant le pagne d'Eégun (« Revenant » ;
on y a déjà fait allusion) sans avoir fait les sacrifices prescrits, danse au son du bàtd. Celui-ci dit :
« Le canard peut tout faire. Il peut manger, il peut boire, il peut monter sans ailes au plafond... »
A la troisième fois, le pagne se déchire et le canard, au lieu de faire ces choses miraculeuses, dit tout
honteux, en bégayant : ha ha ha ha то bd awo je, « ha ha ha ha j'ai gâté le secret ».
2. Traduites de l'interview enregistré 2 qu'il nous a accordés et qui s'est faite en anglais.
3. Prononcé de manière saccadée, avec une courte occlusion glottale entre les deux a-a-. De
même pour [o-ô-jo].
4. Ceci est évidemment à rapprocher de ce qu'écrit F. Ortiz lorsqu'il parle de « la concordancia
que debe mantenerse entre las dos membranas del tambor » {ibid., p. 234).
5. Le fonctionnement de cette oppositio 1 vue dans ses rapports avec les tons de la langue a été
étudié par l'auteur de ces lignes dans « Tons du langage en Gun (Dahomey) et tons du tambour »
Revue de musicologie, L, 1964. Il ne s'agissait pas, heureusement, d'un tambour bègue.
Planche I
Sakété. 1. Igá Sàngô, chanteuse principale de Voriki, à côté de l'autel. — Adja Wèrè. 2. On entoure Ода qui vient de se manifester.
— 3. Ода danse. — 4. Sàngô s'est arrêté de danser et contemple la scène avec bienveillance. — 5. Or'obadade danse au son du bàid.
Pholos P. Verger.
Planche II
Un ensemble classique de quatre tambours bàtd à Sakété pour la fête de Shango. Pholo P. Verger.
les plus petits à leur gauche. Toujours en Uganda, mais chez une population voisine, un carillon
de tambours, cette fois de sept instruments seulement, est en revanche disposé, je dirais norma
lement, c'est-à-dire avec les graves à gauche [loc. cit., fig. 5). De même la série des six « tambours
de roseaux », dont K. P. Wachsmann indique également la disposition, en notant, là encore (fig. 6
et 8), que les graves sont à gauche. Ces trois « carillons » sont rapprochés du xylophone pour diffé
rentes raisons. Or le xylophone est précisément un instrument où, comme pour le piano, les graves
sont toujours à gauche. La disposition inverse qu'offre le premier « carillon de tambours », avec ses
graves à droite, se présenterait comme une exception à la règle. A quoi tiendrait-elle ? K. P. Wachs
mannn'en propose pas d'explication. Serait-ce parce qu'il s'agit des tambours du roi ? Pure hypot
hèse. Chez les Gun, le tambour d'eau sihù qui est fait de deux demi-calebasses renversées et flo
ttant sur un plan d'eau, offre également cette inversion : les graves sont obtenus en frappant la
calebasse de droite. Ici l'inversion tiendrait-elle à ce qu'il s'agit d'un instrument funéraire ? Expli
cation très plausible, pour toutes les raisons que l'on sait, mais cette fois encore pure hypothèse.
Peu importe d'ailleurs, les exemples qu'on vient de citer l'ont été surtout pour montrer qu'un pro
blème se pose.
1. Ibid., p. 234.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 85
d'une opposition grave /aigu : elles sont frappées simultanément et de telle
manière qu'elles réagissent l'une sur l'autre. Pour les deux grands tambours
bàtâ (les autres « ne sont qu'accompagnement »), l'essentiel est de parler, donc
de reproduire les tons de la langue. C'est ce que fait la grande membrane,
laquelle n'est en réalité spécialisée ni dans le grave ni dans l'aigu : elle délivre
les deux. Л. King x le dit expressément puisqu'il écrit qu'on en modifie la hau
teur en bloquant (« muting ») la peau. Les sons aigus fournis par la petite memb
rane ne sont pas du même ordre. Selon toute apparence ils n'interviennent
que pour moduler — d'une manière qui reste à décrire — ceux que produit la
grande. Au demeurant, frappée à l'aide d'une languette de cuir, objet sans rigi
dité, cette peau ne peut rendre qu'un seul son, lequel est lui-même d'une qual
ité nécessairement différente de celle qu'on obtient à main nue. Les deux memb
ranes des tambours bàtâ ne sont donc pas entre elles dans une relation d'oppos
ition, mais bien de complémentarité. D'où, croyons-nous, la neutralisation de
l'opposition gauche/droite et la liberté qui en résulte pour le tambourinaire de
mettre à sa guise la grande membrane à droite ou à gauche. Si c'est bien ainsi
que s'entend la technique du bàtâ, la règle générale des graves à gauche et des
aigus à droite ne serait ni confirmée ni infirmée : elle n'aurait pas ici son appli
cation, la division du registre en deux parties, grave et aiguë, fournies respec
tivement par la grande et la petite membrane de l'instrument, n'étant en réa
lité qu'illusoire.
Les photographies semblent confirmer cette hypothèse. En effet, parmi toutes
celles dont on a parlé, sur six photos montrant non pas des tambours isolés mais
bien des ensembles bàtâ, les quatre photos les plus représentatives 2 montrent
que les deux grands tambours — encore une fois, ceux qui parlent — sont tenus
à l'inverse l'un de l'autre, de sorte que lorsque l'un des deux a la grande memb
rane à droite, l'autre l'a à gauche et réciproquement. Comme on peut voir
(PI. II, i), à Sakété les batteurs des deux grands bàtâ se font face, de sorte que,
leurs tambours étant inversés, l'un renvoie à l'autre son image comme un
miroir : les deux mains gauches sont d'un côté, les deux mains droites de l'autre.
Les trois autres photos (W. Bascom et F. Ortiz, cf. note ci-dessus) montrent
des tambourinaires disposés non pas face à face mais côte à côte. Dans les trois
cas, les deux grands tambours étant là encore inversés l'un par rapport à l'autre,
ce sont les grandes membranes — celles qui parlent — qui sont côte à côte. Si
les deux musiciens changeaient de place pour se faire face, ils auraient leurs
tambours dans la même position réciproque que ceux de Sakété. Il est peu vrai
semblable que ces coïncidences soient fortuites. De plus, on l'a dit, ce sont dans
les trois cas les deux grandes membranes qui sont côte à côte. Il est peu pro-
1. Op. cit., p. 2-3. •
2. Ce sont : la photographie de P. Verger (pi. II, 1) celle de W. Bascom (op. cit., p. 5, au centre)
et les deux de F. Ortiz [op. cit., fig. 340 et 341). Ne le sont pas : celles d'Adja VVèrè (pi. II, 2) mont
rant des bàtâ peu classiques et celle de W. Bascom (op. cit., p. 5, en haut) montrant une partie
seulement d'un ensemble de six bàtâ.
86 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
bable, ici encore, que ce soit fortuit. Tout se passe donc comme si les deux musi
ciens veillaient à rapprocher le plus possible les deux mains qui jouent de la
grande membrane, celles qui, par conséquent, font parler le tambour. Peut-être
faut-il en chercher la raison dans le fait que, selon le Timi, l'un des deux tam
bours bàtd répète ce que dit l'autre. Ainsi s'expliquerait qu'à la singularité
d'être bègues et de se répéter l'un l'autre, les tambours bàtd joignent celle
d'être disposés en miroir, ce qui n'est en somme qu'une autre façon de se faire
écho.
II
TROIS TEXTES1 LITURGIQUES {fragments).
PRIÈRE A SHAXGO,
A L'OCCASION DE LA FÊTE DES PRÉMICES
ф i. La transcription utilisée pour les textes qui suivent est celle du « Yoruba btandard », telle
qu'elle est fixée par une tradition déjà ancienne ; elle s'écarte souvent de la réalité phonétique.
L'orthographe est celle qu'on emploie en général lorsqu'on fait usage de cette transcription.
Rappelons que le signe p note la labio-vélaire kp, partenaire sourde de gb ; ? l'affriquée généralement
notée š ou c, souvent réalisée comme une chuintante, partenaire sourde de / ; e et о les voyelles
d'un degré plus ouvert que e et o. Les signes ['] et ['] notent respectivement les tons haut et bas ;
le ton moyen se reconnaît à l'absence de signe. Les voyelles nasalisées sont notées par le digramme
[voyelle orale + n].
2. Chaque phrase, hormis 33 qui n'est pas répétée, est d'abord dite par l'officiant puis reprise en
chœur par l'assistance. Puis, de 34 à la fin, c'est seulement le chœur qui déclame, chaque phrase
n'étant plus dite qu'une fois.
88 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Récité
i Olú Kàso k'a dé ire
2 Apailaàpà
3 Erin-f odo-rin
4 Gbengbelekú
5 Ekùn igbô A dá
6 0 pa ikinî, pa Ikeîdôgbàn
7 k'a dé ire
8 Idé owo ni kl a dé
9 Idé aya ni kl a dé
IO Idé ото ni kl a dé
li ki a má ďldé ikú
12 ki a má d'idé arùn
13 ki a má d'idé ejô
14 ki a má d'idé ofà
15 ki a má d'idé enia má njije ohun pa'ni ju kulo
'
i6 ki a má r'ejô oba
17 ki a má lu ofin oyinbô
i8 ki a má t'eje ото araiyé
19 enúmó lenu f'oni
20 àufà lenu f'ôdï
21 séré k'o má bo lowo baba
22 asç ki 0 má ya то awon adôsù l'ori
23 asèjè f'owô páwú
24 elewi re ni k'o wolé
25 elewi gbèdi k'o ml s'ehln
26 fun 'kùn ото ndè, ko rô
27 akêpè
28 afûnjl
29 k'àna k'olà
30 k'àna owô k'olà
31 k'àna aya k'olà
32 k'àna ото k'olà
33 gbogbo awon y' 0 wà k'o wa gbo t'orisa ohun kan ki 0 mi s'enikan won kedere
Déclamé Chœur
34 k'awà
35 or i sa 'i Mçgbà
36 orim baba mi ma dé
37 b'o wà were, e kú were
38 b'o wà wàrà, e kú wàrà
39 okô wà
40 obà wà
41 atoto wà y a
42 epa, e Oya
43 epé k'awà
44 k'awà
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 89
Récité
1 Roi de Koso, que notre arrivée soit heureuse
2 A-les-mains-dans-une-gibecière
3 Marche-aussi-pesamment-que-l'éléphant
4 Obstiné
5 Léopard de la forêt de Ada
6 II tue le premier [et] tue le vingt -cinquième
7 que notre arrivée soit heureuse
8 qu'à notre arrivée il y ait de l'argent
9 qu'à notre arrivée il y ait des femmes
10 qu'à notre arrivée il y ait des enfants
11 qu'à notre arrivée il n'y ait pas la mort
12 qu'à notre arrivée il n'y ait pas la maladie
13 qu'à notre arrivée il n'y ait pas de procès
14 qu'à notre arrivée il n'y ait pas de perte
15 qu'à notre arrivée il n'y ait pas de nourriture plus empoisonnée que la mort
16 qu'il n'y ait pas de procès avec le roi
iy qu'il n'y ait pas de rencontres avec la loi des Européens
18 qu'il n'y ait pas de sang humain versé
ig garder le silence assure la paix
po médire amène les inimitiés
21 que le hochet ne tombe pas [des mains] de nos pères
22 que le pagne ne se déchire pas au-dessus des initiés
23 la nourriture est saisie [et portée à la bouche] avec la main
24. que seul entre celui qui est de bon augure
25 que celui qui est de mauvais augure s'écarte
26 que les femmes n'accouchent pas prématurément
27 grâce
28 pardon
2Q que le chemin s'ouvre
30 que le chemin de l'argent s'ouvre
jr que le chemin des femmes s'ouvre
32 que le chemin des enfants s'ouvre
33 qu'aucun de ceux venus vénérer l'orisha ne rencontre le malheur, aucun d'eux
;
Déclamé Chœur
I
34 venez regarder !
35 l'orisha de Mogba
36 . l'orisha mon père est arrivé
3j si vous risquez un œil, vous risquez la mort
38 si vous risquez un œil, vous risquez la mort
3Q hommes ! regardez !
40 femmes ! regardez !
41 enfants ! regardez !
42 hourrah ! Oya !
43 assemblez-vous et venez regarder !
44 venez regarder !
90 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Prière.
Notes.
1. Olú Koso « Roi de Koso », synonyme de Oba Koso dont on parlera plus loin
(Chant pour Shango et Oya, 16). « Que notre arrivée soit heureuse » signifie :
« puissions-nous arriver heureusement — litt. avec chance — à la fin de l'année
qui s'ouvre aujourd'hui. »
2. àpà « gibecière, sac », est le làbà de Shango, dans laquelle se trouve sa provision
de pierres de foudre. Deux làbà sont en général pendus au mur, dans le sanctuaire,
de part et d'autre de l'autel x.
j. « Éléphant » se retrouvera dans Yoriki (64).
5. « Léopard » : en pays yoruba et ajâ, ce fauve est à l'origine de la royauté. Figure
également dans l'oriki (14).
21. Sur le hochet séré, voir plus haut, page 72 note 1.
22. Allusion aux pagnes qu'on déploie pendant certaines cérémonies pour en dé
rober les épisodes secrets à la vue du public.
23. Le sens de cette phrase est resté obscur.
35. Mogba : prêtre principal de Shango. Les Mogba ont été invoqués au début,
dans la première partie de la prière qui ne figure pas ici. Sur le rôle important
des Mogba dans la fête annuelle de Shango à Ekiti, voir Anthony King {op. cit.),
pages 5-6.
ЗУ, з8. Litt. « si vous regardez vite — i. e. si vous épiez — vous mourrez vite » :
malheur à qui voudrait surprendre le secret de l'orisha.
were, wàrà : variantes d'un mot formé manifestement par onomatopée. Cf. :
A Dictionary of the Yoruba Language « Wàrawàra, Wàrawèré, adv. hastily... ».
Зд, 4°> 41' Littéralement : « pénis, regarde ! vulve, regarde ! prépuce, regarde ! »
A. Akinjogbin considère qu'il n'y a là que métaphore et qu'il faut traduire
« hommes, regardez ! femmes, regardez ! enfants, regardez ! ».
1. Cf. Joan Wescottet Peter Morton-Williams, The symbolism and ritual context of the Yoruba :
Laba Shango, Jl. of the Royal Anthropological Institute, 1962, p. 23-27.
2. Face I, plage 2 du disque. Fête pour l'offrande des premières ignames à Shango (cf. page 71).
3. La comparaison entre le texte des Notes... et celui-ci montre quelques divergences de détail,
résultat de mises au point successives. Le sens général et la structure de la prière restent cependant
à tous égards les mêmes.
4. Sur les principes suivis pour dégager ces unités, voir plus loin pages 98-99.
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 91
Du point de vue formel, la première partie de la prière, qui ne figure pas ici,
(i à 29 des Notes...), ne présente pas de traits notablement différents de ceux
de la seconde, l'analyse ne perdra donc rien à n'opérer que sur cette dernière.
Rappelons cependant que la première partie débute comme il se doit par une
salutation à Esu. Devises et formules propitiatoires se succèdent ensuite, à
mesure que sont invoqués les quatre Mogba (prêtres de Shango), Oba (i. e.
Roi-Shango), puis différents orisha, О gun, Yansan, Osun, Yetnoja, Omolu,
Ogun encore.
Le début de la seconde moitié de la prière — celle du disque — est faite d'une
série de cinq orikï x — salutations en forme de devises — précédés par le sou
hait « que notre arrivée soit heureuse » et de l'apostrophe « Roi de Koso », qui
montre qu'on s'adresse maintenant à Shango.
Vient ensuite un quatrain (7, 8, 9, 10) où l'on souhaite, dans l'ordre, de l'ar
gent, des femmes, des enfants : de l'argent pour avoir des femmmes, des femmes
pour avoir des enfants, car ce sont eux, en fait, qui comptent, précise A. Akin-
jogbin. Une variante de structure identique formule le même vœu à la fin de
la prière. La suite 2Ç, 30, 31, 32 constitue en effet un autre quatrain dont la
première phrase « que le chemin s'ouvre » répond à « que notre arrivée soit
heureuse » et dont les trois phrases suivantes sont, comme en 8-ç-io, la répé
tition de la première phrase complétée par « de l'argent », « des femmes », « des
enfants ».
La même formule optative — « qu'à notre arrivée » — sert à constituer la
séquence suivante, de cinq phrases, mais cette fois le souhait est exprimé de
manière négative : « qu'il n'y ait pas », inversement symétrique du « qu'il y ait »
de la séquence précédente.
L'optatif négatif, si l'on peut ainsi dire, se perpétue dans la séquence de
trois phrases qui suit, assurant ainsi une continuité d'expression de l'une à
l'autre.
Le distique iç-20 rompt la chaîne des souhaits en énonçant un double apho
risme dont les deux aspects — côté bénéfique, côté maléfique — sont complé
mentaires, et semblent en cela répondre, en la résumant, à l'alternance positif-
négatif des séquences qui précèdent.
L'organisation des phrases 21-26 apparaît moins clairement que dans ce qui
a été vu jusqu'ici. 21-22 constitue un distique d'optatifs négatifs se rapportant
l'un et l'autre à la bonne marche des cérémonies pour les orisha. 23 exprime une
idée dont le rapport avec le contexte nous échappe. L'opposition bénéfique-
1. P. Verger a donné dans ses Notes... (p. 307-310), une longue liste d'oriki Sàngô, où apparaissent
quelques-uns de ceux qui figurent ici, 4 et 6 notamment. Certains de ces orikï ont été repris dans
le recueil Textes sacrés ď Afrique, Germaine Dieterlen éd., précédés d'une introduction sur le stns
du mot orikï.
Sur Yorikï comme genre poétique, voir le numéro spécial de Black Orpheus : « Yoruba poetry.
Traditional Yoruba Poems collected and translated by Bakare Gbadamosi and Ulli Beier. » Les
textes n'y figurent malheureusement qu'en version anglaise.
92 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
maléfique fonde le distique 24-25, fait de deux optatifs présentant success
ivement les deux aspects opposés du même contenu (« entre qui est de bon
augure »/« s'écarte qui est de mauvais augure »).
27-28 rétablissent le vocatif essentiel à l'expression de la prière et sont donc
ici d'une grande importance. On les a traités comme formant un distique. C'est
qu'en effet, si l'on pose le principe de considérer ici comme unité tout élément
répété ou repris, il faut séparer aképè et afunji, « grâce » et « pardon », puisqu'ils
sont chacun dits par l'officiant puis répétés en chœur par l'assistance. En même
temps, placés dans le contexte ils constituent une paire : c'est la première fois
que ces mots apparaissent depuis le début de la prière. Ils en annoncent la
fin, semble-t-il, laquelle s'exprime en un quatrain qui reprend le thème essent
iel— sa fréquence le montre — de la prière, suivi par une phrase d'envoi
d'une forme qui n'avait pas non plus été rencontrée jusqu'à présent. Elle ne
sera pas répétée par le chœur et cela mérite d'être noté.
La partie déclamée en chœur, sur laquelle débouche en quelque sorte la prière
est tout entière organisée autour du mot « Regardez ». Elle débute et finit par
le même appel : « venez regarder ! » qui encadre des unités groupées en dou
blets (35-36 et 37-38) ou en tercet 59, 40, 41, à l'exception des deux dernières
(42, 43), dont la seconde est dite non point par le chœur mais bien par une
femme seule. Ici la définition d'unité de prosodie, qui fonde le découpage en
phrases et leur disposition en séries, est la même que celle dont on s'est servi
pour la prière parlée qui précède : elle s'appuie sur les répétitions ou les
reprises que présente le texte.
L'analyse structurale qui vient d'être esquissée suffit, si sommaire qu'elle
soit, à établir qu'on est en présence de textes dont la mise en forme est un carac
tèreessentiel. Celle-ci opère au niveau de grandes unités qui groupent des séries
de phrases et qu'on pourrait peut-être nommer des versets. Les principes de
cette organisation en versets restent à dégager — ils ne pourront l'être vala
blement qu'en opérant sur un beaucoup plus large corpus — , il n'en reste pas
moins que ces versets existent.
Reste à savoir s'il serait ou non légitime de parler également de « vers ». Cer
taines alternances de tons, ou encore de timbres vocaliques, pourraient induire
à parler de versification. Le verset 11 à 15 présente une alternance Ton Haut
— Ton Bas /Ton Haut — Ton Bas suivi d'une désinence sur Ton moyen qui ne
semble pas fortuite. Le verset 37-38 utilise l'alternance des timbres eja (were-
were jwara-wara) pour des effets prosodiques évidents. Mais cela ne suffit pas à
établir qu'il s'agit de vers dont la composition obéit à un système. Tout au
plus peut-on dire que des appariements de tons ou de timbres vocaliques con
tribuent parfois à la délimitation des versets x.
1. Sur l'alternance des tons constituant un système de rimes voir E. L. La^ebikan « Tone in
Yoruba poetry », Odu, n° 2, p. 35-36, Ibadan 1955 (?). Voir aussi S. A. Q. Babalola, The content and
form of yoruba ijala, thèse présentée à l'Université de Londres, 1963, qui consacre de longs déve-
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 93
II y aurait beaucoup à dire sur l'intonation — « récité », « déclamé » —
caractéristique de ces deux espèces, qui toutes deux offrent des degrés inte
rmédiaires entre « parlé » — « parlé-chanté » et « chanté ». Versons-les au dossier
de l'art de la parole en Afrique noire, dont l'étude est à peine commencée 1.
Dans cette région du golfe du Bénin la déclamation dont on a ici un exemple
en constitue un important aspect.
loppements à l'étude de la prosodie (au niveau de la poétique) des chants de chasseurs. H. Wolff
(voir plus loin, p. 103, à propos de Vorîki) mentionne l'existence de « characteristic tone patterns»
pour les oríki personnels. Il est certain que dans des langues comme le yoruba le jeu des tons fait
partie des procédés poétiques. Dans quelle mesure, suivant quels principes ? on est encore bien peu
renseigné sur ce sujet. Rappelons que D. С Simmons a décrit une poétique fondée sur les schémas
tonologiques chez les Ibibio : « Erotic Ibibio tone riddles », Man, June 1956, p. 79-82.
1. Cf. J. Berry, Spoken Art in West Africa, An Inaugural Lecture, School of Oriental and African
Studies, London 1961.
2. Face A du disque eicarté plus loin.
94 SOCIETE DES AFRICANISTES
Solo.
1 ' ô ni, bá wa se é, a kb le dá a se o
2 Sàngô oko Oya, AtóMétb
3 onilê ori ïgànna, bá wa se é, a kb le dá a se
4 àwa kb tilè mç 'hun oyin fi úse afá
5 Sàngô ni Atótímaťií
6 àwa kb то 'hun bbrè fi {se ipé
7 Qya ni Atótímaťií
8 àwa kb то 'hun kan ti Ajómágbodó fi ise orb ni ïwàrun,
9 Sàngô, bí isu bá pa ara dà, a di iyán
10 àgbàdo pa ara dà, a di àmalà
11 onilê ori ïgànna pa ara dà, ô di ïyonu о
12 Oya, úgbó o,
Chœur.
(ii)
13 a fi ègbé jo Olqrb, úgbó Ы то ti nwí Oya úgbó bí то ti úwí
14 Aladó Olqrb, úgbó Ы то ti úwí ídó, úgbó Ы то ti úwi
15 \jà ègbé Olqrb, úgbó bí то ti úwí \yá, úgbó Ы
(iii)
16 ilèkè l'ère, àyan lé'ri Oba Kbso
17 e wo àyan lé'ri Oni Sangó ïlèkè l'ère, ere Oba Koso
18 àyan lé'ri Oba Oyó Mekk I'ere, ere Oba Kbso
19 àyân lé'ri Oni Sàngô ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
(iv)
20 iwbrb, e kú orb, gbogbo ïwbrb ïtè то kiyín ode ïwbrb, e kû orb,
21 \wbrb Alàdô, e kú orb
22 iwbrb, ç kú orb, ïwbrb, e kú orb
23 ïwbrb, e kú orb,
24 iwbrb Ajàgbé, e kú orb ïwàrb, e kú orb, iwbrb, e kú orb
25 ïwbrb, ç kú orb
(v)
26 Alálejb, 6 dé 0, Onírorb a l'ô l'bde
2j À lado l'olôde b, ó dé o, Onirorb a l'ô l'bde
28 iba l'olôde b, ó dé 0, Onirorb a l'ô l'bde
2ç baba l'olôde b, ô dé 0, Onirorb baba l'ô l'bde
(vi)
30 Oba wa, gbogbo ilè, t'ô fi dé bkun Otè Oba ria, ni gbogbo ilè, t'ô fi de bkun Otè
31 Sàngô Г Oba wa, ní gbogbo ilè, t'ô fi dé bkun Ùtè baba wa, ni gbogbo Щ, t'ô fi dé bkun Otè
32 baba wa, ni gbogbo il}, t'ô fi dé bkun Ôtè baba wa, ni gbogbo ilè, t'ô fi dé bkun Ôtè
(vii)
33 ïlèkè l'ère, àyan l'érl Oba Kbso
34 e wo àyan l'êri Onipedé ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
35 e wo àyan l'êri Bamgbadé ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
36 e wo àyan l'êri Oni Sàngô ïlèkè l'ère, ere Oba Kbso
(viii)
37 Morópólú, ç bá mi wá kàn
38 Morópólú, m'o r'ôhun l'ôdê...
Solo
(i)
/ il dit, aide-nous, nous ne pouvons pas le faire seuls
j Shango, mari de Oya, Chez-qui-on-trouve-secours
j maître de la maison en haut du mur, aide-nous, nous ne pouvons pas le faire seuls
/ nous ne savons pas comment les abeilles font le miel
/j Shango est Toujours-frais
6 nous ne savons pas comment, le porc-épic fait pousser ses piquants
7 O\a est Toujours-fraîche
S nous ne savons pas comment fait Ajomagbodo pom que le ciel soit propice
•s Shango, quand l 'igname change, il devient pâte d'igname
то quand le maïs change, il devient pâte a mala
ir quand le maître de la maison en haut du mur change, il devient du tracas
/.-.' Ova, écoute
Chœur.
j 3 celle qui se tient aux côtés de Oloro, écoute pendant que je parle Oya, écoute pendant que je parle
T4 Alado Oloro, écoute pendant que je parle Ido, écoute pendant que je parle
/5 celle qui combat aux côtés do Oloro. écoute pendant que je parle mère, écoute pendant que je parle
li")
/6 les perles sont des richesses, l'arbre est au-dessus du Roi de Koso
i/ vous voyez, l'arbre est au-dessus du Prêtre de Shango les perles sont des richesses, richesses du Roi de Koso
18 l'arbre est au-dessus du Roi de Oyo les perles sont des richesses, richesses du Roi de Koso
tq l'arbre est au-dessus du Prêtre de Shango les perles sont des richesses, richesses du Roi de Koso
initiés. le salut de la cérémonie vous tous initiés je vous salue pour la fête initiés, le salut de la cérémonie
!
!
initiés de Alado, le salut de la cérémonie
initiés, le salut de la cérémonie initiés, le salut de la cérémonie
! i ! ! !
23 initiés, le salut de la cérémonie
!
24 initiés de Ajagbe, le salut de la cérémonie initiés, le salut de la cérémonie initiés, le salut de la cérémonie
initiés, le salut de la cérémonie
!
!
11 y pii.ihci-, V. v- t-.-:it Г--; .CS^CU! Л<~ Of festoi"
\J-Ho vi}f fn^tnyrpTf" il Vient •>O44PSSfU"î г] О Oj"n
-
lestojp
Í
(vu)
soin (jes h hisses, aibie e:->l <iu -dessus du [\oi de Koso
\nib vî>v«'/, i'arbir csl au-dessus du Possesseur du rhombe les perles sont des richesses, richesses du Roi-de-Koso
i
'.■(■! ■■ ii'.c,' ■!!•<■'- ,11! ji "-',! ■ <ic \ id с II! il ,'i M lit с Г la les perles '.'tit des ru 1н-; чгч пс|к»,ч^ du К'' и di- T\<im>
vous voyez, l'arbre est au-dessus du prêtre de Shango
'.
!.i
Ii
1
r
i
I
'i
-\r m
j'ai vu quelque chose dehors
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 9Г)
Notes.
3. « Maître de la maison en haut du mur » : c'est là une des formules insolites comme
on en rencontre si souvent dans les orikï. Leur caractère énigmatique tient dans
la plupart des cas à ce qu'on a perdu le souvenir des faits plus ou moins véri
tables auxquels se rapportaient à l'origine ces devises. Souvent aussi les bizar
reries de ce genre sont des symboles, des métaphores, parfois des onomatopées
dont on a perdu la clé. Shango, personnage fantasque, aurait-il construit un
jour une maison « en haut d'un mur » ? Tel que le décrit P. Verger, il est dans son
caractère de faire toutes sortes d'extravagances. Peut-être cet otikï fait-il allu
sion à l'une d'entre elles ?
S. Ajomagbodo : personnage non identifié.
10. Phrase déroutante : le maïs ne peut évidemment pas se transformer en amala,
c'est-à-dire en pâte d'igname. A. Akinjogbin tendrait à croire qu'il s'agit ici soit
d'une erreur de la chanteuse, soit d'une inconséquence du texte due à l'obliga
tion de respecter la rime par alternance de ton, laquelle voudiait ici un ton bas.
P. Verger croirait volontiers, au contraire, qu'on est ici encore en présence d'une
allusion à la fantaisie de Shango, lequel serait bien capable de changer le maïs
en pâte d'igname.
11. Quand Shango s'agite — i. e. quand il y a de l'orage — les gens sont inquiets.
13. Olóro : zélateur de Oro ? Cf. Abraham (op. cit.), article Oro (2). Sur les rapports
de Shango et de Oro, voir plus bas, à propos de Oniroro 26.
14. Aladô : un des noms de Shango repris par le chœur sous la forme abrégée de
Ida. Il revient plus loin en 21 et en 27.
16. ere « profit » c'est-à-dire richesses. Les perles dont il est question sont rangées
en une série de filières pendant à partir d'une frange serrée autour du front du
roi. Elles tombent ainsi devant son visage et le dissimulent en partie x. Si au lieu
de ere « profit » (P. Verger) on « entend eré (A. Akinjogbin), il faut alors traduire
« amusement » et de là '( ornement ».
16. (O-ba-ko-so) a fait couler beaucoup d'encre. On peut en effet l'interpréter Oba
Koso « Roi de Koso », Koso étant une ville a en rapport avec Shango. On peut
également comprendre Oba ko so (roi pas pendu), « Le Roi ne s'est pas pendu »,
ce qu'auraient dit les partisans de Shango en affirmant, après sa disparition, qu'il
ne s'était pas pendu, d'où la formule Oba so, Oba ko so « Roi pendu, Roi pas
pendu » qui lui est à présent fréquemment associée. Pierre Verger 3 n'est pas
convaincu de l'authenticité de cette formule qui constitue « un jeu de mots sur
1. Cf. Jacques Bertho « Coiffures-masques à franges de perles chez les rois yoruba de Nigeria et
du Dahomey », Noies africaines, n° 47, juillet 1950, pages 71-74.
Le jour de leur sortie les novices de certains orisa ou vodÀ en portent de semblables ; une photo
de novices de Sakpata en montre un exemple (cf. G. Rouget, « Un chromatisme africain », V Homme,
I, 3, 1961, p. 33). En Guinée, chez les toma, les nouvelles excisées portent une voilette du même
genre, mais qui n'est pas en perles (cf. la photo 4 de la jaquette du disque Musique Toma, enregis
trement P. D. Gaisseau, J. Fichter, Musée de l'Homme, LD 2, Contrepoint M. C. 20 097).
2. Fut-elle construite après la mort de Shango, d'où son nom, l'était-elle au contraire avant ?
Les textes dont on dispose ne s'accordent pas sur ce point. Abraham semble considérer la première
hypothèse comme acquise et dans son grand dictionnaire yoruba prend toujours soin d'écrire
Kà-so le nom de cette ville, comme pour en souligner l'étymologie. En revanche, à côté des textes
à l'appui de cette thèse P. Verger cite (Notes..., p. 306) un mythe qu'il a recueilli à Kétou, suivant
lequel « Sango est venu au monde à Koso... », ailleurs (ibid., p. 332) il reproduit un passage du
Rév. Bowen où on pi'Ut lire « Sango était né à Ife et régnait à Ikoso... » et plus loin (ibid., p. 335) il
en donne un de Dennet indiquant que « Shango est le grand Orisha du Ala fin de Oyo ou Oba Kuso,
roi de Kuso (une colline près de Oyo)... ».
3. Notes..., p. 333-334-
96 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
le titre de Shango » et dont la fortune remonterait, selon lui, à la publication en
yoruba d'un « livre à l'usage des écoles protestantes », comportant une version
du mythe reprise de celles qui avaient été publiées antérieurement en anglais.
Là où P. Verger inclinerait à voir une mauvaise plaisanterie destinée à tourner
Shango en dérision et perfidement répandue par un missionnaire mal intentionné,
M. Palau-Marti (1964, page 256) voit une expression symbolique chargée de signi
fication : « ... Le roi s'est pendu, le roi ne s'est pas pendu... cette. double propos
ition est un axiome qui résume la notion de roi en Afrique... (et) qui sert à pré
senter en coexistence dans la synchronie des notions de mort et de vie, sans
qu'il y ait en cela aucune contradiction puisque le système du roi échappe à la
logique ordinaire 1. »
Toute opinion sur le débat étant mise à part, fallait-il ici traduire Oba Koso
par « Roi de Koso » ou par « Roi pas pendu » ? La question se posait d'autant plus
que le contexte — àyan l'eri Oba Kôso « l'arbre est au-dessus de Oba Kàso » —
pouvait faire pencher vers la seconde interprétation. En effet àyan 2, (rendu sim
plement par « arbre » dans notre traduction), est précisément l'arbre où Shango
se serait pendu 3. Mais en même temps c'est du bois de cet àyan qu'est faite la
double hache osé, portée par les prêtres de Shango et important attribut de cette
divinité. L'histoire ne dit pas si Shango s'est pendu précisément à cet arbre
parce qu'on l'utilisait pour faire son osé ou si, à l'inverse, on y taille son osé parce
qu'il s'y serait pendu. Rien ne permet donc de décider ici si àyan est une réfé
rence à la pendaison de Shango ou bien à sa double hache symbolique. Exami
nonsle reste du contexte. Dans cette strophe, Oba Koso alterne avec Oba Oyo
« Roi de Oyo ». Koso permutant avec Oyo, il y a bien des chances pour qu'il ap
partienne à la même classe lexicale, celle d'un nom de ville. C'est déjà un argu
ment de poids pour préférer « Roi de Koso » à « Roi pas pendu ». Mais il y a plus.
Les phrases ayân l'eri Oba Kàso et ayân l'eri Oba Oyo, « l'arbre est au-dessus de
Oba Koso /de Oba Oyo », ont pour variante ayân l'eri OníSangó « l'arbre est au-
dessus du Prêtre de Shango ». Ici toute allusion à la pendaison d'un prêtre de
Shango est exclue : il n'en a jamais été question nulle part. Rien n'indique par
conséquent que, dans ce texte tout au moins, il faille traduire Oba Koso par « Roi
pas pendu », bien au contraire. Ajoutons que Oba Koso « Roi de Koso » a pour
variante Olú Koso « chef de Koso », qu'on a rencontré plus haut 4 et qui, sauf
erreur, n'est jamais compris «chef pas pendu ». S'il a paru utile de consacrer tant
de place à cette discussion c'est d'abord parce qu'un problème était posé. Il fallait
justifier la solution choisie, et cela d'autant plus qu'elle s'écarte de celle qui est
le plus souvent acceptée, notamment dans les ouvrages où il est question de la
musique pour Shango 5. C'est aussi parce que l'occasion a paru bonne de montrer
que lorsqu'un texte de ce genre pose des problèmes d'interprétation, sa mise en
r. Montserrat Palau Marti «Oba só, Oba kà só (Le roi s'est pendu, le roi ne s'est pas pendu) »,
VIe Congrès International des Sciences Anthropologiques et ethnologiques, II 2, Paris 1964,
P. 253-257.
2. Afrormosia laxiflora (Leguminosae) (Abraham, 1958, p. 86) ; « petit arbre ou arbuste des
savanes boisées ou forêts sèches » (précision due à l'obligeance de R. Sillens) qu'il ne faut pas con
fondre avec àyàn, Disthemonanthus ou « African Satinwood » [loc. cit.).
3. Ibid., p. 491.
4 .Prière 1.
5. Le Timi de Èdè, dans son article sur les tambours yoruba [op. cit., p. 6) écrit : « ... the Yoruba
god Shango has many Orikis, for example : Oba Koso. The king did not hang. » Anthony King
[op. cit., p. 5), qui parle assez longuement de ce suicide, ajoute « He was further given the title
of « Oba Kôso » which means « the King does not hang himself... ».
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 97
forme met en évidence des données susceptibles de fournir au débat d'utiles indi
cations.
24. Ajagbe : ce nom fait pendant à Alado (21). Sans doute est-ce ici encore, par
conséquent, un des noms de Shango.
26. Onirorô « Possesseur de Oro ». Oro est-il un orisa, comme le note Abraham ?
P. Verger lui assigne une place à part dans ses Notes... (p. 520) et en dit : « Oro
[...] a le pouvoir de communiquer avec les morts. [Il] se manifeste par des plaintes
stridentes, des hululements et des cris inarticulés. Lorsqu'il se fait entendre, de
nuit ou de jour, les femmes et les non-initiés doivent se terrer dans les maisons
[...]. Oro jouait autrefois un rôle de justicier. » Sa voix est celle du rhombe. Shango
qui est nommé ici « Possesseur-de-Oro » sera plus loin appelé « Possesseur-du-
Rhombe ». On verra dans l'orikï (60) le nom de Oro permuter avec celui de Shango.
D'une légende, « Fa et la fête de l'igname », rapportée par Maupoil 1, il ressort
que la première apparition de Oro est liée précisément aux événements qui furent
à l'origine de l'institution de la fête des ignames.
30. Oba ria : dialectal de Oba wa.
34. Oni-pe-dê : possesseur-rhombe-venir (A. Akinjogbin).
37. Moropolu : non identifié.
ORÎKÎ SÀNGO*
(Voir p. 102).
(i)
S i 'tori aibàâmb- 2 ejék'a jo se
Ch 3 'tori a-ibàâmà- -e- 4 e-jék'â-
5 ejêk'a jo se-o--e
6 'tori a...
(ii)
S 7 Gbaru mura 8 elêdùn là bàjê 9 a kê yan 'ô tó- pa won je 10 ko pa won то ii èru 'à
b'èkê 12 onigege-e-e-e-e aťayinbó wá
13 ilè má je ey\i gbe 14 ikú l'ekùn, ikû ti ûkun 'то l'ôorun 15 ikú ti nà 'ni nà 'ni kl 0 ta
fi ni s'aya
16 p'èkéje k'drun- о ma iy olôri ajê-e-e-e-e-e-e-e-e-egùn- bi Arbni
18 jówó iç то gbó Ы o ti wi 20 Sangó o fi àfé fohùn
21 то gbó bl o ti wi
Ch 22 alárá yee, a-lárá yee-o 23 iye-iye 24 то gbó Ы o ti wi
25 fare se 'lú wa- - 26 mo-gbó bi o ti wi
27 то gbó bi o ti wi-o- 28 Sán- -gó o
S 29 то gbó Ы o ti wi 30 Sangó o fi àfê fo
Ch 31 iye 32 mo-gbó Ы 0-
33 то gbó Ы o ti wí-o-e 34 Sangó o
(iii)
S 35 Gbaru můra 36 elédùn là bàjê 37 a kê yan 'ô tó- pa won je 38 oko mi l'ó là'po bdèdè
то ото léhïn ô-o-ç-p-o-rùn wewewe
39 Sàngo ma là mi l'àrùn mo-0-0-0-0-0 be ç
40 elêgbèrin à-o-o-o-o-o-go 41 a ri kinikini ninu eniti use ni
42 p'èké je k'drun- о ma 43 olôri ajê-e-e-e-e-e-e-e-e-egùn bi Arbni
Ch 44 fare se'lû 45 çbakoba ko 46 sebi Sàngo ni rè-o
4У iye- - 48 ç-bako
49 obakpba kó- - 50 se-bi Sàngo ni rè
S 51 çbakoba ko 52 sebi Sàngo ni rê-o
Ch 53 iye- -54 o-bako-
55 çbakoba kó- - 56 .se-bi Sàngo ni rè
(iv)
S 57 Sàngo fê pè'rû
58 ekùn fojú taná 59 Olúwa e-e-e-emi fé pè'rû
Ch 60 Orb, ó fê pè
61 ô fê pè'rû-e- -
62 a ç kúro- ó fê pè'rû
(v)
S 63 Sàngo fê pè'rû
64 erin a-a-atô bá-a-a-a-а jém àiyê 65 e pè, Éwêgbè-e-e-e-emi fê pè'rû
Ch 66 Orb, ô fê pè
67 ó fê pè'rû-e
68...'...
Devises de Shangu.
i'i
S / dans l'incertitude 2 agissons ensemble
Ch 3 dans l'incertitude 4 agissons
5 agissons ensemble
t> dans l'incertitude
.
("J
S 7 Gbaru brise 8 le possesseur de la hache détruit 9 il crie [et fait grand j fracas avant de les tuer 10 lorsqu'il ne les tue plus 11
le menteur n'a plus peur 12 possesseur de l'étoffe rouge qui vient de l'Européen
13 la terre ne le mange pas pour toujours 14 Mort-Léopard, Mort qui envoie l'enfant dormir 15 Mort qui meurtrit maintes lois
avant de prendre épouse
16 il anéantit le menteur, que le ciel le sache ij chef [qui a] le pouvoir du talisman comme Aroni
18 de grâce iç j 'ai entendu ce que tu as dit 20 Shango parle en sifflant
21 j'ai entendu ce que tu as dit
Ch 22 possesseur de la foudre, possesseur de la foudre 23 mère, mère 24 j'ai entendu ce que tu as dit
2 ^ bénis notie ville 26 j'ai entendu ce que tu as dit
27 j'ai entendu ce que tu as dit 28 Shango
2Q j'ai entendu ce que tu as dit 30 Shango parle en sifflant
31 mère 32 j'ai entendu ce que tu as dit
33 j'ai entendu ce que tu as dit 34 Shango
(111)
S 35 Gbaru brise 36 le possesseur de la hache détruit 37 il crie [et fait grand] fracas avant de les tuer 38 mon mari a fendu en mor
ceaux le poteau de la véranda jusqu'au cou de l'enfant
3Q Shango, ne me lends pas le cou, je te prie
40 il a huit cents gourdins 41 il voit clair dans le cœur du malfaiteur
42 il anéantit le menteur, que le ciel le sache 43 chef [qui aj le pouvoir du talisman comme Aroni
44 bénis notre ville 45 ce n'est pas n'importe quel roi 46 n'est-il pas Shango
4j mère 48 ce n'est !pas] n'importe quel roi
4P ce n'est pas n'importe quel roi 50 n'est-il pas Shango
57 ce n'est pas n'importe quel roi 52 n'est-il pas Shango
-, 3 Hi(vn- v/ rt* n'est pas' n'importe quel roi
'
(v)
S (13 Shango veut appeJei à adorer
С h Ó4 Kléphant-qui-mamtient -en-vie 65 vous appelez, Leuilles-suutenez-moi veut appeler à adorer
t)f> Oro, il veut appeler
0/ ii veut appeler a adorer
NOTES POUR SERVIR A L'ÉTUDE DE LA MUSIQUE YORUBA 103
Notes.
7. G baru : un des noms de Shango.
8. La double hache stylisée (osé) et la « hache de foudre » (edùn àrâ, cf. plus loin 22)
— ou pierre de foudre (i. e. hache néolithique) — sont, rappelons-le, les attributs
de Shango.
9. Fracas : celui du tonnerre, bien entendu.
12. Dans le sanctuaire de Sakété le socle sur lequel est posée l'effigie de Shango est
ceint d'une étoffe d'un rouge éclatant : rouge et blanc sont les couleurs de cet
orisha.
13-15. Toute initiation au culte d'un orim (ou d'un vodu) commence nécessair
ement par la mort du nouveau zélateur. C'est de cette mort symbolique « pas pour
toujours » qu'il s'agit ici. Shango est Mort, en tant qu'il tue, et Léopard, car il
est roi (cf. plus haut la prière, j « Roi de Koso », 5 « Léopard de la forêt de Ada »).
Il tue (« envoie l'enfant dormir ») pour faire un novice, puis il le met longuement à
l'épreuve (« meurtri maintes fois ») pendant sa réclusion, avant d'en faire son
« épouse ».
17. « Aroni est un être surnaturel, un très petit homme qui connaît le secret de
Osanyin — entité des feuilles et des herbes. Il a une seule jambe, un seul bras,
un œil au milieu du front. C'est lui qui a donné le feu aux hommes » (P. Verger,
Notes sur le culte des Ori§a..., p. 165).
38. Dans sa brutalité, la foudre a fendu à la fois le poteau de la véranda et le crâne
de celui qui y était adossé.
5J. ... veut appeler à adorer : ... veut convier ses fidèles à venir l'adorer.
60. Oro : voir plus haut (p. 97) 26, à propos d Onirorà.